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Madagascar face à la criminalité multiforme
Notes de l’Ifri
Mars 2017
Mathieu PELLERIN
Programme Afrique subsaharienne
L’Ifri est, en France, le principal centre indépendant de recherche,
d’information et de débat sur les grandes questions internationales. Créé
en 1979 par Thierry de Montbrial, l’Ifri est une association reconnue
d’utilité publique (loi de 1901). Il n’est soumis à aucune tutelle
administrative, définit librement ses activités et publie régulièrement ses
travaux.
L’Ifri associe, au travers de ses études et de ses débats, dans une démarche
interdisciplinaire, décideurs politiques et experts à l’échelle internationale.
Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), l’Ifri s’impose comme un
des rares think tanks français à se positionner au cœur même du débat
européen.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité de l’auteur.
ISBN : 978-2-36567-696-0
© Tous droits réservés, Ifri, 2017
Comment citer cette publication :
Mathieu Pellerin, « Madagascar face à la criminalité multiforme »,
Notes de l’Ifri, Ifri, mars 2017.
Ifri
27 rue de la Procession 75740 Paris Cedex 15 – FRANCE
Tél. : +33 (0)1 40 61 60 00 – Fax : +33 (0)1 40 61 60 60
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Site internet : Ifri.org
Auteur
Mathieu Pellerin est chercheur associé au sein du programme Afrique
subsaharienne de l’Ifri. Ses travaux de recherche portent depuis 2010 sur le
Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso), le Lac Tchad et Madagascar.
Il travaille depuis juin 2015 pour le Centre pour le Dialogue
Humanitaire (HD) comme conseiller spécial en charge du dialogue intra-
islamique. Il est également consultant international pour des organisations
publiques et privées (Banque mondiale, Union européenne, ONGs, etc.).
Il est également rédacteur en chef adjoint de la revue Sécurité & Stratégie.
Sommaire
INTRODUCTION .................................................................................................. 4
UN NOUVEAU PACTE ÉLITAIRE CONSTRUIT SUR DES BASES FRAGILES ....... 6
L’ÉTAT FACE AUX TRAFICS : DE L’IMPUISSANCE À LA COMPLAISANCE ......10
Panorama des trafics et de leur organisation .................................................... 10
Le cas du bois de rose ........................................................................................... 12
DU TRAFIC À LA VIOLENCE ARMÉE : LE CAS DES DAHALO ...........................17
CONCLUSION ....................................................................................................24
Introduction
Madagascar est-elle véritablement sortie de la crise entamée en 2009 ? Sur
un plan strictement formel, il est d’usage de considérer que l’élection
présidentielle1 de décembre 2013 a clôturé une séquence politique de
relative paralysie institutionnelle depuis le coup d’État de mars 2009 et
le régime de transition alors mis en place. Plus récemment, l’organisation
réussie du sommet de la Francophonie en novembre 20162 et le succès de
la conférence des bailleurs et investisseurs en décembre de la même année3
consacrent le retour de Madagascar sur la scène internationale. Pourtant,
une observation attentive de l’état du pays amène à questionner la
prolongation de la crise sous d’autres formes. Les difficultés économiques,
en dépit de quelques lueurs d’espoir4, et une opposition de plus en plus
vindicative (à l’Assemblée comme en dehors) en sont les signes les plus
visibles. L’identité même de cette opposition, largement construite autour
du parti de l’ancien président de la transition, Andry Rajoelina, montre que
la séquence politique ouverte en 2009 n’est pas encore clôturée et qu’elle
promet d’être sujette à une nouvelle crise lors du prochain scrutin
présidentiel de 2018. Mais l’héritage le plus lourd de la transition à gérer,
ainsi que nous l’avons montré en 20145, est sans doute la pénétration
toujours plus avancée d’une criminalité multiforme.
Qu’il s’agisse de la recrudescence de dahalo6 ou bien du
développement de trafics, cette criminalité n’est pas nouvelle dans le pays.
Chaque crise politique a pour corollaire un effritement des cadres
institutionnels en place, ce qui favorise le développement du banditisme et
de l’économie informelle, dont une partie tient aux trafics. Ainsi, chaque
épisode de crise à Madagascar a vu les cas de vols de zébus perpétrés par
des dahalo s’intensifier, avec en réaction le déploiement de forces de
1. « Hery Rajaonarimampianina remporte l’élection présidentielle », RFI, 3 janvier 2014.
2. « Sommet de la francophonie : un sommet plutôt positif pour Madagascar », RFI, 28 novembre
2016.
3. « Madagascar lève 6,4 milliards USD pour son développement », Afriqueinside, 2 décembre
2016.
4. A. Faujas, « Des lueurs d’espoir pour l’économie malgache », Jeune Afrique, 24 novembre 2016.
5. M. Pellerin, « Madagascar. Gérer l’héritage de la transition », Notes de l’Ifri, juillet 2014.
6. Littéralement « bandits », désigne des groupes de bandits notamment spécialisés dans le vol de
zébus.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
5
gendarmerie dans le cadre d’opérations planifiées7. De même, les
ressources naturelles font l’objet de trafics qui sont bien antérieurs à 2009.
Les pierres précieuses, notamment depuis le développement de la mine
d’Ilakaka au début des années 19908, ont toujours été exploitées par des
réseaux informels qui bénéficiaient de complicités au sein de
l’administration et du pouvoir en place pour développer leurs activités hors
de tout cadre formel. Ce n’est qu’au début des années 2000, sous
l’influence de la Banque mondiale notamment, qu’une timide tentative de
formalisation a été entreprise9. Ces ressources, au même titre que d’autres
(aide internationale, budget de l’État, entreprises publiques, titres fonciers,
etc.) font l’objet d’un accaparement par les différents « pactes élitaires »
qui se sont succédé depuis l’indépendance dans le pays. C’est sur ce modèle
que fonctionne l’économie politique de Madagascar.
7. Voir à ce sujet, Madagate, « Madagascar : Dahalo ou le phénomène cyclique de plus en plus
meurtrier », 6 septembre 2012.
8. Au sujet d’Ilakaka, voir R. Canavesio, Exploitation informelle des pierres précieuses et
développement dans les nouveaux pays producteurs. Le cas des fronts pionniers d’Ilakaka à
Madagascar, université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2010.
9. Voir à ce sujet, Banque mondiale, Secteur minier : fiche de résultats sectorielle, 14 avril 2013,
www.banquemondiale.org.
Un nouveau pacte élitaire construit sur des bases fragiles
La régulation du politique à Madagascar s’opère en effet à travers la
construction de ces « pactes élitaires » construits entre acteurs politiques,
cadres de l’administration, opérateurs économiques, forces de sécurité,
voire parfois acteurs religieux10. C’est une condition de la stabilité politique
du pays par le maintien au pouvoir de ces réseaux interdépendants les uns
des autres11. Ainsi, certains postes au sein de l’administration
particulièrement convoités sont systématiquement offerts à des proches
des présidents de la République et servent de portes d’entrée privilégiées
pour les autres acteurs du système. La direction des Douanes (ainsi que ses
antennes régionales) sert ainsi à favoriser les opérateurs économiques du
« pacte élitaire », lesquels redistribuent aux autres acteurs12. La direction
des Mines et singulièrement celle de l’Office des mines nationales et des
industries stratégiques (OMNIS) est éminemment stratégique pour le
contrôle, entre autres, de l’octroi des licences. La direction des Impôts est
stratégique au sens où elle peut servir de levier de pression auprès
d’opérateurs économiques peu amènes avec le pouvoir en place. La
direction générale du port de Toamasina, par lequel transitent de
nombreux flux commerciaux, est également réputée stratégique13. Ces
quelques exemples sont loin d’épuiser la liste des postes stratégiques qui
permettent le bon fonctionnement de ces « pactes élitaires ». En d’autres
termes, la corruption, l’économie informelle (dont les trafics), et surtout le
trafic d’influence ont de tout temps existé dans le pays. Dès lors, il convient
de s’interroger sur ce qui a réellement changé depuis 2009.
L’une des hypothèses explicatives de la situation actuelle tient au fait
qu’en 2009, Andry Rajoelina était partiellement otage d’un groupe
d’acteurs au sein duquel il incarnait le leadership. L’enjeu n’est pas ici de
10. L’enquête ELIMAD identifie neuf sphères d’élites à Madagascar : le gouvernement,
l’institution publique, les élus, les partis politiques, les forces de sécurité, les réseaux
entrepreneuriaux, les Églises, la société civile et les organisations internationales. « Les élites à
Madagascar : un essai de sociographie », Présentation à l’IFM à Antananarivo, 5 janvier 2016.
11. M. Pellerin, « Madagascar. Gérer l’héritage de la transition », op. cit.
12. Entretien avec un opérateur économique, Antananarivo, mars 2013.
13. Ibid.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
7
revenir en détail sur le contexte qui avait conduit au coup d’État de
mars 2009, mais simplement de rappeler que l’entourage d’Andry
Rajoelina était non seulement extrêmement hétéroclite mais surtout
composé d’acteurs très puissants. Andry Rajoelina était alors fraîchement
catapulté à la mairie d’Antananarivo, dépourvu d’ancrage local et sans
aucune base élitaire derrière lui. Certains de ces acteurs ont même, dès
2007, décidé de l’appuyer pour qu’il prenne le contrôle de la mairie
d’Antananarivo14. Il s’est rapidement retrouvé prisonnier des puissants
acteurs qui l’ont fait roi, qu’il s’agisse de sous-officiers de l’armée qui ont
joué un rôle décisif dans la conduite du coup d’État, d’opérateurs
économiques qui ont financé son aventure, ou bien d’anciens politiciens
bien plus rompus que lui aux rouages de la vie politique et de l’économie
du pays.
La relative fragilité du pouvoir en place a dès lors été profitable à tous
ces puissants acteurs qui se sont retrouvés à des postes de pouvoir dont ils
ont su profiter. La situation tranche avec ce qui avait cours au temps du
président Ravalomanana. Derrière la dérive patrimonialiste qui
caractérisait sa gouvernance (autour de son entreprise Tiko)15, le système
qu’il avait mis en place se caractérisait par sa nature pyramidale. Il était
difficile, voire impossible, d’être un acteur économique significatif à
Madagascar sans appartenir au « pacte élitaire » qu’il avait mis en place,
créant de facto de nombreux mécontents. Tous ceux-là vont logiquement
basculer dans l’opposition et soutenir Andry Rajoelina16 dont ils profiteront
du manque d’autorité une fois devenu président de la transition pour se
« servir ». Le système devient alors davantage horizontal, différents types
d’activités informelles et de trafics se développent et coexistent sans
nécessairement remonter au plus haut niveau de l’État. Éprouvant le
besoin de constituer son propre « pacte élitaire », soucieux de consolider la
puissance de son régime naissant, le président de la transition ne pouvait et
ne souhaitait alors sans doute pas s’aliéner ces nouveaux acteurs17. Enfin,
dès les premières semaines de son régime, celui-ci a publiquement exprimé
le souhait de trouver des sources de financement alternatives à l’aide
internationale (dont dépend 70 % du budget de fonctionnement de l’État
malgache), faisant ici écho aux récentes déclarations de Jean-Pierre Laisoa,
baron du trafic de bois de rose : « Andry Rajoelina a déclaré lors de sa
visite à Brickaville que les recettes de vente de bois de rose avaient permis
14. Entretien avec un membre de ce groupe d’acteurs, Antananarivo, juillet 2009.
15. M. Pellerin, « Madagascar, un conflit d’entrepreneurs », Politique Africaine, mars 2009.
16. Ibid.
17. Entretien avec un directeur de cabinet ministériel, Antananarivo, janvier 2012.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
8
de faire tourner le pays pendant deux ans sans l’aide des bailleurs de fonds
étrangers18 ».
Les appétits personnels et revanchards, le manque d’autorité centrale,
le besoin urgent de nouvelles sources de financement ont donc contribué à
de nouveaux trafics ou à développer ceux qui préexistaient : trafic d’or, de
pierres précieuses et de bois précieux, vol de zébus surtout. C’est dans ce
contexte que s’est donc construite la transition en 2009, rendant
rapidement la situation incontrôlable si tant est que le président ait voulu
la contrôler. Il a, à l’époque, maintes fois évoqué auprès de la communauté
internationale ou à certains membres de son entourage, son incapacité à
contrôler les acteurs qui l’entouraient19.
La recentralisation du pouvoir va s’opérer au fil de la transition,
recentralisant en même temps le pilotage des réseaux de l’économie grise.
Une structuration de ces réseaux élitaires va s’opérer au travers d’acteurs
occupant alors d’importants postes. Ils vont constituer les principales
portes d’entrée pour opérer dans le pays, et ce dans tous les domaines,
légaux ou informels : Haja Resampa, Secrétaire général de la présidence ;
Mamy Ravatomanga, opérateur économique très influent ; Patrick Leloup,
conseiller du Président ; Mamy Ratovomalala, ministre des Mines. Toutes
les exportations de minerais devaient ainsi recevoir l’assentiment (et donc
probablement l’intéressement) de Patrick Leloup ou de Mamy
Ratovomalala20. Il en était de même des réseaux de vols de zébus et de bois
de rose qui remontaient également au niveau de ces acteurs21. Madagascar
est alors entrée dans une phase de « criminalisation de l’État », où l’État se
reconstruit sur un système où la frontière entre l’illicite et le licite devient
brouillée22.
La verticalité du système étant toutefois sans comparaison avec celle
qui avait cours à l’époque du président Ravalomanana, des acteurs de haut
rang (ministres, officiers supérieurs, opérateurs économiques) ont profité
du fait que les institutions étaient dévoyées de leurs missions originelles
pour s’engager à leur tour dans des activités informelles de moindre
importance. Durant toute la période de transition, qui s’acheva en
décembre 2013, les réseaux de l’économie souterraine ont indistinctement
enrichi les acteurs précités. Ils ont dans le même temps permis une
stabilisation de l’économie réelle (permettant de soutenir artificiellement
18. Interview de J.-P. Laisoa, Midi Madagasikara, 26 mai 2016.
19. Entretien avec un Ambassadeur en poste à Madagascar, Antananarivo, juin 2010.
20. Entretien avec un exportateur de chrome, Antananarivo, juin 2011.
21. Entretien avec un journaliste spécialisé sur le vol de zébus, Antananarivo, septembre 2014.
22. J.-F. Bayart, S. Ellis, B. Hibou, La Criminalisation de l’État en Afrique, Bruxelles, Complexe,
1997.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
9
une monnaie, l’Ariary, alors très dévalorisée) et la consolidation du
président de transition dont le souci était de préserver la fidélité de ceux
qui l’ont porté au pouvoir en leur concédant des parcelles de prérogatives.
À l’arrivée du président Hery Rajaonarimampianina, celui-ci se
retrouva dans une situation analogue à celle de son prédécesseur. Faute de
base électorale et de réseau élitaire, il éprouva nombre de difficultés à
construire son réseau élitaire du fait de la rupture consacrée avec Andry
Rajoelina fin 2013. Ce dernier, à la tête du MAPAR23, parvint à conserver
plusieurs acteurs du réseau élitaire construit du temps de la transition.
Tout en cherchant à absorber ces réseaux élitaires, le nouveau président
s’est efforcé de constituer son propre pacte, dont nous évoquions en 2014
le caractère syncrétique en dépit d’une surreprésentation d’individus
affiliés à l’ancien président Didier Ratsiraka24. Cette dernière tendance s’est
depuis confirmée, notamment avec la nomination du président du Sénat,
Honoré Rakotomanana, mais en parallèle d’une tentative d’enracinement
territorial du HVM25, le parti présidentiel. L’un des ressorts de cet
enracinement s’avère justement être le contrôle des réseaux économiques,
y compris ceux informels, pourvoyeurs de devises et donc d’une certaine
force de frappe électorale. Cela passe entre autres par un démantèlement
des figures de proue des anciens réseaux élitaires à l’instar de l’opérateur
économique Mamy Ravatomanga, qui fait l’objet depuis 2014 de mandats
d’arrêts et d’interdictions de sortie du territoire, indépendamment des
tracasseries administratives et fiscales que permet le contrôle des
institutions régaliennes. Ce démantèlement vise moins à casser l’entreprise
économique de l’opérateur en question qu’à en récupérer le contrôle. Pour
ce faire, le président a su convaincre son ancien bras droit, Mbola
Rajaonah, transitaire de Toamasina, de rejoindre le clan présidentiel
jusqu’à devenir l’un de ses principaux conseillers actuellement à la
présidence. Dans le cadre de cette consolidation du pouvoir en place,
il convient d’analyser le rôle que tiennent les trafics.
23. Miaraka Amin'i Presidà Andry Rajoelina, plateforme réunissant les supporters d’Andry
Rajoelina.
24. M. Pellerin, « Madagascar. Gérer l’héritage de la transition », op. cit.
25. Le nom intégral du parti est : Hery Vaovao ho an'i Madagasikara.
L’État face aux trafics : de l’impuissance à la complaisance
Panorama des trafics et de leur organisation
Les trafics portent désormais sur tout ou presque dans le pays : ressources
naturelles (bois précieux, minerais), espèces protégées (tortues,
hippocampes, lémuriens, caméléons, flore endémique) ou non (zébus,
crabes, vanille), produits illicites (armes, drogues) font l’objet de trafics
plus ou moins organisés. Certains, comme le trafic de cloches d’église ou
d’ossements humains, sont très largement sauvages et traduisent l’état
d’effondrement de valeurs traditionnelles malgaches, ici le culte des
ancêtres et la religion chrétienne. D’autres sont organisés à l’échelle locale
ou régionale, à l’instar de certains trafics d’espèces protégées, d’armes ou
de drogue, non sans bénéficier de protections établies dans l’appareil
administratif ou sécuritaire de la capitale. Enfin, les trafics de minerais, de
bois précieux et de certaines espèces protégées ou non (zébus notamment)
sont ceux qui constituent l’enjeu financier le plus considérable, et, dès lors,
qui attirent les réseaux les plus puissants au niveau national. Ils disposent
du niveau d’organisation le plus avancé, avec des ramifications qui vont des
pouvoirs locaux (maires, députés) au cœur de l’appareil étatique national,
et ce, jusqu’au plus haut niveau de l’État26. Le trafic de cannabis est
susceptible d’être rangé dans cette catégorie également. Il convient ici de
noter que ce dernier trafic connaît une croissance exponentielle. Fin
juin 2016, par exemple, deux tonnes de cannabis ont été saisies à Ambanja,
dans une aire protégée. Selon les informations communiquées par les
forces de sécurité, il s’agirait d’un point de production qui alimenterait le
marché sous-régional (Comores, Djibouti, Mayotte)27. L’ensemble de ces
trafics ont fait l’objet d’une couverture médiatique locale ou internationale.
Si ces trafics n’ont à ce jour jamais été quantifiés, leur ampleur ne fait
guère de doute.
26. Entretien avec un officier malgache, Antananarivo, septembre 2014.
27. « Trafic de drogue à Ambanja – Deux tonnes de cannabis découvertes », L’express de
Madagascar, 20 juin 2016.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
11
Les trafics, selon leur nature et leur ampleur, ne remontent pas
nécessairement jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État. Le délitement
susmentionné des institutions, le manque d’emprise territoriale de l’État
central sur tout le territoire a abouti au développement de nouvelles filières
organisées avec l’approbation « d’acteurs d’influence » qui, là encore, n’ont
guère besoin de siéger officiellement à la présidence ou à la primature.
Mentionnons d’emblée que ce trafic d’influence est très généralisé dans le
pays, tout service administratif pouvant être monnayé28. Les mêmes
pratiques prévalent dans l’organisation des grands trafics dans le pays.
À l’origine, un opérateur malgache ou étranger – souvent ressortissant
chinois mais pas exclusivement – identifie une « opportunité d’affaires » et
s’attache alors les services d’un acteur du système (le « pacte élitaire ») qui
jouera le rôle de courtier, valorisant ici un titre de conseiller à la primature
ou de conseiller à la présidence, mais rémunéré pour ces services privés.
Aucun recensement du nombre de conseillers de cet ordre n’existe, mais il
s’approcherait selon plusieurs sources du millier29. Selon le secteur
d’activité, le niveau d’intervention du courtier remontera plus ou moins
haut dans l’appareil étatique.
Au niveau le plus bas, on retrouvera ainsi beaucoup d’opérateurs
chinois impliqués dans les différents trafics d’espèces naturelles. Pour la
plupart de ces trafics, d’ampleur modeste et organisés à l’échelle d’une
localité ou d’une région, les services de sécurité ne restent pas inactifs. Des
saisies d’espèces naturelles sont souvent opérées, de même que des saisies
d’or à l’aéroport, la limite tenant ici à la défaillance de la chaîne pénale
puisque les trafiquants arrêtés sont régulièrement libérés faute de moyens
de collecte des preuves ou par simple corruption.
Pour d’autres secteurs, davantage stratégiques, les courtiers ne sont
pas de simples membres du pacte élitaire. Ils appartiennent au premier
cercle du pouvoir, ce qui leur permet d’accéder aux plus hautes strates de
l’appareil étatique. Ils ont ainsi la possibilité de contourner les
administrations de l’État pour s’arroger des prérogatives. Les secteurs de la
pêche (licences de pêche, exportation de crabes), du bois de rose ou des
mines sont ici concernés. Dans ce dernier domaine, on peut ici citer le cas
d’une concession minière accordée « sur un bout de papier en lettres
manuscrites » à une entreprise indienne sans que le ministre des Mines de
l’époque n’ait été informé30. Il peut également être mentionné le cas d’un
opérateur minier asiatique amené par l’un de ces courtiers jusqu’à un
28. Entretien avec un acteur politique malgache, juillet 2016.
29. Entretien avec un courtier du système, Antananarivo, juillet 2016.
30. Entretien avec le ministre concerné, Antananarivo, mars 2014.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
12
bureau de la présidence31 pour se voir expliquer les droits d’opérer officieux
desquels il devra s’acquitter.
Dans le domaine des ressources halieutiques, un ancien ministre,
nommé sénateur par le président il y a moins d’un an32, a également été
accusé par la presse de trafic d’influence lorsqu’il exerçait à la tête du
ministère de la Pêche. Alors que le ministre de la Pêche avait mis en place
des périodes annuelles d’interdiction de pêche de crabes afin de protéger
les mangroves surexploitées, celui-ci accordait dans le même temps des
autorisations spéciales à des opérateurs chinois, aboutissant à des plaintes
déposées auprès du Bureau indépendant anticorruption (BIANCO33). Plus
récemment, un ancien ministre de l’Élevage, Jean De Dieu Maharante,
dont le nom avait été souvent mentionné dans les dossiers touchant à la
filière zébu, a été mis en cause dans une affaire de trafic de cannabis. Son
véhicule (sur lequel figurait la cocarde) fut intercepté avec 131 sacs de
cannabis. L’assistant parlementaire d’un député de Toliara, membre du
MAPAR (mais rallié au HVM), qui est le neveu du ministre concerné, a été
arrêté dans le cadre de cette affaire. L’entourage du ministre n’a eu de cesse
de clamer qu’il n’était guère au courant de l’agissement de ses proches,
mais cette affaire sulfureuse ne fait qu’augmenter les soupçons contre ledit
ministre.
Le cas du bois de rose
L’exemple de la filière du bois de rose mérite ici d’être développé. Elle fut
établie à partir des exportateurs de la côte est, et ce bien avant 2009
certains d’entre eux ayant opéré légalement au temps de
Marc Ravalomanana. En effet, ce dernier avait délivré une autorisation
ponctuelle d’exportation du bois de rose coupé en 2004, consécutivement
à un cyclone qui avait déraciné plusieurs centaines d’arbres. Certains
opérateurs ont alors contourné la fin d’autorisation pour mettre en place
des filières d’exportation illégales34. Une étude de 2013 recense à 109,
le nombre d’opérateurs du bois de rose dans la région Sava, contre
seulement 13 en 200935. Depuis 2009 les courtiers impliqués auprès des
exportateurs ont facilité l’expédition massive du bois précieux qui
31. Entretien avec un acteur politique malgache, Antananarivo, juillet 2016.
32. Présidence de la République malgache, Décret n° 2016-067 du 1er février 2016,
www.presidence.gov.mg.
33. « Corruption : un ancien ministre dénoncé par des opérateurs », La Gazette, 4 mai 2016,
www.africanewshub.com.
34. « Rapport d’enquête sur le commerce mondial des bois précieux malgaches : bois de rose,
ébène et palissandre », Global Witness, octobre 2010.
35. H. Randriamalala, « Étude de la sociologie des exploitants de bois de rose malgaches »,
Madagascar Conservation and Development, Vol. 8, n° 1, 2013.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
13
nécessite, de par son ampleur, des autorisations en bonnes et dues formes
délivrées au niveau de la présidence et de la primature36. Il ne fait guère de
doute que les services de sécurité se sont montrés très largement
impuissants à endiguer ces réseaux criminels, non par manque de
connaissance des réseaux, ni par incapacité opérationnelle, mais a priori
davantage par crainte de toucher à des réseaux puissants. À titre de preuve,
la lettre adressée au président de la République en date du 8 avril 2014 par
le président du Comité sur le bois précieux, Jean-Omer Beriziky, ancien
Premier ministre, est édifiante37 : mandat d’amené resté sans suite contre
un important opérateur de bois de rose ; convocations du procureur non
respectées ; non-citation à comparaître d’opérateurs de bois de rose,
preuve d’implication du procureur d’Antalaha dans le trafic de bois de
rose ; absence de procédure engagée contre des acteurs notoirement
impliqués. Ces constats dressés par une très haute personnalité alors en
charge de la lutte contre le bois de rose mettent à jour l’impunité qui
prévaut dans le pays. S’ils mettent a priori surtout en cause des magistrats,
cela n’exonère aucunement les hauts dirigeants du pays d’une
responsabilité dans cette impunité.
Si la maîtrise des ports est essentielle à l’acheminement des objets
trafiqués, les filières d’exportation ne sont pas entièrement contrôlées
depuis Antananarivo. Au contraire, elles seraient largement autonomes,
permettant à des opérateurs côtiers de basculer dans « l’informalité » et de
s’enrichir jusqu’à devenir intouchables, jouissant d’une capacité de
redistribution locale qui les protège. L’affaire Bekasy a mis cela en lumière.
Ce conseiller technique du ministre de la Sécurité publique a été arrêté en
2015 pour son implication présumée dans l’exportation de bois précieux38.
Celui-ci avait alors bénéficié du soutien des notables du nord, dont
Benjamin Vaovao, qui avait publiquement dénoncé le fait que les
opérateurs économiques des régions côtières étaient les seuls visés par la
justice alors que selon lui « les vrais nababs de ces trafics, originaires des
Hautes terres, ne sont nullement inquiétés39 ». Dans un contexte de
tensions latentes entre hautes terres et régions côtières, et de tentative de
consolidation du pouvoir du HVM, il est permis de croire que porter
atteinte à ces réseaux côtiers s’avère politiquement risqué, expliquant pour
36. Voir par exemple la défense de Jean-Pierre Laisoa qui soutient avoir bénéficié de toutes les
autorisations requises. « Blanchiment de capitaux - La femme du député Jaovato convoquée par la
chaîne pénale », Midi Madaasikara, 17 septembre 2016.
37. La lettre en question est consultable à l’adresse suivante : jeannotramambazafy.overblog.com.
38. « Trafic de bois de rose : Bekasy, conseiller du ministre de la Sécurité publique, devant la
chaîne pénale ce jour », Midi Madagasikara, 24 septembre 2015.
39. « Affaires Bekasy – Joseph Yoland – Mektoub - Des bombes à retardement ! », La Vérité,
20 octobre 2015.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
14
partie l’absence de condamnation de « barons » de ces trafics. Dans
le cadre de l’affaire Bekasy en tout cas, sa libération aurait été ordonnée
par un conseiller de la présidence40. En tout et pour tout, au cours des dix
dernières années, six condamnations relatives aux 40 infractions sur
le commerce de bois de rose constatées à Madagascar ont été prononcées.
Les peines d'emprisonnement prononcées n'ont pas excédé deux ans,
tandis que le total des amendes est estimé à 440 280 dollars41.
Conformément au fonctionnement du pacte élitaire tel que décrit dans
la première partie, le régime au pouvoir trouverait en outre un plus grand
intérêt à coopter des acteurs de l’économie grise plutôt que de les traduire
en justice. Dans le contexte de très forte polarisation entre les forces
politiques en concurrence pour le contrôle du pouvoir à Madagascar,
singulièrement à l’approche du scrutin du 2018, contrôler les têtes de
réseau est non seulement un moyen d’empêcher l’opposition de se financer
mais aussi peut-être de renforcer son emprise électorale sur l’ensemble du
territoire. Ce n’est ainsi sans doute pas le fruit du hasard si plusieurs têtes
de réseau dans le pays, notamment impliquées dans les trafics de bois de
rose et de zébus, sont des députés membres du HVM. Le seul cas
suffisamment public pour être mentionné est celui de Jean-Pierre Laisoa,
mais d’autres d’acteurs du même profil sont également membres du parti
au pouvoir. Le cas du député d’Ankozoabo sud, Mara Niarisy, est
extrêmement révélateur. Ayant la réputation de « parrainer » un réseau de
voleurs de zébus, il fut inquiété par la justice malgache pour trafics de
zébus et d’armes fin 2015 après que les forces de sécurité aient trouvé chez
lui des fusils de chasse et près de 360 zébus volés. Inquiété par la justice
alors qu’il était partisan du MMM (Malagasy Miara Miainga) et farouche
opposant au président, il sera finalement acquitté et défend désormais les
couleurs du parti au pouvoir, le HVM. Un autre député d’une région très
touchée par le vol de zébus a obtenu de la capitale que le lieutenant de
gendarmerie en place dans sa région soit remplacé à la suite de plusieurs
opérations anti-dahalo nuisant à ses intérêts. Ce député, élu en tant
qu’indépendant, est lui aussi rallié au HVM. Reste à savoir si cette
cooptation dissimule des financements de partis politiques, voire des
implications de personnalités haut placées dans ces filières de trafic.
Toujours est-il que la couverture politique dont jouissent ces acteurs locaux
neutralise très largement l’effectivité de la lutte contre la criminalité
organisée portée par le régime en place. De même, l’appartenance au
« réseau élitaire » du président actuel, d’individus mis en cause dans le
40. Entretien avec un acteur politique, Antananarivo, juillet 2016.
41. L. Caramel, « Trafic de bois de rose : ultime avertissement pour Madagascar », Le Monde,
26 septembre 2016, www.lemonde.fr.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
15
trafic de bois de rose met le régime actuel face à ses contradictions. Dans la
liste des présumés trafiquants de bois de rose remise par Omer Beriziky au
président de la République en 2014, figureraient selon La Lettre de l’Océan
Indien plusieurs acteurs proches du régime actuel tels que Lucky Nazaraly,
père de l’opérateur économique Éric Nazaraly, et Narson Rafidimanana,
ministre de la présidence chargé des projets présidentiels et de
l’aménagement du territoire42. À la veille des élections municipales de
2015, Omer Beriziky avait publiquement mis en cause trois têtes de liste du
HVM dans la région Antsiranana pour leur implication dans les
exportations de bois de rose43.
Le régime malgache se trouve aujourd’hui écartelé entre son souci de
recouvrer sa respectabilité internationale – avec les financements que cela
suppose – et son besoin légitime de consolider son assise politique, qui
passe des stratégies de composition voire de cooptation de ces importants
opérateurs. Le cas du bois de rose saisi à Singapour et qui a fait l’objet
d’une couverture médiatique internationale traduit l’embarras du pouvoir
en place. En mars 2014, 3 372 tonnes de bois de rose malgache (soit une
valeur de 44,5 millions USD) appartenant à un opérateur chinois sont
saisies à Singapour. Le ministre de l’Environnement de l’époque indique
alors que les documents d’exportation sont légaux, blanchissant de fait
l’exportateur chinois. En début d’année, le nouveau Premier ministre
Jean Ravelonarivo revient sur la position du ministre de l’époque en
février 2016, affirmant que la transaction violait les règles de la CITES
(Convention on International Trade in Endangered Species of Wild Fauna
and Flora) et les lois nationales et invitant le tribunal singapourien « à
utiliser sa lettre […] pour défendre les intérêts de Madagascar ». Envoyée
trop tardivement, cette lettre n’a pas pu être utilisée pour condamner la
société exportatrice et depuis, le gouvernement a obstinément refusé d’être
témoin au procès afin de confirmer l’illégalité de cette exportation. Cette
attitude laisse supposer que le gouvernement malgache ne fait rien pour
redorer son blason auprès de la communauté internationale ni pour
donner l’exemple localement. Selon une personnalité proche du régime, si
le gouvernement malgache se montre si prudent dans cette affaire, c’est
qu’il protège des personnes très haut placées et directement impliquées44.
Madagascar est sous surveillance accrue de la CITES depuis trois ans,
l’organisation ayant déjà prononcé un « embargo » sur le bois de rose, resté
inappliqué. Afin d’éviter cette fois une « suspension de commerce »,
42. « Bois de rose : l’éternelle épine dans le pied du Président », Lettre de l’Océan Indien, n° 1436,
14 octobre 2016.
43. « Omer Beriziky : des candidats HVM dans la liste des trafiquants de bois de rose », Midi
Madagasikara, 27 novembre 2015.
44. Entretien, Antananarivo, 26 juillet 2016.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
16
les autorités malgaches ont tenté de faire bonne figure, menant une grande
opération contre 22 opérateurs et facilitateurs de bois de rose trois jours
seulement avant le sommet de la CITES le 27 septembre, et promettant de
témoigner au procès à Singapour. Ces promesses ne semblent toutefois pas
leurrer les observateurs proches du dossier.
La bonne volonté des autorités malgaches est ici mise en cause et,
derrière la protection ou la complicité avec des réseaux criminels, la
question qui se pose est celle de son engagement à renforcer les moyens de
l’État en matière de justice et de lutte contre la corruption. Le traitement
du dossier des « pôles anti-corruption » (PAC) invite ici à douter de la
bonne foi des autorités. Ces pôles ont été âprement soutenus par la
communauté internationale, dont le PNUD et les États-Unis, afin de
suppléer aux difficultés d’une chaîne anti-corruption régulièrement
soupçonnée d’être sous contrôle du pouvoir. Le BIANCO lui-même s’est
déjà fait l’écho de ce manque d’indépendance, expliquant en grande partie
les difficultés à faire condamner bandits et criminels en col blanc. Or, ce
projet, qui a fait l’objet d’une consultation des différents services impliqués
(BIANCO45, SAMIFIN46, CIS47, ministère de la Justice), a été concurrencé
par un autre projet porté par la présidence, celui de la création d’une
« Cour Spéciale » dont les membres seraient nommés par le président de la
Cour Suprême, dont l’indépendance est ouvertement mise en doute.
45. Bureau Indépendant Anti-Corruption.
46. Service de Renseignements Financiers.
47. Central Intelligence Service.
Du trafic à la violence armée : le cas des dahalo
Outre les conséquences économiques et politiques de cette criminalité
organisée, elle aboutit, pour les trafics les plus sensibles, à la constitution
de groupes armés et à la montée de la violence dans la société malgache.
Madagascar est en effet en proie à une milicianisation croissante, déjà
observée48 en 2014 dont les acteurs sont bien souvent les forces de sécurité
elles-mêmes, mais également des civils. L’implication d’éléments des forces
de sécurité dans la criminalité ou dans la formation de groupes miliciens
n’est plus à démontrer. Elle illustre l’effondrement des cadres
institutionnels et le fait que nombre d’éléments des forces de sécurité
détournent leur mission de service public pour vendre leurs services à des
acteurs criminels. La participation de forces de sécurité à des enlèvements
ou à la location d’armes de service à des bandes armées est légion. Le
23 septembre 2016, dans la région de Toamasina, un gendarme fut
désarmé et lynché par la foule près de Foulpointe pour avoir braqué une
épicerie. Il fut remis à la compagnie de gendarmerie de Tamatave le
lendemain49. Au mois de juillet dernier, le garde du corps d’un ministre fut
arrêté pour être mêlé à une série d’enlèvements50. Un récent fait témoigne
de l’acuité de la question de la location d’armes de la part des forces de
sécurité. Le 7 septembre, un gendarme, garde du corps d’un sénateur, a été
arrêté en flagrant délit de vente de son arme de service par les policiers de
l’Unité d’intervention rapide (UIR) de la police. Trois autres de ses
collègues ont été placés en détention quelques jours plus tard. Loin d’être
anecdotique, ces cas surviennent très régulièrement dans le pays. Cette
tendance à la milicianisation des forces de sécurité se lit à l’aune de
l’événement survenu le 8 août dernier, lorsque des policiers ont encerclé le
Palais de Justice et menacé des plaignants après l’inculpation d’un membre
du Service central antigang soupçonné de participer à une attaque à main
armée. L’implication de ces forces régaliennes ne se limite pas simplement
à la location d’armes mais irait jusqu’à la participation directe à des
opérations criminelles. Plusieurs noms circulent régulièrement pour leur
48. M. Pellerin, « Madagascar. Gérer l’héritage de la transition », op. cit.
49. « Gendarme bandit », L’Express de Madagascar, 23 septembre 2016.
50. S. Andriamarohasina, « Kidnapping – Un garde de corps de ministre arrêté », L’Express de
Madagascar, 22 juillet 2016.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
18
participation à des filières d’enlèvements – le « kidnap for ransom »
d’opérateurs indiens (ou de leurs enfants) étant une industrie en pleine
expansion très prolifique à Madagascar51. Des cas d’implication d’éléments
de la gendarmerie dans l’escorte de cargaison de drogue ont également été
évoqués, de même que la collaboration de certains éléments avec des
dahalo52. Si la gendarmerie est la plus soupçonnée d’être minée par cette
dérive criminelle, de l’aveu même d’un de ses plus influents
représentants53, fort heureusement ces cas ne doivent pas occulter les
opérations menées par la gendarmerie contre différents types de trafics,
dont le trafic de cannabis54, et contre les dahalo.
Le cas des dahalo traduit plus qu’aucun autre, l’évolution de la
criminalité économique (le vol de zébus) vers la violence. Ce phénomène,
dont nous avions déjà évoqué les principales dynamiques55, ne connaît
aucune décroissance à cause d’une quasi-indifférence générale. Selon le
secrétaire d’État à la gendarmerie, le général Paza, 2 000 attaques ont été
recensées entre 2011 et 2016, soit plus d’une attaque par jour56. Le nombre
de morts se chiffre en milliers.
Rappelons effectivement que le vol de zébus est le moteur du
phénomène dahalo, et qu’il ne doit pas occulter l’existence d’autres filières
de vols, tenus notamment par des étrangers, et qui portent sur des porcs ou
sur des moutons. Les grandes filières d’exportation de viandes sont
connues et établies : les zébus sur pieds sont vendus aux Comores depuis
Vohemar, Toamasina ou encore Mahajanga. La viande congelée est quant à
elle vendue en Chine après avoir été découpée dans les abattoirs chinois.
Ceux-ci constituent le moteur des vols de zébus, car ils permettent de
soutenir la demande extérieure, principalement asiatique. Les abattoirs
chinois, implantés légalement avec des agréments délivrés par le ministère
de l’Élevage, réceptionnent en effet énormément de zébus volés. Ils servent
tout autant à « blanchir » ces zébus via une falsification de la comptabilité
de ces abattoirs : 10 % seulement des zébus abattus sont effectivement
déclarés, les 90 % restant étant volés57. Plusieurs abattoirs auraient été
fermés en 2016. Plusieurs interlocuteurs rencontrés ont témoigné avoir
aperçu, notamment dans la région de Toliara, de présumés éleveurs
51. Entretien avec un militaire occupant un poste à responsabilité, Antananarivo, juillet 2016.
52. Entretien avec un Colonel de l’armée malgache, Antananarivo, juillet 2016.
53. Entretien avec un Général de la gendarmerie, Antananarivo, juillet 2016.
54. À titre d’illustration, la saisie des deux tonnes de cannabis à Ambanja en juin 2016 fut l’œuvre
des forces de gendarmerie.
55. M. Pellerin, « Madagascar. Gérer l’héritage de la transition », op. cit.
56. « Lutte contre l’insécurité : l’Usad, officiellement active à Mahabo », Les Nouvelles, 20 juin
2016.
57. Entretien avec un observateur des vols de zébus à Madagascar, Antananarivo, juillet 2016 .
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
19
accompagnés de troupeaux de zébus se diriger vers l’abattoir chinois de la
région. Armés, il s’agissait plutôt vraisemblablement de dahalo. L’ancien
ministre Anthelme Ramparany a suspendu les agréments, désormais
délivrés au compte-gouttes. Les méthodes de blanchiment varient d’une
région à l’autre. Selon une source originaire du sud du pays, à Iakora, les
zébus volés seraient entreposés pendant six mois dans une réserve
naturelle (Ikalabatsitra) avant de bénéficier de nouveaux papiers (carnets
d’identité et de vaccination).
Trois solutions ont à ce stade été privilégiées, dont il est à craindre
pour chacune qu’elles n’accentuent le problème dès lors que l’État
malgache manquerait de fermeté pour leur application effective.
Sur le plan strictement militaire, les différentes opérations lancées
jusqu’ici n’ont guère permis d’endiguer une menace extrêmement diffuse,
les dahalo étant étroitement mêlés à la population58. La mise en place de
l’Unité spéciale anti-dahalo (USAD) à Mahabo (district de Betroka) est la
dernière innovation en date. Cette unité d’élite de la gendarmerie nationale
créée spécialement en réponse au vol de zébus, compte un véhicule blindé
et devrait disposer à terme de deux drones et d’un hélicoptère. Ces traques
très difficiles à mener pour des forces généralement peu aguerries auraient
surtout été accompagnées d’exactions. Un rapport d’Amnesty International
dénonce en particulier les exactions commises par l’armée dans le cadre de
l’opération « Fahalemana 2015 », sans qu’aucune enquête n’ait été menée
jusqu’ici59. Ces exactions et l’impunité associée renforcent l’impopularité
des forces de sécurité engagées dans la lutte contre les dahalo et
nourrissent la dimension politique du phénomène, ainsi que le soutient par
exemple Henri Rasamoelina60. La question de la mutation politique du
phénomène reste posée, ainsi que l’a questionné le cadre du parti politique
TIM (Tiako i Madagasikara), le député Guy Rivo Randrianarisoa : « Au
rythme actuel, les dahalo iront jusqu’à demander l’indépendance du sud de
Madagascar.61 » Plusieurs attaques de dahalo ont effectivement pris une
dimension politique, notamment lorsqu’elles ciblent des représentants de
l’administration. Ainsi, fin avril, le directeur de l’administration générale
du territoire (DAGT) de la région Melaky fut tué par deux dahalo lors d’une
embuscade. Les affrontements survenus à Ankazoabo sud ont également
une coloration davantage politique, les forces de la gendarmerie envoyées
par Antananarivo en renfort ayant été prises dans une embuscade
58. Entretien avec une journaliste basée à Fort Dauphin, août 2015.
59. Rapport annuel, Madagascar 2015/2016, Amnesty International, www.amnesty.org.
60. H. Rasamoelina, « La solution est politique », Newsmada, 7 septembre 2015.
61. G. F. Ranaivoson « Lutte contre les dahalo – L’État remet à jour la tolérance zéro », L’Express
de Madagascar, 24 juin 2016.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
20
meurtrière tendue par des dahalo jouissant manifestement d’appuis au
sein de la gendarmerie locale62.
L’autre solution privilégiée par l’État est celle de l’amnistie de dahalo
repentis, les « dahalo miova fo ». Au travers de cérémonies officielles,
plusieurs milliers de dahalo ont été ainsi amnistiés depuis 2013. 4 000
furent annoncés à Amboasary, 2 000 à Miandrivazo (Menabe) et 2 000 à
Sakaraha en 2014 pour les plus importantes vagues d’amnistie, mais ce
processus a fait des émules dans la plupart des régions. L’ancien Premier
ministre, Roger Kolo, originaire du sud, est présenté comme l’acteur de ces
processus qui visent à utiliser ces dahalo dans la protection des villages et
des routes en accord avec le Fokonolona63. Il ne fait guère de doute que ces
réintégrations produisent des effets concrets en termes de sécurité, les
anciens dahalo étant évidemment plus à même de débusquer leurs anciens
compagnons d’armes que les forces de sécurité. Certains cas de repentance,
plus anciens, ont produit des résultats réels, à l’instar du Dina Melaky64
dirigé par un célèbre dahalo repenti et reconverti pour la protection des
populations du nom de Fohara. Ce processus s’inscrit dans une logique
séquentielle, se basant à court terme sur la distribution de vivres, à moyen
terme sur la délivrance de services sociaux de base (construction d’écoles,
de centres de santé) et à plus long terme, sur l’élaboration de plans
communaux de développement. Reste qu’au regard du manque de
planification de l’État malgache, des difficultés budgétaires rencontrées par
les autorités et du très haut niveau de corruption des institutions, il est
difficile d’imaginer qu’une telle stratégie puisse être mise en œuvre dans la
durée. Sans compter que le Premier ministre qui a porté ce projet n’exerce
plus aucune fonction à l’heure actuelle. Celui-ci avait eu le mérite de
rappeler que derrière les dahalo se cachent des individus motivés par le
souci d’une amélioration de leurs conditions socioéconomiques. Par
conséquent, la communauté internationale, qui réfléchit à l’heure actuelle
aux moyens les plus utiles de dépenser ses budgets dans le pays, à l’instar
du Peace Building Fund des Nations unies, serait bien avisée de concentrer
ses efforts sur la consolidation de ces processus de repentance. Faute de
respect des engagements vers ces repentis, le danger est en effet de créer
des frustrations et de les encourager à basculer à nouveau dans le
banditisme.
62. Entretien avec un officier malgache, Antananarivo, juillet 2016.
63. Le Fokonolona est une communauté villageoise réunie sur un territoire déterminé.
64. Dina appliqué à la région Melaky.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
21
La dernière solution envisagée, qui se renforce grâce aux repentances,
est celle des Dina65 ou Dinabe. Cela a été et demeure considéré comme la
solution privilégiée pour faire face au dahalo66, en premier lieu parce
qu’elle est prévue et encadrée légalement mais également parce qu’elle
permet à des forces de sécurité aux moyens limités de déléguer la sécurité à
des acteurs civils locaux. Il ne convient pas ici de refaire l’histoire des Dina,
déjà documentée, mais il est utile de rappeler que cette solution est
éprouvée et renouvelée à chaque épisode de crise à Madagascar, chacun se
traduisant par un développement du phénomène dahalo. Depuis 2009, de
nombreuses régions ont conclu des Dina, en vertu desquels les populations
civiles sont habilitées à s’armer pour se défendre. Dans la zone la plus
touchée par les dahalo, Betroka, le « Dinan’ny Zanak’i Mangoky67 » fut
validé par le tribunal en 2015, permettant aux milices équipées de
2 000 fusils de se défendre contre les dahalo. Loin d’être basé sur le
volontariat, les Dina obligent les hommes en âge de combattre à se
mobiliser. Les réfractaires risquent le bannissement des communautés.
Officiellement, les Fokonolona ne peuvent eux-mêmes se faire vengeance
et ont pour mission d’épauler les forces de gendarmerie, y compris de leur
remettre les dahalo arrêtés. La réalité est malheureusement différente.
La formation des Dina, aussi utile soit-elle pour la protection des
villages et le règlement du problème dahalo à court terme, risque de
provoquer plus de problèmes qu’autre chose faute d’un cadre légal que
l’État soit en mesure de faire respecter. Nous avions pointé le risque en
2014 que la défense populaire, permise dans le cadre des Dina, fasse le lit
de milices d’autodéfense que l’État ne serait pas en mesure de contrôler.
Plusieurs incidents isolés n’ayant pas toujours fait l’objet d’une couverture
médiatique indiquent une dérive vers la justice populaire. De très
nombreuses exécutions sommaires portent la marque des Dina, qui
s’arrogent des pouvoirs d’autodéfense dépassant de loin ceux que la loi leur
confère. À titre d’illustration, le 27 septembre, un voleur a été exécuté chez
lui dans le district de Beroroha avant même d’être remis aux forces de
65. Le dina est une convention établie entre les membres d’une communauté déterminée
(Fokonolona) où chaque membre doit marquer son adhésion par des serments ou des
imprécations sous peine de s’exposer à des sanctions ou malédictions. Depuis la loi 2001 -004 du
25 octobre 2001, à des fins de désengorgement des tribunaux, une procédure d’homologation a été
instituée pour les dina. Le dina doit recevoir l’aval des autorités communales et étatiques, ainsi
que l’homologation du juge. Il doit être régi en conformité avec le décret 2001 -004 du 25 octobre
2004. L’exécution du dina revient intégralement au Fokonolona.
66. Pour une perspective historique, voir I. Rakoto, « L’insécurité rurale liée au vol de bœufs :
quelques propositions de solution », Revue scientifique internationale des civilisations , n° 19,
2010.
67. Littéralement le Dina des enfants de Mangoky, du nom du fleuve situé entre les régions
Menabe et Atsimo-Andrefana.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
22
sécurité68. Le risque est même que les milices se retournent à terme contre
ceux qui les épaulaient. Un incident survenu fin septembre à
Tsiroanomandidy soutient cette hypothèse. Cette zone du nord ouest du
pays, très concernée par les attaques des dahalo, a vu la formation d’un
Dina en 1982. Le 29 septembre, le responsable du Dina intervient auprès
des gendarmes afin de faire libérer un membre du Dina arrêté pour vol de
vélo. Alors que le responsable du Dina a lui aussi été placé en garde à vue,
les membres du Dina ont attaqué la gendarmerie, dérobant les armes et
blessant grièvement un gendarme69. Le 8 octobre, la caserne de la brigade
territoriale de la gendarmerie nationale à Ankazomborona Mahajanga a été
attaquée par une foule d’un millier de personnes décidées à extraire un
individu convaincu d’homicide, lequel a été ensuite lynché par la
population70. À Antanimora Ambovombe, le 4 novembre, quatre dahalo
escortés par des gendarmes ont été fusillés71. Enfin, le 5 novembre, le
Fokonolona de Mampikony s’est attaqué au pénitencier et à la brigade de
gendarmerie (saccagée et incendiée) qui ont refusé de lui livrer des
jumeaux arrêtés pour le meurtre d’un médecin72. La récurrence de ces
incidents traduit incontestablement l’aggravation de la fracture entre les
forces de sécurité et la population, mais aussi le danger que représente la
délégation de pouvoir de police au Fokonolona, en particulier quand cette
délégation est opérée par un État faible et en difficulté pour assurer tout ou
partie de sa souveraineté territoriale. Cette configuration n’est pas propre à
Madagascar. En Afrique de l’Ouest et surtout au Sahel, l’encouragement de
l’État à la création de « milices civiles », pour éteindre des mouvements
armés (Mali, Cameroun, Tchad, Nigeria) ou simplement pour assurer une
sécurité à la base (Burkina Faso) tend à échapper in fine au contrôle des
autorités73.
L’implication de hautes autorités malgaches dans la filière zébu affecte
également le fonctionnement des Dina. En effet, ces autorités n’ont parfois
pas intérêt à voir des Dina être trop efficaces. Leur bon fonctionnement
repose sur la parfaite entente des acteurs qui l’ont formé. Dès lors qu’un de
ces acteurs, notamment de l’administration, est remplacé, l’édifice sur
68. MadagascarMatin, 28 septembre 2016.
69. « Tsiroanomandidy : Biraon’ny kaominina sy zandary voatafika, very ny basy ‘kalach’ iray »,
Midi Magasikara, 30 septembre 2016.
70. S. Andriamarohasina « Mahajanga – Un millier de personnes attaque une caserne », L’Express
de Madagascar, 10 octobre 2016.
71. A. Manase, « Vindictes populaires : quarante morts et aucunes arrestations », L’Express de
Madagascar, 12 novembre 2016.
72. « Émeute sanglante à Mampikony : la caserne de la Gendarmerie saccagée et incendiée »,
Les Nouvelles, 7 novembre 2016.
73. « Mali : silence des autorités face aux accusations des États-Unis sur le Gatia », RFI,
29 septembre 2016.
Madagascar face à la criminalité multiforme Mathieu Pellerin
23
lequel s’est construit le Dina peut être ébranlé. Il n’est pas rare donc que
des éléments de la gendarmerie trop soucieux de leur mission soient
rappelés par l’administration centrale et remplacés par des agents qui ont
pour mission ne pas reconnaître les Dina. C’est ce qui se serait passé dans
la région Bongonlava depuis 2015. Un Dina, effectif à partir de 2011, avait
permis de restaurer un minimum de sécurité grâce à une entente entre les
populations, l’administration civile et l’Emmoreg (État-major mixte
opérationnel régional de la gendarmerie). Or, en 2014, le président du
tribunal et le commandant de l’Emmoreg furent réaffectés, remplacés par
des acteurs qui négligèrent le Dina. Des dahalo furent relâchés par le
tribunal et l’insécurité reprit74 à partir de 2015. À nouveau en 2016, la
région Bongolava active trois Dina pour faire face à la recrudescence des
attaques de dahalo. À l’image du cas de Bongonlava, la justice est mise en
cause par nombre d’interlocuteurs interrogés qui évoquent le cas de dahalo
libérés dans plusieurs régions de pays. Le cas de Betroka où des dizaines de
dahalo furent libérées par un magistrat proche des réseaux qui pilotent
cette filière est, à ce titre, symptomatique.
74. Entretien avec une journaliste d’investigation spécialisée sur les questions de vols de zébus,
Antananarivo, 25 juillet 2016.
Conclusion
Madagascar, à l’image de nombreux autres pays à travers le monde, a vu
l’émergence de réseaux économiques qui opèrent aussi bien dans
l’économie licite qu’illicite. Ces réseaux, comme cela fut toujours le cas à
Madagascar depuis l’indépendance de 1960, sont une condition de stabilité
du pouvoir en place. Quand l’économie licite soutient en partie les
équilibres sociopolitiques, on tend à parler de risque de dérive
patrimonialiste. Lorsque ces équilibres deviennent en partie sauvegardés
par une économie illicite, il convient de parler de « criminalité
systémique », où la criminalité devient un mode de gouvernance à part
entière et non plus un phénomène périphérique à l’État. Madagascar, de ce
point de vue, est à la croisée des chemins. La normalisation du régime
actuel se fera-t-elle à partir de ce mode de gouvernance qui n’a plus rien de
singulier si l’on regarde par exemple comment évoluent les États dans la
bande sahélienne, comme le Mali ou le Niger ? Le cas échéant, Madagascar,
plus encore qu’aujourd’hui, serait régulée à partir d’équilibres fragiles avec
le développement d’acteurs de l’économie grise peu ou pas contrôlables. Au
contraire, le régime est-il suffisamment puissant pour expurger sa base
élitaire de cette économie grise ou pour reconstruire une base élitaire en
dehors de cette économie grise ? Rien n’est moins sûr, et l’échéance
électorale de fin 2018 ne l’y incitera probablement pas.