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NUMERO SPECIAL GONDRY le pouvoir de l’imagination ou

Magazine Michel Gondry

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Student Project / Magazine of the Michel Gondry's retrospective at the Centre Pompidou in Paris

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NUMERO SPECIALGONDRYle pouvoir de l’imagination

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AVRIL 2011

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PORTRAIT............... 4

ARTICLE DE FOND........ 6

ENTRETIEN.............. 10

SOMMAIRE

44 4 À l’heure où Méliès s’installe à la Cinémathèque française, nous revenons

sur Michel Gondry, l’un de ses jeunes héritiers enthousiastes. Nous avons aimé ses films de fiction : Human Nature (2001), Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), La Science des rêves (2006) et le récent Soyez sympas, rembobinez. Drôles et mélancoliques, ils ne représentent cependant qu’une partie d’un univers foisonnant qui s’étend au clip, à la publicité, à l’Internet, au court , au documentaire ou encore

à la musique. L’ancien batteur du groupe « Oui Oui » est resté le musicien schizo qui tape d’un pied sur la grosse caisse, d’une main sur la cymbale et de l’autre sur la caisse claire… Michel Gondry, cinéaste multimédia, orchestrateur de Big Band et de Big Bang.

Michel Gondry

Portrait Gondry

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Michel Cieutat

À l’heure où le cinéma français souffre d’un manque d’imagination scénaristique inquiétant et d’une carence esthétique déconcertante et où la production américaine alterne la standardisation thématico-technique de ses blockbusters (tout en laissant un beau champ libre aux films d’auteur téméraires), un petit Français, né à Versailles il y a quarante-cinq ans, fait lentement son cheminde cinéaste inspiré.

Clips sans frontièresAyant eu pour grand-père Constant Martin, inventeur

d’un des tout premiers synthétiseurs (le Clavioline, en 1947), et pour père un électronicien informaticien passionné de piano et de jazz, Michel Gondry a eu dès l’enfance deux passions liées à l’image et au son : la peinture et la musique. Il est devenu successivement élève de l’école Olivier-de-Serres (arts appliqués) à Paris, puis batteur du groupe Oui Oui. De là son passage rapide à la réalisation de

vidéoclips d’une rare originalité, pour ce même ensemble, dont Les Cailloux et La Ville. En 1992, ce clip fut remarqué par Björk, et la chanteuse islandaise lui en a commandé aussitôt sept autres, réalisés entre 1993 (Human Behavior) et 2007 (Declare Independence où, à partir des rares paroles de la chanson, il conçoit un montage de divers plans sur un semblant d’énorme métier à tisser, parfaitement rythmé par rapport au crescendo musical). Sa virtuosité de plasticien, son imagination fertile, voire délirante, qui semble procéder organiquement des plus grands fondateurs du surréalisme, lui valurent une telle réputation qu’ils furent nombreux à faire appel à lui. La Nature libertairePareille propension à la visualisation débridée ne pouvait qu’augurer un avenir de cinéaste brillant. Son association, pour ses deux premiers longs métrages, avec le scénariste et dramaturge Charlie Kaufman (dont Spike Jonze filma deux scripts magnifiquement déjantés, Dans la peau de John Malkovich, 1999, et Adaptation, 2002) lui donna l’occasion de faire un tri dans ses multiples idées et de mettre sur pied l’ébauche d’un univers thématique et stylistique.Human Nature, tout d’abord, campe un monde où le pouvoir de la nature et la nostalgie de l’enfance prévalent. L’intrigue se

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Michel Gondry,ou le pouvoir de l’imagination

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noue entre une Patricia Arquette, sensuelle, qui souffre d’une pilosité générale et excessive, un Tim Robbins très coincé, et le sauvageon Rhys Ifans. Une symbolique qui amalgame donc le rousseauisme et la philosophie émersonienne pratiquée par Henry David Thoreau.

Cavalier seulLa Science des rêves et Soyez sympas, rembobinez ne doivent plus rien à personne : le cinéaste en est l’auteur complet. Des deux premiers films demeure le sens du surréalisme nonsensique : Stéphane (Gael Garcia Bernal), dans La Science, est le maquettiste d’un calendrier de « désastrologie » ; Jerry (Jack Black), dans Be Kind, magnétisé à outrance après avoir tenté en vain de saboter

une centrale électrique qui l’indisposait, efface les cassettes vidéo du magasin de Danny Glover. Même jeu sur les termes faussement farfelus (Tim Robbins dans Human Nature évoque la « simultagnosie »)1, même exploitation de l’influence néfaste

de la recherche scientifique sur le comportement humain (le procédé Lacuna dans Eternal Sunshine).

Gondry continue de jouer sur une distorsion de la réalité éprouvée par ses protagonistes : Tim Robbins ne pouvait vivre que par rapport à sa hantise d’être happé par le primitivisme et s’efforçait donc de « civiliser » le monde animal ; de son côté, Jim Carrey luttait de toutes ses forces pour enrayer le processus d’éradication de sa mémoire.

« SON IMAGINATION FERTILE SEMBLE PROCÉDER ORGANIQUEMENT DES PLUS GRANDS FONDATEURS DU

SURRÉALISME »

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ENTRETIEN AVEC MICHEL GONDRYCONSTRUIRE SON PROPRE SYSTÈME

Franck Garbarz et Adrien Gombeaud

Franck Garbarz et Adrien Gom-beaud :

Vous avez grandi dans une atmos-phère propice à l’invention. Votre grand-père était inventeur…

Michel Gondry :

Oui, moi-même je voulais devenir peintre ou inventeur, fabriquer des systèmes. Mais l’invention passait par les sciences et les mathéma-tiques, des domaines que je n’ai pas approchés. J’ai aussi raté le coche de l’art moderne, que je n’ai pas compris au début.

Alors vous avez débuté dans la musique.

Disons que j’ai toujours navigué entre la musique et les images. J’ai étudié dans une école d’art appliqué et, parallèlement, je faisais partie d’un groupe. Très vite, j’ai illustré les musiques de

« Oui Oui » par de petits films d’animation qui étaient mes premiers travaux. À un moment, j’ai eu le sentiment que j’utilisais plus mes

capacités mentales en faisant de la réalisation… et j’en avais

marre de transporter ma batterie. Il faut dire que les buts pour les-

quels je faisais de la musique étaient plus ou moins avouables. Les buts pour

lesquels j’ai fait des films aussi. Mais au moins ça m’a permis d’obtenir ce que je voulais.

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C’est-à-dire ?

Tout adolescent timide devient artiste pour draguer les filles…

Et ça marche ?

Non, ç’aurait été plus efficace si plutôt qu’apprendre la batterie, j’avais investi toute cette énergie à draguer les filles. Mais en achetant une caméra, en construisant les décors, j’ai vu que je pouvais à la fois être inventeur et artiste, ou artisan, peu importe. J’avais trouvé un centre où

exprimer le maximum de mes compétences. Un jour, j’ai ramené des papiers colorés pour le premier film de Oui Oui, et je me suis dit : voilà quelque chose que je pourrais faire indéfiniment.

Vous aviez alors l’ambition d’intégrer l’univers de la pub et du clip ?

J’avais envie de faire de la pub car il y avait de très gros budgets. Jean-Paul Goude reconstruisait des hôtels ou faisait surélever une route car il n’aimait pas le premier étage d’un immeuble. C’était pas mal les images de Goude : il y avait un côté très français et dynamique, tourbillonnant, mais aussi un aspect très branché. Or j’ai toujours eu le sentiment d’être

rejeté par la mode. Avec mes copains, on ne pouvait pas entrer au Palace. On se retrouvait au Grillon : une pizzeria de Rambouillet avec une salle disco et une autre, hard rock. Notre but était de piquer les filles hard rock pour les amener côté disco. Je voyais de loin ces gars qui se faufilaient dans les boîtes pari-siennes. Quand je suis devenu un peu plus connu, j’ai pu entrer dans les boîtes, et je les ai retrouvés ! Ils me piquaient encore les filles et ils étaient là à me narguer, même au Baron à la fin du tournage de

La Science des rêves ! Quand on me dit que je suis l’enfant chéri de MTV, ça me met hors de moi. Je n’en ai pas profité quand j’en avais besoin. Puis, quand c’est devenu une image négative, on me l’a collée sur le dos. Je ne suis dans aucun classement des meilleurs clips et je n’ai jamais fait de clip pour des tubes. Il y a des gens qui ont la golden touch, moi, j’ai la shit touch. À part Björk, ceux qui venaient me voir étaient un peu sur le retour… des gars comme Terence Trent d’Arby. Chez Virgin, on m’appelait « le ringard des clips ». Je suis assez revanchard.

Entretien avec Michel Gondry

« J’AI VU QUE JE POUVAIS À LA FOIS ÊTRE INVENTEUR ET ARTISTE »

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Travailler sous contrainte, dans la pub ou le clip, stimule-t-il votre créativité ?

Ça dépend. Quand c’est de la publicité, je suis déresponsabilisé. Les gens ne vous font pas confiance. Je m’aperçois vite qu’ils ne me prennent pas pour la bonne raison. Ils veulent me faire faire exactement ce dont ils ont envie. Alors je me dis que je vais toucher un bon cachet et tant pis si c’est pourri ! J’ai plus d’intérêt et de respect pour le clip. Les limites sont plutôt fixées par le budget et je dois en effet trouver des astuces stimulantes pour rester dans ce cadre. Au début, avec Oui Oui, j’avais pour habitude de ne pas imposer

ma vision. Étienne et moi venant du dessin, on avait des idées visuelles précises. Les images prolongeaient nos chansons, donc je n’avais pas à dicter ce que je voulais. Ça a été la même chose avec Björk qui avait plus d’ouverture sur l’art contemporain que moi. Elle avait compris des choses de mon travail que, moi, je n’avais pas vues. Beaucoup de gens faisaient des clips pour faire leurs images. Ils se contentaient ensuite de plaquer le groupe dedans. Je voyais plutôt ce travail comme une collaboration avec l’artiste. Quand j’ai commencé, le roi, c’était Mondino. Il mettait l’artiste au centre de l’image en lui donnant une posture héroïque. Ça ne me ressemblait pas, car avec

Entretien avec Michel Gondry

Clip de la chanteuse Björk

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Oui Oui on était un peu timides. J’ai voulu servir le groupe avec le clip plus que servir le clip avec le groupe. À partir de cette idée, je n’ai plus jamais senti de limites créatives. Aujourd’hui, j’ai acquis une certaine liberté, mais j’ai encore quelques frustrations. Par exemple, quand les Rolling Stones m’ont proposé un clip, je ne pouvais pas laisser passer ça, mais je n’avais pas d’idée. Je ne m’en suis pas trop mal sorti mais ce n’est pas mon travail préféré.

Voyiez-vous le clip comme une marche vers le long métrage ?

Pas du tout. À l’époque, j’étais déjà super-content de faire des clips ! Je gagnais de l’argent, j’avais une grande liberté artis-tique et des collaborations avec des artistes qui me plaisaient. Un jour, on a projeté un clip que j’avais fait pour Björk dans une salle de cinéma à Londres, et je me suis dit que j’avais envie de faire des images qui soient vues dans ce contexte. J’étais fan de MacLaren, du cinéma russe ou de Chaplin, mais j’ai une culture littéraire assez pauvre. J’avais bien des idées sur la vie, sur la musique ou sur la science, sans doute des choses à dire. Mais en

France il y a une sorte de terrorisme littéraire par rapport à l’art qui m’excluait. Ce n’est pas que je considère que la littérature n’est pas un art, mais je ne m’exprimais pas facilement. Or l’image du réalisateur en France depuis la Nouvelle Vague, c’est le littéraire : l’auteur. C’est un peu pour ça que je suis parti aux États-Unis dans l’espoir de faire monpremier film.

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