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389 Mai-Juin 2007 - 6 numéro Une clinique pour les jeunes au Liban Infirmier scolaire : entre soins et écoute Dépression : 3 millions de Français touchés Violences et santé : quelles actions éducatives ?

Mai-Juin 2007 - 6

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389Mai-Juin 2007 - 6 €

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Une cliniquepour les jeunes au Liban

Infirmier scolaire :entre soins et écoute

Dépression :3 millions de Françaistouchés

Violences et santé :quelles actions éducatives ?

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SH38

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est éditée par :L’Institut national de préventionet d’éducation pour la santé (INPES)42, boulevard de la Libération93203 Saint-Denis CedexTél. : 01 49 33 22 22Fax : 01 49 33 23 90http://www.inpes.sante.fr

Directeur de la publication : Philippe Lamoureux

RÉDACTIONRédacteur en chef : Yves Géry Secrétaire de rédaction : Marie-Frédérique Cormand Assistante de rédaction : Danielle Belpaume

RESPONSABLES DES RUBRIQUES : Qualité de vie : Christine Ferron<[email protected]>La santé à l’école : Sandrine Broussoulouxet Nathalie Houzelle<[email protected]>Débats : Éric Le Grand <[email protected]>Aide à l’action : Christine Gilles et FlorenceRostan <[email protected]>La santé en chiffres : Christophe Léon<[email protected]>International : Jennifer Davies<[email protected]>Éducation du patient : Isabelle Vincent<[email protected]>Cinésanté : Michel Condé <[email protected]>et Alain Douiller <[email protected]>Lectures – Outils : Olivier Delmer, SandraKerzanet et Fabienne Lemonnier<[email protected]>

COMITÉ DE RÉDACTION : Jean-Christophe Azorin (centre de ressour-ces prévention santé), Soraya Berichi (minis-tère de la Jeunesse, des Sports et de la Vieassociative), Dr Zinna Bessa (direction géné-rale de la Santé), Mohammed Boussouar(Codes de la Loire), Laure Carrère (Crésif), Dr Michel Dépinoy (InVS), Alain Douiller(Codes de Vaucluse), Annick Fayard (INPES),Christine Ferron (Fondation de France), Lau-rence Fond-Harmant (CRP-Santé, Luxem-bourg), Jacques Fortin (professeur), ChristelFouache (Codes de la Mayenne), MyriamFritz-Legendre (Ceméa), Sylvie Giraudo(Fédération nationale de la Mutualité française),Joëlle Kivits (SFSP), Laurence Kotobi (MCU-Université Bordeaux-3 ), Éric Le Grand(conseiller), Claire Méheust (INPES), ColetteMénard (INPES), Félicia Narboni (ministèrede l'Éducation nationale, de l'Enseignementsupérieur et de la Recherche), Élodie Stano-jevich (INPES), Dr Stéphane Tessier (Crésif/Fnes).

Fondateur : Pr Pierre Delore

FABRICATION Création graphique : Frédéric VionImpression : Mame Imprimeurs – ToursADMINISTRATIONDépartement logistique (Gestion des abonne-ments) : Manuela Teixeira (01 49 33 23 52)Commission paritaire : 0508 B 06495 – N° ISSN : 0151 1998. Dépôt légal : 2e trimestre 2007.Tirage : 11 000 exemplaires.

Les titres, intertitres et chapô sont de la respon-sabilité de la rédaction

388Mars-Avril 2007 - 6 €

num

éro

Santé mentale :enquête sur l'accueilen urgence

Accompagner le « zéro tabac » en entreprise

Pourquoi ménager nos oreilles

Éduq

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Tous les deux mois• l’actualité• l’expertise• les pratiques• les méthodes d’intervention

dans les domaines de la prévention et de l’éducation pour la santé

Une revue de référence et un outil documentaire pour :• les professionnels de la santé,

du social et de l’éducation• les relais d’information• les décideurs

Rédigée par des professionnels• experts et praticiens• acteurs de terrain• responsables d’associations et de réseaux• journalistes

1 an 28 €2 ans 48 €Étudiants (1 an) 19 €Autres pays et outre-mer (1 an) 38 €

Je recevrai un numéro gratuit parmiles numéros suivants (en fonction desstocks disponibles) :

� Santé mentale, n° 359.� La promotion de la santé à l’hôpital,

n° 360.� Éducation pour la santé et petite

enfance, n° 361.� Soixante ans d’éducation pour

la santé, n° 362.� L’Europe à l’heure de la promotion

de la santé, n° 371.� Nutrition, ça bouge à l’école, n° 374.� Prévention des cancers, n° 375.� Médecins-pharmaciens :

les nouveaux éducateurs, n° 376.� Les ancrages théoriques

de l’éducation pour la santé, n° 377.� La santé à l’école, n° 380.

Je souhaite m’abonner pour :� 1an (6 numéros)� 2 ans (12 numéros)� Étudiants 1 an (6 numéros)Joindre copie R°/V° de la carte d’étudiant

� Autres pays et outre-mer 1 an (6 numéros)

Soit un montant de €

Ci-joint mon règlement à l’ordre de l’INPES par �chèque bancaire �chèque postal

NomPrénomOrganismeFonctionAdresse

Date

Signature

La revue de la préventionet de l’éducation pour la santé

52 pages d’analyses et de témoignages

Institut national de prévention et d’éducation pour la santé42, bd de la Libération – 93203 Saint-Denis Cedex - France

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sommaire

Illustrations : Charlotte Pironet

389Mai-Juin 2007

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◗ InternationalL’expérience libanaise d’une clinique pour les jeunesBéatrice Khater . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4

◗ La santé à l’écoleInfirmier scolaire : un métier partagé entresoins, écoute et éducation Mabrouk Nekaa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

Une équipe de professionnels pour parlersexualité aux élèves de seconde Mabrouk Nekaa, Cathy Couvert . . . . . . . . . . . . . . 8

Violences et santé : quelles actions éducatives ?

Éditorial Violences et santé : quelle place pourl’action éducative ?Zinna Bessa, Alain Douiller . . . . . . . . . . . . . . . 10

Enfants, femmes, personnes âgées,santé mentale, institutions, travail :comment prévenir les violences

« Contre les violences, l’urgence, c’est l’action éducative et la prévention »Entretien avec Anne Tursz . . . . . . . . . . . . . . . . 12

De 0 à 18 ans : protéger l’enfant,responsabiliser l’adulteFrançois Baudier, Christine Casagrande . . . . . . . 15

Un programme pour développer l’estime de soi chez les enfantsJacques Fortin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

« Si l’amour leur était conté… »Alain Douiller . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

À Genève, l’école, lieu central de préventiondes maltraitancesPaul Bouvier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

Éduquer à la santé, pour que genre ne rimeplus avec violenceJacques Lebas, Madina Querre . . . . . . . . . . . . . 24

« Comment je forme les professionnels pour faire reculer l’excision »Nafissatou Fall, avec Manuela Gherib et DanièleBugeon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

Personnes âgées et handicapées : le déni de la maltraitanceMarie-Ève Joël . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

Alma, à l’écoute de la maltraitance des personnes âgéesFrançoise Busby . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

Dissocier troubles psychiques et violencedans l’esprit du publicAnne M. Lovell . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Groupes de parole usagers/soignants à Marseille : une thérapie contre la violenceAnne M. Lovell, Vincent Girard . . . . . . . . . . . . . 41

Institutions : désamorcer la violenceOmar Brixi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

Développer la prévention de la violence en lien avec l’emploiYves Géry . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

International : la promotion de la non-violence, vue par l’OMS

« La violence est aussi un problème de santépublique »Entretien avec Étienne G. Krug . . . . . . . . . . . . . 48

Pour en savoir plusOlivier Delmer, Céline Deroche, Ève Gazzola . . . . 50

◗ Éducation du patientPatients-soignants : un poster pour faciliterla communicationEntretien avec Françoise Galland . . . . . . . . . . . 54

« Un véritable acte de soin »Cécilia Aldenhoff . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

◗ La santé en chiffresLa dépression touche trois millions de FrançaisYannick Morvan, Ana Prieto, Xavier Briffault, Alain Blanchet, Roland Dardennes, Frédéric Rouillon,Béatrice Lamboy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

◗ DébatsPourquoi faire de l'éducation pour la santéen milieu carcéral ?Éric Farges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

Dossier

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Ravagé pendant quinze ans (1975-1990) par la guerre, le Liban peine à mettre en placedes infrastructures de santé et plus encore à développer la promotion de la santé. Dansce contexte difficile, une université privée de Beyrouth a pourtant montré la voie à sui-vre en ouvrant une clinique pour les 12-22 ans, offrant un accueil et une prise en chargepluridisciplinaire, médicale et psychologique. Témoignage de Béatrice Khater, méde-cin impliqué dans cette structure.

La priorité en matière de santé– après la guerre qui a ravagé le Libanentre 1975 et 1990 – aurait dû être demettre en place un système de santécouvrant les besoins de l’ensemble dela population et de collecter les don-nées épidémiologiques en la matière.Mais la politique des gouvernementssuccessifs a penché plutôt pour lareconstruction, l’assainissement desinstitutions étatiques… négligeant ledomaine de la santé en général. Unepopulation particulière était en dehorsde tous les programmes : les adoles-cents et les jeunes, malgré l’existenced’un ministère de la Jeunesse et duSport. Les 14 à 25 ans, qui représententvingt pour cent de la population liba-naise, se retrouvaient à la sortie d’unconflit de quinze ans sans repères niidéaux. Certains avaient combattu avecles milices armées, d’autres avaient fuila dure réalité dans la drogue, d’autresaussi avaient continué leurs études parintermittence, suivant les cessez-le-feu.Mais tous avaient perdu des années cru-ciales de leur vie et se retrouvaient ausortir de la guerre devant un avenirincertain, de nouveaux repères et unecrise économique galopante.

Un centre de santé familialeC’est dans ce contexte d’absence de

véritable politique de santé que l’uni-versité Saint-Joseph, fondée en 1875 parles Pères jésuites, a inauguré, en 1999,sur son site de Beyrouth, un centre uni-versitaire de santé familiale et commu-nautaire (CUSFC). Sa mission est d’as-surer des soins de santé au sens largedu mot santé (selon la définition del’Organisation mondiale de la santé) :du curatif à la prévention et l’éducation

à la santé pour hommes et femmes detous âges.

Peu à peu, le besoin de s’adresseraux jeunes étudiants universitaires, unedes populations cibles de ce centre (lesdeux autres étant la population localeet les employés de l’université avecleurs familles), s’est fait sentir, surtoutà cause de l’absence de ce type de ser-vice dans le pays. En effet, il n’existaitpas encore, au Liban, de centre ou declinique pour jeunes. Grâce à l’implan-tation du centre au sein même de l’uni-versité, les étudiants s’adressaient audébut à nous pour les petits « bobos »quotidiens, en tant que dispensaire depremiers soins. C’est alors que s’estouverte à l’intérieur du CUSFC, en 2005,la Clinique des jeunes comme servicespécialisé, constituée de professionnelsde la santé : médecin de famille,psychologue, travailleur social, diététi-cienne, infirmière. L’appel complé-mentaire à des experts juridiques (avo-cat, juge, etc.) se faisant selon lesbesoins rencontrés.

Travail en multidisciplinarité au quotidien

Les professionnels de l’équipe de laClinique des jeunes travaillent en étroitecollaboration, une gageure car ce sys-tème pluridisciplinaire n’existait pasailleurs. Il a fallu du temps et un contactassidu pour « arrondir les angles », pourque personne n’ait le sentiment quel’autre empiétait sur son champ d’ex-pertise, surtout dans des domaines oùles marges ne sont pas bien délimitées.Pour faciliter le bon fonctionnement,nous avons établi un organigrammeprécisant qui était la personne qui

accueillerait le jeune, comment et versqui se ferait l’orientation, selon sa pro-blématique, comment assurer le suivipar les différents intervenants.

Autre modalité de fonctionnementretenue : des réunions d’équipe régu-lières permettent de discuter des casquand plusieurs professionnels sontconcernés. Ainsi, par exemple, unejeune adolescente anorexique suiviepar la diététicienne et qui refusait ses« soins » (de peur de grossir) a été priseen charge en relais par le médecin, quilui semblait moins menaçant, en paral-lèle avec ses visites chez la psycholo-gue. En respectant la confidentialité, ladiscussion du cas entre les différentsprofessionnels a permis, grâce à cettemise en commun, une amélioration.Parfois, c’est le travailleur social, perçucomme moins stigmatisant que lepsychologue dans notre société orien-tale, qui suit le jeune. Cette facilité de« circulation » du patient jeune d’un pro-fessionnel à un autre est l’un des atoutsde notre centre. Ainsi, durant la périodeallant de janvier à mars 2007, trente-cinq jeunes ont été reçus en consulta-tion dans notre Clinique des jeunes ;pour des motifs allant du problèmemédical à la consultation chez la diété-ticienne ou chez la psychologue.

Visite médicale obligatoireL’idée est venue ensuite de faire pas-

ser aux étudiants universitaires de pre-mière année à l’université Saint-Joseph,une visite médicale obligatoire. Lecaractère confidentiel de l’entrevue per-mettait une discussion franche – axéesur les conduites à risque et les problè-mes mentaux –, ce moment privilégié

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4 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

L’expérience libanaise d’une cliniquepour les jeunes

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étant mis à profit pour éduquer etconseiller. Nous avons ainsi rencontrémille sept cent cinquante-neuf jeunesdurant l’année académique 2005-2006,parmi lesquelles soixante-trois, soit3,58 %, ont nécessité une orientationvers le service d’aide psychologique,pour des tentatives de suicide, des pro-blèmes d’anxiété et/ou dépression oubien pour anorexie.

La partie consacrée à l’examen phy-sique par le médecin a été restreinte austrict minimum, à savoir : prise de ten-sion artérielle, poids et taille pour cal-culer l’indice de masse corporelle etexamen du cœur. Sur les mille sept centcinquante-neuf étudiants, deux centquatre-vingts ont été envoyés chez desmédecins spécialistes pour des problè-mes dépassant la médecine de pre-mière ligne, tout en assurant le suiviultérieur.

Les divers volets de l’éducationà la santé

L’autre grand axe de notre actionauprès des jeunes était l’éducation à lasanté. Dans ce but, nous avons produitdes brochures éducatives sur des sujetspouvant les interpeller : les infectionssexuellement transmissibles (IST), l’ar-rêt du tabac, le stress, etc. Un grandbémol est cependant à mettre sur cegenre d’action : l’absence de participa-tion des jeunes eux-mêmes, via un« comité de jeunes » pour choisir les thè-

mes et rédiger les brochures. De plus,une évaluation de l’impact de l’actionn’a jamais été réalisée.

Des activités de sensibilisation à lasanté à travers des jeux-concours ontété organisées pour les jeunes étudiantsde l’université. Lors de la journée pré-vention du sida, le 1er décembre, un jeude piste par équipes a été organisé avecdes questions, des vignettes portant surla maladie, ses modes de transmission,mais aussi sur les autres infectionssexuellement transmissibles. Le thèmedu stress a été abordé par un grand jeudont les étapes consistaient à détermi-ner les facteurs déclenchants, les ali-ments antistress, pratiquer les tech-niques de relaxation, etc.

Dans le cadre des activités auprès desplus jeunes – les adolescents en milieuscolaire –, deux principales cibles ontété définies : les adolescents eux-mêmes,les éducateurs et les parents. Ces der-niers ont été invités à une table rondeprofessionnels/parents/adolescentsconsacrée à l’adolescence sous tous sesaspects. Le développement physiolo-gique et les difficultés courantes ont ététraités par le médecin de famille, la rela-tion dans le groupe par le travailleursocial et l’aspect psychologique par lepsychologue. À la suite de cette ren-contre initiale, des groupes de discus-sion thématique animés par un spécia-liste – et comportant des parents et

d’autres adultes en contact avec les jeu-nes – ont été créés et se sont réunis men-suellement ; parmi les thèmes dévelop-pés : la communication efficace avec lesjeunes, la sexualité, l’alimentation saine,le jeune dans le groupe, etc.

Progressivement, l’intérêt d’avoiraussi un site Internet répondant auxquestions des jeunes s’est fait ressentir ;pour disposer d’un outil de communi-cation consulté par les jeunes et pou-voir atteindre un plus grand nombred’entre eux. Dans notre pays bilingue,le choix de la langue a longtemps étédiscuté, finalement le français a étéchoisi plutôt que le libanais pour faci-liter la compréhension des termesscientifiques. Nous avons pu bénéficierdu support et de l’expérience de « Filsanté jeunes » ainsi que de l’École desparents et éducateurs – France (EPE).

La création d’une « unité multimedia »est en cours ; c’est un centre ressourcesqui rassemble toutes les études publiéesau Liban portant sur la problématiquedes adolescents et des jeunes ; brochu-res, affiches, publications internationa-les y sont répertoriées pour pouvoir êtreconsultées sur place par le public. Grâceau matériel recueilli, des outils pédago-giques sont en voie de création pour l’é-ducation à la santé auprès des jeuneset des professionnels qui interviennentauprès d’eux.

En conclusion, il nous faut soulignerque la Clinique des jeunes, une pre-mière au Liban, connaît un démarragelent, pour plusieurs raisons. La première– qui agit comme une arme à doubletranchant – est sa localisation à l’inté-rieur du campus universitaire. Laseconde est la difficulté d’accès pour lesécoliers qui dépendent de leurs parentsconcernant leurs déplacements et doncn’y viendront pas sans eux. Enfin, dansnotre époque de communication, notreclinique n’a pas encore usé de l’outilmédiatique et publicitaire pour se faireconnaître de la communauté. En atten-dant que le bouche à oreille, coutumeorientale par excellence, se mette àfonctionner !

Béatrice Khater

Médecin de famille,

centre de santé familiale et communautaire,

chargée d’enseignement à la faculté

de médecine,

université Saint-Joseph, Beyrouth.

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Être toujours disponible en cas de nécessité tout en ayant un rôle d’éducateur à la santédes élèves sur le long terme : telle est la double mission – souvent délicate à mener defront – des 6 100 infirmiers scolaires. Mabrouk Nekaa, infirmier scolaire dans deuxétablissements de Firminy (Loire), souligne l’importance de suivre les élèves en grandesouffrance. Un travail d’équipe avec le médecin et les autres professionnels. Un travailpolyvalent qui concilie soins, écoute, éducation mais aussi formation des élèves infir-miers. Témoignage.

Infirmier d’internat depuis 1999dans la cité scolaire Jacob-Holtzer,constituée d’un lycée d’enseignementgénéral scientifique et technologique dequatre cents élèves et d’un lycée pro-fessionnel industriel de trois cents élè-ves, situé à Firminy, dans la Loire, vingtmille habitants, mes missions sont mul-tiples. L’ensemble est un établissementà taille humaine, ce qui permet de bon-nes relations et un suivi efficace des élè-ves. L’établissement se caractérise parune forte mixité sociale, ainsi les deuxtiers des élèves du lycée professionnelsont issus de catégories défavorisées.

Un infirmier scolaire soigne, écouteet aide les jeunes. Beaucoup sont en dif-ficulté, certains connaissent de réelsproblèmes familiaux qui retentissent surleur motivation et leur concentrationscolaire. Le travail en équipe avec lemédecin scolaire, l’assistante sociale, lesenseignants et le personnel de la viescolaire est primordial pour unemeilleure compréhension de l’élève.Ma présence volontaire à la commissionvie scolaire et mon implication au seindu conseil de vie lycéen permettent desuivre certains élèves en grande souf-france.

Ce qui se cache derrière la migraine

La journée commence par l’accueildes élèves – une vingtaine en moyenne– qui viennent pour quelques minutesde « bobologie », pour des certificatsmédicaux de dispense, à la suite d’ac-cidents... D’autres, plus fatigués voiremalades, dans l’attente qu’un parent

vienne les chercher, prennent un tempsde repos face à leurs problèmes, quidépassent largement le cadre du lycée.Des médicaments courants sont distri-bués pour calmer migraines et douleursdiverses du quotidien ; les cas d’aller-gies et d’asthme, de plus en plus pré-sents, sont également suivis à partir del’infirmerie.

Mais certaines migraines cachent unproblème autre que physiologique :mal-être de l’adolescent et/ou diffi-cultés familiales, financières, de santédans la cellule familiale, de dépen-dance à des produits licites ou illici-tes. Écoute, discussion, information,relation de confiance sous couvert dusecret professionnel permettent auxélèves de régler certains soucis demanière confidentielle en cas de néces-sité, sur des sujets tels que leurs rela-tions sexuelles ou la prise de produits.Le besoin de conseils en santé pour lesélèves n’est pas négligeable lors despassages à l’infirmerie, conseils per-sonnalisés et répondant tout de suiteà leurs attentes.

Mon rôle est aussi d’impulser et depréparer des interventions d’éducationà la santé, adoptées en commission d’é-ducation à la santé et à la citoyenneté(Cesc). La validation, la programmationet l’évaluation des actions collectivesd’éducation à la santé sont définies encollaboration avec les responsables etles acteurs des projets. C’est dans cecadre que je participe en tant qu’ani-mateur aux séances d’éducation à lasexualité (voir article page 8).

Former les infirmiers àl’éducation pour la santé

Autre fonction qui m’est dévolue :la formation. Outre l’encadrement régu-lier d’étudiants infirmiers dans le cadrede leur stage de santé publique, l’Insti-tut de formation en soins infirmiers (Ifsi)du centre hospitalier universitaire(CHU) de Saint-Étienne m’a demandéd’accompagner un groupe d’étudiantsde 2e année dans le cadre de l’élabora-tion d’un projet d’éducation à la santé :les étudiants doivent identifier lesbesoins et mènent donc une enquêteauprès des élèves internes lycéens surleurs attentes.

Avant l’élaboration du questionnaire,les étudiants infirmiers sont confrontésà leurs représentations de l’éducationà la santé. À partir de la question« qu’est-ce qu’éduquer à la santé ? », ilsprennent conscience de différencesdans leurs propres conceptions, ce quipermet de clarifier leurs intentions édu-catives et l’approche à adopter. La déci-sion d’une approche participative estretenue afin de construire avec les jeu-nes des réponses adaptées à leursbesoins en leur permettant d’exprimerleurs inquiétudes et demandes. Unquestionnaire d’entretien intégrant desrègles éthiques – anonymat et secretprofessionnel, absence de jugement –est élaboré puis testé sur un grouped’adolescents extérieurs au lycée. Le faitque les étudiants infirmiers soient àpeine plus âgés que les internes – etdonc proches – facilite le contact et l’in-vestissement des lycéens. Ces derniersidentifient sans surprise trois principaux

santé à l’école

6 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

Infirmier scolaire : un métier partagéentre soins, écoute et éducation

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7LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

santé à l’école

facteurs de risques pour la santé : letabac, l’alcool, et les drogues ; globale-ment ils sont informés sur les risqueset favorables à des actions menées parleurs pairs. À la suite de ces résultats, lesétudiants infirmiers ont retenu la pro-blématique suivante : en quoi la prisede conscience de sa propre conduite àrisque peut-elle permettre un choix,une réflexion ? Ils définissent les objec-tifs : changer les représentations pourquestionner la notion de plaisir et dedéplaisir, répondre aux attentes deslycéens sur les consommations via unedouble réflexion, individuelle et col-lective. Pour préparer leur intervention,les étudiants infirmiers ont rencontrédifférents partenaires et acteurs de pré-vention de santé publique intervenantsur les conduites à risque (l’unité de trai-tement des toxicomanies du CHU, l’as-sociation Anpaa, etc.).

Ils veulent parler alcoolL’action prévue sur deux heures ne

permettant pas de traiter les trois thè-mes (tabac/alcool/drogues), les élèveschoisissent le sujet en début de

séquence, ce qui facilite confiance etéchanges. Avant la séance, les étudiantsinfirmiers ont complété leurs informa-tions sur les produits et conduites addic-tives, se sont équipés d’outils et dedocumentation à distribuer aux élèves.L’action se déroule à l’internat. Lebesoin d’échanger sur l’alcool – thèmechoisi à la majorité – amène les inter-venants à souligner le respect de laparole de chacun. Il est primordial dene pas parler de sa propre consomma-tion mais plutôt de partager ses repré-sentations. Un classement des effets duproduit alcool est établi et des tests surle simulateur d’alcoolémie sont propo-sés afin de faire prendre conscience –d’une façon ludique – du temps néces-saire pour éliminer l’alcool consommédans une soirée. Enfin, un questionnaired’évaluation est distribué aux élèvespour apprécier leur ressenti et les infor-mations retenues.

La conduite du projet par les étu-diants leur a permis d’évoluer vers uneaction plus réaliste et d’être confrontésà la difficulté de mener à bout un pro-

jet de santé publique : identifier lesbesoins de santé d’une population avecune méthodologie et une analyse pré-cises permet d’établir une stratégie d’ac-tion avec des objectifs clairs, d’identifierles partenaires et d’évaluer la réalisationdu projet.

Mabrouk Nekaa

Infirmier à l’Éducation nationale,

diplômé d’État en 1993, étudiant au master II

« Éducation à la santé en milieu scolaire ».

Concilier quotidien etéducation à la santé :un défi pour les 6 100infirmiers scolairesOn dénombre actuellement six mille centinfirmiers de l’Éducation nationale en France,ils officient dans les établissements scolai-res. Leur mission : promouvoir et mettre enœuvre la politique de santé (prévention,actions sanitaires de portée générale,hygiène et sécurité, bilans obligatoires,soins). Les infirmiers sont plus particulière-ment chargés de l’accueil et de l’écoute desélèves, pour tout motif ayant une incidencesur la santé, ils participent aussi, bien évi-demment, à l’éducation à la santé.

Le programme quinquennal de la politiqueéducative de santé à l’école, adopté en2003 (1), définit plusieurs priorités pour lesinfirmiers, avec en tête les deux missionssuivantes : – « repérer et suivre les problèmes de santédes élèves ; – mieux connaître, mieux repérer et pren-dre en compte les signes de souffrance psy-chique des enfants et des adolescents ». Depuis 2003, les modalités de l’informationet l’éducation à la sexualité sont préciséesdans une circulaire ; cette éducation inter-vient dans les collèges/lycées « à raisond’au moins trois séances annuelles ».

Au fil du temps, les missions des infirmiersde l’Éducation nationale ont été élargies.L’une des difficultés majeures est de menerà bien deux fonctions : d’un côté, l’infirmierscolaire est « d’alerte », toujours présentet disponible en cas de nécessité, de l’autre,de par ses fonctions d’écoute et d’éduca-tion, on lui demande de travailler sur ladurée, de faire de l’éducation pour la santéet, dans ce cas, les infirmiers perdent endisponibilité immédiate. Le défi est donc deparvenir à cumuler ces deux fonctions, d’unetemporalité très différente.

(1) Bulletin officiel du ministère de l’Éducationnationale n° 46, du 11 décembre 2003.

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Depuis six ans, une équipe de profes-sionnels de l’ensemble scolaireJacob-Holtzer – infirmier(ère)s, assis-tante sociale, professeur de scienceset vie de la Terre, conseillères d’édu-cation – à Firminy (Loire) conçoiventet animent des séances d’éducation àla sexualité pour les élèves deseconde. La conseillère d’éducationet l’infirmier scolaire interviennent enbinôme dans ce cadre.

L’équipe d’intervenants a été forméeà l’éducation à la sexualité par le rec-torat de Lyon. L’éducation à la sexua-lité prend en compte plusieurs aspectséthiques bien connus : poser les limi-tes entre les espaces public et privé, afinque le respect des consciences, du droità l’intimité et de la vie privée soitgaranti. Les objectifs de cette actionsont :– de faire connaître les dimensions rela-tionnelles, juridiques et sociales de lasexualité ;– d’accompagner leur réflexion sur lesrelations fille/garçon, le rapport à l’autre,les règles de vie en commun, le sens etle respect de la loi ;– d’apporter des informations objecti-ves et des connaissances susceptiblesde répondre à leurs interrogations ;– de permettre une meilleure percep-tion des risques (grossesse précoce,infections sexuellement transmissibles)et de favoriser des attitudes de respon-sabilité individuelle et collective ;– d’informer sur les structures d’accueil,d’aide et de soutien face à des situationsindividuelles qui le nécessitent.

Bousculer les idées préconçuesDans l’année, les élèves ont deux

séquences d’une heure trente, organi-sées par demi-classes. Les thèmes traitéssont la première relation, la pornogra-phie, le viol, l’inceste, la prostitution,l’homosexualité. En première séquence,au lycée d’enseignement général ettechnologique, l’outil pédagogique uti-lisé est l’abaque de Régnier1 sur les thè-mes : la prostitution, le viol, l’inceste. Cetexercice permet le débat à partir d’af-firmations préconçues et d’a priori, mais

aussi des vérités reconnues (exemple :le métier de prostituée est autorisé parla loi). Cela amène le groupe à l’échangedes représentations. Au lycée d’ensei-gnement professionnel, on utilise plusfacilement l’échange, le débat ouvert àpartir de l’association de mots et d’idées,une technique intéressante pour libé-rer l’énergie d’une classe un peu tropvive. Prendre en compte les diversitésculturelles et sociales (population mas-culine et d’origine étrangère de milieuxdéfavorisés) permet d’adopter uneapproche pédagogique adaptée. Partird’un langage individuel parfois cho-quant et le reformuler ensemble facilitela bonne compréhension collective etrecentre le groupe sur la réflexion.

La dynamique de la première séanceinstaure la confiance et permet de choi-sir des outils d’animation avec lesquelsles élèves deviennent acteurs : ils pré-parent et jouent des mini-sketchs impro-visés sur les sujets tels que l’homo-sexualité, la pornographie, la premièrerelation. À l’issue de chaque scène, legroupe échange et, à la fin de laséquence, une évaluation écrite est

demandée aux élèves sur : ce que j’aiaimé/pas aimé ; ce qui m’a gêné/pasgêné ; ce que cela m’a apporté/appris/rien ; le souhait ou non de renouvelerces actions d’éducation à la santé. Lesrésultats indiquent que la majorité estsatisfaite et demande d’autres séquen-ces… en partie tout simplement parcece type d’animation change des coursdispensés tout au long de l’année ! Maisl’aspect éducatif utile n’en est pas moinsprésent.

Mabrouk Nekaa

Cathy Couvert

Conseillère principale d’éducation.

1. L’abaque est un outil de mise en valeur des opinionsde chacun. L’animateur propose aux participants unensemble d’affirmations ; ces affirmations induisentdes positions tranchées, des représentations basées surdes opinions, voire des préjugés ; elles doivent êtreconstruites et utilisées pour faciliter le dialogue et ledébat. Item par item les participants informent l’ani-mateur de leur position en indiquant la couleur dunuancier qui y correspond (rouge = pas d’accord,vert = d’accord, jaune=sans opinion) ; une fois lesréponses saisies, l’animateur reprend chaque item enproposant un commentaire général sur la répartitiondes couleurs et demande à chacun d’expliquer les rai-sons de sa position.

santé à l’école

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Une équipe de professionnels pour parler sexualité aux élèves de seconde

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Violences et santé :quelles actions éducatives ? ?

Illustrations : Charlotte Pironet

Dossier coordonné par Zinna Bessa, médecin, adjointe au chef debureau santé des populations, précarité et exclusion, sous-directionSanté et société, direction générale de la Santé, ministère de la Santé,de la Jeunesse et des Sports, Paris, et Alain Douiller, directeur ducomité départemental d’éducation pour la santé de Vaucluse, Avignon.

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édito

Violences et santé : quelleplace pour l’action éducative ?

La violence est une question dont se saisis-saient jusqu’à présent en tout premier lieu la jus-tice et les forces de l’ordre. En 2002, l’Organisa-tion mondiale de la santé (OMS), dans sonrapport mondial sur la violence et la santé, inter-pellait les pouvoirs publics sur l’urgence à agirpour prévenir un problème qui tue chaque

année près de deux millions depersonnes dans le monde. Lapremière des recommandationsémises dans ce rapport étaitl’élaboration, la mise en œuvreet le suivi de plans d’actions auniveau national.

Cette recommandation a étéreprise dans son principe, enFrance, dans la loi du 9 août2004 relative à la politique desanté publique, qui a décidé detravailler sur cinq plans straté-giques parmi lesquels un planvisant à limiter l’impact de la vio-lence sur la santé.

À la demande du ministère de la Santé et des Solidarités etsous la présidence d’Anne Tursz,

pédiatre, épidémiologiste et directrice derecherche à l’Inserm, six commissions prépa-ratoires ont produit une somme de réflexions,d’analyses mais aussi de débats particulière-ment intéressants dont La Santé de l’hommevoulait vous rendre compte. Si le plan Violenceet Santé n’a pas encore été adopté par les pou-voirs publics, ces travaux ont eu le mérite deporter un autre regard sur cette thématique, enl’abordant comme un véritable déterminant dela santé, au même titre que l’alcool, le tabacou la nutrition. Une part importante de cesréflexions est consultable sur le site du minis-tère : www.sante.gouv.fr

Six commissions de travail thématiques sesont donc réunies : périnatalité, enfants et ado-

lescents ; personnes âgées et personnes handi-capées ; genre et violence ; violence et santémentale ; institutions, organisations et violence ;violence, travail, emploi et santé. Ce dossier deLa Santé de l’homme est ainsi l’occasion de sefaire l’écho d’un certain nombre de leurs conclu-sions. Les présidents de chacune de ces com-missions ainsi qu’Anne Turz, présidente de l’en-semble de cette mission préparatoire, nouslivrent ici leurs analyses et les points qui ont puleur paraître les plus marquants.

À la lecture du rapport général d’Anne Tursz,les recommandations les plus fortement misesen avant en matière de prévention nous sem-blaient beaucoup relever de mesures de repé-rage, d’information, de formation des interve-nants, ou d’amélioration des capacités de recueilet de traitements des données. L’éducation – etparticulièrement l’éducation pour la santé –paraissait plus discrètement évoquée et surtoutde façon moins concrète et moins précise. C’estpourquoi nous avons posé la question suivanteaux présidents des commissions et à Anne Tursz,auteur du rapport final : « La prévention et l’édu-cation pour la santé ont-elles une place dans lalutte contre les violences ? »

En réponse à cette question, et bien que tra-vaillant dans des champs très différents, lesauteurs s’accordent sur un certain nombre depoints :1. l’ampleur du problème : la violence n’est pasun phénomène nouveau et son éventuelle aug-mentation n’est pas scientifiquement étayée. Lesmédias et les débats politiques jouent ainsi unrôle important dans la sensibilité des publics etdans la perception de l’importance de cettequestion ;2. la violence ne paraît pas constituer une fata-lité absolue. Chaque commission promeut l’uti-lité et l’efficacité de la prévention, des interven-tions précoces, pour agir en amont de laviolence ;3. les actions d’éducation et de promotion de la

Agir en amont des phénomènes de violence

paraît un enjeu de société majeur.

Cette convictionrenvoie à la perception

d’une responsabilitécollective vis-à-vis de ces

phénomènes et non passeulement à des

responsabilités individuelleset familiales, et à l’utilitéde démarches éducatives.

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santé sont des volets incontournables de la pré-vention. Elles paraissent toutefois insuffisam-ment développées, examinées et évaluées. Desmesures comme la consultation du quatrièmemois de grossesse ou un travail sur l’incitationà l’expression verbale sont pourtant à mettre enavant et devraient faire l’objet de recherches etde soutien ;4. les acteurs du champ de l’éducation pour lasanté ont donc, dans cette perspective, toute leurplace. Mais les rapports des commissions mon-trent aussi qu’il leur reste beaucoup à inventer,à imaginer : les exemples d’actions proprementéducatives sont en effet peu nombreuses, sou-vent confidentielles… Par ailleurs, la non-publi-cation à ce jour du plan Violence et Santé ne per-met pas aux Régions d’inscrire cette thématiquecomme prioritaire dans leurs plans régionaux desanté publique (PRSP), limitant ainsi les créditsqui pourraient être alloués à des actions relevantde ce champ.

Agir en amont des phénomènes de violenceparaît, pour la grande majorité des membres descommissions, un enjeu de société majeur. Cetteconviction renvoie à la perception d’une respon-sabilité collective vis-à-vis de ces phénomèneset non pas seulement à des responsabilités indi-viduelles et familiales. Elle renvoie aussi à l’uti-lité de démarches éducatives – les mesuresrépressives ne pouvant constituer l’uniqueréponse – qui nécessitent pour cela :– d’identifier les différentes formes de violence

afin de ne pas amalgamer des réalités très dif-férentes sous ce même vocable ;– de travailler sur les représentations et sur laverbalisation des tensions, des difficultés, pourprévenir les « passages à l’acte » ;– d’oser poser la question de nos propres orga-nisations et des formes de violences qu’ellespeuvent engendrer ;– d’admettre et de percevoir la part de violencequi anime chacun d’entre nous : la violence, cen’est pas seulement celle des autres ! ;– de prendre davantage en compte la questiondes rapports de genre et de domination mascu-line.

Les analyses et actions présentées dans cedossier sont donc centrées sur les démarcheséducatives ; elles en soulignent le formidablepotentiel. Autant d’éléments concrets qui, nousl’espérons, seront utiles aux professionnelsconfrontés à cette problématique dans leur pra-tique.

Alain Douiller

Directeur du comité départemental

d’éducation pour la santé de Vaucluse,

Avignon.

Zinna Bessa

Médecin, adjointe au chef du bureau Santé

des populations, précarité et exclusion,

sous-direction Santé et Société,

direction générale de la Santé,

ministère de la Santé et des Solidarités, Paris.

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Pendant six mois, Anne Tursz a coordonné les travaux des experts sur le thème « Vio-lence et santé » avant de rédiger un rapport qui contient un état des lieux et des propo-sitions d’actions. Elle souligne que c’est autour de l’action éducative et de la préventionqu’il faut agir sans attendre. Elle met en avant le rôle des médecins généralistes dansle repérage des risques, insiste sur la nécessité d’accompagner des parents dès lagrossesse. Enfin, elle s’insurge contre les idées reçues. Non, la violence n’augmentepas dans la société, c’est la résonance qu’en font les médias qui s’accroît. Non, il n’y apas de lien présupposé entre violence et précarité, toute la population est concernée parla maltraitance.

La Santé de l’homme : Vous êtespédiatre, épidémiologiste, directricede recherche à l’Inserm. Aviez-vous,avant d’être sollicitée pour piloter cerapport, une approche particulièresur le thème « Violence et santé » ?

Anne Tursz : Je mène, depuis environcinq ans, des travaux de recherche surla maltraitance des enfants et plus pré-cisément sur les morts suspectes desnourrissons. J’ai été amenée, au coursdu temps, à faire le constat de plu-sieurs idées fortes qui ont, naturelle-ment, bordé le travail collectif quenous devions mener sur la thématique« Violence et santé ». D’abord, ce phéno-mène est complètement sous-estimé enFrance. Ce qui ne veut pas dire qu’il nel’est pas ailleurs. Mais, dans notre pays,c’est réellement un problème. Ensuite,toutes les classes sociales sont concer-nées par une réalité extrêmement gravecomme l’homicide d’un enfant de moinsd’un an. Enfin, je refuse ce présupposééternel qui dit « Violence égale précarité,précarité égale violence », ce qui est faux.

S. H. : Les médias donnent souventle sentiment que nous vivons dansune société de plus en plus violente.Partagez-vous cette idée ?

Non. Les exemples d’horreur, par lepassé, n’ont pas eu besoin des médias

pour exister. La guerre de Cent Ans,l’Holocauste, etc. La société humaine esttrès violente, c’est comme ça. Nousavons l’impression, artificielle à monavis, que la violence est de plus en plusfréquente. Rien ne l’affirme scientifique-ment. Les enquêtes de victimologie fai-tes par téléphone et menées par l’Inseene montrent pas d’augmentation impor-tante de la violence. Elles ont un grandavantage par rapport aux enquêtes insti-tutionnelles, celles de la justice ou de lapolice, qui sont nécessairement biaisées,elles témoignent d’un regard direct. Cequi augmente, en revanche, ce sont lesviolences verbales et particulièrementdans les classes sociales élevées.

S. H. : Ne pensez-vous pas que l’actiondu professionnel de santé se limitetrop souvent à la prise en charge desconséquences de la violence, et n’estpas assez « préventive » ?

Effectivement, il n’y a pas que lesconséquences sanitaires de la violencepuisque des situations sanitaires sontaussi génératrices de violence. Nouspensons immédiatement à la santé men-tale. Évidemment quand un fou assas-sine une infirmière, on parle de celapendant six mois, mais c’est un événe-ment extrêmement rare. C’est d’ailleursl’exemple même de l’effet média. Il aug-mente le volume d’un événement qui

n’est, en fait, que marginal. Nous savonstrès bien que les malades dangereuxexistent. Il n’y en a pas énormément et,j’insiste là-dessus, ils ne doivent pas êtreplacés en prison. Quand ils sont placésdans des établissements appropriés etqu’il n’y a pas de rupture de soins, ilsne représentent plus de danger pour lasociété. Il y a quand même des étatspsycho-pathologiques qui peuvent êtreà l’origine de violences. L’alcoolismeaigu, par exemple, de nombreusesaddictions, notamment certains produitstoxiques. Et puis, la littérature scienti-fique internationale le démontre, il y aun lien statistique entre les violencessubies dans la petite enfance et les vio-lences perpétrées ensuite à l’adoles-cence ou à l’âge adulte.

S. H. : Vous avez organisé la concer-tation autour de six commissions.Comment s’est fait ce choix et dequelle façon chacune des commis-sions a-t-elle travaillé ?

Je n’ai pas organisé toute seule cetravail. J’ai été très aidée par la directiongénérale de la Santé (DGS)1. Il a fallu,dans un premier temps, débroussailler.Au départ, je ne partageais pas le choixde l’intitulé initial proposé par le minis-tère où il était question de conduitesaddictives (« Plan national de lutte pourlimiter l’impact sur la santé de la vio-

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Entretien avec Anne Tursz, pédiatre, épidémiologiste, directrice de recherche à l’Inserm, auteur du rapport préparatoireau plan national Violence et Santé.

« Contre les violences, l’urgence, c’estl’action éducative et la prévention »

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lence, des comportements à risques etdes conduites addictives », Ndlr). Celarestreignait le sujet et donnait uneconnotation culpabilisante qui meparaissait inappropriée. J’ai eu lachance de rencontrer à la DGS beau-coup de compréhension, notammentde la part de William Dab, à l’époquedirecteur. Nous avons ensuite décidéque partout où il y avait déjà des initia-tives en cours, nous devions réfléchirà la création de liens entre celles-ci, plu-tôt que de tout recommencer. La Mis-sion interministérielle de lutte contre ladrogue et la toxicomanie (Mildt), parexemple, avait déjà publié des rapportssur les addictions. Idem pour d’autresinstitutions sur la violence routière, surles accidents domestiques des enfants,sur le suicide. Nous avons recensé cequi existait déjà et mis en exergue lesliens qui pouvaient être créés.

S. H. : Pourquoi ne pas avoir orga-nisé vos travaux par catégories ? Par exemple l’âge, le sexe, etc.

Il est vrai que nous aurions pu avoirune approche par âge – des bébés aux

personnes âgées –, par lieux de surve-nue de la violence, par types de vio-lence, etc. Finalement, nous nous som-mes mis d’accord sur un certain nombrede thématiques avec une règle com-mune : faire en sorte de croiser danschaque commission – un tiers de cher-cheurs, un tiers d’institutionnels et untiers de gens de terrain – des person-nes qui se comprennent entre elles etqui ont des pratiques complémentaires.Par exemple, il ne nous a pas paru per-tinent d’étudier la violence à l’écoledans une commission qui s’occuperaitplus spécifiquement des institutions,alors que nous avions dans le groupequi travaillait sur le thème de l’enfanceet de l’adolescence des praticiens de lasanté scolaire, des professionnels de laPMI, des personnes qui parlent lemême langage. Nous avons arrêté sixthématiques qui finalement ont bienfonctionné. Nous avons privilégié latransversalité, et évité au maximum lesrecoupements. J’ai alors établi un sys-tème de réunions régulières des six pré-sidents de commissions. Nous avonséchangé de quatre à six fois entre sep-tembre 2004 et avril 2005.

S. H. : Qu’est-ce qui vous a le plusfrappée pendant le déroulement devotre mission ?

La qualité d’écoute et de dialogue del’ensemble des participants. Il y a desmots très importants, des signes forts quiont parfois entraîné des débats diffici-les entre nous. Par exemple, nous avonsajouté le mot « emploi » dans la com-mission qui traitait de la violence et dutravail car cela nous permettait de par-ler du non-emploi. Christophe Dejours(psychiatre, professeur de psychologiedu travail, Ndlr) a d’ailleurs fait un rap-port tout à fait remarquable sur lesconséquences du chômage des parentssur la violence des jeunes. Mettre lespersonnes âgées avec les personneshandicapées dans la même commissiona, vous vous en doutez, suscité desdébats. Cela nous permettait de réfléchirsur la potentialité de la dépendance.C’est, enfin, le mot « genre » qui a pro-voqué les discussions les plus fournies.Nous étions partis, au début, sur lethème « Violence envers les femmes »,ce que je trouve absurde. Bien sûr,quantitativement, c’est là que le phé-nomène est le plus important. Mais,poser la problématique en ces termes,c’est oublier ce qui, à mon avis, présidedans la violence envers les femmes.C’est-à-dire les rapports de pouvoir, lesrapports sociaux instituant les règlespour chaque sexe. Je peux dire lamême chose concernant la violencehomophobe.

S. H. : Parmi les conclusions rele-vées dans la synthèse finale de votrerapport, vous notez « une connais-sance scientifique insuffisante surla problématique violence et santé ».Vous parlez même « d’ignorance etd’urgence ». Que faire pour remé-dier à cela ?

Il ne faut pas être trop ambitieux etsavoir rester réaliste. Je ne souhaite pasque l’on construise une sorte d’usine àgaz type « Observatoire de la violence ».Nous ne parvenons déjà pas à collec-ter des données fiables, pertinentes.Vous imaginez ce que serait alors unobservatoire de ce genre ? Commen-çons modestement, en faisant déjà lebilan de ce que l’on sait, en allant à larencontre de ceux qui sont en posses-sion de ces informations. Savez-vousqui sont les personnes qui sont le plusconfrontées aux résultats de la violence,

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à part la police ? Ce sont les urgentis-tes et les médecins généralistes. Orga-nisons au mieux la quête de ces don-nées, ce qui n’est pas facile à faire. Etsimplifions les indicateurs. Rendons cesdonnées accessibles aux professionnelsde la santé. Nous avons des dispositifsqui fonctionnent bien, une réglemen-tation béton. Mais elle est souventincompréhensible. La commission Per-sonnes âgées a proposé une idée queje trouve formidable : fabriquer desoutils pédagogiques pour les person-nels de santé, expliquant les textes deloi. Voilà une piste.

S. H. : L’action éducative comme lienpossible contre les violences fait-elle partie des recommandationsfortes de votre rapport ?

Oui. Elle est essentielle. Nous évo-quions l’urgence, précédemment. Jepense que c’est autour de l’action édu-cative, de l’éducation à la santé et dela prévention que nous devons menernos actions. Tout est lié. Les mesures lesplus urgentes, et sans doute les plussimples à mettre en place, sont cellesqui ont le mérite d’être, entre elles,cohérentes. Comment utiliser, aumieux, les compétences professionnel-les pour dépister les êtres fragiles, lessignes précurseurs qui peuvent porterun diagnostic fiable sur le risque de vio-lence ? Il y a là matière à recherche. Parexemple, la périnatalité. Il existe unplan Périnatalité, un plan Psychiatrie et

Santé mentale, des recommandationsde la Haute Autorité en matière de péri-natalité, la réforme de la loi de protec-tion de l’enfance…Toute une panopliede mesures réglementaires, cohérentesentre elles, j’insiste là-dessus. Le rapportpréparatoire préconise qu’il y ait unentretien systématique au quatrièmemois de grossesse avec toutes les fem-mes enceintes et si possible avec le pèreafin de dépister les gens fragiles sus-ceptibles d’avoir du mal à s’attacher àleur enfant dès sa naissance, soit par cequ’ils n’en voulaient pas, soit pour desraisons personnelles, psycho-affectives,etc. Il y a là tout un champ d’accompa-gnement et aussi de réflexion et d’ac-tion en termes d’éducation à la santé. Ledépistage de cette vulnérabilité ouvreles perspectives à un enseignementpour les professionnels de santé. Il estcomplémentaire d’une éducation à lasexualité qui doit s’ouvrir aussi à l’édu-cation à la parentalité. Il offre un sou-tien à la personne. Il permet toute unepanoplie d’actions.

S. H. : N’êtes-vous pas, à traversl’exemple de la périnatalité, en trainde souligner le rôle déterminant deséducateurs de santé, des associa-tions de prévention, des profes-sionnels de santé publique ?

C’est exact. Notre réflexion sur la vio-lence et la santé a mis l’accent sur lefait que nous avons besoin de tout lemonde, de chaque talent, pour com-

prendre et prévenir ce phénomène. Deplus, le rôle principal de ces praticiensest, en priorité, à exercer auprès desenfants et des jeunes. Pour moi, tout cequi tourne autour de la grossesse esttrès important. Car un ratage de nais-sance, et cela existe, est vraiment unecatastrophe. L’enfant, en général, nes’en remet pas.

S. H. : Y a-t-il une idée forte de cetimportant travail de réflexion et depropositions que vous souhaitezrelever ?

Oui : la violence n’est pas inélucta-ble à condition, d’abord, que la pré-vention soit très précoce. S’occuper desenfants me paraît fondamental. Ensuite,nous devons nous adresser à toute lapopulation, qu’elle soit riche, pauvre,précaire, blanche, noire, etc. Car toutela population, sans exception, estconcernée par la maltraitance. Enfin, etcela découle de mon précédent propos,nous devons faire la peau à un certainnombre de dogmes établis : « précaritéet violence », « la famille est toujoursbonne… » Il faut une sorte de couragephilosophique pour s’attaquer à ce pro-blème.

Propos recueillis par Denis Dangaix

1. À la DGS, ont collaboré avec Anne Tursz : Véro-nique Mallet, Bernard Basset, Chantal Froger, ZinnaBessa… et d’autres.

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Agir le plus tôt possible et développer l’ouverture de lieux d’accueil temporaire pour lesvictimes de violence, comme les femmes pendant la grossesse ou après l’accouchement ;rendre obligatoire la réflexion sur les facteurs de violence et les moyens de la résoudre dansla formation des enseignants ; mettre en œuvre des programmes développant les compé-tences psychosociales des enfants. Telles sont quelques-unes des pistes d’action préconi-sées par la commission qui a travaillé sur « Périnatalité, enfance et adolescence ».

La violence est souvent présentée àtravers des batailles de chiffres « accro-cheurs » ou d’évolutions « catastro-phiques ». Or, il y a, dans l’appréciationde ce phénomène, une forte dimensionidéologique, politique, médiatique, uneperception souvent subjective, et quivarie suivant les contextes sociétaux.Pourtant, la préoccupation majeure desprofessionnels qui agissent dans cechamp est d’abord d’avoir une appro-che qualitative de cette question. Cettedémarche permet de formuler desconstats éclairés et surtout des recom-mandations constructives concernantaussi bien la période périnatale quel’enfance ou l’adolescence.

Un être en développement dans son environnement social

Il est important de rappeler que l’ap-préciation de la violence ne doit pasporter uniquement sur l’acte commismais aussi sur les conséquences qu’ellegénère en termes de souffrance et dedéveloppement somatique, social etcognitif de l’enfant. En effet, il y a unevraie particularité de la violence exer-cée sur un être en devenir. Il est doncessentiel de définir la violence au regardde ses conséquences sur l’individu vic-time et, pour un jeune, au regard de sespotentialités. Dans les premières situa-tions de socialisation et d’échanges, oùest l’intentionnalité ? Où est l’appren-tissage de la frustration au cours de cessituations de découverte et d’explora-tion du monde environnant ?

Le rapport d’inégalité existant dansle cadre de la violence des adultes sur lesenfants ou d’adolescents entre eux doitêtre intégré dans la définition de la vio-lence. Il convient de distinguer les

contraintes portant atteinte au dévelop-pement immédiat et futur des enfants,des tensions apparaissant dans les condi-tions normales d’apprentissage de soi etdes autres. La violence ne se définit passeulement au regard de l’intentionnalitémais aussi de ses conséquences. Lesomissions affectives ou éducatives, ainsique les actes réellement caractériséscomme violents, pourraient être définiscomme ceux ayant des conséquencesrelativement importantes sur le déve-loppement d’un être en devenir.

La position de l’éducateur(parent, enseignant…) et l’intentionnalité

La violence non délibérée, de l’ordrede l’omission, de l’imprudence ou del’absence de connaissances doit égale-ment être prise en compte. Tous lesparents maltraitants ne le sont pas demanière délibérée mais plus par inca-pacité ou par manque de savoir. Deuxenfants pourront réagir différemment àune même méthode éducative et péda-gogique. Les intentionnalités peuvent enoutre être « négatives » ou « positives »,c’est-à-dire relevant d’une démarchepunitive ou d’encouragement. L’identi-fication d’une situation violente indivi-duelle nécessite la prise en compte deplusieurs paramètres relativement com-plexes, avec une approche différente durepérage de problèmes de violence liésaux organisations (voir l’article d’O. Brixip. 43). Dans les modes de garde (en col-lectivité au sein d’une crèche, à domicilepar une assistante maternelle…), lesniveaux de qualification des violencessont très variables selon les profession-nels et les tempéraments. Il est parfoiscompliqué de clarifier la frontière entreun acte violent et un acte autoritaire.

Le curseur semble donc difficile àplacer pour l’institution judiciaire, dontles sanctions peuvent être très différen-tes dans des affaires relativement sem-blables, ce qui prouve la complexité àtrancher, notamment sur des questionsliées à l’intentionnalité. Il faut considé-rer de quel point de vue on se place, àsavoir du côté de l’auteur (intentionna-lité) ou du côté de la victime (interpré-tation des conséquences d’un acte).

La position parfois complexe du témoin de la violence

Outre l’acteur et la victime, letémoin, tierce personne adulte, doit êtrepris en compte. Sa position face à dessituations quotidiennes et banales estdéterminante dans la manière dont l’en-fant va se positionner et réagir (norma-liser ses réactions). La situation desenfants est d’ores et déjà inégalitairedans la mesure où les parents peuventadopter des réactions éducatives trèsdifférentes. Il est donc intéressant, avecl’enfant, de sortir du schéma acteur/victime pour prendre en compte lanotion d’adulte témoin. Elle permet dedonner du sens à une situation qui estimportante et de la distance par rapportà des événements très forts sur le planaffectif, tant pour la victime que pourl’auteur. Reste toute la question de lagestion de cette position de témoin, quiest souvent très délicate à gérer.

Par ailleurs, cette question du« témoin » pose celle de l’enfant spec-tateur de violence domestique (conju-gale souvent) mais non directementmaltraité. En termes de répercussion sursa santé et son développement, c’estune situation que l’on peut considérercomme comparable à celle d’enfants

De 0 à 18 ans : protéger l’enfant,responsabiliser l’adulte

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victimes directes de violence et de mal-traitance. Cette dimension serait alorsprise en compte par les services sociauxet sanitaires comme une cinquièmecatégorie de maltraitance, les autresétant physique, psychique, sexuelle etpar négligence.

La non-application des lois : une violence supplémentairefaite aux plus faibles

Un des constats souvent faits est qu’ilexiste des lois, des textes, des règle-ments, des circulaires, des plans remar-quables. Le problème majeur est tropsouvent la non-application de ces déci-sions. De ce point de vue, elle péna-lise essentiellement les plus faibles, lesplus fragiles, les plus exposés à la vio-lence et correspond donc à une vérita-ble violence institutionnelle de la partde ceux qui sont en charge de fairerespecter la loi et qui n’assurent pas tou-jours le suivi de son application.

Les lois de décentralisation ont trans-formé de manière profonde les respon-sabilités dans le domaine de la protectionde l’enfance, donnant aux collectivitésterritoriales un rôle majeur. L’applicationtrès diversifiée sur le territoire françaisde ces textes a entraîné une situationcontrastée qui nuit à une prise en chargeefficiente de ce problème. Ces transfertsde compétences de l’État vers les collec-tivités locales, auraient nécessité de lapart de celui-ci un travail de suivi qui n’apas toujours été fait. Il importe donc quel’État veille davantage à la bonne appli-cation de ces textes.

Le « droit d’intervention »face aux faits de violence

Les programmes d’intervention lesplus efficaces dans le champ de la vio-lence sont ceux qui agissent le plus tôtpossible (périnatalité, petite enfance). Ilest donc essentiel de privilégier cespopulations, d’où l’importance de lamise en œuvre actuelle du plan Péri-natalité.

Il est aussi nécessaire de soulignerd’emblée que « le droit d’intervention »,face à un fait avéré de violence, a voca-tion à s’appliquer aux institutions dontles pratiques sont susceptibles d’engen-drer des risques pour les enfants et lesjeunes. Il faut d’ailleurs se poser lamême question pour les familles. Cettedémarche n’a pas uniquement unevocation de contrôle ou de sanction, elle

doit avoir une visée éducative. En effet,la littérature internationale et les expé-riences françaises (en particulier auniveau des centres de protection mater-nelle et infantile) montrent toutes queles visites à domicile sont très efficacespour prévenir ou prendre en charge lesquestions de violence.

Agir dès le début de la grossesse

L’entretien du quatrième mois, misprogressivement en place à travers leplan Périnatalitépermettra certainementde donner aux parents des conseils del’ordre de l’aide à la parentalité. Cettenotion de parentalité se définit commel’ensemble des réaménagements psy-chiques et affectifs qui permet à desadultes de devenir parents, c’est-à-direde répondre aux besoins de leur(s)enfant(s) sur trois niveaux : le corps (lessoins nourriciers), la vie affective, et lavie psychique ; ces recommandationsconcernent la mère mais également lepère, elles ont un rôle valorisant pour lesdeux. L’entretien du quatrième mois doitaussi servir au repérage des situations deviolence ou de vulnérabilité périnata-les et à l’orientation vers des profes-sionnels ou des institutions pour uneprise en charge éventuelle. Dans cetteperspective, il est indispensable quetous les dispositifs de suivi durant lagrossesse ne négligent pas les mèressocialement insérées qui sont parfoistrès isolées et souvent oubliées par lesdispositifs existants.

S’il est nécessaire de développer desespaces d’information et de socialisa-tion, il est également indispensable demettre en place des lieux de vie tem-poraires. Couples en grande exclusionsociale, femmes sans papiers, isolées,exclues… se retrouvent trop souventen déshérence pendant la grossesse etaprès l’accouchement. Ce problèmerequiert donc, pour être résolu, ledéveloppement de résidences sociales,de maisons maternelles ou d’apparte-ments thérapeutiques. Ceux qui exis-tent aujourd’hui sont vite saturés parrapport à la demande. Aucune alterna-tive n’est alors proposée.

Enfance et maltraitance :rétablir la cohérence des approches

Sur le sujet de la maltraitance, il y aune absence de culture commune– notamment entre magistrats et pro-

fessionnels du secteur médical – ainsiqu’un manque de coordination entreles acteurs médico-psycho-sociaux,judiciaires et éducatifs. Il en résulte desréponses mal adaptées, parfois violen-tes et des stratégies de contournementdes procédures (informations excessi-ves ou insuffisantes) qui se dévelop-pent aussi parmi les professionnels. Lesenfants victimes de violence dans lespopulations plus favorisées échappentencore trop souvent au repérage par lescircuits médico-sociaux, alors que lesphénomènes de violence y sont sansdoute tout aussi importants. Cette situa-tion est préoccupante et fait rarementl’objet de démarches spécifiques de la part des institutions. De plus, cespublics, socialement privilégiés, déve-loppent souvent des stratégies decontournement qui minimisent lesrisques de repérage par les acteurssociaux, comme par exemple à l’école(changement fréquent d’établissement).

Il est donc impératif de déterminer lescircuits conduisant le plus facilement àun signalement dans un certain type desituation ou pour des populations parti-culières. La démarche de protection doitpasser par une évaluation plurielle(médicale, psychologique, sociale, édu-cative) indépendante de l’étape de déci-sion des mesures de protection. Laresponsabilisation et la prise en comptede l’avis des parents sont le plus souventpossibles et nécessaires (démarche par-ticipative). L’élaboration du signalementet la préparation de la séparation, si elleest envisagée, méritent un travail de col-laboration pour éviter des violences sup-plémentaires. De même, toute démarchede protection doit inclure d’emblée letraitement de la pathologie du lien pourl’enfant et les parents.

Violence en milieu scolaire :agir en profondeur

À partir des expériences et program-mes réalisés aujourd’hui en milieu sco-laire (voir l’article de J. Fortin p. 18), plu-sieurs constats et recommandationspeuvent être faits. Il faut inscrire, defaçon obligatoire, dans la formationinitiale et continue des enseignants uneréflexion sur les facteurs (internes etexternes à l’école) favorisant la violenceet sur les principes de résolution dessituations conflictuelles. La formationdes maîtres orientée vers des savoir-faireet des savoir-être doit notamment contri-buer à favoriser une approche positive

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de l’enfant et des parents mais aussi per-mettre aux enseignants d’être attentifsaux signes de mal-être manifestés parles élèves, et favoriser le travail enréseau avec d’autres professionnels.

Il est donc indispensable de mettreen place des programmes associant le développement des compétencespsychosociales des élèves, notammentla gestion des conflits, l’implication desparents et la réflexion des enseignantssur leurs pratiques éducatives. Danstous les cas, l’accueil des familles lorsde la première rentrée est un momentclé. Il permet une écoute des parents,des difficultés avec les enfants, l’ex-ploration des lieux et des personnes…Ce moment d’échanges peut les aiderà devenir pleinement « parents d’élève »et à se réapproprier l’école.

Le sport intensif en causeChez l’enfant et l’adolescent, il est

essentiel de différencier l’entraînementsportif intensif classique – qui concerneun faible nombre d’enfants – et l’en-traînement sportif intensif en quelquesorte « dissimulé », qui touche un nom-bre plus important de sujets avec uncumul d’éducation physique et sportiveen milieu scolaire, des pratiques dansde petits clubs plus ou moins « sauva-ges » ou avec les parents, les copains…Si les risques les plus courants et lesplus visibles sont ceux d’origine trau-matologique, l’entraînement sportifintensif peut également engendrer desconséquences psychologiques et avoirdes répercussions sur la croissance del’enfant. À l’extrême, le dopage, lesentraînements abusifs et la maltraitancepeuvent être des effets néfastes de cetentraînement intensif.

Il est donc fondamental d’accorderun droit d’intervention, pour lesparents ou les professionnels, dansl’univers clos de la performance spor-tive. Parfois, la famille se rend complicedes violences de certains entraîneurs.Les parents deviennent agresseurs pourne pas sacrifier la carrière qu’ils pro-jettent à la place de leur enfant. Il fautdispenser une information claire desrisques d’entraînement sportif intensifauprès de toutes les personnes concer-nées : enfants et jeunes sportifs eux-mêmes, mais aussi parents, éducateurset entraîneurs, dirigeants, médecins,responsables d’établissement et lesmunicipalités.

Violence à l’adolescence : sortir des sentiers battus

La spécificité des adolescents – enparticulier les « transgressifs » – est qu’ilsdérangent continuellement une sociétéqui a du mal à accepter leurs compor-tements, souvent qualifiés de déviants.Cette situation engendre une perpétuelleremise en question des pratiques desprofessionnels. Devant une certaine dif-ficulté à agir, un souci constant doit êtred’apporter de la considération aux pro-fessionnels, notamment au vu des diffi-cultés quotidiennes qu’ils rencontrent.

Pour décoder cette violence, il fauttenir compte d’un parcours antérieur àl’acte chez l’auteur adolescent. Leséchecs scolaires, l’absentéisme… nesont pas toujours identifiés comme souf-frances psychologiques mais ce sontpourtant des signes avant-coureurs. Ilest difficile de reconnaître, dans lescomportements violents, la vulnérabi-lité, pourtant bien présente. Ces facteursqui entraînent vers l’acte de violencesont bien connus : états carentiels, dys-fonctionnements familiaux, etc. Danscette perspective, la souffrance de l’au-teur de violence (dépression, idées sui-cidaires, etc.) est une dimension encorepeu explorée. Au sein du système sco-laire, l’auteur est puni mais sa souf-france n’est pas prise en compte. Ilparaît donc nécessaire de sortir de lalogique dichotomique auteur/victime.

Trouver, aux côtés des jeunes, des adultes cohérents

Les adolescents se heurtent à l’ab-sence (ou l’insuffisance) de liens entreles partenaires adultes intervenantauprès d’eux. D’ailleurs, les adolescentsqui ne vont pas vers les structures sontceux qui n’en sentent pas la cohérence.Il existe alors des problèmes de rupturedans le suivi du jeune. Il faut doncobserver comment l’adolescent va sesaisir du partenariat car il en teste trèsbien la cohérence.

Il y a une vraie nécessité de campa-gnes locales d’information, de sensibi-lisation en direction des adolescents,qu’ils soient témoins ou confidents. Cesderniers doivent savoir ce qu’il faut faireet à qui s’adresser. Il importe égalementd’être attentif à l’affichage du problèmeà l’échelle des institutions. Ce traitementpeut avoir un impact positif ou négatifimportant sur le reste de la collectivité.L’anticipation et la prévention à froid

permettent certainement de prévenir lessituations d’urgence.

S’appuyer sur la richesse despersonnes et le droit au rêve

Il faut réhabiliter le jeu gratuit, le plai-sir et le droit au rêve. Cette recomman-dation n’est pas seulement une volonté« angélique » ou « utopique ». Elle est unepréconisation importante. En effet,comme cela a été rappelé concernant lapratique sportive, cette activité peut êtrela meilleure et la pire des choses. Alors,ne transformons pas ce jeu et ce plaisiren un instrument supplémentaire decombat, d’affrontement et de violence…

Dr François Baudier

Président du groupe « Périnatalité, enfance

et adolescence », travaux préparatoires

à l’élaboration du plan Violence et Santé

en application de la loi relative à la politique

de santé publique du 9 août 2004.

Christine Casagrande

Chef de projet,

Union régionale des caisses d’assurance

maladie de Franche-Comté, Besançon.

Cet article est inspiré du rapport rédigé à l’occasionde la préparation du Plan Violence et Santé. Nousremercions pour leur précieuse collaboration AnneTursz (Inserm), Véronique Mallet et Chantal Froger(direction générale de la Santé) ainsi que les présidentsdes trois groupes de travail Claude Lejeune (périna-talité), Jacques Fortin (enfance) et Patrice Huerre(adolescence). Un grand merci aux dizaines de spé-cialistes, experts ou professionnels qui ont travailléavec nous durant plusieurs mois pour proposer desrecommandations dont nous attendons toujours lamise en œuvre.

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Dans les années quatre-vingt, le pédiatre Jacques Fortin a conçu, avec des enseignants,le programme « Mieux vivre ensemble » au profit des élèves de maternelle et primaire.Cette démarche éducative a pour objectif de faire reculer la violence en développantles compétences psychosociales des enfants. L’évaluation de ce programme conclut àdes effets bénéfiques avérés : violence et agressivité reculent et les élèves dévelop-pent une meilleure estime de soi, y compris dans les classes les plus défavorisées. Unedémarche pédagogique de refus du déterminisme social et de l’exclusion. Ce programmecontinue à être mis en œuvre dans plusieurs régions de France.

Depuis une trentaine d’années, lesrecherches ont montré que la violencedes adolescents se construisait tout aulong de l’enfance (1) et que, pour laréduire, il fallait intervenir précocement(2). Nos propres observations dans lescollèges et lycées de l’académie de Lilledans le cadre du groupe de soutienGaspar (3) (voir aussi encadré ci-des-sous), créé en 1986, témoignent des limi-tes des interventions d’amélioration duclimat scolaire. Une minorité d’élèves adéjà acquis une pratique de la violence

comme « meilleur moyen pour obtenirce que l’on veut », comme ils disent. Lescaractéristiques personnelles de cesadolescents conduisent à penser qu’ilsn’ont pu développer depuis leur plusjeune enfance un certain nombre decompétences qui permettent à d’autresde savoir gérer les situations de frustra-tion, de stress ou d’agressivité auxquel-les chacun est habituellement confronté.

Aussi, en 1993, avec l’appui d’ungroupe d’enseignants volontaires, nous

avons élaboré une démarche de déve-loppement de compétences psychoso-ciales en école maternelle et élémen-taire, formalisée dans un didacticielpublié sous le titre : « Mieux vivreensemble dès l’école maternelle » (4).Cet intitulé témoigne à la fois du soucide créer les meilleures conditions pos-sibles d’apprentissage dans la classe etd’éduquer les élèves à la vie en sociétéà partir de l’expérience quotidienne decette microsociété qu’est l’école.

Plus qu’une méthode de préventionde la violence, la démarche vise ledéveloppement de compétences géné-riques, mobilisables à chaque instant dela vie sociale. Habituellement acquisesdepuis la naissance et tout au long del’enfance au sein des familles, ellesapparaissent déficitaires chez certainsjeunes compte tenu de leur environne-ment éducatif. Stimuler les compéten-ces dans la classe est donc redondantpour beaucoup d’écoliers et permet deles ancrer davantage ; d’autres décou-vrent qu’ils ont certaines compétences,apprennent à les mobiliser et en déve-loppent de nouvelles.

Quelles compétencesdévelopper ?

Une dizaine de compétences psycho-sociales sous-jacentes à la détermina-tion de nos comportements ont étédécrites par l’Organisation mondiale dela santé en 1999. Le développementd’une conscience positive de soi estessentiel : les personnes qui n’ont pasconfiance en elles ont des difficultés àfaire des choix, des projets, changent

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Un programme pour développer l’estime de soi chez les enfants

Gaspar : une structure d’aide aux enseignants pourgérer la violenceIl y a vingt ans, des professeurs de collège et lycée étaient confrontés à des actes de violencedans leur classe, dans et aux abords de leur établissement, dans l’indifférence, sinon le méprisde leurs collègues et de l’institution. Pour répondre à la souffrance que toute agression engen-dre, nous avons mis en place dans l’académie de Lille une structure rectorale d’aide collectiveaux personnels confrontés à des comportements traumatisants. Le Groupe académique de sou-tien et de prévention pour les adolescents à risques (Gaspar)1 poursuit aujourd’hui son travailen allant dans les établissements, à la demande d’enseignants et chefs d’établissement qui sonten difficulté pour résoudre les problèmes, notamment de violence. Écoute empathique desdifférents personnels et d’élèves, facilitation de l’expression en groupe de la souffrance, démar-che systémique conduisant à des réponses collectives qui engagent la direction, les enseignantset les élèves, mise en place de formations sur place et suivi des décisions mises en œuvre.Un protocole d’intervention a été validé et permet d’assurer les conditions indispensablespour une amélioration du climat dans l’établissement, au premier rang desquelles l’engagementeffectif du chef d’établissement et la cohérence des conduites et décisions des personnels.Autant on peut espérer une amélioration de la gestion et de la prévention des actes de vio-lence, autant il est difficile de modifier en profondeur des réactions agressives individuelles chezdes adolescents qui en ont la pratique depuis la petite enfance ; aussi plaidons-nous pour desinterventions collectives très en amont.

J. F.

1. Gaspar : rectorat de Lille - Cité académique Guy-Debeyre - 20, rue Saint-Jacques, BP 709 - 59033 LilleCedex.

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peu leurs comportements par peur del’échec. Une estime de soi négative for-gée dès la petite enfance par la répéti-tion de remarques dévalorisantes entre-tient ce manque de confiance, favorisedes sentiments de frustration, d’anxiétéet d’agressivité. En lien avec cette com-pétence, l’aptitude à communiqueravec l’autre, à établir des relations inter-personnelles, à savoir résoudre des pro-blèmes ou des conflits et à savoir pren-dre des décisions en sachant fairepreuve d’esprit critique constitue lesocle d’une capacité à vivre en sociétéde manière épanouie et enrichissante.

Une démarche intégréeà la pédagogie au quotidien

Les compétences ne s’apprennentpas dans des textes mais se vivent auquotidien. Aussi notre démarche sedéfinit comme expérientielle et trans-actionnelle, c’est-à-dire que les compé-tences s’ancrent dans les échangessociaux. Expressions orale, écrite, cor-porelle, artistique telles que décritesdans les missions de l’école, et qui sontl’ossature de la pratique pédagogique,sont autant de voies pour aborder lechamp des compétences psychosocia-les de manière active et participative,sans qu’il soit nécessaire d’ajouter unediscipline supplémentaire à un pro-gramme déjà chargé.

Un temps fort hebdomadaire dequinze à quarante-cinq minutes selonl’âge des élèves permet d’introduire unenotion nouvelle (la colère, les qualitésdes autres, les disputes, la liberté dechoisir, etc.) à partir de la lecture d’untexte. La discussion qui suit permetd’acquérir du vocabulaire (préciser lesens et l’usage des mots du texte qui serapportent au sujet, recherche de syno-nymes), de susciter des réflexions per-sonnelles (qu’est-ce qui me met colère,comment je l’exprime verbalement etphysiquement, comment elle se calme,quel rôle jouent les autres quand je suisen colère ; puis-je mettre une qualité enface de chaque nom d’élève, commentles repère-t-on, pourquoi je ne connaispas les qualités de certains, etc.) ; cettediscussion permet ainsi d’évoquer l’ex-périence, le vécu individuel exprimésdans un cadre discipliné de libérationde la parole (intégration première derègles) ; le mime, les jeux de rôle per-mettent de mieux repérer les émotions,de vivre une situation et expérimenterdifférentes solutions à un problème,

d’en analyser les conséquences et déve-lopper un esprit critique pour l’ensem-ble des apprentissages, notammentcognitifs.

Souligner les progrès réalisésMais l’essentiel du travail se fait dans

l’utilisation au quotidien des notionsabordées antérieurement. Au coursd’une séquence de calcul ou de gram-maire, on peut évoquer l’intérêt derespecter l’expression de l’autre en nelui coupant pas la parole ni en semoquant de lui, de souligner les pro-grès réalisés et qui inscrivent l’élèvedans une spirale de réussite, de susci-ter un travail de recherche en communqui permet d’apprécier la complémen-tarité des compétences de chacun, derappeler des règles de vie de la classeauxquelles chacun a souscrit. Unebagarre dans la cour de récréation estrapportée en classe : agresseur etagressé expriment les émotions per-çues, essaient de dire pourquoi les motsn’ont pas suffi à régler le conflit ; les élè-ves témoins expriment leur indifférenceou, au contraire, leur intervention à plu-sieurs pour mettre un terme au diffé-rend. Pour illustrer son enseignement,l’enseignant pensera à chercher lesexemples positifs dans le quotidien deses élèves, valorisant un environnementhabituellement décrit comme « pourri »,« nul » et qui accède ainsi au statut« d’objet pédagogique » !

Des résultats rapidesUne évaluation quantitative a été

menée en 2000-2002 à partir d’un ques-tionnaire (5) d’évaluation de quatretypes de comportements des élèves degrande section de maternelle au CM2 :hyperactivité, agressivité, retrait, proso-ciabilité. Dans chaque classe, le ques-tionnaire a pu être rempli pour chaqueélève par les enseignants de trois éco-les de quartiers en difficulté, durant troisannées, la première passation se situantavant la mise en œuvre. Les enseignantsont bénéficié d’une formation théoriqueet pratique de deux jours, puis d’un suivitrimestriel la première année, annuel etpar école les années suivantes. Danschacune des sections, on a observé uneamélioration des scores comportemen-taux, surtout la première année où desdifférences statistiquement significativesont été enregistrées.

Du point de vue qualitatif, on cons-tate un intérêt unanime des élèves (« Onparle de la vraie vie ! »), qui acquièrentun vocabulaire permettant de verbaliserleurs émotions, de réfléchir en groupesur leurs comportements de transgres-sion en recherchant et en expérimen-tant des solutions alternatives. Legroupe, plus solidaire, intervient dansles bagarres et les rackets de manièreefficace. Certaines classes ont formé desélèves à la médiation pour faciliter larésolution des conflits. Les enseignants

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rapportent une amélioration du climatde la classe après quelques semaines depratique régulière. Si des bagarres per-sistent, elles sont isolées, vite concluessymboliquement par une poignée demain. Les transgressions sont perçues etacceptées comme telles, et vont endiminuant. Le moteur de ce change-ment est avant tout le souci de l’ensei-gnant de souligner auprès de chacundes élèves ses réussites, dans quelquedomaine que ce soit, cognitif, artistique,moteur, relations sociales. L’effort pourprogresser est tout autant valorisé quele résultat, afin d’inscrire l’élève dansune spirale de motivation à réussir. Ledeuxième élément est la connaissanceréciproque des compétences au sein dugroupe, ce qui donne des repères dansla communication et la compréhensiondes comportements, et par là-mêmecontribue à réduire l’agressivité née demalentendus non éclaircis faute d’ha-bitude de verbalisation des émotions.Enfin, la cohérence des règles de vieau sein de la classe et la constance deleur application procurent un sentimentde sécurité.

Changer pour faire changer :une formation indispensable

Après une douzaine d’années depratique, on se rend compte que ladémarche de « Mieux vivre ensemble »est à la fois simple et exigeante. Sim-ple car elle rejoint les pratiques sécu-laires de pédagogues, et notammenttous ceux qui se réclament de Freinet etdes pédagogies institutionnelles, quiposent le souci éducatif de l’élèvecomme condition de la réussite desapprentissages. Exigeante, car l’ensei-gnant n’y apparaît pas comme un sim-ple transmetteur de savoir mais commeune personne dont la manière d’être etde faire (modèle identificatoire) condi-tionne grandement les comportementsde ses élèves. Cette exigence est jugéeintolérable par bon nombre d’ensei-gnants, qui refusent notre démarche oul’abandonnent dès que les élèves utili-sent leurs compétences pour exprimer,par exemple, leur émotion d’être dépré-ciés par le « maître », (le « t’es nul », tou-jours vécu comme violence verbaleextrême par les élèves) ou souligner lesincohérences dans l’application desrègles.

Les activités décrites dans le manuelne sont qu’un support et n’ont en soiaucun effet sur les comportements des

élèves si l’expérience quotidienne resteà distance des principes abordés. C’estpourquoi nous insistons pour que,avant de se lancer dans la démarche, lesenseignants puissent bénéficier d’uneformation qui souligne la dimensioninteractive des comportements et lesprépare aux réactions des élèves. C’estlà que nous nous heurtons au peu desoutien de la part de l’institution. Raressont les inspecteurs de l’Éducationnationale qui s’intéressent suffisammentà la démarche et accordent un temps deformation aux enseignants volontaires.Dans le département du Nord, à Paris,près de Clermont-Ferrand, où une éva-luation dans cinquante-sept classes estconduite durant quatre ans sous ladirection de l’IUFM, nous avons trouvédes interlocuteurs convaincus par lesrésultats observés ; les enseignants quiont intégré les principes de la démarcheen sont les meilleurs diffuseurs. Desinitiatives similaires sont menées enBelgique, en Suisse, au Québec etconduisent aux mêmes résultats ; enGrande-Bretagne, le développementdes compétences sociales est inclusdans la formation des futurs ensei-gnants.

Cohérence éducativeécole/famille

L’articulation du travail scolaire avecla famille est un des points importantsen cours de recherche. Si tous lesparents sont tenus régulièrement infor-més de la démarche et individuellementdes progrès de leur enfant, la recherched’une cohérence éducative entre milieuscolaire et familial pose problème dansles foyers où la violence s’exerce auquotidien. Des résultats positifs ponc-tuels ont pu être enregistrés lorsque l’en-seignant a pu dialoguer avec les parentsà partir de la discordance entre le com-portement positif observé en classe et lecomportement très négatif rapporté parles parents. La démarche repose sur lesmêmes principes : témoigner auxparents qu’on entend leur souci d’avoirun enfant le meilleur possible, suggé-rer des initiatives éducatives qui réus-sissent en classe, tels la notification sys-tématique de la réussite de tâchesménagères banales et le plaisir qu’elleapporte aux parents, renoncer aux châ-timents corporels en se cantonnant à lasignification d’un mécontentement, sti-muler et écouter de manière empa-thique l’expression des émotions, etc.Plus accessible est le fait d’associer d’au-

tres lieux éducatifs, récréatifs, sportifs ouartistiques à cette démarche. Soulignonsl’expérience positive de formation encommun des enseignants et des anima-teurs municipaux du temps périscolairedans le XIe arrondissement de Paris.

Jacques Fortin

Pédiatre, professeur honoraire en sciences de

l’éducation à la faculté de médecine de Lille.

◗ Référencesbibliographiques

(1) Côté S.M., Vaillancourt T., Le Blanc J.C.,Nagin D.S., Tremblay R.E. The developmentof physical agresion from toddlehood to pre-adolescence: a nation wide longitudinalstudy of canadian children. J. Abnorm. ChildPsychol. 2006; 34(1): 71-85.(2) Tremblay R.E., Mâsse L.C., Pagani L.,Vitaro F. From childhood physical aggressionto adolescent maladjustment: The MontrealPrevention Experiment. In: Peters R.D.,McMahon R.J. (dir.) Preventing childhood dis-orders, substance abuse, and delinquency.Thousand Oaks (CA), Sage, 1996: 268-98.(3) Fotinos G., Fortin J. Une école sans vio-lence ? Paris : Hachette-Éducation, coll.Pédagogies pour demain, 2000 : 383 p.(4) Fortin J. Mieux vivre ensemble dès l’écolematernelle. Paris : Hachette-Éducation, coll.Pédagogie pratique, 2001 : 144 p.(5) Weir K., Duveen G. Further developmentand validation of the prosocial behaviourquestionnaire for use by teachers. J.ChildPsychol. Psychiatry 1981; 22(4): 357-74.

◗ Pour en savoir plus• Démarche « Mieux vivre ensemble dès l’école maternelle » contact : [email protected] voisines • Beauragard L.A., Bouffard R., Duclos G.Estime de soi et compétence sociale :recueil d’activités pour les 8-12 ans. Montréal : Éditions de l’hôpital Sainte-Jus-tine, coll. Estime de soi, 2000.• Lapointe Y., Bowen F., Laurendeau M.-C.,Guay S. Contes sur moi, programme de pro-motion des compétences sociales. Mon-tréal : hôpital Rivière-des-Prairies, 2003.Plus spécifiquement par rapport à laviolence • Face au conflit : spécial guide de res-sources sur la gestion non violente desconflits. Non-violence Actualité, n° 288, septembre-octobre 2006.www.nonviolence-actualite.org.

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Dans la région de Carpentras, éducateurs et enseignants mettent en œuvre depuis2005 un programme d’éducation pour la santé et de prévention des violences sexuel-les, en travaillant sur les relations garçons/filles. Des conteurs interviennent dans les éta-blissements scolaires et d’autres structures, comme les missions locales, puis les ensei-gnants amènent les jeunes à réfléchir collectivement et à s’exprimer sur la relation àl’autre. Un programme initié par le comité départemental d’éducation pour la santé.

À l’origine de ce programme, leconstat en 2003-2004 de violences entregarçons et filles sur le territoire de Car-pentras dans le Vaucluse, dont plusieursviols collectifs de la part de jeunes,mineurs pour beaucoup d’entre eux. Lapopulation est en émoi, les médiaslocaux titrent toujours en premièrepage sur ces événements. Les acteurssociaux et éducatifs partagent large-ment ce désarroi.

C’est ainsi que deux éducateurs,chefs de service de la Prévention spé-cialisée et de la Protection judiciaire dela jeunesse viennent solliciter notreassociation, le comité d’éducation pourla santé (Codes) de Vaucluse, pourréfléchir au phénomène et les aider àélaborer une action éducative plus col-lective et plus en amont qu’ils ne peu-vent le faire dans leur pratique habi-tuelle. Un projet sur ce même thèmeavait été élaboré sur le Territoire de Bel-fort, avec une intervenante conteuseillustrant lors d’une même séance d’a-nimation quatre situations de violenceentre filles et garçons. C’est le point dedépart du programme.

Un comité de pilotage se constituedès février 2005, il associe outre cestrois partenaires initiaux (Codes/pré-vention spécialisée/PJJ), le Mouvementfrançais du Planning familial, desconteurs, un psychologue. Des constatscommuns sont posés :– dans de nombreux lieux de vie, lesrelations entre garçons et filles sont ten-dues, voire violentes, les discours dis-criminatoires sont fréquents, les rap-ports au permis et à l’interdit, à la loi, àla règle parfois très confus pour certainsjeunes ;– le rôle des médias est trop rarement

débattu avec les jeunes : les représen-tations de la femme et plus générale-ment des corps, véhiculées par la mode,la publicité, la télévision, Internet, etc.,viennent percuter des enfants à unmoment essentiel de leur évolution. Ledéveloppement psychologique etcognitif de l’enfant se construit ainsi deplus en plus avec les images fourniespar la télévision et par les autres médias ;– le conte peut être un outil de com-munication original. Le conte est à lafois un genre littéraire et une pratiqueculturelle et sociale qui fascine : pas uneépoque, pas une civilisation, pas unetranche d’âge ne semblent échapper àsa magie. Les contes sont inscrits dansune tradition orale : ils voyagent à tra-vers les pays, les époques, les cultureset revêtent ainsi un caractère souventuniversel. La parole, et notamment cellesuscitée à l’issue des contes, doit pou-voir faire sens, pacifier, aider à uneinscription dans la différence des sexeset dans le lien social ;– un travail dans la durée est essentielpour un impact éducatif réel. Ce pro-gramme privilégie une démarche s’éta-lant sur plusieurs mois et sur plusieursséances de conte et d’animation.

Deux premières annéesd’expérimentation

« Si l’amour leur était conté… », pro-gramme d’éducation pour la santé et deprévention des violences sexuellesentre filles et garçons dans le Vaucluse,démarre en 2005-2006 dans cinq struc-tures scolaires (collèges) mais aussi horsscolaires (centre social, école ouverte),puis dans dix en 2006-2007 (en s’éten-dant à des lycées et à une mission localeet une maison familiale), soutenu toutd’abord par le conseil général de Vau-cluse, la Ddass, la Fondation de France,

puis aussi par le conseil régional dePaca. L’objectif général est de prévenirles violences – dont les violencessexuelles – dans les relations entre gar-çons et filles, pour des jeunes de 11 à20 ans. Et, de façon plus spécifique,nous cherchons à amener les jeunes àréfléchir collectivement et à s’exprimersur la relation à l’autre, la relation amou-reuse, le respect de l’autre et de soi,l’existence et le sens des lois, des règles.

Une formation initiale de trois joursprépare les enseignants (français, SVT,histoire-géographie) de ces dix struc-tures à intervenir sur les représentationsdes relations garçons-filles, de la sexua-lité et des violences à partir des contesutilisés. Il s’agit essentiellement decontes merveilleux.

Trois séances de contes espacées dequinze jours environ sont organiséesauprès de chaque groupe de quinze àtrente jeunes, puis trois autres rencon-tres basées sur l’échange à partir dudécodage de trois contes différents. Lesséances de contes sont animées partrois conteurs professionnels différentspour chaque conte, et les temps dedébats et d’échange par l’enseignantréférent de la classe.

Le conte et les côtés obscursde l’être humain

De nombreux ajustements ont eulieu depuis le démarrage du pro-gramme :– les conteurs ne sont plus seulementdeux femmes, mais deux femmes et unhomme (dont la présence masculine etl’origine marocaine renforcent l’impactdu projet auprès des jeunes) ;– les animations n’ont plus lieu immé-diatement après les séances de contes

« Si l’amour leur était conté… »

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Dans le canton de Genève, en Suisse, les services de santé publique des enfants et ado-lescents ont mis en place un dispositif en milieu scolaire pour prendre en charge lesmaltraitances dont les enfants sont victimes. La systématisation des cours d’éducationsexuelle permet d’ouvrir la réflexion, l’action repose sur une forte implication du méde-cin et de l’infirmière scolaire, qui sont déchargés de leurs tâches traditionnelles. Plutôtque de se baser sur le dépistage et le signalement systématique, qui génèrent des abus,ce dispositif privilégie la promotion de la santé globale et le droit de l’enfant.

Comment prévenir les violences etmaltraitances envers les enfants et ado-lescents ? Quel est le rôle de l’école etdes services de santé et sociaux pour lesélèves ? L’approche développée àGenève se fonde sur le respect et lesdroits de l’enfant, la promotion de lasanté et de la résilience.

La prévention des violences et mal-traitances ne va pas de soi. Depuis queces problèmes sont reconnus, d’impor-tants efforts de prévention se sont déve-loppés. Ils ont surtout montré les dif-ficultés, une efficacité relative oudouteuse, et parfois des dériveséthiques (1). Pour faire court, retenonsqu’un dépistage actif doit être évité, que

des programmes de prévention pri-maire ne diminuent pas le risque d’abuset peuvent engendrer un sentimentd’invulnérabilité inadéquat. Cependantces programmes peuvent favoriser lademande d’aide auprès d’un profes-sionnel compétent, ce qui est un effetpositif en lien avec la résilience. Cettebase nous a permis de poser pour laprévention en milieu scolaire les objec-tifs suivants :– éduquer à la santé et aux droits de lapersonne ;– renforcer les compétences pourdemander de l’aide en cas d’abus ;– mettre à disposition dans l’école desprofessionnels compétents ;– organiser le réseau professionnel avec

l’école, la santé scolaire, la protectiondes mineurs, les hôpitaux, les méde-cins, la police et la justice, pour uneprise en charge coordonnée.

Une telle action cohérente et arti-culée pourra prendre du sens pour l’en-fant, dans son évolution.

Éducation contre les abussexuels

Éduquer à la santé et aux droits del’enfant : la sensibilisation aux maltrai-tances et abus sexuels doit s’intégrerdans l’éducation sexuelle, à partir desnotions de droit de l’enfant, de risqueset de résilience. Les cours d’éducationsexuelle réguliers, dans toutes les clas-

À Genève, l’école, lieu central de prévention des maltraitances

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mais dans les jours qui suivent afin depermettre aux jeunes de cheminer defaçon personnelle avec l’impact du récitet de faciliter une première prise derecul ;– la fonction d’animation de la réflexionet des débats à la suite des contes estexplicitement dévolue aux enseignants,désormais formés et préparés à cela etseuls en capacité à être dans une atti-tude d’écoute, de suivi et d’attention auquotidien auprès des jeunes. Leurs qua-lités relationnelles et pédagogiques sontessentielles ;– les contes sont moins sélectionnéspour leur illustration directe de faits deviolence que pour leur évocation derelations amoureuses et de leurs diffi-cultés ;– les initiatives des enseignants per-mettant une appropriation et un pro-longement plus importants encore deces sujets par les jeunes sont davantage

encouragées : des débats, poésies, théâ-tre, ateliers d’écriture, études d’œuvreslittéraires ou cinématographiques, etc.)sont ainsi organisés.

Reste l’essentiel : la force d’impact duconte ! Non, le conte n’est pas seule-ment fait « pour les petits », comme cer-tains nous en ont confié la crainte audémarrage du projet : des séancesauprès de jeunes adultes en missionlocale ont été parmi les plus réussies.Le conte et la relation aux conteursconstituent un mélange de fascination etde transport dans les univers incons-cients, personnels mais aussi sociaux dechacun. Par eux-mêmes, les contessignifient qu’il y a des choses à respec-ter si l’on veut grandir, ils posent la ques-tion de la règle et de la loi. La civilisationrepose sur la contrainte et le renonce-ment (à ses pulsions, à ses désirs immé-diats…) : le conte rappelle cela. Mais il

ne nie pas pour autant les côtés obscurs,haineux, repoussants ou violents de l’être humain. Il aide à les identifier, à lesdépasser et à les transcender. Ce pro-gramme permet ainsi d’interroger lesdifférentes formes de l’amour, le désir,les pulsions, mais aussi les tensions, lesviolences, le respect ou le consente-ment. Les jeunes nous confient n’avoirhabituellement aucun lieu ou interlo-cuteur pour parler de ces questions dif-ficiles. Si le conte rend cette réflexionpossible, c’est parce qu’il nous plongenon pas dans des réalités sordides, maisdans des univers métaphoriques, quipermettent à la fois la distanciation, maisaussi l’appropriation et la réflexion surces questions difficiles.

Alain Douiller

Directeur,

comité départemental d’éducation

pour la santé de Vaucluse, Avignon.

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23LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

ses, permettent d’ouvrir une réflexionsur les abus sexuels, le respect et la pro-tection. Dans le programme « Avec pru-dence, avec confiance », nous abordonsavec les élèves de 2e année (7 ans) lesnotions d’intimité, de risques, et l’im-portance de se confier à une personnecompétente en cas de problème (2).Réorienter la médecine scolaire : tradi-tionnellement, son rôle se centrait sur lecontrôle de la santé et le dépistage demaladies. Nous avons remplacé cesactivités en partie désuètes par des visi-tes de santé menées par l’infirmière sco-laire (3). Le but est un dialogue avecl’enfant et sa famille sur ses besoins desanté pour sa vie scolaire et sociale etd’identifier l’infirmière comme une res-source au service de l’enfant.

Prise en charge socio-éducativeprécoce

La détection et l’intervention précocedécoulent ainsi de l’écoute de l’enfant,sans aucun activisme. Si l’infirmièredétecte une maltraitance, ou si unesituation lui est signalée par un ensei-gnant ou un enfant, elle avise le méde-cin scolaire référent. Ensemble, ils fontune première évaluation du cas, dansl’école, pour voir quelle suite devraitêtre donnée. Cette évaluation initialepermet de voir si le cas doit être signaléaux services de protection des mineursou de police, si une audition enregistréeest nécessaire, ou d’autres mesures. Siune suspicion de maltraitance demeure,l’enfant est adressé immédiatement auservice de protection des mineurs, pourdes mesures de protection et une éva-luation ; au besoin la situation est

dénoncée pour des suites pénales.Dans les cas moins graves, un appuiéducatif est mis en œuvre.

Cette approche différenciée permetde donner une réponse adaptée au cas,et surtout une prise en charge précocede situations par un soutien socio-édu-catif. L’adéquation de cette approchepar rapport aux besoins des enfants sevérifie par la réponse de ces dernierset l’augmentation très forte du nombrede situations prises en compte par lesinfirmières et médecins scolaires. En1989, le service de santé scolaire avaitpris en compte 12 cas de maltraitanceà Genève ; ce chiffre passait à 113 en1995, 328 en 2000, 527 en 2005 ! À celas’ajoutent plus de 1300 situations d’en-fants en risque ayant fait l’objet d’uneévaluation et d’un suivi par les infir-mières et médecins scolaires.

Signalements infondésCe dispositif basé sur la santé sco-

laire est préférable à un signalementautomatique à la justice par l’école. Celaconduit en effet à des signalementinfondés entraînant, pour les familles,un sentiment d’injustice et de méfiance,et pour les services administratifs etjudiciaires un encombrement et unesurcharge ; en retour les professionnelsde première ligne tendent à retenir dessituations…

La conjugaison des actions d’éduca-tion aux droits de l’enfant et à la santéet la présence de professionnels de lasanté disponibles, à l’écoute de l’enfant,créent dans les écoles un dispositif

cohérent, pertinent, respectueux desenfants et de leurs demandes. Ce chan-gement de pratique a inscrit la santéscolaire dans une authentique démar-che de promotion de la santé et desdroits de l’enfant.

Paul Bouvier

Pédiatre et médecin de santé publique,

directeur du Service de santé de la jeunesse

du canton de Genève, Suisse.

ContactService de santé de la jeunesse, 11 Glacis-de-Rive, case postale 3682, CH-1211Genève 3, Suisse. Contact e-mail : paul.bou-vier at imsp.unige.ch

◗ Référencesbibliographiques

(1) Mounoud R.L., Bouvier P. La difficile pré-vention des abus sexuels d’enfant. In : Halpé-rin D.S., Bouvier P., Rey-Wicky H. À contre-cœur, à contre-corps. Regards pluriels sur lesabus sexuels d’enfant. Une enquête épidé-miologique auprès d’adolescents. Genève :Médecine et Hygiène, 1997 : 180 p.(2) Bouvier P. « Avec prudence, avecconfiance » : l’apport de la résilience pour laprévention des abus sexuels en milieu sco-laire. Rev. française Psychiatrie Psychol.Médicale 2004 ; 7 : 47-51.(3) Bouvier P. Postface. In : Zottos E. Santé,jeunesse ! Histoire de la médecine scolaireà Genève : 1884-2004. Genève : Service desanté de la jeunesse et La Criée, 2004 :221 p.

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Il faudra des générations pour modifier les rapports sociaux fondés sur la dominationde l’homme sur la femme, qui nourrit les actes de violence. Violences conjugales, muti-lations sexuelles, prostitution, violences homophobes sont culturellement ancrées. Maisles représentations et les pratiques évoluent. Les experts qui ont travaillé sur la théma-tique « Genre et violence » proposent de placer les personnes victimes de violence aucœur du système de soin, de sensibiliser et surtout de former les professionnels de santé,de soutenir davantage encore les associations, qui font un travail irremplaçable de pro-ximité. Ils citent des initiatives exemplaires prises à Clermont-Ferrand, Toulouse, Bor-deaux et dans le Pas-de-Calais. Ils soulignent combien l’impact des violences conjuga-les sur l’enfant qui en est témoin doit être pris en compte.

La commission « Genre et violence »a abordé les violences qui s’expliquentspécifiquement par les « rapports degenre », c’est-à-dire par la division his-torique des rôles entre hommes et fem-mes, basée sur des justifications philo-sophiques, politiques, biologiques ousociales, qui ont varié au cours de l’his-toire. La question du « genre » s’estinscrite dans une problématique situéeau croisement de réalités physique etpsychique concernant la santé, et deréalités sociales concernant les violen-ces. Cela suppose d’abord de com-prendre et de combattre les violences,en faisant abstraction des caractéris-tiques des personnes qui exercent ousubissent les violences, et plus parti-culièrement de la variable « sexe de lavictime » et « sexe de l’agresseur », quifait partie de l’explication fondamentalede certaines violences.

Les hommes et les femmes sont à lafois pris dans des rapports sociaux exis-tants et acteurs de la reproduction/transformation des modalités de ces rap-ports. Les rapports sociaux se réélabo-rent à chaque génération dans les pro-cessus de socialisation et les interactionsquotidiennes. Plusieurs générations sontprobablement nécessaires pour modi-fier et démocratiser réellement uneinégalité aussi profondément inscritedans l’histoire de l’humanité. Et ce tra-vail ne peut se faire sans une action édu-cative qui sera plus particulièrementdéveloppée dans cet article.

Aborder les relations entre la santé etles violences en termes de « genre » per-met d’expliquer plusieurs types demécanismes que l’on peut problématisersous la forme des questions suivantes :– pourquoi les violences masculinessont-elles une manifestation persistantede domination des hommes sur les fem-mes et de reproduction de celle-ci dansla société moderne ? ;– pourquoi s’exercent-elles principale-ment dans la sphère privée ? ;– pourquoi certaines violences peuventavoir comme but d’atteindre l’honneurd’hommes adversaires, à travers lecorps de « leurs » femmes, comme dansle cas des viols de guerre ? ;– pourquoi certains hommes qui n’ontpas une position sociale dominante uti-lisent-ils la violence dans la sphère pri-vée pour rétablir leur image ou uneforme de pouvoir et se trouver ainsiconformes au modèle social ? ;– quelles sont les répercussions des vio-lences sur le corps et sur la santé men-tale des femmes, et donc pourquoi faut-il les combattre au nom de l’égalité àatteindre mais également en termes desanté publique ? ;– quel est l’impact de ces violences surla santé des enfants et comment peut-on observer des mécanismes de repro-duction intergénérationnelle ?

Outre l’examen de ces questions,nous avons centré nos travaux sur plu-sieurs autres thématiques :– identifier des violences qui sont des-

tinées à « punir » ceux ou celles quis’écartent du modèle hétérosexuel basésur la domination masculine virile ;– aborder la prostitution, en tant quemarchandisation de la sexualité et ducorps de femmes et d’hommes qui s’ins-crivent dans la même relation ;– analyser des pratiques de domina-tion qui peuvent être exercées par desfemmes quand elles croient de leurdevoir d’imposer à leurs filles les nor-mes qu’elles ont elles-mêmes subies :cas des mutilations sexuelles et autres« pratiques traditionnelles néfastes ».

L’ensemble de nos réflexions avaitpour but d’ouvrir de nouvelles possi-bilités d’intervention en s’attaquant à lasource des problèmes : affronter direc-tement les systèmes de valeurs et leurspratiques. Pour cela, il faut aussi agirauprès des auteurs de violences etengager des actions de préventionauprès de jeunes des deux sexes.

Violences intrafamilialesParmi les principales formes de vio-

lence à prévenir, l’une est dominante,il s’agit des violences intrafamiliales.L’Enquête nationale sur les violencesenvers les femmes en France (Enveff)1

dont les résultats ont été présentés en2001, a mis en avant l’importance desviolences faites aux femmes dans leurfoyer. Elle a révélé qu’elles y sont plussouvent en danger que dans un espacepublic. Tous les types de violence y sontretrouvés, qu’il s’agisse de violence

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Éduquer à la santé, pour que genre ne rime plus avec violence

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physique, de violence sexuelle, de vio-lence économique ou psychologique.

Le récent constat réalisé par le HautComité de la santé publique intitulé« Violences et santé »2 rappelle que lafamille constitue le lieu où la loi inter-vient le moins et où s’observent les vio-lences les plus fréquentes envers lesfemmes.

Cette violence sévit dans toutes lesclasses sociales, presque dans la mêmeproportion, quoique certains facteursassociés puissent apparaître, comme lechômage ou, d’un autre point de vue,les convictions religieuses, qui condi-tionnent certaines représentations de la famille. Quant à l’alcoolisme duconjoint, il multiplie par cinq les situa-tions de violences globales et par dix lessituations de violences très graves.

Des violences occultées par les femmes

Second enseignement de l’enquêteEnveff : les femmes occultent les vio-lences qu’elles subissent… et nombred’entre elles en ont parlé pour la pre-mière fois lors de cette enquête. Les rai-sons pour lesquelles les femmes nequittent pas leur compagnon violentsont multiples et associées : elles espè-rent tout d’abord pouvoir changer lecomportement de leur compagnon, enl’aidant et le soutenant ; elles souhaitentaussi préserver l’unité familiale ; lemanque de ressources économiques etles obstacles à une séparation peuventleur sembler insurmontables. Elles peuvent également subir des menacesportant sur elles-mêmes, leurs enfantsou des membres de leur famille, et ces menaces anéantissent tout espoird’échapper à la situation. À tous cesmotifs s’ajoutent souvent une mécon-naissance de leurs droits ainsi que celledes lieux qui pourraient les accueillir.Lorsque ces femmes parlent de ces vio-lences, près d’une fois sur quatre, c’estau médecin qu’elles s’adressent.

Les mutilations sexuellesLes mutilations sexuelles féminines

ont des conséquences immédiates et àlong terme sur la santé des femmes. EnFrance, on estime à environ soixantemille le nombre de femmes et de fillet-tes mutilées ou menacées de l’être. Lespopulations concernées par ces vio-lences sont essentiellement concentréesdans quelques régions : Ile-de-France,

Haute-Normandie, Rhône-Alpes, Pro-vence – Alpes – Côte d’Azur, Poitou-Charentes, Pays de Loire, Nord – Pas-deCalais, Champagne-Ardenne et Picar-die3 (voir à ce propos l’article de N. Fallp. 29).

Une violence particulière : la prostitution

La prostitution de rue révèle de nou-veaux contours :– plus mobile, plus clandestine et moinsaccessible (notamment aux actions deprévention) ;– avec une présence accrue des proxé-nètes (réseaux) et des forces de l’ordre ;– faisant appel à de nouvelles techno-logies (pour la prise de rendez-vous,pour le contrôle exercé par les proxé-nètes), sur de nouveaux territoires et àde nouveaux horaires.

La prostitution de rue se précariseadministrativement, économiquementet socialement. Cette dégradation estnaturellement liée à la situation de per-sonnes prostituées issues de groupesparticulièrement vulnérables, de la satu-ration du marché alors que la demandeest aujourd’hui moins forte, ce qui anaturellement entraîné une baisse destarifs.

Les violences homophobesÀ l’initiative prise par Michael Pol-

lak4, à partir de 1985, une enquêteconduite dans la presse gaie fut diffu-sée en France. Elle a commencé par unquestionnaire de quatre pages inséréjusqu’en 1992 dans Gai Pied hebdo,puis a été proposée dans six revueshomosexuelles, lors de la disparition dela première. Cette enquête a reçu plusde huit mille réponses sur une périodeallant jusqu’en 2000.

Il ressort de ces enquêtes que ladimension santé est éminemment pré-sente dans la perspective d’une amélio-ration de la connaissance des attitudeset des comportements de la populationhomosexuelle et bisexuelle face aurisque du sida, avec une évidente viséepréventive.

En matière de genre, on peut trouverdes données concernant les rapportssociaux de sexe. Les questions de pou-voir et d’interaction entre hommes etentre hommes et femmes y sont effec-tivement présentes. Cette question de laviolence est abordée dans une étudesuisse réalisée par l’institut de médecinesociale et préventive de l’université de Zürich et l’association Dialogai5 qui

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rapporte que les hommes gais auraienttrois fois plus de risque d’être agressésqu’un homme hétérosexuel (35 % deshommes gais interrogés auraient subiune forme de violence durant lesdouze derniers mois contre 10 % dansla population masculine en Suisse).

Recommandationspour prévenir ces violences

Après avoir dressé ce constat, lacommission a formulé un ensemble derecommandations dont voici l’essentiel.

Placer les personnes victimes de violence au cœur du système de soin

Chaque établissement hospitalier,public et privé, devrait être chargé d’or-ganiser l’accueil, la prise en charge,éventuellement pluridisciplinaire, dedéfinir et mettre en œuvre les mesuresd’accompagnement et de suivi des per-sonnes victimes de violence, en lien avecla certification mise en œuvre par laHaute Autorité de santé (HAS). Ce dispo-sitif doit être mis en place en tenantcompte de l’historique et des spécificitésde chaque établissement. Cet objectifconcerne aussi la médecine de ville.

Des équipes mobiles hospitalièresdevraient être créées afin que les éta-blissements hospitaliers soient un relaiset un point de coordination pour laprise en charge des victimes, voire desauteurs (sur le modèle des équipesmobiles de prise en charge des patientsalcooliques ou toxicomanes, des équi-pes mobiles de gériatrie ou de psy-chiatrie).

Nous préconisons aussi la constitu-tion de réseaux ville-hôpital expéri-mentaux sur le thème Santé et violence,dans deux ou trois régions volontaires.La prise en charge de personnes victi-mes de violence concerne en effetchaque professionnel de santé, qui peutêtre amené dans le cadre de sa pratiquesoit à recevoir des victimes, soit à enassurer le suivi.

Sensibiliser et former les professionnels de santé

L’information systématique de l’en-semble des acteurs6 amenés à interve-nir dans le cadre du dispositif sanitaired’accueil des personnes victimes de vio-lence mis en œuvre au niveau local estindispensable : professionnels de santé,

services sociaux, services de police, degendarmerie, justice, secteur associa-tif, etc. Plusieurs outils sont à disposi-tion :• des fiches techniques mises en lignesur le site Internet du ministère de laSanté et des Solidarités7 : elles concer-nent le contexte des violences, le dépis-tage, les signes d’alerte, l’évaluation, ledossier médical et le certificat médical,l’orientation de la personne victime deviolence et un rappel de la législation ;• des brochures8 destinées à informerles praticiens et les professionnels ame-nés à prendre en charge les victimes deviolence ;• un guide intitulé « Le praticien faceaux violences sexuelles »,9 destiné auxmédecins, qui décrit les modalités d’ac-cueil, d’examen médical, de traitementet de suivi des personnes victimes ;• un Site Internet (www.violences.fr) aété créépar l’Institut de l’humanitaire en2000. Il s’adresse principalement auxprofessionnels de santé et a pour objec-tifs de fournir des informations sur laviolence conjugale, ses impacts sur lasanté des victimes et de leurs enfants.

La formation initiale et la formationcontinue des professionnels de santédoivent évoluer en :– introduisant dans chaque cursus initial,médical et paramédical un module surl’impact de la violence sur la santé ;chaque formation devra comporter unmodule « violence » ;– concernant la formation médicalecontinue, il faut saisir le Conseil natio-nal de la formation médicale continue(FMC), qui est chargé de définir lesorientations nationales. Ce conseil com-porte le Conseil national de la FMC desmédecins libéraux, des médecins nonsalariés, des formations médicales etparamédicales. Une formation au seindu cursus universitaire en droit etmédecine dès le premier cycle ainsiqu’une formation spécifique auxmédecins libéraux est déjà en placelocalement à Clermont-Ferrand. Cetteinitiative doit être étendue. Former lesprofessionnels qui suivent les femmesenceintes à repérer des situations deviolence, afin de généraliser le repé-rage systématique des violences lorsdes consultations prénatales et périna-tales. Le repérage et la prise en chargedes mutilations sexuelles doivent fairepartie du programme des formationscontinue et initiale des professionnels

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de la santé, notamment des gynécolo-gues, des obstétriciens, des sages-fem-mes et des médecins généralistes.

Sensibiliser et informerles personnes

L’information doit être véhiculée parles professionnels qui sont acteurs dansle repérage ou la prise en charge desviolences. Mais il est aussi nécessaireque l’information sur la définition de laviolence et sur les recours possibles soitaccessible au grand public. Il faut mobi-liser et éduquer les relais d’opinion auniveau national et local, en menant descampagnes en direction des profes-sionnels de santé, de la population etdes décideurs, des élus, etc.

Former les acteurs des structures quefréquentent les personnes en situationde migration à leur arrivée sur le terri-toire, pour donner les informations surle droit et les contacts en cas de situa-tion de violence. Ces personnes n’au-ront peut-être plus, par la suite, d’ac-cès à l’information, sauf via les médias.

Des affiches et des brochures dé-taillées ont été réalisées dans plusieursvilles de France (Clermont-Ferrand, parexemple), en partenariat généralementavec la Délégation aux droits des fem-mes. Celles-ci sont visibles dans deslieux de santé, dont les cabinets médi-caux des médecins libéraux, mais peu-vent aussi l’être dans des espacespublics concernés par la question.

Des conférences d’information orga-nisées dans les entreprises, les institu-tions scolaires et d’apprentissage sontaussi un moyen éducatif sur les outilsde prise en charge aux victimes.

Les programmes télé et radio sontdes outils d’information nécessaires,d’autant plus dans le cas de violencesintrafamiliales, où la victime est isolée.

Éduquer les associations qui mènentdes actions préventives car elles ont unrôle fondamental dans l’accès à l’infor-mation, particulièrement auprès desfemmes en situation de précarité et/oumigrantes. Elles ont un mode de fonc-tionnement double : lieux fixes d’accueilet équipes mobiles. Elles assurent ainsi :– un travail de proximité ;– un langage et une culture communs ;– l’absence de tabous ;– un rôle de veille sur les questions

de santé en l’absence d’autre « obser-vatoire ».

Concernant la lutte contre les muti-lations sexuelles, si la prévention et laloi française constituent de sérieuxatouts pour les femmes africaines, cesassociations sont un relais primordialpour les informer (voir l’article deN. Fall p. 29).

Là où des actions de terrain ont étémenées au cours des années précé-dentes, il a été constaté une diminutionparfois très importante des pratiques demutilations sexuelles. Lors du colloqueorganisé sur ce thème10, de nombreu-ses associations ont témoigné de l’effi-cacité incontournable de cette présenceassociative continue sur le terrain.

Éduquer les enfants et les jeunes

L’impact des violences conjugalessur les enfants est souvent peu appré-hendé par les parents mais aussi par lesprofessionnels de santé alors qu’ils sontvictimes directement de ces actes deviolences, qu’ils en aient subis directe-ment ou en aient été témoins. Il estnécessaire d’envisager les violences

conjugales en tant que violences intra-familiales et d’informer les profession-nels dans cette optique. Il faut aussiinformer et éduquer les enfants.

L’inspection académique et leconseil général du Pas-de-Calais, encollaboration avec la responsable dupôle de référence régional « Enfance endanger », ont réalisé un programme deprévention de la maltraitance et un pro-gramme d’éducation à la sexualité et àla prévention des abus sexuels pour lesclasses de CM2 du département11. Cetteinformation a aussi pour objectif d’édu-quer de futurs acteurs de liens familiauxet sociaux.

Initier des structures de priseen charge des auteurs de violences

La loi du 17 juin 1998 relative à laprévention et à la répression des infrac-tions sexuelles ainsi qu’à la protectiondes mineurs est entrée en vigueur enmars 2001. Elle instaure un suivi socio-judiciaire novateur dans lequel s’inscritéventuellement une injonction de soins.Une politique de formation et d’infor-mation des professionnels de santé aété mise en œuvre sur la prise en charge

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des auteurs d’agression sexuelle, orga-nisée par la Fédération française de psy-chiatrie en 200112.

Quelques rares initiatives (treizeassociations), rassemblées en Fédéra-tion nationale des associations de priseen charge des auteurs de violencesconjugales et familiales13, ou encoreBordeaux avec l’Association de répon-ses éducatives et sociales dans le champjudiciaire et le vice-procureur, SophieArnaud, proposent une prise en chargedes auteurs de violences. Les premièresont initié des groupes de parole, aux-quels les auteurs de violences peuventparticiper en étant orientés par la justiceou de leur propre initiative. L’auteur s’en-gage à suivre une série de séances (qua-tre à l’Avac à Toulouse, par exemple, ouhuit à SOS Femmes, à Périgueux) quipeut être renouvelée à volonté. Les séan-ces sont dirigées par un binôme (unpsychocomportementaliste et un édu-cateur spécialisé). D’autres, comme l’as-sociation de lutte contre les violences,à Paris, complètent cette formule pardes interventions individuelles depsychothérapie ou analytiques. Laseconde formule (Bordeaux) consisteen un « stage citoyen » financé par l’au-teur de violences, après que le magis-trat le lui a proposé comme une alter-native à la sanction pénale.

Un auteur de violences interrogédans le cadre d’une étude-action menéepar le Centre de recherche, d’étude etde documentation en économie de lasanté (Credes)14 a insisté sur l’absencede structures de soins pour prendre encharge les auteurs. Cet homme a cher-ché, dès 1997, un lieu qui s’intéressespécifiquement à cette problématiquevia le Net, des médecins, des psychia-tres, etc., pour finalement découvrir uneinitiative à sa création en 2005. Il parled’une nécessaire pluriprise en charge :au niveau médical immédiatementaprès les faits de violence, au niveauthérapeutique en groupe et en indivi-duel, mais aussi d’un accompagnementéducatif par l’intermédiaire d’activitésartistiques et culturelles afin de « réédu-quer » ou éduquer autrement ces per-sonnes. Cette prise en charge desauteurs de violences est aussi l’une despréoccupations majeures des femmesqui en ont été victimes.

En conclusion, nous formulons plu-sieurs grandes orientations éducatives

(voir encadré ci-dessus) : informer etformer les professionnels mais aussi legrand public et les enfants.

Jacques Lebas

Praticien Hospitalier,

Hôpital Saint-Antoine (AP-HP), Credes.

Madina Querre

Anthropologue, chercheur contractuel,

laboratoire ADES-SSD UMR 5185 CNRS-Univ.

Bordeaux 2, laboratoire CReCSS/IFEHA

Univ. P. Cézanne Aix-Marseille 3, Credes.

1. Consultable sur le lien : http://www.cicred.org/Eng/Seminars/Details/Seminars/santefemmes/ACTES/Com_JaspardSaurel.PDF2. Rapport « Violences et santé ». Haut Comité de lasanté publique sous la présidence de Pierre Guillet,préface par le ministre des Solidarités, de la Santé etde la Famille. Éditions ENSP, mai 2004 : 160 p.3. Source : Groupe pour l’abolition des mutilationssexuelles (GAMS).4. Michael Pollak (1948-1992), sociologue et historien,va marquer notamment la lutte contre le sida enFrance en étant l’initiateur d’une réflexion sociolo-gique empirique sur le sida, à partir du cas des homo-sexuels. Pour plus de détails voir :http://www.ssd.u-bordeaux2.fr/faf/archives/numero_1/articles/pollack.htm5. Projet Santé gai : les premiers résultats de l’enquêtesur la santé des hommes gais de Genève, 2003.http://www.dialogai.org/pdfs/broch-resultats-2eme-edition05.pdf6. Cf. le rapport du Pr Henrion. Les femmes victimes deviolences conjugales, le rôle des professionnels desanté. Paris : La Documentation française, 2001 : 47 p.7. www.sante.gouv.fr dans la rubrique « thèmes » « Vio-lences ».

8. Accessible auprès des délégations régionales auxdroits des femmes et à l’égalité (par exemple dans celledu Tarn-et-Garonne, d’Auvergne et du Puy-de-Dôme).9. Disponible auprès de la direction générale de laSanté.10. Ministère de la Santé et des Solidarités. Colloque« Pour en finir avec les mutilations sexuelles fémini-nes », 4 décembre 2006, Institut Pasteur.11. Il consiste en une formation des personnels del’Éducation nationale du premier degré, dont le butest d’améliorer les connaissances des signes d’alerte,du cadre légal de la protection de l’enfance et des rôlesrespectifs des professionnels impliqués ; d’améliorerles aptitudes pratiques d’évaluation et de signalementdes situations de maltraitance et de violences sexuel-les ; d’éclairer sur les attitudes défensives fréquem-ment observées chez les adultes confrontés à des situa-tions d’enfants victimes de mauvais traitements etde violences sexuelles. D’autre part, deux program-mes vidéo : un film « Face à la maltraitance » et unprogramme « Cet autre que Moi », de Bernard Bétré-mieux, pour les préadolescents.Contacts : Dr D. Pierron, IUFM académique du Pas-de-Calais, et Dr Chautard, IUFM Nord-Pas-de-Calais.12. Conférence de consensus « Psychopathologie ettraitements actuels des auteurs d’agression sexuelle »,décembre 2001. Fédération française de psychiatrieavec la direction générale de la Santé.13. Fédération qui fonctionne depuis octobre 2006 etfédère treize associations : « Association Lutte contreles violences » à Paris, « Parenthèse à la violence » àBelfort, le CIDF à Châteauroux, « AFVV » à Compiè-gne, « SOS violences en privé » à Lens, « Maux pourmots » à Limoges, « Adurance » à Marseille, « Via Vol-taire » à Montpellier, « SOS Femmes » à Périgueux,« Vivre en famille » à la Seyne-sur-Mer, au sein duCHRS à Saint-Étienne, « Avac » à Toulouse, « Remaid »à Valence. Président de la fédération : Alain Legrand.Site Internet accessible fin mai 2007.14. Étude-action « Améliorer l’accueil et la prise encharge des victimes de violence à l’hôpital », menéepar le Credes pour le ministère de la Santé et des Soli-darités, de janvier 2006 à janvier 2008.

Informer et former systématiquement les professionnels…et les enfants dès le plus jeune âge

Que faire pour prévenir les violences dues au genre, donc essentiellement au fait d’être unefemme ? Voici un petit résumé des grandes orientations éducatives exposées dans l’article ci-contre et proposées par la commission ad hoc qui a nourri le rapport Tursz :• l’information systématique de l’ensemble des acteurs amenés à intervenir dans le cadre dudispositif sanitaire d’accueil des personnes victimes de violence, mis en œuvre au niveau localest indispensable : professionnels de santé, services sociaux, services de police, de gendar-merie, justice, secteur associatif, etc. ;• la formation initiale et la formation continue des professionnels de santé doivent évoluer enintroduisant un module sur l’impact de la violence sur la santé et sur la prise en charge des victimes ;• former les professionnels qui suivent les femmes enceintes à repérer des situations de vio-lence ;• éduquer le grand public en lui apportant l’information (via les médias, des conférences, desaffiches, les associations, les relais d’opinion nationaux et locaux qui doivent eux-mêmes êtreéduqués) ;• éduquer les enfants via le système scolaire, car ce sont eux les futurs acteurs sociaux-sani-taires mais aussi de leurs futures relations intrafamiliales. Ce sont aussi de potentielles victimesqui doivent être formées sur la reconnaissance et la prise en charge de la violence sous tou-tes ses formes, mais aussi de possibles auteurs de violences qui peuvent déjà être éduqués surles conséquences du passage à l’acte et des possibilités de prise en charge de l’auteur ;• initier des structures de prise en charge des auteurs de violences et former les acteursimpliqués dans leur prise en charge à les orienter et offrir un suivi.

J. L. et M. Q.

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29LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

D’origine sénégalaise, de mère peule sénégalaise et de père woolof sénégalo-mauritanien,Nafissatou Fall est née au Cameroun et y a vécu jusqu’à l’âge de 14 ans tout en étant pro-fondément imprégnée des cultures peules et wolof. Elle est arrivée en France à l’âge de15 ans, mariée, et a obtenu la nationalité française en 1982. Nafissatou Fall, interprète etmédiatrice dans une association au Havre, forme les professionnels et informe les fem-mes africaines pour prévenir les mutilations sexuelles féminines. Ce travail de proximitéet de dialogue en binôme avec un médecin a permis de faire reculer l’excision. Témoignage.

En février 1988, j’ai suivi une forma-tion, avec cinq autres interprètes-médiatrices, axée sur la préventionsanté. Je faisais et fais encore à l’heureactuelle des permanences quotidiennesau pavillon mère/enfant, dans les dif-férents services de l’hôpital Jacques-Monod, à Montivilliers, et dans un centre de PMI. Je suis salariée de l’Asso-ciation havraise pour l’accueil, la média-tion et l’insertion (AHAM) depuispresque vingt ans et, pendant quinzeans, j’ai travaillé avec toute l’équipe deprofessionnels d’un centre de PMI duquartier nord de la ville du Havre. Lapopulation originaire de l’Afrique noiresubsaharienne représentait environ30 % du public accueilli en consultation.

Le premier travail avec ce public aété axé sur les problèmes de santé desmères et des enfants, l’équilibre ali-mentaire et ce, en partenariat avec lestravailleurs sociaux, caisse d’allocationsfamiliales ; le dépistage de la drépano-cytose (très fréquente chez les person-nes africaines) ; le paludisme ; la pré-paration avant les départs en vacances.Tout ce travail de prévention et d’in-formation a permis d’établir une rela-tion de confiance entre les mamans et nous, et ce lien privilégié a permisd’aborder le problème de l’excision.

Une fillette sur deux exciséeEn 1989, dans le cadre de mes per-

manences au pavillon mère/enfant, j’aivu des mamans excisées souffrant lemartyre après leur accouchement(déchirure, hémorragie, etc.). C’est à cemoment-là que j’ai vraiment pris cons-

cience que l’excision n’apportait rien debon aux femmes mais au contrairebeaucoup de souffrance. À ce mêmemoment, le docteur Bugeon, pédiatrede PMI, constate qu’une petite fille surquatre est excisée avant l’âge de 4 anset une sur deux en CP.

Nous décidons donc d’allier noscompétences et de travailler ensemblesur la prévention des mutilationssexuelles féminines lors de mes per-manences au centre de PMI. Le docteurBugeon demande au Groupe pour l’a-bolition des mutilations sexuelles(Gams) une formation destinée auxprofessionnels de PMI, du pavillonmère/enfant, de l’Éducation natio-nale…, axée uniquement sur les muti-lations sexuelles féminines et en parti-culier comment aborder la prévention.

Les réticences des professionnelsTrès rapidement, en 1995, nous cons-

tatons que les petites filles âgées de 0 à6 ans ne sont plus excisées (hors enfantsnés au pays). Le travail de prévention afonctionné mais a eu un effet pervers dufait que l’excision se pratique tout demême mais à l’âge où les contrôlesmédicaux ne sont plus obligatoires,donc à l’adolescence. À chaque consul-tation, nous parlions de l’excision et desrisques pour la santé, et le docteurBugeon faisait un rappel de la loi fran-çaise et montrait le texte de loi qui l’in-terdisait aussi au Sénégal.

Nous avons continué à faire de laprévention pendant quinze ans, notrebinôme était complémentaire, l’une

représentait la santé, le juridique, etl’autre, la culture d’origine et la culturedu pays d’accueil. Nous organisionsalors des réunions où l’on conviait lesmamans qui venaient en consultationmais aussi toutes les femmes qui étaientintéressées par notre travail de préven-tion. On regardait des cassettes sur l’ex-cision, il y avait des débats, des échan-ges, des informations, etc. Souvent,nous nous retrouvions à plus de cin-quante femmes.

Beaucoup de professionnels de santén’ont pas osé à cette époque travaillersur la prévention des mutilations sexuel-les, c’était délicat et très peu d’informa-tions étaient données à ce sujet. C’estdommage parce que nous aurions puavancer beaucoup plus rapidement etsurtout éviter beaucoup d’excisions.

On me reprochait de trahir ma culture

Mon investissement m’a posé beau-coup de problèmes au quotidien. J’aiété rejetée par la communauté, insul-tée au téléphone mais aussi dans la rue.J’ai eu souvent très peur pour moi etmes enfants. Des pères de famille sontvenus m’agresser verbalement et memenacer dans le centre de PMI où je fai-sais mes permanences. Fréquemment,je me suis sentie très seule, certainesfemmes africaines ne comprenaient pasmon engagement, elles pensaient queje trahissais le gage donné aux femmesdans notre culture. J’ai gardé les gagesque je ne trahirais jamais, ils ne portentpas atteinte à l’intégrité de la femme etdes enfants. Ce qui m’a donné la force

« Comment je forme les professionnelspour faire reculer l’excision »

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de continuer, c’est l’encouragement debeaucoup d’autres femmes africainesqui n’osent pas s’exprimer par peur desreprésailles mais qui me soutiennentdans ma mission. Ma mère aussi m’abeaucoup soutenue et encouragée, ellea lancé appel auprès de la communautépour qu’elle cesse ses attaques contremoi. Si je suis encore une militanteaujourd’hui, c’est pour elle et pour tou-tes les femmes du monde entier. Je suisconvaincue que ce que je fais est bienpour la santé des femmes et desenfants ; mon souhait serait qu’il n’y aitplus de petites filles et de jeunes exci-sées dans le monde.

Vers une « gestion » des traditionsIl y a environ quatre ans, à son départ

à la retraite, le docteur Bugeon a pro-posée à l’AHAM de continuer le travailde prévention par le biais d’interven-tions planifiées auprès de profession-nels de la santé, du social et de l’édu-

cation mais aussi auprès du public. Leprojet intitulé « Prévention des pratiquesculturelles » a donc été élaboré par l’A-HAM et financé par le Fonds d’actionet de soutien pour l’intégration et la luttecontre les discriminations (Fasild).

Notre travail permet de sensibiliser lesprofessionnels sur les mutilations sexuel-les féminines et les mariages forcés, demieux appréhender ces deux traditions,d’informer sur les organismes capablesde gérer ces deux traditions : Groupepour l’abolition des mutilations sexuel-les (Gams) et autres pratiques tradition-nelles affectant la santé des femmes etdes enfants et de contribuer à la dimi-nution et/ou à l’arrêt de ces pratiques.

Nous avons constaté que l’informa-tion donnée par des professionnels leurpermettait d’avoir une meilleure appro-che culturelle mais aussi de ne plus sesentir démunis face à ce problème.

Quant au public informé, il prendconscience des risques encourus lors deces pratiques (problèmes de santé etjuridiques). Tout ce qui touche les orga-nes génitaux féminins est souvent unsujet tabou au sein de la cellule fami-liale, de ce fait nos interventions auprèsde jeunes lycéens suscitent beaucoupd’intérêt et de questionnement.

Je rends hommage à toutes les fem-mes, d’ici ou d’ailleurs, qui veulent queles mutilations cessent. La femme a étécréée avec sa beauté, n’enlevez rien àson corps, elle est aussi belle ainsi !

Nafissatou Fall

Interprète, médiatrice,

avec la participation de Manuela Gherib

et du Dr Danièle Bugeon,

Association havraise pour l’accueil,

la médiation et l’insertion (AHAM),

Le Havre.

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31LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

Une personne âgée ou handicapée sur dix serait victime de maltraitance. Les experts quiont travaillé dans le cadre du rapport Tursz préconisent plusieurs mesures sans atten-dre : informer ces personnes de leurs modes de recours ; prendre en charge les victi-mes ; mieux former les professionnels et les aidants de l’entourage, repérer les plusvulnérables, améliorer le signalement des violences, instaurer des espaces de parole…Et s’attaquer au déni qui entoure la maltraitance. Pour Marie-Ève Joël, qui a piloté cestravaux, ces changements représentent une « révolution culturelle » qui exige un tra-vail pédagogique à tous les niveaux.1

En France, la question de la maltrai-tance des personnes âgées est apparuesur la scène publique à la fin des annéesquatre-vingt, grâce à l’association Almaet à son président, Robert Hugonot. En2001, à la demande de Madame Guin-chard-Künstler, un groupe de travailprésidé par le professeur MichelDebout a présenté des propositions.Hubert Falco, ministre délégué aux Per-sonnes âgées, a installé, dès 2002, leComité national de vigilance contre lamaltraitance des personnes âgées. Unprogramme d’action a été publié, enmars 2003, et il privilégie trois dimen-sions : la formation des aidants, la ges-tion des risques de violence dans lesétablissements sociaux et médico-sociaux et les violences financières.Depuis, cette préoccupation de luttercontre la maltraitance a été largementportée par les pouvoirs publics. La loidu 9 août 2004 sur la politique de santépublique prévoit un plan stratégiqueViolence et Santé qui inclut un voletconcernant les personnes âgées.

La réflexion sur les phénomènes deviolence et d’abus envers les personneshandicapées n’a été engagée qu’en 1999,dans la dynamique impulsée par l’Annéeinternationale du handicap. Si la des-cription qui est faite des violences auxpersonnes âgées dans les revues spé-cialisées rejoint celle des violences à l’égard des personnes handicapées, ilconvient de noter deux spécificités rela-tives au handicap. Les violences les plusfréquemment évoquées par les asso-

ciations reçues par la commission, autantque par la presse et la littérature, concer-nent le respect des droits des usagers enétablissement (intimité, vie affective etsexualité) et l’absence d’accessibilité desservices. Les professionnels sont préoc-cupés du risque de violence, en parti-culier des violences sexuelles encouruespar les femmes ayant un handicap men-tal et les mineurs accueillis en établisse-ment, les pratiques abusives en matièrede stérilisation et de contraception, et laprévalence du VIH dans les populationshandicapées vivant en institution.

C’est dans ce contexte d’une pro-blématique émergente dans un envi-ronnement sensibilisé que se sontsitués les travaux de la commission« Personnes âgées et personnes handi-capées », qui s’est réunie fin 2004 etdébut 2005.

La définition de la maltraitance rete-nue est ouverte et plurielle. Les person-nes âgées et handicapées sont victimesde plusieurs sortes de maltraitances : lesmaltraitances physiques, qui portentatteinte à l’intégrité physique de la per-sonne ; les maltraitances psycholo-giques, affectives et morales ; les mal-traitances financières, qui constituentune forme particulièrement répanduedont sont victimes les personnes âgées ;les atteintes aux droits des personnes ;les maltraitances médicamenteuses ; lesnégligences actives, qui consistent à nepas répondre sciemment aux besoins dela personne : privations de nourriture,

de boissons, des nécessités de la viequotidienne ; les négligences passives,qui proviennent de l’ignorance ou du manque d’intérêt et d’attention aux besoins de la personne et sont le plus souvent dissimulées, banalisées,méconnues.

La très grande dépendance et lesdéficiences qui l’accompagnent,notamment l’incontinence urinaire etfécale, les chutes à répétition, les dysp-nées avec l’expectoration chronique,caractérisent les victimes âgées. Desétudes de terrain menées par les ser-vices de soins à domicile2 ont mis enévidence les liens étroits entre certai-nes pathologies des personnes âgéeset les risques de survenance de mal-traitance : troubles du comportementde type démentiel ou apparenté, avecdes symptômes d’absence de commu-nication verbale, hémiplégie, maladiede Parkinson, troubles sévères ducomportement. Les troubles cognitifsliés à des syndromes démentiels, lachronicité de troubles du comporte-ment avec déambulation, agressivitéou apathie peuvent générer ou ravi-ver des situations de crise ou de vio-lence familiale et favoriser les actes demaltraitance des aidants, naturels ouprofessionnels.

Il semble, enfin, que la maltraitancetouche toutes les catégories sociopro-fessionnelles, avec des modalités tou-tefois différentes selon les situationséconomiques.

Personnes âgées et handicapées : le déni de la maltraitance

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Il n’existe pas actuellement de sys-tème organisé et cohérent de donnéesrelatives à la maltraitance des person-nes âgées et handicapées dans les éta-blissements sociaux et médico-sociauxou vivant à leur domicile, et d’estima-tion fiable de l’ampleur du phéno-mène. Les estimations relatives auxpersonnes âgées varient de 5 % de mal-traitance chez les plus de 65 ans, soit600 000 personnes environ, à 15 %chez les plus de 75 ans, soit 680 000personnes en France3.

Les recommandations de la commission

La commission a retenu un certainnombre de principes pour guider sestravaux.

Il est nécessaire de permettre l’énon-ciation de la violence, ce qui est rare-ment le cas concernant les personnesâgées où la violence est le fait de l’ai-dant principal, familial ou profession-nel. Pour cela, l’introduction d’un tiersdans le face-à-face auteur/victime dela violence est indispensable, en sortantdu registre usuel de la plainte et de la« victimisation ».

Pour limiter les comportements vio-lents, il importe d’identifier les ciblesprioritaires et les conditions d’expositionaux risques, de promouvoir une démar-che intégrée de gestion du risque vio-lence et de ne pas réduire la question dela violence à un déficit de moyens.

En termes de prévention, les nom-breuses propositions de la commission(plus de soixante-dix) peuvent êtrerésumées de la façon suivante :

• prévention primaire– développer la communication et lasensibilisation ;– former et soutenir les aidants profes-sionnels ou informels ;– repérer les personnes ou institutionsparticulièrement exposées ;– développer des travaux de recherchesur les différentes dimensions de la mal-traitance et les différents types de com-portements ;

• prévention secondaire– améliorer le signalement de la vio-lence des personnes âgées ;– permettre l’accès « aux bons soins »des personnes maltraitées. Mais il fautnoter que toutes les formes de violence

n’ont pas forcément un impact en ter-mes de santé ;– introduire des « tiers » et des espacesde parole ;– renforcer les contrôles des différen-tes structures de soins du point de vuede la maltraitance et développer uneculture de la gestion de ce risquepsychosocial. Actuellement, les outilsde contrôle existent mais sont peuappliqués ;

• prévention tertiaire– prendre en charge les victimes, tant dupoint de vue des soins que des suitesjudiciaires ;– prévenir la récidive des personnesmaltraitantes ;– faciliter la résilience des personnes etdes organisations.

Les recommandations d’ordre éducatif

La perspective « éducative » (sous sesdifférentes modalités : communication,sensibilisation, formation, mise au pointd’outils pédagogiques ou de guides,etc.) a été présente tout au long des travaux de la commission, qu’il s’agissedes personnes vulnérables elles-mêmes,des professionnels ou de l’opinionpublique.

• Communiquer sur les maladieschroniques et le handicap, la com-plexité de la prise en charge, pour sor-tir du déni de la maltraitance et sus-citer un « autre regard » sur lespersonnes vulnérables.

Une enquête qualitative récente réali-sée par la Direction de la recherche, desétudes, de l’évaluation et des statistiques(Drees)4 sur la perception qu’ont lespersonnes âgées de la maltraitance meten évidence le fait que les personnesâgées interrogées ne se reconnaissentpas comme des victimes de la maltrai-tance. Outre le déni qui entoure lessituations de maltraitance, déni par lesvictimes et par les aidants, la peur desreprésailles, la crainte que la plainte nesoit pas considérée comme crédibleincitent les personnes âgées, les témoinset les familles au silence. Les victimesâgées ignorent qu’elles peuvent porterplainte auprès de toute unité de gen-darmerie, de tout service de police oude tout tribunal de grande instance. Ellessont souvent dans l’incapacité de sedéplacer. La situation est identique pourles personnes handicapées.

Pour lutter contre cette situation, ilest nécessaire d’abord de sensibiliserle grand public en renforçant les cam-pagnes de communication suscitant« un autre regard » sur les personnesâgées et handicapées et prévenant lesviolences.

Le moment de la sortie de l’hôpitald’une personne conservant un fortniveau de handicap et de dépendanceest particulièrement difficile pour lesproches, qui doivent mettre en place lesressources humaines et techniquesnécessaires. La commission recom-mande d’informer et d’accompagner lesproches dans ce retour de l’hôpital audomicile et d’élaborer une documen-tation ad hoc remise aux prochesconcernés (livret sortie d’hôpital etretour à domicile d’une personne deve-nue handicapée, livrets traitant de la viequotidienne de personnes présentantdifférentes formes de handicaps fonc-tionnels ou de maladies invalidantes,etc.) en s’appuyant sur les outils réali-sés par les associations spécifiques demalades et de familles.

• Sensibiliser les professionnels à ladimension juridique de leurs pratiques.

Du point de vue des professionnels,la commission a mis en avant la prise deconscience difficile de la question dela violence faite aux personnes âgées ethandicapées en dépit de l’existenced’un support juridique suffisant.

Le ou les auteurs de maltraitance audomicile sont le plus souvent des pro-ches, membres de la famille, relations devoisinage, intervenants professionnels,acteurs sociaux et économiques. Il n’estpas toujours aisé de les identifier, la vic-time étant souvent dans une attitude desoumission, de silence et parfois mêmede protection vis-à-vis de sa famille et deson entourage proche. L’aidant naturel(et en particulier l’aidant principal) peutêtre dépassé par la prise en charge dela personne âgée ou handicapée, écrasépar la charge matérielle, physique etpsychique que constituent les soins etl’aide constante qu’il apporte à une per-sonne lourdement dépendante. L’épui-sement est un facteur de risque élevé desévices ou de négligences.

En établissement, c’est le personnelqui est le plus fréquemment incriminé.Les défaillances patentes peuvent être

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liées à des erreurs humaines, à desconduites déviantes, à l’ignorance despersonnes, à leur incompétence, etc.Elles sont le plus fréquemment liées àl’usure professionnelle des personnelsqui interviennent auprès des personnesâgées ou handicapées. Les personnelssont confrontés quotidiennement à dessituations ou événements éprouvants :dégradation, souffrance physique etpsychique, décès, découverte d’unepersonne suicidée, violence des rela-tions et des comportements, réalisationde gestes qui provoquent douleurs etsouffrances, etc. Ce sont ces circons-tances de stress, d’épuisement, qui vontprovoquer l’usure et l’émoussement dela tolérance des soignants, et qui, conju-guées à des dysfonctionnements insti-tutionnels, vont permettre l’irruption dela violence, l’agressivité, les abus, lesnégligences et les mauvais traitements.

Le système de prise en charge dansson ensemble peut lui aussi être sourcede maltraitance, faute de places en éta-blissements ou dans des services desoins à domicile, faute de référentscompétents pour organiser les prises encharge.

En dépit des formations qui se mul-tiplient, la règle générale chez les pro-fessionnels reste une absence de sen-sibilisation, d’information, d’analyse despratiques de maltraitance, etc. Pour lesmédecins, en particulier, les difficultésliées au partage du secret médicalreprésentent un frein à l’énonciation dela maltraitance.

En réponse à une forte demandesociale, les évolutions législatives etréglementaires récentes dans le secteurde la santé et de l’action sociale maisaussi en matière pénale ont mis l’accentsur les droits des usagers, la protectiondes personnes, le renforcement de lasécurité, la lutte contre les violences etl’insécurité. Ce corpus législatif et régle-mentaire a le mérite d’exister même s’ilse caractérise par une absence de lisi-bilité et une complexité certaines. Cons-tat est fait d’un morcellement et d’unempilement de textes concernant laprotection, la sécurité, la sûreté, lerespect des droits et libertés des per-sonnes âgées et handicapées. Élaboréspar différents ministères, voire par dif-férents départements ministériels ausein d’un même ministère, ces textesse caractérisent par une étanchéité des

publics, des catégories administrativesou légales et par une carence des tex-tes d’application.

Briser le silenceIl importe de comprendre que si ces

textes ne sont pas mis en œuvre, c’estprincipalement en raison de la difficultédes professionnels du secteur social etmédico-social à « dire le droit ». En d’au-tres termes, si le repérage des situationsde maltraitance ne se fait pas, c’estparce que les professionnels sanitaireset sociaux n’ont pas une conscience suf-fisante de l’importance de la dimensionjuridique de leurs pratiques. La pro-pension des établissements et servicesmédico-sociaux à gérer « en interne »des situations qui relèvent du délit s’ex-plique par la culture propre du secteurmais probablement aussi par la raretédes ressources humaines.

Apporter l’appui technique et le sou-tien méthodologique aux acteurs de ter-rain pour leur permettre de faire la partentre les comportements déviants et lesdysfonctionnements structurels et ainside « dire le droit » et d’utiliser les outilsjuridiques à leur disposition est unesorte de révolution culturelle qui appelle

un long travail pédagogique à plusieursniveaux.

En premier lieu, il faut rendre les tex-tes juridiques existants plus accessiblespour les acteurs de terrain, en diffusantde la manière la plus large et la plussimple ces textes, en particulier en cequi concerne le respect de la personneet de ses droits en établissements desanté, en établissements médico-sociaux et également au domicile. Lacommission a fait plusieurs proposi-tions précises dans ce sens, sans sous-estimer l’ampleur de la tâche :– effectuer un recensement coordonnéde l’ensemble des textes législatifs rela-tifs à la protection des personnes vul-nérables et des textes d’applicationpubliés ;– accompagner la diffusion de ces textes législatifs et réglementaires dedocuments d’interprétation visant à pré-ciser, expliciter et faciliter leur mise enœuvre. L’objectif est de s’assurer quel’information est relayée dans de bon-nes conditions auprès des profession-nels en rassemblant la connaissance,tant juridique que pratique, dans unsupport transversal aux différents minis-tères, lisible et bien documenté ;

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– faire connaître ces textes, en renfor-çant la formation initiale et continue desagents de l’État, des collectivités terri-toriales ainsi que des dirigeants d’éta-blissement et service accueillant despersonnes vulnérables, sur l’état dudroit, notamment en matière de pro-tection des personnes et de lutte et pré-vention des violences.

Repérer la violenceEn second lieu, il faut créer les condi-

tions de la mise en œuvre du droit,c’est-à-dire repérer les situations de vio-lence et de maltraitance et former lesintervenants. Là encore, la commissiona fait plusieurs suggestions :– clarifier, simplifier et harmoniser lesrègles du secret professionnel, de l’obli-gation de signalement et des conduitesà tenir pour les différentes catégories deprofessionnels qui interviennent auprèsdes personnes vulnérables ; – préciser les conditions dans lesquel-les les établissements doivent informerles autorités administratives ou judi-ciaires des situations de maltraitance oude violences survenues dans leur éta-blissement ; – mettre en place systématiquement desprotocoles clairs précisant ce que les

agents doivent faire lorsqu’ils sontconfrontés à des situations de violenceet de maltraitance. Au niveau de chaquedépartement, les dispositifs de préven-tion, d’écoute et de lutte contre la mal-traitance et les violences envers l’en-semble des personnes vulnérables, quelque soit leur âge ou leur handicap, doi-vent être coordonnés pour éviter lamultiplication des instances ;– à tous les niveaux (formations de cadres et individuelles, formations endirection des personnels des servicesou des autorités administratives decontrôle, professionnels de l’aide ou dusoin), il est souhaitable que soient éla-borées des recommandations en vued’un corpus minimum de connaissan-ces relatif à la maltraitance. La commis-sion conseille de privilégier des métho-des de formation-action en s’appuyantsur des outils pédagogiques simplespermettant à l’ensemble de l’équipe soi-gnante d’améliorer ses pratiques.

Écouter et informerL’administration s’emploie déjà à

mettre en œuvre ces recommanda-tions :– en développant les réseaux d’accueiltéléphonique et un travail en réseau

autour de la question de la maltraitance ;– en développant l’information et laformation des aidants naturels et pro-fessionnels : une brochure est diffuséedans cinq départements à titre expéri-mental, un Cédérom est en cours de dif-fusion, un guide de repérage desrisques de violences et de maltraitancedans les établissements sociaux etmédico-sociaux est en préparation ;– en contrôlant davantage les établis-sements. Au total, en 2002 et 2003, huitcent vingt-huit inspections (52 %inspections à la suite de plaintes, 48 %au titre du programme préventif) ontété diligentées dans les établissementssociaux et médico-sociaux accueillantdes personnes âgées.

Plus généralement, la réforme de latarification des établissements d’héber-gement pour personnes âgées dépen-dantes, la pérennisation du finance-ment de l’allocation personnaliséed’autonomie et toutes les mesures pri-ses pour renforcer, diversifier l’offre deprise en charge des personnes âgées eten améliorer la qualité vont dans le sensd’une réduction de la maltraitance.

Pr Marie-Ève Joël

Directrice du département « Master sciences

des organisations »,

université Paris-Dauphine, Paris.

1. Cet article reprend de larges extraits du rapport dela commission « Personnes âgées et personnes handi-capées », réunie dans le cadre de l’élaboration du planViolence et Santé. Cette commission, présidée parMarie-Ève Joël, s’est réunie en 2004 et en 2005. Le rap-port a été rédigé par O. Doucet et figure sur le site duministère de la Santé.http : //www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/violence_sante/pa_ph.pdfL’ouvrage d’Anne Tursz : Violence et santé, rapportpréparatoire au plan national. Paris : La Documen-tation Française, juin 2006, fait la synthèse de l’en-semble des travaux préparatoires au plan Violence etSanté.2. Rapport « Prévenir la maltraitance envers les per-sonnes âgées ». Groupe de travail présidé par MichelDebout. Rennes : ENSP, 2003.3. De 2001 à 2005, la Direction générale de l’actionsociale a été informée de 1 147 situations de maltrai-tance (tous secteurs confondus, domicile et établisse-ments), chiffre dont tout le monde s’accorde à direqu’il ne reflète que très partiellement la réalité de lamaltraitance. Les statistiques du ministère de la Jus-tice, quant à elles, ne font donc pas apparaître d’élé-ments relatifs à l’âge, qui éclaireraient le débat. Lenombre d’appels reçus par le réseau Alma-France estpassé de 2 118 en 1997 à 7 366 en 2002 (dont 71 %pour des maltraitances à domicile). L’analyse des12 400 appels téléphoniques reçus, entre 1995 et 2002,montre que la plupart des situations de maltraitancesignalées sont d’origine familiale et les éléments favo-risant la maltraitance les plus souvent cités sont lesrelations familiales difficiles (25 %), les problèmesfinanciers (18 %) et le manque de communication(12 %).4. Lettre de la Drees, « Une maltraitance ordinaire »,février 2005.

Un nouveau plan de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et handicapées

Le 14 mars 2007, Philippe Bas, ministre délégué alors en charge des Personnes âgées, han-dicapées et de la Famille, a présenté un « plan de développement de la bientraitance et derenforcement de la lutte contre la maltraitance » qui prévoit dix mesures concrètes :• autour d’un premier objectif global de développer une culture de bientraitancedans les établissements :1. lancer l’Agence nationale d’évaluation sociale et médico-sociale (ANESM) ;2. développer l’autoévaluation et les contrôles externes dans les établissements ;3. diffuser les bonnes pratiques en sensibilisant et formant les professionnels ;4. renforcer les effectifs dans les établissements en veillant au niveau de formation – à la psycho-logie en particulier – des personnels ;5. poursuivre l’amélioration du cadre de vie des résidents ;• autour d’un second objectif global de renforcer la lutte contre la maltraitance :6. faciliter les signalements de maltraitance en généralisant notamment les antennes d’ac-cueil téléphonique dans tous les départements ;7. désigner dans chaque Ddass un « correspondant maltraitance », qui assurera le suivi desdossiers ;8. doubler le nombre des inspections dans les établissements ;9. veiller à l’application des sanctions et mettre en œuvre un meilleur suivi des contrôles ;10. étendre aux personnes handicapées les compétences du Comité national de vigilance contrela maltraitance.Ce plan a largement pris en compte les recommandations formulées par la commission « Per-sonnes âgées et personnes handicapées » dans le cadre du rapport d’Anne Tursz.

Pour en savoir plus : la synthèse de ce plan est disponible sur le site Internet du ministèrede la Santé (www.gouv.santé.fr).

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L’association Alma a créé cinquante-deux « centres d’écoute-conseil » sur le territoire fran-çais pour venir en aide aux personnes âgées et handicapées victimes de maltraitances.Alma s’attaque à la loi du silence car, d’une part, le sujet reste tabou pour l’entourage fami-lial et les professionnels aidants ; d’autre part, ces personnes maltraitées gardent le plussouvent… le silence. Les intervenants d’Alma écoutent les personnes, les informent, lesconseillent. Ce dispositif soutenu par les pouvoirs publics est en cours d’extension.

L’âge est-il un critère d’exclusion dansnotre société ? Nous avons tant vouluajouter des années à la vie ! Aujourd’hui,les hommes et les femmes plus procheslogiquement de la mort par l’âge (90 anset plus) restent-ils des hommes et desfemmes dignes du respect de leurs sem-blables plus jeunes ? Peuvent-ils jouir dela santé telle que définie par l’Organisa-tion mondiale de la santé « La santé estun état de bien-être total physique,social et mental de la personne. Ce n’estpas la simple absence de maladie oud’infirmité » ? Il semble que, trop sou-vent, les personnes dépendantes, âgéeset/ou handicapées ne soient reconnuesque dans leur « maladie » ou leur « infir-mité », leur dépendance.

La maltraitance envers les personnesâgées commence là, dans le regard denotre société vers ces êtres qui vieillis-sent plus ou moins décemment, cesêtres qui font peur et sont enviés à lafois. Ce sujet est encore tabou parcequ’en partie les victimes elles-mêmesrestent murées dans le silence par peursouvent de représailles plus violentes.Les personnes âgées effectivement nese plaignent pas, c’est un facteur essen-tiel à retenir et cela concerne toutes lespersonnes victimes en situation de vul-nérabilité et de dépendance, tels lesenfants, les femmes battues, les per-sonnes handicapées mentales et/ouphysiques ; il est donc difficile de détec-ter les mauvais traitements en institutionet plus encore au domicile. L’associa-tion Alma France a été créée par le pro-fesseur Robert Hugonot, pour casser laloi du silence qui règne parfois au seinde l’entourage familial et professionnel.

Souffrances non reconnuesLes maltraitances sont des actes ou

des omissions répétés, volontaires ouinvolontaires. Aux questions : quandcommence la maltraitance ? Où prend-elle son origine ? Qui est le premier« auteur présumé » ? Il est bien difficilede répondre. La maltraitance est unerésultante de violences non ou malgérées, de souffrances non reconnues,de colères et de rancunes, de peurs sou-vent anciennes…

« Violence contre les vieux » (1), « Lavieillesse maltraitée » (2) « Violences invi-sibles » (3), « Vieillards martyrs, vieillardstirelires » (4), « Silence … on frappe » (5)– autant de titres évocateurs d’ouvragesconsacrés à cette thématique. Mal soi-gner, insulter, malmener, ignorer, voler,bafouer les droits sont autant de formesde maltraitance ou de négligence gra-ves. L’être humain âgé est atteint, dansces situations extrêmes, non seulementdans son corps, mais aussi dans sadignité et son identité d’humain.

Bien sûr ce sont les personnes lesplus âgées, les femmes en majorité, fra-giles et vulnérables, qui subissent tou-tes formes de maltraitance. Ont-ellesété maltraitantes autrefois ? Ont-ellesocculté ou négligé elles-mêmes desmoyens de se protéger en amont ? Sont-elles difficiles à vivre volontairement ouinvolontairement ? Dépendances phy-sique et psychique sont un premier pasvers les conflits. Toutes sortes d’excu-ses, de justifications peuvent être évo-quées. Les excès verbaux ou physiquessont-ils les seules issues ? La réponse nepeut être que négative.

Épauler les aidantsLes personnes âgées dépendantes,

prisonnières dans leur corps et/ou dansleur esprit, sollicitent de leurs aidantsfamiliaux une bonne santé physique,une grande disponibilité, et une grandeforce intérieure, au-delà de celle quipeut être exigée d’un fils, d’une fille,d’un conjoint. Au quotidien, les forcess’usent, la tolérance s’émousse si cesaidants ne sont pas écoutés, soutenus etsi les faiblesses ou l’épuisement ne sontpas admis. En effet, ce n’est pas tant lamaladie qui est difficile à supporter quele temps qu’elle dure – un mois, sixmois, cinq, dix ans ou plus !

Alma, à l’écoute de la maltraitance des personnes âgées

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Sur le banc des « auteurs présumés »des violences siègent en majorité desfils, des filles, des conjoints (eux-mêmesâgés) et des professionnels côtoyant lespersonnes âgées à domicile ou dans unmilieu institutionnel. Tous ces auteursne souhaitent pas nuire. Ils désirentsans doute bien faire, c’est-à-dire « pren-dre soin » de leur parent ou patient cor-rectement, avec humanité. Il faut eneffet ici le souligner : la majorité desfamilles et des professionnels traitentbien les personnes âgées… mais… par-fois, le dérapage est sournois !

Les raisons des dérapages possiblessont multiples et émanent de toutes lespersonnes concernées par la maltrai-tance : les personnes âgées elles-mêmes, les familles, les professionnels.Personnes âgées et familles trop sou-vent ne vont pas à la recherche d’in-formation, n’osent pas demander del’aide en amont d’une dépendanceinstallée. Les familles s’épuisent, sont àbout de tolérance et cumulent parfoisles problèmes suivants : éclatement dela famille, isolement géographique,social, affectif, chômage, difficultésfinancières, drogue, alcool, etc. De leurcôté, les professionnels, trop peu nom-breux, imposent des rythmes d’aide oude soin parfois insupportables. Lemanque de formation est souvent fla-

grant. Enfin, le manque de coordinationentre les professionnels et le manquede communication véritable entre per-sonnes âgées, familles et professionnelsne peuvent que renforcer les situationsde maltraitance.

Comprendre sans jugerAccuser n’est pas de mise à Alma.

Comprendre sans juger est l’exigence del’association, dont l’éthique (cf. encadréci-dessus) est stricte : confidentialité, dis-crétion, neutralité, non-jugement detoute personne mise en cause – « victi-mes ou auteurs présumés ». Les missionsd’Alma se poursuivent en 2007 avec 52centres d’écoute-conseil (une soixan-taine prévus fin 2007), répartis sur le ter-ritoire et dans les Dom. Depuis 2005,nos missions concernent non seulementle bien-être des personnes âgées maiségalement des personnes handicapées.

Les objectifs d’un centre départe-mental Alma restent, avec des bénévo-les en majorité, l’écoute, fondée sur uneapproche systémique et les conseilsproposés aux plaignants par des équi-pes pluridisciplinaires. Les conseillersont une solide connaissance des servi-ces sociaux, des services médicauxgériatriques, des services administratifsdu réseau gérontologique du départe-ment. Une équipe de trois ou quatre

conseillers, ayant des profils profes-sionnels différents (médecin, gériatre,assistante sociale, juriste, psychologue,professionnel du milieu gérontolo-gique, etc.), facilite la compréhensiondes dossiers ouverts par les écoutants etaccélère les démarches nécessaires ausuivi de ces dossiers.

Depuis plusieurs années, les actionsde sensibilisation et de formationauprès des professionnels des maisonsde retraite et des services d’aide et desoins à domicile se multiplient, toutcomme les demandes de documenta-tion et d’information. Devant ce besoingrandissant, Alma France a confié àune commission « communication » letravail de compilation et de création dedocuments nécessaires à la compré-hension de la maltraitance envers lespersonnes âgées1.

Françoise Busby

Directrice d’Alma France.

1. Ces documents sont accessibles sur le site Internetd’Alma ou peuvent être commandés moyennant leremboursement de frais de port et de gestion.

Écoute et formation, au centre de l’éthique d’Alma

L’association Alma s’est dotée d’un code éthique qui lui sert de guide dans ses interventions.En voici une synthèse.« La fragilité liée aux déficiences physiques, sensorielles, psychiques ou à l’isolement exposede nombreuses personnes vulnérables en raison de leur âge ou de leur handicap à un risquede maltraitance (abus, violences, négligences).Or, l’organisation sociale ne tient pas suffisamment compte des spécificités de ces person-nes. Leur souffrance, voire même leur détresse, se caractérise souvent par des attitudes derepli et de dénégation, qui rendent ces situations d’autant plus intolérables.Pour prévenir et combattre cet état de fait, Alma France s’est donné comme objectifs et moyens :– de mettre en place un réseau d’écoute des signalements de cas de maltraitance, de leurévaluation et de conseils sur la suite à donner ;– d’assurer la formation des écoutants et référents, au sein de chaque centre et, à leur demande,celle des acteurs professionnels des secteurs médicaux, médico-sociaux, sociaux et juri-diques ;– de procéder à l’évaluation permanente quantitative et qualitative du phénomène, à partir desdonnées du réseau, d’en publier les résultats et les diffuser auprès de tout organisme publicet privé concerné ;– d’assurer la sensibilisation des intervenants professionnels ou familiaux au risque de mal-traitances et à la prévention de la maltraitance et à la défense des isolés, des exclus et desplus faibles parmi les personnes âgées et/ou handicapées ;– de stimuler la prise de conscience dans la société des phénomènes de maltraitance liés auvieillissement et au handicap, par la diffusion d’informations et des principes qui président à sonaction. »

ContactSite Internet : www.alma-france.orgAlma France - BP 1526 - 38025 GrenobleCedexTél. : 04 76 84 20 40Fax : 04 76 21 81 38courriel : [email protected]

◗ Référencesbibliographiques

(1) Hugonot R. Violences contre les vieux.Toulouse : Erès, 1990 : 144 p.(2) Hugonot R. La vieillesse maltraitée. Paris :Dunod, coll. Action sociale, 1998 : 236 p.,3e édition Poche, Dunod, coll. médico-sociale, juin 2007.(3) Hugonot R. Violences invisibles. Recon-naître les situations de maltraitance enversles personnes âgées. Paris : Dunod, coll.Action sociale, 2007 : 176 p.(4) de Saussure C. (sous la dir.). Vieillardsmartyrs, vieillards tirelires. Maltraitance despersonnes âgées. Éditions Médecine etHygiène, 1999 : 181 p.(5) Gineste Y. (sous la dir.). Silence, onfrappe... Milly-la-Forêt : Éd. Animagine,2005 : 274 p.

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Contrairement aux idées reçues, les personnes atteintes de troubles psychiques sont plussouvent victimes qu’auteurs de violences. Le stéréotype de la dangerosité associée à lamaladie mentale reste très présent dans le grand public. Les experts qui ont travaillédans la commission « Violence et santé mentale » soulignent que c’est l’absence de répon-ses adéquates aux besoins et d’une prise en charge appropriée qui provoque la souf-france. Toute intervention doit donc reconnaître les personnes comme des sujets. D’oùl’intérêt des campagnes d’information pour déstigmatiser la maladie mentale afin de désamorcer le rejet dont les malades font l’objet. Mais ce type d’action ne suffit pas, la sensibilisation aux questions de santé mentale doit commencer très tôt, souligne Anne M. Lovell, présidente de ladite commission.

« Dans l’esprit du grand public, la violence estassociée avec la maladie mentale. Oui, il y a uneforte association, mais la direction de la cau-salité est le contraire des idées reçues : les per-sonnes atteintes de trouble mental grave ontbeaucoup plus de chances d’être les victimesde violence que d’en initier ».

Leon Eisenberg, psychiatre (1).

« Tout acte violent qui sort de l’ordinaire, soitpar sa réalisation, soit par son horreur, soit parl’absence de motif évident, est attribué à unmalade mental. “C’est un acte fou” devient vite“c’est l’acte d’un fou…” ».

Yves Pélicier, cité par Clément 1996 (2).

En présentant ses recommandations,la commission « Violence et santé men-tale » s’est trouvée confrontée auxmêmes obstacles que toute campagnede prévention ou d’éducation sanitairerencontre sur cette question de la vio-lence. Non seulement la notion elle-même reste particulièrement floue maisles erreurs quant à la relation entre vio-lence et maladie mentale sont monnaiecourante dans le grand public. La per-sistance de stéréotypes fallacieux – com-binée au sentiment d’insécurité croissantperçu dans nombre de domaines – metla psychiatrie publique en demeure detrouver des solutions efficaces à des pro-blèmes sociaux et moraux allant bienau-delà de ses compétences. Par ailleurs,experts et patients manquent de don-nées argumentées sur les conséquencespsychologiques des violences.

Ces points doivent être clarifiés sil’on veut développer une approcheéducative en ce qui concerne les rap-ports entre violence et santé mentale.Cet article ne présente pas l’ensembledu travail de la commission, il est axésur la prévention et les recommanda-tions que nous avons formulées enmatière de politique éducative. Desprogrès ont certes été accomplis dans latransmission aux professionnels desanté d’outils qui peuvent être utilisésen prévention des violences ; mais peud’outils spécifiques existent pour pré-venir et réduire la violence, et un impor-tant travail reste à faire en matièred’éducation.

Casser la représentationviolence/santé mentale

Quelle que soit la manière dont ondéfinit la violence, une grande confu-sion règne lorsqu’il s’agit de son rapportà la santé mentale (voir encadrépage 38). Un professeur de médecinesociale de Harvard, Leon Eisenberg,vient d’épingler dans une importanterevue psychiatrique le préjugé trèsrépandu qui inverse les rapports entrela maladie mentale et la violence (1).Au contraire des idées reçues, la majo-rité des personnes qui commettent unacte reconnu comme violent (délit,crime, etc.) ne souffre d’aucune maladiementale. Selon des enquêtes épidé-miologiques menées à l’échelle inter-nationale, la probabilité qu’une per-sonne affectée d’une maladie mentale

commette des actes violents est légè-rement plus élevée que pour une per-sonne « saine » – mais cette règle ne sevérifie que lorsque la maladie mentaleest accompagnée d’un certain nombrede caractéristiques spécifiques, ou « fac-teurs de risques », tels que certains étatspsychotiques (par exemple, délire depersécution), l’absorption d’alcool oud’autres substances, la précarité sociale,un traitement inapproprié, un traite-ment interrompu ou impossible. L’As-sociation canadienne pour la santémentale fait pour sa part remarquer quesi la proportion d’actes violents (défi-nis comme le fait de menacer, de frap-per, de battre ou plus généralement demaltraiter une autre personne) commispar des personnes ayant des troublesmentaux est de trois à cinq fois plus éle-vée que pour la population en géné-ral, elle est tout à fait semblable à la dif-férence établie entre les hommes et lesfemmes. En tout état de cause, l’abusd’alcool et d’autres substances est unfacteur de violence beaucoup plusimportant que la maladie mentale.

Davantage victimes qu’auteursde violences

Contrairement aux idées reçues, lespersonnes atteintes de troubles psy-chiques risquent donc beaucoup plusd’être les victimes que les acteurs de laviolence. Sur une année, entre 10 et21 % de ces personnes déclarent avoirété victimes de violences, et pour lesfemmes le coefficient est six fois plus

Dissocier troubles psychiques et violence dans l’esprit du public

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élevé1. Une étude a trouvé qu’en unmois seulement, 57 % des femmes sansabri et ayant des troubles mentauxavaient été victimes d’agressions (4).Ces proportions dépassent largementcelle de la population en général. Laseule étude permettant une vraie com-paraison entre les populations de per-sonnes atteintes de trouble mental et lapopulation « générale » (5) constate qu’ily a 11,8 fois plus de victimes de vio-

lence (agression physique ou sexuelle)parmi les patients ou usagers de servi-ces psychiatriques que parmi le publicordinaire et 140 fois plus de victimes devol. Plusieurs autres études confirmentces tendances (3). Le risque de subir cetype de violence ou de dommages estencore plus élevé lorsque la personneatteinte de trouble mental est sous l’in-fluence de l’alcool ou d’une autre dro-gue. Ces personnes risquent également

d’autant plus d’être victimes de violen-ces lorsqu’elles se sont retrouvéesimpliquées dans un contexte de vio-lence domestique, de crime ou de petitedélinquance dans le passé, comme vic-time ou comme agresseur. La nature dutraitement peut également jouer.

Les mythes archaïques refont surface

Bien que les actes de violence com-mis par des personnes souffrant demaladie mentale soient relativementrares, le public tend à associer la « folie »à la violence. Les actes d’extrême vio-lence, même lorsque aucun suspect n’aété retrouvé, sont souvent qualifiés parles médias de « fous » (« c’était un acte depure folie », « œuvre d’un fou », etc.).Ces représentations, où des mythesarchaïques refont surface, sont encoretrès répandues, comme le montre une étude du Centre collaborateur del’Organisation mondiale de la santé(CCOMS) de Lille conduite en collabo-ration avec la Direction de la recherche,des études, de l’évaluation et des sta-tistiques (Drees) dans plusieurs villes deFrance (6). Lors de l’enquête, les per-sonnes à qui l’on proposait des listes demots qui pouvaient décrire les maladesmentaux associaient fréquemment lemot « fou » à l’idée de violence, et lescomportements violents et dangereux àune « folie » sous-jacente. L’assimilationde la folie et de la violence justifie parailleurs, aux yeux de la majorité despersonnes interrogées, l’enfermement,mais pas nécessairement le traitementmédical. Dans leurs représentations, la« folie » peut mener au meurtre, tandisque la « maladie mentale » se limite plu-tôt à des violences allant de l’agressivitéau viol exercées contre des proches. Lesétudes internationales sont arrivées àdes résultats semblables. En reprenantune question tirée d’une enquête de1950, une étude américaine récenteportant sur les attitudes du publicenvers les malades mentaux a révéléque le stéréotype de la dangerositéassociée à la maladie mentale estencore plus fréquent aujourd’hui (7).Paradoxalement, en un demi-siècle, lestéréotype s’est renforcé malgré unemeilleure connaissance de la maladiementale, de ses causes et de ses traite-ments chez les personnes interrogéesde nos jours. L’étude révèle aussi queles personnes qui croient à une pro-pension à la violence chez les maladesmentaux tendent à les éviter le plus

Définir la notion de violence en santé mentaleEn santé mentale, la confusion règne quant à la définition de la violence. L’Organisation mon-diale de la santé définit la violence comme « l’usage délibéré ou la menace d’usage délibéré,de la force physique ou de la puissance… » (1). Le terme « usage délibéré » soulève deuxtypes de problèmes. Tout d’abord en suggérant que la violence est quelque chose « dont il estfait usage », il exclut la violence institutionnelle et/ou sociétale. L’institution psychiatrique, lessoins, les contraintes physiques et pharmacologiques et la stigmatisation peuvent être vécuscomme des formes de violence, sans qu’il y ait nécessairement un auteur spécifique. Se trouveégalement exclu ce que Pierre Bourdieu appelle « violence symbolique », et en raison mêmede son invisibilité. Contrairement à la violence physique, la violence symbolique ne résulte pas(toujours) d’une action contre le corps de l’autre mais plutôt d’un ancrage solide dans les for-mes sociales et culturelles de domination. Elle inclut ce qui ce passe entre individus ou grou-pes à travers l’expression du mépris, de la négation de la personne, de la discrimination sociale,du racisme – et de la stigmatisation. Elle peut se traduire alors par un sentiment de non-recon-naissance de celui qui en est l’objet, ce qui est souvent en jeu dans le cas des personnesatteintes de trouble mental.En deuxième lieu, le critère de l’intentionnalité peut être absent quand des personnes atteintesde troubles psychiatriques ou neuropsychiques commettent des actes de violence. Ce problèmeest au cœur des débats suscités par l’article 122-1 du code pénal en 1994, selon lequel unepersonne atteinte – au moment des faits qui lui sont reprochés – d’un trouble psychique ayantaboli son discernement doit être déclarée pénalement irresponsable. Elle n’est alors pas jugée.Cette reconnaissance juridique d’un manque de conscience de commettre une infraction oud’une incapacité de s’empêcher de commettre des actes violents est d’ailleurs critiquée parles victimes et les familles. Ceux-ci considèrent que la privation du procès des auteurs d’actesde violence est une négation des violences subies et empêche le travail de deuil. Pourtant, ilest possible d’imaginer des actes de violence sans intentionnalité, y compris lorsqu’un auteurest identifiable.Troisièmement, il n’y a pas que l’atteinte à l’intégrité corporelle qui soit susceptible de faireviolence, mais aussi bien l’atteinte aux ressources et aux possessions. Cette forme de vio-lence va des petits actes de fraude (ne pas rendre la monnaie qui est due) jusqu’à l’escroque-rie et au cambriolage. Et il s’agit d’une forme de violence assez fréquente en direction despersonnes atteintes de trouble mental.Malgré ces limites, la définition de l’OMS apporte aussi des avantages conceptuels que nousintégrons dans notre réflexion. Elle permet de penser ensemble, de substituer à l’individu (oumême à la relation auteur-victime) des personnes ayant des caractéristiques communes, enl’occurrence des troubles mentaux. Cette perspective rejoint celle d’une politique de santépublique axée sur les populations. Nous proposons néanmoins d’élargir ce cadrage en y ajou-tant la violence structurelle (2) non seulement interpersonnelle mais encore organisée et incar-née dans la façon dont les inégalités et les préjugés s’inscrivent dans les infrastructures (le loge-ment, les lignes de transports connectant les quartiers, etc.), l’organisation sociale (l’accès àl’emploi, les débouchés offerts par les différentes filières, etc.), les rapports sociaux (l’isole-ment de certaines populations, la domination par un groupe professionnel ou par une élite, etc.).

A. M. L.(1) Krug E.G., Dahlberg L.L., Mercy J.A., Zwi A., Lozano-Ascencio R. (sous la dir.). Rapportmondial sur la violence et la santé. Genève : OMS, 2002 : 376 p.(2) Scheper-Hughes N., Bourgois P. Violence in war and peace. An anthology. London: Black-well, 2004: 496 p.

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possible. La méconnaissance du rap-port violence/santé mentale est aggra-vée par le développement d’un senti-ment d’insécurité. Ces observationsnous mènent à interroger les conditionsqui produisent le statut de victime,question que nous ne pouvons pas trai-ter ici (8).

Reconnaître la souffrancede la personne

C’est à partir du constat des limitesdes approches sectorielles que notrecommission a formulé ses recomman-dations. Dans la pratique, il est communde considérer une victime de violencescomme une personne ayant desdemandes de prise en charge, alorsqu’un auteur de violences n’est pasconsidéré sous le même angle mêmes’il a des demandes similaires. Ce dou-ble regard – dont le fondement social etinstitutionnel est fort sous l’angle del’acceptabilité de la société – peutconduire à aborder de façon différen-ciée les questions qui se posent dansle champ de la santé mentale. La com-mission s’est donc attachée à trouver uncadre de référence commun pour tous :victimes et auteurs. Ce cadre prend encompte de façon centrale les personneset leur reconnaissance comme dessujets ayant des besoins en santé men-tale liés aux situations de violence qu’ilsrencontrent et qui trouvent/ou ne trou-

vent pas des réponses appropriées dansl’environnement qui leur est accessible.La commission souligne que bien évi-demment, c’est l’absence – ou la limi-tation – des réponses appropriées quidoit faire l’objet d’un gros travail de pré-vention et de prise en charge, car c’estcette absence qui se traduit par dessouffrances pour la personne et peutconduire, dans certains cas, à des actesde violence.

Travailler en amont du systèmepsychiatrique

Toute politique de prévention en lamatière doit intégrer le fait qu’en amontdu contact avec le système psychia-trique, d’autres besoins des individus,s’ils sont ignorés, peuvent conduire àdes situations ou à des conditions favo-rables à la violence. Par exemple, la lit-térature scientifique montre jusqu’àquel point l’environnement et sesconditions influent dans le passage àl’acte violent aussi bien que dans la vic-timisation (3, 8). Cela nous mène versune perspective plus large de préven-tion en santé mentale. La prise encompte des besoins de toutes lesfamilles – celles des patients commecelles de personnes chez qui un troublen’est pas encore apparu – est fonda-mentale, comme l’est l’apport de solu-tions concrètes d’éducation à la santédans les domaines clés les plus souvent

en jeu : l’éducation au rôle parental, laplace de l’école dans l’intégration desjeunes aussi bien que dans le repéragede grandes difficultés (psychologiquesou non), les actions de santé publiquelocales (y compris à l’échelle d’un quar-tier), etc.

La reconnaissance des besoins despatients, de leurs familles mais aussi del’ensemble de la population conduit àposer la question suivante : ces per-sonnes ont-elles les capacités et la pos-sibilité de faire entendre leurs besoins,et que ces derniers soient pris encompte dans les dispositifs sociaux ouinstitutionnels spécialisés existants ? Ilest donc important d’interroger lecontexte social et le cadre institutionnel,tant dans la prise en compte de souf-frances et des traumatismes vécus parces personnes que dans les réponsesqu’ils leur apportent.

De la prévention à l’éducation En complément de ce cadre, des

efforts spécifiques en ce qui concernela santé sont engagés. L’outil souventproposé pour éduquer le public à laquestion de la santé mentale est lerecours à des campagnes médiatiques,portant surtout sur le problème dustigma. La stigmatisation a un impactnégatif sur les personnes souffrant detroubles mentaux, véhiculant des sen-

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timents de perte de dignité, de désap-partenance, d’inutilité. Cela peut se tra-duire par le rejet de la réalité de la mala-die, le refus des soins, et un risque detroubles compliqués ou de violences.Pour sa part, le public a tendance à tra-duire cette stigmatisation en rejet dumalade ; il remet en question la capa-cité des soins psychiatriques et desinterventions en santé mentale à pro-poser des réponses adéquates, y com-pris à favoriser la réinsertion.

Des campagnes médiatiques peu-vent être organisées autour de l’objec-tif de réduction de l’amalgame que faitl’opinion publique entre « folie = vio-lence = maladie mentale ». Toutefois, ilest important de distinguer campagnesd’information et campagnes de destig-matisation. En ce qui concerne les pre-mières, une meilleure connaissancescientifique du trouble mental ne s’ac-compagne pas nécessairement de ladiminution des stéréotypes. En fait, cer-taines études suggèrent que le contactdes citoyens sans problèmes parti-culiers avec des personnes qui souffrentde trouble mental peut influencer posi-tivement les attitudes des premiers plusque ne le fait l’acquisition de connais-sances (9).

Pour éduquer le public, on peut aussiagir en essayant de modifier les repré-sentations véhiculées par les médias.Malheureusement, certaines catégoriesde personnes n’attirent l’attention desmédias que lorsqu’elles commettent desactes répréhensibles. C’est le cas des« jeunes des quartiers sensibles » commecelui des gens qui souffrent de troublespsychiatriques. En outre, il n’y a pasnécessairement corrélation entre la fré-quence des débats sur la violence dansles médias et le niveau de violence dansla vie réelle (10). Une recherche-actionmenée au Canada montre les difficultésd’une démarche en collaboration avecles médias (11). Toute utilisation desmédias demande donc une réflexionpréparatoire approfondie. La façondont la maladie mentale est représentéedans les films, par exemple, relève d’unassemblage complexe de procéduresqui président à la création artistique(musique, effets sonores, découpage etmontage de l’action narrative, entre aut-res) (12, 13). Pour éduquer le publicaux problèmes de santé, il peut s’avérerplus efficace de se concentrer sur laproduction de films éducatifs que d’es-

sayer d’influencer les productions com-merciales existantes. La représentationdes personnages « dingues » dans lesdessins animés destinés aux enfants estparticulièrement révélatrice de cettesituation.

Éduquer dès le primaireEn conclusion, si les campagnes

médiatiques ont un rôle à jouer dansl’éducation du public aux problèmes dela santé mentale et de la violence, ellesdoivent être soigneusement préparées ;et même dans ces conditions nousdevons nous attendre à ce qu’ellesengendrent des effets secondaires invo-lontaires. Nous suggérons d’agir surtrois plans complémentaires. Premiè-rement, il faut essayer de modifier lescadres d’interprétation à travers lesquelsles gens reçoivent les images et l’infor-mation. Dans ce sens, l’éducation à lafois aux problèmes de la santé mentaleet de la maladie et autour de la violencedoit commencer très tôt, dès l’école pri-maire, et le chemin est encore long.

Deuxièmement, les campagnes ciblantles médias doivent impliquer, outre lesusagers et les soignants, des artistes, dessociologues, des professionnels ayantune connaissance approfondie de lafaçon dont les médias influencent nosperceptions – un processus qui com-mence à être engagé en France. Enfin,au niveau local, un travail préventifpeut se faire à travers un processusd’éducation mutuelle et de contactentre les malades et les autres citoyens,centré soit sur des événements spéci-fiques soit sur des attitudes et dessavoirs communs – la démocratie enfinà l’œuvre dans le domaine de la santé(voir l’article suivant pour un tel pro-cessus mis en œuvre à Marseille).

Anne M. Lovell

Chercheur, Cesames, centre de recherche

Psychotropes, santé mentale, société.

CNRS UMR 8136 – Inserm U611, Paris-5.

1. Pour ces données et une revue de cette littérature,voir (3).

(1) Eisenberg L. Violence and the mentally ill:victims, not perpetrators. Arch. Gen. Psy-chiatry 2005; 62(8): 825-6.(2) Clément M.C. L’institution psychiatriqueet la violence. Thèse de Docteur en médecine.Université Claude-Bernard Lyon-I, faculté demédecine Lyon -Grange-Blanche, 1996.(3) Lovell A. M. avec la collaboration de LiviaVelpry, Jon Cook. Violence envers les per-sonnes atteintes de troubles psychiques :revue de la littérature et évaluation des sour-ces de données en France. Inserm UMR 379.Rapport final préparé pour la direction géné-rale de la Santé, mars 2007.(4) Sullivan G., Burnam A., Koegel P., Hollen-berg J. Quality of life of homeless persons withmental illness: results from the course-of-homelessness study. Psychiatr. Serv. 2000;51(9): 1135-41.(5) Teplin L.A., McClelland G.M., Abram K.M.,Weiner D.A. Crime victimization in adults withsevere mental illness: comparison with theNational Crime Victimization Survey. Arch.Gen. Psychiatry 2005; 62(8): 911-21.(6) Anguis M., Roelandt J.-L., Caria A. La per-ception des problèmes de santé mentale : lesrésultats d’une enquête sur neuf sites. Étudeset Résultats 2001 ; n° 116, ministère de l’Em-ploi et de la Solidarité, Drees : 1-8.(7) Phelan J.C., Link B.G., Stueve A., Pesco-

solido B.A. Public conceptions of mental ill-ness in 1950 and 1996: what is mental illnessand is it to be feared? Journal of Health andSocial Behavior 2000; 41: 188-207.(8) Lovell A. M. Violence et santé mentale. Rap-port de la Commission pour les travaux prépa-ratoires à l’élaboration du plan Violence et Santéen application de la loi relative à la politique desanté publique du 9 août 2004. Paris : minis-tère de la Santé et de la Solidarité, mars 2005.(9) Stuart H. Stigma and the daily news: eva-luation of a newspaper intervention. Can. J.Psychiatry 2003; 48 (10): 651-6.(10) Peralva A., Macé E. Médias et violencesurbaines. Débats politiques et constructionjournalistique. Paris : La Documentation fran-çaise, 2002 : 222 p.(11) Wilson C., Nairn R., Coverdale J., Panapa A. Mental illness depictions in prime-time drama: identifying the discursive resour-ces. Aust. N. Zealand J. Psychiatry 1999; 33(2): 232-9.(12) Wilson C., Nairn R., Coverdale J., Panapa A. Constructing mental illness as dan-gerous: a pilot study. Aust. N. Zealand J. Psy-chiatry 1999; 33 (2): 240-7.(13) Wilson C., Nairn R., Coverdale J., Panapa A. How mental illness is portrayed inchildren’s television. A prospective study. Br.J. Psychiatry 2000; 176: 440-3.

◗ Références bibliographiques

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À Marseille, des groupes de parole réunissent patients et soignants pour dénouer lesconflits et faire émerger la parole des patients. Des patients en psychiatrie y exprimentla souffrance – et donc la violence – qu’ils ressentent face à certaines attitudes des soi-gnants au quotidien. En s’ouvrant au dialogue, les soignants acceptent de remettre encause leur mode d’intervention perçu comme violent par les patients. Ces groupes deparole ont permis de rendre moins aigus les conflits soignés/soignants.

Le groupe marseillais de la Fédéra-tion nationale des associations d’(ex)-patients en psychiatrie (Fnapsy) a lancé,dans le cadre de la première campagnenationale de déstigmatisation1, un dia-logue public sur les liens entre violenceet maladie mentale. Lors de réunionsouvertes à l’ensemble de la populationmarseillaise, les cliniciens, les tra-vailleurs sociaux, les usagers, lesfamilles concernées, les chercheurs etles artistes ont débattu des conséquen-ces des stéréotypes fortement répandusqui associent la « folie » à la dangero-sité et au crime. La violence attribuée defait aux personnes malades justifie auxyeux du grand public leur enfermementdans des hôpitaux psychiatriques. Cesconstatations, issues de l’étude natio-nale conduite par le Centre collabora-teur de l’Organisation mondiale de lasanté (CCOMS) de Lille, ont été pré-sentées en même temps que les résul-tats des travaux de la commission surla Violence et la Santé mentale dans lecadre du rapport Tursz rédigé à lademande du ministère de la Santé etdes Solidarités (voir article d’A. M.Lovell p. 37). L’intérêt des participants etleur désir de poursuivre les échangessur la violence eurent pour consé-quence la mise en place de trois typesde groupes de parole dans les mois quisuivirent.

Violence nourrie par l’indifférence

Un psychiatre, Vincent Girard,responsable opérationnel de la campa-gne de déstigmatisation à l’époque etune anthropologue, Anne M. Lovell,conduisirent les deux premières séries

de rencontres. Dans le premier groupe,des usagers, des travailleurs sociaux,des infirmières, le responsable médicaldu services des urgences psychiatriqueset d’autres personnes examinèrent lasituation type où un patient devientagressif dans l’enceinte du servicehospitalier des urgences psychiatriques.Les usagers expliquèrent comment l’in-différence à leur souffrance et la non-reconnaissance de leurs besoins dansce moment de crise ont engendré unespirale d’angoisses, voire une expé-rience de terreur, qui peut débouchersur des réactions violentes. Une desremarques concernait la négociation dela prise de traitement. Plusieurs patientsse plaignaient d’avoir reçu des injec-tions de force qui, selon eux, étaienttrop souvent effectuées par les soi-gnants sans réelle négociation. L’injec-tion a été présentée, alternativement,comme un moment important pour lepatient, qui mesure à cette occasion ledegré de liberté dont il dispose dansun contexte de privation de sa capacitéà choisir. Les professionnels suggérè-rent que la pénurie de personnel et l’ar-chitecture même de l’hôpital, avec deschambres d’isolement situées loin desinfirmiers, pouvaient générer des situa-tions et des comportements violents. Sebasant sur son expérience répétée del’enfermement dans une chambre d’iso-lement, un usager proposa des solu-tions pratiques pour rendre ce momentmoins violent. Il souligna l’importancede maintenir un contact régulier avec lapersonne enfermée et cela, d’au moinsdeux manières, d’une part, grâce à uninterphone connecté à la chambred’isolement et, d’autre part, par la visite

fréquente d’un soignant. Il proposaaussi de placer une horloge dans lapièce afin d’avoir un repère temporel.Il suggérait aussi que des explicationsclaires – le cadre juridique notamment– soient délivrées au patient. Enfin, ilfaudrait permettre à la personne de sor-tir de sa chambre régulièrement etmodifier l’architecture de la chambrepour en atténuer l’atmosphère carcé-rale. Ces mesures simples demandentquelques ressources mais, surtout, unevolonté institutionnelle.

Non-respect de leur intimitéLe docteur Girard a poursuivi ce pro-

cessus d’éducation mutuelle et collec-tive en organisant une deuxième sériede groupes de parole : des « réunionscommunautaires » dans son servicehospitalier, où des tensions et desconflits avaient proliféré. Chaquesemaine, pendant une heure et demie,les patients (entre dix et vingt) et unpetit groupe de soignants (de deux àquatre) soulevaient des problèmes,comme celui du partage et du vivreensemble au sein du service, selon desprocédures collectivement acceptées(prise de parole tour à tour, respect dela parole de l’autre, sujets de discussionrelatifs à la communauté, absence desujets tabous). Au cours de ces discus-sions, il fut notamment reproché auxsoignants de ne pas taper à la porte deschambres, ou d’entrer sans attendre deréponse, ce qui est perçu par les per-sonnes comme « un non-respect de leurintimité ». Les patients purent réagir à latrop grande familiarité avec laquelle ons’adressait à eux (tutoiement, infantili-sation, mépris, indifférence). Le groupe

Groupes de parole usagers/soignants àMarseille : une thérapie contre la violence

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évoqua aussi comme l’un des dysfonc-tionnements majeurs dans l’organisa-tion des soins l’ennui, lié au sentimentd’attente permanente. L’ennui est vécucomme difficilement supportable et l’inactivité est source de conflits. Il n’yeut pas d’évaluation formelle de cesgroupes de parole. Mais il semble quel’instauration d’un espace mixte, où lespatients pouvaient prendre la parole, aitmis en demeure les soignants de recon-naître qu’ils participaient à l’apparitionde situations violentes. Cette recon-naissance a permis de nettement dimi-nuer la fréquence et l’intensité desconflits quotidiens entre soignants etsoignés dans le service.

Faire émerger le non-ditUn dernier type de groupe de

parole, formé presque exclusivementd’usagers, fut expérimenté lors d’uneexcursion en voilier aux îles du Frioul.Une anthropologue, Anne M. Lovell,poursuivit l’expérience dans le cadred’un groupe d’entraide mutuelle récem-ment ouvert, intitulé « Sentinelles Éga-lité ». À partir de la constatation que laviolence est consubstantielle à la per-sonne humaine – qu’il y ait ou non trou-bles psychiatriques – les usagers diffé-rencièrent la violence de la viequotidienne de la violence institution-nelle. D’après leur expérience, la vio-lence est « une façon presque normalede réagir pour la plupart des gens » lors-qu’ils sont confrontés à quelqu’un quiparaît « différent » à cause de la maladieou des effets de la médication. Enmême temps, la nature des maladiespsychiatriques rend certains usagersparticulièrement sensibles au fait d’être« traités comme des chiens », « commeun con », ou simplement « arnaqués »de façon mesquine, dans un magasin,un café, au travail ou dans la rue. À l’in-térieur de l’institution, les usagerscondamnèrent, entre autres, l’usage illé-gal de la force par des vigiles sans for-mation, la « camisole chimique » utiliséecomme une punition, l’abrogation arbi-traire de droits, comme celui de pouvoirsortir du service dans le cas d’unehospitalisation volontaire ou de pouvoirregarder la télévision pendant les heu-res affichées, et, parfois, des proposracistes ou des violences physiquesexercées par le personnel. Les propo-sitions concrètes pour diminuer la violence inclurent la mise en place de livrets d’accueil concernant leurs droitsà l’hôpital et l’assurance que les usagers

soient représentés dans des instanceshospitalières, départementales et régio-nales – représentation déjà prévue parla législation en matière des droits despatients. Enfin, ces groupes ont permisle partage d’un savoir thérapeutique(comment contrôler la colère) et social(comment vivre avec les autres).

Les groupes de parole permettentl’émergence du non-dit de la violenceet un dialogue utile entre usagers etpersonnels soignants. L’efficacité de cepuissant outil éducatif dépend cepen-dant de la conscience de la dissymé-trie habituelle entre les deux groupesd’acteurs : la parole de l’usager d’unepart, celle du personnel soignant et desautres citoyens d’autre part, doivent êtreplacées et reçues sur un pied d’égalité.Les groupes de parole entre malades

usagers, soignants et citoyens ont per-mis de faire émerger une conclusioncommune : la reconnaissance que laviolence est un phénomène intersub-jectif, et donc qu’elle naît de la relationet non d’une maladie.

Anne M. Lovell

Vincent Girard

Psychiatre, Médecins du monde,

Assistant chef de clinique,

service du professeur Naudin,

hôpital Sainte-Marguerite, Marseille.

1. Campagne de déstigmatisation organisée conjoin-tement par le Centre collaborateur OMS de Lille, l’As-sociation des maires de France et la Fnapsy, en 2005,et intitulée : « Accepter les différences ça vaut aussipour les troubles psychiques » (site Internethttp://accepterlesdifférences.com).

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Comment les personnels des institutions sont-ils victimes de violences ? Comment cesinstitutions génèrent elles-mêmes de la violence ? Omar Brixi, médecin et enseignant desanté publique, président de la commission « Institution, organisation et violence », sou-ligne à quel point cette violence fait l’objet d’un déni. L’éducation pour la santé a un rôleà jouer dans ce domaine pour ne pas s’en tenir aux symptômes de ces violences maisremonter aux racines, s’attaquer aux causes réelles, former les professionnels, libérer lesparoles, réinstaurer le respect des droits et des personnes, de part et d’autre. Il illustreson propos en présentant quelques actions rapportées auprès de cette commission.

La commission « Institution, organi-sation et violence », travaillant dans lecadre de la préparation du plan Vio-lence et Santé, a été confrontée d’em-blée à la difficulté d’avoir une réflexioncritique tout en rassemblant une domi-nante de représentants institutionnels.Un vaste défi, dans un contexte socio-économique d’insécurité accrue pourles personnes et groupes sociaux lesplus en difficulté.

Le rapport de la commission étantaccessible sur le site Internet du minis-tère de la Santé1, le choix a été fait decentrer le propos sur le fond de ladémarche d’analyse adoptée et sur lechamp d’action possible de l’éducationpour la santé face à cette problématiquesi étrange des institutions et de la vio-lence. Nous avons examiné la situationdans des lieux comme l’école, l’hôpital,la prison, et chez certaines catégoriescomme les forces de l’ordre, les person-nes en situation de vulnérabilité. Nousavons confronté nos représentations– souvent très différentes – des termes« violences », « institutions », « santé » ; ladéfinition de la violence de l’Organisa-tion mondiale de la santé nous a globa-lement réunis, sauf sur le qualificatif de« l’usage délibéré » et sur l’absence deréférence aux logiques institutionnelles.

Comme fil conducteur de nos tra-vaux, nous sommes convenus deremonter aux racines et faire émerger leslogiques qui génèrent la violence, plutôtque d’en rester aux seuls symptômes duphénomène. De distinguer, par exem-ple, les personnes et les missions qui leursont confiées des logiques implicites etstructurelles d’une institution. Il est à sou-

ligner que le premier temps de nos tra-vaux a été un temps d’expression « spon-tanée ». Il a libéré une dose de violen-ces que nous avons vite comprises etgérées comme des souffrances conte-nues, des refoulements accumulés pardes hommes et des femmes épuisés d’être confondus ou de se confondreavec leurs institutions.

L’examen des données disponiblessur ce sujet a nourri bien des controver-ses du fait de la variabilité des chiffres,de leur niveau de fiabilité, de la légitimitéde certains collecteurs de données. Ilnous est rapidement apparu que la vio-lence ne peut s’appréhender par les chif-fres qu’en partie. Il faut aussi prendreen compte ce que l’on veut leur fairedire. Surtout que ce sont le plus souventdes éléments subjectifs – morale, règles,représentations, choix de société, maisaussi intérêts en jeu et rapports de force– qui déterminent les critères utilisés.

Violence : déni individuel et collectif

La violence doit être comprise danstoutes ses dimensions : pour ses effetssur la santé, mais aussi en tant que signed’une souffrance qui doit être resituéedans ses dimensions individuelles etsociales. Or la violence fait souvent l’ob-jet d’une sorte de « déni » individuel etcollectif. Avant d’être sociale, la vio-lence est générée par des individus.Mais la violence est aussi collective, enlien avec l’histoire d’une communauté,d’une institution, des modes d’organi-sation et de fonctionnement, des diffi-cultés conjoncturelles, etc. La commis-sion a opté pour appréhender lesviolences dans leurs expressions indi-

viduelles et dans leurs construction etvécu collectifs.

La violence doit également être ana-lysée dans ses variations culturelles etsociologiques : évolution des seuils detolérance, phénomènes d’amplificationmédiatique, etc. Des comportements àune période donnée ne sont plus tolé-rés ou sont vécus différemment dans lespériodes qui suivent. Les risques dedérapage dans les représentations etdans les attitudes (exagérations, inadé-quations, etc.) augmentent à l’évidenceavec les sentiments d’insécurité liés àl’environnement économique, social,culturel (chômage, exclusion, perte desrepères, évolution des valeurs, menacesconcrètes ou indéterminées, etc.).

Une enquête d’opinion menée parl’institut de sondages BVA à la demandedu Haut Comité de la santé publique(HCSP) montre bien la relativisationsociale des phénomènes de violence,la population ayant une perception dif-férente de celle rapportée par lesmédias. Dans sa conclusion, le HautComité souligne que si le système desoins constitue un lieu privilégié pourfaire remonter les informations, infor-mer et orienter les victimes, les phéno-mènes de violence ne peuvent être prisen compte sous le seul angle de la santépublique. Une approche multidiscipli-naire doit être conjuguée avec desactions interministérielles.

La violence des institutions : un sujet tabou ?

La violence institutionnelle est-elleun sujet tabou ? Nous nous sommesinterrogés sur la manière dont les insti-

Institutions : désamorcer la violence

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tutions auxquelles nous appartenonsabordent leur propre violence. Pour-quoi la culture et l’organisation d’uneinstitution peuvent générer et aggraverles violences ? Beaucoup reconnaissentque les services de l’État auxquels ilsappartiennent vivent une « violenceordinaire » étouffée et étouffante.

Que cela soit au sein des établisse-ments scolaires, des hôpitaux, des pri-sons, dans les commissariats ou dans leslocaux de la gendarmerie, les témoi-gnages et analyses qui nous ont en étélivrés témoignent tout au moins d’unvécu lourd par les personnels de cesinstitutions quand ce n’est pas de véri-tables états « de fractures internalisées ».Les fractures sociales sont telles qu’ellesn’épargnent même plus celles et ceuxqui sont chargés de les combattre, répa-rer ou éviter.

À tous les niveaux, les personnelssont amenés de ce fait à se défausser deplus en plus ou à se protéger en cas-cade. Parmi les logiques en cause ontété signalés, pour exemple, la culturede la qualité et ses protocoles. Souscouvert de tendre vers l’objectivité, larationalité, la sécurité, les choix orga-nisationnels font passer le facteurhumain au second plan au profit du fac-teur matériel, technologique, etc. Laplace de la personne n’est pas correc-tement prise en compte dans l’organi-sation du travail et dans la prise de déci-sion. Même si la violence n’a pas lamême signification selon l’institutionconcernée. La remise en cause du bizu-tage en France, par exemple, n’est pasvenue des institutions mais essentielle-ment d’individualités, soutenues parleurs familles et par les médias, aurisque pour les personnes concernéesde se faire exclure de leur corps d’ap-partenance. Un tel exemple recoupéavec tant d’autres ne signifie-t-il pasqu’une institution générant de la vio-lence ne peut la juguler par elle-même ?Nous nous sommes également appli-qués à repérer et mettre à plat un cer-tain nombre d’idées toutes faites dansun effort de déconstruction cher ausociologue François Dubet.

Rapportons rapidement quelquespropos récurrents entendus pendant lesauditions :« Nous assistons à une augmentationdes signalements de violence en milieuhospitalier. »

Dans le cadre de l’accréditation deshôpitaux, la gestion des événementsdits indésirables est devenue un critère.L’Anaes (désormais la Haute Autorité ensanté) incitant, dès sa première inter-vention, les hôpitaux à mettre en placedes systèmes de déclaration de ces évé-nements. Juste après, on a constaté quele nombre de signalements a naturel-lement augmenté. Mais quel paramè-tre a ainsi été mesuré à la hausse ? Lenombre de faits de violence en milieuhospitalier ou de signalements ? N’est-ilpas habituel que l’on ne signale que ceque l’on décide à un moment donnéde voir, de nommer et donc de ne plussupporter ? D’où les risques liés auxinterprétations hâtives.

Deuxième exemple : « le seuil de tolé-rance de la violence a baissé. »

Là aussi, ce genre de propos géné-ral, souvent repris comme une évidence,mérite réflexion. Alors que les gestion-naires des hôpitaux nous rappelaientavec insistance à quel point les patientset le personnel demandent une prise encompte du risque de violence – aumême titre que les autres risques hospi-taliers – et une politique d’action pourle réduire. Or, le plus souvent on lesentend sur un risque et pas sur un autre,encore moins sur la globalité. De quelseuil et de quelle tolérance parle-t-on ?

Troisième exemple : « une politiquede tolérance zéro de la violence au seindes établissements a été décidée. »

La tolérance est-elle un sentiment,un discours ou l’objet d’une politique ?Par rapport à ces idées toutes faites, ilest bon de rappeler ce qui a été décidéet mis en place dans certains hôpitaux,à savoir installer des chargés de sécuritépour faire face à la violence, protégerles personnels et les patients des agres-sions, alors que dans d’autres établis-sement les violences faites aux person-nels sont mises en avant et dissociéesdes violences faites aux malades, auxpublics et à ce qui est commun.

Le travail isolé favorise la violence

Traiter la question de la violenceincite à réfléchir à la manière de tra-vailler, seul ou en équipe. À l’hôpitalcomme dans les écoles, les prisons oudifférents autres espaces, les profes-sionnels ne peuvent plus travaillerseuls. La complexité des situations, l’in-trication des sphères, la multiplicité et

le rythme des tâches invalident le travailisolé. C’est le travail individualisé quiengendre les sentiments d’impuissance,de disqualification et de solitude, sour-ces de souffrances, de culpabilisation etlits de toutes les rancœurs, voire desviolences, contre soi ou autrui. Or, lesenseignants, les hospitaliers, les sur-veillants, les policiers disposent géné-ralement de peu ou pas de temps, d’unpoint de vue institutionnel, pour tra-vailler ensemble. La violence pose avecplus de force la nécessité de l’évolutiondu travail individuel vers le travail encommun. L’institution, en tant qu’orga-nisation du travail et de régulation desrègles de la vie en commun, ne sauraitfaire l’économie de cette nécessaireévolution, de cette réforme qu’elle doitmener pour elle-même. Il en va de sacrédibilité mais aussi et surtout de lapaix sociale. La commission a observétout particulièrement que la violencesemble se développer dans les institu-tions où prévalent des rapports sociauxmarqués par les excès de pouvoir, oùles rapports de domination tendent àl’emporter sur des rapports régulés parla prise en compte des droits des per-sonnes, du respect des règles et dessoucis d’équité et d’égalité.

Institutions : violence subie,violence générée

Au fil des travaux s’est imposée l’im-périeuse nécessité d’être égalementattentif à ce qu’une institution produitou induit – y compris à son corps défen-dant – du fait de son mode d’organisa-tion ou des rapports entre les person-nes. Au fur et à mesure de nos travaux,nous avons été amenés à reconnaîtreou oser voir et dire que les violencessont rarement à sens unique. En d’au-tres termes, traiter à la fois des violen-ces faites aux institutions et à ses repré-sentants et personnels, mais aussi cellescommises par les institutions aux per-sonnes qu’elles sont censées protéger.L’angle d’approche est évidemment dif-férent. Il est plutôt rare qu’une institu-tion reconnaisse par elle-même, « serei-nement », qu’elle produit de la violence.Or, c’est la violence générée par lesinstitutions qui fait résistance au chan-gement. Nous avons ainsi tenté d’iden-tifier les mécanismes intra-institution-nels générateurs de violences, leurscomposantes multiples et leurs effetssur la santé. Nous avons interrogé lacapacité d’une institution à se remettreen question.

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Peut-on amener l’institution à se régu-ler ? Faut-il, comme suggéré, faire appelà une médiation, interne ou externe ?Comment mettre la collectivité en situa-tion de pouvoir réguler ses violences ?

L’éducation pour la santé, une stratégie d’intervention

Les questions de violence en généralinterpellent toute la société sur le fondde ses valeurs et de ses mœurs. Ellesconcernent la santé publique du fait deses impacts sur l’intégrité physique, men-tale et sociale des personnes. Une santépublique conséquente pourrait mêmeaider à ne pas en rester aux symptômeset tenter de remonter aux racines, fus-sent-elles entremêlées. La prévention enamont peut aider dans ce sens.

Nos travaux sur la problématiquedes violences et de ses liens avec lasanté concernent naturellement et for-tement le champ de l’éducation pourla santé, pour de multiples raisons. Denombreux exemples d’actions et deprogrammes nous ont été rapportéssituant l’éducation pour la santé commel’une des stratégies d’appui et d’inter-vention face aux violences et commeune démarche éducative en amontpour travailler les représentations etréhabiliter la communication interper-sonnelle.

Nous rapporterons dans leurs gran-des lignes trois exemples parmi cestémoignages pour illustrer tout à la fois :les actions éducatives équivoques, lesactions éducatives d’appui et les actionséducatives de prévention dans descontextes contraints.

Gendarmerie, prisons : des expériences innovantes et équivoques

Le représentant de la Direction géné-rale de la gendarmerie nationale nous arapporté de manière détaillée un pro-gramme d’interventions de la gendar-merie en milieu scolaire au titre de laprévention. Des brigades de préventionde « la délinquance juvénile » ont étécréées afin d’apporter une réponse à« l’augmentation de la délinquance chezles mineurs ». Ces unités répondent à unchoix de la gendarmerie visant à inves-tir le champ de la prévention et à le dis-socier de l’action habituelle et courantede la répression. Les actions ciblées ontconjugué une plus grande présencedans les quartiers, un travail d’informa-

tion dans les écoles et les associations,des contacts rapprochés avec lesmineurs et leurs familles et le rappel àla règle. Ces actions de type préventifallant de pair avec le travail habituel derenseignement permettaient du coupune meilleure connaissance de l’envi-ronnement social et une estimation plusfine des risques.

Ce genre d’actions rapportées dansles termes mêmes de leurs auteurs mon-tre la volonté et les efforts d’équipes « desforces de l’ordre » d’associer l’éducationà l’approche coercitive traditionnelle.Cette combinaison pose la question durisque de confusion des genres quandces deux approches sont faites par lesmêmes équipes. Elles peuvent aussi lais-ser penser que l’action préventive a étéengagée comme un prétexte, un alibi,pour mener avec plus d’efficacité le tra-vail habituel de renseignement.

L’INPES nous a présenté un pro-gramme de prévention et d’éducationpour la santé en milieu pénitentiaire2.Pour soutenir les équipes de terraindans la mise en œuvre de ces pro-grammes, un dispositif expérimental de

« formation-action » auprès des person-nels pénitenciers a été mis en place surdix sites pénitentiaires répartis sur le ter-ritoire national. Conçue plus spécifi-quement pour soutenir le développe-ment d’actions en éducation pour lasanté en milieu pénitentiaire, l’expé-rience de ces formations s’est avérée unformidable outil à l’établissement d’untravail partenarial. Ces formationscontribuent de façon plus générale àouvrir des espaces d’échanges et derégulation des tensions générées par unenvironnement qui tend à produire dela violence (interpersonnelle, institu-tionnelle, organisationnelle, etc.).Depuis, l’administration pénitentiaire etla direction générale de la Santé se sontmontrées favorables à étendre le dispo-sitif. Mais l’intervention éducative dansce genre de milieu « de privation deslibertés » est soumise à rude épreuve.Où est la finalité ? N’y a-t-il pas risqued’instrumentation ? Et, en même temps,les bénéficiaires de ces formations sontunanimes à reconnaître l’intérêt dedisposer de ce genre d’espaces et deprofessionnels « pour rester deshumains face à des humains enmilieux aussi inhumains ».

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Une démarche expérimentée auCentre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis nous a également été présen-tée. Un groupe de travail local, mis enplace à la demande de l’administrationdu centre pour réduire la violence, a permis un processus d’écoute et d’échanges initié par le médecin inter-venant en milieu carcéral en lien avecd’autres professionnels. Cette action aapporté un autre regard sur les violen-ces des jeunes détenus, violences entreeux, vis-à-vis des personnels et à l’en-contre d’eux-mêmes. De l’avis de toutesles personnes concernées, elle a, avec letemps, changé le climat et permis depromouvoir une autre approche de pré-vention. Cette action, aux résultats béné-fiques selon les évaluations menées, n’aété possible que parce que précédée etentourée d’une réflexion critique, d’unegrande prudence et du sens qu’elle peutavoir auprès des jeunes détenus et despersonnels d’encadrement. La commis-sion s’est interrogée sur la reproducti-bilité d’une telle démarche dans lesconditions des autres établissements,compte tenu du fort niveau d’engage-ment du médecin pénitencier qui a initiéet porté cette démarche.

Ces trois exemples témoignent, cha-cun à sa manière, d’un usage différentde la démarche éducative. La recon-naissance de la violence, la possibilitédonnée aux uns et aux autres de pou-voir la nommer, l’identifier, exprimer lesressentis ont d’emblée changé le climatet les approches, tant du côté des « vic-times » que des « auteurs de violences ».

Proposer une démarche éducativepour décrire, expliquer ou faire face àdes manifestations de violence dont onsait les effets sur la santé est certaine-ment un recours utile. Savoir si on s’ar-rête à la gestion du symptôme et de sesconséquences ou si l’on fait l’effort deremonter aux racines et aux circons-tances et contextes nous paraît faire ladifférence entre une éducation pour lasanté « palliative », « alibi » et une édu-cation pour la santé de la réparation,voire de la reconstruction.

Démarche éducative pourrestaurer la parole

Au plan des institutions, il importeque l’éducation pour la santé aide ànommer les symptômes, pousse àremonter aux racines et envisage les vio-lences sous toutes leurs formes et selon

toutes leurs origines. À ce titre, l’édu-cation pour la santé peut être un sup-port, un espace pour rétablir la parole,permettre l’expression des conflits régu-lateurs des formes non destructrices de violence, et faciliter des rapports d’échanges entre personnes sur la basedu respect de la vie et de la dignité detout un chacun.

En conclusion, les membres de cettecommission ont pu formuler – dans lerespect de leurs fonctions et des limi-tes qu’elles leur imposent – au termed’une année d’auditions et d’échanges,un effort de pensée collective, quelqueséléments d’analyses, voire des pistes depolitiques3, plutôt que de céder à la fré-nésie et aux alibis des préconisations.

Au risque de déstabiliser ces mêmesinstitutions, ils ont eu le courage et lesens des responsabilités pour nommerles violences exercées par les institu-tions elles-mêmes sur les personnes etles publics ; y compris et surtout par lesinstitutions en charge de la protectiondes personnes et du respect des lois.Allant plus loin, nous n’avons pashésité à assumer une interpellation desinstitutions sur le danger que repré-sente pour la démocratie le fait de nepas prendre en compte les violencesétouffées au sein des institutions contre

leurs propres personnels et publics.Nous avons beaucoup insisté sur lesmécanismes et les logiques d’organi-sations et de pratiques susceptibles degénérer – volontairement ou non – desviolences.

Si le rapport final de notre commis-sion est le fruit de cette réflexion col-lective et l’expression d’un compromisouvert, force est de reconnaître que cetravail qui a mobilisé plusieurs profes-sionnels durant plusieurs mois n’a pasconnu – du moins à ce jour – les pro-longements préconisés. Ce n’est proba-blement pas par hasard, tant le constatque nous avons fait remet en cause noscultures et modes de fonctionnement.

Omar Brixi

Médecin et enseignant de santé publique,

Institut national du cancer,

Boulogne-Billancourt.

1. www.sante.gouv.fr puis thèmes/accédez à tous lesdossiers puis V : Violences.2. Dans le cadre de la nouvelle organisation des soinsaux détenus instaurée par la loi du 18 janvier 1994.3. Sept axes génériques d’action ont été mis en débat :mieux délimiter, mieux connaître, mieux compren-dre, mieux gérer les conséquences au plan de la santé,mieux prévenir, un programme de recherche inno-vante et des coopérations élargies (cf. pour plus dedétails le rapport dans son intégralité).

◗ BibliographieLa question des violences dans ses liens avec la santé nous a paru tantôt relativement docu-mentée, tantôt assez modeste. La bibliographie qu’il nous a été donné de consulter paraît assezdisparate et difficilement accessible. Un travail plus systématique et plus orienté reste à faire.Des documents de référence :– le texte de loi relative à la politique de santé publique (n° 2004-806) du 9 août 2004 ;– le résumé du Rapport mondial sur la violence et la santé de l’OMS, Genève, 2002 ;– le rapport du Haut Comité de la santé publique Violences et Santé, mai 2004 ;– le rapport d’un groupe de travail Dhos, ministères de la Justice, de l’Intérieur, de la Police etde la Défense portant sur « Conditions d’accueil et de prise en charge hospitalière des patientsaccompagnés par les forces de l’ordre et/ou par l’administration pénitentiaire » et achevé enjuillet 2003 ;– les textes des recommandations de la conférence de consensus sur « L’intervention dumédecin auprès des personnes en garde à vue » organisée par le ministère des Solidarités,de la Santé et de la Famille. Paris, 2 et 3 décembre 2004 ;Une bibliographie repérée au fil des travaux :– trois documents de présentation (février, septembre 2004) et des extraits du rapport d’acti-vité 2003 du centre d’action éducative de Créteil (Annette Guinaud, Jean Oscar M’benoun,Félix Montjouvent) ;– la revue d’éducation pour la santé de l’INPES, La Santé de l’homme, dont le dossier du n° 366a été consacré à « Prévenir les violences », juillet-août 2003.– une plaquette d’information et un manuel « Face à la violence – la violence, des réponsespour l’école » du groupe Gaspar, académie de Lille 1998-2000 (voir encadré dans l’article deJ. Fortin, p. 18).

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Président de la commission « Violence, travail, emploi, santé » de la mission Tursz, le psychanalyste et psychiatre Christophe Dejours préconise, entre autres mesures, de créerdes centres de consultations spécialisées pour prendre en charge les personnes victi-mes de violence au travail. Synthèse.

Dans le cadre des travaux prépara-toires à l’élaboration du plan Violence etSanté, l’une des six commissions qui sesont constituées était chargée de tra-vailler sur le thème « Violence, travail,emploi, santé ». Elle était présidée parChristophe Dejours, professeur depsychologie au Conservatoire nationaldes arts et métiers (Cnam)1, et compo-sée au total de seize experts (psycholo-gues du travail, psychiatres, sociolo-gues, médecins, inspecteur du travail,maîtres de conférences, chercheurs,etc.). Le rapport de la commission – centquarante pages – est disponible sur lesite du ministère de la Santé2. Il n’a pasété rédigé collectivement mais par sonprésident, Christophe Dejours, quiexplique que ce choix a été fait pourplusieurs raisons : d’une part, en raisondes délais courts requis pour réaliser sonexpertise – la commission n’a pu tra-vailler que cinq demi-journées –, troppeu pour qu’une synthèse puisse êtreélaborée collectivement ; d’autre part,parce que les divergences apparuespendant les séances de travail « n’ontpas pu être suffisamment débattues enraison du temps imparti ».

S’il n’est pas possible ici de résumerl’ensemble des préconisations de l’au-teur, en voici quelques éléments-clés :

• Production des connaissances : beau-coup de questions soulevées lors destravaux de la commission « requièrentdes recherches spécifiques pour comblerles lacunes des données existantes », àcommencer par la description et laconnaissance des phénomènes de vio-lence au travail. Il faut développer desenquêtes qualitatives « dirigées par deschercheurs ou des praticiens possédantune double compétence en clinique eten psychopathologie, d’une part, ensciences du travail, d’autre part », ou à

tout le moins « favoriser le développe-ment de la recherche en partant du ter-rain et de la demande clinique et socialeconcrète ». Ensuite, il est nécessaire demener des enquêtes quantitatives sur laviolence au travail et sur ses consé-quences pour la santé. Il faut aussidévelopper la recherche de terrain « surses conséquences de la violence liée auchômage (…) ou encore la violencedans le travail clandestin et la sous-trai-tance en cascade ». Plus globalement,il convient de structurer le milieu de larecherche et de lui donner davantagede moyens, lesquels sont actuellement« notoirement insuffisants ».

• En matière de repérage, orientation etprise en charge des personnes victimesde violence au travail, quelle que soit saforme, Christophe Dejours préconise lacréation de « centres de consultationsspécialisées », unités fonctionnellesréunissant en un même lieu des clini-ciens (médecins du travail, psychiatres,psychologues, etc.) et des praticiens etspécialistes en sciences du travail(inspecteurs du travail, médecinsinspecteurs du travail, sociologues dutravail, etc.). Sur le plan des soins, lesprofessionnels de cette structure éta-bliraient un diagnostic du patient(adressé par le médecin traitant, lemédecin du travail ou un autre prati-cien) et mettraient en œuvre les « mesu-res immédiates de sauvegarde » quandelles sont nécessaires. Les centres deconsultations devraient être dotés demoyens humains et matériels permet-tant d’intervenir sur le terrain à lademande des entreprises et des comi-tés d’hygiène, de sécurité et des condi-tions de travail (CHSCT).

• Actions sur les causes de la violenceen rapport avec le travail et le non-emploi : la prévention de la violence au

travail passe notamment par « une atten-tion soutenue portée à l’organisation dutravail », pour lever les nombreux obs-tacles à la prévention, il faut dévelop-per la double compétence psychologieclinique/psychopathologie du travailchez les professionnels intervenants,comme indiqué plus haut, former aussiles membres des CHSCT (faute d’expé-rience et de formation, les délégués sontsouvent désemparés face à cette pro-blématique), former les cadres et diri-geants d’entreprise sur les relations entreorganisation du travail, genèse et pré-vention de la violence, inciter les direc-tions des entreprises à concevoir etmaintenir des espaces de discussion del’organisation du travail, ne pas faire obs-tacle à la formation d’espaces informelstype cafétéria, qui sont toujours des lieuxde convivialité. Les CHSCT en particulier« devraient pouvoir jouer un rôlemajeur dans la prévention de la violencemais aussi dans la protection des salariéset pour les retours d’expérience des situa-tions de crises » ; les compétences desCHSCT devraient être étendues auxquestions de santé mentale. Les servi-ces de santé au travail devraient aussi «jouer un rôle majeur dans la préven-tion, dans la mesure où les consulta-tions systématiques et les consultationsspontanées des salariés peuvent fonc-tionner comme un véritable observa-toire des situations à risque de vio-lence », souligne Christophe Dejours.Enfin, en ce qui concerne l’extérieur del’entreprise, l’auteur insiste tout parti-culièrement sur le fait que la préventionefficace de la violence passe par l’ac-cès des jeunes gens au travail.

Y. G.

1. Directeur du laboratoire de psychologie du travailet de l’action.2. www.sante.gouv.fr, cliquer sur « Accédez à tous lesdossiers » puis dans « Violences » : « Violence et Santé ».

Développer la préventionde la violence en lien avec l’emploi

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La Santé de l’homme : Quels sont lesprincipaux enseignements du rap-port Violence et Santé (1) que vousavez coordonné pour l’Organisa-tion mondiale de la santé ?

Étienne G. Krug : Je souhaite en pré-ambule souligner la complexité de larelation entre la violence et la santé.Il s’agit bien d’un problème que nousidentifions au moyen de données fia-bles et, pourtant, nous commençonsseulement à en découvrir la réelleimportance. Chaque année, 1,6 millionde personnes meurent dans le mondedu fait de la violence. Ce chiffre estplus important que le nombre desdécès imputés à la malaria et à peuprès équivalent au nombre de cas mor-tels dus à la tuberculose ; ces deuxmaladies sont classées au plus hautniveau de l’agenda santé publiquedans le monde. Et de nombreuses étu-des apportent des éléments supplé-mentaires : ainsi entre 10 et 69 % desfemmes interrogées dans différentspays disent, par exemple, avoir étéabusées physiquement à un momentou l’autre par un partenaire, que ce soitleur mari ou quelqu’un de leur entou-rage. Dans de nombreux pays, entre 10et 20 % des adultes interrogés affir-ment avoir été abusés sexuellement aucours de leur enfance. Ces donnéessoulignent l’impact important de laviolence sur une grande proportion dela population mondiale.

S. H. : Cela veut-il dire que quantifierla relation entre violence et santé

implique de prendre en compted’autres facteurs ?

Oui. Quand nous parlons des décès,des traumatismes physiques et des han-dicaps qui résultent des violences, nousne prenons en compte qu’une partie desconséquences. Il y a, selon moi, unimpact sur la santé mentale très impor-tant. Les victimes de violence souffrentplus souvent de dépression, d’anxiété,d’insomnies, etc. Comment ne pas pren-dre en compte les effets de grossessesnon désirées, des maladies sexuelle-ment transmissibles, le sida, par exem-ple, qui résultent de cas de viols ? Lorsd’études faites aux États-Unis sur lesconséquences à très long terme de lamaltraitance infantile, nous avons cons-taté que des adultes, victimes de vio-lence lors de leur enfance, avaient uneplus grande probabilité de fumer, deconsommer de l’alcool et d’adopter unmode de vie à risque. Dans les annéesà venir, nous allons de plus en plusprendre conscience du fait qu’une pro-portion non négligeable des maladieschroniques – ou d’autres problèmes desanté – ont des liens avec la violence.

Si l’on prend en compte le nombredes homicides, par exemple, il existedes différences entre les régions dumonde. Les taux les plus élevés se trou-vent en Afrique et en Amérique du Sudet les plus faibles sont comptabilisés enEurope et dans certains pays d’Asie. Lesdonnées OMS sur les violences faitesaux femmes indiquent qu’il est plus per-tinent de réfléchir en années de vie

dans la souffrance qu’en décès. Mêmeconstat en ce qui concerne la maltrai-tance physique, où, là, tout indiquequ’il n’y a pas de différence entre lescontinents. Qu’un pays soit riche, pau-vre, développé économiquement ou endéveloppement, et dans toutes les com-munautés du monde, il existe un niveaude violence non négligeable.

S. H. : Concernant la prévention,votre rapport a mis en exergue lanécessité de s’appuyer sur la for-mation des professionnels de santéet de s’ouvrir à l’éducation pour lasanté. Comment ?

C’est pour nous, à l’OMS, une ques-tion très importante. Je suis médecin.J’ai été formé il n’y a pas si longtempsque cela en Europe et, dans le cadrede ma formation, la violence en tantque problème de santé publique n’ajamais été abordée. En matière de for-mation, il y a donc beaucoup à faire.Mais des efforts sont, aujourd’hui, faitsdans de nombreuses formations pro-posées en direction des médecins, desinfirmières et d’autres professionnels desanté. Il est important que les profes-sionnels soient formés pour pouvoirmieux repérer les victimes de violence,prendre en compte leurs difficultéspour en parler. Expliquer combien cesacteurs de santé ont un rôle prédomi-nant dans la détection des violences.Comment aussi apporter un premiersoutien social, mental, économique,juridique et administratif, etc. Noussavons qu’il y a énormément à faire

Entretien avec le docteur Étienne G. Krug, directeur du département pour la prévention de la violence et des traumatismes à l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

« La violence est aussi un problèmede santé publique »

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La violence fait autant de victimes dans le monde que des pandémies comme la mala-ria ou la tuberculose. Directeur du département de la prévention de la violence à l’OMS,Étienne G. Krug a piloté le rapport Violence et Santé, point de départ de l’action del’OMS dans ce domaine. Ce médecin souligne l’urgence à former les professionnels – etpas seulement dans les pays en développement – pour mieux détecter et prendre encharge les victimes de violences physiques mais aussi psychologiques.

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priés en direction des victimes maisaussi les méthodes d’accompagne-ment, l’écoute des patients, le relation-nel. Des études ont démontré que desenfants abusés, par exemple, en gran-dissant, peuvent devenir violents euxaussi. Chaque acteur de santé, méde-cin, infirmière, professionnel de la pré-vention, éducateur, a sa place danscette prévention.

S. H. : L’éducation pour la santédans la prévention de la violence enest-elle à son balbutiement ?

Il nous reste beaucoup de chemin àfaire. Notre rôle principal – et c’était l’undes objectifs du rapport – est d’attirerl’attention des États sur les relationsentre la violence et la santé. Je suisd’ailleurs heureux que la France ait com-mandité une étude spécifique (NDLR :rapport Tursz, voir l’inteview d’A. Turszp.12). Mais nous avons également pourambition de mobiliser les professionnelsde la santé. Il nous faut comprendre plusen détail les implications de la violencesur la santé et, pour cela, nous avonsbesoin des professionnels de la santé.Comment faire une bonne éducationpour la santé pour que les médecins, quisont très occupés, les infirmières, quisont surchargées, et les associationsprennent en charge ce défi ?

Propos recueillis par Denis Dangaix

1. Réseau francophone international pour la promo-tion de la santé (Réfips) : lieu d’échanges pour les pro-fessionnels de la santé intéressés par la promotion dela santé de leurs communautés respectives. Regroupeenviron 500 membres répartis sur une trentaine depays de la francophonie. Ses axes de travail priori-taires : le développement de conditions favorables à lasanté de leurs populations, la création de milieux favo-rables, le renforcement de l’action communautaire,l’acquisition de meilleures aptitudes individuelles etla réorientation des services de santé. Pour en savoirplus : www.refips.org

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pour apporter un soutien aux victimes.Je pense aussi qu’il y a moyen, à tra-vers le système de santé et à travers lescontacts que les patients peuvent avoiravec les professionnels de santé, decontribuer à la prévention de la vio-lence.

S. H. : L’OMS conduit-elle des pro-grammes éducatifs spécifiques surla prévention de la violence ?

Nous conduisons plusieurs pro-grammes de ce type, parmi ceux-ci le« Teach VIP, violence and prevention »,programme de soixante heures qui cou-vre les différents aspects de la violence.Cette formation est destinée aux éco-les de santé publique dans lesquellessont formés des experts en santé telsque les médecins, les infirmières, etc. ;elle est utilisée dans certaines écoles etdisponible sur cédérom. Ce programmea été construit d’une manière interactivepour aider les professionnels de la santéà collecter les données sur les facteursde risques, à mettre en place des pro-grammes de prévention et des servicespour les personnes victimes de violen-ces. Ce module de formation a étépensé avec l’idée que dans de nom-breuses écoles de santé publique, sur-tout dans les pays du tiers monde, iln’existe pas d’enseignement dans cedomaine. D’autres initiatives se sontdéveloppées ; ainsi il existe un ensei-gnement à Montréal qui incorpore desaspects de la prévention de la violence,un réseau francophone pour la pré-vention des traumatismes qui regroupedes Français, des Belges, des Suisses,des Canadiens, des Africains, le Réfips1.Il organise, chaque année, un séminairepour les professionnels de la santé. Ledernier a eu lieu l’année dernière enAlgérie.

S. H. : Quelle est la principalerecommandation de l’OMS sur laviolence et l’éducation à la santé ?

Il y a urgence à attirer l’attention surle fait que la violence est un problèmede santé publique. Pour simplifier, dansde nombreux pays, la violence estréduite à une question liée à la justiceet la répression. Or, des efforts sontimportants dans le domaine de la pré-vention primaire, et la santé publique aun rôle à jouer. La prévention primaireinclut non seulement les soins appro-

(1) Organisation mondiale de la santé. Rapportmondial sur la violence et la santé. Genève,2002 : 376 p. En ligne :http://whqlibdoc.who.int/publications/9242545619.pdf

Au Canada, éducateurset policiers font équipe

Le Canada, et le Québec en particulier, figureen bonne place parmi les pays auteurs d’ini-tiatives de prévention des violences citéespar Étienne G. Krug (voir interview ci-avant).Pierre Maurice, coordonnateur scientifiquesur la sécurité et la prévention des trauma-tismes à l’Institut national de santé publiquedu Québec, a piloté un symposium sur lethème « Promouvoir la sécurité, prévenir laviolence : quand les réseaux font équipe »,les 26 et 27 octobre 2006, dans le cadre des10es Journées annuelles de santé publique.Il souligne la pertinence de travailler enréseau en associant éducateurs, ensei-gnants, intervenants de santé publique, poli-ciers mais aussi les professionnels des com-munes et les intervenants communautaires(en particulier les associations). « Les actionsde promotion de la sécurité et de préventionde la violence nécessitent un décloisonne-ment des secteurs », explique-t-il. Lors de cesymposium, plusieurs dizaines d’initiativesont été présentées, parmi lesquelles l’évolu-tion des politiques de prévention de la délin-quance en Europe, les avantages et difficul-tés de l’approche par milieu de vie auQuébec, le travail en réseau des profession-nels pour faire face au phénomène des «gangs des rues » avec une approche pré-ventive travaillant sur la « désaffiliation » et lafaçon d’intervenir auprès des jeunes desgangs. Parmi les outils présentés figurait unetrousse de prévention de la criminalité éga-lement conçue au Québec.

Pour en savoir plus : www.inspq.qc.ca/jasp

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Cette rubrique s’articule autour des thèmes des six commissions de travail qui ont préparé le plan Violence et Santé.Chaque partie comprend des références bibliographiques et, le cas échéant, des adresses de sites Internet et d’orga-nismes ressources. Nous proposons également une liste d’outils pédagogiques et d’ouvrages de littérature jeunesseainsi qu’un répertoire de services d’aide et d’écoute téléphonique destinés aux victimes de violence.À noter qu’un dossier de La Santé de l’homme daté de juillet-août 2003, n° 366, a porté sur la prévention des violences.On pourra donc se référer à la rubrique « Pour en savoir plus » de ce numéro. Les adresses des sites Internet ont été consul-tées et vérifiées le 3 mai 2007.

GÉNÉRALITÉS

◗ Bibliographie• Conseil de l’Europe. Rapport final du projetintégré « Réponses à la violence quotidiennedans une société démocratique » 2002-2004.Strasbourg : Conseil de l’Europe, 2004 : 59 p.http://www.coe.int/t/f/projets_integres/vio-lence/09_rapport_final/02RapportFinal.asp#TopOfPage• Gabel M. (coord.) Maltraitances. Revue ADSP2000 ; 31 : 19-66.http://hcsp.ensp.fr/hcspi/explore.cgi/adsp?ae=adsp&clef=53&menu=111282• Haut Comité de la santé publique. Violenceset santé. Paris : La Documentation française,2004 : 190 p.http://lesrapports.ladocumentationfran-caise.fr/BRP/044000405/0000.pdf• INPES. Prévenir les violences. Dossier de LaSanté de l’homme 2003 ; 66 : 11-41.• Michaud Y. La violence. Paris : Puf, coll. Quesais-je ?, 2004 : 85 p.• Organisation mondiale de la santé. Rapportmondial sur la violence et la santé. Genève :OMS, 2002 : 376 p.http://www.who.int/violence_injury_preven-tion/violence/world_report/en/full_fr.pdf• Tursz A. (Coord.) Travaux préparatoires à l’é-laboration du plan Violence et Santé. Rapportgénéral. Paris : ministère de la Santé et des Soli-darités, 2005 : 124 p.http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/vio-lence_sante/rapport.pdf

◗ Sites InternetNon-violence actualitéNVA, centre de ressources, crée et diffuse demultiples ouvrages et outils pédagogiques surla prévention des violences et l’éducation à larésolution non violente des conflits. Il a, enoutre, publié deux numéros spéciaux :– La santé publique face à la violence. Non-violence Actualité 2003 ; 269 p.– De l’éducation pour la santé à la prévention dela violence : des programmes pour renforcerles compétences relationnelles dès l’enfance.

Non-violence Actualité 2006 ; 284 p.NVA : BP 241 – 45202 Montargis CedexTél. : 02 38 93 67 22Fax : 02 38 93 74 72E-mail : [email protected]://www.nonviolence-actualite.org

PÉRINATALITÉ, ENFANTS ET ADOLESCENTS

• Baudier F. Rapport de la commission « Péri-natalité, enfants et adolescents » : travaux pré-paratoires à l’élaboration du plan Violence etSanté. Paris : ministère de la Santé et des Soli-darités, 2005 : 85 p.http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/vio-lence_sante/perinatalite.pdf

◗ Bibliographie• Carra C., Faggianelli D. École et violence. Pro-blèmes politiques et sociaux 2006 ; 923 : 119.• Debarbieux E. La violence en milieu scolaire.1- État des lieux. Paris : ESF, coll. Actions socia-les, série Confrontation, 1996 : 180 p.• Debarbieux E. (sous la dir.), Garnier A., Mon-toya Y., Tichit L. La violence en milieu scolaire.2- Le désordre des choses. Paris : ESF, coll.Actions sociales, série Confrontation, 2000 :190 p.• Defrance B. Violences scolaires : les enfantsvictimes de la violence à l’école. Paris : Syros,coll. École et société, 2000 : 156 p.• Doudin P.-A., Erkohen-Marküs M. Violence àl’école : fatalité ou défi ? Bruxelles : De Boeck,coll. Pratiques pédagogiques, 2000 : 380 p.• Fortin J. Mieux vivre ensemble dès l’écolematernelle. Paris : Hachette Livre, coll. Péda-gogie pratique à l’école, 2001 : 144 p.• Fotinos G., Fortin J. Une école sans violen-ces ? Paris : Hachette Éducation, coll. Péda-gogies pour demain, 2000 : 384 p.• Guérin V. À quoi sert l’autorité ? : s’affirmer -respecter - coopérer. Lyon : Chronique sociale,2003 : 219 p.• Ministère des Solidarités, de la Santé et dela Famille. Plan Périnatalité 2005-2007 – Huma-

nité, proximité, sécurité, qualité. Paris : minis-tère des Solidarités, de la Santé et de la Famille,2004 : 42 p.http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/perinata-lite04/planperinat.pdf• Pain J. L’école et ses violences. Paris : Eco-nomica, Anthropos, 2006 : 181 p.• Pourtois J.-P. Blessure d’enfant. La maltrai-tance : théorie, pratique et intervention. Bruxel-les : De Boeck université, 2000 : 296 p.• Rey C. Les adolescents face à la violence.Paris : Syros, coll. Alternatives sociales, 2000 :352 p.• Tartar Goddet E. Prévenir et gérer la violenceen milieu scolaire. Paris : Retz, coll. Éducation,2006 : 256 p.• Titley G. Les jeunes et la prévention de la vio-lence. Strasbourg : Conseil de l’Europe, 2006 :58 p.• Vaillant M., Laouenan C., Livache P. (ill.).Quand les violences vous touchent. Paris : Dela Martinière Jeunesse, coll. 2004 : 109 p.

GENRE ET VIOLENCE

• Lebas J. Rapport de la commission « Genreet Violence » : travaux préparatoires à l’élabo-ration du plan Violence et Santé. Paris : minis-tère de la Santé et des Solidarités, 2005 : 40 p.http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/vio-lence_sante/genre_et_violence.pdf

◗ Bibliographie• Amnesty international. Les violences faitesaux femmes en France : une affaire d’État.Paris : Autrement, 2006 : 205 p.http://web.amnesty.org/library/index/fraeur210012006• Bier B. (sous la dir.). Rapports de sexe, rap-ports de genre : entre domination et émanci-pation. Enjeux 2002 ; 128 : 235 p.http://www.cndp.fr/lesScripts/bandeau/ban-deau.asp ?bas=http://www.cndp.fr/revue-Vei/som128.htm• Bourdieu P. La domination masculine. Paris :Seuil, 1998 : 134 p.

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Pour en savoir plus

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• Djider Z., Vanovermeir S. Institut national dela statistique et des études économiques. Desinsultes aux coups : hommes et femmes face àla violence. Insee première 2007 ; 1124 : 4 p.http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1124/ip1124.html• Gillioz L., de Puy J., Ducret V. Domination etviolence envers la femme dans le couple. Lau-sanne : Éd. Payot-Lausanne, 1997 : 269 p.• Henrion R. Ministère de la Santé et des Soli-darités. Les femmes victimes de violencesconjugales, le rôle des professionnels de santé.Paris : ministère de la Santé et des Solidarités,2001.http://www.sante.gouv.fr/htm/actu/vio-lence/sommaire.htm• Héritier F. Masculin – Féminin, dissoudre la hié-rarchie. Paris : Odile Jacob, 2002 : 443 p.• Jaspart M., Brown E., Condon S. Ministèredu Travail. Les violences envers les femmesen France. Paris : La Documentation française,2003 : 374 p.• Mayerl R., City & Shelter. Les hommes et laviolence. In : Conseil de l’Europe. Réponses àla violence dans une société démocratique.Bruxelles : Conseil de l’Europe, 2002.http://www.cityshelter.org/14_viol/02synt.htm

◗ Sites InternetMinistère délégué à la Cohésion socialeet à la ParitéLe site relaie la campagne de mars 2007 « Vio-lences conjugales, parlez-en avant de ne pluspouvoir le faire, appelez le 3919 » et proposede nombreux dossiers documentés sur la thé-matique de genre ainsi que des informationspratiques sur les questions relatives à l’égalité.http://www.femmes-egalite.gouv.fr/

Savoirs, genre et rapports sociaux de sexe(SAGESSE) – Université de Toulouse – LeMirailCe site expose le fruit des recherches de cetteéquipe dirigée par Mme Le Feuvre. On y trouvenotamment les différentes publications dugroupe, ainsi qu’un accès au catalogue collectif

« GENRE », qui permet la localisation des docu-ments sur les femmes, le genre, l’égalité hom-mes-femmes…http://www.univ-tlse2.fr/LB030/0/fiche___laboratoire/&RH=erech

Sénat – La lutte contre les violences conju-galesLe site Internet du Sénat propose une étude delégislation comparée ; elle analyse, dans septpays européens, les mesures extrêmementvariées adoptées pour lutter contre les violen-ces conjugales.http://www.senat.fr/lc/lc144/lc144.html

PERSONNES AGÉES ET HANDICAPÉES

• Joël M.E. Rapport de la commission « Per-sonnes âgées et personnes handicapées » : tra-vaux préparatoires à l’élaboration du plan Vio-lence et Santé. Paris : ministère de la Santé etdes Solidarités, 2005 : 70 p.http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/vio-lence_sante/pa_ph.pdf

◗ Bibliographie• Décret n° 2007-330 du 12 mars 2007 por-tant création d’un Comité national de vigilanceet de lutte contre la maltraitance des personnesâgées et des adultes handicapés.http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/UnTex-teDeJorf ?numjo=SANA0720906D• Bas P. Plan de développement de la bientrai-tance et de renforcement de la lutte contre la mal-traitance. Paris : ministère délégué à la Sécuritésociale, aux Personnes âgées, aux Personneshandicapées et à la Famille, 2007 : 30 p.http://www.personnes-agees.gouv.fr/point_presse/d_presse/bientraitance_maltrai-tance/presentation_plan.pdf• Sénat. Rapport de la commission d’enquête surla maltraitance envers les personnes handica-pées accueillies en institution et les moyens dela prévenir. Paris : Sénat, 2003 : 249 et 459 p.http://www.senat.fr/commission/enquete/Handicapes/Index.html• Inspection générale des affaires sociales. Éva-luation du dispositif de lutte contre la maltrai-tance des personnes âgées et des personneshandicapées mis en œuvre par les services de l’État dans les établissements sociaux etmédico-sociaux. Paris : La documentation fran-çaise, 2006 : 64 p.http://lesrapports.ladocumentationfran-caise.fr/BRP/064000352/0000.pdf• Union nationale des associations de parentset amis de personnes handicapées mentales.Maltraitance des personnes handicapées men-tales dans la famille, les institutions, la société :prévenir, repérer, agir. Livre blanc. Paris : Una-

pei, 2000 : 70 p.• Union régionale interfédérale des organismesprivés sanitaires et sociaux Rhône-Alpes. Pré-voyance et vigilance face aux situations de mal-traitance. Carnet de route. Lyon : Uriopss,2005 : 56 p.• Debout M. Prévenir la maltraitance envers lespersonnes âgées. Rennes : ENSP, 2003 : 81 p.• Gineste Y. Silence, on frappe… : de la mal-traitance à la bientraitance des personnesâgées. Milly-la-Forêt : Animagine, 2004 : 328 p.

◗ Sites InternetMinistère délégué aux Personnes âgéesCe site propose un dossier sur la maltraitance,qui comprend :– le dossier, septembre 2003 (actualisé enmars 2007) ;– des extraits du cd-rom La maltraitance despersonnes âgées, mai 2005 ;– le premier bilan de l’expérimentation menéedans cinq départements (mars-septembre2004) par le Comité national de vigilance contrela maltraitance des personnes âgées ;– la plaquette Lignes de vie-Lignes de conduite ;– le guide de gestion des risques de maltrai-tance en établissement du Comité national devigilance contre la maltraitance des personnesâgées.http://www.personnes-agees.gouv.fr

◗ Organismes ressourcesAlma FranceL’objectif de cette association consiste à pré-venir la maltraitance envers les personnesâgées, victimes privilégiées de violences per-pétrées dans le cadre familial ou institutionnel.Pour ce faire, Alma France a constitué unréseau d’écoute avec un numéro national : 0892 68 01 18.Alma France : BP 1526 – 38025 Grenoble CedexTél. : (33) 04 76 84 20 40Fax : (33) 04 76 21 81 38E-mail : [email protected]://www.alma-france.org

SANTÉ MENTALE

• Lovell A. M. Rapport de la commission « Vio-lence et Santé mentale » : travaux préparatoi-res à l’élaboration du plan Violence et Santé.Paris : ministère de la Santé et des Solidarités,2005 : 79 p.

◗ Bibliographie• Ministère de la Santé et des Solidarités. PlanPsychiatrie et Santé mentale 2005-2008.Paris : ministère de la Santé et des Solidarités,2005 : 98 p.http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/sante_mentale/plan_2005-2008.pdf

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52 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

• Organisation mondiale de la santé. Rapportsur la santé dans le monde 2001. La santémentale : nouvelle conception, nouveauxespoirs. Genève : OMS, 2001 : 182 p.http://www.who.int/whr/2001/en/whr01_fr.pdf• Lepoutre R., De Kervasdoué J. La santé mentaledes Français. Paris : Odile Jacob, 2002 : 412 p.• Joubert M. Santé mentale, ville et violence.Ramonville-Saint-Agne : Erès, 2003 : 357 p.

◗ Organismes ressourcesAssociation canadienne pour la santé men-tale (ACSM)Cette association œuvre pour la promotion dela santé mentale et de la défense des person-nes souffrant de troubles psychologiques. Sonsite comprend une partie sur la violence et lasanté mentale : http://www.cmha.ca/bins/content_page.asp ?cid=3-108&lang=2ACSM : 180 rue Dundas ouest - bureau 2301– Toronto ON M5G 1Z8 – CanadaTél. : 00 (416) 484-7750Fax : 00 (416) 484-4617E-mail : [email protected]://www.cmha.ca/bins/index.asp

VIOLENCE ET TRAVAIL

• Dejours C. Rapport de la commission « Vio-lence, travail, emploi, santé » : travaux prépa-ratoires à l’élaboration du plan Violence etSanté. Paris : ministère de la Santé et des Soli-darités, 2005 : 139 p.http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/vio-lence_sante/travail.pdf

◗ Bibliographie• Chappel D., Di Martino V. La violence au tra-vail. Genève : BIT, 2000 : 193 p.• Debout M. Harcèlement moral au travail : rap-port 2001-2007. Paris : Conseil économique etsocial, 2001 : 120 p.http://www.ces.fr/rapport/doclon/01041107.PDF• Debout M. Travail, violences et environne-ment. Paris : Conseil économique et social,1999 : 146 p.http://www.ces.fr/rapport/doclon/99112420.PDF• Fondation européenne pour l’amélioration desconditions de vie et de travail. Prévention du har-cèlement et de la violence sur le lieu de travail.Dublin : Fondation européenne, 2003 : 102 p.http://www.eurofound.europa.eu/pub-docs/2002/109/fr/1/ef02109fr.pdf• Gbezo B. E. Agressivité et violences au tra-vail : comment y faire face. Issy-les-Moulineaux :ESF, 2000 : 184 p.• Hirigoyen M.-F. Le harcèlement moral. La vio-lence perverse au quotidien. Paris : Syros,1999 : 192 p.

◗ Organismes ressourcesOrganisation internationale du travailL’OIT a été créée en 1919. Le Bureau interna-tional du travail, créé en 1920, en constitue lesecrétariat permanent. Ses objectifs consistentà promouvoir la justice sociale pour les actifsdu monde entier, à élaborer des programmespour améliorer les conditions de travail, et àfixer des normes internationales minimales àrespecter dans le travail.OIT : 4, route des Morillons – CH-1211 Genève22 – SuisseTél. : 00 41 (0) 22 799 6111Fax : 00 41 (0) 22 798 8685E-mail : [email protected]://www.ilo.org/global/lang—fr/index.htm

Fondation européenne pour l’améliorationdes conditions de vie et de travailOrgane de l’Union européenne créé en 1975, laFondation a pour mission de contribuer à laconception et à l’établissement de meilleuresconditions de vie et de travail.Fondation européenne pour l’amélioration desconditions de vie et de travail : avenue d’Au-derghem, 18 B – 1040 Brussels – BelgiumTél. : 00 32 2 280 64 76 / 00 32 2 230 51 61Fax : 00 32 2 280 64 79E-mail : [email protected]://www.eurofound.europa.eu

Agence européenne pour la sécurité et lasanté au travailAgence rattachée à l’Union européenne, elle col-lecte et diffuse des informations destinées àaméliorer l’état de la sécurité et de la santé autravail en Europe. Elle publie notamment desfiches d’informations, Facts, qui sont accessi-bles en ligne :http://osha.europa.eu/publications/factsheetsAgence européenne pour la sécurité et la santé autravail : Gran Via 33 E – 48009 Bilbao – EspagneTél. : 00 34 944-794-360Fax : 00 34 944-794-383E-mail : [email protected]://osha.europa.eu

Institut national de recherche et de sécu-rité (INRS)Association loi 1901, soumise au contrôle finan-cier de l’État, constituée sous l’égide de laCnamts, l’INRS conduit des programmes d’étu-des et de recherches pour améliorer la santéet la sécurité de l’homme au travail. Il proposede nombreux dossiers sur son site web, ainsique des vidéos :– Travail et agressions. État des lieux et pré-vention des risques.– Harcèlement moral : généralités.– Santé mentale au travail.– J’ai mal au travail. Stress, harcèlement moralet violences. Vidéo, 2004.

– Face à la violence. Vidéo, 2001.– Après coup. Vidéo, 2001.INRS : 30, rue Olivier-Noyer – 75680 ParisCedex 14Tél. : (33) (0)1 40 44 30 00Fax : (33) (0)1 40 44 30 99E-mail : [email protected]://www.inrs.fr/

INSTITUTIONS, ORGANISATIONSET VIOLENCE

• Brixi O. Rapport de la commission « Institu-tions, organisations et violence » : travaux pré-paratoires à l’élaboration du plan Violence etSanté. Paris : ministère de la Santé et des Soli-darités, 2005 : 85 p.http://www.sante.gouv.fr/htm/dossiers/vio-lence_sante/institutions.pdf

◗ Bibliographie• Blaya C. Violences et maltraitances en milieuscolaire. Paris : Armand Colin, coll. 128, 2006 :122 p.• Danancier J. Évaluer et prévenir la violencedans les établissements sociaux. Paris : Dunod,coll. Action sociale, 2005 : 240 p.• Gabel M., Jésu F., Manciaux M., et al. Mal-traitances institutionnelles. Paris : Fleurus, coll.Psychopédagogie, 1998 : 305 p.• Lagraula-Fabre M. La violence institutionnelle :une violence commise sur des personnes vul-nérables par des personnes ayant autorité.Paris : L’Harmattan, 2005 : 574 p.• Le Cloître F. Ministère des Affaires sociales,du Travail et de la Solidarité, ministère de laSanté, de la Famille et des Personnes handica-pées, direction générale de l’Action sociale. Sta-tistiques sur la maltraitance dans les structuressociales et médico-sociales. Paris : directiongénérale de l’Action sociale, 2002 : 46 p.http://www.personnes-agees.gouv.fr/dossiers/maltrait/mal_2001.pdf• Ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Pré-venir, repérer et traiter les violences à l’encon-tre des enfants et des jeunes dans les insti-tutions sociales et médico-sociales : guideméthodologique. Rennes : ENSP, 2000 : 95 p.

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53LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

◗ Sites InternetÉduscol – La prévention de la violence enmilieu scolaireLe site pédagogique du ministère de l’Éducationnationale propose un dossier sur le thème ; ilprésente la politique de prévention du ministèreet les initiatives engagées avec les partenai-res institutionnels. On y trouve également desguides d’information à destination des équipeséducatives : « Réagir face aux violences enmilieu scolaire » et « Apprendre sans violence :de la violence à la compréhension ».http://eduscol.education.fr/D0203/accueil.htm

Serpsy – Soin, étude et recherche en psy-chiatrieSerpsy est un espace de réflexion et d’échangeautour de la relation soignant/soigné. Dans larubrique « Pistes de recherche », on trouveraun espace « Violence... de quoi parlons-nous »consacré aux témoignages de soignantsconfrontés quotidiennement à la violence.www.serpsy.orq

Ministère de l’Éducation nationale – La pré-vention et la lutte contre la violenceIl s’agit ici de la présentation la circulaire inter-ministérielle de 2006 sur la prévention et la luttecontre la violence en milieu scolaire. Le site pro-pose également de nombreux outils et docu-ments d’accompagnement à l’intention des jeu-nes, de leurs parents et du corps enseignant.http://www.education.gouv.fr/cid3913/la-pre-vention-et-la-lutte-contre-la-violence.html

◗ OrganismesObservatoire international des prisons L’OIP s’attache à promouvoir le respect desdroits fondamentaux et des libertés individuel-les des personnes incarcérées. Il publie la revuebimestrielle Dedans dehors sur l’actualité desprisons, les évolutions en cours, mais aussi despistes de réflexion quant au respect de la dignitéen milieu carcéral et au développement desalternatives à l’incarcération.http://www.oip.org

Ban publicCette association a pour mission d’informer surl’incarcération, la détention et l’aide à la réin-sertion. Son site Internet met à disposition detrès nombreuses ressources documentaires.http://www.prison.eu.org/

OUTILS PÉDAGOGIQUES ETLITTÉRATURE JEUNESSE

• Adosen, mutuelle générale de l’Éducationnationale, Fédération des autonomes de soli-darité. Prévenir la violence scolaire. Paris : Ado-sen, 2002, cd.

• Boubault G., Baltzer P. 14 cartes pour appren-dre à vivre ensemble. Montargis : Non-violenceactualité, 2004, quatorze cartes.• De Saint-Mars D., Bloch S. Maltraitance, non !Paris : Bayard jeunesse, coll. Les petits guidespour comprendre la vie, 2004 : 40 p.• Girardet S., Rosado P. Silence, la violence !Paris : Hatier, coll. Citoyens en herbe, 2004, sixlivrets.• Gonnet G. État de violence : un film pour enparler. Pantin : La cathode, 1996, 26 min., unlivret.• Labbé B., Puech M. La violence et la non-violence. Toulouse : Milan jeunesse, coll. Lesgoûters philo, 2006 : 43 p.• Reumaux T., Gailliot M. Je vais l’dire ! Pantin :La cathode, 2002, 52 min.• Vaillant M., Laouenan C., Livache P. (ill.).Quand les violences vous touchent. Paris : Dela Martinière Jeunesse, coll. 2004 : 109 p.

SERVICES D’AIDETÉLÉPHONIQUE

SOS Viol femmes informations [0 800 05 95 95]Service téléphonique proposé par le Collectifféministe contre le viol (www.cfcv.asso.fr) pourécouter, informer, soutenir les personnes vic-times de violences sexuelles.Appel gratuit – service ouvert du lundi au ven-dredi de 10 h à 19 h

Violence conjugale femmes info service[39 19]Service téléphonique de la Fédération nationalesolidarité femmes (www.solidaritefemmes.asso.fr) pour écouter, soutenir et orienter lesfemmes victimes de violences conjugales.Appel au tarif d’une communication locale ounationale. Service ouvert le lundi et du mercrediau samedi de 7 h 30 à 23 h 30, et le mardi de13 h 30 à 15 h 30. Les jours fériés, le serviceest ouvert de 10 h à 20 h.

Alma : Allô maltraitance des personnesâgées et des personnes handicapées [08 92 68 01 18]Alma est un réseau d’écoute et de préventionde la maltraitance envers les personnes âgéeset des personnes dépendantes. Il propose unservice d’écoute, d’orientation et de conseil, ens’appuyant sur les valeurs de confidentialité, derespect et d’impartialité. Les écoutants sontbénévoles. Ce service s’adresse aux personnesâgées et handicapées elles-mêmes, mais aussiaux professionnels qui travaillent auprès d’elles,notamment à domicile. Il est proposé par l’as-sociation Alma France (www.alma-france.org),sous convention avec le ministère de la Santéet des Solidarités.

L’appel au 08 92 68 01 18 est facturé 34 cen-times la minute. Du lundi au vendredi de 9 h 30à 11 h 30 et de 14 h à 16 h, il est possible dejoindre un correspondant pour obtenir les coor-données du centre d’appel local le plus proche.Ces coordonnées sont également disponiblessur serveur vocal.

Fil santé jeunes [0 800 235 236]On ne présente plus Fil santé jeunes, le numéroVert proposé par l’École de parents et des édu-cateurs (EPE), association reconnue d’utilitépublique crée en 1929.Le numéro est accessible tous les jours de et estcomplété par des services en lignehttp://www.filsantejeunes.com : chat, forums,« boîte à questions », informations, dossiers, etc.Numéro gratuit ouvert tous les jours de 8 h à 24 h.

Jeunes violence écoute [0 800 20 22 23]Fin février, la création de ce numéro Vert a faitpartie d’une opération menée par le conseilrégional d’Ile-de-France ; elle est destinée àrépondre à la montée des violences scolaireset du racket qui touchent les jeunes Franciliens.Ce numéro a pour objectif de permettre à cesjeunes d’être écoutés et aidés par des spécia-listes : médecins, psychologues, juristes…Le dispositif s’accompagne également d’un siteInternet : http://www.jeunesviolencesecoute.frNuméro gratuit, accessible tous les jours de 8 hà 23 h.

Enfance maltraitée [119]Le groupement d’intérêt public Enfance mal-traitée emploie des professionnels, médecins,juristes, psychologues pour écouter des enfantsqui ont été agressés. Ce numéro s’adresse aussiaux témoins de ces actes ou qui en ont euconnaissance par témoignage.Numéro gratuit, accessible 24 h/24. En com-plément, on trouve une rubrique questions/réponses, des forums et informations pour lesjeunes, les enfants et les adultes sur le sitehttp://www.allo119.gouv.fr

Olivier Delmer, Céline Deroche, Ève GazzolaDocumentalistes, INPES.

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Comment savoir ce qui est bon – ou pas bon – pour un enfant hospitalisé s’il ne peut pascommuniquer avec l’équipe soignante ? Partant d’un besoin ressenti dans les hôpitaux,l’association Sparadrap a créé un poster à scotcher à côté du lit de l’enfant hospitalisé.Prétesté en milieu de soins pour combler les manques réellement ressentis, il est sou-vent rempli de concert par la famille et l’équipe soignante. L’enfant est ainsi naturelle-ment placé au centre de cette démarche, ce qui contribue à améliorer son quotidien danstoute structure de soins.

La Santé de l’homme : Commentl’association Sparadrap a-t-elle eul’idée de créer une affiche pour fairele lien entre la famille d’un enfanthospitalisé ne pouvant pas commu-niquer et le personnel soignant ?

Françoise Galland : Ce projet estdirectement lié à un constat d’une insa-tisfaction maintes fois exprimée de per-sonnels accompagnant des enfantspolyhandicapés, qui remarquent que latransmission des informations en direc-tion de services hospitaliers qui doiventréaliser une intervention n’est pasbonne. Il ne s’agit évidemment pas icid’un jugement critique, mais vraimentd’un constat partagé par l’ensembled’une profession qui se trouve confron-tée à des enfants ou adultes polyhan-dicapés, personnes intubées, bébés,auxquels il faut apporter des soins. Lacommunication directe n’existe pas. Ilest donc nécessaire d’aider au mieuxces personnels, particulièrement ceuxqui accueillent momentanément cespatients à l’hôpital, par exemple, ou quiassurent un transfert dans un autre ser-vice. Le projet est né de ce constat etde discussions lors d’une formation quenous assurions, il y a maintenant plusde deux ans, au centre héliomarin deSaint-Trojan-les-Bains1, en Charente-Maritime.

S. H. : Comment la réflexion s’est-elle organisée autour de cet outil ?

L’équipe du centre héliomarin avaitentendu parler du travail de notre asso-

ciation notamment sur cette recherchede lien que nous savons nécessaireentre l’enfant, les parents et les profes-sionnels de santé, surtout en milieuhospitalier. Notre président, Didier Sal-mon, anesthésiste en pédiatrie à l’hô-pital Trousseau à Paris, a été alerté dece fait alors qu’il faisait une formationau centre. Même si le handicap n’estpas notre spécialité, nous avons rapi-dement pensé que nous pouvionsapporter des éléments de réflexion. L’idée de créer un document sous laforme d’une affiche est ainsi née. Nousavons travaillé avec l’équipe du centreet nous avons testé ce document au fur

et à mesure de son avancement, dansles services du centre. La première ver-sion que nous avons ainsi réalisée estamenée à évoluer.

S. H. : Vous appelez cette affiche « Leposter qui parle ». Comment avez-vous imaginé ce concept ?

Il s’agit d’un outil facilitant le lienentre des équipes intervenant auprèsde patients empêchés de communi-quer. Il faut donc créer un outil simple,efficace et utile. Le choix d’un posterque l’on met à côté du lit du patient etque l’on adresse dans son dossier

éducation du patient

54 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

Entretien avec Françoise Galland, directrice de l’association Sparadrap

Patients-soignants : un poster pour faciliter la communication

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éducation du patient

médical lors d’un transfert s’est montréle plus approprié. Dans les discussionsque nous avons eues, une notion estaussi apparue : celle d’une sorte decarte d’identité ludique à destinationde tous les intervenants, parents com-pris. C’est pour cela que nous avonsrangé les informations dans des casesintitulées « J’aime » ou « Je n’aime pas »,« Je peux », « Je ne peux pas » et « Ce quim’aide ». Il y a bien sûr la photo de l’en-fant ou l’un de ses dessins et les infor-mations prioritaires comme les aller-gies à certains médicaments oualiments, le port d’un appareil auditifou de lunettes, etc.

S. H. : Dans la conception de l’affi-che comment avez-vous pris encompte la réalité du monde dessoins ?

Ce poster a beaucoup circulé et desremarques sur le fond nous ont été for-mulées ; pour ce faire nous avonsrecensé cinq cents centres travaillantauprès de publics souffrant de handi-caps. Parmi ceux-ci, et par tirage ausort, nous avons envoyé le poster à unequarantaine d’établissements. Nousavons eu un taux de retour de 25 %.Parallèlement, nous avons continué àtester ce produit auprès des hôpitauxou des services avec lesquels travaille lecentre héliomarin. C’est à partir de tousces éléments que nous avons effectuéquelques modifications.

S. H. : Quel est l’enseignement prin-cipal à tirer de cette expérience ?

Je pense que ce poster est aussi unoutil de valorisation du rôle des parentsdans le lien avec les personnels soi-gnants. Il est fait aussi avec eux. Sousleur regard. Cet outil permet unetransparence dans l’accompagnementdu handicap. C’est aussi un outil trèssimple d’éducation. Et c’est une bellefaçon de placer au centre la personne,par l’intermédiaire de ses parents ou duconjoint, sur des aspects qui ne sont pasdirectement médicaux mais qui concer-nent bien la qualité de vie

Propos recueillis par Denis Dangaix

1. Centre héliomarin de Saint-Trojan : 19, bd Félix Faure - 17370 Saint-Trojan-les-Bains.« Le poster qui parle » a également été élaboré avec l’ap-pui du Fonds d’entraide du groupe GMF et l’Unionnationale des associations familiales.

Le poster ci-dessus s’affiche à côté du lit de l’enfant et se lit comme une fiche d’identité rapideet efficace. L’enfant a sa photo, se présente, donne son âge. Puis l’affiche décline ce qu’ilaime et, a contrario, ce qu’il n’aime pas. Ce qu’il peut ou ne peut pas faire… Il s’agit d’un supportpour un enfant handicapé ou n’étant pas en capacité de « communiquer » avec le personnelsoignant, le poster fait ainsi office de relais d’information entre l’enfant et sa famille d’un côté,les soignants de l’autre. Enfin, une case à remplir intitulée « Ce qui m’aide » apporte des infor-mations nécessaires pour l’accompagnement de l’enfant. Une notice d’utilisation de ce posterest disponible sur le site Internet de Sparadrap

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Ce poster est incontestablement unoutil simple de communication. Il faci-lite les relations que nous devons avoiravec une équipe qui va accueillir unenfant souffrant de handicaps et dontelle ne connaît pas forcément l’histoire.Ce poster est un élément actif partici-pant à une plus grande qualité de soins.

Le retour que j’ai de la part des équi-pes hospitalières est très positif. Ellesme disent que ce poster permet unemeilleure prise en charge de l’enfantpolyhandicapé dans les services. Nousavions constaté, avant l’existence decette affiche, que les équipes étaientparfois en difficulté devant un jeunepatient ne pouvant communiquer direc-tement ou ayant besoin d’une relationdifférente. Ces équipes nous télépho-naient pour obtenir des informationsqui certes se trouvaient dans le dossiermédical mais qui n’étaient pas immé-diatement visibles. Maintenant, quandune équipe de l’hôpital de La Rochelle,par exemple, sait qu’elle va accueillir unde nos jeunes patients, elle nous dit dene pas oublier de mettre l’affiche dansle dossier médical.

Et puis la rédaction du poster est unacte de soins très fort car il se réaliseavec la participation de l’enfant et, biensûr, de ses parents. Il est relativementfacile à remplir, et cet exercice est unmoment d’échange entre les équipessoignantes, la famille et le patient. Il s’a-git bien d’un moment important dansl’accompagnement de l’enfant handi-capé, et ce moment, j’insiste là-dessus,nous le partageons également avec lesparents. De leur côté, je pense que lesparents apprécient cette écoute et rem-plissent le poster en lien avec l’enfant. J’ail’impression que tout le monde estacteur de cet acte. Nous suivons des castrès lourds qui nécessitent de la pré-sence. Beaucoup de familles passent dutemps au centre pour assister leur enfant.Depuis que cette affiche existe auprès dupatient, j’ai remarqué que les parentssont plus décontractés. Je vous donne unexemple qui, selon moi, explique ce sen-timent : ils hésitent moins à sortir pourboire un café et souffler un peu. Commesi l’affiche leur permettait cet instantd’absence.

Propos recueillis par Denis Dangaix

éducation du patient

56 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

« Un véritable acte de soin »

Association Sparadrap : informer l’enfant pour dédramatiser le soinCréée en 1993 par des parents et des professionnels de la santé, l’association Sparadrap apour objectif de faire le lien entre l’enfant, sa famille et tous ceux qui prennent soin de sa santé.Elle édite et diffuse des documents d’information (livrets, affiches, etc.) pour les enfants, lesparents et les professionnels. Elle informe et oriente grâce à son site Internet et propose desformations aux professionnels de la santé et de l’enfance. L’association s’investit égalementdans une démarche d’éducation à la santé et de prévention. Elle a édité des livrets – « Je vaischez le docteur », « Je vais chez le dentiste », et dernièrement « J’ai des soucis dans la tête »– permettant de faciliter le dialogue entre l’enfant, les parents et les praticiens.

Association Sparadrap : 48, rue de la Plaine – 75020 Paris. www.sparadrap.org

Comment les professionnels utilisent-ils « le poster quiparle » ? Cécilia Aldenhoff est infirmière au centre héliomarinde Saint-Trojan-les-Bains (île d’Oléron). Elle travaille essen-tiellement auprès d’enfants polyhandicapés et des personnesintubées, aphasiques, etc. Ce centre accueille cent dixpatients. Pour elle, ce support est un véritable acte de soinscar l’enfant est placé au centre de la concertation entre lafamille et l’équipe soignante. Témoignage.

Une lettre d’information

mensuelle pour tout

savoir sur l’actualité

de la prévention

et de l’éducation

pour la santé

COMMUNIQUÉ

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57LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

la santé en chiffres

Trois millions de Français (1) ont souffert d’une dépression au cours des douze derniersmois, selon l’enquête Baromètre santé de l’INPES. Et huit millions de personnes ont souf-fert de symptômes dépressifs qui néanmoins n’ont pas permis de diagnostiquer un épi-sode dépressif caractérisé. Les femmes et la classe d’âge 20-25 ans sont les plus concer-nées. D’où la nécessité d’améliorer la prévention, l’information et la prise en charge.

La dépression est un trouble psy-chiatrique dont les conséquences sonttelles que, selon l’Organisation mon-diale de la santé, elle est l’une des prin-cipales causes d’années de vie corrigéesde l’invalidité (AVCI) (2).

S’il existe des traitements efficaces– médicaments, psychothérapies et dif-férents modes de prise en charge –contre la dépression, on sait pourtantque le recours aux professionnels desanté, l’adéquation des traitements auxrecommandations de bonne pratiqueet leur observance peuvent être amé-liorés. Mieux caractériser l’ampleur etles spécificités du phénomène dépres-sif en population générale, mieuxconnaître les facteurs de risque associéset mieux comprendre les comporte-ments de soin sont donc autant dequestions auxquelles il est nécessairede répondre pour améliorer les dispo-sitifs de prise en charge, la préventionet l’information du public.

C’est la raison pour laquelle la miseen œuvre d’un dispositif d’observationfiable, pérenne et efficient est essen-tielle. Ce dispositif se met désormaispeu à peu en place, avec notammentl’introduction dans l’enquête Baromè-tre santé de l’INPES, depuis 2005, d’unecomposante santé mentale, portant enparticulier sur la dépression (3).

Quelle est la prévalence destroubles dépressifs en France ?

Les résultats du Baromètre santé 2005montrent que 7,8 % des personnes inter-rogées ont présenté un « épisode dépres-sif caractérisé » (voir définition dans l’en-cadré ci-contre) ayant perturbé leursactivités habituelles durant l’année pré-

cédant l’entretien (Tableau 1) ; ce quireprésente plus de trois millions de per-sonnes touchées, chaque année, enFrance. Les épisodes d’intensité sévèreet moyenne sont largement plus fré-quents que les épisodes d’intensitélégère (respectivement 3,2 % et 4,2 %versus 0,4 %). La proportion de person-nes souffrant de symptômes dépressifs

(sans épisode dépressif caractérisé) surune année s’élève à 18,8 %, soit plusde huit millions de personnes.

Y a-t-il des catégories depersonnes plus à risque ?

Les femmes sont globalement deuxfois plus nombreuses que les hommesà avoir souffert d’un épisode dépressif

La dépression touche trois millions de Français

Tableau 1. Prévalence à un an des troubles dépressifs

Hommes Femmes TotalÉpisode dépressif caractérisé (EDC) 5,2 % 10,4 % 7,8 %Sévérité de l’EDC– léger 0,3 % 0,6 % 0,4 %– moyen 3,0 % 5,4 % 4,2 %– sévère 2,0 % 4,4 % 3,2 %Symptômes dépressifs (sans EDC) 15,5 % 22,0 % 18,8 %

Symptômes de la dépression et épisode dépressifcaractériséLa dépression peut se repérer par différents signes ou symptômes qui se déclinent dans tousles registres de la vie quotidienne :– la vie affective (tristesse intense, incapacité à éprouver du plaisir, anxiété, etc.) ;– le fonctionnement intellectuel (diminution de l’attention, dévalorisation de soi, pensées néga-tives, etc.) ;– la forme physique (fatigue, ralentissement moteur, etc.) ;– les mécanismes vitaux et corporels (dégradation du sommeil, altération de l’appétit, problè-mes sexuels, etc.).

La dépression se manifeste le plus souvent sous forme d’épisode(s). On parle alors d’épisodedépressif caractérisé (ou d’épisode dépressif majeur). Le diagnostic d’épisode dépressif carac-térisé est posé quand :– l’épisode dépressif dure (plus de deux semaines) ;– durant cette période, chaque jour ou presque, et pendant la plus grande partie de la jour-née, la personne dépressive se sent triste, sans espoir ou a perdu ses centres d’intérêt ;– cet état de souffrance profonde est associé à de nombreux autres symptômes (au moinsquatre), qui ont des répercussions au niveau affectif, social, professionnel ou dans d’autresdomaines importants de la vie.

Xavier Briffault

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la santé en chiffres

58 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

caractérisé (EDC) dans l’année qui aprécédé l’entretien (10,4 % contre 5,2 %des hommes) (Tableau 1). Cette diffé-rence entre les genres se retrouvequelle que soit l’intensité du troubledépressif. Les risques les plus élevéspour les femmes se retrouvent pour lestroubles les plus sévères.

Les données sur l’âge montrent deuxpics de prévalence des EDC : pour lestranches d’âge des 20-25 ans (10,9 %) etdes 35-44 ans (9,5 %) (Figure 1). La pré-valence est la plus faible dans la tranched’âge des 65-75 ans (4,8 %).

La différence homme/femme la plusimportante s’observe dans la tranched’âge des 45-54 ans, où les femmes sonttrois fois plus nombreuses à souffrird’un épisode dépressif caractérisé(12,2 % contre 3,7 % des hommes).Enfin, la prévalence des épisodesdépressifs diminue plus tardivementchez les femmes (entre 55 et 64 ans :8,2 %) que chez les hommes (entre 45et 54 ans : 3,7 %).

Quelles sont les conséquencesde la dépression sur le travail ?

Plus du tiers (34,7 %) des personnessouffrant d’un épisode dépressif carac-térisé ont dû arrêter leur travail en rai-son de problèmes psychologiques.Lorsque l’intensité de l’épisode estsévère, elles sont près de 50 % à inter-rompre leur activité (Tableau 2).

La durée moyenne d’arrêt de travailpour les personnes souffrant d’un épi-sode dépressif caractérisé est de quatre-vingt-un jours. La sévérité du trouble estliée à une proportion plus importanted’arrêts d’une durée supérieure.

Cette enquête montre combien ladépression touche un nombre impor-tant de personnes, chaque année, enFrance. Elle permet également d’évaluerle nombre de personnes qui souffrentde symptômes dépressifs sans pourautant présenter un diagnostic d’épi-sode dépressif caractérisé. Les consé-quences de la dépression s’illustrent parle nombre de personnes (plus d’une surtrois) qui s’arrêtent de travailler à causede ces troubles avec une durée d’arrêtmoyenne de plus de quatre-vingts jours.

Il est important d’avoir une connais-sance précise des conséquences de ladépression pour les professionnels sus-

Tableau 2. Arrêts de travail en raison de problèmes psychologiques

Figure 1. Prévalence des épisodes dépressifs caractérisés (EDC) selon le sexe et l’âge

Pourcentage Nombre moyend’arrêts de travail de jours d’arrêt

Épisode dépressif caractérisé (EDC) 34,7 % 81,4Sévérité de l’EDC– léger 17,8 % 10,4– moyen 26,2 % 49,2– sévère 48,9 % 108,1

15-19 ans

4,1 %

9,9 %

EDC Hommes EDC Femmes EDC Ensemble

14 %

12 %

16 %

10 %

8 %

6 %

4 %

2 %

020-25 ans

8,6 %

13,4 %

26-34 ans

5,6 %

10,2 %

35-44 ans

6,8 %

11,7 %

45-54 ans

3,7 %

12,2 %

55-64 ans

4,2 %

8,2 %

65-75 ans

3,3 %

6,2 %6,8 %

10,9 %

8,0 %

9,5 %

8,0 %

6,2 %

4,8 %

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Entretien avec Frédéric Rouillon, professeur de psychiatrie à la faculté de médecineRené-Descartes-Paris-V, chef de service de la clinique des maladies mentales et del’encéphale (CMME), hôpital Sainte-Anne, Paris.

« Seulement une personne déprimée surcinq est correctement prise en charge »

59LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

la santé en chiffres

La Santé de l’homme : La dépression tou-che plus de trois millions de personnes,les troubles dépressifs, huit millions : ya-t-il davantage de gens dépressifs qu’au-paravant ?

Frédéric Rouillon : Ces chiffres doivent êtrecommentés avec prudence car la définition cri-tériologique des troubles dépressifs, incontour-nable en épidémiologie psychiatrique, ne rendqu’imparfaitement compte de la réalité de cetteentité clinique. De même, il est difficile d’affir-mer que la prévalence de ces troubles, dontla définition d’aujourd’hui n’est pas la même quecelle d’hier, est en augmentation. Pour autant,elle est hautement probable. De surcroît, il estcertain que l’âge de début des troubles dépres-sifs s’est rajeuni depuis les années cinquanteet que la proportion de patients qui acceptentce diagnostic et sollicitent des soins est de plusen plus importante.

S. H. : Que peut-on améliorer dans la qua-lité de la prise en charge ?Le dispositif de prise en charge des patientsdéprimés est perfectible. En effet, tous lespatients déprimés n’accèdent pas toujours àdes soins adaptés. Sur cinq déprimés, on

estime qu’un ne consulte jamais, un consultemais n’est pas diagnostiqué comme tel, un estdiagnostiqué mais ne reçoit pas un traitementconforme aux recommandations de bonnespratiques cliniques (BPC) et un autre est traitéconformément à ces bonnes pratiques cli-niques mais n’est pas observant de son trai-tement et l’arrête prématurément. Au final, unseul est donc correctement pris en charge.

S. H. : Comment informer correctement legrand public sur la dépression ?L’information sur la dépression délivrée au grandpublic devrait souligner la différence entre tris-tesse et dépression car, trop souvent, la notionde « déprime » recouvre des situations très hété-rogènes. Il en résulte des malentendus sur ceque l’on peut espérer d’un traitement et proba-blement un mésusage des antidépresseurs. Parailleurs, l’identification du risque suicidaire, chezles patients déprimés, me paraît essentielle.Enfin, une amélioration des connaissances surles troubles dépressifs et leur traitement, par lesmédecins généralistes, est une nécessité. Elles’est avérée très utile dans les pays où elle aété entreprise de manière structurée.

Propos recueillis par Christophe Léon

ceptibles d’intervenir auprès des per-sonnes atteintes. Il est également pri-mordial en termes de prévention depouvoir mieux identifier quelles sont lespersonnes les plus à risque de souffrird’un trouble dépressif.

Yannick Morvan1, Ana Prieto2,

Xavier Briffault3, Alain Blanchet4, Roland

Dardennes5, Frédéric Rouillon5,

Béatrice Lamboy6.

1. Psychologue, doctorant en psychologie. UniversitéParis-Descartes, Institut de psychologie, ED261 ; hôpi-tal Sainte-Anne, clinique des maladies mentales et del’encéphale (CMME), Paris.2. Chargée de recherche CNRS. Université de Cergy-Pontoise ; laboratoire Théma, Cergy.3. Chargé de recherche CNRS en sociologie de la santémentale. Cesames CNRS UMR 8136, Inserm U611, uni-versité Paris-Descartes, Paris.4. Professeur des universités. Université Paris-8, équipede recherche en psychologie clinique (ERPC) EA 2027,Saint-Denis.

5. Professeur des universités, praticien hospitalier. Uni-versité Paris-Descartes, faculté de médecine ; hôpitalSainte-Anne, clinique des maladies mentales et de l’en-céphale (CMME), Paris.6. Docteur en psychologie, INPES, direction des affai-res scientifiques, Saint-Denis.

(1) Calculé sur la base d’individus âgés de 15à 75 ans selon les données du recensement1999 de l’Insee.(2) Mesure d’écart de santé mise au point parl’OMS dans le cadre de l’étude de « la chargemondiale de la morbidité » en vue d’estimer lefardeau d’une maladie pour une population don-née. Les AVCI sont mesurées par rapport à lamortalité et à la morbidité. La morbidité est pon-dérée en fonction de la gravité de l’affection. LesAVCI équivalent à la somme des années de vieperdues (AVP) à cause de la maladie et desannées de vie vécues avec une incapacité (AVI)(http://www.who.int/whr/2001/fr/).(3) Baromètre santé 2005. Beck F., Guilbert P.(sous la dir.). À paraître.

sommairen° 223 mai 2007

InitiativesJeunes et alcool : les publicitairessavent pourquoi !par Christian De Bock

Les ateliers du blocuspar Pierre Squifflet et Florence Vanderstichelen

Antibiotiques, le journal des effortsdéçuspar Lise Thiry

Les Belges et la grippe

Tuberculose ici, tuberculose partout

Suivre les traitements contre le sida au Camerounpar Charles Nforgang

Un peu de souffle au Beau vélo de Ravel 2006par Michel Pettiaux et Stéphanie Buonomo

RéflexionsLes excès chez les ados,autodestruction programmée ? par Carine Maillard

LocaleBruxelles, ville-région en santépar Carine Maillard

OutilLe jeu de l’esprit sportif

Lu pour vous« Au secours… on veut m’aider ! »par Véronique Janzyk

DonnéesLe forfait de soins: luxe ou nécessité ?par Hervé Avalosse

Tabac en 2006: les chiffres du CRIOC

Brèves

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COMMUNIQUÉ

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Ayant longtemps souffert de la pau-vreté de l’administration pénitentiaire,la médecine en milieu carcéral n’a inté-gré une dimension préventive querécemment. La loi du 18 janvier 1994 –qui délègue la gestion des soins en pri-son au service public hospitalier – aainsi placé au premier plan le dévelop-pement de projets d’éducation pour lasanté en faveur des détenus. Les bud-gets réservés aux actions de prévention– tout comme la forte mobilisation duréseau de l’éducation pour la santé surce thème – témoignent de l’importanceaccordée désormais à la santé des déte-nus comme facteur de leur réinsertion.Outre une amélioration de la vie quo-tidienne en détention, ces interventionsvisent en effet à faciliter à plus longterme la réinsertion des détenus parl’adoption de comportements protec-teurs (une meilleure hygiène, par exem-ple) qui n’avaient pas été acquis dans lasphère sociale d’origine.

Soulignons d’emblée, au-delà decette perspective commune, la diversitéde ces interventions qui peuvent pren-dre la forme d’une vidéo sur le brossagedes dents, d’un groupe de parole sur laprévention des risques, d’un atelier surl’alimentation ou d’exercices de sophro-logie. Ces actions de prévention sontégalement mises en œuvre par desintervenants très hétérogènes que l’onpeut schématiquement regrouper endeux catégories. Tandis que dans cer-tains établissements pénitentiaires l’édu-cation pour la santé relève du personnel

hospitalier qui travaille de façon quoti-dienne en détention (unités de consul-tations et de soins ambulatoires – Ucsa),ce sont parfois des professionnels del’éducation pour la santé extérieurs, tan-tôt soignants, tantôt éducateurs, quiprennent en charge la responsabilité decertains projets. Quelle est la position deces professionnels, chargés de mettre enœuvre la politique de prévention, surl’opportunité de mener des actionsd’éducation pour la santé en détention ?

Justifier malgré toutQuelle que soit leur position au

regard de la prison (intra- ou extra-muros), tous les professionnels sontconscients que les conditions dans les-quelles ils interviennent ne sont pasfavorables à une démarche de préven-tion. L’état des prisons françaises, régu-lièrement dénoncé par l’Observatoireinternational des prisons (OIP) ou leComité pour la prévention de la torture(CPT), semble en effet peu compatibleavec une démarche censée favoriserune amélioration du quotidien ou unrenforcement de l’estime de soi. Lesprofessionnels sont dès lors confrontésà de nombreuses questions : commentinciter les détenus à rester vigilants surleur hygiène alors même que de nom-breux établissements n’assurent pas lestrois douches réglementaires parsemaine ? Quel peut être le rôle d’unediététicienne tandis que les repas sontsouvent de mauvaise qualité et sontservis froids ? Comment inciter defaçon plus générale l’adoption de com-

portements protecteurs dans un envi-ronnement nocif ?

Au-delà des conditions de détention,soumises aux aléas de l’action politique,certains professionnels relèvent lescontradictions entre une démarchereposant sur une responsabilisation del’individu et un milieu carcéral forte-ment réglementé où la liberté de choixs’avère très restreinte. Comment, parexemple, rendre les détenus responsa-bles de leur hygiène sans pour autantsusciter l’émergence de revendicationsqui risquent de se heurter à l’institutioncarcérale ? La démarche d’éducationpour la santé affronte dès lors un obs-tacle qui semble insurmontable : « Peut-on aspirer à l’autonomie individuelleen milieu d’enfermement ? » 2

S’ils sont conscients de ces diffi-cultés, les professionnels justifient pour-tant systématiquement une démarchede prévention en milieu carcéral. Tousrefusent ainsi l’idée selon laquelle ilexisterait un « seuil critique » des condi-tions de détention à partir duquel il neserait plus possible d’intervenir. Beau-coup estiment même que les mauvaisesconditions de détention, loin de rendreimpossible la démarche d’éducationpour la santé, justifient à l’inverse leuraction. Pour légitimer leur démarche,les intervenants soulignent les consé-quences qui peuvent en découler sur lavie quotidienne des détenus, en per-mettant notamment une plus grandeacceptation des contraintes pénitentiai-

débats

60 LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

Pourquoi faire de l’éducation pour la santé en milieu carcéral ?1

« La prison est cause de maladie et de mort ; c’est un lieu de régression, de désespoir, de violences exercées sursoi-même et de suicide », voilà quelques phrases tirées de l’avis du Comité consultatif national d’éthique, rendu publicle 8 décembre 2006, et qui illustrent – au travers du lieu spécifique qu’est la prison – que la santé n’est pas qu’uneaffaire de responsabilité individuelle mais que des déterminants forts agissent sur son amélioration et, dans le casprésent, sa détérioration. Dès lors, pourquoi faire de l’éducation pour la santé en milieu pénitentiaire alors que lesaméliorations institutionnelles restent minimes ? L’analyse proposée par Éric Farges, doctorant en sciences politiqueset auteur d’une recherche sur l’éducation pour la santé en milieu pénitentiaire, montre que si, pour les interve-nants, le devoir « d’agir » prédomine au regard de la situation sanitaire des détenus, la pratique de l’éducation pourla santé en prison apparaît aussi comme un enjeu « d’identité professionnelle ».

Éric Le Grand

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61LA SANTÉ DE L’HOMME - N° 389 - MAI-JUIN 2007

débats

res. Mais c’est surtout au nom d’un« devoir d’agir » que les professionnels,aussi bien extérieurs qu’intérieurs à laprison, justifient leur intervention. Mal-gré la difficulté à évaluer ces actions deprévention, il suffit aux yeux de beau-coup de professionnels qu’un seuldétenu modifie son comportementpour que leur présence soit justifiée.

La recherche d’une légitimitéprofessionnelle

Si les intervenants sont unanimespour justifier in fine la nécessité d’agir, ilssont cependant partagés quant au rôlede l’institution pénitentiaire vis-à-vis dela prévention. Tandis que la plupart desintervenants extra-muros estiment que laprison peut être propice à cette démar-che, les soignants des Ucsa considèrentque l’incarcération n’est pas du toutopportune pour la mise en œuvre d’uneaction de prévention ou d’éducationpour la santé. Cette opposition s’ex-plique tout d’abord par la différenceentre des professionnels intervenant demanière ponctuelle en détention et ceuxqui sont confrontés dans leur pratiquequotidienne à la prise en charge depopulations précaires (toxicomanes,prostituées, sans-papiers, exclus, etc.)dont la prise en charge sanitaire s’effec-tue dans une institution n’ayant pourtantpas vocation à soigner.

Les soignants des Ucsa soulignenten effet fréquemment les ambiguïtésd’une institution répressive permettantaux détenus de bénéficier souventd’une meilleure prise en charge sani-taire que celle dont ils disposeraient enliberté. Cela explique qu’ils soient ainsipartagés entre la volonté de faire pro-gresser la prise en charge dont bénéfi-cient les détenus et la conscience quecette amélioration renforce la contra-diction de la prison en tant que lieu desoin qui n’en est pas un. Ainsi, si laplace de la prévention se justifie seloneux facilement du point de vue des des-tinataires, elle pose cependant la ques-tion de l’utilité sociale attribuée à l’ins-titution carcérale.

Au-delà du « devoir de faire » et de laprise en compte des détenus, il sem-blerait que la justification des actionsd’éducation pour la santé par les per-sonnels des Ucsa, alors même qu’ilsdoutent de leur efficacité, puisse s’ex-pliquer par le besoin de se démarquerpour ces soignants de l’institution car-

cérale. Historiquement, les médecinstravaillant en prison n’ont eu de cesse dese distinguer de la logique pénitentiaireafin de faire valoir aux yeux despatients, et de leurs confrères, leur auto-nomie. On peut ainsi se demander si lamise en avant du rôle soignant de la pri-son, à travers la justification des actionsde prévention, n’est pas un moyen poureux de légitimer, dans le langage sani-taire, l’incarcération et de se démarquerainsi de la logique de l’institution au seinde laquelle ils interviennent.

Médicale, éducative : deux visions de la prévention

Cette hypothèse permet de rendrecompte non seulement de la positionambiguë des soignants intra-muros àl’égard de l’éducation pour la santé,perçue comme une opportunité nonopportune, mais également de la formed’intervention qu’ils privilégient. Lesactions de prévention entreprises diver-gent en effet fortement selon la posi-tion, intérieure ou extérieure, des pro-fessionnels considérés. Les personnelsde l’Ucsa adoptent ainsi une interven-tion de nature plus « biomédicale », visi-ble à travers la terminologie employée(assez technique), la présentation de soi(port de la blouse blanche) ou la naturedes actions (strictement informative),tandis que les intervenants extérieursadoptent plus volontiers une forme plus« éducative ». Ils proscrivent en généralles exposés magistraux et privilégientles groupes de parole, refusent derevendiquer leur statut de soignant(lorsqu’ils le sont) et n’imposent pas desrègles de participation trop strictes.

Au-delà des cultures professionnellesmobilisées, la forme de prévention pri-vilégiée (strictement médicale d’un côté,plus éducative de l’autre) semble en par-tie liée à la position des intervenants auregard de la prison. Le besoin de se légi-timer en se distinguant du cadre péni-tentiaire amènerait les soignants del’Ucsa à recourir à une forme d’inter-vention plus biomédicale. À l’inverse,les intervenants extérieurs seraient suf-fisamment légitimes, du fait de leurinstitution d’origine, pour pouvoiradopter une posture plus globale etmoins autoritaire. C’est, par consé-quent, peut-être parce qu’elle les légi-time en tant que soignants que les per-sonnels hospitaliers justifient unedémarche de prévention dont ils sontconscients des limites.

Faire travailler ensemble les intervenants

Entre l’intérêt du détenu, le « devoird’agir » et la légitimation du corps médi-cal travaillant en détention, les raisons quiamènent à faire de l’éducation pour lasanté sont multiples. Pourtant, faire del’éducation pour la santé en prison neva pas de soi. En effet, aussi bien en rai-son des conditions de détention que dela logique même de l’institution carcérale,cette démarche émancipatrice se heurteà de nombreux obstacles. Afin que l’édu-cation pour la santé ne soit pas unique-ment le signe de l’échec de l’administra-tion pénitentiaire à réinsérer la grandemajorité des détenus et devienne unecomposante à part entière des politiquescarcérales, il apparaît nécessaire que cettedémarche préventive s’accompagned’une transformation de l’institution car-cérale, aussi bien dans sa matérialité queses mentalités. Faire de l’éducation pourla santé un vecteur de changement de laprison suppose un dialogue et uneconcertation entre les différents interve-nants (soignants de l’Ucsa, réseau Codes/Cres, personnel de détention mais aussiservices pénitentiaires de réinsertion etde probation, associations, directionsrégionales et départementales des affai-res sanitaires et sociales). On ne peut queregretter que le dialogue soit si faibleentre ces différents partenaires potentiels,souvent préoccupés à défendre leursprérogatives respectives. Au-delà desenveloppes budgétaires, une vraie poli-tique d’éducation pour la santé requiertenfin un réel investissement de la direc-tion de l’administration pénitentiaire. Lescontradictions de l’éducation pour lasanté en prison pourraient peut-êtreainsi, si ce n’est être résolues, être rédui-tes à travers l’élaboration d’un projetcommun à l’ensemble des partenaires.

Éric Farges

Doctorant en sciences politiques*.

* réalise une thèse sur l’histoire de la médecine péni-tentiaire, des années soixante-dix à la réforme du18 janvier 1994.

1. Cet article est issu d’une recherche sociologiqueconduite sur plusieurs établissements pénitentiairesdurant l’automne 2005, qui a donné lieu à une publi-cation scientifique : Farges É. La sanitarisation dusocial : les professionnels et l’éducation pour la santéen milieu pénitentiaire. Lien social et politiques 2006 ;n° 55 : 99-114.2. Martin D. Réflexion sur le sens éthique de l’édu-cation pour la santé en milieu pénitentiaire. La lettrede l’espace éthique 2000 ; n° 12 : 41-2.

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