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Maintenant que j’y pense… Louis Wild

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Maintenant que j’y pense…

Louis Wild

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----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 148 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 12.36 ----------------------------------------------------------------------------

Maintenant que j’y pense…

Louis Wild

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Les 2 et 7

1952

J’ai deux ans, nous allons à la mer pour les vacances. Mes frères et sœurs, mes parents et moi, le petit dernier. Ma mère a peur alors, pour ne pas me perdre ou pour que je n’aille pas à l’eau tout seul, on m’attache avec un baudrier et une longue laisse au pied du parasol. L’heure du bain venue, mon père me prend sur ses épaules et nage. Je pleure, ça pique. Je crois que je ne me souviens de rien. J’ai mis trente ans à avoir des rapports supportables avec la mer, la rivière, la piscine…

1957

Mes parents décident de faire « des réparations ». Nous allons avoir une belle maison. J’ai 7 ans, je cour partout, je veux aider les maçons. J’ai du béton plein le pull. Ma mère a peur. L’école m’embête. Je n’aime pas ça. Mes sœurs se disputent beaucoup. Mon frère aîné a une fiancée. Il n’ira pas à la guerre en Algérie, à cause de sa jambe.

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1962

L’Algérie, c’est fini. Mes frères sont sauvés. Ils m’ont fait tonton 5 fois. C’est le collège et j’aime encore moins. Dans les grands couloirs je croise mon père avec sa blouse blanche de prof de math et physique. Il fait semblant de ne pas me voir. Je l’aide. Ma grande sœur est partie apprendre la coiffure à Montpellier. Elle loue une chambre seule. Ma mère à peur. Le dimanche je vais au « cinéma du curé ». J’ai 1 franc, 50c pour le ciné, 50c pour les gros caramels au café. J’ai vu Laurel et Hardy, Charlot, Buster Keaton, « celui qui ne rit jamais »

1967

« Papa, tu sais, le lycée, ça me gonfle vraiment, je veux aller aux BEAUX-ARTS ». Papa ne dit rien. Maman a peur. Je rentre aux Beaux-Arts. Je suis seul, dans ma chambre, à Montpellier. Dans le placard il y de quoi manger. Ma mère a prévu. Je vais au cinéma deux fois par jour. Je dessine, je peins, je grave, je la rencontre. Elle est belle comme la première fois. Elle est bleue, elle me regarde, elle me donne. Maman, j’ai peur. Elle disparaît, étoile filante, partie, perdue, perdu. François me tient par l’épaule. Il m’emmène voir « Little Big Man » dans un cinéma permanent. Nous restons deux séances de suite. Depuis je l’ai vu 27 fois.

1972

Fini les Beaux-Arts. Cinq ans de vie forte, le plein

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d’émotions, de rencontres, de partages, de folies. Dans la montagne ils ont ouvert un resto parce qu’ils en ont assez de vivre à Paris. Ils veulent tout recommencer ici, en Cévennes, pour du plus vrai, moins d’artifice. Il est publiciste, ça marche fort, trop, ça suffit. Je les rencontre au bar de la place. Ils me parlent de leur projet. Elle fait tourner le resto avec le cuistot et sa femme, lui reste encore un peu à Paris pour assurer. Il descend le week-end. Je vais habiter au mas et donner un coup de main au service. La petite blonde, fluette qui cour, rit, danse en me mangeant la bouche vient avec moi. Ma mère a peur. C’est le printemps, les gens viennent nombreux, manger sur la terrasse ou dans les anciennes caves. Nous leur susurrons du Jefferson Airplane. C’est du bonheur fort, de l’amour. Tout s’écroule un vendredi soir, à 200 Km de Paris. Il s’endort au volant et percute une pile de pont. On a refermé les volets du mas. Elle est partie en Bretagne près des siens. Celle qui me regarde me dit viens chez moi à Paris.

1977

Nous sommes mariés et parents. Il a deux ans et cour dans la prairie. Nous habitons la Corrèze, au milieu de nulle part, à 10 Km de la première épicerie. Ma mère à peur. Nous sommes les rois du monde. Je suis devenu éducateur au près d’enfants souffrant d’autisme. Je découvre la vraie rencontre. Celle du semblable tellement différent qu’il nous oblige à

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l’humilité. Je te suis plus que je te guide pour que tu m’ouvres une porte que tu m’accueilles un peu. Je te demande de m’apprendre ce que tu vois pour que nous parlions de la même chose. Le soir, la nuit, je peins. Elle pose, se laisse prendre, exposer, encore une fois, se donne.

1982

Deuxième année Mitterrand… la réal-politique commence à prendre le pas sur la dynamique du changement.

Nous avons trois garçons. L’aîné a du mal à partager. C’est le retour en Cévennes. Les montagnes sont toujours là mais la vie a continué sans nous. Certains s’arrêtent au bord du trottoir, ils me saluent d’un bout de menton et passent leur chemin. Ils ont rencontré un revenant. Il faut reconstruire le cercle des amis. Mon travail a changé. J’accompagne, maintenant des personnes adultes atteintes de maladie mentales. C’est toujours autant d’écoute de disponibilité mais avec une charge affective beaucoup plus contrôlable et contrôlée.

J’ai fait le maçon pendant un an pour construire notre maison. C’est la plus belle maison du monde.

1987

12, 9,7, ils ont grandi. Leur mère dit qu’elle veut souffler, s’éloigner un peu, finir son diplôme d’archi. Je comprends, je suis d’accord. Mes horaires me

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permettent de m’occuper des enfants. Elle pourra se consacrer à son boulot. Les garçons apprennent à se passer de leur mère, moi aussi. La fac l’accapare plusieurs jours par semaine puis bientôt, plusieurs nuits. C’est l’été, les fêtes où je ne suis pas invité « il faudrait amener les enfants et puis tu ne connais personne ». Je comprends. La vie s’écroule peu à peu. Les garçons me regardent. Je leur souris. Je fais le repas ce soir, encore un soir sans téléphone. La pendule nous fait peur. A la radio, Cabrel chante « Tu en passeras des nuit à regarder dehors » « c’est écrit ». Les garçons dorment. Je pleure.

1992

Je n’habite plus la plus belle maison du monde depuis deux ans. Un deux pièces suffit. Mon fils aîné vit avec moi quand il n’est pas à Montpellier pour ses études. Ses frères viennent quand ils veulent et ils veulent souvent. Ils ont subit la tempête. La coque a bien tenu mais, à l’intérieur, tout est sans dessus dessous. Moi je ressuscite peu à peu, après avoir tout vécu pour oublier. L’alcool, bien sûr, la fête sans vraie raison, les femmes, celles qui vous accueillent juste pour le plaisir et qui vous rassurent en vous disant « c’est juste pour le cul, qu’est ce que tu crois ? ».

Et puis, ras le bol, tout ça, ce n’est pas moi ce fêtard paillard.

Le calme, le repli, de l’eau, des livres, du calme. Elle est venue toute en douceur effacer le tableau

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noir de l’école de la vie. Elle est venue prendre ma main abandonnée. Elle m’a montré sa vie avec moi dedans. Elle m’a pris dans sa maison, a poussé les meubles et les gens, m’a fabriqué un chez nous. Tout en douceur pour ne pas effrayer l’oiseau blessé.

1997

L’année dernière, la douce m’a donnée sa main pour y passer l’anneau. C’était l’été, dans un grand pré, en Camargue. Les parents les amis avaient retrouvé leur sourire. Les enfants courraient après les taurions. Mon père avait mis son chapeau de paille, ma mère pleurait. Mon fil aîné et venu avec sa compagne. Il n’a plus peur des couples. Le second est de passage, il ne dit rien de sa vie ou juste assez pour me rassurer. Je ne lui dis pas que j’ai peur. Il fait semblant de ne pas le voir. La fille de ma douce me sourit.

Au mois de janvier, le troisième garçon me fait revivre mes dix sept ans : « Papa, je veux arrêter le lycée, j’en peux plus »

« Mais le bac ? Mais pour quoi ? » « Je veux aller à Paris dans une école de théâtre » « ok, je te suis ».

Surtout ne pas regarder ce train qui part, il va voir que je pleure. Et puis, si, merde, regarde, je pleure !

2002

Je suis grand père depuis le 22/11/2001. Moi, grand père. Ma chérie se moque. Elle s’arrête devant

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toutes les vitrines « oh, un jouet, oh, des chaussures, oh, oh… »

Le 22/02/02, un vendredi, la voix cassée de mon frère : « il faut que tu viennes, c’est bientôt fini ». Mon père est là, ballotté par les manœuvres des pompiers, du médecin. Il s’en va doucement malgré leurs soins. Je le regarde sereinement. Quelques jours avant, au sortir d’une première alerte, il nous avait dit, « ne vous inquiétez pas, ce n’est rien c’est très doux ». Le médecin nous regarde tristement en enlevant ses gants.

Je prends mon téléphone, il faut que je lui dise. Elle dit allo et je pleure, j’ai mal, je suis perdu, pas un mot, rien ne vient, je pleure. J’ai 52 ans, mon papa est parti. A cet instant là je suis tout seul.

Ma mère, dans son monde, nous dit qu’il est parti, que c’est rare qu’il s’en aille comme ça, sans rien dire. Elle l’attend certains soirs mais pas toujours. « Il finira bien par rentrer »

2007

Notre maison est la plus belle du monde. Les garçons ont chacun leur compagne, la fille son compagnon. La vie les chahute sans trop de dégâts. La petite court partout et nous derrière.

Mon blog aura bientôt deux ans. J’y croise beaucoup de gens. Les liens se tissent. Je ne peux commencer une journée sans prendre des nouvelles, de lire les textes de certaines personnes qui me sont devenues très chères.

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Il n’était pas rentré de sa partie de boules

Nous sommes passés les voir, hier soir, dans leur petit village.

Il n’était pas rentré de sa partie de boules. Elle avait passé l’après-midi dans un fauteuil de la terrasse à guetter les passants pour se casser la solitude.

Nous avons sorti le whisky et les biscuits salés. Elle a dit « juste un fond, avec de l’eau gazeuse ». Moi j’ai dit « Non merci, je conduis, ou alors du coca ».

Elle nous a raconté ses dernières bêtises, à lui, et puis aussi le repas de dimanche, mais ça nous le savions déjà. « Ah oui, c’est vrai, je crois que je perds la tête, et lui, alors, si vous saviez… »

Il est arrivé. Il avait ramassé des amandes. Du garage, il a remonté de l’engrais pour notre

vigne vierge. Il m’a dit « tu aimes le maquereau au vin blanc ? Je vais te le faire à ma façon »

On a mis quatre assiettes sur la table en plastique. Il m’a servi du Merlot dans un verre ballon.

– Non merci, je conduis. Il n’a pas entendu. – Tu vas voir, il est bon… Pas cher, trois euros.

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– C’est vrai, il est bon. Elle a dit – Moi, le vin… Il a souri. Elle a dit – Qu’est ce qu’il y a ? Il a dit – Riennn ! Elle a fait pff ! En haussant les épaules. Le chien a attrapé une croûte de fromage en plein

vol. Nous nous sommes regardés en souriant. A la fin du repas, il a plu, un peu. Ça n’a pas

traversé la tonnelle mais l’odeur de la terre humide est montée jusqu’à nous.

Nous somme rentrés sur la route mouillée. – Fais attention, ça glisse. Tu veux que je

conduise ? T’as pas trop bu ? – Mais non, ça va. Dans une heure, nous sommes

couchés.

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La voiture est partie

La voiture est partie. Les portières ont claqué sur un dernier fou rire. J’ai regardé s’éteindre lentement le sourire sur son visage. Le trottoir nous gardait encore un peu de leur présence dans le bruit du moteur qui s’éteignait aussi.

Quand les amis s’en vont je ne sais pas garder le bonheur qu’ils m’ont fait de passer par chez nous. La tristesse barbouille de son sale pinceau la place où je devrais tenir la joie de les avoir.

Dans la maison, les chats traversent le silence. Ils viennent se frotter à mes mains désœuvrées. Elle range une chaise, redresse le bouquet, referme les albums.

Je la vois s’agacer de ma mélancolie. Je voudrais mettre en mots ces moments pour lui dire « ce que je sais de moi se fait à la lecture du regard d’un ami ».

J’ai la peur des enfants qui, ne le voyant plus, pensent que l’être cher les a abandonnés. Je n’ai pas effacé toutes mes cicatrices.

J’aime et ne sais jamais de qui je suis aimé.

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Je regardais ses lèvres

Elle lui parlait bas, collée contre son dos et lui emprisonnait le buste de ses bras. Il regardait la mer feignant l’indifférence. Elle lui murmurait des douceurs amoureuses. Un sourire léger venait les souligner.

Je regardais leur jeu. Je regardais ses lèvres. J’imaginais son souffle sur le bord de l’oreille. J’imaginais ses mots.

Le garçon frémissait, et se laissait aller. Elle le recevait comme pour le bercer. Il ne demandait rien et se lovait en elle. Ils étaient beaux, repus de bonheur à l’ombre des rochers. La mer venait lécher leurs jambes enlacées. Moi je ne lisais plus. J’avais perdu ma page. Je regardais la vie qui vaut tous les romans et j’écoutais mon cœur, ce batteur de chamade, me dire souviens toi, tu la tenais serrée, tu lui disais des roses mais son rire, à lui seul, t’a cloué de chagrin.

Parfois les souvenirs posent leur manteau noir sur les plus belles choses. Il nous faut résister à la mélancolie, continuer à murmurer des roses.

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Un ami

Un ami, qui souvent caressait la bouteille, avait pris l’habitude, quand il entrait chez moi, de dire, rayonnant : « J’ai rencontrais la femme de ma vie ».

– Où ? – Là, maintenant, dans le bus. – Et, tu lui as parlé ? – Ça va pas, non ? – Pourquoi ? – Parce que je sais que je ne suis pas l’homme de

sa vie. Je suis l’homme de la vie de personne. – Toi, tu as bu. – Et oui, j’ai bu. Pour voir la femme de ma vie, il

faut que je boive. Pour la voir, pas pour la rencontrer. Là, il faut être clair. Il est là, mon problème.

Comment fréquenter quelqu’un que l’on ne peut voir, reconnaître, que quand on est infréquentable ? Allez, toi qui fais des jolies phrases, expliques à ton vieux copain fatigué.

– C’est toi qui me fatigues. Parce que tu crois que je sais comment on aborde la femme de sa vie. Cette merveille, cette Mona Lisa que nous forgent nos rêves ?

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On l’imagine faite de nos propres désirs et de nos propres manques. Elle naît de notre égoïsme. Il n’y a que de nous dans le portrait que l’on peint. Je donne mon pardon aux femmes infidèles. Elles ont fuit souvent des hommes trop mesquins pour les imaginer autrement qu’à leur botte. Qu’ils pleurent ces goujats sur leur ventre repus. La femme de leur vie va enfin faire la sienne.

– Bon, Qu’est-ce que t’as à boire ?