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MISE AU POINT Figure 1. Radiographie d’un patient présentant une parodontite chronique sévère généra- lisée. La ligne pointillée jaune indique le niveau osseux physiologique. La ligne pointillée orange indique le niveau osseux actuel après résorption osseuse due à la parodontite. Figure 3. Même patient que sur la figure 1 ; vue clinique des faces palatines des incisives maxillaires. Noter l’œdème gingival autour des dents ainsi que la présence d’enduits et de plaque bactérienne visible à l’œil nu. Figure 2. Même patient que sur la figure 1 ; secteur maxillaire gauche. A. Perte osseuse objectivée lors d’un abord chirurgical parodontal. B. Image radio- graphique correspondante. La ligne pointillée jaune indique le niveau osseux physiologique. A B 18 | La Lettre du Cardiologue n° 481 - janvier 2015 Maladie athéromateuse et parodontites Atheromatous disease and periodontitis B. Prouvost*, H. Rangé*, A. Boillot*, P. Bouchard* * Département de parodontologie, service d’odontologie, hôpital Roth- schild, AP-HP ; UFR d’odontologie, université Paris-Diderot. L e lien épidémiologique entre parodontite et maladie athéromateuse est désormais établi. En effet, de récentes études indiquent que l’inci- dence des maladies cardiovasculaires athérothrom- botiques est plus élevée chez les patients atteints de parodontite que chez les sujets sans maladie paro- dontale, indépendamment des nombreux facteurs de risque cardiovasculaire connus (diabète, hypertension artérielle, hyperlipidémie, tabagisme, etc.) [1]. Les maladies parodontales Les maladies parodontales sont des maladies inflam- matoires multifactorielles d’origine bactérienne aboutissant à la destruction du support des dents, dont les tissus de soutien sont l’os alvéolaire, le liga- ment qui relie la dent à l’os, et le cément qui recouvre la racine dentaire et la gencive (figures 1 et 2). Lorsque ce support est incomplet ou absent, les dents ne sont plus soutenues, deviennent mobiles et s’exfolient spontanément en l’absence de traitement.

Maladie athéromateuse et parodontites - edimark.fr · Maladie athéromateuse et parodontites ... confèrent une pathogénicité élevée à la fois au cours du développement des

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MISE AU POINT

Figure 1. Radiographie d’un patient présentant une parodontite chronique sévère généra-lisée. La ligne pointillée jaune indique le niveau osseux physiologique. La ligne pointillée orange indique le niveau osseux actuel après résorption osseuse due à la parodontite.

Figure 3. Même patient que sur la figure 1 ; vue clinique des faces palatines des incisives maxillaires. Noter l’œdème gingival autour des dents ainsi que la présence d’enduits et de plaque bactérienne visible à l’œil nu.

Figure 2. Même patient que sur la fi gure 1 ; secteur maxillaire gauche. A. Perte osseuse objectivée lors d’un abord chirurgical parodontal. B. Image radio-graphique correspondante. La ligne pointillée jaune indique le niveau osseux physiologique.

A

B

18 | La Lettre du Cardiologue • n° 481 - janvier 2015

Maladie athéromateuse et parodontitesAtheromatous disease and periodontit is

B. Prouvost*, H. Rangé*, A. Boillot*, P. Bouchard*

* Département de parodontologie, service d’odontologie, hôpital Roth-schild, AP-HP ; UFR d’odontologie, université Paris-Diderot.

Le lien épidémiologique entre parodontite et maladie athéromateuse est désormais établi. En effet, de récentes études indiquent que l’inci-

dence des maladies cardiovasculaires athérothrom-botiques est plus élevée chez les patients atteints de parodontite que chez les sujets sans maladie paro-dontale, indépendamment des nombreux facteurs de risque cardiovasculaire connus (diabète, hypertension artérielle, hyperlipidémie, tabagisme, etc.) [1].

Les maladies parodontales

Les maladies parodontales sont des maladies infl am-matoires multifactorielles d’origine bactérienne aboutissant à la destruction du support des dents, dont les tissus de soutien sont l’os alvéolaire, le liga-ment qui relie la dent à l’os, et le cément qui recouvre

la racine dentaire et la gencive (figures 1 et 2). Lorsque ce support est incomplet ou absent, les dents ne sont plus soutenues, deviennent mobiles et s’exfolient spontanément en l’absence de traitement.

Figure 4. Mécanismes directs de l’aggravation de la maladie athéromateuse par la parodontite.

Facteurs de virulence (gingipaïnes, lipopolysaccharides, fi mbriae, etc.)

Bactéries parodontales (Porphy-romonas gingivalis, Actinobacillus actinomycetemcomitans, etc.)

La Lettre du Cardiologue • n° 481 - janvier 2015 | 19

Points forts » Les parodontites chroniques chez l’adulte doivent être considérées comme des inflammations de bas grade. » Il y a une association positive entre parodontites chroniques et maladies athéromateuses. » De l’ADN de bactéries parodontales a été retrouvé dans des plaques d’athérome recueillies après

endartériectomie chirurgicale. » Les bactéries parodontales pourraient participer à la progression de la maladie athéromateuse par

activation et recrutement des polynucléaires neutrophiles. » Le traitement parodontal permet une réduction progressive de l’inflammation systémique et l’amélio-

ration de la fonction endothéliale.

Mots-clésMaladies parodontalesParodontitesAthérosclérose

Infl ammation

Highlights » Chronic periodontitis in adult

patients must be considered as low-grade infl ammation.

» There is a positive associa-tion between chronic periodon-titis and atheromatous disease.

» Bacterial DNA has been found in atheromatous plaque in endarterectomy samples.

» Periodontal bacteria may play a role in the progression of atheromatous disease due to neutrophil activation and recruitment.

» Periodontal therapy allows a reduction of systemic infl am-mation, and improves endothe-lial function.

KeywordsPeriodontal diseasesPeriodontitisAtherosclerosisInfl ammation

Sur le plan physiopathologique, cette destruction est due à l’accumulation de bactéries pathogènes entre la gencive et la dent. Ces bactéries colonisent les surfaces dentaires en formant un amas hétérogène et évolutif, organisé en biofi lm, appelé communé-ment plaque dentaire ou plaque bactérienne. Les maladies parodontales entraînent, comme l’obésité, une infl ammation de bas grade (fi gure 3).On observe 2 grandes catégories de maladies paro-dontales : les gingivites (infl ammation gingivale sans lyse de l’os alvéolaire) et les parodontites (infl amma-tion gingivale avec lyse de l’os alvéolaire). C’est cette dernière catégorie qui nous importe ici, lorsqu’elle concerne des sujets adultes (parodontites chro-niques). En France, environ 20 % des adultes âgés de plus de 35 ans souffrent de parodontite sévère (2).Les parodontites se distinguent cliniquement par la présence d’œdèmes associés à des saignements gingivaux et de “poches” parodontales (espace pathologique entre la gencive et la dent engendré par la perte osseuse). Ces poches parodontales sont dépistées et mesurées à l’aide d’une sonde graduée permettant d’évaluer la sévérité de la parodontite. Ces maladies sont silencieuses, très rarement

douloureuses et se développent à bas bruit. Parfois, des rétractions de la gencive (récessions gingivales) peuvent apparaître, découvrant les racines dentaires. Elles constituent, avec les saignements de la gencive, les abcès et les mobilités dentaires, un fréquent motif de consultation.

Hypothèses physiopathologiques expliquant le lien entre maladie athéromateuse et parodontites

Mécanismes directs (fi gure 4)

Certains pathogènes parodontaux ont la capacité de franchir la barrière épithéliale gingivale, pénétrer le tissu conjonctif sous-jacent, traverser l’endothélium vasculaire et migrer des sites parodontaux vers les plaques d’athérome via le réseau vasculaire périphé-rique (3). L’ADN de bactéries parodontopathogènes a été retrouvé dans des plaques d’athérome recueillies

Maladie athéromateuse et parodontites MISE AU POINT

Figure 5. Mécanismes indirects de l’aggravation de la maladie athéromateuse par la parodontite.

Médiateurs de l’infl ammation (cytokines, MMP, etc.)

MCP-1, ICAM, VCAM, etc.

Bactéries parodontales (Porphy-romonas gingivalis, Actinobacillus actinomycetemcomitans, etc.)

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20 | La Lettre du Cardiologue • n° 481 - janvier 2015

après endartériectomie chirurgicale (4). Parmi ces bactéries, Porphyromonas gingivalis et Tannerella forsythia ont été particulièrement étudiées. Elles possèdent de nombreux facteurs de virulence (gingi-païnes, lipopolysaccharides, fi mbriae, etc.), qui leur confèrent une pathogénicité élevée à la fois au cours du développement des lésions parodontales, et au cours de celui des lésions athéromateuses. La capa-cité de recrutement et d’activation des neutrophiles de ces bactéries laisse penser qu’elles participeraient activement à la progression de l’athérothrombose (5, 6).

Mécanismes indirects (fi gure 5)

L’infl ammation locale, principalement induite par les lipopolysaccharides bactériens, entraîne une réponse immunitaire classique, innée et adaptative, se traduisant par la sécrétion de médiateurs de l’in-fl ammation (cytokines, prostaglandines, métallopro-téinases matricielles, etc.) au sein du tissu conjonctif gingival. Ces médiateurs solubles (TNF-α, IL-1β, IFN-γ, IL-8, MCP-1, protéine C réactive), via la circulation sanguine, pourraient entraîner l’activation des cellules

endothéliales vers un état prothrombotique se tradui-sant par la sécrétion de molécules (MCP-1, ICAM, VCAM, etc.) et de protéines transmembranaires (TLR2) accélérant la formation de la plaque d’athérome. Cet état prothrombotique pourrait également être favorisé par l’évasion dans la circulation sanguine de macrophages “infectés”, contenant les bactéries et/ou leurs antigènes. Enfi n, la possibilité d’une réponse auto-immune locale a été évoquée (7).

Maladies parodontales et marqueurs prédictifs de la maladie athéromateuse

Certains marqueurs biologiques et cliniques associés à un risque augmenté de survenue des maladies cardiovasculaires ont été associés positivement aux maladies parodontales. Ainsi, les patients atteints d’une maladie parodontale présentent une augmentation de l’épaisseur de l’intima-média carotidienne (8), une altération de la fonction endo-théliale de l’artère brachiale (9) et une élévation de l’activité plasmatique de l’inhibiteur de l’activateur

mise au point

La Lettre du Cardiologue • n° 481 - janvier 2015 | 21

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Références bibliographiques

du plasminogène 1 (PAI-1) [10] ainsi que du taux de protéine C réactive (11).

Influence du traitement parodontalLe traitement des parodontites vise à réduire la charge intra-orale des pathogènes parodontaux en éliminant les poches parodontales, c’est-à-dire les niches écologiques qui les abritent. Le traitement est, en première intention, toujours non chirurgical et consiste en un détartrage/surfaçage des racines dentaires. Si cette approche dite “à l’aveugle” s’avère insuffisante, un traitement chirurgical des lésions “à ciel ouvert” peut être indispensable. Il s’ensuit la résolution de l’inflammation et le retour à l’homéo-stasie, dont la persistance repose sur un suivi régu-lier, le plus souvent bisannuel.

Les études interventionnelles montrent, après un traitement parodontal, une diminution de l’épais-seur de l’intima-média carotidienne (12), une amélioration de la fonction endothéliale de l’artère brachiale (13), ainsi qu’une légère diminution des taux de protéine C réactive (14).

Conclusion

À ce jour, il existe des arguments épidémiologiques solides affirmant que les maladies parodontales entraînent une augmentation du risque d’apparition et d’aggravation de la maladie athéromateuse. Le trai-tement des parodontites chez l’adulte permet l’atténua-tion de l’inflammation systémique et l’amélioration de la fonction endothéliale (15). Il n’existe cependant aucune preuve que les traitements parodontaux préviennent la survenue d’événements cardiovasculaires. ■

Les auteurs n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts.