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1 9 e Congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation ENTREPRENEURIAT RESPONSABLE : PRATIQUES ET ENJEUX THEORIQUES Nantes, France, 20-22 mai 2015 Management participatif et émotionnel : le cas de La Feuille d’Erable DESCUBES, Irena McNamara, Tom ESC Rennes School of Business 2 rue Robert d'Arbissel 35000 Rennes [email protected] [email protected] Résumé Cet article explore les modes managériaux non-conventionnels des acteurs de l’économie sociale et solidaire, plus particulièrement ceux des structures d’insertion professionnelle par activité économique. Il s’intéresse au cas de La Feuille d’Erable, une entreprise sociale et solidaire qui aide des personnes en chômage de longue durée comme les anciens prisonniers à se réinsérer dans la vie active dans la région rennaise. Cette organisation spécialisée depuis plus de trente ans dans la collecte et le recyclage des déchets des entreprises, collectivités et administrations applique les méthodes de management participatif et émotionnel qui permettent un haut taux de réinsertion professionnelle réussie. L’objectif de ce document est de contribuer aux réflexions menées sur les modes de management dans les entreprises sociales et solidaires utilisant la participation et les émotions. Ce travail suggère qu’un système de management qui crée de la participation et s’appuie sur les émotions positives en entreprise, permet d’augmenter la performance de ses employés en situation de réinsertion.

Management participatif et émotionnel : le cas de La ...archives.entrepreneuriat.com/fileadmin/user_upload/Actes_9eme... · 3 Introduction Lachmann et al. (2010) font le constat

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9e Congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat et de l’Innovation

ENTREPRENEURIAT RESPONSABLE : PRATIQUES ET ENJEUX THEORIQUES

Nantes, France, 20-22 mai 2015

Management participatif et émotionnel : le cas de La Feuille d’Erable

DESCUBES, Irena

McNamara, Tom

ESC Rennes School of Business

2 rue Robert d'Arbissel

35000 Rennes

[email protected]

[email protected]

Résumé

Cet article explore les modes managériaux non-conventionnels des acteurs de

l’économie sociale et solidaire, plus particulièrement ceux des structures d’insertion

professionnelle par activité économique. Il s’intéresse au cas de La Feuille d’Erable, une

entreprise sociale et solidaire qui aide des personnes en chômage de longue durée comme les

anciens prisonniers à se réinsérer dans la vie active dans la région rennaise. Cette organisation

spécialisée depuis plus de trente ans dans la collecte et le recyclage des déchets des

entreprises, collectivités et administrations applique les méthodes de management participatif

et émotionnel qui permettent un haut taux de réinsertion professionnelle réussie. L’objectif de

ce document est de contribuer aux réflexions menées sur les modes de management dans les

entreprises sociales et solidaires utilisant la participation et les émotions. Ce travail suggère

qu’un système de management qui crée de la participation et s’appuie sur les émotions

positives en entreprise, permet d’augmenter la performance de ses employés en situation de

réinsertion.

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Abstract

This article explores non-conventional methods of management in third sector entities, with a

special focus on those allowing for the reintroduction of socially excluded sectors of the

population back into social and economic systems. The specific case of “La Feuille d’Erable”,

an organization integrating long-term unemployed people (former prisoners in the region of

Rennes, France) is studied. This organization, specialized in the recycling of used paper from

companies, institutions and administrative bodies for the past thirty years, is applying

participative and emotional management methods that lead to a high level of re-integration

into employment. The goal of this paper is to contribute to a discussion on management

methods in social businesses. This work highlights that a management system creating

participation and using positive emotions in the workplace, can increase the performance of

its employees under vocational rehabilitation.

Mots-clefs: Entreprise sociale et solidaire, management émotionnel, Feuille d’Erable

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Introduction

Lachmann et al. (2010) font le constat que « le management soit la clé de survie et de

réussite des entreprises dans les années à venir ». Parmi les facteurs déclencheurs du mal-être

au travail dans les entreprises à but lucratif sont cités le contexte social, à savoir le manque de

reconnaissance du travail effectué, l’absence de soutien managérial, ainsi que les différents

conflits de valeurs, tels que la souffrance éthique ou la violence psychologique Askenazy et

al. (2009).

Le modèle économique des organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS) est

fondé sur le principe d’utilité sociale et de solidarité, ainsi que sur celui de gestion

démocratique, participative et parfois militante. Un label d’entreprise sociale est attribué

depuis 2001 aux organisations non-cotées sur les marchés financiers dont au moins un tiers de

salariés est en contrat emploi et dont le dirigeant ne perçoit pas une rémunération excédant

quatre fois le Salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC). De par leur statut

non-lucratif ou lucratif limité, et de par leur objet social, visant à rendre l’atteinte d’une utilité

sociale spécifique, les ESS contribuent à corriger certains dysfonctionnements du système

économique marchand et à assurer certaines missions sociales que l’Etat n’arrive pas/plus à

fournir dans un contexte territorial spécifique (Olsson et al, 2003).

Dans une première partie de cet article, nous mettrons en exergue différents aspects

émotionnels et participatifs en entreprise et la spécificité de management des ESS, à partir

d’une analyse de littérature. Dans une deuxième partie, nous présenterons l’étude de cas de la

Feuille d’Erable, une ESS par IAE spécialisée depuis plus de trente ans dans la collecte et le

recyclage des déchets des entreprises, collectivités et administrations et présenterons son

modèle de management participatif et émotionnel. Dans une troisième partie, nous tirerons les

enseignements de ce cas en démontrant que ce type de management empathique se répercute

sur le bien-être émotionnel des salariés en situation de réinsertion. Nous pourrons alors

souligner le fait qu’un management performant dans les ESS s’appuie sur la participation des

salariés à la prise de décision et des compétences émotionnelles.

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1. Management émotionnel

Les émotions, aussi bien positives que négatives, sont les éléments essentiels de

l’interaction dans une équipe de travail (Keltner & Haidt, 1999). Barsade et al. (2003)

appellent la corrélation entre les relations émotionnelles et le management la « révolution

affective ». Haag et Laroche (2009) ont proposé le « Modèle de Contagion Emotionnelle»

(MCE) qui met en exergue les interactions émotionnelles en entreprise, s’appuyant sur les

recherches précédentes sur l’intelligence émotionnelle (Panchal & Cartwright, 2001; Probst,

2003) et la contagion émotionnelle (Conger et al., 1987). Ce modèle de contagion

émotionnelle repose sur les capacités suivantes : (i) à percevoir les émotions, (ii) à assimiler

les émotions dans la pensée, (iii) de comprendre et de raisonner avec les émotions, et (iv) de

réguler ses propres émotions mais aussi celles des autres (Haag & Laroche, 2009). Molinski et

Margolis (2005) parlent même d’un « mal nécessaire », à savoir « … une mission relative

dans laquelle une personne doit, dans le cadre de son emploi, accomplir un acte qui cause un

dommage émotionnel ou physique à un autre être humain, au service de la réalisation de

certaines tâches ». (p. 246). Les chercheurs qui se sont consacrés à l’étude de pratiques

managériales qui s’appuient sur les émotions, considèrent dans leur vaste majorité qu’elles

sont porteuses de sens et qu’elles peuvent avoir des effets aussi bien positifs que négatifs

(Arvey et al., 1998; Hewlin, 2003; Zapf, 2002). Une bonne communication verbale-

émotionnelle du manager principal ou leader est considérée comme primordiale (Conger,

1991 ; Gardner & Avolio, 1998 ; Haag & Laroche, 2009).

2. Le management participatif

La littérature académique consacrée à la participation et au management participatif

s’intéresse aux questions organisationnelles et aux conditions de travail (Borzeix & Linhart,

1988; Chanut et al. 2012), ainsi qu’aux formes de cette participation (Linhart, 2012) et au

processus de la prise de décision (Arrigo & Casale, 2010). Margulies et Black (1987) ont

proposé un modèle qui synthétise les conditions favorables à la mise en place d’une

participation des salariés aussi bien du côté de l’organisation que du côté des travailleurs.

Beaujolin-Bellet et Moulin (2008) ont davantage traité le désir des salariés de participer

directement aux décisions concernant l’évolution de leurs métiers et les modifications de leur

cadre de travail. D’autres chercheurs se sont consacrés à l’étude des mécanismes de la

reconnaissance au travail (Brun et Dugas, 2005; Siegrist et al., 2004). Quatre perspectives se

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dégagent de ces recherches, à savoir éthique, humaniste, psycho-dynamique et

comportementaliste. Elles donnent lieu aux pratiques de reconnaissance du travail suivantes:

(i) de la personne, (ii) de la pratique de travail, (iii) de l’investissement fourni, et (v) des

résultats obtenus (Siegrist et al, 2004). Brun et Dugas (2005) proposent des plans

d’interactions dans le cadre professionnel suivants : (i) horizontal entre pairs, (ii) vertical avec

la hiérarchie, (iii) organisationnel dans la mise en place de politiques de reconnaissance, (iv)

externe dans la prestation de service aux clients ou fournisseurs par exemple, et (vi) social,

communautaire, espace de valorisation d’une utilité sociale.

3. L’entrepreneuriat social et solidaire

L'entrepreneuriat social et solidaire peut être défini comme une "activité

entrepreneuriale" qui a un "effet correspondant social intégré'' (Austin et al, 2006). Il est

considéré comme un phénomène mondial, ayant des implications importantes pour les

entreprises et la société (Dacin et al, 2010; Mair et Marti, 2006; Santos, 2012; Zahra et al,

2008). Les entrepreneurs sociaux set solidaires se différencient des autres entrepreneurs

« commerciaux » par l’importance qu’ils accordent à la performance en termes d'impact

environnemental et d'impact social au-delà de la performance en termes de résultats financiers

(Choi et Gray, 2008). Certains auteurs classifient les « entrepreneurs sociaux» comme

entrepreneurs qui créent une entreprise pour répondre à un problème ou un besoin social

particulier (Dees, 2001; Leadbeater, 1997; Martin et Osberg, 2007; Thompson, Alvy et Lees,

2000). Gadrey (2003) ainsi que Certo et Miller (2008) proposent de mesurer l’utilité publique

externe grâce à des évaluations systémiques des effets que produit l’organisation sur son

environnement en créant de la « valeur ajoutée sociale ».

4. La Feuille d’Erable

La Feuille d’Erable a été fondée en 1983, il y a plus de trente ans. Elle est née de la

volonté d’une poignée de militants écologistes de première heure, de recycler le papier issu

d’une librairie associative. Au début de son existence, l’association faisait travailler des

employés sous contrat « travaux d’utilité collective » (TUC) et des objecteurs de conscience

dans un seul but de protection environnementale. A partir de 1990, La Feuille d’Erable a

commencé à collecter les déchets sélectifs à Rennes, sur la base d’un accord conclu avec les

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élus rennais et l’agence nationale de récupération des déchets (ANRED, actuellement

ADEME). En 1993, la Feuille d’Erable s’est spécialisée encore davantage, en se tournant vers

la collecte et le recyclage des déchets émanant des espaces de travail dans les entreprises et

les administrations, hors de la collecte des déchets des ménages, dans les 38 communes de

Rennes Métropole. Le projet social de redonner du travail à des personnes en exclusion

sociale a pris forme dans les années 1990 « par hasard, lorsque l’association à ses débuts s’est

trouvée confrontée aux problèmes sociaux des jeunes accueillis » (entretien avec Françoise

Leboeuf, 2014). Aujourd’hui, cette entreprise d’insertion par l’activité économique (IAE)

affiche un objectif spécifique permettant « l’insertion sociale et professionnelle de personnes,

jeunes et adultes en difficulté, tout en poursuivant un objectif de rentabilité économique»

(entretien avec Eric Challan-Belval, 2014). La Feuille d’Erable est une PME : elle donne de

l’emploi à seize salariés permanents et quarante-cinq personnes en insertion. Le management

de l’équipe permanente et de l’équipe des personnes en réinsertion est différentié Le chiffre

d’affaires de la Feuille d’Erable est passé de 700.000 euros en 2007 à 1,7 millions d’euros en

2014 et le taux de réinsertion des ses salariés temporaires avoisine 70%.

5. Méthodologie

Les données sur La Feuille d’Erable ont été collectées de plusieurs sources et sous des

formes multiples : données primaires, secondaires, qualitatives et quantitatives, permettant

une triangulation qui renforce leur validité (Koenig, 2003; Stake, 2005).

Les données primaires sont issues de la réalisation de six interviews d’une durée

moyenne de 1h30 selon un guide d’entretien semi-directif. Neuf réunions ont été également

observées sous mode non-participatif, dont cinq réunions de l’équipe permanente managériale

et administrative et quatre « exprim’ cafés », menés par les salariés en réinsertion sans la

présence du management.

Pour compléter les données primaires, les données secondaires ont été collectées. Une

analyse de contenu a été conduite ensuite individuellement par chacun des chercheurs de ces

données secondaires, à savoir des différentes productions de la communication externe et

interne, des statuts, des tableaux de bord, des comptes rendus de réunions, etc. Les données et

les interprétations des données secondaires ont été comparées (Kapoulas et Mitic, 2012) par

les chercheurs qui se sont sentis libres d'interpréter, de spéculer et de trouver un sens à leur

guise (Morgan et Smircich, 1980). Tous les entretiens ont été enregistrés (certains filmés) et

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retranscrits, et les interprétations des données secondaires par les chercheurs ont été

confrontées avec celles qu’ils ont perçues lors des interviews. Certains verbatims recueillis

lors des interviews menées avec les employés de la Feuille d’ Erable sont retranscrits ci-après.

6. Résultats et discussion

La Feuille d’Erable déploie un management « participatif responsabilisant » qui

s’appuie sur des valeurs humaines fortes et les émotions positives générées dans l’interaction

horizontale, verticale et transversale au sein de l’organisation. Il a été mis en place par Eric

Challan-Belval, son Directeur actuel qui associe tous les salariés permanents à l’élaboration

des futurs projets de l’entreprise qui n’est en aucun cas dans une logique d’assistanat aux

personnes en situation d’exclusion sociale. Brun et Dugas (2005) considèrent le management

participatif comme une forme de reconnaissance sur le plan organisationnel d’une part, ainsi

que sur le plan de la reconnaissance de l’individu. Selon eux, l’acte de « consulter le

personnel et le faire participer à différentes phases d’orientation et de conception de projets »

(Brun & Dugas, 2005 : 82) est en soi une reconnaissance par la hiérarchie et plus

généralement, par l’organisation, du droit individuel à la parole et à l’influence sur les

décisions.

La vision entrepreneuriale de la Feuille d’Erable est centrée sur l’humain et prend en

compte la spécificité de chacun des salariés. Le management émotionnel est considéré comme

adapté à la spécificité des 80% de ses salariés sous contrat d’insertion, issus de la génération

Y « qui ne sont pas ingérables si l’entreprise sait leur donner de la reconnaissance et être

honnête à leur égard. Il ne faut pas se focaliser sur ce qui ne va pas chez eux ; bien au

contraire : il faut les encourager pour qu’ils réfléchissent comment faire pour que ça aille

mieux. Il faut être capable de valoriser auprès d’eux ce qui est bien dans leur travail ». Les

jeunes d’aujourd’hui « ont perdu la valeur travail telle qu’elle a été chez leurs ainés… Ils ont

besoin d’être reconnus au-delà du rapport managérial classique à la française, c’est-à-dire de

les cantonner dans le seul rapport rétribution/contribution. »

Les projets mis en place par la Feuille d’Erable sont considérés par l’équipe

d’encadrement de plus en plus cohérents, tant du point de vue environnemental que social car

ils sont déployés sur un périmètre restreint géographiquement afin de privilégier les circuits

courts et les emplois non-délocalisables. En effet, cette PME rennaise évolue dans un contexte

industriel très concurrentiel, dû surtout à la pression de ses concurrents asiatiques qui sont

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capables de proposer à des collecteurs des prix de rachat de papiers usagés plus élevés… mais

l’empreinte écologique du papier ainsi recyclé n’est pas cohérente. Pour autant, cette ESS

dégage les « ratios économiques dont même les sociétés du CAC 40 seraient fières, avec une

rentabilité à deux chiffres ». La Feuille d’Erable se bat au côté des papetiers français pour

mettre en place une filière française de valorisation en circuit court : les papiers couleurs ou

mélangés du type journaux ou magazines sont recyclés dans une usine près de Rouen et le

papier blanc est valorisé dans une autre usine papetière basée près du Mans. « Le papier est

recyclé à 90% en circuit court ».

Les salariés de la Feuille d’Erable, y compris les salariés en réinsertion sont associés à

aux discussions qui portent sur la stratégie de l’entreprise de manière collégiale et

participative. « On peut dire ce qu’on pense…on ne fera jamais sentir que ce qu’on dit est

bête ». Le management considère comme une des clefs de réussite la compréhension de tous

les salariés des enjeux du métier de recyclage. Comme exemple peut être cité la co-création

d’un nouveau produit, qui a été proposé au management les équipes de terrain qui nettoyaient

les déchets des marchés rennais hebdomadaires. Il s’agit de Fago, un allume-feu écologique.

Tous les salariés se sont investis pour repenser la ligne de tri dans l’entreprise afin de pouvoir

y transformer des cageots de transport de fruits et légumes. Le top management de l’entreprise

dit appliquer la formule attribuée à Benjamin Franklin : «« tu me dis, j’oublie…. Tu

m’enseignes, je me souviens…Tu m’impliques, j’apprends ! ». Cette gouvernance basée sur

une combinaison d’outils d’évaluation formels/informels, un management émotionnel et

responsabilisant, semble apporter ses fruits à la fois dans la gestion opérationnelle de

l’entreprise et dans son développement stratégique.

Discussion

Le management chez la Feuille d’Erable est basé à la fois sur un règlement intérieur

formel écrit précis (régulant les horaires de travail, les retards et les absences, l’hygiène, la

sécurité et les sanctions) et sur un management « participatif », « empathique» ou encore

« émotionnel ». C’est la capacité des managers de « percevoir la valeur et l’expérience

subjective des collaborateurs» qui leur permet de déployer des outils de motivation

intrinsèque afin d’encourager l’autonomie, « ce qui fait que le collaborateur trouve sa

motivation seul s’il est mis au bon endroit ».

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Les dirigeants de la Feuille d’Erable sont convaincus qu’il faut dans le contexte

spécifique d’une ESS par IAE « commencer par rendre les collaborateurs plus heureux avant

de vouloir les rendre meilleurs». La démarche managériale de l’équipe encadrante vise par

leur (ré)-apprendre l’autonomie et par les aider à utiliser le potentiel naturel qui existe en eux.

Cela se poursuit par les encouragements et le soutien actif des salariés en réinsertion dans une

vision positive selon laquelle chaque individu est perçu comme naturellement porté à agir, à

explorer son environnement, à créer, à apprendre sans qu’ait besoin de le conditionner pour

cela. Et enfin, cela est contexte dans lequel les personnes vont se motiver elles-mêmes. Les

cadres passent 80% de leur temps à responsabiliser et 20% à donner des conseils aux

collaborateurs en réinsertions, ce qui s’apparente à ce que les anglo-saxons appellent

« management by walking around ». Les collaborateurs doivent « trouver par eux-mêmes la

solution à un problème » car ils s’en trouvent d’autant plus impliqués.

La Feuille d’Erable applique une démarche managériale en cinq étapes, à savoir (i) il

spécifie les résultats attendus, (ii) donne les lignes de conduite, (iii) identifie les ressources,

(iv) définit l’évaluation, et (vi) détermine les conséquences en cas d’échec/de réussite. Puis, il

applique des principes de la stimulation positive, à savoir il donne de la reconnaissance

d’abord, ne passe pas son temps à dire ce qui ne va pas, félicite et souligne ce qui est

«positif». Les managers s’assurent en permanence qu’ils connaissent les «vraies valeurs» de

leurs collaborateurs et savent ce qui les motive. Ils ne l’apprennent pas généralement lors des

entretiens formels mais plutôt dans les moments «off». Selon le Directeur Général de La

Feuille d’Erable, il est impératif de mettre dans ces moments en perspective les objectifs de

l’entreprise et ceux des collaborateurs. Il faut également savoir ne pas les surcharger et

« doser » les challenges à donner à des personnes en insertion des missions ponctuelles afin

de leur permettre de regagner un estime de soi par le travail bien fait et apprécié. De manière

générale, les managers de la Feuille d’Erable renouvellent 20% du contenu de poste de chacun

des collaborateurs tous les ans.

Conclusion

Le cas de La Feuille d’Erable nous enseigne que les outils d’évaluation normés,

déployés par certaines ESS, ne sont pas auto-suffisants. La plupart de ces outils

« préformatés » dans le contexte anglo-saxon, et bien que traduits en langue française, ne

prennent pas en compte le contexte spécifique des ESS françaises qui ont pour la plupart des

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ressources financières et humaines limitées et sont contraintes par leur contexte temporel,

spatial, social et politique. Un formalisme excessif peut être complétement contreproductif et

décourageant pour les collaborateurs. A contrario, quand les managers des ESS par IAE

combinent l’approche normative avec les méthodes démocratiques et participatives, ils

augmentent leur capacité à obtenir une véritable reconnaissance des salariés dans leur activité

(Clot, 2011). Ainsi, les travailleurs ne sont pas forcés à se reconnaître dans ce qu’ils doivent

faire, mais reconnaissent et s’approprient ce qu’ils font d’eux-mêmes dans leur activité. Le

système de gouvernance basée sur un « quotient émotionnel » plutôt que celui qui serait

purement « intellectuel » semble mieux correspondre à l’objet social, à savoir une utilité

sociale spécifique et performante que chaque ESS cherche à atteindre chez la majorité des

personnes en réinsertion professionnelle. Ainsi, nous suggérons qu’un système de

management formalisé peut être optimisé en le combinant avec un système complémentaire

informel afin d’augmenter la performance de l’organisation et préserver la force créatrice

durable et citoyenne du tiers secteur au sens social et solidaire.

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