8
Le bonheur, un puissant levier de performance 1 Le bonheur, un puissant levier de performance Renforcer sa performance et celle de ses équipes… en travaillant à être plus heureux ! P romouvoir le bonheur dans l’entreprise… Voici un sujet suspect par excellence ! La recherche du bonheur relève du registre intimement personnel. Prétendre rendre ses salariés heureux n’ouvre-t-il pas la porte à des intrusions insupportables dans la sphère privée ? Plus généralement, en quoi l’entreprise serait-elle légitime pour imposer une telle quête à ses salariés ? L’article e History of Happiness publié dans la Harvard Business Review rappelle que la quête du bonheur n’a rien d’une valeur universelle. Historiquement, elle n’est montée en puissance qu’à partir du XVIII e siècle, et plus particu- lièrement aux États-Unis, où elle reste aujourd’hui encore une norme sociale plus marquée que dans de nombreuses autres régions du monde. Enfin, envisa- ger le bonheur comme levier de perfor- mance ne conduit-il pas à dévoyer une valeur humaniste au service de motifs mesquinement utilitaristes ? Pour autant, tant les avancées des neurosciences que la recherche en psychologie invitent à se pencher sur le sujet. Traditionnellement, la psycho- logie s’était focalisée sur les maladies psychiques et la façon de les guérir. Ainsi, un bilan effectué en 1998 a montré qu’il y a 17 fois plus d’études portant sur les troubles psychologiques que d’études portant sur le bien-être ! Ce n’est qu’à la toute fin du XX e siècle qu’est officiellement née la « psycho- logie positive », branche de recherche consacrée à mieux comprendre et favoriser ce qui nous rend heureux. Ces travaux, qui s’appuient entre autres sur les récents progrès des neurosciences, se révèlent riches en enseignements pour les managers et dirigeants : Soyez heureux, vous serez performant ! Travaillez délibérément à vous sentir plus heureux. Favorisez des sentiments positifs dans vos équipes. The Happiness Advantage Shawn Achor, éd. Crown Business, 2010. The Science Behind the Smile an interview with Daniel Gilbert by Gardiner Morse, Harvard Business Review, janvier 2012. 1 Le bonheur : une valeur sûre ! 2 Trois leviers pour stimuler son bien-être 3 Créer un environnement dynamisant Didier Avril, série Storytelling manageris ©2012 – n° 208a Dans cette synthèse… Nos sources Cette synthèse s’appuie en particulier sur les publications citées ci-dessous et présentées en dernière page. synthèse

manageris-208a-bonheur_puissant_levier_performance.pdf

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: manageris-208a-bonheur_puissant_levier_performance.pdf

Le bonheur, un puissant levier de performance 1

Le bonheur, un puissant levier de performanceRenforcer sa performance et celle de ses équipes… en travaillant à être plus heureux !

Promouvoir le bonheur dans l’entreprise… Voici un sujet suspect par excellence ! La

recherche du bonheur relève du registre intimement personnel. Prétendre rendre ses salariés heureux n’ouvre-t-il pas la porte à des intrusions insupportables dans la sphère privée ? Plus généralement, en quoi l’entreprise serait-elle légitime pour imposer une telle quête à ses salariés ? L’article The History of Happiness publié dans la Harvard Business Review rappelle que la quête du bonheur n’a rien d’une valeur universelle. Historiquement, elle n’est montée en puissance qu’à partir du XVIIIe siècle, et plus particu-lièrement aux États-Unis, où elle reste aujourd’hui encore une norme sociale plus marquée que dans de nombreuses autres régions du monde. Enfin, envisa-ger le bonheur comme levier de perfor-mance ne conduit-il pas à dévoyer une valeur humaniste au service de motifs mesquinement utilitaristes ?

Pour autant, tant les avancées des neurosciences que la recherche en

psychologie invitent à se pencher sur le sujet. Traditionnellement, la psycho-logie s’était focalisée sur les maladies psychiques et la façon de les guérir. Ainsi, un bilan effectué en 1998 a montré qu’il y a 17 fois plus d’études portant sur les troubles psychologiques que d’études portant sur le bien-être ! Ce n’est qu’à la toute fin du XXe siècle qu’est officiellement née la « psycho-logie positive », branche de recherche consacrée à mieux comprendre et favoriser ce qui nous rend heureux. Ces travaux, qui s’appuient entre autres sur les récents progrès des neurosciences, se révèlent riches en enseignements pour les managers et dirigeants :

• Soyez heureu x , vous serez performant !

• Travaillez délibérément à vous sentir plus heureux.

• Favorisez des sentiments positifs dans vos équipes.

The Happiness AdvantageShawn Achor, éd. Crown Business, 2010.

The Science Behind the Smilean interview with Daniel Gilbert by Gardiner Morse, Harvard Business Review, janvier 2012.

1 Le bonheur: une valeur sûre !

2 Trois leviers pour stimuler son bien-être

3 Créer un environnement dynamisant

Didier Avril, série Storytelling

manageris ©2012 – n° 208a

Dans cette synthèse…

Nos sources

Cette synthèse s’appuie en particulier sur les publications citées ci-dessous et présentées en dernière page.

synthèse

Page 2: manageris-208a-bonheur_puissant_levier_performance.pdf

Le bonheur, un puissant levier de performance2

1 Le bonheur : une valeur sûre !

Les récentes recherches en psycho-logie positive mettent en évidence une conclusion à forte portée pour les entreprises comme pour les salariés : il existe des leviers simples à actionner pour se rendre plus heureux ; et se sentir plus heureux est un puissant levier de performance.

Les salariés heureux sont les plus productifs

De nombreuses études ont établi une forte corrélation entre le degré de bonheur des salariés (figure A) et leur contribution économique à l’entreprise. C’est ce qu’a montré la compilation de plus de 200 travaux de recherche portant au total sur plus de 250 000 personnes, rapportée dans le livre The Happiness Advantage. Il en ressort que les salariés qui se sentent heureux sont plus productifs, ont des meilleures

performances commerciales, et sont meilleurs managers. Ils se sentent plus attachés à l’entreprise et démissionnent moins fréquemment. Ils sont moins souvent absents pour maladie et leur risque d’épuisement professionnel est moindre.

De plus, ce phénomène est conta-gieux : l’humeur des dirigeants et des managers a un impact direct sur leurs équipes. Ainsi, les salariés d’entreprises dont le PDG se sent heureux ont plus de chances de sentir eux-mêmes heu-reux, d’être en bonne santé et de juger qu’ils travaillent dans un climat propice à la performance. Une autre étude a montré un écart de performance d’environ 30 % en faveur des équipes dont les managers se montrent positifs et encourageants.

C’est le bonheur qui crée la performance

Une corrélation entre bonheur et réussite professionnelle n’a rien de très surprenant. N’est-il pas naturel de se sentir plus heureux lorsque sa situation professionnelle est satisfaisante ?

En réalité, la recherche montre l’in-verse. Ce n’est pas la réussite qui rend heureux. C’est le bonheur qui conduit à être performant ! Par exemple, une étude a mesuré le degré de bonheur ressenti par 270 salariés, puis suivi leur performance sur 18 mois : les salariés initialement les plus heureux ont obtenu les meilleurs résultats. Une autre a constaté une corrélation entre le niveau de bonheur ressenti à l’entrée à l’université et le niveau de revenus 19 années plus tard, quel que soit le niveau de vie initial. Se sentir heureux conduit aussi à une santé plus robuste, ce qui confère un net atout dans le domaine professionnel. À la fin des années 30, des chercheurs ont demandé à 180

L’entreprise a tout à gagner à s’efforcer de rendre ses

salariés plus heureux.

FIGURE A Bonheur : de quoi parle-t-on ?Pour les psychologues, la notion de bonheur est un concept relativement complexe, désignant un état de bien-être subjectif, reposant sur la combinaison d’une humeur positive sur l’instant associée à une appréhension positive de l’avenir.Martin Seligman, fondateur de la psychologie positive, décompose le bonheur en trois dimensions mesurables :

D’après The Happiness Advantage, Shawn Achor, éd. Crown Business, 2010.

Bonheur

Plaisir Sens donné à sa vieImplication

Les principaux indicateurs du bonheur

sont les émotions positives

ÉMoTIoNS PoSITIvES

+ +

•Joie

•Gratitude

•Amour

•Sérénité

•Intérêt

•Espoir

•Fierté

•Amusement

•Inspiration

•Admiration

manageris ©2012 – n° 208a

Page 3: manageris-208a-bonheur_puissant_levier_performance.pdf

Le bonheur, un puissant levier de performance 3

jeunes religieuses catholiques de noter leurs pensées quotidiennes dans un journal. La corrélation entre le degré d’émotions positives exprimées à l’âge de 20 ans et leur santé ultérieure est frappante : 90 % des religieuses situées dans le premier quartile en termes de ressentis positifs étaient en vie à l’âge de 85 ans, contre seulement 34 % de celles du dernier quartile.

Au-delà des études statistiques, les avancées des neurosciences four-nissent des éclairages plus précis sur le lien de causalité entre bonheur et performance. En effet, les émotions positives se traduisent par la sécrétion de neurotransmetteurs – sérotonine et dopamine – qui stimulent la partie pensante de notre cerveau. Se sentir d’humeur positive améliore la capacité de concentration, de structuration et de mémorisation de l’information. Cela accroît la durée et le nombre de connexions neuronales, favorisant la créativité, la rapidité de pensée et la capacité de résolution de problèmes. Ces phénomènes biologiques sont illustrés par de multiples études expé-rimentales. Par exemple, des étudiants à qui on demande de penser à la plus belle journée de leur vie ont ensuite de meilleurs résultats à un test de mathé-matiques. Ou encore, des médecins à qui on avait fait une surprise agréable se sont révélés bien meilleurs dans les dia-gnostics qu’on leur soumettait : ils se sont faits deux fois moins piéger par les fausses pistes qui leur étaient tendues et sont arrivés deux fois plus rapidement à la bonne conclusion.

Un atout qui peut se travailler

Ainsi, à en croire les neurosciences, « soyez heureux, et vous réussirez ! ». Certes, le conseil peut paraître sim-pliste… voire insultant lorsqu’on est en prise à de fortes difficultés personnelles ou professionnelles.

Mais un second enseignement majeur émerge de ces recherches : il est possible d’agir pour renforcer sa capa-cité de se sentir heureux. Longtemps, les scientifiques ont pensé que le

niveau de bonheur ressenti était princi-palement conditionné par l’hérédité : chacun était doté d’une propension au bonheur plus ou moins déterminée. En réalité, il s’avère que, sous réserve d’ef-forts délibérés, il est possible d’accroître graduellement son niveau moyen de bonheur ressenti. D’un point de vue biologique, les chercheurs observent en effet une impressionnante plasticité du cerveau, qui peut être mise à profit dans cet objectif. Ainsi, les moines qui consacrent un temps considérable à la méditation développent la taille de leur cortex préfrontal gauche, une zone qui joue un rôle majeur dans le senti-ment d’être heureux. Parallèlement, de multiples expériences montrent qu’il est possible d'influer sur la durée du bonheur perçu. Pas besoin d’opter pour une vie de moine pour profiter des bienfaits de la méditation, par exemple : 5 minutes par jour suffisent à créer des bienfaits observables sur le niveau de bonheur, le stress ou encore le système immunitaire. Rien n’oblige non plus à pratiquer la méditation. Ainsi, 577 volontaires ont été invités à identifier ce pour quoi ils étaient naturellement doués – humour, qua-lité de jugement, créativité, etc. – et à imaginer chaque jour une nouvelle façon de mettre à profit cette qualité. Dès la semaine suivante, leur ressenti de bonheur avait augmenté. Surtout, 6 mois après la fin de l’expérience, cet effet était encore perceptible !

2 Trois leviers pour stimuler son bien-être

Les recherches des récentes années ont mis en évidence de multiples tech-niques pour améliorer la qualité de son humeur – et ainsi se placer en situation optimale de performance profession-nelle. Trois principaux leviers d’action en ressortent :

Se créer des petites émotions positives

Le lien entre bonheur et perfor-mance réside dans les bénéfices procu-

rés par les émotions positives : impact immédiat sur la rapidité de pensée, la concentration, la créativité et la résis-tance au stress ; répercussions sur son entourage ; et meilleure santé sur la durée.

Ainsi, plutôt qu’entreprendre une quête – devenir plus heureux – qui pourrait sembler excessivement ambi-tieuse, mieux vaut cibler un objectif immédiatement concret et bénéfique : se créer des occasions d’émotions positives. L’article The Science Behind the Smile, paru dans la Harvard Business Review, souligne qu’il ne s’agit pas de rechercher des moments de joie intenses. Mieux vaut multiplier les occasions de petits ressentis positifs : c’est la meilleure façon de se sentir plus heureux, à la fois dans l’immédiat et sur la durée.

Il existe pour cela diverses tech-niques, qui conviendront plus ou moins à chacun, selon sa personnalité (figure B). Un réflexe simple consiste, par exemple, à planifier un moment anticipé avec plaisir, puis à y penser occasionnellement. Cela permet de mettre à profit le bénéfice d’une antici-pation agréable : le simple fait de s’ima-giner regarder son film favori génère un surcroît d’endorphine de l’ordre de 27 % ! Autre petit réflexe à insérer dans ses pratiques quotidiennes : faire de petites pauses. Une brève promenade de 10 minutes, une pause-café avec des collègues sympathiques ou une vidéo amusante sur YouTube aident à renou-veler son énergie. Veillez à ce que ces pauses soient délibérées, alternées avec des périodes de vraie concentration : être concentré est en soi un facteur de bien-être ! Plus exigeant mais très puis-sant : pratiquer régulièrement de l’exer-cice est un bon moyen de susciter sur l’instant une sécrétion d’endorphine, ce qui renforce durablement notre bonne

Il existe des moyens très concrets de renforcer son bien-être au service

de sa performance.

manageris ©2012 – n° 208a

Page 4: manageris-208a-bonheur_puissant_levier_performance.pdf

Le bonheur, un puissant levier de performance4

humeur et réduit notre niveau de stress et d’anxiété.

On peut aussi s’organiser pour maximiser la probabilité de moments positifs. Par exemple en rendant son environnement agréable : trouver plai-sant de jeter un œil autour de soi grâce à la présence de photos de proches a ainsi un impact réel démontré. On peut aussi s’efforcer d’aménager son rôle ou sa façon de travailler, afin d’être plus fréquemment en contact avec des inter-locuteurs que l’on apprécie de côtoyer, ou encore de consacrer un temps plus important à ce qu’on aime vraiment faire. Il ne s’agit pas seulement de soi-gner son confort, mais de s’armer pour être globalement plus performant !

S’entraîner à repérer le positif et le possible

La perception de bonheur est avant tout une question d’état d’esprit. La recherche constate que les facteurs

externes objectifs n’ont un impact que d’environ 10 % sur notre niveau de bon-heur ressenti. De même, la plupart des événements anticipés comme déter-minants pour son bonheur – tels que l’obtention ou la perte du poste de ses rêves, la réussite ou l’échec à un examen, un mariage ou le départ d’un conjoint – se révèlent n’avoir que peu d’impact durable. En effet, quelles que soient les circonstances, une fois l’événement intégré dans son environnement, c’est la façon de vivre ces circonstances qui détermine le ressenti.

Un levier clé pour renforcer son aptitude à être heureux consiste ainsi à travailler sur sa façon d’interpréter son environnement. Il ne s’agit pas de remettre en cause sa lucidité, mais de doper son aptitude à tirer le meil-leur parti des circonstances. En effet, confrontés à une même difficulté et à capacités identiques, ceux qui la perçoivent comme un défi stimulant non seulement la vivent mieux, mais obtiennent aussi de bien meilleurs

résultats que ceux qui y voient une menace. La recherche montre que les optimistes se fixent des objectifs plus nombreux et plus ambitieux que les pessimistes, consacrent plus d’efforts à les atteindre, résistent mieux à l’adversité et franchissent mieux les obstacles (figure C). De même, envisa-ger une même tâche avec intérêt plutôt que comme une corvée conduit à de meilleurs résultats et à une plus grande satisfaction. La psychologue Amy Wrzesniewski, de l’Université de Yale, a établi que dans toutes les professions – qu’on soit médecin ou manutention-naire – il existe en proportions signifi-catives tant des individus qui n’y voient « qu’un travail » tandis que d’autres le vivent comme une vocation.

Concrètement, on peut s’entraîner à prendre note de ce qui peut justifier une vision positive ou optimiste des cir-constances, sans pour autant chercher à s’aveugler sur les dangers objectifs. La raison en est très pratique : il s’agit de prendre conscience des faits porteurs

FIGURE B Se créer des émotions positivesIl existe de multiples techniques aisément accessibles permettant de stimuler le ressenti d’émotions positives – avec un impact bénéfique immédiat et un renforcement sur la durée de sa capacité à se sentir heureux. La vertu des pistes qui suivent a été étayée par la recherche :

Réflexes quotidiens organisation de son environnement Hygiène de vie

•Anticiper un événement agréable Planifier une activité anticipée avec plaisir – sortie, vacances, etc. – et y penser au moment où l’on souhaite améliorer son état émotionnel.

•Faire des petites pauses Une brève promenade, une courte vidéo amusante, blaguer avec ses collègues : autant de boosters de performance pour la suite.

•Mettre à profit ce pour quoi on est doué Identifier ses forces et trouver chaque jour une façon de les mettre à profit procure une grande satisfaction.

•Effectuer des actes de gentillesse Vous vous ferez autant de bien qu’au bénéficiaire de votre action !

•Rendre son environnement agréable Plantes vertes, photos de proches… autant d’exemples de moyens qui aident à se sentir bien quand on jette un œil autour de soi.

•Minimiser les déclencheurs d’émotions négatives Journal télévisé alarmiste, alerte sonore à la réception d’un mail… il existe souvent des opportunités de se préserver de stimulations négatives.

•Aménager son emploi du temps Il est généralement possible d’aménager les contours de son rôle ou la façon de l’exercer de façon à renforcer la proportion de moments agréables : occasion de faire ce qu’on fait bien ; occasions d’interagir avec telle personne ; etc.

•Pratiquer la méditation Prendre ne serait-ce que 5 minutes par jour pour se concentrer sur son souffle procure un bienfait immédiat, qui se répercute progressivement sur le quotidien.

•Faire de l’exercice La pratique d’une activité physique suscite la sécrétion d’endorphine, et sur la durée améliore la qualité d’humeur et réduit le niveau d’anxiété.

D’après The Happiness Advantage, Shawn Achor, éd. Crown Business, 2010, et Creating Sustainable Performance, Gretchen Spreitzer, Christine Porath, Harvard Business Review, janvier 2012.

manageris ©2012 – n° 208a

Page 5: manageris-208a-bonheur_puissant_levier_performance.pdf

Le bonheur, un puissant levier de performance 5

de satisfaction ou d’opportunités, que nous ignorons sinon à notre détri-ment. Des chercheurs ont demandé à des personnes de compter les photos d’un journal. Au milieu de ce journal était imprimé un message : « Dites à l’expérimentateur que vous avez vu ce message et vous gagnerez 250 $ ». Ceux qui, préalablement à l’expérience, s’étaient déclarés chanceux ont été bien plus nombreux à repérer le message – illustrant à quel point le fait d’être ouvert à la possibilité d’opportunités joue sur la capacité de saisir celles qui se présentent. Shawn Achor, l’auteur de The Happiness Advantage, recom-mande un exercice très simple : se forcer à recenser chaque jour au moins 3 bonnes choses qui se sont passées la veille. Aussi élémentaire que cela puisse paraître, des études ont mis en évidence un impact durable sur le niveau de bonheur et d’optimisme, ne serait-ce qu’après une semaine de pratique. La méthode ABCDE, recommandée par Martin Seligman, constitue aussi un moyen efficace de développer un opti-misme lucide et raisonné (figure D).

Investir en relations sociales

Troisième levier : soigner la richesse et la qualité de son réseau de rela-tions. Une étude démarrée à la fin des années 30 a porté sur le suivi de plus de 250 hommes alors jeunes étudiants. L’objectif était d’identifier à quoi tiennent les vies les plus heureuses et réussies. En 2009, le directeur de cette étude en a résumé les conclusions en un mot : « l’amour ». De même, un professeur de psychologie de Harvard, interviewé dans l’article The Science Behind the Smile, résume la littérature scientifique sur le bonheur en un mot : « social ». En d’autres termes, se sentir entouré d’amis et de proches est le paramètre le plus discriminant mis en évidence par les études sur le bonheur. Cette conclusion est corroborée par les observations des biologistes : les interactions sociales positives suscitent la sécrétion d’ocytocine, hormone qui nous conduit immédiatement à être moins anxieux et plus concentré – et renforce nos systèmes cardio-vascu-laire, endocrinien et immunitaire. Se

sentir soutenu émotionnellement a ainsi un impact majeur sur sa capa-cité de faire face au stress – ce que soulignent de nombreuses études établissant l’impact sur la santé d’un entourage émotionnel solide.

Ces constats convergent avec les recommandations formulées aux pro-fessionnels ambitieux : pour réussir sur la durée, il est essentiel de porter autant d’attention à sa vie familiale et sociale que professionnelle. Ils ont aussi des implications fortes sur la façon de gérer son quotidien professionnel. Soigner le nombre et la qualité de ses relations se révèle en effet un atout majeur, bien au-delà des bénéfices politiques ou d’accès à l’information procurés. Il s’agit ici de se préoccuper de la composante émo-tionnelle de la relation : pas nécessai-rement chercher à nouer des amitiés, mais instaurer un climat de respect et d’authenticité. Aussi anecdotique que cela puisse paraître, saluer ses interlocu-teurs en les regardant dans les yeux est un pas important dans cette direction : les neurosciences soulignent l’impor-tance du contact visuel pour établir

FIGURE C À quoi tient l’optimisme ?L’optimisme est un facteur majeur de performance : avoir confiance en l’avenir renforce la volonté de prendre en main sa situation, rend plus attentif aux opportunités qui se présentent et donne l’énergie de les saisir.Martin Seligman a établi que l’optimisme tient à la façon qu’on a d’expliquer ses succès et ses échecs – mode d’explication qu’il est possible de faire évoluer. Typiquement, l’optimiste s’attribue les succès et explique les échecs par des causes spécifiques :

Échec « Nous avons perdu l’appel d’offres »

Succès « Nous avons gagné l’appel d’offres »

ExPLICATIoN PESSIMISTE ExPLICATIoN oPTIMISTE ExPLICATIoN PESSIMISTE ExPLICATIoN oPTIMISTE

Cause permanente « Répondre à un appel d’offres ouvert ne marche jamais »

Cause temporaire « Cet appel d’offres était biaisé dès le départ »

Cause temporaire« Notre principal concurrent a raté sa présentation »

Cause permanente « Nous sommes meilleurs à l’oral »

Cause générale« Nous sommes moins bons que nos concurrents »

Cause précise« Ce client ne valorise pas du tout nos points forts »

Cause précise« Le client nous a choisis pour notre qualité de service »

Cause générale« Nous sommes meilleurs que nos concurrents »

Cause interne« Je ne suis pas très bon en négociation »

Cause externe« L’offre concurrente était imbattable »

Cause externe« Cette négociation était facile »

Cause interne« J’ai vraiment été bon »

D’après Learned optimism, Martin E. P. Seligman, éd. Vintage Books, 2006.

manageris ©2012 – n° 208a

Page 6: manageris-208a-bonheur_puissant_levier_performance.pdf

Le bonheur, un puissant levier de performance6

une connexion émotionnelle. Réagir avec un intérêt sincère à l’annonce d’une bonne nouvelle pour son inter-locuteur joue aussi un rôle important. Un simple « super ! » peut donner une connotation superficielle à la relation, tandis que faire preuve d’intérêt en posant des questions renforce le lien. Plus généralement, saisir les occasions d’interagir de façon informelle avec ses collègues est généralement du temps bien investi. Cela maximise les opportunités d’interactions positives, chacune immédiatement bénéfique, et renforce le réseau susceptible d’appor-ter un soutien émotionnel précieux dans les situations de tension.

3 Créer un environnement dynamisant

Dirigeants et managers disposent de nombreux leviers pour créer un contexte propice à un climat positif, porteur d’une performance accrue.

Promouvoir des managers encourageants

Plusieurs études montrent que la qualité de relation avec son manager a un impact déterminant sur le bien-être et la motivation au travail, avec une répercussion directe sur la perfor-mance. Une enquête de Gallup auprès de 10 millions de salariés à travers le monde comportait l’item : « Mon superviseur, ou une autre personne au travail, semble se soucier de moi en tant

que personne ». Ceux qui ont répondu positivement se sont révélés être les salariés les plus productifs, ainsi que les plus fidèles à leur employeur.

La clé consiste à recruter, former et promouvoir des managers encou-

rageants. Il ne s’agit aucunement de renier les enjeux d’exigence et de fermeté associés au rôle, mais de reconnaître l’impact déterminant d’un climat positif. Cela passe avant tout par un comportement respectueux. Les auteurs de l’article Creating Sustainable Performance citent un cabinet de conseil qui valide avant tout recrute-ment la courtoisie démontrée par ses candidats dans le passé, et affiche un taux de rétention de 95 % ! Le feedback positif est un autre aspect critique – surtout lorsqu’on sait qu’il faut environ 3 louanges pour compenser l’impact émotionnel d’un reproche. Saisir les occasions d’exprimer sincèrement son appréciation est un réflexe à développer. Enfin, la maîtrise de ses émotions joue un rôle majeur. Celles-ci sont en effet très contagieuses, et la place centrale occupée par le manager au sein d’une équipe lui confère dans ce domaine une influence forte. En travaillant sa capacité à être positif, on travaille aussi

FIGURE D Renforcer son optimismePour développer son optimisme, Martin Seligman propose une méthode permettant de travailler sur ses réflexes d’interprétation négative des situations. Celle-ci fonctionne en deux étapes :– une étape de diagnostic, qui consiste à observer ses pensées et ses réactions face à l’adversité ;– une étape de remise en cause délibérée de ses réflexes excessivement pessimistes.

Étape de diagnostic :

A ADvERSITy (adversité)

Descriptif objectif du fait contrariantEx : Le directeur de l’audit ne m’a pas remis son rapport dans les délais prévus.

B BELIEF (croyance)

Croyances, interprétations et mode d’explication sur la cause de la contrariété

Ex : Il considère que mes demandes sont moins prioritaires que celles du Secrétariat Général.

C Consequence (conséquence)

Conséquence de cette façon d’expliquer la situation

Ex : Je vais cesser de m’appuyer sur lui et confier les études à mes équipes.

Étape de remise en cause :

D DISPUTATIoN (contestation)

Dialogue intérieur cherchant à prendre le contre-pied systématique de ses interprétations spontanées

Ex : Peut-être a-t-il rencontré une difficulté inattendue ? Peut-être ses équipes sont-elles surchargées ? Peut-être tient-il à valider la solidité des conclusions ? Etc.

E ENERGIzATIoN (dynamisation)

Optimisme renforcéEx : Je me sens moins en colère et plus enclin à aborder une discussion constructive avec lui.

D’après Learned optimism, Martin E. P. Seligman, éd. Vintage Books, 2006.

De multiples leviers permettent de renforcer le taux d’émotions

positives dans ses équipes.

manageris ©2012 – n° 208a

Page 7: manageris-208a-bonheur_puissant_levier_performance.pdf

Le bonheur, un puissant levier de performance 7

sa capacité de dynamisation de ses équipes !

Insuffler de l’optimisme

Percevoir que l’on a prise sur l’avenir donne l’énergie de s’impliquer pour réussir. Ainsi, un salarié confiant dans sa capacité de relever le défi qui lui est confié est mieux armé pour y parvenir. Des chercheurs de Harvard ont fait passer un test de mathématiques à des femmes asiatiques. Dans un cas, ils ont préalablement mis l’accent sur le fait qu’elles étaient des femmes, et donc supposées moins performantes que les hommes dans ce domaine. Dans l’autre, ils ont fait valoir qu’elles étaient asia-tiques, et donc supposées plutôt douées en mathématiques. Leurs résultats ont été bien meilleurs dans le second cas ! En tant que manager, il ne s’agit pas de prétendre que tout le monde peut relever n’importe quel défi. En revanche, garder à l’esprit que chacun dispose de la capacité de progresser et transmettre cette conviction a une influence déterminante sur la montée en puissance de ses collaborateurs. La façon de gérer les échecs conditionne aussi fortement le dynamisme ambiant. Mettre en évidence les raisons précises qui expliquent l’échec, souligner ce qu’on peut en apprendre pour se ren-forcer, être à l’affût des opportunités qui peuvent en émerger : autant de réflexes à ancrer dans la culture de l’équipe ou de l’entreprise.

Favoriser les petites joies… et la concentration

Maximiser la productivité sur la durée ne passe par une pression per-manente sur la productivité immédiate, bien au contraire. La place à donner aux petites occasions d’émotions posi-tives implique de prendre du recul sur l’idéal du salarié consciencieusement appliqué à sa tâche du matin au soir. D’autant plus que les études montrent que les salariés passent en moyenne la moitié de leur temps de travail à penser à autre chose qu’à ce qu’ils font. Or,

émotion positive et concentration se soutiennent mutuellement : on se sent plus heureux quand on est concentré, et réciproquement se sentir bien aide à se concentrer. L’environnement le plus propice à la performance combine ainsi la possibilité d’être préservé de distrac-tions environnantes avec l’opportunité de petits moments agréables – blaguer avec des collègues, parler au téléphone avec le petit qui revient de l’école, s’of-frir une pause avec un jeu en ligne, etc.

Donner du sens au travail

Avoir le sentiment de s’accomplir dans son travail est un puissant fac-teur de bien-être, de motivation et de performance. Communiquer sur les réalisations dont l’entreprise peut être fière peut y contribuer. Aider chacun à bien percevoir comment il participe à un objectif qui en vaut la peine permet d’aller plus loin. Cela passe par un soin particulier apporté à la circulation de l’information, afin que chacun com-prenne clairement le bien-fondé des orientations prises et puisse apprécier l’impact de ses actions. Par ailleurs, chaque manager gagnera à aider ses collaborateurs à clarifier la cohérence entre leur activité et leurs aspirations personnelles. Cela peut tenir à l’aména-gement des missions confiées – en met-tant l’accent, par exemple, sur un rôle de développement de jeunes collègues pour un collaborateur qui s’épanouit dans ce rôle. Il peut aussi s’agir d’aider à envisager le travail confié sous un angle plus stimulant. Tel chercheur dans votre équipe ne supporte pas le volet administratif de son rôle ? Aidez-le à prendre conscience, par exemple, de l’importance de ce travail pour obtenir les fonds permettant de financer ses travaux.

Encourager les contacts interpersonnels

Un environnement de travail propice à des interactions régulières et agréables avec ses collègues stimule la perfor-mance. L’analyse des performances de

plus de 60 équipes d’une compagnie de services financiers a conclu que le niveau d’appréciation de ses collègues était un très bon prédicateur du niveau de performance. Plus généralement, les études montrent que se sentir lié à ses collègues est un facteur de moti-vation et de concentration – constat cohérent avec les enseignements des neurosciences.

L’environnement de travail doit ainsi faciliter les occasions d’échanges informels, que ce soit en installant des espaces de pause agréables, ou en amé-nageant les bureaux de façon à favoriser les rencontres. C’est pour cette raison que Google ouvre sa cafétéria sur une plage horaire très étendue. UPS est allé jusqu’à aménager l’organisation du travail de ses livreurs de colis, de façon à leur permettre de déjeuner ensemble. Les managers qui accueillent de nou-veaux arrivants ont ainsi tout intérêt à prendre le temps de les présenter à leurs collègues et de les mettre en relation avec des multiples interlocuteurs dans l’organisation. De même, l’organisation de déjeuners d’équipes et de moments de socialisation entre salariés constitue des leviers simples à fort impact.

S’épanouir au travail : tant l’entre-prise que l’individu ont à y gagner. L’atteinte de cet idéal passe par des voies souvent inattendues. Le travail reste le travail, avec ses contraintes et ses exigences. Bien le vivre est large-ment une responsabilité individuelle – et un atout à titre personnel. Mais l’entreprise peut y contribuer, en créant un contexte favorisant chez chacun le sentiment d’être valorisé, soutenu et entouré.

manageris ©2012 – n° 208a

Page 8: manageris-208a-bonheur_puissant_levier_performance.pdf

Le bonheur, un puissant levier de performance8

•Learned optimism, Martin E. P. Seligman, éd. Vintage Books, 2006.Pourquoi et comment cultiver son optimisme ? Cet ouvrage est un classique issu de la recherche en psychologie positive, dont l’auteur est un pionnier reconnu.

•Creating Sustainable Performance, Gretchen Spreitzer, Christine Porath, Harvard Business Review, janvier 2012.Les conclusions pratiques d’une étude portant sur les facteurs qui permettent un véritable épanouissement au travail, défini par les auteurs comme une combinaison de vitalité et de développement des compétences.

•The History of Happiness, Peter N. Stearns, Harvard Business Review, janvier 2012.Une prise de recul salutaire sur le bonheur comme idéal de vie ou de société.

The Happiness AdvantageShawn Achor, éd. Crown Business, 2010.

Beaucoup de comportements au travail sont guidés par la croyance

que c’est en réussissant qu’on deviendra heureux. or, la relation de

cause à effet est inverse : en réalité, c’est la faculté d’être heureux

qui aide à réussir ! Cet enseignement clé des avancées de la recherche

en psychologie et en neurosciences constitue le socle de cet ouvrage.

Sont ensuite déclinés 6 grands principes, faisant chacun l’objet d’un

chapitre, destinés à mieux comprendre et à tirer le meilleur parti de

ce phénomène, à titre personnel mais aussi en tant que dirigeant ou

manager. Une caractéristique remarquable de ce livre est d’étayer

l’ensemble de ses propos par les enseignements des travaux de recherche sur le sujet

du bonheur, ce qui en rend la lecture particulièrement intéressante. Les lecteurs surtout

désireux d’enseignements pratiques ne seront pas déçus non plus : pas de recette miracle,

bien sûr, mais l’auteur fournit de multiples recommandations concrètes, avec un grand souci

de réalisme : un chapitre est même consacré à la stratégie à mettre en place pour lutter

contre l’inertie qui nous empêche d’opérer les changements dont nous savons pourtant

pertinemment qu’ils nous seraient hautement bénéfiques !

The Science Behind the SmileAn Interview with Daniel Gilbert by Gardiner Morse, Harvard Business Review, 2012.

Nous sommes particulièrement incompétents pour anticiper ce qui nous rendra heureux ! C’est

l’un des résultats des travaux de recherche de Daniel Gilbert, professeur de psychologie à

Harvard, dont l’interview fait l’objet de cet article. Ce constat, à première vue peu engageant,

cache en réalité un enseignement autrement plus stimulant : l’être humain dispose de la

capacité d’autoréguler son niveau de bonheur, quelles que soient les circonstances. C’est une

des conclusions mises en avant dans cette interview qui nous offre un panorama bref, mais

plutôt riche, des avancées actuelles de la recherche sur le bonheur.

•Gérer son énergie pour être performant sur la durée (Synthèse Manageris n° 184b)Comment optimiser son implication en gérant le risque d’un surinvestissement dangereux pour soi et sa performance ?

•Mauvaise ambiance, un vrai problème à gérer (Synthèse Manageris n° 189a)De quels leviers dispose-t-on pour s’attaquer aux jeux de pouvoir et autres comportements nuisibles à une ambiance de travail stimulante ?

•La promesse employeur au cœur de l’engagement (Synthèse Manageris n° 166a)Clarifier le contrat implicite entre l’entreprise et ses salariés, pour se donner les moyens d’un véritable engagement réciproque.

manageris ©2012 – n° 208a

Notre sélectionPour retrouver les meilleures idées sur ce sujet, nous vous recommandons les publications suivantes :

Et aussi…Nous nous sommes aussi appuyés sur les sources suivantes :

Pour aller plus loin

Pour approfondir ce sujet :

MANAGERIS28, rue des Petites Écuries75010 ParisTél. : 01 53 24 39 39Fax : 01 53 24 39 30E-mail : [email protected]

Abonnement à Manageris (1 an)

Classique(20 synthèses "papier")

690 HT

Executive(20 synthèses "papier + web")

850 HT

Gold (accès à la base complète des synthèses)

1850 HT

Ventes au numéro

Abonnés Non abonnés

Synthèse 35 HT 70 HT

Numéro 70 HT 140 HT

Droits de diffusion et tarifs groupés :nous consulter.

PoUR EN SAvoIR PLUS