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Patrice Maniglier La Vie énigmatique des signes Saussure et la naissance du structuralisme  E d i t ion s L é o S c h eer

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Patrice Maniglier

La Vie énigmatique des signes

Saussure et la naissance du structuralisme

Ed it io n s Léo Sch eer

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© Éditions Léo Scheer, 2006

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N on &c N on Collection Ph ilosoph ie

dirigée par CatherineM a l a b o u

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INTRODUCTIONRÉÉCRIRE SAUSSURE

« Ainsi il faut s’en tenir à une sorte de doctrine,comme malgré soi,

et comme étant peut-être la meilleure manière

d’exposer les doutes mêmes. »

La question de l'esprit semble être redevenue le lieu nonseulement où les différentes traditions philosophiques semesurent les unes aux autres, mais encore où la philosophieelle-même peut se mettre en débat avec les savoirs positifs,

au sein de cet ensemble flou que désigne le terme « sciencescognitives 1». Les progrès de disciplines aussi diverses quela neurobiologie, l'informatique, la logique formelle et lapsychologie expérimentale, ont relancé cette question quifut, sans doute, un des lieux constants de la création

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philosophique moderne. La première grande « querelle desphilosoph ies de l’esprit » opposait Descartes, Leibniz,Spinoza, Berkeley, Malebranche, et quelques autres ; laseconde, autour deY idéalism e, Kant, Fichte, Hegel,Scheiling, et même Marx ; il y en eut peut-être unetroisièmeà la fin du XIXe siècle, moins bien connue, autourde Fechner, Bergson, Freud, mais aussi Husserl etWittgenstein. Aujourd’hui elle semble entièrement se réduireà la confrontation entre deux options et deux seulement :d’un côté les tenants d’une philosophie de laconscience ou dela subjectivité, d’inspiration souvent phénoménologique,qui fait de laqualité le critère de l'esprit ; de l’autre ceuxd’une philosophie de lareprésentation, qui lui préfère la

notion de proposition->telle quelle a été redéfinie par Fregeavec les concepts de fonction propositionnelle et de valeurde vérité. Penser, ce serait soit sentir, soit juger(cf. Proust. 1997.7-11). Bien que le terme même de sciences« cognitives » suggère une réduction du problème de l’esprità celui de laconnaissance, on y assiste à un retour en grâce

régulier des thèses phénoménologiques de Husserl et plusencore de Merleau-Ponty (cf. par ex. Dreyfus. 1972 etBerthoz.1997). Quelques esprits osent remonter à Bergson(cf. Prochiantz.2001), mais ils sont rares, et semble-t-il peuécoutés.

Il est surprenant de constater qu’une tradition qui a

eu pourtant une importance majeure pour la pensée, tourparticulièrement en France, se trouve absente du débat,tout simplement comme si elle n’av ait pas existé. Les entreprisesd’inspiration dite «structuraliste » on t pourtant eu elles aussipour vocation explicite de faire une « théorie de l’esprit

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humain ». On sait que Lévi-Strauss définissait ainsi sopropre projet théorique. Mais il en allait de même deJakobson, qui cherchait les « traits distinctifs universels » dtout langage dans l’architecture fondamentale de l’esprhumain. Il ne faudrait pas non plus oublier que le projed’Althusser était de construire un nouveau concep& idéologie afin de refonder le « matérialisme dialectique »,ni que celui de Foucault a pu passer par l’idée d’une histoirévénementielle de la pensée. Quant à Lacan, on peut sdouter qu’en tant que psychanalyste, il était concerné paquelque chose qui avait à voir avec « l’esprit »... Mais, audelà de cette énumération, la question de ce que signifi

pen ser est notoirement liée à celle du sens. Or le struc!

turalisme s’est caractérisé par une thèse originale à ce sujetle sens est l ’effet du mode de fonctionnem ent de ces dispositif si singuliers que sont les «systèmes symboliques ». Deleuzel’écrivait en 1969 : « Les auteurs que la coutume récente nommés structuralistes n’ont peut-être pas d’autre poincommun, mais ce point est l'essentiel : Le sens, non pas d

tout comme apparence, mais comme effet de surface et dposit ion ... » (Deleuze.1969.88-91 ; voir aussi Deleuze1972.244-246). Il songeait en particulier à la réponse quLévi-Strauss avait faite à la critique « herméneutique » dPaul Ricceur : « Le sens résulte toujours de la combinaisod’éléments qui ne sont pas eux-mêmes signifiants. (...

dans ma perspective, le sens n’est jamais un phénomènpremier : le sens est toujours réductible. Autrement ditderrière tou t sens il y a un non-sens, et le contraire n’est pavrai. Pour moi, la signification est toujours phénoménale. (Lévi-Strauss. 1963.637).

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Le refoulement des problématiques et des recherchesstructuralistes est d’autant plus surprenant que là aussi laphilosophie se trouvait en permanence articulée à des dis!

ciplines qui se voulaient « positives ». Certes ces savoirsn’étaient ni la neurologie, ni la psychologie expérimentale,ni l’informatique (bien qu’à la vérité, ceux-ci aient étéprésents chez Saussure, Lévi-Strauss ou Jakobson), maisplutôt la linguistique, l’anthropologie, et, d’une manièresans doute plus complexe, la psychanalyse, l’histoire, lasociologie, la philologie, bref l’ensemble de ce domaine,aussi flou que les « sciences cognitives », qu’on appelleencore, avec ce qu’il faut de condescendance, les « scienceshumaines ». L’événement structuraliste a consisté à

défendre l’idée que les form es et lanature de l’esprit humainapparaîtraient mieux à travers l’étude de ces productionsinconscientes, collectives, charriées par le fleuve épais del’histoire, que sont les langues, les cultures, les mythes, lesœuvres littéraires, que par la seule étude du fonction!

nement des fonctions « mentales » desindividus. Remonter,

des produits de l’esprit, à des hypothèses sur sa forme et sanature, telle était une des grandes lignes du projet struc!

turaliste. Celari excluait évidemment pas le recours à laneurobiologie, etc., mais simplement, comme nous le ver!

rons d’ailleurs, permettait de mieux définir les questionsque l’on devait poser à ces disciplines au sujet de « l’esprit ».

On pourrait certes penser que si ces recherches sontabsentes du débat contemporain sur la nature de l’esprit,c’est quelles ont été écartées par les progrès mêmes du savoiret de la philosophie. De fait, on a longtemps présenté leprojet sémiologique comme la mise en œuvre d’une double

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hypothèse extrêmement fragile : d’une part que tous lesphénomènes culturels —langages, rites, récits mythiquesvêtements, etc. - ont la même fonction, qui serait de per!

mettre la communication au sein d’un groupe social, etd’autre part que la signification n’est pas une relation dereprésentation d’un signe à une chose du monde extérieurmais l’effet de la substituabilité des signes les uns par lesautres au sein d’un système. Cette double affirmation prêtele flanc à toutes sortes de critiques dirimantes, tant du poinde vue théorique que philosophique. Chomsky, par exemplea tenté de montrer qu’on peut étudier « le langage comme uninstrument et un outil, essayant de décrire sa structure sansfaire explicitement référence à la manière dont cet outil es

utilisé» (1957.116), en se concentrant sur sa grammaire. Iln’est pas nécessaire en effet qu’une phrase ait un sens pourquelle soit grammaticale : chacun peut faire la différenceentre «Colourless green ideas sleep fitriously » et «* Furionsly sleep ideas green colourless », et reconnaître que seule la pre!

mière est correcte (id.17). Dans un autre esprit, Vincent

Descombes a tenté unereductio adabsurdum assez plaisantede la thèse sémiologique ainsi présentée : « Dan s la concep!

tion sémiologique du langage, la subordination du signe àautre chose prend fin. (...) Le signifiant précède, domine,et finalement se passe du signifié, lui qui pourtant affected’être un simple “ substitut ”, chargé de prendre la placed’autre chose et de l’évoquer. » (1983.181). Il l’illustre parla fiction d’un muséum d’histoire naturelle confronté à latâche de ranger les arrivages : « Tout se passe comme si lemusée avait acquis d’un improbable ferrailleur un lot deplaques qui recevront un sens à l’usage : Arbre, Cheval,

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Renseignements, etc. (...). L’idéologie empiriste prétend queles employés commencent par inspecter le contenu dechaque livraison, remarquent des ressemblances et des dif !

férences et, après avoir réuni ce qui se ressemble dans unmême enclos, collent une pancarte sur cet enclos. D’aprèsl'idéologie sémiologique, ressemblances et dissemblances

composent dans chaque arrivage une nébuleuse confusetant qu’on n’a pas utilisé les différences signifiantes entre lespancartes pour fixer les différences entre les signalements.Les employés commenceraient don c par répartir les plaquesentre les enclos. Ensuite ils procéderaient à un rangementdes choses. » (1983.215). V. Descombes reprend les argu!

ments de W ittgenstein pour montrer qu’il ne saurait y avoirde théorie générale des signes, empiriste ou structuraliste,parce qu’il n’y a rien de tel que « la signification engénéral », mais seulement desusages divers des choses, tan!

tôt pour désigner des objets singuliers du monde extérieur,tantôt pour renvoyer à des classes d’objets (le baudet engénéral), tantôt pour donner des ordres, tantôt pour trans!

mettre une impression - et ces différents usages n’on t pas lamême logique. Dan s tous les cas, la seule chose qui importeest que nous ayons descúteres qui nous permettent dereconnaître dans ce que nous sommes en train de faire telleou telle pratique.

Mais c’est précisément là que le bât blesse, et c’est

précisément cette blessure qui a motivé l’extension de laméthode structurale à des disciplines diverses. Pour le dired’un mot, le mouvement structuraliste n'a pas consisté àattribuer une fonction commune (communiquer) à unensemble de phénomènes hétérogènes (langages, rites, etc.),

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mais à reconnaître la nature également problématique dedonnées dans des disciplines marquées par l’héritage ducomparatisme. Il repose d’abord sur une découverte néga!

tive dont Saussure prendra pour la première fois toute lmesure : les paroles que nous prononçons ne sont pas deréalités matérielles données, au sujet desquelles il n’y a quse demander si elles ont ou non un sens, ou dont on pour!

rait se servir comme de pancartes. Il ne s’agit pas là d’unthèse sur le langage, mais bien d’un fait, et peut-être mêmdu seul fait démontré de manière purement expérimentalen linguistique : ni la réalité physique du son, ni la réalitphysiologique des gestes articulatoires ne fournissent dcritère permettant de délimiter les sons que nouspercevons2. C’est pour cela précisément que Saussure a dû« faire appel aux significations » : « Considérée en ellemême, la chaîne phonique n’est qu’une ligne, un rubacontinu, où l’oreille ne perçoit aucune division suffisante précise ; pour cela il faut faire appel aux significations. (CLG.145). Il est définitivement impossible d’établir ucritère strict pour l’analyse et l’identification d’une per!

formance langagière, semblable au mètre étalon (poureprendre une comparaison de Wittgenstein). Cette situa!

tion a des conséquences épistémologiques radicalespuisque, comme nous le verrons, elle rend la notiond’« expérimentation » délicate à définir en linguistique

L’hypothèse sémiologique est pour Saussure non pas unthèse concernant la fonction du langage, mais sur unréponse au problèmelim inaire de l’individuation percep!

tive des phénomènes du langage. C’est à ce problème quce qui s’appellera la « méthode structurale » cherchera

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répondre. Avant de s’interroger sur la nature du sens voirede critiquer cette question philosophiquement, il faut serendre compte que le signe n est pas lui-même déterminéde manière simple.

Or ie moins qu’on puisse dire est que ce problème aéchappé à grand nombre des « philosophes du langage ».

Ainsi Quine croyait pouvoir dissoudre le « mythe de la signi!fication », en s’en tenant aux «expressions (...) au senspurement phonétique du m ot » qu il considère comme des« données » (id.143-144), et n’avait manifestement pas lamoindre idée que le signe linguistique puisse en tant que telposer un problème : « Lesmots et leur usage tombent sous

le coup de l’observation. » (cf. Quine.1962.141).

De mêmeJacques Bouveresse, qui a beaucoup fait pour introduire la« philosophie analytique » en France dans un contexte oùles problématiques structuralistes étaient dominantes, parietrès tranquillemen t du « signe sensible inerte » (1987.230),et déplore avec Wittgenstein le fait que « les philosophes etles théoriciens du langage sont naturellement portés àadmettre que l’essentiel du phénomène linguistique ne sesitue pas dans le signifiant perceptible » (1987.219). À ceux-ci il oppose la « tendance caractéristique de Wittgenstein àconsidérer que tout ce que le philosophe a besoin de savoirsur la nature et le fonctionnement du langage et des signesen générai doit résider dans la partie tangible et observabledu phénomène linguistique et symbolique, et non pas dansune autre partie moins accessible, plus abstraite et plusimmatérielle » (id.). Quand on sait les difficultés que posela perception linguistique ou la définition d’un « observable »en linguistique, de telles déclarations laissent rêveur : une

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des ambitions de ce livre est de faire partager un peu de cettconsternation. LJun des intérêts majeurs du « structuralisme »tient à ce quil est, parmi ce que l’on peut appeler les troisgrandes traditions philosophiques duXXesiècle, la seule quise soit directement construite à partir d’une réflexionphilosophique sur les résultats de disciplines empiriques (ou

du moins aspirant à l’être) ayant pour objet des pratiquessignifiantes données, en pardeulier Ja linguistique.On a cherché l’unité du structuralisme tantôt dans

l’exportation d’une méthode aux différentes scienceshumaines, tantôt dans une doctrine philosophique quiserait venue remplacer l’existentialisme, avan t de céder le pa

devant les « philosoph ies de la différence » - mais ce futchaque fois en vain. Une lecture un peu attentive des dif !

férentes entreprises structurales fait apparaître une trèsgrande variété de méthodes, et, de son côté, le « momentstructuraliste » en philosophie se caractérise par des ceuvresincompatibles (celles notamment d’Althusser, de Foucault,de Derrida, de Deleuze), qui ont par ailleurs immédiate!

ment opéré elles-mêmes le renversement du structuralismeen « poststructuralisme ». C’est sans doute que le struc!

turalisme ne fut ni une méthode ni une doctrine, mais unchamp problématique, et qu’il faut chercher son unité dansla manière dont des entreprises théoriques diverses se sonttrouvées, à chaque fois pour des raisons singulières et à cer!

tains égards hétérogènes, confrontées à des problèmesphilosoph iques analogues. Cette rencontre entre des projerspositifs et des spéculations philosophiques, cette sorte d’ex!

cès spéculatif qui s’impose et se réimpose au sein même dedémarches théoriques, permet de saisir le structuralisme

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pensée parce qu’il était traversé par un « changement deproblématique» (1965a.62sq.). La structure ne désignaitpas la forme d’une totalité donnée, mais au contraire lemoyen de diagnostiquer les discontinuités réelles sous lescontinuités apparentes. Il n’y a pas une méthode communemais un problème commun , qui a été construit de manières

différentes.Cependan t on voit bien que ce problème si concret, siméthodologique de ladétermination du signe, est immédiate!ment philosophique. Si on convient d’appeler ontologie cechamp de questions qui portent non pas surce qu'est unechose, mais sur lamanière dont elle est (de sorte que l’on!

tologie n’a jamais eu finalement d’autre problème que celuide la détermination), le problème sémiologique apparaîtd’emblée comme un problème ontologique. Le struc!

turalisme se confond bien avec le mouvement d’extensiondu problème sémiologique, non cependant parce que celui-cdéfinirait un domaine empirique unifié ou reposerait surune méthode exportable, mais parce que quelques disci!

plines, pour des raisons singulières, propres à leur histoire(et en particulier, nous le verrons, la mise en évidence enchacune du fait com paratif ), se sont trouvées confrontées,au sein même de leur pratique, à un problème qui excédaitnaturellement le champ des études « positives », parce qu’ilmettait en évidence un nouveau type de positiv ité, une nou!

velle manière d’être un fait . Ainsi peut-on comprendre queles voyages de la méthode structurale aient pu se trouveraccompagnés par des projets philosophiques qui renouve!

laient les questions ontologiques, tels, de toute évidence,ceux de Deleuze et Derrida, mais aussi, plus secrètement,

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d’Althusser ou de Foucault, autour de thèses étrangescomme celle qui posait des entités constituées uniquementde différences. Il ne sert donc à rien d’opposer, comme onl’a fait avec tant de complaisance, un bon structuralisme,qui se contente de formuler une méthode pour les sciencessociales, et un mauvais structuralisme qui en tire prétexte

pour lancer à la face du monde étonné des thèsesontologiques tonitruantes. Il faut p lutôt s’efforcer d’éclair-cir les raisons et les fondements de cette rencontre.

De ce point de vue le cas de Saussure est exemplaire. Ilsemble que, depuis quelques années, on redécouvre Saussure.Ce n’est certes pas la première fois : son nom a accompagnétous les soubresauts de l’histoire du structuralisme, d’abordcomme le génial fondateur d’une méthode scientifique nou!

velle, Thalès de la phonologie (de Troubetzkoy, Jakobson,Hjelmslev, Martinet, etc.), Galilée de la sémiologie (de Lévi-Strauss, Barthes, Greimas, etc.), auteur duCours de linguis!tique générale qui passait pour le portique de la modernité ensciences humaines ; puis au contraire comme celui qui, dansses recherches secrètes sur les anagrammes, avait le mieuxpressenti l’interminable dérive des signes, les délices et lesangoisses de la « déconstruction », symbole non plus de lamarche triomphale de la raison mais au contraire de laproximité imminente de la folie... Le nom de Saussure auradonc été l’opérateur de l’expansion du structuralisme aussi

bien que de sa critique. Mais, aujourd’hui, redécouvrirSaussure signifie plutôt exhumer un étrange professeur degrammaire comparée, qui cessa toute publication d’envergureà l’âge de 24 ans, après avoir commis un livre intitulé Mémoire sur le système des voyelles dam les langiies indo-européennes, qui

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lui valait déjà, dit-on, une réputation de bizarrerie auprès desdames de la bonne société genevoise, celles-ci ne pouvantcomprendre qu’un homme aussi savant et aussi distingué, desurcroît fils d’une des quatre familles aristocratiques quiavaient fondé la ville, ait pu écrire un livre entier sur lavoyellea... La philologie, qui était après tout le métier deSaussure lui-même, reprend ses droits. On sait en effet quel’individu historique nommé Ferdinand de Saussureriest pas l’auteur de l’œuvre qu’on lui attribue sous le titre deCours de linguistique générale - CLG pour les initiés. Celui-ci futrédigé par deux disciples de Saussure, Charles Bally et AlbertSéchehaye, à partir des notes de cours prises par la poignéed’étudiants qui ont suivi les trois leçons de linguistiquesgénérales que le maître a prononcées entre 1907 et 1911.Depuis la publication en 1955 desSources manuscrites du Cours de linguistique générale par Robert Godel jusqu’à ladécouverte récente de notes de Saussure perdues dans le fondd’un carton pendant presque un siècle (ELG), en passant parl’édition critique du CLG par Ru dolf Engler, l’écart n’a fait

que se creuser entre, d’un côté, les cahiers d’étudiants et dif !férentes notes manuscrites de Saussure lui-même, et, del’autre, le texte du CLG. Cette redécouverte de Saussure àpartir des « sources manuscrites » s’est faitecontre l’inter!prétation « structuraliste ». Ainsi y a-t-il, d’un côté, ceuxqui s’en tiennent au texte du CLG, quitte à se passer d’au!

teur authentique, parce qu’il a marqué la linguistique struc!

turale (tels C. Normand ou J.-C. Milner), et, de l’autre,ceux qui se fondent sur les sources, mais isolent Saussuredu mouvement intellectuel qui lui a donné sa portée(S. Bouquet, J. Fehr, A. Utacker).

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Or il nous semble que c’est bien Saussure, tel quon ledécouvre dans les cahiers ou dans les notes, qui, le premier, aposé le problème moteur de l’histoire du structuralisme dansles termes mêmes où nous venons brièvement de le présen!

ter, et qu’il n’a donc pas usurpé son titre de précurseur dustructuralisme. Nous essaierons même de montrer que cetteperspective de lecture est en mesure de mettre en valeur laprofonde imité du projet saussurien, ce qui n’est pas unemince gageure. Il fut un temps en effet où les Saussure necessaient de se multiplier. Il y avait eu d’abord l’auteur du

Mémoire sur le système des voyelles et d’autres articles éparspieusement réunis après sa mort dans un seul ouvrage(Saussure. 1922), le professeur respecté de linguistique com!

parée qui, après avoir fondé 1’« école de Paris », refusait unechaire au Collège de France pour ne pas renoncer —curieuxprétexte —à sa nationalité suisse. S’y ajoutent bientôt l’au!

teur du CLG, puis le professeur de Genève qui fit ces leçonsde « linguistique générale et indo-européenne », enfin lerédacteur de ces innombrables cahiers de notes sur le carac!

tère « hypogrammatique » de la poésie indo-européenne,les légendes des Niebelungen, la mythologie hindoue, ou la« phonologie » articulatoire... Sans doute tout auteur vit-ild’une double existence, sacrée et profane, définie à la foispar la trajectoire brûlée de sa vie et par une place désignéeen creux dans un certain régime de réception des textes,

mais le cas de Saussure est plus singulier, plus aigu et plusspéculatif. En effet, on peut penser que l’impossibilitéd"écrire qui fit échouer tous ses projets tient non pas à uneidiosyncrasie personnelle, mais à leur nature. Saussure étaittraversé par un sens hypertrophié dudoute, de l’inquiétude,

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du mystère. On trouve dans ses notes sur les légendes cettepetite phrase significative : « Ainsi il faut s’en tenir à unesorte de doctrine, comme malgré soi, et comme étant peut-être la meilleure manière d’exposer les doutes mêmes. »(Ms. fr. 3958/4,65). L’intérêt de ce que Saussure a à dire tientprécisément à son extrême sensibilité aux problèmes dulangage. Ces problèmes lui apparaissaient d’autant plusintenses qu’il avait conscience, comme nous le verrons, deleur caractère philosophique. De ce point de vue, la démarchede Saussure est presque symétriquement opposable à cellede Chomsky : alors que celui-ci se caractérise par la clartéet la fermeté de son projet et de ses propositions, Saussureau contraire lève, les uns après les autres, lesmystères et les

paradoxes du langage. Alors que le premier éblouit par sapuissance, mais énerve aussi souvent par son dogmatisme,le second impatiente par ses incertitudes, mais convaincfinalement par la justesse de ses questions.

On comprend que certains soient tentés de chercherla vérité de l’entreprise saussurienne dans son échec même,

dans cet effondrement théorique majeur qui nous laisse untexte lacunaire, déchiqueté, éparpillé, avec ses notes large!

ment biffées, ses bribes de propositions, singulières pagesarrachées à l’enfer d’un livre qui ne fut jamais écrit. Le livrede Saussure existe peut-être, nous disent les exégètes, maisil ne saurait être écrit : il ne saurait être jamais que cetteabsence dont on ne voit encore que les traces, et l’on setrouverait un peu dans la position de ces très antiquesdevins chinois qui inventèrent l’écriture en relevant, dans lacarapace calcinée des tortues, les pictogrammes du dest in ...Le mieux que l’on puisse faire avec ce livre serait de tirer les

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langage pose comme tel un problème d’ordreontologique,et en quoi le concept designe permet à la fois de poser et derésoudre ce problème. H tente donc de reconstruire le systèmed’exposition des « doutes mêmes » de Saussure. Aussiprocède-t-il un peu à la manière d’une enquête clinique :Saussure a justifié son silence en expliquant qu’il y avait

quelque chose qui riallait pas dans la linguistique, quelquechose qui, précisément, tenait à ce qu’une explicitation dece que la linguistique avait découvert devait passer par laphilosophie. Ce livre est donc une tentative pourdiagnos!tiquer ce problème. Son mouvement est celui d’un appro!

fondissement en spirale du problème, d’abord perçu de

manière très générale et extérieure, sur ses bords pourrait-ondire, puis peu à peu « rempli », mais à travers une série deredéfinitions à des niveaux de profondeur différents. Lamême question est sans cesse reprise, réinterprétée, rectifiée :comprendre le langage, c’est remonter de manière toujoursplus aiguë aux sources de ce problème, sachant que, commele disait Bergson, un problème bien posé est déjà à moitiérésolu. Le drame personnel de Saussure apparaîtra ainsicomme la conséquence de l’énigme face à laquelle il s’estrésolument placé et dont on peut dire, avec ce quil fautd’émotion, qu’il l’a affrontée pour nous.

Ce problème, on peut l’énoncer en une phrase : la lin!

guistique nous apprend qu’il y a des entités « spirituelles »,mais « réelles », des êtres immatériels, incorporels, et pour!

tant bien concrets et même sensibles —bref, comme ondirait aujourd’hui, desréalités mentales, mais qui agissentsur l’esprit de la même manière que les réalités matériellessont censées agir sur les sens. La première partie montre

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réfutabilité des modèles linguistiques. Mais cette thèseoblige à considérer les actes de langage comme des juge!

ments, des actes de connaissance, et la langue comme unsavoir. Or, comme le montrera la deuxième partie, c’estexplicitementcontre une telle représentation du langageque Saussure construitl ’hypothèse de la langue : il n’admet

pas que l’analyse en laquelle consiste un acte de langage soitun acte du sujet parlant comparable à celui du grammairien,c’est-à-dire à unsavoir, parce qu’il défend la thèse selonlaquelle le langage est fait desentiments et non pas de juge!ments, et que seule cette thèse permet de rendre compte d’uncertain nombre de phénomènes du langage, notamment savariabilité interne. L'hypothèse de la langue est une hypothèsethéorique, celle d’entités mentales déposées dans l’esprit dusujet parlant et classées par lui, intégrée à un modèle précis dufonctionnement grammatical qui se veut plus adéquat auxphénomènes du langage. Mais il apparaît alors que parler nesaurait consister à se servir de la langue pour dire quelquechose, mais plutôt à déterminer la possibilité originale qui estactualisée en excluant toutes celles qui ne le sont pas.

Cette construction suppose pourtant que le sujet nepeut parler que dans la mesure où il dispose déjà d’unelangue, au sens d’un trésor de pensées inconscientes. Dèslors, le problème de lagenèse de ces pensées, aussi bien dansPhistoire collective que dans l’apprentissage individuel, estun problème inévitable. C’est à lui que prétend répondre lathèse selon laquelle les formes de la langue sont dessignes etce sera l’objet de la troisième partie. Si Saussure reprend ceterme à une vieille tradition pour parler des entités delangue, c’est parce qu’ilintériorise dans le signe lui-même le

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fait d’être associé à autre chose : les signes ne sont pas desassociations entre deux choses déjà données, mais deschoses doubles, éternellement doubles. Aussi le problèmeontologique est-il plutôt déplacé et généralisé que résolu.On ne l'esquivera pas en rappelant les formules de Saussurequi en font de plus une entité « purement négative » : si eneffet le terme de signe est introduit par Saussure pour ren!

dre compte de ce qu’il y a de réel dans la pensée, c’est parcequ’il lui attribue une « positivité » propre. En fait, une lec!

ture minutieuse de lathéorie de la valeur montre quecelle-ci est une théorie de la « faculté » de l’esprit quiextrait, de l’expérience sensible, ces entités spirituelles discrètesqui ne sont pas les corrélats d’actes de conscience des sujets,mais des sortes de « sécrédons » ou de « dépôts » inconscientset involontaires. Cette opération suppose en réalité deuxmoments : de la corrélation entre des variations qualitativesappartenant à des plans d’expérience distincts (ou « subs!

tances », auditives et visuelles par exemple), l’esprit extrait desentités complexes, que Saussure appelle « termes », qui sont

des paquets de différences sensibles, puis il les redéfinit en lesopposant les unes aux autres et en les réduisant à leur positionrelative dans un système (« forme »). Cependant, ces « termes »étant toujours comparables selon au moins deux registres dedifférences hétérogènes, le système ne saurait jamais être écrit,et ces « choses de l’esprit » que sont les « valeurs » apparaîtront

toujours comme éternellement doubles.Mais si les individus peuvent extraire de leur environ!

nement ces entités doubles, c’est parce qu’ils vivent dans unmilieu sensible où les corrélations régulières de ces varia!

tions différentielles sont déjà réalisées —dans unecidtiire

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linguistique. C’est à cette dimension sociale et historiquedes langues que la quatrième partie est consacrée. Leslangues doivent être des faits sociaux pour être déposées aufond des consciences individuelles. Les signes existent« dans la collectivité ». Saussure semble durkheimien par samanière de considérer la langue comme une réalité « hyper-spirituelle » au sens de Durkheim ; mais alors que pour lesociologue, le fait social est réel dans la mesure où il traduitce par quoi une communauté escune, c’est pour Saussure lefait que la langue par nature varie, a unehistoire; ou plutôtest une histoire, qui fait quelle échappe aux « sujets parlants »isolés ou réunis. On arrive ainsi à la racine du problème dulangage : le signe est le concept de ce qui est « spirituel mais

réel », dans la mesure où il est le concept de ce quiessentielle- mentvant aussi bien historiquement que géographiquement.Quelque chose de ce qu’ils pensent ne cesse d’échapper auxsujets pensants, et les conditionne en retour. La définitionde la « sémiologie » oblige à passer par une ontologie desdevenirs et des multiplicités : son domaine d’objets est carac!

térisé non par une région dans l’être, mais par unrégime d ’objectivité singulier. Nous verrons en quoi la théorie de lavaleur permet de rendre compte de cette variabilitéinhérente des faits sociaux, et comment Saussure s’efforcede retrouver les mêmes mécanismes à l’œuvre dans sesrecherches sur les légendes. Il apparaîtra ainsi que la penséede Saussure a bien un caractère systématique, et que sonambition n’est pas mince : il s’agit de montrer que c’est nonpas en éludant mais en assumant une interrogationontologique forte que l’on peut construire les instrumentsthéoriques d’une science de l’esprit informée des résultats

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convergents des disciplinescomparatistes. La sémiologieapparaîtra dès lors à la fois comme une philosophie et unescience deV esprit objectiftentant une synthèse entre la tradi!

tion rationaliste du XVIIe siècle et la tradition comparatiste du XIXe. De l’homme, elle nous donne une image à la foisgrandiose et comique : c’est la même chose qui nous permetde « penser» et qui fait que nous ne cessons de pensertoujours autre chose ; c’est la même chose qui nous rendcapables d’établir des consensus, de mesurer nos pratiques àdes critères, bref de nous donner des règles (jusqu’à celles,peut-être, des sciences elles-mêmes), et qui ne cesse de lesdéplacer« au hasard de tout ce qui peut arriver dans unetradition ». C ’est la même chose, peut-être, pourrions-nous

ajouter, qui fait de nos pratiques des objets potentiels d’unsavoir rigoureux, et qui définit l’espace précaire mais réel denotre liberté : celle-ci n’est pas subjective, mais objective,elle n’est pas dans la volonté consciente, mais dans ces êtrestremblés, capricieux, vibrátiles que sont les signes, par où lepossible devient comme tel réel et à qui, bon an mal an,

nous avons confié notre destin.

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APPARAT CRITIQUE

1. P r é s e n t a t i o n d e s t e x t e s d e S a u s s u r e

Afin de mieux les mettre en valeur, les citations deSaussure apparaissent dans un style de paragraphe spécial.Ces textes sont divers, fragmentaires, éparpillés dans despublications multiples et souvent même apocryphes. Enattendant la parution annoncée d’une Pléiade, on ne dis!

pose d’aucune édition complète de Saussure. Il est doncnécessaire de présenter l’état des textes et la manière dontnous y renvoyons.

Pour le CLG, l’édition critique de Rudolf Engler faitautorité. Elle présente le texte duCours tel qu’il fut éditépar Bally et Séchehaye sur une première colonne, puis surles colonnes suivantes, le texte (quand il existe) des divers

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y renvoyons par l’initiale G., suivie de la page dans lenuméro du CFS. E. IComatsu a de son côté publié dans unlivre (Ferdinand de Saussure,Cours de linguistique générale, Premier et troisième cours d'après les notes de Riedlinger et Constantin, université Gakushuin, « Recherches universitéGakushuin », n °24 ,1993) une version complète du premieret du troisième cours, en suivant pour le premier, le cahier

de Riedlinger, et pour le troisième, celui de Constantin.Nous y renvoyons par l’initiale IC. suivie de la page.En ce qui concerne les notes manuscrites de Saussure,

nous donnons les références dans les Ecrits de linguistique générale, Paris, Gallimard, 2002 (abrégés ELG), publiésrécemment par R Engler et S. Bouquet . Cette édition

comprend l’ensemble des manuscrits de Saussure retrouvésà ce jour portant sur la linguistique générale, dont certains jusqu’alors inédits.

De plus, Saussure a passé une grande partie de sa viegenevoise en des recherches fragmentaires à caractère confi!

dentiel. Nous disposons donc d’une masse considérable denotes manuscrites de Saussure sur des domaines divers,comme la phonologie, la poésie indo-européenne (lesfameux « anagrammes »), les légendes nordiques, lesmythologies indiennes, etc. Les « anagrammes » ont faitl’objet de diverses publications, toujours interpolées dansune argumentation propre au commentateur. Nous ren!

voyons systématiquement à Starobinski.1971. Pour leslégendes, on dispose désormais de l’édition établie parmadame Béatrice Turpin, de l’université de Cergy-Pontoise,qui a eu la bonté de me communiquer le manuscrit de cetexte largement avant sa publication dans lesCahiers de

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ÏHern e (Bouquet.2003), ce dont je la remercie vivement.J’indique la cote de la bibliothèque publique et universi!

taire de Genève oii ces manuscrits sont déposés parl’abréviat ion « Ms. fr. ». Ceux-ci se com posen t deplusieurs ensembles de cahiers rassemblés en fonction deleur thème. Conformément à l’usage, je mets d’abord la cotede la bibliothèque, suivie du numéro du cahier, et enfin de

la page. Ainsi « Ms. fr. 3958/4,1 » renvoie à l’ensemblenuméroté 3958, au quatrième cahier de cet ensemble, età la page 1. Enfin, j’indique la page dans l’édition del’Herne (H. suivi du numéro).

D ’autres textes de Saussure, issus de lettres ou decommunications diverses (ainsi les « souvenirs de jeunesse »

ou le passage sur la « couleur des voyelles ») ont pu êtreutilisés. On en trouvera toujours la référence précise dansle corps du texte.

Enfin, Godel.1957 mentionne des entretiens deSaussure avec ses élèves. Je renvoie donc occasionnellement àce livre fondateur de la philologie saussurienne qui, à certainségards, fait autant parde du corpus saussurien que le CLG.

2 . A b r é v i a t i o n s

CLG : Cours de linguistique générale, édition critiquepréparée par Tullio de Mauro, Paris, Payot, « Bibliothèque

scientifique », 1972.ELG : Écrits de linguistique générale, établis et éditéspar Simon Bouquet et Rudolf Engler, avec la collaborationd’Antoinette Weil, Paris, Gallimard, « Bibliothèque desidées », 2002.

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« Q » : Deux crochets droits indiquent un blanc, et

entre ces crochets se trouve parfois uneconjecture. Chaquefois qu elle est de moi (et non pas de R, Engler lui-même),elle est suivie d’un astérisque.

À de rares exceptions près, les passages en italiquescorrespondent aux passages soulignés par Saussure lui-même. Ceux qui Font été par moi sont suivis d’unastérisque.

L’astérisque a par ailleurs deux fonctions différentesdans les conventions typographiques utilisées par les lin!

guistes. Lorsqu’il s’agit d’un contexte d’histoire des langues,il indique une forme reconstruite, jamais attestée. Lorsqu’ilintervient dans le contexte d’une recherche grammaticale, ilindique une expression mal formée, qui aurait pu exister,mais qui n’existe pas.

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PREMIÈRE PARTIELE PRO BLÈME DU LANGAGE

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On a longtemps présenté l’entreprise saussuriennecomme un acte de fon dation d’une science nouvelle, lasémiologie. Puis, après que certains eurent fait remarquerque Saussure se réclamait d’une pratique scientifiquedon!née, la grammaire comparée duXIXesiècle, on crut que sadémarche était typiquementtranscendantale. Sa questionserait : que faut-il donc que le langage soit pour que l’onpuisse rendre compte du fait que la grammaire comparéeest possible ? 1 Mais dans les deux cas, on attribuait à ladémarche de Saussure un sens que l’on peut dire « épisté-mologique » : d’une part il aurait pour ambition de bâtirune et même deuxsciences, et d’autre part il partirait d’uneidée claire de ce que doit êtreune science en général, doncd’une épistémologie, pour l’appliquer ensuite à la linguis!

tique comme à une science particulière, comme le firentplus tard Hjelmslev et Chomsky.

Cette lecture selon laquelle Saussure irait, d’un conceptou d’une image de la science en général, à la détermination

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d’une science particulière, doit sa force de conviction aufait quelle était partagée, bien que sous des noms dif !

férents, à¡3. Fois par lesrédacteurs du. CLG —manifestement sous l’influence du paradigme positiviste - et par les lecteursfrançais de Saussure des années 1950 à 1970 - revendiquantune épistémologie « structuraliste » qui répétait à beaucoupd’égards les thèses d’Auguste Comte. S’il esc vrai qu’unmythe suppose toujours deux naissances, nous sommes iciface à un véritable mythe, le mythe fondateur du fondateur.Voici comment on se racontait l’histoire.

La linguistique aurait constitué son problème, celuid’une étude objective du langage, à partir du moment où,rompant avec la tradition des grammaires rationnelles,héritées de l’Antiquité mais dont Port-Royal avait donné en1660 un monument achevé, elle n’aurait plus recherchédans l’étude du langage l’explicitation desnonnes de dis!cours (comme la logique ou de la rhétorique), mais ladescription d’uneréalité objective sur laquelle l’être humainn'a pas de prise 2. Cette objectivation aurait eu pour condi!

tion la découverte de la possibilité de comparer des languestrès éloignées dans l’espace et le temps, en particulier leslangues européennes avec le sanskrit, de postuler uneorigine commune, le (tristement) célèbre indo-européen, etd’établir ainsi comme desarbres généalogiques des langues.L’histoire des langues en constituerait donc la dimension

objective. Se serait alors développée une grande masse dedocuments, de comparaisons, d’étymologies scientifiques,et bientôt un portrait assez convaincant de l’histoire deslangues. Rien cependant, dans cette accumulation de résul!

tats partiels, n’aurait donné lieu à une théorie de la langue,

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un peu comme si les physiciens avaient accumulé desmesures sur les régularités constatables dans les mouve!

ments relatifs des planètes, sans jamais construire unethéorie du mouvement... Saussure se serait donc retrouvéconfronté à l’hégémonie d’une méthode historique, p ar-tialisante —dans la mesure où elle s’occuperait surtout detracer les origines de tel mot, de telle forme grammaticaleou de telle voyelle du français, en les comparant avec cellede l’italien, du grec, du sanskrit, etc. —et finalementanec- dotique—au sens où elle ne conçoit pas lesavoir comme, unethéorie générale d’un objet et l’énoncé delois, mais unique!ment comme une méthode permettant de reconstruire desfaits historiques et des séquences d’événements. L’école ditedes « néogrammairiens », en tentant de ramener à des loisgénérales, mais finalement non linguistiques (physiologiqueou psychologiques), les évolutions historiques, avait tentéde remédier à ce dernier défaut ; mais c’est Saussure quiaurait apporté les éléments permettant de remédier au pre!

mier, en proposant très jeune dans un célèbre mémoire la

notion desystème, c’est-à-dire l’idée qu’on ne pouvait étudierun fait particulier de langue, comme une voyelle, qu’enétudiant les transformations de tout unsystème, en l’occur!rence le système vocalique des langues indo-européennes.

Mais ces quelques aménagements étaient insuffisants.Pour faire de la linguistique une science à part entière, il

fallait interrompre le travail proprement positif de collec!

tion des résultats, et s’employer à réfléchir sur la pratique decette discipline : d’où la réflexion sur les fondem ents de lalinguistique que nous proposerait Saussure dans sonCours de linguistique générale. Saussure prendrait ainsi la linguis!

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tique scientifique pour donnée, et s’emploierait à établir cequi rend possible ses succès éclatants. Ce projet s’inscriraitdans un ensemble de discours issus du positivisme, dont lafinalité est de fonder rétrospectivement les sciences en lesclassant à partir de la définition de leurobjet3. On iraitdonc, grâce à Saussure, d’une « routine », comme disait

Socrate, appliquant sans les comprendre des procédésélaborés sur le tas, surprise de ses propres succès, à uneméthode fondée en raison (cf. CLG.I6). Saussure appli!

querait donc une des plus vieilles compréhensionsphilosophiques de la notion de science : la vérité consciented’eüe-même. La clarification des fondements correspondraità une démarche axiomatique, systématisant dans un édificedéductif l’ensemble des résultats jusque-là acquis de manièreplus ou moins hasardeuse.

C ’est de cette manière qu’il faudrait interpréter le gesteinaugural de rupture avec l’école « néogrammairienne » quidominait alors la linguistique (et qui représentera dès lorsle repoussoir expéditif de l’analyse structurale, son mythenégatif, la nuit que vint dissiper le « f iat signum » deSaussure) : rupture à la fois avec la méthode historique etavec une représentation inadéquate de la démarche scien!

tifique. Saussure opposerait à ce modèle empiriste fondéentièrement sur l’induction, une épistémologieconstruc- tiviste, qui irait d’un concept rigoureux de son objet à la

recherche de données factuelles. C’est en ce sens que l’oninterprétait la phrase : « Bien loin que l’objet précède lepoint de vue, on dirait que c’est le point de vue qui créel’objet, » (CLG.23). On citait alors parfois - mais ce n’étaitpas nécessaire, tant la conviction était partagée —Bachelard,

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repris en particulier par Akhusser, pour montrer que cetteinversion de la démarche empirique était la méth ode scien!

tifique elle-même, de sorte que Saussure n’aurait rien faitd’autre que d’élargir, à un domaine jusqu’alors livré àl’absence de méthode, le geste inaugural de la science(cf. Normand. 1995.229). J.-C. Milner a fait remarquer

que cette démarche, qui a pu passer à une époque pour leconcept même de la science, n’est rien d’autre qu’unedémarche euclidienne, qui va du concept de l’objet à unedéfinition des pratiques, et non pas, comme la démarchequ’il qualifie, en s’appuyant sur Koyré, de galiléenne, del’établissement de critères de réfutabilité à la formalisationmathématique des énoncés théoriques (Milner.1989.37-38). Il importait de connaître la véritable épistémologiede Saussure.

Voyons comment ces considérations épistémologiquessont supposées s’appliquer à la linguistique. Le problème dela définition de l’objet se poserait à la linguistique commeà toute science : il lui faut rompre avec les phénomènesdonnés, la « matière », pour construire a priori un « objet »,qui orientera la recherche et permettra d’intégrer la collec!

tion des données factuelles dans un édifice théorique. Lamatière première de la linguistique est le langage : il esthétéroclite, complexe, confus, entrecroisant des registres decausalité ou des niveaux de phénoménalité tout à fait dif !

férents (physiologiques, physiques, sociologiques, etc.).L’ambition de Saussure serait de définir ce qui est « propre!

ment linguistique » dans le langage, c’est-à-dire ce qui nepeut être étudié que par la linguistique, et donne à la lin!

guistique un objet homogène. Pour trouver cet objet,

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Saussure proposerait un critère : il s’agirait de considérercomme linguistique ce qui contribue, d’une manière oud’une autre, à lacommunication 4. Ce qui est linguistiquedans un son ou dans un mouvement de la glotte, c’esr le faitqu’il serve à communiquer. Aussi l’objet de la linguistiqueest-il ce qui dans le langage estsigne, et la linguistique est-

elle partie d’une discipline plus large, que Saussure baptisesémiologie, car tout signe contien t des propriétés propres entan t que signe. Parmi ces propriétés, deux sont particulière!

ment importantes : l’une est de n’être fait que de dif !

férences —un signe étant défini par la manière dont il sedistingue des autres signes —, une autre, de renvoyer à unsystème

sous-jacent. On compare la langue à un code, et lesactes de langage particuliers à des messages, mettant enœuvre des éléments du code dans des séquences particulières.L’apparition d’une « théorie mathématique de la communi!

cation », dont le principe est précisément qu’une « unitéd’information » se définit par un choix binaire, ne fera queconfirmer le statut de précurseur de Saussure et la perti!

nence de la sémiologie. De cette définition préalable dela linguistique et de son objet, elle-même déduite d’une« épistémologie » rationaliste admise a priori, Saussuretirerait des conséquences d’ordre méthodologique. Laméthode propre à la linguistique structurale serait la méthodede délimitation, qui chercherait à repérer les éléments fonda!

mentaux dans la langue en ne retenant que les unités dulangage ayant une valeur significative identique ou dif !

férente. La tâche de la linguistique serait donc tout entièrede déterminer ces unités et de les classer en les répartissantdans un système de termes.

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Bel enchâssement de propositions allant du conceptde science à une méthodologie précise pour une pratique

journalière, grâce au passage par un concept particulier deia linguistique. Il n'a qu’un défaut: il se trouve que ladémarche du Saussure historique est inverse de celle quenous venons de décrire. Celui-ci est en réalité parti de la

singularité de la linguistique et, loin de chercher à fonderune discipline qu’il considère comme scientifique, il s’estefforcé de montrer en quoi elle devrait se dissoudre dansune autre encore à venir. Cette singularité de la linguistiquelui semble devoir être relevée parce quelle montre que lesdifficultés pour définir à la fois l’objet et la méthode de

cette science à venir lui viennent de ce que son objetéchappe aux catégories de l’ontologie classique, structuréepar l'opposition de l’être invariant et de l’apparence variable.Nous n aurons plus alors un Saussure champion de la ratio!

nalité occidentale, mais un Saussure attiré par le mystère,par l’insoluble, par tous les clairs-obscurs de son temps,chasseur de fantômes et poursuiveur de chimères.

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CHAPITRE ILA LAN GU E SATANIQUE

Sous le nom de « linguistique générale », Saussure nes’est jamais proposé de fonder la grammaire comparée, maisau contraire de montrer l’impossibilité de cette discipline.

Le précurseur des études saussuriennes, R. Godel, a fait jus!

tice d’une légende qui voulait que Saussure eût été impatientde rendre publiques ses considérations sur la nature dulangage en général (Godel.1957.34). Le titre de « linguis!

tique générale » est académique : l’université de Genève ademandé au professeur de bien vouloir assurer ce cours,pour remplacer, en 1906, celui dit de « linguistique » queJoseph Wertheimer assurait depuis 1873. Il avait bien,avant 1900, et surtout autour de 1894, envisagé un livre quiaurait été en même temps une théorie générale du langageet une méthode pour la grammaire comparée, organisée

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autour de la séparation de la linguistique en diachroniqueet en synchronique. Mais il y avait finalement renoncé. Unelettre à Meillet de 1894 montre que, de toute manière, la« linguistique générale » n’aurait pas eu pour lui commeobjectif de reconstruire sur des bases saines l’édifice de lathéorie du langage, mais au contraire de montrer Ximpossi!bilité d’une telle théorie.

« Le commencement de mon article sur l’intonation vaparaître. (. ..) Mais je suis bien dégoûté de tout cela, et de la dif !

ficulté qu’il y a en général à écrire dix lignes ayant le sens com!

mun en madère de faits de langage. Préoccupé surtout depuislongtemps de la classification logique de ces faits, de la classifica!

tion des points de vue sous lesquels nous les traitons, je vois de

plus en plus à la fois l’immensité du travail qu’il faudrait pourmon trer au linguistece qu’il f ai t \ en réduisant chaque opérationà sa catégorie prévue ; et en même temps Tassez grande vanité detout ce qu’on peut foire finalement en linguistique.

C’est en dernière analyse seulement le côté pittoresqued’une langue, celui qui fait quelle diffère de toutes les autrescomme appartenant à un certain peupleayant certaines origines,

c’est ce côté presque ethnographique qui conserve pour m oi unintérêt : et précisément je n'ai plus le plaisir de pouvoir me livrerà cette étude sans arrière-pensée, et de jouir du fait particuliertenant à un milieu particulier.

Sans cesse l’inept ie absolue de la terminologie courante, lanécessité de la réforme, et de montrer pour cela quelle espèced’objet est la langue en général, vient gâter mon plaisir his!

torique, quoi que je n’aie pas de plus cher vœu que de n’avoirpas à m’occuper de la langue en général.

Cela finira malgré m oi par un livre où, sans enth ousiasmeni passion, j’expliquerai pourquoi il n’y a pas un seul termeemployé en linguistique auquel j’accorde un sens quelconque.

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Et ce n’est qu’après cela, je l’avoue, que je pourrai reprendremon travail au point où je l’avais laissé.Voilà une disposition, peut-être stupide, qui expliquerait

à Duvau pourquoi par exemple j’ai fait traîner plus d’un an lapublication d’un article qui n’offrait, matériellement, aucunedifficulté ~ sans arriver d’ailleurs à éviter les expressionslogiquement odieuses parce qu’il faudrait pour cela une réforme

décidément radicale. » (CFS,2l,95).C’est l’impossibilitéde jou ir de l’exercice linguistique

qui amène à la question spéculative, et la réponse restestrictementaporétique\ il lui faudra d’abord simplement« avouer ses doutes » (entretien avec Gautier, 6 mai 1911),ou expliquer « sans enthousiasme ni passion ... pourquoi il

n’y a pas un seul terme employé en linguistique auquel [il]accorde un sens quelconque », non pour construire un lan!

gage scientifique enfin sensé, mais pour « reprendre [son]travail au point où [il l’avait] laissé »... Il ne s’agit donc pasde contester la pratique du linguiste, mais au contraire dela rendre à son innocence première. Saussure insiste tou!

jours sur l’écart entre l’efficacité de la pratique linguistique,le caractère « prodigieux » de ses résultats, d’un côté, et lapauvreté atterrante des « généralités » auxquelles elleaboutit de l’autre.

« D ’admirables bêtises vinren t au jour , mais d’admirablesdan s le passé. Le passé de la linguistique se compose d’un doutegénéral sur son rôle, sur sa place, sur sa valeur, accompagné de

colossales acquisitions sur les faits (...) la linguistique quoiqueayant vaguement le sens des choses justes, n’avait aucune possi!

bilité de se créer uneDIRECTION» (ELG.116).Le problème n’est pasce que fait le linguiste, mais ce

qu’il dit à propos de ce qu’il fait. Le linguiste sait bien, sent

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bien, qu’il s’est passé quelque chose d’extraordinaire dans sadiscipline, qu’il a rencontré un lieu de vérité ; mais il ne saitcomment le qualifier, aussi est-il ouvert aux plus invraisem!

blables théories.Cette impossibilité à se comprendre comme pratique

n’est ni contingente ni surmontable : elle est essentielle à lalinguistique, elle fait partie de sadéfinition.

« (...) toute théorie claire, plus elle est claire, est inex!

primable en linguistique ; parce que je mets en fait qu’il n’existepas un seul terme quelconque dans cette science qui ait jamaisreposé su r un e idée daire. » (Ms. fr.3957/2 ; cité inBouquet.1997.69 et Starobinsld.1971.13).Tout se passe comme si la vérité ou la « positivité »

produite au sein des pratiques de la linguistique comparéeexcédait précisément la linguistique. De fait, il faut ensortir pour « montrer au linguiste ce qu’il fait ».

« Un essai systématique quelconque constitue donc unechose que j’oserais dire nouvelle et qui prouve immédiatementun effort personnel très indépendant et très prolongé, unique!

ment possible à condition de pouvoir réunir à des connaissanceslinguistiques <une réelle pensée>,<un [réel] pouvoirphilosophique, ou plutôt une éducation en plusieurs disciplinesextérieures à la linguistique qui a manqué à Q>. » (ELG.259).

« Pour aborder sainement la linguistique, il faut l’aborderdu dehors, mais non sans quelque expérience des phénomènesprestigieux du dedans. Un linguiste qui n’est que linguiste est

dans l’impossibilité à ce que je crois de trouver la voie permet!

tant de classer les faits. » (ELG.109).La « linguistique générale » sera coextensive d’une

dissolution de la linguistique comme science autonomedans un ensemble plus vaste, la sémiologie, et c’est parce

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qu elle ne s’y résout pas quelle échoue aussi obstinément àse constituer. La réflexion « philosophique » sur la linguis!

tique devra don c s’appuyer sur un diagnostic desdifficultés singulières que rencontre la pratique linguistique, c’est-à-dire la grammaire comparée.

« L’introduction que M. de Saussure a Faite jusqu’ici dansson cours de linguisüque générale n’est qu’une causerie. Si lecours avait suivi, elle aurait été tout autre. M . de Saussure traiteracette année les langues indo-européennes et les problèmesqu’elles posent. Ce sera une préparation pour un coursphilosophique de linguistique. M. de Saussure ne se refuse pascatégoriquement à l’essayer dans deux ans ; ce sera aux élèves,

je pen se, à l’y décider. » (A. Riedlmger, Intervieiu de M . de Saussure , publiée par Godel.1957.30).Ce que Saussure entend par « philosophie de la lin!

guistique » ou « linguistique générale » est une tentativepour exposer les problèmes que pose l'efficacité même de lapratique linguistique, et montrer que la linguistique, à tra!

vers ses techniques nouvelles d’objectivation du langage, arévélé quelque chose de nouveau non pas sur le langageseulement, mais sur quelque chose de plus général, dont laprise en compte doit amener à défaire l’idée même de lan!

gage comme fonction séparée, et de linguistique commediscipline autonome.

1. L e m i r a g e l i n g u i s t i q u e

En fait, si ces difficultés de la linguistique sont irré!

ductibles, c’est parce qu elles tiennent à la nature même deson objet.

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« La linguistique n'est pas toute simple dans son principe,dans sa méthode, dans l’ensemble de ses recherches, p arce que kl langue ne l ’est pas. » (E, 1.244.1766.2R, 1 ).La lettre à Meillet suggérait que les difficultés qui blo!

quaient la jouissance et bientôt l'exercice de la linguistiqueétaient de nature terminologique. Or c’est précisément à lasingularité deV objet de la linguistique que Saussure attribueces difficultés terminologiques.

« Il n’existe pas d’objet tout à fait comparable à la langue,qui est un être très complexe, et c’est ce qui fait que toutes lescomparaisons et toutes les images dont nous nous servonshabituellemen t aboutissent régulièrement à nous en donn er uneidée fausse par quelque point. Ce sont ces embûches tendues

derrière chaque locution qui ont peut-être le plus retardé [lesprogrès de la linguistique*]. » (ELG.152).La langue est donc le principal obstacle épisté-

mologique à une science du langage :« Il y aura un jour un livre spécial et très intéressant à

écrire sur le rôle du mot comme principal perturbateur de lascience des mots. » (ELG.166).

Ainsi, la réflexion sur l3« objet » de la linguistique nevient pas d’un concept positiviste applicable à toutes lessciences, mais bien d’une difficulté singulière propre à ceque saisissent, sans le comprendre, les praticiens de lagrammaire comparée.

« Difficulté particulière à la linguistique d’avoir à se poser

question sur ce qui est son objet. » (E.1.24.123.3D,5).Saussure insiste très fréquemment sur ce caractèreexceptiotmel, irréductible, de la langue.

« Donc objet scientifique très spécial. Aspects de tous genresen partie contradictoires. Rien de comparable à la langue. »(E.L244.1766.2B,!).

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« Réflexions sur les entités. Com pte des causes qui fon t dulangage un objet situé hors de toute comparaison etnon classé ni dans l’esprit des linguistes, ni dan s l’esprit des ph ilosoph es. »(ELG.257).Qu’y a-t-il donc de si problématique dans l’objet de

la linguistique pour quune clarification philosophique soitabsolument nécessaire ?

Ce n’est pas seulement sa définition propre qui faitproblème (qu’est-ce que l’objet de la linguistique), maisbien son statut (qu’est-ce qu’être pour l’objet de la linguis!

tique). Saussure en effet remarque souvent que la linguistiqueest particulièrement exposée à prendre sans cesse ses rêvespour des réalités, à confondre des entités fictives avec des

entités réelles. Et cela non parce que les linguistesseraient un groupe humain particulièrement maladroit,mais bien parce que leur objet est, tel un désert, plein demirages.

« Il n’y a aucun domaine qu i, plus que la langue, aitdonné lieu a des idées chimériques et absurdes. Le langage estun objet de mirages de coûtes espèces. Les erreurs faites sur lelangage sont ce qu’il y a de plus intéressant , psychologiquementparlant. Chacun laissé à lui-même se fait une idée très éloignéede la vérité sur les phénomènes qui se produisent dans le langage. »(E.1.23.120.3C.9-10).

« La langue esc pleine de réalités trompeuses, puisquenombre de linguistes ont créé des fantômes auxquels ils se sont

attachés. Mais où est fantôme, où est réalité ? Difficile à dire.Pour l’établir il faut se persuader qu’on n’a pas devant soi desêtres concrets. » (E.1.24.1798-1800.2R,40).Saussure, on le voit, rapporte toujours les tromperies

incessantes auxquelles nous sommes tous, linguistes et

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pour les raisons que nous verrons. La plus simple catégorielinguistique, telY ablaut, est déjà elle-même une « figure »du langage. Ainsi se présente d’abord le problèmeontologique du langage : on ne peut refuser touteexistence àla langue. La linguistique a besoin de métaphores, précisé!

ment parce que son objet est singulier, irréductible à celui des

autres sciences d’observation, absolument incomparable :« L’impression générale qui se dégage des ouvrages deWhitney esc qu’il suffît dusens commun —du sens commund’un homme familier avec [les phénomènes linguistiques*] -soit pour faire évanouir tous les fantômes, soit pour saisir dansleur essence les [phénomènes linguistiques*]. Or cette convic!

tion n’est pas la nôtre. Nous sommes au contraire profondé!

ment convaincus que qu iconqu e pose le pied sur le terrain de lalangue peut se dire qu'il est abandonné par toutes les analogiesdu ciel et de la terre. C ’est précisément pou rquoi on a pu se fairesur la langue d’aussi fantaisistes constructions que celle quedémolit Whitney, mais aussi pourquoi il reste beaucoup à diredans un autre sens. » (ELG.220).On voit bien l’alternative : les suppositions onto!

logiques que Whitney démolit sont en effet délirantes ;mais leur délire a ceci de vrai que la langue ne se plie pré!

cisément pas au sens commun, parce qu’elle est réelle, bienque d’une manière à première vue incompréhensible. Quine croit pas au moins un peu aux fantômes n a aucunechance d’approcher l’essence de la langue. Il faut être unpeu déraisonnable pour dégager quelque chose de généralsur le langage.

Pour prendre une vue juste du langage, Saussureaffirme même qu’il faut partir du fait que les illusions aux!

quelles le langage donne lieu relèvent d’une de ses propriétés

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essentielles. Il s’agir d’un véritable point de méthode, claire!

ment énoncé à son élève, Riedlinger, venu l’interroger :« La meilleure manière de procéder serait de prendre les

expressions donc se servent les bons linguistes quand ils parlentde phénomènes statiques, et de voir leserreurs et les illusions qu elles contiennent. » (Entretien avec Riedlinger, in Godel.1957.29).La critique des positions antérieures n’est pas une

simple curiosité tératologique, mais bien un premiermoment de l’exposition des problèm es de la linguistiquegénérale. C’est pourquoi le fait que « chacun laissé à lui-même se fait une idée très éloignée de la vérité sur lesphénomènes qui se produisent dans le langage » est précisé!

ment « ce qu’il y a de plus intéressant, psychologiquementparlant» (E.1.23.120.3Q9-10). Loin de «rire», commeses contemporains, des « idées fantastiques » de la premièregénération de « généralisateurs », Saussure propose donc defaire de cette fantaisie persistante le point de départ d’uneréflexion méthodique sur l’objet même de la linguistique,

et trouve à l’inverse comique le rire fat de chaque linguisteà la lecture de ses prédécesseurs :

« Il est très com ique d’assister sur le poin t de vue de A ouB, aux rires successifs des linguistes, parce que ces rires semblentsupposer la possession d’une vérité, et que c’est justement l’ab!

solue absence d’une vérité fondamentale qui caractérise jusqu’àce jou r 3e linguiste. » (ELG.l J6).Or c’est précisément cette méthode critique ou

« décon struction niste » que Saussure applique, dans lepremier et dans le deuxième cours en particulier, demanière parfaitement explicite. Il distin gue deux manièresd’introduire la linguistique, qu’il qualifie tantôt d'externe

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et à' interne, tantôt d’analytique et desynthétique, mais quicorrespondent toujours, pour le premier terme, à uneapprochenégative de la langue à partir de ce quelle n estpas, et pour le second à une approche positive à partir de cequelle est, l’exposition allant toujours de la première à laseconde.

« Il faudra donc nous contenter pour le moment de définirla linguistique de l’extérieur en la considérant dans ses tâton!

nements progressifs par lesquels elle prend conscience d’elle-mêmeen établissant ce qui n’est pas elle (comparaison avec l’enfant !).Une telle définition est une démarcation périphérique entre lalinguistique et les autres sciences par les rapports quelle a aveccelles-ci, aussi bien les divergences que les contacts. (...)

Pour se faire une idée plus approfondie de la linguistiquedeux chemins sont possibles : une méthode théorique (synthèse)et une méthode pratique (analyse). Nous suivrons la seconde etcommencerons par uneanalyse des erreurs linguistiques.

C’est considérer la science qu i nous occupe dans ses néga!

tions. Les erreurs linguistiques sont aussi bien ce que Baconappelle les cavernes (malentendus) linguistiques que les idoles

de la linguistique. » (E.1.19.102.1R,l.lsq. ; K.11-13).La référence à Bacon montre bien que l’intention de

Saussure est consciemmentméthodologique. On ne trouveplus aucune trace dans le CLG de ces indications. Elles sontpourtant fort insistantes dans les leçons, et permettent seulesde comprendre ce que signifient les termes de linguistique

externe et interne, et d’une.manière générale comment s’or!

ganise la démarche de Saussure. L’introduction du deuxièmecours était très claire :

« Jusqu ’ici n ous avons essayé de n ous éclairer sur la natureet la place de la langue, mais par une tentative externe, par ce

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qui n’est pas elle : en la rapprochant d’un système de signes (parexemple, la langue des sourds-muets), ou plus généralement dessignes, ou encore plus généralement de la valeur, ou encore plusgénéralement du produit social. Et cela non sans résultat : celanous a amenés à nier que la langue soit une fonction de l’individu,et à classer la langue dans le même ordre que la valeur, que le pro!

duit social. Mais que nous ayons rapproché ou écarté certaines

choses, c’est par un e voie extérieure que nous avons marché : nousn’avons pas été à son centre ; nous n’avons pas exploré de l’in!

térieur les caractères primaires, essentiels pour la fixation de lanature et de la place de la langue. Si l’on se demande, par le côtéintérieur, en prenant l’organisme de la langue, quels sont les carac!

tères Jes plus frappants de l'objet , il iàur signaler, pose qu’il soulève,dès qu’on le considère fondamentalement, deux questions qui

semblen t en contradicdon avec ce qu’on a dit - et ne son t d ’ailleurssignalées par personne ! C ’est la question des unités et la questiondes identités. » (E.1.242.1755.2R.30-31 ; G.31-32).Il s’agit donc d’aller d’une analyse des erreurs, à la

découverte du problème que pose le langage. Car une fois lelangage dégagé de tout ce qui n’est pas lui, on se trouve

devant un problèm e, sur lequel nous reviendrons bientôt.Mais ajoutons d’abord que deux problématiques majeures,et dont on ne comprend en général ni le sens ni l’impor!

tance, précisément parce quelles ont été isolées par lesrédacteurs duCours, relèvent de cette linguistique externe :la relecture de l’histoire de la linguistique et la discussionsur l’écriture, cette « idole de la linguistique ».

En ce qui concerne la première, il ne fait aucun doutequ’elle a pour objet de faire apparaître, à travers l’ampleurdes difficultés que rencontre toute hypothèse sur le langage,son caractère singulièrement problématique.

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« Pour prouver qu’il y a quelque chose de particulier, ilsuffit de considérer la linguistique depuis cinquante ans (elle-même sorrie de Ja grammaire comparée de Bopp). On est étonnédes idées fantastiques, mythologiques des savants vers 1840 et1860 sur la nature de l’objet de la linguistique. II faut don c quecet objet ne soit pas si simple. » (E.1.18.95.2R.2).

Or, nous avons vu que ce problème de l’objet rel qu ilressort de l’histoire de la linguistique n’est autre que celuide la ré alité de la langue. La « nouvelle école » de linguis!

tique reproche à l’ancienne d’avoir hypostasié une« entité abstraite », la « langue » 5. Mais la nouvelle écoleest devenue encore plus abstraite en se voulant plus concrète :ni Ton ne peut parler de la langue comme d’un organisme,ni l’on ne peut tout réduire au sujet parlant. C’est doncdans cette double exclusion h istorique que le concept saus-surien de langue va se construire.

La critique de l’écriture obéit à la même dialectiqueet pour les mêmes raisons. Les néogrammairiensreprochaient de même à l’ancienne grammaire d’avoir tra!

vaillé sur des textes ; or la variation historique du langagene s’explique selon eux que si l’on revient à ce qui constituela réalité du langage, les manières de parler6. Si Saussureaccorde d’un côté que l’on ne peut confondre les représen!

tations écrites de la parole avec le réel même du langage, cen’est pas cependant parce que ce réel se confondrait avec

l’activité phonatoire individuelle. Au contraire, si l’on peutreprésenter le langage parlé par l’écriture, c’est, nous le ver!

rons, parce qu’à certains égards l’écriture permet de saisir cequ’il y a denon-phonique dans l’activité phonatoire même.En ce sens l’écriture peut être considérée comme une forme

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de linguistique première, et la « critique » de l’écriture n’estpas différente de la critique des autres théories linguis!

tiques. Ainsi, lorsque Saussure dit de l’écriture quelle estmythologique, trompeuse, etc., il ne faut pas croire, avecJacques Derrida, qu’il lacondamne. Au contraire, il la réha!

bilite pour cette raison même, tout comme il réhabilite les

extravagances des «premiers généralisateurs ». Confondrela langue avec ses représentations écrites ou la traiter commeun organisme, cela permet au moins de saisir ce qui du lan!

gage n’est pas réductible à l’activité parlante. Si l’écriturepeut « contaminer » le langage, si elle peut entraîner desphénomènes que Saussure qualifie de « tératologiques »,c’est précisément parce que l’acte delire est de même natureque celui de parier. Le réel du langage se donne toujours lui-même dans ses propresidoles et c’est pourquoi la mise enévidence de l’impossibilité de choisir entre l’option quiprendrait ces représentations pour la réalité, et celle quiespérerait pouvoir d’un coup passer sous les représentationsdu langage, est un moment crucial dans la mise en évidence

du problème philosophique excessif posé par la linguistique.Ainsi l’analyse externe des « erreurs » aboutit-elle

naturellement à poser le problème interne : quel est donc cetobjetsi singulier de la linguistique, qu a-t-il pour susciter tantde pièges à ceux qui ont le malheur de prétendre le saisir ?

2 . À LA RECHERCHE DE L’OBJET CONCRET

La réponse de Saussure dans l’introduction dudeuxième cours est parfaitement claire, et le CLG la

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reprendra : « La langue présente donc ce caractère érrange etfrappant de ne pas offrir d’entités perceptibles de primeabord, sans quon puisse douter cependant quelles existent etque c’est leur jeu qui la constitue. » (CLG.149 ; cf. E. 1.242.1 7 5 3 .2R,35) . Mais qu entend-il par « unité concrète », par« saisissable de prime abord » ? On peut dire que le problèmede Saussure est le suivant : l’objet de la linguistique n’est pasobservable - et pourtant il existe. Le problème de la linguis!

tique, principe de son histoire si tourmentée, source de soncaractère si décevant, si dégoûtant même, est d’avoir un objetdont l’existence, quoique certaine, ne s’offre pas aux sens. Lacomparaison avec les fantômes n était donc pas fortuite, caril ne s’agit bien de rien d’autre que d’accorder l’existence àdes êtres immatériels.

« Dans la langue nous avons un objet, fait de natureconcrète. Ces signes ne sont pas des abstractions, tout spirituelsqu’ils soient7,n (E.1.44.263-3C.272).Avec la langue, nous aurions à faire à des êtres incor!

porels, mais réels et mêmesensibles. Saussure est conscient

de la difficulté du problème, mais aussi de son importance :« Si un linguistecomprenant le sens de la question nousprouvait qu’il existe dans la langue un premier objet tangible,absolument quelconque, mais antérieur à l’analyse et nonpostérieuràcelle-ci, (...) nous cesserions d’écrire8. » (ELG.227).Efforçons-nous donc, par une analyse approfondie

des termes, de comprendre la question.En quel sens, tout d ’abord, les objets des autres sciences

devraient-ils être « saisissables de prime abord » ?« Dan s la plupar t des domaines qu i son t objets de sciences,

cette question n ’a pas à se poser, ces un ités son t toutes données.Dans la zoologie, dans la botanique, l’unité de l’individu (être,

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plante) est un e chose offerte d’emblée, assurée comme une basedès le premier instant ; ce sont les unités appeléesunités concrètes (qui n’ont pas besoin d’une opération de l’esprit pour exister).C ’est la comparaison de ces un ités qui fera l’objet de ces scienceset non pas leur définition, leur délimitadon . Si ce n’est pas la bêtequi est l’unité, ce sera par exemple la cellule ; mais elle est donnéeelle aussi. » (E.1.241. 1745.2C,26 ; CLG.149).

Il semblerait donc que Saussure soutienne (en oppo!sition frontale avec lepistém ologie constructiviste qu’on luia longtemps attribuée) que l’objet des sciences expérimen!

tales n’est autre que la réalité immédiatement visible. AinsiJa zoologie - et sans douce pense-t-il à l’histoire naturelle -partirait des organismes visibles des animaux, et chercherait

à les « comparer » sur le fond de leurs ressemblances et leursdifférences, afin de les classer en genres et en espèces. Onest alors tenté de retourner contre Saussure ses propresarguments apocryphes. Ne sait-on pas qu’une grande partiedu travail scientifique est dans la définition de l’objet ?L’idée d’une singularité de la linguistique qui révélerait uneontologie nouvelle semble être un effet d’optique dû à uneepistémologie particulièrement faible. La mention de la cel!

lule, cependant, nous suggère qu’il s’agit d’autre chose. Eneffet celle-ci n’est pas visible à l’œil nu, et suppose uneconception de la « zoologie» qui n’a rien à voir avec cellede Linné. Il faut pour l’établir des procédures relativementcomplexes. Mais il n’empêche quelle « est donnée elle

aussi ». Que quelque chose soit donné signifie tout simple!ment qu’il ne suffit pas que nous le pensions pour que çaarrive. Le propre des « objets » construits par les sciencesexpérimentales est de permettre de faire la différence entrece qu’on pense et ce qu’on sent. La notion d’expérience

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pour Saussure, comme d’ailleurs pour Kant ou ClaudeBernard, renvoie fondamentalement à une dimension p as!sive de l’esprit. Les « unités concrètes » sont celles « quin’ont pas besoin d’une opération de l’esprit pour exister ».

« Entité : essence, ce qui constitue un être (c’est la défi!

nition du dictionnaire). Dans certains domaines de science,on a devant soi des êtres organisés et on parlera d’être. Dansdes domaines comme celui de la langue, on ne peut pas direque les différen ts êtres s’offrent du coup au regard : il fautchoisir un mot. Entité' est pour nous aussi :l'être qui se

présente. Dans la langue prise face à face, sans intermédiaires,il n’y a ni un ité, n i entitésdonnées. Il fa u t un effort pour saisir * ce qui forme les diverses unités contenues dans la langue oupou r éviter de prendre comme entités linguistiques ce qui son tdes entités d’un autre ordre. Nous ne sommes pas en faced’êtres organisés ou de choses matérielles. Nous sommes trèsmal placés avec la langue pour voir les entités réelles puisquele phénomèn e de la langue est intérieur et fondamen talementcomplexe. Il suppose l’association de deux choses : Je conceptet l’image acoustique. C’est pourquoi on peut dire qu’i l fau t

une opération positive et l’application de l'attention pour discernerles en tités au sein de la masse que form e la langue. »(E. 1.235.1710 .3C,285).Saussure écrivit dans ses cahiers : « Les premières et

les plus irréductibles entités dont peut s’occuper le linguistesont déjà le produit d ’une opération latente de l’esprit », etc’est pourquoi on ne peut y découvrir « d’êtres (ou de quan!

tités) déterminés en eux-mêmes » (ELG.23). Cela signifieque tout, dans le phénomène du langage, est psychique,c’est-à-dire non seulement lesens, mais aussi lesigne.

« Il y a, malheureusement pour la linguistique, troismanières de se représenter le mot :

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La première est de faire du mot un être existant complète!

ment en dehors de nous, ce qui peut être figuré par le motcouché dans le dictionnaire, au moins par l’écriture ; dans ce casle sens du m ot devient un attribut, mais un e chose distincte dumot ; et les deux choses sont dotées artificiellement d’une exis!

tence, par cela même à la fois indépendantes l’une de l’autre etindépendantes chacune de notre conception ; elles deviennent

l’une et l’autreobj ectives et semblent en outre constituer deuxentités.La deuxième est de supposer que le mot lui-même est

indubitablement hors de nous, mais que son sens est en nous ;qu’il y a une chose matérielle, physique, qui est le mot, et unechose immatérielle, spirituelle, qui est son sens.

La troisième est de comprendre que le mot pas plus que

son sensri existe hors de la conscience que nous en avons, ouque nous voulons bien en prendre à chaque moment. Noussommes très éloignés de vouloir faire ici de la métaphysique. »(ELG.82).Que Saussure se déclare éloigné de toute méta!

physique veut dire qu’il s’agit d’une propositionsingulière concernant la linguistique, et non pas d’une propositiongénérale quant à la possibilité ou l’impossibilité en principed’atteindre à une vérité objective sur la réalité du mondeextérieur. L’objet de la linguistique, pour des raisons spéci!

fiques, force à entrer dans des considérations qui relèvent dela métaphysique, notamment à reprendre l’antique problèmedes Catégories d’Aristote, celui du rapport entre la forme du

jugement et le statut on tologique de ce don t on parle.« ÊTRE.Rien ri est, du moins rien n’ftfabsolumen t (dans le

domaine linguistique).La forme élémentaire du jugem en t : « ceci est cela »

ouvre la porte aussitôt à mille contestations, parce qu’il faut

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dire au nom de qu oi on distingue et délimite « ceci » ou« cela », aucun objet n’étant naturellement délimité ou donné,aucun objetri é tant avec évidence.

SUBSTANCE LINGUISTIQUE.- Nous tendons perpétuelle!

ment à convertir par la pensée en substance les actions diversesque nécessite le langage.

Il semble nécessaire dans la théorie même d’épouser cetteconception.

Il y aura quatre genres de « substance » linguistique, cor!

respondan t aux quatre formes d’existence de la langue.Il n’y a poin t à admett re de substance fondamen tale, rece!

vant ensuite des attributs.TERME (cf. ÊTRE). - Il n’y a aucun terme définissable et

valable hors d’un point de vue précis, par suite de l’absence

totale d’êtres linguistiques donnés en soi. » (ELG.81).On voit que la célèbre thèse selon laquellece n’est pas l'objet qui détermine le poin t de vue, m ais le poin t de vue qui détermine l’objet ne doit pas être comprise comme unaxiome épistémologique général, mais comme une thèsedéduite dela nature de l'objet linguistique lui-même, plusprécisément du fait que l’entité linguistique ne saurait exis!

ter en dehors d’un acte de l’esprit.« Rappelons-nous en effet que l’objet en linguistique

n’existe pas pour commencer, n’est pas déterminé en lui-même.Dès lors parler d’un objet, nommer un objet, ce n’est pas autrechose que d ’invoquer un poin t de vue A déterminé. » (ELG.23).

« C’est ainsi qu’on ne cesse en linguistique de considérer

dans l’ordre B des objets a qui existent selon A, mais pas selonB ; dans l’ordre A des objets b qui existent selon B mais passelon A, etc.

Pour chaque ordre en effet on éprouve le besoin de déter!

miner l’objet ; et pou r le déterminer on recourt machinalement

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à un second ordre quelconque, parce qu’il n’y a pas d’autremoyen offert en l’absence totale d’entités concrètes : éternelle!

ment donc le grammairien ou le linguiste nous donne pourentité concrète, et pour entité absolue servant de base à sesopérations, l’entité abstraite et relative qu’il vient d’inventerdans un chapitre précédent.

Immense cercle vicieux, qui ne peut être brisé qu’en

sub stitu an t une fois pou r tou tes en linguistique la discussiondes points de vue à celle des “ faits ”, puisqu’il n’y a pas lamoindre trace de f ait linguistique, pas la moindre possibilitéd’apercevoir ou de déterminer un fait linguistique hors del’adoption préalable d’un point de vue. » (ELG.24-25).Ce qui esc impossible en linguistique, c’est la séparation

du moment de l’observation et du moment de l’interprétation,

ou encore de l’expérience et de la théorie. L’observateur nepeut jamais s’assurer que ce qu’il observe n’est pas produitpar ce qu’il pense : il est à la fois juge et partie. Le passagedes notes inédites sur le mot le disait bien : « Le mot pasplus que son sens n’existe hors de la conscience que nous enavons, ou que nousvoulons bien en prendre à chaque

moment », comme si l’existence de son objet dépen dait tou!

jours plus ou moins dubon vouloir du linguiste. Et celan’est pas sans poser quelques problèmes concrets aux lin!

guistes qui bien souvent neveulejitpas admettre l’existenced’une forme que leurs collègues tiennent pour faire « partiede la langue », comme on le constate paraît-il lors de leurscongrès (cf. Labov.1972.267). Jean-Claude Milner a bienraison de remarquer qu’en ce sens « la linguistique pousse àson accomplissement le type des professions que Valéry dit“ délirantes ” (...) en ceci que les pratiquants de ces profes!

sions ne se supportent que d’un réel qui n’est proprement

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reconnu que par eux. La langue ainsi esc un réel, mais il esctemps d’ajouter que la nature en est bien singulière. »(Milner. 1978.44). Il y a comme uneSchw armerei essentielleà la pratique de la linguistique, du fait de labsence d’objetdonné. On comprend que la langue se donne d’emblée dansses « idoles » : comment ne prendrions-n ous pas nosreprésentations des choses pour les choses elles-mêmes,

atcendu que ces « choses » sont de telle nature qu’on nepeut les séparer de nos représentations ? Mais commentfaire la science d’un objet dont on ne peut séparer ce quel’on en pense de ce qu’il est ?

D ’autant que la linguistique n on seulement ne saurait fin ir par trouver un objet donné, mais ne trouve même de

« point de départ » dans aucune réalité donnée. Par là elleperd tout caractère expérimental. Les sciences expérimen!

tales supposent non seulement comme horizon la séparationdu donné et du construit, mais aussi un donné qui, aussimal découpé soit-il, n’en est pas moins donné en dehorsde toute opération de l’esprit. Le biologiste utilise untissu donné, pour mettre en évidence, par des procédésde coloration ou d’électrification, une cellule ; le chimiste partd’une substance donnée, pour l’analyser et faire apparaître sanature chimique. Quelle est la substance du linguiste ?

« absolument rien ne saurait déterminer où est l’objetimmédiat offert à la connaissance dans la langue (ce qui esc unefatalité de notre science). Dans toute autre science les objets

tomben t au moins momentanémen t sous les sens, d’où l’on partpour les analyses en gardant mainmise sur eux. » (ELG.227).

« L’idée que pour voir ce qui est au fond des formes il n’ya que “d’analyser ces formes”, comme on analyse une substance

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chimique ou comme on dissèque, recouvre un monde denaïvetés et de conceptions étonnantes. (...) l’objet n’est pasanalysable avant d’avoir une existence définie. Ainsi il faut serendre compte des conditions dans lesquelles existe une chosecomme une forme. » (ELG.232).

« Y a-t-il une chose qui soit l’analyseanatomique du m ot ?

Non. Pour la raison suivante : I’anatomiste sépare dans un corpsorganisé des parties quiaprès abstraction de la vie sontnéan!

moins le f ai t de la vie. An atomiquem ent l’estomac est une chose,comme il l’était ph ysiologiquement pen dan t la vie : c’estpourquoi l’anatomiste ne fait pas passer son couteau par lemilieu de l’estomac, il suit tout le temps les contours, dictés etétablis par la vie, qu i le conduisent autour de l’estomac et i’em-

pêchent en même temps de confondre avec lui la rate, ou autrechose... Prenons maintenant le mot privé de vie (sasubstance

ph on ique) : forme-t- il encore un corps organisé ? À aucuntitre, à aucun degré. (...)apodeixtos n’est plus qu’une masseamorphe. » (ELG.257).Ce qui fait défaut au linguiste, ce n’est pas seulement

la possibilité de construire des procédures d’objectivationdu langage, mais de manière beaucoup plus liminaire lapossibilité de déterminer un phénomène de langage en lui-même. On voit bien combien est erronée l’interprétationqui voudrait qu’on aille de la « matière » qu’est le langage,à F « objet » que serait la langue, par une sorte de purifica!

tion théorique ou de rupture épistémologique :le problème de l ’objet consiste précisément en ceci qu’aucune matière, aucune substance du langage n’est donnée. Ce n’est que dupoint de vue de la langue, ou plutôt des différents points devue en lesquels se divise la réalité linguistique, que nous

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pouvons avoir ne serait-ce que lesentiment de n ous trouverface à des phénomènes.

Si on ne peut séparer la substance de son analyse, lachose de ce qu’on en pense, c est qu’on ne peut séparer le par!

ticulier du général, l’individuel de l’universel, afin de procéderà une inducdon ou à la mise à l’épreuve d’une hypothèsegénérale sur un cas particulier ayant valeur d’exemple :

« On n’a jamais le droit de considérer un côté du langagecomme antérieur et supérieur aux autres, et devant servir depoin t de départ . O n en aurait le droit, s’il y avait un côté qui futdonné hors des autres, c’est-à-dire hors de toute opération degénéralisation et d’abstracdon de notre part ; mais il suffit deréfléchir pour voir qu’il n’y en a pas un seul qui soit dans cecas. » (ELG.197-198).

« Or il y a ceci de primordial et d’inhérent à la nature dulangage que, par quelque côté qu’on essaie de l'attaquer —justi!

fiable ou non -, on ne pourra jamais y découvrird'individus, c’est-à-dire d’êtres (ou de quantités) déterminés en eux-mêmessur lesquels s’opèrentensuite une généralisation. Mais il y aD’ABORDla généralisation, et il n’y a rien en dehors d’elle : or,

comme la généralisation suppose un point de vue qui sert decritère, les premières et les plus irréductibles entités dont peuts’occuper le linguiste son t déjà le produit d’une opération latentede l’esprit. Il en résulte immédiatem ent que toute la linguistiquerevient non pas 0 niais matér iellement à la discussion des pointsde vue légitimes : sans quoi il n’y a pas d’objet . » (ELG.23).La thèse de Saussure est particulièrement radicale :

un événement linguistique n’arrive ici et maintenant queparce qu’il implique en lui une généralité. C’est cettegénéralité qui est en tant que telle contextualisable : c’est àtelle heure, à tel moment, dans tel contexte que j’ai dit : « Je

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le j Lire »... Ceci esc bien un événement linguistique, mais laphrase « je le jure » est en elle-même générale. Elle nesaurait être obtenue par induction, en généralisant unensemble de cas similaires. Etrange renversement de l’ordredes choses : ce n’est plus le particulier qui rend possible laconstruction de la généralité, c’est la généralité qui permetde faire exister un événement particulier.

C’est précisément dans ce contexte qu’il faut com!

prendre la célèbre thèse de Saussure, à savoir que c’est lalangue qui permet de donner à l’objet de la linguistiqueune cohérence et un statu t non équivoque. La langue n’estpas l’objet construit de la linguistique, mais la conditioneffectuée de fait pour que le langage puisse être un objet,

pour qu’il y ait quelque chose comme un phénomène ouune expérience linguistique. Saussure, loin de chercher àdéterminer, à partir d’un donné phénoménal hétéroclite,un objet scientifique homogène, s’efforce de montrer querien de phénoménal n’est donné à défaut d’une positionréelle de la langue.

« Sans séparer immédiatement les mots de langue et delangage, où trouvons-nous le phénomène concret, complet,intégral de la langue ou du langage ? c’est-à-dire où trouvons-nous l’objet devant lequel nous avons à nous placer ? avec tousses caractères provisoirement con ten us en lui et non analysés ?C’est une difficulté qui n’existe pas dans telle ou telle autre dis!

cipline que de ne pas avoir devant soi la matière devant laquelle

on doit se placer.Ce serait un e erreur de croire que c’est en prenant ce qu’ily a de plus général qu’on aura cet objet intégral, complet.L’opération de généralisation suppose justement l’abstraction,suppose qu’on a déjà pénétré dans l’objet à étudier de manière

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à en tirer ce qu’on déclare être ses traits généraux. Ce qu’il y ade général dans le langage, ce ne sera pas ce que nous cherchons,c’est-à-dire l’objet immédiatement donné. Mais il ne faut passe m ettre non plus devant quelque chose de partiel. »(E.1.24.123.3C,10).Ce texte montre deux choses. D ’abord que c’est bien la

« matière » même qui fait défaut en linguistique. Ensuite que

la relation entre la langue et la parole ne saurait se concevoircomme la relation entre un acte particulier et une chosegénérale, à la manière d’une abstraction. Car le problèmen’est pas ce qu’il y a en commun entre plusieurs actes delangage, mais bien que ce qui constitue un acte de langageparticulier comme quelque chose ded onn é n’est pas dif !

férent de ce qu’il a de commun avec d’autres. C’est cettefaillite liminaire de l’induction qui détermine la nécessitéde construire le concept delangue. Ce qu’il y a de concretou de réel dans un acte de langage, c’est ce qu’il y a de lin!

guistique. Sans cela, ne disons pas que cet événement n’estpas linguistique, disons qu’il n’existe pas, tout simplement.Il faut « séparer immédiatement » la langue et le langagepour pouvoir se donner « le phénomène concret, complet,intégral », « devant » lequel nous pourrons nous « placer »,et que nous pourrons dès lors considérer comme la« matière » de la recherche linguistique. La langue est uneprésupposition nécessaire et de fait toujours réalisée grâce àlaquelle nous nous donnons sans cesse ce champ de

phénomènes qu’est le langage.On pourrait cependant nous objecter que nous

n’avons fait jusqu’à présent que citer les textes de Saussurequi l’affirment, mais que nous n’avons encore rien véritable-

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ment expliqué, ni encore moins donné le moindre argumentdigne de ce nom. Il nous faut donc maintenant montrer quela position de l’hypothèse de la langue est coextensive à unmouvementcri tique qui fait apparaître cette présupposition defait à partir d’une analyse du phénomène même du langage.

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CH APITRE IIL’IMMATÉRIALITÉ DU LANGAGE

L’introduction au problème ontologique du langagesuppose un mouvementcri tique : il faut montrer que lesapproches théoriques du langage qui prétendent en faire unobjet concret présupposent en réalité l’existence deslangues, bien qu’elles ne s’aperçoivent pas de cette « opéra!

tion subreptice », parce quelle est l’opération même dessujets parlants de tous les jours. Cette critique vise en fait,implicitement ou explicitement, les néogrammairiens,puisque ce sont eux qui prétendirent faire de l’étude del’activité parlante des individus sous son double aspect,physiologique et psychologique, l’objet concret de la lin!

guistique. Mais il s’agit d’établir d’une manière généralequ’il est impossible de trouver dans l’acte phonatoire la réalitéconcrète, observable, mesurable de l’activité linguistique.

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L’argumentation se déroule en trois étapes : chacune montrequ’une pr opr ié té que l’on croit pouvoir attribuer au langagepour ainsi dire de l’extérieur, c’est-à-dire à des faits de langaged’abord donnés, s’avère en réalité une dimension intérieuredu phénomène lui-même, de ce qui est ou de ce qu’on croitdonné. Ainsi le fait d’être associé à autre chose (dualité), lefait d’être répété de manière plus ou moins correcte (iden!

tité) et le fait d’être délimité, d’avoir un commencement etune fin (unité), ne peuvent être considérés comme des pro!

priétés qui s’ajouteraient à un acte de langage donné, maissont au contraire des conditions qui permettent de ledéfinir : contrairement à l’ensemble des faits de ce mondeque l’on appellematériels, un fait de langage esten soi « double », en soi « général » et en soi « analysé ». Bref, lelangage est immatériel.

1. L e s d u a l i t é s

La première objection à la prétention de faire del’acte phonatoire individuel la base ou la matière del’analyse linguistique est la suivante : si l’on peut accorderqu’un tel objet est bien concret, on peut douter en revanchequil soit « complet ». Dans les tout premiers passages dudeuxième cours, la première raison que Saussure invoquait

pour expliquer le caractère insituable de la linguistiqueparmi les sciences était précisément ladualité de son objet,c’est-à-dire du langage :

« Raison de cette difficulté : De quelque côté qu’onprenne la langue, il y a toujours un double côté qui se correspond

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perpétuellement, dont une partie ne vaut que par l’autre. »(E.1.27.133.2R.2).

« Ainsi de suite en avançant , on voit que [si on] ne prendla langue que par un bout au hasard, on est loin d’avoir toutle phénomène devant soi. Il peut sembler après avoir abordél’étude de plusieurs côtés à la fois que la langue ne se présentepas d’une façon homogène, mais comme un assemblage dechoses composites qu’il faut étudier par ses différentes piècessans qu’on pu isse en étudier l ’ob jet intégral. » (E.1.30 .149.3C.11 ; IC1SS).La d ifficulté à saisir « l’objet immédiatem en t

donné » résulte ainsi d’une oscillation qui nous laisse avec

un objet seulement partiel lorsque l’on veut étudier uneréalité concrète, ou avec une abstraction de linguiste, lorsqu’onveut tenir ensemble toutes les dimensions du langage.

La première raison invoquée par Saussure en faveurde cette dualité est la nécessité de tenir compte dè la signi!

fication pour déterminer un signe linguistique.

« La linguistique rencontre-t- elle devan t elle, commeobjet premier et immédiat, un objetd onn é, un ensemble dechoses qui tombent sous le sens, comme c’est le cas pour laphysique, la chimie, la botan ique, l’astronomie, etc. ? En aucunefaçon et à aucun moment : elle est placée à l’extrême oppositedes sciences qui peuvent part ir de la donnée des sens.

Une succession de sons vocaux, par exemplemer (m +e+r)

est peut-être une entité rentrant dans le dom aine de l’acoustiqueou de la physiologie -, elle n’est à aucun titre, dans cet état, uneent ité linguistique.

Une langue existe si à wz+f+rs’attache une idée.De cette constatation assurément tout à fait banale il suit

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1° qu’il n’y a point d’entité linguistique qui puisse êtredonnée, qui soit donnée immédiatement par le sens ; aucunen’existant hors de l ’idée qui peu t s’y at tacher ;

2° qu’il n’y a point d’entité linguistique parmi celles quinous sont donn ées qui soitsimple, puisque étant réduite mêmeà sa plus simple expression elle oblige de tenir compte à la foisd’un signe et d’un e signification, et que lui contester cette dualité

ou l’oublier revient directement à lui ôter son existence linguis!

tique, en la rejetant par exemple dans le domaine des faitsphysiques ;

3Qque si l’unité de chaque fait de langage résulte déjàd’un fait complexe consistant dans l’union des faits, elle résultede plus d’une union d’un genre hautement particulier : en cequ’il n’y a rien de commun, dans l’essence, entre un signe et cequ’il signifie ;

4° que l’entreprise de classer les faits d'une langue se trouvedonc devant ce problème : de classer desaccouplements d'objets hétérogènes (signes-idées), nullement, comme on est porté à lesupposer, de classer des objets simples et homogènes, ce quiserait le cas si on avait à classer des signes ou des idées. II y adeux grammaires, dont l’une est partie de l’idée, et l’autre dusigne ; elles son t fausses ou incomplètes toutes deux. »(ELG. 19-20).

« À tout moment il arrive qu’en réalité on ne se meuveque dans une des parties du signe linguistique en croyant semouvoir dan s le tou t et alors on ne sera plus devant des entités

linguistiques. Ainsi si nous prenons le côté matériel, la suite desons, elle ne sera linguistique que si elle est considérée commele support matériel de l’idée : mais envisagé en lui-même (lecôté matériel) c’est une matière qui nest pas linguistique,matière qui peut seulement concerner l’étude de la parole, si

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phénomène physiologique de l’articulation. La forme n estpas une réalité empirique à laquelle l’esprit viendraitattribuer une certaine valeur sémantique, car la dualitéentre la forme et le sens se répète dans la forme elle-même,comme une autre dualité, celle de l’acoustique et du phoné!

tique. On ne peut même jamais admettre un phénomène

sur un plan si l’on ne repère pasen même temps unphénomène différent sur un autre plan.« Ainsi les syllabes qu’on articule ne sont-elles pas dans le

son, dans ce que perçoit l’oreille ? Oui, mais les sons ne seraientpas existants sans les organes vocaux. Don c si on vou lait réduirela langue au son, on ne pour ra la détacher des articulations buc!

cales ; et réciproquement, on ne peut même pas définir les mou!

vements de l’organisme vocal en faisant abstraction de l’imageacoustique. Cette correspondance est un piège : tantôt onn’apercevra pas la dualité, tan tôt on ne s’occupera que de l’un descôtés (ainsi dans le phonème IC : deux côtés qui ne font qu’unpar leur correspondance). » (E.1.27.134-136.2R,3 ; G.7).

« En prenant à la fois ce qu’il peut y avoir dans le langageà la fois de plus matériel, de plus simple et de plus indépendan tdans le temps, par exemple « le groupeak a » ou « la voyellea »préalablement dégagés de toute signification, de toute idéed’emploi, cela ne représente rien qu’une sérieà!actions (physio-logico-acoustiques) que nous jugeon s concordantes. À l’instantoù nous les jugeons concordantes nous faisons deak a ou a une

substance. » (ELG.197).La figure vocale n’est donc ni la réalité acoustique, nila réalité physiologique, mais plutôt l’identité des deux.Aussi est-elle tout autant « psychique », tout aussi peu« donnée immédiatement » aux sens, que le « signe en

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totalité », car elle est elle aussi une association, soutenue parune « opération de l’esprit ».« II en est de la ph on ologie comme il en est de la linguis!

tique et com me il en sera de toute discipline ayant le malheurde courir sur deux ordres de faits séparés où la corrélationseule créele f ai t à considérer. De même que nous affirmeronsailleurs qu’il est grandement illusoire de supposer qu’on peutdiscerner en linguistique un prem ier ordre :SONS,et un secondordre :SIGNIFICATIONS,par la simple raison que le fait linguis!

tique est fondamentalement incapable de se composer d’uneseule de ces choses et réclame pour exister à aucun instan t uneSUBSTANCE, NI DEUX SUBSTANCES,de même le fait mécaniqueet le fait acoustique, situés chacun dans sa sphère ne représen!

ten t le fait ph onologique, d on t n ous sommes obligés de partiret auquel il faut revenir ; mais que c’est la forme continuellede leur corrélation que nous appelons fait ph on ologique. »(ELG.238).La dualité du « son » et du « sens » n’est donc qu’un

aspect de la « dualité incessante qui frappe jusque dans leplus infime paragraphe d’une grammaire » (ELG.19), de

ce « dualisme profon d ». (ELG.20), qui fait que « la loi deDualité demeure infranchissable. » (ELG.298). Il ne s’agitdonc pas encore d’une thèse sémiologique, qui relèveraitd’un postulat de Saussure concernant la fonction du langage,mais bien d’une thèse sur les conditions qui permettentde se donner un fait de langage. Le langage est phona!

toire et sémantique, individuel et social, synchronique etdiachronique : sa seule propriété empirique évidente,c’est d’être multiple et divisé, « hétéroclite » comme ledira Saussure, de ne pouvoir être réduit à un seul planphénoménal.

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Il importe de souligner la constance du vocabulaire.Saussure appelle « substan ce » un plan phénoménalhomogène. Le critère de cette homogénéité est la causalité.Si l’on ne peut appliquer une méthode expérimentale aulangage, c’est que la combinaison complexe de p lusieurs

phénomènes ne saurait relever d’un seul registre decausalité.« Il y aurait de la naïveté à vouloir édifier une phonologie

sur la supposidon que le fait physiologique est la cause dont lesfigures acoustiques son t l’effet ; car si cela est vrai physiquemen t,il est tout aussi clair, dans un autre sens, que ce son t les figuresacoustiques à produire qui sont la permanentecause de tousmouvements physiologiques exécutés. On ne peut pas plus sedébattre contre la première vérité que contre la seconde ; ellessont d’égale force et défient toute tentative qui aboutirait àvouloir se débarrasser de l’une d’elles. Il ne reste qu’à recon!

naître leur solidarité et à voir que cette solidarité est la basemêm e du faitPHONATOIRE,ce qui fait qu’on peut le distinguersoit du fait physiologique soit du fait acoustique. Nous recon!

naissons ainsi que le fait phonatoire ne commence ni dansl’ordre acoustique ni dans l’autre physiologique, mais

représente, de sa plus essentielle nature, une balance entre lesdeux, constituant un ordre propre, qui réclame ses lois propreset ses unités propres.

L’idée qu ’une telle concept ion ait quelque chose de bizarremontrerait simplement, si elle venait d’un linguiste, que celinguiste n’a jamais réfléchi à une autre chose qui l’intéresse plusdirectement à savoir la nature d’un f ait linguistique. De même

que le fait phonologique (qui n’est d’ailleurs à aucun degrélinguistique) repose tout le temps sur la balance.

Au lieu de parler de causes et d’effets, ce qui supposequ’on part de l’un de deux ordres, parlonsà'équivalences dan s lemême temps et tout sera exprimé. » (ELG.249).

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À rout moment il arrive qu’en réalité on ne se meuve quedans une des parties du signe linguistique en croyant se mouvoirdans le tout et alors on ne sera plus devant des entités linguis!

tiques. ». (E. 1.231 .1690.3C,287 ; IC291).On voit que la manœuvre de Saussure à l’égard de ses

maîtres est « rétorsive » : c’est uniquement p ar abstraction que l’on peut faire d’un domaine phénoménal du langageun ensemble de phénomènes donnés en eux-mêmes et poureux-mêmes 1; la réalité concrète du langage force elle-même à renoncer à l’espoir de trouver unesubstance non analyséedu langage. Les objets du linguiste supposent sa participa!

tion active dans leur construction : associer signifie ici nonpas passer d’un terme à l’autre, mais ne pouvoir reconnaître

un terme qu’à la condition que l’autre soit aussi « présent ».On comprend au passage le caractère central que Saussureattribue à la thèse de l’arbitraire du signe : car si la relationentre les deux termes physiques étaitcausale, elle ne néces!siterait pas pour exister une « opération de l’esprit », leproblème même du langage disparaîtrait et Saussure devrait

donc « cesser d’écrire ».

2 . L e s i d e n t i t é s

Le deuxième argument critique est celui des iden!

tités. Loin quon puisse fonder un jugement d’identifica!

tion entre plusieurs actes de langage sur une observation dece que chacun est, un acte de langage particulier nest unfait que dans la mesure où il se présente d’emblée lui-mêmecomme la répétition d’actes identiques. L’identité n’est pas

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une propriété secondaire qui viendrait s’ajouter à une col!

lection d’événements, mais le principe même qui permet deproduire chacun de ces événements.

« §1. L’identité dans l’ordre vocalQuand j’ouvre deux fois, crois fois, cinq cents fois la

bouche pour prononceraka, la question de savoir si ce que jeprononce peut être déclaré identique ou non identique dépend

d’un examen.§2. Les entités de l’ordre vocalII est immédiatement visible que les entités de l’ordre vocal

ou bien consistent dans l’identité que nous venons de considérer,par conséquent dans un fait parfaitement abstrait, ou bien neconsistent en rien et ne son t nulle part.

Les faits de parole, pris en eux-mêmes, qui seuls cer!

tainement sont concrets, se voient condamnés à ne signifierabsolument rien que par leur identité ou leur non-identicé. Lefait par exemple queak a est prononcé par telle personne à uncertain endroit et à un certain moment , ou le fait que mille per!

sonn es à mille endroits et à mille moments émettent la successionde sonsaka, est absolument le seul fait donné : mais il rien estpas moins vrai que seul le faitABSTRAIT,l’identité acoustique deces aka, forme seul l’endté acoustiqueak a : et il n 'y a pas àchercher un objet premier plus tangible que ce premier objetabstrait.

(Il en est de même d’ailleurs pour touteentité acoustique,parce quelle est soumise au temps ; 1° prend untemps pour seréaliser, et 2° tombe dans le néant après ce temps. Par exemple

une composition musicale comparée à un tableau. Où existe unecomposition musicale ? C’est la même question que de savoir oùexisteaka. Réellement cette composition n’existe que quand onl’exécute ; mais considérer cette exécution comme son existenceest faux. Son existence, c’est X identité des exécutions.)

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(...) d’emblée il devient impossible de raisonner sur desINDIVIDUS donnés, pour généraliser ensuite ; au contraire il fautcommencer par généraliser en linguiste, si l’on veut obtenirquelque chose qui tienne lieu de ce qu’est ailleurs l’individu. »(ELG.31-33).On peut cependant ici à nouveau avoir le sentiment

que cet argument, comme celui des dualités, repose sur unepétition de principe concernant la fonction sémiologiquedu langage, à ceci près que le signe n’est plus l’associationentre deux termes hétérogènes, mais ce qui est par naturedestiné à être répété, réutilisé. Le raisonnement serait enquelque sorte le suivant. S’il y a langage, c’est que les sujetsparlantsidentifient\ts mêmes signes : Jacques disant « bon!

jour » et Paul disan t « bonjour » disen t tous les deux lamême chose, même si c’est sur un ton différent, avec desintentions différentes, dans un contexte différent. Ils disent la même chose : non pas au sens où ils cherchent à transmettrela même signification, mais au sens où ils utilisent le mêmesigne, qui nous permet éventuellement de nous informer

sur la signification quils veulent transmettre. On ne peutdonc considérer comme une réalité linguistique un acte deparole individuel séparé des autres, parce que l’acte deparole est intrinsèquement un acte qui se veut identique àd’autres actes de parole. Ce qui est linguistique n’est doncpas l’événementhic et nunc de parole, mais l’opération del’esprit qui consiste à identifier ces actes de parole les unsavec les autres.

Mais cette conclusion reposerait sur une définitiondu langage comme fonction sociale. Il semble en être ainsidans le passage du troisième cours que les éditeurs du CLGont repris pour introduire la notion de langue :

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« Considérons dans les sphères diverses où se meut lelangage la sphère spéciale qui correspond à ce qui esc pournous la langue. Ces sphères ont à être observées dans l’acteindividuel. L’acte individuel quand il s’agit de langage supposedeux individus. On aura ainsi au complet ce que l’on peutappeler le circuit de la parole.

( .. .) Si tout en restant dans le cas individuel on considère cemême circuit pour tous les mots, pour toutes les occasions répétéesqui se présenteront, il faudra ajouter une case, une opération decoordination régulière dès qu’il y aurait pluralité d’images verbalesreçues pou r cet ensemble qui arrive peu à peu à la conscience. Ellesentreront dans un certain ordre pour le sujet.

Par cette coordination nous approchons de l’idée de la

langue, mais encore à l’état individuel.2° L’acte social ne peutrésider que chez les individus additionnés les uns aux autres,mais comme pour tout fait social, il ne peu t être considéré horsde l’individu. Le fait social, ce sera une certaine moyenne quis’établira, qu i ne sera sans dout e complète chez aucun individu.

Quelle partie du circuit peut don ner lieu à cette capitali!

sation cristallisation sociale ?

(...) L’exécution restera individuelle, c’est là que nousreconnaîtrons le domaine de la parole. C’est la partie réceptive etcoordinative qui est sociale, voilà ce qui forme un dépôt chez lesdifférents individus, lequel arrive à être appréciablement conformechez tous les individus. » (E.1.37.194.3C,266sq. ; IC277sq.).Sa u ssu r e d é f in it le la n g a ge i m m é d i at e m e n t d a n s u n e

sit u a t io n d e c o m m u n i ca t io n e n t r e p l u sie u r s in d i v id u s,p o u r en dé du i r e l a q u es t ion : « où » son t r éa li sée s ces« id e n t i t é s » q u i p e r m e t t e n t à ce s in d i v i d u s d e r e c o n n a ît r e ,dan s l eur s per fo rm an ces d i ffé ren tes, d es cas par t i cu l ie r s d 'u nfa it iden t iqu e ? La n écessit é de po stu le r l a lan gue sem blen’ê tr e ic i, com m e le p r é te n d d ’a illeur s tou t e u n e t r ad i t ion de

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lecture de Saussure, que la conséquence d’uned éf ini tion apriori du langage comme fonction sociale de communication.

Mais en réalité, de même que le caractère « signifiant »du langage n’est qu’une conséquence parmi d’autres de sa« dualité » essentielle, de même son caractère « communi-cationnel » nest qu’une conséquence de sa « généralité »essentielle. Il n’y a pas, en effet, de différence entre deuxoccurrences d’un même signe chez deux individus dif !

férents, dans deux contextes différents, etc., etchez un seid et même individu dans un seul et même discours.

« Un orateur parle de la guerre et répète quinze ou vingtfois le motguerre. Nous le déclarons identique. Or chaque foisque le m ot est pron on cé, il y a des actes séparés. »

(E.l .244.1764.3C.294 ; IC.294).Dans les notes qu’il avait préparées pour ce cours,

Saussure s’était proposé l’exemple suivant : « La guerre,vous dis-je, la guerre ! » (id.N32.4.). Dans la même phrase,donc, dans la bouche du même individu, la répétition d’unsigne est un nouvel événement « concret », « un nouvelacte phonique et aussi un nouvel acte psychologique ». Sil’identité des faits de langage pose un problème, ce n’estpas dû à leur fonction, mais à leur nature. Saussure veutavant tout montrer quelle ne repose pas sur la continuitésubstantielle d’une chose, mais sur le fait que plusieurs réalitésconcrètes substantiellement différentes sont considéréescomme autant de répétitions les unes des autres. Alors quela permanence d’une chose peut constituer le fondementde son identité, le lien entre deux actes de langage relèved’emblée d’unecomparaison, autrement dit d’une « opéra!

tion de l’esprit ».

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« L’objet qui sert de signe n’est jamais “le même” deuxfois : il faut dès le premier momen t un examen ou une conven!

tion initiale pour savoir au nom de quoi, dans quelles limitesnous avons le droit de l’appeler le même ; là est la fondamen taledifférence avec un objet quelconque, et la première source trèssimple Q2. - Par exemple, la table que j’ai devant moi estmatériellement la même aujourd’hui et demain, et la lettreb que

j’écris est tout aussi matér ielle que la table, mais elle n’est pas D • »(E.2.21.3297.id.N10,l ; ELG.203).Tel est le sens des célèbres comparaisons avec le train

e t la rue .« (...) il esttoutaussi in téressant de se demander sur quoi

nous faisons reposer l’affirmation de l’identité d ’un même motprononcé deux fois de suite, de « Messieurs ! »et « Messieurs ! ».

Assurément, il y a là deux actes successifs. Il faut se référer à unlien quelconque. Quel est-il ? Il s’agit d’une identité à peu prèsla même que si je parle de l’identité du train express quotidiende 12h50 ou de 5h. pour Naples. Peut paraître paradoxal. Lamatière du train est différente. Mais la matière du mot prononcéest renouvelée aussi. Donc, ce n’est pas une identité quelconqueque j’ai sous la main . Autre exemple : on rebâtit une rue ; c’est lamêmerue ! >. (E .I.243.11 7U 759.2R.38 ; G.38-39 ; CLG.152).On voit bien la conclusion que veut en tirer

Saussure : « Cet te identité n1est pas immédiatement sous lamain.» (Id.2C). Et c’est pourquoi il faut «se persuaderquon n’a pas devant soi des êtres con crets». (E. 1.247.1800.2R,40). Le problème de l’identité communication-

nelle n est donc qu’un cas particulier, et la présentation du« circuit de la parole » doit être considérée comme un pre!

mier moment dans le parcourscritique qui cherche à faireapparaître le problème de l’identité dans la représentation

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ordinaire du langage. En ce sens, la démarche de Saussureserait comparable à celle de Marx qui, dans sa « critiquede l’économie politique », part de la situation d’échangetelle quelle est intuitivement représentée, pour faireapparaître, sous l’apparente évidence du marché, le mystèrede la valeur.

Mais il faut aller plus loin. Car tout le monde admettraque ce n’est pas tel ou tel acte de parole qui constitue l’objetintéressant le linguiste, mais une généralité ou un typed’acte de parole. La question n’est pas là. La question porteplutôt sur la manière dont on conçoit cette généralité. Làoù Saussure semble voir une réalité transcendant ses actuali!

sations (comme une partition symphonique ses interpré!

tations), il faudrait plutôt reconnaître unemoyenne. Lesindividus répètent —plus ou moins bien —des actionsqu’ils ont vues réalisées par d’autres, et le fait social n’est

jam ais que la généralisation d’actes individuels. C ’estainsi que Whitney présente les choses : « Le discours etles changements qui touchent au discours sont le travail

de la communauté ; mais la communauté ne peut agirautrement que par l’initiative de ses membres, quelleapprouve ou réprouve. Le travail de chacun est fait defaçon non préméditée, voire inconsciemment ; chacunest déterminé à n’user du bien commun que pour sonpropre bénéfice, servant ainsi ses desseins privés ; mais enmême temps chacun prend une part active dans le grandtravail de la perpétuation et du développement du discoursgénéral. » (Jacob.1973.158). Whitney acclimate au langageun modèle « libéral » de genèse des faits sociaux, ceux-ciétant toujours l'effet d’un équilibre entre les initiatives

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individuelles. Les néogrammairiens n’ont jamais prétenduque leur objet fut l’activité parlante d’unindivid u, etWhitney encore moins, qui faisait précisément du fait socialY ob]tt du linguiste. Cepen dant l’hypothèse était quec’est bien approximativement le même acte qui se propagedans une masse d’individus parlants. C’est même parceque le signe n’a pas d’identité transcendante à la parolequ’il ne cesse de changer. Saussure tirerait donc des conclu!

sions extravagantes d’une observation finalement asseztriviale.

Pourtant Saussure est tout à fait conscient de l’ap!

parente trivialité de sa remarque.« Ne pouvait-on se borner à sous-entendre cette grande

opération fondamentale ? N ’est-il pas de pr ime abord évidentqu’aussitôt qu’on parle d’un groupe pat a par exemple on veutdire la généralité des cas où un groupe pat a se trouve êtreprononcé effectivement. Et qu’il n’y a donc qu’un intérêt subtilà rappeler que cette entité repose préalablemen t et foncièremen tsur uneidentité ? » (ELG.33-34).Si l’on ne peut sous-entendre cette opération de

généralisation, c’est que deux actes de langage ne peuventpas être déclarés identiquesdu poin t de vue de leur réalisation phonatoire. Les relations d’identité entre les performancesverbales ne dépendent pas de leur degré d’invariance subs!

tantielle ou de ressemblance. La phonologie nous ahabitués à penser que l’identité d’un phonème ne sauraitêtre considérée comme une « norme de prononciation » ouune moyenne entre les différentes manières de parler. Si telétait le cas, en effet, on ne comprendrait pas pourquoi, parexemple, les sujets parlants sentent l’identité duk alle!

mand, alors que celui-ci est prononcé autrement devant

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une consonne que devant une voyelle, et autrement encoresi cette dernière est accentuée ou non3. Si l’on a besoin derecourir à un autre terme (le signifié) pour faire exister lesignifiant, c’est que Ton ne saurait trouver dans la réalitéempirique de principe d’iden tification d’un signe. Soitquelqu’un qui« pron once » une phrase bien connue de

moi, par exemple « bonjour » ; il n’y a, dans l’événementphonique ou sonore lui-même, aucun moyen définitif pourreconnaîtrel'identité phonétique /bonjour/. Deux réalisa!

tions langagières différentes ne sont pas des cas particuliersd’une sorte de modèle empirique, qui contiendrait simple!

ment moins de déterminations, et dans lequel on trouverait

seulement les arêtes d’une réalisation complète. Ainsi, on nepeut pas dire que la généralité est obtenue par extension dansune masse d'individus d'un schème d’action. Le problème estde savoir comment il se fait que des individus particuliersidentifient des réalités phonétiquesmalgré leur profonde dis!

semblance du point de vue physique ou qualitatif Le raisonnement de Saussure n’a pas besoin de

recourir à des preuves expérimentales comme celles qu’in!

voquera plus tard Jakobson (Jakobson. 1976.29-30). Il luisuffit de faire remarquer que des différences ou des écartsde prononciation qui, dans certains cas, suffisent à dis!

tinguer deux actes de langage, dans d’autres ne le font pas.C’est du moins ainsi que les éditeurs, de manière parfaite!

ment cohérente, ont interprété les leçons de Saussure surl’identité : « Lorsque, dans une conférence, on entendrépéter à plusieurs reprises le mot Messieurs /, on a le senti!

ment qu’il s’agit chaque fois de la même expression, etpourtant les variations de débit et de l’intonation la

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présentent, dans les divers passages, avec des différencesphoniques très appréciables - aussi appréciables que cellesqui servent ailleurs à distinguer des mots différents(cf. pom m e paum e, goutte et jegoûte, f iiir et fouir, etc.)4. »(CLG.151). Bien d’autres phénomènes pourraient êtreinvoqués par Saussure pour établir son fait, comme le

chuchotement, les dialectes, etc. Mais la phonologiestructurale nous a tellement familiarisés avec cette remarquequ’il n’est pas nécessaire d’y revenir. Si les mouvementsarticulatoires d’un individu parlant ne sauraient fournir lamatière première de la science du langage, c’est parce que,défait, les critères d’identification entre plusieurs actes delangage ne sont pasempiriques.

3. L e s u n i t é s

Il est cependant une objection plus immédiate et plusdécisive encore à la prétention de considérer les généralités

linguistiques comme des inductions empiriques. C’est que,de toute manière, les acres de parole ne sont pas des indi!

vidus concrets donnés, qu’on pourrait ensuite comparer lesuns aux autres, comme sur un calque ou une photo deGalion. Avant même que l’on ait à se demander si lesparoles des individus ont des caractéristiques observablescommunes, il faut se demander :

« Tomben t-elles sou s le sens ? N ’y a-r-il qu a les saisir, cesunités dans lesquelles consiste tout le phénomène du langage ?(...) Il s’agit de s’assurer si ces unités sont données comme lesindividus dans une espèce zoologique. » (E.l.237- 238.1725.2R,32 ; G.33).

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Or le linguiste se trouve, encore une foisde f ait, confronté à la situation suivante :« Rien d’avance n’est délimité là-dedans. Le seul moyen

que j’aurai d’établir des unités linguistiques, cest de contrôlerperpétuellement s’il est vrai que le concept soit d ’accord avec lesdivisions in troduites. » (E. 1.230.1715 ; IC293 ; CLG.146).Le CLG disait : « Considérée en elle-même, [la

chaîne phonique] n’est quune ligne, un ruban continu, oùl’oreille ne perçoit aucune division suffisante et précise ;pour cela il faut faire appel aux significations. Q uand nousentendons une langue inconnue, nous sommes hors d’étatde dire comment la suite des sons doit être analysée ; c’estque cette analyse est impossible si l’on ne tient compte que

de l’aspect phonique du phénomène linguistique. Maisquand nous savons quel sens et quel rôle il faut attribuerà chaque partie de la chaîne, alors nous voyons ces partiesse détacher les unes des autres, et le ruban amorphe sedécouper en fragments ; or cette analyse n’a rien dematériel. En résumé la langue ne se présente pas comme

un ensemble de signes délimités d’avance, dont il suffiraitd’étudier la signification et l’agencement ; c’est une masseindistincte, où l’attention et l’habitude peuvent seules nousfaire trouver des éléments particuliers. L’unité n’a aucuncaractère phonique spécial (...).» (CLG.145-146). C’estparce que l’analyse d’un fait de langage suppose quelquechose de plus qu’une observation —une association - queles faits du langage reposeront toujours fatalement sur une« opération de l’esprit ».

Nous sommes là au cœur du problème du langage.C ’était par cette « question des unités » que Saussure intro-

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duisait, dans le deuxième cours, le problème « interne »,faisant de la « question des identités » une « complication,d’ailleurs fructueuse » de la première (E.1.245.1771.2R.38 ; G.38). Elle est en effet liminaire, et montre bienqu’il ne s’agit pas de défendre une conception a priori de lafonction du langage, mais de réfléchir sur les conditions quifont du langage un phénomène parmi les autres, un ensem!

ble de faits advenant dans le monde. Ce problème eston tologiqtte, au sens où il s’agit du problème des conditionsde détermination d’un fait de langage en général : c’est-à-dire à la fois à quelles conditions un fait de langage est un

fait ,; autrement ditadvient , et aussi à quelles conditions ilest un faitdistinct\ particulier, séparable de ce qui arrive

avant et après lui.« Uneformeest une figure vocale qui est pou r la conscience

des sujets parlantsdéterminée,\ c’est-à-dire à la fois existante etdélimitée. Elle n’est rien de plus ; com me elle n’est rien demoins. Elle n’a pas nécessairement un « sens » précis ; mais elleest ressentie comme quelque chose qu iest ; qu i de p lus ne seraitpas, ou ne serait plus la même chose, si on changeait quoi que

ce soit à son exacte configuration.(Je dou te que l’on puisse définir la forme par rappor t à la

« figure vocale », il faut partir de la donnée sémiologique.) »(ELG.37).Saussure utilise d’ailleurs le terme d’« essence » pour

désigner ce qui est déterminé.Ce problème se confond avec celui de l’identité, au

sens où c’est la même chose qui permet d’analyser la chaînephonique et d’y reconnaître des identités avec d’autresévénements phoniques indépendamment de toute ressem!

blance substantielle. Telle est la raison profonde du « cercle

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de théorèmes » qui faisait dire à Saussure qu’il ne sauraitêtre question de construire un « système géométrique »,autrement dit axiomatique, à la manière d’Euclide ou deDescartes5. La démarche de Saussure n’est donc décidé!

ment pas « euclidienne » comme l’a défendu J.-C. Milner,mais plutôt critique, voire aporétique.

Il y a cependant un primat de la question des unitésdans le procès critique6. D ’abord parce quelle articule demanière intime la question pr atique de l’analyse et la ques!

tion spéculative de la nature du langage. Les unités n’étantpas données, le linguiste doit élaborer des critères qui per!

mettent d’affirmer qu’un fait de langage a eu lieu. Maisaussi parce qu’alors il aura « rempli toute sa tâche ».

<( Le côté matériel du signe est un côté amorph e, qui n’apas de forme en soi. Voilà une des causes qui rendent difficile detrouver où sont les unités. La linguistique aurait pour tâche dedéterminer quelles sont réellement ces unités valables en toutgenre. On ne peut pas dire qu’elle s’en soit rendu compte, car ellen’a guère fait que discuter sur des unités mal définies. Non seule!

ment cette détermination des unités quelle manie sera la tâche la

plus pressante de la linguistique, mais ce faisant, elle aura remplitoute sa tâche. » (E.1.250.1811-1814.2R.37 ; G.37).Tel est en vérité le principe de la réduction de la ques!

tion du sens, sur laquelle on a beaucoup glosé et de manièrepassablemen t confuse : lorsqu’on aura compris la nature etl’ampleur du problème de ladàenninaùon du signe, on n’auraplus besoin de se poser la question du sens. Le problème estde savoirce qui se passe, ici et maintenant, et comment cequi se passe est déterminé. Le problème n’est pas de savoirquel sens les individus donnent à ce qu’ils font, mais com!

ment se détermine ce qu’ils font. Le problème n’est pas de

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sa v o ir p a r e x e m p l e si u n g e st e p a r t i c u l i e r c o m m e c e lu i d ec o u p e r le p a i n e t d e le d i st r i b u e r a u t o u r d e l a t a b le a u n se n si d e n t i q u e c h e z l e s p a y sa n s d e l a No u v e l l e -An g l e t e r r e o uc h e z le s b o u rg e o i s d e Lo n d r e s, m a is su r q u o i se fo n d e n t le sin d i v id u s p o u r y p e r c e vo ir u n ac te , e t n o n p a s u n e sé ried ’actes d i fféren ts .

En c o re f a u t - i l , b i e n e n t e n d u , q u e l a t h è se s e l o nlaquel le « r ien n’es t d é l im i té d ’avan ce là -d ed an s » so i te m p i r i q u e m e n t v raie . En c e q u i c o n c e rn e le l an g ag e , ellel ’ e s t a s su ré me n t . Le s e x p é r i e n c e s me n é e s t o u t a u l o n g d usièc le su r le s « su bs tan ces » d u l an gage on t m on t ré q u e n il e s opé ra t ions phys io log iques n i l e s données acous t iquesn ’o ffren t de c r it è re de d é l im i t a t ion st ab le . N o u s le s rap!

pe l le ron s. M ai s il vau t d ’ab or d l a pe in e de rap po r t e r l’a rgu!

m e n t a tio n d e Sa u ssu r e a fin d e m o n t r e r q u e l le se v e u t u n eana lyse c r i t i qu e d e l a p r a t i q u e l in gu i st ique .

Sa u s su re i n v o q u e d ’a b o rd u n f a i t d ’ e x p é r i e n c e o rd i!

n aire :« Mais il y a tout de suite quelque chose qui nous fait

réfléchir : si nous entendons une langue étrangère, nous sommeshors d’état de faire des coupures, les séparations de mots ; doncces unités ne sont pas données directement par le côtéphonique ; il faut associer l’idée. » (E.1 .235.1708.2R.33 ; G .34).L e p h é n o m è n e la n g a gie r n ’o ffr e d o n c p a s d e s

e xp é r ie n c e s n e t t e m e n t d é lim it é e s au x q u e lle s n o u s a sso c i e!

r ions ensu i te des s ign i f ica t ions : c ’es t au cont ra i re dans la

m e su r e o ù n o u s c o n n a isso n s l a sig n i fic at io n q u o n p e u tsen t i r l e s a r t i cu la t ions . Le l ingu i s t e e s t dans l a s i tua t ionp a ra d o x a l e d ’a v o i r à c o n n a î t r e l a fo n c t io n d ’u n e r é a l i t ép o u r p o u v o i r sim p l e m e n t la d é co u p e r. C ’e st p o u r q u o i la

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méthode expérimentale est inappropriée : on ne saurait allerde Fanatomie à la physiologie, remonter de l’organe à lafonction, comme on le fait en décrivant les lésionsorganiques et en observant leurs effets sur le fonctionnementde l’organisme (cf. Bernard.1865.37). Tout se passe commesi, pour définir l’estomac, le biologiste avait besoin de savoird’abord quelle était exactement sa fonction organique7.

Mais on pourrait objecter que si les mots ne sont paseux-mêmes des faits physiques bien délimités, les phrasesprononcées, elles, le sont ; or c’est à elles que correspondentdes significations. Ainsi, le fait physique serait bien donnéindépendamment de son sens. Devant une langueétrangère, on pourrait donc partir des phrases globales, et,

en comparant ces différents faits physiques, extraire cequ’elles on t en commun . On induirait les unités à partir desidentités, l’analyse à partir des ressemblances.

« Il y a un point de vue qui dît : le mot est une abstrac!

tion, parce que ce n’est qu’une fraction de la phrase ; les unitésconcrètes, ce sont seulement les phrases ; nous ne parlons quepar phrases ; c’est nous ensuite qui cherchons les mots parabstraction.

Mais cela conduit loin. Si nous prenons la masse desphrases qui se prononcent, leur grand caractère est de ne pas seressembler du tout entre elles, de ne pas offrir un fond communqui puisse être objet d’étude. L’immense diversité des phrasespeut ressembler à l’immense diversité des individus. Mais les indi!

vidus des autres sciences ont des caractères communs essendelsbien plus importants que ces différences8. Les autres sciencespeuvent étudier le général dan s l’individu en négligeant les carac!

tères qui le différencient des autres individus. Dans la phrasetout est diversité, et si l’on veut trouver quelque chose de com-

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mun, on arrive au mot qu'on ne cherchait pas directement9. »(E. 1.240.1739-1743 .2R,34 ; G.35 ; CLG.148).On peut dégager d’une très grande série d’observa!

tions des corps humains, un plan type du corps humain,mais on ne peut en faire autant d’une très grande série dephrases. Dans un corps, tel estomac aura peut-être uneforme et une taille légèrement différentes, mais on pourra

faire abstraction de ces différences pour ne préserver qu’unemoyenne, et sa place sera plus ou moins la même dans la« structure » d’ensemble de l’organisme. À l’inverse on nesaurait inférer de la superposition d’un nombre même infinide phrases des principes d’articulation communs à toutesles phrases. Si l’on voulait filer la métaphore organique,

on dirait qu’un corpus linguistique est comparable à unensemble de corps dans lequel tantôt le foie a la taille et laforme d’un œil, tantôt celle du corps tout entier, tantôton voit la jambe à la place de l’oreille, et bien d’autre foisl’oreille à la place de la main... Il n’y a donc strictementaucun moyen d’inférer à partir de la diversité sensible uncertain nombre de traits abstraits communs. Il ne s’agit paslà, répétons-le, d’une critique de la démarche inductive engénéral (laissons cela à la métaphysique, dirait Saussure),mais bien d’une tentative pour montrer qu’enlinguistique le rapport de la théorie et de l’expérience, quelle que soitl’interprétation métaphysique que finalement on endonne, n’est pas superposable à celui des sciencesempiriques, parce que le rapport de la variation et de l’in!

variant, de l’identique et du différent ne l’est pas. Saussureévidemment ne dit pas que les phrases n’ont rien en com!

mun, mais que ce quelles ont de commun n’est pas

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« observable » — p uisqu’il s’agit précisém ent des mots, de par!ties d’elles-mêmes, et de parties déplaçables. Si par exemplele mot chien intervient dans deux phrases.: « le chien m’apris la main » et « je vais promener le chien », ce que cesphrases ont en commun, ce sont ces signes particuliers,mais non pas des traits empiriques ou phonatoires globaux.L’aspect combinatoire du langage, qui fait sans cesse changer

les contenus en fonction des positions, implique une telledéformation dans les réalisations empiriques totales qu’iln’y a aucune raison que l’on finisse par y trouver desressem!blances. Pour déterminerune phrase, pour définir ce questcette phrase-ci-, je ne peux me fier à sa proximité ou à sonéloignement observable avec une autre phrase : je dois

reconnaître les identitésdéjà générales quelle combine demanière originale entre elles et avec les éléments de situa!

tion. La question de savoir ce que sont ces « unités » dontla phrase est composée est donc impliquée dans la questionmême de savoir ce quidéfinit —c’est-à-dire à la fois ce quidonne son contenu propre et ce qui énonce les limites, lecommencement et la fin —la phrase ou l’acte de langageparticulier. Dans ce phénomène qu’est le langage, c’est toutle rapport du particulier et du général, du concret et del’abstrait, de l’invariant et du variable, de l’intelligible et dusensible qui est modifié : ce ne sont pas les « individus » quisont nécessaires pour supporter dans l’être et rendre acces!

sible à la pensée les « généralités », mais au contraire les« généralités » qui sont nécessaires pour qu’existent et quesoient ressentis des « individus ». C’est en ce sens que l’onpeut dire qu’il n’y a pas d’individus donnés en linguistique.Evidemment, on pourrait dire que ces unités-là sont iden-

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tifïables, que ce sont les « mots ». Mais pour pouvoir seule!

ment comparer ces unités que sont les mots, il faudraitpouvoir les isoler au sein d’une phrase. Or Saussure vient demontrer que c’est là ce qui est impossible. La question restedonc entière : comment délimite-t-on les unités concrètesdu langage ?

Pourtant, il reste un troisième ordre d’unités, auquelSaussure ne pouvait pas ne pas penser : ce sont les actes élé!

mentaires de la phonation, certes différents chez chaqueindividu, mais peut-être uniquement de manière mar!

ginale, car on peut espérer qu’il y ait destypes empiriquesd’articulation, l’appareil phonique étant sensiblement lemême chez tous les êtres humains. De sorte que, si les

paroles ne sont pas des individus empiriques donnés donton puisse extraire par comparaison des règles générales, lesunités élémentaires que combinent différemment lesséquences de langage le sont peut-être, elles : il y auraitainsi un petit répertoire d’actions types élémentaires quientrent en jeu pour produire des performances verbalessans cesse différentes, et à certaines séquences de combi!

naisons entre ces unités types on associerait différentesfonctions, sémantiques, stylistiques, pragmatiques ; cescombinaisons pourraient être soumises à l’histoire etrépétées dans une masse sociale, bref elles fourniraient labase effective de la science linguistique. La conviction desnéogrammairiens était bien que le phonème, l’élémentarticulatoire inférieur et à la phrase et au mot, fournissaitune base empirique à la linguistique. Le réel du langageserait alors physiologique dans ce sens-là. Mais Saussureétablit, à travers une critique de la pratique « phonologique »,

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l’impossibilité de trouver, sur la base de la seule observa!

tion de l’acte articulatoire, des « unités immédiatementdonnées » élémentaires. C’est donc par cette « critique dela raison phonétique » que Saussure attaque le cœur duprojet néogrammairien.

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CH APITRE IIICRITIQ UE DE LA RAISO N PH O NÉTIQ UE

Les éditeurs ont mis en appendice de l'introductiondu CLG un texte in titu lé « Principes de ph onologie »,qu’enjambent tranquillement la plupart des commenta!

teurs, nourris qu’ils sont de Jakobson et de Troubetzlcoy,et donc convaincus du caractère obsolète des analyses deSaussure. Assez curieusement, l’ambiguïté destermes phonétique et phonologie semble avoir valeur de preuvepour ce jugement historique. Saussure réserve en effet leterme de « phonétique » pour lechangement historique

des éléments phoniques, conformémen t à l’emploi qui enest fait dans l’expression « lois phonétiques », et définit la« phonologie » comme la « science du mécanisme de nosorganes» (E.1.90.629.2R,163), donc d’une manière quirecouvre l’usage que nous ferions aujourd’hui du terme de

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Nous allons voir que, s’il est vrai que la position deSaussure ne s’inscrit pas dans une dichotomie entre « sonsde la parole » et « sons de la langue », c’est précisémentparce que la parole elle-même ne saurait être pour Saussureun fait concret donné : il veut au contraire montrer quel’acte phonatoire n’est un fait concret que si l’on présup!

pose des entités de langue. II s’avère, à travers une critiquedes opérations effectivement utilisées par les linguistespour faire du langage un objet théorique, qu’ils ne peuventfaire l’économie de l’hypothèse de la langue et réduire enconséquence l’objet de la linguistique à l’activité del’homme parlant. Cette critique porte sur deux problèmespratiques soulevés par les néogrammairiens : le premier estcelui de la transcription phonétique de la parole ; le second,celui de l’explication des changements linguistiques par deslois articulatoires plus générales.

1. L’ é c r i t u r e d e l a v o i x

Les passages des trois leçons de Saussure dont les édi!

teurs se sont servis pour rédiger leur appendice s’inscriventen fait, à chaque fois, dans la continuité d’une critique deTécriture. Dans le premier et le troisième cours, ilseffectuent la dernière étape du mouvement qui va de la lin!

guistique externe à la linguistique interne. La critique de laphonologie est donc un pivot de l’édifice saussurien, lepoin t par où l’on passe de l’exposition négative du problèmeà son exposition positive. C’est quelle est aussi historique!

ment le lieu du passage de l’école néogrammairienne à

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Saussure. En effet, la critique que Saussure propose de laphonologie et de la notion de « type » articulatoire seprésente comme une radicalisation que l’on pourrait direhumoristique de l’exigence néogrammairienne de s’en tenirau « concret ». Alors que les néogrammairiens espéraienttrouver dans une théorie de l’acte articulatoire ce qui per!

mettrait de débarrasser la linguistique des « abstractions »de l’écriture, Saussure montre quelle constitue elle-mêmeune nouvelle abstraction. Le mouvement initié par les néo-grammairiens se retourne contre eux : l’acte musculaire dela parole apparaît comme le veau d’or de la linguistique dela deuxième moitié duXIXesiècle, la dernière idole de ceuxqui sont pourtant déjà sortis d’Egypte.

Saussure ne conteste pas l’existence d’une physiologiedes sons, et de fait, on ne voit pas très bien quels argumentsl’on pourrait donner contre l’étude des mécanismes en jeudans l’articulation de la parole. Ce qu’en revanche il n’admetpas, c’est que cette étude fournisse les « unités concrètes »de la parole, comme si parler, ce n’était rien d’autre que

composer des actes articulatoires et leur associer des signifi!cations. Aussi se moque-t-il de la certitude d’avoir réaliséune linguistique « scientifique » uniquement parce que l’ona commencé par une étude physiologique de la parole.

« Un des plus amusants spectacles est la manière dont sedivise la grammaire (scientifique ) d’une langue. - II y a d’abordla P honétique (en allemand Laut lehre), puis la Morphologie (enallemandFormenlehre ). C’est tout naturel n’est-ce pas ? D ’abordles sons, puis les combinaisons de sons ; d’abord le simple, puisle composé ; et ce qu’il y a de plus merveilleux est que l’on croitcomprendr e !2 » (E.2.21.3294.N8).

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Il veut en effet montrer que si l’observation desactes phonatoires permet d’analyser les f acteurs générauxentrant en jeu dans la production des sons de la parole,elle ne permet pas en revanche de dégager desunités élé!

mentaires de la parole.D’abord parce que la réalité articulatoire, prise en

elle-même, ne comporte aucune discontinuité radicale,mais uniquement des mouvements. Si l’on se contente del’observation de l’activité phonatoire, enregistrée commeavec les techniques cinématographiques de Marey quementionne Saussure, « il n y a que suite un iforme d’articu!

lations sans raison pour former unités». (E.1.105.751.3C,97 ; K.265).

« Si l’on reproduisait au moyen d’un cinématographe tousles mouvemen ts de la bouche et du larynx exécutant une chaînede sons, je n’aurais qu’une suite d’articulations sans savoir oùcouper le mouvem ent articulatoire : on ne pourrait dire quandun son commence et quand l’autre finit. » (E .l. 100-101.718.IR.23 ; K.25 ; CLG.63).

• C’est à cette phrase que Jakobson faisait allusion encréditant Saussure d’avoir devancé de vingt ans les progrèsde la phonétique : « Une vingtaine d’années après la mortde Saussure, le film qu’il aurait souhaité voir a été réalisé.Le phonéticien allemand Paul Menzerath a radiographié àl’aide d’un film sonore le fonctionnement de l’appareilvocal et ce film a entièrement confirmé le pronostic deSaussure. Profitant de ce film et des dernières investigationsdans le domaine de la phonétique expérimentale,Menzerath et son collaborateur portugais ArmandoLacerda ont prouvé que l’acte de la parole est un mouve!

ment perpétuel, ininterrompu (Koartikulation, Steuerung

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und Lautabgrenzung, 1933). (...) les deux phonéticiensdémontrent que tous les sons sont en réalité des sons detransition. En ce qui concerne la chaîne parlée, ilsaboutissent à une conclusion encore plus paradoxale. Dupoint de vue strictement articulatoire, la successivité dessons n existe pas. Au lieu de se suivre, les sons s’entrelacent ;

et un son qui d’après l’impression acoustique succède à unautre peut s’articuler simultanément avec ce dernier oumême en partie avant lu i3. » (Jakobson. 1976.29-30). Nousn’avons donc aucune raison de voir dans les ondulations del’articulation autant d’actes séparés.

Mais si les unités élémentaires du langage ne sont pasphysiologiques, elles ne peuvent cependant êtredécrites quedans des termes articulatoires. C’est par une « opération del’esprit » qui est un « jugement de l’oreille » que le sujet saitque dansmer il y a trois éléments, mais il serait bien inca!

pable de les définir positivement en se fondan t sur ses seulesimpressions. Tout ce qu’il a à savoir c’est quem n’est pase, qui n’est pas r, et quem n’est pas 72, etc. ; il n’y aurait aucunsens à lui demander de les caractériser acoustiquement. Lesujet parlant connaît l’existence des entités de la langue,mais est incapable d’en définir l’essence ; à l’inverse, lephysiologiste peut décrire une unitédonnée-, mais estincapable de la dégager à partir de son champ d’objetsobservables.

« La délimitation des sons de la chaîne parlée ne peutdonc reposer que sur l’impression acoustique ; mais pour leurdescription il en va autrement. Elle ne saurait être faite que surla base de l’acte articulatoire, car les unités acoustiques prisesdans leur propre chaîne sont Înanalysables. » (CLG.65).

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« L’analyse acoustique est don c la vraie analyse qui permetde distinguer {es sons de la chaîne parie'e. L’impression acous!

tique cepen dan t ne peu t pas se décrire (définir), mais bien l’actearticulatoire. » (E.1.104.746.1R.24 ; K.26).

« Ces unités étant données, l’ensemble de la chaîne par!

lée étant divisé par l’impression acoustique, alors commencel’étude phonologique.

Le physiologiste cherchera quels mouvements se pro!

duisent pendant l’émission du s o n / » (E.1.102.726.3C.96 ;IC263).

« L’écriture n’a pas besoin de noter différen ts mouvementsarticuiatoires correspondants, la notation acoustique suffit. Leph onologiste a à se poser cette question : Pendant l’espaceacousdquement homogène marqué T par exemple, quels sontau juste les mouvemen ts articuiatoires qui se produisen t ? I l pro!

jette les mouvements acoustiques sur la chaîne articidatoire et tente de dev iner ce qid s'y passe *.

Mais il est obligé de partir de la chaîne acousdque quiseule permet de découper des unités. Sans chaîne acousdque, Ün’y a qu’une suite uniforme d’articulations sans raison pour for!

mer d ’unité. Réciproquement, les impressions don t se composela chaîne ne sont pas analysables. Pour la chaîne articulatoire,les mouvements sont analysables, pou rv u que les unités soient données* \ alors qu’on ne peut rien analyser dans l’impressionacoustique elle-même. » (E.l. 105.748-751.30,97 ; IC.264-265).

« La meilleure preuve à donner du fait que l’impressionacoustique seule a une valeur, c’est qu’il serait parfaitementimpossible aux physiologistes eux-mêmes de distinguer desunités dans le jeu de la voix hors des unités préalablement

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L’objet théorique mixte qui résulte de ce travail, mi-acoustique, mi-articulatoire, est précisément ce que Saussureappelle « phonème ». Il n’y a donc pas de contradiction entrela définition du phonème que Saussure propose dans sesleçons, et celle duSystème des voyelles comme « élément d’unsystème phonologique où, quelle que soit son articulation

exacte, il est reconnu différent de tout autre élément »(Saussure.1922.114). Cela ne signifie pas néanmoins queSaussure conçoive le phonème de la même manière que leferont les futurs « phonologues » de Prague. En particulier, ilrefuse de définir les traits différentiels du phonème en termesacoustiques, c’est-à-dire sur le même terrain que ce qu’ils dif !

férencient. Aussi récuserait-t-il la médiode « phénoméno!

logique » dont Jakobson en revanche pourra se réclamer untemps (cf. Holenstein .1975). Le classement de Jakobsonpeut être dit phénoménologique au sens où. il utilise des pro!

priétés du « phénomène », dans l’expérience, pour définir cephénomène lui-même. Saussure objecterait que la consciencene donne que les coupures, elle ne saurait donner lieu àla moindre description dans la mesure où ce dont on aconscience n’a pas de contenu positif

Mais cela semble impliquer que le « phonème » n’estpour Saussure ni une entité de langue, ni une entité de laparole, mais seulement un artifice théorique nécessaire aulinguiste pou r que celui-ci puisse décrire avec précision la

nature des actes de parole. Il se contenterait de décons!truire ce que f ait le linguiste lorsqu’il établit un système detranscription phonétique, en lui montrant avant tout qu’ilne procède pas par induction. Les phonèmes en ce sensn’appartiendraient pas vraiment à la linguistique.

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« Nous sommes venus à la physiologie phonologique parl’écriture et à l’occasion de l’écriture : il fallait fixer le moyen desortir des incertitudes de l’écriture. Il n’en résulte pas que laphysiologie phonologique soit l'a b c, la base ou même un e par!

tie intégrante de la linguistique. Jusqu’ici, comme nous le fai!

sions déjà remarquer, nous n’avons pas fait de linguistique. Lalangue est un système de signaux ; ce qui fait la langue c'est lerapport qu’établit l’esprit entre ces signaux. La matière, en elle-même, de ces signaux est indifférente. Nous sommes obligés ilest vrai de nous servir pour les signaux d’un e matière phoniqueet d’un e seule matière, mais même si les sons changeaient la lin!

guistique ne s’en occuperait pas, pourvu que Jes rapports restentles mêmes. (Exemple des signaux mar itim es : il ne sera rien

changé au système si les couleurs des palettes déteignent !) Lessons ne sont que la matière nécessaire. La physiologiephonologique n’est donc qu’une étude purement auxiliaire. »(E.1.3348 ; K.40).La notion de phonème permettrait seulement de

corriger les erreurs de l’écriture et de donner aux lin!

guistes le symbolisme précis et univoque dont ils ontbesoin pour rapporter leurs observations. Saussure, toutcomme les néogrammairiens, plaidait en faveur de l’étudedes langues pariées, par des enquêtes quasi ethno!

graphiques : il semble qu’il en ait lui-même entrepris une(cf. les témoignages cités par Tullio de Mauro in CLG.332à propos du voyage en Lituanie). De telles observations ne

peuvent être rapportées que si on dispose d’une conven!

tion d’écriture : mais elles ne sont pourtant qu’une étapeintermédiaire et bâtarde, dont l'enjeu serait la définitiondes traits différentiels et l’établissement du systèmephonologique propre à la langue étudiée, système

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phonologique qui, comme le die en effet Saussuretextuellement, peut s’accommoder de réalisationsphénoménales très différentes. La « matière » serait doncfinalement indifférente ; seule compterait la « forme ».Aussi comprend-on que les éditeurs aient relégué cettepartie dans un « appendice » à l’introduction, même si,dans les cours, elle faisait toujours partie du mouvementcritique continu qui permet de poser la langue commequestion à la fois théorique et philosophique.

Mais comment expliquer alors que Saussure aitconsacré tant de temps à ces questions ? Com men t expli!

quer que l’essentiel des livres de sa bibliothèque rangéssous l’étiquette de « linguistique générale » aient été pré!

cisément des livres de phonologie historique et descriptive,phonétique expérimentale, et graphémique (27 en tout,ce qui est, d’après Tullio de Mauro (CLG.395), un chiffreimportant pour l’époque) ? En réalité, la phonologie a unautre intérêt que celui de fournir un arsenal de conven!

tions pratiques.« Elle ren d à la linguistique deux services, n on pas en lui

appor tan t un élément mais en Péclairant sur deux point s : ellelui fournit la constatation de ce qui est parlé, des variétés desons qui forment un état phonique ; son second rôle, qui estplus important, est explicatif (expliquer les changementsph onétiques surven us dans la suite des temps, et si on peu t lesconsidérer comme naturels et faciles). Par exemple si nousvoyons qu’un groupe commeaida a donnéalla (cf. en latinsaldo et sallo), la physiologie phonoiogique nous fait remar!

quer qu ’il n y a pas d’autre différen ce entre l’articu lation de /et de d que l’ouverture bilatérale entre la langue et les paroisbuccales et que dans ce cas-ci on s’est tout simplement

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abstenu de fermer cette ouverture dul pour prononcer led. »(K.40).Saussure nexclut donc pas la phonologie (au sens où il

l’entend c’est-à-dire l’étude des « conditions naturelles de laproduction des sons » (E.1.91.642.N10) ou des « mécanismespar lesquels sont produites les différentes espèces de sons ») dela linguistique. Au contraire, on doit interpréter ces notes dephonologie comme une tentadve pour justifier et expliquerles raisons profondes de l’importance du mécanisme articula-toire dans l'explication duchangement phonétique. C’estmême souvent parce qu’on ne comprend pas la place exacteque Saussure accorde à la « phonologie » qu’on ne comprendpas l’articulation de la parole et de la langue et la manière

dont Saussure explique le changement linguistique, qui est,nous le verrons, le f ait autour duquel toute sa pensée s’or!

ganise. Le nœud du programme néogrammairien, l’essentielde leur pratique, consistait précisément à expliquer lestransformations des langues par des « lois phonologiques »,contraintes physiologiques et articulatoires qui obligent les

manières de parler à se modifier. Or c’est très précisémentdans cette perspective qu’une note manuscrite introduisaitles considérations sur la phonologie :

« Je ne considère pas comme une vérité évidente a priori,comme une chose qui n’aurait pas besoin de démonstration,quon soit obligé de s’occuper à propos de la langue de lamanière dont se forment les sons dans notre gosier ou dansnotre palais. Je crois au contraire qu’il y aurait intérêt pour toutle monde à se demander pourquoi au juste nous supposons quecela serait utile ; en quoi la connaissance de la production dessons contribuerait pour une part plus ou moins grande à notreconnaissance de la langue. Les théories qui tendraient à dire que

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par le seul fait que n ous usons dans Je langage de ces sons nousdevons nous préoccuperipso facto de leur production sont par!

faitement arbitraires ou téméraires jusqu’au moment où il serapossible de voir que leur production ait une importance —etlaquelle - dans la matière for t particulière qu’est le langage. Aufond nous sommes habitués à croire que l’étude des diversitésque produit l’appareil phonatoire a une importance capitale en

linguistique, sans que personne nous ait dit pourquoi, ou enquoi, ou sous quel point de vue. » (ELG.177-178).Ainsi Saussure écarte la justification platement

empiriste qui croit que la réalité linguistique est « phona!

toire » puisque le langage prend toujours la forme d’un actemettant en jeu les organes vocaux, mais pour mieux montrerqu’il reste à comprendre pourquoi des contraintes propre!

ment mécaniques peuvent influencer le devenir des langues.

2 . L e s l o i s d e l a p a r o l e

, Le rapport des mécanismes articulatoires aux effetsacoustiques n’est ni un rapport de cause à effet, ni simple!

ment un rapport arbitraire de chose à décrire à conventiondescriptive, ni même, comme le voudra Jakobson, un rap!

port de moyen à fin. Le phonème est bien, en tant que tel,une chose réelle. Mais il est une « entité double », à la foisacoustique et articulatoire, et c’est la raison pour laquelle

des contraintes mécaniques ou « physiologiques » peuventavoir des effets sur l’organisation des éléments « psy!

chiques » eux-mêmes. Si, du poin t de vue de la description,l’effet acoustique est « premier », du point de vue de l’expli!

cation, ce qui est réel, c’est une entité double.

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« Dan s la concept ion qui nous guide constamment, ce quiest p ho n atoire s’oppose aussi bien à ce qui est simplementmécanique qu’à ce qui est simplementacoustique. C’est la cor!respondance d’un m échanème et d’un acousrème (.. .) [qui] estla seule chose possible de la ph onologie. » (ELG.250).Mais comment concilier ces passages avec ceux —qui

souven t les précèdent à quelques lignes d’intervalle dans lemême texte —qui soutiennent le primat de {’acoustiquesur l’articulatoire, et surtout le caractère arbitraire desmécanismes de production au regard du produit ?

Il faut d’abord remarquer que le concept de phonèmes’élabore en deux temps, qui n’ont pas du tout le mêmestatut : le premier concerne les « espèces phonologiques »,

et le second les « phonèmes » à proprement parier. Lesespèces phonologiques sont des impressions acoustiques,des « couleurs », qu’on peut définir au moyen des pro!

priétés articulatoires (ainsi p ou b comme des occlusiveslabiales), mais dont seul importe, dans le fond, l’effetacoustique. Les phonèmes en revanche sont des

« chaînons » pris dans un groupe de phonèmes, et leurspropriétés dépendent de cette position dans le groupe. Unphonèmeest donc, par définition, un élément syllabique.Et c’est précisément lorsqu’il est dans un groupe que lescontraintes mécaniques s’exercent en retour sur l’effetacoustique à produire, et peuvent l’amener à se modifier, desorte que la notion mixte de phonème prend un sens nonplus seulement descriptif, mais bien explicatif.

« Si, par exemple, à un momen t donn é, dan s une languedonn ée, tou t a devient o, il n’en résulte rien ; on peut se bornerà constater le phénomène, sans chercher à l’expliquerphonologiquement. La science des sons ne devient précise que

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lorsque deux ou plusieurs éléments se trouvent impliqués dansun rapport de dépendance interne ; car il y a une limite auxvariations de l’un d’après les variations de l’autre ; le fait seulqu’il y a deux élément s entraîne un rapport er un e règle, ce quiest très différent d’une constatation. Dans la recherche duprincipe phonologique la science travaille donc à contresens enmarquant sa prédilection pour les sons isolés. Il suffit de deux

ph onèmes pou r qu’on ne sache plus où on en est. Ainsi en vieuxh aut allemandhagl, balg, wagn, long, donr, dortj, sont devenusplus tardhagal, balg, ivagan, lang, donnar, dom ; ainsi, selon lanature et l’ordre de succession en groupe, le résultat est difiërenc :tantôt une voyelle se développe en deux consonnes, tantôt legroupe reste compact. Mais comment Formuler la loi ? D ’oùprovient la différence ? Sans dou te de ces groupes de consonnes(gL fa gn, etc.) contenus dans ces mots. (...)

À côté de !a ph onologie des espèces, il y a donc place pourune science qui prend pour poin t de départ les groupes binaireset les consécut ions de ph onèmes, et c’est tout autre chose. Dansl’étude des sons isolés, il suffit de constater la position desorganes ; ia qualité acoustique du phonème ne fait pas ques!

tion ; elle est fixée par l’oreille ; quant à l’articulatoire, on atoute liberté de la produire à son gré. Mais dès qu’il s’agit deprononcer deux sons combinés, la question est moins simple ;on est obligé de tenir compte de la discordance possible entrel’effet cherché et l’effet produit ; il n’est pas toujours en notrepouvoir de prononcer ce que nous avons voulu. La liberté delier des espèces phonologiques est limitée par la possibilité de

lier les mouvements articulatoires. Pour rendre compte de cequi se passe dans les groupes, il y a à établir une phonologie oùceux-ci seraient considérés comme des équations algébriques ;un groupe binaire implique un certain nombre d’élémentsmécaniques et acoustiques qui se conditionnent réciproque-

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ment ; quand l’un varie, cette variation a sur les autres unerépercussion nécessaire qu’on pourra caicuJer.

Si dans le phénomène de la phonation quelque chose offreun caractère universel qui s’annonce comme supérieur à toutesles diversités locales des phonèmes, c’est sans doute cettemécanique réglée dont il vient d’être question. On voit par làl’impor tance que la ph onologie des groupes doit avoir p ou r Jalinguistique générale 1 » (CLG.78).Si donc il n y a ni intérêt ni sens en soi à dire que l’im!

pression acoustiquea ne peut être produite qu’en combi!

nant tels ou tels mouvements des organes vocaux, il y en aen revanche beaucoup à « savoir d’après quelles possibilitésen général se postpose ou s’antépose une suite quelconque

d’éléments dans la parole » (ELG.239). Si la phonologie estl’étude des mécanismes articulatoires nécessaires pour pro!

duire certains effets acoustiques, c’est uniquement dans lasyllabe qu’on pourra établir une telle corrélation condition!

nelle. A propos de la syllabe, on va pouvoir, pour la premièrefois, énoncer des propositions générales à valeur théorique,

de véritables lois, qui lient indissolublement conditionsarticulatoires et effets acoustiques :« Lois. On peut toujours matériellement dans la chaîne

sonore arriver à postposer deux espèces phonédques quelconques,même en stipulant quelles seront toutes les deux explosives,pourvu que l’effet acoustique qui en résultera soit déclaré d’avanceindifférent. Mais on ne peut pas, pour un effet acoustique déter!

miné, combiner n’importe commen t. » (ELG.240).Saussure construit le phonème à partir de l’unité

sémiologique totale, c’est-à-dire l’effet qualitatif déterminépar l’association avec un signifié, et c’est relativement à elleque, dans une démarche descendante, les éléments

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inférieurs au signe son t déterminés. La « chaîne acous!

tique » est faite d’une sorte d’encastrement d’effets qualitatifstoujours aussi homogènes les uns que les autres, mais à desdegrés différents. Il distingue trois « niveaux » ou « strates »qualitatives : la « chaîne », qui est l’impression acoustiquecorrespondant au « signifiant », c’est-à-dire à laquelle est

associé un « concept » ; le « chaînon », c’est-à-dire la syl!labe ; et les « éléments du chaînon » qui son t les« phonèmes ». Ces phonèmes sont marqués comme étant« explosifs » ou « implosifs ». Saussure tente de montrer quela combinaison de ces phonèmes explosifs ou implosifs pro!

duit, au niveau acoustique, une impression de segmenta!

tion toute particulière, qui obéit à certaines « règles » (dontSaussure dit quil s’agit plutôt d’« équations »), et qui estdonc « spontanée » :

« Supposon s que l’on se propose d’articulerde ux ou plusieurs explosions consécutives en stipulant qu’elles doiven t pro!

duire un effetun et ininterrompu sur l’oreille. On verra dequelque manière qu’on s’efforce que cela est impossible, si l’une

quelconque des explosions correspond à une aperture moindreque celle qui précède. Ainsi, il est peut-être " possible ” deprononcerksrj, tlm, mais non de prononcer ces éléments enprodu isant un effet un sur l’oreille. Cela parce que l’aperture est0.2.1.3. » (ELG.241).Et d’une manière générale, lorsqu’on va d’un

phonème explosif à un autre, « on va du moins ouvert au

plus ouvert ; si l’on prononce une série d’implosions, onfait la marche inverse5 ». (E.1.134.968.lCa,36). On com!

prend donc que si, du fait des aléas d’un changementanalogique ou phonétique, on se retrouve dans une situa!

tion où deux explosions d’aperture grandissante se suivent

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au sein d’un même signe, la tendance « naturelle » sera —àmoins quelle ne soit contrecarrée par d’autres « équations »phonétiques, voire par des considérations morphologiques- d’effacer la coupure syllabique, et de faire entendre ainsicomme un seul et même élément ce qui auparavant en faisaitde ux à l’oreille. Or, comme nous le verrons, c’est de ce

genre de changement dansY analyse du continuumphonique que Saussure fait dériver l’essentiel des effetsgrammaticaux du changement phonétique. Bref, c’est unevéritable épistémologie du changement phonétique, desmécanismes mêmes qui produisen t changement, c’est-à-direde ce qui faisait le pain quotidien de ses contemporains,que Saussure propose dans cet « appendice ». Epistémologiedes lois phonologiques propres à tout langage, qui permet!

tent d’expliquer certaines prétendues « lois phonétiques »,et en particulier leur caractère mécanique ou non volon!

taire. Ainsi Saussure met en évidence que ce fait même duchangement phonétique, loin d’apporter une confirmationau faux espoir de donner à la linguistique une base expéri!

mentale dans la physiologie, suppose au contraire précisé!

ment que la réalité même de ce qui change phonétiquementsoit une « entité » non pas simplement physiologique, maisintégralementdouble.

Non seulement le phonème en ce sens nest pas unsimple artefact théorique, mais il est la première « unité

concrète » du langage car il met en évidence un principed’analyse immanent à la parole.

« Pour la première fois nous sommes sortis de l’abstrac!

tion ; pour la première fois apparaissent des éléments concrets,indécomposables, occupant une place et représentant un tempsdans la chaîne parlée6. » (CLG.82).

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On ne peut dire en effet que le « jugement » de l’oreillevient découper comme de l’extérieur une réalité physiologiqueen elle-même continue : cette réalité physiologique est« naturellement » articulée en unités correspondant par elles-mêmes à certaines impressions sensibles. Cette premièreunité concrète de la linguistique a cependant trois propriétés

qui la rendent inassimilable à une chose observable : elle estdifférentielle, double et complexe. Différentielle, parce queles corrélations établies entre mouvements articulatoires eteffets acoustiques ne sont pas définissables par des relationsde cause à effet ou de principe à conséquence, mais commedes relations de codétermination ou de conditionnementréciproque entre deslimites, c’est-à-dire entre des espaces devariation : alors que les espèces phonologiques « varient demanière illimitée, d’une langue à l’autre », « l’arrangementdes phonèmes », lui, est présidé par « quelques lois » quidéfinissent les limites de variation (ELG.250). Il ne peuts’agir à proprement parler d’unerègle, mais uniquementd’uneéquation.

« On voit que toutes les questions de possibilité (d’impos-sibiiité) qui sont le fond de Ja ph onologie combinatoire auraientdans un système bien fait à revêtir non la forme de la règle qui,admettan t un poin t de départ donné, semble impliquer que, seslimites franchies, on se trouvera par la force de la même don néedans un autre cas déterminé, mais parfaitement celle de l’équa!

tion algébrique qu i, hors de la balance de certains termes, ignorece qui peut arriver, si on les dépasse. » (ELG.251 ; cf. aussiCLG.79).Double parce que l’analyse suppose toujours deux

séries : elle est de ce fait nécessairement psychique.Complexe enfin, parce que ces unités doivent toujours être

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prises dans leurs combinaisons réciproques. Saussurereproche à ia « physiologie phonétique » des néogram!

mairiens deséparer l’étude des phonèmes isolés et l’étudedes combinaisons de phonèmes, comme si les phonèmes pou!

vaient avoir une7'éalité quelconqueen dehors des contraintesrésultant de leur combinaison qui seule limite le rapportentre manière d’articuler et effet obtenu.

« Nous aurons tracé un portrait juste de la conceptiongénérale de nos phonologistes en disant qu’il y a, ou semble yavoir, pour eux, deux conditions fondamentales du phonème :l’une (sur laquelle ils évitent de s’expliquer) où le phonème vit àpart, d’une vie sans doute difficile à définir et à saisir, mais don!

née comme tellement tombant sous le sens quelle n’a pas à êtreexpliquée ni justifiée. Puis une autre, dans laquelle le phonème,

jusque-là solitaire et flottan t dans l’espace, entre en combinaisonavec d’autres. Cette seconde forme d’existence est visiblementregardée comme un cas particulier, en réalité moins que cela, carelle ne provoque pas non plus une explication nette sur la situationnouvelle du phonème ; elle provoque seulement des remarquessur le fait de la combinaison et sur le fait que dans la combinaisonon ne peut s’attendre à trouver tout semblable à ce qui avait étédit pour le phonème « isolé ». La première façon d’envisager lephonèm e occupe la première partie des traités. La seconde, quandelle n’est pas absente, constitue un chapitre final, ayant l’aird’indiquer le couronnement de l’œuvre initiale, les résultats aux!

quels on arrive quand on s’est livré à des analyses aussi péné!

trantes que celles qu’on a lues dans l’autre partie. » (ELG .l13).

D e fa it , le s m a n u e ls n é o g r a m m a ir i e n s (cf. e n p a r t i!

c u lie r Br u g m a n n .1 9 0 5 ) d ist in g u a ie n t en t r e le s p h o n è m e seux-mêmes , dé f in i s en t e rmes a r t i cu la to i r es (occ lus ives ,la b ia le s, e t c .), e t v a r ia n t iso l é m e n t d e m a n iè r e a u t o n o m e ,par l es seu les con t ra in tes phys io log iques , e t ce qu’ i l s

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appelaient les « changements conditionnés », qui portentprécisément sur les effets résultant de leurs combinaisons.Saussure propose au contraire de partir des unités d’impres!

sion acoustique globales, et de chercher les éléments quiparticipent à cette unité :

« On voie comment notre méthode s’oppose aux deuxpremières : par l’analyse de la syllabe telle qu’elle se présentedans la chaîne, nous avons obtenu l’unité irréductible, le sonouvrant et le son fermant, puis combinant ces unités, noussommes arrivés à définir la limite de syllabe et le pointvocalique. Nous savons dans quelles conditions physiologiquesces effets acoustiques doivent se produire. Les théories cri!

tiquées suivent la march e inverse : on prend des espèces

phonologiques isolées, et de ces sons on prétend déduire la limitede syllabe et la place de la sonan te. » (CLG.89).Les « éléments » de la chaîne parlée ne sont donc pas

comme des parties réelles, mais plutôt comme des facteursde ponctuation, d’unification et de différenciation, dans lachaîne phon ique : les ph onèmes son t des « fonction s »dit le. texte établi par BaJly (CLG.87 et CLG.89). Lesphonologistes confondent le rapport de la parole à lalangue avec le rapport entre les unités fonctionnelles quesont les phonèmes, et ces abstractions que sont les « espècesphonologiques », qui sont de purs artefacts théoriques, quel’on a le droit de faire dans la mesure uniquement où l’onpart du phonème comme fonction syllabique.

« Ce fut une grande erreur de la phonologie de considérercomme des unités réelles ces abstractions, sans examiner de plusprès la définition de l’unité. » (CLG.82).Ainsi, croyant s’en tenir à la réalité physiologique, ils

se contentent d’abstractions.

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Mais cette nécessité de définir F unité dans la chaîne,et jamais à l’état isolé, engage la conception même qu’onse fait de la réalité non pas de la langue, mais bien de l’actede langage en général. Car si lesé léments de la parole nesont pas des types de sons ou articulations, mais des fonc!

tions d’unification et de différenciation, c’est parce que

l’unité d’un acte de parole nest pas une chose qui résultede la réalité de cet acte.« Con tre cette conception , la protestation que j ’élève

consiste simplement en ceci : il faut définir l’unité phonatoire,et quand on aura défini cette unité on verra l’absence de toutedifférence entre l’unité dans la chaîne et hors de la chaîne. »

(ELG.113).En effet une unité phonatoire (c’est-à-dire un acte deparole) n’est rien d’autre que l’ensemble des traits qui per!

mettent de la distinguer des autres, qui la font sentircomme un seul et même temps. C’est donc la même chosequi permet de décomposer en « unités » élémentaires unacte de parole donné, et qui permetd ’isoler et d ’identifier ce même acte de parole en tan t qu’il est quelque chose à étudier, à analyser. On comprend désormais les formules parlesquelles Saussure opposait la linguistique aux sciencesempiriques qui, une matière étant donnée, pouvaientchercher la manière dont elle était organisée. Ici, c’est bienla séparation entre la matière et l’esprit, entre le donné et leconstruit, entre l’être et l’un qui est remise en question, etcela, disons-le encore une fois, dans la mesure où l’on chercheà savoir ce qu’il y a d’objectif de causai ou de contraignant,en d’autres termes deréel dans la physiologie du langagelui-même. C’est la réalité même du langage qui s’avère

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nécessairement « psychique » ou « spirituelle ». C’est la base« physiologique », comme le dit Saussure en y mettan td’indispensables guillemets, c’est-à-dire ce que les linguistestenaient pour la base physiologique, qui est en tant quetelle « psychique ».

« Plaçons-nous mainten ant devant la chaîne continuenormale, qu’on pourrait appeler « physiologique », teJJe qu’eileest représentée par le mot français partikülyerma. Elle est carac!térisée par une succession de chaînons explosifs et implosifsgradués, correspondant à une succession d’ouvertures et de fer!

metures des organes buccaux. (...)Si dans une chaîne de sons on passe d’une implosion à

une explosion on obtient un effet particulier qui est l’indice de

la frontière de syllabe, par exemple dansik de particulièrement. Cette coïncidence régulière d’une condition mécanique avecun effet acoustique déterminé assure au groupe implosivo-explosif un e existence propre dans l’ordre ph onologique. »(CLG.86-87).C’est donc le caractère doublement déterminé, à la

fois acoustique et mécanique, de l’articulation qui fait d’unacte de langage un fait phonatoire, quelque chose ayant une« existence » dans « l’ordre phonologique ». On comprendque ce soit dans cet « appendice » qu’on passe de la linguis!

tique « externe » à la linguistique « interne », c’est-à-dire au problème de l’unité concrète. On a vu en effet que le problèmepratique de la « délimitation » se confondait pour Saussure

avec celui, métaphysique, de l’être du langage. On com!prend maintenant en quel sens une critique des opérationsde l’analyse phonologique utilisée par les linguistes permetde faire apparaître que, si l’on doit poser la langue commeréalité, c’est d’abord et avant tout parce que la réalité même

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du langage n’est pas réductible à celle d’un événementphysique.

On peut désormais revenir au primat de l’acoustique.Car s’il y a des lois de la parole, c’est précisément parce quecelle-ci ne se réduit pas à une série d’actes articulatoires,mais que ces actes cherchent à reproduire des effets quali!

tatifs globaux :« Autant que nous entendons, nous parlons. Oui, messieurs,

sans doute, mais jamais autremen t que d’après l’impression acous!

tique non seulement reçue, mais reçue dans notre esprit et qu i estsouveraine seule pour décider de ce que nous exécutons. C ’est ellequi dirige tout, c’est elle qu’il suffit de considérer pour savoirqu’elle sera exécutée, mais je répète qu’il est nécessaire pour qu’ily ait même une un ité déterminée à exécuter. » (ELG.247).

On retrouve donc ici cette grande figure de la prononciation , que Saussure avait bannie dans sa critiquede l’écriture, mais uniquement avec l’intention de la fairerevenir sous une forme plus adéquate. Parler, ce n’est pasimiter une « manière de parler », comme le disaient lesnéogrammairiens à la suite de Whitney, mais s’efforcer de

reproduire du mieux possible un certaineffet qualitatif ; etcest un iquement parce que cet effet, du fait de son carac!

tère nécessairement articulé, ne saurait être indépendantdu mécanisme de production lui-même, que l’on peutconsidérer que la manière dont on parle a une incidencesur ce que l’on finit par dire.

« Comme le sujet parlant ne se propose jamais d’exécuter“ des mouvements ”, mais les mouvements qu’impose une sériefixe de sons à réaliser, il en résulte qu’une phonologie quis’imagine pouvoir puiser le principe de ses un ités, de ses distinc!

tions et de ses combinaisons dans l’observation n’aboutit à rienet n’est pas une phonologie. » (ELG.254).

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Le caractère intermédiaire de cette discipline qu’est laphonologie correspond au caractère intermédiaire quanécessairement l’expression delinguistique de la parole. C’estqu’il y a effectivement des lois générales qui contraignent lesréalisations singulières de la langue, qui ne se confondentdonc ni avec la « généralité » de la langue, ni avec la « par!

ticularité » empirique d’une parole donnée.II ne sert à rien d’opposer, à la définition saussurienne

du phonème comme unité fonctionnelle acoustico-motricede la parole, la définition de la phonologie pragoise, qui yverra un « son de la langue ». Car si Saussure affirme que lephonème appartient à la parole, c’est précisément pourmieux montrer que rien, dans le langage, dans le fait du lan!

gage, n’est donné sur un mode empirique. L’analyse duphonème montre précisément que la parole n’est pas pourSaussure la pan du langage qui resterait empirique : c’est aucontraire parce que la notion même de « fait de langage » estproblématique qu’il va falloir construire le concept delangue. C’est parce qu’un acte de parole est une réalité

intrinsèquement double et intrinsèquement articulée qu’ilest impossible de le sentir ou de le faire advenir sans recourirà ces entités non actuelles que sont les signes linguistiques.On peut donc dire quun acte ou un fait de langage est une

parole, c’est-à-dire une actualisation d’une entité de langue :toute parole est uneréalisation de quelque chose qui est ensoi « inactuel ». En somme, ce que découvre Saussure enétudiant les procédures d’analyse phonologique de la« chaîne parlée », c’est qu’il y a des réalités qui sont tellesquelles ne peuvent être comprises que comme desactuali!sations (ce que veut dire, dans le fond, « prononciation »), et

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qui donc exigent la séparation entre des entités« virtuelles7 » et des processus d’actualisation. Il y a desparties du réel qui ne sont réelles que parce qu elles sontactualisées.

De cette longue « réduction » des opérations de laphonologie, il faut donc conclure ceci : aux néogram!

mairiens qui voulaient réduire la linguistique à l’étude del’activité parlante, Saussure montre qu’il n’y a point d’actede parole, donc point d’étude de l’activité de parler, s’il n’y apoint delangue, Saussure n’entend pas par là suggérer que lesnéogrammairiens n’ont produit aucun savoir sur les languesni sur l’activité parlante. Au contraire, il montre en quel senset à quelle condition ce savoir est possible, et déduit, du faitque ce savoir est possible, l’inévitable conclusion, aussi brutalepour les linguistes que pour les philosophes,que les langues existent. Saussure montre donc à ses collègues que ce qu’ils

forit, le fait même qu’ils puissent le faire, prouve que l’objetque leur pratique dégage n’est pas « empirique », qu’il y aici un objet réel, mais non empirique —bref, « un pro!

b lè m e»... La critique du réalisme physiologiste de sescontemporains amène Saussure à proposer un autre genrede réalisme, encore plus radical : l’affirmation que leslangues existent en tant que telles, et pas seulement les sujetsparlants. D ’où toutes les difficultés que l’on connaît, et lesobjections intarissables que les critiques ont faites au « struc!

turalisme » en général...Mais la conséquence attendue suit-elle vraiment desprémisses de manière aussi mécanique ? Ne voit-on pasque la seule raison pour que ce « problème » se pose en destermes ontologiques rient précisément à ce que, de l’aveu

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DEUXIÈME PARTIEL’HYPOTH ÈSE DE LA LANGUE

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linguistique qui ne soie confrontée d’emblée à la nécessité declarifier le statut de son objet. La question de savoir si la lin!

guistique peut être considérée comme une science empirique,voire comme une science tout court, est encore pendante

Mais si le problème de Saussure a donc bien été reçupar les linguistes, qui ne pouvaient, de toute manière,l’éviter, on ne peut en dire autant de sa solution. Saussure

est en effet un ique, sans antécédent et même sans postéritéparmi les linguistes, dans la mesure où il a cherché dansl'objetm zm t de la linguistique la source de la singularité dece savoir. Saussure a considéré que cette « non-empiricité» était une propriété du genre deréalité que constituait le lan!

gage. Mieux : que la linguistique ne pourrait se doter d’une

méthode rigoureuse qu’à condition d’admettre qu’elle avaitouvert un domaine qui n’était pas seulement, pour parlercomme Heidegger, une « région de l’étant », mais bien unnouveau régime deY être. On comprend dès lors que la« linguistique générale », la possibilité de « classer » la lin!

guistique parmi les sciences, implique un « réel pouvoirphilosophique ». Ce discret nouage d’une ontologie etd’une science n’aura que très peu d’échos parmi les lin!

guistes, qui ne l’ont jamais reconnu que pour l’écarter2. Enrevanche, on peut penser que cette aventure étrange qui,sous le nom de « structuralisme », en France, a vu sedévelopper de nouvelles ontologies adossées pour ainsi direaux voyages de la méthode structurale, a été une sorte deprolongement inconscient, souvent confus, de la proposi!

tion de Saussure.Jean-Claude Milner a nettement perçu l’implication

ontologique qui soutenait la réflexion de Saussure. Il ne lui

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a même pas échappé que l’aventure « structuraliste » avaitété, pour une par t (la meilleure), une sorte d’onde de choc,dans la culture, de ce vertige ontologique que Saussurecroyait avoir découvert dans la linguistique (Milner.2002.37-38). Mais il montre aussi qu’il ne suffit pas demettre en évidence cette « substance glissante du langage »(ELG.281) pour se croire, à la manière de Saussure., en

droit d’affirmer que les conditions qui permettent de fairede la linguistique une science empirique exigent l’hy!

pothèse de la langue, autrement dit l’hypothèse que les faitsde langage sont, dans leur réalité même, des actualisationsde virtualités préalablement définies. De ce fait, Jean-Claude Milner est un des rares à avoir proposé une véritablecri tique du structuralisme, qui aille au cœur de la question.L’argument de Milner pourrait être résumé de la manièresuivante : s'il s’agit de réfléchir íes conditions qui permet!

tent de construire une science empirique du langage, l’hy!

pothèse ontologique n’a de sens que dans la mesure où elleaccompagne une méthode efficace pour rendre compte desphénomènes du langage. Ce fut bien le cas avec la méthodedite de délimitation ou de permutation en phonologie struc!

turale. Milner admet donc que l’on puisse avoir à passer pardes énoncés philosophiques nouveaux pour construire unmodèle théorique efficace. Mais, en post-kantien à vrai dire

justifié par les errements de l’histoire millénaire de la méta!

physique, il pose que nous n avons aucun moyen de décider,

de manière strictement immanente à la philosophie, de lavaleur d’une thèse philosophique. Si donc il s’avère qu’uneautre hypothèse sur le langage permet de construire uneméthode qui rend compte des phénomènes du langage plus

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efficacement et sans faire l’hypothèse d’en rires réelles, cesr

cette représentation qui devra prévaloir. Or c’est bien là eneffet ce que Chomsky a proposé : « Que les unités de la lin!

guistique ne soient pas données à l’intuition immédiate,c’est au fond une affaire de fait, susceptible d’un examenempirique et non seulement de définition nominale. Maisc’est dire du même coup que des différences de principe ne

seraient pas nécessairement en cause, si quelque théorie lin!guistique, à la différence duC ours, tenait pour l’immédiatetédes unités. Or telle est bien la situation : implicitement ounon, toutes les grammaires structuralistes ont effectivementraisonné comme si leurs unités devaient être construites ;pour la grammaire transformationnelle, au contraire,l’ensemble des opérations de construction —établissementdes distributions, des oppositions, des paradigmes, etc. —est inutile : les unités sont données, il s’agit simplement deles décrire » (MiIner.1978.62-63).

Milner a bien vu que l’entreprise de Chomsky par!

tait d’une question épistémologique très simple adressée àla linguistique : à quelles conditions une théorie linguis!

tique peut-elle produire des énoncés réfutables ? Commenty construire un « test d’adéquation »? Il a parfaitementraison d ’insister sur le caractère profondément « pop-périen » de la démarche de Chomsky (cf. Milner.1989.38).Dès lesStructures syntaxiques, Chom sky définit le bu t de lathéorie linguistique comme la construction d’un mécanisme

produisant de manière si l’on peut dire automatique des jugements de grammaticalité, afin de proposer un critèrede réfutabilité : « Un moyen de tester l’adéquation d’unegrammaire proposée pour L est de déterminer si les suites

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qu’elle engendre sontré ellement grammaticales ounon, c’est-à-dire acceptables pour un locuteur indigène. »(Chomsky. 1957.15). Cela suppose deux ch oses: que lesgrammaires soient des sortes d’automates logiques(principe d e k récursivité des règles gram m aticales), et que la nature des données importe moins que le jugement quel’on porte sur elle (nature cognitive des faits linguistiques).

Le fait que ces données ne soient pas des données sensiblesdevient un problème non pertinent. La théorie grammati!

cale n’est pas faite de lois de causalité portant sur la pro!

duction d’événements réels, mais de « l’explicitation d’unconcept in tu itif - en l’occurrence le concept de “ gram!

matical en anglais ” et, plus généralement, le concept de“ grammatical ” » (id. 15). Cela ne l’empêche pas d’être unsavoir, et même unsavoir empirique, dans la mesure où il estconjectural et réfutable. Ainsi, la notion d’« empiricité » estune contrainte portant sur les théories, et non une thèseconcernant i’« objet » : une théorie est « empirique »dans la mesure où elle dispose de procédures permettant deréfuter ses hypothèses. La linguistique dispose de telles« données empiriques » : ce sont les jugements de gram m ati- calité. A insi, ¡’objection d’avoirméconnu le problème del’identité des « entités concrètes du langage » que certainsparmi les meilleurs saussuriens ont adressée à la grammairegénérative (cf. Tullio de Mauro, in CLG.403), n’est finale!

ment pas pertinente.

Cette construction suppose cependant une hypothèseforte sur le langage : le langage n’est pas un ensemble dephénomènes de ce monde, au même titre que le mouve!

ment des montagnes, les décharges de l’orage ou les

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mais les « sciences cognitives ». La linguistique chomskyenneest le premier exemple d’une science de l’esprit au sens d’ac!

tivité de production de connaissances.Mais c’est bien là, précisément, que le bât blesse. Car II

se trouve que si justement Saussure maintient la notiond’« entités concrètes », ce n’est pas parce qu’il adhérerait à uneinterprétation fondamentalement « réaliste » (donc philo!

sophiquement contestable) de la notion d’« empiricité »,mais aussi pour une raison que l’on peut bien dire« empirique » au sens de Milner et Chomsky. Il affirmeque, pour des raisons d’adéquation de la théorie auxphénomènes du langage, il est nécessaire de faire la dif !

férence entre deux types d’entités théoriques, les unes quilappelle les « entités concrètes », et les autres qu’il appelle les« entités abstraites ».

« O n va voir de suite q u i/ n ’est pas permis impu némentde substituer ainsi d’un seul coup des entités abstraites au fait del’identité de certains faits concrets : parce que n ous auronsaffaire à d’autres entités abstraites, et que le seul pôle au milieude sera l’identité ou la non-identité. » (ELG.33-34).

On se souvient que la distinction de l’abstrait et duconcret repose pour Saussure sur la distinction entre ce quirequiert une « opération du sujet parlant », et ce qui ne lerequiert pas. Un passage du troisième cours explicite enquoi cette distinction peut traverser la langue elle-même :

« Nous avons réservé le terme deconcre t', le cas où l’idéea directement son appui dans une unité sonore. A bstrait ayant

indirectement son appui sur une opération des sujets parlants. »(E.1.315 .2I95 .3G 29 8; IC297).La thèse de Saussure est donc que Ton ne peut

réduire l’ensemble du langage à une suite d’actions d’un

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sujet pensant, parce que, dans la langue même, il y a deschoses qui sont effectivement « données » au sujet parlantde manièrein tuitive, et d’autres qui ne sont obtenues quepar une participation active du sujet parlant. Toutes deuxsont « spirituelles », mais les unes peuvent être considéréescomme de pures catégories abstraites, c’est-à-dire desrésul!tats d’un processus cognitif d’abstraction, alors que lesautres supposent de véritables réalités, « spirituelles, maisréelles ». Or que son t les « enrirés abstraites » ausens deSaussure ? Ce ne sont rien d’autre que les catégories gram!

maticales. Si donc Saussure a besoin de poser l’existenced’« entités concrètes », avec tous les paradoxes que celaimplique, c’est parce quil défend une thèse empirique

concernant le phénomène grammatical : les catégoriesgrammaticales reposent sur des entités concrètes préalable!

ment données, ou, pour être plus précis, les catégories gram!

maticales ne sauraient être que des « abstractions » résultantdu classement d’entités concrètes qui sont elles-mêmes dessensations. La langue est faite de ces « pensées » déjà consti!

tuées, de manière involontaire, qui ne sont pas les résultatsd’une opération d’un sujet pensant, les corrélats d’actesintentionnels (puisqu’elles se trouvent pensées sans jamaisqu’un sujet ait cherché à les penser), mais qui rendent de cefait même les actes de parole possibles.

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CHAPITRE ILE PROBLÈME DE L’ANALYSE INTU ITIVE

Si on s’accorde en général pour considérer le conceptde langue comme une des grandes inventions de Saussure,c’est curieusement en refusant la définition même qu’il en

proposait. Celle-ci est pourtant parfaitement claire : lalangue nest pas un système de règles, mais un ensemble de« choses pensées », c’est-à-dire de pensées qui se trouventpour ainsi dire occuper les sujets pensants, sans que ce soiteux qui les aient activementconstruites.

« Dan s la langue nous avons un objet, fait de natureconcrète (ce qui est un grand avantage pou r l’étude). Ces signesne sont pas des abstractions, tout spirituels qu’ils soient.L’ensemble des associations radfiées socialement qui constituentla langue a siège dans le cerveau ; c’est un ensemble de réalitéssemblables aux autres réalités psychiques. Il feue ajouter que la

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langue esc tangible, cesc-à-dire traductible en images fixescomme des images visuelles, ce qui ne serait pas possible pourles actes de la parole par exemple. La phonation du motreprésente toutes sortes de mouvements de l’air, musculaires,etc., qu’il serait extrêmement difficile de conn aître. Mais dans lalangue, il n’y a plus que l’image acoustique, et cela peut setraduire en image fixe.

Nous avons dans la langue une somme de signes évoca-bles, mais le mouvement n'interviendra que par la parole et cessignes dans leur état latent sont parfaitement réels (déposéscomme des images photographiques dans le cerveau). Don c cetobjet est non seulement de nature concrète, mais d’une espècequi permet l’étude directe, à peu près comme celle de papillonsclassés dans une boîte de collectionneur. Nous pouvons fixer ce

qui est relatif à la langue. Grâce à ce caractère,on peut direqu’un dictionnaire et une grammaire sont une image admis!

sible, convenable, de ce qui esc contenu dans la langue1.»(E.1.44.263-269.3Q272 ; CLG.32).Le défi donc de la linguistique serait d’avoir à admettre

l’existence de choses réelles, mais cependant spirituelles, depensées qui ont la particularité d’être de véritableschoses. Lalangue saussurienne est uneréalité mentale. On comprendque les termes « psychiques » et « spirituels » aient gêné lescommentateurs, qui auraient préféré que Saussure secontentât de dire que la langue est une abstraction néces!

saire, comme le fit Victor Henry dans un livre qu’on a parfoisconsidéré comme prémonitoire des formules saussuriennes(cf. Henry.1896.4sq.). Ainsi René Amacker déclare : « Cetterévolution méthodologique dent d’abord à la reconnaissancedu caractèreabsfrait des unités de la langue par rapport auxréalisations de la parole. Et que Saussure ait eu scrupule à seservir de l’adjectif “ abstrait ”, lui préférant entre autres

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Ici pour ia première fois question des deux Linguistiques 3. »

(ELG.299).La langue n’est même pas une puissance d'agir, ou

une compétence : elle est une chose. C’est même par làqu’elle se distingue du « langage ».

« Il faut faire la distinction entre :langage (= langueconsidérée dans l’individu ; n’est qu’une puissance, faculté,l’organisation prête pour parler ; mais l’individu laissé à lui-meme n arrivera jam ais à la langue), etlangue qui est unechose éminemmen t sociale (... ). » (E.1.31.155.2R.5).Mieux : le propre du langage comme faculté est pré!

cisément de ne pouvoir s’exercer sans ces choses que sontles langues. Dans un long passage du manuscrit des leçonsinaugurales, Saussure refuse de définir la linguistiquecomme « l’étude du langage, considéré comme faculté del’homme, comme un des signes distinctifs de son espèce,comme caractère anthropologique ou pour ainsi direzoologique » (ELG. 145-146). Non, cependant, comme ona eu tendance à le penser, parce qu’il contesterait toute per!

tinence à la notion de langage, mais parce qu’on ne peut

reconstruire cette faculté qu’à la condition de comprendrepourquoi elle présuppose ce fond de passivité. Le langageest même une faculté innée : un ensemble de « principes »qui « régissent » les langues (idem), « d’opérations possiblesde l’instinct h umain appliqué à la langue » (idem), de« forces psychologiques » (ELG.158), une « fonction », une

« puissance », une « organ isation », un « appareil »(ELG. 178) - bref, un ensemble de mécanismes déjà mon!

tés qui sont activés par des stimuli déterminés. Cependant,cette activité ne peut about ir qu’à la condition que le sujetdispose déjà de choses données.

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« Il y a chez chaque individu une faculté que nous pouvons

appeler la f aad t é du langage artictdé. Cet te faculté nous est don!

née d ’abord par des organes, et pu is par le jeu que nous pouvonsobtenir d’eux. Mais ce n’est qu’une faculté, et il seraitmatériellement impossible de l’exercer sans une autrechose qui est donnée à l ’individu du dehors * : la langue ; il faut que ce soitl’ensemble de ses semblables qui lui en donne le moyen par cequ'on appelle la langue. »(EA .3l. l59.3C ,12).

« À supposer même que l’exercice de la parole constituâtchez l’homme une fonction naturelle, ce qui est le point de vueéminemment faux auquel se placent certaines écoles d’anthro-pologistes et de linguistes, il faudrait encore absolument soutenirque cette fonction n’est abordable pou r la science que par le côtéde la langue - par le côté des languesexistantes. » (ELG.146).

« La langue esc le pr oduit social don tY existence perm et àl’indiv idu l’exercice de la faculté du langage. » (E. 1.31.159.3C.263).Saussure n ignore don c pas la possibilité théorique

de faire de la parole une simple mise en œuvre ponctuelle

de capacités propres au sujet, en faisant l’économie del’hypothèse de la langue : il la conteste. Cette nécessairemédiationdéfinit la singularité du langage comme faculté.

« On peu t voir dans la langue un e fonction naturellecomme celle de manger par exemple (...) . Mais quelle esccette fonction naturelle qui ne peuc s’exercer qu’après avoir pris laforme de la société. » (Id.lR.l ; ICI).Le langage est « un ique comme fonction naturelle » :

son organe serait comme un poumon qui ne pourraitréaliser sa fonction en se contentant d’appliquer directe!

ment à l’air absorbé un certain nombre d’opérations

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physiques et chimiques, mais devrait disposer, en plus deces mécanismes, d’un stock d’éléments qui doivent êtreacquis. Entre la faculté et son usage, le pouvoir et sa réalisa!

tion, la capacité et l’exercice, la compétence et la performance,entre la capacité générale de parler et un acte de parole par!

ticulier, il y a un intermédiaire, et cet intermédiaire est fait de« choses ».

« D o n c la langue est un ensemble de conventions néces!

saires adoptées par le corps social pour permettre l’usage de lafaculté du langage chez les individus (définition). La f aad té du langage est un fait distinct dela langue, mais qui ne peut s’exercersans elle. Par la parole on désigne J’acre de J’individu réalisant safaculté au moyen de la conven tion sociale qui est la langue. Dan sla parole, il y a une idée de réalisation de ce qui est permis parlaconvention sociale. » (E.1.32.160.2R.6).Le langage est une faculté, c’est-à-dire une capacité

à agir ; la parole est un acte particulier ; mais la languen’est pas un ensemble de schemes d’actions, d’habitudes,de conditionnements : c’est une chose donnée, ou plutôtune « somme » ou un « ensemble » de termes discrets

effectivement existants. Loin d’être une sorte de postulatépistémologique, l’hypothèse de la langue se présentedonc d’emblée comme une thèse empirique sur le f in e-tio?mement du langage.

2 . L’é v o c a t i o nd e s u n i t é s

En glissant avec un silence embarrassé sur cet aspectde la pensée de Saussure, on la rabat finalement sur la posi!

tion quelle entendait contester, qui n’est autre que celle de

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Humboldt, reprise comme on sait par Chomsky au siècledernier. En effet, la tripart ition que nous venons de présen!

ter est présentée par Saussure comme une propriétégé n ér ale de Yarticulation, cest-k-dire de ce que HumboJdrappelait la Gliederung. Saussure propose à travers l’hy!

pothèse de la langue une nouvelle conception deY analyse. Pour les premiers, l’activité du langage consiste à appliquer

à des données sensibles continues des procédés de traitementde l’information organisés en systèmesde règles, afind’obtenir une représentation discontinue de symboles défi!

nis par leur fonction syntaxique. Pour Saussure enrevanche, une telle « analyse » ne saurait aboutir que si lesujet parlant dispose d’abord d’un ensemble donné de

termesdéjà articulés, qui eux ne sauraient avoir été obtenusau moyen d’une analyse du même ordre.Saussure ne nie pas que l’articulation soit le fait fon!

damental du langage, et il est sans doute bien peu de lin!

guistes, anciens ou modernes, qui n’aient plus ou moinsclairement admis que telle était la propriété essentielle dulangage. Il parle à plusieurs reprises de la « faculté du lan!

gage articulé » (E.1,31.159.3C,12 ; E.1.34.172.3C,265),de la « faculté — naturelle ou non — d’articuler desparoles4 » (CLG.27), du « langage ou comme on dit, laparole articulée» (ELG.145). Certes, il ajoute aussitôt:« Ce terme d’articulé étant au fond un terme obscur et trèsvague sur lequel je fais toutes réserves. » Mais il relativise et

expliqueces réserves dans une petite note qu’il intitule « Del’articulation », où ce terme est classé parmi

« ces termes en eux-mêmes justes et que l’on sent justes, sansqu’on ait jamais pu dire exactement leur portée et leur contenu,

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ni décider quelle idée ils recouvrent. (...) Zoologistes, anthro-pologisces, echnologisces et linguistes parlent à l’envi au publicdu langage articulé co m m e d’une ch ose qu ine peut être que par!

faitement claire à l’esprit de tout le monde. Ils prouvent par làqu’ils confondent “ l'articulation ” avec quelque fait cérébral,comme serait la “ suite des idées ” donnée au langage. Car per!

sonne n’indique que l’articularion aurait une signification buc!

cale, » (E.1.34-35.177.N14 ; ELG.236).L’originalité de la linguistique saussurienne peut être

comprise comme un double refus, renvoyant dos à dos deuxmanières symétriques de comprendre le caractère articulédes faits de langage (autrement dit des paroles) : soit commela propriété objective d’une réalité sensible (modèle

anatomique dont nous avons montré l’inadéquation) ; soitcomme la projection d’une représentation articulée sur ledonné phonique, sans que celui-ci importe fondamentale!

ment dans la constitution de cette représentation (simple« suite d’idées »). La notion d’articulation ne mérite pourSaussure d’être utilisée pour désigner un phénomène parti!

culier que dans la mesure où la décomposition ou l’analysesur une « substance », la substance sonore, est corrélatived’une analyse exactement simultanée d’une autre substance,la substance psychologique.

« Par articuler nous entendons souvent proférer de façondistincte. Mais ce n’est pas ce sens ici. Langage articulé (latinarticulas-, membre, partie).

1° On peu t y voir les subdivisions dans les syllabes qui sesuccèdent.

2 ° On peut faire allusion aussi à la division de la chaîneparlée en unités significatives {gegliederte Sprache ou Rede), »(E.1.34.I77.3C.265).

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Ainsi l’articulation est toujoursd ouble, au sensmême de Martinet (1968.1-35), c’est-à-dire au sens où unacte de langage suppose toujours une articulation en deuxniveaux inégaux : phonèmes et morphèmes en termesmodernes, unités phoniques élémentaires (« syllabes ») etunités dotées d’un sens (« signes ») en termes saussuriens.

Savoir parler, c’est pouvoir, un ensemble de phénomènessensibles étant donné, découper le continuum sensible ences deux niveaux. Cette analyse ne saurait être le simplerepérage des articulations phénoménales de la parole, maiselle ii est pas non plus simplement l’application de caté!

gories logiques toutes faites sur le continuum sonore, danslequel la pensée pure, supposée par nature discontinue(« compositionnelle », disent les logiciens), chercherait à sefaire représenter. Elle est la constitution de deux domainesde discontinuité l’un par l’autre, et la faculté du langage estprécisément la faculté de produire cette forme singulièred’articulation.

Mais cette faculté est double en un deuxième sens :

c’est qu’elle ne peut s’exercer que si les termes articulés son tdéjà donnés au sujet.

« Le terrain de la linguistique est le terrain qu’on pour raitappeler dans un sens très large le terrain commun, des articu!

lations, c’est-à-dire desarticuli, des petits membres danslesquels la pensée prend conscience par un son. » (E.1.253.1832.2R.38 ; G.38).La faculté du langage n’est jamais que « la facu lté

d'évoquer les signes d'un langage régulier » (ELG.260). S’il ya bien un « mécanisme du langage », ce mécanisme n’a pas,si l’on peut dire, eninput, un donné sensible, et enoutput ,

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une représentation structurale, avec, au milieu, desprocessus de traitement de l’information qui doivent fairecorrespondre à ce donné sensible la représentation struc!

turale susceptible de lui convenir. La relation n’est pasaussi directe : la réalité sensibleévoqite la représentationarticulée en laquelleconsiste l’acte de langage produit. Lareprésentation articulée n’est donc pas lerésultat d’un

processus, mais une donnée qui est simplemen t « rap!

pelée » par la performance empirique. C’est lasuccession de ces imités évoquées qui constitue l’analyse de la séquenceproduite. Un acte de parole n’est don c pas tant un usage dela langue qu’un usage d’une faculté permettant d’évoquer,à partir de données diverses et hétéroclites, des unités toutes

faites dans la langue. On voit que donné signifie ici deuxchoses différentes dans les deux cas. Dans le premier, il s’agide données substantielles, sensorielles en dernière instance,immédiates ; dans le second, il s’agit plutôt de chosesétablies, subsistant à la manière de traces ou de souvenirs.Si activité il y a, elle consiste uniquement à mettre en rela!

tion un donné continu avec un donné discontinu. Demême un acte de langage est une réalisation de quelquechose en deux sens tout à fait différents : d’un côté, il s’agitde la mise en œuvre de certainescapacités ou compétences,physiologiques et psychologiques, qui relèvent fondamen!

talement de ce que Saussure appelle le langage ; mais del’autre, il s’agit d’une convocation, dans une situation enun Lieu et un temps déterminés, d’une combinaisondéterminée de ces entités de langue prédonnées.

« Parole : active et individuelle. Il faut distinguer deuxchoses : 1° Usage des facultés en général en vue du langage

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(phonation , etc.). 2° Aussi : usage individuel du code de lalangue selon la pensée individuelle. » (E .l .42.247 .30 ,270).

« a) combinaisons individuelles, phrases, dépendant de iavolonté de l’individu et répondant à sa pensée individuelle.

b) actes de phonation qui sont l’exécution de ces combi!

naisons, égalemen t volontaires. » (E .l.57.355.3C,308b).En ce dernier sens, elle n’est plus une simple opéra!

tion (application d’une instruction dans un contexte bienclairement défini), mais une « performance » au sensanglais, une « interprétation », une manière de rendre uneffet esthétique, non pas en produisant directement uneimpression, mais en évoquant indirectement dans l’espritde l’autre des impressions particulières dont la combinaison

induit une impression nouvelle.C’est pourquoi la langue est « une somme de signes

évocables ».« II y aurait peut-être à reprendre au cermed'i mage acous !

tique , car une image a toujours un lien avec la chose qu’ellereprésente. I mage est pris au sens le plus général de figure ayant que lque po uvoir évocateur, parlan t à l ’imagination *. Plus tardnous verrons cette image devenir beaucoup plus précisémentévocatrice, et c’est au nom de ce fait qui n’est pas primaire quenous garderons cette expression .» (E.l. 155 .1138 .3C ,281 ;IC288).Ce qui importe dans l’image, ce n’est pas tant ce

quelle « représente », les sons réels ou les actes musculaires

de la phonation , que ce quelle « évoque », l’impressionquelle rappelle, comme si un fait linguistique correspondaittoujours à une sorte d’état d’âme, qui aurait perdu cepen!

dant ce caractère vague et irrépétable que Bergson lui

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attribuait. Le rapport entre les productions concrètes dela parole et les éléments de langue qui permettent de lesidentifier est donc semblable à celui qu il y a entre la réalitégéographique et climatique d’un petit port brumeux de lacôte normande et le vague à l’âme qu’on peut y ressentir.C’est d’ailleurs ce qui motive la comparaison avec une sym!

phonie, qui apparaît à plusieurs reprises dans le corpussaussurien et qui a été bien mal comprise. L’effet que chercheà produire une symphonie, et en laquelle elle consiste, ne seconfond avec aucune de ses réalisations particulières : cha!

cune de ces « représentations » est une tentative singulièrepour rendre cet effet ou cette impression qui a elle-mêmeguidé le compositeur.

« La langue comparable à œuvre musicale. Une œuvre musi!

cale n’existe que par la somme des exécutions qui en sont faites.Les exécutions sont indifférentes à l’œuvre. Une symphonie estune réalité existante sans son exécution. De même les exécutionspar ia parole de ce qui est donné dans la langue peuvent paraîtrecomme inessentielles. » (E.l.53-54.330.3C,275).

« L’exécution individuelle, voilà ce qui rentre dan s la facultéindividuelle, c’est là ce qui est dévolu à l’individu. Mais c’estcomparable à l’exécution d’un chef-d’œuvre musical par uninstrument ; beaucoup peuvent l’exécuter mais ce morceau estparfaitemen t indépen dan t de ces diverses exécutions. »(E.l.54.331.3C,13).Si la symphonie est séparable de ses exécutions, c’est

qu elle est non pas la sensation empirique produite par lastimulation sonore, mais plutôt le sentiment singulierquelle cherche à évoquer. On voit que Saussure adhère àune esthétique assez proche de celle de Proust, sorte de pla-

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de l’analyse dite « grammaticale ». La décomposition d’uneperformance langagière en unités articulées n’est pas uneopér ation du sujet parlant, mais uneexpérience immédiate 6.C’est même pour cette raison que la « conscience » avaitété proposée par Saussure comme le critère de ce qui estconcret.

« Critère de ce qui est abstraction pure ec de ce qui esc

concret : À tou t moment, il est parlé du danger des abstractions.Pour se rendre compte de ce que c’est, il faut un critère. Cecritère est dans la conscience de chacun. Ce qui est dans lesen!

timent des sujets parlants, ce qui est ressenti à un degré quel!

conque, c’est la signification, et on pourra dire que le concretréel, pas du tout si facile à saisir dans la langue = ce qui estressenti, ce qui à son tour = ce qui est significatif à un degré

quelconque. (...) Quand le grammairien vient dire que dansekwos, ekivo = radical, cette délimitation est une abstraction desgrammairiens. Et c’est vrai parce queekiuo- n’était pas ressenticomme une unité par les Latins. Si on sépareekw/os, c’est plusdouteu x qu’on ne d istinguait pas deux éléments : -oî auquel onattachait unsens par rapport àekw- : deuxunités étaient ressen!

ties. L’opposition entre la séparation indo-européenneekwols etla latine ekw/os se traduit par une délimitation d’unités7.»(E.l.239-240.1737.2R,42 ; G.39-40).L’invocation de la « conscience » du locuteur ne

saurait donc avoir le même sens que celui qu’il a chezChomsky. Il ne s’agit pas d’un jugem ent, mais plutôt d’unsentiment. Et c’est précisément du fait de cette modalitémême de l’appréhension de l’analyse que Saussure invoquela not ion d’« entités concrètes » : car le sentiment ne réclame

justement pas une « opération de l’esprit ». Il s’agit don c dedire que les sujets necorviaissentpas leur propre langue : ils

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la sentent. L’analyse ne relève pas de procédurescognitives. Aussi ne doit-on pas la confondre avec « l’analyse desgrammairiens ». Il y a « l’analyse involontaire », dans laquelleles formes sont immédiatement données en éléments« réellement ressentis », et « l’analyse si rigoureuse, siméticuleuse des gram m airien s» (K. 115), ou encore« l’analyse subjective » et « l’analyse objective » :

« La langue ne peut pas procéder comme Je gram!

mairien ; elle est à un autre poin t de vue et les mêmes élémentsne lui sont pas donnés ; elle fait ce qui par le grammairien estconsidéré comme des erreurs, mais qui n’en sont pas, car il n’ya de sanctionné par la langue que ce qui estimmé diate ment reconnu par elle.

Entre l’analyse subjective des sujets parlants eux-mêmes

(qui seule importe !) et l’analyse objective des grammairiens iln’y a donc aucune correspondance, quoiqu’elles soient fondéestoutes deux en définitive sur la même méthode (confrontationdes séries). » (E.1.415.2759.1R,2.65).

« Nous devon s nous arracher à un e analyse psychologiqueplutôt que logique et ne pas faire une analyse qui suppose la

réflexion. » (E.l.429.2823.1R,2.43 ; K.101).Nous sommes donc bien au cœur de la différence

entre Chom sky et Saussure : Saussure revendique lui aussiune théorie psychologiquement « réaliste » du langage,mais conteste qu’on puisse superposer les deux conceptsde Ja « grammaire », la grammaire subjective et la gram!

maire objective. La langue n’est pas une théorie que Jessujets construiraient et utiliseraient. Il s’agit « de ne pasêtre obligés d’admettre pour le sujet parlant une opérationtrop semblable à celle du gramm airien » (E .l .381.

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254l.lRj2.93 ; IC130 ; CLG.229), cest-à-dire une opérationqui consisterait en ce que Saussure appelle une « analysepositive » et quil oppose au « sentiment » que l’on peutavoir des valeurs (E.1.381.2544.1R,2.94). Cette analysepositive est consciente, volontaire, et repose sur une« opération positive », alors que l’a.utre est « involon!

taire », « subconsciente », et donne les performances delangage immédiatement analysées.

L’enjeu théorique de cette critique de « l’hypothèsede l’analyse » est massif : il ne s’agit de rien de moins quede savoir si on peut extraire des progrès de la linguistiquehistorique du XIXe siècle une théorie de la grammaire quirenouvelle l’image du langage léguée par les grammaires

rationnelles du XV IIe. Les fondateurs de la grammairecomparée faisaient en effet grand usage de catégoriestelles que « suffixe », « préfixe », « radical », mais aussi« sujet », « verbe », etc., héritées des gram mairesrationnelles, comme si les langues historiques pouvaientêtre comparées par la manière don t elles se servent de ces

diverses catégories. Les néogrammairiens le leurreprochèrent vivement. Saussure ne fait pour une partque reprendre cette critique :

« L’ancienne grammaire comparée ne se préoccupait pasdu tout de cette question. Elle partageait les mots enracines , thèmes, suffixes, etc., et donnait à ces distinctions une valeurabsolue. Elle y mettait une telle candeur que véritablement

quand on lit Bopp et son école on en arriverait à croire que lesGrecs avaient apporté avec eux depuis un temps infini unbagage de racines, thèmes, suffixes, et que,au lieu de se servir des mots pour parler, ils s’occupaient de les confectionner. » (EGL. 182-183 ; cf. aussi ELG.194-195).

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L’objection est toute simple : comment se fait-il queles sujets n’aient pas eu conscience de ces catégories et deleurs règles de combinaison jusquà ce que les théoriciensde la grammaire comparée les mettent en évidence ? Desgénérations d’humains ont utilisé le verbecantare sansavoir le sentiment de le construire à partir du radicalcan. C’est que les sujets parlants ne confectionnent pas leurs

mots ; ils s’en servent. Us ne les refabriquent pas sanscesse ; ils les trouvent. Cependant, Saussure ajoute qu’onne saurait banilir tout à fait l’idée que les formes linguis!

tiques soient analysées en catégories grammaticales par lessujets eux-mêmes.

« Il devait se produire une réaction formidable contre cesaberrations, réaction dont le mot d’ordre, très juste, était : observezce qui se passe dans les langues d’aujourd’hui, dans le langage detous les jours. N ’attribuez aux périodes anciennes de la langueaucun procédé ou phénomène que ceux qui son t constatables dansle langage vivant. Et aujourd’hui toute morphologie commencepar une déclaration de principe, qu i revient généralemen tà dire que-ra cine , thèmes, suffixe, etc. sont de pures abstractions, qu’il

ne faut pas se figurer que ces créations de notre esprit aient uneexistence réelle ; 2°q u ’on en fi ra usage cependant parce qu’on nepeut s’en passer pour la commodité de l’exposition mais que,bien entendu, il ne fout y attacher (à ces expressions) que lavaleur toute relative qu’elles comportent.

Résultat : le lecteur reste absolument désorienté. Car s’iln’y a pas de justification à l’établissement de ces catégories, alors

pourquoi les établir ou, en particulier,quest-ce q ui fa i t qu'il est moins fa u x de décomposer zugon en zug-o-n que de le décom!poser en zu-gon ? L’école nouvelle mérite effectivement cereproche d’avoir reconnu la nature des phénomènes et d’être

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« indéfendable », « insupportable », « incontrôlable », etc.Aussi est-il compréhensible bien qu’il n’ait jamais étéprécédemment rencontré. La théorie de la quatrième pro!

portionnelle explique la création de ce nouveau syntagmenon par une règle d'adjonction, à un radical, d’un préfixeet d’un suffixe, mais par une intuition immédiate :

« Si c’est la quatrième proportionnelle qui prévaut, il estinutile de poser l’hypothèse de j’analyse. Il n’y a pas besoin dedégager préalablement des éléments comme in-, décor-, -able,pour créer indécorable mais il suffit de prendre le mot entier etde le placer dans l’équation : condamner ;con da mna ble = d écomble : x, x= dêcorable. » (E.1.380.2539.1R,2.93 ; K.130 ;CLG.228).

Ce modèle vaut comme théorie générale del’analyse, qui explique que les opérations du sujet parlantressemblent à des opérations de grammairien, sans cepen!

dant en être à proprement parler, c’est-à-dire sans perdreleur caractèreintuitif, sans être de véritablesopérations actives ou positives.

« Il est très vrai que les sujets parlants p rocèdent toujoursen partant du mot fait : c’est-à-dire qu’en formantoseur, on nese dit pas : je combineos- et ~eur. Mais on procède comm e suit :graveur : graver, je grave = x : oser, j ’ose. —a- =oseur. » (ELG. 184).

« La. marche que nous suivons en ut ilisant l’élémentos-etl’élément-eurest, ii est vrai, assez différen te de celle qu’on sup!

pose généralement d’après l’analyse.Nous ne vous disons pas : je joins l’élémentos- et l’élé!

ment -eur. Non. Nous procédons toujours par proportion : je grave, ou graver : graveur = j ’ose ou oser : x ; x = oseur. C’est donctou jours lemot fa i t qui est notre unité fondamentale. M ais cela

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n’emp êche pas que nous n’accomplissions inconsciemment sur le m ot fa i t la même analyse que le linguiste*. N ous dégageons un son relatif à telle ou telle idée particulière, comme oser, penser, et unautre son appelé à marquer une relation déterminée du motavec certe idée. » (ELG.193).

« Notre synthèse ne diffère pas essentiellement de celle dela langue ; seulement la langue avait commencé par uneanalyse (exactement comme nous-mêmes d'ailleurs) Q- Lalangue avait commen cé par puiser quelque part - puiser dansdes mots déjà fa its — et l’idée d’une racinebher- et l’idée d’un élé!ment -ior- et d’un élémen t-es, qu elle n e conn aissait pas commetels, et en out re le modèle général de leur agencement et de leurfonctionn emen t. Il y avait par exemple peut-être*mentores « les

penseurs » ou*wek2 tores « les parleurs » et d’autre partbhero ,bhernos, etc. Les éléments que nous abstrayons, auxquels nous don !

nons fic tivem en t une existence à eux, ne vivaient qu ’au sein de formes antérieures et ce n’est que là que la langue a p u les aller

chercher *. » (ELG.192).

« Assurément, non seulement les Romains et les Grecs,

mais les Indo-Européens er ceux qui ont pu les précéder n’ont jam ais parlé qu’en des mots tout faits, c’est-à-dire avec ce quifait l’objet de mon analyse. » (ELG.195).Cette théorie a donc pour objectif explicite de rendre

compte du fait que les termes soient donnés à la fois globale!

ment, « subitem ent», mais cepend ant comme étant« analysés ». Il s’agit d’une « hypothèse », en concurrenceavec une autre, celle de « l’analyse positive », qui toutes deuxprétendent rendre compte de la « psychologie » à l’œuvredans le langage. La valeur de chacune doit être évaluée surleur capacité à « sauver les phénomènes », et non pas sur des

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CHAPITRE IILINGUISTIQUE SÉRIELLE

Comment Saussure s’y prend-il pour rendre comptedu sentiment que nous avons de l’analyse, en écartant l’hy!

pothèse selon laquelle nous projetterions sur l’expériencesensible un schéma abstrait de sa structure, c’est-à-dire uneséquence d’unités préalablement définie où chaque unité

correspond à une fonction sémantique ? Il faut partir dumot déjà fait. Admettons provisoirement que toute formecorrespond à une impression globale singulière, sans nousdemander plus en détail quel est le rapport entre cetteimpression et la réalité physique du signal, et sans poser laquestion de ce qui fait l’unité d’une forme linguistique.

Nous feronscomme si les impressions qualitativesglobales aux!quelles chaque forme correspond nous étaientdomiéespn lessens et ne posaient pas de problème particulier. Nous savonsbien que ce n’est pas le cas, car non seulement l’impression

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acoustique ne correspond à aucune réalité physique, mais en

plus l’impression globale d’une forme n’est pas seulementacoustique : elle est aussi sémantique. C’est la démarcheque préconise Saussure lui-même :

« Quand nous disons que l’esprit associe une forme avecune forme, n ous voulons dire la forme revêtue de son idée. (.. .)Dans toute association de formes le sens y joue son rôle. Celabien enten du, prenons l’association de forme à forme. »(E. 1.286.2025.1R,2.26 ; IC93).

« On peut admettre provisoirement que ces unités noussont données. On peut parler des mots de la langue comme sic’étaien t des tout s séparés en eux-mêmes. » (E.1.257.185Q.3C.37S ; K.351).Nous verrons plus loin que cette démarche lui permet

de montrer quelle nous engage dans uncerc lethéorique, dontnous ne pourrons sortir que par l’hypothèse sémiologique etle deuxième moment de la théorie de la valeur qui correspondà la théorie de la prem ière articulation, celle qui donne lesformes toutes faites, la deuxième articulation les décom!

posant en éléments. La méthode est donc ici encorecritique. Soit une impression globale donnée, par exemplehôtelier :comment se fait-il que noussentions, en même temps quenous percevons ce mot, qu’il est composé ? C’est pourrépondre à cette question de l’analyse intuitive que Saussurese trouve fondé à fairel ’hypothèse de la langue.

1. L’ a n a l y s e i n t u i t i v e

Aussitôt perçue, propose Saussure, une impressionglobale est « immédiatement comparée » à d’autres, quant

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à elles « latences », préalablement données ec déjà classées en

fonction de leurs plus ou moins grandes ressemblances. Telleest l’hypothèse de la langue : nous conservons dans notremémoire un ensemble de souvenirs de ces impressions quali!

tatives singulières que sont les formes linguistiques, et cesimpressions sont « rangées » dans un ordre déterminé enfonction de leurs ressemblances et de leurs dissemblances

qualitatives :« Deux mots commechapeau et hôtel sont dans deux casesséparées ; avecchapeau-, chapelier , nous n’en dirons pas autant , demême pourhôtel, hôtelier <où l’on sent quelque chose de com!

mun, deux cases voisines;». » (E.l.286.2025.1R,2.26 ; IC93).Nous établissons donc desséries de form es, plus ou

moins longues, plus ou moins complexes. C’est ce classe!

ment préalable qui permet de parlerK En effet, une formeétant perçue, elle est immédiatement comparée à ces autresformes rangées en séries.

« 1) le rapprochement de formes : l’un ité du mot est asso!

ciée immédiatement *, à ses analogues dans les différentes sériespossibles (dans deu x séries au moins !). Ainsi quadruplex ne serapas isolé dans le classement intérieur mais sera rapproché d’unepremière série qui sera

ID puis d ’une autre 11°Qitadru-pes Triplex

Quadri-frons Simplex

Qitadra-ginta Centuplex

Nulle part l’identité ne peu t être complète (on aurait alors

le même mot !) mais le rapprochement se fait au nom d’unecommun auté de forme et de sens qui n’est que partielle.

Le rapprochement c’est, dans l’association, ce qu’il y ad’élémentaire. Il y a :

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2) fixatio n de la valeur'. La langue apprécie quelle portion

du moc reste constante quand elle fait varier la forme avec sesanalogues dans les deux séries (série Io c’estqaadr-, série IIo c’est- plex ). De là vient l’intelligibilité même du mot et en tout casson exacte valeur.

3) II y auraanalyse involontaire (par une opération sub!

consciente) de la première donnée, parce quelle se trouve coor!

donnée non à une série mais à deux séries au moins.

Tout rapprochement des analogies implique aussi le rap!

port des différences. C’est en cela que consiste la propre opérationdu grammairien lui-même ; c’est ainsi qu’il arrive à dégager lesens d’une unité inférieure : unité A = sous-unités a + b

(yuadruplex)=(quadr+piex).

Noton s que c’est arbitrairement que n ous somm es partisde l’unité du mot ; nous aurions aussi bien pu partir de l’unité

de la phrase. » (E.1.293.2067sq.lR,2.28 ; K.94).L’analyse dequadruplex est donc l’expression consciente

de la comparaison subconsciente entre cette forme nonanalysée et d’autres, elles aussi prises comme des « toutsséparés en eux-mêmes », présents dans la mémoire. Parcequ’il est comparable à d’autres formes sousdeux rapports,

c’est-à-dire inscrit dans deuxséries mnésiques,quadruplex est senti comme composé dedeux sous-unités.Structuralement, ce que Ton appelle un « élément » ou une« sous-unité » dans une forme n’est pas tant uneunité de construction qu’un facteur de comparaison,, c’est-à-dire unevariable. Analyser une forme consiste à définir la nature de

ses variables, en reconstruisant le diagramme des séries àl’intérieur desquelles il s’inscrit pour la conscience des sujetsparlants. C’est la raison pour laquelle il faut reconstruire lesystème des formes pour déterminer l’analyselinéaire d ’uneforme. Derrière la forme (a+b), il y a la comparaison de X

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(ab) avec une première série (Y (cb)5Z (db), etc.), et avec

une deuxième série (W (ae), V (af), ecc.).« Tou t mot se trouvera au p oin t d’intersection de

plusieurs séries d’analogues.

*

Cette étoile variera, mais s’imposera toujours pourl’analyse du mot. (E.1.289.2036.1R.2.30 ; IC.95).

habemus di cimtis

L’impression que Ton a d’une séquence d’élémentsne provient donc ni du caractère physiquement articulédu donné sensible, n i de la projection sur ce donné d’unereprésentation structurale a priori, mais de la présence subconsciente des séries ordonnées de fon n es analogues.

S’ensuit une nouvelle conception de l’analyse, involon!taire, intuitive, latérale c’est-à-dire finalement propre!

ment structurale. Involontaire, puisqu’il n’y a pas de faculté d’analyse ou

de fonction de l’analyse à proprement parler : le sentimentque nous avons de la forme analysée n’est pas le corrélat

d’un acte d’analyse, mais leréstdtat¿L\m autre acte (lui aussid’ailleurs largement passif nous le verrons), de comparaison.« C ’esc la combinaison involontaire de ces formes qui

fourn ira la conscience de plusieurs parties dans le mot. »(E.1.289 .2036.1R.2.30 ; IC96).

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« La comparaison aboutit à l’analyse et il en résulte des

éléments qui son t perçus par la conscience de la langue. »(E.312.2179.1R,2.32 ; IC.96).

In tuitive, au sens où elle escdonnée au sujet, et nonpas construite par lui. Le mot composé est « contemporainde toutes ses parties, il est armé de tous ses éléments dansla parole» (E.1.405-406.2696.1R,2.7S ; K.122). La

« représentat ion structurale » ou la « forme analysée »(quadru+plex) n’est pas l’aboutissement d’un raison!

nement, maisl'objet d ’une perception. Latérale cependant, au sens où elle n’est qu’une

manière nécessairement décalée dont nous percevons uneforme linguistique inanalysée. Nous visons toujours la formetoute faite, elle est notre seul objet, mais le fait quelle soitentourée d’autres formes inanalysées organisées en sériesarticule la perception que nous en avons en sous-unités. Toutse passe donc comme si la présence des formes latentes intro!

duisait une sorte d’écart entre le contenu d’une perception esa forme, entre, pourrait-on dire, le noème et la noèse. Laforme n’est jamais l’objet de la conscience, mais le résultat du

rapport entre ce que la conscience n a pas comme objet et cequelle a comme objet, résultat du rapport entre l’infra-conscient et le conscient.

Cette conception de l’analyse est de ce fait propre!

ment structurale, au sens où elle ne suppose pas un a prioriformel de la perception qui se trouverait du côté du sujet :

la form e de la perception d’un contenu est déterminée parles auftes contenus de perception. Elle s’qppose par là à tout form alism e. La masse sensible de la langue s’analyse elle-même : les mots analysent les mots.

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« C ’est dans la mesure où ces autres formes flotten t autour

de défaire que l’on peut analyser, décomposer,défaire en unités.Il serait indécomposable si les autres formes avecdé- disparais!saient de la langue :défaire ne serait plus qu'une unité, on nepourrait opposerdé- zt faire. » (E.1.293.2068.2R,97; G .85).L’analyse linguistique ne consiste pas à être capable

de reconnaître dans lein~ de indécorable un élément concretremplissant la fonction adéquatement décrite par lacaté !gorie de préfixe, et lié structuralement à unradical, remplien l’occurrence pardécor-, ces éléments concrets étant asso!

ciés à certaines propriétés lexicales en plus des catégoriesgrammaticales qu’ils incarnent. Elle n’est pas un rapportentre un contenu concret et une forme abstraite, entre uneréalité sensible et des fonctions intelligibles. La forme d’uncontenu dépend d’autres contenus. Lévi-Strauss distinguaitle structuralisme du formalisme en insistant sur le fait que,pour le structuralisme, c’est le contenu qui se structure lui-même2. L’enjeu philosophique du structuralisme tient à cequ’il a tenté d’échapper au dilemme dans lequel Chomskycroit pouvoir enfermer toute philosophie de l’esprit

(cf. Chomslcy.1965.69sq. et 1966) : il n’est réductible ni àl’empirisme (qui fait émerger la forme à partir du contenu) nià l’idéalisme (qui affirme que la forme préexiste au contenu etque les sujets projettent sur des contenus des schémas struc!

turaux «innés»). La pensée habite la langue en faisantémerger, de la mise en ordre du réel qualitatif, un ordre

d’un genre particulier. Il n’y a donc pas une capacitéformelle face à une réalité substantielle, mais un champqualitatif stratifié qui se structure progressivement. On voitqu’il s’agit de concevoir la grammaire comme le résultat

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d’une sorte de logique des qualités à l’œuvre dans le lan!

gage, forme de rationalité singulière qui produit de l’ordreà partir du donné qualitatif, comme si la rationalité linguis!

tique était un exemple de la manière dont du rationnel naîtà part ir du contingent, de l’intelligible à partir du sensible.

2 . L e c o r p s d e l a s y n t a x e

II est vrai cependant que cette conception de l’analysesemble s’appliquer avant tout à la morphologie, à la forma!

tion des mots. Or toute la critique que Chomsky a proposéedu modèle structuraliste repose sur la mise en évidence de laspécificité du « niveau » de la syntaxe, par rapport aux autresniveaux : « Il existe un niveau où l’on ne pourra pas représen!

ter simplement chaque phrase comme une suite finie d’élé!

ments d’un certain type, engendrée de gauche à droite parquelque mécanisme simple. » (Chomsky.1957.27). La vraiequestion est de savoir si le modèle de la quatrième propor!

tionnelle est capable de rendre compte du phénomènesyntaxique. Or tel est bien l’enjeu de la théorie des « entitésabstraites », qui sont de deux types.

D’abord, de l’analyse des mots fondés sur la com!

paraison, le sujet extrait les sous-unités, qui deviennent àleur tour des unités vivantes, d’un genre particulier.

« Quand il s’agit de combiner des éléments non donnéscomme mots, où la langue prend-elle ces éléments ? Nousl’avons vu ; nous avions abouti à conclure :

1° que le sentiment de ces éléments existe chez les sujetsparlants dans une mesure quelconque, variable pour chaquelangue ;

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apparaît comme une variable d’une autre série. C’est à lacondition que-p lex reparaisse dans la sériequadr-, etréciproquement, que l’un et l’autre se dégagent de leursséries réciproques et apparaissent comme des éléments for-matifs (que l’on peut noter-PLEXet QUADR-), dont l’existence,quoique conditionnée à celle des formes globales, peut néan!

moins être considérée comme un fait linguistique. « Toutrapprochement des analogies implique aussi le rapport desdifférences » : pour déterminer ce qu’il y a de commun àune série, il faut savoir ce que cet élément change dans uneautre série, sinonon en reste à uneanalogie indéfinissable. La ruse de la langue consiste à déterminer le communcomme élément différentiel lui-même :QUADR-,c’est bience quequadruplex, quadraginta, etc., ont en commun , maisces formes n’ont rien d’autre en commun quece que ça change de direquadruplex plutôt quetriplex, ou quadrupes plutôt quebipes, etc.

Mais la conscience linguistique n’abstrait pas seulementles éléments des syntagmes. Elle abstrait aussi des schémas de

composition des éléments. Ces deux abstractions vontd’ailleurs nécessairement de pair. Car en séparant les sous-unités élémentaires des formes totales dans lesquelles ellesvivent, on les sépare aussi de leur ordre de composition . Toutse passe alors comme s’il y avait d’un côté des éléments « lexi!

caux » tels que « in », « décor », « able », etc., quil faudrait

qualifier (préfixe, radical, suffixe, par exemple), et de l’autredes règles « syntaxiques » de composition de ces éléments(ainsi le préfixe vient nécessairement avant le radical, etc.).

« Un second fait, c’est que la langue a laconscience nonseulem en t des e'ie'ments maisaussi de l'influence qui ls exercent les

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um sur les autres quand on les place dans un certain ordre, lalangue a le sent iment de ieur sens logique, de leur ordre. Lasyn !

taxe intérieure du m ot est abstraite de la comparaison des formesaussi bien que les éléments eux-mêmes. » (E .l .380.2538.1R.2.92 ; IC130).

« En effet, autre chose que les unités se dégage du rap!

prochement ; c’est l’ordre, la suite, la séquence des éléments.Cette question de l’ordre des sous-unités dans le mot se rap!

porte exactement à celle de la place des mors dans la phrase:c’est de la syntaxe, même quand il s’agit de suffixes ; c’est uneautre espèce de syntaxe, mais c’en est une tout de même. (...)Cet ordre, la langue l’abstrait par l’analyse aussi bien que lesunités elles-mêmes,,, » (E .l.278 .198 5.lR,2.33 -34 ; IC97-98).

Saussure précise ainsi dans quelle mesure lareprésentation de la langue comme usage de règles de com!

position et de décomposition de formes à partir d’élémentsdonnés est légitime. La f or m e « indécorable » estanalysable à partir de la reconnaissance d’un radical« décor », don t on sait qu’il peu t être précédé et suivi

comme beaucoup de radicaux d’un préfixe et d’un suffixe.On cherche alors quelle est la nature de ces derniers, ce quinous ouvre à une liste : « in », « sur », « dé », etc., ou « er »,« é », « able », etc.

Cependant cette deuxième sorte d’entités abstraitesne repose plus sur aucun élément qualitatif constant. Lanotion de « génitif » intègre des formes comme «lupis » et« rosae » ; la « troisième personne du singulier » en françaissubsume aussi bien « Jacques aime » que « Pierre finit » :tous les concepts grammaticaux regroupent des formes« concrètes » très diverses. Ces catégories peuvent-elles être

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Les premiers éléments abstraits correspondaient à lapartie variable d’une série de formes fonctionnant commepartie constante dans une autre série de variadons. La rai!

son d’une série était forcément une constante concrète. Ici,la raison de la série ne semble être autre que lan otion de« génitif » ou de « datif » ou de « déclinaison », ou de « suf !

fixe », bref un concept de grammairien, voire une fonctionlogique, en tout cas une pure « idée ». On confesserait alorsqu’on ne peut rendre compte de toute la grammaire commed’une rationalisation a posteriori construite en mettant del’ordre dans un donné qualitatif.

La solution de Saussure consiste à attribuer à Imposi!tion le rôle de raison des séries. Ainsi dans certaines langues,l’élément placé avant le radical aura, du seul fait de sa posi!

tion, certaines propriétés, et devra répondre à certaines exi!

gences. En ce sens, la notion de « préfixe » existe dans cettelangue : elle est à la fois ce qu’il y a de commun à desformes telles querecommencer; défaire, contresigner,, etc., etce qu’il y a de différent entredéfaire ex. faire, recommencer et

commencer, etc. Le « génitif » sera une manière particulièredont la position « désinence » peut être occupée : cettenotion n’est plus définie un iquement par le sens, comme siles sujets avaient a priori l’idée d^ la fonction syntaxique dugénitif, car elle n’est rien d’autre qu’une variante de l’entitépositionnelle. Une position peut être vide : on parlera

d’« élément zéro » en ce cas (cf. Godel.1953). Une preuveque les positions sont l’équivalent deséléments mor!phologiques extraits par l’analyse est bien le fait quellesleur sont substituables : ainsi l’élément « accusatif » latin estdevenu la position « complément d’objet » en français. La

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même chose qui pouvait être exprimée par une variationphonique l’est désormais par une variation positionnelle.

Les sujets disposent donc de deux choses différentesdans leur « mémoire », c’est-à-dire dans la langue : d’une partd’éléments, et d’autre part de schémas abstraits de composi!

tion, correspondant à des « règles de structure » (CLG.256).« La langue n'a pas seulement retiré un certain nombre

d ’un ités mais un procédé qui servira à placer ces un ités. »(E. 1.300.2100.1R,2.40 ; K.101).

« L’analyse subconsciente de la langue porte à la fois surl’élément en lui-même et sa valeur, et sur la façon dont il estordre (sic) dans le mot. » (E.1.427.2817.1R,2.42 ; IC102).C e p e n d a n t c es « r è gle s » n ’e x i st e n t j a m a i s p o u r

e l le s- m ê m e s, m a is se u l e m e n t d a n s d e s sé r ie s d ’o p p o s i t io n sc o n c r è t e s, p a r le sq u e l le s e lle s so n t t o u jo u r s e n d e r n iè r ei n s t a n c e condit ionnées.

u Sans un e base quelconque il n’y a pas de procédéimaginable. L’étude des entités concrètes devra toujours précéder.

Tout reposera finalement sur ces unkés-Ià comme base directe ouindirecte. » (E.1.312.2183.3C.297 ; IC29G ; CLG.190).

« L’idée qu’il y aurait une syntaxe incorporelle hors de cesun ités matérielles qu ’on peu t d istr ibuer dans l’espace est fausse.Il faut une suite pou r qu il y ait un fait de syntaxe. »(EA .3l4.2195.2R,97; G.86; CLG.191).Saussure propose donc uneth éorie p osit ion n el le de la

syntaxe qui s’oppose frontalement à l’idée que la syntaxesoit l’expression d’une forme purement « logique », c’est-à-dire que les « parties du discours » soient définissables àpartir des fonctions de la proposition . Les plus hautes caté!

gories grammaticalesémergen t de la variation qualitative.

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La « réalité concrète » de la langue ne se confonddonc pas avec cetterepr é sentation grammaticale, mais estnécessairement hantée par elle. Aussi les représentationsextériorisées dans « un dictionnaire ou une grammaire »peuvent-elles avoir des effets en retour sur la pratique dessujets parlants3. On peut même penser que, s’il y a de la

politique dans la langue, c’est sans doute ici : les interpré!tations grammaticales sont en concurrence les unes avecles autres. Ainsi, la grammaire, loin d’être, comme lepensent Chomsky ou Milner, ce qui garantit pour ainsidire le langage contre la politique, est au contraire trèsexactement ce qui ly livre... Mais on ne pourra comprendreet admettre cette thèse qu’à la condition que Ton admetteque la grammaire est une représentationseconde du lan!

gage, une rationalisationa posteriori, autrement dit, pourreprendre les termes de Milner en les inversant, que le réelde la linguistiquenestpas gram matical4.

On dira cependant qu’avec rout cela nous n’avons pasmême commencé à répondre à l’objection pour certains

définitive que Chomsky a faite au modèle structuraliste(Chomsky. 1957.29-55) : non pas, comme on le prétendparfois, de n’avoir pas une théorie générative de la langue,mais de ne pouvoir rendre compte du phénomène destransformations. Car Chomsky crédite toujours Saussured’avoir su formuler le plus clairement le problème de toute

linguistique « générative » à travers l’opposition de lalangue et de la parole (cf. 1965.13-14, 1968.39-41,1964.10-11), mais il lui reproche aussi invariablementd’avoir une conception trop « concrète » et « atomistique »de la langue. On a souvent pensé que cette critique tradui!

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sait une incompréhension, puisque la linguistique struc!turale passe plutôt pour valoriser le tout au détriment deséléments et l’abstrait au détriment du concret. Pourtant lalecture de Chomsky paraît bien plus fidèle que celle denombreux commentateurs bien intentionnés. Il reproche àSaussure d’avoir rejeté la conception humboldtienne de la

langue comme forme globale, c’est-à-dire comme « systèmede règles » complexe et hiérarchisé, pour avoir adopté cellede "Whitney, où la langue apparaît comme un «systèmed’éléments » (1964.23)5, se contraignant de ce fait àré aliser ces éléments, sous la forme d’engrammes cérébraux :« Saussure like W hitney regards langue as basically a store o f signs with their gram m atical properties, that is a store o fword- like elements, fixed phrases, and, perhaps, certain limited

phrase type... » (1964.23).II propose de décrire le modèle structural (dit « taxi-

nomique » par opposition au modèle « transformation-nel ») par un ensemble de règles de réécriture du type :« The category A has the member (variant, realization) X in

the context Z-W. » (1964.11). Soit donc une performanceeffectuée devant moi : la comprendre, c’est reconnaîtredans tel morceau X de l’énoncé un représentant de A , etdans tel autre un représentant de B, etc. ; inversement,produire une phrase consiste à « réécrire » le signe A enproduisant un « représentant » de cette catégorie générale,

qui se trouvera, du fait du contexte, être l’acte X, etc. Oncomprend alors pourquoi Chomsky peut écrire que lemodèle structural est plus concret et plus atomistique(1964.11) : « Notice that in the case o f the transform ation al model, the symbols an d structures th at are m anipulated,

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rewri tten an d transformed as a sentence is generated may bear no veiy direct relation to any concrete subparts, whereas in the case o f the taxonomic m odel each o f the symbols that is rewrit !ten in the generation of'a sentence stands for a category to which some continuous subpart o f this sentence belongs (or category symbol by which it is represented). It is in this sense that the

taxonomic model is both more concrete an d more atom istic. »(1964.16). Concret parce qu’à chaque morceau effectif dela réalité parlée, il doit faire correspondre une catégorie ; etatomistique parce qu’il fait l’économie du problème de lasystématicité de ces diverses « règles », qui peuvent être sim!

plement juxtaposées les unes aux autres. D ’où le qualificatifde taxinomique : le travail du linguiste revient à faireY inven!taire 6s& « catégories » et à les définir les unes relativement auxautres en leur assignant une place dans un système, c’est-à-dire en lesclassant.

Le rejet par Ch omsky de ce modèle ne se déduit pasd’une position de principe, mais d’un argument« empirique » au sens spécial qu’il donne à ce terme. Il

montre que, sans l’hypothèse que la structure apparentedes phrases est obtenue au moyen de « transformations» effectuées par le sujet parlant à partir d’une structure dite« profonde » qui diffère de la première, on compliqueconsidérablement la tâche de l’analyse grammaticale (c’est-à-dire de la représentation du processus qui permet à un sujet

de considérer comme grammaticales certaines tournures àl’exclusion d’autres). Un des exposés les plus accessiblesde cette démonstration se trouve dans lesStructures syn!taxiques (1957.chapitre 5.39sq.). L’intuition est assez simple.Elle consiste à dire que J’analyse grammaticale d’une

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phrase donnée, par exemple «the man bas been reading the book » n est pas

* <1 (the+m an)+have+s+be+en +read+ing+(the+book) »,

mais« (tbe+m an)+S+have+en +be+ing+read+(the+book ) ».

Cette hypothèse lui permet de rendre compteélégamment de la manière dont les marqueurs du présent,du passé, du gérondif, etc., sont distribués sur les différentscomposants du verbe anglais, le modal, l’auxiliaire, etc., etde répondre à des questions comme « pourquoi la négation,l’interrogation, l’affirmation insistante font-elles apparaîtrel’auxiliaireto do au lieu de porter directement sur le verbe

(.didyou see him ? et non pas*saw you bim ?) ? » (cf. 1957.44-45). Chomsky ne montre pas que le « modèle taxi-nomique» est a priori inadéquat, mais qu’il est plus lourdet moins efficace que le modèle transformationnel.

Mais si l’hypothèse transformationnelle est la plusplausible au niveau empirique, on ne peut plus, au niveauphilosoph ique, défendre la conception intuitive de l’analyse.Car on devra admettre qu il y a entre la stimulation donnéeet sa représentation grammaticale correcte, tout un proces!

sus non visible, non apparent, que l’on peut qualifier de« cognitif ». Une phrase donnée en effet ne serait pas identi!

fiable du point de vue de la combinaison de ses éléments(quelle que soit la manière dont on conçoit cette analyse),mais supposerait, de la part de celui qui l’a produite commede celui qui la reçoit, un véritable « calcul mental », qui faitde la performance effective le résultat d’une série d’opéra!

tions non observables qu on doit supposer chez les locuteurspour rendre compte de la régularité des jugements de gram-

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théorie des positions. En ce sens, il n y a donc aucune raisonempirique qui plaide en faveur de l’hypothèse cognitiveplutôt que de l’hypothèse de la langue au sens de Saussure

Il ne suffit pas cependant que la représentation dulangage proposée par Saussure puisse tant bien que malrendre compte de phénomènes empiriques que la gram!

maire générative avait cru pouvoir lui opposer.L’épistémologue Imre Lakatos insistait à juste titre sur l’im!

portance d’un critère bien plus pertinent que le simple faitde n’être pas réfuté : la capacité d ’un programme derecherches demettre en évidence des faits nouveaux6. Sidonc la linguistique saussurienne peut prétendre à une

forme quelconque d’actuaüté, il faut qu’elle soit en mesurede montrer quelles dimensions phénoménales du langageelle fait apparaître, que ses concurrents ne sauraient aussibien prendre en compte. Il faut trouver des raisons positivede préférer « l’hypothèse de la quatrième proportionnelle »à celle de « l’analyse positive ».

3 . L e m o u v e m e n t d ’à c ô t é

Le premier argument en faveur de l’analyse intuitiven’est autre que son caractèreinvolontaire ou imposé. De fait,nous n’avons pas le sentiment de faire cpioi que ce soit pour

comprendre nos interlocuteurs, et notamment pas d’allerd’un donné perceptif « chaotique » à une représentationmentale structurée. On ne choisit pas, hélas !, decomprendre ce que nos voisins au café ou dans l’avion se disent, et lespublicitaires savent bien qu’un slogan peut s’imposer d’un

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coup. On n’insiste pas assez sur le fait qu’il est peut-êtreencore pîus difficile ded é sapprendre une langue que del’apprendre. Or la représentation par la quatrième propor!

tionnelle explique ce caractère obligatoire :«Exemple: il y a un suffixe -ter: prisann-iery gant-ier.

(Quand on prononçaitgant /gânf, on a créé tout naturellementgantier.) Aujourd’hui il n’y a pas plus de motsgant, maisgan(t), et la position des termes à associer a changé. Si j ’interprète :gan : gantier, on ne peut qu’analysergan-tier. Maintenant j’ai acquisun genre d'unicé quin existait pas :-tier (si l’on veut, c’estla carte

forcée, puisque de par la langue, on ne peut plus décomposerautrement). De là, de moment en moment, je suis exposé àappliquer cette unité :cloutier. » (E.1.391.2591.2R,102 ; G.89).Cette expression de « carte forcée » désigne la modalité

singulière de l’expérience que nous faisons de l'obligation lin!

guistique, et plus généralement sémiologique, dont Saussuresouligne le caractère paradoxal. Si les analyses grammaticalesnous semblent à la fois arbitraires (on pourrait dire les chosesautrement) et nécessaires (c’est pourtant ainsi quil faut ledire), ce n’est pas parce que les sujets appliqueraient des

règles; et que ces règles devraient être conçues comme desnonnes, mais c’est parce que ce sont des formes extérieuresqui déterminent la composition intérieure d’une forme : leterme linguistique se donne comme étant « forcé des’analyser ». (E.1.295.2081.1R,2.28 ; K.95).

Mais ce qui importe surtout, c’est que deux autres pro!

priétés, apparemment contradictoires avec ce caractère« obligatoire » de l’analyse, se trouvent alors profondémentsolidaires avec elle. En effet on comprend que l’analyse puissechanger sans que le sujet le souhaite, sans même en un sensqu’il s’en rende compte : il continue d’entendre ou de

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pro fé re r l amême for m e l in gu ist iqu e , m ais ce lle-c i se t rou ve,d u fa i t d e ce q u ’il y au to u r d ’e lle ,analysée différemment.

« Le changement survenu dans l’aperception de P e^ Ea airesterait lettre close sí nous en cherchions la raison dans la formeelle-même. Elle a sa source unique dans les formes concur!

rentes, ainsi que nous l’avons déjà dit. Comme l’élément- e c t -

ne se retrouve pas dans|3e\el, |3e^ecüv,etc., depuis la chute dePr, la langue n’a aucune indication qui lui permette de couperPeXeu-cr,et elle coupe maintenantPeX-ectctlAinsi le mou!vement ne s’est pas produit entre ^eXeo-oi et pE^-Eaai, cequi serait simplement absurde à dire. Mais comme toujours en morphologie le mouvement vient da côté. Et nous retrouvons lacondition primordiale de toute opération morphologique. Elle

. por te sur la diversité ou sur le rapport des formes simultanées. »(ELG.189).L a s y s t é m a t i c i t é e s t d o n c l a c o n d i t i o n m ê m e d e l a

c o n t i n g e n c e d e l ’ a n a l y s e . L’ a n a l y s e i n t u i t i v e e s t u n eana lyse à l a na tu r e de l aque l l e i l appa r t i en t de va r i e r, e t l àn ’e st p a s le m o in d r e d e s ar g u m e n t s q u i p la id e e n s a fa v eu rcon t r e « l ’h yp o th èse de l ’an a ly se p os it i ve ». U n lége r

c h a n g e m e n t p h o n é t iq u e p e u t e n t r a în e r u n e r é or ga n i sa t io nde t ou t e l a « fam il le », e t éven tu e l lem en t des sch ém as po si -t io n n e ls. A i n s i la n o n - p r o n o n c ia t io n d ue et d e s c o n so n n e se n p o s i t i o n f i n a l e d a n s l e p a r l e r p a r i s i e n d e l a f i n d uXVe si èc le a en t r a în é l ’i de n t i fi ca t i on p h on iqu e de s t r o i sp e r s o n n e s d u s i n g u l i e r d a n s l a p l u p a r t d e s v e r b e s ( s a u f

être, aller, q u i o n t d e t o u t e m a n i è r e u n r é g i m e s p é c i a l d uf a i t de l eu r q u a l it é d ’aux i li air e s ) : l es con ju ga i son s d up a ssé s im p l e e t d e l ’im p a r f ai t d u s u b jo n c t i f e n s o n t d e v e n u e sp l u s d i ffi cil e s, n o n se u l e m e n t p a r c e q u e le s d é sin e n c e s d e st r o is p e r so n n e s d u sin g u l ie r n ’y s o n t p a s le s m ê m e s(je

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ch antai, tu chantas...), mais aussi parce que les désinencessont différentes d’une conjugaison à l’autre, entraînantdes hésitations {je cousus ou je cousis ?) ; de plus, la ten!dance à substituer aux désinences les pronoms {je, tu> il), qui deviennent partie du paradigme de la conjugaison, s’estrenforcée7. La cohérence systématique de la grammaire

dépend non pas d’une unité intérieure, mais au contrairede sa capacité à maintenir les parallélismes entre les sériesvirtuelles d’impressions qualitatives.

L’analyse intuitive est intrinsèquement variable nonpas seulement diachroniquement, mais aussisynchronique!ment. Les éléments ou sous-unités n’étant dégagés que parla comparaison des autres formes, ils peuvent être plrn ou moins fermement dégagés.

« La formation analogique est la vérification de cetteanalyse de la langue, mais il se faut se rendre compte de la dif !

férence de fonction de toutes ces unités, don t les unes son t plusou m oins présentes, d’autres tout à fait présentes à la consciencede la langue. » (E.1.312.2180.1R.2.32 ; IC97).

Leur existence est doncgi'aduelle et sa conscienceintensive. C’est précisément parce que les formes ne sontpas composées par ces sous-unités, mais que ces dernièressont seulement extraites à l’horizon des séries diverses à l’in!

térieur desquelles les formes se trouvent pouvoir êtrerangées (pour des raisons bien souvent purement anecdo-

tiques), que 1’« existence » de ces « sous-unités » est de l’or!dre du plus ou du moins : elle dépend essentiellement del’ampleur des séries et de la clarté de leur séparation. Ainsil’analyse dequadruplex est pour un Romain parfaitementclaire, mais celle deséparer pour un français l’est moins,

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CH APITRE IIILANGAGES MO RTELS

À travers l’hypothèse de la langue comme trésor deformes, Saussure propose donc un modèle théorique original

de l’analyse grammaticale. Mais ce riest pas son seul intérêt.II s’agit aussi en effet de rendre compte de lacré ativité linguis!tique. Il riy a même pas d’autre preuve de l’existence de cettereprésentation qu’est une grammaire que l’usage de ses« entités abstraites » pour produire de nouvelles formes,conformément au principe de la quatrième proportionnelle,c’est-à-dire de manière analogique.

« Quelle esc la preuve absolue, péremptoire, que ces pré!

fixes sonr vivants ? Ce ne sera que la création an alogique (.. .) . »(E. 1.390 .2590 .1R,2.3).

« En français, n ous avons conscience par exemple d ’unélément -eur qui, employé d’une certaine façon, servira à donner

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l’idée de l’auteur d’une action : graveur, penseur, porteur.Qtiestion : Qu’est-ce qui prouve que cet élément~eur est

réellement isolé par une analyse de Ja langue ? Réponse : Comme dans tous les cas pareils ce sont les

néologismes, c’est-à-dire les formes où l’activité de la langue etsa manière de procéder trouven t à se man ifester dan s un docu!

m en t irrécusable : men -eur , os-eur, re commenc -eitr. »

(ELG.184).Ainsi, pour Saussure comme pour Chomsky, la

grammaire apparaît au principe de lagên ér ativité du lan!

gage : c’est parce que nous disposons d’une grammaireque nous pouvons dire des choses inédites. Mieux : ilsemble que ce soit parce que le modèle de la quatrièmeproportionnelle permet de rendre compte de manièreoriginale de cette générativité que Saussure distingue lalangue et la parole :

« Tout est grammatical dans le phénomène analogique,mais dans l’opération grammaticale il faut distinguer deuxcôtés ; la compréhension du rapport des formes que l’on com!

pare entre elles (formes génératrices, inspiratrices) et deuxième

le produit quelles suggèrent, la forme engendrée, inspirée quiest l’x de la proportion ; nous poussons : j e pousse = nom trou !

vons je trouve ** (je treuve )

Il y a doncdifférentes espèces d'unités, la forme engen!drée et les formes engendrantes. Il faut remarquer que la formeengendrée est d’abord voulue pour répondre à une idée préciseque j’ai dans l’esprit : la première personne du singulier. Lesformes nous poussons : je pousse sont seulement pensées couplutôt senties dans une demi-inconscience> ; seule la forme je trouve est exécutée par la parole. Il faut donc se mettre en facede l’acte de la parole pour comprendre une création analogique.La nouvelle fo r m e ltrouve ne se crée pas dans une assemblée de

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1. D ’ u n s y n t a g m e q u i v i e n t à l ’e s p r j t

Certains ont cru pouvoir interpréter et justifier lesthèses de Saussure sur l’analogie comme des anticipationsde la grammaire générative (cf. par ex. Gadet.1987.85-87).Le sujet apprendrait à parler en faisant des hypothèses sur

les règles utilisées dans son environnement linguistique,avant de les utiliser à son tour. Le CLG ne définissait-il pasla création analogique comme « une forme faite à l’imaged’une ou plusieurs autres d’après une règle déterminée »(CLG.221) ? Mais il se trouve que, précisément, le termede règle est absent du cahier d’étudian t (E. 1.365.2460.1R,2.5). De plus, nous avons montré que la théorie dela quatrième proportionnelle a pour vocation de relativiserla notion de règle. Quant à la créativité, elle se présente àSaussure comme une propriété paradoxale.

« Dans cette formation, il y a donc deux caractères : elleest une création, et elle n’est pas une création.» (E.1.378.2527.2R.103 ; G.90).

En effet, de même que l’analyse d’une forme surgitimmédiatement de la comparaison avec les autres formesdonnées dans la mémoire, de même une forme nouvelle nerésulte pas d’une construction active, mais est « engendrée »immédiatement par ce que nous appellerons lechamp lin!guistique. Dans le long passage cité sur l’analogie, Saussure

insiste sur le fait qu’une telle forme n’est jamais construitevolontairement « dans une assemblée de savants discutantsur le dictionnaire », quelle ne procède pas d’unsavoir sur la langue, mais doit être « improvisée à l’occasion de laparole », dans une sorte devision directe de ce qu’il faut

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dire, « suggérée », « inspirée », « évoquée ». « Nous pous!

sons : je pousse = nous trouvons —i je trouve ** (je treuve) » :il n y a pas de formulation de la règle ; le seul énoncé desformes existantes suffit. Il n y a aucune règle antérieure, pasmême celle de l’analogie, qui serait formulable abstraite!

ment (« x està y ce que x’ està y’ »), et appliquée ensuiteàdes « cas » concrets (« or y = B, x5= C, y’ = D, donc x = A »).La nouvelle formevient à l'esprit, de manière intuitive].

On pourrait certes croire que la phrase : « La formeengendrée, je trouve, avant d’être produite, est d’abord vouluepour répondre à une idée précise que j’ai dans l’esprit : la pre!

mière personne du singulier. » (E. 1.375.2518,1R,2.21 ;IC91) signifie que le sujet parlant part d’une catégorieabstraite. Cependant nous savons que la « première per!

sonne » n’est rien d’autre que la raison d’une super-sériedans laquelle se trouve la série«je tousse », «je pousse», etc.Et c’est précisément parce qu’elle n’est rien d’autre que laraison d’une série de variations concrètes que l’instruction[dire « trouver » à la première personne] signifie « psy!

chologiquement » : [faire varier la forme «nous trouvons »de la manière déterminée dont les formes de la série {«nous poussons», «nous toussons», etc.} varient dans la série {«je pousse», « je tousse», etc.}], ou encore [prolonger la série{«vous trouvez », « nous trouvons », etc.} à la manière donton prolonge les séries {«vous poussez », «nous poussons »,

je pousse », etc.} ou {«vous toussez», « nous toussons », «je tousse», etc.}}. C’est cette variation qui, dans ce champ deformes relativement bien déterminé, définitla valeur même de la « première personne du singulier ». Dire « je trouve »,c’est faire varier les formes le long des séries qui les organisent,

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de telle sorte que l’on obtienne la variation «n ous trouvons : je x » déterminée par les variations «nous poussons : je pousse », etc. C’est même précisément parce que la forme« je neuve » est déterminée par sa positioii dans le champ desformes, qu elle tendra spontanément à être remplacée pa« je trouve ». Aussi le changement analogique est-il unargum ent empirique en faveur de la théorie de la quatrièmeproportionnelle, car il prouve qu’une forme est essentielle!

ment une position dans un champ de formes. C’est lamême possibilité linguistique qui est suggérée par « je treuve » ou« je trouve ». Aussi la seconde peut-elle remplacer la pre!

mière sans que les sujets parlants aient même conscience dparler autrement.

Une langue est donc générative, non parce quelleserait composée de règles et d’éléments, mais parce quellconsiste enchamps génératifi, qui sont appelés dans le CLG« groupes générateurs » (CLG.224), c’est-à-dire en ensem!

bles de formes toutes faites organisées en séries —à quoi cor!

respondent deschamps générés, c’est-à-dire des ensembles de possibilités de parole. Si les formes deviennent « engen!

drantes », c’est qu elles son t organisées en séries, et que cettmise en séries les redétermine comme autant devariations concrètes (par ex. nous poussons!je pousse), les rendant ainsi

susceptibles d’affecter une autre forme (par ex.nous pou!

vons qui devient je frouve). C’est donc la même chose quipermet d’analyser les faits de langage et qui permet d’enproduire de nouveaux : à savoir la grammaire. Et demême que l’analyticité était relative, de même la généra-tivité est relative, à la fois à l’intérieur de chaque langue e

en fonction des langues :

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« On pourrait classer les mots com me plus ou moinscapables d’en engendrer d’autres suivant qu’ils sont plus oumoins décomposables, analysables. En général, les mots indé!

composables sont stériles, improductifs : par exemplemagasin {magasinier a été produit avant tout par la série prisonnier , prison ; emmagasinerais la sérieentorti ller , emmailloter, etc.). Ilfaudra don c reconnaître - à un degré très divers suivant les

langues —une certaine masse de mots productifs <féconds>, etune autre d’improductifs <inféconds>, parce qu’on ne peutrien en retirer qu'eux-m êm es. » (E.37 9- 380.2530-2534 .1R.2.80 ; ICI23).La générativité d’une langue dépend de la densité des

champs génératifs, du degré de leur variabilité concrète.On comprend mieux, désormais, pourquoi

Saussure disait que le langage comme activité ne consistaiten rien d’autre qu’en une évocation de possibilités déjàdonnées et supposait la langue. Si la langue est « généra-tive », ce n’est pas comme un moyen permettant à unsujet de com muniquer tout ce qu’il veut : c’est parcequelle-même détermine ce que les sujets parlan ts pe tivent dire. Si l’activité de faire des phrases est comparable àcelle du compositeur, c’est quelle consiste à évoquer enl’autre une possibilité de sen tir déterminée par la langueelle-même que nous partageons, comme intersectioninoccupée entre plusieurs séries de formes concrètes« évocatrices ». C’est en ce sens quelle est à la fois créationet pas création.

« Création au sens de : combinaison nouvelle ; pas créa!

tion, en ce sens qu’il faut que ces éléments soient déjà prêts,élaborés tels qu’ils se présenteront dans la forme nouvelle. »(E.1.378.2527.2R,103-104 ; G.90).

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Il ne s’agit pas simplement de dire qu’on se contentede combiner des matériaux disponibles dans un ordre nou!

veau, mais bien que cette création qui soutient un acte deparole est toujours l’actualisation d’une p ossibilité donnéetout entière au sujet par sa langue, même si elle ría jamaisété réalisée auparavant.

« Ainsi le m ot indécorableexiste en puissance dans lalangue, et saréa lisation esc un fait insignifiant en comparaisonde la possib ilité qui existe de sa form ation . » (E. 1.378.2526.1R.2.91 ; IC.13Ü).Or cette détermination est « subconsciente », et

dépend de cette activité de classement dont Saussure ditquelle est une « activité inconsciente, presque passive, entout cas non créatrice» (E.1.383-384.2560.1R,2.24-25 ;K.91-92). Le sujet ría donc besoin de rien faire, ou presquerien, pour que la forme nouvelle lui soit suggérée. Il n’estpas tant le créateur de son discours, le mécanicien de sesphrases, que 1’interprète de sa langue.

« Cloutier. Voilà la novation analogique, qui n’est pas toutà fait une création puisqu’il a fallu un modèle ; c’est nouveau,cela ne pouvait pas se former tant que l’on prononçaitgan t et que l’on coupaitgant/ier. Toute espèce de réparation des unitésrenferme virtuellement la possibilité de faire usage des unités. »(E. 1.389.2589.2R,102 ; G.89-90).

« Il y a donc toute une partie du phénomène analogiquequi s’accomplit avant que l’on voie apparaître la forme nouvelle.Cette simple activité continuelle, par laquelle la langue décomposeles unités qui lui sont données, contient en soi toute l’analogie,au m oins tous les éléments qui entren t dans la forme nouvelle. »(E .l.376.2523 .2R, 103 ; G.90).

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Cette activité automatique (que Saussure nerépugnerait pas à qualifier d’instinctive) qui consiste à« classer » les formes concrètes, à les mettre en séries, induitdonc de manière latérale, involontaire, tout un espace de créa!

tion, mais il ne s’agit pas d’une finalité ou d’une fonction,seulement d’uneconséquence. Saussure présente ici une desrares conceptions non finaliste de la faculté du langage. Les

êtres humains n’on t pas « inventé » la langue pour pouvoircommuniquer l’infinie diversité de leurs opinions sur lemonde, comm e le dira Chomsky en reprenant les célèbresthèmes cartésiens : ils se trouvent, du fait de cette « case »dans leur cerveau dont Saussure pensait que Broca avaittrouvé la localisation, conduits à introduire de l’ordre dansleur expérience sensible d’une manière telle que des possi!

bilités d’expérience ne cessent de surgir à mesure qu’ils« interprètent » leur mémoire sensible. Il ne s’agit pas denier toute pertinence à une investigation anthropologiquesur la faculté de parler, mais de mieux définir la naturemême de ce qu’on cherche.

2. L’ a c t e d e p a r o l e

Cette théorie de la générativité ne se conten te pas derendre compte autrement de la générativité de la langue,elle modifie profondément l’idée que nous nous faisons de ceque parler veut dire. Un acte de langage, aussi banal soit-il,ne consistera jamais qu’en Révocation de sa propre possibilité. Étrange logique du langage, dans lequel ce n’est pas ce quiest évoqué qui dépend de la réalité du phénomène, mais la

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réalité du phénomène qui dépend de son aptitude à fairsentir une évocation de quelque chose. Ce n’est pas lvirtuel qui viendrait s’ajouter au réel pour l’entourecomme d5un halo, mais le réel qui n’est authentifiablcomme réel que pour autant quon y voie l'actualisationd’une virtualité. Mais alors dire quelque chose, ce n’es

donc pas tant utiliser le langage pour communiquer unsignification, mais déterminer ce qui est dit, c’est-à-dire lpossibilité que l’on évoque, que l’on actualise —et ce n’erien d’autre. En ce sens, lorsqu’on aura montré commenles sujets parlants déterminentce qu’ils disent , la linguis!tique aura « accompli toute sa tâche ». La séparation entrgrammaire et discours, chez Saussure, vacille.

Le possible de la langue ne saurait être confondu avele possible grammatical dont parle J.-C. Milner dans son Introduction à une science du langage (1989.55sq.). Le pos!

sible grammatical est un ensemble abstrait, déterminé partir d’un ensemble d’éléments et de règles de combinai!

son, contenant toutes les expressions bien formées. Du fade ce que Chomsky appelait la récursivité des règles, ceensemble est à la fois délimité et par nature infini. II esdonc global, formel, infini et cependant stable. Le possiblde langue saussurien a toutes les propriétés inverses : il estoujours singulier, concret (en un sens que nous allons pré!

ciser), fini et variable. La parole nest pas face à la langucomme l’ensemble infini des combinaisons possibles d’unombre fini d’éléments et de règles de combinaison don!

nés, mais comme une série de singularités dispersées, qui nsont pas possibles pour les mêmes raisons. De plus, un syn!

tagme une phrase voire un discours est quelque chose d

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possible dans une langue, non pas au sens d’acceptable,d’autorisé, mais bien au sens où son contenu même estpositivement déterminé. Il riy a pas d’abord la représentationdonnée, puis un jugement sur sa possibilité ou sonacceptabilité, mais l’induction d’une représentation struc!

turale complète qui est undiscours possible. C’est en ce sensque l’on peut dire qu’elle n’est pas formellement possible,

mais concrètement possible. On peut dire de la possibilitélinguistique ce que Kant disait de l’existence : elle ne s’ajoutepas, et riest pas un attribut : elle estce que Ion dit. Ce n’estpas un jugement sur une chose, mais l’être de la chose elle-même, son mode même de détermination : une phraseimpossible est un non lieu. Si le possible de langue (lechamp du dicible) riest pas déterminable globalement, onpeut néanmoins assurer que la somme des possibilités sin!

gulières, quoique très grande, est finie. Cette fmitude doitpourtant être nuancée dans la mesure où ce possible estintrinsèquement variable. La langue riest pas un ensemble de moyens finis peimettant de dire des choses en nombre infini, mais un ensemble de champsgénératifiplus ou moins raccordés

les uns aux autres déterminant un nombre indéfini de choses pouvant être dites.

Mais cela signifie que ce que le sujetveut dire riestpas une pure signification, mais bien cette possibilité mêmequi se réalise en un moment particulier. La visée duvotdoir- dire est une réaliténon pas purement « psychologique »,mais bien aussi linguistique. Ce qu’il y a à dire riest pasdécidé par le sujet, qui doit ensuite composer avec ce quiest possible ou non dans sa langue, mais suggéré par salangue elle-même, ou plutôt par la rencontre entre les

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nuances de son expérience concrète (par exemple le senti!ment de la différence entre moi tout seul et le groupeauquel j’appartiens) et les variations organisant en série lechamps génératifs de sa langue (nous poussons : je poussenous trouvons : x). Le contenu de ce qu’on dit n’est pas extérieur à ce qtton dit : cest la détermination de ce qu’on dit.

Parler n’est pas un moyen pour convier une significationmais une manière de déterminer ce qui est dit, au sens oùce qui est dit, c’est uniquement cette « case » réservée danle système, qui ne se confond pas avec une réalisation par!

ticulière, ni même d’ailleurs avec une manière particulièrede réaliser cette possibilité.

Cependant, nous savons que cette possibilité n’estpas une représentation positive, mais uniquement une varia!

tion. Or cette variation n’est pas seulement déterminée pale système de la langue, mais aussi par le contexte discursidans lequel elle s’inscrit. Aussi faut-il introduire une autredimension que celle de la langue pou rdéterminerez qui estdit : l’axe que Saussure appelle « syntagmatique ».

« Nou s parlons un iquement par syntagmes, er le mécanismeprobable esc que nous avons ces types dans la tête, et qu’aumomen t de les employer, nous faisons intervenir tout le grouped’association. Au moment où l’on emploie le groupe XEyo-f.iE0a, par exemple, si nous employons précisément ^Eyo-

(j.E0a c’est que nous possédons différents groupes d’associationoù se trouvent rangés ^eyo etfiE0a: dans un nuage au-dessuset au-dessous de nous, nous avons d’instant en instant desfamilles, suivant que nous faisons varierKeyo- et - |iE0a. Cen’est que la modification, due à la variation partielle, cetteopposition continuelle entre les membres du groupe, qu i assure

le choix d’un élément au moment du discours Par soi même

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XEyo|xe0a ne signifie rien. Le jour où il n’y aurait plus ÀEyotîJ-xca le sens (la valeur) de ?iEyo}i£0a serait changéipso facto, etnaturellement, celle de XEÀ.E%TCa, etc., aussi. (Le nombre desgroupes d’association est infini.) Dan s chacun des groupes noussavons ce qu’il faut faire varier pour obtenir la différence dansl’unité. Par conséquent, au moment où le syntagme se produit,le groupe d’association intervient, et ce n’est qu’à cause de lui

que le syntagme peut se former. Dans la phrase il en sera demême : au moment où l’on dit « Que vous dit-il ? », dans letype général que nous avons en tête

Q ue vous dit-il ?... nous...

etc.,nous faisons varier un élément. Et ainsi, les deux groupe!

ments, dans l’espace et mental (par familles) sont en activitétous les deux : il s’agit d’éliminer t ou t ce qui n’amène pas la dif !

férence voulue. Cela s’étend aussi loin que l’on voudra dans lesdeux sens : la valeur résultera toujours du groupem ent parfamilles et du groupement syntagmatique. <La valeur possiblede 772 résultera d’une part> de l’opposition , qu i est intérieure,avec toute espèce d’éléments de même ordre (par exemple />n :

<am n al

etc.> les sons possibles en français) ; mais il y a un autremoyen de valoir, cc’esc de vaJoir> syncagmatiquement. Là inter!

vient caussitôn» quelque chose de spatial ; c’est d’être placé entrea et n, pour ni, dans amna. Ce sont ces deux oppositions per!

pétuelles, par syntagmes et par tout ce qui diffère, ce que nous

n’amenons pas, mais que nous pourrions amener dans le dis!

cours —c’est sur ces deux oppositions, façons d’être voisin coudifféren t d’autre chose> - que repose le mécanisme d’un état delangue. »(E.L294-295.2070sq.2R,93 ; G.82 ; CLG.179).

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On voit que même pour les phrasés, Saussure insistesur le fait qu’un acte de parole se définit par rapport à uneintuition complexe : « Nous parlons uniquement par syn!

tagmes », par formes toutes faites, et cela est aussi vrai pourune phrase que pour un mot. Parler c’est déterminer desgroupements syntagmatiques au moyen de groupementsassociatifs. Comprendre la phrase « Que vous dit-il ? »,c’est être capable de déterminer la nature de la possibilitéque sa réalisation incarne, autrement dit sa position rela!

tivement au système des formes toutes faites de la langue.On voit donc bien qu’il ny a pas de différence selonSaussure entre la capacité à déterminer les limites d’un acte

de langage, et la « compréhension de son sens », entre ladétermination de ce qui est dit et la compréhension du sensde ce qui est dit : « Par soi-même À.EYOfAE0a ne signifierien. Le jour où il ny aurait plusÀ-Eyonruaile sens (lavaleur) de Xey OjjieQa serait changéipso facto, et naturelle!ment, celle de À-eXe/toii, etc., aussi. »

Cette possibilité en quoi consiste le syntagme n’estpourtant qu’unenégation, et même une double négation :d’un côté des syntagmes qui auraient pu être actualisés (asso!

ciation), et de l’autre des syntagmes qui ont été ou serontréalisés conjointement. La détermination du syntagme n’est

jamais qu’une puredifférence. Parler, ce n’est pas affirmerquelque chose, mais simplement faire valoir une différencepossible, « éliminer tout ce qui n’amène pas la différencevoulue », rendre une nuance, une « différence syntagmatiquequalitative» (E.1.296.2087.2C,70). Non pas composer undiscours, mais faire venir la forme complexe articulée quiactualise les différences constituantes d’un événement.

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<i Sém iologie = m orph ologie, gram m aire, syn taxe,synonymie, rhétorique, stylistique, lexicologie, etc.,le tout étant inséparable. » (ELG.45).C’est donc bien toute la conception même du sens

qui doit être reprise à partir de ce déplacement queSaussure opère du problème du sens vers celui du signe et

que nous verrons se prolonger dans la troisième partie de cetravail. La relation& évocation remplace celles dereprésenta!tion ou d ’expression. La relation d’évocation est une relationà quatre termes dont trois sur un niveau (évocateurs) et lequatrième sur un autre (évoqué) : non pas entre unreprésentant et un représenté, mais entre trois formes sur

deux séries et une forme déterminée négativement commel’intersection manquante. La propriété par laquelle la tradi!

tion herméneutique a cherché à caractériser lesens, cet excèsdu dire sur le dit, n’est rien d’autre quune propriété dumode de détermination de ce qui se dit, autrement dit unepropriété dusigne. C’est parce que ce qui est dit ne peut

être déterminé que négativement qu’il est aussi par naturecontextualisê, singulier, et ouvert.

3 . C h o s e s d i t e s

Mais en prétendant que parler consiste non pas àconstruire volontairement des phrases, mais à réaliser despossibilités suggérées par la langue elle-mêmej ne sereprésente-t-on pas finalement la langue comme un ensemblede phrases possibles toutes faites données par la langue etattendant d’être prononcées ? Ne se retrouve-t-on pas alors

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a) combinaisons individuelles, phrases, dépendant de lavolonté de l’individu et répondant à sa pensée individuelle ;

b) actes de phonation qui sont l’exécution de ces combi!

naisons, également volontaires. » (E .l .57.355.3C,308b ).La langue esc la somme des choses subsistant sous

forme de traces dans le cerveau, et la parole la somme deschoses dites. Dans les deux cas il s’agit de choses, qui ontdes manières d’être différentes - mais également probléma!

tiques. Car les « choses dites » lors d’un acte de parole sonttout aussi « spirituelles mais réelles » que les choses delangue. Le problème du langage est donc doublementontologique : aussi Saussure parle-t-il de deux « lieux d’exis!

tence des mots ».Qu’est-ce donc, réellement, que la langue, quel est

son mode de « présence » ? Nous savons que la réalité de lalangue est, en dernière instance, celle de traces cérébralesqui seraient observables comme n’importe quelle autreréalité physique si l’on pouvait faire la coupe du cerveaud’un sujet parlant. Mais c’est quelles correspondentd’abord à des réalités psychiques. La langue est un « réser!

voir de formes pensées ou connues de la pensée » (E.l .375.2518.1R,2.22), un « dépôt des formes entendues et pra!

tiquées et de leur sens » (E. 1.383.2560.1R,2.24), qui « sontpensées ou plutôt senties dans une demi-inconscience »(E.l.375.2518.1R,2.22). Elles ont donc deux propriétés :d’une part, elles sont qualitatives (sensations, sentiments,impressions, plutôt que représentations ou actes de pensée),d’autre part , elles son t « subconscientes, dans les pro!

fondeurs deh pensée » (E. 1.384.2562.1R, 1.23). Ce sontdes «im pr ession s laten tes» (E. 1.43.261.3C, 14). Latent

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ne veut pas dire quelles seraient susceptibles de devenirconscientes, sans l’être, mais désigne plutôt le fait qu ellessont pr é sentes dans l’esprit sans être présentes à l’esprit,autrement dit que le sujet sentant n’a pas besoin de lespenser pour qu’elles soient là. Elles subsistent même quandle sujet ne parle pas, même quand il dort :

« En séparant la langue de la faculté du langage, nousvoyons qu’on peut donner à la langue le nom de “ produ it ” (.. .)On peut se représenter ce produit d ’une façon très juste —et onaura devant soi pour ainsi dire matériellement la langue —enprenant ce qui est virtuellement dans le cerveau d’une sommed’individus appartenant à une même communauté> même àl’état de sommeil ; on peut dire que dans chacune de ces têtes setrouve tout le produ it que nous appelons la langue. O n peut direque l’objet à étudier, c’est le trésor déposé dans notre cerveau àchacun. Ce trésor sans doute, si on le prend dans chaque indi!

vidu, ne sera nulle part parfaitement complet.» (E.1.40.230.30,13 ; K.189).Les formes de la langue sont, pour parler un langage

phénoménologique, des objets intentionnels qui neseraient pas portés par un acte intentionnel. Ellesrestent , àla manière d’une marque, d’une trace : « L’image acous!

tique n’est pas le son matériel, c’est l’empreinte psychiquedu son, matérielle au sens de sensorielle, fournie par lessens, mais pas de physique. » (E.l.149.1096.3C,278). Lesformes linguistiques sont des qualités restantes, des impres!

sions devenues traces, sorte de poussière d’expérience qui

s’est déposée dans le fond de l’esprit, d’où elle colore toutel’expérience. Elles constituent la passivité de l’esprit : les« signes évocables », disait Saussure, son t « quiescents »(E.1.44.267.3J,268). Elles ne sont pas subconscientes au sens

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où elles pourraient devenir consciences : le « subconscient »n’est pas une qualité de la pensée, il est la pensée en tantquelle estré elle ; des pensées subconscientes sont des pen!

sées qui n’ont pas besoin d’un acte pour subsister, qui exis!

tent simplement, comme pensées3. C’estentre ces termes« subconscients » que la conscience apparaît : ce dont on aconscience n’est pas positif, mais purement négatif. Il y aune différence de nature entre le « subcons-cient » et le« conscient », subconscient et conscient consti-tuent deuxmanières d’être de l’esprit, et non pas deux formes d’ap!

préhension possible par l’esprit des représentations.Chomsky avait décidément raison de parler du carac!

tère « atomistique » et « concret » de la représentationsaussurienne de la langue. Il ne s’agit pas d’un système,mais bien d’unagrégat, ce qui est conforme avec sa naturede simple reste, de résidu d’expérience non voulu. La systé!

matisation n’est jamais queseconde. La langue est d’aborddonnée comme une «som m e4 », un «en sem ble5 », une

« masse », bref un agrégat d’endtés discrètes, et c’est seule!

ment secondairement que ces entités sont classées en fonc!

tion de leurs ressemblances et de leurs différences, c’est-à-direorganisées en série. Mais c’est aussi seulement à cette condi!

tion que la langue permet de parler.« Si la masse de formes qui composent la langue pour

chaque individu ne restait qu'un chaos dans chaque tête, laparole et le langage seraient inconcevables. » (E. 1.286.2Q24.1R.2.25, IC92).Au demeurant, même si Saussure ne le disait pas

explicitement, le terme de classement aurait dû inciter lescommentateurs à comprendre qu’il y avait là l’idée d’une

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systématisationseconde, et donc un niveau où les formessont d’abord données isolément les unes des autres.

« Pour que naissent ces faits, pour que ces formes, quin’avaient pas été entendues auparavant, surgissent, quel est lemécanisme nécessaire ? ( .. .) Il faut d onc le premier acte d’inter!

prétation, qui est actif (antérieurement on est placé devant unemasse à comprendre, ce qu i est passif!). » (E. 1.390.2591.2R,101-102 ; G.89).

« L’activité créatrice ne sera qu’une activité combinatoire,c’est la création de nouvelles combinaisons. Mais une combinai!

son faite avec quels matériaux ? Ils ne sont pas donnés de l’ex!

térieur, il faut que la langue les puise en elle-même, c’estpourquoi il fallait le premier acte de l’analyse : la langue passeson temps à interpréter ce qui est en elle de l’apport des généra!

tions précédentes —c’est là sa carrière ! - pour ensuite avec lessous-unités qu’elle a obtenues combiner de nouvelles construc!

tions. Ainsisomnoler n’a pu être formé qu’en décomposant desverbes en-e ret somnolent d’une certaine façon. La langue recom!

pose dans la mesure où elle décompose et elle sera d’autant pluscréation dans la mesure où elle aura plus de matér iaux. »(E. 1.386.2573.1 R,2.77).La langue qui rend la parole « possible » ce n’est pas

l’agrégat, c’est le système. C’est la raison pour laquelle letrésor de la langue n’est pas un simple amoncellement deformes, mais aussi un classement de ces formes.

« Ce classemen t sera le trésor des matériaux constammentmis en œuvre dans la parole. » (E .l. 310.2174.1R,2.27 ; K.94).

« D ’un e part il existe le trésor intérieur, qu i équivaut aucasier de la mémoire ; c’est ce qu’on peut appeler le magasin ;c’est un des deux lieux [d’existence], une des deux sphères [de

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rapports]. C’est dans ce trésor qu’est rangé tout ce qui peutentrer en activité dans le second lieu. Et le second lieu, c’est lediscours, c’est la chaîne de la parole. Suivan t qu ’on se place dansl’un ou l’autre lieu d’existence des mots, nous aurons affaire àdes groupes, mais à des groupes de nature tout à fait différente.Dans le premier, on a des groupes au sens de f am illes ; dans lesecond, des groupes au sens desyntagmes:

Trésor (magasin) Discours, chaîne

Unités d’association Un ités discursives(c’est-à-dire qui se produisent

dans le discours)

Groupes au sens de familles Groupes au sens desyntagmes

Dans cette masse d’éléments dont nous disposonsvirtuellement, mais effectivement, dans ce trésor, nous faisonsdes associations : chaque élément nous fait penser à d’autres.

Tout ce qui est semblable et dissemblable en quelque sorte seprésente autour de chaque m ot ; autrement le mécanisme de lalangue serait impossible. » (E.1.281.1998.2R,89sq. ; G.80).La langue et la parole se distinguent donc à la fois

comme deux modes de détermination des entités(« un ités ») et comme deux modes de multiplicité

(« groupes »), l’un étant la condition de l’autre. Les termesqui conviennent le mieux, pour désigner ces deux modalitésontologiques, sont ceux de virtualité et d’actualité. Lalangue est le champ des entités virtuelles du langage et laparole le champ des entités actualisées du langage. Maisl’actualisation d’une possibilité n’est pas une relation entre

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deux termes, le réel et le possible ; c’est leref oulement déter!miné d’impressions latentes (non actualisables) qui déter!

mine le fait sensible comme actualisation d’une possibilitéqui n’est et n a jamais été que possible. Ce qui est actualisé,ce n est pas une des formes virtuelles, mais lanégation déter!minée de plusieurs d’entre elles. Cela vaut pour les phrasesbanales que nous prononçons tous les jours, qui ne récla!

ment pas une créativité particulièrement impressionnante :ce que nousrépétons, de toute manière, ce n’est pas uneentité virtuelle de langue, mais l’actualisation d’une possi!

bilité de parole. Ainsi, lorsque je dis « bonjour » chaquematin, ce n’est pas une possibilité de la langue que je réalise,mais une négation déterminée de virtualités linguistiquesque je répète. Les entités de la parole sont donc actuellesmais négatives, alors que les formes de la langue sont posi!

tives mais virtuelles. Les unités de la langue sont dites« virtuelles mais effectives ». Virtuelles dans la mesure oùelles n’interviennent jamais isolément dans le processus dela parole, mais uniquement comme unités à l’intersectionde plusieurs séries d’oppositions. Effectives dans la mesure

où leur seule présence infléchit le champ de l’expériencepossible, et même ne peut être attestée qu’à cette condition(création analogique). Tout au contraire, les unités de laparole ou du discours sont purement « potentielles », maisactuelles, au sens où elles correspondent à des unités deconscience. On peut donc distinguer les entités de langueet les entités de parole par leur manière d’être déterminées.

On peut dès lors mieux comprendre les termes à conno!

tation « psychologiste » de Saussure, que Jakobson a sou!

vent critiqués (cf. 1976.51-53). Les « expériences » en quoi

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consistent les faits de langage, bien qu’on puisse les qualifiercomme nous l’avons fait d’é tats d ’âme, ne sont pas desexpériences concrètes, objets éventuels d’une science psy!

chologique, mais de pures possibilités, et les actualisationsne sont pas des réalisations de ces possibilités, mais desallusions à la possibilité en tant que telle, qui n’est jamais

déterminée que négativement. Les données conscientessont vides. Par là, Saussure échappe à tout projet deréduction des faits linguistiques (et plus généralementsémiologiques) à des faits psychologiques au sens clas!

sique, tout en indiquant les directions d’une véritablegenèse de l’élément de l’expérience ou de la « conscience ».

Celle-ci serait assez semblable à la réduction ontologiqueque Heidegger tente de faire subir à la notion husseriiennede conscience dansSein undZeit, être conscient devenantle propre de cet être qui se rapporte à lui-même commepossibilité (le Dasein) : « Plus haute que la réalité s’érige la

possibilité. » (Heidegger.1927.38).

Mais il n’est que plus évident alors que ce qui peut sedire « dans » une langue (c’est-à-dire entre ses formes) n’estpas infini. Ce peut être très grand, mais non infini. Le pos!

sible de langage (lasomme des choses pouvant être dites) estessentiellement fin i. On se récriera, on haussera les épaules,on rappellera les démonstrations a priori de Chomsky. Mais

que valent les démonstrations a priori de Chomsky devantun simple fait qui n’a jamais été démenti ? Aucune langue n’a jusqu 'à ce jou r produit tin nombre infin i de phrases, car il nest pas une seide langue qtd, à force d ’être utilisée pour pro- didre des phrases, n ait précisément f in i p ar rendre cenaines

phrases qtd étaient possibles, impossibles, et d ’autres qtd étaient

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impossibles, possibles. Le problème doit être rigoureusementdéterminé : il ne s’agit pas de savoir si les sujets peuventchanger de règles, mais bien comment il se fait qu’en croyantcontinuer à appliquer les mêmes règles, ils finissent précisé!

ment par en changer, sans le vouloir. Le problème est quonne peut précisément pas distinguer nettement, comme leprétend Chomsky, entre lande-changing creativity, et lande governed creativity. C’est en continuant à faire précisémentce que l’on a toujours fait que l’on finit par faire tout autrechose. Étrange jeu que la langue, dans lequel, à mesurequon joue, les règles changent au gré des coups et sans queles joueurs puissent jamais très bien savoir comment celaarrive. Le sujet parlant est plus semblable en effet à Alice

avec son flamant rose en guise de batte de cricket, qui lèveinopinément la tête, ainsi qu’à tous ces jeux paradoxauxde Lewis Carroll sur lesquels Deleuze a justement attirél’attention, qu’à un savant manipulateur de symboles.

De toute manière, l’argument de Chomsky en faveurde la thèse du caractère nécessairement infini de la classedes phrases est circulaire. Car il consiste à définir unephrase comme un énoncé bien formé à partir de règles, età en déduire qu’en ce cas le nombre est infini. Mais précisé!

ment le problème est de savoir si on a raison de dire d’unephrase quelle n’est qu’un énoncé bien formé. En réalité, iln’y a que deux arguments empiriques en faveur de cettethèse : la possibilité où nous sommes de comprendre un

nombre disproportionnément plus grand de phrases quenous n en avons apprises ; la possibilité de rendre comptede toute phrase produite dans une langue par un modèlecalculatoire. Nous avons vu que toute la théorie de la qua!

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trième proportionnelle servait précisément à expliqued’une autre manière ce fait incontestable et assurémenremarquable. Mais la puissance du modèle calculatoire ndoit pas masquer ses limites ; par exemple l’incapacité expliquer que nous puissions parfaitement comprendre udiscours parasité par des fautes très nombreuses. Si la po!

sibilité d’être en partie représentées par un calculatoire sym!

bolique est une propriété intéressante des languenaturelles, elle n’en est pas moins secon daire: il n y aucune raison de penser que toutes les phrases soient effe!

tivement pr od uites par calcul. Tout au contraire, on a toutesles raisons de penser que les sujets parlants, même s’il

construisent certains macro-syntagmes par calcul, se donnefinalement des intuitions de ces syntagmes en constituant usystème de possibilités concrètes où chaque syntagme edéfini qualitativemen t par son rapport aux autres c. Et nouavons montré que l’intérêt de la théorie de la quatrièmproportionnelle est précisément de rendre solidaires la thè

du caractère intrinsèquement in tuitif de l’analyse et celle dsa variabilité inhérente.On voit donc que la philosophie du langage qu

ressort de la grammaire sérielle lie indissolublement deupropriétés du langage, son caractère intrinsèquemensémantique et intrinsèquement historique. C’est parc

qu on ne peut pas séparer le contenu de ce qui est dit de détermination même de la manière de le dire, que ce qupeut être dit ne cesse de varier. Bref, on peut reprendre deformules de Jean-Claude Milner :tout, en effet, dans lalangue, ne peut pas se dire. Mais il faut T entendre au senlittéral : certains énoncés sont « impossibles », non parc

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qu’ils sont exclus ou incorrects, mais parce qu’ils sont toutsimplement « inconcevables ». Mais de nouveaux énoncésdeviennent sans cesse possibles. Autrement dit, la définitionsaussurienne du possible linguistique est exactementinverse à celle qui résulte de la représentation calculatoire :les univers de la parole sont pour Chomskyinfinis, mais

fermés ; au contraire, l’univers du dicible pour Saussure esttoujours fini-, mais ouvert. Deleuze (1986,22) parlait des« épistémês » de Foucault comme delangages mortels. Maisle premier d’entre eux n’est autre que la langue elle-même...

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CHAPITRE IVCO M M EN T SE FAIRE UN E LANGUE

11 hypo thèse de la langue est donc coextensive à unmodèle du mécanisme grammatical, qui vise à rendre

compte de certaines de ses propriétés, à la fois « phéno!

ménologiques » (caractère intuitif aussi bien de l’analyseque de la création) et théoriques (caractère historique et sta!

tistique des identités linguistiques), difficilement compatiblesavec une représentation caiculatoire du langage. Cettereprésentation théorique implique de poser un ensemblede formes virtuelles présentes dans le « subconscient » dusujet, et c’est cette présupposition qui motive la thèse ducaractère réel des langues. Mais on peut se demandercomment se constituent ces réalités. En effet les sujetsparlants ne naissent pas avec le trésor de leur langue dansla tête, ils l’acquièrent. Comment donc ces pensées, ou

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plutôt ces impressions, deviennent-elles des quasi-chosehabitant la pensée des individus sans que pour autant ceuci aient besoin d’y prêter attention ?

Les indications de Saussure paraissent assez confusesd’un côté, il dit que la langue est « passive », que le suj1’« enregistre passivement » ; de l’autre, que la langue est u

« produit de l’esprit humain ». Mais comment le sujet pou!

rait-il « enregistrer » les mots tout faits s’il ne peut le percev oir ? On peut admettre qu’un sujet enregistre progres!

sivement les schémas-types des objets matériels, en identifiapar exemple les perceptions visuelles à des perceptions tactileMais les réalités linguistiques n’ayant aucune identitsubstantielle stable, on ne saurait en aucun cas en faire ungenèse empiriqueà la manière des philosophes duXVIIIesiècle.

1. L a f a u s s e d i a l e c t i q u e d e l a l a n g u e e t d e l a p a r o l e

Les entités de langue sont parfois présentées comm

des entités de p arole devenues latentes par un processusqu’on pourrait dire derenforcement dû à la répétition de lamême impression, puis consacrées par une sorte d’accordon t cependant on voit mal le statut.

« S’il est vrai que l’on a toujours besoin du trésor de lalangue pour parler, réciproquement tout ce qui entre dans lalangue a d’abord été essayé dans la parole un nombre suffisande fois pour qu’il en résulte une impression durable ; la langun’est que la consécration de ce qui avait été évoqué dans laparole. » (E.1.383.2560.1R,2.23).

« Il n’y a rien dan s la langue qu i n’y soit en tré directemenou indirectement par la parole, c'est-à-dire par la somme de

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paroles perçues, er réciproquement iJ n’y a de parole possibleque lors de l’élaboration du produit qui s’appelle la langue etqui fournit à l’individu les éléments dont il peut composer saparole. » (E.1.56-57.344.3C,308a ; IC.304).Mais nous savons désormais qu’une parole, un acte

de parole, n’est pas une stimulation sensorielle et que pourla percevoir, nous devons disposer déjà du système de lalangue. Il semble donc y avoir un cercle vicieux.

Pourtant Saussure écarte cette objection avec unedésinvolture surprenante :

« Sans doute la langue n’est sortie elle-même que de laparoled ans un certain sens ; il faut la parole de milliers d’indi!

vidus pour que s’établisse l’accord d’où la langue sortira. La

langue n’est pas le phénomène initial. Est-ce qu’on a commencéà proférer des sons ou à associer des sons à une idée ? Peu importe.La langue est une sorte de sécrétion du reste parfaitement

distincte de la fonction de la parole nécessaire pour dégagercette sécrétion,n (E.1.56-57.34lsq.3C,274-275 ; IC283).Commen t se fait-il que Saussure semble négliger l’évi!

dent paradoxe qu’il y a à, d’un côté, insister sur le fait que lafonction de la parole ne saurait s’exercer sansY existence deslangues, et, de l’autre, affirmer en passant que ces languesn’existent que comme résultats de la mise en œuvre de cettemême fonction?... Les éditeurs, dans un long passageentièrement rédigé par eux, on t reconduit ce cercle en disantde la langue quelle était à la fois « instrument et produit » de

la parole (CLG.37-38).On a prétendu que ce cercle, loin d’être vicieux, étaitvertueux, car « la distinction entre langue et parole a uncaractère évidemment dialectique » (T. de Mauro, inCLG.420). Il suffirait de le déplier dans le temps comme

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une spirale ou un ressort : la langue ne serait pas l’instru!

ment et le produit desmêmes actes de parole. Les chosesdites supposent une langue déjà donnée, mais expéri!

mentent aussi une langue .à venir ; réciproquement, toufait de langue est le produit de paroles antérieures, mais lacondition de paroles postérieures. Une langue est un relaientre plusieurs manières de parler. Vertu de ce cercle : ladouble nature de la langue, à la fois instrument et produitexpliquerait le caractère historique du langage, c’est-à-dire lchangement corrélatif des manières de parler et des trésorlinguistiques. Si le plan de la langue et le plan de la parolesont en présupposition réciproques, un fait de parole suppospour exister une languedans l'état de laquelle il ne saurait entrer et avec laquelle il diffère en nature, et un fait delangue suppose pour exister un fait de parolequ'il n a pas rendu possible. La différence de nature entre la langue et laparole ne cesse d’être contaminée, mais cette contaminationsuppose un déséquilibre essentiel.

« Tout ce qui est diachronique dans la langue naît par la

parole. Le rudiment de tout changement dans la langue n’yarrive que par la parole. Toute espèce de changement est essayépar un certain nombre d’individus : des ballons d’essai. Il neseront faits linguistiques que quand ils seront devenus acceptéspar la collectivité. Tan t qu’ils sont dans la parole, ils ne comptentpas (= la parole étant individuelle). Quand le changement serafait langue, nous {’étudierons. Mais les changements commen!

cent toujours par des faits de parole. (...) Dans les différentessphères à distinguer on constate qu’il y a des faits homologuesqui se réponden t de l’une à l’autre. Mais il ne faut p as pour celacon fondre les sphères elles-mêmes. » (E. 1.223-224.I640sq.3C ,356-358 ; cf. CLG.138- 139 et 231).

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Les éditeurs ont poursuivi ce texte en combinant lesdifférentes versions d’une manière tout à fait satisfaisante :

« Un fait d’évolution esc toujours précédé d’un fait ouplutôt d’une multitude de faits similaires dans la sphère de laparole ; cela n’infirme en rien la distinction établie ci-dessus,elle s’en trouve même confirmée, puisque dans l’histoire detoute innovation on rencontre toujours deux moments dis!

tincts : 1° celui où elle surgit chez les individus ;2° celui où elleest devenue un fait de langue, identique extérieurement, maisadopté parla collectivité. » (CLG.139).Ces propositions peuvent paraîcre banales, mais elles

ne le sont pas. Elles reviennenc en effet à soutenir que lalangue se cransforme à mesure même quelle estutilisée, etnon parce quelle auraiten elle-même une tendance

dynamique interne : la langue n’a aucune « vitalité », elleesc un pur produit, un être inanimé, un simple effet, unechose donnée, et dire que les langues changent, c’est sim!

plement montrer qu’il est dans la nature de ce donné d’êcreen permanence effacé ec remplacé par un aucre —comme sil’hiscoire de la langue écait un très long palimpseste.

Cependant cette théorie suppose que des faits deparole puissentdevenir des faits de langue. Or les formesparlées sont évoquées comme des termes purement négatifs,par l’exclusion des formes virtuelles. Comment peuvent-elles à leur tour devenir positives ? On pourrait répondreque, précisément, une des plus célèbres thèses de Saussureest bien qu’une « entité de langue » n’est rien d’autre quel’ensemble de ses oppositions avec les autres entités delangue, et que « dans la langue, tout est négatif». Ce quiserait positif, ce serait l’expérience que nous faisons de lanégation ou du refoulement des autres formes. On pourrait

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se représenter le changement de la manière suivante :quelque chose de singulier se passe lorsque toutes les impres!

sions virtuelles qui surnagent à la limite de la consciencesont refoulées par un événement sensible particulier ; c’estcette impression singulière, plusieurs fois répétée, quidevient une impression à part entière, qui se détache de soncontexte et devient identifiable pour elle-même, ou dumoins donne l’impression, voire l’illusion, d’être quelquechose en soi. Dès lors la non-réalisation de cette impressionpeut à son cour déterminer une nouvelle forme. Tout sepasse donc comme si cetce expérience s’était pour ainsi dire« solidifiée ». On ne sera fondé à l’inclure dans le trésor dela langue que si elle fonctionne dans la création analogique

Sinon, elle n’est jamais qu’un prolongement quelconque deséries déjà données. Tel serait donc lecri tère permettant dedécider, à partir des documents fournis par la parole, lesformes que l’on doit retenir pour reconstituer théoriquementle système virtuel des unités de langue. La preuve qu’uneforme fait partie de la langue n’est pas qu’elle apparaît sou!

vent dans le discours, mais quelle en engendre d’autres. Maison rencontre alors une objection plus radicale.

2 . D e l a d u a l i t é d e l a f a c u l t é d u l a n g a g e

Si toute langue esc une simple consécration deparoles précédentes, il faut bien imaginer qu’on a com!

mencé à parler avant de disposer d’une langue. Or cercepossibilité est logiquement exclue par la théorie même dulangage qui amène Saussure à faire de la langue un produit.

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On objectera peut-être qu’il s’agit là du problème parfaite!

ment spéculatif et imaginaire de l’origine du langage, et quece problème a été, pour le meilleur de la pensée linguistique,écarté comme un problème à ne pas poser1. À supposermême que l’on admette que ce problème doive être écarté(ce qui, comme nous le verrons, n’est pas tout à fait la posi!

tion de Saussure), il n’en reste pas moins que la question de

l’apprentissage des langues naturelles amène au même typed’interrogation. Car le petit enfant ne dispose pas d’unelangue toute faite : il doit bien construire une langue à par!

tir d’expériences qui ne sont pas linguistiques. La questionn’est donc pas tant de savoir comment s’est formée la pre!

mière langue que d’éclairer la nature de cette « passivité » et

de cette « réceptivité » du sujet qui « enregistre passive!

ment » des langues toutes faites en dehors de lui dans la col!

lectivité au sein de laquelle il se trouve. Car nous avons vuque cette thèse de la passivité de la langue n’est pas uneproposition anodine, mais le cœur du renouvellement de lagrammaire que Saussure propose.

Pourtant, là encore, Saussure semble écarter l’objec!

tion avec une parfaite désinvolture :« Le fait “ éducatif” que nous apprenons peut-être des

phrases avant de savoir des mots n’a pas de portée réelle. Ilrevient à constater que la langue entre d’abord dan s notre espritpar le discursif, com me nous l’avons dit, et com me c’est forcé. »(ELG.l 18).

On ne peut cependant à la fois affirmer le caractèrelogiquement et mêmeontologiquement antérieur de lalangue sur la parole, et son caractère historiquementpostérieur. De deux choses Tune : soit toute langue est consti!

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tuée par des paroles retenues, mais alors cela suppose quel’on puisse parler (ou du moins percevoir des paroles)avant de savoir parler une langue ; soit une parole ne peutêtre un événement susceptible d’affecter un sujet qu’à lacondit ion de présupposer l’existence de langues naturelles,mais les langues ne s’acquièrent pas en retenant des parolesdites, des choses dites, ou du moins il y a une préconditionnécessaire qui permet de passer de l’expérience directe desproductions langagières aux choses emmagasinées dans letrésor de la langue...

II doit donc y avoir forcément deux moments dans laconstitution d’une langue : le premier qui donne les« formes », et le second qui vient les redéterminer en les

classant les unes par rapport aux autres, et détermine ainsides possibilités de paroles. Et c’est bien ce que confirmentles textes, puisque la faculté qui « forme un dépôt apprécia-blement conforme chez tous les individus » (E.l.39.212-217.3C,268) est à la fois « réceptive »et « coordinative ».Les éditeurs ont parlé avec bonheur de la « faculté de

constituer une langue » (CLG.26) à propos de la facultésémiologique. Sans doute est-ce bien à cette faculté queSaussure fait allusion lorsqu’il dit que « la nature nousdonne l’homme organisé pour le langage articulé, mais sanslangage articulé » :

« L’individu, organisé pour parler, n’arrivera à utiliserson appareil que par la comm un auté qui l’environne - outrequ’il n’éprouvera le besoin de l’utiliser que dans ses rapportsavec elle. » (ELG.178).Il faut don c distinguer plusieurs niveaux ou modalités

d’exercice de la « faculté du langage » ou de la « facilitas signa-

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ti'ix» comme disait une collation des éditeurs (E.1.36) :celle de constituer des langues et celle de les utiliser. Demême que l’articulation est toujours double - d’une partconstitution des formes globales, et d’autre part classementet décomposition de ces formes —, de même la faculté dulangage est double : à la fois faculté d’évoquer les signesdéjà donnés et faculté de constituer ces entités spirituellesmais réelles que sont les formes linguistiques elles-mêmes.

Au demeurant, Saussure dit fort clairement que l’onne peut chercher dans la théorie du mécanisme de la parolela solution à la question de l’entité de langue, parce qu’aucontraire, ce mécanisme ne peut être décrit que lorsque l’onsuppose les termes positifs de la langue donnés.

« La première question qu’on ait à se poser dans la lin!guistique statique, c’est bien celle des entités ou des unités àreconn aître, m ais ce n’est pas la question qu i permet d'en trer leplus facilement dans ce qu i constitue la langue.

On peut admettre provisoirement que ces unités noussont données. On peut parler des mots de la langue comme sic’étaient des touts séparés en eux-m êm es... Prenons don c sansles scru ter les •un ités qu e nous avon s d ans les m ots. »(E.1.257.1850.3C.378 ; IC.351).Saussure enchaîne alors sur la théorie des groupes

associatifs et des groupes syntagmatiques que nous avonsreconstruite, c’est-à-dire de la grammaire comme ce quinous permet de parler. Non seulement Saussure dit fortclairement que la coordination syntagmatique et paradig!

matique estseconde par rapport à la constitution des unitéselles-mêmes, mais encore il justifie le fait de commencer parelle au nom d’une démarche critique : l’exposé du fonction!nement des termes est une bonne introduction au problème

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de leurnature, parce quelle montre que les termes ne sonteux-mêmes déterminés comme termes que par leur positiondans le système :

« La conclusion que nous vou lons en t irer est celle-ci : quelque soir l’ordre de rapports où un m ot fonctionn e (il est appelé àfonctionn er dans les deux), un m ot se trouve toujours, avant tout,membre d'un système, solidaire d’autres mots, tantôt dans un des

ordres de rapports, tantôt dans un autre ordre de rapports. Celava être une chose à considérer pour ce qui constitue la valeur. Hfallait avant considérer que les mots son t les termes d’un système.(...) Il ne faut pas commencer par le mot, le terme, pour en.déduire le système. Ce serait se figurer que les termes ont d’avanceune valeur absolue, qu’il n’y a qu’à les échafâuder les uns sur lesautres pour avoir le système. Au contraire, c’est du système, du

tout solidaire qu’il faut partir ; ce dernier se décompose en cer!

tains termes que du reste il n’est pas aussi facile de dégager qu'ilne semble. » (E.1.251.1816.30,339 ; IC357).Cependan t ce deuxième concept de système (deuxième

dans la présentation critique, premier en réalité) nesaurait plus être cette systématisation seconde en laquelle

consisten t syntagmes et paradigmes. Il faut désormais quece soit un mode de détermination qui s’exerce dans laconstitution même des termes positifs. C’est alors queSaussure expose la célèbre théorie de la valeur. Il sembledonc qu’il faille chercher la réponse à notre problèmedans le cœur même du système de Saussure, la théorie dela valeur. Le premier cours ne disait pas autre chose. Eneffet, avant de décrire, à l’occasion de l’analogie, lemécanisme du langage sur lequel nous nous sommesarrêtés, Saussure commençait sa description du « classe!

ment intérieur » par ce passage :

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<1 Si la masse des formes qui composent la langue pourchaque individu ne restait qu’un chaos dans chaque tête, la paroleet le langage seraient inconcevables. La nécessité d’un classemen t,d’un ordre quelconque est une nécessitéa priori , mêm e sans met!

tre en avant la psychologie. Com me premier élément de cet ordrenousdevons poser : l'association primordiale entre fo rm e et idée et groupe d’idées ; puis une autre association, sans laquelle la pre!

mière ne pourrait pas exister :l'association de form e à forme ; desformes entre elles. Dès le début, il ne faudrait pas verser dan s unesorte d’oubli : quand nous disons que l’esprit associe une formeavec une forme, nous voulons dire la forme revêtue de son idée.Forme/idée. » (E.1.286 .2025.1R,2.26 ; K.93).

Il est donc bien clair 1) que la « faculté de consumer »

une langue ne saurait se réduire à la théorie du mécanisme,mais doit inclure un premier niveau qui est celui de la consti!

tution des termes positifs eux-mêmes, et 2) que cette facultédoit être élucidée à partir du problème central de la valeur.L’activité psychologique responsable de la constitution oude l’induction de langues n’est pas l’activité de comparaisondes formes toutes faites les unes avec les autres dans le fondsde la mémoire, mais l’activité psychologique qui fait dépendrela possibilité d’établir une relation « verticale » entre deuxéléments de nature différente (une forme et une idée, unsignifiant et un signifié), de la possibilité d’établir des rela!

tions a horizontales » entre des éléments de même nature.Cette forme très particulière de l’association d’idées quiconsiste à ne pouvoir associer deux choses de nature dif !

férente qu’en associant simultanément des choses de mêmenature serait donc la faculté psychologique élémentaireresponsable de la formation des langues. On voit que

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TRO ISIÈM E PARTIELES PARADOXES D U SIGNE

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Nous savons désormais que la langue n est pas faitede règles, mais dechoses réelles, séparées les unes des autres,qu’une activité mentale vient ensuite organiser pour lesclasser en série ; qu’il s’agit là non pas d’un postulat épisté-mologique mais d’une hypothèse théorique destinée à rendrecompte à la fois du caractère non observable desphénomènes du langage et de certaines propriétés du fonc!

tionnement gram m atical, en particulier sa variabilitéinterne. Mais en quoi peuvent bien consister ces chosesavant même qu’on les organise ? Quelle est donc la réalitéde ces termes dont n ous avons vu qu’on ne peut les déduireni d’une genèse empirique, ni d’un processus historique ?La réponse est nette : les « entités concrètes » de la languesont dessignes.

« Dans la langue nous avons un objet, faic de nature

concrète (ce qui est un grand avantage pour l’étude). Ces signesne sont pas des abstractions, tout spirituels qu’ils soient.L’ensemble des associations ratifiées socialemen t qu i con stituen tla langue a siège dans le cerveau ; c’est un ensemble de réalités

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semblables aux aut res réalités psych iques. » (E. 1.44.263-269.3C.272 ; CLG.32; cf. aussi CLG.114).C’esr dans Ja mesure où le concept de signe permer

de clarifier le type deré alité de la langue que la sémiologiepermet de « classer la linguistique ». On se souvient en effque la difficulté à « classer » la linguistique tenait précisémenà la nature de son objet, et que le problèmeépistémologique des critères empiriques devait être reposé dans les termed’un problèmeontologique. La sémiologie ne répondra à laquestion du statu t épistémologique de la linguistique qu’erépondant à celle du statut ontologique de la « langue ». Lconcept de signe est celui d’uneréalité spirituelle : les signessont ce qu’il y a de réel dans l’esprit. Cette théorie del ’esprit objectif ne saurait cependant aller sans un véritable renou!

vellement de i’ontologie. Com me si l’on ne pouvait dire qule « mental » est réel sans repenser ce que « réel » signifieNous verrons que c’esr parce qu’il intériorise une propriétclassique du signe, sa dualité, dans le signe lui-mêmedéfinissant celui-ci comme une « entité double », qu

Saussure peut faire du signe le concept adéquat des réalitéconstituant la langue. La théorie de la valeur apparaîtra dèlors comme la théorie de l’apprentissage des langues, c’està-dire du mécanisme « mental » par lequel l’animal parlanextrait, de l’expérience non linguistique, ces entités spirituellmais réelles que sont les signes, qui viennent ainsi se dépose

sur le fond de sa conscience.

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CHAPITRE ILA DUPLICITÉ DES SIGNES

On se souvient que « si on considère un signe commefigure vocale (phonétique) », on est certes libéré d’avoir à « sereprésenter autre chose que le fait objectif », mais condamnéà « une façon éminemment abstraite d’envisager lalangue » : en voulant s’en tenir à la « philosophie » et auxméthodes des sciences expérimentales, on renonce à déter!

miner le terrain sur lequel des événements donnés, concrets,arrivent effectivement. Or ce terrain existe : « À chaquemoment de son existence il nEXISTElinguistiquement quece qui est aperçu par la conscience, c’est-à-dire ce qui est oudevient signe. » (ELG.45).

Si le concept de signe vient ainsi apporter uneréponse à la question spéculative de la nature des « unitésconcrètes » du langage ou de l’objet de la linguistique, c’est

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d’abord parce qu’il permet de résoudre le problème pratiquede l’analyse. Les unités concrètes seront les segments de lachaîne parlée qui « ont une signification », qui fonctionnentcomme signes. La définit ion « ph ilosophique » de l’objet dela linguistique détermine uneméthode de segmentation. Uneunité sera différente d’une autre pour autant que leur signifi!

cation n’est pas la même ; en revanche, lorsque la significationest identique, même si, du point de vue d’un observateurextérieur, il y a autant de différences que l’on veut, on devradéclarer qu’il s’agit du même terme sous un point de vue àdéterminer. Cependant la notion de signe ne se contentepas de résoudre le problème de la méthode de délimitationdes unités du langage : elle redouble en réalité le problèmephilosophique que pose le langage. En effet la significationne vaut comme critère de l’unité concrète que parce quellevaut comme critère de \3existence même d’un signe. La signi!

fication n’est pas une propriété extrinsèque qui viendraits ajouter au signe, mais bien une dimension constitutive dela réalité même du signe. Aussi le signe apparaît-il immédiate!

ment comme un genred'objet bien particulier.Il ne s’agit pas en effet de dire que, parmi tout ce qui

est donné aux sens ou aux appareils d’enregistrement desdonnées phénoménales, il ne faut retenir comme pertinentque ce qui a un sens. Au contraire,rien n’estdonné au sujetou à l’observateur, sinon ce qui a un sens. Il n’y a pas dif !

férentes « images acoustiques », auxquelles tantôt nousattribuerions une signification, tantôt pas : il y a d’un côté undonné simple mais chaotique (dont le genre de perceptionque nous avons d’une langue étrangère nous donne uneidée, inadéquate cependant ne serait-ce que parce que nous

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§ savons déjà qu’il s’agit d’un langage), et de l’autre un donné!>/ organisé mais intrinsèquement « complexe » parce que| | ï double. Saussure a fort bien perçu le contresens auquelI l pourrait mener une interprétation faible du « critère de signi-

fication » (qui est à l’horizon d’ailleurs de la plupart des|îi.. lectures de Saussure), et a tenté de le prévenir :

« L’idée d’unité serait peut-être plus claire pour quelques-uns si on parlait d’unités significatives. Mais il faut insister surle terme : unité. Autrement, on est exposé à se faire une idée

y.. fausse et à croire qu’il y a des mots existan t com me un ités etauxquels s’ajoute une signification. C ’est au contraire la signifi!

cation qui délimite les mots dans la pensée1.» (E.1.248.1802.2R.4l ; G.41).

Et c’est précisément la raison pour laquelle la notion(| | de signe recouvre exactement celle d’« entité concrète » dulangage : le fait d’avoir une,signification est une conditionpour que des unités soientd onn é es aux sujets.

L’assignation de la linguistique à la sémiologie reposetÿy donc d’abord sur une redéfinition du signe comme perceptfei: complexe : l’association à une « signification », le renvoi à10 ce «quelque chose d’autre», n’est pas une opération du| ÿ , sujet parlant, mais au contraire l’objet même de la perception.

« La langue (c’est-à-dire le sujet parlant) n’aperçoit n i l’idéea, ni la forme A, mais seulement le rapport a/A. » (ELG.39).

« Les sujets parlant s n’on t aucu ne conscien ce des

apo sèmes 2 qu’ils prononcent , pas plus que de l'idée pure d'autrepan. Ils n’ont conscience que du sème. » (ELG.109).

« Ainsi lelieu du mot, la sphère où il acquiert une réalité,est purementl’ESPRIT,qui est aussi le seul lieu où il ait son sens :

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on peut après cela discuter pour savoir si la conscience que nousavons dum ot diffère de la conscience que nous avons de sonsens ; nous sommes tenté de croire que la question est presqueinsoluble, et parfaitem ent semblable à la question de savoir si laconscience que nous avons d ’unecouleur ¿an s un tableau diffèrede la conscience que n ous avons de savaleur dans l’ensemble dutableau : on appellera peut-être dans ce cas la couleur un et le

mot uneexpression de l’idée, unterme significatif, ou simplementencore unmot, car tout paraît être réuni dans le m otmot ; maisil n’y a pas de dissociation positive entreVidée du mot et l'idée de l'idée qu i est dans le mot. » (ELG.83).La conscience du signe n’est pas séparable de la

conscience de signification :comprendre et percevoir sont une seule et même chose « pour le sujet parlan t ». La significationest un élément constitutif de l’expérience singulière qu’estle signe lui-même. Saussure dit très joliment quelle est son« expérience à rebours » :

« Lorsqu’on dit “ signe ”, en s’imaginant très faussementque cela pourra être ensuite séparé à volonté de “ signification "et que cela ne désigne que la “ partie matérielle ”, on pourraits’instruire rien qu’en considérant que le signe a une limitematérielle, comme sa loi absolue, et que déjà cette limite est enelle-même “ un signe ”, une porteuse de signification. Ce sont deux formes du même concept de l’esprit, vu que la significationn’existerait pas sans un signe, et quelle n’est que l’expérience àrebours du signe, comme on ne peut pas découper une feuillede papier sans entamer l’envers et l’endroit de ce papier, dumême coup de ciseaux. » (ELG.96).

Il faut d’ailleurs remarquer que le critère de la signifi!

cation est un critère qui fait appel à lasensation, ausentiment.« Ce qui est dan s lesentiment des sujets par lants, ce qui est

ressenti à un degré quelconque, c’est la signification, et on pourra

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dire alors que ie concret réel, pas du tout si facile à saisir dans lalangue = ce qui es: ressenti, ce qui à son cour = ce qui esc signi!

ficatif à un degré quelconque. >»(E.1.239.1737.2R.42 ; G.41).Mais cette intériorisation de la signification dans

l’expérience même du signe conduira à une sorte de ren!

versement : en mettant en évidence le caractèrein terne de ladualité du signe, ce premier mouvement aboutira en réalitéà une ontologisation non pas seulement du signe linguis!

tique, mais de l’esprit en général. La dualité s’avère ainsi lemotif qui amène à concevoir le signe comme le lieu d’unproblèmeontologique, ou plutôt comme la raison qui obligela sémiologie, pour se constituer, à entrer dans des considéra!

tions ontologiques.

1. L’ i n t é r i o r i t é d u s i g n e

On a beaucoup discuté pour approfondir la nature dusens, on sest beaucoup demandé quels étaient les rapports

du sens et de la référence, sans jamais cependant se rendrecompte que ce problème se pose d’abord précisément pourle sig?îe lui-même. La vraie question n’est pas de savoir si,pourcomprendre un signe, on peut se contenter ou non demontrer quelque chose (cf. par ex. Quine.1960) : c’est lesigne lui-même qui n’est rien demontrable. Ce quon croitêtre « le côté le plus matériel » du signe, par exemple, dansle langage parlé, la face phonique, ne correspond à riend’observable ni d’observé. On croyait pouvoir écarter le« mythe de l'intériorité » de toute conception du sens, maisl'intériorité revient précisément au cœur même du signe, et

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d’un fait p o sitif quant au signe, qu i se fonde par ailleurs,nous aurons l’occasion d’y revenir, sur l’enseignementd’une discipline positive, la grammaire comparée. La pre!

mière conséquence, donc, de l’observation du caractèreimperceptible de signe sans la signification, c’estd’« intérioriser le signe » dans l’esprit même, de réintro!

duire la problématique de l’intériorité, de 1’« esprit », dansl’appréhension du phénomène sémiologique, non pluscependant à propos de la signification, mais à propos dusigne lui-même.

« (.. .) notre poin t de vue con stant sera de dire que nonseulement la signification mais aussi le signe est un fait deconscience pur. » (ELG.19).

« Où est “ le signe ” dans la conception immédiate quenous nous en faisons ? Il est en A sur la mon tagne, et sa nature,quelle quelle puisse être, matérielle ou immatérielle, estsimple,se compose de A.

Où est “LE SIGNE" dans la réalité des choses ? Il est sousnotre front, et sa nature (matérielle ou immatérielle, peuimporte) estCOMPLEXE; se compose ni de A, ni même de a[l’image m entale de A], mais désormais de l’association a/b avecélimination de A, aussi bien qu’avec impossibilité de trouver lesigne ni dans b ni dans a prisséparément. » (ELG.131).

« FORME.- N ’est jamais synonym e de figure vocale ;Suppose nécessairement la présence d’un sens ou d’un

emploi ;Relève de la catégorie des faitsINTÉRIEURS.» (ELG.81).

Or, si Saussure reprend le concept de signe, c’estprécisément parce que c’est la propriété majeure du signe

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au sens classique, cest>à-dire sad ualité , qui se trouve être àla fois l’argument et la cause de cette spiritualisation dusigne. C’est en intériorisant la dualité dans le signe lui-même que Saussure construit le concept d’un signe comme« entité psychique à deux faces » où « les deux parties sontpsychiques » (ELG.99).

Relisons en effet la leçon qui a fourni le matériel ducélèbre passage du CLG sur la « nature du signe linguis!

tique », avec sa critique de la « langue comme nomenclature »et ses dessins de l’arbre et du cheval (CLG.97-100).Saussure propose d5« adopter pour un moment » cette« hypothèse enfantine », qui consiste à « se figurer qu’il n ya dans la langue qu’une nomenclature (arbre, feu, cheval,serpent) », et à se « placer devant une série d’objets et unesérie de noms ».

« Si n ous l’adop tons pou r un momen t, nous verronsfacilement en quoi consiste le signe linguistique et en quoi il neconsiste pas. » (E.1.147.1092.3C.278 ; K.285).« Cette vue simpliste, ont écrit les éditeurs, peut nous

rapprocher de la vérité, en nous montrant que l’unité lin!

guistique est une chose double, faite du rapprochement dedeux termes. » (CLG.98-99). Mais elle nous en écarte endéfinissant le signe comme l’association entre deux termesréels, préalablement donnés, extérieurs l’un à l’autre danstous les cas, dont le statut reste équivoque, et que l’espritviendrait associer d’une manière qui n’a elle-même rien declair, comme le savent les philosophes qui se disputentdepuis tant d’années sur la question de « l’inten tionnalité ».

« On aura bien deux termes, mais quels sont ces termes ?H y a bien un objet qui est en dehors du sujet, et le nom, don t

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m ent de « sp i r i tu a l isa t ion d u sign e » q u i per d tou te assiseou t ou t e « base » m a té r ie lle , e t d on n e l ieu au con cep t de« signifiant » ; d ’a u t r e p a r t u n m o u v e m e n t d ’in t é r io r i sa t io nde l a s ign i f i ca t ion dans l a l angue , qu i dev ien t a ins i « l in !

gu ist iq u e » m a is u n i q u e m e n t d a n s l a m e su r e o ù e lle e st u nélém e n t c o n st i t u t i f d e la d é t e r m in a t io n d u sig n e lu i-même, c ’es t - à -d i re en t an t que «signifié » . Les no t ions design ifian t e t de sign i fi é n e peu ven t ê t r e com pr i se s qu ecomme des conséquences de ce t t e i n t é r i o r i sa t i on de l adualit é dan s le sign e lu i-m êm e.

« Le signe linguistique repose sur une association faitepar l’esprit entre deux choses très différentes, mais qui sonttoutes deux psychiques et dans le sujet : une image acoustique

est associée à un concept. » (E.1.149.1095.3C,278 ; IC.284).L e t e r m e d ’« im age acou st i qu e » e st en e ffe t in t r o d u i t

p o u r m a r q u e r l a d i ffé r e n c e e n t r e l a r é a lit é p h y s iq u e e t l ’a p !

p r é h e n s i o n p s y c h i q u e d u s o n . L e s o n d o n t S a u s s u r e p a r l eic i n’es t pas la réa l i té physique é tudiable par le physic ien ,m ais lasensation d u so n :

« L’image acoustique n’est pas le son matériel, c’est l’em!

preinte psychique du son. Concept : spirituel / Image acoustique :matérielle (au sens de sensorielle, fournie par les sens, mais pasde physique). » (E.l.l49.1096.3C,278).

« Cette image acoustique est à distinguer entièrement dufait non psychique (physique) du son. L’image verbale (acous!

tique) c’est le son rendu en sensations psychiques.» (E.1.38.206.3C,266 ; K.279).L e t e r m e d ’ i m a g e a c o u s t i q u e n e d o i t p a s i n d u i r e e n

erreur : il n e sau ra i t s ’agi r d e p re n d re lareprésentation d uson p l u t ô t q u e le so n lu i - m ê m e . O n r e t o m b e r a it a lo r s su r

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les problèmes de la délimitation du signe, puisqu’il nrien de déterminant dans la réalité physique du signe que r« image acoustique » ne saurait être une sorte rec onn aissance d’un événement physique typique. AussSaussure suggère-t-il de remplacer ce terme par celd’impression acoustique, qui permet de replier pour aidire la sensation sur elle-même.

« L’image acousdque n’est pas propr emen t dît : c’eimpression acoustique que l’on devrait dire, existant d'ufaçon latente dans notre cerveau. » (E.1.43.261.3J,4).Le signe n’est pas à proprement parler perçu : il est

seulement senti. L’expérience ne pouvant être produite parrien d’extérieur, il faut considérer la sensation non p

comme signe d’une chose, mais comme transformatiqualitative d’une expérience singulière. L’indéterminabilitésigne amène donc Saussure à réintroduire l’idée dequalité'. elle est de fait un argument en faveur d’une philosophie considère un fait psychologique non comme la représentatde quelque chose de non-psychologique, mais comme u

modification du sujet. Si en effet les signes sont des étmentaux, assurément les « états mentaux » ne sauraient des signes des choses. Le signe saussurien est une donnimmédiate de la conscience au sens du premier livre Bergson.

u Uimpression acoustique est-elle définissable ? Elle n’epas plus définissable que la sensation visuelle du rouge ou bleu, laquelle esc psychique, est complètement indépen dantesoi du fait que ce rouge dépend de 72000 vibrations qpénètrent dans l’œil ou du nombre que l’on veut. Mais est-esûre et nette ? Parfaitement sûre et nette ; elle n’a besoin d’!

cune aide. Quand les Grecs ont distingué les lettres avec le

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inimitable alphabet, croyez-vous qu’ils se soient livrés à desétudes ? Non . Ils ont simplement senti que /était une impressionacoustique différente der, et rdifférent des, etc. » (ELG.247).Le rapport du nouveau concept de signifiant à l’an-

j cienne notion de signe est donc comparable au rapportK qu’il y a entre une sensation vécue et la description# extérieure que l’on peut faire de sa cause occasionnelle. LaV description physique ou physiologique d’une sensation,» permet de la décrire, mais uniquement si on part deY effet v que ça fait s, un sujet d’entendre ce qu’il entend. L’impres-% sion acoustique n’est même pas un son pur à même de sus-v- /citer diverses émotions, mais un sentiment complexe et

; indéfinissable : de même, à l’écoute d’une symphonie, nous::r sommes « marqués », troublés, et ce que nous avonsentendu, î Xexpérience que nous avons faite, c’est ce trouble lui-même

et non pas le son auquel nous l’associerions. Tel était p d’ailleurs l’enseignement de Bergson : parler de la sensationf i en lui retirant toute valeur représentative, c’est désignerp; immédiatement quelque chose comme unsentiment. La

sensation est d’emblée un phénomène spirituel, aussi% spirituel que la plus haute émotion esthétique, jfÿ Si cependant Saussure conserve le terme d’image£ acoustique, c’est, dit-il, parce que cette impressionacquiert,

. par le jeu de la valeur, un « pouvoir évocateur ». Ainsi, ellerenvoie bien à quelque chose, sur le mode non pas de la

|if. représentation, mais de l’évocation.« Il y aurait peut-être à reprendre au termed'image acous- . . tique, car une image a toujours un lien avec la chose quelle

représente. Image est pris au sens le plus général de figure ayantquelque pouvoir évocateur, parlant à l’imagination. Plus tardnous verrons cette image devenir beaucoup plus précisément évo-

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catrtce, et c’est au nom de ce fait qu i n’est pas primaire que nogarderons cette expression. » (E .l. 155.1138.30,281 ; IC288).Psychique veut donc direvé cu*et non pas représenté.

C’est pourquoi le signe vocal de la langue n’a pas besod’être verbalisé pour être réel : « Une occasion fort simpde se mettre en face du caractère psychique des imagacoustiques, c’est d’examiner le langage intérieur. Sanremuer les lèvres ou la langue nous pouvons, par exemplnous réciter un morceau de poésie appris par cœur ; nol’entendons intérieurement. » (CLG.98), Non parce qul’on s im aginerait parlant, mais parce quon se contente del’impression que nous fait ou plutôt qu’est le signe toentier, sans actualisation physique ou physiologique, to

comme l’impression que constitue une mélodie peut nopoursuivre en l’absence de toute sensation acoustique.La découverte du caractère « psych ique » (parc

que double) du signe amène donc Saussure à considérle signifiant comme unequalité sensible, et c’est ce quesignifie le terme d\< image acoustique ». Qu’en est-il de

signification ? Elle devient, dans la nouvelle conception signe linguistique, un « concept ». A nouveau il faut com!

prendre ce termea contrario : Saussure veut dire que la signi!

fication d’un signe n’est pas et ne saurait être une choextérieure, un « objet désigné » (ELG.231). Mais qu’entendpar là ? Faut-il l’entendre à la manière du « conceptfrégéen, pure essence intelligible* ou bien de 1’« intentiohusserlienne, acte de conscience, visée intentionnelle ? Nl’un ni l’autre, dans la mesure où ce concept ne saurait êtdéterminé en lui-même, en dehors de la langue.

« Psychologiquem ent, que son t nos idées, abstraction faitde la langue ? Elles n’existent probablement pas. Ou sous un

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ainsi un très vieux problème, celui de savoir si l’on peutpenser alors qu’on n’est pas capable de parler, ou si la f aculté de penser n’est pas intimement liée à celle de parler3.

On n’a cependant à peu près jamais fait remarquerque cette thèse, chez Saussure, ne peut être comprise qu’à lacondition que l’on rappelle que le son lui-même estdéjà

une pensée. Il ne saurait doncêtre question de dire que lalangue structure la pensée, si du moins cela doit signifierque la langue est antérieure et extérieure à la pensée, ou quele signifiant est antérieur au signifié4. C’est précisémentl’inverse que dit Saussure : non pas que lemoyen de com!

muniquer que serait la langue détermine ce qu’il y a àcommuniquer, mais plutôt que le langage n’est pas unmoyen de communiquer des pensées, parce quil est lui-même une pensée. C’est précisément parce qu’il y a unproblème du langage que Saussure fait l’hypothèse de lalangue, et c’est pour n’avoir pas vu ce problème que lescritiques d’inspiration wittgensteiniennes faites à Saussurenon seulement ne l’atteignent pas, mais révèlent leurfragilité.

Ainsi, Vincent Descombes, dans saGrammaire d'objets en tous genres, s’efforce de montrer que l’erreur de laconception de la langue comme nomenclature ne tient pas àla manière dont elle conçoit le signifié, mais à une confusionplus profonde, dénoncée par W ittgenstein, sous la critique

de qui Saussure tomberait donc. C’est tout simplementqu elle « ne décrit pas la langue, mais plutôt un emploi pos!

sible de la langue. Dans cet emploi, on ne rrouve pas desmots correspondant à des choses, mais des mots utiliséspour dénommer des choses, » (1983.212). La désignation

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n’est qu’un usage parmi d’autres. Il faut donc distinguerl’étude de la langue et l’usage de certe langue pour « signi!

fier », ce qui peut vouloir dire beaucoup de choses en fonctionde ce que l’on a à dire ou plutôt à faire avec notre langage. Unsigne ne devient un signe qu’au sein d’une pr atique. Il n’y apas là les bases pour une « sémiologie », car il n’y a aucune

propriété commune à tous les signes, et certainement pas laclassique « dualité ». L’intérêt de l'affirmation célèbre duWittgenstein des Investigations philosophiques, selon laquellela signification» cest l ’usage, est précisément qu’il ne s’agitpas d’une nouvelle théorie de la signification, mais d’unedisqualification de la question elle-même. On peut se dis!

puter longtemps sur la question de savoir si signifier c’estmontrer, affirmer, schématiser, etc., mais en réalité, il nesert à rien de proposer un concept univoque de la significa!

tion, parce quon parle là non des choses elles-mêmes, maisdes usages des choses. Wittgenstein donne une liste forcé!

ment non exhaustive de tout ce que peut signifier « parler » :« M ais com bien de sortes de ph rases existe- t- il ?

L’affirmation, l’interrogation, le commandem ent peut -être ? - IIen est d’innombrables sortes; U esc d ’inn ombrables er diversessortes d’utilisations de tout ce que nous nommons “ signes ”,“ mots ”, “ phrases (. ..)

Commander et agir d’après des commandem ents.Décrire un objet d’après son aspect, ou d’après des

mesures prises.Reconstituer un objet d’après une description (dessin).Rapporter un événement.Faire des conjectures au sujec d ’unévénement.Former une hypothèse et l’examiner,

i Représenter les résultats d ’une expérimentation par des

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quon dit « linguistique », on constate, comme par hasard,que rien ne peut être considéré comme une chose utilisée,du moins si l’on se contente du sens commun du motusage. La compréhension de ce problème est la plupart dutemps absente des critiques de la notion de significationd’inspiration wittgensteinienne. Nous avons dès l’introduc!

tion mentionné les déclarations de Quine et de Bouveressenous engageant à nous en tenir au « phénomène linguis!

tique spatio-temporel » (Bouveresse. 1987.230). Ce à quoinous pouvons répondre la même chose que Saussure disaità propos des néogrammairiens : nos « empiristes » nesavent pas ce à quoi ils s’engagent...

Saussure ne fait aucune confusion entre le signe etl’usage du signe. Il propose simplement d’appelersignes ces« choses » ou ces « pensées » qu’il faut présupposer pourdéterminer dans cet ensemble confus de phénomènes qu’estun acte de langage, quelque chose dont on se sert.Wittgenstein a raison : on ne peut définir le langage par une

llPIl ' fonction particulière, car sa vocation est d’en avoir d’innom-

brables. Mais précisément, chez Saussure la signification n’est: », pas une fonction du signe, mais une dimension intérieure dey la chose même qu’il est, un critère de sa délimitation. Il se

peut que la différence si mystérieuse entre la valeur et la signi-fication que Saussure fait explicitement (CLG.160) —apparemment en contradiction avec d’autres textes tout

aussi formels (notamment celui qui dit que le concept n est¡il': « que » la valeur5) — concerne précisément la différenceentre le signe et l’usage : le signe françaismouton peut être

l; employé de la même manière que le signe anglaissheep, .f donc avoir la même signification, mais il n’aura jamais la

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même valeur. L!un appartient finalement à la parole, c’est-dire à l’actualisation du signe, l’autre à la langue, c’est-à-dià la détermination du virtuel en lui-même.

C ’est même la raison pour laquelle le « concept » co!

respondant à un signe n’est pas séparable du signe lumême, et ne peut être défini autrement que comme le sen

de ce signe. Il n’y a aucun sens à demander : « que veut di“ chien ” ? » si jamais on entend par là le « signe » de langue française qui se trouve dans le cerveau des locuteuqui ont appris cette langue (en revanche, cela en a si l’ocherche à savoir ce que je voulais dire par « chien » quan

je me suis exclamé « Quel chien ! »). Il fau t demande« qiiest-ce que “ chien ” ? » De même que « pour le motchien, je commence par penser à un chien, si je veux savocomment je prononce» (ELG.118), je n’ai pas d’autrsolution pour savoir ce que je pense quand je pense à cque veut dire le mot « chien » que d’évoquer l’impressioacoustique « chien ».

« Le ne doit pas seulement rappeler la différencequ ’il y a à s’occuper d’un m ot dan s son sens ou hors de son senmais aussi l’impossibilité qu’il y aurait à circonscrire et fixer csens autrem ent qu’en disant : c’est le sens correspondan t paexemple à neos, ou par exemple à [ ]. Aucune description dsens et de la synonymie n’est jamais à hauteur du sens exact ecomplet : Ü n’y a d’autre définition que celui de sens L-—représentant la valeur connue de telle forme — . »(ELG.103-104).Le caractère tautologique montre seulement qu’il n’

a pas plus de sens à vouloir définir ce concept indépendam!

ment du signe, qu’à vouloir définir l’impression acousdquque nous fait « chien » en elle-même. Car ces deux évén

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ments psychiques servent l’un et l’autre à déterminer la pen sée qu’est le signe lui-mêmedans sa totalité. La thèse deSaussure ne saurait donc être rabattue sur celle de Sapir-Whorf, car elle ne répond pas à la même question. Il s’agitnon pas de dire qu’il n’y a de sémantique que linguistique,mais plutôt qu’en linguistique, la sémantique ne saurait êtreun domaine séparé, car il s’agit d’une des dimensions de ladétermination des unités, et qu’en celle-ci se résume sa« tâche tou t entière » (E.l .250-251.181 lsq.2R,37 ; G.37).La meilleure manière d’éclaircir le sens d’une entité delangue c’est de déterminer la « pensée » quelle est, et, pourcela, de circonscrire sa place dans cette langue, autrementdit de reconstruire le système de la langue. C ’est alors qu’ondépassera la tautologie, sans non plus confondre le sensd’une unité de langue et ses usages. Loin donc d’appelerà réduire toute sémantique à une explication des termesdu langage (explicitation du sens des mots), il s’agit aucontraire de mon trer qu’il n y a pas de différence entre lesens d’un terme du langage et sa détermination même. Il

;n est pas plus légitime de faire une sémantique séparée dureste qu’une phonologie abstraite du fait que les actes delangage supposent quelque chose qui ne se confond pasavec ses actualisations.

« Nou s disons qu’il n’y a pas de morphologie hors du sens,malgré que la forme matérielle soie l’élément le plus facile àsuivre. Il y a don c encore bien m oins à nos yeux un esémantique hors de la forme ! » (ELG.108).La sémantique de la langue française, c’est la langue

française elle-même prise comme système. Le sens. théorique de cette intér iorisation du « concept » dans lesigne lui-même est clair : il s’agit d’unifier dans la théorie

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de la valeur la linguistique, pour redéfinirà partir de la notion de valeur les différentes branches de la linguistique.De même que l’on peut décrire à quoi correspond

phonétiquement l’acte que réalise quelqu’un qui veutproduire un « p » en observant les mouvements de l’ap!

pareil vocal, de même on peut imaginer qu’on pourra un jour décrire grâce à des techniques de psychologie expérimen!

tale ou d’imagerie cérébrale à quoi « pense » actuellement unsujet lorsqu’il pense à un « chien », bien que cela soit« momentanément hors de toute prévision possible du lin!

guiste ou du psychologue » (ELG.115). Mais, même alors,on n’aura pas le « concept » linguistique lui-même, celuiqui entre dans la détermination de l’impression acoustique,pas plus qu’on n’a « l’image acoustique » en elle-mêmelorsque l’on analyse les vibrations du tympan ou que l’ondécompose les articulations de l’appareil vocal. On aurasimplement un autre plan substantiel pourdécrire les valeursdonnées par ailleurs : non plus seulement la « phonologie »,mais aussi la « psychologie ».

Une objection cependant pourrait ici nous arrAyant constaté le caractère « incorporel » des signes,Saussure aurait pu penser quil fallait non pas réduire toutela théorie du langage à une théorie nouvelle de ce qui!appelle « valeur », mais au contraire reconnaître quedans la langue est sémantique. Le donné phonique fc

tionnerait-il alors seulement comme un ensembled'ina permettant à une signification positive de se projeter sidonné phonique et de déterminer ainsi une impres:acoustique indépendamment de la sensation effective ?1partie de la linguistique post-chomskyenne est d’ailli

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g ailée dans cette direction . Il est vrai que l’argument de£ l’indétermination de l’unité ne saurait valoir de la même|f. manière pour l’impression acoustique et pour le concept, car

on peut se mettre face à la « substance sonore » de diversesmanières (en observant les mouvements articulatoires, enenregistrant la réalité phonique du son, etc.), mais l’on ne

. saurait se mettre devant la « substance pensante » pourÿ constater qu elle est amorphe, puisque par définition nousk n’avons de pensée que distincte6.

Il se trouve que Saussure donne un argument" « empirique » en faveur de sa thèse, sur lequel nous auronsî-; l’occasion de revenir : il s’agit de l’impossibilité de donner

une définition positive d’une signification qui rende

% compte de la totalité de ses emplois. Par exemple, qu est-ceque je « pense », à quoi je fais référence ou allusion, quand

ïi, je dis ou j’entends « soleil » ? Je serais, assurément, bienincapable de le dire exhaustivement, car la synonymie n’estpas {imitablede maniéré positive.

« La “ synonymie ” d’un mot est en elle-même infinie,quoiqu’elle soit définie par rapport à un autre mot. (...)vouloir épuiser les idées contenues dans un mot est une entre!

prise parfaitement chimérique, à moin s peut-être de se borner àdes noms d’objets matériels et d’objets tout à fait rares, parexemple aluminium ou eucalyptus, etc. Déjà si l’on prend le fer ou lechêne, on n’arrivera pas au bout de la somme de significations(ou d’emplois, ce qui est la même chose) que nous donnons à

ces mots (...) . Quan t à épuiser ce qui est contenu dansesprit paropposition àâm e ou à pensée ( ...) une vie humaine pourrait sansexagération s’y passer.

Aucun signe n’est donc limité dans la somme d’idées posi!

tives qu ’il est au m ême m om en t appelé à concentrer en lui seul ;

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il n’est jamais limité que négativement, par la présence simu!

tanée d’autres signes ; et il est donc vain de chercher quelle ela somm e des significations d’un mot. (...)

(Corollaire). - Il n y a pas de différence entre le sens propret le sens figuré des mot (...)7. » (ELG.77-80).Ainsi, le fait que la signification (cette significatio

même dont nous avons conscience) ne puisse jamais êtcomplètementd onn é e en soi, prouve précisément quon nesaurait compter sur elle seule pour déterminer le signeL’expérience de pensée qui vise à savoir ce qu’on pense quandon pense « soleil » (en le séparant de ses usages) échoue fo!

cément : on ne pense rien de particulier, rien de déterminen soi. La mise en symétrie du signifiant et du signifirepose dès lors sur une hypothèse théorique forte : alors qu’aurait tendance à traiter comme un phénomène propre asens cette hétérogénéité désespérante des usages possible(en construisant des hypothèses sur la métaphore, le senlittéral, etc.), Saussure compare ce phénomène à celui de« fluctuation » des réalisations phoniques (sur lequel nous

reviendrons), et fait de cette propriété une conséquence dmode de détermination dusigne lui-même.Le « concept » n’est donc pas séparable du signe, i

n est ni « avant » l’acquisition d’une langue naturelle, « après », parce que la pensée du signe suppose la pensée concept, et que toutes les deux constituent en réalitéune

seide et même pensée. Mais alors il faut aller jusqu’au boutdu raisonnement. L’impression acoustique n’est donc pavraiment une impression acoustique, le concept n’est pavraiment un concept, et leur prétendue association n’en epas vraiment une. À l’issue de ces deux mouvements d’int

I

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riorisation du signe dans l’esprit, et de la significationdans le signe, on doit dire que le signe est non pas uneassociation entre deux termes, mais bien plutôt en soiune expér ience d ouble.

« Il faut dire la même chose de la face spirituelle dusigne linguistique. Si l’on prend pour eux-mêmes les dif !

férents concepts en les détachant de leur représentateur <d’unsigne représentatif^, c’est une suite d’objets psychologiques :<aimer, voir, maisons». Dans l’ordre psychologique on pourradire que c’est une un ité complexe. Il faut que le concept n e soitque la valeur d ’une image acoustique pou r faire partie de l’ordrelinguistique. Ou bien, si on le fait entrer dans l’ordre linguis!

tique, c'est une abstraction.Le concept devient une qualité de la substance acous!

tique comme la sonorité devient une qualité de la substanceconceptuelle. » (E.1.232.1694-]697.3C,288 ; K.292).Il faut entendre le terme de qualité dans ses deux

; acceptions. D ’une part le concept détermine lanuance del’impression acoustique elle-même. Mais réciproquement,

- le fait d’être audible devient une propriété du concept, de la

: substance conceptuelle. Le concept linguistique est donc' un concept sonore, de même que l’impression acoustiquelinguistique est une audition intérieure. Ainsi le signe n’est pas

vl'association entre une impression acoustique et un concept, mais une requalification de la sensation sonore par le faitmême quelle est associée à un concept, et la requalificationd’un concept comme concept sonore, donc l’induction d’uneexpérience nouvelle, indissolublement acoustique et sonore.

Il faut alors corriger la définition du signe. Il nes agit pas à proprement parler d ’une « association de deuxtermes également psychiques », si par association on entend

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un acte de l’esprit qui, à une pensée donnée, associe néceisairement une autre pensée. Il s’agit plutôt d’une seule pensémais déterminée par un double mouvement.

u Mais en réalité il n’y a dan s la langue aucune détermin;don ni de l’idée ni de la forme ; il n y a d'autre déterminarioque celle de l’idée par la forme ec celle de la forme par l’idée.(ELG.39).

« De même qu’il n’y a pas de signification hors du signe <de m ême il n’y a pas de signe h ors de la signification. » (ELG.73'Le signe est « psychique », non en tant qu’associatioi

entre deux objets de conscience, mais plutôt en tant quobjede conscienceen lui-même double,, que « pensée complexe >

C ’est une «pen sée-son » (E. 1.253.1830.2R,3 ; G.37) oiun « son-pensée8 ». Cela signifie que le champ de cesobjet d’un genre nouveau, les signes, donnant lieu à une sciencpsychologique elle-même nouvelle, la sémiologie, n’esautre que le domaine dessynestbésies.

Mais on comprend alors que, bien qu’il soit qualitatille signe ne puisse donner lieu à une descriptioiphénoménologique. Les expériences que sont les signes nsont jamais qualitativement définissables parce qu elles sonforcément doubles, elles mettent en jeu deux registres d’experience. Les signes instituent un ordre de l’expérience nouveaqui n’appartient à aucun plan d’expérience (« substance »préconstitué. De ce double mouvement d’intériorisation disigne dans l’esprit, puis d’intériorisation de la significatiodans le signe, on peut conclure 1) le signe est puremenqualitatif, mais 2) que cette qualité ne correspond à aucu)plan qualitat if donné, mais à quelque chose qui fait résonneles champs qualitatifs les uns dans les autres. Ainsi, à pein

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Pour qu’il y aie fait linguistique il faut l’un ion de deux sériamais une union d’un genre particulier - don t il serait absolumenvain de vouloir explorer en un seul instant les caractères ou dird’avance ce quelle sera. » (ELG.103).On sait que pour caractériser cette « union », Saussur

a tenté un grand nombre de métaphores. Il a parlé durech et du verso d’une feuille de papier, d’un mélange chimiqui

(par exemple CLG.145 ou ¿1.233.1699.30,289 ; IC292)de l’âme et du corps (E. 1.233.1698.3C,289 ; IC292), etcChacune de ces comparaisons « cloche par bien des points(id., version J), pour une raison bien simple : c’est qu’on msaurait donner d’exemples d’un lien indissoluble qui ne sopas fondé d’une manière ou d’une autre physiquement 9Cependant, elles montrent bien que le signe est une pensécomplexe et non pas l’association de deux pensées. Elsomme dire du concept qu’il est une propriété inhérente asigne, c’est uniquement attirer l’attention sur lecamcth intrinsèquement double du signe comme expérience.

2 . P h i l o s o p h i e s y m b o l i s t e

Cette in tériorisation dans 1*« esprit » de la dualité disigne, loin de valoir comme une réduction de la sémiologià la psychologie, permet au contraire à Saussure de mettr<en évidence l’originalité ontologique du signe, et à traver

lui de « l’esprit ». Si le signe est donné comme unequalit double au sujet, l’association constitu tive du signe ne sauraiêtre constituée par lui : c’est un « être double », un « termidouble », une « chose double », une « nature double ».

« Le signe n’est pas la suite de syllabes - c’estl'être double' constitué par une suite de syllabes dans la mesure où on ]

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attache une signification déterminée. Le signe est double :Signification/syllabes : c’est le point le plus difficile de la sémio!

logie, et ce côté aura été négligé aussi par la manière indiquéed’envisager la question. O n pourrait représenter cette correspon!

dance par la comparaison que voici : on ne peut découper lerecto d’une feuille de papier sans ie verso. On ne peut prendrel’un des deux que par abstraction. » (E. 1.254.1834.2R.22 ; G.24).

« On pose qu’il existe desternes doubles *comport ant uneforme, un corps, un être ph onétique —et une signification, uneidée, un être, une chose spirituelle.

Nous disons d’abord que la forme est la même chose quela signification (...). » (ELG.42).

«On ne peut vraiment maîtriser le signe, le suivre comme

un ballon dans les airs, avec certitude de le rattraper, quelorsqu'ons’est rendu complètement compte desa nature -nature double * ne consistant nullement dans l’enveloppe et pasdavantage dans l’esprit, dans l’air hydrogène qu'on y insuffleetqui ne vaudrait rien dutout sans l’enveloppe. »(ELG.115).Dès lors, affirmer le caractère « psychique » du signe,

ce n’est pas refuser toute réalité au signe, mais au contraire

désigner son « lieu d’existence ». On se souvient que Saussure'délimitait dans l’association du concept et de l’image dans lecerveau le « lieu » de la langue, faisait de l’esprit le « lieu dessignes» (ELG.19 et 54), et que, si la conscience est un^•critère de ce qui estréel, c’est que les signes du langage sont¿des êtres d'esprit, saisis par une perception interne. Cependant, ce qui importe dans la spiritualisation du signec’est qu elle ne peut que s’accompagner d’uneaffirmation pro!

prement ontologique, à savoir qu’il y a des êtres non simples,des êtres doubles. Relativement à cette découverte, le fait.que le signe soit psychique et non physique est clairement¿présenté par Saussure comme une chose secondaire. Ainsi,

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ce glissement terminologique (cf. par ex. « sème », iELG.105), avant d’y renoncer finalement et d’assuiml’équivoque du mot « signe » comme adéquate à son contempréférant se soumettre à la langue, plutôt que de multipludes néologismes.

« Montrer queterme a été aussi incapable quesigne igarder un sens matériel ou inversement. “ Dans ces termes ” etextuel. » (ELG.107).Ce qui constitue le signe ce n’est donc pas seulemei

la dualité, mais ce glissement constant qui fait passer uterme double pour un terme simple. La « substance gli:santé du langage » (ELG.281) tient à cette duplicité disignes : il est de la nature de ce qui est double de se faii

passer pour simple. C’est précisément parce qu’elle &essentielle que l’objet qu’est le langage est forcémentrompeur : c’est pour cela que Saussure justifiait la nécessiides comparaisons (les « métaphores ») pour « entrevoir la :complexe nature de la sémiologie particulière dite langag- pour définir une bonne fois cette sémiologie pardculièi

qui est le langage non dans un de ses côtés, mais dans cetiirritante duplicité qui fait qu’on ne le saisira jamais(ELG.217). La duplicité du signe est celle de Dionysos.

Mais c’est précisément parce que cette dualité internlui donne un statut ontologiquement problématique que ]signe convient en dernière instance pour désigner la natuides réalités concrètes du langage.

« En cherchant où pouvait être le plus véritablement iprincipe premier et dernier de cette dualité incessante qifrappe jusque dans le plus infime paragraphe d’une grammair.toujours susceptible en deh ors des fausses rédactions de recevoideux formules légitimes, et absolum en t distinctes, nous croyon

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n’est pas non plus la vue d’une certaine lettre ou d’un certaingroupe de lettres qui appelle cette sensation. Mais ce st lavoyelle en tant que contenu dam cette expression graphique *, c’est l’êtreimaginaire qu e forme cette première association d’idées qui, parune autre association, m’apparaît comme doué d’une certaineconsistance et d’une certainecouleur , quelque fois aussi d’unecertaine f ir m e et d’une certaineodeur.

Ces attributs de couleurs et autres ne s’attachent pas,autrement dit, à des valeurs acoustiques, mais à des valeursorthographiques dont je fais involontairement des substances.L’être [voyelle x ! lettre at] est caractérisé par tel aspect, relieteinte, tel toucher.

Je n’ai guère observé si dans les langues étrangères la sériedes correspondances est pour moi la même qu’en français. Il me

semble en tout cas qu’elle y est moins intense, m oins développée,moins précise.

En français, a, c’est-à-dire [voyelle a / lettre a], estblanchâtre, tirant sur le jaune ; comme consistance, c’est unechose solide, mais peu épaisse, quicroque facilement sous lechoc, par exemple un papier (jauni par le temps) tendu dansun cadre, une porte mince (en bois verni resté blanc) dont onsent quelle éclaterait avec fracas au moindre coup qu’on ydonnerait, un e coquille d ’œ u fdéjà brisée et que l’on peutcontinuer à faire crépiter sous les doigts en la pressant. Mieuxencore : la coqu ille d’un œ u f cru esta (soit de couleur, soit parla consistance de l’objet) mais la coquille d’un œ u f du r n’est pasa, à cause du sentiment qu’on a que l’objet est compact, résis!

tant. Une vitre jaunâtre est a ; une vitre de la couleur ordinaire,offrant des reflets bleuâtres, est tout le contraire de a, à cause desa couleur, et quoique la consistance soit bien ce qui convient.

Un a qui n’est pas écrit ¿z, par exemple l’a de roi, n évoquepas ces idées ~ à moins que je n’écrive le même mot phoné!

tiquementriva.

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O u c’est-à-dire [voyelle déterminée / lettres ouj évoque lasensation que donne un beau velours gris, ou un beau drap gristrès moelleux, très fondu de ton. Lorsque la même voyelle, enallemand par exemple, s’écritu la sensation est foncièrement la "même, mais incomparablement m oins forte.

U c’est-à-dire [son ü / lettre u] est acier bleu sombre. -i est argent ou vif-argent. —é fermé est bois brun foncé, etc. Je ne -trouve aucun e couleur au x saveurs et odeurs. Pour les sons et lesbruits, la possibilité d ’une corrélation me semble moins absolu-ment exclue ; mais s’il fallait définir la couleur d’un cri, il mesemble plus facile de dire quelles couleurs il ne représente pas,que de trouver la couleur qu’il rappelle positivement. Seules lesvoyelles de mots on t pou r m oi des couleurs assez définies. »(Flournoy. 1893.50-52). ^La question n’était pas « quelle couleurassociez-vous ’

aux voyelles », mais bien « quelle couleur f rou v ez -v ou s aurvoyelles ? ». Saussure la déplace de deux manières : d’unipart en montrant que la « voyelle », comme chose à quopeut s’associer une autre sensation, n’est pas une sensatioisimple, mais un « être » double, à la fois graphique eacoustique, et d’autre part que cette qualité sensible d’uigenre nouveau entre en résonance avec tous les ordres d<sensation : « (...) c’estl ’être im agin aire q u ef on n e cette prem ièn association d'idée, qui, par une autre association, rnapparaîcomme doué d’une certaineconsistance et d’une certain!coideur, quelquefois aussi d’une certaine f o n n e et d’une cer

taine odeur. » Loin donc que le signe soit fondé sur uniassociat ion , il n’y a d’évocation ou d5« association libre:que pour un êtredéjà double . Mieux, ces association,entrent elles-mêmes dans la détermination de la qualité« L’être [voyelle x lettre x] estcaractérisé par tel aspect, tell*

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>r

autres sont comme lâchés, flottants, hantant le discoursgrâce au jeu de création d’une attente et de frustration decette attente. Le poème, en se fermant sur sa propre matière¿sonore, laisse une inégalité qui n’est autre que son « thème »,

gi'est-à-dire son « sujet », ce dont il traite, et celui-ci se dresse,^intraitable, inconsommé, entier après cette fête dispendieuse

f Hë sonorités embrasées que fut le poème. Ce dont on parle¿meurt et renaît dans le poème qui en parle, comme si le dit¡rie servait qu’à faire surgir le symbole ou le signe pur de ce jdont il faut parler, dans son irréductibilité, son insistance,p o t pur, Chiffre, Formule, Nom, Inscription, Mémoire.

Tout l’art anagrammatique consiste à laisser une¿race, à abandonner le destinataire de l’anagramme sur uneimpression à la fois vague et obsédante, qui est l’expériencenHü nom restitué à son état de signe non actualisé, qui ne se•/livre donc que dans cette divination, dans cette suspicion,[[dans cette présence douteuse et cependant insistante. Lepoème anagrammatique donne Xexpér ience d u signe. Cette

/.expérience relève typiquement de lasuggestion, c’est-à-dire ïd>un rapportinconscient ou, comme dirait plus probable!

ment Saussure, avec ses contemporains, « subconscient »,•voire « subliminal », avec son « objet ». Mieux : c’est laÿiamre même de l’objet qui définit ce rapport « sublimi!

n al » : il ne saurait être appréhendé en tant que tel quepomme évoqué. Saussure décrit lui-même ceteffet qu’estcensé faire l’anagramme, en s’en présentant comme une

pyictime :« Ayant plusieurs fois cherché ce qui me retenait comme

|a . . significatif dan s ces syllabes, je ne l’ai pas trouvé d'abord parce; que j’étais un iquem ent att en tif à Priamides, et après coup je

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comprends que c’est la sollicitation que recevait inconsciment mon oreille vers Hector qui créait ce sentiment“ quelque chose ” qui avait rapport aux noms évoqués danvers. » (Ms. fr. 3964 in Starobinski.1971.55).Mais n est-ce pas cela le signe qui habite le « trésor >

langue, cette entité virtuelle qui n’est précisément telle <parce qu’elle est séparée de ses usages, qui peut toujours inommée ouconvoquée hors contexte alors même qu’on pne lui supposer un « sens » qu’en contexte ? Saussure .même affirme que ce « résidu », dont la perception ne sauêtre actuelle mais qui s’impose d’autant plus obstinément <sa présence est spectrale, correspond à une « seconde fatd’être » du mot, cette façon d’être qui ne correspond à auci

réalisation substantielle, mais qui est peut-être une manide faire entendre la réalité virtuelle du signe en jouamsubstance du langage contre elle-même.

« Il s’agit bien encore dans “ l’hypogramme ” de soulijun nom, un mot, en s’évertuant à en répéter les syllabes, et erdon nant ainsi une seconde façon d’être, factice, ajoutée pour adire à l’original du mot. » (Ms. fr. 3965 in StarobinsIti.l971.iStarobinski dit fort justement : « Le mot thè

n’ayant jamais fait l’objet d’uneexposition, il ne sauraiti question de le reconnaître : il faut le deviner, dans une lectuattentive aux liens possibles de phonèmes espacé(Starobinski.1971.46). Or cette seconde existence est gqui est déterminée non pas par le fait d’être actualisé d;le fil d’un discours, mais d’être présenté dans un tablisynchronique à la place qui est.la sienne à l’entrecroisemdes différentes séries associatives qui constituent la langL’anagramme défait la linéarité du discours, pou r présenle signe dans son rapport avec les autres signes :

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« Que les éléments qui forment un motse suivent, c’est làune vérité qu’il vaudrait mieux ne pas considérer, en linguistique,comme une chose sans intérêt parce qu’évidente, mais qui donned’avance au contraire le principe central de tou te réflexion utile surles mots. Dans un domaine infiniment spécial comme celui quenous avons à traiter, c’est toujours en vertu de Ja loi fondamentaledu mot humain en général que peu t se poser une question commecelle de la consécutivité ou non-consécutivité (. .. ).

Peut-on donnerTAE par ta+te, c’est-à-dire inviterlelecteur non plus à une juxtaposition dans la consécutivité, mais

f f e '

m -1 «Hr

jP";i

à une moyenne des impressions acoustiques hors du temps ?hors de l’ordre dan s le temps des élémen ts ? hors de l’ordrelinéaire qui est observé si je donneTAE par TA-AE ou TA-E, mais

ne l’est pas si je le donne parta+te à amalgamer hors du tempscomme je pourrais le faire pour deux couleurs simultanées. »(Ms. fr. 3963 in Starobinsld.1971.47).

| f c ' On peut dire que le poère anagrammatique étale dans j la linéarité du discours les paradigmes que le linguiste%£Férdinand de Saussure représente en colonnes (cf. les schémas jfp^ourenseignement, défaire ou anm ain CLG.175, 178, 180).

IfSon analyse n’est pas seulement « phonico-poétique », maist aussi « grammatico-poétique » (Ms. fr. 3963 in Starobinsld.'§¡1971.37). Ainsi, le poème nomme le dieu en déclinant

|p|oûtes les possibilités d’existence sémique du dieu, enfjffiusant « attention aux variétés du nom » (id.38), c’est-à-;piire aux déclinaisons. On voit que dans la récitation ou

l|pÎëbra.tion anagrammatique il ne s’agit pas d’imiter le nom^rnrdieu, mais bien de l’analyser. On passe d’un nom à unIffcas quelconque, à un signe virtuel entouré de tous ses

ffjÿàradigmes et qui n’a pas d’autre existence que celleJAqu’évoque en creux leur éclatement. Discours qui fait

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en tendre le Signe, parole qui fait présente la langue, telle tla poésie... Telle devrait être aussi, selon Lacan, la eupsychanalytique...

3 . L a f o r m e e t l ’ê t r e d e s s u r f a c e s

La dualité du signe est donc à la fois le principe <caractère intégralement psychique du signe, et ce ql’empêche de se réduire à un acte du sujet conscient,n’en reste pas moins que l’idée d’un « être en soi doubkreste passablement mystérieuse : il faut quil soit à la fcune chose et une autre chose, non pas deux choses cepedant, mais une seu le... N ’y a-t-il pas quelque chose \ douteux à expliquer le caractèrede fai t irreprésentable <signe, par quelque chose d’encore plus irreprésentablede surcroît p ar principe irreprésentable ? La dualontologique n’est-elle pas Xasylum ignorentiae de la sémiolo]saussurienne ?

Pour bien comprendre la position de Saussure, il faiintroduire la distinction conceptuelle de lasubstaiice et

Inform e. Les entités doubles du langage ne constituent fdes substances. Par substance, Saussure entend toujoitrois choses à la fois : au sens métaphysique, ce qui existesoi et pour soi ne se confond pas avec ses attributs oui

propriétés ; au sens « physique », un ordrecausalité ; eniau sens épistémologique ce qui peut faire l’objet d’uprésentation dans l’expérience, passive ou provoquée. ]aucun de ces sens le domaine des signes n’offre de substaniQuand Saussure dit que le signe est une « entité double »

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ïï-Oi:

r;; ¡fi ne veut pas dire qu’il y aurait quelque chose comme uneim bstance double, mais plutôt que le signenestpas substantiel" :(cf. ELG.237).

« Le langage n’offre sous aucune de ses man ifestations unesubstance, mais seulement des actions combinées (...) toutesnos distinctions, toute notre terminologie, toutes nos façons deparler sont moulées sur cette supposition involontaire d’unesubstance (...). »(ELG.197).Le propre du « mirage linguistique » est de nous

ener à traitercomme une substance ce qui est essentielle!

ment une corrélation entre des divisions codéterminées suris substances pour ainsi dire subverties.

« Nous tendons perpétuellement à convertir en substance

les actions diverses que nécessite le langage. » (ELG.81).Cette illusion estinévitable, comme le disait Kant àtopos de la dialectique, parce que les substancess analysent dproquement. L’être double quest le signe nest rien d’autreie cette séquenciation conjointe de plusieurs substances. Sik donnée sémiologique » est en tant que telle inobservable,i:\nesc pas parce quelle correspond à une entitésiipra- ênoménale\ entité double dont nous ne pourrions mêmeüs faire de représentation, mais parce quelle est forcé-

iént interphénoménale. Ainsi le CLG parie d’un « terrainmitrophe », quand Gautier avait noté dans son cahier :

« La linguistique a pou r dom aine ces phén omènes defrontières. »(E.1.254.i837.2G,1.9b).

Et Constantin :« C ’est entre deux que le fait linguistique se passe. »

(E.1.252.1826.2C.31).Il n’y a pas de « substance » de la langue, parce que

tdffe de la « réalité linguistique » ou du « fait linguistique »

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est nécessairementin termédiaire. L’être du signe est un êtde surface :« La condition de tout fait linguistique est de se pas;

entre deux termes au minimum . » (ELG.123).« Le rôle caractéristique du langage vis-à-vis de la pensi

ce n’est pas d’être un moyen phonique, matériel ; mais c’estcréer un milieu intermédiaire entre la pensée et le son, de tenature que Je comprom is ent re la pensée ec le son abou tit d’ufaçon inévitable à des unités particulières. La pensée, denature chaotique, est forcée de se préciser parce qu’elle tdécomposée, elle est répartie par le langage en des unités. M;il ne faut pas tomber dans l’idée banale que le langage est •moule : c’est le considérer com me quelque chose de fixe,rigide, alors que la matière phonique est aussi chaotique en ;que la pensée. Ce n’est pas du tout cela : ce n’est pas la matérhsation de ces pensées par un son qui est un phénomène utilc’est le fait, en quelque sorte mystérieux, que la pensée-s1implique des divisions qui sont les unités finales de la Üngutique. Son et pensée ne peuvent se combiner que par ces unitComparaison de deux masses amorphes : l’eau et l’air. Si

pression atmosphérique change, la surface de l’eau se décompcen une succession d’unités : la vague = chaîne intermédiaire cne forme pas substance. Cette ondulation représente l’union,pour ainsi dire l’accouplement, de la pensée avec cette chaîphonique qui est en elle-même amorphe. Leur combinais1produit une forme. Le terrain de la linguistique est le terraqu’on pourrait appeler dans un sens très large le terrain commi

des articulations, desartictdi, des petits membres dans lesqula pensée prend conscience par un sens. Hors de ces articutions, ou bien on fait de la psychologie pure (pensée), ou bide la phonologie (son). » (E.1.253.1828sq.2R,37-38 ; G.37-31

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Une vague, ce n’est ni de l’eau, ni de l’air, mais ça neut exister qu’à la condition qu’il y ait de l’air et de l’eau,ns cependant qu’on puisse la définir comme associationdeux pordons substantielle d’eau et d ’air, car les substances

Rentrent en compte que globalement : elle est un « êtree » qui n’existe que comme « division » de la surface

ë rencontre entre l’air et l’eau, en fonction de facteursmasse d’une part (pression atmosphérique et courants

¿marins), et des relations « latérales » entre les vagues elles-mêmes d’autre part. De même, ce qu’il y a de substantiel

s le signe, ce ne sont pas les unités quié mergent de^ processus de double art iculation , mais les massesntinues qui s’analysent réciproquement sur un planubstantiel, la pure surface.

Mais il faut ajouter alors une thèse supplémentaire :itité sémiologique n’est qu’une pure unité, qui se confond:c ses propres limites, de même que la vague, commehose », n’est qu’une inflexion à la surface entre les masses,xpérience en quoi consiste le signe lui-même n’est rien

titre qu’une pure et simple scansion dans l’expérience. Àégard, les substances qui on t été la cause occasionnelle dete discontinuité sans contenu deviennent relativementi importantes. Ce qui compte désormais, c’est lanière dont l’expérience est rythmée. Il y a un lienime entre la thèse de ladualité du signe et la thèse de laànctivité du signe. Le signe est un effet qualitatif non jstantiel qui introduit unediscontinuité dans l’expérience ïtinue en jouan t sur la pluralité desniveaux d’expériencealitative. L’originalité - et même, peut-on dire, landeur - du conceptde form e que construit ici Saussure

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tient à ce qu il pose un des problèmes les plus pointus cphilosophie moderne, celui de lasynthèse ou du pas d’une expérience continue au monde discontinu (lequel nous vivons, d’une manière qui ne se confond ;aucune des grandes réponses que la tradition lui a donrAlors que l’empirisme croit trouver les articulations daicontenu même de l’expérience, l’idéalisme lui objectnécessité de postuler une fonction de synthèse pour dédide l’expérience sensible, l’unité de l’expérience, autrendit de devoir précisément présupposer, dans la constituímême du réel, l’activité d’unesprit. Mais le pariSaussure, qui travaillera tout l’héritage structuraliste etl’on retrouvera intact, en particulier, chez Lévi-Stra

consiste à affirmer que l’expérience sensiblese struc elle-même, du fait cependant de la plu ralité des niveaiul’expérience : l’intelligible émerge du sensible par le « ftement » des plans de la sensibilité les uns contre les aui

Saussure est conscient du caractère général deconcept de signe. Notre expérience journalière, c

expérience dans laquelle des objets sont découpés,lignes tracées, etc., est, en tant que telle,sémiologiqîie.« <En me promenant>, je fais sans rien dire une eno

sur un arbre, comme par plaisir. La personn e qui m’accomp;garde l’idée de cette encoche, et il est incontestable qu ’elle as:deux ou trois idées à cette encoche dès ce moment, alors qin’avais pas moi-même d’autre idée que de la mystifier01

m’amuser. —Toute chose matérielle est déjà pour noussi c’est-à-dire impression que nous associons à d’autres, <machose matérielle paraît indispensable:?. La seule paracularitsigne linguistique est de produire une association plus pnque toute autre, et peut-être verra-t-on là la forme la plus

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i® ';> faice d’associations d’idées, ne pou van t être réalisée que sur unfeipVv . sôme conventionnel. » (ELG.115).p | f. Toute chose matérielle estd éjà un signe, non parce|j||qu on peut lui associer quelque chose, mais parce quelle estPfen -elle-même un mélange de sons et d’odeurs, de texturesjpjètde saveurs, de couleurs et de souvenirs, et seules de telles|pj|ÿnesthésies peuvent s’associer à d’autres, de même que seul

Ël’«être double»(voyelle a/lettre a) pouvait se mêler au|||monde. Les qualités nouvelles qui émergent à la vue deljfténcoche resteront cependant bien moins « précises »

jue celles qui auraient accompagné le tracé d’un mot. Lelispositif linguistique n’est donc rien d’autre qu’une-açialisation de cette expérience associative complexe,

;bmme une réponse au problème bergsonien de la sociali-¡ation des qualités singulières.ÿ II reste cependant que ces unités nouvelles reposentiur:« ce fait en quelque sorte mystérieux que la pensée-soninplique des divisions »... Est-il voué à rester mystérieux,iu peut-on clarifier le rapport entre dualité et distinctivité ?

¡^problème du signe est indissolublement conceptuel etGénétique : on ne dissipera le mystère du signe qu’ennpntrant comment on passe de l’expérience continue à’¡expérience discontinue ou plutôt à l’expérience de puresiiscontinuités « formelles ».

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CHAPITRE IILA FACULTÉ D E S’ATTACH ER À DES TERM ES

EN SO I NU LS : TH ÉO RIE D E LA VALEUR

Le problème sémiologique n’est autre qu’une refor!

mulation de celui de la genèse de l'intelligible à partir dusensible dans les termes suivants : comment passe-t-on ducaractère hétéroclite, variable et continu de l’expérience à cesentités doubles que sont les signes, homogènes, invariantes

et discontinues. La théorie de. la valeur y répond : les signessont déposés dans l’esprit, et par là dans le cerveau, à l’issued’un processus complexe et, selon Saussure,in stinctif quiconsiste à extraire, d’un plan qualitatif, certaines nuancesou variations, en les associant à des variations sur un autreplan qualitatif. Ce processus de structuration d’un planqualitatif par l’autre produit une sorte de reste qui estl’entité positive du signe, impression distinctive de la cor!

rélation. La théorie de la valeur est donc une théorie de lafaculté sémiologique, comme faculté de constituer dessystèmes symboliques, et notamment des langues. Nous

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une Fo is un tiers. Ce quiesc capital cest de savoir que a long n ’a pas la même durée quea bref. (...) Fondamentalement, lalangue repose sur des différences. Méconnaître cela, s’acharneraprès des quantités positives, c’esr, je crois, se condamner àrester d’un bout à l’autre de l’étude linguistique à côté du vrai,et du fait décisif où nous sommes appelés à envisager lalangue. » (ELG.71).

Telle est la véritable raison poux laquelle l'entreprisedes «phonologues» néogrammairiens était vouée àl’échec : ce qui est donné dans un fait de langage, ce qui esteffectivement réalisé et donc observable, ne vaut pas pource qu’il est, mais commeindice d’un certain nombre de

• traits différentiels, qui s’évaluent en termes de plus et demoins \ un a long ri est pas défini par une certaine quantitéde temps, mais una qui esc justetin peu plus long qu’un autre.Le langage fonctionne par inflexions, nuances, altérations, et«ce qui signifie», ce rîest pas le fait empirique lui-même,mais la manière dont il tend dans telle ou telle direction :plus long ou plus court, plus ouvert ou plus fermé, articuléde manière plus ou moins proche des dents, plus ou moins

«mouillé», etc. Ces variations continues sont lesindices qui permettent d’inférer les signes produits. On sait quec’est pour avoir attiré l’attention sur cette dimension différen!

tielle dans le langage que Saussure a été tenu pendant desdécennies comme le fondateur de la linguistique moderne.Toute la phonologie du XXe siècle a développé cette thèse de

manières diverses. Troubetzkoy a introduit le principe de ladifférence entre variantes combinatoires et variantes stylis!

tiques ; Jakobson, le concept de « trait distinctif » et l’idéed’une hiérarchie des traits distinctifs universels ; Martinet,celui de redondance, etc. Mais, parce qu’il considère cette

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"J’ BK'

négativité comme valan t aussi bien pou r la « facephonique » du langage que pour sa « face psychologique », Saussure s’est trouvé confronté à un problèmeontologique \ que la plupart de ses successeurs on t soigneusement évité, renonçant au passage à toute la transformation deYimage ïdu langage que visait Saussure.

Certes, la notion d’impression acoustique devient

plus claire : c’est précisément parce quun sujet parlant neretient, d’une perception sonore effective, que les contrastes,que l’impression acoustique peut s’arracher à la sensationsonore, ses composants étant extraits de la substance sonore, sans qu’elle se confonde avec elle. L’« image acous!

tique » n’est pas un son, parce quelle n’est qu’un ensemble de

différences sonores. C’est en ce sens que Saussure introduisitpour la première fois le terme de valeur, emprunté originelle!

ment à la traditionesthétique. On a vu qu’il comparait leproblème du rapport de l’impression acoustique au son àcelui d’une couleur et d’une valeur (ELG.83). De mêmedans les leçons :

« La langue esc un système qui court sur des impressionsacoustiques inanalysables (différence de f avec b).

Comparons la langue à une tapisserie ! Combinaison deton s forme le jeu de la tapisserie ; or il est indifférent de savoircom men t le tein turier a opéré le mélange. Ce qui importe, c’est la série des impressions visuelles, n on de savoir commen t les filsont été teints, etc. Ce qui importe donc, c’est l’impressionacoustique, n on le moyen de la produire. Les différentes formesdont se compose la langue représentent diverses combinaisonsau moyen des impressions acoustiques. C’est leur oppositionqui fait tout le jeu de la langue.» (E.1.92.645-646.3C.94;IC262 ; GLG.56).

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La conscience d’une couleur ne saurait être déduite de

la couleur physique, parce quelle esc toujours conscience desa valeur, c’esc-à-dire de l’effet qu elle produit dans le contexteoù elle se trouve, par contraste. De même la conscience d’unson ne dépend pas de sa quantité absolue mais de sa qualitérelative déterminée par les sons environnants. C’est même

.sur cet effet sensible que les locuceurs se règlent, variant

;. leur prononciation en fonction du contexte environnant.Le concept de valeur désigne donc d’abord l’originalité dela percep tion sémiologique.

Cette identification des percepts linguistiques à desvaleurs et non à des couleurs est introduite dans les courscomme une réponse à un problème précis posé par ledéveloppement des pratiques comparatistes : celui de lareconstruction des langues originelles disparues. La rédaction

: d’un texte en «in do-eu ropéen» par Schleicher en 186Savait en effet suscité une vive controverse *. La positionde Saussure est originale : il s’accorde avec ceux qui,comme Meillet (1925.13-15), pensent que l’on ne sauraitreconstruire la manière réelle de parler des indo-européens,

mais il n’admet pas pour autant que le seulobjet de la lin!guistique historique soit la comparaison. Car il est possiblede reconstruire, non certes les détails pittoresques d’unemanière de parler, mais bien mieux : l’impressionqu’avaient les indo-européens. Curieusement, on peutmieux se représenter la « conscience » de sujets parlantsmorts il y a plusieurs millénaires que leurs comportementsextérieurs. C’est qu’au fond l’impression linguistique n’est jamais quelque chose d’observable : il fauttoujours « reconstruire » le système grâce auquel sont déterminées

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les impressions singulières, que la langue qu’on étudie s« présente » ou « passée ».

« II n’est don c pas d ’une extrême importance pour llangue de savoir si le ch se pron once mouillé (Kirche, aucb) ; ilest différen t de tout autre, voilà l’essent iel pour chaque élémed’une langue même moderne et je pourrais écrire les mots edésignant les unités phoniques par des chiffres <dont la valeuserait fixée>. » (E.1.268.1924.1R,3-55-56 ; IC. 165-166).Il appuie sa thèse sur un argument empirique qu

nous est désormais familier : des variations phonétiquconsidérables n’empêchent pas les sujets parlants de reco!

naître le même signe. Ainsi concluait-il le passage sur « but de la reconstruction » :

« II en résulte une relative latitude pour la prononciatio

des langues que nous avons sous les yeux. Ainsi en français ldoit être grasseyé, ce qui n’empêche pas beaucoup de personnde le rouler. <La langue cepen dan t a ce qu elle dem ande [> •r serait mieux désigné par un numéro par exemple (13). Llangue ne demande que la différence ; elle exige moins qu’one le cro it que la qualité du son soit invariable. »(E. 1.268 .1926 .1R,3.56 ; IC166).

C ’est parce qu’un signe n’est pas défini par ce qu’il epositivement mais par ses opposicions (donc commvaleur) qu’il laisse une celle marge d’indétermination.

« C ’est ainsi qu’un ph énomène qui paraît tout à fait perdau milieu des centaines de phénomènes qu’on peut distingueau premier abord dan s le langage, celui que n ous appelleronsFLUCTUATIONphonétique, mérite d’être dèsle début tiré delamasse et posé à la fois comme unique en son genre, et tout à fcaractéristique du principe négatif qui est au fond du méca!

nisme de la langue.Il existe probablement dans toute langue certains élé!

ments ou certains groupes qui offrent, on ne sait pourquoi, un

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latitude de prononciation, pendant que la grande majorité est

absolum ent inflexible dans la façon de se prononcer. En françaison peut prononcer sous le son der deux ou trois consonnescomplètement différentes d’articulation et de plus tellementdifférentes pour l’oreille qu’il n’y a rien qu’on remarque plusimmédiatement dans le parler d’un individu.. Cependant tousces sons très différents son t acceptés - pou r ainsi dire légale!

men t - comm e valant la même chose (...) . » (ELG.71-72).Il s’agit d’un fait désormais bien connu, caractéristiqueselon Saussure de tous les systèmes sémiologiques2. Laphonologie pragoise a distingué plusieurs genres de variantes :les variantes combinatoires et les variantes facultatives. Parmices dernières, on peut dire que certaines ont une valeur stylis!

tique, d’autres ne sont tout simplement pas perceptibles.Les variantes combinatoires sont particulièrement intéres!

santes dans la mesure où elies montrent que c’est lavaleur qui est sentie et non le son lui-même.

Mais la force et la difficulté de Saussure sont d’avoircherché à étendre cette thèse à la facesémantique du langage,déclarant :

«Il n’y a poin t d’idées positives don n ées3.» (E. 1.271.194l.3C.404 ; IC.367).Il choisit volontairement l’exemple le plus défa!

vorable, celui où le signe semble désigner une choseunique, pour montrer que dans tous les cas la significationest négative.

« Ainsisoleil peut sembler représenter une idée parfaite!

ment positive, précise et déterminée, aussi bien que le mot delune : cependant quan d Diogène dit à Alexandre « Ôte-toi demon soleil ! », il n’y a plus danssoleil rien de soleil si ce n’estl’opposition avec l’idée d’ombre (...). » (ELG.74).

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Diogène ne pense assurément pas qu’Alexandre soiassis sur l’astre solaire : « soleil » ne désigne pas l’astre, mais lumière qui en vient, et s’oppose donc à l’ombre plutôt qu’la lune. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas de différenceentre l’usage référentiel et l’usage métaphorique d’unterme4 : la désignation de l’astre n’est pas « première » parapport à celle de la lumière. De même que la réalisationphonétique peut fluctuer, la signification peut varier sanque l’identité du contenu sémantique propre change : lapluralité des usages d’un terme du langage tiendrait ainsi cette négativité propre aux signes.

Cette thèse sur la négativité des signes semble en partirésoudre le problème que posait leur dualité. Car on com!

prend dès lors que le signe prélève ses composantes sur desubstances qualitatives, sans cependant associer des portiondéjà données de celles-ci, que la « forme » ne soit ni tout à faindépendante, ni tout à fait réductible aux substances.

« Ainsi i’exiscence des faits matériels esc, aussi bien quel'existence des faits d’un autre ordre, indifférence à la langue.Tout le temps elle s’avance et se meuc à l’aide de la formidablemachine de ses catégories négatives, véritablement dégagées detout fait concret, ec par là même immédiatement prêtes àemmagasiner une idée quelconque qui vient s’ajouter auxprécédentes. » (ELG.76).C’est pour cela que le signe est double et un à la

fois : double dans la mesure où il peut être décrit sur deux

substances à la fois —« soleil » c’est à la fois un certainnombre de traits phonologiques distinctifs, mais c’est aussun certain nombre de traits sémiques distinctifs - ; maisun dans la mesure où il consiste en l’association de différencesémantiques avec des différences acoustiques.

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Cependant, si cette solution permet de comprendrece qui est associé dans le signe, et la raison pour laquelle ces« termes » associés ne sauraient être donnés en dehors dusigne, elle soulève un redoutable problème, car elle définitles entités linguistiques comme deschoses uniquementnégatives ou différentielles.

« O n peu t exprimer autrem ent encore ce que nous avonsgroupé autour du terme devaleur, en posan t ce principe : il n’ya dans la langue (c’est-à-dire dans un état de langue) que desdifférences.

Différence implique pour notre esprit deux termes positifsentre lesquels s’établit la différence. Mais le paradoxe est quedans la langue il n’y a que des différences sans termes positifs. Là

est la vérité paradoxale. » (E. 1.270.1939-1940.3C.403 ; K.366).Il ne faut pas adoucir le problème philosophique qu’une telle thèse implique, car c’est précisément parce quecette vérité est paradoxale, source de la singularité épisté-mologique et du scandale ontologique du langage, quellepermet de faire de la valeur le concept même de la réalitédu langage.

« Il me semble qu'on peut l’affirmer en le proposant àl’attention : on ne se pénétrera jamais assez de l'essence pure!

ment négative, purementdifférentielle, de chacun des élémentsdu langage auxquels nous accordons précipitamment une exis!

tence (...).Dan s d’autres domaines, si je ne me trompe, on peut par!

ier des différents objets envisagés, sinon comme de choses exis!

tantes elles-mêmes, du moins comme de choses qui résumentchoses ou ent ités positives quelconques à formu ler autrem ent (àmoins peut-être de pousser les faits jusqu’aux limites de la méta!

physique, ou dé la question de la connaissance, ce dont nous

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entendons faire complètement abstraction) ; or il semble que lascience du langage soit placée à part : en ce que les objetsquelle a devant elle n’ont jamais de réalitéen soi, ou à part Acs autres objets à considérer ; n’on t absolument aucun substratum à leur existence hors de leur différence ou en DES différences de .toute espèce que l’esprit trouve moyen d’attacher à LAdifférence fondamentale (mais queleur différence réciproque fait toute

leur existence à chacun) : mais sans que l’on sorte nulle part de cette donnée fondamentalement et à tout jamais négative de laDIFFÉRENCE de deux termes, et non des propriétés d’unterme. »(ELG.65).S’il ne s’agit pas pour Saussure d’un postulat

« métaphysique », c’est, ici comme ailleurs, parce qu’il ne dit rien sur l’être en générai, mais permet seulement dediagnostiquer lasingularité de la linguistique dansl’ensemble des sciences dans des termesontologiques. Carde nouveau, ce n’est pas tellement le lieu d’existence desentités linguistiques qui importe que leur mode d’être.

« (Assez important :) Lanégativité des termes dans le lan!

gage peut être considéréeavant de se faire une idée dulieu du

langage ; pou r cette négativité, on peu t admettre provisoire!

ment que le langage existe hors de nous et de l’esprit, car oninsiste seulement sur ce que lesdifférents ternies du langage, aulieu d’être différents termes comme les espèces chimiques, etc.,ne sont que desdifférences déterminées entre des termes quiseraient vides et indéterminés sans ces différences. » (ELG.64).Ecraser ce paradoxe, comme on la malheureusement

beaucoup fait, en faisant comme s’il s’agissait d’une propo!

sition philosophique simplement justifiée par le fait qu’unlinguiste la présente comme nécessaire, c’est donc êtreassuré de manquer l’essence du langage.

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Mais il .n’est pas vrai non plus que le linguiste puissetout simplement se passer de l’hypothèse ontologique etappliquer tranquillement la méthode structurale. Ou plusexactement, il peut le faire, mais à un certain prix théorique.Des auteurs comme Martinet ou Jakobson peuvent fortbien ne pas poser la question ontologique, dans la mesureprécisément où ils définissent le langage comme un moyende communication. Mais alors ce qu’il y a à communiquerdoit être déterminé en soi. On peut dire, par exemple, queles nuances qualitatives sont desindice s permettant dereconnaître un signe qui, lui, peut être défini positivement,comme étant une « pensée » ou une « représentation ».Dans ce cas, les traits distincdfs foncdonneraient simple!

ment comme descritères permettant d’identifier une entitéparfaitement définie en elle-même, une « représentationphonologique » pour reprendre le vocabulaire desPrincipes de phonologie générative de Chomsky et Halle. Cette entitén’a rien de « différentiel » en soi ni d’oppositif, et elle nepose aucun problème ontologique : on se contente ^ id en!

tifier une « unité linguistique » à l’aide de certains traitsdifférentiels. Par exemple, je « reconnais p », non parce que je possède une sorte de portrait-robot de l’impression p, maisparce je suis at ten tif aux traitsdistiitctifi particuliers dans lephénomène phonique qui me permettent d’inférer p, etcela ne signifie pas que p soit comme tel purement diffé!

rentiel. Il n’y a donc aucune conséquence directe entre lathèse du caractère distinctif du niveau phonologique (quireste encore de nos jours la base instrumentale de toutephonologie), et la thèse ontologique forte que Saussurecroit y trouver. Si les phonèmes sont « différentiels », cela

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peut ne tenir quà ce que le sujet parlant cherche, dans lesréalisations sonores du langage, de quoidistinguer des« représentations » qu’il est susceptible d’avoir. Ce seraitparce que ce niveau n’est qu’un moyen qu’il est précisémentdistinctif. C’est sur cette idée que Thomas Pavel appuie sacritique des tentatives de récupération philosophique de lathèse de la « distinctivité » des signes, et en particulier despropositions de J. Derrida dans « De la différance » (inDerrida. 1972.1-29) : «À !'instar des signes saussuriens, lestraces constituent un réseau ouvert où chaque position n’estdéfinie que par sa non-identité avec les positions qui l’en!

tourent. Mais la raison pour laquelle les systèmes de signesadoptent une telle structure relève de l’économie des moyens

et non pas de la négativité transcendantale. Les linguistes ontidentifié des réseaux différentiels précisément là où. la langue,disposant de moyenslimités, doit arriver à un rendementmaximal. » (Pavel.1988.108). Mais cela implique une posi!

tion sur la sémantique, qui exclut totalement ladistinctivité du domaine du sens, position en principe légitime, assuré!

ment, mais qui est difficilement adéquate avec le matériellinguistique lui-même (cf. Rastier.1987 et 1991).Le problème saussurien ne se pose qu’à la condition

que l’on applique au « signifié » ce qui semble valoir avanttout pour le « signifiant ». Alors seulement ce qu’il s’agitd’identifier à l’occasion d’un acte de parole particulier esten soi un ensemble de différences, et il n’y a plus d’écartentre les critères d’identification d’une chose et la choseelle-même :

« II n’y a aucun substratum quelconque aux entités lin!

guistiques ; elles on t la propriété d’exister de par leur différence

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sans que le pronomelles arrive où que ce soit à désigner autrechose lui-même qu’une différence. » (ELG.263).

« Pour le fait linguistique,élément et caractère sont éter!nellemen t la même chose. C ’est le propre de la langue, commede toutsystème sémiologique, de n’admettre aucune différenceentre ce qui distingue une chose et ce qui la constitue (parce que

les “ choses ” dont on parle ici sont des signes, lesquels n’ontd ’autre mission, essence, que d’être distincts). » (ELG.263 ;cf. aussi ELG.121).

« On verra alors une chose assez curieuse : qu'ilriy a pasde différence radicale en linguistique entre le phénomèn e et lesunités. Paradoxe ! Mais toute unité représente un rapport, tout

phénomène également. » (E.1.274.1964.2R.75).Si la linguistique esc une profession délirante, si on ne

peut y faire la différence encre ce que son objet est et ce quel’on dit de lui, cest que les traits différentiels ne sont passeulement des marques, mais constituenc l’entité concrèteelle-même. Ce paradoxe est propre à Saussure, et sans

doute à lui seul. Il ne faut pas en adoucir le tranchant, maisà l’inverse montrer ce qu’a d' inacceptable k première vue lathèse de Saussure.

Normalement, la différence fonctionne commecritère de la reconnaissance d’une identité. Ainsi on peut définir unson par ses intervalles. Mais ce qui alors est limité, c’est une« tranche de sonorité », par exemple une bande defréquence. Ce serait un mauvais jeu de mots que de direque cette portion d’espace est « constituée » par ses propreslimites. Les limites sont les limites de quelque chose : entretelle et telle limite, tout ce qui arrive sera considéré comme

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une seule et même chose. IJ se peut que lad éf ini tion d’unechose implique nécessairement ladélimitation, et ne puissese faire que par démarcation . Mais cela ne signifie pas que lachose soit intrinsèquement négative. Si la bête duTerrier deKafka se demande où commence et où finit son territoire,c’est bien « quelque chose » quelle cherche à identifier, enl’occurrence « son territoire » : ce quelque chose est positif,il sagit de certains droits et donc de certaines obligationsque d’autres auraient à son égard. Le malheur de la bête deKafka est quelle est bien seule à se poser cette question, quidevient ainsi interminable... Mais ce n’est pas parce que ladifférence est le seul moyen pour reconnaître une chose quecette chose est négative. On peut se demander si Saussuren’est pas tombé dans une confusion de ce genre.

Plus grave, on ne voit pas comment l’on peut passerde cette thèse du caractère différentiel des signes à la notiond’unité, c’est-à-dire à ladiscontinuité qui est précisément cedont nous cherchons à rendre compte. Si le signe « soleil »n’est rien d’autre que l’ensemble des nuances acoustiques et

sémantiques que ça fait de le percevoir, on ne voit pas enquoi cela constituerait d’une quelconque manière uneunité. On a bien des nuances, mais toutes continues. Si ladifférence n’est différencede rien, ou entre rien et rien, maisdifférence pure, on ne voit pas pourquoi elle devrait avoirune valeurdistinctive. D’ailleurs, quand Bergson parlait de

« différences en soi », il voulait montrer précisément que ladifférence n’est pas distinctive, mais au contrairecontinue'. pure variation qualitative non marquée, qui n’a ni com!

mencement ni fin, et ne sauraitséparer deux choses. Ainsi,Vincent Descombes a peut-être tort d’exclure a priori l’idée

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k Théor ie de la valeur

l.

v.'$[. de différence en soi, mais il semble bien avoir raison deconsidérer l’usage qu’en a fait le structuralisme comme unepure et simple absurdité : « On a retenu de l’analyse struc!

turale des slogans (que les philosophes se sont empressésd’entendre dans un sens dialectique ou néo-dialectique) : iln’y a que des différences, pas de termes qui diffèrent. Cesslogans on t été justement critiqués comme étant obscurs ouridicules : s’il y a une différence, il faut qu il y ait des chosesqui diffèren t sous un certain rapport . » (Descombes.1996.182).

La réponse doit être cherchée dans un retour sur ladualité du signe, ou la « biplanéité » dont parlait Hjelmslev.En effet, tant que l’on fait comme si la langue se jouait sur

un seul plan qualitatif, on ne peut pas comprendre com!ment les différences pourraient constituer une unité qui neserait elle-même pas séparable de ses propres marques, etl’on se perd dans d’inextricables paradoxes qui peuventtenir lieu de métaphysique subtile à condition quon n’ysoit pas trop regardant. Mais si l’on réintroduit la dualité,la chose s’éclaire. Lés éditeurs l’ont fort bien exprimé :« Mais dire que tout est négatif dans la langue, cela n’estvrai que du signifié et du signifiant pris séparément : dèsqu’on considère le signe dans sa totalité, on se trouve enprésence d’une chose positive en son ordre. » (CLG.166).Saussure avait commencé à expliquer ce point dans la toutedernière leçon de linguistique générale qu’il a prononcée. Ils’agit de brèves notations, mais elles reprennent des chosesdites ou écrites auparavant. Dans cette leçon Saussuredisait que dans la langue il n’y a que des différences, maisil ajoutait :

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« [1944] Il n’y a du moins de différences que si l’on parlesoit des significations, soit des signifiés ou des signifiants5.Quand on arrivera aux termes eux-mêmes, résultats du rapportencre sign ifiant et signifié, on pou rra parler d’oppositions. (...)

11941] <11 n’y a que des différences ; pas te moindre termepositif.> Ici, c’est une différence du signifiant dont nous par!

lons. Le jeu des signifiants est fondé sur des différences. De

même pour les signifiés : il n’y a que des différences qui serontconditionn ées par lesdiff ér ence s de l'ordre acoustique. (...)

[1945] Grâce à ce que les différences se conditionnent lesunes les autres, nous aurons quelque chose pouvant ressembler àdes termes positifs par la mise en regard de telle différence de l’idéeavec telle différence du signe. On pourra alors parler de l’opposi!

tion des termes et donc ne pas maintenir qu’il n’y a que des dif !

férences <à cause de cet élément positif de la combinaison?. »(E. 1.272.1944sq.3C,403-405 ; IC367).Ce texte montre deux choses essentielles. D’abord

que les réalités mentales qui composent le trésor de lalangue sont bien des entités positives - et comment pour!

raient-elles sinon laisser leur marque sur le cerveau ? —, mai

induites comme des résultats, des restes involontaires,émergents, d’un processus de double différenciation.Ensuite, que l’on ne peut se contenter de définir la positivitédu signe comme une corrélation de différences : il s’agitd’une corrélation entre des différencesopposée à d’autrescorrélations. Ce poin t est essentiel : Saussure entend la

négativité toujours endeux sens, d’une part comme dif !

férence et d’autre part comme opposition6. Il ne prétendpas que les choses soient constituées uniquement de leurstraits qualitatifs. Ces traits qualitatifs servent bien de facteurde distinction, mais iis distinguent non pas des sonorités

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simplement, ni des idées, mais plutôt des « combinaisonsentre des différences de sons et des différences d’idées »,elles-mêmesredê terminées par leur opposition réciproque.Ce sont ces dernières que l’on peut et doit appeler desvaleurs.

La théorie de la valeur a don c deux tâches à remplir :1) expliquer comment ce mécanisme de différenciation quiconditionne la possibilité de faire une différence dans undomaine à celle de faire une autre différence dans un autredomaine, fait émerger des entités « positives » ; 2) montrerque la positivité de la valeur n’est complète que dans lamesure où chaque valeur est redéterminée par oppositionavec les autres, et non plus seulement par corrélation entre

des différences. Toute valeur est doublement déterminée,par un jeu de codifférenciation hétérogène d’une part, etpar un jeu d’opposition entre les « nœuds » codifférentielsd'autre part. C3est de cette double détermination, nous leverrons, que naissent les « signes » comme « entités doubles ».Ces deux moments correspondent rigoureusement à la

doublearticulation. Le premier donne les « formes » glo!

bales, que Saussure appelle aussi les « termes », points debasculement entre plusieurs niveaux de la différenciation; le deuxième produit les « valeurs », c’est-à-dire des termesredéterminés par leur opposition à d’autres termes etinduisant ainsi certains « sous-éléments ». Mais nous verronsqu’il y a aussi un troisième moment, qui est un momentd’intégration de l’opposition et de la différence, et quiexplique la genèse du « signe » à proprement parler, avec sesdeux moitiés paradoxales, le « signifiant » et le « signifié ».Par là nous proposons une genèse conceptuelle du concept

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de signe comme entité double, mais aussi une représentationré aliste de l’acquisition du langage. Nous sortons donc toutà fait du mouvement critique.

2 . G e n è s e d u s i g n e

Pour comprendre comment, de la simplecorrélation entre des différences, peuvent naître des termes positifs, ilfaut partir d ’une situation dans laquelle ceux-ci ne sont pasdonnés. On pourrait être tenté de croire que seules les dif !

férences sont données : nous n’aurions pas encore les chosechaudes et les choses froides, mais déjà lecontraste du chaud

et du froid. Ces contrastes seraient retenus comme « traitsdistinctifs », et nous les associerions les uns aux autres pourdéfinir une entité négative, à la manière de Jakobson pourle phonème (1963.103-107). Mais en réalité il n’y a aucuneraison de croire que les variations qualitatives se donnentd’emblée sous la forme du contraste. Entre un son plusstrident et un son plus mat, il ny a pas de hiérarchie qua!

litative, mais seulement une altérité. Le caractère graduéde l’expérience n’est pas dans l’expérience elle-même. C’esttout le sens de la critique de la notion& intensité queBergson fait, dans le premier chapitre des Données immédiates de la conscience, que de montrer qu’une variation qualitativene se donne pas d’emblée comme une « polarité », quel’intensité est un « mixte » conceptuel, mélange de qualitépure et de mouvement : la perception d’une différenceentre « plus » ou « moins » lumineux ne provient pas de laqualité elle-même, mais de ce que cette qualité fonctionne

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comme signe d'uneff or t à faire - soit pour s’approcher afinde mieux voir, soit au contraire pour se reculer afin de nepas être ébloui, etc. (Cf. Bergson.1889.29-37). Au demeu!

rant, Jakobson s’est précisément efforcé de montrer que lestraits distinctifs étaient des données universelles de l’esprit humain, anticipant ainsi l’approche cognitive du langage(voir notamment Jakobson et Waugh. 1979.212-216).

H n’est pas à la vérité philosophiquement impossiblede soutenir que la variation est en soi une différence ; mais àla condition quelle perde précisément son caractèrequali!tatif, ou plus exactement que la dimension qualitativedevienne une modalité « phénoménale » d’une réalité quin’est pasen vérité du tout qualitative, mais qui est déjàspirituelle, et mêmelogique. C’est bien ce que Hegel avoulu montrer dans les passages justement célèbres de laScience de la logique consacrés à l’identité, la différence et lacontradiction (Hegel. 1976.34-87, première section,chapitre deuxième). En effet, la notion d’une différencepure ou d’une différence en soi estcontradictoire en soi, cequi ne veut pas dire pour Hegel qu elle n est pas réelle, maisau contraire qu’elle témoigne que le réel lui-même est d’em!

blée logique, car, de fait, la contradiction est une relationlogique. De sorte que si on peut montrer que les constituantsélémentaires de l’expérience sont eux-mêmes contradictoires(mieux, sont des modalités dela contradiction, dirait Hegel),cela signifie que ledonné sensible n’est pas, contrairement à

ce que voulait Kant, extérieur à l’esprit, mais est au contraireune des premières manifestations de l’esprit, qui est la contra!

diction même. Le divers sensible est en tant que tel uneidée, mais une idée qui ne peut elle-même apparaître que

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comme irréductible à de Tided. C’est que, comme l’on sait,

la différence entre spirituel et non-spirituel, estin térieure àl’esprit lui-même, et que la sensation n’est que la premièremodalité de cette contradiction avec soi-même qu’est l’esprit(aussi est-ce avec la sensation que commence laPhéno!ménologie de l'esprit). La variation qualitative, si elle devaitse donner d’emblée comme différence, n’aurait donc rien

d’esthétique, elle ne serait que l’une des toutes premièresfigures de la contradiction interne, et le meilleur témoi!

gnage en faveur del'idéalism e absolu.Le concept de « différence qualitative » (ou de traits

structurant a priori l’expérience) est un concept mal déter!

miné, et il vaut mieux y renoncer. De fait, Saussure ne ditpas du tout que les différences signifiantes et signifiées sontdonnées, et que c’est en les associant que l’on fabrique l’entitélinguistique. II dit même exactement le contraire :

« 1° La figure vocale en elle-même ne signifie rien.2° La.différence ou l’identité dela figuie vocale en elle-

même ne signifie RIEN.3° L’idéeen elle-même ne signifie rien.

4° La différenceou l’identité de l’idée en elle-même nesignifie RIEN.5° L’union de ce qui a une signification pour la langue

c’estla différence ou l’identité de l’idée SELON LES SIGNES la

différence ou l’identité des signes d’après l’idée ; et les deiuchoses étant de plus indissolublement unies. »(ELG.72).

Les différences ne sont donc pas données : seules lesont lesvariations qualitatives, sans direction ni fin, trans!

formations en nature de l’expérience subjective. L’expériencen’est pas d’emblée quantifiée. Mais unevariation qualitative

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devient unediff érence in tensive dans la mesure où elle est

systématiquement corrélée avec une autre variation quali!tative qui se trouve sur un autre plan qualitatif. Si nousréservons le terme d'hétérogène pour désigner la différenceentre les plans qualitatifs, nous pouvons dire : il n’y a dedifférence qualitative sur un plan que par ce qu’il y a uneautre différence sur un plan hétérogène. Pour avoir une

différence, il en faut toujours deux : il n y a de trait dis!

tinctif quedouble.« La langueconsiste donc en la corrélation de deux séries

de faits1° ne consistant chacun que dans des oppositions néga!

tives ou dans desdifférences, et non en des termes offrant unenégativité en eux-mêmes

2° n’existant chacun dans leur négativité même, qu’autantqu’à chaque instant une DIFFÉRENCE du premier ordre vients’incorporer dans une différence du second et réciproque!

ment. » (ELG.73).

« Principe fondamental de la sém iologie, ou de la“ langue ” envisagée régulièrement comme langue et non pas

comme résultat d’états précédents.II n’y a dans la langue nisignes, ni significations, mais des

DIFFÉRENCESdes signes et desDIFFÉRENCESde signification ;lesquelles 1° n’existent les unes absolument que par les autres(dans les deux sens) et sont don c inséparables et solidaires ; mais2 ° n’arrivenr jam ais àse correspondre directement.» (ELG.70).

« Il n’y a pasla forme et une idée correspondante ; il n’y apas davantagela signification et un signe correspondant . Il y ades formes et des significations possibles (nullement correspon!

dantes).; ü y a même seulement en réalité desdifférences de

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formes et desdifference s de significations ; d’autre part chacun

de ces ordres de différences (par conséquence de choses déjànégatives en elles-mêmes) n’existe com me différences que grâceà l’union avec l’autre. » (ELG.42-43).

« Mais ce système consiste en un edifférence confuse d’idéescouran t sur la surface d’une différence de formes, sans que jamaispeut-être une différence du premier ordre corresponde exacte!

ment à une différence du second, ni quun e différence du secondcorresponde à une Q. » (ELG.82).Ainsi la constitution d’un plan sémiologique suppose

un travail de sélection des variations substantielles par leurcorrélation avec des variations hétérogènes, et cette sélectionles constitue, en les isolant, en traits différentiels sur leur

propre plan qualitatif. On ne sentira plus dès lors que lesvariations qui constituent de tels traits distinctifs.La nodon esthétique de valeur prend un sens nouveau

dans le domaine sémiologique : comme si une qualité (parexemple une couleur) ne pouvait être altérée par les qualitésenvironnantes (les autres couleurs)que dans la mesure où une altération qualitative hétérogène était associée (par exempleune variation tactile...). Un « son de la langue » nest pasdéterminé uniquement par les sons qui l’entourent : seulssont retenus les contrastes sonores qui sont associés à descontrastes « conceptuels ». Ou plus exactement, seules cer!

taines variations sont retenues, et celles qui sont retenuesfonctionnent alors commecontrastes. Comme si, par exemple,l’on ne pouvait sentir l’éclaircissement d’une couleur (ainsi latendance d’un rouge à « tirer vers » l’orange) qu’à la condi!

tion que l’on entende aussi en même temps l’atténuationd’un bruit (le passage d’un son haut à un son plus bas), le

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second venant marquer le premier. Mais ce ne son t plus dèslors les qualités positives qui permettent de faire la diffé!

rence entre un son plus mat ou plus strident ; c’est le sonactuel qui sera lui-même qualitativement déterminé par lefait qu’il est « mat+ » ou « strident+ ». Ce qui importe dansla qualité, c’est la tendance quelle réalise et seulement elle.Les qualités elles-mêmes ne deviennent rien d’autre que

des actualisations de certains contrastes. Les contrastessémiologiques se délivrent pour ainsi dire de toute substancedans la mesure même où elles sont des valeurs toujoursdoublement déterminées. Une nuance acoustique n’est sentieque dans la mesure où elle correspond, par exemple, à unetendance à lalabialisation, qui implique un ensemble de

variations qualitatives d’un autre ordre : la variation acous!

tique qui caractérise toujours la différence entre /sommeil/ et/soleil/ s’entend dans la mesure où elle est systématiquementcorrélée à la différence entre “ ombre ” et “ lumière ” 7Squielle-même est extraite comme différence de la corrélationrégulière entre les variations qualitatives visuelles avec lesvariations du premier ordre. On comprend donc que ce soitdans le même mouvement théorique qu’une variationdevient non pas une variation actuelle mais l’actualisationd’une tendance à une variation dans un sens déterminé, etquelle se rapporte nécessairement à une tendance hétérogène.Telle serait donc la genèse conceptuelle du concept detrait distinctif.

Cependant, on n’a pas par là expliqué commentémerge une positivité de l’ensemble de ces traits distinctifs.C’est pourtant du même mouvement que naissent à la foisdes traits distinctifs et des « singularités » qualitatives. La

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corrélation entre les variations instaure desseuils au sein del'expérience, qui font basculer d’un plan qualitatif à l’autre.Ces seuils ne correspondent pas à des frontières« naturelles » entre des qualités données sur chaque planqualitatif, mais bien plutôt à des points de basculement surun autre plan, arbitrairement déterminés par leur associationou leur corrélation à des variations hétérogènes, où le jeu de

la différenciation, si l’on peut dire, recommence, avec toutun autre ensemble de seuils. Ce son t ces fractures qui intro!

duisent de la discontinuité dans la continuité : dans lechamp continu de l’expérience hétérogène, se produisentsans cesse dessauts d’un plan qualitatif à un autre, quiscandent ou rythment l’expérience, qui la segmentent et la

séquencent. Ce sont les variations sur l’autre plan qualitatifqui déterminent lessingularités du premier. Ainsi, s’il fallaitfaire une comparaison mathématique, on devrait dire que lalangue est un ensemble de singularités extraites de la relationentre deux fonctions dont l’une est la dérivée de l’autre,et réciproquement. D ’ailleurs, Saussure utilise l’expression« partir par la tangente » pour désigner la ten tation de pren!

dre l’une quelconque des deux moitiés du signe indépen!

damment de l’autre, et ajoute : « (...) qu’on ne permetteune expression vraimen t trop juste ici » (ELG.18). Commesi donc 1’« idée » était la tangente de la « forme », et la« forme » la tangente de 1’« idée »... Ce serait par une sortede réciprocation de la dérivation que se construiraient,morceau par morceau, de manière dynamique, les deuxcourbes, qui ne cesseraient de se retraverser l’une l’autre, unpeu à la manière d’un point de couture, pour reprendre lamétaphore lacanienne du « poin t de capiton » (Lacan.

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« traits distinctifs » sélectionnés3aux « unités distinctives »qui sont des nœuds de traits distinctifs hétérogènes. C’estparce que le basculement d’une substance sur l’autre estconditionné par l’actualisation de p lusieurs traits distinctifsque les unités de la prem ière articulation sont des formesglobales, des « signes », qui impliquent ce basculement engroupe et ne son t pascomposés par des sous-unités. Ce sontces nœuds qui s’impriment dans la mémoire et constituentce que Saussure appelle les « formes » ou les « termes » :

« FORME= Non pas une certaine entité positive dans unordre quelcon que, e t d’un ordre simple -, mais l’entité à la foisnégative et complexe: résultant (sans aucune espèce de basematérielle) de ladifférence avec d ’autres formesCOMBINÉEavec

la différence de signification d ’autres formes. » (ELG.36).La positivité sémiologique n’est donc pas l’association

entre des différences déjà données, mais plutôt la singularitéqui résulte du conditionnement réciproque des traits dis!

tinctifs acoustiques et des traits distinctifs sémantiques. Cetensemble de singularités n’appartient à aucun des deux

plans. On comprend donc que Saussure puisse dire que laphrase « il n y a que des différences dans la langue » ne soitvraie que du signifiant et du signifiéséparément. Si Tonpeut dire du « signifiant » d’un terme quil est constituéuniquement de traits distinctifs acoustiques, et du signifiéqu’il esc constitué uniquement de traits distinctifssémiquesj c’est précisément parce que ces deux ensemblesde traits distinctifs sont bien des critères permettant d’iden!

tifier une chose quant à elle « parfaitement positive » dansson ordre, qui est le point de passage d’un pian qualitatif àl’autre. Elles permettent dequalifier ce saut.

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C ’est seulement une fois que f on a montré que despositivités émergeaient nécessairement de la double déter!

mination des différences qualitatives, que l’on peut revenirà la formulation paradoxale de Saussure : « Un signe n’estrien en soi, il n’est que tout ce que les autres ne sont pas. »En effet, il devrait être évident que le fait qu’un termepuisse être déterminé par opposition à des termes environ!

nants suppose logiquement que ces termes environnantssoient quant à euxdonnés, c’est-à-dire préexistants, ils nesauraient être donnés par le terme environnant qu’eux-mêmes déterminent. Pour sortir des faux paradoxes de l’idéed’entité « oppositive », il faut que le jeu de l’opposition sefasse entre termes déjà donnés : il ne sauraitconstituer les

signes, mais il peut, en revanche, lesredéterminer. C’estbien ainsi que Saussure l’entendait :« Le phénomène d'intégration ou de postméditation-

réflexîon est le phénomène double qui résume toute la vie activedu langage et par lequel

1° les signes existant évoquent MÉCANIQUEMENT par lesimple fait de leur présen ce* et de l’état toujours accidente! deleurs Différences à chaque moment de la langue un nombre égalnon pas de concepts mais de valeurs opposées pour notre esprit(tant généralesque particulières, les unes appelées par exemplecatégories grammaticales, les autres taxées de fait de synony!

mies, etc.) ; cetteopposition de valeurs qui est un faitPUREMENT

NÉGATIF se transforme en fait positif, parce que chaque signe enévoquantune antithèse avec l’ensemble des autres signes com!

parables à une époque quelconque, en commençant par les caté!

gories générales et en finissant par les particulières, se trouvedéterminémalgré nous, d ans sa valeur propre. (...)

Dans chaque signeexistant* vient doncS’INTÉGRER,se

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postélaborer une valeur déterminée Q, qui n’est jamais déter!

minée que par l’ensemble des signes présents ou absent aumême moment. » (ELG.87-88).Ces termes de « réflexion », « méditation », etc.,

furent aussi utilisés pour désigner l’activité de classemengrâce à laquelle la parole et la grammaire étaient possiblesC’est qu il s’agit bien là du même phénomène. On se souvien

que la théorie du « classement » était avant tout unethéorie de l’analyse, c’est-à-dire du fait qu’une unité soinécessairement composée de sous-unités. On voit main!

tenant que l’opposition redétermine les unités données enles analysant. On peut donc dire que la thèse saussuriennede la double détermination de la valeur correspond à ce qu

Martinet (1968.1-35) a appelé lad ouble articulation, et quela différence entre la différence et l’opposition est la dif !

férence entre la première et la deuxième articulation . Il faudeux articulations pour constituer une entité linguistiqueune première qui donne l’unité sémiologique globale, et unedeuxième qui redétermine les unités les unes par rapporaux autres comme des valeurs et les analyse subsidiairemenen sous-unités. Mais la double articulation saussurienne nese confond pas avec celle de la tradition phonologiqueD ’abord, elle ne tient pas à des raisons d’économie ou derendement sémantique, mais au mode de détermination dusigne. Ensuite, pour ajouter un paradoxe aux nombreuxparadoxes de Saussure, on peut remarquer que c’est leniveau « molaire » (unités) qui suppose un processus« moléculaire » (corrélation entre plusieurs séries de dif !

férences), alors que le résultat « moléculaire » (sous-unités)suppose un processus « molaire » (classement des unités

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linguistiques). Un phonème pour Saussure n’est pas vérita!

blement un ensemble de traits distinctifs acoustiques : c’estune sous-unité distinctive. Un terme n’est pas primordiale-ment composé de phonèmes ou de sous-unités distinctives,mais il se décompose spontanément du fait de la proximitédes autres termes. C’est en somme pour n’avoir pas vu cela,que Jakobson a cru pouvoir faire cette chimère que serait

un signifiant sans signifié.Cette distinction conceptuelle entre la différence et

l’opposition est bien marquée par Saussure. Ainsi dans ledeuxième cours, il compare la langue et l’écriture pourdégager quatre traits principaux de toute valeur : le premierest l’arbitraire, le deuxième est la différence.

« Valeur purement négative ou différen tielle du signe : iln’emprun te sa valeur qu’aux différen ces.» (E. 1.269.1932.2R.13 ; G .16 ; CLG.165).et le troisième l’opposition :

« Les valeurs de l’écriture n’agissent que com me grandeursopposées dans un système défini ; elles son t oppositives, ne sontdes valeurs que par opposition. Il y a une limite dans le nom bre

des valeurs. (N ’est pas tou t à fait la même chose que 2), mais serésout finalemen t en la valeur négative.) » (E. 1.269.1933.2 R ,13 ;G .16 ; CLG.165).Ce qu’il reprend immédiatementà propos du langage :

« 2) La valeur négative du m ot est évidente. Tout consisteen différences.

3) La valeur devient positive grâce à l'opposition, par le

voisinage, par le contraste 8.Exemple (aussi bien pou r 2) et 3) bien que proprement il

se rapporte à 3)) :8i|)T|V est imparfait,EOTTjVest aoriste, parceque (|)V|| xl est dans le voisinage de E<|)r)v, et parce que, dans le

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voisinage de eor r jv, il n’y a pas *crcr|(.iL. Ces signes agissent donc,non par leur valeur in trinsèque, m ais par leur position relative,comme dans un jeu d’échecs. » (E.1.270.1936.2R,l4 ; G.17;CLG.165).Ainsi, non seuiemenü Saussure distingue les deux

concepts de différence et d’opposition, mais il marque bienque l’exemple choisi, comme d’ailleurs la plupart de ceuxqu’il utilise pour montrer le caractère « négatif» du signe,porte plutôt sur son caractère oppositif que sur son caractère« différentiel ».

Il distingue aussi conceptuellement l’entité déterminéepar la combinaison de plusieurs traits différentiels qu’ilappelle terme, de ce qui constitue plus rigoureusement lavaleur, qui nest autre qu’un terme redéterminé par des termesenvironnants, c’est-à-dire par les oppositions entre lui et lesautres termes donnés (sur la base de leurs différences).

« La valeur d’un mot ne résultera que de lacoexistence '* des différentster mes *. La valeur est la contr epartie dester mes coexistants *. » (E.1.259 .1864 .3Q 392 ; IC359).

« La valeur d ’un m ot ne sera jamais déterminée que par leconcours deste rmes coexistants * qui le limite ; ou pour mieuxappuyer sur le paradoxe relevé : ce qui est dans le m ot n'est

jam ais déterminé que par le concours de ce qui est autour de lui(ce qui est dan s le mot c’est la valeur) —autour de lui syntagma-tiquement ou autour de lui associativement. Il faut aborder lemot du dehors en partant du système destermes coexistants *. »(E. 1.260.1975.3C.394 ; IC260).

« Cette valeur résultera de l’opposition desternies* dansla langue. » {E.1.263.1894.3C,401 ; IC366).

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On sait que cette comparaison entre les « formes toutfaites » se fait elle-même sur deux axes, Taxe associatif, etTaxe syntagmatique :

« Il n’y a dans la langue que des différences et pas de quan!

tité positive. Mais ces différences peuvent s’exercer sur deuxaxes : ligne parlée, et comparaisons internes, mentales, de formeà forme. » (E.1.304.2132.2R.108 ; G.94).

Cette distinction permet de comprendre ia languecomme forme. On peut faire abstraction de ce que lessignes émergent forcément de la relation entre plusieurssubstances, et de ce que leurs distinctions reposent sur les cor!

rélations entre des différences substantielles. On peut étudierla langue jusquà un certain point en faisant totalement

abstraction de lanature de ces termes, pour se concentrer ceque Saussure appelle leurnombre :« Une saine appréciation du mécanisme d’une langue

montre qu ’il n’y a qu ’une importan ce très limitée à conn aître lesvaleurs absolues qu i s’y trouvent, pourvu que leur opposition -ce qui ne signifie ici pas même leur différence, mais seulementleur identité ou non-identité, donc en définitive leur nombre —se trouvent observées rigoureusement. » (ELG.245-246).Il n’est pas nécessaire de savoir quelles différences

précises un signe conjugue, mais seulement ce qu’il aautour de lui, ce à quoi il estsubstituable. On arrive à un sys!

tème purement fonnel, où ce qui compte est uniquement la position des termes les uns relativement aux autres. Pour

savoir ce qu’est un signe, il n’est pas nécessaire de connaîtrel’ensemble des traits qui le constituent, mais seulement lestermes avec lesquels on pourrait le confondre et aveclesquels il ne fau t pas le confondre. On peut considérer enpartie l’intériorité d’une valeur comme une boîte noire (ce

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que Ton peut appeler, en parodiant Quine, le principe del’inscrutabilité relative des valeurs), et reconstruire le sys!

tème « en partant des termes », en faisant comme si chacunétait donné en soi, comme le fait Saussure par exemple danle chapitre sur le « mécanisme de la langue », à propos duterme « enseignement ». Les oppositions syntagmatiquerelèvent du même principe :

« On ne peut pas même déterminer en soi la valeur dumot soleil, à moins de considérer tous les mots voisins qui enlimiteron t le sens. Ily a des langues où je pu is dire :mettez-vous au so leil ! Dan s d’autres, pas la même sign ification au m otsoleil Castre). » (El.2 6 2.1 88 4.3 G 39 ; K.262).Ce quest soleil est déterminé par le fait d ’être opposable

c’est-à-dire substituable à « lumière » : dire « soleil de mavie », ce n’est pas la même chose que de dire « lumière dema vie », et ce n’est pas non plus la même chose que de dir« commencement de ma vie ». L’opposition avec cettedernière expression paraît plus lointaine, mais d’aprèsSaussure c’est bien la totalité des termes présents qui son

mis à contribution dans la détermination de chaque terme« en commençant par les catégories les plus générales et enfinissant par les plus particulières » (ELG.87). Par « plusgénérales », Saussure précise lui-même quil entend « parexemple les catégories grammaticales », et par « plus par!

ticulières », les cas de « synonymie ». Par exemple, « esprit»

s’oppose d’un coup à tous les autres morphèmes correspon!dant à d’autres parties du discours que celle du nom, maisil s’oppose plus particulièrement à certains noms tels que«âm e », «pen sée», etc. (ELG.77). Les catégories gram!

maticales apparaissent de ce point de vue comme un

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différentiels. Un hispanophone aura du mal à distingueentre leven t et le banc. On sait bien que la langue japonaisene fait pas de différence entre le « r » et le « 1» ; S. Pinkel’illustre par une plaisanterie d’un goût douteux du linguistMasaaki Yamanashi qui l’accueillit un jour en lui disant « Au Japon, nous avons pris beaucoup d’intérêt à l’électiode Clinton » (Pinker. 1994.170)... Ce recouvrement de l’op!

position et de la différence donne tout son sens au concepde trait distinctif. Il explique aussi le phénomène de la« fluctuation » sur lequel Saussure attirait l’attention : laréalisation d’une valeur peut être altérée dans des propor!

tions très substantielles, tant quelle ne recouvre pas unevaleurexistante. Ainsi le « r » peut être roulé en français sansconséquence pour la valeur, contrairement à l’allemand, l« 1 » mouillé contrairement au russe, etc. (CLG.165). Si unmot disparaît dans une langue, son domaine de réalisation(phonique et sémantique) devient libre pour les termesenvironnants qui ainsichangent de valeur, bien quils n aientpas changé pas de nature. Ainsi [éducation] reste [éduca!

tion] (du point de vue de ses traits différentiels), même s[instruction] disparaît, mais sa valeur change, ce qui peuamener à court ou long terme à ce que les traits différentielinutiles se transforment. Nous verrons que cela peut avoides conséquences en retour sur le système lui-même : ladouble articulation nous permettra alors de penser le

changement linguistique, qui autrement serait incom!

préhensible dans un cadre saussurien. Si le domaine del’oppositivité définit le domaine de la linguistique « pure »de la langue « en elle-même et pour elle-même », dont lestermes peuvent être considérés comme des valeurs

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algébriques, définis uniquement les unes par rapport auxautres, si l’opposition est le fondement de la linguistiquesynchronique, on voit que cette autonomie de la langue estseconde et précaire. Il peut devenir nécessaire de connaîtreles « valeurs absolues », lorsqu’un phonème s’altère pour desraisons matérielles ou substantielles et non pas formelles,ainsi que la nature exacte destraits différentiels qui serventà marquer lesoppositions, dans la mesure où cela est sus!

ceptible d’en transformer le système. Nous y reviendrons. Ce qui importe pour l’instant, c’est que le rapport de ladifférence à l'opposition permet de comprendre la dualitédu signifiant et du signifié.

La valeur est en effet définie par un paradoxe, para!

doxe ultime de la constitution du signe.« Là éclate différence entre vue du linguiste ec vue bornéeconsidérant la langue comme une nomenclature.

Prenons d’abord la signification comm e n ous la représen!

tons <et l’avons nous-même marquée:».

/ " a ) -k Con cept N,

\ b) Image auditive y

Dans cette vue, Ja significación esc la conceparcie de l’imageauditive et rien d’autre. <La flèche marque signification comme

contrepartie de l’image aùditive.> Le mot apparaît ou esc priscomme un ensemble isolé ec absolu -, Intérieurement il contientl’image auditive ayant pour contrepartie un concept. Voicile paradoxe, en langage baconien “ la caverne ” contenant un

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piège : c’est que la signification qui nous apparaît comme lacontrepartie de l’image auditive est tout autant la contrepartiedes termes coexistants dan s la langue. » (E.1.258.1857»3C,392 IC368).

« Nous venons de voir que la langue représente un systèmeoù. tous les termes apparaissent comme liés par des rapports.

a) a) a)

Au premier abord, pas de rapports entre flèches a) et flèchesb). La valeur d’un mot ne résultera que de la coexistence des dif !

férents termes. La valeur est la contrepartie des termes coexistants

Com men t cela se confond avec ce qui est contrepartie de l’imageauditive ? » (E.l .259.1864.3C,292-293 ; K.359 ; CLG.159).

« Ce qui est inséparable detoute valeur, ou ce qui fait lavaleur (...). Prenant la chose échangeable d’une part, de l’autreles termes co-systém atiques, cela n’offre aucune paren té. C ’est lepropre de la valeur de mettre en rappor t ces deux choses. Elle lemet en rapport d’une manière qui va jusqu’à désespérer l’espritpar l’impossibilité de scruter si ces deux faces de la valeur dif !

fèrent <pour elle> ou <en qu oi>. La seule chose indiscutable estque la valeur va dan s ces deux axes, est déterminée sous ces deuxaxes concurremment. » (E.1.259.1864.N23.6,11 ; IC361).

« La valeur en la prenant du dehors de la linguistiqueparaît comporter partout la même vérité paradoxale. Terraindélicat. Il y a deux éléments form ant la valeur. <Très difficile dansn’impor te quel ordre de dire ce qu’est la valeur. Aussi prendrons-nous beaucoup de précautions.>

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papier. La valeur monétaire est toujours au croisemen t d’undouble processus de détermination : par la substitutionavec des termes non monétaires et par la substitution avecdes termes monétaires. C’est dans cette mesure, et danscette mesure uniquement, qu’une monnaie peut être diteavoir de la valeur. Le jour où l’on n’aura plus qu’une seulemonnaie, où la monnaie ne pourra plus être échangée pourd’autres termes monétaires (si cela est jamais possible : caril est sans doute vrai quune monnaie n’a jamais été seule,que des coquillages ne pouvaient valoir comme objets decirculation que parce que des bijoux ou autres « trésors»valaient comme équivalents concurrents), il ne s’agira plusd’un systèmed év aluation, mais uniquement d’un calcul.

La variation des prix sera déterminée uniquement par lavariation des valeurs d’usage. Autant dire qu’il n’y aura pluaucun « arbitraire » dans la valeur économique. Ce serait, àla vérité, la fin de l’économie tout simplement. Il n’est pasd’utopie plus radicale, et c’est bien celle du communisme.

Ce paradoxe d'une double détermination (détermina!

tion réciproque d’une moitié du signe par l’autre, détermi!

nation latérale de signes déjà constitués les uns par lesautres) constitue la notion même de valeur, c’est-à-diredéfinit pour Saussure le domaine d’objet des « sciences de lvaleur ». On vérifie donc à nouveau que c’est le régimeontologique spécial (c’est-à-dire le mode de détermination)qui détermine le champ « on tique » ou le domaine« régional » de la « sémiologie », qu’on peut tout aussi bienappeler T« axiologie ».

« Cest la même chose, placé dans une sphère systéma!

tique, de parler de réalité ou de valeur, mais aussi d’identité et

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de valeur et réciproquement. C’est là ce qui compose toute cette

sphère. H faut se garder de donner à ces entités une autre base ; nepas prendre les syllabescom m e des réalités (erreur fondamentalequand on croit saisir la base de la langue dans le phonisme d’unmot). C’est quelque chose déjà d’y ajouter la signification, conçuecomme inséparable, mais insuffisant:. La valeur, ce n’est pas lasignification. La valeur esc donnée par d’autres données ; elle escdonnée, en plus de la signification, par le rapport avec d’autres

idées, par la situation réciproque des pièces de la langue (idée x...)et ainsi de suite. C ’est la valeur elle-même qui fera la délimitation ;l’un ité n’est pas délimitée fondamentalem ent ; voilà ce qui estparticulier à la langue. » (E.1.249.1808.2R.51-52 ; G.49).La valeur est donc ce qui est forcément déterminée

par l’unité d’un double paradoxe : comme entité para!

doxalement double (associant intrinsèquement deux termes« équivalents » : la pensée quest “ soleil ” esc exactement lamême chose que l’impression acoustique /soleil/) et commeentité relative et là encore jusqu’au paradoxe (définissantune chose tout entière par ce quelle n’est pas9). On peut laconsidérer en elle-même, mais alors elle est double jusqu’àl’absurde ; on peut la considérer comme une seule et même

« réalité mentale », mais alors elle est forcément relative àtoutes les autres. On résoudra ces deux paradoxes en mêmetemps : en comprenant leuridentité.

En effet, c’est la redétermination des corrélations dif !

férentielles par opposition des unes avec les autres qui produit le signe comme « entité double », constituée d’un signifié etd’un signifiant :

« Si l’on revient maintenant à la figure qui représentait lesignifié en regard du signifiant :

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On voie quelle a sans doute sa raison d'être mais quellen’est qu’un p ro du it se co ndaire de la valeur. Le signifié seul n’estrien, il se confond avec une masse informe. De même pour lesignifiant.

Mais le signifiant et le signifié contracten t un lien en vertudes valeurs déterminées qui son t nées de la combinaison de tantet tant de signes acoustiques avec tan t et tanc de coupures faitesqu’on p eu t faire dans la masse. Que faudrait-il pou r que ce rap!

port en tre le signifiant et le signifié soiedonné en soi ? Il faudraitavant tout que l’idée soit déterm inée d ’avance et elle ne l’est pas.C’est pourquoi ce rapport n’est qu’uneexpression des valeurs prisa d am leur opposition dans le système . » (E. 1.255-256.1846.3C,399 ; K.364).Et Saussure concluait la leçon de cette manière :

« En résumé, le m ot n existe pas sans un signifié aussi bien

qu’un signifiant. Mais le signifié n’est que le résumé de la valeurlinguistique supposant le jeu des termes entre eux, dans chaquesystème de langue.» (E.1.263.1894.3C,401 ; IC366).D'une manière générale, Saussure affirme sans cesse que

« le schéma (-) n’est pas donc initial dans la langue. Lescontours de l’idéecherest déterminée des deux côtés. Les contoursde l’idée 10 <elle-même>, voilà ce que nous donne la distributiondes idées dans les mots d’une langue. <Une fois que nous avonsles contours, ce schéma (-) peu t entrer en jeu .> » (E. 1.264.1899.3C,4Q1 ; IC365).

« Le schéma qui va du signifié au signifiant n’est pas unschéma primitif. <La valeur ne peut pas être déterm inée plus par

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le linguiste que dans d’autres domaines. Nous la prenons aveccour ce qu’il a de clair et d’obscur.> » (E.1.263.1894.3C,401 ;IC.366).Dire que le terme double (signifiant/signifié) est un

produit de la valeur ne saurait vouloir dire que la corrélationentre les substances hétérogènes dépendrait de la relation quis’établit entre les termes homogènes sur chaque substance.

Nous avons vu que c’était nécessairement l’inverse : lasélection de traits substantiels différentiels résulte de lacoïncidence régulière entre des variations hétérogènes. Maiscela prouve seulement que les termes de « signifiant » et de« signifié », loin d’être des conditions préalables du signe,sont plutôt des résultats de la détermination de la valeur.

Le linguiste Sémir Badir suggère que le signe pourSaussure n’est pas une entité concrète, mais uniquementune repr é sentation : seuls le signifiant et le signifié seraient desentités réelles, mais parce quelles sont purement distinctives.Au contraire, le signe est positif mais métalinguistique(Badir.2001.114-115). Il faut inverser ces formules : ce quiest une représentation, ce n’est pas la valeur comme telle,

mais bien la représentation de la valeur comme associationde deux termes, autrement dit comme signifiant et signifié.Saussure le disait ainsi :

« Don c, nou s voyons que Ja représentat ion :

/ Idée :cher

\ l m a g e audit ive : cher J

n’était qu’une façon d'exprim er* qu’i/j 'a en français unecertaine valeur cher <circonscrire dans système français> par oppo-

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sinon à d’autres termes. » (E.1.263.1898.3C.401 ; IC364-365).Ec il ajoute :

« Ce sera une certaine combinaison d’une certaine quantitéde concepts avec une certaine quantité de sons. » (E. 1.264.1900.3C.401 ; K.365).Ainsi, la représentation de la valeur comme associa!

tion de deux termes, de deux « quantités » (qui ne sontdonc plus de simples ensembles de traits distinctifs) estune de scription possible de la valeur [cher], du «signetotal », tel qu’il estdonné dans l’esprit. Le fait de lavaleur, c’estq \ ii l y a dans la langue une forme [cher],autrement dit une positivité spirituelle circulant dans lamasse sociale et s’inscrivant dans le cerveau des individus.

Mais le mode même d’engendrement de cette positivitéest tel qu’elle se fait nécessairementreprésenter par unesort e d ’équation que l’on pou rrait écrire ainsi •.{Signifiant Ix l = signifié “x”}.

Le signifiant est unereprésentation de la valeur dupoint de vue de la substance d’expression, c’est-à-dire

comme un ensemble de traits acoustiques distinctifs (on peuiappeler cela si l’on veut, avec Hjelmslev, « forme d’expres!

sion », en comprenant bien que ce n’est pas la langue qui esil’union de la forme de contenu et de la forme d’expression,mais la forme d’expression et la forme de contenu qui somles représentations, dans les termes de chaque substance, dela valeur). Cette représentation est exactement celle quel’on peut obtenir au moyen de la phonologie : c’est unereprésentation phonologique. Elle n’est pas la valeur, mais unereprésentadon de la valeur, intermédiaire entre la virtualitépure de la valeur et ses différentes actualisations. De même

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pour le signifié : le signifié serait la représentation de lavaleur du point de vue de l’ensemble des traits sémiquesdistinctifs. On devrait pouvoir représenter le signifié pardes symboles de même que l’on représente le signifiant parune formule phonologique. De telles représentations sonten effet « métalinguistiques », à la fois au sens où elles cor!

respondent précisémen t aux entités qu’un théoricien de lalangue sera forcé de construire pour comprendre lemécanisme du langage (puisque celui-ci exige des actualisa!

tions dans des substances différentes), mais aussi au sens oùnous avo7îs b e s o i d ’une représentation lyïêtalmguistique de noire propre langue pour parler. Certains fragments deSaussure vont très clairement dans ce sens, et donnent donc

raison à Badir, à condition que l’on comprenne que ce sontles moitiés du signe qui sont métalinguistiques, et surtoutque l’opération métalinguistique consiste à traiter cesmoitiés isolément comme si elles pouvaient être en elles-mêmes (et non pas comme une seule et même chose) destermes positifs :

« On ne se pénétrera jamais assez de l’essence purementnégative, purementdifférentielle, de chacun des éléments dulangage auxquels nous accordons précipitamment une exis!

tence : Ü n’y en a aucun, dans aucun ordre, qui possède cetteexistence supposée - quoique peut-être, je l’admets, noussoyons appelés à reconnaître que, sans cette fiction, l’esprit setrouverait littéralement incapable de maîtriser une pareillesomm e de différences, où il n’y a nulle part à aucun momen t unpoin t de repère posit if et ferme. » (ELG.65).

« Comme il n’y a aucuneunité (de quelque ordre et dequelque n ature qu’on l’imagine) qui repose sur autre chose que

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lesquelles 1° n existent Jes unes absolument que par les autres(dans les deux sens) ee son t don c inséparables et solidaires ; mais2° n 'arrivent jam ais à se correspondre directement *. » (ELG.70).

« Mais cesystèm e consiste en une différence confuse d'idéescourant sur la surface d’un e différence de formes, sans que jamaispeut-être une différence du premier ordre corresponde exacte!

ment à un e différence du second, ni qu’une différence du secondcorresponde à une []. » (ELG.82).Qu5est-ce à dire ? Une variation acoustique ne cor-

respond-elie pas forcément à une variation sémantique ?Sans doute, mais un paquet de traits distinctifsacoustiques distingueront une valeur d’un ensemble d’autres valeurs,alors que le paquet de traits distinctifssémantiques opposeront cette même valeur à unaune ensemble d’autresvaleurs, qui ne recouvre pas le premier. Si Ton appelle« signifiant » la premièreoccurrence de la valeur et « signifié »la deuxième, on dira quece nest pas pour la même raison que le signifiant est le signifiant de ce signifié, et que ce signifié est le signifié de ce signifiant : /sommeil/ est substituable à

son signifié parce, qu’il s’oppose à /soleil/ ; mais “ soleil ”est substituable à son signifiant parce qu’il s’oppose à“ lumière D ’un côté la valeur [sommeil] se rapproche etse distingue de la valeur [soleil], mais d’un autre côté,[soleil] se rapproche et se distingue de [lumière]. Les entités« formelles », puremen t « oppositives », appart iennentdonc tou jours à deux systèmes d’oppositions ; ils se rappor!

tent auxmêmes termes homogènes de deux manières dif !

férentes, comme si la forme se dédoublait. Le jeu de lavaleur lui-même crée donc deux systèmes de valeurs concur!

rents sur le même plan, celui de la forme. Un système de

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valeurs est un système qui ne saurait obéir à une seulelogique. Et cest bien le génie de Hjelmslev que d’avoir faitde cette double détermination de la f or m e elle-même lapropriété caractéristique de toutelangue naturelle, ce qui larend irréductible à tout système formel au sens logique oumathématique. On doit parler de form e de contenu et de

form e d ’expression^ puisqu’il s’agit bien là en effet des valeurselles-mêmes, qui sont déterminées deux fois. Dans un texteadmirable, Hjelmslev (1943.139-143) a exprimé rigoureuse!

ment la différence entre le form alism e et le structuralisme :alors que le premier identifie les langues naturelles à dessystèmes formels, le second montre leur irréductibilité :« Pour décider si les jeux ou d’autres systèmes de quasi-signes tels que l'algèbre pure, sont ou non des sémiotiques,il faut voir si leur description exhaustive exige que l’onopère en reconnaissant deux plans, ou si le principe de sim!

plicité peut être appliqué de telle sorte qu un seul plan soitsuffisant. La condition qui exige que l’on opère en reconnais!

sant deux plans doit être que, lorsqu’on tente de les poser

on ne puisse pas démontrer que les deux plans ont tout àfait la même structure avec une relation univoque entre lesfonctions d’un plan et ceux de l’autre. » (Id.l4l). Dans leslangages formels, qu i ne sont pas des sémiologies, « lesréseaux fonctionnels des deux plans que l’on tenterad’établir seront iden tiques» (id. 142) : le propre d’une

langue qui contient sa propre interprétation, c’est d’êtretraversée par des formes non superposables. La représenta!

tion du système de la langue n’est donc pas si simple quelleen avait l’air lorsque nous disions qu’il suffisait de définirun terme par sa position dans un système de pures distinc-

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tions. Il y a ce que l’on peut appeler unesurdétermination

des valeurs au sens d’Alchusser. On se souvient que, pour cedernier, la reprise à Freud du concept de surdéterminationavait précisément pour ambition de montrer qu’un mêmeévénement appartenait à des systèmes différents de contra!

diction, et qu’il y avait non pas harmonie entre ces sys!

tèmes, mais accumulation des contradictions sur un mêmepoint, ce qui introduisait une part fort importante de contin!

gence dans la détermination de l’événement.La distinction entre les deux formes ne peut être

qu artificielle.« C’est une opération scientifique qui distingue signe et

signification. » (E.1.254.1834.G,1.4a ; G.24}.

Dan s la réalité de l’expérience du sujet, il y a simple!ment double détermination des valeurs, dans une confusionrelative. C ’est bien la 77%ême valeur qui est déterminée deuxfois, autrement dit qui se produit comme double. Elle n’existepas deux fois : elle est doublement déterminée ; elle estdouble. En effet, « l’opposition des signes selon les signifi!

cations » ne recouvre pas « l’opposition des significationsselon les signes », mais l’une ne peut se faire sans l’autre.L’opposition entre [soleil] et [sommeil] est tout autant unedifférence signifiante qu’une différence signifiée.Cependant, si un seul trait distinctif signifiant sépare/soleil/ et /sommeil/, ce trait correspond non pas à un seultrait sémique, mais à unensemble àe traits sémiques (signifié).

Et réciproquement, un trait sémique sépare [lumière] de[soleil], mais ce trait est associé à unensemble de traitsacoustiques (signifiant). Ainsi, le fait que l’existence d’unedifférence sur un plan, implique l’existence d’une dif !

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férence sur l’autre plan, n implique pas à terme que leréseau ainsi construit soit homologue ou superposable.Chaque système d’opposition a sa propre logique, mêmes’ils sont intriqués l’un dans l’autre. Il y a und é calage essen!

tiel entre les deux séries signifiantes et signifiées, qui pour!

tan t doivent se construire en même temps (sur le modèle de

la double dérivation). Si l’on reprend le schéma de Saussure(ELG.335-336) :

Sim ilia Sim ilia (b) Sim ilia — sim ilia —»similia

Dissim ilia

on comprend pourquoi il n’a pas rempli la série inférieureen faisant correspondre à chaque « similia » un « dissimilia »qui serait échangeable avec lui : c’est que les oppositionsentre les similia seraient alors apparues comme superpo-sables aux différences entre les dissimilia. La représentationcorrecte serait en effet :

/Vieille /*- /VEILLE/*- / sommeil/ -»/soleil/____ -»/LUMIÈRE/

“VIEILLE”*- "veille”'*-'“sommeil” -»“SOLEIL” -»"lumière”

Mais pour construire une telle représentation, il fauten réalité sans cesse sauter d’une série à l’autre. On a mis enmajuscules les passages qui impliquent une rupture : si l’onpeut penser qu’il suffit d’une différence pour passer dusignifié “sommeil” au signifié ‘veille”, il est bien évidemmenque la comparaison du signifiant /sommeil/ et du signifiant/veille/ ria de sens que du point de vue du signifié. Mais ilen va de même en sens inverse au « coup » suivant : la dif-

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fétence entre une vieille et la veille est peut-être pertinencedans un poème surréaliste, mais on ne saurait penser que cesdeux valeurs soient « proches » du point de vue des « traitssémiques » quelles actualisent : elles le sont cependant dupoint de vue de leur forme d’expression. Il faut remarquerque ces associations ne nous gênen t finalemen t pas trop, et

que Ton comprend facilement les séries d’associarionspourtant hétérogènes telles que sommeil-veille-vieille. Maisc’est précisément parce que nous opérons avec des valeursdoubles, et non avec des signifiants ou des signifiés séparés,et que c’est uniquement une « opération scientifique» quifait que nous les séparons. C’est pour cela que nous pouvonscomprendreles poèmes surréalistes et les jeux de mots.C'est même peut-être la raison pour laquelle « l’inconscientest structuré comme un langage ». Ce mode de déterminadonde la valeur ressemble de fait à certains égards au type delogique que Freud, à peu près à la même époque, décou!

vrait à l’œuvre dans les rêves, les lapsus et les mots d’esprit.Que dit Freud en effet dans ses trois premiers livres ?

Qu’une même « pensée» esc déterminéesimultanément dans une pluralité de systèmes de détermination, quiexplique les communications apparemment aberrantes quel’on constate dans les rêves, mais aussi dans la vie quoti!

dienne. Si une phrase ou un geste disent toujours plus quece qu’onveut qu’ils disent, c’est d’abord parce que leur sensest de fait et involontairement déterminé par leur valeur,mais aussi parce que cette valeur elle-même est déter!

minée par ou dans plusieurs systèmes à la fois. Il y a, dans X Interprétation des rêves, un concept de lasurdétermination parfaitement efficace. On peut dire que le propre du

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domaine des phénomènes sémiologiques, loin d’être défipar le fait que nous voudrions attr ibuer à une chose donnune fonction bien connue, est précisément défini par le fque le « sens » échappe nécessairement au sujet, parce quce sens n est rien d’autre que la valeur du signe lui-même

On voit que l’esprit doit toujours faire appel à au

moins deux ordres d’opposition, du fait du caractère doubde la détermination de la différence elle-même. On obtiedonc d’étranges proposit ions: si [soleil] est distinct, d[sommeil], c’est parce que “soleil” est distinct de “lumièreAinsi une valeur, par exemple [sommeil], est toujours do!

blement déterminée : d’une part, comme signifiant, /som!

meil/ oppose la valeur [sommeil] à ses concurrents les plproches, tels [soleil] ; mais la valeur [soleil] est elle déte!

minée en ce cas comme signifié (“soleil”), et en tant que telle est définie par son opposition avec une autre valeur, pexemple [lumière] ; cette distinction même a pour critèrune différencesignifiante, etc. Le décalage entre les deuxplans d’opposition crée des séries hétérogènes qui poten!

tiellement peuvent parcourir toute la langue, comme cellque nous avons vues :sommeil-veille-vieille-.. ou sommeil- soleil-lumière, etc. Nous les disons hétérogènes parce que,comme nous l’avons vu, elles ne sauraient se justifier sur useul plan, mais font toujours intervenir les deux systèmeMieux, le système se construit au moyen de cesséries hétérogènes de termes dotibles qui ne cessent de basculer d’unordre de détermination dans l’autre. La constructionthéorique du système des oppositions entre les « signifiants(représentations des oppositions de valeur du point de vude leurs différences acoustiques) et du système des oppos

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dons enrre les « signifiés» (repr é sentations des oppositions de valeur du point de vue de leurs différences « conceptuelles »)consistera à ne se servir des oppositions sur l’autre plan quecomme critère pour marquer des oppositions sur un seulplan, puis à faire la même chose réciproquement.Autrement dit, il s’agira de construire des sérieshomogènes, comme Saussure l’a fait avec l’exemple qui estreproduit dans le CLG : « enseignement: —éducation —etc. ».Certe opération est, redisons-le,artificielle., dans la mesureoù une telle série fait nécessairement intervenir l’autre sys!

tème d’oppositions, dont on doit, si Ton peut dire, seretenir de prolonger les séries, mais don t nous avons besoinpour construire le système qui nous intéresse. C’est dansla mesure où le même signe peut appartenir à deux sys!

tèmes différents qu’on peut dire qu’il esc l’association d’un« signifian t » et d’un « signifié », qu i ne sont que deux« moitiés » de lui-même, c’est-à-dire deux représentationsde lamême valeur. On compren d en quel sens lesystème estnécessaire pour construire cette entité double, en quel sens

celle-ci est en quelque sorte le « résumé » complet de lavaleur. On peut la représenter comme association de deuxtermes, c’est-à-dire comme nouage de deux systèmes d’oppo!

sitions ; mais dans l'a réalité de l’expérience du sujet, ellenest rien d’autre quun terme doublement déterminé, etpar là sans cesse équivoque.

Ainsi se résout le mystère de la dualité du signe, demême que se dissipe le « paradoxe de la valeur ».

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QUATRIÈME PARTIE

LE PROJET SÉMIOLOGIQUE

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L’hypothèse de la langue signifie que, pour qu’un actede langage soit possible, il faut qu existe, dans l’esprit dusujet, un ensemble de termes spirituels mais réels sans cessereclassés par l’esprit. Cette réalité mentale est le résultatd’une faculté de traitement des données sensibles qui, àpartir de la corrélation entre des variations qualitatives surdes niveaux de l’expérience hétérogènes, extrait des unitésqui se redéfinissent les unes par rapport aux autres en s’op!

posant, induisant ainsi cette « pensée complexe », à deuxfaces, qu’est le signe. Telle est la faculté sémiologique, dontles langues ne sont qu’un produit parmi d’autres.

Une objection cependant devrait nous arrêter.L’ensemble du dispositif que nous avons décrit repose sur une

condition factuelle : que des corréladons entre des variationsqualitatives hétérogènes soient régulièrement observées dansl’expérience même. Or ilri y a pas de reladon de cause à effetentre elles, mais uniquement de coïncidence : c’est en ce

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sens que Saussure parle d5arbitraire du signe. Pour que nouspuissions nous faire une langue, Il faut donc que nous vividans un monde où d’autres la parlent déjà, et où, de ce fades corrélations substantielles son t effectivement réaliséesdehors du sujet. La description « psychologique » que noavons donnée jusqu’à présent n est donc pas suffisantLa langue n’est pas seulementce qui résulte de l’activité

sémiologique individuelle : elle est aussice qui est donné dans un monde social qui précède toujours les individuLes éditeurs l’ont compris qui, dans la suite du passage CLG ou il est question deh positivité du « signe en totalité »,on t écrit : « Le propre de l’institut ion linguistique est jus!

ment de maintenir le parallélisme entre ces deux ordres

différences. » (CLG.167). La langue comme institution ed’abord ce milieu sensible qui permet à la faculté sémiologiqd’extraire des résultats stables. Elle ne les produirait paselle rie les trouvait pas d’une manière ou d’une autre :

« Continuellement on considère le langage dans l’individhumain, point de vue faux. La nature nous donne l’hommorganisé pour le langage articulé, mais sans langage articulé. Llangue est un fait social. (...) Donc en ceci i’homme n’est com!

plet que par ce qu’il emprun te à son milieu. » (E.2.16.3292.N6

«Si on demande où est le siège le plus véritable, le pluessentiel de la langue, il faut faire la distinction entre : langa(langue considérée dans l’individu ; n’est qu’une puissanfaculté, l'organisation prête pour parler ; mais l’individu laià lui-même n’arrivera jamais à la langue) - et langue, qui une chose éminemment sociale.» (E.1.31.155.2R.5 ; G.9).Ainsi cettechose, don t on est obligé de faire l’hypothèse

pour expliquer la mise en œuvre de la faculté du langage,

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serait rien d’autre qu’uneinstitution sociale, et devrait êtrecomprise pour l’individu comme unmilieu, au sens d’ununivers d’expérience sensible, de. même que le labyrinthe estl’univers sensible du rat qui dispose d’un organe de traitementdes « informations » obtenues en butant contre les parois.Whitney lui-même, que Saussure crédite d’avoir« remis lalinguistique sur son axe » en affirmant que la langue est une

institution, définissait les insdturions culturelles comme desensembles d’expériences (c’est-à-dire de leçons tirées de l’his!

toire) cristallisés en « milieux3». La langue est comme telle un« monde », très exactement au même sens où l’écologie pariede « mondes animaux» (c£ Uexlciill.1956etLestel.2001)...

Cela modifie-t-il fondamentalement ce que nous avonsdit sur la langue ? Ne s agit-il là que d'une condition extrin!

sèque, qui permet à la fois que la faculté sémiologique puisseaboudr à quelque chose et que ce résultat soit à peu prèssemblable chez tous les individus, de sorte quon pourraitse contenter d’étudier ce produit individuel ? C’est ainsique semble l’entendre Saussure :

« C ’est la partie réceptive et coordinative (qui est sociale 2),

voilà qui forme un dépôt chez les différents individus, lequelarrive à être appréciablement conforme chez tous les indi!

vidus. » (E.1.40.229.R).Labov a appelé cet usage de l'argument « sociologique »

pour écarter précisément le travail sociologique, le « para!

doxe de Saussure» (Labov. 1972.260). La langue, parcequelle est sociale, peut être observée chez l’individu, alorsque la parole, parce quelle est individuelle, doit toujoursêtre prise dans les circonstances de l’échange, c’est-à-direentre des individus.

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Ce paradoxe, pourtant, n’est pas celui de Saussure(pour une fois), mais de la lecture erronée quon a faite de luiLes textes sont formels : la vie sociale n est pas seulement uncondition extrinsèque pour que la faculté sémiologique puissinduire des langues, mais aussi leur « lieu d’existence », là oùelle réside : « Langue : passive et résidant dans la collectivité.

(E. 1.41.245). Ce nest pas seulement le sujet qui est passif parapport à la langue, c’est la langue elle-même qui est passivedonnéed am la collectivité, et n’existant quen elle.

« Con trairem en t à l’apparence à aucun mom en t lephénomène sémiologique ne laisse hors de lui le fait de la col!

lectivité sociale. Cette nature sociale est un de ses élémentsinternes et non externes.

Nous ne reconnaissons donc comme sémiologique que lapartie des phénomèn es qui apparaît caractéristiquement commeun produit social, et nous nous refusons à considérer commesémiologique ce qui est individuel : quand nous l’aurons défini,ce produit social, nous aurons défini le produit sémiologique etpar celui-ci la langue elle-même. C ’est dire que la langue est unproduit sémiologique, ec que le produit sémiologique est unproduit social. » (E.l. 173,254-255.1287,1842.2R,24-25 ; G.26).La langue est un « produit social », n on parce quelle

est produite socialement, mais parce quelle est produitecomme réalité sociale, et pas seulement individuelle.

« Dans le langage, la langue a été dégagée de la parole ;elle réside [ ] dans l’âme d’une masse parlante, ce qui n’est pas

le cas pour la parole. (...)Quand on défalque du Langage tout ce qui n’est que

Parole, le reste peu t s’appeler proprement la Langue et se trouvene comprendre que des termes psychiques, le nœud psychiqueentre idée et signe, ce qu i ne serait pas vrai de la parole.

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Mais ce ne serait là la langue que prise hors de sa réalitésociale, irréelle, puisque, pour qu’il y ait langue, il faut uneniasse parlante se servant de la langue. La langue réside dansl’âme collective et ce second fait rentrera dans la définitionmême. » (ELG.333-334).Il y a donc quelque chose de plus que la valeur que

nous avons découverte dans la partie précédente, émanationnécessaire du jeu de corrélations entre des variations quali!

tatives hétérogènes : il y a la valeur telle quelle existe dansla vie sociale.

« Le signe n’aura de valeur en soi que par la consécrationde la collectivité. Il semble que dans le signe, il y ait deux,valeurs : valeur en soi et celle qui lui vien t de la collectivité -

mais au fond c'est la même ». (E.1.255.1842.2R,25 ; G.27).Cette nouvelle « dualité » —que Saussure formule

ainsi: «A. Vie par société. // B. Vie intérieure.»(ELG.202) —, cette double détermination qui fait quetoute entité de langue est ce quelle est par opposition à lafois aux autres termes présents dans l’esprit d’un individuet à ceux présents dans une collectivité, est caractéristiquede la valeur :

« Cette unité complexe doit trouver sa sphère au moinsdans deux individus ; donc troisième unité complexe { - X. Lepassage de la bouche de A à l’oreille de B, et réciproquement,sera toute la vie de la langue, ce qui implique chaque fois lepassage par l’esprit des sujets parlants. Pour se servir de la

double un ité complexe, il faut au moins deux individus. »(E.1.28.l42.2R,4 ; G.8).C’est même parce quelle oblige immédiatement à

sortir de l’individu que la notion de valeur a été choisiepour désigner la nature de ce produit quest la langue.

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« [2B,15] En. reconnaissant cetre complexité de Ja valeurnous sommes pourtant avec elle préservés de certaines erreurs.Nous voyons immédiatement beaucoup mieux qu’avant

que c’est uniquement le fait social qui créera ce qui existe dansun système sémiologique. Où existe-t-il, dans un ordre quel!

conque, un système de valeurs si ce n’est de par la collectivité ? (E.1.255.1S42.2R,26;G.27).

Le véritable niveau de détermination de la valeurriest don c pas dans l’esprit individuel, mais en dehors, danla « vie sociale »,en tre les esprits individuels ou du moins dans ce qui les réunit et ne saurait s’obtenir uniquement efaisant une moyenne, contrairement à ce que pouvait noulaisser penser la construction théorique de la langue du

troisième cours (sur lequel Bally et Séchehaye se sonfondés pour rédiger le CLG). La faculté de s’attacher à determes en soi nuls s’avère être une faculté de produire de« pensées » qui vont échapper nécessairement à tout sujepensant individuel, pour se trouver comme des fantômesillonnant les réseaux de la vie sociale, déterminant aupassage les pensées individuelles... Nous verrons que c’esparce qu’elles sont des pensées déterminées de telle sortqu elles varien t à mesure qu’elles se répètent, que les valeuron t cette propriété d ’échapper à tout sujet pensant, de don!

ner à penser delles-mêmes, au hasard d’une histoire qui escelle de leurs réinterprétations. Le projet sémiologique dSaussure apparaîtra dès lors pour ce qu’il fut : une tentativpour étendre la méthode comparatiste à l’ensemble dessciences de la culture en passant par la formulation d’unenouvelle philosophie de l’esprit.

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CHAPITRE IL’IN STIT U TIO N PURE

Saussure ne se contente pas d’affirmer que la langueest sociale ; il dit surtout que c’est précisément parce quelleest sociale que la langue estré elle. La socialité est plusqu’une propriété : c’est un ordre deréalité\ une région del’étant autonome etsui generis, s’imposant de ce fait auxsujets individuels. Tout dépend de la manière don t on com!

prend le conceptd'institution. L’expression de « conventionsociale » pourrait amener à penser que les collectivités sedonnent volontairement à elles-mêmes leurs propres

langues. Or, affirmant que la langue est en soi un fait social,Saussure veut précisément dire l’inverse : non pas seule!

ment que l’individu ne saurait être le créateur de sa proprelangue, mais qu’il n’y a pas d’instance,ni individuelle ni collective, capable d’être contemporaine de l’acte d’institution

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d’une langue, que « la masse elle-même ne peut faire actede souveraineté sur un seul mot ; elle est rivée à la ianguetelle quelle est. » (CLG.104). La langue échappe par nature àl’ordre de la volonté, du choix, du décidable, du contrôlable,du raisonnable. Au point que Saussure peut aller jusquàdire que la langue n’est pas un produitde l’homme :

« Le langage n’esr pas contenu dans une règle humaine,constamm en t corrigée au dirigée,cotrige able ou dirigeable par laraison humaine. » (ELG.214).Mieux, si la langue est « l’exemple principal d’un sys!

tème de signes », et qu’« on n’apprend la signification dusigne [il s’agit ici duconcep t de signe] que par un long usagede la langue et en voyant la vie des signes de la langue »(E.1.49.299.2G,1.3a), c’est parce que la langue est, de tousles systèmes de signes, celui qui échappe le plus absolumentà la volonté, c’est-à-dire à la « forme » de la volonté.

« Quan d on recon naît qu ’il faut considérer le signesocialement, on est tenté de ne prendre d’abord que ce quisemble dépendre le plus de nos volontés ; et on se borne à cet

aspect en croyant avoir pris l’essentie] : c’est ce qui fait qu’onparlera de la iangue comme d’un contrat, d’un accord. C’estnégliger le plus caractéristique. Le signe, dans son essence, nedépend pas de notre volonté. Sa puissance est là irréductible.Ce qui est le plus intéressant dans le signe à étudier, ce sont lescôtés par lesquels il échappe à notre volonté. Là est sa sphèrevéritable, puisque nous ne pouvons plus la réduire. On consi!

dère la langue comme une législation, à la manière desphilosophes duXVIIIesiècle ; or la langue, encore plus que lalégislation, doit être subie beaucoup plus qu on ne la fait. »Et Riedlinger ajoute, en se fondant sur les notes de

Bouchardy :

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« Meilleure rédaction : s’il esc un dom aine où la législationapparaît comme la loi que l’on subit et non que l’on fait, c’estquand ii s’agit de la langue.» (E.l.51.309ecE.l.159.1183).Ainsi, dire que la langue esc sociale signifie non pas

que la langue est l'instrument qu’une collectivité se donnevolontairement à elle-même dans l’intention de faciliter leséchanges (technique de communication), mais au contrairequelle échappe à toute forme de volonté, en induisant deschoses sociales. C’est à ce titre même quelle est sémiologique.Car le signe « est essentiel là où il échappe à notre volonté »(E.1.159.G), là où il n’est plus « réductible » (E.l.259.2R).Réductible à quoi ? À une opération ou à unacte d’unevolonté consciente. Ne pouvant être considéré comme

une expression ou une modification de l’esprit, il doit êtreconsidéré comme une chose valant par elle-même, ayantune consistance ontologique en elle-même.

Cette conception réaliste du social a un caractère net!

tement durkheimien qui n’a pas échappé aux éditeurs, quiont écrit : « La langue ne peut donc plus être assimilée àun contrat pur et simple; et c’est justement de ce côté que{e signe linguistique est particulièrement intéressant àétudier : car si l’on veut démontrer que la loi admise dansune collectivité est unechose que l’on subit, et non unerègle libj-ement consentie, c’est bien la langue qui en offre lapreuve la plus éclatante. » (CLG.104; E .l .159.1182). Lalangue est d’autant plus sociale quelle illustre une thèse

forte sur l’essence du social : que la contrainte qu’exercentles faits sociaux sur les individus tient à ce qu’ils sont des« choses », et qu’ils s’imposent comme la réalité extérieuresur les sens. Il faut réduire le problème sociologique le plus

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profond, celui de¥ obéissance, à un problème ontologique;comprenant que ce ri est pas à des règles ou à des normes qnous obéissons, pas même à des commandements, mais qnous ne faisons que nous plier devant l’impérieuse insistancd’une forme originale de réalité. Si Saussure est dutkheimienc’est bien dans la mesure où Durkheim est celui qui acherché à faire du social un genre spécifique de réalité, et dsociologue l’explorateur d’une « région ontique » nouvellMais il n’est pas sûr pourtant que ce soit dans le mêmesens ni pour les mêmes raisons que Saussure et Durkheimattribuent une réalité aux faits sociaux.

1. L a l a n g u e , c h o s e s o c i a l e

On sait que Lévi-Strauss s’était opposé au fondateude la tradition sociologique française en affirmant qu’il nfallait pas faire « une théorie sociologique du symbolisme mais « chercher une origine symbolique de la société

(1950.XII).Pourtant, la construction du concept de signepar le précurseur présumé du structuralisme passe par l’a!

firmation de la nature sociale des signes. Doroszewsksoulignait, dans un célèbre article de 1933 (inPariente.1969.97-109), que La thèse saussurienne selolaquelle « la langue est un fait social », loin d’être unbanalité, a un sensméthodologique précis, celui queDurkheim lui a donné. Il ne voyait pas cependant que cettméthode, chez Durlcheim lui-même, repose sur une thèsproprement philosophique, qui fait de la vie sociale un« hyperspiritualité » (Durkheim. 1924.48), au sens où el

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i deux fois que Vesprit est réel : une première fois[ue le social est fait derepr é sentations lia sociologie

.... pas une « physique sociale », au sens de Spencer parr exemple, mais unescience morale) ; une deuxième fois parce

que ce geste inaugural de la sociologie ne fait que redoubler y celui de la psychologie contre l’épiphénoménisme : « Quan d

nous avons dit que les faits sociaux sont, en un sens,

indépendants des individus et extérieurs aux consciencesindividuelles, nous n’avons fait qu affirmer du règne socialce que nous venons d’établir à propos du règne psychique. »(id.33-34). Cet hyperspiritualisme est le véritable fonde!

ment de la référence durkheimienne chez Saussure, et lecaractère social de la langue est d’abord un argument enfaveur de l’existence d’entités «spirituelles mais réelles».Elle ne relève donc pas tant, comme Doroszewski le croit,d’un humanisme épistémologique de bon. aloi où« l’homme » serait l’unique positivité *, mais de cette mul!

tiplication des positivités caractéristique selon Foucault del’apparition des sciences humaines, à l’issue de laquellel’homme se découvre traversé par deschoses d’ordres divers,

dont les langues. La référence durkheimienne a donc unsens encore plus précis que ne le croyait Doroszewski.

Mieux, non seulement la langue de Saussure estsociale, mais la société de Durkheim est symbolique. Dansun passage célèbre desFormes élémentaires de la vie religieuse au sujet du totémisme, Durkheim affirme que « la vie

sociale n’est possible que grâce à un vaste symbolisme »(1912.331). Il ne se contente pas de dire, comme on peuten avoir le sentiment à une première lecture, que le symboleest nécessaire pour que les sentiments sociaux prennent

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« conscience d’eux-mêmes », « perdurent », ou prennenune plus grande consistance, mais bien quil estcon stitutif du collectif comme tel : « L’emblème n’est pas seulemenun procédé commode qui rend plus clair le sentiment quela société a d’elle-même : il sert à faire ce sentiment ; il enest lui-même un élément constitutif. » (1912.329)- L’originde la société est bien symbolique. En effet, « par elles-mêmeles consciences individuelles sont fermées les unes auxautres » (id.), et tout le problème est de savoir comment, partir de cette impossibilité de principe que constitue lenon- savoir de la vie psychique des autres, se constitue précisémenune « conscience collective », qui n’est pas la simpleconnais- sance par les individus de ce que les autres vivent la mêmechose qu’eux, mais bien uneexpérience commune, un ordrede sensations et de vécus original qui détermine en retoula vie subjective individuelle. Or, pour que non seulemenelles communiquent, mais encore quelles communient, ifaut deux conditions, qui correspondent à deux formesdu signe.

La première, c’est que les individus expriment leurs« états intérieurs ». Les signes sont des « contrecoups (1912.330) « où viennent se traduire leurs états intérieurs (1912.329), ce que l’on pourrait appeler dans le vocabulairde Peirce desindices, qui ne sont pas motivés parV intention de communiquer. Ce moment est nécessaire pour que le

raisonnement ne soit pas immédiatement circulaire : ceserait sinon en présupposant l’idée du commun chez lesindividus que l’on ferait la genèse du commun. Ces signeinvolontaires ont simplement pour effet secondaire de per!

mettre aux autres consciences d’inférer quelque chose de l

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;v conscience d’autrui. À ces signes correspondune première| | : figure de la « socialité », que Durkheim désigne par le terme|ÿ de « commerce >>. Mais ce premier sens ne suffît pas : « PourI? que le commerce qui s’érablit entre elles [les consciencesI; individuelles] puisse aboutir à une communion, cest-à-dire à

. une fusion de tous les sentiments particuliers en un sentimentH; commun, il faut donc que les signes qui les manifestent vien-V, nent eux-mêmes se fondre en une seule et unique résultante. », (1912.329). De même que ce doit êtreréellement que lev sentiment commun se sépare des consciences individuelles,

f ; -ce doit êtreréellement que les signes du collectif doivent être4 séparés des signes individuels communs, en dehors des

corps individuels, non comme des mouvements, des gestes,

c ou des cris, mais comme objets réels : « C’est l’apparition| de cette résultante qui averrit les individus qu’ils sont à l’unis-r son et qui leur fait prendre conscience de leur unité morale.; C’est en poussant le même cri, en pron onçant une même

parole, en exécutant un même gesteconcernant un même J. objet*, qu’ils se mettent et se sentent d’accord. » (1912.329-v 330). Il faut donc unsymbole. La société durkheimienne ne

devient unechose que parce que des mouvements de foulese produisent autour d’unechose commune. La différence

> entre le premier état du signe et le second, ou entre expres-; sion et symbolisation , recoupe la différence entre ce que% Durlcheim appelait, dans les Règles de la méthode sociologique,

la « généralité » du social, qui n’est rien d’autre qu’une

; abstraction, et la « collectivité » comme telle (1894.8).Étrange moment cependant que celui du symbole,dans lequel la conscience collective, point encore tout à faitformée —puisque par hypothèse, le symbole contribue à la

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« faire eue» —, trouve néanmoins la force nécessaire pour sreconnaître. On voit l’ambiguïté : s’il la constitue, en qusens peut-on parler d’une représentation ? La consciencollective se constituerait-elle entre les deux types de signmais cependant indépendamment de chacun, restant en sens sui generis ? En fait, le dépassement de l’indice ausymbole estintérieur au signe lui-même, et c’est pourquoi laconstitution de la société est coextensive au mouvement signe lui-même. Il s’agit d’un seul et même signe qud’indice devient symbole, d’expressif représentatif: «Lesprits particuliers ne peuvent se rencontrer et communiqu’à condition de sortir d’eux-mêmes ; mais ils ne peuves’extérioriser que sous la forme de mouvements. C ’estVhomo!

généité * de ces mouvements qui donne au groupe le sent!

ment de soi et qui, par conséquent, le fait être. Une focette homogénéité établie, urve fois que ces mouvements opris une forme et unestéréotypie *, ils servent à symboliser lesreprésentations correspondantes. Mais ils ne les symboliseque parce qu’ils ont concouru à les former. » (1912.330

C’est donc le fait que les signes expressifs des sentimencommuns sont structurellement identiques les uns auautres (« homogènes ») qui permet à leur « résultanteglobale (la forme « stéréotypée ») de valoir comme symbode la conscience collective elle-même. C’est en dégageantforme du contenu que l’on dégage le social du collectif. E

mettant en commun les différents contenus, on rend inse!

sibles leurs différences, on fait de ce qu’il y a de communon seulement une représentation, mais une expérience. Lclameur collective vaut comme symbole de la conscienccollective parce quelle dégage l’épure commune de chacu

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des cris particuliers, faisant ainsi entendre dans les signesexpressifs, ou plutôt dans leur écho global, l’identité mêmedu sentiment commun : cet écho devient alors le symbolede l’existence collective. Alors seulement « l’unité dugroupe devient sensible » (1912.334). Le signe est donc à lafois ce qui rend possible une expérience originairementcommune et ce en quoi s’exprime aussi cette expérience

commune, ce qui unit les consciences individuelles séparéesles unes des autres et ce qui sépare cette union des consciencesindividuelles elles-mêmes, ce qui rend possible la relation etce qui exprime le p lus que la relation ajoute à la simpleadjonction des termes. C’est à cemouvement et à lui seul,que Durkheim confie le soin de rendre compte de cetexcès originaire de l’Un sur ce qu’il unifie, dont il a fait le conceptmême du social. Cet étrange supplément dont Durkheimcrédite l’unité sociale trouve donc dans ce redoublementimmédiat et continu du signe d’indice en symbole sa condi!

tion de possibilité, et montre bien à quel point la « genèsede société » par Durkheim est « symbolique ».

Mais on voit bien alors que la condition de cetteconti!

nuité entre les deux sens du signe est l5« homogénéité »postulée entre les « mouvements » expressifs d’un sentimentsinon absolument identique (il ne le sera que lorsqu’il serasocial) dumoins très semblable, doncY identité de structure postulée à la fois dans les aiïects et dans leurs signes :« Parce qu’un sentiment collectif ne peut s’exprimer collec!

tivement qu’à condition d’observer un certain ordre, quipermet le concert et les mouvements d’ensemble, cesgestes et ces cristendent d'eux-mêmes ci se rythmer et à se régulariser* ; de là, les chants et les danses. » (1912.309).

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Durlcheim présuppose ainsi dans le signe l’identité qu’il netrouve pas dans la collectivité. On devine alors que toutesles propriétés par lesquelles Durlcheim fait du signe la condi!

tion de la vie sociale sont en complète opposition avec toutce que la linguistique, selon Saussure, apporte à la sémiologieet en particulier avec la découverte liminaire et décidémentfondamentale par laquelle Saussure a ouvert la probléma!

tique moderne du langage, celle de « la nature incorporelledes signes» (E. 1,267.1920.2R,26 ; G.27), ou du caractèreintrinsèquement psychique du signe. Pour Durlcheim lésigne riassume ses deux fonctions de représentation et depromotion de la réalité sociale, que parce qu’il reproduit,par sa seule nature d'objet extérieur matériel unique, lestraits généraux de toute réalité sociale. D ’abord, « il ne faitque figurer sous une forme sensible un caractère réel desfaits sociaux, à savoir leur transcendance par rapport auxconsciences individuelles. (...) L’objectivité du symbole nefait que traduire cette extériorité. »,(1912331). Ensuite, il estdoué d’une certaine durée, comme la société est toujours

déjà instituée dans une véritabletradition, assurant ainsi lesindividus du caractère continu de la solidarité morale quiles lie les uns aux autres (cf. 1912.330-331). Il estcommun, comme les représentations collectives : « Elles ne peuventêtre rapportées qu a une chose qui lui soit également com!

mun e [au groupe]. » (1912.316). Il est mêmeunique,

comme la conscience collective est l’unité séparée d’uneaddition de parties. Enfin, la forme « stéréotypée » sedégage naturellement de l’agrégation des signes, toutcomme la réalité sociale se dégage comme solidarité moralede la simple agrégation des individus. Bref, c’est parce que le

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. symbole est une ckose matérielle qu il fait de la consciencecollective elle-même une chose. Aussi la seule affirmation ducaractère immatériel du signe suffit-elle à saper non seule!

ment cette conception durkheimienne du symbolisme, maisbien toute la philosophie sociale qui la soutient. Loin que leproblème du lieu d’être du signe trouve une solution dansune ontologie de la société, c’est au contraire une recons!

truction de l’ontologie elle-même à partir de l’observationde ces objets que sont les signes qui permettra à la sociolo!

gie de mieux définir son objet, en le délivrant à la fois desaspects métaphysiques de la construction durkheimienne etde l’obstination de la métaphore substantialiste.

2 . L a n o n l i b e r t é d e c e q u i e s t l i b r e

Malgré leur apparente synonymie, les propositionsde Durkheim et de Saussure sont en réalitéinver ses : alorsque pour celui-ci « aucun symbole n’existe que parce qu’ilest lancé dans la circulation » (Ms. fr. 3958/4,1 ; H .367),Durkheim conclut en affirmant que « la vie sociale n’estpossible que grâce à un vaste symbolisme ». Le signe, pourSaussure, nereprêse?2 te pas la réalité sociale : ilest social,c’est son être même qui est social. Il n’est pas matériel, maisprécisémentaussi spirituel que la réalité sociale elle-même, alorsque la société durkheimienne, elle, est symbolique. Il sem!

blerait donc que tout soit à l’envers au pays du « conflit desmédiodes », et que le précurseur du structuralisme soit celuiqui ait affirmé la nécessité d’uneréduction du symboliqueau sociologique, alors que le fondateur de la tradition

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sociologique française aurait perçu la condition symboliquede la vie sociale. Mais en réalité, alors que pour Saussure ily a iden tité entre la réalité symbolique et la réalité sociale,c’est bien ladifférence irréductible entre un symbole et unereprésentation collective qui fait du premier la condition dela seconde. On pourrait certes penser que Saussure ne faitqu’élargir aux signes les thèses de Durkheim, et que l’ondevrait se contenter de corriger, pour ainsi dire au passage,la conception du symbole de l’illustre sociologue, afind’intégrer les faits sémiologiques eux-mêmes dans le champdes faits sociaux. Mais la thèse selon laquelle la langue estun fait social, loin d’inviter à une réduction de la linguis!

tique à la sociologie, appelle toute une reconstruction du

concept même à3institution ou de fait social incompatibleavec la philosophie et la méthode durkheimiennes.Tout d’abord, l’expérience de la nécessité sociale du

signe n’est pas celle d’unecontrainte qui supprimerait toutsentimentà'arbitraire, mais une expérience paradoxale oùles deux aspects son t indissolublement mêlés.

« Par rappor t à l’idée qu ’il représente,le signifiant<(signe)>, quel qu ’il soit, est arbitraire, apparaît comme librementchoisi, pouvant être remplacé par un autre(table pouvan t s’ap!peler sable ou inversement). Par rapport à la société humainequi est appelée à l’employer,le signe n’est point libre maisimposé, sans que cette masse sociale soit consultée et commes’il ne pouvait être remplacé par un autre. Le fait qui dans unecertaine mesure semble envelopper contradiction dela non- liberté de ce qui est libre*, ce fait pourrait s’appeler familière!

men t le phénomène de la carte forcée. O n dit à la langue :“ Choisissez au hasard ! ”, mais on lui dit en même temps-:“ Vous n’avez pas ie droit de choisir, ce sera ceci ou cela ! ” Si un

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individu voulait changer un mot français ou un mode, il ne lepourrait pas, même la masse ne le pourrait pas ; elle est rivée àla langue quelle est. » (£.1 .159.1177.30,310 ; IC307).La langue n apparaît pas comme un cravail auquel on

serait astreint, mais plutôt comme un jeu auquel on estinvité - dans lequel on ne cesserait cependant de nous

f or cer la main. Le paradoxe tient à ce que le signe utilisé n’a

aucune raison positive d’être celui-ci plutôt qu’un autre,mais, précisément de ce fait même, aucune raison non plusd’être autre. Il s’impose par défaut, par excès de contingence,plutôt que par une nécessité quelconque. C’est l’absencemême de fondement qui l’impose. Saussure ne cherche pasdans le caractère social de la langue unordre de causalité\

mais plutôt le principe de sa contingence radicale. Si lesigne ne saurait être le résultat d’un acte de la volonté indi!

viduelle ou sociale, ce n’est pas parce qu’il serait imposé parune nécessité supérieure, mais parce qu’il n’aaucune raison d’être une chose plutôt qu’autre chose.

Cela ne signifie pas que le signe ne soit jamais imposépar une forme de violence, comme y insistera notammentPierre Bourdieu (1982). Mais cette violence estseconde'. elle ne saisit pas toute la normativité linguistique. Si leslangues sont traversées par des manières de parler qui repro!

duisent la hiérarchie sociale, si la norme linguistique s’im!

pose alors comme une ominz/Hteà ceux qui doivent adopterle style dominant oucorrect, cette hiérarchisation elle-même suppose deux choses : d’une part que la vie socialesoit déjàstratifiée hiérarchiquement, mais surtout que lessujets sachent déjà parler. Le fait que la manière dont nousdisons ce que nous voulons dire ne nous paraît pas le moins

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du monde contraignante dans un contexte de non-correc!

tion n’empêche pas quelle soit elle-même arbitraire et doncquelle s’impose par une forme d’obligation qui reste àexpliquer. Or la formulation paradoxale de la liberté nonlibre, la comparaison avec le jeu, la notion de « carte for!

cée » permettent de penser que, si la linguistique rencontre

dans sa constitution même la sociologie, cest parce quon ytrouve le même problème : celui de l’obligation qui finiraprécisément par s’appeler « symbolique ». On peut penseren effet que le problème de la sociologie a toujours été celuide la « servitude volontaire », c’est-à-dire des mécanismesde l’obéissance : il est bien clair en effet que les normes

sociales ne tiennent pas uniquement leur efficacité del’usage de la contrainte physique, mais quelles supposentune participation pour ainsi dire de la liberté même dessujets au bon exercice des normes sociales. C’est plutôt surle mode de X évidence que sur celui de lacon trainte quelless’imposent. Pour Saussure ce phénomène n’est pas uneillusion qui fait passer la détermination sociale pour de laliberté, ou au contraire une forme de déterminisme quiaurait objectivement besoin de la liberté des agents pours’imposer (comme le dit finalement Bourdieu), mais uneffet subjectif du mode d’être de la langue.

Le signe étant celui des faits sociaux qui fait appa!

raître de la manière la plus « pure » le caractèrearbitraire ouimmotivé de l’institution, on comprend que le paradoxe del’obligation symbolique pourra trouver dans le mode dedétermination du signe le modèle pour ainsi dire expéri!

mental de sa résolution. C’est la linguistique qui permet derésoudre le problème le plus essentiel de la sociologie, celui

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de l’obligation, et non la sociologie qui permettra derésoudre le problème le plus essentiel de la linguistique,celui de la langue. C’est pour cette raison que Saussurepeut écrire que la langue nous permet de saisir ce qu’il y ade proprement ou de « purement » institutionnel dans laréalité institutionnelle, parce quelle est elle-même une

« institution pure » (CLG.110) :« Whitney a die : le langage esc une In stitution humaine.Cela a changé Taxe de la linguistique.

La suite dira, croyons-nous : c’esc un e in stitu tionhumaine, mais de celle nature que toutes les autres institutionshumaines,sau f celle de l'écriture, ne peuvent que nous trompersur sa véritable essence, si nous nous fions par malheur à leur

analogie.Les autres institutions, en effet, sont toutes fondées (à desdegrés divers) sur les rapportsNATURELS des choses, sur uneconvenance entre 0 comm e prin cipe final. Par exemple ledroit d’une nation, ou le système politique, ou même la mode de soncostume, même la capricieuse mode qu i fixe nocre costume, quine peut pas s’écarter un instant de la donn ée des [proportions]

du corps hum ain. IJ en résulte que tou s les changements, coûtesles innovations... continuent de dépendre du premier principeagissant dans cette même sphère, qui n’est situé nulle partailleurs qu’au fon d de l’âme humaine.

Mais le langage et l’écriture ne sontPAS FONDÉSsur unrapport naturel des choses. Il n’y a aucun rapport à aucunmoment encre un certain son sifflant et la forme de la lettre S,

et de même il n’est pas plus difficile au m otcoiu qu’au motvaccci de désigner une vache.

C ’est ce que W hitney ne s’est jamais lassé de répéter pourmieux faire sentir que le langage esc une institution pure.Sêulement cela prouve beaucoup plus, à savoir que le langage

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est une instituciónSANS ANALOGUE(si l’on y join t l’écriture), et

qu’il serait vraiment présomptueux de croire que l’histoire dulangage doive ressembler même de loin , après cela, à celle d’uneautre in stitut ion, qu ’il ne mette pas en jeu à ch aque momen t desforces psychologiques semblables. » (ELG .211).La langue diffère donc « radicalement » des autres

institutions en ce quelle est p urem ent et exclusivement institutionnelle. Etrange raisonnement qui riintègre lalangue dans les réalités sociales que pour mieux ensouligner l’incomparabilité, et par là en faire la vérité detoute réalité sociale en général.

Si le langage était unmoyen, il pourrait sans cesse êtremesuré à l’aune de ses finalités : il devrait manifester sa« convenance » avec son « principe final ». Mais, le langageétant plutôt un champ de possibilités immanentes, il riy apas d’autre raison pour dire ce qui se dit sinon queça se dit.

« Nous disons homme et chien parce qu’on a dit avantnous hom me ec chien. » (E .l. 165 .1235 .3C,317 ; CLG.108).C’est précisément en ce sens que la linguistique sera un

modèle pour les sciences de la culture, c’est-à-dire pour cet

ensemble de disciplines qui ont pour objet lesus et coutumes des hommes. Un fait culturel ria pas d’autre fondement quel’usage. À la question : « Pourquoi les hommes sont-ils sisoumis aux normes sociales ? Pourquoi font-ils si facilementce qui leur est imposé ? », Lévi-Strauss répondra qu’ils ledisent eux-mêmes fort clairement et qu’il riy a pas de raisonde ne pas les croire : « Parce que ça se fait. » (Lévi-Strauss.1962.105-106). Si cette réponse riest pas une simpletautologie ou un aveu d’ignorance de la part du sociologue,c’est que le problème de l’obligation ne doit pas être traitéd’une manière différente de celui du sens : de même que

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l’on ne demandera plus comment un signe acquiert un sens,si Ton prend la mesure du problème de la détermination dusigne lui-même, de même il ne sera pas nécessaire de sedemander pourquoi on « obéit », une fois que l’on auracompris que tous les problèmes se ramènentà celui de ladétermination dece qui se f ai t : comment isoler, dans lacontinuité des variations de l’expérience, une performance

sociale identifiable, par exemple, comme un mariage ? Lathèse de Lévi-Strauss est en somme de dire qu’il suffit desavoirce que les sujets font, d’être capable de déterminer lanature précise de l’usage qu’ils réalisent, pour ne plus avoirà se demander pourquoi ils le font (cf. Maniglier.2005).C’est pour cette raison que les rites, les légendes, les formes

de politesse, les coutumes matrimoniales, vestimentaires ouculinaires, bref cet ensemble quià la fin duXDCCsiècle et audébut duXXesera unifié sous le nom, fort légitime, de fol!klore, seront considérés par Saussure comme des objets dela sémiologie (cf. CLG.33-35). Le projet « sémiologique » deSaussure n’est pas celui d’une théorie des techniques decommunication, mais bien d’unescience des usages. Loin detrouver son fondement dans la sociologie, elle redéfinitl’objet des sciences de la culture.

On pourrait nous objecter que l’on attribue à touteinstitution ce que Saussure semble dire des institutionssêmiologiques. Mais toutes les institutions sont plus oumoins sêmiologiques, et même d’autant plus sêmiologiques

quelles sont plus « purement » institutionnelles. Toute cultureest un ?72élange entre des éléments symboliques, par lesquelselle se constitue comme un pur produit spirituel, et deséléments soit naturels, soit rationnels (soit physiques, soit

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moraux). En effet, Saussure n’ignore ni le faitécologique qui fait une culture humaine a aussi un rapport étroit àdes circonstancesitaturelles (il serait absurde pour lesEskimos d’adopter les coutumes vestimentaires desGuayalds), ni le fait polit ique qui en fait l’enjeu de straté!

gies volontaires tendant à lui imposer des projets plus oumoinsacceptables.

« Qu’il s’agisse du costume ou de Q, toujours c’est le rapportnaturel des choses qui reprend le dessus après une extravagance,qui reste à travers les âges l’unité directrice, qui demeure à traverstous les changements la règle. Tandis que le langage, pou r accom!

plir la fonction qui lui revient entre les institutions humaines»est destitué d’une limite quelconque dans ses procédés (aumoins d’une limite que quelqu’un aurait fait voir). L’absenced’affinité depuis le principe entre 0 étant une choseRADICALE,non une chose comportant le moins du monde une nuance,c’est par là qu’il arrive subséquemment que le langage n’est pascontenu dans une règle humaine, constamment corrigée oudirigée, corrigeable ou dirigeable par la raison humaine.

C ’esc la raison qu i dicte les autres Q.L’institution du mariage selon Ja forme monogameesc

probablement plus raisonnable que selon la forme polygame.Cela peut philosophiquement se discuter. Mais l’institutiond’un signe quelconque, par exemple s pour désigner le son s,ou bien decow ou vacca pour désigner l’idée de vache estfondée sur l'irraison même ; c’est-à-dire qu’il n’y a ici aucuneraison fondée sur la nature des choses et leur convenance quiintervienne à aucun moment soit pour maintenir soit poursupprimer une []. » (ELG.214).La plupart des institut ions sont mélangées : leurs

finalités externeslimitent toujours plus ou moins leur arbi!

traire, les rendentdiscutables, soit du poin t de vue pratique,

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1) Le fait qu’un système de signes comme celui de la langue esc reçu passivement par les généradons successives (on le considérait comme un acte réfléchi, comme une intervention active de la langue) ;

2) qu’en tout cas le système de signes aura pour caractèrede se transmettre dans des conditions qui n’ont aucun rapport \ avec celles qu i l’on t constitué (si l’on accorde même qu’il est jl’œuvre de la volonté comme l’espéranto). La langue est un peucomme un canard couvé par une poule. Passé le premier moment, la langue est entrée dans sa vie sémiologique, et on ne peut plus revenir en arrière : elle se transmet tra par des lois qui n’on t rien à faire avec les lois de création . » (E .1.170.1275.2R.21 ; G.23).S’il y a ainsi une différence entre ce quon a voulu ec

ce qui en résulte, entre ce qui est institué et ce qui est utilisé, si l’on se retrouve avec un vilain petit canard alors qu’on avait couvé un charmant œ uf de poule, c’est que ce qui est en usage ne saurait avoir d’identité fixe. Saussure ne ditdonc pas que l’institution volontaire d’un signe n’est paspossible ; il dit que ce qui fonctionnera comme langue nesera pas ce qu’on croit avoir fixé.

« Mais si par hypothèse on avait établi une langue <parlégislation^ le lendemain elle <(la masse)> aurait déplacé sesrapports. On den t la langue tan t qu’elle n’est pas en circulation,mais dès qu’elle remplit sa mission, on voit les rapports sedéplacer. Du moins on doit conclure qu’il doit en être fatale!

men t ainsi d ’après les exemples offerts par l’histoire. » (E. 1.169- 170.1272.3C,322).L’argument de Saussure en faveur de l’impossibilité

d’une genèse contractuelle des faits sociaux n’a rien à voiravec celui de la tradition « sociologique » : il ne s’agit pas

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d’affirmer qu’il y a un primat du tout social sur les parties,mais que rien ne saurait garantir que ce qui résulte d’unusage de masse soit iden tique à deux moments d’intervalles,quelle que soit l’ardeur des intentions. Si l’on doit exclurel’idée que le signe a été imposé par une décision volontaire,ce n’est pas parce que lesigne serait déterminé d’avance

par ailleurs, mais au contraire parce qu’il escimpossible de déterminer d ’avance un signe.« L’identité d’un symbole ne peut jamais être fixée depuis

l’instant où il est symbole, c’est-à-dire versé dans la massesociale qui en fixe à chaque instant la valeur.

Ainsi la rune Fest un “'symboleSon IDENTITÉ semble une chose tellement tangible, et

presque ridicule pour mieux l’assurer consiste en ceci : qu elle ala forme K; quelle se litZ, quelle est la lettre numérotéehuitième de l’alphabet ; qu elle est appelée mystiquement Zann ,enfin quelquefois quelle est citée comme première du mot. Aubout de quelques temps : ...ellecst la 10e de l’alphabet... maisici déjàELLEcommence à supposer une unité que [ ].

Où esc maintenant l’identité ? On répond en général parun sourire, comme si c’était une chose en effet curieuse, sansremarquer la portée ph ilosoph ique de la chose, qui ne va à riende moins que de dire quetout symbole, une fois lancé dans lacirculation —or aucun symbole n’existe que parce qu’il est lancédans la circulation —est à l’instant même dans l’incapacité absoluede dire en quoi consistera son identité à l’inscant suivant. »(Ms. fr. 3958/4,1 ; H.367).Si la langue existe uniquement en tant qu’elle est

sociale, cest parce que le fait d’être sociale, loin de lui donnerune consistance ontologique équivalente à celle des choses,l’arrache à toute identité fixe.

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Il faut souligner que c’est « dès qu elle remplit .mission » que la langue devient incontrôlable. Un signe nedevien t pas différent de ce qui a d’abord été décidé : il ed’emblée hétérogène à toute association volontaire. Gautiinotait : « À l'instant où il est adopté, on rien est plus lumaître. » Même donc dans l’instant parfaitement chéoriqt

où une langue artificielle serait imposée à une populadojce qui s’avérerait institué serait par nature différent de <qui a été décidé. Une « masse sociale » ne peut recevoir qice qui est tel qu’il ne peut avoir été fixé : le caractère intrin!

sèquement variable est une condition et une propriétéessentielle de ce qui « vaut pour la collectivité ». C’est

pourquoi le problème de Pobligauon symbolique est unproblèmeontologiqtie. La langue r iest contraignante - sousla forme phénoménologiquement paradoxale qui est lasienne, celle de la liberté non libre (ou de la violence sym!

bolique) —que parce qu’on ne saurait jamais arrêter sonidentité, dire, une fois pour toutes, ce qu’elle est. Elleéchappe à la volonté par dévalement, et non par suréléva!

tion, elle glisse entre les doigts plutôt quelle ne les frappe.Il y a un décalage, dans l’origine, entre ce qu’on a vouluinstituer et ce qui se trouve effectivement institué.

Mais qu’est-ce qui, dans la langue, explique cetteéttange propriété? Le fait quelle soit constituée designes, et que la valeur d ’un signe, c’est-à-dire son identité,dépende toujours des autres signes présents. Maîtriserune langue serait pouvoir anticiper ces opérations declassement, autrement dit connaître le système de signeset le fonctionnement de la systématisation linguistique,Or, dit Saussure, seul un linguiste, et encore dans un

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temps qui n’est toujours pas venu, pourrait réaliser unetelle opération.« 4° Toute langue forme un corps et un système. (. .. ) C ’est

le côté par où elle n’est pas arbitraire, où il lui faut reconnaître uneraison relative. Le contrat est beaucoup plus compliqué entre lesigne et l'idée, H ne faut pas le considérer ainsi 0/0, 0/0, etc.,mais ainsi O-O-O. Ainsi, de ce côté, l’opération qui consisterait

en un changement radical échappe à la masse <sociale>. Ilfaudrait qu ’eile se fasse au sein d ’une assemblée de grammairienset de logiciens. » (E. 1.163.1219.3C ,316 -, cf. CLG.107).Il s’agit donc d’une impossibilité non pas à introduire

des transformations dans la langue, mais à les maîtriser. Onpeut transformer la y règle » qui veut que la plupart des nomsde métiers en français soit masculins, mais on imagine à tortque cette transformation se contentera d’obéir localement àFintenrion politique qui est la nôtre, car la valeur du genredépendra de toute manière de la systématisation des signes.La question de l’origine du langage riest en réalité pas dif !

férente de celle de la création linguistique de tous les jours.« Le moment où l’on s’accorde sur les signes n’existe pas

réellement, n'est qu'idéal. Et existerait-il qu’il n’entre pas enconsidération à côté de la vie régulière de la langue. La questionde l’origine des langues n’a pas l’importance qu’on lui donne.(.. .) Le contrat prim itif secon f on d avec ce quise passe tous les

jours dans la langue avec les condit ions perman en tes de lalangue : si vous augmentez d’un signe la langue, vous diminuezd’autant la signification des autres. Réciproquement, si parimpossible on n’avait choisi au début que deux signes, toutes lessignifications se seraient réparcies entre ces deuxsignes. L’un aurait désigné une moitié des objets, et l’autre, l’autre moitié.Le mom en t de l’accord n’est pas d istin ct des autres. »(E .l. 160.1191.2R,20 ; G.22).

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Cet exemple d’un « système » binaire était précisémentcelui que Saussure utilisait pour rendre compte duphénomène de la « post-élaboration », c’est-à-dire de ladétermination de Ja valeur commein terprétation, en insistanten particulier sur son caractère involontaire ou passif, quiest, nous l’avons vu, un argument majeur en faveur de la

grammaire « concrète » et, à travers elle, de la légitimitéd’une question ontologique concernant le langage :« Les signes existants évoquentMÉCANIQUEMENT(...) un .

nombre égal non pas de concepts, maisde valeurs opposées pour \ notre esprit (...); chaque signe en évoquant une antithèse (...)se trouve être délimité, maigre nous, dans sa vaieur propre.Ainsi, dans une langue composée au total de deux signes,ba et la, la totalité des perceptions confuses de l’esprit viendraNÉCES!

SAIREMENTse ranger ou sousba ou sousla. » (ELG.87-88).C’est donc bien ie caractère automatique ou

mécanique del ’effet de valeur qui explique la soustractionde tout signe à un acte volontaire. Si « c’est une idée trèsfausse de croire que le problème de l’origine du langage soit

un autre problème que celui deses transform ations »(ELG.159), c est que la transmission des langues nous permetde voir à l’œuvre la logique de production de la valeurmieux que ne le permettrait une observation du « momentde l’origine ». Le signeeffectivement créé ne consiste pasdans une association volontaire, mais dans l’entité opposidveobtenue par la corrélation entre plusieurs différenceshétérogènes. Il est d’emblée unrésultat.

Mais cela signifie que la langue réelle nest jamais quela langueinterprétée, et celadès l origine. Ce qui est linguis!

tique dans la langue, ce qui est sémiologique dans un signe,c’est ce qui est « transmis », ce qui est « reçu », et cela dès

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l’origine, parce quun signe rïa de valeur que comme résultatd’une interprétation. C’est pour cette raison que la valeurest double, à la fois intérieure et extérieure, ou que « l’unitécomplexe doit trouver sa sphère au moins dans deux indi!

vidus » et que « pour se servir de la double unité complexe,il faut au moins deux individus ». (E.1.28.142.2R,4 ; G .8).Quand donc Saussure dit que « jamais une société n’a connula langue que comme un produit existant précédemment età prendre tel quel» (E. 1.160.1190.3D), il veut bien direque la langue est p ar essence un produit. Elle ne peut êtreque reçue, parce quelle n’est constituée qu’à travers saréception par les mécanismes de J’interprétation.Si ialangue n’est poin t libre, c’est parce qu’il y a forcément plus

dans le résultat que dans la genèse : il y a l’intégration parle système, et la « post-élaboration » qui fait du signe, parnature, uneffet secondaire.

La critique du conventionnalisme prend donc unenouvelle signification : le signe n’est pasce sur quoi Von s'accorde\ mais ce qui se transmet de cet accord, ce qui restera de cet accord à travers les usages, nécessairement hétérogènes, qui en seront faits.

« Ce sera la réaction capitale du langage sur la théorie dessignes, ce sera l'horizon à jamais ouvert, que de lui avoir apprisec révélé tour un côté nouveau du signe, à savoir que celui-ci necommence à êcre réellement connu que quand on a vu qu’il escune chosenon seulement transmissihle, mais de sa nature destiné à être transm is*, et voué à se modifier. » (ELG.220).Le problème de i’insticution peut êtreredéfini : loin

qu’on transmette ce qui a été d’abord posé, ce qui se trouveêtre posé n’est pas différent de ce qui se transmet, de ce quiest, si Ton peut dire,en transmission, en train d’être transmis :

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il y a une logique propre à ce qui se transmet en tant qu’ilse transmet. Si la question de l’origine du langage ne sepose pas, ce n’est pas parce que la langue, devant être unsystème, ne peut être posée que d’un coup et ne saurait êtrel’objet d’une genèse progressive (comme on l’a beaucoupdit suivant et caricaturant Lévi-Strauss.1950.XLV1I-XLVII1),

mais parce que la langue n’est jamais que ce qui se transmet.C’est donc que l’existence même de la langue n’est pas dif !

férente de satremsmission. La langue nest pas au-dessus etantérieure aux sujets parlants ; elle est essentiellementquelque chose que l ’on se passe, comme unrelais, et pour cetteraison même, quelque chose qui passe. Il faut bien com!

prendre le paradoxe. Le texte des éditeurs (CLG.105) disaità propos de l’origine du langage : « Ce nest pas même unequestion à poser ; le seul objet réel de la linguistique, c’est lavie normale et régulière d’un idiome déjà constitué. » Maisparler d’« idiome déjà constitué », c’est laisser supposer quela langue existe en dehors d’une telle transmission. OrSaussure veut précisément dire que la langue n est rien endehors de cette transmission, et son objection à toute inves!

tigation sur l’origine des langues n est plus désormais de fait(« nul ne Ta jamais constaté »), mais de principe : quelsque soient les renseignements que l’on pourrait obtenir surcet « instant » idéal qui serait à l’origine du langage, il nenous apprendrait rien, précisément, sur la langue, car celle-ci

ne se confond avec aucun de ses instants, elle n’est que cequi, à chacun de ces instants, se transmet, ce qui circule. Nedisons pas que les institutions se transmettent : disonsqu une institutionnest jamais rien d’autre que ce dont îanature même est d’être transmis, ce qui n’existe que du

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point de vue de sa transmission. Tant qu’une institutionn’est pas transmise, elle n’existe pas. En cela, l’institutionsémiologique est toujoursd onn é e, c’est-à-dire ne pouvantexister que commeayant été donnée.

Mais on voit bien que ces propositions sont instables.On ne peut aller jusqu’au bout du raisonnement qu’en affir!

mant la chose suivante : une langue, un état de langue, estnon pas une chose fixe, mais une chose en mouvement. Ilappartient à l’essence de ce qu’on appelle signe de varier. Leraisonnement de Saussure amène ainsi à une réduction desproblèmes philosophiques sur la nature de l’institution à desproblèmesontologiques : ce qui caractérise les institutions,c’est un certain mode de détermination, la déterminationd’une chose à la nature de laquelle il appartient de varier.

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CHAPITRE IILA LAN GUE DIONYSIAQ UE

Si le problème sociologique est celui de l’obligation,on voit que la réponse que Saussure propose à ce problème,en se fondant sur la langue comme « cas particulier » des

systèmes de signes, n’a plus rien à voir avec celle deDurkheim : si la langue s’impose, c’est parce qu elle estnécessairement le résultat d’une histoire. Ce que Ton fait,quand on réalise un « acce social », quand on se conforme àun usage, c’est simplement faire ce qui se trouve être déter!

miné par une histoire des usages. Mais il faut aller plus loin.

Car on voit bien que la thèse de Saussure est qu’il y a unmode de détermination propre à ce qui est essentiellementhistorique, à ce qui peut « avoir une hisroire », et que lesconcepts de système, de valeur, de différence, de signe,etc., décrivent le mode de détermination de ce qui est

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essentiellement historique. Nous allons montrer que cestcette singularité ontologique qui, pour Saussure, constitue ledomaine des « signes » : les signes sont ces êtres à l’essencedesquels il appartient de varier, à la fois historiquement etgéographiquement.

1. L’ é t r e d u d e v e n i r

La première cause du fait que la langue n’est pas libre,c’est qu elle est toujours héritée (E.1.170.1275.2R,21 ïG.23) : la « non liberté de ce qui est libre » tient au « côtéhistorique » de la langue (E.l. 165.1239.30,318 ; K.311).

« Quant aux causes [de la non liberté de ce qui est libre],voici la première considération : La langue à quelque momentque nous la prenions, et si haut que nous remontions, est àn’importe quel moment un héritage du moment précédent.(. ,.) C’est-à-dire que n ous distinguons à. l’origine de rout état delangue un fait historique. » (E .l. 160 .1187.3C,312 ; IC307).Cela ne veut pas dire que l’on est condamné à

accepter tel quel ce que nous ont livré nos parents, mais quela langue, comme toute tradition, comme tout ce dont estfaite la «mémoire collective », n existe que dans l’héritage,que dans la réception. Nul ne peut jamais être contemporainde l’institution de la langue, parce que celle-ci est paressence ce qui vientaprès. La langue est un « fait h is!

torique » pour des raisons d’essence, qui tiennent au typede système qu’est la langue et au type d’effets qu’elle pro!

duit, à savoir les signes. On voit que le concept de systèmesémiologique, loin d’arracher la langue à l’histoire, prétendrendre compte de son caractère irréductiblement his-

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torique. Ce riest pas l’opération d’hériter qui constituel’héritage, mais le type d’objet quest l’héritage qui constituel’opération d’hériter... Nous sommes dépositaires et nonpas propriétaires de la valeur des signes que nous pro!

duisons : ce que valent effectivement ces signes sera décidépar ceux qui les reprennent, qui les répètent. O n ne peut êtrequ’en retard sur sa propre langue. La force de {'institutionn’est pas dans la surpuissance de sa cause, mais dans ladérobade de ses effets. On est soumis à des effets, non à descauses, et les effets nous soumettent par leur « impuissance »,non par leur force. La contrainte sociale r i esc pas l’effet d’unetranscendance ou d’une extériorité de l’expérience sociale àl’expérience individuelle, mais plutôt de ce retard originaire.

Il semble que ce soit dans les paradoxes de la tempo!

ralité, d’un objet essentiellement temporel ou purementpassé (pour parler comme Deleuze ou Derrida), qu il faillechercher la source de l’expérience paradoxale de la « carteforcée ». La liberté non libre, l’expérience de lanorme,dépendrait donc de ce que l’on pourrait appeler, sur le

modèle de la faculté de s’attacher à des termes en soi nuls,la capacité de s’attacher à une chose don t l’essence est d’êtredans le temps. La carte est forcée au sens où l’identité de lacarte que nous nous rendons compte, toujours trop tard,d’avoir jouée, riest pas nécessairement celle que nouscroyions avoir jouée. Chaque coup de cet étrange jeu sup!

pose sans doute unacte, cependant le sujet de l’acte nedétient pas lui-même son sens ; celui-ci est déterminé par la

possibilité objective que le sujet actualise. On croira avoir joué une dame de cœur, et on se retrouvera comme si l’onavait joué en réalité un as de pique, sans que l’on puisse

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contester. Les cartes ne cessent de changer de nature, voirede jeu, passant sans cesse de la belote au rami et du rami autarot, de cartes italiennes à des cartes indiennes, etc., et sansque cela nous empêche de jouer avec toujours le mêmefatalisme oriental et la même conscience scrupuleuse, unpeu perplexes bien sûr, mais toujours aussi impliqués,

comme si rien de bien gênant ne se passait, quitte à, sanscesse, se reprendre.V , é cart, constitutif de l’expérience de laparole, entre ce que je dis et ce que je veux dire tient audevenir du signe, et non pas à la nature du sens, comme leprétendent aussi bien la tradition herméneutique (avecGadamer ou Ricœtir par exemple) que les psycholinguistes

cognitivistes (cf. Pinlcer. 1994.53-79).Le problème ainsi formulé reprend celui de la« chose spirituelle ». La langue nest ni physique ni morale,ni de l’ordre de la matière, ni de celui du vouloir : danscette double exclusive se pose la possibilité d’une ontologiedu « psychique » ou du « mental ». C’est une conventionsur laquelle personne n’a convenu, une sorte d’engagementsur lequel chacunse trouve engagé , sans jamais avoir jamaiseu à manifester sa volonté. Un signe est donc unechose voulue dont il ne faudrait pas dire qu elle se pose elle-mêmecomme voulue (on a vu que le signe ne fait, à proprementparler, rien, qu’il est un pur effet, l’extrême de la passivité,c’est-à-dire ce qui reste, il ne saurait donc faire une choseaussi furieusement fichtéenne que de se poser soi-mêmeobjet de volonté...), mais quelle se trouve posée commeintrinsèquement voulue sans avoir été déterminée commetelle par aucune volonté. On peut donc comparer la langue àun contrat qui devancerait le consentement des contractants,

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qui ri aurait plus besoin de l’expression du consentement pourêtre supposé contractuel. Vincent Descombes a donc raisonde dire que les institutions sont des « passifs inten tion!

nels », c’est-à-dire des objets intentionnels qui ne sont lescorrélats d’aucun acte intentionnel, mais au contrairedéterminent eux-mêmes des actes intentionnels possibles(ce qu’il y a à penser), noèmes sans noèse (1996.36-40).Cependant, ce n’est point parce que nous aurions grâce àelles des « pensées communes » (cf. 1996.309sq.), mais aucontraire parce que ce qu’il y a virtuellement à penser riaaucune identité substantielle. Si l’on peut en effet « avoir lesmêmes idées », c’est précisément parce que cette « idée »qu’est le signe ne se confond avec aucuncon tenu idéeldéterminé, mais avec une corrélation entre plusieursensembles de différences substantielles. C’est donc le modesi singulier de détermination deY identité du. signe qui permetà l’esprit objectif dont parleV. Descombes de se constituer,dans une indiscemabilité radicale entre l’équivocité et l’uni-vocité. Ce qui ne veut rien dire d’autre que la chose suivante :

une «pensée commune» n’existe que dans sesusages; leconcept de « fait social » est le concept de ce qui se donneà pratiquer. Et par là on retrouve ce que disait Wittgensteinlui-même, qui voyait précisément dans la pratique, le lieuà la fois de la collectivité et de la norme. Avec cette dif !

férence que d’une part on admet le principe d’une sciencede la pratique et d’autre part on défend la thèse selonlaquelle la science de la pratique est en réalité une théoriedes us et coutumes, et donc qu’elle passe forcément,explicitement ou non, par une ontologie de ce qu’on pourraitappeler les « pragmata »...

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Ainsi, la langue s’impose non parce quelle a « toujoursdéjà » été déterminée par les autres, mais plutôt parce quelleest toujours encoreen train de se redéfinir', être, pour lalangue, c’est se reconstruire. Mais alors, la langue que nousparlons est à la fois la langue qui nous a été transmise et lalangue que nous transmettons : il y a une sorte d’identité du

passé et de l’avenir dans ce présent fusible quest lalangue effectivement parlée, qui est l’identité de la langue que nous neparlons plus et de celle que nous ne parlons pas encore. Ceparadoxe est celui de ce que Saussure appelle la « continuité ».Il distingue nettement cette notion de celle de « fixité », quiest l’idée que la langue est une chose qui reste identique à

soi : c’est précisément parce que la langue ne saurait être«fixée» quelle est «continue». Il ne s’agit de dire niqu’une langue se maintient iden tique à elle-même à traversle temps, ni quelle devient fatalement autre que ce qu’elleest de manière insensible, mais qu’il ny a pas de différenceréelle entre la langue que nous utilisons depuis des années,la langue passée dont elle provient et que pourtant nous necomprenons plus, et la langue future qui sera parlée dansquelques siècles par nos lointains descendants, qui aurontbesoin de savants érudits pour traduire la nôtre.

« Il vaut la peine de nous arrêter un instant devant ceprincipe, élémentaire et essentiel, de lacontinuité ou de Xinin- terrtiption forcée qui le premier caractère ou la première loi de

la transmission du parler humain (...)•Lorsque nous considérons un certain état de langue

comme le français duXIXesiècle, et un certain état de langueantérieur, com me par exemple le latin du siècle d’Auguste, noussommes frappés au premier moment par la grande distance quiles sépare, et nous sommes, je m’empresse de l’ajouter, beaucoup

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plus frappés encore par la dénomination différente qu’on escconvenu de leur donner en appelant cecilatin et cela fiançais. Nous nous figurons alors assez volontiers qu’il y a deux choses,don t l’une a pris la succession de l’autre. O r qu’il y ait succession,c’est là ce qui esc indubitable et évident, mais qu'il y ait deuxchoses dans cettesuccession, c’est ce qui est feux, radicaiemencfaux, et dangereusement faux,du point de vue de toutes les

conceptions qui s’ensuivent. (...)Le français nevient pas du latin, mais ilest le latin, le

latin qui se trouve être parlé à telle date déterminée et danstelles et telles limites géographiques déterminées.Chanteras vient pas du Latin,cantate-, mais ilest le latin cantate. Autantvoudrait dire en effet que le français que nous parionsvient du français de Montesquieu ou de celui de Corneille ou vient

de celui de Montaigne ou de celui de Froissart, ou de celui dela Chanson de Roland (...) mais comme rour le monde dirqu’il est le français de Montesquieu, ou celui de la Chansonde Roland, il n y a aucun e raison de ne pas dire alors de mêmequ’ilest le latin d’Auguste, et le latin de Plaute, et la manière deparler antéhistorique qu i a précédé la manière latine de parler. »(ELG.152-153).

« Le français nevient pas du latin, mais ilest lelatin »... C’est ia même langue, ni plus ni moins que lelatin du IIe siècle avant J.-C. était aussi du latin, et celaindépendamment du fait que les Romains de l’époque deLucain comprenaient sans doute plus facilement lestémoignages de leurs ancêtres que nous ne comprenons

Lucain... Car cestà force de parler latin que les Gallo-Romains se sonr misà parler français... Ce« principe de lacontinuité » est présenté comme l’apport inestimable de lagrammaire comparée duXIXesiècle à toute réflexionphilosophique sur le langage.

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« i l an tiquité de la langue fut une chose subitement révélée,ec qui sous le nom de Con tin uité de la langue deviendra un e desacqu isition s capitales de la [ph ilosoph ie du langage*]. »(ELG.llfi).Ce sont les mêmes processus qui font que nous par!

lons la même langue aujourd’hui qu’hier, et qui font que

cette langue devient méconnaissable à l’issue d’un temps trèsbref. Les mécanismes par lesquels nous continuons à parlerune languesemblable à celle que nous parlions la veille sontceux par lesquels nous nous trouvons parler une langueabsolum ent dissemblable de celle de nos ancêtres. C’est doncpour la même raison que nous nous comprenons et quenous finissons par ne plus nous comprendre.

Le principe de continuité ne veut donc certainementpas dire qu’une langue reste forcément ce quelle est, aussilongtemps quelle est, mais au contraire quelle n’est jamaisque ce qu’à chaque instant elle devient, sans même que Tonpuisse faire d’elle unechose sous-jacente à ses modifications :l’histoire d’une langue est une continuité indivisible dedevenirs, pour calquer une expression de Bergson.. La posi!

tion de Saussure est bien inverse de celle de Durkheim.Loin que le « principe de continuité » veuille dire que c’estla mêmechose qui se perpétue à travers le temps et sous desformes diverses, il signifie précisément qu’il faut renoncer àtraiter la langue comme unechose : « Il y a bien succession,

mais non pas des choses qui se succèdent. » Si le français nevient pas du latin, mais est le latin, c’est parce que l’être dulatin n’est pas celui d’unechose : « En réalité, la langue n’estpas un être défini et délimité dans le temps » (ELG.155),doué de cette fabuleuse faculté de n’avoir rien à faire pour

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non seulement continuer d’exister, mais encore rester iden!tique à soi à travers le temps. L’identité du français et dulatin pose le problème de {’identité du latin lui-même.Qu’est-ce que cela veut dire quand on parleà' une langue,et même de l’histoire d’une langue ? Peut-on séparer unelangue et son histoire ? Peut-on dire que le latin se trans!

forme ? Ne doit-on pas plutôt dire que le latin n’est qu’unetransformation déterminée d’une autre transformationdéterminée, et cela interminablement ? Saussure semoquait lui-même d’une interprétation faible que l’onpourrait donner au principe de continuité.

v, Qu arrive-t-il quand un linguiste vient combattre l’idéeerronée que la langue latine aurait un jourenfanté le français ?

Mon Dieu, on abonde en son sens, on convient que c’est uneconception absurde, on sait que partout et toujoursnatura non facitsaltus, on est parfaitement convaincu qu’une transition trèslente a dû s’accomplirentre les deux langues —remarquons ceterme\ -, et après cela, est-on plus avancé qu’auparavant?Nullement, parce qu’on persiste opiniâtrement à se figurer qu’ily a préalablement deux termes reliés il est vrai par une transitioninsensible, mais constituant toujours deux termes, deuxlangues, deux êtres, deux entités, deux organismes, deuxprincipes, deux notions, deux lois différentes. «(ELG.164). Saussure récuse à nouveau les interprétations « méta!

physiques » : il ne s’agît pas d ’une thèse générale sur tou t cequi existe («naturel non facitsaltu s»), mais d’un diagnosticd’une singularité de la langue et des systèmes de signes. Si le

français est le latin, ce n’est pas parce qu’il faudrait rectifiernos périodisations, et englober le français et le latin dans unseul bloc temporel, pour les considérer plutôtcomme deuxmoments dans la vie d’une seule chose que comme deux

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choses séparées, mais bien parce qu il n y a jamais de sens àvouloir totaliser sous un seul chef une période de tempsdonnée, comme si c’était une seule et même chose qui seperpétuait à travers des formes différentes. Pas plus que lelatin et le français ne son t des choses, pas plus ne sont-ils lesétats momentanés d’une chose plus ancienne et plus large,fut-elle infiniment large et infinimen t ancienne. En ce senson ne peut pas vraiment comparer le français et le latin àdeux portraits distants de cet original russe nomméBoguslawski, que Saussure mentionne de manière plaisantedans ses conférences inaugurales :

« Un original russe nommé Boguslawski a dernièrementfait annoncer dans une ville de Russie l’ouverture d’une expo!

sition d’un genre nouveau : c’étaient simplement 480 portraitsphotographiques représentant cous la même personne, lai,Boguslawski, et identiquement dans la même pose [une foistous les quinze jours]. (. ..) Je n ai pas besoin de vous dire que,si dans cette exposition on prenait sur la paroi deux photogra!

phies contiguës quelconques, on avait le même Boguslawski,mais si l’on prenait le n° 480 et le nD 1 on avait deux

Boguslawski. » (ELG.156).Alors que toutes sont des photographiesde

Boguslawski, le français et le latin pris à un moment donnéne sont des états d’aucune langue substantielle qui fourniraitun critère externe de leur identité. Ils sont non pas la répéti!

tion d’une mêmechose, mais unesérie de répétitions. Il seraitplus juste de comparer la situation de la langue à une pho!

tocopieuse qui reprendrait chaque photocopie du précédenttirage pour en faire un nouveau à partir d’elle, mais qui àchaque photocopie s’écarterait légèrement de la précédentesous un rapport ou sous un autre. On ne pourrait rectifier

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son mécanisme dans la mesure où l’on ne dispose pas demodèle originel, chaque copie étant tirée pour être aussitôtrelancée dans le mouvement de la reproduction, aucune nevalant jamais que comme modèle pour une suivante, desorte que l’on ne peut jamais avoirdev ant soi les images quel’on vient de tirer : c est toujours déjà trop tard, à peine a-t-onle temps de s’apercevoir que la série des répétitions estinfidèle que de nouveaux tirages ont déjà eu lieu. De même,ce qui se répète à travers la langue, c’est la différence ou leléger décalage qui est au principe même de la copie. Tout leproblème théorique de la sémiologie revient à comprendrepour quelle raison larépétition interminable sans com!mencement ni fin que constitue la vie d’une langue s’écarte

si fatalement de chaque état.Le principe de continuité signifie donc que l’on nepeur séparer la langue d’aucun de ses états, et c’est en ce sensqu’on peut légitimement dire qu’une langueest ce qu’elle devient à chaque fois. Ne disons pas que la langue a unehistoire, mais que toute langue est une histoire, et même ilfaudrait dire, nous allons le voir, un nœud d’histoireshétérogènes. On reconnaît sans doute ici un problème queDeleuze avait essayé de soulever : on ne peut attribuer {’êtreaux événements, en ne les considérant, à la manièred’Aristote, que comme des accidents pouvant survenir à unesubstance : il faut admettre qu’il y a un être de l’événementpour lui-même, un être du devenir en tant que tel qui ne se

réduit pas à lamodification de quelque chose. La langue neva pas d’équilibre en équilibre, mais de devenirs en devenirs :« Il n’y a jamais de caractère permanen ts, m ais seulement

transitoires et de plus délimités dans le temps ; il n y a que des

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états de langue qui sont perpétuellemen t la transition entre 1état de la veille et celui du lendemain. » (ELG.165).Ce qui existe à chaque instant, c’est unmouvement en ?;

train de se faire, une transformation en train d’advenir. On ne passe pas d’un état à un autre : un état n’est jamais qu’unpassage. La langue n’est pas quelque chose qu’on passe degénération en génération ; elle est plutôtce qui se passe àchaque instant, ce qui fait la singularité du momentprésent, ce qu’il a d’irrépétable précisément du fait mêmequ’il n’est qu’unévénement dans une histoire, et doncquelque chose quidiffère de son propre passé, sans que l’onpuisse cependan t assigner à cette différence des limites pré-cises. Ce qui résulte de la systématisation, c’est précisément

ce que nous devons appeler unévénement. C’est parce quela langue est un produit de la systématisation quelle estradicalement événementielle.

Mais alors le principe de continuité se confond avecun autre principe, celui de transformation.

« C ’est par le fait m ême que les signes se con tin uent qu’ilsarrivent à s’altérer. » (ELG.329).C’est pour la même raison que nous ne pouvons

jam ais que parler la langue que l’on reçoit en héritage, etque l’on ne cesse de transformer cette langue —pour lamême raison qu’elle est contrainte et imprévisible.

« Nous arrivons ainsi au second principe de valeur uni!

verselle comme le premier, don t la possession peu t faire connaître

ce qu’est l’histoire des langues : c’est le poin t de vue dumouve- ment de la langue dans le temps, mais d'un mouvement qui àaucun moment,car tout est là, n’arrive à être en conflit avec lepremier principe de l’unité de la langue dans le temps. Il y atransformation, et toujours et encoretransformation , mais il n’y

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a nulle pan reproduction ou production d’un être linguistiquenouveau, ayant une existence distincte de ce qui l’a précédé etde ce qui l’a suivi. (...)

Ces deux principes de la continuité et de la mutabilité de lalangue se trouvent, loin d’être contradictoires, dans une corréla!

tion si étroite et si évidente, qu’aussitôt que nous sommes tentésde méconnaître l’un, nous faisons injure à l’autre du mêmecoup, et inévitablement, sans y penser. Quicon que cède à la pre!

mière illusion pour se représenter le français comme quelquechose d’immobile, à l’heure qu’il est ou à un moment quelconque,arrive forcément à n e rien comprendre à ce qui s’esr passévers lapériode entre l’an 500 et 900 : alors il suppose un saut (...)• Demême s’il commence par supprimer l’idée decontinuité, en ima!ginant qu’un jou r le français sort it comm e Minerve du cerveau duJupiter armé de toutes pièces sur des flancs de la langue latine, iltombe régulièrement dans le sophisme de X immobilité \ il supposenaturellement qu’entre deux de ses sauts imaginaires la langue estdans un état d’équilibre et de repos, ou au moins d’équilibreopposable à ces sauts, tandis qu’il n’y a jamais en réalité un équi!

libre, un poin t permanent stable dans aucun langage. Nous posonsdonc le principe de la transformation incessante des langues

comme absolu. Le cas d’un idiome qui se trouverait en état d’im!mobilité et d e repos ne se présente pas. » (ELG.157-158).S’il n’y a pas de contradiction entre les deux principes,

c’est qu’ils relèvent tous deux de la même circonstance : unelangue devient toujours autre qu’elle-même parce qu’ellen’est, à chaque moment, qu’une altération singulière. Lechangement n’est pas un effet circonstanciel de ce que lalangue est plongée dans le temps comme dans ce milieu uni!

versel qui vient sans cesse corrompre l’identité des chosespour les transformer ou les abolir, mais une caractéristiquede sonessence.

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» Com m e on le voie, au fon d l’incapacité à maintenir une

identité certaine ne doit pas être mise sur le compte des effetsdu Temps - c’est là l’erreur centrale [barré] remarquable de ceuxqui s’occupent des signes - , mais est déposée d ’avance dans laconstitution même de l’être que l’on choyé et observe commeun organisme, alors qu’il n’est que le fantôme obtenu par lacombinaison fuyante de 2 ou 3 idées. » (Ms. fr. 3958/8,22).En parlant ici de « ceux qui s’occupent des signes »,

Saussure fait allusion au « point de vue des linguistes » (paropposition à celui des philosophes), et en particulier auxnéogrammairiens, qui voulaient chercher dans le fait que lelangage a une face « phonique », donc réelle, l’explicationdu fait qu’elle subisse, comme toutes les choses matérielles, leseffets du temps. Saussure renverse la proposition : le langageest soumis au temps non parce qu’il appartient aux chosesmatérielles, mais au contraire parce qu’il est un mode d’êtrespirituel original. C’est l’ontologie du signe qu’il fautexpliciter si l’on veut comprendre pourquoi les langues ontune histoire, pourquoi elles sont livrées au temps. Si doncla célèbre distinction de Heidegger a un sens, c’est bien

pour la langue qu’il faut l’employer : la langue est non pash istorique, mais historíale. La langue a une histoire parcequ elle est essentiellement en devenir, voilà ce que signifiele principe de continuité.

« Le premier aspect sous lequel doit être envisagée l’idéed’Histoire quand il s’agit de la langue - ou la première chose quifait que la langue a une histoire, c’est le fait fondamental de sacontinuité dans le temps. » (ELG.151)-Mais alors que Heidegger voulait par là récuser la

possibilité de faire de son Dasein l’objet d’une science, etplaider en revanche pour une conception « desúnale » de

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l’histoire, dans laquelle l’histoire est toujours interpellationet responsabilité spirituelle envers son propre passé, ici aucontraire, la thèse d’une ontologie historique, loin d’êtreincompatible avec l’idée d’une science des usages, s’y adossepour en préciser les enjeux philosophiques.

Saussure tente de serrer « de plus près ce qui estcontenu dans le mot Histoire appliqué à la langue », en

distinguant le « point de vue de la Langue dans l\Histoire »,et le point de vue de «l ’histoire de la langue ». « Tout dansla langue est h istorique » (ELG.149), parce qu elle ne setrouve pas dans l’Histoire, mais a une histoire propre.

« C’est que toute langue a en elle-même une histoire quise déroule perpétuellement, qui est Faite d’une successiond’événementslinguistiques, lesquels n’ont point eu de retentisse!

ment au-dehors et n’ont jamais été inscrits par le célèbre burinde l’histoire ; de même qu’à leur tour, ils sont complètementindépendan ts en général de ce qui se passe au-dehors. »(ELG.150).Le temps nest pas un temps extérieur à la langue, c’est

le temps de la langue elle-même. C’est pourquoi il vautmieux ne dire ni quelle est dans l’Histoire,ni quelle a unehistoire, mais bien qu’elleest histoire. Ces événements sontd’une nature particulière cependant : ils ne font pas l’objetd’un récit, ils ne sont pas visibles. Leur caractéristique prin!

cipale, un peu à la manière des grands événements selonNietzsche, est d’êtreimperceptibles. L’idée que la langue estobjet d’histoire change le concept même d’histoire : l’histoirenest plus un récit, mais unereconstruction. Le but de l’his!

toire n est pas de confronter les témoignages pour établir lesfaits, mais bien de pouvoir dégager l’événement, dire objec!

tivement ce qui est arrivé, ce qui a changé.

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Saussure qualifiait de « faux, radicalement faux, etdangereusement faux,d u point de vue de toutes les concep!tions qui s’ensuivent » (ELG.152) le glissement par lequel,immanquablement, on finit par se représenter le change!

ment linguistique comme un passage d’unechose à uneautre : une difficulté d’ordre philosophique, et plus fonda!mentalementontologique, grève bien le projet théorique defaire une science de la langue. La difficulté à penser l'his!

toricité fondamentale du langage tient à la difficulté àpenser un être à l’essence duquel il appartient de varier. Latâche imminen te de la « linguistique générale » selonSaussure, c’est-à-dire de toute tentative pour dégagerquelque chose de général à partir des résultats de la linguis!

tique historique duXIXesiècle, est d’expliquerce que doit être en général une langue pour rendre compte de ce phénomènesi singulier : qu’à force de parler « une langue », on finissepar en parler « une autre ». Commen t se fait-il que ce soit lamême chose qui permette que l’on se comprenne et quientraîne finalement que l’on ne se comprenne plus ? C’est à

cette question que Saussure apporte la réponse suivante :c’est que la langueest faite de signes. Mais avant d’y revenir,il faut relever une objection possible, et prolonger ce quenous venons de dire sur l’originalitéontologique de la langue.

2. L’ ë t r e d u m u l t i p l e

Un lecteur attentif de Saussure objectera peut-êtrequ’en réalité, si la langue s’avère essentiellement historique,c’est, selon Saussure lui-même, parce quelle est sociale :

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« En effet la langue est tout le temps solidaire du passé,c est ce qui Sui ôte sa liberté, et elle ne le serait pas si elle n’étaitpas sociale. »(E.1.164.1233-3C,317 ; IC310).

Saussure fait dépendre la continuité de la langue deson caractère social. La langue ri est une « réalité historique »que parce quelle est d’abord et avant tout une « réalitésociale ». On semble donc dans une sorte de cercle vicieux,

en tout cas il paraît impossible de réduire le problèmesociologique à celui d’une ontologie de l’histoire, puisquecette dernière a précisément le fait social comme condition.

Cependant, tout d’abord, Saussure insiste sur le faitque la socialité de la langue est uniquement unecondi tion pour son historicité. Aussi distingue-c-il sa « viabilité», quelle acquiert dès lors quelle est sociale, de sa «vie».Mais surtout, si la socialité de la langue est une conditionpour son historicité, donc pour sa réalité, c’est parce que lefait d’être social l’arrache à la forme de l’unité : en tan t quefait social, une langue riest pasîtne mais au contraire intrin!

sèquementmidtiple. Si le fait d’être social est une conditionde viabilité poux la langue, c’est parce que seuls des êtres

essentiellement multiples sont des êtres essentiellement endevenir. De nouveau, on songe à Bergson : pour lui aussi lesétats de conscience ne pouvaient être des « changements ensoi » que parce qu’ils appartenaient à la « multiplicitévirtuelle » de la mémoire...

Saussure n’emploie à peu près jamais le terme desociété et parle en générai de lamasse sociale : c’est la « masseparlante » qui est la condition de l’existence de la langue :« Pour qu’il y ait langue, il faut qu’il y ait masse parlante seservant de la langue. » (ELG.334 ; CLG.l 12). Le propre de

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la masse esc de n’avoir pas d’identité ni d’unité, pas de limitesfixes qui permettent de tracer un espace à l’intérieur duquelse construirait une quelconque forme d’identité sociale.C’est à ce titre que Saussure refuse le caractère de masse àl’espéranto :

«( Ce n’est pas une masse compacte qui se sert de l’espéranto,mais des groupes distincts disséminés parfaitement conscients,

qui n’ont pas appris cette langue comme une langue naturelle. »(E. 1.170.1273.3C,322 ; IC313).Aussi considère-t-il que l’espéranto n’est pas encore'

« devenu social » (idem) : la socialité n est donc pas le faitd’être utilisé par un groupe comme moyen de communi!

cation - et encore moins comme signe de reconnaissanceou d’identification —3 mais plutôt le fait quel ’on ne puisse délim iter précisément le groupe des sujets parlan t une langue.

« ( .. .) nous constatons que la langue est une chose don t seservent tous les individus, tous les jours, toute la durée de la

journée. Ce fait fait de la langue une institution non comparableàd’autres : code civil, religion très formaliste. Le degré de révolu!

tion radicale est ainsi diminué dans une très grande proport ion. »

(E. 1.163.1226 .3C,315 ; IC308-309 ; cf. ELG.330).

« Aucune autre institu tion ne concerne tous les individusà tous les instants ; aucune autre n’est livrée à tous de manièreque chacun y ait sa par t et n aturellemen t son influence. »(E.1.45.273.3C.15 ; IC.191).C’est donc au sens où chacun a une prise également

directe sur la langue, que la langue est de masse. Être demasse fait de la langue une réalité acentrée et non totalisable.Une masse définit un lieu d’interactions généralisées et nonhiérarchisées : chaque sujet parlant infléchit sur tous les

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autres. Il ne s’agit donc pas tant d’un critère quantitatif quequalitatif.

C’est assurément parce qu’elle n’est pas centralisablequ’elle n’est pas contrôlable —donc parce qu’elle est demasse qu’elle échappe à toute forme de volonté, autrementdit quelle estréelle. Mais, à l’inverse de la représentationcollective durkheimienne, c’est précisément parce quelle ne

saurait êtreséparée de la masse parlante que la langue luiéchappe. Les formules employées par Saussure sont parti!

culièrement nettes : la langue est « une conventionrépandue dans une collectivité», « maniée par une masse sociale »(E.1.164.1231) ; le « symbole » n’est « symbole » que s’il est« versé dans une masse sociale qui en fixe à chaque instantla valeur», « lancé dans la circulation » (Ms. fr. 3958/4,1),etc. J. Fehr insiste à juste titre sur l’importance du thème dela circulation dans la définition même du signe : « Les“ mots de la langue ” n’existent que pour autant qu’ils cir!

culent, qu’ils sont p ris dans le jeu des échanges. »(Fehr.1997.97). Loin que le signe soit placédevant l’assem!

blée ou au centre, lui renvoyant l’image de son unité, il nesaurait avoir de place assignable, il n’est jamais ni ici ni là-bas,mais entre nous, par nature en train decirculer, dispersé dansune collectivité. C ’est donc parce que le signe linguistique estimmanent à ce que Saussure appelle « masse » sociale qu’ilest social : comme l’ont fort justement écrit les éditeurs, lalangue « fait corps avec la vie de la masse sociale »

(CLG.107). La réalité de la langue est de masse, parce quela masse est précisément le lieu d’une sorte de circulation àvitesse infinie, chaque variation sur un point de la masseétant susceptible d’infléchir toutes les autres, sans que

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jamais cette réciprocité, cette immixtion permanente, nedonne lieu à une réalité nouvelle,suigeneris, qui s’imposeraiten retour à ceux qui la partagent.

« En second lieu, le contrat primitif, k convention de départest ce qu’il y a de moins important : là n’est pas le fond des faitsrelatifs à un système sémiologique. En effet, quand un systèmesémiologique devient le bien d’une communauté, il est vain de

vouloir l’appréder h ors de ce qui résultera pou r lui de ce caractèrecollectif et il est suffisant pou r avoir son essence d’examiner ce qu’ilest vis-à-vis de la collectivité. Nous disons qu’il cesse de pouvoirêtre apprécié selon un caractère interne ou immédiat parce que,dès ce moment, rien ne garantit plus que ce soit une raison [sem!

blable à notre raison] individuelle qui gouverne le rapport dusigne et de l’idée. A priori, nous ne savons pas quelles forces vontêtre mêlées à la vie du système de signes (système sémiologique =vaisseau non pas en chantier, mais sur la mer : on ne peut déter!

miner sa course a priori <par la forme de sa coque, etc.>). Et ilsuffit de considérer la langue com me quelque chose de collectif, desocial : il n’y a que le vaisseau sur mer qui soit un objet à étudierdans l’espèce vaisseau. Ce n’est donc que ce système de la commu!

nauté qui mérite le nom de système de signes, et qui l’est. Lescaractères antérieurs à cette venue dans la collectivité, c’est-à-direles éléments purement individuels, sont sans importance. Le sys!

tème de signes est fait pour la collecdvité, comme le vaisseau estfeit pour 1a mer. » (E.1.170-171-1276.2R.23 ; G.25-24).Le manuscrit retrouvé correspondant à cette leçon

montre de manière encore plus nette que le fait d ’être social

signifie que la langue n’est pas une chose donnée, mais unechose à la détermination de laquelle participe sans cesse unefouie de forces hétérogènes.

« Lequel est vrai du vaisseau sous un toit dans la main desarchitectes, ou du vaisseau sur mer ? Assurément il n’y a que le

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vaisseau sur mer qui soie in structif pou r ce qu’est un vaisseau, etajoutons-le, qui soit même un vaisseau, un objet proprementoffert à l’étude com me vaisseau. » (ELG.289).Étudier une langue c’est donc étudier une chose à

l’essence de laquelle il appartient d’être ballottée par lescourants sociaux, d’être incessamment l’objet des « forcessociales ». Elle ne « tombe » pas dans la vie sociale ; elle estun « être pour la masse », comme le vaisseau est un « êtrepour la mer ». Elle est nécessairementen usage. Les valeurssont bience qui ¿échange, ou plus exactement ce qui sedéfinit dans l’échange même, c’est-à-dire ce qui n’a d’autreidentité que celle qui résulte à chaque instant du mouve!

ment essentiellement instable de l’échange. Saussure refusedonc la séparation, que faisait par exemple Humboldt,entre F« anatomie » de 1’« organisme » d’une langue et sa« physiologie » : les « unités vivantes » de la langue ne sontautres que celles qui sont offertes à la variation. Si la langueest collective, ce riest pas parce que nous partagerions lamême langue avec d’autres, mais parce qu’il est de la nature

de la langue de pouvoir être autre. Elle donne lieu toujoursà deux poin ts de vue.

Cela peut paraître excessivement spéculatif. Mais il setrouve que, du point de vue méthodologique, les consé!

quences sont décisives : étudier une langue comme produitsocial synchronique, ce n’est pas faire abstraction des

variations dialectales afin de supposer idéalement unelangue moyennement identique (bien que nous sachionsqu elle ne l’est jamais tout à fait), mais au contraire étudierle « fractionnement dialectal ». Il est de l’essence de l’objetdu linguiste d’être toujours une version d’autre chose,

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qui est elle-même une autre version, sans qu’il y ait rien jamais sous ces versions.« Ainsi se fait que n ous ne surprenons, on peu t le dire,

nulle parc une langue qui nous apparaisse comme géographique!

men t une et identique ; tout idiome que l’on peu t citer n’estgénéralementqu ’une des m ultiples form es géographiques souslesquelles se présente le même parler dans une région un peu

étendue. Partout nous constatons le fractionnement dialectal. »(ELG.167).Si la langue change à mesure qu'on s'en sert, cest que ce

dont on se sert est intrinsèquement multiple. C ’est en ce sensqu’il faut comprendre la thèse sur le caractère originellemenmultiple et non unifié de l’indo-européen.

« C ’est l’erreur qu ’on t com mise les premiers indo-européanistes. Placés devant une grande famille de languesdevenues très différentes, ils n’ont pas pensé que cela pû t s’êtreproduit autrement que par fractionnement géographique.L'imagination se représente plus facilement des langues dis!

tinctes dans des lieux séparés (...). On ne revint que fort tardde cette erreur ; (...) des différenciations dialectales ont pu et

dû se produire avanc que les nations se soient répandues dansdes directions divergences. » (CLG.286-287).La première représentation du devenir des langues

supposait une unité dans l’origine, et une différenciationprogressive par divergence. Dans les notes préparatrices surce sujet, on trouve des schémas parfaitement explicites :

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« Cet exemple prouve une seule chose, c’esc que notreesprit aime les représentations qui peuvent se traduirevisuellem ent : voici deux langues différentes d ’un e précé!

dente, eh bien, nous allons colloquer la première ici, puisfaire partir des ballons qui transportent l’indo-européenailleurs, et expliquen t soi-disant qu ’il ne soit plus iden tique àlui-même par le fait de la séparation géographique. C’était

une conception tout à fait enfantine. » (ELG.324).En effet, Saussure oppose à cette théorie celle du« fractionnement sur place », qu’il représente, là encore trèssignificativement, de la manière suivante :

Il commente ainsi ce schéma :« Les différences étaient déjà dessinées par fractionnement

sur place <dialectal>, puis a eu lieu l’extension territoriale. Leprincipal processus de la diversité à l’époque historique étaitdon c le fractionnemen t sur place. » (E.1.475.3059.2R, 172).La multiplicité est daml ’origine, l’indo-européen est

d’emblée une bouillie de langues, et cest pour cette raisonqu’il donnera lieu à des langues différentes. Si la langue se dif !

férencie dans le temps, c’est parce qu’elle n’existe d’embléeque comme multiplicité dans l’espace. Saussure entend cette

multiplicité originelle au sens géographique, mais on peut trèsbien l’entendre au senssocial du terme (au sens où, dans unegrande ville par exemple, les « milieux » sociaux qui formentle tissu à l’intérieur duquel circulent les valeurs ne sont pas

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nécessairement superposables à la répartition proprementgéographique). Saussure précise lui-même que la réductionde la diversité sociale à une diversité géographique est uneaffaire de pure commodité : « La langue se transporte avecles hommes et l’humanité est très mouvante. Ainsi ce faitde la coexistence de langues diverses sur un même territoiren’est nullement exceptionnel. » (IC.203). La linguistiquegéographique de Saussure apparaît dès lors comme unesociolinguistique.

La diversité des langues n’est pas pour Saussure unepropriété secondaire. Elle est le « fait pr imordial »(E.l.437.2855.3C,24 ; K.196), celui par lequelle fait de langue se manifeste, à la fois pour l’expérience immédiate et

pour l’investigation scientifique :« Cet te diversité géograph ique est le premier fait qui

s’impose soit au linguiste soit en général à quiconque. »(E.1.436.2S48.N 23 .1.2 ; IC200).D ’une part, le fait que nous ne parlions pas tous la

même langue met seul en évidence le fait qu’on a besoind’une langue en général pour parler, et permet aux sujetsparlants de faire l’expérience du fait linguistique :

« C’est par là qu’on peut dire que tout peuple prendconscience de son idiome. » (E. 1.436.2848.3C.21 ; K.195).D ’autre part, la diversité est une condition de son

objectivation scientifique : c’est en comparant les langues quise trouvent parlées sur la terre que l’on pourra émettre des

hypothèses quant aux conditions générales qui permettent àune langue de se constituer.« Il n’y a eu de linguistique que lorsque l’attention s’est

portée sur cette diversité qui a donné lieu de plus en plus à lacom paraison et de progrès en progrès à L’idée générale d’unelinguistique. » (K.196).

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C’est la raison pour laquelle Saussure pouvait écrireque la « réalité concrète » n’est pas une langue, mais lapluralité des langues.

« Après avoir assigné ce caractère à la langue d’être unproduit social que la linguistique doit étudier, ii faut ajouterque le langage de l’ensemble de l’humanité se manifeste parune diversité de langues infinie : la langue est le produit d'une

société, mais les différentes sociétés n’ont pas la même langue.D ’où vient cette diversité ? Tan tôt c’est une diversité relative,tantôt c’est une diversité absolue, mais encore nous avons trouvél’objet concret dans ce produit que l’on peut supposer déposédans le cerveau de chacun. Mais ce produit, suivant qu’on seplace à tel endroit du globe, est différent.

La chose donnée, ce n’est pas seulement la langue mais les

langues, et le linguiste est dans l’impossibilité d’étudier autrechose au début que la diversité des langues. Il doit étudierd’abord les langues, le plus possible de langues, il doit étendreson horizon autant qu’il le peut. (...) Les langues c’est l’objetconcret qui s'offre sur la surface du globe au linguiste ; lalangue, c’est le titre qu ’on peu t donner à ce que le linguiste aurasu tirer de général de l’ensemble de ses observat ions à travers le

temps et à travers l’espace. » (E. 1.65.42.7-3C, 18 ; ICI94).La pluralité des langues n’est pas seulement une

condition épistémologique d’expérience et d’objectiva-tion du fait linguistique comme tel : elle est aussi unecondition d’essence : notre langue n’est réelle que parcequelle est à la fois une langue parmi d’autres, et unelangue qui n’est pas « une ».

« Mais il n y a pasune langue pourla société. (...) Il n’y apas un seul idiom e qui ne soit géographiquement divisé. »(E.1.28.143.2B.4).Saussure ajoute ainsi au principe de continuité

historique, le principe de la « continuité géographique »

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(CLG.288; K.2 11) . On peut dire que le français est l’italien,comme on a pu dire qu’il est le latin. Toute langue, paressence, est undialecte, au sens où un dialecte est unemanière parm i d ’autres de parler la même langue : « Il y aentre les dialectes et les langues une différence de quantiténon de n ature1. » (CLG.264). Cette expression doit cepen!

dan t immédiatement être précisée : car un dialecte n’est pasun dialecte relativement à une langue qui constituerait uneunité supérieure, mais précisément localement, comme unetransformation dim autre dialecte, qui lui-même peut être latransformation d’un autre, etc. :

« Un dialecte quelcon que est la transition entre deuxautres. » (E.1.462.2995.3C,58).

Les dialectes se rapportent les uns aux autres locale!ment, par des séries de transformations ouvertes, et non paspar unedérivation à partir d’une unité linguistique communeà tous (nous retomberions sur le schéma « enfantin » des« premiers indo-européanistes »). Ils constituent plutôt desséries que desensembles : deux parlers A et B peuvent être

considérés comme deux formes d’une même langue, ausens où les locuteurs, bien que parlant de manières dif !

férentes, se comprennent approximativement ; de même leslocuteurs de B peuvent comprendre des locuteurs parlantun dialecte C qu i est une variante de B sous d’autres axes etselon d’autres dimensions ;m ais les locuteurs de A et de C

peuven t très bien être incapables de se comprendre.« Un voyageur allant d’une extrémité à l’autre, mettant

chaque jour au point son dialecte, ne rencontrerait que defaibles modification s sur sa route et passerait- insensiblementdan s la langue qu ’il ne com pr en dr ait plus. » (E. 1.456.2964.3Q50 ; IC215 ; cf. CLG.275).

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Le processus dialectal esc ouvert et multidimen-sionnel, puisqu’un dialecte peut appartenir à des sériesdialectaleshé térogènes. Ces dialectes constituent bien enun sens un espace commun, cependant cela n impliqueen rien une unité englobante.

« Il riy a que des dialectes ouverts, formés par la sommedes ondes auxquels ils participent, il ne peut y avoir de langues

fermées. » (E.l.462.2994.3C.59).C’est en ce sens qu’il faut entendre la thèse selon

laquelle une langue est essentiellement « en circulation », etpar là délestée de toute identité. Un e langue est multiple endeux sens : au sens où elle est ce qui permet à deux manièresde parler de se considérer comme desvariantes l’une de

l’autre (mais non comme des cas particuliers d’une languesupérieure), et au sens où elle n’est jamais elle-même qu’unevariante dans un autre système de variantes. Une multiplicitéest une variante dans un ensemble de variantes hétérogènes,c’est-à-dire quelle se trouve forcément à l’intersection de

plusieurs systèmes de variation. Si la langue est un instru!

ment de communication, ce n’est pas au sens où elle per!

met aux membres d’une communauté homogène de secomprendre les uns les autres, mais au contraire parcequ’elle permet que nouscomprenions des locuteurs qui ne se comprennent pas entre etix. Un espace linguistique est consti!

tué non pas par une totalisation des pratiques langagièressous l’unité d’une « Langue» majeure, mais par cesréseaux dialectaux qui permettent des circulations au sein même del’hétérogène, et donc une variabilité constante des fron!

tières. Une langue est une synthèse de dialecteshétérogènes : hétérogènes au sens où ils appartiennent

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virtuellement à d’autres langues,c est-à-dire à d’autressystèmes de transformations, eux-mêmes composés ddialectes hétérogènes, etc.

Il faut être attentif à ne pas confondre deux chosesd’une part le fait que Sa:ussure dise que ladescription des« caractères dialectaux » le lon g de leurs « lignes d’isoglossappartient à la linguistique externe, c’est-à-dire queln’atteint pas à la description desystèmes linguistiques; etd’autre part le fait qu’il appartienne de manièreinterne àtoute langue d’être dans un champ dialectal ouvert, d’êt« essentiellement transitoire », sans cependant quelle pui

jamais englober les dialectes (entre lesquels elle advient),ceux-ci étant transitoires aussi à d’autres égards. De mêmles facteurs qui commandent les processus de dialectalisatisont des facteurssociaux, et non linguistiques :

« En toute masse humaine, il y aura l’action simultanée ddeux facteurs incessants, allant à fin contraire l’un de l’autre1°) la force du clocher et 2°) la force de l’intercourse, decomm un ications, d u commerce entre h om m es.» (E. 1.463009.3C.63 ; K.232).Cependant, il est de l’essence de la langue d’êtr

livrée aux effets de ces facteurs, à ce qui résultera de manière don t ces « forces sociales » (E .l.174.1299.3C,32IC.316) se composenc. Être de masse pour la langue, c’edonc être d’emblée cette chose qui, précisément parcqu’elle est essentiellement « divisée » dialectaiement, etout entière livrée aux effets du « commerce » des hommeelle ne peut pasêtres ans que d’autres langues soient, et sansêtre, surtout, identique à un ensemble de languehétérogènes entre elles. Être sociale, pour la langue, n’es

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donc pas être parlée par une communauté homogène, maisau contraire être livrée à l’action de forces socialeshétérogènes. L’unité d’une langue n’est jamais pleine niassurée, et c’est la raison pour laquelle la langue est un« milieu » où se font sentir immédiatement et en permanenceles effets des circulations des êtres humains.

On voit donc bien que la thèse selon laquelle la« nature sociale » de la langue est une condition pour quellesoit essentiellement transformable ne rectifie en rien lesconclusions que nous pouvions tirer à la lecture des textesconcernant l’historicité de la langue, mais au contraire lesrenforce et les radicalise : la variabilité des langues signifieque les langues sont des réalités intrinsèquement en variation

aussi bien diachroniquement que synchroniquement. Lalangue est essentiellement historique parce qu’elle est essen!

tiellement dialectale. En termes bergsoniens, on dirait :essentiellement en devenir parce qu’essentiellement mul!

tiple. Le concept de langue doit permettre de penseïquelque chose à l’essence de quoi il appartient de varierReste à voir en quel sens la définition de la langue commcsystème de signes permet de le faire.

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CH APITRE IIIL’ESPRIT OBJECTIF

Le problème ontologique don t Saussure fait le cœurde sa réflexion sur le langage découle de cette découverte dela double continuité des langues, comme si une observation

minutieuse de la complexité des phénomènes du langageavait amené à rendre problématique le statut de l’objet quel’on observe. Le mouvement qui soutient l’ensemble de ladémarche de Saussure est un recul, à partir de la constatationdu caractère intégralement social et historique de toutelangue, du f aitàe. la variation des langues, vers une interro!

gation surY essence de la langue. C’est de cette manière queSaussure interprète le problème d’une « linguistiquegénérale ». Alors que les projets de linguistique généralecontemporains de Saussure tentaient de dégager des loisd’évolution communes à toutes les langues (par exemple

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chez Meillet), il s’agit pour lui de construire unconcept de langue qui permette de comprendre ce quest cet objet quiexiste pour autant qui! est une multiplicité en devenir.Expliquer ce que doit être une langue en général pourquelle ne puisse être jamais une historiquement ni géo!

graphiquement, voilà ce qui définit très précisément ïa

manière dont Saussure comprend la tâche de la « linguistiquegénérale». Les langues nont rien d’autre en commun qued’être des réalités en variation continue. Telle est la raisonpoux laquelle la linguistique générale est avant tout uneconstruction duconcept de langue.

C ’est à cette condition seulement que peut se justifier1’« idéalisation des données » : celle-ci consiste à fairecomme si cétait le même devenir, le même événement quiavait lieu pendant une période de temps plus longue qu’uninstant et sur un territoire qui excède un simple point depassage entre plusieurs séries dialectales : « Il y a une part deconvention initiale indéniable à accepter en parlant d’unétat. Les limites de ce que nous appelons un état seront for!

cément imprécises. (...) Il y a des espaces de temps où lasomme des modifications survenues est presque nulle, alorsque d’autres espaces de temps moins considérables se trou!

vent d’ailleurs le théâtre d’une somme de modificationstrès importantes. », etc. (E.1.229.l673sq.3C,375 ; IC349sq. ;CLG.142). Mais faire, à la manière de Chomsky, comme

si la languen était pas en soi en variation ne consiste pasà « idéaliser les données », mais à leur tourner purementet simplement le dos. Laisser la variation comme unepropriété extérieure aux langues, quelque chose qui leurarriverait de manière plus ou moins contingente* ne pas

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nous permettre donc de comprendre comment il se fait quela langue ne peut fonctionner sans se transformer, cest renon!

cer au problème majeur de la linguistique moderne : unetelle rég re ssion au point de vue des grammaires rationnellesest en deçà des découvertes de la linguistique du XIXe siècle.

La question est donc de savoirce qui se transforme dans l’ensemble des phénomènes que l’on appelle le lan!

gage. La réponse de Saussure est connue : ce qui changedans le langage ce sont précisément lessignes. Le signe serale concept adéquat pour désigner ces entités qui, du faitmême de leur mode de détermination, sont offertes à lavariation. Mais la délimitation d’un champ de recherchessémiologiques se confondra alors avec la formulation d’unephilosophie de l’esprit originale.

1. L e c h a m p d e s s i g n e s

La continuité historique et géographique met en évi!

dence la singularité ontologique du langage. Dire de lalangue quelle existe uniquement comme réalité sociale ethistorique, c’est dire qu’elJe n’existe qu’à la condition quel’on réévalue ce que l’on entend par exister.

« Y a-t-il p arm i l’en sem ble des ch oses con n ues,quelque choie qui puisse êrre exactement comparé à lalangue ? (...) La question de savoir si la langue est un fait

social ou non est indifférente : ce riest pas ce qui peut êtredemandé pour nous, mais s’il y a, dans un règne quel!

conque, quelque chose qui par les conditions comparativesde son existence et dechangement don n e le symét rique de lalangue. » (ELG.202).

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La continuité signifie que la langue est tout ce quelledevient. Or Saussure ne rapporcait-il pas l’impossibilité dtraiter l’objet de la linguistique comme une réalité empiriquau fait qu’il n’était jamais séparable de ce qu’on lui att ribuaitDe même, on se souvient qu’un des lieux principaux où smanifestait le pr ob lème ontologique du langage était celui del’identité. Les éditeurs ont présenté ce problème à partir du

problème de l’identité « synchronique » : comment se fait-ique, quand je dis plusieurs fois « Messieurs », il s’agisse cepen!

dan t du même événement ? Mais dans les leçons, la questiode l’identité était présentée comme une quesdond o u b l eetc’était « l’identité diachronique » qui introduisait à la problé!

matique ontologique du langage. Qu’est-ce que l’identité

diachronique ? Rien d’autre que ce que Saussure appelle paailleurs la continuité, c’est-à-dire le fait quecantareez chanter sont unis par une chaîne ininterrompue de répétitions, desorte qu’à certains égards on peut dire quecantare est chanter;au sens où le français, c’est le latin.

« Il est mystérieux, le lien de cette identité diachron ique quifait que deux mots ont changé complètement (calidrn : chaud ;<germ.>aiwa : <all.> je) et qu on affirme cependant l’identité. Enquoi consiste-t-il ? Précisément ! Aussitôt nous sommes dans leprem ier problème de la langue. Non que la réponse soit aisée. »(E.1.413.2742.2R.54 *, G .51).Ce phénomène en effet se comprend par un autre

fait, qu’il permet en même temps de mettre en évidence :

c’est que l’identitésynchronique ne repose pas elle-même surdes rapports de ressemblances, sur des invariants substantielsC’est ainsi l’historicité du langage qui amène à la découvertede l’incorporéké des signes.

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« Considérons par exemple la suite de sons vocauxalka, qui, après un certain temps, en passant de bouche en bouche escdevenue ôk, et remarquons que, pour simplifier, nous nousabstenons absolument de faire intervenir la valeur significativede alka ou ôk, quoique sans elle il n’y ait pas le moindre com!

mencement d'un fait de langage proprement dit.Donc alka, moyenn ant le facteurTEMPS,se trouveôk. Au

fond, où est leLIENentre alka et ôk ? Si nous entrons dans cettevoie, et il est inflexiblement nécessaire d’y entrer, nous verronsbientôt qu’il faudra se dem ander où est leLIENentrealka et alka lui-même, et à ce momen t nous comprendron s qu’il n’y a nullepart comme fait primordial unechose qui soitalka (ni aucuneautre chose). » (ELG.201).C’est parce que l’identitéiïalka avec lui-même ne

repose pas sur des invariants substantiels, mais, comme onsait, sur des traits purement distinctifs, qu’il peut varierdans des proportions telles qu’il devient finalement mécon!

naissable. Cela ne signifie pas que l’identité diachronique etl’identité synchronique soit une seule et même chose.

» On n’explique pas l’un par l’autre. L’un a conditionnél’autre ; cela ne veut pas dire qu’il faille les traiter ensemble. (. ..)Comme on l’a dit par plaisanterie du journalisme, le point devue historique mène à tout pourvu qu’on en sorte : il montre dequel hasard dépendent les valeurs, est indispensable pour sefaire une juste idée du signe. » (E.l. 199.1500.2R.72 ; G.66).Nous sommes donc ici au cœur du problème de

Saussure, celui de l’incessante dualité de la langue dont

Saussure parlait avec des accents si mélancoliques dans sesnotes sur Whitney. Or expliquer cette dualité était pourSaussure le problème central de toute linguistique générale.Ainsi, le concept de « linguistique synchronique » sera le

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véritable défi de la linguistique générale, mais uniquementparce qu’il permet de comprendre 1t. f ait socio-historique.

Or le langage partage avec d’autres phénomènes cettevariabilité intrinsèque. Cette propriété définit le domainede la sémiologie :

« Ce sera un fait de sémiologie générale : continuité dans

le temps liée à altération dans le temps. » (E .l. 171.1277.3C,323;K.314) .« Quand on arrive aux sciences qui s’occupent de valeur,

cette distinction [entre axe des contemporanéités et axe des succes-sivités] devient une nécessité. » (E.l. 177.1321.3C,329 ; IC319).Nous l’avons vuà propos du folklore : rien de plus sem!

blable au fractionnem ent dialectal que la variabilité des usages,coutumes vestimentaires, pratiques rituellesà caractère plusou moins magiques, mais aussi petites manies, gestes de tousles jours, manières de faire, modes de décoration, etc. Lasomme de Van Gennep (1998) donne une idée de ce fraction!

nement. Si les légendes, les rites, l’écriture, la langue, le vête!

ment, etc., appartiennent tous au même domaine, ce n’est pas

parce qu’ils auraient la même fonctioit, en quelque sens qu’onl’entende (de manière « sociologique » comme une fonctionde « communication », ou au sens « psychologique » commeune fonction d’expression ou de « signification »), mais parceque tous ces phénomènes posent un même problème, indis!

solublement philosophique et théorique, qui est que ce sont des

chosesà l’essence desquelles il appartient devarier.« La légende se compose d’une série de symboles2, dansun sens à préciser.

- Ces symboles sans qu’ils s’en douten t, sont soumis auxmêmes vicissitudes et aux mêmes lois que toutes les autres séries desymboles, par exemple les symboles qui son t les mots de la langue.

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—Ils font tous partie de lasémiologie.- H n’y a aucune méthode à supposer que le symbole doive

rester fixe, ni qu’il doive varier indéfinimen t, il doit probablementvarier dans certaines limites. » (Ms. fr. 3958/4,1 ; H.367).Ce qui caractérise donc les signes selon Saussure, c’est

1) quede fait ils ne cessent de varier, 2) que cette variationcontinuelle est une conséquence de leuressence même. Si lessignes ne restent pas identiques à eux-mêmes, c’est parce quedès l’origine leur identité n’est pas « simple» : la sémiologiea pour objets ces identités'd’un genre particulier.

C’est ainsi par le même mouvement que le domaine dela sémiologie est ouvert et que le diagnostic sur le problèmeontologique du langage est réalisé : c’est dans la mesure oùl’on comprend que le langage pose un problème

philosophique que l’on pourra régler la question de sa« place » parmi les sciences, ainsi que celle de la méthode àemployer en linguistique.

« Il est vrai qu’en allant au fond des choses, on s’aperçoitdans ce domaine, comme dans le domaine parent de la linguis!

tique, que les incongruités de la pensée viennent d’une insuffisanteréflexion sur ce qu’est l'identité ou les caractères de l’identitélorsqu’il s’agit d’un être inexistant, comme lemot, ou la personne mythique; ou une lettre de l'alphabet, qui ne sont que différentesformes duSIGNE,au sens philosophique, mal aperçu il est vrai dela ph ilosophie elle-même.

Une lettre de l’alphabet, par exemple une lettre de l’al!

phabet runique germanique, ne possède par évidence, dès lecommencement, aucune autreidentité que celle qui résulte del’association :

a) d ’un e certaine valeur phonétique ;b) d’une certaine forme graphique ;

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c) par le nom ou les surn oms qui peuven t lui être donnés ;d) par sa place dans l’alphabet.Si deux ou trois de ces éléments changent, comme cela

se produit à tout moment et d’autant plus rapidement quesouven t un chan gemen t entraîne l’autre, on ne sait pluslitté !ralem ent et m atériellem ent ce qui est entendu au bout de trèspeu de temps, ou plutôt []•

L’individu graphique et de même en général l’individusémiologique n’aura pas com me l’individu organique un moyende prouver qu’il est resté le même parce qu’il repose depuis labase sur une association libre.

Comme on le voit, au fond l’incapacité à maintenir uneidentité certaine ne doit pas être mise sur le compte des effetsdu Temps—c’est là l’erreur remarquable de ceux qui s’occupent

de signes - , mais est déposée d’avance dans la constitutionmême de l’être que l’on choie et observe comme un organismealors qu’il n’est que le fantôme obtenu par la combinaisonfuyante de deux ou trois idées.

Tou t est affaire dedéfinition.(...) il faudrait bien en venir à voir, de proche en proche,

quelle est la nature fondamentale de ces êtres sur lesquels raisonne

en général la mythographie. » (Ms. fr. 3958/8,20-22 ; H.387).A ins i, c e sc dan s la m esu r e où Ton com pr en d r a qu e le

prob lème ph i losophique que pose l e l angage n ’es t au t re quece lu i d ’ un être de ce q u i devient^ d ’une chose à l ’essence delaque l le il appar t i en t d e var ie r d u fa it d e sa « n a tu r e fond a!

m en tale », q u e l ’on p ou rr a à la fo is un i fier la l in guis t iqu e e t les

disc ip l in es ph i lo logiqu es sou s u n n ou veau t i t re d an s l ’édificedes sc ien ces, e t m et t r e au p o in t u n e m éth od e e fficace. Sansqu oi , les « inco n gru i tés de la pen sée » n e .cessero n t d e greverto u t p r o je t à la fo i s th éor iqu e e t p r a t ique en ces dom ain es. Lasé m io lo gie su p p o se d o n c u n d o u b l e m o u v e m e n t : d ’u n côt é,

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des expressions plus ou moins parfaites d’un esprit subjectif,c’est-à-dire de la raison ; et l’autre, issue de la grammaire his!

torique duXIXesiècle, qui conteste que les langues puissentêtre considérées à l’aune de la raison ou de la faculté depenser en général, n’étant que des produits historiques, résul!

tant d’une évolution plus ou moins hasardeuse. Saussureintroduit ses réflexions sur la dualité de la linguistique parune présentation de ces deux traditions (cf. CLG.117-118).En intégrant la linguistique dans la sémiologie, Saussureréalise donc une double opération : d’un côté réaffirmer quele langage a un lien intime avec la pensée ; de l’autre affirmerque ce lien intime avec la pensée n’a pas été clairementaperçu tant que l’on n’a pas tenu compte de « ce facteurimprévu, absolument ignoré de la combinaison philo!

sophique,LE TEMPS» comme d’un facteur intérieur à lafonction psychologique elle-même. La définition du signepar l’association de deux termes est même un « reprocheincident » :

« Beaucoup plus grave est la seconde faute où tombenc

généralement les philosophes : 2° qu’une fois un objet désignépar un nom, c’est là un tout qui va se transmettre, sans autresph énomènes à prévoir ! Si une altération se produ it, ce n’est quedu côté du nom quelle peut être à craindre à ce qu’on suppose,

jr axintis devenant jrêne. Cependan t aussi du côté de l’idée. Voilàde quoi faire réfléchir sur le mariage d’une idée ec d’un nomquand intervient ce facteur imprévu, absolument ignoré de la

combinaison ph ilosoph ique,LE TEMPS.» (ELG.231).Les « philosophes », parce qu ils abordent le langage a

priori, ne peuvent s’apercevoir que le fait historique lui estessentiel : celui-ci en effet n’apparaît qu’à l’historien deslangues et s’oppose même aux « intuitions » que les sujets

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parlants ont quant aux conditions de la communication, quisemble naturellement reposer sur une garantie de l’identité.Aussi sommes-nous naturellement renrés par une approchefonctionnaliste du langage. Mais de ce fait, on manque lavaleurcon stituante du signe pour la pensée, alors que le faithistorique met en évidence que non seulement le « nom »,mais encore 1’« idée » est soumise à la variation. Ne pouvantintégrer la variation dans le langage lui-même, lesphilosophes ne peuvent apercevoir que le signe est commetel une pensée, et une pensée qui varie par elle-même.Aussi sont-ils toujours condamnés à penser le rapport dulangage à la pensée comme un rapport de moyen à finalité,à manquer ce que la sémiologie peut apporter de décisif à

une philosophie de l’esprit... Dès lors, la question est : enquoi la théorie de la valeur, qui est censée fournir unethéorie du mode de détermination des signes, permet-ellede comprendre que le signe soit non seulement une penséedouble, mais encore une pensée telle quelle ne puisse

jamais que devenir autre ?

2 . L e s a l é a s d e s v a l e u r s

La première raison pour laquelle le concept de valeurconvient pour saisir la variabilité des langues est que desphénomènes très différents peuvent évoquer un même signe.

« Mais parce qu'on fait intervenir l’idée du son, il ne fautpas croire qu’on ait rendu compte du phénomène. Si on sedem ande en. quoi U consiste, on voit qu’il faut sort ir de l’idée duson ! L’idée qu ’il s’agit du son est précaire en beau coup defaçons. Par exemple, dans tout changement phonétique, dans

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toute loi phonétique, est-ce le son qui change ? Non :a nedevient pase ; on n’a fait que reproduire une forme en s’en écar!

tant. Le lien d’identité est en dehors du son. C’est comme unair de musique que vous reproduisez mal : ce n’est qu’au nomde l’unité que vous pouvez juger s’il y a eu changement. »(E.1.414.24.2R,54 ; G.51).Qu est-ce qui conserve, « en dehors du son », le lien

d’identité entre deux « sons » ? Nous le savons, c’est le faitquils sont deux actualisations d’une entité définie demanière purement négative par sa posidon dans un système,c’est-à-dire par d’autres signes. C’est pour cette raison qu’ilpeut « changer dans son matériel » sans changer d’identité,mais aussi changer d’identité sans changer dans sonmatériel (lorsque les signes qu’il y a autour disparaissent parexemple). C’est donc pour la même raison qu’unphénomène linguistique ne peut être identifié comme unévénement qu’à la condition d’y voir une actualisationd’une pure possibilité, et que cette possibilité pourra donnerlieu à des actualisations substantiellement différentes. Cequi change, « l’élément soumis directement à l’action trans!

formatrice » comme on t écrit les éditeurs (CLG.248), n’estpas un son, mais bien unsigne.

Cette thèse se présente ici comme une réponse à laquestion du statut des « lois phonétiques », question qui futau cœur de tous les problèmes de la linguistique générale àla fin duXIXesiècle3. Les « lois phonétiques » désignent ces

changements dans les manières de parler qui affectent nonpas des mots mais des éléments des mots, c’est-à-dire coûtesles réalisations d’un phonème. L’exemple historiquement(et sans doute aussi conceptuellement) le plus éclairant est

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la loi de Grimm (cf. Martinet.1986.86-88). Grimm a mis enévidence une « tendance » caractéristique de l’évolution deslangues germaniques (qui comprend aussi bien l’allemandque l’anglais ou les langues scandinaves), qui permet desimplifier les étymologies des mots en les rapportant à deschangements de « lettres », c’est-à-dire des constituants dumot (dont le caractère phonédque n’est pas clairement

affirmé par Grimm). Ainsi la transformation du grec pater à l’anglais father, et à l’allemandVater n’est pas propre à cemot, mais à une « mutation consonantique » qui fait passerle P en grec, au F en gothique, puis au V en ancien hautallemand. Mieux : ce n’est pas seulement une « lettre », maistout un ensemble de « lettres » qui semblent connaître la

même transformation : P —Y —V correspond à B - P - F,à F —B - P, etc. Grimm conçoit l’ensemble de ces transfor!

mations comme obéissant à une « tendance » caractéristiquedes langues germaniques, qui se serait pour ainsi dire redou!

blée en ancien haut allemand, et qu’il décrit comme une« rotadon » qui aurait transformé les labiales en dentales,puis en gutturales4.

Immédiatement s’est posée la question de la validitéde l’usage du concept deloi à propos de ces phénomènes.Le terme de tendance indique que Grimm ne croyait pas àla régularité « absolue » de sa « mutation » : « La mutationse réalise statistiquement. » (In Auroux.2000.162). La thèsedes « néogrammairiens » se caractérisera précisément par la

volonté de leur attribuera priori une généralité absolue(.Aitsncihmslosigkeit , ou principe de l’absence d’exception),de les considérer comme des contraintes soit physiologiquessoit psychologiques, à charge pour eux d’établir que les

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« exceptions » nombreuses relèvent elles aussi de lois co!

currentes qui opèrent comme des « contraintes » sur lcontextes. L’explication, par Karl Verner, des exceptions à loi de Grimrn, par une autre loi dépendant de la positiode l’accent, fut en réalité la première « loi phonétiqueadossée à une explication articulatoire crédible, et ainsi véritable point de départ de la « querelle des lois phon!

tiques ». Dès lors, le mécanisme du langage apparaissacomme un mélange entre des contraintes mécaniques et dforces « psychologiques » qui s’exprimaient dans l’altératides manières de parler.

Ce problème a dominé toute l’épistémologie de llinguistique de la fin duXIXesiècle. Or, Saussure ne lementionne jamais que pou r le dissoudre :

« Sont-elles absolues, sans exceptions ? C’est là qu’on a vle nœud de la question ; mais il n’est pas là, il est dans la questiodes unités. » (E,1.210.1568,1571.2R,82).C’est en effet parce quon imagine que les habitude

articulatoires peuvent être isolées indépendamment de

possibilité purement oppositive qu’elles cherchent à évoququ’on crée artificiellement le problème des lois phonétiqueséparant d’un côté une masse d’« individus » correspondantoutes les performances langagières, et de l’autre la lo« générale » qui s’imposerait à eux tous comme de l’extérieu

« Il n y a pas de loi si on ne peut indiquée une quantité dfaits individuels qui s’y rattachent ; mais si on va au fond de lloi phonétique, il n’est pas dit quon ait à envisager la chosainsi. On dit : tous les mots sont frappés. On commence pafaire un e armée de m ots : on suppose que les mots son t des ind!

vidus tout faits, et on dit qu’ils sont frappés par la loi. (...Supposons qu’une corde de harpe soit faussée : il est vrai qu

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toutes les fois que dans un morceau on jou e de cette corde, ii seproduit une faute. » (E.1.21 0- 21 1.15 7U 579.2R .83 ; G.73).La multiplicité des changements que l’on constate

n’empêche pas qu’il s’agisseà*un seul et même événement. Les pseudo-lois phonétiques nous amènent donc tout droitau problème central du langage : les « unités » d’un acte delangage sont incorporelles.

La découverte de ces « lois » conduira d’ailleurs à laformulation de l’hypothèse phonologique. C’est par ellesque sera redécouvert le problème deséléments, qui avait étéau cœur de traditions vénérables, la grammaire indienne,mais aussi grecque (cf. Robins. 1967.146, et surtoutJakobson. 1973-199-201 qui mentionne la réflexion sur lestoicheion en Grèce antique). Mais, contrairement à ce queprétend Jakobson, ce n’est pas la redécouverte de « la néces!

sité d’une approche fonctionnelle des sons du langage »(1973-201) qui explique le retour du problème des élé!

ments, mais la mise en évidence, par la grammaire his!

torique, de variations à la fois générales et contingentes. Le« moment théorique » auquel appartient Saussure (tout

comme Baudouin de Courtenay, dont les phonologues serevendiqueront) est incontestablement celui dans lequel seréalise le passage des « lois phonétiques » au « phonème »,bien que l’ordre des chapitres du CLG ait incité à croireque cerre question s’était posée à partir de la redécouvertede la fonction de communication du langage. Ce n’est pasle problème abstrait de l’identité synchronique - commentle même élément peut-il se répéter identique à lui-mêmemalgré la variation de ses formes ?5 - qui amena Saussureau problème des « entités concrètes » de la langue, mais

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celui de l’identité diachronique : quel est le véritable sup!

port du changement linguistique découvert par la gram!

maire comparée ?La réponse de Saussure selon laquelle ce qui

change, dans le langage, ce sont précisément les élémentssymboliques, ne se veut pas seulement une interprétationdes changements phonétiques, mais aussi de l’autregrande modalité de la variation linguistique, les change!

ments analogiques. Qu’il s’agisse d’un changement phoné!

tique ou analogique, que ses causes soient sociologiques,physiologiques ou psychologiques, dans tous les cas lechangement linguistique n’est jamais à proprement parler latransformation d’une chose, mais toujours la substitutiond’un ternie à un autre.

«Par le fait qu’aucun élémentt î existe (...), on voitqu’aucun n élément n’est en état dese transformer ; mais qu’ilpeut seulement arriver qu’ON lui substitue autre chose, mêmequand il s’agit de “ phonétique ”, et que, par là, toute opérationgénéralement et toute la différence des opérations réside dans lanature dessu bstitutions auxquelles nous nous livrons.Qui ditsubstitution commence par supposer que le terme auquel ondonne un substitut a une existence, etc. » (ELG.266).Il faut donc dire non pas qu’un élément matériel peut

être remplacé par un autre, mais qu’il n’a d’existence qued’être remplaçable. Si la substitution est possible, c’estparce qu’un terme est défini par sa p osition dans un sys!

tème, c’est-à-dire comme quelque chose d’essentiellementsubstituable. L’identité d’un signe n’est pas « antérieure » ou« extérieure » à la répétition, il n’y a aucunmodèle du signe :le signe est d’autant plus livré à sa propre dérive qu’il n’estprécisément jamais que la répétition d’autres répétitions.

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C’est d’ailleurs ce qui faisait dire à Saussure que Ton nepouvait faire de la littérature un système de signes, dans lamesure où les pastiches de don Quichotte ont précisémentun modèle.

«Les personnalités crées par le /romancier/ le poète, nepeuvent être comparées pour une double raison - au fond deuxfois la même. Elles ne sont pas un objet lancé dans la circulation

avec abandon de l’origine : la lecture de D on Q uichotte rectifiecontinuellement ce qui arriverait à don Quichotte dès qu’on lelaisserait courir sans recours à Cervantès. Ce qui revient à direque ces créations ne passent ni par l’épreuve dutemps, ni parl’épreuve de Ja socialisation, er restent individuelles. » (Ms. fr.3958/8,22).L’absence de référence n’est pas le fait d’une sorte

d’oubli originel, mais plutôt de la « constitution mêmede l’être » qu’est le signe. Toute actualisation est la répé!

tition non pas d’une actualisation antérieure (d’unemanière de parler), mais d’un signe, c’est-à-dire d’unepossibilité virtuelle.

Mais cela ne saurait suffire. S’il y a changement lin!

guistique, ce n’est pas seulement parce qu’il y a une certainefluctuation dans les réalisations des valeurs, mais bien parceque les valeurs elles-mêmes changent. Saussure semble direque la variation est une dimension inéluctable de la réalitédu langage dans la mesure où le signe nest pas un modèleparticulier, mais une position dans un système. Mais cela

semble précisément être un argumentcontre la variabilité dessignes : si les réalisations du signe peuvent varier sans que lesigne varie, c’est donc que le signe est Xinvariantes, ces varia!tions, même si cet invariant est défini par la conservation dela corrélation d’un certain nombre de traits différentiels.

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C’est bien ainsi que l'entendra la tradition phonologique, enparlant de « variation stylistique ». Saussure lui-même disait :

« Nous pouvons nous faire une idée très sensible des loisphonétiques autrement que sur le papier. Dan s une région, onfaussera V a: on dira se ficher (pour se ficher).» (E.1.414.2749.2R.83 ; G.73).Mais précisément, les sujets parlants se comprennent

tant que cette variation des réalisations permet de main!tenir les oppositions des valeurs, de ne pas confondre lessignes, et on ne voit pas pourquoi cela cesserait... Pourtant,Saussure admet que les signes changent dans la mesure oùils n’ont plus la mêmevaleur. Plutôt que de dire que le« son » a changé ou que le « sens » a changé,

« qu an d il s’agit d’altération à t ravers le Temps, mieux vautne parler immédiatemen t que dudéplacem ent du rapport global dei terniei et<Ui mletirzw. (E.l.171.1279.3C,32,3 ; K.317).Ainsi entre[Dritteilfle tiers] de l’ancien allemand et

[Drittell\ç. tiers] de l’allemand moderne, on peut avoir lesentiment que le signifiant seul a changé. Cependant« D rit telriimplique plus le sens deTeil», et devient un seul

mot. L’organisation sérielle est donc modifiée, et avec elle lesystème des valeurs. De même, quand l’opposition \fit l\t pied] et [*j®?z/les pieds] est remplacée par l’opposit ion entre

f io t e t feet, on pourrait avoir le sentiment que c’est le mêmesystème qui s’est conservé, mais là aussi il faut dire que lesunités concrètes ont changé : ce n’est plus le suffixei mais

l'alternance qui est devenue la marque du pluriel. L’analysen’étant plus la même, c’est donc bien le système qui achangé (c£ CLG.109-110).

La contradiction est flagrante : d’un côté, Saussuresemble dire que les changements proviennent d’écarts dans

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la réalisation des signes ; de l’autre, il définit le change!

ment comme nouvelle répartition des valeurs. D ’un côté ildéfinit le changement comme transformation dusystème ;de l’autre il affirme avec constance que le changementporte toujours sur Xélément. C’est même le fondement dela séparation stricte entre linguistique synchronique etdiachronique.

« La langue esc un système. Dans tout système, on doitconsidérer l’ensemble. C’est ce qui fait le système.

O r les altérations ne se fon t jam ais sur le bloc du système,mais sur des points partiels. (...)

2° Le lien qui lie deux faits successifs ne peut avoir lemême caractère que ie lien qui lie deux faits coexistants. »(E.1.192.1447.3C 337 ; CLG.124).

C’est bien ce que lui reprocheront des générations de« structuralistes », et non des moindres. Contrairement àun préjugé persistant, il n’est pas un seul d’entre eux quin’ait affirmé —contre Saussure—que lesystème déterminelui-même ses propres transformations. Jakobson déjàdéfendait une approche téléologique du changement lin!

guistique parfaitement cohérente avec sa conceptionfonctionnaliste : les langues ayant un but et dépendantde ce à quoi elles servent (communiquer), il n’est paséton nant qu’elles se modifient en fonction de contraintesinternes. Le système a donc unedynamique\ «La muta!tion peu t être objet de recherches synchroniques au même

titre que les éléments linguistiques invariables. Ce seraitune faute grave de considérer la statique et la synchroniecomme des synonymes. La coupe statique est une fiction :ce n’est qu’un procédé scientifique de secours, ce n’est pasun mode particulier de l’être. (...)Quand notts considérons

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une im itation linguistique dans le contexte de la synchronie linguistique, nous l'introduisons dans la sphère des problèmes téléologiques. (...) Si une rupture de l’équilibre du systèmeprécède une mutation donnée, et quil résulte de cettemutation une suppression du déséquilibre, nous n’avonsaucune peine à découvrir la fonction de cette mutation :sa tâche est derétablir l ’équilibre. Cependant quand unemutation rétablit l’équilibre en un point du système, ellepeut rompre l’équilibre en d’autres points, et par suiteprovoquer la nécessité d’une nouvelle mutation. Ainsi se pro!

duit souvent toute une chaîne de mutations stabilisatrices. »(Jakobson . 1931 in Troubetzkoy. 1939.333-334). Aussipouvait-il écrire et répéter : « Nous ne suivon s pasSaussure dans son idée préconçue que l’évolutionph on ique n ’a rien à faire avec les valeurs linguistiques dessons. Saussure attribuait aux changements de sons uncaractère aveugle, fortuit, étranger au système de la langue.L’expérience nous montre au contraire que les changementsne peuvent être compris qu’en fonction du système

phonologique qui les subit.» (Jakobson.1976.62-63). Demême André Martinet a consacré plusieurs livres(1955, 1975 er 1986) à montrer qu’une approche structuralecohérente, loin d’être incompatible avec une linguistiquediachronique, permet d’expliquer les changements lin!

guistiques. Le poin t de vue « fonctionnaliste » là encore est

directement solidaire d’une approche téléologique du faitlinguistique, organisé autour du principe d’économie dansles. relations entre la première et la deuxième articulation.

Les chroniqueurs du structuralisme auraient puapprendre de la leçon inaugurale au Collège de France de

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Lévi-Strauss lui-même que la critique de l’antinomie de lasynchronie et de Ja diachronie était un signe de reconnais!

sance du mouvement structuraliste dans sa phase triomphale :« Nous ne songeons donc pas à reprendre sous sa forme pre!

mière la distinction introduite par leC ours de linguistique générale entre l’ordre synchronique et l’ordre diachronique,c’est-à-dire l’aspect même de la doctrine saussurienne dont,avec Troubetzkoy et Jakobson, le structuralisme modernes’est écarté le plus résolument; celui, aussi, à propos duqueldes documents récents montrent comment les rédacteursont pu parfois forcer et schématiser la pensée du maître. »(Lévi-Strauss.1973.26). Il faut cependant remarquer queLévi-Strauss nentend pas en réalité ce «dépassement» de

l’opposition de la synchronie et de la diachronie de lamême manière que Jakobson, et cela sans doute pour uneraison qui tient à sa profonde aversion pour tout finalisme—aversion typiquement « occidentale» aurait sans douteironisé Troubetzkoy. Sa manière de le concevoir est en faittrès proche de celle de Saussure, comme nous allons le voir.

En effet, pour Lévi-Strauss aussi le système est construit àpartir d’événements, et n’a d’autre dynamique interne quecelle de sa réfection permanente. C’est ce que la métaphoredu « bricolage » et de la « logique a posteriori » dans La Pensée sauvage affirme très explicitement : « Le propre de lapensée myth ique, comme du bricolage sur le plan pratique,est d ’élaborer des ensembles structurés, non pas directementavec d’autres ensembles structurés, mais en utilisant desrésidus et des débris d’événements :“odds and ends”, diraitl’anglais, ou, en français, des bribes et des morceaux,témoins fossiles de l’histoire d’un individu ou d’une société.

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En ce sens, le rapport encre diachronie et synchronie estdonc inversé : la pensée mythique, cette bricoleuse, élaboredes structures en agençant des événements, ou plutôt desrésidus d’événements, alors que la science, “ en marche ” duseul fait quelle s’instaure, crée, sous forme d’événements, sesmoyens et ses résultats, grâce aux structures quelle fabriquesans trêve et qui son t ses hypothèses et ses théories. » (Lévi-Strauss.1962.36). Or, ce qui caractérise la position deJakobson ou de Martinet, c’est bien l’affirmation que lechangement ne vient pas de X ex térieur du système, mais deTintérieur, autrement dit que lesystèm e génère lui-mêmeses propres événements. Ainsi, Martinet ne craint pas dereprendre le projet de reconstruction de l’indo-européen

comme d’un système dynamique évoluant à travers les âges(cf. Martinet. 1986.14). Saussure, à l’inverse, affirme d’uncôté qu’on ne peut parler d’un changement de valeur quedu poin t de vite du système, mais que les systèmes ne fontcependant qu’enregistrer des transformations ayant eu lieuau niveau des éléments. Cette double affirmation sembleassurémen t plus difficile à tenir que celle de Jakobson ou deMartinet. Est-elle contradictoire ?

Pour la comprendre, on doit se souvenir que la systé!

matisation estseconde, et que l’indépendance de la forme àl’égard des substances est toujours précaire. D’un côté lessignes ne se confondent pas avec leur substance (ainsi lavaleur d e v in e lui vient pas de ce qu’il est, mais de l’oppo!

sition à fotî) ; mais de l’autre, cette valeur est tout de mêmedépendante de la substance, dans la mesure où les sériesoppositives sont construites sur des différences qualitativeset donc substantielles. Si ces différences changent, pour une

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raison ou pour une autre (stylistique, ou physiologique, ousociologique, etc.), c’est tout l’équilibre du système qui estsusceptible d'être troublé. M ais il ne le sera que dans la mesure où intervient une interprétation, c’est-à-dire dans la mesureoù l’on créera, sur la base des nouveaux traits différentiels,une série d’oppositions qui n’existait pas auparavant, et quimodifie l’analyse des performances langagières.

Saussure donne de nombreux exemples de cephénomène. Un des plus «jolis» (comme il le qualifie lui-même) est celui dedécrépit (CLG. 119) : alors que la plupartdes francophones auraient aujourd’hui tendance à confondre« un homme décrépit » et « un mur décrépi », ces deuxadjectifs on t des origines différentes. Il s’agit là typiquement

d’un fait de valeur résultant d’uneinterprétation, qui consisteà identifier les deux termes parce qu’ils occupent la mêmeposition relative à « crépir » dans le classement que l’espritfait en prenant les différences qualitatives comme traitsdistinctifs. Elle repose si l’on veut sur une « erreur », maiscela montre quelle sorte de logique anime l’usage. Cettelogique n’est pas indépendante de laqualité des termes,parce quelle est une logique a posteriori. Or les valeursde décrépit, décrépi et crépir ont changé, puisque leurnombre a changé.

L’exemple paraîtra un peu simple. Mais la thèse deSaussure est que tous les phénomènes grammaticauxrelèvent de cette logique, les fonctions grammaticales n’étant

elles-mêmes que des super-séries entre les raisons de sériesd’oppositions. Soit l’apparition de la règle de formationdes pluriels par alternance en allemand et en anglais(cf. CLG.120). Saussure veut montrer que ce n’est pas la

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règle de formation des pluriels qui a changé, mais plutôtque les termes construits par un procédé antérieur ont étéaltérés chacun pour eux-mêmes pour des raisons phoné!

tiques : le i final change le a en e, puis perd son timbre, cequi fait queGasti devient Gesti puis Geste, et finalementGäst, ainsi que hanti devient Hände, etc. De même enanglais, f l t i devient f l t i puis f i t ou feet> ainsi que têthi devientteeth, etgôsi devientgeese, etc. Mais cest seulementla systématisation seconde, qui, comparant footet feet, placeleur opposition dans une série avectoothiteeth, gooseigeese, etc., s’appuyant sur la différencequalitative u/i, et fait del’alternance une marque du pluriel, un « mécanisme pourdésigner le pluriel ». Ce n’est don c pas la règle qui a

changé, mais le changement sémiologique qui a produitune nouvelle règle :

« Les faits diachroniques (les changements) ont-ils eu pourbue de marquer autrement le pluriel ? Est-ce l’expression du plurielqu’on a voulu changer? Nullement. » (E.1.188.1398.3C.342 ;K.333 ; CLG.121).Au lieu de l’adjonction d’un i final comme en latin,

l’opposition du singulier et du pluriel correspondra désormaisà l’alternance simple en anglais, et à l’alternance avec unevoyelle finale adoucie en allemand. Dans la mesure où cetteopposition se prolongera dans de nouvelles séries parl’analogie, on pourra dire que ces nouvelles unités sont« vivantes », que cette opposition est effectivement devenuela « règle du pluriel », bref que le système a changé.

Ne disons pas cependant que le procédé pourexprimer le pluriel a changé, comme si la notion de« pluriel » était une notion universelle : car si en l’occurrence

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la différence du pluriel et du singuliers est conservée et nouslaisse croire qu’il y a seulement changement dans les moyens,c’est tout le système du nombre qui, par une contingencepurement phonétique, peut être transformé (cf. les effetsgrammaticaux du e muet en français). Cette possibilité devoir apparaître de nouveaux procédés grammaticaux par desimples hasards phonédques est pour Saussure le meilleur

argument en faveur de ce que nous avons appelé lagrammaire concrète, c'est-à-dire de l’idée que les catégories grammati!

cales ne sont pas de pures notions logiques, mais toujours lerésultat d’une activité subconsciente, automatique, passivede systématisation de l’expérience sensible.

« Un tel tableau [diachronique] est instructif pou r connaîtrece qu’est un état. Nous voyons le caractère Fortuit de chaqueétat. C ’est un e idée fausse que nous n ous faisons que la languese présente comme un mécanisme créé en vue et selon les conceptsà exprimer ; nous voyons comme quoi l’état n’avait nullementpour destination de marquer les significations dont il s’im!

prégne ou d e les marquer selon la conven tion des termes qu’onutilise. Un état fortuit est don né et on s’en empare. Etat = étatforcuit des termes.

C’est là une notion que n’avait jamais acquise la gram!

maire traditionnelle. Rien ne sera philosophiquement plusimportant. Mais il faudra séparer soigneusement l’état desmodifications. Dans chaque état l’esprit insuffle, vivifie unem adère don née, m ais iJ n’en dispose pas librem en t. »(E .l. 189.141 l.C ,343 ; IC.333).

C’est bien parce que la valeur est établie à l’issue d’unclassement de termes qualitatifs qui ne se confondent déjàplus avec une portion substantielle puisqu’ils sont plutôtdes corrélations entre desdifférences substantielles

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hétérogènes, que le même signe peutd'abord se modifieren lui-même, c’est-à-dire dans les traits différentiels qu’ilactualise, puis finir par être interprété autrement, commeune autre valeur, dès lors qu’il sera rapproché d’autres termesqualitatifs que ceux par opposition auxquels il était défini

jusqu’alors. On a pu, pendan t un temps, diregesti au lieude gasti sans que la différence qualitative e/a puisse fonc!

tionner comme opposition de valeur, c’est-à-dire commeune marque du pluriel, à la place du i. C’est seulementlorsque le i tombe et que les oppositionsgast/geste,hant/fjente, sont mises en parallèle, que l’alternance peutapparaître, dans la conscience des sujets parlants, comme unnouveau procédé de formation du pluriel, de sorte qualors—et alors seulement —lavaleur des termes est modifiée.Cette systématisation est seconde, elle opère sur des réalitésqualitatives données, et de manière « subconsciente », quasimécanique, avec une certaine « bêtise », cette bêtise qui faitquelle s’attache aux oppositions de termes plutôt qu’auxsignifications positives : c’est d’ailleurs la raison pour laquelle

Saussure la dit «automatique», ou, ici encore, «passive6».C’est donc bien pour la même raison que le signe est variabledans ses actualisations, mais que ces variations dans lesactualisations sont susceptibles de finir par transformer lavaleur même du signe.

«La langue interprète ce quelle a reçu, pas toujours

comme elle l’a reçu. La valeur de chaque terme a changé, maisc’est avant tout une nouvelle réparat ion des unités. La substancematérielle qui entre dans chaque unité est aussi importante àconsidérer pour voir ce qui s’est passé, que la fonction qu’onattache à cette substance. » (E.1.4ll.230.2R,58 ; G.54).

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La langue est indépendante de la substance, mais rela!

tivement seulement. Il y a donc une profonde solidarité entredeux thèses majeures. La première est que le sens n’est pas unprincipe du langage, mais un effet relativement aléatoire dufonctionnement d’une faculté particulière de traitement desdonnées sensibles, ou encore que l’intelligible naît d’une ten!

tative pour trouver de l’ordre dans le sensible avec le sensible,en repliant pour ainsi dire les uns sur les autres les différentsniveaux de la réalité sensible, les différentes substances. Ladeuxième est que l’historicité est un effet consubstantiel dupremier, quil est de la nature de ces pensées résultant dumécanisme de la mise en « forme » du réel, de devoir sanscesse être offertes à la variation. Dans tous les cas, le système

est construit au moyen desdiff é rence s substantielles : il laisseainsi la matière libre à la variation; mais cette variation peutplacer inopinément un terme dans une série d’oppositionsdifférente de celle dans laquelle il se trouvait d’abord, entraî !

nant ainsi une transformation du système. Le différentialismesupporte donc à la fois l’indépendance des signes à l’égard

de leur substance propre, et l’impossibilité d’abandonnerabsolument toute curiosité pour la substance.« On ne voit pas très facilement, mais d’autant plus

clairement après réflexion, que c’est précisément en effet queles termesa et b sont radicalement incapables d’arriver commetels jusqu’aux régions de Ja conscience, laquelle n’aperçoit per!

pétuellement que la différence a/b, que chacun de ces termesreste exposé (ou devient libre) en ce qui le concerne de semodifier selon d’autres lois que celles qui résulteraient d’unepénétration constante de l’esprit. » (ELG.219).C’est parce que l’esprit ne pense pas quelque chose de

déterminé, mais que le pensé est déterminé extrinsèquement

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(par la mise en séries des termes qualitatifs), quil peut yavoir une histoire de la pensée ou plutôt du pensé quiéchappe aux intentions et aux raisonnements des sujetspensants (« pénétration constante de l’esprit »).

« Nous revenons ainsi à l’affirmation fondamentale parlaquelle nous cherchions plus haut à éclairer la différence del'institution du langage d’avec les autres institu tions humaines ;

à savoir que celle-ci n’est pas soumise à la correction continuellede l’esprit, parce quelle ne découle pas, depuis l'origine, d'uneharm onie visible entre l’idée et le moyen d’expression ; cecirestant une capitale différence, malgré tous les miragesextérieurs, vis-à-vis des cas par exemple comme ceux des ritesreligieux, des formes politiques des usages, etc. » (ELG.219).La langue est une « institution pure », parce qu elle n est

pas rationnelle en vertu de son adéquation à des finalitésexternes, mais en vertu de la rationalité quelle fabrique elle-même. Un système symbolique en général n’est pas « soumisà la correcdon continuelle de l’esprit» parce qu’il déterminelui-même ce qui peut et doit être pensé. La pensée qui naîtdonc grâce à cette étrange « faculté de s’attacher à des termesen soi nuls » est une pensée qui vaut pour elle-même, quifonctionne toute seule : « La convention initiale reparaissantaprès chaque coup et dans la langue l’action totalementinéluctable des signes vis-à-vis de l’esprit qui s’établira desoi-même après chaque événement », la' valeur fonctionnelledes signes résultera de l’état momentané et contingent des

rapports entre les termes. Une institution pure est doncfatalement livrée à l’histoire : il lui appartient de chercher àretrouver de la nécessité dans n’importe quel état contingentdes termes. C’est donc pour la même raison que le signe estdéfini par Saussure comme une pensée induite,ré sultant

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l’est une équation. Le M é moire sur les voyelles est un bonexemple des vertus de cette méthode algébrique : Saussurea fait l’hypothèse qu’il fallait ajouter au système primitif desvoyelles indo-européennes une forme de «a» qui n’étaitattestée dans aucune des langues indo-européennes connues,en se fondant sur une définition strictementalgébrique du

phonème, c’est-à-dire pour pouvoir rendre compte de lapossibilité deréécrire certaines représentations algébriquesd’une langue dans une autre. On sait que la découverte duhittite a confirmé cette hypothèse de manière posthume. Lemeilleur argument en faveur d’une hypothèse théoriquen est-il pas sa capacité à ant iciper des faits non observables ?Retenons ici l’enjeu philosophique que Saussure lui-mêmedonne à cette méthode de formalisation : ce serait pour lamême raison que l’être humain est un être qui n’est pasdirectement dépendant des événements substantiels, etqu’il est traversé par une histoire qui lui échappe, qu’il ya du mathématique dans son expérience et de l’histoiredans ses mathèmes.

La tradition idéaliste est plus complexe, parce qu’elledialectise le rapport entre le langage et la pensée. Son princi!

pal représentant est Humboldt . Nul n’est sans doute à la foisplus proche et plus éloigné de Saussure. Humboldt a biencompris que l’analyse est le problème central du langage.Cependant, comme Chomsky, il résout ce problème en

partant de l5unité de la phrase, chaque morceau sensibleayant une unité pour autant quil a une fonction grammati!cale dans la phrase. S’il y a de la pensée dans le langage, c’estque ce caractère articulé réalise immédiatement la facultésubjective dont Kant a fait la condition de tout jugement,

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Sâ tïon de la philosoph ie rranscendantale qui a fini par fairedes cultures autant d’univers spirituels, en affirmant que laraison humaine ne pouvait se réaliser que dans des universde rationalité hétérogènes. Humboldt conserve donc laforme de la subjectivité, pour la projeter dans la langue, et il

y a une profon de solidaritéentre Je concept de sysrématicité

comme unitéintérieure entre les différentes parties, commetotalité expressive comme le disait si justement Althusser7,et la notion d'esprit subjectif-objectif à travers laquelleHumboldt veut concilier à la fois le fait que le langage soitun phénomène spirituel et qu’il soit un phénomène his!

torique. Hegel ne disait pas quelque chose de bien différent :l’histoire est le mode d'être d’une subjectivité objectivée, lelieu où la liberté sans cesse à nouveau se perd et se retrouvede manière dialectique. LeXIXe et leXXesiècle auront biendu mal à se séparer de cette conception de l’histoire, qui seretrouve jusque dans la tradition existentialiste.

La thèse de Saussure n est pas celle-ci : la langue n estpas le lieu où la liberté lutte sans cesse à nouveau contre sespropres objectivations, mais un espace purement extérieuroù quelque chose estdoîi7îé h penser\ qui ne cesse de devenirautre que lui-même. L’histoire de la pensée n’est pas ledéveloppement d’une unité intérieure qui se complexifieraitet se ramifierait, mais une série de contingences dues aucaractère a posteriori de la reconstruction du système :

« Le rout se passe hors de l’esprit, dans la sphère des muta!

tions de sons, qui bientôt imposent un joug absolu à l’esprit, et leforcen t d ’encrer dan sla voie spéciale qu i lu i esr Jaissée par J étatmatériel des signes. (...) Le procédé est ce qu’il est obligé d’êtrepar l’état des sons ; il n aît la plupar t du temps d ’une chose non

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dans la voie spéciale qui lui est laissée » par les aléas des trans!

formations phonétiques. Le langage est un fait psychologique,mais faire la psychologie du langage en général ne signifie nianalyser lecontenu (l’esprit d’un peuple), ni les formes de lapensée nécessaires pour la constitution et le maniement de lalangue (structure logique des opérations), mais la manièredont la pensée trouve un lieu de développement qui n’estplus « dirigé » par une volonté pensante, un pensé sanspenseur. Si les deux premières options supposent également lapossibilité d’unifîer les langues, la troisième part précisémentde leur mélange incessant, inextricable. Ce qui l’intéresse,c’est commentde la pensée, non pas du pensable, mais biendu pensé (et en creux de nouvelles possibilités de penser),

se produit du fait des usages et des modalités profondémenthétérogènes et non unifiables du « langage ». L’esprit estnon pas une puissance ou une faculté, mais un résultat,contingent, inattendu, inespéré, et plutôt fatal. La facultédu langage est une « faculté de s’attacher à des termes en soinuls », qui produit de manière un peu aléatoire et involontairedes systèmes de rationalisation.

La sémiologie ne propose pas tant une histoire del’esprit au sens de la puissance spirituelle quune histoireévénementielle de la pensée au sens des contenus de pensée,semblable à celle dont Foucault formule les attendus dans L’Archéologie du savoir. Si les signes ont une « vie » par eux-mêmes, ce n’est pas parce que les systèmes de signes sontdes organismes, mais parce que ceseffets dépensée que sont lessignes ne cessent de varier. C’est en ce sens que la sémiologieest la science qui « étudie la vie des signes au sein de la viesociale » : une sémiologie générale sera une théorie des condi-

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r i ons un ive r se l l e s qu i f on t que l e s i gne pa r na tu r e e s t unep e n sé e q u i é ch a p p e n é c e ssa ir e m e n t a u x su je t s p e n sa n t s, u n epen sée qu i s’a lt è r e n écessa ir em en t dan s un e h i st o i r e con t in !

g e n t e . L e s « sé m io l o g i e s » p a r t i c u l i è r e s é t u d i e r o n t lesm o d a lit é s d e c o n st r u c t io n p r o p r e s à ce r t a in s sy st è m e s d es ign es , en fon c t ion d es « sub s tan ce s » su r l esqu e l l es elles

t r ava i l l en t , a ins i que l es h i s to i r es s ingu l iè res de penséesa u x q u e l l e s e l l e s d o n n e n t l i e u . A i n s i , t i r a n t l e s e n s e i g n e!

m e n t s d e l a li n g u i st i q u e h i st o r i q u e d u XIXe siè c le , Sa u s su r ee sp è r e fo r m u l e r , so u s le n o m d e sé m io l o gi e , n o n se u l e!

m e n t u n e n o u v e l le sc ie n c e , m a is e n c o r e u n e n o u v e lleso r t e d e s cie n c e , q u i é c h a p p e r a d i c a le m e n t à l’o p p o sit i o n

d e l a « n a tu re » e t de I ’« h i sto i r e », e t q u i ou vr e a in s i à un en o u v e l l e p h ilosoph ie d e l ’e spr i t :

« On a discuté pour savoir si la linguistique appartenait àl’ordre des sciences naturelles ou des sciences historiques. Elle n ap!

partient à aucun des deux, mais à un compartimen t des sciencesqui, s'il n’existe pas, devrait exister sous le nom de sémiologie,c’est-à-dire science des signes ou étude de ce qui se produit lorsquel’homme essaie de signifier sa pensée au moyen d’une conventionnécessaire. Parmi tous les systèmes sémiologiques, la « langue »est le seul, avec l’écriture, qui ait eu à affron ter cette épreuve dese trouver en présence duTEMPS,qui ne se soit pas simplemen tfondé de voisin à voisin par mutuel consentement, m ais aussi depère en fils par impérative tradition etau hasard de ce qui arriverait en cette tradition, chose hors de cela inexpérimentée,non connue ni décrite. Si l’on veut la linguistique est don c unescience psychologique en tan t quesémiologique-, mais les psycho!logues n’on t jam ais fait intervenir leTEMPSdans leur sémiologie.Ce fait qui est le premier qui puisse exciter l’intérêt duph ilosoph e reste ignoré des ph ilosoph es ; aucun d’eux n’en-

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seigne ce qui se passe dans la tran smission d’une sémiologie. Etce mêm e fait accapare en revanche tellement l’atten tion des lin!

guistes que ceux-ci en son t à croire pour cela que leur science esthistorique ou éminemment historique, n’étant rien d’autre quesém iologique : par ià com plètem en t comprise d’avance dans lapsychologie, à condition que celle-ci voie de son côté qu’elle adans la langue un objet s’étendant à travers ie temps, et la

forçant à sortir absolument de ses spéculations sur le signemom entané et l’idée momentanée. » (ELG.262).Texte sublime qui témoigne de la conscience que

Saussure avait de la radicalité de son projet. C’est dans lamesure où l’on int roduit le temps dans la pensée que l’onpeut formuler un concept de l’esprit objectif, et doncdonner un sens à l’idée d’une science de l’esprit : car ce stdans la mesure où les signes son t des « idées en devenir »que les idées ne sont pas les corrélats d’une activité pen!

sante, mais des faits, s’offrant en tant que tels à unethéorie objective.

Saussure nous a laissé, en dehors de la linguistique,un autre exemple de cerre relecture sém iologique des faits

culturels : ses recherches sur les légendes. Il ten te d’ymontrer qu’un récit légendaire nest une transpositionvolontairement masquée ni d’un événement historique nid’une morale profonde8, mais une conséquence involon!

taire d’une série de répétitions incorrectes qui ne cessentde reconstruire la logique de ce qui est perdu. Saussure sepropose de réduire le problème du rapport entre lalégende et le fait historique quelle est censée transposerou sublimer, au problème suivant : comment se fait-il quela simple répétition du même entraîne une différenciationprogressive ?

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« Les symboles ne sont jamais, comme toute espèce designes que le résultat d’une évolution qui a créé un rapportinvolontaire des choses : ils ne s’inventent, ni ne s’imposen t surle coup. Est admissible un symbole qui s’explique commen’ayant pas été d’abor d un symbole. ( ...)

On peut parler de réduction de proportion ou d’amplifi!

cation des événements à la suite d’untemps écoulé, c’est-à-dired’un nombre indéfini de récitations transformées, mais non desymbolisation à un moment quelconque. (...)

II [W! Miiller] admet le symbole historique juste de lamanière dont ii est le moins admissible, non comme la suited’accidents normaux à un récit concret, mais comme une syn!

thèse voulue, une sorte d’extrait prémédité des événements, une

allégorie voulue. » (Ms. fr. 3958/4,64).Plus précisément, Saussure voulait montrer que la

légende des Niebelungen se rapportait à des événementshistoriques différents de ceux auxquels les philologues alle!

mands prétendaient les rapporter : il ne s’agissait pas duroyaume burgonde de Worms, mais du royaume burgonde de

Lyon (cf. Fehr.1997.83sq.). Pour établir sa thèse, il supposeque l’origine de la légende est une pure et simplechronique, une recension aussi simple et scrupuleuse quepossible des faits. C’est la transmission de ce récit quientraîne la transposition de l’événement historique en unfait légendaire, et qui ainsi le masque.

« Com m en t se forme dans la légende unsymbole en faitsd’événements historiques ? Toujours d’une manière très simple,

' mais supposant il est vrai tran smission par intermédiaire.Voici la forme la plus simple : un auteu r épique ou même

historique raconte la bataille de deux armées et entre autres lecombat des chefs. Bientôt il n’est plus question que des chefs.Alors le duel du ch ef A et du ch ef B devient (inévitablement)

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symbolique puisque ce combat représente tout ie résultat de labataille, peut -être la conquête de vastes terres et un bouleverse!

ment politique et géographique, mais unein tention de symbole n’a existé pendant ce temps à aucun moment. La réduction dela bataille à un duel est un fait naturel detransm ission sémio- logique, .produit par une durée de remps encre les récits, ec lesymbole n’existe que dans ¡’imagination du critique qui vient

après coup et qui juge mal. (...)Dans les créations symboliques qui sont toujours

involontaires, on doit donner une part au mot pur. Ainsi desexpressions comme : c’estouvrir la porte à l’ennemi, Xhomme m alade de Constantinople, ce fut un conflit où LouisXIV

perdit un bras et Frédéric une jambe, etc., etc., sont tellementnaturelles qu’on ne les remarque pas ; et si ces choses, la porte

ouverte, l’homme malade, le bras coupé, passaient ensuitedans la légende, on retrouverait leur sens à l’aide de l’histoireet on croirait qu’il y aSYMBOLE,alors que c’est simple erreurde transmission, sur des mots qui avaient leur sens tout directau commencement.

Les créations symboliques existent, mais sont le produitde naturelles erreurs de transmission. » (Ms. fc. 3958/6,46).

Il ne s’agit pas de réduire le processus de formationd’un symbole à une sorte de métonymie spontanée, maisau contraire de dire que la cause de cette métonymie n’esten aucun cas l’intention d’en faire une : c’est en voulantcontinuer à faire exactement la même chose que l’on faitautre chose, sans même s’en rendre compte. Dans tous les

phénomènesoraux (les textes écrits posant pour Saussureun problème différent, comme en témoigne le fragmentcité sur leQuichotte,), ce qui se transmet du récit n est pastant une idée de ce qui est raconté qu’un certain nombre designes opposables les uns aux autres, et celadès l ’origine.

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Aussi la répétition entraîne-t-elle immédiatement la possi!

bilité de la transformation en fonction deV in tei'prétation que Ton donnera de ce qui a été « reçu », c’est-à-dire de laclassification des éléments.

Pour qu advienne la formation d’un symbole, il fautdeux choses : à la fois que l’on s’écarte dans la répétition deséléments, mais aussi que l’on cherche à partir du résultat deces écarts une unité nouvelle. Il fautdun côté que se défassel’unité du drame historique ou que se relâchent les solidaritésnarratives entre les éléments, et de Xautre que l’on ne cessede vouloir retrouver cette unité à partir des fragmen ts de ladécomposition involontaire.

« À chaque instant , par défaut de mémoire des

prédécesseurs ou autrement, le poète qui ramasse la légende nerecueille pour telle ou telle scène que lesaccessoires au sens leplus propre, théâtral ; quand les acteurs ont quitté la scène ilreste tel ou telobjet, une Heur sur le plancher, une 0 qui restedans la mémoire, ec qui dit plus ou moins ce qui s’est passé.Mais qui, n’étan t que partiel, laisse marge à —Q.

Il ne faut sur tout jam ais se défier, sau f cas particulier, del’intendon de l’auteur ou du narrateur de suivre ce qui était ditavant lui, tant qu’il le peut, et c’esc de ce côté qu’une tendanceconservatrice profonde règne à travers tout le monde de lalégende.

Mais Imaginadon sur lacune de m émoire est le principalfacteur de changement avec volonté de rester autrem ent dans latradition. » (Ms. fr.

3959/3,3).On retrouve dans la légende cette étrange conditionqui fait que, plus on cherche à faire ce que l’on a toujoursfait, plus on fait autrement, et ce sont pour les mêmesraisons destructure que la légende comme la langue sont

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livrées à l'historicité. La comparaison avec un ensemble d’ac!

cessoires est forte. Elle ne peut pas ne pas évoquer le thème dubricolage, dans lequel Lévi-Strauss voyait le modèle même dela « pensée sauvage », reconstruction incessante de structuresavec desévénements, ou, comme disait Lévi-Strauss, des« débris de structure ». Le système sémiologique est construità partir de fragments accidentels d’un drame dont on negarde que les traces ; il est bien, pour Saussure comme pourLévi-Strauss, un agencement des débris d’un systèmeantérieur. C’est pourquoi nous disions que le concept desystème qu’utilise Lévi-Strauss est finalement beaucoup plusproche de Saussure que de Jakobson : systématisation a pos!

teriori qui fait que la valeur d’un signe est toujours soumise

à variation, non au sens où le système aurait une dynamiqueinterne, mais au sens où il est toujours à refaire. On ne peutprévoir précisément de quelle manière et dans quel sens lesmorceaux seront finalement arrangés, mais une étude destransformations effectives des versions d’une légende serainstructive pour comprendre comment fonctionne cetteactivité de décomposition et de recomposition incessantequi caractérise «l’esprit» à l’œuvre dans les produitssémiologiques. Dan s la « transmission légendifère »,comme dit Saussure, de même que dans toute transmissionsémiologique, il y a comme une sorte de décomposition durécit en un ensemble moléculaire, puis recomposition en fonc!

tion d’un ordre satisfaisant cette logique un peu capricieusequ’est la logique «sémiologique». Celle-ci s’appuie sur lestraits qualitatifs des signes pour leur rétablir l’ordre quellene cesse de perdre. Elle cherche la forme dans sa proprematière, comme si elle ne cessait de la replier sur elle-même.

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« On arrange un texte donné tant bien que mal avec cequi l'entoure. » (Ms. fr. 3958/8,27).Cet effort de mise en occire produit, comme de sur!

croît, ce que nous appelons le sens. L’intelligible n’est pasl’origine mais l’effet d’un travail de mise en ordre du sensiblepar lui-même.

« Ce qui fait la noblesse de la légende comme de la langue,c’est que condamnées l’une et l'autre à ne se servir que d’élé!

ments apportés devant elles et d’un sens quelconque, elles lesréunissent et en tirent continuellement un sens nouveau. Uneloi grave préside, qu’on ferait bien de méditer avant de conclureà la fausseté de cette conception de la légende : nous ne voyonsnulle part fleurir une chose qui ne soit la combinaison d’élé!

ments inertes, et nous ne voyons nulle part que la madère soitautre chose que l’aliment continuel que la pensée digère,ordon ne, com mande, mais sans pouvoir s’en passer.

Imaginer qu’une légende commence par unseiis, a eu depuissa première origine le sens qu’elle a, ou plutôt imaginer quelle n’apas pu avoir un sens absolument quelconque, est une opérationqui me dépasse. Elle semble tellement réellement supposer qu’il ne

s’est jamais transmis d’éléments matériels sur cette légende à tra!

vers les siècles ; car étant donné cinq ou six éléments matériels5, lesens changera dans l’espace de quelques minutes si je les donne àcombiner à cinq ou si personnes travaillant séparément. » (Ms. fr.3950/10,18).Noblesse en effet de la légende et de la langue,

comme de tous les phénomènes sémiologiques, non parcequelles seraient des expressions spirituelles de l’humanitévalant par elles-mêmes, mais au contraire parce quellestémoignent de la plasticité de l’esprit humain, de sa capacité àredonner du sens à ce qui en perd. Grandeur à la fois tragiqueet comique, qui fait que l’on se débrouillera toujours pour

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rendre le monde cohérent autant qu on le pourra. Mais onvoit que cette noblesse ne peut être relevée que si l’onadmet de reformuler le concept de totalité. Le système saus-surien fait de la cohérence avec de l’hétéroclite, et cest laraison pour laquelle il peut se trouver au milieu d’unchamp de variantes hétérogènes : il cherche l’ordre dans ledonné lui-même, et en trouve forcément plus ou moins.Ce caractèrebric olé du système au sens de Lévi-Strauss, quisignifie que l’esprit fait de l’intelligible à partir du sensible,est ce que selon Saussure la linguistique avait à apporter àla « psychologie » en général.

C’est en ce sens qu’il faut entendre la notion de« vie ». Le système a une vertu propre, une sorte de vitalité

intrinsèque, qui est celle non pas d’un organisme, maisplutôt d’une colonie, d’une « fourmilière ». Si le système aune vie, c’est non pas une force d’engendrement, maisuniquement de régénérescence à partir de ses décombres. Iln’a aucune force pour résister au changement, mais il en aune pour se refaire.

« Il esc merveilleux de voir comment, de quelque façonque les événements diachron iques viennent le croubler, l’inscinctlinguistique s’arrange à en tirer le meilleur parti pour une G-Cela fait penser à la fourmilière dans laquelle on plante unbâton et qui à l'instant sera réparée dans ses brèches : je veuxdire que Ja tendance au système ou à l’ordre ne sera jamaislassée : on aura beau couper à une langue ce qui faisait le

meilleur de son organisation, on verra le lendemain que lesmatériaux restants auront subi un arrangement logique dansun sens quelconque, et que cet arrangement esc capable defonctionner à la place de ce qui esc perdu, quoique quelquefoisdans un tout aucre plan général. » (ELG.267).

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« La langue est une robe couverte de rapiéçages faits avecsa propre étoffe. » (CLG.235 ; E .l .394 .2616 .1R.2.95).

« La langue serait com parable à une mach ine quimarcherait toujours quelles que soient les détériorations qu’onlui ferait subir. » (E.1.192.1144.3C.346).Il esc remarquable que Saussure choisisse l’image de

la fourmilière, pseudo-organisme ou plucôc organismehétéroclite, intermédiaire entre l’individu et la société, que lesbiologistes ont pu appeler une « colonie », et qui apparais!

sait à Georges Simondon comme un modèle de transindi!

vidualité biologique (Simondon. 1964.165-168). On voitbien que l’image du « système » que propose ici Saussure à

travers des métaphores malheureusement moins commentéesque celles de la symphonie ou de la vague, n a rien à voiravec un ensemble de structures formelles s’imposant audon né qualitat if: il s’agit d’une reconstruction permanentedu système à partir de ses propres résultats, lesens d5un signene cessant de se transformer au hasard de ses voisinages.

Ce qui résulte de l’interprétation n’est pas sans rapportavec ce qui précédait, dans la mesure où cest la mêmematière qui est à la fois interprétée et interprétante. Si lesystème a une certaine « vitalité » alors même qu il nesaurait avoir de principe intérieur d’évolution à proprementparler, c’est que le mécanisme de l’analogie ne cesse d’utiliserl’ordre donné dans certaines parties du système lui-mêmepour mettre en ordre d’autres parties du système.

« Il n’y aur a don c jamais de créationex nihilo, maischaque innovation ne sera qu'une applicaüon nouvelle d’élé!

ments fourn is par l’état antérieur du langage. C'esc ainsi que lerenouvellement analogique qui dans un sens est très destructif

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ne fait que continuer sans jamais pouvoir la briser la chaîne des

éléments transmis depuis l’origine des langues. » (ELG.160).

« Quand des formes nouvelles surgissent, tout se passe,nous venons de le voir par décomposition des formes existanteset r ecomposition d’autres formes au moyen de matériaux fournispar les premières. » (ELG.191).Ainsi, dans le passage d’un état de langue à un autre,

il ne s’agit pas seulement de modification, mais aussi derecyclage : les termes ne sont pas uniquement des résultats, oudes effets, ce sont aussi des moyens de l’interprétation.Aussitôt qu’un terme est produit il agit non comme composé,mais comme décomposant, et contribue aux analyses dulangage. C’est parce que la langue est à la fois ce qui est

interprété et ce qui permet d’interpréter que l’on peut avoir,avec Jakobson ou Martinet, le sentiment que lesystème dela langue a une valeur téléonomique ou régulatoire. AinsiSaussure distingue-t-il le changement phonétique duchangement analogique en ce que le premier « représentedes opérations purementmécaniques, c’est-à-dire où on nepeut découvrir ni bu t ni intention, et l’autre des opérationsintelligentes; où il est possible de découvrir un but et unsens ». (ELG.160). M ais cette « inceliigence» esr un simpleeffet du. type de systématisation qui travaille dans la langue, etnon pas du fait que le langage serait un phénomène défini etdéterminé par une fonction. C’est donc parce que l’esprit sesert de la matière elle-même pour ordonner la matière, qu’à

la fois les systèmes de valeurs changent et que certainsprocédés structuraux résistent, de sorte que l’on peut assezbien suivre l’histoire d’une langue à travers la multiplicitéde ses vicissitudes et de ses fragments.

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Sans cette condition d’ailleurs, la grammaire com!

parée n aurait jamais été possible, et la découverte de lalogique sémiologique serait probablement restée perduepour l'humanité, ainsi sans doute quun éclairage objectifsur ce que veut dire pen ser. Spinoza disait de « laMath ém atique » que, sans elle, la vérité aurait pu« demeurer pour l’éternité cachée au genre humain » ; on est

tenté de dire de la grammaire comparée que, sans elle, c’estl’idée même d’une science de l’esprit qui se serait peut-êtreà jamais éteinte sous le poids de la superstition. L’ambitionde la sémiologie générale est d’être une telle science : elledoit être entendue comme la théorie des contraintes uni!

verselles ou des mécanismes par lesquels nous reconstruisons

un système à partir de ses propres débris. Si ce mécanismeest peut-être inné, son exercice à la fois suppose et produitdes ensembles de pensées données. La sémiologie sera doncune théorie de l’esprit en tant que celui-ci ne cesse des’échapper à lui-même à mesure même qu’il ne cesse de serattraper, et inversement. Il ny a pas de contradiction entrela recherche des formes innées de l’insdnct sémiologique etl’étude patiente des variations entre les cultures linguistiques.Il y a au contraire urgence à réconcilier les conceptions for!

malistes de la raison nées auXVIIesiècle et les anth ropologiesculturelles duXIXe.C’est cette voie que Saussure a indiquée.

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CONCLUSION

L’ESPRIT DU STRUCTURALISME

« Il ne s’agit pas dans les choses élémentairesde la sémiologie de déployer de l'intelligence,

mais de lutter contre le formidable. » (ELG.131).

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Écrire, si l’on en croit Barthes, « c’est ébranler le sensdu monde, y disposer une interrogationindirec te, à laquellel’écrivain, par un dernier suspense, s’abstient de répondre.La réponse, c’est chacun de nous qui la donne, y apportantson histoire, son langage, sa liberté ; mais comme histoire,langage et liberté changent infiniment, la réponse du mondeà l’écrivain est infinie : on ne cesse jamais de répondre à ce

qui a été écrit hors de toute réponse : affirmés, puis mis enrivalités, puis remplacés, les sens passent, la questiondemeure». (Barthes. 1963.9). Pour s’être voulu directementle texte d’une question, le livre de Saussure n’a jamais étéécrit. Mais l’histoire de ce qu’on appelle « structuralisme »,cette profusion d’œuvres et d’auteurs qui se sont sentis

d’abord si proches avant de se révéler parfois si contradic!toires, si étrangers surtout, cette histoire si caractéristiqueen somme par ses malentendus, n’est sans doute intelligiblequ’à la condition d’y entendre le travail de sa question. Si

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au cas où ils s’aviseraient de confronrer leurs vues. »(Martin et .1955.63). Encre la « glossémarique » deHjelmslev, le renouveau du comparatisme chez Benveniste,la « sémantique » de Greimas, etc., il y a des divergencesradicales aussi bien sur les méthodes que sur lesconcep tions du langage. Nous en avons relevé quelques-unes à l’occa!

sion. Le tort de la plupart des définitions du structuralisme

qui ont été tentées est d’être indifférentes au conceptopéra!

toire de structure, à sa valeur méthodologique, de sortequelles se retrouvent avec des slogans si pauvres qu’ils nesauraient déterminer quoi que ce soit. Ainsi, la premièreoccurrence du terme se trouve dans deux textes deJakobson de 1929, où il désigne, dans le premier une « ten!

dance spécifique » de la « pensée th éor ique russe »(Jakobson. 1929a), et dans le second, plus généreusement,« la pensée directrice de la science actuelle dans ses manifes!

tations les plus variées » (Jakobson .l929b). Il se définit, paropposition au positivisme, contre ia valorisation du faitisolé et le refus de la finalité : « Chaque ensemble dephénomènes que traite la science actuelle est envisagé, non

comme un assemblage mécanique, mais comme une unitéstructurale, comme un système, et la tâche fondamentale estde découvrir ses lois intrinsèques —aussi bien stadques quedynamiques. Ce n’est pas l’impulsion extérieure, mais lesconditions intérieures de l’évolution, ce n’est pas la genèsesous son apparence mécanique, mais la fonction, qui sont aucentre de l’intérêt scientifique actuel.» (Jakobson.l929b).Mais une telle caractérisation est inutilisable si c’est bien unévénement singulier dans l’histoire de la pensée quon veutsaisir : si le structuralisme est le fait de donner plus d’impor!

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tance à la totalité qu’à la partie, Aristote devrait en être unedes sources directes. De même Granger (1967.1-6) déclarantque les trois sources du structuralisme étaient les mathéma!

tiques, la linguistique, mais surtout l’histoire de la philosophiede Guéroult ou Goldschmidt ; Piaget (1968) composant unlivre sur le structuralisme dans lequel il est question comme

en passant de Saussure, et quasiment pas de Lévi-Strauss(Foucault en revanche apparaissant comme le structuralistetype) ou encore Descombes écrivant très tranquillement quela « seule définition acceptable de la structure est celle quefournissent les mathématiciens » (1979.104), sans prendre lapeine de regarder comment secon struit cet objet théorique

quon appelle unsystème dans les travaux de Saussure, deTroubetzkoy, de Jakobson ou de Lévi-Strauss... Mais si ontente de définir le structuralisme par une certaineméthode,étudiant sa mise au poin t dans La linguistique et son expor!

tation dans d’autres champs disciplinaires, on se trouveconfronté à une difficulté inverse: cette fois la définitiondevient trop étroite, aucun des grands auteurs structuralistesn’ayant la même méthode quu n autre.

On peut espérer contourner ces difficultés en définis!

sant le structuralisme par unethèse générale : qu’il est possiblede traiter comme relevant d’un même ordre des phénomènesapparemment aussi divers que les actes de langage, les récitsmythiques, les œuvres littéraires, les rites et plus généralementles us et coutumes, voire les comportements animaux, etc.Le structuralisme se confondrait donc exactement avec le

projet sémiolagique. On n’exige pas une méthode effective!

ment commune, mais seulement un objet commun, ouplutôt un problèm e commun, celui d’une science des

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phénomènes doués de sens. Parce qu’ils partageraient ceproblème, les structuralistes auraient pu s’emprunterlocalement, tan tôt des méth odes, tan tôt des résultats, tantôtdes intuitions, b ref com mun iquer... Barthes, contestantl’existence d’une méthode, ne disait-il pas: «C ’est proba!

blement le recours sérieux au lexique de la significationdans lequel il faut voir en définitive le signe parlé du struc!

turalisme » (« L’activité structuraliste », in Essais critiques, Barthes.1993.1328) ? Malheureusement, cette thèse et celexique sont aussi communs aux deux autres grandes tradi!

tions intellectuelles duXXesiècle, la traditionherméneutique (phénoménologie) et la traditionempiriste (philosophieanalytique). Il n’y aurait sans doute pas beaucoup de sens à

fondre l’ensemble de ces entreprises dans le domaine du« structuralisme ». Aussi une telle construction conceptuelle àpartir de l’objet semble-t-elle devoir nous renvoyer à la néces!

sité de définit par quelleméthode se caractérise l’approcheproprement structuraliste des phénomènes « doués de sens ».

Sans doute peut-on penser que, sans le succèsmondain du structuralisme, la question ne se poserait pas :ce serait donc de ce succès qu’il faudrait faire l’histoire, dumot d'ordre structuraliste, non de projets théoriques etphilosophiques hétérogènes. Histoires et définitions du struc!

turalisme apparaîtraient dès lors comme autant de stratégiespour faire exister le mouvement, le récupérer, l'infléchir, lecombattre. Il est certain que le structuralisme a été ressenti

par une génération de chercheurs, d’étudiants, et même decitoyens, comme une « cause » permettant de nommer lesentiment confus et exaltant d’appartenir à un mêmemoment : il devrait don c être traitécomme un f ait social au

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sens de Durkh eim,sym bole non au sens différentiel et infra-représentatif qu’il a voulu promouvoir, mais au contraireü emblème offrant au collectif une représentation de so i...Ce travail reste entièrement à réaliser. On ne saurait leconfondre en effet avec l’Histoire du structuralisme deFrançois Dosse, livre ni chair ni poisson, ni histoire ni

philosophie, plutôt comparable à ces chroniquesqu’écrivaient les évêques à l’époque de l’invasion de Parispar les Normands, et qui relève d’une sorte d’histoire desú!

nale qui malheureusement tient souvent lieu en ce paysd’interprétation profonde d’un phénomène historique: lestructuralisme serait un « moment de l’histoire occidentalede détestation de soi don t on est sorti, grâce à une réconci!

liation progressive de l'intelligentsia avec les valeurs démo!

cratiques » (Dosse,1992.16). Ce biais d’un e h istoireidéologique, qui se garde bien de se conformer à quelqueméth ode h istorique que ce soit, est caractéristique de n om!

breuses in terprétations du structuralisme (Furet. 1967;Frank. 1984 ; Ferry-Renauit. 1984). Un e histoire socialesérieuse du structuralisme attend donc d’être écrite. Onpeut cependant en marquer d’avance les difficultés. Tourd’abord elle ne saurait se contenter de le réduire à unestratégie particulière, comme le fît par exemple HenriLefebvre (1975) en le ramenant à l’idéologie technocra!

tique, car le mot d’ordre structuraliste s’est caractérisé,

comme peut-être tous les mots d’ordre, par son caractèreréversible: il permettait à des stratégies hétérogènes voireopposées de se présenter dans les mêmes termes, de sedéduire desmêmes principes. Il semble même qu’il ait fonc!

tionné un temps dans la langue française comme synonyme

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de nouveauté ;comment comprendre autrement que J’en-traîneur de l’équipe de France de football ait cru rassurer lessupporters en leur promettant une réorganisation «struc!

turaliste » de la troupe ?... De plus, si un mouvement n’existeque parce quil est revendiqué, il est gênant qu’un certainnombre de ses « représentants » supposés l’aient précisément

rejeté : Foucault récusait l’appellation (1969.259sq.) ;Althusser engagera très vite une polémique virulente avec lestructuralisme ; Derrida prétendra en radicaliser le geste ;Barthes refusera d’en faire « une école ni même un mouve!

ment » et déclarera que « la plupart des auteurs que l’onrattache ordinairement à ce mot nese sentent nullem ent liésentre eux par une solidarité de doctrine ou de combat»(1993.1328) ; Lévi-Strauss lui-même, à la question del’évaluation du « structuralisme comme d’un phénomèneglobal », répondra : « Je ne vois pas ce qu’il y a de communentre les noms que vous citez [Lévi-Strauss, Foucault,Lacan, Barthes...]. Ou plutôt je le vois : ce sont des faux-semblants. Je me sens appartenir à une autre famille intel!

lectuelle : celle qu’ont illustrée Benvéniste, Dumézil. Je mesens aussi proche de Jean-Pierre Vernant et de ceux qui tra!

vaillent à ses côtés. Foucault a eu tout à fait raison de rejeterl’assimilation.» (Lévi-Strauss-Éribon.1990.105). On peut,bien sûr, faire remarquer ce que ces prises de distance ontelles-mêmes de stratégique. Mais il est probable qu’on nepourra comprendre [’efficacité de ces usages idéologiques enfaisant tout à fait l’économie d’une reconstruction desproblèmes théoriques qui, reconnus ou méconnus, déter!

minent dans chaque discipline les lignes de rupture le longdesquelles le terme de structuralisme apparaît et disparaît.

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Si le structuralisme ne peut être caractérisé nicomme une position scientifique bien définie, ni commeune vague idéologie, n’est-ce pas parce quil estphilosophique ? Le propre des problèmes philosophiques îi est-il pas en effet de devoir rester ouverts, toujours àreconstruire, aporét iques ? Étien ne Balibar a suggéré qu’onne pouvait définir le structuralisme qu’en tentant dereconstituer la logique même de ces « apories » ou ces« points d’hérésie » (au sens de Foucault), de ces dilemmesque les structuralismes on t construits et autour desquels ilsse son t répartis, cette dimension ph ilosoph ique expliquantson caractère non de doctrine mais de «mouvement»

(Balibar. 1997.224). Par exemple il ne faudrait pas prendrela thèse selon laquelle le sujet est constitué et non plusconstituant comme une thèse positive, mais plutôt commele générateur d’alternatives déterminées : entre « une concep!

tion du sujet individuel qui en fait la “ synthèse desdéterminations structurelles, intériorisées dans un habitus

corporel ”, et une autre qu i en fait “ lemanque ”, le “ vide ”abstraitement com mun à toutes les structures », bref entreun pôle représenté par Bourdieu, et un autre représentépar Lacaiv (Balibar. 1997.233). Les diverses entreprisesstructurales seraient unifiées dans ce champ de possibilitésincompatibles mais complémentaires, comme autant deréponses possibles à de vieux problèmes philosophiquesredéfinis, le statu t de lasubjectivité\ de lavérité >et deY un i!versalité: « L’importance du structuralisme ne vient pastant de ce qu’il ait fourni une “ méthode ” aux sciencessociales, ou de ce qu il ait permis de “ subvertir * leur statutépistémologique, que de la façon dont il a réinscrit les

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problèmes dans la philosophie, contribuant une fois de plusà la régénérer à pardr de son autre. » (Balibar.1997.234).

Cette interprétation risque cependant de se heurterà une objection décisive : celle de ne pas rendre compte dela majiière dont se sont articulés des projetsthéoriques quiprétendaient avoir chacun leur légitimité dans leur propre

domaine, et les options philosoph iques qu Étienne Balibar,peut-être à juste titre, croit commander en dernièreinstance ces projets théoriques. En faisant des entreprisesstructurales des moments philosophiques, on risque desacrifier l’enracinement positif du structuralisme et de laisserpasser ce qui, de cet « autre » de la philosophie, permet

justement de la « régénérer». De plus, il n’est sans douteque peu de problèmes traditionnellement considéréscomme philosophiques qui ne soient pas susceptibles derecevoir une nouvelle in terprétation d’un e mise en perspec!

tive à partir des thèses structuralistes : ainsi l’image de lascience ou de la vérité en a reçu des éclairages tout à faitnouveaux ,*de même, un autre concept de causalité a pus an!

noncer dans le sillage des analyses structurales, chez Althusseret Deleuze notamment ; la « querelle de l’humanisme » futune ligne de force particulièrement efficace pour la constitu!

tion d’une « idéologie structuraliste », etc. Ce sont chacundes chapitres figurant dans les manuels de « philosophie » —épistémologie, métaphysique, éthique, esthétique, religion,État, etc. —qui pourraient être repensés au regard del’événement structuraliste. De fait, ie sentiment que Tona eu, un temps, d’avoir affaire à une véritable révolutionphilosophique, tient sans doute à ce que quelque chosedu structuralisme a touché au cœur deVensemble des

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problèmes philosophiques. Une histoire de cet impactgénéralisé du structuralisme est à faire, mais il est évidentque cette histoire exige que l’on dispose d’un prin cipe direc teur qui permettrait d’ordonner l’exposé et de hiérar!

chiser les problèmes.Il faut le chercher dans le passage d’une méthode à une

philosophie, dans le débordement continu de programmesthéoriques dans des thèses spéculatives qu’ils ne contrôlentpas toujours : ce débordement n aboutit jamais à la consti!

tution d’une philosophie, mais à la répétition de l’entrepriseun peu plus loin, à d’autres frais, dans d’autres programmesthéoriques, et avec la redécouverte du même excès intérieur

du non-philosophique vers du philosophique, dans une sortede bégaiement dont l’histoire donne bien des exemples,reprises d’un geste d’autant plus insistant, compulsif, qu’ilest opaque à ceux qui l’accomplissent. Mais si l’horizon« sémiologique » a pu sembler celui d’une unification desdifférentes analyses structurales, n’est-ce pas parce qu’il per!

mettait précisément un tel passage ? Là encore, cependant, ilest une ambiguïté. Car on peut entendre les enjeuxphilosophiques de la sémiologie comme Deleuze, quiécrivait que « l’importance du structuralisme pour laphilosophie » vient de ce que, révélant que le sens n’est pasà retrouver, mais à produire, il « déplace les frontières » enrendant caduques certaines philosophies : « Nous ne nous

demandons plus si le “ sens originaire ” de la religion estdans un Dieu que les hommes ont trahi, ou dans un hommequi s’est aliéné dans l’image de Dieu . » (Deleuze. 1969.90).Ce serait donc une thèse qui fait du sens uneffet du modede fonctionnement des systèmes dits symboliques —eux-

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mêmes caractérisés par la propriété d’être structurés c’est-à-dire construits par la corrélation de plusieurs séries dediff érence s et uniquement de différences —qui constitueraitle noyau du structuralisme. La «sémiologie» n’aurait doncd’unité dans la perspective d’unescience des signes que parcequ elle ferait dusens, ou plus exactement de la production du

sens, le problème premier, problème indissolublementphilosophique et empirique. Le prétendu « anti-humanisme »ne serait rien d’autre quune conséquence de certe redécou!

verte du caractère premier du fait symbolique : il ny a pasun «être» d’un genre particulier qui serait «l’humain»,mais une multitude de systèmes symboliquesl .

Mais énoncée de cette manière, on ne voit toujourspas quel est l’intérêt d’une telle thèsedu poin t de vue des disciplines empiriques elles-mêmes. En réalité, nous l’avons dit,si le problème du sens a été renouvelé par le structuralisme,c’est d’abord parce que certaines disciplines positives sesont trouvées confrontées à un problème épistémoiogiqueet méthodologique liminaire : celui du caractère en soi

indéterminé de leurs observables. Le structuralisme a biendéplacé les frontières, non cependant parce qu’il a fait dusens un effet, mais parce qu’il a déplacé le problème du sensvers celui de la détermination du signe. De même qu’iln’est pas nécessaire au linguiste de se demander ce que lessujets parlants veulent dire ou comprennent quand ils

utilisent un signe, car il lui suffit de savoir comment ilsperçoivent ces événements incorporels, doubles, que sontles phénomènes du langage, de même, le véritable problèmede l’anthropologue est de savoir comment les sujets quiécouten t ou raconten t le mythe le découpent en unités qui

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leur permettent d’en tendre ce qui est dit. Comprendre unmythe, c’est savoir ce qui est pertinent, les nuances quiimportent. Comprendre ce que veut dire comprendre unmythe, c’est reconstruire le système qu ut ilisen t ceux quiie comprennent, pour l’entendre. Rien ne sert d’opposerla compréhension subjective et l’explication objective, car

il s’agit d’expliquer comment on perçoit subjectivement lemonde (cf. Lévi-Strauss.l950.XXVIsq.). On voit que le struc!

turalisme ne s’est pas seulement caractérisé par une redéfi!

nition ou un déplacement d’un ensemble (même ouvert)de problèmes ph ilosoph iques anciens, mais par la construc!

tion d’unnouveau problème, qu i certes appartient de droità la philosoph ie, puisqu’il s’agit d’un problème ontologique,mais qui s’impose à partir d’exigences proprementthéoriques.

Jean-Claude Milner semble l’avoir fort bien compris :« Il demeure que, d’une manière discrète, presque oblique,Saussure introduisait un type nouveau d’entités, dont latradition philosoph ique ne lui donnait pas d’exemples. Êtreet être un, ces propriétés étaient liées jusque-là : “Omne ens est unum ”, écrivait Sain t Th om as. L’entité linguistiquetelle que la décrivait Saussure n’existait que par diffé!

rences ; son être était donc traversé par la multiplicité detou tes les autres entités de la même langue : il y avaitdonc des êtres qui n’étaient pasun être, et dont l’unicité

était définie autrement : c’était l’unicité d’un entrecroise!ment de déterminations multiples, et non pas une unicitécentrée autour d ’un poin t intime d ’identité à soi. (...) Lestructuralisme généralisé, en ce qu’il avait de meilleur, aconsisté à prendre au sérieux cette solution, pour en

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explorer les diverses possibilit és. » (« Retour à Saussure »,in Le Périple structurai, p. 37-38). Cependant, convaincuque Le programm e structuraliste se souten ait tou t entierdes succès de la linguistique structurale et que ce pro!

gramme a été réfuté par Chomsky, il s’agit surtout pourlui de situer la pertinence du structuralisme au niveauphilosophique. Mais il n’est pas sûr quon puisse ainsiabandonner les programmes théoriques er garder lesproblèmes philosophiques, comme si ces derniers pou!

vaient avoir une valeur en eux-mêmes. Car la dimen sionph ilosoph ique du structuralisme ne vient pas d’uneinter!

prétation ph ilosoph ique : la ph ilosoph ie y est présentecomm e une véritablecondition pour la mise au point de

l’analyse structurale, de ses concepts et de ses gestes fon!damentaux, ainsi que de la détermination de ses objets.Le travail philosophique n y est pas second, il ne s’agit pasde « tirer les conclusions philosophiques » de découvertespositives, à la manière herméneutique, que ce soie celle deHegel ou de Gadamer, ou d’inférer une nouvelle « imagedu monde » de ce que linguistique et anthropologie nousauraient appris, à la manière « scientiste » : il est impliquédans les opérations mêmes de constitution du savoir, enaccompagnant sans cesse l’élaboration, lui permettant defranchir sans cesse ses propres limites. Quand la philoso!

phie est devenue pour le structuralisme uneinterprétation, quand elle s’est mise à en tirer les leçons, le structuralisme

comme mouvement était mort, et la philosophie françaisese trouvait orpheline, toute groggy encore des passionscontradictoires qui s’étaient déchaînées à rravers les diversesquerelles politico-intellectuelles qui firent la vie du struc!

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turalisme, mais incertaine pourtant, alors quelle s’éveillaitdans un champ déserté, qu’il y eût jamais eu d’enjeuxvéritables à tant de passions.

S’il est donc avéré que les projets théoriques du struc!

turalisme appartiennent au passé du savoir, la véritablefidélité au structuralisme serait de renoncer à en rouvrirles questions. Mais en réalité, si l’on a pu décréter lesproblèmes théoriques et ph ilosoph iques de la déterminationdu signe obsolètes, c’est parce qu’ils on t été mal déterminés.Ce problème n’est pas, contrairement à ce que dit Milner,celui du primat de l’Un sur PÊtre, ou de la différence surTidentité. C’est même l’inverse : il s’agit en réalité, commenous l’avons montré, de la découverte d’une p ositivité dumultiple en tant quemultiple. Le problème méth odologiquedu signes est posé et reposé dans des disciplines marquées parl’héritage ducomparatisme. C’est parce que le fait com paratif met devant un type d’être inédit que Saussure s’engage dansla reconstruction du concept de signe. Aussi hest-il pasétonnant que la linguistique, la philologie, et l’anthropologie,

qui se son t constituées comme sciences comparatives au coursdu XIXesiècle, aient été les fers de lance du structuralisme.Mais le fait comparatif ouvre à des problèmes théoriquesdont l’actualité est indiscutable.

Montrer que la diversité apparemment chaotique desusages culturels obéissait à une sorte de logique, que lesusages humains ne difFéraient pas les uns des autres den’importe quelle manière, c’était faire du principal obstacleà une science de l’homme son principal instrument.Montaigne avait été sensible à ce que la découverte duNouveau Monde impliquait decritique pour l’idée même

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d’une rationalité propre aux comportemen ts humains : nonsimplement parce que les êtres humains ont des usages dif !

férents, mais parce qu’il existemanifestement une pluralitédes formes de rationalisation : « Quelle bonté est-ce que jevoyois hyer en crédit, et demain plus, et que le traict d’uneriviere faict crime ? Quelle vérité que ces montaignes bornent,qui est mensonge au monde qui se tient au-delà ? Mais ils

sont plaisans quand, pour donner quelque certitude auxioix, ils disent qu’il y en a aucunes fermes, perpetuelles etimmuables, qu’ils nomment naturelles, qui sont enmpreintesen l’humain genre par la condition de leur propre essence.Et, de celles-là, qui en fait le nombre de trois, qui de quatre,qui plus, qu i moins : signe que c’est une marque aussidouteuse que le reste. Or ils sont si defortunez (car com!

ment puis-je autrement nommer cela que deffortune, qued’un nombre de loix si infiny il ne s’en rencontre au moinsune que la fortune et témérité du sort ait permis estre un i!

versellement receuë par le consentement de toutes lesnations ?), ils sont, dis-je, si misérables que de ces trois ouquatre loix choisies il n’en, y a une seule qui ne soit contredite

et desadvoueë, non par une nation, mais par plusieurs. (...)Il n’est chose en quoy le monde soit si divers qu’en cou-tusmes et loix. » (Montaigne. 1979.245)- Les sauvages sontdes êtres raisonnables qui justifient leurs usages, tout autantque leurs conquérants. Cette extrême diversité de normessuggère qu’il n y a finalement quecontingence dans lesmanières dont n ous cherchons à rendrenécessaires nos pro!pres pratiques. Ce qui est irrationnel, c esr de croire qu’uncomportement humain puisse être réellement rationnel.Montaigne en conclut: «Nous navons aucune communi!

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cation à l'être »(id.2 66), car « qu’est-ce donc qui est véri!

tablement? Ce qui est eternel, c’est-à-dire qui n’a jamaiseu de naissance, n’y r îau rà de fin ; à qui le temps n apporte

jamais aucune m utat ion » (id.267). Mais la possibilité deréduire cette diversité grâce à l’instrument comparatistesuggérait que cette pluralité des systèmes de rationalité

n était pas elle-même irrationnelle : ladiver sité de s formesd’expression de l’humanité, loin d’être contradictoireavec une théorie rationnelle de l’homme, en devenait lacondition. Seulement, on voit que cela exigeait de fairedesautres cultures, des autres langues, des autres mythes, desautres coutumes vestimentaires, etc., la raison de chacun : si

les comportem ents hu mains (ces actions qui apparaissentà ceux qui les accomplissen t commedevant être réalisées)peuvent enfin devenir les objets d ’un savoir positif, entrerdans le domaine des faitsobjectif, c’est à la condition deles considérer comme des variantes ou des transformationsdéterminées d’autres comportements.

Les progrès de la dialectologie et de la comparaisondes langues historiques, essentiellement latines, pendant ladeuxième moitié duXIXesiècle, ont permis de voir pourainsi dire à l’œuvre, dans la pratique même des langues,leurs processus de diversification relatifs : celles-ciapparurent dès lors non seulement comme des variantes,mais comme des réalités intrinsèquement en variation. La

méthode comparative ne permettait donc pas seulement deretrouver un certain ordre dans la diversité donnée, maismettait en évidence le type de positivité d’un certain genrede faits, puisque c’était, en somme, pou r les mêmes raisonsque les langues variaient et quelles étaient finalement

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comparables : autrement dit, c’était la même chose qui lesrendait objets de sciences et qui les amenait à sans cessedevenir attires. Si l’idée de science, comme on peutraisonnablement le soutenir, repose sur le principe q u il estpossible de découvrir desinvariants dans ce qui varie, avecles sciences comparatives, voilà qu apparaissait une figurenouvelle de la science : la science de ce qui, essentiellement,varie. Cela ne pouvait pas ne pas toucher directement à laphilosophie. En effet, on peut penser que la position de laphilosophie par Platon, c’est-à-dire la thèse ou la convictionque le réel est accessible par la pensée, était profondémentconditionnée par l’événement des mathématiques : lagéométrie permettait de penser qu’il y avait quelque chose

comme une idée ou un concept du triangle, qui ne seréduisait à aucune expérience concrète que nous pouvionsen faire, mais qui n était que Finvariant de tous les triangles.Le problèmeontologique posé par Platon reposait dès lorssur le raisonnement suivant : n’existe vraiment que ce quiest invariant ; or ce qui est invariant ne saurait être sensiblemais peut seulement être pensé (et encore seulement dansle mouvement dialectique, c’est-à-dire comm e problèm e ouidéal contraignant le raisonnement à se reprendre sanscesse) ; donc seul l’intelligible estrêeL Voilà donc qu’avec lecomparatisme, c’était bien ce qui passe pour le cœur de laphilosophie, à savoir [’affirmation platonicienne que seull’invariant est réel, qui se trouvait mis en question : s’il était

possible de faire une science de ce qui varie, c’est doncquon devait se risquer à penser quece qui varie est comme tel réel. Le comparatisme ouvrait donc, virtuellement, àune ontologie de la multiplicité, et l’on peut penser que la

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formation ph ilologique de Nietzsche n a pas été pour riendans le mouvement qui Ta amené à prôner, comme on sait,un « renversement du platonisme », précisément au nom del’affirmation p aradoxale que la réalité elle-même était enmétamorphose permanente, et qu il y adonc un être propreaux apparences comme telles. A l’ontologie apollinienne de

la philosophie ancienne et de la science moderne, le faitcomparatif venait suggérer uneontologie dionysiaque.Nous avons vu que c’est la découverte du f ait com!

p arat if qui a amené Saussure à poser le problème de ladétermination du signe. S’il est vrai que la même chose quifait que nous parlons une langue nous amène à en parlerune autre, c'est que la réalité des langues ne se confond pasavec les manières don t n ous parlons. C’est le problème del’identité diachronique qui conduit à celui de l’identité syn-chronique, et la théorie de la valeur, notamment la .distinctionentre la différence et l’opposition, tente de montrer que cesont les mêmes mécanismes qui constituent le signe commeobjet de l’esprit et qu i le livrent à la variation en le faisantéchapper à tout esprit individuel. Les éditeurs duCours, eninversant la démarche de Saussure, ont fait apparaître cequi est en réalité une interprétation d u ‘fait comparatifcomme une hypothèse sur la nature et le fonctionnementdu langage. Jakobson, en définissant le signe par la fonctionde communication, ne fera que durcir cette manière de

poser le problème. Le refus de tout engagement ontologiqueaura des conséquences « fausses, dangereusement fausses dupoin t de vue de toutes les conceptions qui s’ensuivent w,c’est-à-dire du point de vue de laméthodes en particulierpour l’appréhension du changement. Seul Lévi-Strauss

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retrouvera l’inspiration saussurienne : si l’on ne peutpréjuger des identités entre les motifs d’un mythe sur labase de leurs ressemblances,ce st qu’un même signemythologique peut très bien semétamorphoser dans un thèmeapparemment très dissemblable, mais en réalité parfaitementidentique, sous réserve qu’on comprenne le système destransformations qui permet de passer de l’un à l’autre : « Envérité, nul voyant apparaître le soleil dans un mythe nepourra préjuger de son individualité, de sa nature et de sesfonctions.» (Lévi-Strauss.1983a.l99). Et, de même quel’apparence phonétique n’est pas la réalité phonologique,de même « un roi n’est pas seulement un roi et unebergère une bergère» (Lévi-Strauss. 1973.170), mais tous

deux des actualisations d’oppositions distinctives. Le faitqu’ils ne se confondent avec aucune de ces actualisationssubstantielles les constituent comme signes et les livrent àla variation. Le fait que les « groupes de transformation »soient par nature ouverts, et que Lévi-Strauss récuseexplicitement le projet d’une « mythologie universelle »,prouvent que cette propriété n’était pas contingente, maisessentielle2. C ’est la même chose qui permet aux sujets dedéterminer, dans l’ensemble confus des phénomènes quise présentent à eux, unsigne, et qui fait que ce signe estnon seulement une transformation déterminée dequelque chose d’autre, mais encore qu’il n’a de sens quedans la mesure où il ouvre à d’autres transformations

déterminées. Ainsi, on peu t bien dire qu’un signe est, pardéfinition, unévénement, c’est-à-dire quelque chose quin’existe que dans la mesure où il altère et contin ue à la foisune histoire en train se faire.

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ph ilosoph ie de l’esprit qui en résulte : l’esprit n’est pasune propriété subjective, et les phénomènes symboliquestémoignent au contraire en faveur d’unesprit objectif, c’est-à-dire à la fois historique et social ; l’histoire n’est jamais

persorïiielle, et l’esprit n’a pas la forme de la conscience,comme le dira malgré tou t Bergson jusqu’au bout , quitte àattribuer à la vie elle-même, dans L’Evolution créatrice, une« forme deconscience analogue à la n ôt re3 ». Il n ’en reste pasmoins que la pensée de Bergson a en commun avec le struc!

turalisme la double th èse suivante : et que l’esprit est événe!

mentiel, et que le problème de l’esprit doit être réduit à unproblème ontologique.

Bien des choses alors s’expliquent des formes diver!

gentes et éclatées qua pu prendre la réception du struc!

turalisme. On peutsans doute penser queson ambiguïtémajeure a tenu à son rapport à l’histoire : on a voulu voirdans le structuralisme une négation de l’histoire, alors qu’ilétait une tentative pour faire précisément de l’histoire unchamp d’objetsréels. Aussi ne faut-il pas s’étonner que ceux

qui semblaient avoir le mieux compris legeste structuralistes’en soien t aussi déclarés le plus rapidement éloignés :Foucault redéfinissant le conceptd’événement, Althussers’efforçant de penser un réel de la politique, Derrida cher!

chant dans l’expérience de latemporalité l’origine transcen-dantale de la possibilité de X idéal lui-même, Deleuze enfin,qui fut sans doute le philosophe qui a le plus précisémentsaisi l’esprit du structuralisme, pour ensuite s’en démarqueravec tant de virulence, au nom, précisément, de la multi!

plicité. .. On peut dire que l’écart entre le texte du CLG etle livre jamais écrit de Saussure décrit le problème moteur

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du structuralisme à travers toute son histoire: commentcomprendre que ce soit la même chose qui nous rend capablede pensée formelle et qui nous livre à l’histoire ? La contradic!

tion apparente qu il y a à construire un concept de systèmepour rendre compte de ce qui, par essence, est historique, aobligé le siècle à buter à son tour contre le problème de

Saussure. Celui-ci a fini par être entendu sans avoir étéécouté. Peut-être fallait-il cette confusion pour que l’onpuisse enfin, conscient des apories de la notion même de« structuralisme », reprendre le texte impossible de Saussureet dégager le problème indissolublement théorique etph ilosoph ique qu’il ten tait de formuler. Ce problème porte

en somme sut la question de l’héritage duXIXesiècle et duprojet d’un escience de l ’histoire. À côté de ceux qui, commeSartre, continuaient à penser quon pouvait en clarifierles enjeux philosophiques à travers une dialectique de lasubjectivité et de l'objectivité, de la liberté et de la nécessité,fondée sur la faculté que l’homme (ou l’esprit) aurait den’être pas en même temps ce qu’il est, de nier sa réalitéimmédiate et de s’engager dans les drames d’une liberté sanscesse perdue dans ses propres effets et sans cesse reconquise,bref à travers une ontologie négative de l’histoire ou de lapraxis, les analyses structurales suggéraient la tâche dedégager, des pratiques théoriques issues du comparatisme,le concept d’une multiplicité absolument positive. Il aura

fallu cette multiplicité de projets divers, ces trajectoiresbrisées, aux interprétations contradictoires, pour que leproblème puisse être rétrospectivement formulé. En ce senson peu t dire — et ce sera la seule maigre consolationposthume que l’on pourra apporter à la mémoire de ce

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grand homme —que l’échec de Saussure ne fut pas solitaire :tout un siècle l’accompagne.

Mais le siècle qui s’ouvre se trouve de nouveau con!

fronté à ce problème. En effet, avec l'effritement du para!

digme chomskyen, la linguistique contemporaine esc denouveau confrontée au problème du caractère inhérent dela variation. Non seulement parce que, comme WilliamLabov le disait déjà il y a plus de trente ans, les jugementsde grammaticalité sont variables d’un locuteur à l’autred'une même langue, mais surtout parce que l’appartenanced’un terme à une catégorie, quelle soit grammaticalecomme celle de sujet par exemple ou phonologique commecelle de consonne, ne saurait se déduire du fait qu’il réalisetoutes les propriétés formelles d’une telle catégorie.Insistant sur ce phénomène, les linguistiques dites « cogni-tives », en particulier de Lalcoff et de Langacker, ontété conduites à refuser la thèse chomskyenne de la séparationentre la syntaxe et la sémantique, la forme et le contenu, et àrefaire du langage un acte symbolique et des entités de langue

des êtres doubles. Corrélativement, dans les « sciences cogni-tives », le paradigme dit cognitiviste, à qui la linguistiquechomskyenne a lié son destin, s’est trouvé confronté à unensemble de modèles concurrents, en particulier les modéli!

sations connexionnistes (cf. Rumelhard et alii.19864) et leprogramme de la « vie artificielle » (cf. Steels.1999), qui euxaussi cherchent à rendre compte de la variabilité du langagedans une culture. Ce problème convoque la philosophie nonseulement parce qu’il suggère un nouveau concept d’esprit,une nouvelle manière de penser l’émergence du sens dans lanature, mais aussi parce qu’il redécouvre que les problèmes

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fondamentaux de la compréhension de l’esprit sont ceux durapport entre continuité et discontinuité, invariance etvariabilité, et que ni l’empirisme n i l’idéalisme ne suffisentà y répondre. Les unités et les identités que nous sentons,qui constituent le milieu sensible dans lequel nous vivons,ne sont en effet ni données dans l’expérience dont on les

extrairait à partir des ressemblances et des dissemblancesencre les sensations, ni projetées sur elle à partir d’un schémaformel inné déposé dans quelque case obscure du cerveau,mais dégagées par la structuration réciproque d’une multi!

plicité de plans qualitatifs. Ainsi, il redevient évident que leproblème indissolublement méthodologique et philoso!

phique des théories de l’esprit est bien celui de la détermi!

nation du signe. Le livre de Saussure n’a pas fini de s’écrire.

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NOTES

I N T R O D U C T I O N

RÉÉCRIR E SAUSSURE

1. La définition même des « sciences cognitîves » dépend de cetespace interdisciplinaire particulier plus que d’un objet commun. Iln’est plus guère d’ouvrage sur la problématique « cognitive » qui necomm ence par le préciser. Pour un e in troduction générale en français,on peut renvoyer à la présentation de Daniel Andler (in Andlec. 1993)»pour une introduction engagée au sein des sciences du langage, àLaJcs. 199 6, et pour une approche critique à R ssdec.1991.

2. Cf. les expériences de phonétique expérimentale desannées 30 rapportées par Jakobson .1976.29-30 et celles des années 70rapportées par Pinker. 1994.157.sq.

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PREM IÈRE PARTIE

LE PROBLÈME D U LANGAGE

1. Cette lecture, d’abord formulée par Jean-CIaude MÎIner(Milner.1978.47-69 ec 85- 112 ; Miln er.1989 ; MiIner .2002.15-43),puis par Simon Bouquet (1997). est désormais incontestée (Fehr. 1997,Utaker.2002).

2. Cf. la ph rase célèbre du fon dateur de la grammaire comparée :« Les langues dont traite cet ouvrage sont étudiées pour elles-mêmes,c’est-à-dire comme objet et non comme moyen de connaissance ; onessaye d'en don ner la physique ou la physiologie plutôt qu ’on ne se pr o!

pose d’en enseigner le maniement pratique. » (Bopp.1868.8). Saussurepartage certe vision : « Cette étude inaugurée par les Gtecs, continuéeprincipalement par les Français, est fondée sur la logique et dépourvuede toute vue scientifique et désintéressée sur la langue elle-même ; ellevise uniquement à donner des règles pour distinguer les formes cor!

rectes des formes incorrectes ; c’est une discipline n ormative, fortéloignée de la pure observation, et don r le poin t de vue est forcémentétroit. » (CLG.13). Cf. aussi Foucault. 1966.299- 313.

3. « La classification doit ressortir de l’étude même des objets àclasser. » (Com te.1996.88). Cette question est in dén iablemen tprésence chez Saussure (cf. E. 1.49.295.2R, 16-17 ; G.19). La premièreoccurrence du terme de sémiologie est d’ailleurs la mention qu’en faitNaville, dans saC lassification des sciences (1901).

4. Cette interprétation est celle que retiendra la phonologie(cf. en part iculier Jakobson . 1976).

CHAPITRE I

LA LAN GU E SATANIQUE

1. « Les langues son t des organ ismes naturels qui, sans pouvoêtre déterminés par l’homme, ont pris origine, ont cru selon des lois

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déterminées, se sont développées, vieillissent et enfin dépérissent : ellesaussi participent de cette série de phénomènes qu on a coutume de com!

prendre sous le nom d e “ vie La glotrique, science de la langue, estdonc une science naturelle ; sa méth ode est ent ièrement et généralementla même que celle des autres sciences naturelles. » (Schleicher .1863, inTort. 1980.61-62). Schleicher prétend ainsi inscrire la linguistique dansla nouvelle théorie de l’évolution de Darwin,

2. « La langue en effet n’a d'existence que dans (’esprit et (abouch e de ceux qu i en usen t ; elle est faite de signes distincts et articulésde la pensée chacun étant lié par une association mentale à l’idée qu’ilreprésente, chacun étant émis par un effort volontaire et n’acquérantune valeur et n’ayant cours qu ’en vertu d ’un e convention encre locuteurser auditeurs. Elle est sous leur empire, soumise à leur volonté ; elle estaussi bien conservée que modifiée et altérée, de même quelle peut êtreaussi abandonnée par leur action concertée et consentie, et d’aucuneautre façon quelle qu’elle soit. (...) Bien que [les changements phoné!

tiques] suivent une voie plus cachée et moins connue que celle desadd ition s faites au vocabulaire, ils son t dus à l’action des mêmes forces.Si l’on écritk n ig h tet que l’on prononce [naît] (...) ce n’est pas parceque, en vertu d ’une force inhérente au moc lui-même, la form e la pluspleine a cédé la place à la forme la plus simple, mais parce que la com!

binaison loi, en tant qu’initiale, était quelque peu plus difficile àprononcer pour les organes humains, et que, par suite, elle commençapar perdreson k en premier lieu, dans la bouche des locuteurs négligentset insouciants. » (William Dwight Whitney, Langiiage an d the stiidy o f ¿anguage, London, Ttubner, 1867, Lecture II, extrait traduit dansJacob.1973.155 et 157).

3. Ainsi Whitney :« ( . . . ) à la suite de l’analyse que n ous avonsfaite de la manière don t on apprend et don t on enseigne une langue, dela façon d on t on la conserve en vie, n ous voyons mieux ce que l’on veutdire lorsque, parlant de la langue, on écrit qu’elle a une existenceindépendante ou objective, q u elle est un organisme, ou qu elle possèdeune structure organique, quelle suit des lois de croissance, quelle

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éprouve des inclinations, quelle se développe, quelle s’adapte à nosbesoins, et ainsi de suite. Ce ne sont là qu expressions figurées, c’est lelangage de la trope et de la métaph ore, non celui du fait brut ; elles son tglobalemen t acceptables lorsqu’on les emploie en tou te conscience et àbon escient pour faite br ef ou pour faite image •, maïs eües son t nuisibleslorsque nous les laissons occulter la vraie nature des vérités quellesreprésentent. » (William Dwight Whitney, Language a nd the study o f lanptage , London, Trubner, 1867, Lecture II, extrait traduit dansJacob.1973.155)- Mêmes formules dans le texte de Karl Brugmann etHermann OsthofF, qui fit figure de manifeste des néogrammairiens :« La terminologie y est si contraignante que l’on prend constammentdes expressions figurées par la réalité elle-même et que l’on impose à lalangue même des concepts qui sont des projections grammaticalesobtenues par simple intuition. » {Marphologische Untersuchungen a u f dem G ebie te der indogermanischen Sprachen, Leipzig, 1979,Introduction, extrait traduit dans Jacob. 1973.135).

4. Même formule dans les cours : « On n’osait plus dire : “ Lalangue fait ceci ou cela. " (La langue n’existe pas, mais seulement lessujets parlants !) Les nouveaux linguistes ont peut-être été trop loin. »(E. 1.18.96-100.2R, 162).

5. Ainsi, dans l'introduction déjà mentionnée des Recherches morphologiques , Brugmann et O sth off écrivaient : « Ces principesreposent sur la double idée, immédiatement évidente, premièrementque la langue n’est pas une chose, extérieure et supérieure à l’homme,et m enant sa vie propre, mais que son existence vraie a pou r lieu l’indi!

vidu, d’où suit que tous les changements intéressant la vie des languesne peuven t provenir que des individus parlants ; et deuxièmemen t que

l’activité psychique et physique de l’homme, lorsqu’il s’approprie lalangue héritée de ses ancêtres, lorsqu’il reproduit et réorganise les imagesphonétiques reçues dans sa conscience, doit avoir été essent iellement lamême de tout temps. » (Id.133-134).

6. « Les élémen ts écrits ne font jamais que décalquer d ’unemanière grossière, lourde et t rès souven t fautive, la sonorité d e l’élément

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les différences manières d ’articuler. CF. aussi dans Jakobson . 1963.107-118 la critique du « poin t de vue générique », qu i considère le phonèm ecom me l’invariant substan tiel d ’une classe de réalisations.

4. Ce texte, à la vérité, ne se trouve pas dans les notes de coure. Enrevanche, Bouchardy notait : u Sur qu oi faisons-nous reposer l’iden tité de

Messieurs /et Messieurs comme si le problème était de savoir comm entTon reconnaissait une même réalisation phonétique à travers deux actesde langage aussi différents qu’une exclamation e t une interrogation.

5. « Pour le moment, la linguistique générale m’apparaît comme unsystème de géométrie. O n abourit à des théorèmes qu il faut démontrer. O ron constate que le che'orème 12 est, sous une aut re forme, le mêm e quele théorème 33. » (Godel.1957.30). Dans un autre passage, et pour lamême raison, Saussure écrivait : « Je ne prétends pas faire un système

de géométrie. » Ce problème du cercle des théorèmes est celui quianime la question «Unde Ex on ar? » : par où commen cer? Nouscroyons pouvoir donner la réponse à cette question : par une critiquedes conditions qui permettent de faire du langage un phénomène.

6. Dans le « système de géométrie » provisoire que proposaitSaussure à L. Gautier, Saussure affirmait que l’on arrivait à « cette pre!

mière nécessité » qu’était la séparation de la langue et de la parole « parplusieurs voies opposées », puis il ajoutait : « Ensuite, oui, ce qui estessent iel, c’est le problèm e des un ités. En effet, la langue est nécessaire!

m en t comparable à une ligne d on t les éléments son t coupés aux ciseauxpan, pan, pan, et non pas découpés chacun avec sa forme. Ces élémentsquels sont-ils ?, etc., etc. » (Godel.1957.30).

7. La critique de l’opposition métaphorique entre anatomie et

physiologie, si souvent employée par les linguistes duXIXe, est récur!

rente dan s les ELG (107 , 113, 257). Ainsi : « Voir dans quelle mesurele mot pi èce (opposé àmorceau ) peut servir ou ne pas servir dans lesanalyses linguistiques et dans les comparaisons avec anatomie,mécanique, etc. D e mêmemembre. Un mot, quand on en retire toutesignification, n’a plus demembres, ni même de division quelconque (à

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part les divisions ph oniques), qu and même l’instant d’avant il semblaitavoir desmembres. » (E LG .ll l) .

8. Variante Constan tin : « Mais on peu t construire un hommeidéal tandis que pour les phrases on ne trouve pas ces traits communsque l’on trouve chez les hommes. »

9. Variante Bouchardy : « Les ph rases son t essentiellementdiverses. Pour y trouver une un ité, il faudra de la complexité : je veuxdire des méthodes complexes : et l’on arrive au mot. »

CH AP ITRE III

CRITIQ UE D E LA RAISON PH O NÉTIQU E

1. Troubetzkoy est particulièrement virulent (1939.4 et 9).

Jakobson se montre beaucoup plus nuancé, et malgré ses cridques àl’égard de Saussure, affirmera toujours la filiation genevoise de la dis!

tinction ph on étique-ph on ologie (Jakobson . 1963.107 ; Jakob son .1976.61-63 ; Jakobson.l973.chap.#l4),

2. Saussure fait sans doute référence à l’ouvrage deIC. Brugmann et B. Delbrück,Y A brégé de gram m aire com parée des langues indo-européennes, que Meillet a fait traduire et qui a servi demanuel d’initiation à la grammaire comparée pen dan t des décennies.Le plan de la partie sur la phonologie (sous la responsabilité du seulBrugmann) commence par les principes de phonologie élémentaires,poursuit par les transform ations phonétiques caractéristiques de l’indo-européen, et termine par la composition des phonèmes élémentairesdans des ensembles de phonèmes qui contraignent les transformationsen empêchant (ou au contraire précipitant) certaines transformations(cf. Bru gman n .1905).

3. Des observations similaires ont été réalisées pour montrerque cette successivité ne correspond pas non plus à la réalité ph ysique du son. En ut ilisan t la possibilité desynthétiser des sons, on mont re que<( même la séquen ce de sons que nous croyons entendre dans un m ot

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est une illusion. Si vous deviez couper un enregistrement dans lequelquelqu’un d îtchatte, vous n’auriez pas de fragmen ts qui ressemblent àch,a, et t (...). Et si vous remettiez les morceaux ensemble dans Tordreinverse, cela donnerait quelque ch ose d ’incompréhensible et nontache. (... ) les informations sur chaque com posant d’un m ot sont étalées dansle mot tout entier. » (Pinker.159-160).

4. De même : « Si l’on veut, tout est mécanique en phonologie,

mais dans quel sens il n e peut y avoir un e « mécanique » qu’avecdeux phonèmes et non avecun , c’est ce que nous cherchons dans un autrechapitre à expliquer, et qui est la propre base de l’idée du fait phona!

toire. » (ELG.250).5. Les différentes règles de combinaisons sont exposées dans le

CLG, chapitre II des principes de phonologie, § .3, p. 83-86.6. Dans les notes du premier cours de Riedlinger on trouve :

« Pour la première fois nous sommes sortis de l’abstraction dan s la physio!

logie phonétique ; pour la première fois “ p ” est une chose concrète, estaccompagné d’un temps et peu t être p ar lé *. Jusqu’ici P n’était rien,qu'une unité abstraite. » (£.1.131.941 ; IC37).

7. C f CLG.9 8, note de l’éditeu r : « L’image acoustique est parexcellence la représentation naturelle du m ot en tan t que fait de languevirtuel, en dehors de toute réalisation par la parole. »

D EUXIÈM E PARTIE

L’H YPO TH ÈSE D E LA LANG UE

1. Cf. par exemple la discussion présentée par Auroux. 1998.23-25.2. Ainsi Jakobson : « Le problème ontologique de savoir quelle

forme de réalité se cache derrière la notion de ph onème ne contient véri!

tablement rien de spécifique pour l’idée de phonème. Ce n’est qu’un casparticulier d’un problème beaucoup plus large : quel genre de réalitépeut-on attribuer à toute valeur linguistique et même à t oute valeur engénéral ? » (Jakobson .1976.66). « Le fonctionnement du phonème dans

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la langue est un ph énomène qu i n ous mène à la conclusion : lephonème fonctionne,erg o il existe. On a beaucoup trop discuté sur lemode de cette existence : cette question, concernan t n on seulement lephonème mais toute valeur linguistique en général, est évidemmenthors de la portée de la phonologie et même de toute la linguistique, etil serait plus sensé de l’abandon ner à la philosophie, particulièrement àl’ontologie, qui spécule sur l’être. La tâche qui s’impose au linguiste,c’est l’analyse approfondie du phonème, l’étude systématique de sasrrucrure. » (Jakobson .1976.79). Cf. aussi Troubenzkoy. 1939.44 . Cettemanière d’écarter le problème ontologique nest finalement possibleque parce que le phonèm e est défin i par sa fo n c tion dan s la langue.

CH AP ITRE I

LE PRO BLÈM E D E L’ANALYSE IN TU ITIV E

1. Phrase supplémentaire dans la version J. : « En ce sens, l’imagevisuelle fixe assez bien ce dépôt acoustique don nant un e forme tangibleau phénomène de la langue. » Ce texte essentiel a été rendu par deuxpassages dans le CLG, eux aussi tout à fait explicites : « Les signes lin!

guistiques, pour être essentiellement psychiques, ne sont pas des

abstractions » (CLG.32) et « Les signes don t la langue est composée nesonr pas desabstractions, m ais des ob jets réels. » (CLG. 144).

2. Cf. aussi Tullio de Mauro (CLG.426.N70).3. De même, dans le passage sur la délimitation de la langue

dans l’ensemble hétéroclite du langage, Saussure distingue, dans ledomaine « psychique », une partie active ou exécutrice, et une partiepassive : seule la deuxième permet de définir la langue. (CLG-30 ;3 C 26 8 et 3C.269).

4. Cette expression est des éditeurs, mais non la phrase : « Notreappareil vocal est-il fait pou r parler, articuler, comme n os jam bes pourmarcher ? » (E.1.33-165- 3C.264).

5. « Q uan d on a détaché ce qui a produ it cette impression, on

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a encore toute la langue dans le cerveau par exemple de l'homme quidor t. » (E.1.55 .338.2R,29). « Limage acoustique c’est l’impression quinous reste, impression latente dan s notre cerveau. » (E. 1.43 .261.30,14).

6. Saussure parle de «division ressentie» (E.l.386.2574.1R.2,67), d’« analyse ressentie» (E.1.387.2580.lR,2.69 ;ICI 18), de«recon naîtr e des subdivisions ressenties dans le m o t» (E. 1.416.2762.111,2.66 ;ICI 16), etc.

7. Cf. aussi : « Rappelons-nous que tout ce qui esc dans le sen!

timent est phénomène réel. (...) Je rappelle : Réalité = fait présent à laconscience des sujets parlants. » (ELG.192). « Pour savoir dans quellemesure une chose esc, il faudra chercher dans quelle mesure elle est dan sla conscience des sujets parlants, elle signifie. Don c une seule perspective,méthode : observer ce qui est ressent i par les sujets parlan ts. »(E.1.200.1505.2R.85 ; G.75). « Ce qu i existe, c’esc ce qu i est ressenti. »(E .l .307.21512.2R.85 ; G.75).

CH AP ITRE II

LING U ISTIQ U E SÉRIELLE

1. « Ce classement sera le trésor des matériaux constammentmis en ceuvre dans la parole. » (E.1.31Û.2174.1R.2.27 ; IC-94).

2. « À l’inverse du formalisme, le structuralisme refuse d’opposerle concret à l’abstrait, et de reconnaître au second une valeur privilégiée.La f àr m ese définit par opposition à une madère qui lui est étrangère ; maisla structure n’a pas de contenu distinct : elle est le contenu même,appréhendé dans une organisation logique conçue comme une propriétédu réel.» (Lévi-Strauss.1973.139). Tout l'article «La structure et laforme >*est une illustration de ce poin t de vue, à partir d ’une discussionde la méthode d’analyse des contes de Prûpp. Us agit d’un des exposes lesplus claits et les plus stimulants sur la not ion même de structure.

3. Ces représentations externes qu i font partie de la langue cons-tituen t ce que S. Aurou x appelle une « hyper-langue » (Aucoux.

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1998.115). L’épilinguistique étudie leur rôle dans la pr atique du lan!

gage : il ne s’agit pas de métal angages, pu isqu’elles ne requièren t pas unlangage propre, mais des conditions de la pratique même quellesreprésentent (cf. Auroux.1989.18sq., la note 4, id .34, et les divers articlesdu premier chapitre). Mais alors qu’Auroux (1998) interprète cettedétermination de la « compétence des sujets » par les « compétencesréalisées » comme une conséquence du fait que « n’existent, dans cer!

taines portions de l’espace-temps, que des sujets, dotés de certainescapacités linguistiques », qu i peuvent donc transform er leur compé!

tence en u tilisant desoutils, nous la dédu isons d’une interprétation quisuppose la réalité de la langue. S’opposant absolument à cette« hypostase », S. Auroux reste, semble-t-il, pris dans une conceptionfondamentalementinstrum entale du langage, et ne fait donc quajouter des dimensions à la « compétence » chomskyenne.

4. De manière cohérente, Jean-Claude Mîlner, faisant du juge!

men t grammatical le réel même de la linguistique, ne peut admettre quela dimen sion politique soit une d imensionintérieure, bien queseconde dela langue elle-même (cf Milner.2000.8-10). II ne fait en cela qu’expliciterla position de Ch om sky lui-même.

5. Les form ulation s de W hitn ey son t sans ambiguïté : « Le lan!

gage au sens concret est la somme des mots et des phrases grâce aux!

quels un homme exprime sa pensée. » (Cité in Chomsky.1968.37 et1964.22). Il s’agit d’un article de Whitney contre Steinhal, discipletar dif de H um bold t : « Une langue est plutôt composée d’un grandnombre d’éléments, chacun ayant son momen t, son occasion, son effet.(. ..) La tâche du linguiste est donc de dresser la liste de ces formes lin!

guistiques et d’étudier leur h istoire individuelle. » (in 1968.37).6. «For the n aive falsification n ist any theory which can be inter!

preted as experim entally falsifiable, is 'acceptable" or “scien tific". For the sophisticated falsification n ist a theory is "acceptable" or "scien tific’' only i f it has corroborated excess em pirical content over its predecessor (or rival), only i f it leads to the discovery o f novel fac ts.» (Lalcatos.1978.32).

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L’argumentation ad hoc est caractéristique des programmes derecherches « dégénératifs».

7. Cet exemple est développé dans Martinet.1975.14-15.8. « La linguistique statique peut réclamer bien des choses qu on

range dans la linguistique générale. Elle pren dra ce qu’il y a de commu nentre tous les états de langue observables. C’est à cette généralisationqu’appartient même ce que l’on a appelé la grammaire générale qui

compr endra notamm ent les poin ts où la linguistique touche de près à lalogique. Les catégories comme le substantif, le verbe, voilà ce qui peutêtre réclamé finalemen t par la linguistique stat iqu e... » (K.348).

CH APITRE III

LANGAGES MORTELS

1. On peut trouver une description de cette expérience psy!

chologique de l’inspiration linguistique dans le récit autobiographiqueque Saussure a fait de sa découverte de la nasale sonnante, à l’âge deseize ans : « Nou s lûmes pen dan t le premier semestre ou le secon d —jene me souviens pas de l’époque de l’année —un texte d’Hérodote. Cetexte contenait la forme TETax&TCU. La forme TEraxcruai était pour

moi complètement nouvelle. J'avais appris à l’école de M. MartineT E r aY fiE V O t E i a iselon la grammaire Haas qui r égnait souverainementà cette école, n’adm ettant que les form es attiques. À l’instant où je visla forme TEr axct t at , mon attention, extrêmemen t distraite en généralcomme il était naturel en cette année derépétition , fut subitementattirée d’une manière extraordinaire, car je venais de faire ce raison!

nement, qui est encore présent à mon esprit à l’heure qu’il est :

XsYO(J.8V0a : ^EyotoraL, par conséquen t TExay}XE0a : ce raxcn m etpar con séquen t N = a . » (« Souven irs de jeun esse », CFS, n °17, p. 18).

2. À la vérité, il ne l’est pas : il a le contexte qui le mot ive commeexemple pertinent. Voir l’analyse de la virtualisation des traits dans l’exem!

ple de grammaire considéré com me myth e par Barthes (1957.200).

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3. Cetre thèse, selon laquelle l’inconscient est le réel même de lapensée, ou l’objectivité de l'esprit, nous semble au cœur du conceptd’inconscient construit par Freud lui-même, dans un contexte de discus!

sions très vives sur la nature du « subcon scien t », du « sublim inal », etc.4. E.1.44.268.3C,273 : « somme de signes évocables ».5. E.1.44.268.3C,273 : « ensemble des associations ratifiées ».

E.1.46.276.3C,16 : « ensemble de signes fixés par un accord ».6. Même dans des unités macrosyntagmatiques fort complexes,

comme les arguments philosophiques, on peut voir que l'une descon dition s essentielles de leurusage tient précisément à la possibilitéde les définir structuralement et non plus génétiquement. Et peut-être en va-t-i! de même en mathématiques. Même si une nouvellethéorie mathématique émerge à partir d’une complication desthéories mathématiques précédentes, un moment important de l’in!

vention mathématique esc celui où le mathématicien s’efforce deprésenter une démonstration qui permet de saisirin tuitivem ent sonrésultat. Autrement dit, la structure est un moyen de se faire desintuitions. Et on peut pronostiquer que les éléments pertinents auniveau structural pour définir un syntagme ne sont pas forcémentceux par lesquels il a été composé. Un peu de la même manière quece ne sont pas pour les mêmes raisons que, comme le dit Saussure,

les savants inventent des mots et que les masses les utilisent...

CH APITRE IV

CO M M ENT SE FAIRE UN E LANG UE

1. « La question de l’origine du langage n’a pas l’importan

quon lui attribue généralement. Ce n’est pas même une question àposer (...) . » (CLG.105). Cet te phrase du C LG a pu passer pour uncredo structuraliste, alors qu’en cela Saussure ne fait qu’interpréter uneposition officialisée en 1866 par le célèbre article II des statuts de laSociété de linguistique de Paris : « La société n’admet aucune commu-

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nîcation concernant soit l’origine du langage, soit la création d’unelangue universelle. » Sur l’histoire du refoulement institutionnel duproblème de J’origîne du langage, mais aussi sur la persistance de ceproblème chez les meilleurs esprits, cf. l’article de S. Auroux, inAuroux.2000.422-431.

TRO ISIÈM E PARTIE

LES PARADO XES D U SIGN E

CH APITRE I

LA DU P LICITÉ DES SIGN ES

1. Un peu plus loin, Saussure répète : « Ce qui est significatif setraduit par une délimitation d’unité, c’est la signification qui la crée,elle n’existe pas avant: <ce ne sont pas les unités qui sont là pourrecevoir un e signification:». » (E. 1.240.1737.2R,42 ; G.41). Les autrescahiers d’étudiants sont tout aussi formels : « L’unité ne préexiste pas.C’est la signification qui la crée. » (2G,1.10b). « Ce ne sont pas lesun ités qui son t là pou r recevoir une signification, c’est la signification

qui crée une délimitation d’unité. » (2B,26) « L’unité, c’est la significa!

tion qui la crée. » (2C,34).2. Par là Saussure veut désigner le représentant actualisant une

virtualité sémiologique, en l’occurrence, pour la langue, une « figurevocale ».

3. Cf. Sapir : « II est tout à fait inexact de croire que —pourl’essent iel - on entre en con tact avec la réalité sans le secours du lan!

gage et que celui-ci n’est qu’un instrument, d’une importance sommetoute secondaire, qui nous permet de résoudre des problèmes spéci!

fiques de com mun ication ou de réflexion. En fait, le “ m onde réel ” est,pour une large part, inconsciemment fondé sur les habitudes linguis!

tiques du groupe. » (1968.134). O u W h or f : «We are inclined to think

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N ates

oflangiiage as a technique o f expression, an d not to realize th at langiiage first o f ail is a classification an d arrangm en t o fthe stream ofsensoiy expe- rience which results in a certain world-order. » (1956.55). On peut sereporter à la réfutation ferme ec amu sante de Pinlcer (1994.53-79).

4. Ce contresens est particulièrement manifeste chezDescombes : « Dans la conception sémiologique du langage, la subor!

dination du signe à autre chose prend fin. (...) Le signifiant précède,

domine, et finalement se passe du signifié, lui qui pourtant affected ’être un simple “ substitu t ”, chargé de prendre la place d ’autre choseet de l'évoquer. » (1983.181).

5. « Il faut que le concept ne soit que la valeur d’une imageacoustique pour faire partie de l’ordre linguistique» (E.l.232.1696.3C.288). Cette apparente contradiction est une croix des exégètes deSaussure (cf. Gadet.1987.67, Bouquet.l997.3l8sq., Badir.2001. 36sqMNormand,2Q02.l48-151, et dé jà Godel. 1957-236sq.),

6. Cette dissymétrie a été remarquée notamment par Tullîo deMauro (CLG.461.N225).

7. Ces réflexions sur la synonymie sont développées dans troisfragmen ts consécut ifs (les n °25 , 26, 27 d e la première partie des ELG).

8. Cette expression se trouve dansle cahier de Constantin pournoter lamême expression...

9. La comparaison avec le mélange chimique est pertinente parcertains aspects, et inadmissible par d ’autres, com me toutes les autres. Elleest pertinente dans la mesure où 1) les « termes » de l’eau, c’est-à-direl’oxygène et ¡’hydrogènes sont homogènes et de même nature, égalementcorps chimiques, comme l’impression acoustique et le concept sontégalement desimpressionspsychiques, et 2) leur « un ion » constitue un fait

nouveau, l’eau, qui ne se résume pas à l’addition des propriétés de l’unavec les propriétés de l’autre. Cependant, cette comparaison est grave!

ment en défaut par ces deux faits simples que 1) l'oxygène et l’hydrogène précèden t l’eau, et l’on n’a pas besoin d'oxygène pour reconnaître del’hydrogène, et 2) leur union est fondée physiquement, par des

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phénomènes d’ionisation, alors que L’un ion du signe esc tou jourscoï n !

ciden te, toujours « arbitraire », c’est-à-dire non fondée causalement.10. Même Foucault faisait de Saussure un restaurateur du

«i problème du signe» : « En coupan t le langage de ce qu’il représente, onle faisait certes apparaître pour la première fois dans sa légalité propre etdu même coup on se vouait à ne pouvoir le ressaisir que dans l’histoire.On sait bien que Saussure n’a pu échapper à cette vocation

diachron ique de la ph ilologie, qu’en restaurant le rapport du langage àla représentation, quit te à reconstituer un e “ sémiologie ” qu i, à lamanière de la grammaire générale, définit le signe par la liaison entredeux idées. » (Foucau lt.1966.307). D an s sa présentation de la concep!

tion « classique» du signe au XVIIe siècle (id.72-81), Foucault utilise lestermes de « signifiant » et de « signifié » pour parler de la « théorieduelle du signe » et du rapport entre le représentant et le représenté

(id.78), comme si ces termes n’avaient pas une acception technique etétaient interchangeables avec ceux de représentant et représenté.

11. On retrouve cette idée chez Lévi-Strauss : la musique est lastructuration de l’expérience phon ique seule, alors que la mythologie estla structuration du niveau sémantique seul, la langue étant leur doublestructuration (1971.578sq.). Le problème de l\< audition colorée» ad’ailleurs préoccupé Lévi-Strauss (cf. « Des sons et des couleurs », inLévi-Strauss. 1993.127- 137).

CH APITRE II

LA FACULTÉ DE S’AT TA CH ERA DES TER M ES EN SO I NULS :

TH ÉO RIE D E LA VALEUR

1. Il s’agit d’une pet ite fable édifiante, à la manière de LFontain e, rédigée « en indo-européen », don t voici le texte : « A vi ak vasaas ka. A vis, jasm in v am aa na aa ast, dadark a akvants, iam , vaagham garum vahantam , tam , bh aaram m agham , tam , m anum aaku

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bh arantam . A vis akvabh jam s aa vavak at : k ard aghn utai m at v idan ti m anum akvam s agantam . A kvaasas aa vavakant : krudhi avai, kark aghnu!

tai v ivisvant-svas : m am is patis vam aam av isaam s k am auti svabhjam gbarm am av ibh jam s k a varn aa n a asti. Tat kuk m vants av is agram a bhagat. » En voici maintenant la traduction : « [Le] mouton et [les]chevaux. [Un] mouton auquel [la] laine n’était pas {un m outon tondu) vit [des] chevaux, celui-ci tirant [un] lourd chariot, celui-là [une]

lourde charge, cet autre portan t rapidemen t [un] hom me. [Le] mou tondie [aux] chevaux : [Le] cœur se rétrécit [en] moi (ça me désole), envoyant [T]homme mener [les] chevaux. [Les] chevaux disent : écoutemouton [le] cœur se rétrécit [dans les] ayant vu (nous nous désolons de ce que nous savons bien) : [l’]homme [le] maître fait [de la] laine [des]moutons [un] vêtement chaud [pour] lui et [aux] moutons [la] lainen’est plus. Ceci entendu-ayant [le] mouton plia (s’enfuit) [sur le]

champ {ilp r it la poudre d'escam pette). » (Trad. à partir de l’allemand inAuroux.2000.165).

2. Cf. la comparaison avec l’écriture : « Valeur négative ou dif !

férentielle du signe : <il n’emprun te sa valeur qu’aux différen ces> (pourt par exemple, chez une même personn e T tt t t ; mais ce qu’on luidemande c’est qu’il ne soit pas tout à fait identique à un / oun !). »(E.l.269.1932.2R, 13 ; G.15).

3. Cf. CLG .162 : « Dan s tous ces cas nous surprenons don c aulieu 6!idées données d’avance, desvaleurs émanant du système. Q uan don dit quelles [les valeurs] correspondent à des concepts, on sous-entend que ceux-ci sont purement différentiels, définis non pas posi!

tivement par leur contenu, mais négativement par leurs rapports avecles autres termes du systèmes. »

4. Cf. CLG.151 : « Un mot peut désigner des idées assez dif !

férentes sans que son identité soit sérieusement compromise(cf. « adopter une mode » et «adopter un enfant », la « fleu r à\ i pom mier »et la « f le u rât la noblesse », etc.). »

5. La version de Dégallier est beaucoup plus vraisemblable : « Il

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n’y a de différences que si l’on par le soit des signifiés soit des signifiants. »C ’est-à-dire que la différence s’applique aux pians qualitatifs séparés.

6. Troubeczkoy, au contraire, nadmectaic pas la distinctionconceptuelle ent re différence et opposition t <i L’idée de différence supposel’idée d’opposition . » (1939.33). G. Deleuze a très bien vu l’importancede cette thèse (qu’il l’att ribue à tort à Saussure aussi), ainsi que son rap!

por t avec une approch e fonctionnaliste d u langage, qu i postule le sens

comm e quelque chose de déjà donné :« Quand nous interprétons lesdifférences comme négatives et sous la catégorie de l’opposition, nesommes-n ous pas déjà du côt é de celui qui écoute, et même qui a malentendu, qui hésite entre plusieurs versions actuelles possibles, quiessaie de s’y “reconnaître” en établissant des oppositions, le plus petitcôté du langage, et non pas le côté de celui qui parle et qui assigne lesens. » (Deleuze.19S8.264).

7. Conformément à certains usages, nous utilisons les barrespour indiquer la valeur phonologique (signifiant), et les guillemetsanglais pour indiquer la valeur sémantique (signifié). Nous mettronsentre crochets droits la valeur totale elle-même. Nous réservons lesguillemets français à la simple mention d’un terme tel qu’il peut appa!

raître dans notre propre texce, autrement dit lorsque cette mention necorrespond à aucune défin ition techn ique particulière et ne repose suraucune séparation « théorique » entre langage et métaiangage.

8. Jusqu’ici nous suivon s le cahier de Gautier, qui est plu s clair.9. Saussure disait à propos de l’oppositivité des valeurs : « Par là

même tout l’objet sur lequel porte la science du langage est précipitédans une sphère de relativité, sortant tout à fait et gravement de cequ'on en tend d’ordinaire par la “relativité” des faits. » (ELG. 1,20b.65).

10. Quand Saussure parle ici de l’idée cher il n’entend pas lesignifié “cher”, mais la valeur elle-même qui, nous l’avons vu, est unepensée complexe.

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CHAPITRE IIIL’ESPRIT OBJECTIF

1. «Réalité, élément concret, unité se confondent. On estobligé de reconnaître q u il y a deux espèces d’îdendté dans la langue,ou en tout cas deux ordres de problèmes d ’iden tit é.» (E. 1.413.2746 .2R,53 ; G.50).

2. Saussure utilise ici le terme de « symbole )>non pas au sensquil lui donnera par ailleurs dans les leçons, et qui deviendra célèbre,mais comm e exact synonyme de signe,

3. Sur la « querelle des lois ph on étiques», cf. Caussat.1978, ou,plus succinctemen t, Robins. 1967.194-197 et Au rou x.2000.159-162 et412-422.

4. On trouvera une tentative d’explication du phénomène dupoin t de vue génétique dans M artin et.1986.87.5. C ’esc en ces termes, si Ton en croit Robins, que la grammaire

indienne posait le problème, d istinguant à sa manière entre parole etlangue ou perform ance et compétence, à travers les concepts ded h v ani et de sphata : « Essentiellement, on distingue dans tout élément ouconstituan t linguistique deu x aspects, l’occurren ce réelle ou réalisation

individuelle(dhvani] et l’entité permanente et inexprimée(sphotd), qu’actualise chaque dhvani. (...) Mais les sons ne fonctionnent passeulement com me des pertu rbations audibles de l’air ; une un ité per!

manente et abstraite particulière de signalisation sonore distinctive,capable de différenciation sémantique, s’actualise par la multitude deprononciations légèrement différen tes, don c chacune varie avec la voixde l’individu, son style et l'état physique dan s lequel il se trouve. Cettedernière conception de lav am a sphota esc particulièrement associée àPatanjali (env. 150 av. J.-C.). » (Robins.1967.146).

6. « Cela nous montre un fait sur lequel nous aurons à revenir :la passivité des sujets parlan ts devant le signe. » (E .l. 186.1386.3C,339 ; IC331).

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7. « Très schém atiquem en t, on peu t dire que la philosoph ieclassique (le Théorique existant) disposait en tout et pour tout ddeux systèmes de concepts pour penser l'efficace. Le système mécanisd’origine cartésienne, qu i rédu isait la causalité à un e efficace t ransitiet analytique : elle ne pouvait convenir, sinon au prix d’extraordinairdistorsions (comm e on le voit dans la « psychologie » ou la biologie Descartes), à penser l’efficace d’un tou t sur ses éléments. O n disposa

pourtant d ’un second système, conçu précisément pour rendre compde l’efficace d’un tout sur ses élémen ts : le concept leibnizien de Xexpre s!sion. C'est ce modèle qui domine toute la pensée de Hegel. Mais isuppose dans son principe que le tout, dont il esc question, soréductible à un principe d’intériorité unique, c’est-à-dire à uneessence intérieure; donc les éléments du tout ne son t alors que des formes d’expre!

sion phénoménales, le principe interne de l’essence écanr présent echaque point du tout, de sorte qu’à chaque instant on puisse écrirl’équation, immédiatement adéquate :tel élément (économique, poli!

tique, juridique, littéraire, religieux, etc., chez Hegel) = Xessence intérieure du tout. On avait bien là un modèle permettant de penser l’efficace dtout sur chacun de ses éléments, mais cette catégorie essencintérieure / phénomène extérieur, pour être en tous lieux et à touinstant applicable à chacun des phénomènes relevant de la totalité equestion,supposait une certaine nature du tout, précisém ent cette n ature d'un tout «spiritu el », oit chaque élément est expressifde la totalité entière, com me « pars tot alis». En d’autres termes, on avait bien chez Leibn iz etHegel une catégorie de l’efficace du tou t sur ses élémen ts ou ses partimais à la condition absolue que le tout ne fut pas une structure. (Althusser. 1965.403).

8. « La base de t ous les récits merveilleux, du moin s reposant sula légende reprise de Thésée, est une suite d ’épisodes qui ne com por temoralité ni même d’autre cohésion que celle de la suite chronologiqdu récit. » (Ms. fr. 3959/10,17).

9 Le terme « matériels » ne doit pas être pris au sens propremais au sens designe.

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CONCLUSION

1. C’est ce que dit très bien Wahl (1968) : ce texte avait de sur!

croît , dan s la publication originelle, l’avantage de suivre les exposés desentreprises structurales, d’en tenter undiagnostic, et non pas de lesanticiper. Cf. aussi Benoisc.1975. Il est évident que l’on peut inverser laproposition et, à la manière de Ferry ec Renault, faire de la sémiologie

plutôt la conséquence ou la stratégie de l’anti-humanisme que sonprincipe...1. Il ne faut pas confondre deux choses : d’une part le fait que

l’on dise qu ’un événement est comme tel ce qui varie et peut êtreconnu à condition que l’on compr enne la variation qu’en lui-même il est ; etle fait que l’on puisse chercher à déterminer les conditions detoute tran sform ation en général. Outr e que ce projet reste toujours program!

matique, il s’agit là d’invariants purement form els, et surtout d’in!variants qui portent sur les conditions sous lesquelles quelque chosepeut être constitué en soi comme intrinsèquement en variation. Lathéorie des formes universelles de l’esprit hum ain sera un e logique d ’ungenre nouveau, une logique de la variation, de la transformation, du« bricolage », etc. Autrement dit, les « invariants » don t Lévi-Strauss faitl’ob jet u ltime de tou tes les « sciences de l’espr it >>ne son t pas con tradic!

toires avec la thèse selon laquelle les « choses de l’espr it » son t desentités en variation contin ue (c£ Maniglier.2Q0Q).

3. Le modèle de l’historicité restera pour Bergson jusqu’aubout psychologique, c’est-à-dire restera l’h istoire d'u ne personn e. Unévénement restera toujours défini comme quelque chose qui affecteun e conscience, une modification de soi par soi. C ’est là évidemmentqu’il faut situer la divergence entre Freud et Bergson, qui pour le resteon t bien des points commun s.

4. Cf. surtou t Laïcs. 1996, qu i associe l’hypoth èse conn exion-niste et l’hypoth èse variationniste (Smolensky e t Labov), sou s le signede Saussure et d ’un « néostructuralisme » (id.20).

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BIBLIOGRAPHIE

N ota bene : On trouvera une bibliograph ie très complète des textes et fragm entspubliés de Saussure, ain si que de nom breux textes sur Saussure dans Feh r.1997. N ous ne m entionnons ici que les textes don t nom nous servons effectivement.

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REMERCIEMENTS

Ce travail est la version réduite d’une thèse soutenue le2 décembre 2002 à l’université de Paris-X Nanterre, sous la directiond’Étienne Balibar, devant un jury composé de Sylvain Auroux, AlainBadiou, Ali Benmakhlouf, Simon Bouquet et Yves Duroux. Je tiens àles remercier tous pour leurs chaleureux commentaires et leurs utilesremarques.

Une dette ancienne et précieuse me lie particulièrement à ÉtienneBalibar qui a dirigé mes recherches depuis toujours, avec unegénérosité, une ampleur de vue, une érudition, un professionnalisme,une joie de philosopher, dont je mesure aujourd’hui plus que jamais larare combinaison. Qu’il veuille accepter ce livre en témoignage de magratitude et de mon admiration.

Je dois à l’université de Nanterre, et aux collègues qui m’y ontrecruté, d’avoir pu mener à bien ce travail dans des conditions finan!cières décentes : ce livre est aussi une réponse à la question « où val’argent public ? ».

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Simon Bouquet et Béatrice Turpin m’ont transmis des textesinédits de Saussure qu’ils s’apprêtaient à publier mais qui étaient encorsous presse : qu’ils en soient ici une fois de plus remerciés.

Frédéric Maniglier m’a plus d’une fois sauvé d’un désastre infor!matique : qu’il soit assuré de ma fraternelle reconnaissance. À ma mèrequi m’a accueilli à certains moments clefs de la rédaction de cet ouvrage

je dois beaucoup plus que je ne saurais dire.Enfin, ma gratitude va à Catherine Malabou qui a immédiatement

accueilli cet ouvrage dans sa collection, ainsi qu’à Léo Scheer et à toutel’équipe des éditions dont l’enthousiasme et la compétence aurontcontribué à donner à ce livre son destin définitif.

Quant à Marcela Iacub, je lui sais juste gré d’exister : de cetteexistence, ce livre garde une trace mystérieuse mais décisive.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION : RÉÉCRIRE SAUSSURE...............................7

APPARAT CRITIQ UE.................................................................... 291. Pr é s e n t a t i o n d e s t e x t e s d e Sa u s s u r e .............................2 9

2. A b r é v ia t i o n s ................................................................. .............. 323. Co n v e n t i o n s t y p o g r a p h i q u e s............................................33

PREMIÈRE PARTIE : LE PROBLÈME DU LANGAGE.............35Chapitre I : La langue satan ique........................................................45

1. Le MIRAGE LINGUISTIQUE...........................................................42. À LA RECHERCHE DE L’OBJET CONCRET ................................. 5

Chapitre II : L’immatérialité du langage............................................71. Le s d u a l i t é s................................................................................. 74

2. L e s i d e n t i t é s ................................................................................ 823. Le s u n i t é s ..................................................................................... 91

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Chapitre III : Critique de la raison ph on ét iqu e....................................101

1. L’é c r i t u r e d e l a v o i x ............................................................ 103

2. L e s l o is d e l a p a r o l e ..............................................................113

D EU XIÈM E PARTIE : L’H YP O TH ÈSE D E LA LA N G U E...... 129Ch apit re I : Le pr ob lèm e de l’analyse in tu it iv e ......................................139

1. La p a s siv i t é d u l a n g a g e .............. .........................................141

2. L’é v o c a t i o n d e s u n i t é s ............................. ...........................1443. L e s in t u i t i o n s g r a m m a t i c a l e s . .........................................151

Ch apit re II : Lin gu ist ique sér ie lle..............................................................161

1. L’ a n a l y se i n t u i t i v e ................................................................. 162

2. L e c o r p s d e l a s y n t a x e .........................................................168

3. L e m o u v e m e n t d ’à c ô t é ...... ...............................................180

Ch apit re II I : Lan gages m or t els................................................................. 187

1. D ’ u n s y n t a g m e q u i v i e n t à l ’e s p r i t ............................... 1902. L’a c t e d e p a r o l e . ......................................................................1953. Ch o s e s d i t e s..............................................................................202

Ch apitr e IV : Com m en t se faire un e la n gu e ...........................................215

1. La f a u s s e d i a l e c t i q u e d e l a l a n g u e e t d e l a p a r o l e ... 2162. De l a d u a l i t é d e l a f a c u l t é d u l a n g a g e .................... 220

TRO ISIÈM E PARTIE : LES PARADOXES D U SIG N E .............227Ch ap it re I : La duplicit é des sign es........................................................... 231

1. L’ in t é r i o r i t é d u s i g n e ..........................................................2 35

2. P h i l o s o ph i e s y m b o l i s t e ....................................................... 2563. L a f o r m e e t l ’ê t r e d e s s u r f a c e s ......................................276

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Table des matières

Chapitre II : La faculté de s’attacher à des termes en soi nuls :Th éor ie de la valeu r ..................................................................................... 283

1. La n é g a t i v i t é d e s s i g n e s......................................................2842. Ge n è s e d u s i g n e ...................................................................... 300

Q U AT R I ÈM E PA RT IE : L E P R O JE T SÉ M I O L O G I Q U E.........335Chap itre I : L’in stitution p u r e...................................................................343

1. La l a n g u e, c h o s e s o c i a l e ................................................... 3462. La n o n l i b e r t é d e c e q u i e s t l i b r e . ................................353

3. L e r e t a r d d a n s l ’o r i g i n e .....................................................361

Ch ap it re II : La lan gue d io n ysiaqu e..........................................................371

1. L’ ê t r e d u d e v e n i r ....................................................................372

2. L’ ê t r e d u m u l t i p l e .................................................................. 386

Ch apit re III : L’esprit o b je ct if....................................................................401

1. L e c h a m p d e s s i g n e s ...............................................................403

2. L e s a l é a s d e s v a l e u r s ............................................................ 411

3. L a v i e d e s s i g n e s ....................................................................... 429

C O N C LU SIO N : L’ESP RIT D U ST R U C T U R A LI SM E.............447

N o t e s..................................................................................................................4 73

Biblio gr aph ie...................................................................................................4 95

Rem ercie m en ts............................................................................................... 509

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DU MÊME AUTEUR

A ntim anuel d ’éducation sexuelle (en collaboration avec MarcelaIacub), Paris, Bréal, 2005 La Culture, Paris, Ellipses, 2003

M atrix, machine philosophique (en collaboration avec A. Badiou,T. Bénatouïl, E. During, D. Rabouin , J.-P Zarader), Paris, Ellipses,2003

Le Vocabulaire de Lévi-Strauss, Paris, Ellipses, 2002

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