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© Masson, Paris, 2005. Rev Epidemiol Sante Publique, 2005, 53 : 251-256 Vieillissement Marchés et vieillissement Market and ageing M.-E. JOËL Laboratoire d’économie et de gestion des organisations de santé (LEGOS), Université Paris-Dauphine, place du Maréchal-de- Lattre-de-Tassigny, 75116 Paris. Email : [email protected] (Tirés à part : M.-E. Joël). Ageing can be defined as growth of the proportion of elderly people in the population, but also as a group of transformations in life cycles: older age at time of first job, marriage, birth of first child, early retirement, longer life expectancy, active retirement, greater number of dependent persons. The economic impact of the ageing population has been extensively studied from the perspective of the social security fund. In France and in most developed countries, population ageing has conside- rably destabilized social accounting creating a gap between a system thought out after WWII and the present social environment. The current response of social security system to elderly person’s needs is considered inadequate. There are however other consequences of ageing. It is important to measure the upheaval caused by longer life expectancy and changing life stages on all markets. Three kinds of markets are involved in different ways: job market, services market for the elderly and all goods market for seniors and golden aged. Many studies have focused on the links between economic production and physiological ageing. The traditional organisation of working conditions stresses working intensity over experience, young wor- kers’capabilities over than those of older workers. The link between age and the job market can also be analyzed by considering supply and demand for employment for workers over 50. Another question is the workforce shortage forecasted in some sectors (health and social sectors in particular) and the role of immigration. Growth in the supply of long-term care will require restructuring of the sector’s logistics and financing. Certain trends are appearing: government authorities are reducing their supply of services, private production is increasing, public financing is being maintained, and individual contributions are growing while the role of insurance has remained stagnant. A qualitative analysis of the markets also shows heterogeneous workers situations and status creating difficult consequences for manage- ment decision making. The best-known impact of ageing on markets is the development of the senior and golden-age mar- kets (technical help, accessibility, improved housing, leisure activities and training…) The particula- rities of these markets and their development are extensively studied, particularly questions related to new technologies. Ageing. Job market. Services for elderly people. Senior. Long-term care. Le vieillissement peut se définir comme l’accroissement du nombre de personnes âgées mais aussi comme l’ensemble des transformations du cycle de vie : décalage de l’entrée sur le marché du travail, Ce texte a fait l’objet d’une présentation au Colloque de la RESP, à Paris, le 6 décembre 2004.

Marchés et vieillissement

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Page 1: Marchés et vieillissement

© Masson, Paris, 2005. Rev Epidemiol Sante Publique, 2005, 53 : 251-256

Vieillissement

Marchés et vieillissementMarket and ageing

M.-E. JOËL

Laboratoire d’économie et de gestion des organisations de santé (LEGOS), Université Paris-Dauphine, place du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 75116 Paris. Email : [email protected] (Tirés à part : M.-E. Joël).

Ageing can be defined as growth of the proportion of elderly people in the population, but also asa group of transformations in life cycles: older age at time of first job, marriage, birth of first child,early retirement, longer life expectancy, active retirement, greater number of dependent persons.

The economic impact of the ageing population has been extensively studied from the perspective ofthe social security fund. In France and in most developed countries, population ageing has conside-rably destabilized social accounting creating a gap between a system thought out after WWII and thepresent social environment. The current response of social security system to elderly person’s needsis considered inadequate.

There are however other consequences of ageing. It is important to measure the upheaval causedby longer life expectancy and changing life stages on all markets. Three kinds of markets are involvedin different ways: job market, services market for the elderly and all goods market for seniors andgolden aged.

Many studies have focused on the links between economic production and physiological ageing. Thetraditional organisation of working conditions stresses working intensity over experience, young wor-kers’capabilities over than those of older workers. The link between age and the job market can alsobe analyzed by considering supply and demand for employment for workers over 50. Another questionis the workforce shortage forecasted in some sectors (health and social sectors in particular) and therole of immigration.

Growth in the supply of long-term care will require restructuring of the sector’s logistics andfinancing. Certain trends are appearing: government authorities are reducing their supply of services,private production is increasing, public financing is being maintained, and individual contributionsare growing while the role of insurance has remained stagnant. A qualitative analysis of the marketsalso shows heterogeneous workers situations and status creating difficult consequences for manage-ment decision making.

The best-known impact of ageing on markets is the development of the senior and golden-age mar-kets (technical help, accessibility, improved housing, leisure activities and training…) The particula-rities of these markets and their development are extensively studied, particularly questions related tonew technologies.

Ageing. Job market. Services for elderly people. Senior. Long-term care.

Le vieillissement peut se définir comme l’accroissement du nombre de personnes âgées mais aussicomme l’ensemble des transformations du cycle de vie : décalage de l’entrée sur le marché du travail,

Ce texte a fait l’objet d’une présentation au Colloque de la RESP, à Paris, le 6 décembre 2004.

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du mariage et de la naissance du premier enfant, sortie précoce d’activité, allongement de la duréede vie, retraite active, développement du quatrième âge à fort risque d’entrée en dépendance, etc.

L’impact économique du vieillissement de la population a été largement étudié du point de vue dela protection sociale. Toutefois, les conséquences du vieillissement ne sauraient être envisagées uni-quement du point de vue de la protection sociale. Il importe de prendre la mesure des bouleversementsinduits par l’allongement de la durée de la vie et la modification des temps sociaux sur l’ensemble desmarchés. Trois types de marchés sont concernés à des titres différents, le marché de l’emploi, le mar-ché des services à la personne et le marché de tous les autres biens et services destinés aux seniors etau quatrième âge.

De nombreuses études se sont penchées sur les liens qui existent entre l’organisation de la productionet le vieillissement physiologique. L’organisation traditionnelle des conditions de travail privilégiel’intensité du travail plutôt que l’expérience acquise et les capacités que peuvent développer les jeunestravailleurs plutôt que celles des travailleurs âgés. L’articulation entre âge et marché du travail peutégalement être analysée au regard de l’offre et la demande d’emplois des plus de 50 ans. Le vieillisse-ment de la population s’accompagne également d’une interrogation relative à la pénurie de maind’œuvre annoncée dans certains secteurs (sanitaire et social, en particulier) et au rôle de l’immigration.

La croissance de l’offre de soins de long terme ne se fera pas sans restructuration profonde del’organisation et du financement de ce secteur. Les grandes tendances se dessinent déjà : réductionde la production directe de services par la puissance publique et accroissement de la production privéeet associative, maintien d’un financement public, accroissement de la contribution privée et dévelop-pement modéré d’un financement assurantiel. L’analyse qualitative des marchés montre égalementl’hétérogénéité des situations et des statuts des personnels et les difficultés de gestion corrélatives.

Vieillissement. Marché du travail. Services à la personne. Senior. Soins de long terme.

INTRODUCTION

L’impact le plus connu du vieillissement sur lesmarchés est le développement des marchés desseniors et du quatrième âge (aides techniques,accessibilité et amélioration de l’habitat, loisirs,formation…). Les spécificités de ces marchés etleur développement font l’objet de travaux nom-breux, en particulier les questions relatives auxnouvelles technologies.

L’économie est habituellement convoquée pourtraduire les résultats de l’épidémiologie du vieillis-sement en termes de coûts et ouvrir la voie à dis-cours sur le coût élevé du vieillissement actuel dela population en matière de santé et de dépen-dance, l’insuffisance des financements publics etles défaillances de l’État Providence pour couvrirtous les besoins de santé de la population âgée.Des nombreux travaux existent sur l’impact duvieillissement sur la protection sociale [1]. Ils met-tent en avant le déséquilibre des comptes sociauxet l’effet ciseau qui voit la croissance des cotisa-tions sociales se réduire, alors même que lesbesoins et donc les prestations augmentent. Ils sou-lignent la nécessité de revoir l’équilibre entre

financement privé et financement socialisé desretraites et de l’assurance maladie et de repenserl’organisation d’un système de protection socialeconçu dans l’après-guerre et qui peine à assureraux populations âgées une couverture suffisante deleurs besoins d’aide et de soins en cas de maladieet de dépendance. Les mécanismes d’autorégula-tion du marché sont alors invoqués, avec parfoisune confiance excessive, comme solution efficaceaux défaillances de l’État. La place de l’écono-miste est réduite un peu caricaturalement à celle du« compteur de coûts », à partir des catégories fon-datrices de l’épidémiologie.

L’approche retenue dans cet article est diffé-rente puisqu’il s’agit de prendre la mesure desbouleversements induits par l’allongement de ladurée de la vie et la modification des tempssociaux sur l’ensemble des marchés et de voircomment ces travaux ouvrent sur une probléma-tique de santé publique. Est-ce qu’en matière desanté et de santé publique, on mesure, on appré-hende l’importance des transformations des mar-chés ? Est-ce que les chercheurs en ont pris lamesure ? On montrera que la recherche est encoreinsuffisante sur ce thème.

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DÉFINITION DU VIEILLISSEMENT : LE POINT DE VUE DE L’ÉCONOMISTE

Le vieillissement ne se définit pas seulementcomme l’accroissement du nombre de personnesâgées, dans une optique de « stock ». Il est définipar les économistes comme l’ensemble des trans-formations actuelles du cycle de vie (en référenceà la théorie économique du cycle de vie qui indi-que comment la consommation est lissée tout aulong de la vie grâce à l’épargne), là où les sociolo-gues parleraient plus volontiers de transformationsdes temps sociaux. Le vieillissement recouvre plu-sieurs phénomènes :

– le décalage de l’entrée sur le marché du travail,– le décalage de l’âge au mariage et à la nais-

sance du premier enfant,– les sorties précoces d’activité et le développe-

ment d’une retraite active,– l’allongement de la durée de vie,– le développement du quatrième âge à fort ris-

que d’entrée en dépendance.

Les travaux sur les liens entre vieillissementet marchés sont relativement peu nombreux enFrance, alors que cette perspective est beaucoupplus familière dans les pays anglo-saxons. Plusieursexplications peuvent être évoquées à ce sujet : lasous-estimation de l’importance des mutations liéesau vieillissement jusque dans les années 1980, lepoids de l’aide sociale auprès des personnes âgéeset le développement d’une vision protectrice parrapport aux personnes âgées fragiles ou dépendan-tes qui appelle une intervention de l’État, et, enfinune vision critique des marchés. Aux États-Unis etau Canada, au contraire, l’expansion des marchésdu fait du vieillissement de la population est consi-dérée comme un phénomène positif, susceptible desoutenir activement la croissance et d’apporter uneréponse aux besoins des personnes âgées.

Trois marchés sont concernés si l’on fait abs-traction des impacts indirects du vieillissementsur l’épargne, la croissance à long terme et lesinégalités :

– le marché du travail,– le marché des services sanitaires et sociaux à

la personne âgée,– le marché de tous les autres biens et services

destinés aux seniors et au quatrième âge.

ÂGE ET MARCHÉ DE L’EMPLOI : DES QUESTIONS NON RÉSOLUES SUR LA SANTÉ DES TRAVAILLEURS ÂGÉS

De nombreux travaux économiques ont étéconsacrés aux conséquences du vieillissement dela population sur le fonctionnement du marché del’emploi [2]. Ils se regroupent autour de troissous-thèmes : la participation au marché du tra-vail des salariés âgés et les sorties précocesd’activité, la productivité des salariés âgés et leurrémunération, et, enfin, la mobilité des salariésâgés. Ces travaux engendrent toute une série dequestions relatives à la santé des travailleursvieillissants ou de ceux qui viennent juste de quit-ter leur activité professionnelle et à la santé desretraités.

L’état de santé des préretraités et des retraitéset les revenus dont ils disposeront pour se soignersont tributaires de l’organisation du travail à undouble titre. D’une part, l’état de santé peut avoirété dégradé par de mauvaises conditions de tra-vail. D’autre part, le financement des soins auxpersonnes âgées dépend des cotisations sociales,c’est-à-dire du nombre d’actifs qui est dépendantlui-même des conditions de passage en retraite.Les travaux précurseurs d’A.-M. Guillemard etd’A. Walker [3] ont montré le très faible niveaud’activité des 55-64 ans, estimé à 37 % de l’ensem-ble de la tranche d’âge et la baisse constante dutaux de participation au marché du travail desplus de 55 ans depuis 20 ans. Une fois licenciés,les actifs âgés retrouvent rarement un travail, cequi se traduit non par une augmentation du chô-mage mais par un retrait du marché du travail. Dece fait, à l’horizon 2030, l’évolution démographi-que serait neutre par rapport au chômage. Lasolution coûteuse des préretraites a été largementutilisée puisque 15 % des 60-64 ans se sont trou-vés dans une situation de préretraite (les troisquarts, pendant plus de trois ans).

L’enquête « santé et vie professionnelle après50 ans », menée par Volkoff [4], affine la connais-sance de la perception de la retraite par les salariéset de leurs intentions de départ. Un salarié sur cinqenvisage de partir avant l’âge de la retraite en rai-son de sa fatigue et d’un travail dénué de sens. Unsalarié sur six envisage de partir après l’âge de laretraite en raison de l’absence de fatigue, d’une

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bonne identité professionnelle et d’une mauvaiseperception de la retraite.

Les recherches sur la relation âge-productivité[5] donnent des résultats moins convergents quecelles sur les sorties précoces d’activité. Au delàde l’observation du profil « en cloche » de la rela-tion âge-productivité, on peut noter le problèmed’employabilité des personnes âgées dans lesmétiers non qualifiés et l’absence de handicap liéau vieillissement dans les métiers liés au savoir.Plusieurs arguments sont mis en avant, de façonsouvent contradictoire. La qualification crois-sante des générations les plus jeunes, du fait del’allongement de la scolarisation, l’adaptabilitéde la main d’œuvre jeune aux nouveaux métierssont opposées à l’expérience de la main d’œuvreâgée. La dépréciation de la compétence des sala-riés âgés est mise sur le compte de l’absence deformation continue.

L’évolution des rémunérations avec le vieillis-sement de la population conditionne le montantdes retraites et le budget de l’assurance-maladie.Les jeunes salariés sont payés en dessous duniveau de leur productivité et les salariés âgésau-dessus de cette productivité. L’impact positifde l’âge sur les salaires induit une prime àl’ancienneté en France. En termes prospectifs, lerisque lié au vieillissement est apprécié diverse-ment. À terme, la perspective est soit celle d’uneforte hausse des salaires déconnectés de la pro-ductivité, soit celle d’un salaire maximum atteintpar les actifs entre 50 et 55 ans. Les résultatsconcernant la mobilité [6], qui est le dernier fac-teur étudié, sont assez clairs. La mobilité géo-graphique ou horizontale des salariés âgés estcorrélée positivement à la possession de biensimmobiliers, à l’absence de charges de famille età l’absence de rente de situation. La mobilitéverticale d’une société vieillissante se ralentit dufait de l’encombrement des postes de responsa-bilité. Pour toutes ces raisons, les marchés du tra-vail des plus âgés sont plus rigides.

Les travaux sur le vieillissement et le marchédu travail soulèvent ainsi directement plusieursproblèmes de santé publique. Quels sont les liensentre état de santé et cessation de l’activité pro-fessionnelle ? Quel est l’état de santé des salariésâgés non qualifiés ? Quelles seront les consé-quences sanitaires de la plus grande flexibilité dumarché (accroissement du temps partiel en parti-

culier) ? Le marché du travail produit-il actuel-lement des salariés en meilleure ou en moinsbonne santé, au terme d’une vie de travail ?

Les lacunes dans l’information sur l’état de santédes salariés et les motifs de passage à la retraitesont sérieux, les données actuelles encore insuffi-santes. L’étude des conséquences sanitaires desévolutions du marché du travail apparaît ainsicomme tout à fait primordiale. Mais il ne faut passous-estimer l’incertitude qui risque d’entourer cetype de recherches. S’il est clair que le fonctionne-ment des marchés du travail dans les pays indus-trialisés et la situation relative des différentescohortes de salariés vont être profondément modi-fiés du fait du vieillissement de la population, il estdifficile de prévoir quels mécanismes d’auto-ajus-tement des marchés se développeront, quellesmodifications des règles de fonctionnement desmarchés interviendront.

LE MARCHÉ DES SERVICES À LA PERSONNE : QUELLE CAPACITÉ À SATISFAIRE LA DEMANDE DE SOINS DE LONG TERME ET À AMÉLIORER LA SANTÉ DES PERSONNES ÂGÉES ?

Dans le contexte français, la demande de servi-ces à la personne est plutôt une demande adresséeaux pouvoirs publics. Le discours (souvent idéa-lisé) tenu par les professionnels pour répondre àcette demande est plutôt celui d’une interventionau cas par cas menée par des institutions publiquesou associatives, sous-tendue par une représentation« maternelle » de l’État. « Maternelle » signifie icique l’État aurait pour fonction de répondre à« tous » les besoins plutôt que de dire les contrain-tes économiques et le cadre de son action.

La demande de soins de long terme va connaî-tre une croissance importante, du fait du choixexprimé par les personnes âgées de terminer leurvie à domicile, de l’augmentation du travail desfemmes et par conséquent de la réduction dunombre d’aidants informels, et enfin des transfor-mations du mode de vie des familles. L’impor-tance de cette croissance est encore sous-estiméeen France. Aux États-Unis, où Medicare prend encharge 40 millions de bénéficiaires, âgés de plusde 65 ans ou handicapés (dont 3,4 millions depersonnes atteintes de la maladie d’Alzheimer),l’augmentation du taux annuel des dépenses est

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de 6,7 % par bénéficiaire, ce qui donne la mesuredu problème.

L’offre des services à la personne âgée est limi-tée. Il s’agit d’une offre de services principale-ment publique et associative. Généralement, lepersonnel est faiblement qualifié et l’encadre-ment peu formé à la gestion. Les contrainteslogistiques sont perçues de façon insuffisante.L’offre actuelle est loin de répondre à la demande,aux besoins exprimés et aux besoins attendus,tant sur le plan quantitatif que qualitatif [7]. Lademande des personnes en difficulté ne s’exprimepas toujours dans les termes de l’offre existante.Les personnes âgées et leurs familles sont peureprésentées dans le débat public actuel sur laprise en charge de la dépendance. Par conséquent,l’expression de leurs demandes de services estpeu structurée sur le plan social et, en particulier,on ne dispose pas d’une connaissance claire desservices que les personnes âgées ou leurs famillesseraient disposées à financer directement, pourpeu qu’une offre adaptée et de qualité existe. Parexemple, la demande de « care managers » ou derépit trouve difficilement à se formuler dans l’étatactuel de l’offre de services.

Le marché des services à la personne va connaî-tre une croissance forte et une restructuration pro-fonde. Ce processus risque de ne pas être simplecar, actuellement, l’organisation des soins de longterme n’est pas complètement normée : pour unmême degré d’incapacité, une personne âgée peutsuivre des filières de soins et de prise en chargetrès différentes [5]. La mesure de la qualité etde l’efficacité des services rendus est au cœurdu débat. Plus particulièrement, l’impact du déve-loppement des soins de long terme sur la santé dela population âgée et dépendante doit faire l’objetde recherches approfondies. C’est à la fois un enjeude santé publique et une exigence d’évaluationdes politiques publiques.

LES MARCHÉS DES SENIORS ET DU QUATRIÈME ÂGE : QUELS IMPACTS SUR LE BIEN-ÊTRE ET LA SANTÉ DES PERSONNES ÂGÉES ?

Le vieillissement de la population a créé de tou-tes pièces le marché dit « des seniors et du qua-trième âge ». Du prêt-à-porter pour l’automne dela vie, les femmes entre deux âges, aux lignes pour

baby-boomeuses, des suppléments alimentairesenrichis en oligo-éléments à la téléalarme…,l’imagination est grande pour offrir des produits deconsommation destinés aux plus de 55 ans. Lacroissance de ces marchés est aisée à identifier carles seniors sont les moteurs de la consommation enraison de leurs revenus élevés, de leur épargneélevée et du temps dont ils disposent pour consom-mer. Vingt millions de français (32 % de la popula-tion) ont plus de 50 ans en 2004. Le « poids » desseniors correspond à 50 % du revenu net, à 60 %du patrimoine des ménages. Soixante-douze pourcent des personnes payant l’ISF sont des seniors et80 % sont propriétaires. Le marché des seniors estévalué à 100 milliards. La situation est identiquedans tous les pays qui ont déjà connu leur révolu-tion démographique. Au Japon, par exemple, lesseniors représentent 70 % du tourisme intérieur(66 % des randonneurs…). Entre 2004 et 2015, laconsommation des plus de 65 ans sera multipliéepar 3, alors que celle des ménages ne sera multi-pliée que par 1,5.

Les études sur le marketing se multiplient pourcomprendre quels sont les produits et les servicesqui conviennent aux seniors, au quatrième âge,que ces produits soient des produits ciblés et spé-cifiques ou des déclinaisons en fonction de l’âgede produits existant déjà. Les travaux spécifiquessur « vieillissement et nouvelles technologies »montrent les rapports complexes des personnesâgées aux nouvelles technologies et le rejet desproduits marqués « vieux ». Ils montrent égale-ment comment certains produits, conçus pourles personnes âgées, peuvent être transférés àl’ensemble de la population.

Le marché de l’assurance dépendance a une placeparticulière dans ce débat. Le maintien d’un finan-cement public de la dépendance semble acquisen Europe. Aucun pays n’envisage de passer à unfinancement exclusivement privé de la dépendance.L’assurance privée est destinée à garder une taillelimitée. En effet, la définition du risque dépendanceest problématique en raison de sa durée. La couver-ture actuelle offerte est limitée à une frange étroitede la population (plutôt des cadres supérieurs) avecdes produits encore peu adaptés.

Toutefois, dans l’inflation actuelle des produitset services issus du marché des seniors et du mar-ché du quatrième âge, la contribution effective deces nouveaux marchés à l’amélioration du bien-

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être et de la santé des personnes âgées ne fait pasvéritablement l’objet d’une évaluation scientifi-que. Il est difficile de faire la part entre les effetsde modes et les améliorations réelles de santéinduites par la mise à disposition de ces nouveauxproduits et services destinés aux personnes âgées.En définitive, les premières investigations écono-miques sur l’impact du vieillissement sur les mar-chés font ressortir tout un ensemble de questionsde santé publique et d’économie de la santé, quiont été très peu abordées jusqu’ici et qui sontinduites par la transformation ou le développe-ment de ces trois marchés que sont le marché del’emploi, celui des services et celui des seniors etdu quatrième âge.

RÉFÉRENCES

1. Deuxième rapport du conseil d’orientation des retrai-tes », juin 2004, la documentation française et tous les

travaux de l’IRDES sur la santé et le vieillissement(www.irdes.fr), de la CNAV (www.cnav.fr).

2. Ageing and Employment Policies/Vieillissement etpolitiques de l’emploi. Douze rapports nationaux.Paris : Publications de l’OCDE, 2004.

3. Guillemard AM, Taylor P, Walker A. Managing andageing workforce in Britain and France. The GenevaPapers on Risk and Insurance, Issues and Practice1996; n° 80-juillet: 478-501.

4. Volkoff S, Bardot F. Départs en retraite précoces outardifs : à quoi tiennent les projets des salariés quinqua-génaires ? Gérontologie et Société 2004 ; n

° 111(numéro spécial « Âge et travail ») : 71-94.

5. Henrard JC, Ankri J. Vieillissement, grand âge etsanté publique. Paris : Éditions de l’ENSP, 2003.

6. Cadiou L, Genet J, Guérin JL. Évolution démographi-ques et marché du travail : des liens parfois contradictoi-res ». Paris : Document CEPII, n

° 16, décembre 2002.

7. Ennuyer B. Les malentendus de la dépendance, del’incapacité au lien social. Collection : « Actionsociale ». Paris : Dunod, 2002.