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Sans Soleilpar Chris. Marker

Lloignement des pays rpare en quelque sorte la trop grande proximit des temps. Racine, seconde prface Bajazet

OUVERTURELa premire image dont il ma parl, cest celle de trois enfants sur une route, en Islande, en 1965. II me disait que ctait pour lui limage du bonheur, et aussi quil avait essay plusieurs fois de lassocier dautres images - mais a navait jamais march. II mcrivait : ... il faudra que je la mette un jour toute seule au dbut dun film, avec une longue amorce noire. Si on na pas vu le bonheur dans limage, au moins on verra le noir.

ACTE 1Il mcrivait Je reviens dHokkaido, lle du nord. Les Japonais riches et presss prennent lavion, les autres prennent le ferry. Lattente, limmobilit, le sommeil morcel, tout a curieusement me renvoie une guerre passe ou future : trains de nuit, fins dalerte, abris atomiques... De petits fragments de guerre enchsss dans la vie courante. II aimait la fragilit de ces instants suspendus, ces souvenirs qui navaient servi rien qu laisser, justement, des souvenirs. II crivait Aprs quelques tours du monde, seule la banalit mintresse encore. Je lai traque pendant ce voyage avec lacharnement dun chasseur de primes. laube, nous serons Tokyo. II mcrivait dAfrique. II opposait le temps africain au temps europen, mais aussi au temps asiatique. II disait quau XIX sicle lhumanit avait rgl ses comptes avec lespace, et que lenjeu du XX tait la cohabitation des temps. propos, saviez-vous quil y a des meus en Ile-de-France ? Il mcrivait quaux les Bijagos, ce sont les jeunes filles qui choisissent leur fianc. [chap. 2] II mcrivait que dans la banlieue de Tokyo, il y a un temple consacr aux chats. Je voudrais savoir vous dire la simplicit, labsence daffectation de ce couple qui tait venu dposer au cimetire des chats une latte de bois couverte de caractres. Ainsi leur chatte Tora serait protge. Non, elle ntait pas morte, seulement enfuie, mais au jour de sa mort personne ne saurait comment prier pour elle, comment intercder pour que la Mort lappelle par son vrai nom. II fallait donc quils viennent l tous les deux, sous la pluie, accomplir le rite qui allait rparer, lendroit de laccroc, le tissu du temps. Il mcrivait: Jaurai pass ma vie minterroger sur la fonction du souvenir, qui nest pas le contraire de loubli, plutt son envers. On ne se souvient pas, on rcrit la mmoire comme on rcrit lhistoire. Comment se souvenir de la soif ?

ANALYSE FILMIQUE

Texte Sans Soleil

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[galit des regards 0 04 50] Il naimait pas sattarder sur le spectacle de la misre, mais dans tout ce quil voulait montrer du Japon, il y avait aussi les recals du Modle. Tout un monde de clodos, de lumpens, de horscastes, de Corens. Trop fauchs pour la drogue, ils se saoulent la bire, au lait ferment. Ce matin, Namidabashi, vingt minutes des splendeurs du centre, un type prenait sa revanche sur la socit en dirigeant la circulation au carrefour. Le luxe pour eux, ce serait une de ces grosses bouteilles de sak quon rpand sur les tombes le jour des morts. Jai pay la tourne au bistrot de Namidabashi : ce genre dendroit permet lgalit du regard. Le seuil au-dessous duquel tout homme en vaut un autre, et le sait.Il me disait la jete dembarquement sur lle de Fogo, au Cap-Vert. Depuis combien de temps sont-ils l attendre le bateau ? Patients comme des cailloux, mais prts bondir. Cest un peuple derrants, de navigateurs, de parcoureurs du monde. Ils se sont crs force de mtissages sur ces rochers qui servaient aux Portugais de gare de triage entre leurs colonies. Peuple du rien, peuple du vide, peuple vertical. Franchement, a-ton jamais rien invent de plus bte que de dire aux gens, comme on lenseigne dans les coles de cinma, de ne pas regarder la camra ? [chap. 3] Il mcrivait : Le Sahel nest pas seulement ce quon en montre quand il est trop tard. Cest une terre o la scheresse sengouffre comme leau dans un bateau qui fait eau. Les btes ressuscites le temps dun carnaval Bissau, on les retrouvera ptrifies ds quun nouvel assaut aura chang une savane en dsert. Cest ltat de survie que les pays riches ont oubli, une seule exception - vous aviez devin, le Japon... Mon perptuel va-et-vient nest pas une recherche des contrastes, cest un voyage aux deux ples extrmes de la survie. [Les listes de Sei Shnagon 0 08 50] II me parlait de Sei Shnagon, une dame dhonneur de la princesse Sadako au dbut du XI sicle, la priode de Heian. Sait-on jamais o se joue lhistoire ? Les gouvernants gouvernaient, ils saffrontaient dans des stratgies compliques. Le vrai pouvoir tait dtenu par une famille de rgents hrditaires, la cour de lEmpereur ntait plus quun lieu dintrigues et de jeux desprit. Et ce petit groupe doisifs a laiss dans la sensibilit japonaise une trace autrement profonde que toutes les imprcations de la classe politique, en apprenant tirer de la contemplation des choses les plus tnues une sorte de rconfort mlancolique... Shnagon avait la manie des listes : liste des choses lgantes, des choses dsolantes ou encore des choses quil ne vaut pas la peine de faire. Elle eut un jour lide dcrire la liste des choses qui font battre le cur. Ce nest pas un mauvais critre, je men aperois quand je filme. Je salue le miracle conomique, mais ce que jai envie de vous montrer, ce sont les ftes de quartiers. [chap. 4] Il mcrivait: Je rentre par la cte de Chiba... Je pense la liste de Shnagon, tous ces signes quil suffirait de nommer pour que le cur batte. Seulement nommer. Chez nous un soleil nest pas tout fait soleil sil nest pas clatant, une source, si elle nest pas limpide. Ici, mettre des adjectifs serait aussi malpoli que de laisser aux objets leurs tiquettes avec leurs prix. La posie japonaise ne qualifie pas. II y a une manire de dire bateau, rocher, embrun, grenouille, corbeau, grle, hron, chrysanthme, qui les contient tous. La presse ces jours-ci est remplie de lhistoire de cet homme de Nagoya : la femme quil aimait tait morte lan dernier, il avait plong dans le travail, la japonaise, comme un fou. II avait mme fait une dcouverte importante, parat-il, en lectronique. Et puis l, au mois de mai, il sest tu : on dit quil navait pas pu supporter dentendre le mot printemps. Il me dcrivait ses retrouvailles avec Tokyo. Comme un chat rentr de vacances dans son panier se met tout de suite inspecter ses endroits familiers. II courait voir si tout tait bien sa place, la chouette de Ginza, la locomotive de Shimbashi, le temple du Renard au sommet du grand magasin Mitsukoshi, quil trouvait envahi par les petites filles et les chanteurs de rock. On lui apprenait que ctaient maintenant les petites filles qui faisaient et dfaisaient les gloires, que les producteurs tremblaient devant elles. On lui racontait quune femme dfigure tait son masque devant les passants, et les griffait sils ne la trouvaient pas belle. Tout lintressait. Lui qui naurait pas lev les yeux sur un but de Platini ou une arrive de tierc senqurait avec fivre du classement de Chiyonofuji dans le dernier tournoi de Sumo. II demandait des nouvelles de la famille impriale, du prince hritier, du plus vieux gangster de Tokyo qui apparat rgulirement la tlvision pour enseigner la bont aux enfants. Ces joies simples du retour au pays, au foyer, la maison familiale, quil ignorait, douze millions dhabitants anonymes pouvaient les lui procurer.ANALYSE FILMIQUE Texte Sans Soleil Page 2/13

Il mcrivait: Tokyo est une ville parcourue de trains, cousue de fils lectriques, elle montre ses veines. On dit que la tl rend ses habitants analphabtes. Moi je nai jamais vu autant de gens lire dans la rue. Peut-tre ne lisent-ils que dans la rue, ou bien ils font semblant de lire, ces jaunes... Je donne mes rendez-vous Kinokunya, la librairie de Shinjuku. Le gnie graphique qui a permis aux Japonais dinventer le cinmascope dix sicles avant le cinma compense un peu le triste sort des hrones des bandes dessines, victimes de scnaristes sans cur et dune censure castratrice. Parfois elles schappent, on les retrouve sur les murs. Toute la ville est une bande dessine. Cest la plante Mongo. Comment ne pas reconnatre cette statuaire qui va du baroque plastifi au stalinien-lascif, et ces visages gants dont on sent peser le regard - car les voyeurs dimages sont vus leur tour par des images plus grandes queux. lapproche de la nuit, la mgalopole se casse en villages. Avec ses cimetires de campagne lombre des banques, ses gares et ses temples, chaque quartier de Tokyo redevient une petite bourgade nave et proprette qui se cache entre les pattes des gratte-ciel. Le petit bar de Shinjuku lui rappelait cette flte indienne dont le son nest perceptible qu celui qui en joue. II aurait pu scrier, comme dans Godard - ou dans Shakespeare - mais do vient cette musique ? Plus tard, il me racontait quil avait dn au restaurant de Nishi-Nippori o M. Yamada pratique lart difficile de laction cooking. Il me disait qu bien observer les gestes de M. Yamada et sa faon de mlanger les ingrdients, on pouvait mditer utilement sur des notions fondamentales, communes la peinture, la philosophie et aux arts martiaux. Il prtendait que M. Yamada dtenait, et de faon dautant plus admirable que son exercice en tait humble, lessence du style - et que par consquent, ctait lui de mettre sur cette premire journe de Tokyo, avec son pinceau invisible, le mot FIN. [Fonction magique de lil 0 19 37 ch. 5] Jai pass ma journe devant la tl, bote souvenirs. Jtais Nara en compagnie des cerfs sacrs, je prenais une photo sans savoir quau XVII sicle Bash avait crit : Le saule contemple lenvers limage du hron Le spot publicitaire prend aussi un air de haikai, pour un il habitu dans ce domaine aux infamies occidentales. Ne pas comprendre ajoute videmment la jouissance. Un instant, jai eu limpression un peu hallucinatoire dentendre le japonais, comme M. Fenouillard, mais ctait une mission culturelle de la NHK sur Nerval. 8 h 40, le Cambodge. De Rousseau aux Khmers rouges - concidence ou sens de lhistoire ? Dans Apocalypse Now, Brando prononait l-dessus quelques phrases dfinitives - et incommunicables : Lhorreur a un nom et un visage... Il faut faire de lhorreur une allie... Pour exorciser lhorreur qui a un nom et un visage, il faut lui donner un autre nom et un autre visage. Les films dpouvante japonais ont la beaut sournoise de certains cadavres. On reste quelquefois sonn par tant de cruaut, on en cherche la source dans une longue intimit des peuples dAsie avec la souffrance, qui exige que mme la douleur soit orne. Et puis vient la rcompense : sur la dconfiture des monstres, lassomption de Natsume Masako. La beaut absolue a aussi un nom, et un visage. Mais plus on regarde la tlvision japonaise, plus on a le sentiment dtre regard par elle. Que la fonction magique de lil soit au centre de toutes choses, mme le journal tlvis en tmoigne. Nous sommes en temps dlections : les candidats vainqueurs peignent en noir lil rest vide de Daruma, lesprit porte-chance, les candidats battus emportent, dignes et dpits, leur Daruma borgne. Les images les plus indchiffrables sont celles dEurope. Je vois la bande-image dun film dont la bande-son viendra plus tard : pour la Pologne, il ma fallu six mois. Aucune difficult en revanche avec les tremblements de terre locaux - mais il faut dire que celui de la nuit dernire mavait grandement aid cerner le problme. La posie nat de linscurit : Juifs errants, Japonais tremblants. vivre sur un tapis toujours prs dtre tir sous leurs pieds par une nature farceuse, ils ont pris lhabitude dvoluer dans un monde dapparences fragiles, fugaces, rvocables, des trains qui volent de plante en plante, des samouras qui se battent dans un pass immuable : cela sappelle limpermanence des choses. Jai accompli tout le parcours, jusquaux missions du soir, celles quon dit pour adultes. Mme hypocrisie que dans les bandes dessines, mais cest une hypocrisie code. La censure nest pas la mutilation du spectacle, elle est le spectacle. Le code est le message. Il dsigne labsolu en le cachant : cest ce quont toujours fait les religions.ANALYSE FILMIQUE Texte Sans Soleil Page 3/13

[Le Japonais et le Pape 0 24 47 chap. 6] Cette anne-l, un nouveau- visage apparut parmi les grands visages qui blasonnent les rues de Tokyo : celui du Pape. Des trsors qui navaient jamais quitt le Vatican furent exposs au septime tage du grand magasin Sogo. Il mcrivait : La curiosit, bien sr, et comme une lueur despionnage industriel dans lil. Je les imagine bien sortant dans les deux ans une version moins coteuse et plus performante du catholicisme. Mais aussi la fascination qui sattache au sacr, mme celui des autres. Alors, quand lexposition, au troisime tage de la Samaritaine, des signes du sacr japonais comme on les voit Josankei, dans lle dHokkaido ? On sourit dabord de cet endroit qui est la fois un muse, une chapelle et un sex-shop. On admire comme toujours au Japon que les parois soient si minces entre les rgnes quon puisse dans le mme mouvement contempler une sculpture, acheter une poupe gonflable et offrir la desse de la fcondit la menue monnaie qui accompagne toujours ses figurations. Figurations dont la franchise rendrait incomprhensible les ruses de la tlvision, si elle ne disait en mme temps quun sexe nest visible qu condition dtre spar dun corps... On voudrait croire un monde davant la faute, inaccessible aux complications dun puritanisme dont loccupation amricaine lui a impos le simulacre, o les gens qui sassemblent en riant autour de la fontaine votive, la femme qui leffleure dun geste amical participent de la mme innocence cosmique. La deuxime partie du muse, avec ses couples danimaux empaills, serait le Paradis Terrestre comme nous lavons toujours rv. Pas si sr. Linnocence animale peut tre une astuce pour contourner la censure, elle peut tre aussi le miroir dune rconciliation impossible, et mme sans pch originel, ce paradis terrestre peut tre un paradis perdu. Sous la splendeur lustre des gentils animaux de Josankei, je lis la dchirure fondamentale de la socit japonaise, celle qui spare les hommes des femmes. Dans la vie, elle semble ne se manifester que de deux faons : le crime sanguinaire, ou une discrte mlancolie, proche de celle de Shnagon, que le japonais exprime par un seul mot, dailleurs intraduisible... Alors ce ravalement de lhomme la bte, contre lequel fulminaient les Pres de lEglise, devient ici le dfi des btes la poignance des choses, une mlancolie dont je peux vous donner la couleur en vous copiant ces lignes de Samura Koichi : Qui a dit que le temps vient bout de toutes les blessures ? Il vaudrait mieux dire que le temps vient bout de tout, sauf des blessures. Avec le temps, la plaie de la sparation perd ses bord rels. Avec le temps, le corps dsir ne sera bientt plus, et si le corps dsirant a dj cess dtre pour lautre, ce qui demeure, cest une plaie sans corps. Il mcrivait que le secret japonais, cette poignance des choses quavait nomme LviStrauss, supposait la facult de communier avec les choses, dentrer en elles, dtre elles par instant. Il tait normal qu leur tour elles fussent comme nous - prissables et immortelles. Il mcrivait: Lanimisme est une notion familire en Afrique, on lapplique plus rarement au Japon. Comment appeler alors cette croyance diffuse selon laquelle nimporte quel fragment de la cration a son rpondant invisible ? Quand on construit une usine ou un gratte-ciel on commence par apaiser le dieu propritaire du terrain avec une crmonie. Il y a une crmonie pour les pinceaux, pour les bouliers, et mme pour les pingles rouilles. Il y en a une, le 25 septembre, pour le repos de lme des poupes casses. Les poupes sont accumules dans le temple de Kiyomizu consacr Kannon, la desse de la compassion, notre Kwan-Yin, et on les brle en public. Jai regard les participants. Je pense que ceux qui voyaient partir les kamikaze navaient pas dautres visages. [Le regard des dames de Bissau0 30 26 chap. 7] Il mcrivait que sur les images de Guine-Bissau, il faudrait mettre une musique du CapVert. Ce serait notre contribution lunit rve par Amilcar Cabral. Pourquoi un si petit pays, et si pauvre, intresserait-il le reste du monde ? Ils ont fait ce quils ont pu. Ils se sont librs, ils ont chass les Portugais, ils ont traumatis larme portugaise au point de dclencher en elle le mouvement qui a renvers la dictature et fait croire un moment une nouvelle rvolution en Europe... Qui se souvient de tout a ? LHistoire jette ses bouteilles vides par les fentres. Jtais ce matin sur le quai de Pidjiguiti, o tout a commenc, en 1959, quand sont tombs les premiers morts de la lutte. Aussi difficile sans doute de reconnatre lAfrique dans ce brouillard plomb, que de reconnatre la lutte dans cette activit un peu morne de dockers tropicaux. On a prt tous les leaders du tiers monde la mme rplique au lendemain de lindpendance : Maintenant, les vrais problmes commencent. Cabral na pas eu le temps de la prononcer, on lavait assassin avant, mais les problmes ont commenc, et continu, et continuent. Des problmes peu excitants pour le romantisme rvolutionnaire : travailler, produire, distribuer, surmonter lpuisement des lendemains de guerre, les tentations du pouvoir et du privilge... Mais quoi, lHistoire nest amre qu ceux qui lattendent sucre.ANALYSE FILMIQUE Texte Sans Soleil Page 4/13

Mon problme personnel tait plus circonscrit : comment filmer les dames de Bissau ? Apparemment la fonction magique de lil jouait l contre moi. Cest sur les marchs de Bissau et du Cap-Vert que jai retrouv lgalit du regard, et cette suite de figures si proches du rituel de la sduction : je la vois - elle ma vu - elle sait que je la vois - elle moffre son regard, mais juste langle o il est encore possible de faire comme sil ne sadressait pas moi - et pour finir le vrai regard, tout droit, qui a dur 1/25 de seconde, le temps dune image. Toutes les femmes dtiennent une petite racine dindestructibilit, et le travail des hommes a toujours t de faire en sorte quelles sen aperoivent le plus tard possible. Les hommes africains sont aussi dous que les autres pour cet exercice, mais bien regarder les femmes africaines, je ne les jouerais pas forcment gagnants.

ACTE 2[Luttes politiques 0 34 53 chap. 8] Il me racontait lhistoire du chien Hachiko : Un chien attendait tous les jours son matre la gare. Le matre mourut, le chien ne le sut pas, et il continua dattendre, toute sa vie. Les gens mus lui apportaient manger. Aprs sa mort on lui leva une statue, devant laquelle on dpose toujours des sushis et des galettes de riz pour que lme fidle dHachiko nait jamais faim. Tokyo est comble de ces menues lgendes et de ces animaux mdiateurs. Le lion de Mitsukoshi monte la garde aux lisires de lempire de M. Okada, grand amateur de peinture franaise, lhomme qui a lou le chteau de Versailles pour clbrer le centenaire de ses grands magasins. Jy ai vu, au dpartement des ordinateurs, les jeunes Japonais se faire les muscles du cerveau comme les jeunes Athniens la palestre. Cest quils ont une guerre gagner. Les livres dhistoire de lavenir mettront peut-tre la bataille des circuits intgrs sur le mme plan que Salamine ou Azincourt. Quitte honorer ladversaire malheureux en lui abandonnant dautres terrains : la mode masculine de cette saison est place sous le signe de John Kennedy. Comme une vieille tortue votive pose au coin dun champ, il voyait tous les jours M. Akao, le prsident du Parti patriotique japonais, tonitruer du haut de son balcon roulettes contre le complot communiste international, il mcrivait: Les voitures de lextrme-droite avec leurs drapeaux et leurs mgaphones font partie du paysage de Tokyo, M. Akao est leur point focal. Je pense quil aura sa statue, comme le chien Hachiko, ce carrefour dont il ne sloigne que pour aller prophtiser sur les champs de bataille. Il tait Narita aux annes 60. Ctait Roissy au Larzac, les paysans luttaient contre linstallation de laroport sur leurs terres, et M. Akao dnonait la main de Moscou derrire tout ce qui bougeait... Yurakucho est lespace politique de Tokyo. Jy ai vu en dautres temps un bonze prier pour la paix au Vitnam. Aujourdhui, de jeunes activistes de droite protestent contre lannexion des les du nord par les Russes. Ils se font quelquefois rpondre que les relations commerciales du Japon avec labominable occupant du nord sont mille fois meilleures quavec lalli amricain qui crie sans cesse lagression conomique... Rien nest simple. Sur lautre trottoir, la parole est la gauche. Lopposant catholique coren Kim Dae Jung, kidnapp Tokyo en 73 par la gestapo sud-corenne, est menac dune condamnation mort. Un groupe a commenc une grve de la faim, de trs jeunes militants essaient de recueillir des signatures pour la soutenir. Je suis retourn Narita, pour lanniversaire dune victime de la lutte. Une manif irrelle, limpression de jouer Brigadoon, de me rveiller dix ans aprs au milieu des mmes acteurs, avec les mmes langoustes bleues de la police, les mmes adolescents casqus, les mmes slogans, les mmes banderoles, le mme objectif : lutter contre laroport. Une seule chose sest surajoute : laroport, prcisment. Mais avec sa piste unique et les barbels qui ltouffent, il fait plus assig que victorieux. Mon copain Hayao Yameko a trouv une solution : si les images du prsent ne changent pas, changer les images du pass... Il ma montr les bagarres des Sixties traites par son synthtiseur. Des images moins menteuses, dit-il avec la conviction des fanatiques, que celles que tu vois la tlvision. Au moins elles se donnent pour ce quelles sont, des images, pas la forme transportable et compacte dune ralit dj inaccessible. Hayao appelle le monde de sa machine : la Zone - en hommage Tarkovski.ANALYSE FILMIQUE Texte Sans Soleil Page 5/13

Ce dont Narita me renvoyait un fragment intact, comme un hologramme bris, ctait limage de la gnration des Sixties. Si cest aimer que daimer sans illusion, peux dire que je lai aime. Elle mexasprait souvent, je ne partageais pas son utopie qui tait dunir dans la mme lutte ceux qui se rvoltent contre la misre et ceux qui se rvoltent contre la richesse, mais elle poussait le cri primordial que des voix mieux ajustes ne savaient plus, ou nosaient plus, crier... Jai retrouv l des paysans qui staient dcouverts dans la lutte. Elle avait chou dans le concret. En mme temps, tout ce quils avaient gagn en ouverture sur le monde, en connaissance deux-mmes, rien dautre que la lutte naurait pu le leur apporter. Chez les tudiants, il y a ceux qui ont fini par se massacrer entre eux dans les montagnes au nom de la puret rvolutionnaire, et ceux qui avaient si bien tudi le capitalisme pour le combattre quils lui donnent aujourdhui ses meilleurs cadres. Le Mouvement a eu comme partout ses histrions et ses arrivistes - y compris, car il y en a, des arrivistes du martyre - mais il a emport tous ceux qui disaient avec le Che Guevara quils tremblaient dindignation chaque fois quune injustice se commet dans le monde. Ils voulaient donner un sens politique leur gnrosit, et leur gnrosit aura eu la vie plus longue que leur politique. Voil pourquoi je ne laisserai jamais dire que vingt ans nest pas le plus bel ge de la vie. La jeunesse qui se rassemble tous les week-ends Shinjuku sait dvidence quelle nest pas sur une rampe de lancement pour la vraie vie, quelle-mme est une vie, consommer tout de suite comme les groseilles. Cest un secret trs simple, les vieux essaient de le masquer, tous les jeunes ne le connaissent pas. La fillette de dix ans qui a balanc sa petite camarade du haut du treizime tage aprs lui avoir li les mains, parce quelle avait dit du mal de sa classe, ne lavait pas dcouvert. Les parents qui rclament lextension des lignes tlphoniques spciales pour prvenir les suicides denfants saperoivent un peu tard quils lavaient trop bien cach, Le Rock est un langage international pour propager le Secret. Un autre est particulier Tokyo... Pour les Takenoko, vingt ans est lge de la retraite. Ce sont des bbs Martiens, je vais les voir danser tous les dimanches au parc de Yoyogi. Ils cherchent se faire remarquer, et ils nont pas lair de remarquer quon les remarque. Ils sont dans un temps parallle, une paroi daquarium invisible les spare de la foule quils attirent, et je peux passer un aprs-midi contempler la petite Takenoko qui apprend, sans doute pour la premire fois, les usages de sa plante. part a, ils ont des plaques didentification, ils fonctionnent au coup de sifflet, la Mafia les ranonne, et lexception dun seul groupe compos de filles, cest toujours un garon qui commande... [Description dun rve 0 45 10] Un jour, il mcrit : Description dun rve... De plus en plus souvent mes rves prennent pour dcor ces grands magasins de Tokyo, les galeries souterraines qui les prolongent et qui doublent la ville. Un visage apparat, disparat, une trace se retrouve, se perd, tout le folklore du rve y est tellement sa place que le lendemain, rveill, je maperois que je continue de chercher dans le ddale des soussols la prsence drobe la nuit prcdente. Je commence me demander si ces rves sont bien moi, ou sil font partie dun ensemble, dun gigantesque rve collectif dont la ville tout entire serait la projection. Il suffirait peut-tre de dcrocher un des tlphones qui tranent partout pour entendre une voix familire, ou un cur qui bat, comme la fin des Visiteurs du Soir - celui de Sei Shnagon par exemple... Toutes les galeries aboutissent des gares, les mmes compagnies possdent les magasins et le chemin de fer qui porte leur nom, Keio, Odakyu, ces noms de ports. Le train peupl de dormeurs assemble tous les fragments de rve, en fait un seul film, le film absolu. Les tickets du distributeur automatique deviennent des billets dentre. [chap. 9] Il me disait la lumire de janvier sur les escaliers des gares. Il me disait que cette ville devait se dchiffrer comme une partition. On pouvait se perdre dans les grandes masses orchestrales et les accumulations de dtails, et cela donnait limage vulgaire de Tokyo surpeuple, mgalomane, inhumaine. Lui croyait y percevoir des cycles plus tnus, des rythmes, des clusters de visages attraps au passage, aussi diffrencis et prcis que des grappes dinstruments. Quelquefois la comparaison musicale concidait avec la ralit toute simple : lescalier Sony, Ginza, tait lui-mme un instrument de musique, chaque marche une note. Tout cela sembotait comme les voix dune fugue un peu complique, mais il suffisait den prendre une et de ne pas la lcher : celle des crans de tl par exemple. eux seuls ils dessinaient un itinraire, qui se refermait quelquefois en boucles inattendues. Ctait une saison de Sumo, et les amateurs qui venaient voir les combats dans les show-rooms trs chics de Ginza taient justement les plus pauvres de Tokyo, pauvres ne pas avoir de tlvision... Il voyait dbarquer l les paums de Namidabashi, ceux avec qui il avait bu le sak dans une aube ensoleille, voil combien de saisons maintenant ?ANALYSE FILMIQUE Texte Sans Soleil Page 6/13

il mcrivait : Jusquau fond des souks de composants lectroniques dont les extravagantes se font des bijoux, il y a dans la partition de Tokyo une porte particulire dont la raret en Europe me condamne un vritable exil sonore : cest la musique des jeux vido. Ils sont incrusts dans les tables, on peut boire, on peut djeuner en continuant de jouer. Ils ouvrent sur la rue : en les coutant, on peut jouer de mmoire. Jai vu natre tous ces jeux au Japon. Je les ai retrouvs ensuite dans le monde entier, une variante prs : au dpart cest un jeu connu, une espce de batterie anti-colo o il sagit dassommer ds quelles pointent la tte des cratures dont je nai pas encore dtermin si ce sont des myocastors ou des bbs-phoques. Maintenant voici la variante japonaise : la place des bestiaux, de vagues ttes humaines identifies par une tiquette. Au sommet, le Prsident-directeur gnral. Devant lui, le Viceprsident et les directeurs. Au premier rang, les chefs de section et le chef du personnel. Le type que jai film, et qui cassait de la hrarchie avec une nergie enviable, ma confi que le jeu pour lui ntait pas du tout allgorique, quil pensait trs prcisment ses suprieurs. Voil sans doute pourquoi la marionnette du chef du personnel a t si souvent et si fortement matraque quelle est hors de service, et quil a fallu la remplacer nouveau par un bb-phoque. [Images lectroniques 0 55 47] Hayao Yanianeko invente des jeux vido avec sa machine. Pour me faire plaisir, il y laisse entrer mes animaux familiers, le chat et la chouette. Il prtend que la matire lectronique est la seule qui puisse traiter le sentiment, la mmoire et limagination. LArsne Lupin de Mizoguchi, par eemple, ou les non moins imaginaires Burakumin. Comment prtendre reprsenter une catgorie de Japonais qui nexistent pas ? Oui, ils sont l, je les ai vus Osaka se louer la journe, dormir mme le sol, ils sont vous depuis le Moyen Age aux tches malpropres et ingrates, mais depuis lre Meiji rien officiellement ne les distingue et leur nom vritable, les Etas, est un mot tabou, imprononable. Ils sont des non-personnes, comment les montrer sinon sous la forme de non-images ? Les jeux vido sont la premire phase du plan dassistance des machines lespce humaine, le seul plan qui offre un avenir lintelligence. Pour le moment, lindpassable philosophie de notre temps est contenue dans le Pac-Man. Je ne savais pas en lui sacrifiant toutes mes pices de 100 yens quil allait conqurir le monde. Peut-tre parce quil est la plus parfaite mtaphore graphique de la condition humaine. Il reprsente leur juste dose les rapports de force entre lindividu et lenvironnement, et il nous annonce sobrement que sil y a quelque honneur livrer le plus grand nombre dassauts victorieux, au bout du compte a finit toujours mal. Il lui plaisait que les mmes chrysanthmes apparaissent aux funrailles des hommes et celles des btes. Il me dcrivait la crmonie la mmoire des animaux morts dans lanne, au zoo dUen : Voil deux ans de suite que ce jour de deuil est encore endeuill par la mort dun panda - plus irrparable lire les journaux que celle, contemporaine, du Premier ministre. Lanne dernire les gens pleuraient vraiment. Maintenant ils ont lair de sy faire, daccepter que chaque anne la Mort leur prenne un panda comme font les dragons des contes avec les jeunes filles. Jai entendu cette phrase : La cloison qui spare la vie de la mort ne nous parat pas aussi paisse qu un Occidental. Ce que jai lu le plus souvent dans les yeux de ceux qui allaient mourir, ctait la surprise. Ce que je lis en ce moment dans les yeux des enfants japonais, cest la curiosit. Comme sils essayaient, pour comprendre la mort dune bte, de voir travers la cloison.

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ACTE 3[Guine et Cap-Vert chap. 10] Je reviens dun pays o la Mort nest pas une cloison franchir, mais un chemin suivre. Le Grand Anctre de larchipel des Bijagos nous a dcrit litinraire des morts, et comment ils se dplacent dle en le selon un protocole rigoureux jusqu la dernire plage, celle o ils attendront le bateau pour lautre monde. Si par mgarde on les rencontre, il ne faut surtout pas les reconnatre. Les Bijagos font partie de la Guine-Bissau. Sur un ancien document, Amilcar Cabral adresse au rivage un geste dadieu - il a raison, il ne le reverra jamais. Luiz Cabral faisait le mme geste quinze ans aprs, sur la pirogue qui nous ramenait. ce moment-l, la Guine est devenue une nation, Luiz en est le prsident. Tous ceux qui se souviennent de la guerre se souviennent de lui. Il est le demifrre dAmilcar, n comme lui de sang guinen et capverdien mls, comme lui membre fondateur dun parti inhabituel, le PAIGC, qui en unissant deux pays coloniss dans un seul mouvement de lutte veut prfigurer la fdration de deux tats. Jai cout les rcits danciens gurilleros, qui staient battus dans des conditions ce point inhumaines quils plaignaient les soldats portugais davoir d subir ce queux-mmes subissaient - a, je lai entendu, avec beaucoup dautres choses qui donnent honte davoir employ la lgre, mme une seule fois, mme par inadvertance, le mot gurilla pour dsigner une certaine faon de faire des films... Un mot qui lpoque se trouve li beaucoup de dbats thoriques, et aussi de terribles dfaites sur le terrain. Amilcar Cabral est le seul conduire une gurilla victorieuse - et pas seulement en termes davance militaire. II connat son peuple, il la longtemps tudi, il veut quune rgion libre soit aussi lbauche dune socit diffrente. Les pays socialistes voient de quoi armer les combattants, les social-dmocraties de quoi remplir les magaslns du peuple. Et que lextrmegauche le pardonne lHistoire, mais si la gurilla est comme un poisson dans leau, cest un peu grce la Sude... Amilcar na pas peur des ambiguts, et il connat les piges. Il a crit : On dirait que nous sommes devant un grand fleuve plein de vagues ou de tempte, avec des gens qui essaient de passer et qui se noient, mais ils nont pas dautre issue ils doivent traverser... Et maintenant la scne se transporte Cassaca, le 17 fvrier 1980 - mais pour bien la lire il faut encore avancer dans le temps : dans un an, Luiz Cabral le prsident sera en prison, et lhomme quil vient de dcorer et qui pleure, le commandant Nino, aura pris le pouvoir. Le Parti aura clat, Guinens et Capverdiens spars se disputeront lhritage dAmilcar. On apprendra que derrire cette fte de remise des grades qui perptuait aux yeux des visiteurs la fraternit de la lutte, il y avait toutes les amertumes des lendemains de victoire, et que les larmes de Nino ne disaient pas lmotion de lancien guerrier, mais lorgueil bless du hros qui ne sestime pas assez distingu des autres. Et sous chacun de ces visages, une mmoire. Et l o on voudrait nous faire croire que sest forge une mmoire collective, mille mmoires dhommes qui promnent leur dchirure personnelle dans la grande dchirure de lHistoire... Au Portugal soulev son tour par la dferlante partie de Bissau, Miguel Torga qui avait lutt toute sa vie contre la dictature crivait : Chacun des comparses qui sy trouve ml ne reprsente que lui-mme... Au lieu dune modification du panorama social, il cherche simplement, dans lacte rvolutionnaire, la sublimation de sa propre image... Cest ainsi, gnralement, que retombent les dferlantes, et dune faon si prvisible quil faut bien croire une espce damnsie du futur que lHistoire dispense, par misricorde ou par calcul, ceux quelle recrute. Amilcar assassin par des membres de son propre parti, les rgions libres tombes sous la coupe de petits tyranneaux sanguinaires, liquids leur tour par un pouvoir central dont tout le monde chantera la stabilit jusquau coup dtat militaire... Cest ainsi quavance lHistoire, en se bouchant la mmoire comme on se bouche les oreilles. Luiz exil Cuba, Nino dcouvrant son tour des complots trams contre lui pourront toujours se citer rciproquement comparatre devant elle, elle nentend rien, elle na quune allie, celle dont parlait Brando dans Apocalypse : lhorreur - qui a un nom et un visage. Je vous cris tout a dun autre monde, un monde dapparences. Dune certaine faon, les deux mondes communiquent. La mmoire est pour lun ce que lHistoire est pour lautre. Une impossibilit. Les lgendes naissent du besoin de dchiffrer lindchiffrable. Les mmoires doivent se contenter de leur dlire, de leur drive. Un instant arrt grillerait comme limage dun film bloque devant la fournaise du projecteur. La folie protge, comme la fivre. Jenvie Hayao et sa Zone. Il joue avec les signes de sa mmoire, il les pingle et les dcore comme des insectes qui se seraient envols du Temps et quil pourrait contempler dun point situ lextrieur du Temps - la seule ternit qui nous reste. Je regarde ses machines, je pense un monde o chaque mmoire pourrait crer sa propre lgende.

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[Vertigo 01 06 50] II mcrivait quun seul film avait su dire la mmoire impossible, la mmoire folle. Un film dHitchcock : Vertigo. Dans la spirale du gnrique, il voyait le Temps qui couvre un champ de plus en plus large mesure quil sloigne, un cyclone dont linstant prsent contient, immobile, lil... II avait fait le plerinage, San Francisco, de tous les lieux de tournage. Le fleuriste Podesta Baldocchi, o James Stewart pie Kim Novak. Lui le chasseur, elle la proie - ou bien tait-ce linverse ? Le carrelage navait pas chang. II avait parcouru en voiture toutes les collines de San Francisco o James Stewart-Scottie suit Kim Novak-Madeleine. Il semble tre question de filature, dnigme, de meurtre - mais en vrit il est question de pouvoir et de libert, de mlancolie et dblouissement, si soigneusement cods lintrieur de la Spirale quon peut sy tromper, et ne pas dcouvrir tout de suite que ce vertige de lespace signifie en ralit le vertige du Temps. Il avait suivi toutes les pistes, jusquau cimetire de la Mission Dolores o Madeleine venait prier sur la tombe dune femme morte depuis longtemps, et quelle naurait pas d connatre. II avait suivi Madeleine - comme Scottie lavait fait - au muse de la Lgion dHonneur, devant le portrait dune femme morte quelle naurait pas d connatre. Et sur le portrait, comme dans la chevelure de Madeleine, la spirale du Temps. Le petit htel victorien o Madeleine disparaissait avait disparu lui-mme. Le bton lavait remplac, langle dEddie and Gough. En revanche, la coupe de squoia tait toujours Muir Woods. Madeleine y montrait la courte distance entre deux de ces lignes concentriques qui mesurent lge de larbre et disait Ma vie a tenu dans ce petit espace. Il se souvenait dun autre film o ce passage tait cit : le squoia tait celui du Jardin des Plantes, Paris, et la main dsignait un point hors de larbre - lextrieur du Temps. Le cheval peint de San Juan Bautista, son il qui ressemblait celui de Madeleine... Hitchcock navait rien invent, tout tait l. Il avait couru sous les arches du promenoir de la Mission comme Madeleine avait couru vers sa mort - mais tait-ce la sienne ? De cette fausse tour - la seule chose quHitchcock ait rajoute -, il imaginait Scottie sombrant dans la folie de lamour mme, dans limpossibilit de vivre avec la mmoire autrement quen la faussant, inventant un double Madeleine dans une autre dimension du Temps, une Zone qui ne serait qu lui, et do il pourrait dchiffrer lindchiffrable histoire qui avait commenc Golden Gate quand il avait retir Madeleine de la baie de San Francisco, quand il lavait sauve de la mort avant de ly rejeter - ou bien tait-ce linverse ? [Un film imaginaire 1 10 00] San Francisco jai fait le plerinage dun film vu dix-neuf fois. En Islande, jai pos la premire pice dun film imaginaire. Cet t-l, javais rencontr trois enfants sur une route, et un volcan tait sorti de la mer. Encore un coup de lEnsemblier... Les astronautes amricains venaient sentraner avant la Lune dans ce coin de Terre qui lui ressemble, jy voyais tout de suite un dcor de science-fiction, le paysage dune autre plante - ou plutt non, quil soit celui de la ntre pour quelquun qui vient dailleurs, de trs loin. Je limagine avanant dans ces terres volcaniques qui collent aux semelles, avec une lourdeur de scaphandrier. Tout dun coup il trbuche, et le pas suivant, cest un an plus tard, il marche sur un petit sentier proche de la frontire hollandaise, le long dune rserve doiseaux de mer. Voil un point de dpart. Maintenant pourquoi cette coupe dans le temps, ce raccord de souvenirs ? Justement, lui ne peut pas le comprendre. Il ne vient pas dune autre plante, il vient de notre futur. 4001, lpoque o le cerveau humain est parvenu au stade du plein emploi. Tout fonctionne la perfection, de ce que nous autres laissons dormir, y compris la mmoire. Consquence logique : une mmoire totale est une mmoire anesthsie. Aprs beaucoup dhistoires dhommes qui avaient perdu la mmoire, voici celle dun homme qui a perdu loubli... - et qui, par une bizarrerie de sa nature, au lieu den tirer orgueil et de mpriser cette humanit du pass et ses tnbres, sest pris pour elle dabord de curiosit, ensuite de compassion. Dans le monde do il vient, appeler un souvenir, smouvoir devant un portrait, trembler lcoute dune musique ne peuvent tre que les signes dune longue et douloureuse prhistoire. Lui veut comprendre. Ces infirmits du Temps, il les ressent comme une injustice, et cette injustice il ragit comme le Che, comme les jeunes des Sixties, par lindignation. Cest un tiers-mondiste du Temps, lide que le malheur ait exist dans le pass de sa plante lui est aussi insupportable qu eux lexistence la misre dans leur prsent.

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Naturellement il chouera. Le malheur quil dcouvre lui est aussi inaccessible quest inimaginable la misre dun pays pauvre pour les enfants dun pays riche. II a choisi de renoncer ses privilges, il ne peut rien contre le privilge de lavoir choisi. Son seul viatique est cela mme qui la lanc dans cette qute absurde : un cycle de mlodies de Moussorgski. On les chante toujours au quarantime sicle. Le sens sen est perdu, mais cest l que pour la premire fois il a peru la prsence de cette chose quil ne comprenait pas, qui avait voir avec le malheur et la mmoire, quil lui fallait tout prix essayer de comprendre et vers laquelle, avec une lourdeur de scaphandrier, il sest mis en marche. Bien sr, je ne le ferai jamais, ce film. Pourtant jen collectionne les dcors, jen invente les dtours, jy dispose mes cratures favorites, et mme je lui donne un titre, celui des mlodies de Moussorgski justement : Sans Soleil. [Une civilisation bientt disparue chap. 11] Le 15 mai 1945, 7 heures du matin, le 382 rgiment dinfanterie amricaine donna lassaut une colline dOkinawa rebaptise Dick Hill. Je suppose que les Amricains eux-mmes croyaient conqurir une terre japonaise, et quils ne savaient rien de la civilisation des Ryukyus. Je nen savais rien non plus, sinon que les visages des dames du march dItoman me parlaient davantage de Gauguin que dUtamaro. Pendant des sicles de vassalit rveuse, le Temps navait pas boug dans larchipel, puis tait venue la cassure. Est-ce une proprit des es, de faire des femmes les dpositaires de leur mmoire ? Japprenais que comme aux Bijagos cest par les femmes que se transmet le savoir magique : chaque communaut a sa prtresse, la Noro, qui prside tous les rites, lexception des funrailles. Les Japonais dfendirent la position pied pied, la fin du jour les deux demi-sections reformes de la compagnie L navaient progress qu mi-hauteur de la colline. Une colline semblable celle o je suivais un groupe de villageois, en route pour la crmonie de purification. La Noro communique avec les dieux de la mer, de la pluie, de la terre, du feu, elle en parle comme de membres de sa famille qui auraient pas mal russi. Tous sinclinent devant la Desse-Sur qui est le reflet, dans labsolu, dune relation privilgie entre le frre et la sur. Mme aprs sa mort, la sur a la prdominance spirituelle. laube, les Amricains dcrochrent, il fallut encore plus dun mois de combats pour que lle se rende - et bascule dans le monde moderne. Vingt-sept ans doccupation amricaine, le rtablissement dune souverainet japonaise conteste, deux kilomtres des bowlings et des stations-service la Noro continue de dialoguer avec les dieux. Aprs elle, le dialogue cessera. Les frres ne sauront plus que leur sur morte veille sur eux. En filmant cette crmonie, je savais que jassistais la fin de quelque chose. Les cultures magiques qui disparaissent laissent des traces celles qui leur succdent, celle-ci nen laissera aucune. La cassure de lHistoire a t trop violente. Jai touch cette cassure au sommet de la colline, comme je lavais touche au bord de la fosse o deux cents filles staient suicides la grenade, en 1945, pour ne pas tomber vivantes aux mains des Amricains. Les gens se font photographier devant la fosse. En face on vend des briquets-souvenirs, en forme de grenades. Sur la machine dHayao, la guerre ressemble aux lettres quon brle, et qui se dchirent elles-mmes dans un liser de feu. Le nom de code de Pearl Harbour tait Tora, tora, tora : le nom de la chatte pour laquelle priait le couple de Go To Ku Ji. Ainsi, tout cela aura commenc par un nom de chatte prononc trois fois. Au large dOkinawa, les kamikaze sabattaient sur la flotte amricaine. Ils deviendraient une lgende. Ils sy prtaient mieux, videmment, que les sections spciales qui exposaient leurs prisonniers au gel de Mandchourie et ensuite leau chaude, pour mesurer quelle vitesse la chair se dtache des os. Il faudrait lire leurs dernires lettres pour savoir que les kamikaze ntaient pas tous volontaires, et que tous ntaient pas des samouras fanatiss. Avant de boire sa dernire coupe de sak, Ryoji Uebara avait crit : Jai toujours pens que le Japon devait vivre librement pour vivre ternellement. a peut paratre idiot dire aujourdhui, sous un rgime totalitaire... Nous autres, pilotes-kamikaze, nous sommes des machines, nous navons rien dire, sinon supplier nos compatriotes de faire du Japon le grand pays de nos rves. Dans lavion je suis une machine, un bout de fer aimant qui ira se fixer sur le porte-avions, mais une fois sur terre je suis un tre humain, avec des sentiments et des passions... Pardonnez-moi ces penses dsordonnes. Je vous laisse une image mlancolique, mais au fond de moi je suis heureux. Jai parl franchement. Excusez-moi.

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ACTE 4[Lle de Sal chap. 12] chaque retour dAfrique, il faisait escale lle de Sal, qui est bien un rocher de sel au milieu de lAtlantique. Au bout de lle, pass le village de Santa Maria et son cimetire aux tombes peintes, il suffit de marcher devant soi pour rencontrer le dsert. Il mcrivait Jai compris les visions. Tout dun coup, on est dans le dsert comme dans la nuit. Tout ce qui nest pas lui nexiste plus. Les images qui se proposent, on ne veut pas les croire. Vous ai-je crit quil y avait des meus en le-de-France ? Ce nom dle-de-France sonne bizarrement, dans lle de Sal. Ma mmoire superpose deux tours, celle du chteau en ruines de Montepilloy qui a servi de relais Jeanne dArc, et celle du phare de la pointe sud de Sal, un des derniers phares, jimagine, fonctionner au ptrole. La prsence dun phare dans le Sahel fait leffet dun collage tant quon na pas aperu la mer, la lisire du sable et du sel. Des quipages davions long-courriers font leur rotation Sal. Leur club apporte cette frontire du vide une petite touche balnaire qui rend le reste encore plus irrel. Ils nourrissent les chiens errants qui habitent la plage. Je les ai trouvs bien agits ce soir, mes chiens. Ils jouaient avec la mer comme je ne les avais jamais vus jouer auparavant. Cest en prenant plus tard Radio Hong-Kong que jai compris : ce jour tait le premier du nouvel an lunaire, et pour la premire fois depuis soixante ans, le signe du Chien croisait le signe de lEau. L-bas, 18 000 km, une seule ombre reste immobile au milieu des longues ombres bougeantes que la lumire de janvier promne sur le sol de Tokyo : lombre du bonze dAsakusa. Car lanne du Chien commence aussi au Japon. Les temples sont combles de visiteurs qui viennent jeter leur pice de monnaie et prier la japonaise : une prire qui se glisse dans la vie sans linterrompre. Perdu au bout du monde, sur mon le de Sal, en compagnie de mes chiens tout farauds, je me souviens de ce mois de janvier Tokyo, ou plutt je me souviens des images que jai filmes au mois de janvier Tokyo. Elles se sont substitues maintenant ma mmoire, elles sont ma mmoire. Je me demande comment se souviennent les gens qui ne filment pas, qui ne photographient pas, qui ne magntoscopent pas, comment faisait lhumanit pour se souvenir... Je sais, elle crivait la Bible. La nouvelle Bible, ce sera lternelle bande magntique dun Temps qui devra sans cesse se relire pour seulement savoir quil a exist. En attendant lan 4001 et sa mmoire totale, voil ce que pourraient nous promettre les oracles quon retire au Nouvel An de leurs longues botes hexagonales : un peu plus de pouvoir sur cette mmoire qui va de relais en relais, comme Jeanne dArc, quune annonce sur ondes courtes de la radio de Hong-Kong reue dans une le du Cap-Vert projette Tokyo, et que le souvenir dune couleur prcise dans la rue fait rebondir sur un autre pays, sur une autre distance, sur une autre musique, nen plus finir. [Nouvel An japonais 1 26 20] Au bout du chemin de la mmoire, les idogrammes de lle-de-France ne sont pas moins nigmatiques que les kanji de Tokyo, dans la lumire miraculeuse du Nouvel An. Cest lHiver indien. Comme si lair tait le premier lment sortir purifi des innombrables crmonies par lesquelles les Japonais se lavent dune anne pour entrer dans lautre. Ils nont pas trop dun mois entier pour sacquitter de toutes les obligations quentrane la politesse envers le Temps. La plus intressante tant sans conteste lacquisition, au temple de Tenjin, de loiseau Uso qui selon une tradition mange tous vos mensonges de lanne venir, et selon une autre les transforme en vrits. Mais ce qui fait la couleur de la rue de janvier, ce qui dun seul coup la rend diffrente, cest lapparition des kimonos. Dans la rue, dans les magasins, dans les bureaux, la Bourse mme le jour de louverture, les filles sortent leurs kimonos dhiver col de fourrure. ce moment de lanne les autres Japonais peuvent bien inventer la tlvision extra-plate, se suicider la trononneuse ou conqurir les deux tiers du march mondial des semi-conducteurs, bernique : on ne voit quelles... Le 15 janvier est le jour des vingt ans, une clbration oblige dans la vie dune jeune Japonaise. Les municipalits distribuent des petits sacs remplis de cadeaux, dagendas, de recommandations, comment tre une bonne citoyenne, une bonne mre, une bonne pouse. Ce jour-l, toute fille ge de vingt ans peut tlphoner gratuitement sa famille, en nimporte quel endroit du Japon. Travail, famille, patrie, cest lantichambre de lge adulte. Le monde des Takenoko et des chanteurs de rock sloigne comme une fuse. Des orateurs expliquent ce que la socit attend delles. Combien de temps leur faudra-t-il pour oublier le Secret ?ANALYSE FILMIQUE Texte Sans Soleil Page 11/13

Et puis quand toutes les ftes sont finies, il ny a plus qu ramasser tous les ornements, tous les accessoires de la fte, et en les brlant, en faire une fte. Cest le Dondo-yaki. Une bndiction shinto sur ces dbris qui ont droit limmortalit, comme les poupes dUeno. Le dernier tat, avant leur disparition, de la poignance des choses. Daruma lesprit borgne connat une suprme prsidence au sommet du bcher. Il faut que labandon soit une fte, que le dchirement soit une fte, que ladieu tout ce que lon a perdu, cass, us, sennoblisse dune crmonie. Cest au Japon que pourrait saccomplir le vu de M. de Montherlant, que le divorce soit un sacrement. Le seul moment droutant de ce rituel aura t la ronde des enfants qui frappent le sol avec leurs longues perches. Je nai obtenu quune explication - singulire, encore que pour moi elle pourrait prendre la forme dun petit office intime : cest pour chasser les taupes. [Limage du bonheur chap. 13] Et cest l, que, deux-mmes, sont venus se greffer mes trois enfants dIslande. Jai repris le plan dans son intgralit, en rajoutant cette fin un peu floue, ce cadre tremblotant sous la force du vent qui nous giflait sur la falaise, tout ce que javais coup pour faire propre et qui disait mieux que le reste ce que je voyais dans cet instant-l, pourquoi je le tenais bout de bras, bout de zoom, jusqu son dernier 25 de seconde... La ville dHeimaey stendait au-dessous de nous, et lorsque, cinq ans aprs, Haroun Tazieff ma envoy ce quil venait de tourner au mme endroit, il ne me manquait que le nom pour apprendre que la nature fait ses propres Dondo-yaki. Le volcan de lle stait rveill. Jai regard ces images, et ctait comme si toute lanne 65 venait de se recouvrir de cendres. Il suffisait donc dattendre, et la plante mettait elle-mme en scne le travail du Temps. Jai revu ce qui avait t ma fentre, jai vu merger des toitures et des balcons familiers, les balises des promenades que je faisais tous les jours travers la ville et jusqu la falaise o javais rencontr les enfants. Le chat chaussettes blanches que Garouk avait eu la dlicatesse de filmer pour moi a trouv naturellement sa place, et jai pens que de toutes les prires au Temps qui avaient jalonn ce voyage, la plus juste tait celle de la dame de Go To Ku Ji qui disait simplement la chatte Tora : Chatte aime, o que tu sois, puisse ton me connatre la paix. Et puis le voyage son tour est entr dans la Zone. Hayao ma montr mes images dj atteintes par le lichen du Temps, libres du mensonge qui avait prolong lexistence de ces instants avals par la Spirale. Quand le printemps venait, quand chaque corbeau pour lannoncer augmentait son cri dun demi-ton, je prenais le train vert de la Yamanote Line et je descendais la gare de Tokyo, voisine de la Poste Centrale. Mme si la rue tait vide, je mimmobilisais au feu rouge, la japonaise, afin de laisser la place aux esprits des voitures casses. Mme si je nattendais aucune lettre, je marrtais devant la poste restante, car il faut honorer les esprits des lettres dchires, et devant le guichet de la poste arienne, pour saluer les esprits des lettres non envoyes. Je mesurais linsupportable vanit de lOccident qui na pas cess de privilgier ltre sur le non-tre, le dit sur le non-dit. Je marchais le long des petites choppes des marchands de vtements, jentendais au loin la voix de M. Akao, rpercute par les hautparleurs, qui avait mont dun demi-ton. Enfin, je descendais dans la cave o mon copain le maniaque sactive devant ses graffiti lectroniques. Au fond, son langage me touche parce quil sadresse cette part de nous qui sobstine dessiner des profils sur les murs des prisons. Une craie suivre les contours de ce qui nest pas, ou plus, ou pas encore. Une criture dont chacun se servira pour composer sa propre liste des choses qui font battre le cur, pour loffrir, ou pour leffacer. ce moment-l la posie sera faite par tous, et il y aura des meus dans la Zone. II mcrit du Japon, il mcrit dAfrique. II mcrit que maintenant il peut fixer le regard de la dame du march de Praia, qui ne durait que le temps dune image. Y aura-t-il un jour une dernire lettre ?

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Gnrique de fin Les lettres de Sandor Krasna sont lues par Florence Delay dans la version franaise, Alexandra Stewart dans la version anglaise. Bande lectro-acoustique : Michel Krasna (Thme de Sans Soleil : M. Moussorgski) Valse triste de Sibelius traite par Isao Tomita Chant : Arielle Dombasle Mixages : Antoine Bonfanti - Paul Bertault Images incorpores : Sana Na NHada (Carnaval de Bissau) Jean-Michel Humeau (Crmonie des grades) Mario Marre Eugenio Bentivogho (Gurilla Bissau) Danile Tessier (Mort dune girafe) Haroun Tazieff (Islande 1970) Amis et conseillers : Kazuko Kawakita, Hayao Shibata, Ichiro Hagiwara, Kazue Kobata, Keiko Murets, Yuko Fukusaki ( Tokyo) Tom Luddy, Anthony Reveaux, Manuela Adehnan ( San Francisco) Pierre Lhomme, Jimmy Glasberg, Ghislain Cloquet, A.S.C. assists par Eric Dumage, Dominique Gentil, Arthur Claquet ( Paris) Assistant la ralisation : Pierre Camus Assistantes au montage : Anne-Marie LHote, Catherine Adda Banc-titre : Martin-Boschet - Roger Grange Effets spciaux : Hayao Yamaneko Synthtiseur dimages : EMS Spectre Synthtiseurs de son : EMS/VCS 3- Moog Source Laboratoire LTC (Etalonneur : Marcel Mazoyer) Auditoriums SIS - AUDITEL Visa de contrle n 53055 Argos-Films 1982 Composition et montage : Chris. Marker in : Trafic 6, printemps 93, POL, pp. 79-97 Les TC et chapitrages du DVD ont t rajouts [ ]

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