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MARQUEURS BIOCHIMIQUES DU REMODELAGE OSSEUX Christian Roux a,* 1. Introduction L es marqueurs biologiques du remodelage osseux sont aujourd'hui utilises en routine dans la prise en charge des patients souffrant d'ost6oporose. Cette maladie resulte d'un des6quilibre de I'activit~ cel- lulaire osseuse, au profit de la resorption. Le remodelage est un phe- nomene physiologique, indispensable au tissu osseux pour assurer ses fonctions metaboliques et mecaniques. Le couplage de I'activite cel- lulaire se fait gr&ce ~ plusieurs cytokines, et au systbme Rank ligand. Les osteoblastes synthetisent la matrice osseuse, en presence de cal- cium, de phosphore, de vitamine D et de phosphatase alcaline, et cette matrice est constituee de collagbne de type 1 (& 90 %) et de prot~ines non collag6niques, dont I'osteocalcine, I'ostonectine, I'ost(~opontine... Lors de la r6sorption osteoclastique, se produit la dissolution du tissu min~ralis6, et la resorption proteique, liberant ainsi les acides amines (hydroxyproline, hydroxylysine) et des sequences peptidiques com- portant les molecules de pontage du co(lagene : pyridinolines). Cette activite cellulaire peut ~tre 6valuee dans le sang et les urines par des dosages sp6cifiques (tableau I). L'int6r~t des marqueurs est & I'etude actuellement dans le suivi des osteopathies malignes, en particulier des metastases osteolytiques. On pourrait envisager que les marqueUrs de resorption reflbtent I'ac- tivite d'une masse inconnue d'osteoclastes, comme les marqueurs tumoraux refletent la masse inconnue tumorale. Les patients souffrant de telles lesions osseuses sont actuellement traites par bisphospho- nate, dont I'efficacit~ est demontree, mais la dur6e d'un tel traitement n'est pas connue. II est possible que le sum des marqueurs de resorp- tion puisse aider dans la decision de la duree des traitements dans ces conditions cliniques. Cette hypothese releve pour I'instant de la recherche clinique, et ne sera pas abordee ici. Formation I R~rption Non collag6niques Phosphatases alcalines totales (PAL) Phosphatase alcaline osseuse (PAO) Ost6ocalcine (OC) Dosages uniquement s~riques Phosphatase acide tartrate resistance (TRAP) Collag6niques Dosages s~riques Peptide d'extension C terminal du procollag(~ne I (P1CP) Peptide d'extension N terminal du procollagbne I (P1 NP) Dosages sY~riqueset urinaires Desoxypyridinoline (DPD) Pyridinoline (PYD) T61opeptides C-terminaux (CTX) du collag~ne I Dosages urlnaires T~ opeptide N-terminaux (NTX) du collagene a Service de rhumatologie H6pital Cochin 27, rue du Faubourg Saint-Jacques ?5679 Paris cedex 14 * Correspondance [email protected] 9 Elsevier SAS. Dans le domaine de I'osteoporose, on peut envisager I'usage des mar- queurs au stade du diagnostic, de la decision therapeutique, et du suivi des traitements. 2. Diagnostic de I'osteoporose La recherche d'une ost~opathie secondaire, en particulier maligne (myelome multiple) et metabolique (endocfinopathie dont la fr6quente 32 Suppl/~ment au N ~3?9, RevueFrancophone des Laboratoires, fevrier2006

Marqueurs Biochimiques du Remodelage Osseux

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MARQUEURS BIOCHIMIQUES DU REMODELAGE OSSEUX

Christian Roux a,*

1. Introduction

L es marqueurs biologiques du remodelage osseux sont aujourd'hui utilises en routine dans la prise en charge des patients souffrant

d'ost6oporose. Cette maladie resulte d'un des6quilibre de I'activit~ cel- lulaire osseuse, au profit de la resorption. Le remodelage est un phe- nomene physiologique, indispensable au tissu osseux pour assurer ses fonctions metaboliques et mecaniques. Le couplage de I'activite cel- lulaire se fait gr&ce ~ plusieurs cytokines, et au systbme Rank ligand. Les osteoblastes synthetisent la matrice osseuse, en presence de cal- cium, de phosphore, de vitamine D et de phosphatase alcaline, et cette matrice est constituee de collagbne de type 1 (& 90 %) et de prot~ines non collag6niques, dont I'osteocalcine, I'ostonectine, I'ost(~opontine... Lors de la r6sorption osteoclastique, se produit la dissolution du tissu min~ralis6, et la resorption proteique, liberant ainsi les acides amines

(hydroxyproline, hydroxylysine) et des sequences peptidiques com- portant les molecules de pontage du co(lagene : pyridinolines). Cette activite cellulaire peut ~tre 6valuee dans le sang et les urines par des dosages sp6cifiques (tableau I). L'int6r~t des marqueurs est & I'etude actuellement dans le suivi des osteopathies malignes, en particulier des metastases osteolytiques. On pourrait envisager que les marqueUrs de resorption reflbtent I'ac- tivite d'une masse inconnue d'osteoclastes, comme les marqueurs tumoraux refletent la masse inconnue tumorale. Les patients souffrant de telles lesions osseuses sont actuellement traites par bisphospho- nate, dont I'efficacit~ est demontree, mais la dur6e d'un tel traitement n'est pas connue. II est possible que le sum des marqueurs de resorp- tion puisse aider dans la decision de la duree des traitements dans ces conditions cliniques. Cette hypothese releve pour I'instant de la recherche clinique, et ne sera pas abordee ici.

Formation I R~rption Non collag6niques

Phosphatases alcalines totales (PAL) Phosphatase alcaline osseuse (PAO)

Ost6ocalcine (OC)

Dosages uniquement s~riques Phosphatase acide tartrate resistance (TRAP)

Collag6niques Dosages s~riques

Peptide d'extension C terminal du procollag(~ne I (P1CP)

Peptide d'extension N terminal du procollagbne I (P1 NP)

Dosages sY~riques et urinaires Desoxypyridinoline (DPD) Pyridinoline (PYD)

T61opeptides C-terminaux (CTX) du collag~ne I Dosages urlnaires

T~ opeptide N-terminaux (NTX) du collagene

a Service de rhumatologie H6pital Cochin 27, rue du Faubourg Saint-Jacques ?5679 Paris cedex 14

* Correspondance [email protected]

�9 Elsevier SAS.

Dans le domaine de I'osteoporose, on peut envisager I'usage des mar- queurs au stade du diagnostic, de la decision therapeutique, et du suivi des traitements.

2. Diagnostic de I'osteoporose

La recherche d'une ost~opathie secondaire, en particulier maligne (myelome multiple) et metabolique (endocfinopathie dont la fr6quente

32 Suppl/~ment au N ~ 3?9, Revue Francophone des Laboratoires, fevrier 2006

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Necker-lnstitut Pasteur

hyperparathyrdldie, osteoma]acie, autres troubles endocriniens...) est toujours indispensable, que la maladie soil diagnostiquee en raison d'une densite basse ou en raison de la presence d'une fracture. Les marqueurs du remodelage osseux n'apportent pas d'information au dia- gnostic etiologique de I'osteoporose.

Le diagnostic d'osteoporose se faiten raison de la presence d'une frac- ture survenue pour des traumatismes minimes (c'est-8-dire resultant d'une energie inferieure ou egale ~. celle liee& une chute de sa hau- teur en marchant) eUou en raison d'une densite osseuse basse (c'est- &-dire une valeur situ~e & plus de 2,5 ecart-types au-dessous de la valeur moyenne des adultes jeunes). II n'existe pas de definition de I'os- teoporose sur les resultats des marqueurs biologiques, et il n'existe pas de correlation entre les valeurs des marqueurs et les valeurs de la densite osseuse, ni & I'echelle d'une population ni ~. I'echelle d'un individu. Les informations fournies par ces 2 explorations sont donc complementaires, et le dosage des marqueurs du remodelage osseux n'a pas sa place dans le diagnostic positif de I'osteoporose.

3. La decision therapeutique

La mesure de la densite osseuse apporte des informations sur un aspect quantitatif de la fragilite osseuse, mais ne permet pas d'explorer les autres determinants du risque de fracture que sont la micro archi- tecture, la qualite du collagene, la presence de micro fissures, le remo- delage osseux...

Les marqueurs du remodelage vont donc r un appoint : I'activitr cellulaire osseuse est un determinant des proprietes qualitatives. Les etudes prospectives ont montre que les patientes menopausees ayant une augmentation du remodelage osseux avaient un e augmentation du risque de fracture, de manibre independante du resultat de la den- site osseuse ; les patientes ayant & la fois une densite osseuse basse et une elevation de la resorption osseuse ont un risque fracturaire aug- mente. Ces resultats ont ete demontres chez les sujets &ges de plus de 75 ans, mais aussi dans une large population de femmes meno- pausees de 50 & 89 ans [6, 7].

Uindication d'un traitement anti-osteoporotique chez une femme meno- pausee est parfois simple : il existe une fracture par fragilite osseuse, et/ou la densite osseuse est tres basse, et/ou il existe des facteurs de risque associes (corticotherapie au long cours, antecedent maternel de fracture, poids insuffisant, risque de chute augmente en raison de troubles neurologiques ou orthopediques...). Parfois la decision est plus difficile, et c'est dans ces cas limites que I'usage des marqueurs de la resorption osseuse peut etre utile.

Enfin, on peut se demander si les marqueurs sont utiles pour le choix du traitement anti-osteoporotique. En effet, on dispose desormais de traitements anti-resorptifs (bisphosphonates, raloxifene, traitement hor- mona] de la menopause) ou anabolisants (teriparatide) ou d'action mixte (ranelate de strontium). Les etudes ont montre que ces traitements sont efficaces, c'est-&-dire reduisent le risque de fracture, quel que soit le niveau de remodelage osseux initial. Ainsi, le risedronate et le teripa- ratide sont efficaces, que les marqueurs de resorption soient eleves

ou pas [3]. Les marqueurs du remodelage osseux ne permettent donc pas de choisir le traitement anti-osteoporotique.

4. Suivi des traitements

p lusieurs etudes ont montr6 que I'observance des traitements anti- ostboporotiques, comme souvent pour les maladies chroniques

asymptomatiques, est faible. On estime & 50 % environ la proportion de patientes sous bisphosphonate toujours traitees awes 1 an. Or I'ef- ficacite du traitement n'est complete qu'en cas d'observance et de per- sistance maximales. Dans ce contexte, le suivi densitometrique ne peut aider, puisqu'on ne peut repeter les mesures avant 2 a 3 ans pour des raisons de reproductibilite et de variabilite biologique. Les marqueurs du remodelage sont plus sensibles & I'effet des traitements, avec par exemple une reduction de 50 % environ des marqueurs de resorption 6 mois aprbs le debut d'un traitement par bisphosphonate [1 ], ou une augmentation importante de marqueurs de formation (phosphatases alcalines osseuses, et surtout P1CP) apres traitement par teriparatide. Ces variations & court terme permettent dans une certaine mesure de predire le b~neflce anti-fracturaire des traitements [2]. Dans une etude, I'information sur ces variations s'accompagne d'une meilleure per- sistance [4]. C'est donc aujourd'hui la meilleure indication des mar- queurs du remodelage : les variations & court terme de ces marqueurs sont un reflet de I'efficacite du traitement, et peuvent sans doute aider & convaincre les patientes de I'interet de leur poursuite.

R f rences [1 ] Bauer D.C., Black D.M., Gamero P. et al., Change in bone turnover and hip, non spine, and vertebral fracture in alendronate-treated women, J. Bone Miner. Res. 19 (2004) 1250-1258.

[2] Bjarnason N.H., Christiansen C., Sarkar S. et aL, 6 months changes in biochemical markers predict 3-year response in vertebral fracture rate in post- menopausal, osteoporotic women: results from the MORE study, Osteoporos. Int. 21 (2001) 922-930.

[3] Delmas P.D., Chen P., Misurski D.A. et al., Fracture risk reduction during treatment with teriparatide is independent of pretreatment bone turnover, J. Bone Miner. Res. 19 (2004) S44.

[4] Delmas P.D., Vrijens B., Roux C., Le-Moigne-Amrani A., Eastell R., Grauer A. et al., Osteoporosis treatment using reinforcement with bone turnover mar- ker data reduces fracture risk : the Impact study, J. Bone Miner. Res. 19 (2004) $444.

[5] Eastell R., Barton I., Harmon R.A. et al., Relationship of early changes in bone resorption to the reduction in fracture risk with risedronate, J. Bone Miner. Res. 18 (2003) 1051-1056.

[6] Garnero P., Hausherr E., Chapuy M.C. et al., Markers of bone resorption predict hip fracture in elderly women: the Epidos prospective study, J. Bone Miner. Res. 11 (1996) 1531-1538.

[7] Gamero P., Somay-Rendu E., Claustrat B., Delmas P.D., Biochemical mar- kers of bone turnover, endogenous hormones and the risk of fractures in post- menopausal women: the Ofely study, J. Bone Miner. Res. 15 (2000} 1526- 1536.

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