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Martin s'en revient d'Amérique

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Martin s'en revient d'Amérique

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GILBERT GRELLET

Martin s'en revient d'Amérique

JEAN PICOLLEC 47, rue Auguste-Lançon 75013 PARIS

Tél. 45.89.73.04

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Du MÊME AUTEUR

Le Souffle Austral (en collaboration avec Hervé Guilbaud), Flammarion, 1988, Prix du Sus- pense, 1988.

Tous les jours de mieux en mieux-Emile Coué et sa méthode réhabilités (en collaboration avec René Centassi), Robert Laffont, 1990.

© Editions Jean Picollec, 1991 ISBN 2-86477-111-X

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INTRODUCTION

Ça y est. Mes valises sont faites. J'ai revendu ma maison à un avocat qui s'est endetté pour trente ans à un taux prohibitif et j'ai cédé mon « business » à un conglomérat qui m'a payé « cash ». Me voilà à la tête d'un joli paquet de dollars. Ce n'est pas la fortune, loin de là. Mais ça me paraît tout à fait suffisant pour retourner m'installer en France et voir venir.

J'avoue que je ne suis pas mécontent de rentrer au pays, après une décennie d'absence. Dix ans, c'est court quand il faut tout apprendre. C'est très long, quand on ne peut pas oublier.

Pourquoi étais-je parti ? Une multitude de raisons. Le besoin d'espace, la sensation d'étouf- fer en France, de sentir monter les entraves à l'initiative et au dynamisme sous le régime rose pâle de Giscard, qui passait son temps à taper sur les cadres. A l'époque, on ne parlait que du « Mal Français ». Mais avait-on vraiment envie

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d'en sortir ? Avec la hausse du chômage et du pétrole, le père Barre clamait qu'on était « au bord du gouffre ». Tout le monde pensait qu'il allait bientôt sauter. A gauche, c'était le chaos. Rocard essayait d'y mettre un peu d'ordre : « Mitterrand est fini. Autant hâter sa fin. »

Les Etats-Unis n'allaient guère mieux, c'est le moins qu'on puisse dire, avec un planteur de cacahuètes à la Maison Blanche et les otages à l'ambassade de Téhéran. Mais le mythe amé- ricain demeurait vivace. Un ami installé là-bas me pressait de venir. Je suis allé le voir. J'en suis revenu conquis.

Voilà ce qu'il me fallait : l'american way of life. Bouger, avancer. Devenir un vrai Yankee, pas un Frenchie du Nouveau Monde. Plonger dans les délices — parfois les affres — du barbecue, du pop-corn, des grosses décapota- bles, du baseball, de la tondeuse à gazon, d'une bonne bière au coucher du soleil et du journal devant la porte à six heures du matin. Monter mon affaire. Essayer, pourquoi pas, de faire fortune...

Hum ! Je vous vois venir. Il a fini de nous raconter des histoires celui-là. Non, non, vous n'y êtes pas. Je n'étais pas un de ces « réfugiés » du socialisme, venus après la victoire de Mit- terrand en 1981. J'étais installé depuis près de deux ans quand je les ai vus arriver, plein de jugements sans appels sur la France « pays foutu ». C'était assez rigolo.

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Certains sont venus en Concorde, les poches bourrées de billets verts, la tête pleine de pro- jets eldoradesques. Presque tous sont repartis en charter au bout de deux ans, plumés par les avocats américains ou découragés par l'absence de « protection sociale ». Une séance à 200 dol- lars chez le dentiste et ils craquaient : où est la mutuelle ?

Moi, j 'avais bien préparé mon émigration outre-Atlantique. En coupant vraiment les ponts avec la France. Bien sûr que je gardais le contact avec le pays. Par ceux qui venaient me voir à Washington. Par la presse et la télévision américaines, pourtant peu intéressées et pleines de clichés sur la France « béret-bistro-baguette ».

Mais j'avais décidé de vraiment jouer le rôle de l'immigré, au point d'obtenir la natio- nalité américaine. Tout en restant Français, of course.

Alors que s'est-il passé ? Un mélange d'éner- vement et de mal du pays. Huit ans de rea- ganisme anarcho-triomphant ont fini par m'aga- cer. Les excès du libéralisme sauvage aussi. Ras- le-bol des années Trump. Sans parler du zèle intempestif des avocats requins, trop nombreux dans les eaux troubles de la consommation.

Un jour un client mécontent, excité par son inévitable « lawyer », m'a réclamé en dom- mages et intérêts l'équivalent de mon chiffre d'affaires annuel. J'ai rigolé : totalement ridi- cule. J'ai dû transiger pour une grosse somme.

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Dans le même temps, je lisais des articles sur « la France socialiste réconciliée avec l'es- prit d'entreprise ». Un peu trop beau pour être vrai. Mais pourquoi pas ? Ce serait peut-être le moment, à quarante-cinq ans, de rentrer à la maison.

Ouais... Je vois à votre mine dubitative que vous n'êtes pas convaincu. Qu'est-ce que c'est que ce type qui ne va pas jusqu'au bout de ses convictions ? Il faut savoir ce qu'on veut dans la vie. Il est en Amérique, qu'il y reste ! On a assez de chômeurs et de grandes gueules ici...

O.k. ! O.k. ! Puisque vous insistez, je vais vous expliquer les vraies raisons de mon retour. J'en avais marre, et plus que marre, d'être pris pour « Madame Martin », Jean était un prénom féminin aux Etats-Unis.

Au début, je rigolais. Au bout de dix ans, ça devenait franchement exaspérant de rece- voir des coups de téléphone d'agents d'assu- rance ou de vendeurs d'aspirateurs qui avaient vu mon nom dans l'annuaire ou un fichier de carte de crédit. « Hello, pourrais-je parler à Mme Gin Martin. »

J'ai bien pensé à remplacer le J par un D, mais le prénom était déjà pris. D'ailleurs, je n'avais aucune envie d'américaniser mon patro- nyme. Une seule solution donc, pour récupérer ma pleine masculinité : retrouver la douce France...

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CHAPITRE PREMIER

DOUCE FRANCE

Ai-je dit douce ? Il faut se méfier des adjectifs tout faits. On finit toujours par les regretter...

Roissy, sept heures du matin, automne 89. J'arrive seul. Ma femme Chantal et mon fils Paul me rejoindront plus tard. Trois quarts d'heure d'attente pour les bagages. Regards soupçonneux, expressions méfiantes, mines bla- fardes. Je mets la chose sur le compte du petit matin blême et saute dans un taxi Mercedes flambant neuf.

Le chauffeur est cambodgien, aussi bavard que Sihanouk. Il apprend vite que je viens de Washington, malgré mes tentatives pour me cacher derrière un journal.

« Ah ! Ah ! Vous êtes Américain ? Vous n'avez jamais rencontré mon cousin là-bas ? Lui aussi est chauffeur de taxi. Il habite Arlington, vous connaissez ? Il m'a écrit qu'il en avait

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marre. Il va bientôt venir à Paris. Là-bas, c'est dingue, paraît-il. Il faut se battre contre les Iraniens, les Ethiopiens, les Somaliens, les Sal- vadoriens et les Haïtiens pour trouver des clients.

— Ah oui ? Et à Paris, c'est plus facile ? — Pas de problème. On a des tas de

combines. La France, c'est fantastique. On s'ins- crit à la Sécurité sociale. On a l'allocation loge- ment et on s'installe dans le 13e. On emprunte de l'argent à des copains pour acheter la voiture et la licence-taxi. Même pas besoin de connaître les rues de Paris pour commencer. C'est cool ici, on n'est pas excité comme en Amérique. »

Cool, c'est beaucoup dire. Voilà mon chauf- feur qui s'engage dans un slalom entre les voitures qui convergent sur Paris. Enorme embouteillage sur l'autoroute du Nord. Les esprits s'échauffent avec les moteurs.

« Avance crétin », grogne mon Cambodgien en ferraillant ses vitesses. Qu'est devenue l'im- pavidité asiatique ? Il fait une magnifique queue de poisson à une voiture de livraison qui revient rapidement à sa hauteur.

« Eh! le Viet, fais gaffe à tes pare-chocs, on n'est pas à Tokyo ici », lui lance un garçon boucher, qui a manifestement envie d'en décou- dre. La situation est tendue. Je plonge dans mon journal — rubrique golf de « Libération » — en attendant que ça se calme. On est loin de l'Amé- rique.

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Non pas que ce soit toujours relax là-bas, limousines climatisées glissant sur l'autoroute. La dernière fois que j'ai pris un taxi à New York — aéroport de La Guardia — j'ai eu le malheur de dire à l'allumé au volant que j'étais un peu pressé. Il a enlenché le « drive » et m'a amené en vingt minutes à mon hôtel de Madison Avenue. Tout en fumant un joint qui nous a fait planer au-dessus de Triborough Bridge. A l'arrivée, j'étais aussi déglingué que sa Che- vrolet.

Nous voilà près de Saint-Lazare après quel- ques menus incidents du même acabit, sans autres conséquences que verbales. Il va falloir se réhabituer aux rues de Paris, plus embou- teillées que jamais, y compris sur les trottoirs. Est-ce qu'on va finir par comprendre que la seule façon de permettre aux voitures de cir- culer dans le centre ville, c'est d'y interdire tout stationnement ?

Je félicite mon chauffeur pour son assimi- lation ultra-rapide des mœurs locales quand il s'arrête brusquement devant un café.

« Un moment, s'il vous plaît », me dit-il, sortant de la voiture en laissant tourner le moteur.

Je replonge dans mon journal et lève machi- nalement la tête quand il revient avec un grand sourire. Mais... ce n'est pas le même !

« Hé, arrêtez ! — Ne vous inquiétez pas. J'ai pris la place

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de mon cousin. Je vous amène à votre hôtel. » Encore un cousin ! Est-ce que la voiture

fait les trois-huit? Nous sommes bientôt à l'hôtel, près de

l'Opéra. Je vais m'enquérir de ma chambre. Ah non, monsieur, vous n'y pensez pas, elle n'est pas libre avant midi... Peu importe. Je n'ai qu'une hâte, après avoir déposé mes valises : aller prendre un bon café avec de vrais crois- sants chauds parisiens. J'en rêve depuis dix ans.

Une terrasse de café ensoleillée me tend les bras. Je m'incruste dans mon siège et déguste l'atmosphère. Bonheur matinal sans partage, exception faite des touristes asiatiques béats autour de moi. Le calme avant la tem- pête.

Au bout de dix minutes, le garçon arrive et veut encaisser. L'air hautain et affairé, pla- teau sous le bras et moustache en bataille. C'est vrai, j'avais oublié. Il vaut mieux faire mon deuil de la civilité américaine. Pourquoi s'obstinent-ils à sourire bêtement et à dire « Hi » ou « H ave a nice day » là-bas ? Ils sont bizarres, non ?

Les croissants étaient un peu fatigués, peut- être mal décongelés. Je n'ai mangé qu'un des trois posés dans une corbeille sur ma table.

« Non, monsieur, il y en avait quatre. Vous en avez pris deux, affirme le serveur, péremp- toire. C'est 45 francs.

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— Je ne crois pas... — Mais enfin, puisque je vous le dis.

Voyons, monsieur ! » Situation compliquée. Je réfléchis à ce que

je vais pouvoir répondre au gougnafier quand un voisin vient à ma rescousse.

« Vous croyez que c'est une façon de traiter un client ? Puisque monsieur vous dit qu'il en a pris qu'un...

— De quoi je me mêle ? — Je l'ai vu de mes yeux, un seul il a pris. » Un coup d'œil à l'aimable voisin. Il est

d'origine nord-africaine. Murmures sur la ter- rasse. Les Japonais préparent leur Nikon et leur Minolta. On ne sait jamais. Le garçon hésite, examine l'environnement, puis bat en retraite.

« D'accord, un croissant. Mais vous, vous n'avez pas intérêt à demander une autre consom- mation, lance-t-il au voisin, furibard. D'ailleurs, qu'est-ce que vous attendez pour rentrer chez vous ?

— Mais chez moi, c'est ici. Je suis français, moi, monsieur.

— Mon œil. D'ailleurs, on n'a pas fait la Révolution pour se laisser envahir par n'im- porte qui. »

La Révolution... C'est vrai, j'avais aussi oublié. La France vient de célébrer le bicente- naire de 1789. On parlait beaucoup de ça aux Etats-Unis. Surtout de la terreur d'ailleurs.

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Ouh là, là ! Attention aux garçons de café sans culottes. La place de la Concorde n'est pas loin.

« Votre Révolution, vous pouvez vous la mettre où je pense. Elle vous a pas appris à être poli », fait l'autre en se levant.

Le garçon pose son plateau. Les Japonais arment leurs appareils de photo. Banzai à l'Opéra ! Je bondis pour m'interposer. C'est inutile.

« Ne vous inquiétez pas, je m'en vais », me dit le voisin, qui s'éloigne rapidement. Le temps pour moi de régler, il a disparu au coin de la rue. Je ne peux l'inviter à prendre un café ailleurs. Sourire goguenard du garçon. « Tous les mêmes. Dès que ça devient sérieux, ils se défilent », me dit-il d'un air entendu. Je retiens mon poing.

Je flâne un instant avant d'aller voir Colette, ma cousine, qui m'attend en principe chez elle, près de la place des Victoires. Il n'y a pas que les cafés qui sont pleins de Japonais. Les boutiques sont envahies elles aussi.

Au fait, j'ai oublié d'acheter un cadeau pour Colette. Tiens, voilà justement une par- fumerie, je vais lui acheter un petit quelque chose. Il y a marqué « free entrance » sur la porte. Encore heureux ! Je n'ai jamais compris pourquoi les boutiquiers mettaient le signe « entrée libre ». Il faudra bien que je résolve un jour ce mystère.

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Le type derrière le comptoir me regarde entrer d'un air méfiant.

« Je voudrais un flacon de... — Désolé, monsieur, mais nous sommes

fermés. — Mais, comment... » Là-dessus, arrive une horde de Japonais,

chaperonnés par une hôtesse très efficace. Cha- cun a sa liste à la main. En un rien de temps, tout le monde est servi, après avoir versé force yens ou dollars.

« Vous voyez bien que vous êtes ouvert. — Pour eux, oui, pas pour vous, sauf si

vous voulez payer en devises. — Comment ça ? — Oui, en dollars, en marks, en yens par

exemple. — Bien sûr que non. J'ai des francs et je

compte payer en francs. — Impossible. Je vous conseille d'aller

ailleurs. » Zut alors ! On ne peut plus payer en francs

dans son propre pays. C'est bizarre tout de même. Y a-t-il un flic dans le coin ? Rien à l'horizon. Je suis trop fatigué pour insister. Tant pis pour le cadeau.

Je ressors et lève machinalement le bras pour appeler un taxi. Au bout de trois minutes, je le rabaisse, après avoir vu une dizaine de taxis vides passer devant moi, avec un hoche- ment de tête du chauffeur. C'est vrai, j'oubliais

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une fois de plus. Paris est sans doute la seule grande ville du monde où on ne trouve pas de taxis au coin de la rue, en faisant un signe. Encore une mauvaise habitude prise aux Etats- Unis.

Où est la station la plus proche ? Ah oui, là-bas. Je vois la queue. Patience. En voilà enfin un pour moi. J'y accède difficilement après avoir écarté trois personnes, dont deux dames très respectables aux cheveux gris, qui essayaient subrepticement de passer avant moi en prenant un air très affairé.

« Place des Victoires, s'il vous plaît. » Le taxi démarre. La voiture a une mauvaise

odeur de gauloise, le chauffeur une bonne tête de Gaulois. Il se tourne vers moi, l'air inqui- siteur, une cigarette au coin des lèvres.

« C'est pas loin ça. J'espère que vous avez de la monnaie.

— Euh... » Un rapide examen de mes poches et de

mon portefeuille révèle l'horrible vérité. Je n'ai plus que des billets de 500 et 200 francs que m'a donnés ma banque à Washington. Panique à bord.

« C'est-à-dire que, vous comprenez... » Le taxi pile. « Désolé, mais je n'ai pas de monnaie non

plus. » J'ai comme l'impression qu'il m'invite à

quitter les lieux. Son berger allemand sur le

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siège avant me regarde d'un air intéressé. Un taxi a-t-il le droit de faire ce genre de chose ? Là encore, je suis trop crevé pour essayer de vérifier et sors en claquant la porte. Le Cam- bodgien, lui, aurait-il osé ?

Il me faut de la monnaie. Ah voilà un tabac qui pourra m'en faire. Sur le chemin, un qui- dam m'arrête.

« Vous n'auriez pas dix francs pour que je prenne le métro ?

— Désolé, mais je n'ai pas de monnaie. » Je fais deux pas et c'est l'apostrophe. « Raciste ! » Abasourdi, je me retourne. Raciste ? Le qué-

mandeur est pâlot d'accord, et plutôt mal fagoté. Il a pourtant l'air d'un Français bon teint, moi aussi d'ailleurs. Regards sévères des passants, tournés vers moi. Quoi ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Inutile de répondre à cette absurdité. Je m'en- gouffre dans le bar-tabac pour acheter des chewing-gums.

La patronne, le chignon en bataille, est en train de beurrer deux sandwichs au saucisson et au jambon. Elle prend tout son temps, finit par venir s'asseoir devant moi sur son tabouret et me toise d'un air renfrogné tandis que je tends un billet de 200 francs.

« Vous n'avez pas de monnaie ? — Non, justement, j'en ai besoin. » — C'est pas la banque ici », siffle-t-elle

avant de consentir à me vendre sa marchandise.

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Réflexion faite, autant y aller à pied. Je n'ai pas envie de refaire la queue pour un taxi.

Me voilà enfin devant chez Colette. J'appuie sur le bouton de la porte. Pas de bzzz. Tiens, il y a en dessous un carré avec des chiffres et des lettres. C'est nouveau ce truc-là. Il doit y avoir un code, mais lequel ? Pas de concierge à l'horizon. Elle est à l'intérieur ! Il ne me reste plus qu'à téléphoner.

Je fais une, deux, trois cabines. Chou blanc ! Elles sont toutes avec des cartes. Nouveau, ça aussi. Et où est-ce qu'on achète ces machins-là ? A la poste ou dans un tabac, m'indique un passant. Rebelote pour un bar-tabac.

« Donnez-moi une carte de téléphone à dix francs. J'ai de la monnaie.

— A dix francs ? Vous voulez rire, me lance le patron qui, lui, ne rigole pas du tout. Je n'ai que des cartes à 96 francs.

— Pourquoi 96 francs ? C'est juste pour une communication.

— C'est ça ou rien. Allons pressons. Au sui- vant. »

C'est une suivante, une dame bien en chair qui me pousse dans le dos et piaffe d'impatience en me faisant les gros yeux. Pourquoi est-elle si pressée ?

Je m'exécute et obtient enfin le sésame qui me permet d'arriver chez Colette. Elle m'ac- cueille avec un grand sourire, toute guillerette, en Jean 501 et tee-shirt rose, à la porte de

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son appartement avec poutres apparentes du 3 étage.

« Ah ! voilà l'Américain. Hello Jean. Wel- come home. How is you ? Good voyage ? »

Colette est venue me voir à Washington il y a deux ans, sur le chemin de la Californie, et se pique de parler l'anglais. J'évite de la détromper. La trentaine sportive et mignonne, format petite parisienne, elle travaille pour FMPR, l'agence de pub préférée de l'Elysée, m'a-t-elle dit. Elle est chargée de quelque chose, mais je n'ai jamais vraiment réussi à savoir de quoi.

« Ecoute, Jean, je suis désolée. Il y a un petit changement de programme. Je pars en week-end avec Hector à Deauville. Un ami à lui nous prête son appartement. Il vient me cher- cher tout à l'heure.

— Mais on est seulement vendredi. — Oui, et alors? Je te laisse l'appartement si tu veux. » L'Hector en question sonne à la porte et

s'engouffre dans le salon. De fort méchante humeur, malgré sa tenue estivale : bermuda kaki, Lacoste jaune et Timberlands.

« Ah ! les salauds, les salauds, les salauds ! Pardon mon cher, comment allez-vous ? Ravi de vous connaître. Colette m'a beaucoup parlé de vous. Ah ! les salauds, les salauds, les salauds ! »

Ça me rappelle un rythme révolutionnaire.

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Jean Martin, après dix ans aux Etats-Unis, revient vivre en France et redécouvre son pays natal. Parti sous Giscard d'Estaing, un président de droite qui jouait de l'accor- déon, il revient sous Mitter- rand, un président socialiste qui joue... au golf. Un para- doxe entre mille qu'il observe avec stupéfaction, dans la France de l'ISF, du RMI, de SOS Racisme, du jogging, de

Canal +, du Bébête Show, de Tapie, de Séguéla et de Mirapolis.

Humour et ironie sont les maîtres mots de ce livre, dans lequel Martin a confié à Gilbert Grellet ses impressions de Persan du Nouveau Monde, compa- rant avec ce qu'il avait connu il y a dix ans, mais aussi avec le pays d'où il vient. Ce qui le frappe avant tout : l'américanisation galopante, et souvent risible, des modes de vie dans l'Hexagone. On y « copie », plus que jamais, le modèle américain.

Gilbert Grellet, 44 ans, écrivain et journaliste, a passé un quart de sa vie aux Etats-Unis, dont huit années en tant que correspondant à New York et Washington. Il est co-auteur d'un thriller, le Souffle Austral qui vient d'être publié à New York, et d'un livre pour réhabiliter Emile Coué et sa célèbre Méthode : Tous les jours de mieux en mieux.

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