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Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob Extrait de Voir & Dire http://www.voir-et-dire.net/?Martine-Chittofrati-L-echelle-de Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob - Saint-Merry et les artistes invités - ...présentés antérieurement - Date de mise en ligne : mardi 31 mai 2011 Description : Copyright © Voir & Dire Page 1/13

Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob

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Page 1: Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob

Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob

Extrait de Voir & Dire

http://www.voir-et-dire.net/?Martine-Chittofrati-L-echelle-de

Martine Chittofrati, L'échelle de

Jacob- Saint-Merry et les artistes invités - ...présentés antérieurement -

Date de mise en ligne : mardi 31 mai 2011

Description :

Copyright © Voir & Dire Page 1/13

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Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob

Martine Chittofrati s'exprime par le dessin, la peinture et la sculpture. Sa sensibilité artistique est largement marquée par le baroque, qu'il soit celui du

XVIIIe italien, ou celui des maîtres contemporains, tel Ernest Pignon-Ernest.

En l'invitant dans la chapelle de Communion, lieu très riche en oeuvres baroques, Saint-Merry s'est proposé de faire dialoguer deux approches distantes de plus

de deux siècles, où les anges tiennent une place centrale.

L'installation était enrichie des oeuvres de deux autres artistes qui ont travaillé avec elle en mode harmonique, France Ménard, poète, et Jean-François Laroque,

auteur d'une bande sonore.

Voir et Dire interroge cette oeuvre totale associant architecture-peinture-sculpture-musique et écriture.

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Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob

Martine Chittofrati s'exprime par le dessin, la peinture et la sculpture. Sa sensibilitéartistique est largement marquée par le baroque, qu'il soit celui du XVIIIe italien, ou celuides maîtres contemporains, tel Ernest Pignon-Ernest.

Elle avait choisi un thème classique, l'Échelle de Jacob, mais l'a traité de manière peutraditionnelle, car elle jouait la carte du baroque, sur un mode harmonique avec deux autresartistes, France Ménard, poète, et Jean-François Larrouzé, auteur d'une bande sonore.

La spécificité de cette oeuvre a tenu à son installation dans un lieu qui est lui-même baroque,la chapelle de Communion aux oeuvres majeures que sont les sculptures des frères Slodtz etle tableau de Charles Coypel, les Pèlerins d'Emmaüs.

Tout était donc baroque, dans des registres différents, et avec un traitement trèscontemporain.

Martine Chittofrati a imaginé sa nouvelle oeuvre en tenant compte du lieu, une chapelle sans fenêtre,uniquement éclairée par des lanterneaux zénithaux, conçue dans les années 1740-1760, au temps dubaroque rococo français, le style de l'époque.

Elle avait déjà largement dessiné et peint dans cette veine, en arpentant chaque année Venise et Rome, en faisantdes croquis sur le motif au pinceau et à l'encre de Chine des sculptures du Bernin, mais aussi des grands sculpteursvénitiens, puis en les agrandissant et les retravaillant de multiples manières dans son atelier. La couleur intervenaitpour soutenir et nourrir sa ligne claire.

Du grand texte de la Genèse sur Jacob, elle ne traite que du songe où figurent une échelle et des anges, oùintervient une promesse de bénédiction de Dieu et de don d'une terre (Gn 28, 10-17- texte en fin de dossier àtélécharger ). Elle ne traite pas de l'autre épisode plus dramatique du combat avec l'ange qui a inspiré de nombreuxartistes, comme Rembrandt et Delacroix dont le tableau est à voir à Saint-Sulpice ; elle ne traite pas non plus duchangement de nom de Jacob, le tortueux, en Israël, la droiture.

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Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob

Jacob est haï de son frère Esaü et il part hors de Canaan pour trouver une femme, sur ordre de son père et sa mère.Il va vers son oncle, Laban. Il se prépare à changer de vie. Jacob est hanté par son histoire familiale, par son avenir,d'où le rêve d'une promesse de vie, en chemin.

Pour dormir, il a reposé sa tête sur une « pierre de l'endroit ». Cette dernière symbolise étymologiquement latradition, la relation du père au fils ; après le rêve, à son réveil, il y verse de l'huile, une onction. Bethel, la maison deDieu, est le nom donné au lieu.

S'il part d'un texte biblique, le baroque de Martine Chittofrati est en fait mis au service d'une interrogationsur le rêve et la création.

Le sens de l'oeuvre : une origine

Le songe du dormeur et les anges sont à la convergence de ses questionnements spirituels et artistiques. Untableau de la fin du gothique, l'Échelle de Jacob de Nicolas Dipre (école d'Avignon début XVIe), l'avait fascinée et àl'origine de cette installation :

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Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob

« Ce tableau de l'École d'Avignon m'accompagne depuis mes années d'études. De degré en degré, de vieen vie peut-être, chaque échelon figure une progression, un effort consenti à se maîtriser, à se surpasser.Ainsi, l'être « monte » toujours plus haut vers les plans supérieurs. L'échelle symbolise l'ascension graduellede l'âme. La ligne verticale est l'image la plus simple de la relation de la terre au ciel, autrement dit du mondematériel au monde divin. Cette relation trouve son support le plus accompli chez l'être humain qui par sanature participe à la fois de la terre et du ciel : de la terre par son corps fait de matière et du ciel par saconscience. L'échelle de Jacob est aussi en nous, elle est un pont, un passage, elle représente alors cemême chemin de la matérialité vers la spiritualité, de l'humain au divin, de l'ombre vers la lumière. Jel'associe à la notion de transcendance qui, pour moi, est nécessairement liée à la création. »

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Le dormeur et le monument

Pour signifier l'origine de cette élévation, Martine Chittofrati a déposé la petite sculpture d'un dormeur, ainsiqu'une échelle stylisée en corde, sur le rebord du monument à la guerre de 14-18, accolé au mur de la chapelleet qui est donc voilé le temps de l'exposition.

Deux objets statiques pour exprimer une dynamique !

Curieux endroit pourrait-on dire, mais en fait ce choix purement fonctionnel -trouver un endroit où déposerun petit objet facilement visible- entre curieusement en résonance avec le sens du récit biblique.

Un homme allongé sur le sol, une promesse de paix, une engagement de Dieu à ne pas l'abandonner, Béthel lapréfiguration de la fondation d'un monument, le futur temple : ce que l'on trouve dans le texte entretient une sorte delien inconscient avec la stèle déposée à Saint-Merry : des morts de la guerre, des allongés, une pierre pour sesouvenir... Avec une différence notoire, Jacob est dans la promesse de la vie, le monument est érigé à ceux qui ontperdu la vie !

Le texte dit aussi que Jacob fut terrorisé d'être face à Dieu dans son rêve. Or, la figure du dormeur deMartine Chittofrati est bien calme et détendue pour un tel rêve !

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Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob

Au-dessus du visage du dormeur, un autre visage, un masque, l'autre de lui-même. Le rêve ? Une image deDieu veillant sur le dormeur ? L'inconscient de Jacob ?

Une belle idée artistique pour des questions multiples.

Mais figurer l'inconscient qui travaille Jacob par cette deuxième figure humaine peut sembler bien étrange du pointde vue psychanalytique...

Le rêve.

Cette partie du texte sur Jacob et plus encore l'autre épisode, le combat avec l'ange, ont donné lieu à une vastelittérature dans les champs spirituel et psychanalytique, voire les deux à la fois. Lydia Basset en donne uneintéressante synthèse :

Dieu n'a pas de meilleur allié que notre inconscient pour nous faire accéder à notre vérité personnelle en sefaisant Lui-même connaître comme allié inconditionnel de notre identité vraie ! (in La sainte colère, Caïn,Job, Jacob)

Dans le Zohar, le Livre de la splendeur de la kabbale juive, on peut trouver aussi des correspondances avec lesintentions de Martine Chittofrati :

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Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob

« Quand un homme se couche pour dormir, son âme le quitte et s'élève vers l'En-Haut. Dieu se révèle à elleselon le destin qu'elle s'est choisi et lui accorde Sa grâce selon sa sagesse. Au premier barreau, le songe. Audeuxième, la vision. Au troisième, la prophétie. »

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Mais en fait, ici, Martine Chittofrati laisse aux deux artistes l'accompagnant le soin de parler pour elle etaccessoirement d'évoquer le rêve de Jacob : Jean-François Larrouzé, par la bande son, et France Ménard, la poète,intégrant dans les panneaux des mots liés au rêve (Épilogue I). On pourrait appeler cela un acte de co-sensibilité.

Les anges : une confrontation de points de vue

Lorsque l'on visite la chapelle de Communion, on aperçoit immédiatement les anges sculptés par les frères Slodtz,ainsi que les angelots du tableau de Charles Coypel (1749), « Les pèlerins d'Emmaüs ».

Ils sont petits, naviguent de manière espiègle entre ciel et la terre autour d'objets symboliques du religieux. Ces puttisont les descendants des Amours de l'Antiquité (dont Cupidon) et ont une fonction précise donnée par le Concile deTrente (1545) sur les questions liturgiques. En effet, dans le cadre de l'offensive de la contre réforme catholique, ilsétaient censés envahir les supports artistiques et certifier la présence du Ciel dans les sacrements. Ce code et cettefonctionnalité symbolique sont traités à profusion dès la Renaissance et encore plus par le Baroque dans toutel'Europe. Les artistes s'en donnent à coeur joie !

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Avec Martine Chittofrati, les anges prennent une autre dimension, ils ne sont pas roses et joufflus, maischarpentés, immenses et traités avant tout par le trait. Quand on examine ses travaux antérieurs, on constatequ'ils sont dans la même veine : des hommes et des femmes, qui n'ont rien de religieux, rien de chaotique. Deshommes ? Des femmes ?

En tout cas, les corps disent la sensualité, l'élégance et aussi la force. Rubens et Le Caravage étaient aussidans ce registre, mais ils l'exprimaient par la peinture avec des formes pleines.

Ce qui semble l'intéresser, ce n'est pas le symbole, éventuellement réinventé, de l'ange, mais le mouvement,l'élévation de la matière, l'évocation des sculptures baroquse romaines transformées en dessin pour uneéglise parisienne.

L'artiste se transforme en passeur du baroque italien vers le rococo français. Ses anges parlent surtout de lacréation, donc de l'artiste elle-même ; c'est pour cela qu'ils semblent si peu religieux, tant l'exaltation descorps est grande !

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Fascinée par les sculptures baroques, je les dessine surtout dans les églises. Elles représentent ceparadoxe d'échapper à la pesanteur de leur matérialité pour faire passer l'énergie seule. C'est elles quej'essaie de retenir dans mes dessins, cette tension très forte, cette énergie que je restitue avec un trait depinceau.

...Qui mieux qu'un ange figurerait mon aspiration ? Avec le songe de Jacob, ils se déplacent entre la terre etle ciel et incarnent la puissance créatrice.

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Le baroque de Martine Chittofrati

Elle utilise l'encre avec d'autres medias très contemporains : le tissu non tissé, l'acrylique. Elle est bien dans leregistre baroque, avec la saturation de la chapelle en oeuvres, frisant le risque de l'alourdissement, descontre-plongées, les exagérations de mouvement, sa volonté d'aller chercher la lumière des lanterneaux, la tensiondes corps. Mais elle épure les formes du baroque en affirmant avant tout les traits des personnages, la peinture étantinexistante, sauf pour rehausser les contours.

Le baroque c'est aussi le mélange des genres. Ne faisait-on pas chanter des opéras féminins par des hommes auXVIIIe ? Le genre architecture n'était-il pas mêlé avec la conception des grands paysages ? À Saint-Merry,l'interférence des disciplines et arts est exprimé dans le tableau de Coypel : c'est un trompe-l'oeil, l'architecture descolonnes se prolonge dans la peinture, le lanterneau réel de la chapelle est peint.

Martine Chittofrati transgresse aussi les limites : ses anges sont des hommes et des femmes (comme à Santa Mariadel Popolo) qui peuvent aussi emprunter des attributs à l'autre sexe ; elle inclut des lettres à ses tissus peints ; elleassocie un poète et un musicien, etc. Les frontières entre son, texte et visuel sont allègrement franchies.

Ses lettres sont des signes peints, elles volent comme des putti autour des corps et non comme ceux du baroqueXVIIIe autour du religieux ! Glissement de formes, glissement de sens, c'est là où se nichent les différences duXXIe.

Enfin, dans ses voyages, elle ne peint sur motif que des sculptures et non des peintures. Ce que nous voyons estdonc le résultat du passage de la sculpture au dessin, sa quête étant de saisir le mouvement, et notamment celuides sentiments.

En revanche, l'artiste du XXIe et celui du XVIIIe sont bien dans l'orchestration du débordement, dans lajouissance de leur art et veulent le faire partager.

Martine Chittofrati ne cache pas son admiration à l'égard d'Ernest Pignon-Ernest, (lire article de V&D sur unerécente exposition : Extases) qui a truffé les murs les plus ordinaires de Naples de ses affiches, oeuvres liées àl'endroit où elles ont été peintes. Ce maître du baroque contemporain a une posture engagée : il fait des oeuvres desituations (les tragédies de Naples) bien plus qu'il ne peint sur le motif.

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Martine Chittofrati, L'échelle de Jacob

À Saint-Merry, Martine Chittofrati adopte une position très différente, ni politique, ni sociale : elle reste dansl'art. Ses croquis romains et vénitiens sont exaltés en fonction de la chapelle baroque, avec laquelle elle cherche àdialoguer. Ainsi, elle ne peint ni Saint-Merry, ni Paris mais elle importe Rome, principalement, et son baroqueet recherche le dialogue avec le rococo français.

Si le texte sur Jacob lui permet d'exposer ses visions du rêve, l'enjeu est ailleurs : elle fait partager sonémotion de peintre et notamment ses émotions de femme (cf. la dernière exposition de Beaubourg : Elles).

Et elle y réussit dans une expo minutieusement montée !

Voir le film sur l'exposition

Pour contacter l'artiste : [email protected]

À télécharger et à lire les quatre documents liés à l'exposition ci-dessous __5__

Post-scriptum :

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