2
ÉDITORIAL Médecine palliative 283 N° 6 – Décembre 2005 Med Pal 2005; 4: 283-284 © Masson, Paris, 2005, Tous droits réservés Médecine, soins palliatifs, soins de support : l’unicité est dans une visée éthique partagée Marcel-Louis Viallard, Unité Mobile de Soins Palliatifs, Évaluation Traitement de la Douleur, Centre Hospitalier Bretagne Atlantique, Vannes. La visée éthique, sous-tendue par l’idée des soins de support, apparaît être, pour l’essentiel, de penser la méde- cine et les soins de telle façon que l’être humain, malade, en possible voie de guérison comme proche de sa mort, soit au cœur même de la préoccupation des soignants. Cette visée éthique serait fondatrice de l’idée même du soin et de la médecine, l’élément ultime de l’acte médical et soi- gnant. Cette visée éthique est celle qui fonde également la pratique et le développement des soins palliatifs. Elle de- vrait, si tel n’est pas le cas, être fondatrice et objectif ultime de toute pratique médicale ou soignante. De fait, l’idée n’est pas nouvelle, il s’agit tout simplement d’une nouvelle dé- clinaison, peut-être pour éviter de recourir à des termes qui pourraient travestir ou déformer l’image que l’on souhaite donner aux soignés et à leurs entourages, de notre méde- cine, de nos soins. En d’autres termes, parler de soins pal- liatifs est trop connoté par l’immanence de la mort, alors que parler de soins de support permet de s’inscrire à dis- tance de la mort comme à sa proximité. Au fond, on parle de la même chose. On évoque une médecine qui prend soin d’une personne dans sa globalité comme de son entourage tout au long d’une maladie dont elle souffre, cela aussi bien en phase curative qu’en phase palliative. Il n’y a, de fait, aucune incompatibilité entre l’expression « soins de sup- port » et l’expression « soins palliatifs » puisqu’il s’agit plus d’aborder une organisation, chère aux professionnels pra- tiquant les soins palliatifs (la collaboration pluridiscipli- naire centrée sur la personne malade et son entourage pour répondre au mieux à leurs besoins avec le souci d’une continuité des soins effective) que de réinventer une nou- velle médecine puisqu’il s’agit d’un retour aux fondamen- taux de la pratique des soins tels que définis par Hippocrate. Soins palliatifs, soins curatifs, souci de la personne malade sont parfaitement compatibles car le trait d’union est jus- tement la visée éthique partagée. Au-delà, il s’agit égale- ment d’affirmer, de nouveau, la compatibilité entre la science de savoirs complexes, théoriques, scientifiques, mais aussi pratiques, technologiques et la prise en compte de l’essentiel, je veux dire de l’être-là, souffrant, malade voire mourant, mais toujours et avant tout signifiant. Si- gnifiant d’une singularité constitutive d’une liberté, d’une volonté, d’un libre arbitre, confrontée qu’elle est aux limites tant de ses savoirs ou de ses pouvoirs qu’aux limites des savoirs et/ou des pouvoirs de cet autrui possédant les clés des possibles médicaux, soignants qui sont par essence, eux-mêmes limités. C’est quelque part revenir à l’humilité fondatrice de l’acte hippocratique de soigner. Prendre soin toujours, guérir tant que faire se peut non pas une maladie ou un symptôme mais un être humain fait d’un corps, d’un esprit ; de relations et de sens. S’il est une éthique des soins de support, elle est en tout point identique à celle des soins palliatifs. Elle s’exprime, concrètement, dans la mise en présence d’êtres singuliers, l’un malade, d’autres soignants, d’autres encore accompa- gnants comme témoins d’une histoire humaine qui tente encore et malgré les difficultés rencontrées, de s’exprimer, de se signifier. Cette expression passe, entre autres possi- bilités, par la mise en commun de savoirs ou d’ignorances à la fois différenciés et partagés, de pouvoirs ou d’incapa- cité également différenciés et partagés mais aussi et surtout, au-delà des compétences et des cultures ainsi alliées dans le souci de soulager la souffrance de celui qui, malade voire mourant, tente encore et toujours à dire de lui-même mais aussi de notre humanité. C’est bien d’une mise en commun qu’il s’agit. Mise en commun de nos humanitudes comme de notre humanité, de nos inquiétudes comme de nos es- pérances, de nos quêtes partagées d’un mieux aller, d’un mieux vivre, d’un moins souffrir avec, comme visée ultime, la préservation du sens de chacun dans un avenir commun déstabilisé par la distension des temps des uns et des autres. Le temps de l’homme malade n’a plus la même exten- sibilité, ni la même amplitude que celui de ceux qui le soignent, l’accompagnent, lui redisent, de façon inces- sante, toute son humanité. Ce qui compte est la notion de temps partagé. Il s’agit, de fait, de concrétiser la respon- sabilité de soi vis-à-vis d’autrui qui surgit dès la simple mise en présence de deux êtres. Responsabilité comme souci de l’autre comme de soi-même, pour que puisse s’exprimer nos êtres dans ce qu’ils ont d’absolu mais aussi Viallard ML. Médecine, soins palliatifs, soins de support : l’unicité est dans une visée éthique partagée. Med Pal 2005; 4: 283-284. Adresse pour la correspondance : Marcel-Louis Viallard, Unité Mobile de Soins Palliatifs, Consultation d’Évaluation Traitement de la Douleur, Centre Hospitalier Bretagne Atlantique, 20, boulevard Maurice Guillaudot, BP 70755, 56017 Vannes Cedex. e-mail : [email protected]

Médecine, soins palliatifs, soins de support : l’unicité est dans une visée éthique partagée

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Médecine, soins palliatifs, soins de support : l’unicité est dans une visée éthique partagée

É D I T O R I A L

Médecine palliative

283

N° 6 – Décembre 2005

Med Pal 2005; 4: 283-284

© Masson, Paris, 2005, Tous droits réservés

Médecine, soins palliatifs, soins de support : l’unicité est dans une visée éthique partagée

Marcel-Louis Viallard, Unité Mobile de Soins Palliatifs, Évaluation Traitement de la Douleur, Centre Hospitalier Bretagne Atlantique, Vannes.

L

a visée éthique, sous-tendue par l’idée des soins desupport, apparaît être, pour l’essentiel, de penser la méde-cine et les soins de telle façon que l’être humain, malade,en possible voie de guérison comme proche de sa mort,soit au cœur même de la préoccupation des soignants.Cette visée éthique serait fondatrice de l’idée même du soinet de la médecine, l’élément ultime de l’acte médical et soi-gnant. Cette visée éthique est celle qui fonde également lapratique et le développement des soins palliatifs. Elle de-vrait, si tel n’est pas le cas, être fondatrice et objectif ultimede toute pratique médicale ou soignante. De fait, l’idée n’estpas nouvelle, il s’agit tout simplement d’une nouvelle dé-clinaison, peut-être pour éviter de recourir à des termes quipourraient travestir ou déformer l’image que l’on souhaitedonner aux soignés et à leurs entourages, de notre méde-cine, de nos soins. En d’autres termes, parler de soins pal-liatifs est trop connoté par l’immanence de la mort, alorsque parler de soins de support permet de s’inscrire à dis-tance de la mort comme à sa proximité. Au fond, on parlede la même chose. On évoque une médecine qui prend soind’une personne dans sa globalité comme de son entouragetout au long d’une maladie dont elle souffre, cela aussi bienen phase curative qu’en phase palliative. Il n’y a, de fait,aucune incompatibilité entre l’expression « soins de sup-port » et l’expression « soins palliatifs » puisqu’il s’agit plusd’aborder une organisation, chère aux professionnels pra-tiquant les soins palliatifs (la collaboration pluridiscipli-naire centrée sur la personne malade et son entourage pourrépondre au mieux à leurs besoins avec le souci d’unecontinuité des soins effective) que de réinventer une nou-velle médecine puisqu’il s’agit d’un retour aux fondamen-taux de la pratique des soins tels que définis par Hippocrate.Soins palliatifs, soins curatifs, souci de la personne maladesont parfaitement compatibles car le trait d’union est jus-tement la visée éthique partagée. Au-delà, il s’agit égale-ment d’affirmer, de nouveau, la compatibilité entre lascience de savoirs complexes, théoriques, scientifiques,mais aussi pratiques, technologiques et la prise en comptede l’essentiel, je veux dire de l’être-là, souffrant, maladevoire mourant, mais toujours et avant tout signifiant. Si-gnifiant d’une singularité constitutive d’une liberté, d’une

volonté, d’un libre arbitre, confrontée qu’elle est aux limitestant de ses savoirs ou de ses pouvoirs qu’aux limites dessavoirs et/ou des pouvoirs de cet autrui possédant les clésdes possibles médicaux, soignants qui sont par essence,eux-mêmes limités. C’est quelque part revenir à l’humilitéfondatrice de l’acte hippocratique de soigner. Prendre sointoujours, guérir tant que faire se peut non pas une maladieou un symptôme mais un être humain fait d’un corps, d’unesprit ; de relations et de sens.

S’il est une éthique des soins de support, elle est en toutpoint identique à celle des soins palliatifs. Elle s’exprime,concrètement, dans la mise en présence d’êtres singuliers,l’un malade, d’autres soignants, d’autres encore accompa-gnants comme témoins d’une histoire humaine qui tenteencore et malgré les difficultés rencontrées, de s’exprimer,de se signifier. Cette expression passe, entre autres possi-bilités, par la mise en commun de savoirs ou d’ignorancesà la fois différenciés et partagés, de pouvoirs ou d’incapa-cité également différenciés et partagés mais aussi et surtout,au-delà des compétences et des cultures ainsi alliées dansle souci de soulager la souffrance de celui qui, malade voiremourant, tente encore et toujours à dire de lui-même maisaussi de notre humanité. C’est bien d’une mise en communqu’il s’agit. Mise en commun de nos humanitudes commede notre humanité, de nos inquiétudes comme de nos es-pérances, de nos quêtes partagées d’un mieux aller, d’unmieux vivre, d’un moins souffrir avec, comme visée ultime,la préservation du sens de chacun dans un avenir commundéstabilisé par la distension des temps des uns et des autres.

Le temps de l’homme malade n’a plus la même exten-sibilité, ni la même amplitude que celui de ceux qui lesoignent, l’accompagnent, lui redisent, de façon inces-sante, toute son humanité. Ce qui compte est la notion detemps partagé. Il s’agit, de fait, de concrétiser la respon-sabilité de soi vis-à-vis d’autrui qui surgit dès la simplemise en présence de deux êtres. Responsabilité commesouci de l’autre comme de soi-même, pour que puisses’exprimer nos êtres dans ce qu’ils ont d’absolu mais aussi

Viallard ML. Médecine, soins palliatifs, soins de support : l’unicité est dans une

visée éthique partagée. Med Pal 2005; 4: 283-284.

Adresse pour la correspondance :

Marcel-Louis Viallard, Unité Mobile de Soins Palliatifs, Consultation d’Évaluation

Traitement de la Douleur, Centre Hospitalier Bretagne Atlantique, 20, boulevard

Maurice Guillaudot, BP 70755, 56017 Vannes Cedex.

e-mail : [email protected]

Page 2: Médecine, soins palliatifs, soins de support : l’unicité est dans une visée éthique partagée

Médecine palliative

284

N° 6 – Décembre 2005

Médecine, soins palliatifs, soins de support : l’unicité est dans une visée éthique partagée

É D I T O R I A L

dans la fragilité de leur finitude propre. L’acte médicalcomme l’acte soignant n’ont d’intérêt,

in fine

, que dansleur signification pour chacun des acteurs. S’il en étaitautrement, il y aurait risque (danger) d’aliénation du sujet,de négation de l’être souffrant. L’esprit porté par l’idéemême de soins, qu’ils soient de support, palliatifs ou cura-tifs, est d’éviter cette tentation de négation ou d’aliénationde l’être souffrant. Si tel n’était pas le cas, l’aliénation etla négation de l’acte médical ou son efficience humainepourraient aboutir à la désignification du patient commeà celle du soignant et de l’accompagnant.

Penser les soins, la médecine, c’est penser un lieu decommunauté entre la médecine curative, la médecine pal-liative et notre humanité. Exprimer le soigner est exprimerle souci de l’autre comme de soi, que l’on soit en situationde guérison ou en situation de palliation. Ce qui fait l’intérêtde cette approche est l’unité même de l’action médicaleou soignante s’inscrivant, farouchement, indiscutablement,comme un penser (ou ne pas faire), un dire (ou dire autre-ment) quelque chose qui a à voir avec l’essence de l’humain.

Au-delà du dit comme du dire, du faire comme du fait,il y a l’être-là auprès et avec autrui pour signifier à l’uncomme à l’autre comme au monde que l’essentiel de l’êtreest de persister, en toute circonstance, à se signifier avecses cohérences comme ses incohérences, ses espoirs commeses désespoirs, ses souffrances comme ses « béatitudes »,son bonheur comme son malheur…

Rien ne peut, ni ne doit empêcher ou limiter l’expres-sion d’une dignité, d’une volonté, d’une liberté. Si soignerest signifier une part de notre humanité, la mise en commundes compétences préconisée par l’esprit de tout soin est uneexpression forte et militante de la visée éthique ultime, lebien pour autrui comme pour soi, le bien et le bon pourl’humain comme pour l’humanité. L’ensemble des valeursmobilisées par cette conception nous ramène au service del’homme comme au service de sa liberté ultime, c’est à diresa capacité à se dire, sa possibilité à être en tant que tel.Ce service ne peut ni ne doit se concevoir comme un « sa-cerdoce » ou une série d’obligations mais comme expres-sion de la conception que l’on a de soi, de l’autre, de lanécessaire relation de solidarité liant les êtres humains auxautres pour dire un peu de ce qu’ils sont comme de la façondont ils se pensent. De façon triviale, on pourrait dire :

dismoi comment tu prends soin de l’homme souffrant (quelque soit le type de souffrance) et je pourrais percevoir, unpeu, de ce que tu prétends être ou quelque chose de toivoire la place que tu donnes à l’Homme et, au-delà, quelquechose de la société humaine à laquelle tu prétends.

Ainsi les principes d’autonomie, d’équité et de respectde la dignité sont-ils au cœur du prendre soin, entre autres.La vie pourrait être une aventure humaine se déclinantde façon singulière à chaque individu. Elle pourrait êtretraversée, sans se nier, sans cesser de se penser, par la

confrontation avec la maladie, le handicap mais, aussi, àl’inéluctable finitude de l’être en soi comme aux autres.L’essentiel étant de penser la personne, avec sa propre his-toire comme inéluctablement élément constitutif de l’hu-manité et comme participant, à son échelle, au monde. Leprendre soin du corps n’a de sens que s’il s’intègre réelle-ment et pleinement dans un prendre soin global intégrantles dimensions corporelles, psychiques, spirituelles, socia-les, culturelles voire cultuelles de chacun. Il s’agit d’uneréactualisation anthropologique de nos professions rendueaccessible par l’acceptation de l’humilité de notre conditionhumaine. Cette condition humaine partagée dans l’humilitéd’une conscience de la nécessité de penser l’autre commesoi, nous permet de comprendre que pour partager réelle-ment et humainement le temps commun au malade, au soi-gnant et au(x) accompagnant(s), témoins de l’être-là, ici etmaintenant, il nous faut, impérativement, s’ouvrir au non-soi, à l’autre que soi, à la fois du fait de son expériencesingulière mais aussi de ses savoir-faire comme être que jene maîtrise pas ou peu. C’est donc appel, au-delà de soi, àl’autre pour garantir l’expression du sens de l’homme, parfoisdisloqué, parfois fracassé, toujours ébranlé par les icebergsque sont la confrontation à l’annonce puis à l’évolution(positive ou négative) d’une maladie dont l’issue reste autemps présent entachée d’incertitude jusqu’à la possiblenéantisation de l’être qu’est la mort. La mort qui, pour iné-luctable qu’elle soit, nous reste impensable et indicible entant que telle. Ce que nous disons, ce que nous en perce-vons, n’est que parcellaire voire fantasmatique. Cela nousrenvoie à l’indispensable attention à l’autre comme autreque soi nous disant cependant autant de nous que de luidu fait de notre consubstantialité d’humain. Si l’humainpeut se penser, tenter de se dire, il faut insister sur le faitque l’homme est fait de nuances, de subtilités et d’extrêmerelativité multifactuelle et multifactorielle qui ne pourrajamais se contenter ni même se résumer dans une proto-colisation fusse-t-elle scientifiquement argumentée. Auxcôtés des protocoles (de soins ou autres), indispensables parailleurs, il est probablement aussi indispensable d’accepterle doute inhérent à la rencontre avec l’étranger à soi ausein du mystère (au sens difficile à appréhender à l’instantet non au sens mystique du terme) de la relation.

Les soins palliatifs partagent avec l’idée des soins desupport comme, espérons-le, avec l’ensemble de la méde-cine et de la pratique des soins, le souci de ne pas limiterl’être à un paraître castrateur et imitant en nous obligeantà penser ce que l’on fait en soi pour l’autre comme poursoi en signifiant également pour le tiers absent à savoirla communauté humaine.

Un paraître pouvant en cacher un autre, le sens sesitue, lui, au sein même de l’être. Au cœur du prendresoin, l’essentiel est bien l’être dans sa difficile et toujoursrelative appréhension.