14
L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Article original Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation Intercultural mediation: A mutual interpretation Gilbert Coyer Maître de conférences, EA4403, unité transversale de recherche en psychogénèse et psychopathologie, université Paris-XIII-Sorbonne-Paris-Cité, 99, avenue Jean-Baptiste-Clément, 93430 Villetaneuse, France Rec ¸u le 16 mai 2010 Résumé Quelle que soit l’approche que l’on privilégie consultation dans la langue et la culture d’origine, consul- tation transculturelle, médiation, information sur les cultures, interprétariat l’idée de médiation est au centre de toute approche interculturelle en psychiatrie. Les médiateurs ne réintroduisent pas seulement des fac ¸ons de faire et des fac ¸ons d’interpréter propres à certaines cultures, ils permettent de soutenir un indispensable travail d’articulation avec l’environnement social ou familial des patients. Les conditions de leurs interven- tions reposent à la fois sur leurs compétences à traduire ces usages, et sur celles à se positionner dans de délicates interfaces psychosociales. Ils sont à la fois informateurs sur des cultures que les soignants ignorent, et témoins des sociétés vivantes auxquelles ces cultures se rattachent. Ils représentent en même temps les institutions qui les mandatent, et les intérêts des patients. Leur intervention les appelle à exercer leur art de traduire selon une éthique rigoureuse, dans le soutien de vécus toujours singuliers. Cet art peut volontiers s’adjoindre à des processus thérapeutiques quand ils agissent de concert avec des équipes sachant manier celui de l’interprétation; celui qui ouvre à la multiplicité du sens et à ses appropriations, non celui qui vise à une traduction univoque et fermée. À l’opposé du relativisme ou de l’assimilationnisme, un tel art dispose à la rencontre et au dialogue. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Culture d’origine ; Soin interculturel ; Ethnopsychiatrie ; Médiation ; Cultural broker ; Traduction ; Interprétation ; Herméneutique ; Espace transitionnel Abstract Whichever approach one prefers consultation in the native language and culture, transcultural consulta- tion, mediation, information about cultures, translating the idea of mediation is central to every intercultural Toute référence à cet article doit porter mention. Coyer G. Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation. Evol psychiatr. xxxx; vol (n o ): pages (pour la version papier) URL [date de consultation] pour la version électronique. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] 0014-3855/$ see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2012.08.001

Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

  • Upload
    gilbert

  • View
    220

  • Download
    4

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Article original

Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation�

Intercultural mediation: A mutual interpretation

Gilbert Coyer ∗Maître de conférences, EA4403, unité transversale de recherche en psychogénèse et psychopathologie,

université Paris-XIII-Sorbonne-Paris-Cité, 99, avenue Jean-Baptiste-Clément, 93430 Villetaneuse, France

Recu le 16 mai 2010

Résumé

Quelle que soit l’approche que l’on privilégie – consultation dans la langue et la culture d’origine, consul-tation transculturelle, médiation, information sur les cultures, interprétariat – l’idée de médiation est au centrede toute approche interculturelle en psychiatrie. Les médiateurs ne réintroduisent pas seulement des faconsde faire et des facons d’interpréter propres à certaines cultures, ils permettent de soutenir un indispensabletravail d’articulation avec l’environnement social ou familial des patients. Les conditions de leurs interven-tions reposent à la fois sur leurs compétences à traduire ces usages, et sur celles à se positionner dans dedélicates interfaces psychosociales. Ils sont à la fois informateurs sur des cultures que les soignants ignorent,et témoins des sociétés vivantes auxquelles ces cultures se rattachent. Ils représentent en même temps lesinstitutions qui les mandatent, et les intérêts des patients. Leur intervention les appelle à exercer leur art detraduire selon une éthique rigoureuse, dans le soutien de vécus toujours singuliers. Cet art peut volontierss’adjoindre à des processus thérapeutiques quand ils agissent de concert avec des équipes sachant maniercelui de l’interprétation; celui qui ouvre à la multiplicité du sens et à ses appropriations, non celui qui vise àune traduction univoque et fermée. À l’opposé du relativisme ou de l’assimilationnisme, un tel art disposeà la rencontre et au dialogue.© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Culture d’origine ; Soin interculturel ; Ethnopsychiatrie ; Médiation ; Cultural broker ; Traduction ;Interprétation ; Herméneutique ; Espace transitionnel

Abstract

Whichever approach one prefers – consultation in the native language and culture, transcultural consulta-tion, mediation, information about cultures, translating – the idea of mediation is central to every intercultural

� Toute référence à cet article doit porter mention. Coyer G. Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation. Evolpsychiatr. xxxx; vol (no): pages (pour la version papier) URL [date de consultation] pour la version électronique.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

0014-3855/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2012.08.001

Page 2: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155 143

approach in psychiatry. Mediators not only reintroduce ways of doing and ways of interpreting, which areunique to particular cultures, they provide support for the indispensable work of articulation within the socialor familial environment of patients. The conditions of their intervention rest on both their ability to translatethese usages and to position themselves in the delicate work of psychosocial interfacing. They are conver-sant both with cultures that are generally ignored by caretakers and with the living societies to which thesecultures are connected. They represent at the same time the institutions that contract them and the interestsof patients. Their intervention calls upon them to exercise their art of translating according to a rigorousethic in support of lives that are always unique. This art is able to join itself at will to therapeutic processeswhen these processes are in harmony with teams that know how to utilize their approach to interpretation,an approach which clears the way for a multiplicity of meanings and appropriations, not one which is basedon an univocal and closed translation. Contrary to relativism or to assimilationism, such an art is disposedto encounter and dialogue.© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Intercultural; Ethnopsychiatry; Mediation; Cultural broker; Translation; Interpretation; Hermeneutic; Transi-tional; Complementarism

Les propositions les plus couramment avancées, vis-à-vis des problématiques intercultu-relles rencontrées en psychiatrie, sont le recours à des médecins ou psychologues issus de laculture d’origine des patients ; l’orientation vers des consultations transculturelles ; la sollicita-tion d’informateurs sur les cultures concernées ; ou l’intervention de médiateurs à l’intérieur desinstitutions auprès des équipes et des patients qu’elles suivent. Cette quatrième alternative, etl’idée de médiation qu’elle sous-tend, est peu ou prou au centre des trois précédentes et de touteintervention interculturelle. Elle soulève des questions riches et complexes sur l’engagement demédiateurs interculturels dans des projets de soin, sur leur positionnement vis-à-vis de ceux-ci,sur leur fonction de passeurs entre plusieurs cultures, de traducteurs de vécus singuliers et sub-jectifs au travers de ces cultures, et enfin sur certains rapports entre la traduction qu’ils effectuentet ce que nous entendons habituellement par interprétation en psychiatrie, dans nos différentesdémarches de recherche de sens.

Qu’entend-on par médiateur et par médiation ? Ce terme recouvre-t-il bien toujours la mêmechose ? L’abondante littérature sur ce sujet fait ressortir toute son ambiguïté. C’est cette ambiguïtéque relève Six [1], en distinguant deux types de médiations : la médiation maison, et la médiationjardin ; celle qui s’installe et promeut la conciliation dans une situation de conflit ; et celle qui secultive et veut générer de nouveaux rapports dans une rencontre qui n’arrive pas à s’établir sur unmode suffisamment créatif.

Les recherches outre atlantique dans le domaine de l’interculturel s’appuient sur un autre termeque celui de mediator ou d’intercultural intermediary : celui de culture broker ou cultural broker,qui s’ouvre sensiblement plus à cette médiation jardin, en cédant plus d’initiatives aux médiateurs.Cette notion contient en effet, en plus de l’idée de conciliation, celle de promouvoir ou d’établirdes ponts, d’engager activement la construction d’interfaces culturelles, et non pas seulementcelle de pacifier un conflit.

Aux États-Unis et au Canada, comme en Australie et en Nouvelle Zélande où ce terme estégalement employé, les questions d’interculturalité n’ont pas été posées historiquement et socio-logiquement, dans les mêmes termes qu’en Europe. Avant d’y être soulevées par la constructionmulticulturelle des sociétés contemporaines, elles l’ont été par rapport aux peuples natifs, ou pre-mières nations, aussi bien dans la période de la colonisation qu’après. Comme le rappelle Szasz

Page 3: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

144 G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155

[2], c’est d’abord à des anthropologues comme Hallowell [3]1, Opler [4]2, Stern [5]3, McFee [6]4,et Clifton [7]5, puis à des historiens, notamment Hagan [8]6, Richter [9]7, et Hagedorn [10]8, quel’on en doit l’usage. C’est aussi au travers de ce terme que s’est établie la reconnaissance desnombreux intermédiaires qui ont contribué à la construction de l’histoire américaine à de multiplespoints de vue : économique, politique, ou artistique.

Du fait d’une meilleure lisibilité de leur implication, les attributs des cultural broker se déclinentplus facilement que ceux des médiateurs. L‘anthropologue canadien Paine [11] différencie quatretypes de cultural intermediaries – le go-between, le broker, le patron, et le client – que l’on peutaussi entendre comme les quatre polarités d’une même action. De nombreux auteurs relèvent lesdifférents attributs des cultural brokers à partir d’une mise en équation de ces catégories pai-niennes. Jezewski [12] en décline 12, dont leur capacité à traduire des intérêts divergents, à établirdes ponts entre différents systèmes de valeurs, et à innover ([12], p. 18). Et l’on peut comprendrecomme cultural brokers, aussi bien certains personnages historiques comme ceux dont l’ouvrageédité par Szasz retrace la biographie, que les adolescents placés ou attendus dans ce rôle parleurs parents immigrés [13], ou nombre d’individus appartenant à des populations déplacées, outravaillant dans le contexte de grands afflux touristiques [14]. Si le terme de cultural broker estmoins en usage en Europe, la médiation interculturelle, ou transculturelle, y est aussi déclinéeen étapes [15], ou en modalités [16], par ceux qui la pratiquent ou s’y intéressent aujourd’hui.Pradelles de Latour [15], dans sa pratique des médiations auprès des juges et des familles bamilé-kés qui lui sont adressées, se réfère au cycle de trois discours – persécution, incroyance, discoursnormatif – grâce auquel ces dernières se déprennent de croyances dont l’expression est fortementpersécutive. Cohen-Emerique et Fayman [16] mettent en évidence les méthodes qu’emploient, enFrance, les médiatrices des associations de proximité et de solidarité auprès des migrants qu’ellesaccompagnent : respect de la face, des codes de bienséance et de communication phatique, abordsystémique de la famille, travail dans un temps construit, proximité et référence à son expériencede vie, création d’un état d’espérance, discernement des contraintes des professionnels et apportde connaissances, obtention d’une reconnaissance de la part de ceux-ci, compréhension et expli-citation de l’écart entre ici et là-bas, entre le code restreint et le code élaboré, en référence auxtravaux de Bernstein [17,18]9, entre la lingua da casa et la lingua di pane selon les termes deGobard [19]9. Pour ces auteurs, les médiatrices ont une fonction non seulement de relais maisaussi d’agents de transformation et de passerelles entre des univers qui s’ignorent a priori. Ellesincarnent elles-mêmes le changement introduit par cette transformation ([16], p. 188), dans unedéontologie qui se cherche constamment. Kaufert [20], à partir d’une recherche clinique sur lerecours à des interprètes lors de l’accompagnement de fin de vie de patients canadiens de cultureCree et Ojibway atteints de cancers, montre combien les interprètes qui interviennent auprès desmédecins sont amenés à avoir un rôle actif dans les décisions médicales, en dépassant largementleur mission d’interprétariat. Les usages Cree et Ojibway, proscrivent en effet d’évoquer un pro-nostic de fin de vie, car on pense que cette évocation la précipite. Les interprètes, qui sont sollicités

1 ([2], p. 10, 12).2 ([2], p. 9, 12).3 ([2], p. 10–2).4 ([2], p. 11, 12, 19).5 ([2], p. 18, 19).6 ([2], p. 13–5).7 ([2], p. 17).8 ([2], p. 18).9 ([16], 176).

Page 4: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155 145

pour établir avec les patients et leurs familles des protocoles de soins palliatifs, doivent construireun protocole de soin qui dépasse ces antagonismes culturels, en évaluant les valeurs culturelles,le degré d’intégration de culture biomédicale et d’acculturation, et les positions personnelles,pour chaque patient et dans chaque contexte. Kaufert montre que cette construction, portée parl’interprète (ce « brokering ») ne peut être que progressive, et que les capacités de l’interprète àla réaliser reposent sur un engagement qui l’implique fortement dans ses propres valeurs et dansson éthique [20].

Dans une recherche action [21], menée de 1993 à 1999 dans l’intersecteur de psychiatrieinfanto-juvénile no 1 des Hauts de Seine10, nous avons mis en place une consultation avec desmédiateurs interculturels permettant d’évoquer avec les enfants et adolescents suivis dans notreservice et leurs familles, nos propositions thérapeutiques et les traitements traditionnels que cesdernières leur faisaient suivre, de facon à dépasser les incompréhensions mutuelles entre les deuxsystèmes, psychiatriques et traditionnels, dans des situations où leur rapport antagoniste nousparaissait préjudiciable pour les enfants que nous suivions. Ceux-ci étaient pris en charge dansnotre Centre médico-psychologique, individuellement ou en groupe, et pour la majorité d’entreeux en hôpital de jour ou en unité d’accueil à temps partiel. Ils étaient parallèlement tous conduitspar leur famille à un moment ou un autre, vers des guérisseurs dans leur pays d’origine. Maissi les familles finissaient par nous témoigner d’une confiance assurée au fil des ans, elles nes’exprimaient pratiquement jamais sur ces traitements et sur leurs contextes, notamment sur lesimportants enjeux familiaux qu’ils soulevaient. Nous devions donc travailler avec des donnéeshistoriques, environnementales, sociales et conjoncturelles extrêmement réservées, sujettes à unencryptement dans la conjoncture migratoire des parents, et soumis souvent à de complexes rap-ports intergénérationnels. Les enfants, qui étaient presque tous nés en France, voyaient en effetleurs difficultés prises dans les efforts de compréhension parentale, au travers de systèmes aux-quels ils n’avaient qu’un accès partiel et partial, en étant pris en charge par des professionnelsqui n’y avaient pas accès du tout, leurs parents, de surcroît, ne comprenant pas plus ces derniers.Nous avons recu les enfants avec leur famille – et parfois leur famille « élargie » – une ou plusieursfois au cours des suivis, avec les collègues impliqués dans ces suivis, et avec des « médiateurs ».Ces « médiateurs » étaient à la fois des interprètes de langue, des usages coutumiers propres auxcultures des familles, mais aussi des nôtres auprès de celles-ci. Certains d’entre eux étaient desprofessionnels travaillant en psychiatrie ou dans des services médico-sociaux. D’autres non, maisavaient l’expérience des services pour lesquels ils intervenaient. Nous recevions exclusivementdes familles suivies dans notre service, en présence des collègues assurant leur prise en charge,dans le respect du positionnement ou de la réserve éventuelle de chacun, dans l’objectif d’uneprise de connaissance de l’histoire familiale et d’une réflexion en groupe avec les profession-nels réunis qu’elles avaient jusque là rencontrés séparément. Ce dispositif institutionnel nous apermis d’entrevoir la complexité des conditions d’intervention des médiateurs dans ces suivis,et d’en préciser quelque peu les modalités. L’aspect de « recherche », de ce travail a consistéen une observation longitudinale de 14 des 37 enfants que nous avons recus avec leur famille,durant un suivi suffisamment long, trois à huit ans, selon une observation « plurifocale » : enmettant en comparaison nos observations avec celles des enseignants, éducateurs, et divers parte-naires professionnels médicosociaux et institutionnels des hôpitaux de jour ou des établissementsspécialisés. Les trois points retrouvés dans tous les suivis ont été : l’atypicité de l’expression

10 Dans le service du Dr Yves Buin, avec Monique Brinbaum, psychologue, psychanalyste, Société parisienne depsychanalyse.

Page 5: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

146 G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155

symptomatique des enfants ; l’impression de ne pouvoir comprendre le contexte subjectif de leursdifficultés ; et le sentiment de bizarrerie qu’ils induisaient chez tous ceux qui s’occupaient d’eux,et que cette atypicité et cette impossibilité de construire nos schémas habituels de compréhensionalimentaient ou accroissait11. Entre 1993 et 1999, nous avons organisé huit à 15 consultations paran pour six à 12 enfants chaque année, soit 48 consultations pour 37 enfants, sur une file activede quatre à cinq cents enfants adressés chaque année vers notre CMP et 2400 au total dans lesdifférentes structures de l’intersecteur. Très peu d’enfants du service y ont donc été recus, mal-gré le nombre très important de familles migrantes pour lesquelles nous pouvions les proposer.L’aspect parfois de grand groupe de ces consultations – qui incluaient consultants, psychothéra-peutes, rééducateurs, éducateurs et infirmiers impliqués dans les prises en charge – nous a posédes difficultés d’organisation importantes, mais n’a présenté aucun frein pour les familles, qui yont vu au contraire un mode de rencontre et de réflexion plutôt familier, et une reconnaissancede notre part de ce mode de réflexion. Leur principale réserve à y participer est plutôt venued’une volonté clairement exprimée de séparer des modes de pensée et de prise en charge qui pourelles n’avaient rien à voir. Comment dès lors tenter de lever le sentiment de lourdeur de suivispsychiatriques percus comme stigmatisants ou dramatisants le malaise des enfants, quand ceux-cirestaient isolés ou clivés de leur vie sociale et familiale, et de ce fait porteurs d’une exclusionsupplémentaire ? Les médiateurs, qui étaient au centre de ce dispositif, n’avaient pas seulementà traduire des usages mais à permettre aux uns et aux autres, professionnels et familles, d’établirdes dialogues, non pour rechercher des similitudes entre des facons de penser et de faire qui nese recouvraient pas, mais des compréhensions mutuelles au travers de l’explicitation des usagesde chacun. Les enfants suivis en ont retiré les bénéfices12 : d’une désinhibition (n = 4) ; d’uninvestissement des apprentissages scolaires (n = 4) ; d’une entrée dans le langage (n = 2). Pour lesquatre autres de ces 14 enfants, ces consultations n’ont pas été suivies de modifications notableset durables de leur comportement, mais elles nous ont néanmoins permis de poursuivre leursprises en charges, souvent compromises par les fortes incompréhensions entre leurs familles etnous. Cette expérience nous a amenés à réutiliser les fondamentaux du travail de secteur : visitesà domicile, liens avec les familles, soutien de l’environnement social, entretiens conjoints, et ànous remettre considérablement en question sur nos facons de faire en réfléchissant aux possibi-lités ou non, pour les familles, de se réapproprier un tant soit peu nos projets de soins. Il nous afallu apprendre à nous expliquer – nous traduire dirais-je aujourd’hui – vis-à-vis des familles, etfinalement vis-à-vis de nous-mêmes, dans des usages trop vite ancrés en nous comme des automa-tismes. Ce qui est certainement l’un des principes et des aboutissants premiers de toute médiation.Il en est résulté pour nous l’évidence que toute médiation comprenait deux volets – « traduire »les patients, « traduire » l’institution – et qu’il devait exister une mutualité de cette constructionprogressive, permise par un dispositif institutionnel qui ne soit pas un dispositif expert mais un« cadre-rencontre », qui s’engage comme un processus de construction du cadre institutionnel ;mutualité au sens de Winnicott [22]13, et cadre processus au sens de Roussillon [25], en référenceà Bleger [26]14.

Cet aspect de mutualité – non d’un cadre établi, mais d’un cadre-processus, toujours en cons-truction au travers d’un dispositif médiateur – nous est apparu en effet d’autant plus important que

11 ([21], p. 83–5).12 ([21], p. 42–72).13 ([23], p. 111–18) ; ([24], p. 153–62).14 ([27], p. 283–99).

Page 6: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155 147

ce qui est désigné par les termes de « psychothérapie traditionnelle » n’est certainement pas super-posable à ce que l’on entend habituellement par psychothérapie. Nous devons être très attentifs àla distinction que les patients et les familles en font eux-mêmes : « C’est une maladie de pays » ;« Il y a quelqu’un dans la famille qui a eu ca, et qui a été soigné » ; « Ce n’est pas une maladiede docteurs ». Ces « thérapies sans le savoir », pour reprendre l’expression de Favret-Saada [28],reposent souvent sur l’exclusion de toute possibilité de prise de position subjective au momentoù elles sont proposées : « C’est lui qui fait » ; « On ne demande pas, on ne sait pas ». Vouloirparticiper, demander, savoir, expose aux soupcons d’être celui qui fait, qui « travaille » les autres,c’est-à-dire celui qui est du côté de la sorcellerie ou des fétichages. Comme l’ont observé nombred’ethnologues, les conditions thérapeutiques de ces traitements s’organisent ailleurs que dans lestaxinomies qui les décrivent [29] ; dans une mise en œuvre complexe et globale, à la fois psycho-logique, historique, et sociale, dont les voies se perdent hors des subtilités contextuelles au seindesquelles elles s’exercent : « Chez nous ca concerne tout le monde, toute la famille participe,même les voisins sont visés ». La compréhension des mécanismes complexes de ces thérapiessouffre beaucoup des transpositions et des réinterprétations que nous en faisons. Car elles ne sontjamais détachées des sociétés au sein desquelles elles sont mises en œuvre [30]. Renvoyer despatients et des familles à certains gestes culturels, à partir d’un cadre coupé de leur environnement,sans saisir toutes les dimensions de ce dernier, pourrait amener à les renvoyer à des enjeux sociauxincontrôlables. « Ils l’ont gardé là-bas ». « Le Nganga (kôngo : guérisseur) a dit que c’était elle ».« Les Nzonzi (les porte-parole, les médiateurs mobilisés pour établir des conciliations15), ont ditque je devais réparer ». « Je dois payer », nous confie une maman congolaise. Et au pire à de vio-lentes conduites d’ostracisme. « Le pasteur a voulu faire des exorcismes, comme je n’acceptaispas, ils m’ont jetée à la rue », vient nous dire encore une autre mère rejetée par sa famille. Onne peut parler de culture sans parler de société. Si l’on envoie quelqu’un consulter un thérapeutetraditionnel ou un conseil de village, il est difficile de le prémunir contre des conséquences quiéchappent totalement à notre domaine. On doit y être d’autant plus vigilants que nos patientssont en situation de grande vulnérabilité. Il ne s’agit pas d’inviter quiconque à accomplir cesdémarches parce qu’elles seraient les poursuites naturelles des nôtres : il nous est impossible deprévenir les mouvements qu’elles déclenchent dans des sociétés dans lesquelles nous n’avons paspied.

En pédopsychiatrie, nos collègues sont souvent perdus dans les réseaux familiaux qui leursemblent se déployer à l’infini, et des discours qu’ils n’ont pas les moyens de comprendre. En ser-vice d’adulte, nos partenaires sont en grande demande d’aide dans le domaine de l’interculturalité,et confrontés à des situations extrêmes : patients en grande souffrance d’isolement, de trauma-tismes multiples, dans des situations familiales violentes, hospitalisés dans des contextes de crisesoù sont exprimés des vécus à la fois traumatiques et délirants. Ils ne savent plus qui mobiliserde l’entourage des patients, de quoi se saisir dans ce qu’ils évoquent, quelle est la part psycho-tique de ce qu’ils expriment, et s’ils le sont seulement. Lorsque certains d’entre eux peuventêtre pris en charge à l’extérieur dans des consultations spécialisées ou des associations, les pro-fessionnels ont toutes les peines du monde à réintroduire au sein de leurs services quoi que cesoit qui puisse aider à leur prise en charge. Et dans la grande majorité des cas, leurs suivis sonttrop lourds, ceux-ci trop décompensés, pour être accompagnés ou traités à l’extérieur. Quid destranses dans le parc de l’hôpital lors de la visite d’un groupe de prière ? De l’eau « coranisée »d’une rokya, conservée sous son oreiller pour guérir d’un sihr (sorcellerie) ou éloigner les Djinn ?

15 Traduction Geneviève Nkoussou.

Page 7: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

148 G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155

Et d’une multitude d’autres comportements conjuratoires ? Doit-on les ignorer ou en parler ?Que répondre à une famille qui confie que tel parent hospitalisé porte « le mal », entendu lesDjinn, ou le Ndoki ? Le taire peut parfois contribuer à laisser ce type de discours s’enfermer surlui-même, mais si l’on en parle, que faire des récits qui les sous-tendent ? Les besoins sontavant tout d’aider les soignants à poursuivre leur travail de prise de sens, psychologique etrelationnel, comme avec tout autre patient, mais dans des contextes aux variables absolumentinconnues. Derrière le discours de la croyance – qui confine parfois en addictions à tous types derites plus ou moins réparateurs ou couteux – ou celui des persécutions petites et grandes, avecmoultes surenchères dues aux effets de groupe, comment retrouver celui du vécu singulier despatients et des personnes de leur entourage ? Comment différencier dérapages psychotiques etconstructions sociales ? La question de l’interculturel ramène au travers de sociétés qui noussont inconnues, ces questions posées et débattues naguère si vivement pour la nôtre. Mais la viesociale, dont l’analyse nous est indispensable, nous est ici reléguée à une terra incognita aux millefacettes.

L’information sur les usages culturels des patients hospitalisés ou suivis fait de plus en pluspartie de la formation initiale ou permanente des soignants16. Et un certain nombre d’hôpitauxont de plus en plus recours à une ressource mieux reconnue, la multiculturalité des soignants,ceux-ci intervenant parfois comme interprètes ou médiateurs entre différents services. Ce quipose encore d’autres difficultés. Car ils ont généralement à s’immiscer dans des imbroglioscomplexes, et à démêler les paradoxes ou les échecs surajoutés de malentendus culturels, nonseulement en explicitant ces malentendus, mais en faisant force proposition pour faire redémarrerles dialogues interrompus et les empathies empêchées, paralysées, court-circuitées, ou envahiesde sur-identifications ou de surinterprétations. Cette position de « médiateurs » au sein de leursservices les met, d’une part, en position d’ingérence vis-à-vis des prises en charge de leurs col-lègues et, d’autre part, les présente aux patients comme des référents potentiels, non pas seulementd’une communauté de culture, mais d’une communauté de vie et de ses réseaux sociofamiliaux.Que faire de ce lien réintroduit dans l’hôpital quand il n’est porté que par un seul et pas parl’équipe de soin ? De ce fait, nombre de professionnels sollicités pour des médiations dans leurpropre service se cantonnent à des informations générales sur leur culture ou à des interventionsd’interprétariat.

En intervenant de l’extérieur, mais à l’intérieur des services de psychiatrie, les médiateursinterculturels permettent en premier lieu, et peut-être très simplement, d’y soutenir un travaild’articulation avec l’environnement social ou familial des patients dont les outils de compréhen-sion font défaut, et d’espérer atteindre enfin les matériaux habituels de notre travail quotidien :vécus présents et passés, réels et subjectifs. Mais ils ont à faire de véritables entrechats entrel’attente d’éclairage clinique et psychologique qui leur est adressée et les données que la saisiedes contextes culturels – donc la référence aux sociétés vivantes qu’ils sous-tendent – ne manquepas de faire ressurgir. S’il leur faut beaucoup d’efforts pour ramener vers certaines institutions quiles ignorent des mécanismes de pensée hors desquels tout peut verser dans le contresens, il leuren faut presque autant pour rappeler au regard de quels usages sociaux, et non pas seulement auregard de quelles « représentations culturelles », ces mêmes mécanismes entrent en jeu. Et encoreplus pour atteindre un tant soit peu la perception sensible de ces situations, dans une empathierétablie.

16 Personnellement à l’IFSI du centre hospitalier Esquirol, Saint-Maurice; et avec INFOR Santé dans les centres hos-pitaliers du Rouvray, Sotteville-Lès-Rouen; Georges Daumezon, Fleury-les-Aubrais; Moulins-Yzeure; Lannemezan;Montperrin, Aix-en-Provence; Bélair, Charleville Mézières; Henri Laborit, Poitiers.

Page 8: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155 149

Bandélé17 est suivi au CMP depuis l’âge de cinq ans, adressé par l’école maternelle, où il pré-sente une inhibition massive, inspirant une grande étrangeté. Son inhibition est percue comme unretrait autistique, et il est question d’une orientation en établissement spécialisé pour la rentréesuivante. Au CMP, Bandélé est suivi dans un petit groupe de langage où il se désinhibe considé-rablement, en investissant fortement, à la fois le groupe, et un autre enfant dans ce groupe dontles parents sont originaires du même pays que les siens. En famille, il a des difficultés manifestesà exercer son autorité d’aîné conformément à l’attente de ses parents. Il dirige parfois son petitfrère et sa petite sœur, mais avec tristesse et inhibition. Durant une consultation familiale avecune médiatrice18, sa mère nous raconte un rêve qu’elle faisait durant sa grossesse sept ans aupa-ravant : elle rêvait qu’elle mangeait avec ses parents absents19. Elle nous le raconte en souriant,et, vraisemblablement soucieuse de sauver la face devant les professionnels rassemblés, nousexplique qu’il était naturel qu’elle fasse un tel rêve : car elle mangeait peu durant la grossesse ;elle avait toujours faim ; elle était éloignée de ses parents. Derrière cette explication rationnelle,s’en cache une autre, évidente pour la médiatrice dans ce qu’elle percoit de cette mère : ce rappro-chement de ses parents éloignés, vivant dans un monde lointain et absent, autour du partage d’unrepas, d’un appel à eux, peut aussi être interprété comme l’annonce d’une mort prochaine. Enrévélant devant nous et cette mère cette possibilité interprétative, la médiatrice nous fait basculerd’une situation installée dans les convenances à une autre dont les termes deviennent émotion-nellement chargés et dont le soulagement va dépendre d’une toute autre discussion. Madame B.pleure. Derrière le vécu qu’elle reconnaît, de menace de mort imminente durant sa grossesse,se profile en effet non seulement sa dépression maternelle installée depuis lors, mais aussi touteune problématique familiale nourrie d’espoirs et de déceptions liés à des enjeux difficiles dansle contexte d’une émigration dont le père de Bandélé porte l’exclusive responsabilité. Madameavoue avoir consulté des Mauris à l’insu de son mari pour les difficultés de leur fils. La réproba-tion par Monsieur B. de ces démarches prend le tour d’un évitement des soucis de son épouse etde leur charge émotionnelle. Consulter ou ne pas consulter les Mauris, n’est pas seulement êtreou non du côté des traditions, mais être ou non dans l’aveu des difficultés. Comment aborder cevécu d’échec quand le lieu de prise en charge de Bandélé est attendu comme un lieu, non pasneutre, mais étranger, où l’on veut éviter d’avoir à en parler ? L’intervention de la médiatricel’engage fortement auprès de nous dans notre travail de prise en charge thérapeutique. Peut ellebriser la glace et révéler ce que la mère de Bandélé lui fait entendre, à elle, à demi-mot, derrièreson rêve ? Qu’allons-nous ensuite en faire ?

La tâche des médiateurs en service de psychiatrie est très complexe. Les médiateurs qui inter-viennent entre les professionnels et leurs patients, et qui sont issus de leur culture, ne sont passeulement des interprètes de langues, mais aussi des coutumes. Ils le sont à double titre : pourles professionnels auprès desquels ils interviennent ; et pour les patients pour qui ils traduisentles propositions et les manières de faire des professionnels, qui ne vont pas de soi et qui agissenteux-mêmes selon un corpus culturel. Pour les uns, ils sont les représentants d’une institution, d’unsystème juridique, de projets éducatifs dont ils font passer le sens, les objectifs, les méthodes,dans un autre système qui a été le leur, et l’est encore, mais entré dans une construction bicul-turelle acquise au cours d’une expérience de vie qui leur est propre. Pour les autres, ils sont lesreprésentants de leur communauté culturelle et sociale, mais proposés par les institutions, donc

17 ([21], p. 451–81).18 Marième Ba-Sene, médiatrice, psychologue clinicienne, PhD.19 ([21], p. 461).

Page 9: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

150 G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155

investis d’autant d’attente que de méfiance. Il leur faut un grand art pour se mettre à distance desallégeances attendues, ne pas verser dans la séduction de tous les partis, ni enflammer les conflitsde loyauté qui fusent de toute part dans ce type de situation. La traduction qu’on leur demande deréaliser, d’un système dans l’autre, n’est que l’aboutissant d’un travail de positionnement consi-dérable qui n’apparaît pas toujours au regard des professionnels qui les mandatent, mais qui estpourtant ce qui conditionne la réussite de leur médiation. Cette médiation se situe ailleurs que dansla traduction des facons de faire. Elle est avant tout une facon d’être, acquise d’une expérience etd’un engagement personnel. C’est à cette expérience qu’ils se réfèrent constamment. C’est ellequi est constitutive de leur action de médiation. Mais en service de soin, ils sont encore interprètesd’une autre facon : ils effectuent une incessante « traduction » de vécus singuliers dont ils rendentcompte non pas seulement en termes appropriés, mais « appropriables », par une anticipationpermanente des effets de leur « traduction ». Au-delà des mots, il est en effet question de vécus,qui ne sont pas seulement à traduire, mais à recueillir, à accompagner, et à transmettre. La compé-tence des médiateurs intervenant en service de psychiatrie repose en fin de compte sur un art dontils sont la matière. Elle requiert la connaissance intime des cultures dont ils témoignent, celle del’institution au sein de laquelle ils interviennent, une indépendance garantie par une éthique etune déontologie exigeante, une aptitude particulière à traduire, mais aussi un certain dispositifinstitutionnel permettant de les associer à un processus thérapeutique espéré, ou à tout le moinsrésolutif des problématiques pour lesquelles ils sont sollicités.

Ces cinq conditions – connaissance de la culture, connaissance des institutions, déontologie,dispositif institutionnel, disposition à traduire – sont liées chacune à toutes les autres et posentchacune à leur tour un certain nombre de questions.

1. Connaissance de la culture

Parfois, une simple rencontre d’équipe avec un médiateur permet d’avoir accès à suffisam-ment de données pour désamorcer les incompréhensions mutuelles nouées par ces situations. Lapremière difficulté de compréhension est celle de l’implication de la famille élargie – des oncles,tantes, frères, sœurs – et des codes complexes qui en régissent les rapports. La seconde est cellede la pathologisation de certaines conduites, ou à l’inverse notre cécité devant certaines autresqui sont chargées d’un sens que nous ignorons. Ces deux aspects de la médiation interculturelle– informer et traduire – sont toujours très attendus par les soignants. Mais il en est un troisièmequi n’est souvent percu qu’après coup. Les médiateurs ne sont pas seulement des informateurs oudes traducteurs. Lorsqu’ils interviennent directement auprès des patients ou des familles, ayantgrandi dans les mêmes cultures et les mêmes sociétés, ils introduisent encore une autre donnée.Ils sont les témoins vivants de sociétés que leur seule présence, bien souvent, réintroduit. Cetteprésence, même silencieuse, est loin d’être naturelle pour des patients venant consulter avant toutdes médecins ou des psychologues. Elle peut même paraître menacante. « Pourquoi faites vousvenir quelqu’un du pays, je parle francais ». Si certains patients ou leurs familles sont honorésde ce témoignage d’attention, beaucoup d’autres craignent qu’on les remette de facon exotiquedans un tout culturel au détriment de tout positionnement personnel, ou bien, selon les rapportsqu’ils entretiennent avec leur communauté, que les médiateurs ne ravivent l’ambivalence ou lesconflits qu’ils entretiennent avec elle sans être à même de les dénouer car n’ayant pas prise surcette dynamique sociale et familiale qui peut être parfois violente, ou encore que par quelquesraccourcis propres à nos velléités interprétatives, nous ne tentions des équivalences qui n’ontpas lieu d’être, pour des systèmes dont la dissemblance est évidente. Seuls les patients les plusfragiles, au fond, et plutôt par difficulté, se fondent sans appréhension et sans inhibition dans des

Page 10: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155 151

syncrétismes à l’emporte-pièce. Le recours à un médiateur ne peut se faire, ni comme allant de soi,ni sur la seule hypothèse d’une perte de culture. Celui-ci doit toujours être réfléchi et argumenté.Une motivation insuffisamment définie peut être source d’ambiguïté. Trop définie, elle en éliminela portée subjective. Reconstruire une histoire familiale, situer certains évènements, comprendrecertains gestes et usages, sont des motifs universels de reconstruction d’histoires singulières dansleurs rapports à un environnement donné, qui ne sont pas spécifiques des seules problématiquesinterculturelles, mais qu’il s’agit ici de reconstruire du fait de ruptures migratoires conjuguéesde ruptures psychologiques dans des intrications particulières. En situation d’exil, la médiationinterculturelle est en quelque sorte un équivalent métonymique d’une visite à domicile – dontla maison serait celle d’une société, d’une culture, d’un lignage, et d’une facon de les vivre –avec tous les enjeux que cela peut représenter, lorsque les conditions de cet exil sont faites dedifférents niveaux de ruptures. La tonalité de cette visite peut très vite se renverser : de l’attentionà l’intrusion.

2. Connaissance de l’institution

Les médiateurs n’interviennent pas pour inviter telle famille ou tel patient à rejoindre et inté-grer sa culture, mais pour soutenir les échanges entre eux et des équipes de professionnels quisont souvent lourdement envahies par ces problématiques du fait des multiples contresens et desenjeux complexes qui s’y surajoutent et dont ils ont du mal à appréhender la portée. Ils ont doncabsolument besoin, non d’être insérés dans l’institution – et à la limite au contraire – mais d’encomprendre les questionnements. À défaut d’intervenir en intelligence avec les équipes qui lessollicitent, soit ils en deviennent les « porte parole », soit, et c’est l’échec le plus courant desmédiations, ils « repartent avec les familles », ces dernières finissant par ne plus s’adresser qu’àeux pour leur demander de leur indiquer des thérapeutes traditionnels ou de les aider vis-à-visdes institutions desquelles ils se sentent incompris, en les contactant personnellement. La défensela plus courante est de prendre un surcroît de distance par crainte de telles sollicitations. Moinsles médiateurs sont en « dialogue » avec l’institution, moins ils pourront « décoller » de la tra-duction littérale pour entrer dans celle du « vécu de la traduction ». Mais ils peuvent aussi êtreparasités ou empêchés, à l’inverse, par des excès d’attitudes interprétatives de la part des pro-fessionnels qui les sollicitent. Les médiateurs ont besoin d’anticiper la réception de ce qu’ilstraduisent. Leur « traduction » vise les agencements interculturels des positionnements subjec-tifs des familles, mais aussi ceux des professionnels vis-à-vis de celles-ci. Pour apprécier lesmoyens d’en transmettre l’appréciation, ils doivent sentir comment celle-ci peut être percue dansles universelles polarités entre défaut d’empathie ou excès d’identification, séduction ou rigidité,qu’amplifient souvent les dynamiques interculturelles, car les atteintes de cadre qu’elles suscitent,l’incommunicabilité ou les équivocités qu’elles suggèrent, alimentent toujours de fortes réactivitésdéfensives et des attitudes émotionnelles surdéterminées, tout autant pour les professionnels quepour les patients ou les familles qu’ils suivent. Lorsque ces deux premiers points sont suffisam-ment définis – recherche au travers de la traduction du « vécu de la traduction », et explicitationde ce vécu « en intelligence » avec les professionnels qui les sollicitent – n’importe quel interprèteest de facto en « position de médiateur », mais seulement en « position ».

3. Déontologie

Les médiateurs sont donc d’emblée sollicités dans un champ dialectique assez délicat où ilsdoivent à la fois se montrer vigilants à ne pas être pris à parti, en tant que représentant d’une

Page 11: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

152 G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155

société commune, et en ne réduisant pas non plus leur intervention à une mission directive etcommandée unilatéralement par l’institution, ce qui invaliderait le caractère de médiation de leurintervention. Ils ne sont ni dedans ni dehors. En la matière, il n’y a jamais de positionnementassez juste, il n’y a qu’ajustement. Vues de l’intérieur les choses sont beaucoup plus difficilesque les équipes de soin ou de suivi ne le pensent. Celles-ci percoivent rarement, ou minorent, lesobligations ou allégeances, que telle ou telle position sociale, par exemple, va induire entre unpatient et un médiateur, et à qui il est demandé à la fois de les reconnaître et de les mettre à distance.Les échecs les plus visibles sont toujours les situations où des rapports sociaux et les rapportsde genre viennent parasiter les médiations. Les échecs invisibles peuvent être les séductions dedifférents partis au détriment d’un autre, qui cachent une allégeance. Dans un domaine différentmais proche, par exemple, où les enjeux sociaux et familiaux sont encore plus immédiats, danscertaines situations de mesures éducatives ou de procédures judiciaires, ou de conflits violents,il peut être opportun d’utiliser plusieurs médiateurs. L’un pour le père, l’autre pour la mère parexemple, comme on le fait avec les avocats dans une situation de divorce. Mais il faut savoir, àun moment ou à un autre, juxtaposer ces médiations. La plupart des médiateurs s’appuient surune mise en rapport constante à leur propre vécu de migrant, ayant eu à un moment ou un autremaille à partir dans de difficiles rapports interculturels. Autant dire que leur travail ne va passans les solliciter eux-mêmes fortement d’un point de vue émotionnel, et les confronte à leurspropres interrogations, qu’il est bon de pouvoir rapporter à une interrogation de leurs fonctions, etnon pas seulement vis-à-vis d’eux-mêmes. Les premiers soutiens des médiateurs sont les autresmédiateurs.

4. Dispositif institutionnel

Les trois conditions qui précèdent en justifient la quatrième. Si la pluralité des points de vue estle meilleur motif de venue d’un médiateur, et la meilleure indication pour des problématiques, nonpas de perte de culture mais de positions paradoxales paralysantes, liées à des contextes psycholo-giques ou psychosociaux qui les enferment dans une circularité systémique, cette pluralité ne peuts’exprimer que dans la pluridisciplinarité. Quand elles sont percues de facon positive, les patientset les familles appellent spontanément ces consultations avec médiations des « réunions ». Dansles problématiques d’isolement et d’exil d’un grand nombre de familles migrantes en souffrancepsychologique, le clivage des professionnels qui s’occupent d’elles est souvent un véritable nonsens. Si nous nous réunissons beaucoup, ces réunions n’apparaissent pas à ces familles, qui nouspercoivent de facon morcelée. Il y a un effet résolutif certain des conflits et des clivages produitspar ce type de rassemblement pluridisciplinaire quand il n’est pas organisé de facon rigide, maisdans une réelle considération de la pluralité des points de vue à l’intérieur du lieu de suivi enpermettant un minimum de lâcher prise dans les différents positionnements. Nous articuler devantces familles, est déjà articuler avec elles les différents aspects d’atteinte ou d’effondrement de leurenvironnement. La qualité de cette mise en lien en est le gage thérapeutique ou résolutif. C’est undes principes de base du psychodrame, qui est ici plutôt une sorte de « sociodrame » : transformerun théâtre de projections en une scène de construction de soi dans l’altérité. L’expérience montrequ’il est impossible de traiter ces problématiques complexes, sans un maillage qui permette deproduire une régulation mutuelle des effets que les uns reportent sur les autres. Il faut absolu-ment, à la fois intégrer ces consultations à un travail institutionnel pluridisciplinaire, et en mêmetemps leur donner, comme dans tout dispositif thérapeutique, assez d’autonomie pour qu’elless’y expriment librement dans un cadre générateur d’associativité.

Page 12: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155 153

5. Aire transitionnelle de la traduction

Enfin, nous avons proposé de nommer aire transitionnelle de la traduction, ou plus exactementde l’interprétation, ce cinquième point, en référence non pas seulement à Winnicott, mais à Berman[31,32] et à l’herméneutique. Si les quatre points qui précèdent permettent l’établissement de cecinquième, celui-ci n’est pas seulement le but, mais le principe d’un tel dispositif. Traduire aun double sens étymologique : transmettre et trahir. Les deux trahisons de la traduction sontconnues depuis Humboldt : l’hypertextualité ou l’ethnocentrisme ; se tourner avec excès soitvers l’émetteur, soit vers le récepteur. L’une verse dans le relativisme culturel, l’autre vers lerefus de dialogue. Toute traduction est d’abord une création. C’est à partir de la discussion destraductions, comme le défend Berman, que s’ouvre « l’espace de jeu des retraductions ». Lesenjeux de la traduction sont les mêmes que ceux de l’ethnopsychanalyse ou de l’anthropologiepsychanalytique. Le pire est la recherche d’une seule vérité dans une traduction intangible. Il nes’agit pas tant ici de traduire que de faire « sentir » la traduction, de s’appuyer sur les différencesqu’elle surligne plus que sur les correspondances qu’elle établit, pour ouvrir à un espace particulierde traduction, ouvert à son commentaire, sa contextualisation, pour atteindre le « perdre-trouver-créer » du sens de la traduction. C’est en ce sens que ces traductions deviennent pleinement desmédiations. Elles ne sont pas seulement des médiations entre des équipes, ou des médiations entreles cultures, ni d’improbables médiations entre le monde rationnel et le monde irrationnel, en toutcas pas dans ce cadre, mais des médiations entre des situations de communication empreintesde grandes difficultés, et de vécus subjectifs que ces difficultés rendent incommunicables. Dansles suivis de protection maternelle et infantile, n’importe quelle remarque sur le comportementd’un jeune enfant de deux ans peut être comprise par ses parents selon des facons multipleset contradictoires. Une mobilisation éventuelle de ceux-ci sur des difficultés psychologiques nepeut se faire que dans l’appréciation des enjeux de dramatisation sociale, et des moyens éventuelsde les dédramatiser ou de leur donner sens. En situation d’interculturalité, le tact, l’humour, laformule allusive, les métaphores, qui permettent habituellement ces dédramatisations, amènentsur des voies qui peuvent être encore plus insondables qu’à l’accoutumée. Des remarques comme« il aime s’amuser », « il bouge beaucoup », ou « il fait le griot », peuvent être autant rassurantes,qu’accusatrices ou dévalorisantes. L’essentiel ne repose pas sur des formules interprétatives quipeuvent facilement osciller entre les surcroits de rigidité ou les transpositions exotiques, mais dansl’expression d’une recherche de ces enjeux : non par identification à la culture de l’autre, maisdans le souci le plus universel qui soit d’éducation et de soin, avec la plus grande vigilance contreles mécanismes d’emprises auxquels une socialisation à marche forcée peut soumettre tout enfantavec préjudice, dans d’autres cultures comme dans les nôtres. On ne peut avancer dans les rapportsinterculturels sans prendre en compte un tant soit peu la culture de l’autre, en la connaissant aminima de facon intime, de l’intérieur, ou donc à défaut en recourant à des médiateurs. Maison ne peut retrouver de positionnement véritablement psychothérapique sans s’en départir à unmoment ou à un autre après l’avoir accueillie, comme dans toute culture et par rapport à toutcontexte social. L’espace de jeu, sur lequel repose tout l’art du clinicien, et qui est constitutif decette voie de dégagement est limité et difficile à construire. Quand il est établi, il témoigne d’uneconfiance gagnée qui en est le plus solide appui. La construction de cet espace nécessite à la fois unminimum d’immersion dans les cultures « vécues » et une distance suffisante vis-à-vis d’elles ensituation : une immersion qui seule permet ce type de lâcher prise ; et une distance rétablie par unpositionnement d’étranger à cette culture, qui témoigne que la meilleure des reconnaissances n’estpas produite par celui qui sait, mais par celui qui cherche à comprendre, fût-il étranger, hommeou femme. L’ignorance – si elle est exprimée d’un côté, et acceptée de l’autre – est aussi source de

Page 13: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

154 G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155

rencontre. Le fait d’être un homme recevant en centre de protection infantile des mères appartenantà des cultures où l’appréhension de la maternité se construit exclusivement en milieu maternel,par exemple, me rend tout autant les choses complexes, que riches d’effets de reconnaissance : siun homme, de surcroît étranger, peut être aussi sensible à ce que vit une mère en difficulté, celamontre qu’il est possible d’établir des ponts de communication là où l’on s’y attend le moins, autravers de conditions culturelles ressenties a priori comme des barrières, pour faire entendre unvécu qui les traverse universellement : de maternité et de souffrance psychologique conjuguées.

Le véritable intérêt des médiations selon un tel dispositif est de soutenir des processus asso-ciatifs dont l’incarnation vivante et spontanée est perdue dans ce triple contexte : d’acculturationantagoniste ; de lourdes pathologies ; et de situations d’isolement. C’est cette spontanéité, cetespace perdu de jeu et de lâcher prise qui doit être un tant soit peu retrouvé, recréé, plus qu’uneculture déterminée ou sa traduction définitive dans une quelconque vérité, qu’elle soit psycholo-gique ou culturelle. Ce n’est qu’en second lieu que cette prise en compte permet d’engager undialogue sur les « différentes facons de parler des choses », et de passer de la question de la commu-nication à celle du vécu de ces situations. Là est le véritable principe du complémentarisme, telque Devereux [33] a pu le définir en fondant l’ethnopsychiatrie – comme méthode d’articulation,non comme adjonction disciplinaire20 – qui devrait nourrir toute approche interculturelle.

Toute médiation se situe à l’aune d’interfaces. En psychiatrie, l’une d’elles, et non des moindres,est celle qui peut s’ouvrir et s’organiser autour de la pluridisciplinarité des prises en charges, etde leur assise sur l’environnement social des patients et de leurs familles. C’est avant tout sur cetenvironnement social et familial que les médiations interculturelles trouvent leur point de butée,comme leurs ressources. De ce fait, une médiation n’est pleinement une médiation que lorsqu’elleproduit de facon réflexive, à partir de l’analyse de ces situations aux multiples facteurs intriqués– psychologiques et sociaux – celle des fonctionnements ou des dysfonctionnements de la pluri-disciplinarité des équipes. La disposition à traduire des médiateurs ne peut générer de médiationsqu’avec des institutions fonctionnant elles-mêmes selon une disposition à se « traduire », et à lesaccueillir comme « traducteurs » de leurs propres usages. Dans ces dispositifs de suivis ou de soinsparfois aussi hermétiques à leurs usagers, que le sont pour nous les coutumes de ceux-ci, s’ilssont ethnographes, c’est en premier lieu des institutions auprès desquelles ils interviennent. Unemutuelle traduction : telle est la visée de ce type de médiation, d’autant plus enrichissante qu’ellecrée un espace intermédiaire, source non seulement de dialogue, mais d’un regard créatif sur touteconstruction culturelle. Une mutuelle interprétation, tel est le sens du travail de médiation qui vise,non pas à l’appropriation d’un mode d’interprétation contre un autre, mais à l’établissement d’undialogue sur les différentes facons de s’approprier son vécu, et de lui donner sens.

Déclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références

[1] Six JF. Médiation. Paris: Seuil; 2002.[2] Szasz MC. Between Indian and white worlds: the cultural broker. Norman: University of Oklahoma Press; 1994. p.

3–20.

20 Cf. Notamment: [34].

Page 14: Médiation interculturelle : une mutuelle interprétation

G. Coyer / L’évolution psychiatrique 79 (2014) 142–155 155

[3] Halowell IA, American Indians. White and black: the phenomenon of transculturalization. Curr Anthropol1963;4:519–29.

[4] Opler ME. Appache Odyssey, a journey between two worlds. New York: Holt, Rinehart and Winston; 1969.[5] Stern T. The Klamath Tribe: a people and their reservation. Seattle: University of Washington Press; 1965.[6] McFee M. The 150 % man, a product of blackfeet acculturation. Am Anthropol 1968;70:1096–103.[7] Clifton JA. Being and becoming Indian: biographical studies of North American Frontiers. Chicago: Dorsey Press;

1989.[8] Hagan WT. American Indians. Chicago: University of Chicago Press; 1961.[9] Richter DK. Cultural brokers and intercultural politics: New York-Iroquois relations, 1664–1701. J Am Hist

1988;75:40–67.[10] Hagedorn NL. A friend to go between them: the interpreter as culture broker during Anglo-Iroquois councils,

1740–1770. Ethnohistory 1988;35:60–80.[11] Paine R. A theory of patronage and brokerage. In: Paine R, editor. Patrons and brokers in the East Arctic. Newfound-

land Memorial: University of Newfoundland, University of Toronto Press; 1971. p. 8–21.[12] Jezewski MA. Evolution of a grounded theory: conflict resolution through culture brokering. ANS Adv Nurs Sci

1995;17(3):14–30.[13] Curtis JJ, Edison JT. Immigrant adolescents behaving as culture brokers: a study of families from the former Soviet

Union. J Soc Psychol 2005;145(4):405–28.[14] Brown N. Beachboys as culture brokers in Bakau Town, The Gambia. Community Dev J Oxford Univ Press

1992;27:361–70.[15] Pradelles de Latour CH. Comment sortir de la sorcellerie ? D’une société orale à une expérience de médiation

transculturelle dans la banlieue parisienne. Evol Psychiatr 2004;69:79–90.[16] Cohen-Emerique M, Fayman S. Médiateurs interculturels, passerelles d’identités. Connexions 2005;83(1):169–90.[17] Bernstein B. Class, codes and control. Londres: Routledge & Kegan Paul; 1971.[18] Bernstein B. Langage et classes sociales. Paris: Les éditions de Minuit; 1975.[19] Gobard H. L’aliénation linguistique. Paris: Flammarion; 1972.[20] Kaufert JM. Cultural mediation in cancer diagnosis and end of life decision-making: the expérience of Aboriginal

patients in Canada. Anthropol Med 1999;6(3):405–21.[21] Coyer G. Messager sans message. Traité de psychothérapie interculturelle. [Thèse de psychologie]. Lyon: Université

Lyon-2; 2009.[22] Winnicott DW. Mirror-rôle of mother and family in child development. In: Lomas P, editor. The predicament of the

family: a psychoanalytical symposium. London: Hogarth Press; 1967. p. 26–33.[23] Winnicott DW. Playing and reality. London: Tavistock; 1971.[24] Winnicott DW. Jeu et réalité. Paris: Gallimard; 1975.[25] Roussillon R. Logiques et archéologiques du cadre psychanalytique. Paris: PUF; 1998.[26] Bleger J. Psicoanalisis del encuadre psicoanalitico. In: Simbiosis y ambiguedad. Estudio psicoanalitico. Buenos

Aires: Paidos; 1967. p. 237–50.[27] Bleger J. Psychanalyse du cadre psychanalytique. In: Symbiose et ambiguité. Paris: PUF; 1967. p. 283–99.[28] Favret-Saada J. Désorceler. Lonray: L’Olivier; 2009.[29] Zempleni A, editor. La maladie et ses causes. Ethnographie 1985;2:13–44.[30] Dorès M. La femme village. Maladies mentales et guérisseurs en Afrique Noire. Paris: L’Harmattan; 1981.[31] Berman A. Pour une critique des traductions : John Donne. Paris: Gallimard; 1995.[32] Nouss A. Éloge de la trahison. TTR 2001;14(2):167–79.[33] Devereux G. Ethnopsychanalyse complémentariste. Paris: Flammarion; 1972.[34] Devereux G. Une vie consacrée à l’ethnopsychanalyse. Entretien avec Georges Devereux. J Psychol 1985;29:20–4.