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Créer, transformer, oublier L'art juǀ'hoan de consumer la musique (Namibie)Author(s): Emmanuelle OlivierSource: Cahiers d'ethnomusicologie, Vol. 22, mémoire, traces, histoire (2009), pp. 169-186Published by: Ateliers d'ethnomusicologieStable URL: http://www.jstor.org/stable/20799683 .
Accessed: 13/06/2014 15:55
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Cr?er, transformer, oublier L'art jul'hoan de consumer la musique (Namibie)
Emmanuelle Olivier
Les Jul'hoan de Namibie1 constituent l'une des nombreuses populations dites bushmen d'Afrique australe2, dont on a longtemps pens? qu'elles ?taient res t?es au ban de l'histoire, fig?es dans une ?ternelle gen?se. Jusque dans les ann?es 1980, les travaux anthropologiques sur les Bushmen ont en effet ?vacu? la dimension historique de ces soci?t?s au profit d'une image id?alis?e les pr? sentant comme reliques d'une pr?histoire o? l'homme vivait en harmonie avec
la nature3. Or la musique pratiqu?e par les Jul'hoan est sans cesse renouvel?e
tandis que ce renouvellement proc?de d'une logique de l'oubli. Il est en effet
frappant de constater que les instruments4 et les chants, et plus particuli?rement
1 Pour ?crire la langue jul'hoan, j'utilise la trans
lit?ration ?tablie par le linguiste Patrick Dickens (1994) et reconnue officiellement par le Minis t?re de l'Education et de la Culture namibien.
Les signes |, , ! et || repr?sentent les quatre clics
(claquements de la langue d?termin?s suivant leur position dans la cavit? buccale) qui constituent autant de phon?mes du jul'hoan (Traili et Vossen 1997; G?delmann et Vossen 2000). 2 Apparu au Cap ? la fin du XVIIe si?cle, le terme ?bushman? a une longue histoire (Barnard 1992;
Fauvelle-Aymar 2002). Il d?signe aujourd'hui un ensemble de populations h?t?rog?nes, ?par
pill?es dans toute l'Afrique australe et dont le prin cipal d?nominateur commun serait une ?conomie,
pr?sente ou pass?e, fond?e sur la chasse et la
collecte (cf. Olivier et Valentin 2005). Ce terme diversement connot? a ?t? r?cemment repris
par les int?ress?s eux-m?mes, qui tentent de se
constituer en une unit? politique. 3 II faut attendre 1989, lorsque para?t l'ouvrage d'Edwin Wilmsen, Land Filled with Flies. A Political Economy of the Kalahari pour que les Bushmen entrent brutalement dans l'histoire, provoquant le Great Kalahari Debate qui a oppos? les ?tra
ditionalistes? emmen?s par Lee aux ?r?nova
teurs? autour de Wilmsen (cf. les num?ros 31/1,
31/5,32/5,34/5 et 36/2 de la revue am?ricaine Current Anthropology entre 1990 et 1995 ainsi que l'ouvrage de Barnard 1992b). D?s lors, on
d?couvre les relations que les populations dites
bushmen entretiennent avec leurs voisins depuis
plus d'un mill?naire ainsi que leur participation ancienne ? l'?conomie r?gionale du Kalahari. 4 Sur le renouvellement des instruments de
musique, voir Olivier 2005.
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les chants chamaniques5, apparaissent et disparaissent au terme de quelques
g?n?rations, dans un mouvement incessant de cr?ation, de transformation, de
transmission, de circulation puis d'oubli.
Parler de l'histoire des Jul'hoan, c'est prendre en compte leur historicit?, leur capacit? ? concevoir et ? construire le temps, pour eux-m?mes et dans leurs
relations aux autres. C'est envisager leur contemporan?it? au sens que lui donne
l'anthropologue Johannes Fabian (2006 [1983]) de ?co-temporaiit?? des soci?t?s, mais aussi se demander comment ils fabriquent de l'histoire. Car l'enjeu de cette
t?che est bien de montrer que l'histoire est un r?cit qui se fabrique en permanence ?dans l'usine endog?ne des soci?t?s? (Affergan 1997: 256), travaillant l'?v?ne ment, incident ou catastrophe, pour en faire du sens. Si les Jul'hoan apparaissent ? bien des ?gards comme le produit de l'histoire, celle-ci n'en est pas moins le
produit des Jul'hoan. Du reste, c'est moins l'histoire comme discipline acad?mique et comme chronologie relative qui est consid?r?e ici, qu'un questionnement sur
la conscience historique, celle d'??tre-dans-le-temps? comme fa?on temporelle d'??tre-au-monde?, pour reprendre l'expression de Paul Ricoeur (2000: 498).
S'inscrire dans un temps historique signifie aussi avoir la ?capacit? ? affronter l'?v?nement? (Aug? 1994: 18) qui permet de configurer le temps en
cycles successifs. ? cet ?gard, une analyse des processus de cr?ation musicale
permettra de montrer comment des individus font uvre de cr?ation temporelle avec la musique, en marquant une rupture, voire m?me une mutation irr?versible
entre pass? et futur, avant et apr?s. Comprise comme un moment de tension, une
?contraction du temps? (Bensa et Fassin 2002: 11) qui exprime et/ou concentre
des enjeux particuliers, la cr?ation musicale porte de fait en elle un projet6 qui, pour aboutir, doit ?tre mis en partage et soumis ? une efficacit?. On prendra donc en compte les performances auxquelles elle donne lieu, en posant la question de
l'influence des musiciens et de leurs auditeurs sur la cr?ation elle-m?me et sur
sa l?gitimation. Construits en r?cits qui mettent en sc?ne des individus r?els confront?s
? des situations r?elles, ces ?v?nements musicaux constituent autant de chro
niques d'une soci?t?, qui t?moignent d'un moment de son histoire. D'individuels, ces r?cits sont soumis ? la validation de la soci?t?, v?ritablement partag?s lorsque chacun peut se situer par rapport ? eux et en donner sa propre version.
On verra comment l'?exp?rience personnelle? se mue en ?histoire collective?
(Bensa 1997: 17), mais une histoire ? plusieurs voix o? nulle version canonique
5 II s'agit de chants cens?s permettre l'entr?e
en transe du chaman puis son voyage au cours
duquel son esprit quitte son enveloppe corporelle pour explorer diff?rents niveaux d'existence. Ces
chants ont ?galement vocation ? aider le chaman
? gu?rir, voire ? pr?venir, la maladie et la mort d'un
individu, ? favoriser la chasse ou ? r?soudre les
tensions au sein de la communaut?. Sur la notion
de chamanisme chez les populations d'Afrique australe, voir Guenther 1999; Katz, Biesele et
St Denis 1997; Lewis-Williams 2005; Valentin 2005: 118-119. 6 Deleuze (1969) parle quant ? lui de ?devenir?.
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Dossier/Olivier 171
ne pr?vaut Les narrateurs, comme les musiciens, deviennent ainsi de v?ritables
acteurs de la m?moire, laquelle ne se r?duit ni ? une r?p?tition ni ? une accumu
lation, mais donne lieu ? une v?ritable interpr?tation, une imagination productrice de musique et de sens, en perp?tuel renouvellement
Envisager la cr?ation musicale comme un ?v?nement permet d'int?grer la notion d'individu ? la fabrique de l'histoire. Comment ?merge, est invent?e ou r?invent?e une musique ? un moment donn? d'une histoire ? Poser cette ques tion revient ? s'interroger sur les parcours de vie, les trajectoires de ces individus
singuliers qui cr?ent de la musique. C'est se demander quel est leur r?le social, mais aussi quel regard ils donnent sur leur soci?t?, voire comment ils marquent leur temps de leur musique.
Plut?t que de pr?senter une synth?se des relations entre musique, m?moire et histoire juphoan, j'ai donc choisi de suivre le parcours d'un chant r?cemment compos? par un chamane nomm? Nlani, avec lequel je travaille depuis une dizaine d'ann?es. ? partir de cet exemple, trait? comme un ?cas? au sens que Jean-Claude Passeron et Jacques Revel (2005) lui donnent de singularit? dont le traitement conduit ? une nouvelle intelligibilit?7, je m'attacherai ? questionner les notions de m?moire et d'oubli, particuli?rement d?terminantes dans un contexte
d'oralit?, en me demandant comment elles permettent de configurer le temps, de
le renouveler, de l'actualiser. Je m'interrogerai sur la profondeur g?n?rationnelle de la m?moire, les moyens par lesquels les individus la fixent, ce qu'elle produit en termes de pouvoir, et corr?lativement sur les m?canismes et le r?le social de
l'oubli. La musique sera ?galement envisag?e comme moment d'une histoire en
cours, l'enjeu ?tant de montrer en quoi elle participe de l'histoire d'une popula tion au m?me titre que d'autres productions mat?rielles ou immat?rielles, c'est
?-dire comment elle permet de r?v?ler des situations, des conjonctures ou des
moments particuliers d'une histoire.
Les Juphoan : du mythe ? la r?alit? contemporaine
Nul besoin de pr?senter les Juphoan : ce sont les personnages du tr?s (trop) c?l?bre film Les dieux sont tomb?s sur la t?te, tourn?, pour le premier opus, ? la fin des ann?es 1970 en Namibie8. Chacun a certainement en t?te l'image de ce
?peuple premier?, selon l'expression consacr?e par les ONGs, un peuple atta
chant, pacifique et ?galitaire vivant en harmonie avec la nature, t?moin d'un ?ge
7 Les auteurs pr?cisent ainsi leur d?finition du cas: ?Faire cas, c'est prendre en compte une
situation, en reconstruire les circonstances - les
contextes - et les r?ins?rer ainsi dans une his
toire, celle qui est appel?e ? rendre raison de
l'agencement particulier qui d'une singularit? fait un cas? (Passeron et Revel 2005: 22). 8 The Gods must be crazy r?alis? par Jamie
Uys (1981). Une suite du film, The Gods must be crazy 2, est sortie en 1989.
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de pierre qui r?sonne comme un ?ge d'or. Or, la r?alit? politique, ?conomique et sociale des Jul'hoan est bien ?loign?e de cette image et il semble important de la rappeler ici, parce que la musique qu'ils pratiquent aujourd'hui est le produit ? la fois de leur histoire et de leur situation actuelle.
Quand Les dieux sont tomb?s sur la t?te est tourn?, les Jul'hoan vivent dans le Bushmanland, une r?gion d?cr?t?e homeland par l'?tat sud-africain, dont la Namibie (alors Sud-Ouest Africain) est un protectorat, soumis au r?gime d'apartheid. Les Jul'hoan ne sont plus ?parpill?s en petites communaut?s iso l?es dans le Kalahari (si tant est qu'ils aient jamais v?cu de la sorte, ce que r?fu tent la plupart des arch?ologues, des historiens et des anthropologues depuis une vingtaine d'ann?es), mais regroup?s dans de petits villes de garnison. Les
hommes y sont employ?s comme pisteurs par l'Afrique du Sud9 en guerre contre un mouvement arm? qui lutte pour l'ind?pendance de la Namibie10, tandis que les femmes travaillent comme domestiques dans les maisons des officiers blancs.
L'arm?e sud-africaine est compos?e de soldats originaires de diff?rentes popu
lations, notamment bushmen (IXuu, Hai||om et Kxoe), qui vivent aux c?t?s des
Jul'hoan dans ces petites villes de garnison. Les soldats conduisent des v?hicules tout terrain, poss?dent des comptes en banque et leurs enfants sont scolaris?s.
En 1989, lorsque la Namibie devient ind?pendante, l'arm?e sud-africaine se retire
du Bushmanland et les Jul'hoan, tout comme la plupart des autres employ?s de l'arm?e, se retrouvent au ch?mage, oblig?s de retourner en brousse pour sur
vivre. Dans le m?me temps, un processus de politisation des Jul'hoan se met en
place, initi? par quelques anthropologues am?ricains qui fondent une ONG, la
Nyae Nyae Development Foundation", pour d?fendre les droits des Jul'hoan en mati?re de repr?sentation politique, d'?ducation, de droits fonciers, etc. En 1998, l'est du Bushmanland12 obtient le statut de Conservancy, r?gion ?Conservatoire?, territoire officiellement reconnu par le gouvernement namibien qui laisse aux
Jul'hoan le contr?le de l'administration et l'utilisation des ressources naturelles13.
Les Jul'hoan g?rent de petits campements touristiques, organisent des safaris
pour les touristes avec vente d'objets artisanaux, se r?partissent le montant des
permis de chasse allou?s et les gibiers abattus, et touchent des dividendes sur les tournages de films effectu?s dans leur r?gion. Cependant, peu de Jul'hoan sont form?s aux techniques de management touristique et, malgr? l'existence d'un r?cent conseil des chefs de village cens? pouvoir d?cider des affaires com
munes, on peut se demander si les Jul'hoan sont en mesure d'?valuer tous les
9 Dans la South African Defence Force (SADF). 10 La People's Liberation Army of Namibia (PLAN) mise en place par la South-West Africa People's
Organization (SWAPO) et dirig?e par Sam Nujoma qui deviendra Pr?sident de la r?publique de Namibie ? l'ind?pendance du pays en 1990.
11 Voir Hitchcock et Biesele 2002; Marshall et Ritchie 1984;Suzman 2001. 12 A l'ind?pendance de la Namibie, le territoire
a ?t? red?coup? en r?gions administratives; le Bushmanland a alors ?t? int?gr? ? la r?gion
Otjozondjupa. 13 Voir le site http://www.nacso.org.na.
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enjeux dont ils font l'objet. En outre, face aux nombreux bailleurs qui alimen
tent les caisses de la Nyae Nyae Development Foundation , il n'est pas certain
qu'ils aient v?ritablement les moyens de d?cider, en toute ind?pendance, de leur avenir. C'est donc dans ce contexte ?minemment contemporain que se situent les
enjeux et la dynamique de la musique juphoan.
Cr?ation du chant ?la mort me prend en chasse?
En langue juphoan, tout chant chamanique est appel? n/om tz\, litt?ralement ?chant qui renferme de la puissance surnaturelle?. L'ensemble de la musique
juphoan se trouve ainsi partag?e en deux cat?gories g?n?riques, selon que les
pi?ces renferment de la puissance surnaturelle ou en sont d?pourvues. Cette
puissance provient des morts, qui en pourvoient certains animaux (girafes, anti
lopes, etc.), objets (fl?ches), ?l?ments naturels (feu, ?clairs) et chants (chama niques). Si tous les chants chamaniques sont cens?s renfermer cette puissance, celle-ci, pour ?tre efficace, doit ?tre activ?e par des individus particuliers, en l'oc
currence chamanes (accompagn?s d'un ch ur polyphonique d'hommes et de
femmes), et dans des situations particuli?res, durant les rituels de gu?rison, de chasse ou de r?solution d'un conflit. Ce sont donc les chants pris dans leur carac
t?re performatif - la performance ?tant ici comprise ? la fois comme mani?re de
mettre en forme un chant et production de ce chant en situation15 -
qui vont per mettre au chamane d'agir et d'?tre efficace. Un chant chamanique peut donc ?tre ex?cut? ? la fois comme divertissement par des enfants ou comme berceuse par une m?re dont le b?b? pleure; mais dans ces deux cas, les Juphoan diront que ?sa puissance est au repos?.
En 1995, Nlani cr?? le chant ? La mort me prend en chasse? (l?ik? guni ml). Litt?ralement, il lui ?donne un nom? (gag?)16. De fait, un chant prend un nouveau
nom lorsqu'il inaugure un r?pertoire musical marqu? par un trait distinctif : une
figure rythmique d'accompagnement qui sera battue par les mains des femmes.
Un tel acte se produit lorsque les chants existants sont reconnus inefficaces pour gu?rir, favoriser la chasse ou r?soudre un conflit. Il est ?galement possible de ?transformer? (\\x?b?) un chant d?j? existant en une nouvelle version. Plusieurs chants portent alors le m?me nom17, mais constituent chacun une version diff?
rente d'une m?me entit? musicale. Pour les distinguer et les situer dans le temps,
14 Voir Hitchcock et Biesele op. cit. 15 Pour une analyse d?taill?e de la performance des chants jul'hoan, voir Olivier 2004. 16 On peut ?galement employer le terme n??m qui renvoie plut?t ? l'action de ?fabriquer?.
17 C'est par exemple le cas des chants ?Buffle?
dont le r?pertoire comprend ? ce jour trois pi?ces ou des chants ?Oryx? au nombre de six (cf. Olivier
2005: 175).
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un qualificatif leur est adjoint: le chant ?vieux vieux? (n lang !?ng ?z/)18 est le plus ancien, suivi du chant ?vieux? (n l?ng tz?) puis de tous les autres qui sont ?jeunes? (tz?m? tzi). Ces derniers ne se distinguent pas les uns des autres sur le plan tem
porel, mais par le nom de leur cr?ateur19. Ce qui est inattendu est que la version
originelle peut difficilement s'appr?hender en termes de prototype dans la mesure o? elle dispara?t au profit d'une plus r?cente, qui, ? son tour, sera abandonn?e ?
l'apparition d'une nouvelle version. On est donc en pr?sence de versions qui se
substituent les unes aux autres jusqu'? se muer en un nouveau chant lorsque les
r?gles qui fondaient leur identit? sont transgress?es. Technique de composition la plus fr?quente chez les Jul'hoan, la transformation d'un chant en une nouvelle
version peut ?tre comprise comme un savant m?lange de souvenir et d'oubli20.
Enfin, il est possible de fusionner deux chants pour en produire un troisi?me, ce
qui ?quivaut ? ?ins?rer un chant ? l'int?rieur d'un autre? (tcx??l'??). Un chant pr? domine alors sur l'autre, lui imposant ainsi son r?pertoire d'appartenance21.
Ces diff?rentes techniques de composition et de re-composition ont une
incidence sur la puissance reconnue au nouveau chant. Le premier chant d'un
r?pertoire, c'est-?-dire le plus ancien, sera n?cessairement le plus puissant, alors
que la puissance des suivants ne pourra que d?cliner, jusqu'? ce que les chants
de ce r?pertoire ne permettent plus au chamane de gu?rir les malades, de favo
riser la chasse ou d'apaiser les conflits. C'est ce qu'il est arriv? ? Nlani qui a cr?? le chant ?La mort me prend en chasse? inaugurant un nouveau r?pertoire parce
que, disait-il, les autres chants chamaniques ne lui permettaient plus de gu?rir. Avec les autres chants, son action s'?tait affaiblie jusqu'? perdre tout effet.
Mise en r?cit de la gen?se du chant
Pour qu'il y ait cr?ation d'un chant chamanique, quelque chose d'inhabituel doit se
passer, qui conduit le plus souvent ? une maladie et ? sa gu?rison. Les Jul'hoan mettent en r?cit et aiment ? raconter les circonstances, souvent graves, qui ont
conduit l'un des leurs ? cr?er un nouveau chant. En outre, les narrateurs ?labo
rent souvent leur propre version des faits, nourrissant le r?cit d'actions suppl?
mentaires, ajoutant des personnages ou modifiant m?me la trame de l'histoire.
On assiste l? ? un processus d'individualisation recherch? par les Jul'hoan, pour qui les diff?rentes versions d'un m?me r?cit sont comme autant de points de
18 Le terme ?vieux? signifie ?galement ?puis sant?. Un chant ayant atteint ce grand ?ge a donc
n?cessairement fait la preuve de son efficacit?. 19 Ainsi l'un des chants ?Oryx? (glo'? tzf) les plus r?cents s'appelle-t-il N'.aice glo'? tzf du nom de
son cr?ateur, laice.
20 Pour une analyse anthropologique de ce
m?lange, voir Aug? 1998: 67. 21 C'est le cas du chant ?Oryx? (g loe tzi), com
pos? par Kxoan||a ? partir des deux chants d?j? existants ?Vieil Oryx? et ?Folie? (di tzf).
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Dossier/Olivier 175
vue sur une m?me r?alit?, lesquels l'enrichissent sans la remettre en question.
Malgr? la multiplicit? de leurs versions, ces r?cits se distinguent donc des mythes et des contes22 en ce qu'ils mettent en sc?ne des faits reconnus comme r?els
ou, pour reprendre Jean Bazin (1979: 445), historiques. Ils demeurent pourtant ?ph?m?res et la plupart d'entre eux dispara?tront apr?s trois ou quatre g?n?ra tions, remplac?s par de nouveaux r?cits narrant la cr?ation de chants in?dits. Les
histoires qui circulent aujourd'hui dans la r?gion de Nyae Nyae racontent ainsi des faits qui se sont produits pour les plus anciens au d?but du XXe si?cle, et il est donc l?gitime de penser que les chants actuels leur sont contemporains.
Lors d'une chasse, mon p?re d?funt me facilita la prise d'une girafe. Une fois
l'animal mort, des vautours s'approch?rent pour manger la viande; des morts se
logeaient dans le corps de ces oiseaux, ce que j'ignorais. Je tuai l'un d'eux et mis
le feu ? l'arbre dans lequel ils nichaient. C'est alors que mon p?re me demanda
pourquoi j'avais tu? le vautour alors qu'il m'avait facilit? la chasse: j'aurais d? par
tager la viande avec le rapace. Furieux, mon p?re me rendit malade. Beh me
soigna lors d'un rituel et je gu?ris. Mais quelques jours plus tard, j'allai d?f?quer et sentis quelque chose dans mon ventre. Un scorpion vivant sortit de mon anus.
J'appelai ma femme qui ne me crut pas: le scorpion, me dit-elle, devait ?tre dans
le sable. Je lui demandai de rester avec moi et, peu apr?s, nous v?mes un second
scorpion sortir de mon anus. Mon corps se refroidit rapidement de sorte que je fus oblig? d'allumer un feu pour me r?chauffer. Ma femme pensait que j'allais mourir. Pendant la nuit, mon p?re vint, me donna le chant <La mort me prend en
chasse >, me montra comment l'ex?cuter et fit sortir la maladie de mon corps. Le
lendemain, j'?tais gu?ri. Nlani, le 21 ao?t 1995.
Ce r?cit, qui a trait ? la cr?ation du chant ?La mort me prend en chasse?, met en exergue la puissance de Nlani, chamane capable de surmonter une s?rie
d'?preuves et de se gu?rir lui-m?me, tout en rappelant un certain nombre de
savoirs partag?s par les Juphoan (partage de la nourriture, respect pour les ani
maux, etc.). Les r?cits de ce type sont ? la fois singuliers, en mettant en sc?ne
un chamane chaque fois diff?rent, et st?r?otyp?s dans leur d?roulement et leur
message, en fonctionnant comme une sorte de paradigme ? l'int?rieur duquel les
chamanes se succ?dent et se distinguent ? la fois. Les r?cits de gen?se de la cr?ation musicale permettent ? la fois d'entre
tenir le souvenir de ces circonstances particuli?res et de les situer dans un temps lin?aire, en succession les unes par rapport aux autres. Ces r?cits font en quelque sorte office de chroniques, singularisant quelques chamanes tout en rappelant
r?gles et valeurs de la soci?t? juphoan. Si les hommes sont condamn?s ? dis
para?tre, les r?gles et les valeurs ont vocation ? perdurer, mais elles ne prennent
22 Aucune cr?ation de chant ne donne lieu ? un r?cit mythique ou ? un conte.
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176 Cahiers d'ethnomusicologie 22/2008
sens qu'en contexte, ? travers des faits r?els et chaque fois renouvel?s. Les gens
qui racontent ces r?cits ou bien leurs proches ont en effet c?toy? ces chamanes
compositeurs; ils sont directement ou indirectement concern?s par ces faits. On
comprend alors pourquoi de telles histoires tombent dans l'oubli au terme de
quelques g?n?rations, d?s lors que les chamanes ne sont plus connus de per sonne. Tout se passe comme si l'histoire collective ne pouvait prendre sens que dans la contemporan?it? et ? travers le r?cit d'exp?riences personnelles. De ce
fait, ces chroniques n'ont pas vocation ? se d?ployer sur la longue dur?e, mais ?
v?hiculer une histoire qui vit et meurt avec les hommes qui la font.
Mais une telle analyse n'est pas suffisante pour comprendre le r?cit de
Nlani. Quelle est la situation de ce dernier lorsqu'il me raconte cette histoire ? C'est
un homme d'une cinquantaine d'ann?es, encore vigoureux, aux larges ?paules et
au torse massif. P?re de plusieurs enfants, dont deux filles qui vivent avec lui, et
grand-p?re de nombreux petits-enfants, il a la charge d'une importante famille.
Il a d? fuir r?cemment son village, o? il avait le statut de ?responsable du
territoire communautaire? (nl?r? kx??)23 ? cause de plusieurs lions qui r?daient
23 Le ? responsable du territoire communautaire ?
est un a?n?, homme ou femme, dont la famille est
install?e depuis le plus longtemps sur un territoire
o? vit une communaut? villageoise. Ce territoire
est cens? poss?der les ressources naturelles
n?cessaires ? la survie de cette communaut?. Si
aujourd'hui ce n'est plus le cas, l'acc?s ? l'eau, aux
plantes collect?es et aux animaux chass?s reste
toutefois r?serv? aux membres de cette commu
naut?, sur lesquels le responsable exerce une
autorit? ? la fois politique et morale (cf. Lee 1993 [1984]: 93-104).
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Dossier/Olivier 177
alentour et mena?aient gravement ses habitants. ? ||Xa|oba o? il a trouv? refuge avec sa famille et une partie de sa communaut?, il est en position de faiblesse.
La plupart des habitants le consid?rent comme un ?tranger, sans aucun droit, d'autant plus qu'il n'a aucun lien de parent? avec les familles de ce village. Sa
strat?gie d'int?gration passe par le chamanisme et, pour se distinguer des autres
chamanes, il ex?cute et enseigne des chants que lui seul conna?t24.
Mise en partage du chant
Cr?er un chant ne suffit pourtant pas ? un chamane pour que son pouvoir soit reconnu. Et c'est bien l? tout le probl?me de Nlani. Encore faut-il que le chant en
question acqui?re une l?gitimit?, en ?tant mis en partage ou plut?t ? l'?preuve de la communaut? lors d'un rituel collectif et en produisant l'effet escompt?. C'est
l'effet produit par le nouveau chant (qui doit permettre au chamane d'entrer en
transe, puis d'?tre efficace dans son action) plut?t que ses caract?ristiques intrin
s?ques, qui va en conditionner le succ?s, la diffusion et la durabilit? Autrement
24 Ces processus de cr?ation individuelle, de
circulation et d'oubli permettent d'expliquer l'im
portant morcellement de la musique jul'hoan qui
accuse des diff?rences notables pouvant aller
jusqu'? 30% des chants entre des villages dis tants de plusieurs dizaines de kilom?tres.
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178 Cahiers d'ethnomusicologie 22/2008
dit, l'important est moins ce que la cr?ation apporte en termes d'innovation sur le
plan musical que ce qu'elle apporte en termes de renouvellement de l'effet. De
fait, les chants chamaniques se ressemblent beaucoup et il n'est pas rare que les
musiciens glissent imperceptiblement de l'un ? l'autre25.
Si le chamane a une action efficace gr?ce ? l'ex?cution de son nouveau
chant, celui-ci sera consid?r? comme puissant et adopt? de facto par la com
munaut?, voire m?me export?. Dans le cas contraire, le chant peut conna?tre
plusieurs sorts: il sera rel?gu? aux rituels th?rapeutiques qui se d?roulent dans le cadre de la famille (de l'espace commun, il passera ? l'espace particulier); il
pourra trouver sa place au sein d'un rituel collectif, sans pour autant permettre au chamane d'entrer en transe et d' uvrer; dans un cadre de divertissement, il
pourra continuer ? ?tre chant? ou bien il sera transpos? aux instruments m?lo
diques; ou enfin, il sera simplement oubli? (ce qui est le cas d'un grand nombre de nouveaux chants).
Pour l'heure26, le chant de Nlani n'est pas devenu v?ritablement popu laire: dans le village o? il habite, les membres de sa famille l'ex?cutent comme divertissement ou pour des rituels chamaniques restreints. Nlani l'entonne parfois lors d'un rituel qui rassemble la communaut?, mais pas comme chant d?cisif au
moment d'entrer en transe ou de gu?rir car sa voix, dit-il, n'est pas suffisamment
soutenue par celles des autres participants qui connaissent mal son chant.
Car le chamane n'exerce pas seul son pouvoir. C'est uniquement avec
le concours d'un ch ur polyphonique qu'il pourra uvrer, un concours que les
chanteurs et les chanteuses peuvent accepter ou refuser de lui donner. Tout se
joue alors, dans et par la musique, entre le ch ur et le chamane, mais aussi
au sein m?me du ch ur entre les diff?rents protagonistes. Si les participants connaissent mal le chant, si leur performance est mauvaise27, le chamane sera
incapable d'entrer en transe. Pire, son ?me pourra ne pas r?int?grer son corps ?
l'issue du voyage chamanique, ce qui signifie sa mort. Le chamane n'est donc pas le seul ? exercer son pouvoir (de vie et de mort) sur les individus: les chanteurs exercent eux aussi, par la qualit? de leur performance musicale, un pouvoir sur le
chamane et sur sa musique. Pour agir et ?tre efficace, le chamane a besoin de
la coop?ration de chacun, ce qui manque pour l'instant ? Nlani. On ne sait si son chant survivra longtemps, s'il sera finalement accept? par les habitants du village o? il vit, qui le transmettront ? leur tour dans d'autres villages, ou bien s'il dispa ra?tra rapidement.
25 Ce qui est aussi une technique de composition. 26 En 2001, lors de ma derni?re enqu?te de ter
rain chez les Jul'hoan. 27 Une performance qui doit soutenir le cha
mane dans son entr?e en transe est jug?e mau
vaise lorsque les voix sont d?s?quilibr?es dans un
seul registre au lieu de se d?ployer dans les trois
registres constitutifs, le tempo ralentit l? o? l'ac
c?l?ration est n?cessaire ? l'entr?e en transe du
chamane, les battements de main sont trop mous
ou trop intenses, le volume des voix est trop faible
ou trop fort, les chants sont entrecoup?s d'arr?ts
au lieu d'?tre encha?n?s.
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Dossier/Olivier 179
Diffusion du chant et du pouvoir chamanique
Lorsqu'un nouveau chant permet ? l'action du chamane d'?tre efficace, il est
adopt? dans la communaut? de son d?tenteur, qui va l'ex?cuter pour entrer en
transe ou lorsque son ?me voyage dans le monde des morts. L'?tape suivante
consiste ? ex?cuter le nouveau chant lorsque des individus appartenant ? plu sieurs communaut?s se retrouvent, la plupart du temps ? Tsumkwe, chef-lieu de
r?gion o? les Jul'hoan s?journent souvent pour rendre visite ? un proche, acheter de la nourriture dans les magasins ou se faire soigner au dispensaire. Les rituels
chamaniques qui rassemblent un plus grand nombre de personnes sont l'occasion
de tester et d'?changer de nouveaux chants, ce qui a pour effet d'?largir leur cercle
de diffusion. Les visites ponctuelles aux alli?s et aux partenaires d'?change ritua
lis? (x?r?) sont ?galement l'occasion d'ex?cuter et d'?changer de nouveaux chants.
Dans ce cas, le chant est diffus? le long d'une cha?ne d'individus li?s par des rela tions sociales, laquelle peut s'?tendre sur plus d'une centaine de kilom?tres28.
Plus un chant produit de l'effet, plus sa diffusion est large car les chan teurs le transmettront ? leurs proches dans d'autres villages, qui le communi
queront eux-m?mes ? d'autres personnes. Plus large est la diffusion d'un chant,
plus longue est aussi sa dur?e de vie. Il s'agit l? d'un mouvement incessant d'ex
pansion, d'?parpillement, de r?traction et finalement de disparition, mais dans un
processus conduisant toujours ? la cr?ation de nouveaux chants.
Le chant sera transmis avec le r?cit de sa gen?se, ce qui assoira d'autant
le pouvoir du chamane compositeur. En d'autres termes, plus un chant produit de
l'effet, plus il permet au chamane d'affirmer, voir d'accro?tre son pouvoir chama
nique. Un chamane peut ainsi prendre une certaine envergure en uvrant hors
de chez lui et quand il r?sout des cas difficiles. Plus vaste est l'aire de diffusion
d'un nouveau chant, plus le pouvoir du chamane est connu et reconnu, de sorte
que seule une minorit? d'entre eux est distingu?e par l'ensemble des Jul'hoan, tout comme seule une minorit? de chants est connue de l'ensemble des Jul'hoan.
Au del? de son pouvoir rituel, le chamane acquiert ainsi du pouvoir ?co
nomique et politique. Ainsi, un tel chamane est-il qualifi? de H'?ih?, c'est-?-dire
de ?riche?, car il est d'usage que les personnes gu?ries le remercient par des
cadeaux ou par de l'argent. Avant que les Sud-Africains ne s'installent dans la
r?gion au d?but des ann?es 1960 et cr?ent infrastructures et magasins, les Jul'hoan ?changeaient des biens avec les populations voisines. Les riches cha
manes mandataient des interm?diaires qui se d?pla?aient et commer?aient en leur nom pour acqu?rir des biens introuvables dans la r?gion (m?tal, tabac,
28 C'est ainsi que certains chants sont connus
de l'aire de Nyae Nyae en Namibie o? vivent les
Jul'hoan ? la r?gion de Ghanzi au Botswana, situ?e quelques cent cinquante kilom?tres plus
au sud, o? vivent les Naro, une autre population dite bushman, avec qui les Jul'hoan entretiennent
des relations anciennes d'alliance et d'?change ritualis? (Wiessner 1977, 1982).
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c?r?ales, poteries, perles de verre, etc.). Aujourd'hui, ils poss?dent chevaux, b?tail
et bijoux, mais leur pouvoir ?conomique ne se distingue plus vraiment de celui, par exemple, des Jul'hoan fonctionnaires de l'?tat namibien. Par ailleurs, sans exercer une v?ritable autorit? sur les membres de leur communaut?, ? l'instar du
?responsable du territoire communautaire?, ces chamanes compositeurs sont
tr?s respect?s: on vient leur demander conseil, leur parole p?se lors des prises de d?cisions collectives. Aujourd'hui, nombre d'entre eux cumulent les fonctions
de chamane et de responsable politique ? un niveau r?gional au sein du conseil communautaire de la Conservancy. Certains chamanes ont ?galement des res
ponsabilit?s politiques au niveau national, ? l'Assembl?e des chefs traditionnels (Council for Traditional Leaders)29 et au Parlement (comme d?put?s), et interna tional, comme repr?sentants des ?peuples premiers? dans diff?rentes instances
internationales (ONU notamment)30. D'autres travaillent au sein d'ONGs telles
que la Nyae Nyae Development Foundation et le Working Group for Indigenous Minorities of Southern Africa (WIMSA)31.
Mort annonc?e, oubli et renouvellement des chants
Si les Jul'hoan cr?ent, transmettent et font circuler les chants, ils ne visent pas l'accumulation. Les chants ont une dur?e de vie limit?e, ce dont t?moignent leurs
r?cits de cr?ation. Leur puissance s'?rode inexorablement au fur et ? mesure de
leur utilisation, entra?nant leur disparition apr?s quelques g?n?rations et leur rem
placement par de nouvelles compositions. De la m?me mani?re, et malgr? leur
singularit?, les chamanes se voient peu ? peu supplant?s par d'autres chamanes
faisant preuve de qualit?s comparables, comme si la puissance surnaturelle dont
ils tirent leur pouvoir devait ?tre r?activ?e en permanence par l'action de nou
veaux individus cr?ant des chants in?dits.
Les chants n/om tzisi que j'ai enregistr?s entre 1993 et 2001 sont au nombre de 84, r?partis en 39 r?pertoires identifi?s chacun par le nom d'un animal chass?, d'un aliment, d'un oiseau, d'un insecte, d'une plante, d'une maladie ou
d'une situation (Olivier 2005: 175-176). Pourtant, un seul d'entre eux renvoie, par m?tonymie, ? leur totalit?. Il s'agit aujourd'hui du r?pertoire ?Girafe? (?oah iz/s/), dont les chants sont consid?r?s comme poss?dant la puissance surnaturelle la
plus forte et susceptibles de permettre au chamane d'agir au moyen de la transe.
29 Le Council for Traditional Leaders a ?t? ?tabli en 1997 (article 102/5 de la constitution nami bienne). En 2000, le Traditional Authorities Act 25 pr?voit l'?lection des autorit?s traditionnelles et
r?gle leurs fonctions, devoirs et pouvoirs.
30 Plus pr?cis?ment au sein du United Nations
Working Group on Indigenous Populations. 31 ONG qui s'occupe des droits de l'ensemble des populations dites bushmen (ou san) d'Afrique australe (http ://www.san.org.za).
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Dossier/Olivier 181
Toutefois, les Juphoan rappellent que ce sont les chants ?Herbe? (//'?/s/ tzis?) qui sont les plus anciens, lesquels auraient ?t? remplac?s par les chants ?Oryx? (gl?'? ?z/s/), eux-m?mes r?trograd?s plus tard au profit des chants ??land? (ni?ng fz/s/), avant que les chants ?Girafe? n'acqui?rent aujourd'hui la pr??minence32. Ces changements ne sont pas dat?s et ne font l'objet d'aucun r?cit d'origine, ?
l'exception du premier chant ?Girafe? qui, pr?cisent les Jul'hoan, aurait ?t? cr??
par une femme chamane nomm?e Beh, d?c?d?e au d?but des ann?es 1990, ce
qui est une r?f?rence relativement r?cente33.
Selon les Jul'hoan, la mise en place d'un nouvel animal embl?matique intervient ? deux occasions qui, si elles s'opposent formellement, aboutissent au
m?me r?sultat: le trop-plein de puissance ou, ? l'inverse, sa diminution, deux pro cessus emp?chant le chamane d' uvrer efficacement. On raconte ainsi que la
puissance de l'Herbe s'att?nua tellement que les chamanes ne pouvaient plus agir. Ils la remplac?rent par celle de l'Oryx, laquelle ?tait si importante qu'elle se r?v?la dangereuse aussi bien pour le chamane qui la manipulait que pour ses
cong?n?res qui la recevaient. Les Jul'hoan eurent alors recours ? l'?land, jusqu'? ce que sa puissance d?croisse et que la chamane Beh y substitue la Girafe, dont le chant r?v?la la force et l'efficacit?.
Le cycle d?croissant de puissance s'applique aussi bien aux r?pertoires embl?matiques, Oryx compris, qu'aux autres. Le premier chant d'un r?pertoire est
dit ?le plus puissant? car il est cens? provenir directement de l'animal dont il porte le nom, tandis que la puissance des suivants s'amoindrit par l'absence de lien
direct avec le premier. Ces chants ult?rieurs ne constituent que des versions suc
cessives d'un premier chant, chacun d'entre eux ?tant la version nouvelle de celui
qui le pr?c?de, et non du chant originel. La cr?ation de ces chants permet cepen dant de r?activer la puissance de l'animal, qui s'affaiblit inexorablement avec le
temps jusqu'? ne plus avoir d'effet suffisant sur le chamane. Un chant portant le nom d'un nouvel animal appara?t alors, muni d'une puissance qui d?passe celle de
tous les autres, r?ordonnant imm?diatement l'ensemble des njom tzisi autour de
lui. Ce chant in?dit, et c'est l? sa fonction principale, d?finit un nouveau cycle de
puissance qui, ? son tour, d?clinera. Renouveler la musique para?t donc indispen sable ? la p?rennit? du pouvoir chamanique et ? la bonne sant? de la communaut?.
D'un point de vue temporel, tout changement d'animal embl?matique marque une rupture. Mais l'utilisation d'un nouvel animal n'?limine pas pour autant les plus anciens; ceux-ci se voient simplement rel?gu?s au second plan des rituels et les chamanes y recourent de fa?on moins privil?gi?e, voire plus du
32 On remarque qu'? l'exception des chants
Herbe, tous les autres n/om tzfsi prennent le nom
d'animaux chass?s (oryx, ?land, girafe): ce pas
sage des repr?sentations v?g?tales aux repr? sentations animales n'est pas encore ?lucid?; on
peut seulement sugg?rer qu'il marque une muta
tion importante dans le syst?me de repr?senta tions jul'hoan. 33 H existe diff?rentes versions de cet ?v?nement
(Olivier 2005: 197).
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tout, pour entrer en transe, m?me si certains leur restent fid?les. Il y a l? l'expres sion d'un choix de la part des chamanes, mais aussi la croyance partag?e que la
puissance cro?t de la conjonction de plusieurs animaux.
Cette rupture marqu?e par la cr?ation d'un nouveau chant, sans jamais faire basculer les Jul'hoan dans ce que Paul Ricoeur appelle une nouvelle ?perti nence s?mantique? (1983: 9), permet surtout de renouveler la puissance surna
turelle manipul?e par les chamanes. Tout se passe comme si, pour rester p?renne, la puissance chamanique devait ?tre incarn?e par des animaux et des chants qui
changent et marquent une ?poque. La succession des animaux embl?matiques
peut ainsi ?tre envisag?e comme un processus de construction du temps mis
en actes, une chronologie fond?e sur des entit?s ? la fois naturelles et surnatu
relles. Certes, ? l'exception de la r?cente Girafe, l'usage de ces animaux n'est pas
datable, sinon de fa?on empirique, les uns par rapport aux autres. Ils n'en consti
tuent pas moins des rep?res essentiels inscrits dans le ?temps long? (Braudel 1949) des Jul'hoan, l'apparition des premiers chants n/om tzisi ?tant cens?e suivre de pr?s celle de la soci?t?. Et dans cette histoire dynamique, d'autres chants sont cr??s et disparaissent au bout de quelques g?n?rations, d?terminant une autre
temporalit?, plus courte, qui correspond ? la m?moire des hommes. Chacun de ces chants porte l'empreinte d'un chamane, d'une exp?rience de vie singuli?re qui nourrit l'histoire collective jul'hoan. La cr?ation musicale peut ?tre ainsi comprise comme un moment particulier o? se croisent historicit? et contemporan?it?.
Soci?t? de consumation34, les Jul'hoan usent des chants jusqu'? ?puiser leur pouvoir. De nouveaux chants doivent donc sans cesse ?tre cr??s pour le
renouveler. Aux antipodes d'une entreprise de patrimonialisation qui viserait ?
l'accumulation des biens musicaux et ? la fixation du temps, les Jul'hoan sem
blent avoir opt? pour les processus de cr?ation, de transmission et de circulation
de la musique. La dur?e de vie35 des chants ?tant n?cessairement ?ph?m?re, ce que les Jul'hoan s'approprient, ce dont ils usent, abusent et font fructifier est
une exp?rience de la cr?ation individuelle et collective. De fait, chants, r?cits et individus ne prennent v?ritablement sens que parce qu'ils sont contemporains.
On comprend alors les m?canismes de cette logique de l'oubli ?labor?e par les
Jul'hoan, la mise en r?cit et la performance musicale permettant en quelque sorte de prolonger l'existence du cr?ateur, jusqu'? ce qu'il soit r?ellement mort et oubli?, lorsque plus personne ne peut en porter un t?moignage direct.
34 La notion de consumation est emprunt?e ?
George Bataille (1949). 35 Hanna Arendt parle quant ? elle de ?dura
bilt??, de ?capacit? ? durer?, crit?re lui permettant
de d?finir les productions qui rel?vent d'une uvre par opposition ? celles qui rel?vent du tra
vail (Arendt 1961 [1983]: 187-188).
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Dossier/Olivier 183
L'av?nement d'un nouveau cycle de chants ?
Depuis l'ind?pendance de la Namibie, le chamanisme semble constituer une
r?ponse contemporaine ? une situation politique et ?conomique difficile36 o? il
s'agit pour les Jul'hoan d'apaiser des conflits intra- et inter-communautaires, de
r?soudre des probl?mes de sant? (tuberculose, sida) et de soci?t? (alcoolisme, violence)37. Ces derniers ?prouvent tout particuli?rement le besoin de renouveler leur pouvoir chamanique, non seulement par la cr?ation de nombreux chants in?
dits38, mais aussi par l'appropriation et l'int?gration de chants venant de l'ext?rieur, en l'occurrence les chants ?El?phant? (!x? tz?s?) originaires desIXuu.
Si les relations ?conomiques et matrimoniales avec les IXuu ?tablis au nord et ? l'ouest de Nyae Nyae sont anciennes, jusqu'aux ann?es 1970 elles concer
naient essentiellement les communaut?s jul'hoan voisines39. En recrutant des
hommes de diverses populations bushmen comme pisteurs40, et en les logeant ensemble au sein de petites villes de garnison dans le Bushmanland, l'arm?e sud
africaine facilite, et m?me acc?l?re, les ?changes entre Jul'hoan et IXuu. De fait, les soldats organisent souvent des rituels chamaniques communs, auxquels par
ticipe l'ensemble des habitants des petites villes de garnison. Ainsi, les Jul'hoan, tout particuli?rement les femmes qui accompagnent le chamane en chantant,
int?grent-ils rapidement un nombre important de chants ?El?phant?. Les Jul'hoan du nord de Nyae Nyae ont ?t? plus militaris?s que ceux du
Sud, ce qui ressort aujourd'hui ? travers leur pratique des chants ?El?phant?. Au
village de ||Xa|oba, situ? ? quelque vingt-cinq kilom?tres au nord de Tsumkwe
(le centre administratif mais aussi g?ographique de Nyae Nyae), l'un des trois chamanes puise sa puissance de l'?l?phant dont il conna?t vingt-quatre chants, tandis que, quatre-vingt kilom?tres plus au sud, au village de ||Auru, les habitants
d?couvrent, et appr?cient d?j?, les chants ?El?phant?41. Ces chants sont int?ressants ? plusieurs titres: tout d'abord parce qu'ils
?mergent ? un moment tr?s particulier de l'histoire namibienne et qu'ils permettent
36 Principalement du fait de la marginalisation
et de la stigmatisation sociales, de l'extr?me pau vret? et du manque d'?ducation et de repr?senta tion politique (cf. Suzman 2001). 37 Cf. Katz, Biesele, Saint Denis 1997. Le chama
nisme n'est bien ?videmment pas la seule r?ponse. Des mouvements de politisation des Jul'hoan et la mise en place de structures ?ducatives pour les
enfants et les adultes en sont d'autres. 38 Ainsi, de 1993 ? 2001, j'ai pu recueillir les dix nouveaux chants suivants: ?La mort me prend en chasse? (!?f k? guni m?), ?Mourir et pleurer? (!?? gl?'?.'u? tzi), ?Epuis?? (n?amm tzi) et ?Malade? (|k?? tzi) compos?s par Nlani; ?Nouvel Oryx? (g !?'? tz?m? tzi) compos? par Nlaice;
? Conservancy
? compos? par N|hakxa; deux
?Jeune Folie? (d? tz?m? tz?) l'un compos? par |Ui delAo^a, l'autre par |Ui de Maxamis; ?Malaria?
(?aih tzi), compos? par G|aq'o; ?La mort? (l??tz?) compos? par |Ui n l?'?n. 39 Ces relations sont facilit?es dans la mesure
o? Jul'hoan etIXuu parlent deux dialectes d'une m?me langue (G?delmann et Vossen 2000). 40 Avec l'id?e que les Bushmen, r?put?s comme ?tant d'excellents chasseurs et pisteurs de gibier, le seraient ?galement dans un contexte de guerre.
41 Plusieurs personnes m'ont demand? une
copie sur cassette des chants que j'avais enregis tr?s, pour pouvoir les apprendre plus rapidement.
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d'en conserver, pour un temps, la trace; ensuite parce qu'ils permettent de com
prendre, en temps r?el, les processus d'appropriation puis de circulation d'un
r?pertoire d'une vingtaine de pi?ces; enfin parce que la grammaire et l'esth?tique de ces chants, sensiblement diff?rentes de celles des chants ?Girafe?, signifie l'adoption de nouvelles normes musicales.
Les chants ?El?phant? sont ?galement appel?s ?Tambour? (gl?r? tz?s?) car le ch ur polyphonique est accompagn? d'un gros tambour ? membrane pos? au sol, jou? par un homme ou une femme battant de leurs mains une figure ryth
mique sp?cifique. Cet instrument est absent des chants ?Girafe?, dont le sou
bassement rythmique est uniquement assur? par les pas des danseurs et les battements de mains f?minins. Les chants ?El?phant? sont ex?cut?s dans un
tempo plus rapide que ceux ?Girafe?, par des voix situ?es dans deux registres au lieu de trois pour ?Girafe?. En outre, la danse est individuelle et non pas en
cercle, les hommes sur place faisant trembler leur bassin sans effectuer aucun
pas. Leurs jambes ne sont pas entour?es de sonnailles, mais une peau d'antilope sur laquelle sont attach?s des bruiteurs (capsules de bouteille et balles de fusil) est nou?e autour de leur taille.
? la mode chez les jeunes gens qui en appr?cient la nouveaut?, syno nyme de modernit?, les chants ?El?phant? sont ?galement populaires parmi les femmes qui s'exercent ? la transe chamanique en les ex?cutant. Rel?gu?es ? la
marge des responsabilit?s politiques et du pouvoir ?conomique, ces derni?res ne trouvent-elles pas l? un moyen de prendre place dans la soci?t? jul'hoan actuelle, voire un moyen d'?mancipation ?
Pour l'heure, les chants ?El?phant? n'ont pas remplac? les chants ?Girafe?, mais ils en constituent une alternative efficace. Les chamanes agissent en com
pl?mentarit? les uns vis-?-vis des autres, mais pour combien de temps ? Le cycle de la girafe est-il en train de s'achever au profit de celui de l'?l?phant?
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Cambridge University Press et Editions de la Maison des Sciences de l'Homme: 61-84.
r?sum?. Chez les Jul'hoan de Namibie, population dont on a longtemps
pens? qu'elle ?tait rest?e au ban de l'histoire, fig?e dans une ?ternelle gen?se, la musique est sans cesse renouvel?e tandis que ce renouvellement proc?de d'une logique de l'oubli. Il est en effet frappant de constater que les chants, plus
particuli?rement les chants chamaniques, apparaissent et disparaissent, dans
un mouvement incessant d'?change, d'int?gration, de cr?ation, de transforma
tion, de transmission, de circulation puis d'oubli. Suivant le parcours d'un chant
r?cemment compos?, cet article questionne les notions de m?moire et d'oubli,
particuli?rement d?terminantes dans un contexte d'oralit?, en se demandant com
ment elles permettent de configurer le temps, de le renouveler, de l'actualiser. Il
s'agit ?galement d'envisager la musique comme moment d'une histoire en cours,
l'enjeu ?tant de montrer en quoi la musique participe de l'histoire d'une popula tion au m?me titre que d'autres productions mat?rielles ou immat?rielles, c'est
?-dire comment elle permet de r?v?ler des situations, des conjonctures ou des
moments particuliers d'une histoire.
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