Mémoires de La mémoire Anarchiste Espagnole

8/14/2019 Mmoires de La mmoire Anarchiste Espagnole

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Les mmoires de la mmoire anarchiste espagnole

Publi dans :

Mmoire et culture dans le monde luso-hispanophone, Nicole Fourtan et Michle Guiraud (dir.),Nancy, Presses universitaires de Nancy (col. Le monde luso-hispanophone), vol. 1, 2008, p. 89-99

Jol DelhomUniversit de Bretagne-Sud

ADICORE

Nada fue en vano; se nos encerraba por miedo, se nos asesinaba por miedo, ypor ese propio miedo se pretende ignorarnos hoy. Nuestra historia semistifica, se nos calumnia, se nos niega la sal y el agua, por qu? Te hasparado a pensar el por qu? Cmo se puede tener miedo a los muertos?Solamente se tiene miedo a los muertos cuando los muertos siguen vivos ysus ideas, aunque parezca que han sido borradas, siguen persistentemente,como el viejo topo, cavando y cavando en el subsuelo de la historia... [...]Mientras alentemos, nuestra misin es la de remover el tiempo para impedirque el tiempo muerto entierre al tiempo vivo del espritu y de la idea.

Abel PAZ1

Le devoir de conscience , dont parle lcrivain libertaire Abel Paz dans le prologue lun desvolumes de ses mmoires, est aujourdhui assez largement partag en Espagne. Les gnrations quinont pas vcu la guerre et le franquisme lont repris leur compte et pouss ses derniresconsquences lexhumation et lidentification des squelettes des victimes de la rpression, assortiesde la recherche des responsabilits , souvent contre la volont de leurs ans encore soumis la peurintriorise durant des dcennies. Ce mouvement populaire dit de rcupration de la mmoirehistorique , qui semble atteindre actuellement son apoge, a t prcd et accompagn dunphnomne ditorial qui la sans doute favoris et auquel les chercheurs nont pas encore prtlattention quil mrite. Il sagit de la publication dun nombre important de mmoires et tmoignagesde militants anarchistes en exil ou rcemment rentrs dans leur pays. Aprs avoir prsent lampleurde ce phnomne et en avoir prcis quelques caractristiques, nous tenterons de cerner lambition desauteurs. Sagit-il dune manifestation du narcissisme caractristique de la fin du sicle dernier ou bienfaut-il y voir une signification dune autre nature ?

Un phnomne dune ampleur insouponne

Depuis ses origines, le mouvement anarchiste et anarcho-syndicaliste espagnol a dvelopp unetradition dcriture de son histoire sous la forme de rcits synthtiques, de tmoignages sur desvnements particuliers ou encore de mmoires. Leur diffusion a rarement atteint un large public et estreste confine au cercle idologique, voire aux amis de lauteur. Dans les annes soixante-dix,quelques ouvrages ont eu le privilge de collections historiques ou autobiographiques dditeursdenvergure nationale (Gregorio del Toro, Ariel, Planeta, Bruguera et Crtica), mais il ny eut pas decontinuit, hormis la publication en 1987 des mmoires de Federica Montseny chez Plaza y Jans 2.

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Al pie del muro (1942-1954), Barcelona, Tot Editorial, 2 ed. 2000 (1 ed. 1991), pp. 9-10.2 Dans lordre chronologique : Eduardo de GUZMN, La muerte de la esperanza, Madrid, G. del Toro, 1973, 397 p. ; Eduardo deGUZMN,El ao de la victoria, Madrid, G. del Toro, 1974, 376 p. ; Eduardo PONS PRADES, Un soldado de la Repblica (itinerarioibrico de un joven revolucionario), [prl. de Montserrat Roig], Madrid, G. del Toro (Memorias de la Guerra civil), 1974, 357 p. ; Alberto


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Plus rcemment, des collectivits territoriales animes dune ambition de sauvegarde de lhistoirelocale ont aussi dit des souvenirs denfants du pays3. Toutefois, limmense majorit des publicationsla t compte dauteur ou bien est passe par des diteurs proches du milieu libertaire, souvent detype associatif. Par consquent, elle ne rpond pas de vritables stratgies commerciales et lesexplications du phnomne sont chercher ailleurs que dans les logiques ditoriales de loffre et de lademande.

Au XXe sicle, au moins cent-soixante-dix livres ont paru et de nombreux mmoires indits sontaussi rests dans les tiroirs. Cest loin dtre ngligeable dans le domaine de lautobiographiepopulaire des pays du sud de lEurope et cest unique dans lhistoire de lanarchisme. Cela confirme larelation troite entre conscience idologique et criture, mais souligne galement la spcificit du casespagnol. On pense immdiatement quun des facteurs dterminants peut tre le grand nombre demilitants engags dans le processus rvolutionnaire ou encore le traumatisme de lexil massif. Sansngliger ces aspects quantitatif et qualitatif, dautres lments plaident pour une approche de typecontextuel, en relation avec le moment de lcriture.

Lobservation chronologique des parutions montre quelles connaissent une premire phase decroissance durant la Seconde Rpublique, un pic la fin de lre franquiste et un nouvel essor au cours

de la dcennie 1990, ce qui suggre un rapport troit avec les contextes politique et culturel. Alors quede 1900 1930 nous navons relev quune dizaine de titres, on en dnombre une trentaine de 1931 1939, presque toujours publis Barcelone. Cette croissance accompagne manifestement lespoirrvolutionnaire, qui lgitime le rappel des expriences vcues. Aprs une poque de rpressiondstructurante, la diffusion dune mmoire collective permet dasseoir lidentit de la Confdrationnationale du travail (CNT) dans une phase de massification.

En revanche, les trois dcennies suivantes forment une priode dtiage avec une vingtaine deparutions au total de 1940 1969, majoritairement dites en France ou au Mexique. Aux effetspsychologiques rsultant de la dfaite, il convient dajouter labsence de perspective de changementdans la Pninsule et limpossibilit dy tre entendu. Le foss se creuse entre un exil occup par sespropres querelles et le mouvement social de lintrieur. Seule lagonie du franquisme vient librer laparole individuelle.

On observe alors une envole sans prcdent : plus dune dizaine de publications de 1970 1975 et plus dune vingtaine de 1976 1979. Plus des deux tiers des titres paraissent en Espagne,surtout Barcelone. La transition autorise nouveau lespoir pour le mouvement libertaire dereconqurir une influence sociale. La lgitimit perdue sur le terrain syndical et politique doit trecompense dans lordre symbolique de la tradition historique. Les rcits de vie des exils essaient derestituer aux Espagnols rests au pays, ainsi quaux nouvelles gnrations, un pan de leur histoirecommune et visent ainsi renouer des liens distendus ou rompus. De part et dautre, mfiance etsentiment dabandon se sont empars des esprits.

Tout en restant importante, la production flchit lgrement une petite trentaine douvragesdurant les annes quatre-vingts, avant datteindre son apoge entre 1990 et 1999 avec une quarantaine

PREZ BAR, Treinta meses de colectivismo en Catalua, Barcelona, Ariel, 1974, 244 p. ; Jacinto TORYHO, No ramos tan malos,Madrid, G. del Toro (Memorias de la Guerra civil), 1975, 340 p. ; Diego ABAD DE SANTILLN, Por qu perdimos la guerra. Unacontribucin a la historia de la tragedia espaola, Madrid, G. del Toro (Memorias de la guerra civil), 1975, 360 p. ; Gregorio GALLEGO,Madrid, corazn que se desangra, Madrid, G. del Toro (Memorias de la Guerra civil), 1976, 356 p. ; Eduardo de GUZMN, Nosotros losasesinos, Madrid, G. del Toro (Memorias de la Guerra civil), 1976, 431 p. ; Adolfo BUESO, Recuerdos de un cenetista, Barcelona, Ariel(Horas de Espaa), 2 vol., 1976, 350 p., 1978, 358 p. ; Diego ABAD DE SANTILLN, Memorias, 1897-1936, Barcelona, Planeta (Espejode Espaa ; Serie biografas y memorias ; 39), 1977, 280 p. ; Cipriano DAMIANO GONZLEZ, La resistencia libertaria (1939-1970). Lalucha anarcosindicalista bajo el franquismo, con la colaboracin de Carlos Enrique Bayo Falcn, Barcelona, Bruguera (Mosaico de laHistoria ; 11. La era franquista), 1978, 378 p. ; Antonio ROSADO, Tierra y libertad. Memorias de un campesino anarcosindicalista andaluz,prl. de Antonio-Miguel Bernal, Barcelona, Crtica (Temas Hispnicos ; 46), 1979, 261 p. ; Federica MONTSENY, Mis primeros cuarentaaos, [prl. de Antonina Rodrigo], Esplugues de Llobregat, Plaza y Jans (Biografas y memorias), 1987, 262 p.3 Jos GARCA SNCHEZ,Estampas de nuestra guerra. Recuerdos y vivencias. Cerdanyola 1936-1939 , [prl. de Ramn Sents Biarnau],Cerdanyola, Ajuntament de Cerdanyola del Valls (Testimonis ; 1), 1991, 116 p. ; Juan CABA GUIJARRO, Memorias y vivencias de un

campesino anarquista. El colectivismo en Membrilla y Manzanares durante la Guerra Civil, [prl. de Agustn Muoz Sumozas], [CiudadReal], Diputacin Provincial, 1999, 487 p. ; Pedro FLORES,Memries de Pedro Flores. A la recerca de lideal anarquista, edici a cura deJaume Serra i Carn, Manresa, Centre dEstudis del BagesGeneralitat de CatalunyaArxiu Histric Comarcal de Manresa (Memria ; 8),2003, 378 p.


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lauteur a ctoyes et donner au livre une tournure biographique ; certains noncent mme uneambition historique10.

Dans un travail prcdent fond sur lanalyse de douze textes autobiographiques de militants,nous avons montr une tendance privilgier la dimension collective, celle-ci confrant la lgitimitncessaire lexpression du singulier11. Laffectivit, la vie prive, lintimit sont amplement

refoules au profit du rcit historique dordre gnral, y compris dvnements qui nont pas t vcusdirectement par lauteur. Il est paradoxal de constater que lhistoire cesse dtre lenvironnement danslequel volue le personnage pour accder au statut de thme sinon de protagoniste principal. Cestflagrant dans les mmoires dEnrique Martn, dont la premire moiti, pauvre en expriencespersonnelles, retrace les pisodes nationaux des annes 1931-1934 et sapparente un essai12. Lesdisproportions dans le rcit apparaissent aussi dans le traitement comparatif de certains sujets. Parexemple, Fernando Mir consacre une ligne la mort de son pre et vingt-neuf celle du clbreanarchiste Durruti. Alors quil ne dit rien de ses propres conditions de travail, il voque dans un longparagraphe des aspects socio-professionnels du franquisme13. Ses chapitres deux et trois sintressent lhistoire sociale et politique depuis le milieu du XIXe sicle jusqu 1923, avec une focalisation sur saville natale. Gnralement, lambition historique sapplique un champ restreint comme, dans le casde Jos Fortea, celui du bataillon dans lequel il a servi, ou dans celui dAlfons Martorell, lhistoire

locale dun point de vue populaire 14. Les auteurs prcisent quils ne sont ni des historiens ni descrivains professionnels, mais considrent plus ou moins explicitement quils sont les mieux placspour parler de certains vnements, les ayant eux-mmes vcus.

Les introductions, prfaces et autres pritextes mettent en exergue la valeur suppose collectivedes rcits de vie. [] sobre todo, lo que la obra de Borrs pone de manifiesto es la gran epopeyavivida por tantos miles de hombres y mujeres [] , peut-on lire sur la quatrime de couverture desmmoires de ce militant, ou encore dans un prologue : Federica Montseny, hablndonos de suscompaeros de lucha [...] nos da a conocer otras vidas, estrechamente imbricadas con la suya [...].Aqu estn, ella y sus compaeros, encarnando a miles de luchadores annimos [...] 15. Au milieu desannes soixante-dix, Juan Garca Oliver justifie son entreprise par limpratif de communiquer lavritable histoire de lanarcho-syndicalisme, celle de ses hommes. En raction contre lhistoire des

organisations, il prtend que le rcit individuel est porteur dun surcrot dauthenticit16

. Une dizainedannes plus tard, dans son introduction aux mmoires de Jos Peirats, Ignacio de Llorens ne dit pasautre chose, tout en soulevant la question de la reprsentativit de tels crits :

Para la comprensin de lo que supone el anarquismo hispnico, para la reconstruccin de unapoca, de unas mentalidades y actitudes ricas y complejas, para situarnos ante la cotidianidad de esteformidable movimiento de liberacin, una de las fuentes ms importantes son las memorias de susprotagonistas. [...]

Las memorias de este escritor y ladrillero, de este historiador y militante obrero tienen unaimportancia especial como exponentes de una poca, de una generacin de luchadores libertarios. [...][Peirats] Da la impresin de que se sita ante el lector con el nimo de ofrecerle una vida que, comodecamos, resulte exponente, ya que por su propia singularidad no puede ser representativa, delmovimiento en el cual hall sentido y a travs del cual se entiende.17

Divisin, Barcelona, Grficas Fernando, 1980 ; Jos MUOZ CONGOST, Por tierras de moros. El exilio espaol en el Magreb, Mstoles,Madre Tierra, 1989, 351 p. ;10 Manuel BUENACASA,El movimiento obrero espaol, 1886-1926. Historia y crtica, Figuras ejemplares que conoc, Barcelona, 1928.11 Lo ntimo en algunas memorias de anarquistas espaoles , communication prsente Alcal de Henares lors du VIII e CongrsdHistoire de la Culture crite (5-8 juillet 2005) ; les actes sont en cours de prparation.12 Enrique MARTN,Recuerdos de un militante de la CNT, [pref. de Sara Berenguer], Barcelona, Ed. Picazo, 1979, 159 p.13 Fernando MIR VERDIELL, Vida y vivencias de un sindicalista confederal , Barcelona, 2002, pp. 26 et 60.14 Jos FORTEA GRACIA, Mi paso por la Columna Durruti 26 Divisin (Primer Batalln de la 119 Brigada Mixta), Badalona, CentredEstudis Llibertaris Federica Montseny, 2005, p. 14 ; Alfons MARTORELL GAVALD, Memorias de un libertario. De la Repblica alexilio, [prl. de Manuel Belanche], Madrid, Fundacin de Estudios Libertarios Anselmo Lorenzo, 2003, p. 11.15 Respectivement : Jos BORRS, Del Radical-Socialismo al Socialismo Radical y Libertario. Memorias de un Libertario, Madrid,Fundacin Salvador Segu, 1998, 237 p. ; Antonina RODRIGO, Prlogo , in Federica MONTSENY,Mis primeros cuarenta aos, op. cit.,pp. 9-10.16

Juan GARCA OLIVER, El eco de los pasos. El anarcosindicalismo en la calle, en el Comit de Milicias, en el gobierno, en el exilio, Paris-Barcelone, Ruedo Ibrico, 1978, p. 10.17 Ignacio de LLORENS, Introduccin , Suplementos Anthropos. Revista de documentacin cientfica de la cultura, Barcelona, Antologastemticas n 18, enero de 1990, pp. 4-5.


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La nuance, premire vue quelque peu casuistique, entre lindice18 et la reprsentation mrite sansdoute rflexion, car cest l que se noue, pour le mmorialiste, la dcision dcrire. Celui-ci aconscience que la vie singulire des individus a t porte pour ne pas dire dtermine , par lesvents dune poque et quelle en recle une part de souffle. Quels que soient loriginalit du parcourset le degr dimplication militante de la personne, son destin parle de laventure collective qui luioctroie du sens. Inversement, ce sont les millions de vies individuelles qui expliquent la marche desvnements et, sans elles, lhistoire ne peut tre exhaustive et vraie. Or, les hros anonymes descombats quotidiens ou des grandes luttes nont pas droit de cit, comme le reconnat un grandditeur en 197919. Dune manire paradoxale, selon ce point de vue, lobjectivit de lhistoirecollective ne peut reposer que sur la subjectivit des histoires singulires. Cest, nous semble-t-il, lemessage que dlivre dans son incipit Ana Delso :

Estas memorias son una aportacin a la memoria colectiva del pueblo espaol. [...]He querido, con mis propias palabras, palabras sencillas, contar una revolucin, la ma, a la que,

como persona annima he contribuido, as como la historia de un puado de gente que un da quiso serlibre.20

Et aussi celui de lpilogue de Sara Berenguer : En principio la historia no la escribe quien la vive ysi bien en su entorno ocurren mil eventos que no ha conocido, cuando uno relata sus vivencias, son

slo un diminuto eslabn de esa larga y sangrienta historia de Espaa 21. Il sagit, sans doute, duneconfusion entre mmoire et histoire chez ceux qui, mpriss par la seconde, fondent tous leurs espoirsdans la premire22. La mmoire sert alors se rapproprier lhistoire. Conformment la philosophielibertaire, cette dmarche correspond aussi la prise en charge par la base de la production et de ladiffusion du savoir, dont les lites dtiennent le monopole. Llaboration dune contre-histoire faitpartie intgrante du projet beaucoup plus vaste de contre-culture anarchiste et en est la manifestation laplus tardive dans la vie militante. Sur le rabat de la couverture du livre dEnrique Martn, publi en1979, on lit une dclaration dintention allant dans ce sens :

La historia de nuestros ltimos cuarenta aos se nos ha venido escamoteando sistemtica eimplacablemente. Se nos ha querido privar de nuestra identidad y de nuestra memoria colectiva. [...]

Es necesario, pues, empezar a recuperar nuestra propia identidad y nuestra memoria colectiva.

Para ello es preciso que vayamos reconstruyendo, entre todos, ese inmenso mosaico que es la historia abase de ir juntando las infinitas piezas que lo componen.23

Les libertaires considrent que luvre franquiste doccultation a t poursuivie par lesprincipaux bnficiaires politiques de la dmocratisation. Ainsi ngel Urziz crit-il dans un prologueque les socialistes espagnols, inexistants dans lopposition interne au rgime militaire, ont tout faitpour dtruire la mmoire de la rsistance24. En 2005, Rafael Snchez pense mme quil seraimpossible de restaurer la mmoire historique parce quil ny a pas eu de processus institutionnel de jugement du franquisme25. Cela trahit une dfiance vis--vis de la mission des historiens. Outrelargument du dni dhistoire, celui, connexe, de la falsification est parfois avanc. Vicente Espn faitalors rfrence la responsabilit morale qui incombe aux tmoins de rtablir la vrit :Decidimos, en fin, recordar aquellos hechos y sus consecuencias, poniendo la verdad en el lugarque le corresponde y que diversos atrevidos pseudo-historiadores han tergiversado [...] 26. Dans ce

cas prcis, ce nest pas seulement lhistoire acadmique qui est mise en cause, mais le rcit historiqueproduit au sein mme du mouvement anarcho-syndicaliste. En effet, la concurrence des mmoiresrsulte aussi des luttes internes de clans et de courants. Cela se traduit assez souvent par des attaques

18 LeDiccionario de uso del espaol de Mara MOLINER dfinit ainsi le terme exponente : Se aplica a una cosa que sirve para poderjuzgar el grado de otra que se expresa: Se toma el analfabetismo como exponente del atraso de un pas. *ndice .19 Nota de los editores , in Antonio ROSADO, op. cit., p. [7].20 Ana DELSO, Trescientos hombres y yo. Estampa de una revolucin, pref. de Martha Ackelsberg, trad. del francs de Antonia RuizCabezas, Madrid, Fundacin de Estudios Libertarios Anselmo Lorenzo, 1998, p. [13].21 Sara BERENGUER,Entre el sol y la tormenta: treinta y dos meses de guerra, 1936-1939, Barcelona, Seuba Ediciones, 1988, p. 319.22 Ana DELSO sindigne face aux oublis de lhistoire officielle et justifie indirectement lcriture de mmoires, op. cit., p. 110.23 Enrique MARTN, op. cit. Manuel CRUELLS tient des propos comparables : Prleg , in Frederica MONTSENY, Cent dies de la vidaduna dona (1939-1940), Barcelona, Galba, 1977, pp. 7-13.24

ngel URZIZ, Prlogo , in Evasin del Penal de Ocaa, 1948. [Una pgina desconocida de la lucha del movimiento libertariocontra el franquismo], Madrid, Fundacin de Estudios Libertarios Anselmo Lorenzo, 1993, p. 15.25 Rafael SNCHEZ GARCA, Prlogo , in Jos FORTEA GRACIA, op. cit., p. 10.26Evasin del Penal de Ocaa, 1948, op. cit., p. 74.


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ad hominem27. Lexaltation de lidentit collective nexclut pas une attitude parfois trs critique sur ce

que furent la CNT, ses responsables et leurs choix stratgiques. Peut-tre mme quun sentiment detrahison de lesprit rvolutionnaire des premiers mois de la guerre contribue au dsir de prservationde la mmoire et de bilan. Ceci dit, il est encore plus frquent de lire des diatribes contre lescommunistes, perus par les anarchistes comme les principaux falsificateurs de lhistoire28.

Enfin, la confusion entre mmoire et histoire a t entretenue par le renouvellementmthodologique qui a conduit accorder davantage dintrt aux tmoignages de militants anonymes.On en trouve la trace ds 1976, bien que son rel essor soit postrieur de plus dune dcennie. Aprsavoir dress un bilan historiographique de la guerre civile trs ngatif, Antonio-Miguel Bernal crivait,dans le prologue ldition chez Crtica des mmoires dAntonio Rosado, quil convenait dereconsidrer totalement la priode partir de nouvelles sources, parmi lesquelles les tmoignages dessans grade :

[...] son ellos, esos hombres, los que actuando colectivamente en pos de unos ideales, de unosintereses, los que detentan las claves ms elementales de un inicial conocimiento histrico. De aqu laimportancia capital para nuestro afn de conocer y de nuestro inters de historiador cuando nosencontramos que uno de esos innominados protagonistas y vctimas nos tiene algo que decir: sinnimos de protagonismos porque pasaron desapercibidos, sin pretensiones de justificacin porque nunca

participaron del poder al que estuvieron sometidos, y sin esperanza de contabilizar mercedes futurasporque estn literalmente acabados.29

Ces propos autoriss ne pouvaient que stimuler et valoriser la prtention dire lhistoire collective parla voix individuelle, dont tmoignent les frquentes fusions du singulier et du pluriel dans les textescomme dans les titres30. Avec moins dingnuit mais tout autant de conviction, lditeur desmmoires dIsmael Roig revendique toujours, vingt ans plus tard, une histoire moins politise, quiserait le fruit dune dmocratisation et reposerait sur ceux qui partir de leur exprience anonyme etindividuelle, contribuent la reconstruction narrative du pass . Le tmoignage vient dsormaiscomplter et nuancer les connaissances acquises, mais il nen reste pas moins que lexpriencepersonnelle devient mmoire collective 31.

Quelle que puisse tre la valeur historique, sociologique ou mme littraire intrinsque de ces

mmoires, tmoignages et autres rcits autobiographiques pour la connaissance des organisations oude la culture anarchistes, leur existence mme est digne dintrt. Il convient de sinterroger sur leursconditions de production et de rflchir ce quils nous disent dune socit et de ses rapports lhistoire. Leur nombre, leffort de rdaction et linvestissement financier quils supposent pour desauteurs dorigine populaire, montrent quils sont une rponse sociale une situation de trouble de lammoire, ou plutt de sa transmission, dans un contexte de suspicion lgard des historiens. Cestpourquoi lidentit individuelle y apparat subordonne lidentit collective et la clbration de soi audevoir de mmoire historique. Tandis que soprait un processus de rhabilitation et de lgitimationdes partis politiques antagonistes, seul lanarchisme restait stigmatis et son uvre rvolutionnairednigre. Les derniers tmoins, dans lespoir de transformer les reprsentations sociales dominantes,ont fait un ultime pari, celui de lcrit :scripta manent.

27 Par exemple chez Jos PEIRATS, Memorias , Suplementos Anthropos. Revista de documentacin cientfica de la cultura , Barcelona,Antologas temticas n 18, enero de 1990, pp. 7-111.28 Voir notamment Fernando GMEZ PELEZ, Prefacio , in Cipriano MERA, Guerra, exilio y crcel de un anarcosindicalista, Paris,Ruedo ibrico, 1976, pp. 9-11.29 Antonio-Miguel BERNAL, Prlogo , in Antonio ROSADO, op. cit., pp. 10-11 (le prologue est dat en 1976).30 Nous avons tudi quelques aspects de lnonciation dans Les mmoires indits de Manuel Sirvent Romero (1890-1968) : le texte et ses

dessous , paratre dans Regards (Nanterre). Le titre illustrant le plus parfaitement cette fusion est celui des mmoires dIsmael ROIGSOLER,As luchbamos. Repblica, guerra, clandestinidad y exilio de un anarcosindicalista, Benicull de Xquer, 7 i Mig Editorial, 1999,294 p.31Ibidem, quatrime de couverture [qui peut tre attribue aux directeurs de la collection Francesc J. Hernndez i Pere J. Beneyto].

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