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MEMOIRE S D s MADAME la MARQUISE ./ D E n " AA'-f'"^y/\ P O M P AD OUR, Où Vàn découvre les Motifs des Guerres, " des Traités de Paix, les Ambailades, les Négociations dans les différentes Cours de l'Europe ; les Menées " les Intrigues fécrrtes, le Caractère des Généraux, celui des Miniilres d'Etat, la Caufe de leur Elé- vation " le Sujet de leur Difgrace ; " générar lement tout ce qui s'eft pafle de plus remarquable à la Cour de France pendant les vingt-dernieres Années du Régne de Louis XV. Ecrits par cllc-mcmc. TOME PREMIER. A L I E G E, UDÇQIXYL

Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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Page 1: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

MEMOIRE S

D s

MADAME la MARQUISE

./ D E

n "

AA'-f'"^y/\

P O M P AD OUR,

Où Vàn découvre les Motifs des Guerres, " des Traités

de Paix, les Ambailades, les Négociations dans

les différentes Cours de l'Europe ; les Menées "

les Intrigues fécrrtes, le Caractère des Généraux,

celui des Miniilres d'Etat, la Caufe de leur Elé-vation

" le Sujet de leur Difgrace ; " générarlement tout ce qui s'eft pafle de plus remarquableà la Cour de France pendant les vingt-dernieresAnnées du Régne de Louis XV.

Ecrits par cllc-mcmc.

TOME PREMIER.

A L I E G E,

UDÇQIXYL

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• •

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VII

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McMASTER UNIVERSITYLIBRAfOC

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AVANT PROPOS

D E

L'EDITEUR.

I

VOICI un livre très intéref-

fant;

il le fera à notre âge

" le deviendra encore plus

à la poftérité. Ces Mémoires ne

font pasles annales d'une femme

galante, qui a vécu long-tems au-

milieu d'une cour voluptueufe :

mais rhiftdire d'un régne remarqua-ble

parfes révolutions, fes guerres,

fes intrigues, fes alliances, fes négo-ciations

;" dont les fautes mêmes

forment un fpeâacle digne despo-litiques

; parcequ'elles ont contri-bué

à donner une nouvelle tournure

aux affaires de l'Europe.

La Dame qui en donne le ta-bleau

avoit Tart du coloris.

'^// Ceux

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IV AVANT PROPOS

Ceux qui ont connu perfonnelle-

ment MadpmoifcUe PoifTon, avant

" après fon mariage avec M. le

Normand, favent qu'elleavoit beau-coup

de cet efprit,qui n'a befoin

que d'être cultivépour devenir

génie.

Le Roi Tappella à la cour dans

cet âge fougueux rempli de défirs,

" où les paflîons, en corrompant le

cœur, raffinent l'efprit.

Prcfque tous ceux qui environ-nent

les ^ois, font au-deflus des

hommes oMinaires. Ils ont de la

capacité" de ^intelligence; car il

n'y eut jamais dlunbition fans une

forte d'efprit," tout le monde à

la cour eft ambitieux.

Dès qu'un Souverain a une mai-

trèfle, les courtifans fe joignent à

elle. Ils cherchent d'abord à l'in-

ftruire ; car; comme ils veulent fe

fervîr de fon crédit auprès du Prince,

il

.%'?''

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a

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in-

fe

ce,

il

I

i) £ L* EDITEUR. v

il faut la mettre au fait de bien des

chofes. On peut dire qu'ellereçoit

les lumières de la première main,

" qu'ellepuife fes inftruâ:ions à la

iburce-même,

Louis XV. confia à Madame la

Marquife de Pompadour les plus

grands intérêts de la couronne: ainfi,

quand, elle n'auroit pas eu cet efprit

qu'on lui connut àParis,elle s'en fut

formé un à Verfailles.

Ses talents ne la juftifierentpasdans le monde. Jamais favorite

n'efluïa plus de murmures " ne fut

en butte à plus de reproches. Il

n'y a qu'à lire fes mémoires : elle

eut des ennemis qui'lui donnèrent

de grands vices " lui refuferent le.i

moindres vertus. Les principalesaccuiations tombèrent fur le défor-

dre des finances, qu'on attribua à

fes amours avec le Roi.

Ceux qui ont reproché à Madame

- J 'V de

1

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VI AVANT PROPOS

If!

de Pompadour d'avoir engagé Louis

XV. dans de grandes dépenfes, ont

oublié cellesque les maîtrefles de fes

prédécefleursavoient caufées à Tétat.

Madame de la Valliere, avant

même d'être déclarée maîtrefle de

Louis XIV. l'engagea à donner des

fêtes, qui coûtèrent plus à la monar-chie,

que jamais Madame la Mar-

quife de Pompadour n'eut de for-tune.

Madame de Montefpan porta ce

Prince à faire des dépenfes énormes :

cette favorite paroiflbitavec le fafle

d'une Reine : elle avoit des gardes

à fa fuite.

La veuve du Poëte Scai-on poufla

la hauteur " le fafle plus loin : elle

fe fitépoufer du Roi; " de maîtreffe

elle devint Reine, indignation qui

flétrira à jamais la mémoire de ce

Prince.

De

Page 7: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

vu

ce

^1

De

DE L'EDITEUR.

De ce comi.ierce clandellin nail-

foit à la cour un dclhonneur qu'on

ne peut point reprocher à Madame

de Pompadour. Toutes ces con-cubines,

qui donnoient des enfants

a la France, avoient la vanité de les

faire légitimer : " enfuite celle de

marier ces fils ou filles de l'amour à

des Princes du fang roïal, ce qui

aviliflbit les maifons alliées à la cou-ronne.

Car un Souverain peut bien

légitimer un bâtard : mais il n'eft

pas en fon pouvoir d'ôter l'infamie

attachée à k batardife;

il s'en fui^

voit de-là que les defcendants de ce

fruit clandeftin afpiroientau trône,

" queles amours fcandaieufes du

Roi pouvoient donner au vice l'éclat

qui n'eft dû qu'à la vertu.

On a publié en France " dans

les autres états de l'Europe que Ma-dame

de Pompadour avoit des tré-

fors immenfes. A fa mort cette pro-

6 digieufe

Page 8: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

VI 11

Ml

j4 V A NT P R 0\ 0 S

digieufe richefle a difparu : il n'a

refté qu'un magnifique mobilier,

oftentation qui tenoit plus au rang

qu'elleavoit à la cour qu'à f^.vanité.

Le Roi, qui la vifitoit tous les jours,.

profitoitde ce fafte " le partageoit-

avec elle.

Le public eft prefque toujours

mauvais juge des perfonnes qui tien-nent

un rang conlidérable à la cour:

il fe décide ordinairement fur des.

difcours vagues qui n'ont d'autre

fondement que la prévention. On

a avancé que Madame de Pompa-

dour avoit une paflîon déméfurée

pour aquérir. Si c'eût été là fon.

goût, rien n'étoit plus aifé que de le,

fatisfaire : elle étoit à la fource des -

richefles. Le Roi ne lui refufoit

rien: elle pouvoit donc amafîer tant

de biens qu'ellevouloit, " c'eft ce

qu'ellene fit pas. Il y a aâuelle-

ment en France cinquante malheu-reux

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IXDE L' E D IT EU R.

rcux financiers dont la fortune eft

fupérieurcà la fienne.

On ajoutoltque le plus grand bon-heur

qui pouvoit arriver à la mo-narchie

ctoit d'être délivré de cette

favorite. Madame de Pompadour

eft morte : en eft-on mieux pour

cela ? A-t-on vu naître dans le gou-vernement

une de ces révolutions

fubites qui annoncent une meilleure

forme d'adminiftration ? Ceux qui

regardoient la faveur de cette Dame

comme un obftacle invincible à la

grandeur de la France, ont-ils pro-

pofé de meilleurs moïens, pour la

faire fortir de cet état d'infériorité

où elle étoit ?y

a-t-il plus d'ordre

dans l'état ? plus de reffources dans

les finances ? plus d'arangement,

plus d'œconomie ? Non : le même

défordre eft dans les affaires. La

léthargie dure toujours. Le Mi-

niftere, qui dormoit avant la mort

3 de

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K i

X JFANT PROPOS

de Madame de Pompadour n'eftpas

en-^ore éveillé. Tout fubfifte fur

Tancien pied. Ily a des

gouverne-ments

en Europe qui n'ont point de

marche régléj; ils vont trop vite ou

trop lente lent; ou le mouvement

eft rapide ou il eft relâché.

Du tems de cette favorite ily a-

yoit trop de changement dans le

miniftere -, à préfent qu'elle n'exifle

plus, il n'y en a point du tout, "c.

"c.

On ne prétend point faire ici Té-

loge funèbre de cette Dame. Elle

avoit des deifauts que la poftéritê

lui reprochera toujours. On la ren-

doit refponïable des malheurs de la

France, c'étoit à elle à céder : oh

doit des égards à une nation, il faut

la refpedterjufque dans fes préjugés.

Si Madame de Pompadour avoit été

citoïenne, elle eut abandonné la

cour, " par cetie retraite, elle fe fut

montrée

%

Page 11: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

Xf^DE L'EDITEUR.

montrée digne de la faveur qu'on

hii reprochoit: mais elle avoit Tame

trop petitepour former un fi grand

deflein. Elle ne pofledajamais cette

philofophiequi, en faifant méprifcr

le fafte, attache au trône " éleva

au-deflus du trône.

Ily a grande apparence que cette

Dame, en formant le deffein d'écrire

fes mémoires, ainfi que fon tefta-

ment, avoit eu celui d'y retoucher,

" quela mort Ta furprife, avant

qu'ellel'eut exécuté. Elle écrivoit

à la hâte des morceaux détachés

fans fuite ni lîaifon. Les papiers qui

les contenoient étoient nombreux :

quelquefois même diffus, comme

font tous les matériaux deftinés à

former un livre, s'il eft vrai qu'elle

ait voulu en former un.

Il nous a fallu écarter à droite " à

gauche " nous faire jour au travers

d'une mer d'écritures : ce qui de-mande

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Il *

lll ^N

41

mande un travailauffilongque pé-nible.

Ileftà préfumerque Madame de

Pompadours'étoitfaitaiderdans cet

ouvrage par quelquehomme d'état

quientendoit ces matières. Quoi"»qu'ilen foit,on le publieratelqu'onFa trouvédans fes manufcrits ori-*

ginaux.

E

?ai

I

h tMEMOIRES

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MÉMOIRES

D E

PO M P A D 0 U R.

CEn'eft pas

feulement Thiftoire

de ma vie que j'entreprends

d'écrire-, mon deflcin eft plus

étendu jje veux efTaïcr de donr.er le

tableau de la cour de France fous le

réone de Louis XV. Les mémoires pri-

vés d'ukie favorite fontpeu intérelTants

pareux-mêmes : mais il n'eft

pas indiffé-rent

de connoître le caradlere du prince

qui l'a élevée à la faveur, les intrigues de

fon régne, le génie des courtifans, les

menées des minières, les defleins des

grands, les projets des ambitieuxj en un

Tome L B mot

Page 14: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

:..--

-'Tr^"ij;»"-'.w-.^-i

à

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H

2 ME MO IRES

mot tous les refTorts cachés qui ont fait

mouvoir la politiquede Ton tems.

Rarement le publicjuge fainement de

ce quife paflTcdans le cabinet. Il entend

dire que le roi fait marcher des armées,

qu'ilgagne ou perd des batailles," là-

defTus il railbnne fclon ks prévcntioQS

particulières.

L'hiftoire n'tft gueres plusexadle. En

généralles faifcus d'annales ne font que

les échos des erreurs publiques.

Je n'ai point dcffein de publier ces

mémoires pendant ma vie : mais fiaprès

ma mort ils paroifTentdans le monde,

la poftéritcy verra une peinturefidèle de

Tadminidraiion qui s'ell pafleefous mes

yeux. Peut-être que, fans mon féjourà

Verfailles,les événements de nos jours

cufTent été une énigme pour la poftérité.

Les incidents font Cicompliqués,ils fc

contredifent en tant dVndroits,qu'àmoins

d*en avoir la clef»il eft impcfiiblede les

déveloper.Les

m

?m.r".

:-0

Page 15: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

V E POMPADOVR.3

Les miniftrcs " les autres gens en

plare ne font pas toujoursinîiruits des

moïens qu'ilsemploient eux-mêmes pour

arriver à certaines fins. Par exemple, un

plénipotentiairefait bien qu'ilfigne un

traité de paix ; mais il ignore les motifs

qui portent le roi à terminer la guerre.

Chaque politiquefe fait un fiftéme à

fa guift*. Les gens fpéculatifsdonnèrent

fouvent à la France des deflcins qu'elle

n'avoit point. On lui a fait honneur d'une

infinité de vues qui n'entrèrent jamais,

dans fon plan.

Un miniftre d'une certaine cour me

difoit, il n'y a pas longtems à Vcrfailles,,

que les deux dernières guerres d'Alle-magne,

qui ont coûté tant de fang ":

300millions à la France, écoient le mor-ceau

de la politiquela plus raffinée du

fiécle -, que par ce moïen cette cour avoit

diminué infenfiblement la puiflancede la

Reine de Hongrie, fans que le corps de

TEuropc s'en fut apperçu : car, G après

Bij la

Page 16: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

?i^-^j^tnrngp^.,

1

I'..

4 MEMOIRES

la mort de Charles VI. aioutoit-il,cette

couronne avoit emploie ouvertement

toutes ks forces contre la maifon d'Au-triche,

la républiquegénéralefe feroit dé-clarée

contre elle ; au-lieu qu'ellel'a af-

foiblie par de petitscombats continuels

" des pertes réitérées: "c. "c.

Une femblable anecdote, inférée dans

les annales de notre ficelé,fuffiroit pour

défigurerle corps de l'hiftoire. La vé-rité

eft que ceux qui gouvernèrent la

France pendant ces deux guerres, n'avoi-

ent pointde génie.

On évitera ici tous les détails qui n'in-

téreffentpointl'état-,j'écrisplutôtle fié.le

de Louis XV. que Tniftoire c!c ma vie

particulière.La favorite d'un roi n'eft

que pour le régneoù ce princevit : mais

la vérité cft de tous les fiécles.

On ne doit points'attendre non plus a

trouver ici le journalcirconftancié des

galanteriesde Louis XV. Le Roi eut

beaucoup d'amours paffagcrespendant

mon

ri

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1

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tf)

6 ME MO IRES

fans remonter (i haut, on trouve dans

l'hiftoirc de nos rois une foule de ces ex-emples.

La veuve du pocte Scaron, qui

monta un degré plus haut que moi fur le

trône de France, o'étoit pas rce pour y

y arvenir. Il eft vrai qu'elleétoit filled*un

gentilhomme : mais le trône eft à uiic

égale diftance pour toutes les femmes

qui ne font pas nées princelTes.

On a débité une foule d'anecdotes iiy

jurieufcsfur ceux à qui je dois le jour.

Un miférable écrivain anor.ime a fart

plus : il a publié un livre fcandaleux au-quel

il a donné le titre de rhiftcire de ma

vie. Monfiçur le Comte d'Affry m'écri-vit

de la Hollande, que cette production

étoic du crû de la Grande Bretagne. Il

eft refervé aux Angîois de flétrir la ré-putation

des perfonnes qui tiennent un

rang diftinguéà la cour de France. C'cfl,

dit-on, un droit des gens de ce gouverne-ment

pour entretenir la haine entre les

dcux-nation5.n

Quoi

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on, qui

)i fur le

pour y

Ile d'un

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de ma

tn'écri-

udion

c. Il

Ja ré-

nt un

C'cft,

erne-

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Quoi

I

DE POMPADOUR. 7

(!^oique ma fortune fut médiocre, mon

éducation ne fut pas négligée. On me

donna des maîtres qui me formèrent à la

danfe, à la mufique " à la déclamation,

petitstalents qui m'ont ftrvi dans la fuite

aux plus grandes chofes. Je m'appliquai

aufli à la lefture, je lus beaucoup une

Madame de Villedicu. J'avois un plaifir

extrême de voir le portraitqu'ellefait de

l'empire Romain, " d'apprendre que les

plus grandes révolutions du monde ont

tiré leur origine de l'amour.

Après qu'on m'eut donné tous les ta-lents

qui peuvent diftinguer une jeune

perfonne de mon fexe, on me maria à un

homme que je n'aimois point. Ce mal-heur

fut fuivi d'un autre plus grand, je

veux dire que cet homme m'aimoit. J'ap-pellecela un malheur; car je n'en con-

nois point de plus grand fur la terre.

Une femme, qui n'cft point aimée d'un

homme qu'elle a époufée fansamour,

jouîtau- moins de fon indifférence.

Tr\ » • • •

Pcn.

Page 20: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

M

i MEMOIRES

Pendant les premières années de mon

mariage, on s'entretenoit beaucoup à Pa-ris

des galanteriesdu Roi. Ses amours

paflageres donnoient des droits à toutes

les femmes qui avoient aflcz de charmes

pour prétendre à Ton cœur.

1 .a place de maitrefTe de Louis XV.

é(oit fouvent vacante. Toutes les pafTions

à Verfailles avoient un air de débauche^

L'amour dans cette contrée fe trouvoic

d'abord ufé, parcequ'il fe réduifoit à la

jouïflfance.La délicateffe étoit bannie de

la cour; toute la fcéne de la fenfîbilité fe

pafToitdans le lit du prince. Souvent le

monarque fé mettoit au lit avec le cœur

pleind'amour, " le lendemain en fortoit

arec indifférence.

Ce tableau me fit frémir, car j'avoue

que j'avoisdéjà formé le defTcin de me

faire aimer de ce Prince. Je craignots

qu'un cœur accoutumé i^des amours paf*

fageres ne fût plusTufceptibled'attache-ment.

Je roug'floispar avance de mai

livrer

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4

A-

D E P 0 MP A D OV R. ^

livrer à une inclination, qui ne laifleroit

après tile d'autre trace que ccUc d'une

courte fatisfadion des fens : mais mon

deflVin ctoit forme.

J'avois fouvent vu le Roi à Vcrfailles,

fans en être apperçue. Ses regards ne

s'écoienc recontres nulle part avec les

miens. Mes yeux avoient beaucoup de

chofes à lui dire : mais ils ne purent ja-mais

lui parler. Enfin je vis le mo-narque

" l'entretins pour la première

fois. \\ m'eft impofliblede dire ce qui

fe paflTaen moi dans cette première en-trevue:

la crainte, refpérance, l'admi-ration

occupèrent mon ame tour à tour.

Je me trouvai d'abord confufe-, mais le

Roi me raflfura. Louis XV. eft le prince

le plus affable de fa cour. Sonrang dans

le té'e à-téce ne gêne perfonne : il cft

alors à mille lieues du trône. Un air de

bonté " de candeur fe^épand fur toutes

it% adtions : il fait oublier qu'il cft roi,

B iîiîj pour

^1

Page 22: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

m

10 MEMOIRES

pour faire rtflbuvcnïr qu'il eft honnête-

homme.

Noire entretien eut pour moi mille

charmes: on me plut ;

" je plus à mon

tour. Le roi m'a avoué depuis qu'rl

m'avoit aime dès cette première en^

trevuë. 11 y fut convenu que nous

nous verrions en fecret au château de

Verfailles: on auroit bien voulu que

j*yeufle prisd'abord un appartement ; on

înfirta même là-defTus : mais je priai de

permettre que je gardafle encore quelque

tems Tincognito; " comme le roi eft

l'homme de fon roïaume )e plus poli, il

défera à mes prières. A mon retour à

Paris, mille nouvelles agitations s'élevè-rent

dans mon ame. Le cœur humain

eft une étrange chofe ! Nous fcntons les

effets des paffionsdont nous ne connolf.

fons pas la caufe. Je fors encore à devi-ner

fij'aimai le Roi dès cette première

cnircvuë. Je fais que j'eus beaucoup de

*'Ât

Page 23: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPÀDOUR. II

plaifirdans ce moment : mais le plaifir

n'cft pas toujours une fuite de l'amour.

Il fe forme en nous une foule d'autres

pafljons qui peuvent produire le même

effet.

Notre correfpondance fécrete avoit pour

moi mille charmes: je ne m'étonne pas

de ce que Madame de la Valliere, dans le

commencement de fes amours avec Lou-is

XIV. trouvoit un plaifirfenfible, de

jouïr elle feule de rattachement de ce

prince : mais le roi exigea enfin de moi

que je fixerois mon féjour à Verfaiilcs, "

je me conformai à fes volontés.

• Je pa/^ pour la première fois à la cour.

Les livres r-w' ^t que de foibles images

de ce qui fe paJTe fur ce théâtre. Je

crus voir des mortels d'une autre cf-

péce. Les mœurs, les manières, les

nfages ne font pas les mêmes : on s'ha-bille,

on s'exprime, on parle à Verfailles

différemment qu' à Parit. Chaque coui^

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Page 24: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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ME MO 1RES

tifan,outre Ton caraftere particulier,en

a un autrequ'ilfc formera la faveur duquel

f iUjoue tous fes rôles. A la ville les ver-tus

" les vices n'y ont qu'un petitefpace,

ici les uiM " les autres occupent un vaftc

terrein. Les paflloosyfont d'autant plus

vives qu'ellesfont à la fource des moïens

qui fervent à les fatisfaire. L'intérêt,

d'où elles tirent toute kur aéiivité,eft là

dans fon centre. La faveur du prince

donne la vie " le mouvement à Famé d»

courtifan ;il ne reçoit d'autre lumière

que celle qui lui vient du trône.

Pour me raflurer fur ce théâtre, où

j'étoistout-à-fait étrangère, je compris

que mon premier foin devoit être de con*

ncître le génie des adleurs qui y jouoient

les premiers rôles.

Je ne connoifTois le Roi que par le por-trait

qu'on faifoit de lui dans le monde^

h le monde fe trompe prefquc toujours

lorfqu'iieft queftion d'un prince régnant.

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4MEMOIRES

bif,aimant à faire le bien,cnnenfii déclaré

de tout ce qui ne porte pas le caradere

d'honneur " de probité,"c. "c.

La Reine poffédede grandes vertus \

elle a mis au pied du cruciBx toutes les

viciflîtudes domeftiques. Bien loin de fe

plaindred'une deftinée qui auroit rempli

d'amertume les joursd'une autre prin-

cefle,elle les regarde comme une faveur

particulièredu ciel,qui fe plaîtà éprou-ver

fa Gonftance, pour l'en récompenfer

dans une autre vie. On ne lui entendit

jamaisprononcer aucun de ces termes

d'aigreurqui annoncent le mécontente-ment

de l'ame. Elle fut toujoursla pre-mière

à exalter les qualitésdu roi " à

tirer le rideau fur fes foiblefîès. Elle ne

parlajamaisde ce princequ' avec refpedt

" vénération : il n'eft pas donné à une

dame de porter plus haut la perfedion

chrétienne, " de concilier tant de qualités

dans un rang, où les moindres defiauts

effacent les plusgrandesvertus.

Le

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Page 27: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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DE P 0 M P A D 0 U R. 15

Le Dauphin, encore jeune, ne prenoit

aucune part aux affaires générales. Le

roi lui avoit ordonné de ne fe mêler de

rien, " il paroiffoitafîez porté à obéir à

ces ordres.

Mes Dames de France cachées dans

leurs appartements lifoient beaucoup de

livres, alloient quelquefoisà la chalTe,af-

fiftoient aux grands couverts, fe mon-

troient aux bals, " fe retiroient enfuite

chez elles,fans beaucoup s'embarafler des

intrigues de la cour.

Le Duc d'Orléans premier prince du

fang ne venoit gueres à Verfailles : il a*

voit donné dans la dévotion " paiToitfa

vie à faire des Aumônes»

Le prince de Conti faifoit alors k

guerre," ne penloitqu' à aquérirde la

gloire.

Condé étoit fort jeune " fon oncle

Charolois étoit enfoncé dans la débauche

la pluscrapuleufe..

Le Les

Page 28: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

'I '.

i6 MEMOIRES

Les autres Princes alliés au trône

étoient aflfez féparcs des affaires pu-bliques

;ils ne vtnoient à VcrfaïUts que

pour affilier à quelque grand confcil, ou

pour fe trouver au lever du roi:

Le Cardinal de Tencin avoit un grand

afcendant à la cour. Le roi avoit beau-coup

de confiance en lui; ils travailloient

fouvent enfemble. Ce prince avoit mis

dans les mains de cet ecclénadiqueles

affaires les plus confidérables de la cou-ronne.

Bien des gens l'ont fait paffjrr

pour un grand miniftre. Je l'aï connu

fort peu, ainfi je n'en dirai rien : mais

quand je penfe aux maux que Richelieu,

Mazarin, Fleuri ont caufés à la France, je

ne puis m'empêcher d'avoir de la répu-gnance

de voir ks gens de cet état à la

téce des affaires.

De tous les miniftres qui gouvernoient

alors la France, le Comte de Maurepas

ctoit celui qui avoit le plusde génie,d'ac-tivité

" de pénétration, 11 étoit auSi

i ancien

Page 29: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

• t

trône

es pu-its

que

feiJ,ou

grand

beau-

illoient

"it mis

lue les

3 cou*

pafTrr

:onnu

mais

elieu,

ce, je

répu-

t à la

oient

epas

H'ac-

aufii

pcien

DE POMPâDOUR. 17

ancien dans le miniftere que Louis XV.

fur le trône. La monarchie lui etoit re-devable

de plufieurs grands écablifTe-

ments. C'eft lui qui avoit rétabli la ma-rine

qui, après la mort de Louis XIV.

écoic dans un défordre affreux. J*aioui

dire que la branche du commerce du Le-vant

eft entièrement de lui. Il travailloic

beaucoup, on n'a jamais tant expédié: fa

correfpondanceétoit un chef d'œuvre de

précifîon.J^aîvu plufieursde fes lettres,

il eft impoinbleà mon gré de dire tant de

chofes avec fi peu de mots.

Les D'Argenfon, qui venoient d*étre

faitminiftres,n'avoient pas encore de ca-

raétere décidé. On difoit d'eux qu'ilsa-

voient du génie " de la probité:mais

cela ne fuffitpas toujourspour bien rem-plir

ce pofte. J'aioui dire qu'ilfaut un

afibrtimentde talents," que la privation

du moindre fuffit pour empêcher de fe

ins le miniftere.iguer

^1

'.'il

Monfieur

Page 30: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

"!

m

??*%-

18 MEMOIRES

Monficur de Saint- Florentin,qui goiv

vernoit les affaires eccléfiaftiques,cioit

fans confequenceà la cour âc à la ville.

Il pafToitpour neutre dans les intrigues

de Verfailles. Ce miniftre ne fe méloic

que de Ton département. Comme il ne

faut point un grand géniepour expédier

des lettres de cachet " exiler des prêtres,

il remplinbitfa charge avec toute la di-gnité

d*un miniftre qui n*a qu'à figner*

Le controlleur général Orry paflbic

pour habile, parcequ'ilfavoit imaginer

beaucoup d'édits burfaux. Quelques mois

aprèsmon inftallationà Verfailles,il n'en

produifitpas moins de vingt-cinq,qui

dévoient faire rentrer deux-cent-millions

dans les coffres du roi. On Tappelloitle

grand financier,à caufe qu'iltrouvoit des

refTources pour le roi,en diminuant celles

de l'état.

Le Prince de SoubTe avoit des lumi-ères

" du difcerncment. 11 favoit beau-coup

de chofes : mais ceux qui s'intéref-

faientt

'.t

Page 31: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

A

DE P fM Pfi D Oj^fR. iQ

foient à fa réputationVauroient voulu qu'il

ne fit point la guerre : Je foldat n'avoit

point de confiance en lui. Peut-être a-

voit-il tort, mais il faut qu'un grand

homme, qui veut fe rendre utile à fa pa-trie,

cède à la préventionpublique.

Le Maréchal de Noailles avoit encore

plus de connoifTances. II n'cft pas donné

à l'entendement humain de porter plus

luin Tcfpritde détail. La nature, en le

formant, avoit fait un effort. Il pofîe-

doit toutes les fciencesquientrent dans la

compofitiondu gouvernement politique,

civil " militaire : mais l'aflortiment de

ces qualitésne pafifoicpoint le cabinet.

Son ame timide, incertaine " chancel-

Iantedansunjourd'aélion,ôtoitàfonefprit

les facultés d*agir: génie vafte " étendu,

c'étoit le plusgrand homme de l'Europe

pour le confeil.

Monfieur de Beîleide étoit alors fort à

la mode : on parloitde lui à la cour " à

la ville. C'étoit l'homme de la France

qu-i

Page 32: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

M

il

10 MEMOIRES

qui s'étoit donné le plus de peine pour

apprendre ruperficicllement une infinité

de chofes inutiles. Il faifoit femblant

d'être au fait de tout, " il avoir trouve

l'art de le perfuader,de manière qu'on

ignoroitparfaitementqu'ilfût aufTi mau-vais

généralque médiocre négociateur.

11 avoit beaucoup de douceur dans les

mœurs " les manières, " s'exprimoit

avec beaucoup de facilité. Courtifan en-flé

de fes connoifîances*, au travers d'une

modeftie étudiée, fon orgueils'échapoit

toujours: je n'ai jamais connu de mortel

plus vain.

Le Chevalier fon frère ne vouloit pas

pafierpour avoir tant d'efprit,ce qui fai-foit

qu'il en avoit d'avantage : mais il

avoit,comme lui,uneambitiondémefurée.

Il périten voulant forcer un retranche-ment,

qui devoit lui donner le bâton de

Maréchal de France.

Le Duc de Richelieu étoit encore plus

couru que Monficur de Bclleide. Le roi

ne

I

Page 34: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

I?

II

f

h

22 MEMOIRES

d'être un grand général.J'enferai men-tion

à fa place.

La plupart des autres counifans

étoient des bas officiers du ftond rang.

Ils venoient de l'armée à Verfailles,

" de Verfailles retournoient à Tar-

mée. Leurs intriguesà la cour fe

bornoient aux promotions. C'etoient les

Ducs de Grammont, de Piquigny,de Bi-

ron, de la Valliere,de Boufflers,de Lux-

emlDOurg -, les Aîarquisde Putange,de

]VIaubourg,deBrcgé,deLangeron,d'Ar-

mentieres, de Creil, de Renepont ; les

Ow/^J de Coigny, de la Mcthe-Houdan-

courr, de Clermont, d'Eftrées,de Bercji-

gcf, les Mejfteursd*Aumont, de Meufe,

d*Ayou, de Ciberr,de Cherfey,de Buck-

ley,de Segur, de Fenelon, de S. André,

de Varennes, de Montai, de Balincourr,

de la Fare, de Ciermont-Tonnerre, " un

grand nombre d'autres quicherchoient à

s'avancer par les armes.

Il n'yavoit pointou prcfquepointde

fiemmes alors à la cour quiarpiraffencau

cœur

1

t :

f-

Page 35: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

de

au

îur

DE POMPIDOU R. 23

cœur du roi. Celles d'un rang diftinguc

nt* voiiloient points'aba.ffcr à devenir les

objets d'un amour paflagcr: les autres

qui briguoientcette faveur n'avoient ni

afftz de beauté ni affea d'agréments pour

y parvenir. Il n'y avoit que les femmes

de Paris qui s'intiiguaflcntbeaucoup.

Plufieurs afîiftoicntà tous les grands cou-verts

" ne manquoient aucune partiede

chafle. Elles couroient le roi depuisle

matin jufqucs au foir : c'etoit le moïen

de ne pasatteindre Ton cœur.

Je cherchai àm'ciffermir fur le théâtre

où la fortune m'avoit élevée. Le roi

étoit chez moi à toutes les heures que les

affaires de fa couronne le lui permeitoient.

Il laiffoitfa grandeur à la porte " cntroit

dans mon appartement fans ce fafte qui

l'accompagne ailleurs. Je m'appliquaià

connoître le tempérament de ce prince.

Louis XV. eft naturellement fort fom-

bre-, fon ame eft envelopéedans une

épaifîenuit. Un tempérament trifte lui

faitcouler des joursmalheureux dans le

fein

'*?

f.^lîi

Page 36: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

24, MEMOIRES

\»,

: i

r

fcin même des plaifirs.Jl cft des mo-ments

cil fa mélancolieaugmente au

pointque rien ne peut le tirer de cet état

de langueur. Alors le poids de la vie

lui devient infupportable.La jouïfîance

d'une belle femme peut bien pour quel-que

tems diflîperTes ennuis : mais elle

ne les guéritpas : au contraire aprèsla

pofleffion,ce monarque n'en eftque plus

difpofcà la triftefTe.

Il eit un autre malheur attaché aux

joursde ce prince: la rel'gionen lui eft

continuellement aux prifesavec Tes paf-

fions. Si d'un côte les plaifirsl'entrai-

nentjd'un autre les remords le retiennent.

Ces contraftes continuels le rendent

l'homme le plus malheureux de ion roï-

aume.

Je compris que l'amour fcul ne pou-

roit point changer le tempérament du roi.

Je cherchai à me l'attacher par les charmes

de l'habitude, lien plus fort chez les

hommes que celui des paflions, L'hif-

toire m'en fourn.iffoitun exemple dans la

per-

'."ïi

??%

Page 37: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

s mo-ite

au

et écat

la vie

ifTance

• qucl-

s elle

)rès Ja

e plus

é aux

lui eft

:s paf-

ntrai-

nent.

ndent

m roï-

pou-

u roi.

irmes

les

/hif.

ns la

pcr-

t

D E P 0 M P J D 0 U R. 25

psrfonnede fon bifaïcul. Louis XIV.

s*étoit fi fort accoutumé à Madame de

Maintenon qu'aucune autre femme n'a-

voit pu faire impreflionfur lui-," quoi-que

la cour alors fut remplie de beautés

célèbres, la veuve du poëce Scaron, déjà

dans un âge où Ton n'infpireplusde paf-

fions aux hommes, fut fi bien fe ratta-cher

par les liens de l'habitude, que l'en-chantement

dura jufques au tombeau.

Je formai un enchainement de phiifirs

qui,venant à fe fuccéder,déroboientLouis

à Ton tempérament Se Tempcchoient de fe

rencontrer avec lui-même. Je lui donnai

du goût pour la mufique, la danfe, la

comédie, " les petitsopéras,où je chan-

tois moi-même " repréfentois.Les pe-tits

foupersfinilToient la décoration de la

fcéne joïeufe: le Roi fe couchoic fatis-

fait " fe levoit content. Il accouroit le

lendemain à mon appartement (à moins

qu'il n'y eût grand confeil,ou quelque

autre cérémonie extraordinaire)pour y

Tome L C pren-

Hï^

%Min

Page 38: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

VI

26 AI E MO I R E s

prendre,fij'ofeme fervir de cette expref.

fîon, fa d( fi de bonne humeur pour toute

la journée. 11 s'attacha à moi par cet in-

ilindl qui fait que nous aimons ce qui

contribue à notre bonheur. Toutes les

favorites avant moi n'avoient penic qu'à

fe faire aimer du Roi : aucune n'avoit

fon«é à divertir Louis.

- Je devins néceïïaire au monarque : les

chaines de TKabitude augmentoienc tous

les jours. J'auroisbien fouhaitéque l'a-mour

feul eût formé notre un ion: mais avec

un princeaccoutumé au changement, en

va comme l'on peut.

i\ prèsles premiersmoments d'étonne-

ment qui fuivent toujours un granil

chancrement, je me livrai à mon tour ;i

des réfiedior^squitroubloientmcn repos.

Malgré le goût que le roi prenoiten moi,

?ie craignoisfon inconttance. Mon éléva-tion

ne me rafluroit pas ; on encenfe V}^

4oîe, tandis que le princeTadore ; crav^

^arfqia'i]renvcrle i'autel,tout le n-ionde Ja

'i!»»

M

-Il

1*1

Page 39: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

exprtC-

ur toute

r cet in-

ce qui

utes les

nie qu'à

n'avoit

que : les

ient tou';

; que l'a-

maisavec

Tient, ca

l'étonne-

î grand

n tour à

}p repos,

en nnoi,

n élcva-

enle T'-

e ; m3i^

jonde )i

f.u"^

i

DE P 0 M P Â D OU R, 27

foule aux pieds. Mes craintesaugmentè-rent

beaucoup quelques jours après -, car

le roi étant venu fouper chez moi, je le

trouvai plus rêveur qu'à l'ordinaire. Au-

lieu de cette gaietéqui commençoit à lui

devenir naturelle,ilétoitfortfombre, il me

parlabeaucoup delà politique,des affaires

de l'Europe " d'un courier qu'ildevoit

expédier le lendemain pourl'armée

-,"

après un court entretien il fe retira. Cette

retraite précipitéem'inquiéta. U ne me

fut pas poflîblede fermer l'œil, " je lui

écrivis le lendemain au matin pour lui

cxpofer l'état de mon ame.

" Sire,

" Votre politiquehier au foir m'a défo-

'' lée. J'avois mille chofes agréables à

*'vous dire, lorfque vos dépêches vin-

'^ rent troubler notre entretien. Je

*« n'en a point dormi de la nuit. Au

" nom de Dieu, Sire, laifTez l'Europe

«' à elle-même, " pcrmettez-moidevous

C ij** parler

»! I.;!

Page 40: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

I-

M

I:i

?i

28 MEMOIRES

*' parlerde l'état de mon cœur, qu* eft

*' dans une inquiétude morielle, lorfque

*' vous m'otez une feule occafion de vous

*' dire que je vous aime d'un amour qui

*«ne finira qu'avec ma vie."

Le Roi, aprèsavoir lu ma lettre,vint

lui-même dans mon appartement pour

me rafiurer. 11 étoit plus gai qu'à Ton or-dinaire,

je ne l'ai jamais vu fi aimable.

Comme le monarque m'avoit déjàouvert

Ja carrière des grandsévénements qui agi-

Toient alors l'Europe, je voulus percer la

vérité de ces grands milleres. Je ne fa-

vois pas un mot de politique. On dit

que lesdames Angloifes trouvent tous les

matins fur leur toilette un papier qui les

inflruit des affaires de l'Europe, pour

nous autres Françoifes,nous n'y trouvons

que du blanc " du rouge.

Ji m'adrefTû au Maréchal de Bclle-

ifle. " Monfieur, /m dis-je,je vous

" prie de m'expliquer ce que c'efl:

''

que

m

Page 42: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

Il

I

]"Q MEMOIRES

manufcrits originauxque le roi me four-

nifToitlui-même : ainfi je voïois les abus

paiïes " je les découvrois dans leur

iource même.

On favoit à la cour " à la ville que les

amours de Louis XV. étoient pafTageres:

ainfi fes favorites n'avoient pas une cour

bien régulière.Souvent une dame que

le roi diftînguoir,fe couchoit en faveur,

" fe levoit en difgrace. On emploïoit

les favorites pour les emplois vacants "

Jes grâces paffageres; mais pour les

grands coups d'am.bition,on faifoitagir

d'autre refTortquecelui de la maîtrelTe.

Je vécus prefquefeule pendantles pre-miers

mois de ma faveur. Le Duc de

Richelieu étoitl'uniqueSeigneurqui me

voïoit aux heures que le roi n'étoit point

dans mon appartement : mais lorfque

par l'ordre du monarque jeparus dans le

monde fous le nom de la Marquifede

Pompadour, " que ce princeme donna

afîidunient(Jespreuves publiquesde fon

eftime.

ilII

Page 43: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

V

me four-

les abus

^àns leur

e que les

flageres:

une cour

ame que

ti faveur,

'mploïoit

acants "

pour Jes

ifoitagir

îcrefTe.

lespre-

Duc de

' qui me

)it point

lorfque

dans le

i^uifede

c donna

de fon

eftime.

4*

DE POMPADOIJR,

cflime, alors les choies changèrent de face.

Deux grands partisfe formèrent à la couf

" à la ville : l'un étoit fomenté par ren-

vie " l'autre par rambition;le premier

me dcchiroit par mille traits mordants ":

le fécond m'exakoit par des termes flat-teurs.

Celui-ci agiflbitpar le motif de

s'aggrandir,celui-làparrimpuiiranceoùil

croïoit être de devenir grand : cependant

ils fe réuniflbient pour me demander des

grâces.

J'agiffbisauprès du prince pour l'an

": pour l'autre. A mefure que j'élevois

quelqu'un à une charge confidérable, ou

que je le comblois de biens, je faifois un

ingrat " m'attirois cent ennemis. A la

fin tout le roïaume fe réunit à me faire

la cour: car Louis XV. continuoit à être

aflidu auprès de moi. Ceux qui avoienc

le plus décrié ma naifîance,fe déclarèrent

alors me parens. Je n'oublierai jamais

la lettre que je reçus a Veifailles d'un

gentilhomme d'une des plus anciennes

C iiij maifons

I^^V

S-?

-?

b.dl. .:

m

lâl.-,^

Page 44: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

'I

r

32 MEMOIRES

maifons de la Provence, qui s'exprimoit

ainfi.

" Ma chère Coufine,

"c y*avois1! nore

qu'au nioment "

lu r-

iue

vous appartenir]

roi vous a nom-

' mé Marquife de Pompadour -,alors un

' habile généalogiftem'aprouve que votre

* bifaïeul étoit coufin au quatrième dé-

* gré de mon grand-père. Vous voïez

' par-là,ma chère coufine, que la parenté* efl décidée entre nous. Si vous le fou-

' haitez,je vous enverrai l'arbre généa-

* logiquede notre parenté,afin que vous

' le préfentiezau roi.

** Cependant mon fils votre coufm,

* qui Icrt avec diftin(5i;iondepuis quel-

*ques années, voudroit avoir un régi-

'ment ; comme il ne peut efpérerde

' l'obtenir par fong rang, je vous priede

' le demander au roi comme une grâce."

Je lui répondisainfi.

(C Mon-

1

B

^ i

Page 45: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

"ist.j

xprimojt

ace.

^on-

D £ P 0 AI P Â D GU R. 21

'' Monfieur,

" Je faifiraile premiermoment qui fe

** préfentera,pour prierle roi d'accorder

** à votre fils le régiment que vous fou-

" haitf z. Mais j'aià mon tour une grâce

*' à vous demander, qui eft de me per-

*' mettre de n'avoir pas l'honneur d'être

*' votre parente. J'aides raifons de fa-

•* mille qui m'empêchent de croire que

** mes ancêtres aient été alliés avec les

" anciennes maifons du roïaume."

Je ferois rougirla moitié de la France»

fijeraportoisici toutes les lettres rem-plies

de bafTefle " de foumifllon que j'ai

reçues des premièresfamilles du roïaume»

Un jour une princeflem'écrivit en ces.

termes.

'* Ma chère amie^

*' Je vous priede demander au roi un-

" bon de fermier-généralpour le fieurAr-

J* mand M —ancien commiS; dont je

C iliij'

veux:

?:V f^\?¥.%

nr

Page 46: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

u

lit!;

I !

il

.fi

34 MEMOIRES

" veux avancer la fortune. Si vous m'ac-

** cordez cette grâce, je vous aurai une

» obligationqui ne finira qu'avec ma vie.

Je fuis,avec toute la confidération pof-

" fible,

Ma chère an:îie,

Votre très humble fervante/^

Cependant l'envie, qui augmentoit

à mcfure que le Roi me difllnguolc

des autres femmes de la cour, voulut

me rendre refponfable des événements

de ce tems-là. On a dit fouvent depuis

dans le monde que j'étoisla caufe des

malheurs de la France. Pour que cette

accufation fut fondée, il faudroit que Ja

monarchie, dans le tems que le roi m'ap-

pella à VerfailIeSjeût été dans un état fîo-

riflant-, " il s'en falloit de beaucoup que

cela fût ainfi. Le mal venoit de loin, la

France en fuccombant à fes malheurs ne

failbitque remplir fa deftinée. On doit

regarder

Page 47: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPADOUR. 35

regarder Tadminidration de ce rcgne,

comme une luite des malheurs que d"fvoic

produireradminiftration qui Tavoit pré-cédée.

Louis XIV. en mourant avoit laifTé le

roïâume dans un détordre alFreux;

les

dettes de Térat étoient immenfes, le cré-dit

national entièrement ruiné: il y avoit

donc alors un mal dans Téiat que des re-mèdes

paflagersne pouvoient point gué-rir

: Louis le Grand avoit donné au trône

un air de magnificencequi avoit appau-vri

les peuples. Les rois ies prédécef-

ieurs s*étoient contentés d'être \ts admi-

niftrateurs des richefles générales,lui $^"n

étoit rendu le propriétaire: le tréfor de la

nation lui appartenoit,toutes les finances

étoient dans fe5 mains : il avoit augmen-té

les revenus de la couronne au-delà de

toute proportionrelative. Dans trois ans-

tout le numéraire de la France entroic

dans Tes coffres. Sa magnificence avoit

apprisà Tes fujetsla manière de s'appau-vxir p.ar des dépenfesexceffives.

Av.;jj

\u'\

l#i*:-!l

Page 48: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

il

'?I

36 MEMOIRES

Le Duc d'Orléans, qui gouverna Tctat

aprèsLouis XIV. augmenta la confufion,

au lieu de rétablir Tordre. 11 imaginaun

fiftéme de finances qui acheva de les dé-truire.

Toutes les richelTes de la monar-chie

changèrentde maître. On perditla

trace du numéraire; les étrangersen en-levèrent

une partie" les agioteursdu

roïaume cachèrent l'autre. Il ne fut plus

pofîibled'imaginer une forte d'adminif-

tration capabled'arrêter des maux, dont

on n'avoit aucun exemple depuis la fon-dation

de la monarchie. Cette révolu-tion

en caufa une dans toutes les branches

du pouvoir général. L'agriculture,le

commerce, les arts " l'induttrie en fouf-

frirent " en fouffrent encore. Car j'ai

oui dire par des gens très habiles que le

fiftéme avoit cauféplufieursfillémesd'im'

pui(Tance dans l'état.

Le Cardinal c'^ Fleuri,qui vint après

lui,acheva de tout ruiner. Il fîtlui feul

plus de mal à la France, que tous ceux

qui

ii

M

?il

Page 50: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

I I

II, :

38 .MEMOIRES

du Cardinal, on auroit emploie un ange

dans le miniftere, il n*auroit pas pu rendre

de grands fervices à la couronne. Il ajou-

toit que tout ce qu'auroit pu faire le plus

habile miniÛre, c'auroit été de préparer

les matériaux d'une meilleure adminiftra-

tion. Il trouvoit fix vices principaux

dans le gouvernement " il difoit que,

pour les corriger,il faudroit refondre la

conftitution.

On s'eft plaintauflj que j*étoisla fource

des grâces, ":quejedifpofoisdetout dans

le roïaume. On a ajoutéà ce tableau que

rhabitude où j'avois mis le roi de me

voir, lui avoit impofé la loi de ne me

point refufcr. Je réponsà cela que c'eft un

mal nécelfaire auquel les gouvernements

ablblus fuccombent toujours.Il faut aux

fouverains un confident ou une maïtrefTç,

" prefque toujoursle favori fait plus de

mal à récatque la favorite. Un homme

pour l'ordinaire a des deffeins d'ambition

qu'ujtiefemme n'a pas. Il cherche, à

profRî

^1'

Page 51: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

n ange

rendre

[1ajou-

le plus

réparer

iniftra-

cipaux

it que,

idrc la

fource

jtdans

lu que

le me

le me

'eftun

ments

Jt aux

refTe,

us de

m me

t)ition

he. à

DE POMPÂDOUR. 39

proffiterde la faveur du princepar tous

les moïens quipeuvent Tclever à la plus

haute fortune. 11 s'approprieles finances

publiques,s'emparedcspremièrescharges

de l'ciat,donne à fcs parens ou à Tes

créatures celles qu'ilne prend pas pour

lui; ce qui caufe une révolution géné-rale

dans le gouvernement. Il a des vues

de grandeur" d'élévation que les per-.

fonnesde notre fexe ne fauroient avoir.

J'ailu dans les annales de notre mo-narchie

que Richelieu défola la France

par fon ambition. Ce favori de Louis

XUI. facrifia tout au défir de paroître;

leul grand fur le théâtre de la France.

Il coupa les nerfs de la puiflancepoli-tique

de tous les pouvoirs. 11 dé:ruifit

les prérogativesde la noblefTe qui feules

pouvûientbalancer le defpotifmede nos

rois ;" par-làfitplusde mal à la France

que jamaisles favorites ne lui en feront.

Mazarin ce fécond favori avoit une ar-mée

à fes g^es, " faifoitla guerre en

per-

.11' i^'' 1 1

J

Page 52: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

ii t.?

40 MEMOIRES

perfonneà l'état. Il fitemprllonner les

princesdu fang " excita des troubles "

des brouilleries qui renverferent tout le

fifléme de ce tems-là. Il s'empara du

tréfor public,prefquetout l'argentdu roï-

aume croit dans fes coffres. 11 vendoit

les premières charges de la couronne*

Qiiand le roi a voit befoin d'argent,il

écoit obligéd'avoir recours à lui. On a

vu du nos joursle comte de Bruhl favori

du roi de Pologne faire des dépenfesCi

excefTives qu'ellesfurpafîbientcelles du

monarque Ton maîcre.

il y aacluellement pluficursducs dans

le roïaume *, qui font refïou venir la

France que fes rois ont eu des favoris.

Marigni, mon frère, n'a ni rangs, ni dif-

tinélions, ilne jouîtpas d'une grande for-tune.

A fa mort il ne laiifera aucune

trace de la faveur particulièredont Lou-is

XV. m'a honorée.

* Les Ducs de Richelieu,de Mazarin, $c de

Fleuii.

On

0

Page 53: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOVR, 41

On m*a chargé en même teiT.s d'avoir

emploie (les gens dans le miiiiderc, dont

le génie mince i'^^fupc-ftciein'écoïc point

propre ?ux affaires. Mais où en prendre

d'autres en France ? On diroit que l'ef-

prithumain s'eft rétréci chez ncos.

La noblcfle FranvciiV, qui til la pre*

miere intérelTée à radminiftraton pu-blique,

ne s'appliqueà rien. Elle paiTefa

vie dans l'oiCiveté,la molefie, " la difTi-

pation. La politiquelui ell au(îi incon-nue

que les finances " l'économie. Un

gentilhomme chafle toute fa vie dans

fes terres, ou il vient à Paris le ru-iner

avec une fille de Topera. Ceux qui

ont afiez d'ambition pour percer dans le

miniftere, n'ont d'autre mérite que celui

de l'intrigue" de la cable. Si on leur

croife le chemin " qu'on en fubftitute

d*autres en leur place,ils regardent cette

adminiftration, comme l'efFct de la pré-vention

du prince»

IIli'l.

Page 54: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

('

m

V' I

42 MEMOIRES^

Il femble que le fiérle d'habiles minif-

tres en France foit pafré. J'ai eu beau

chercher dans le roïaume des Colberts,

des Louvois, je n'ai trouvé que des Cha-

mîllards " des Dubois. On eft forcée de

confier toutes les branches de l'âdminif-

tration à des financiers de profc(rion,gens

fans capacité," qui ne favent qu'une

chofe qui eft de pillerl'état.

Mes ennemis ont avancé auflî que Je

portoisle roi à changer trop fouvcnt de

miniftres -, mais ce n'eft point à moi à

qui il en faut attribuer l'invention. A-

vant mon féjour à la cour, les gens en

place n'étoient pas plus affermis dans

leurs poftes. On en établilToit " on en

créoic de nouveaux tous les jours : c'eft

peut-être encore un mal néceflaire en

France. Avant que ces Meflîcurs foient

placés,rien n'efl fi beau que leur plan

d'adminiftration-,ils ont des moïens prêts

pour réformer tous Its abus-,

ils favent

où eft le mal Se connoifîent le remède :

mais

n

Page 55: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR. 43

mais ils n'ont pas plutôt en mains les

rénes du gouvernement qu'ils défolent

tout par leur incapacité. Apeine pen-

fent-ils aux malheurs publics. La feule

affaire qui les occupe eft celle de leur for-tune

particulière.L'ambition de deve-nir

premier miniftres les gagne. Ce dcfir

qui les occupe nuit " jour ne laifle point

de place dans leurefpritpour penfer à la

monarchie. Dix ans d'adminiftration en

France rendent un miniftre abfolu, ilde-vient

le Pacha de la Monarchie, Tes moin-dre

c 'tontes font des ordres abfolus.

Le Giand- Seigneur n'cfl pas plus defpote

à Conftantinople,que ne l'cft un fécré-

taire d'état qui a pafîédix- ans à Verfailles.

Le Militaire e(l dans le même cas. La

nobleflc Françoife, quoique brave " cou-

rageufe, efl: fans génie pour la guerre.

La peine " les travaux qui y font at-tachés

l'en dégoûtent d'abord. La France

n'a point d'école militaire *: on devient

• L^ecolc militaire ne faifoit que commencer,

colonel

\ ^i€

i!i%

^•4^4lin

Page 56: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

44 MEMOIRES

colonel avant que d'être officier," de-là

au Généralar, il n'y a d'autre difFcrence

que le tems. Si on thoifit deux François

pour commander les armées en Flandre

ou en Allemagne, l'envie fe mêle par-mi

eux, ils délblent l'ctat par leurs

piques " leurs brouilicries particu-

lieres. Cependant les ennemis prof-

fitent de leurs divifions " avancent leurs

projetsmilitaires. Il a fallu que le Roi,

dans la guerre qu'il vient d'éprouver,

s'en remit à deux étrangerspour la fureté

de fa couronne. Sans le Comte de Saxe

"deLowendahî,lcsennemisdela France

auroient peut-êtrefait le fiégede Paris.

On fe trompe lorsqu'on croit qu'une

femme qui a la faveur d'un Prince ait be-

foinde minières mal-adroits " de mauvais

généraux pour fe foutenir. L'incapacité

défoie tout " n'eft bonne à rien. Les

fautes d'état, en ternifTant la gloire du

Prince, effacent l'éclat de la favorite. Je

puis dire que la plupartdes chagrinsque•» •

jaj

Page 58: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

1/,

1^1

! '

4^ MEMOIRES

me faifoit part, peut-êtrema faveur ne

feroit-elle jamais arrivée au point où elle

parvint. Car ce font toujoursJes eau Tes

fécondes qui dirigentles évcnemens de

ce monde.

Depuis Tannée 1741 la France avoit

les armes à la main. On fe battoit en

Italie, en Flandre " en Allemagne.

Charles Vï. le dernier de la Maifon d'Au-triche

par mâle avoit une de ces ambi-tions,

auxquellesla mort méoDe ne mec

point de bornes. 11 vouloit le furvivre à

lui- même, " faire durer fa puifTanceau-

delà du tombeau.

Ce prince,aprèsavoir réuni de grands

états, les avoir fait garantirpar les pre-mières

puifTances. Le peu de forces

qu'ily avoit alors en Europe, avoit porté

les Princes Chrétiens à avoir cette foi-

blelTe. L'Italie n'en pouvoit plus, tous

les petits gouvcrnemens de l'Empire

étoient dans l'efclavagepolitique,Jes

grandes Maifons du Nord n'étoient pas

pluLJ

Page 59: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOVR, 47

f)luslibres. A la mort de ce Prince,

tout le monde commença à refpirer.Cha-cun

revendiquaTes droits.

L'Eledleur de Bavière demanda une

partiede la fuccelTion : Augufte de Po-logne

prouva ks droits : le Roi d'Ef-

pagne parut fur les rangs. Il le trouva

même deux pragmatiques; l'une qui cé-

doit les biens de la Maifon d'Autriche à

J'ArchiduchefTe de Pologne, " l'autre

qui les afTuroit à Marie Thérefe filleainée

de Charles. Tant d'intciêcs particuliers

divilés ne pouvoientmanquer d'allumer

une guerre générale. Mais elle com^

mença par un endroit que la politique

n'auroit jarriaisfoupçonné.

Le Roi de Pruflc, prefquele feul en

Europe qui n'avoit pointde droits fur la

fuccelTion de la Maifon d'Autriche, en

forma. Pendant que les autres écrivoieat

des manifeft^s, il faifoit des conquêtes.

Ses troupes entrèrent dans la plus belle

provincedu domaine de la Reine de Hon-grie,

! !•

ffl

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4m'

Page 60: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

'llri

48 MEMOIRES

grie, " s'en emparèrent. T^a couronne

ctoit toute neuve dans laMaifon de Bran-debourg.

L'Empereur Lcopold avoit

été le premier qui lui avoit conféré le titre

de Majefté: mais cet honneur ne l'avoit

pas beaucoup aggrandi. Le Roi de

Prufîe ne tenoit prefquepoint àt placeen

Lurope, Tes prétenfionsfur les biens

de la fucceflion d'Autriche étoient celles

d'un fimpleparticulier.Il revendiquoit

quelques Duchés, que fa Maifon avoit

pofiedésautrefois à titre d'achat. Ce-pendant

ils'emparoitde la Siléfie comme

Souverain.

J'aiou dire que Marie Thérefe alloic

fuccomber, lorlque fes propres ennemis

la foutinrent. Ces Hongrois, qui avoient

cherché depuis plufieursfiécles à détruire

cette Maifon, firent alors tous leurs efforts

pour la foutcnir.

Le Duc de Belleifle m'a dit que quel-ques

mots Latins, que leur avoit prononcé

celte Princeffe *, avoient caufé ce grand

* Elle leur avoit parlé en Latin.

change-

Page 61: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

D E P O M P A D 0 U R.4"^

changement dans notre monde politique:

car, ajouta-t-il,fi les Hongrois avoient

abandonne cette Princefle, il ne fcroit

peut-êtreplus quedion aujourd'huide la

Maifon d'Autriche.

Louis XV. s'unit au Roi de Pruflc,

pour placer fur le trône de l'Empire TE-

]c6teur de Bavière. Outre la diverfion

que cette éledlion caufoit dans le Nord,

le Roi difuic que la Maifon de Bourboa

s'aquittoitd'une ancienne dette avec la

Bavière.

Si la reconncifTlmce entroit pour quel-que

choie dans la conduite des Souve-rains,

on pouroit cioire en effet que la

France avoit prisles armes pour balancer

les obligationsqu'elle avoit à Tes Elec-teurs,

qui de tout tems les alliés de cette

couronne, avoient efTuïé pour elle de

grandes pertes.

La Maifon de Bourbon s'unit à celle

de Brandebourg pour afFoiblir la fuccef-

fîon de Charles VI. d'ailleurs un princede la

TrAne L D Maifon

.( •

Page 62: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

50 MEMOIRES

• '*!

I '^â/î

..»?

•!

Maifon de Bavière fur le trône impérial

donnoit à la France Tafcendant en Aile-

magne.

On a public que le Roi de PrufTe avoit

d'abord fait olTrir à Marie Thcrefe de

l'argent " des troupes, pour ibutenir

fes droits contre les autres puifiances, à

condition qu'ellevoulût lui céJer la Bade

Siléiie. Si elle y avoit confenti, les af-faires

de l'Europe auroient pris une

autre tournure. Mais les Princes, à ce

que je me fuis apperçu depuis mon lé-

jour à Vcrfallles, oinent fouvcnt ce qui'ls

n'ont pas envie de donner. Monfieur le

Maréchal de Noailles appelle cela da

complimenspolitiques,

Frédéric étoit iïir de Ton fait-,

" les

princesdemandent rarement aux autres

ce qu'ilspeuvent avoir par eux-mêmes.

La Maifon d'Autriche ne pouvoit point

s'oppoferà rinvafion de la Siléfie. Kien

n'étoit prêt pour la prévenir. Il étoit

donc impoITibleque la France ne fe de-

cl4rac

Page 63: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

•v VI

DE P 0 M P A D 0 U R, 5t

nccs, :\

la Bafie

,les af-

ris une

-S, à ce

mon le-

:e qui'ls

fidur le

ela ici

" les

autres

Imémes.

|tpointRien

'l aoic

fe de-

chrâc

.•i

clarât point pour le Monarque PruîTien.

En effet le traitéfe fît," pour y donner

plusde poids,on y fitentrer le Roi de

Pologne, qui ne favoit pas alors que Tes

états feroi^nt un jourcnvahispar ce même

F.édéric. • * "

Cette confédération fut la bafe de plu-

fleurs autres. Le Palatinar,TEfpagne

" ritalie entrèrent dans le plan. Il é.oit

qiieftionde donner Parme, Plaifance,"

leMilanois, à D.om Philippe.

Le Maréchal de Belleifle fut chargéde

toutes Icrs négociationsen Allemagne.

Le pauvre Eicft-ur de Bavière, qu'on

vouloit faire Enij^erc^ur,n'avoit pas de

quoi lever fix-;é^inients.Il fallut lui

fournir de tout pour la guerre qu'on al-

loit entreprendre," l'armer, pour ain(î

dire, de pied en cap. La France le fit

fou lieutenant-généralen Allemagne :

ainfi le fuccefifeur des Céfars alloit deve-nir

un officierfubaiterne de la Maifon de

D ij Bour-

M

El^l-'

?S 't'ï'i

te

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Page 64: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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'I'.1

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M E M 0 / R E S

Bourbon : " en confc'quence on lui en-

voïa une arirce à commander.

.

Tandis qu'un parti fe formoit pour

ruiner ]x Maifon d'Autriche, un autre

b'établiiroit pour prévenir {jl chute. La

Hollande ^c TAn^lftcrre dont rintéicc

commun eft qu'il y ait une puiflance en

Allemagne qui puifie balancer les def-

feins de Vcrfailies, fe prcparoient déjà à

faire la guerre à l'Allemagne: mais on

ne fit encore qu'en voïer de l'argent à U

Mailbn d*Au:riche.

Prague fut pris ;" TElefleur de

Bavière proclaT.é Roi de Bohême, k

peu de tems après Empereur: Monlieur

de Belkifle fut celui qui lui donna le

premier ce dernier titre : ainfi un fij^c

du Roi de France difpofa d'un trône qui |

avoit autrefois difpofé lui-même de tous

les empires du monde.

Ce Maréchal m'a dit depuis que

la cour de Verfailles s'étoit trop prcf-

Page 66: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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I J' "' t'

f ll«l

54 MEMOIRES

depuis ce terrs-là,qu'on avoir envoie af-

fcz d'infanterie-,

mais qu'on avoit oubl é

la cavalerie qui e(l la troupe la plus nécel-

faire en Allemagne.

Le Roi de Prufle, qui voïoit de-loi n

les délavantages de Tes ail.es, ne penfa

qu'à en profiter. Il avoit fait des con-quêtes,

qu'il ne vouloit pas confondre

avec les pertes de ceux qui lui avoient

aide à les faire, mais il lui falloir en-core

une vi"fl(/jicdccifive pour k faire

ciaindredc la Maifon d'Autriche, avec

laquelle il chcrchoit déjà des rem-

péramens. Il donna la bataille de

Czaflaw, qu'ilgagna. Après cccrc vic-toire,

il refta dans l'inaftion " peu de

tems aprèsi) fit fa paix particulièreavec

Marie Tbérefe. Alors tout fut perdu

pour la France. Les poftes, les provi*

fions, les magafins furent enlevés-, " les

maladies achevèrent de détruire le refte.

Les

J i

Page 67: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE P 0 AI P J D 0 U R. 55

Les généraux François dccouvriicnt

alors le génie du Roi du Pruflc. Mon-

ficur de Belltifle m'a dit i'ouvcnt qu*il

r.'ivoic pas été la dupe de fa manière de

pt'nfcr: mais ilcomptoit que les progrès

de Tarmée Françoifi en Allemagne le

f,)rceroient à être fidelc à la couronne.

Cela efl:fivrai, ajoutoic-il,qu'au prc^mier

bruit de nos défavantages,j::dis à Mon-

fieur de Brotjlio: k Roi tic Pfujji va.

tourner ctifaque.

Un des articles du traité écolt qu*llre-

nonceroit à ralliance de la Maifon de

Bourbon : ainfi les troupes Françoifcs fu-rent

feules facrifiées. C'étoit, me difoic

il n'y a pas long-tems un habile homme,

la faute du confeil de Verfailles qui, au-

lieu d*envoïer un corps confidérable de

troupes^ pour faire face à tout \avoit fait

marcher de petites armées qui étoient

pcriesde foibleflfe les unes aprèsles au-tres.

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Biiij L'Eju-

Page 68: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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56 MEMOIRES

L'Empereur, mal fecournparlaFrarrcc,

fuïoit devant Tes ennemis, il abandon-

noit fa capitale" fe retiroit où ilpouvoir.

Son fort écoit d'autant plus à plaindre,

que Çon rang alloic le prccipiterdu plu^

haut degré d'élévation, où la fortune ait

J amais place un morte

De toutes les humiliations qu'iléprouva»

la plus grande fut celle d'être force à

implorer certe même Reine de Hongrie

Ion ennemie. Il lui fît propoferde bor-

fon h couronne impéri-ale,

" de fe défi(1er de toutes fes préten-

fi(;ns fur les biens de la Maifon d'Au-triche.

Mais les affaires de Marie Théreie

etoient en trop bon état, pour répondre

avec modération à ces propofitions.Elle

le traita prefqueen rebelle;" lui fitdire

que le feul afile où fa perfonnepouvoit fe

trouver en fureté en Allemagne, étoit

les terres de l'Empire,à l'exceptionde U

Bavière,

L'An-

Page 69: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

^.p'

DE P 0 M P yî D O U R. 57

L'Angleterre s'écoit trouvée dans la

nécefTité d'être pacifique. Miillebois,

avec un corps confidcrable de troupes,

av'oit obligé George II. de figner un

traire de neutralité, Se les Hollandois

étoi^^nt dans le cas de ne point fe mêler

des affaires d'Allemagne.

Robert Walpole, qui gouvernoit alors

la Grande-Bretagne, aimoit la paix,

parcequ'iln'avoit point le génie pro-pre

à la guerre. Chaque miniflre en Eu-rope

(à ce que éîî'a fait apperccvoir un

homme de beaucoup d'efpritque j'ai

fouvent vu à Verfailles)a ks talens par-ticuliers,

du coté defquels il tourne les

affaires générales. Le fidéme de celui-

ci ctoit que la puiflancede la Grande-

Bretagne étoit dans le commerce, "

qu'une telle nation doit foigncufemenc

les fiéf^es" les batailles.éviter le

Le Roi m'a fait voir plufieurslettres

que ce Miniftre écrivoit au Cardinal de

D mij Fleu

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Page 70: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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58 MEMOIRES

Fleury, dans lefquelles il s'exprimoit

ainfi :

** jfeme charge, lui difoit-il,d£ rendre

** pacifiqueleparkme7it : empêchez de votre

*' câté q'fe la nation ne foit guerrière: car

*'un Miniftre en Angleterrene peut pas

** toutf.ùre^'"c. "c.

Dans une autre :

" y ai beaucoup de peine à empêcher ces

"

gens ci de fe battre ; ce n\ft point qu'ils

•' fuientdécides à la guerre : mais à caufe

" quije fuisportépour la paix \ car ilfaut

•*

que nos politiquesAngloisefcar mouchent

'* toujoursfoit dans le camp de Mars ou

^^ fur les bancs de fFeJlminJler,**

Dans une troifieme,il parloitainfi :

" 7^ P^^^ unfubfîdeà la moitié du parle-

*' msnt pour le tenir dans les bornes paci-

*'^ jiquîs: mais comme le Roi n'a pas affez

** d'argent^iâ que ceux à quije n^en donne

*^ point fe déclarent ouv cric ment pour la

"

guerre^

Page 71: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMFJ'DOUR. S9

• guerre, il convtendrctt que votre Eminence

me fit -pajfertrcis-millionstournciSy pour

diminuer la voix de ceux qui crient leplus

^^ fcrt. Vor efiun met ail ici quiadoucit le

fang trop belliqueux»Il yCy a point de

guerrierfougueuxdans leparlement,qu'une

penfionde deux mille livres ne rende très

pacifique.Ni plusni moins, fi V Angle»

'* terre fe déclare,il vous faudra paier des

fulfidesaux pu'ffancespeur faire la ha-

* lance, fans compter que les fuccès de la

guerre peuvent être incertains-, au 'lieu

quen nienvdianl de V argent, vous achc-

'' tez la paix de la premièremain^^ "c. "c.

Mais Walpole, aïant été forcé de for-

tirdu mini(lere,laGrande-Bretagnes'unit

à la Maifon d'Autriche. Eile faifoitdcjà

la guerre à rEfpagne. Les Anglois en-

voïcrent une armée confidérable en Flan-dre,

avant que la cour de Vcrrailles eut

pcnfcà bien garnirTes places. Ils ctoicnc

les

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Page 72: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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60 MEMOIRES

les maîtres d'entrer en France;

" la pof-

lérité ignorera toujours pourquoi ils ne

le firentpas. Un Minière Breton m'a

dit depuis à Vcrfailles,qu'ily avoit alors

trop de mécontents dans l'arméej

"

qu'on ne ût pas cette invafion exprèspour

ne pas donner fatisfadion au partiqui a-

voit toujoursavancé que le feul moïen

qu'il y avoit de rétablir la balance en

Allemagne, étoit de franchir les bar-rières

de la Flandre. C'cfl ainfi, ajou-tait

ce Miniftre en manière de réflexion,

que notre gouTcrnement, qui paflepour

un des mieux combinés de l'Europe, fe

trouve facrifié à l'intérêt particulier.

Prague cette vilîe fur laquellela France

avoit fondé toutes fes efpérances, fut

prête à ê:re abandonnée. C'eft de-là'que

quelque-temsaprèsle Maréchal de Belle-

ifle fit cette belle retraite, dont il m'a

parlédepuis,tous les joursde fa vie : car

le vieillard écoit fort vain. 11 difoit que

c'étoit la plus bdle expédition militaire

dt: ce fiécle. TouU

Page 74: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

h-

m.

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62 MEMOIRES '

bler. Toutes les affaires de la France

avoient* un air d'avarice " de parfimo-

nie.

A fa mort le Roi devint Ton maître,

car jufques là Louis n'avolt été que la

féconde pcrfonne de Técat : mais ce Mo-narque

ne changea rien à la difpofition

des affaires gé;iérales.Les mémçs fautes

continuèrent. Un homme d*afFaires,qui

étoit alors attaché à la cour, me difoit il

n'y a pas long-tems, qu'on eût dit que le

Cardinal vivoit encore après fa mort. On

cnvoïoit en Allemagne de petitesarmées

par économie qui péridoientcomme au-paravant.

Les Hollandois, après beau-coup

de prières" de menaces, s'étoicnt

déclarés.

J*aioui dire par quelqu'un d'habile "

qui connoit la politiquede chaque gou«"

vernement, que les Hollandois ont deux

maximes dont ils ne fe départent jamais.

La première leur prefcritd*être neutres

dans les guerres qui s'élèvent entre les

grandes

Page 75: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

(O E P 0 M P'A D 0 U R, tj

grandespuiflanccs,afin de ramener à eux

feuls tout le commerce de l*Europe. La

fcconde veut qu'ilsépientle moment que

la France eft accablée par fcs ennemis

pour fc déclarer contre elle. En confé-

quence de cette dernière fans doute, ils

joignirentleurs troupes à celles de l'An-gleterre,

" fe mirent en campagne.

Après cette dernière alliance offenfive "

dcfTcnfive,toute l'Europe ic trouva en

guerre.

L'Allemagne, la Hollande, la Flan-dre,

le Pied mont ainfi que le reftede l'L

talie,tout étoit pleinde foldats. Mon-

fieur le Comte d'Argenfona calculé qu'il

y avoit alors en Europe neuf-cens-mille-

hommcs fous les armes, prêtsà s'égorger»

fans que la politiquegénéralepût en

donner la raifon. La France en particu*

lier diminuoit fa population" détruifoit

fesfinances à pure perte.Car enfin,medifoit

un jour â ce fujetun très habile politique,

que nous importoitqu'un Electeur de

Bavière

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Page 76: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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64 MEMOIRES

Bavière fût Empereur en Allemagne, "

qu'unDomPhilippedevintDucde Parme?

Je n'oublierai jamais ce que j'ailu dans

Voltaire à ce fujer. Cétoit un jeu, dit-il,

que les Princes jouoientd'un bout de F Eu-rope

à Vautre j hajardant avec ajfezd'éga-lité

le fang ^ les tréforsde leur peuple^ (^

haîafifiWtlong-temsla fortune par une corn-

penfationde belles a^ions^ de fautes i£ de

pertes.

Il faut remarquer que, pendant qu'on

fe livroit des combats de toutes parts la

guerre n'étoit point déclarée : on fe tuoit

comme auxiliares.

Charles VII. qui étoit la caufe de cet

embrafement général,n'avoitplusni états

ni fujets. On lui difputoit jufques au

litre d'Empereur, qui étoit le feul bien

qui lui reftoit-,

" on déclaroit par toute

l'Allemagne que fon éieétion étoit nulle.

Il fe vit forcé d'embrafîcr la neutralité

dans fa propre caufe. Cette feule dé-marche

aurait dû terminer la guerre d'Al-lemagnei-

Page 77: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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Cp E P 0 M P A D OU R. d^

ltm.igne: mais j*aiconnu depuis,par ma

propre expérience,que les princes ne

font pas la guerre par un filléme fjivi,

mais par un certain arrangement de

cauTes fécondes dont ils fuivent le mouve-ment.

Les grandes armces Françoifcsd'Alle-magne

s'étoienc retirées,la plupart des

troupes qu'on y avoit laifTc a/oient cié

faites prifonnicresde guerre. M. le

Maréchal de Noailles m'a dit plufieurs

fois que, de toutes les fautes d'état quî

s'écoient commifcsen Europe depuis dix-

fiécles,celle de la guerre d'Allemagne

avoit été la plusgrande.

En lifant l'hiftoire de ce tems là, j'ai

remarqué que, de tous les Princes qui

faifoient la guerre, Emanuel Roi de Sar-

daigne étoit le feul qui étoit fondé à la

faire. On vouloit placer à côté de fes

états un Prince de la Maifon de Bourbon

qui, une fois établi, l'auroit gêné beau-coup.

Il s'allia avec les ennemis de la

France,

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Page 78: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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trauc avec d/e I'a. .

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de l'aro^n/ '^'"•eleterrcluidonna

--q";neiu,appanc„cicpr"""^""

du Prctendanri^^""«Edouard,fil,

C'étoitun jeunehomme,hardi,brave

"u'e que je ne faissM feroit,„ n^

droits

Page 79: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPâDOUR. 67

tiroirsde fa familie. Il y a une je ne fais

quellefatalitéattachée à ce nom.

La France fitdes préparatifsen fi fa-veur,

" lui donna tous les fecours que la

pofitionprélentedes affaires pou voit lui

permettre : mais tout échoua. Je de-mandai

un jourau Roi, long-tcms après

cet événement, s'il avoic eu réellement

envie de placerle Prétendant îw le trône

de la Grande-Bretagne? Il me répondit

que ni lui ni Ton confeil n*avoient jati-yais

cru que cela fût pratlquable\ que ce ré-

tabliflement tenoit à une foule de caufes

fécondes,dont iln'étoîtpluspofTiblcà la

politiqued'arrêter le cours. Le Maré-chal

de Noailles lui dit un jouren ma

préfence: Sire^fivotre Majsftéavoit fait

direla mefeà Londresyil aur oitfalluy en*

voier une armée de trois-cent -mille-hommes

pour lafervir^

Cependantle jeuneEdouard, quicher-

choie avidemment de faire parlerde lui

dans le monde, s'embarqua. Il vie de

loin

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Page 80: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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loin un roïaume far lequelle deftin " la

politiquercmpcchoientde régner. Une

tempcce s'oppofa au dtbarquerr.cnt,l\

flotte fut dirpcrfce-, néanmoins le fou-gueux

Prétendant, malgré les vents, vou-

loit entrer dans Tide, " fe battre lui fcul

contre toute l'Angleterre.On aiïuroit ù

Verfailles quM avoit un grand parti ;i

Londres; ": c'ccoit fur ce plan qu*on a-

voitdreHe celui de l'expédition.

Il n'y a pas bien long-tems que, me

trouvant chez Monfieur de BelleiQe, lorf-

qu'ilcherchoit quelques écritures dans

Ion cabinet,il -^e remit un papieren me

difant :" T'en.z Madame^ hftz\vci/à une

** lettre qui nous coûte bien des millions qui

^^ font tombés dans la mer. Elle fut addref*

^^ féeà la cour de France par un parti de

?' Bretons, qu\n Angleterreon appelleJaco-

y bites,''Elle ctoit conçue en ces termes.

*' Le tabernaJe eftprêt-, le faintfacre-

"* ment rCa quà pardtre\ nous irons au de-

l\vant de lui avec la croix, La procffian

'^fera

Page 82: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

70 M E M 0 I R E S f '^

^^fûIUf£s? de l*attire il veut le dépouillerde

^^ fon argent.^^

La defcente en Angleterre aïant man-

cjuéjon fît de nouveaux CiForts en îtaîie,

pour yfaire paflerDom Philippe. Le

Roi de Sardaigne, qui a la clef des Alpes,

s'yoppofoit. Le Prince de Conti s'croit

engage à les forcer. C'ctoit faire la guerre

à Dieu, qui a (éparc les deux ctats par

des montagnes inaccefllbles. Je me fuis

fait lire plufieursfois dans mon apparte-ment

les campagnes de ce Prince dins

ces climats iîiacceiïibles,\à prifede Châ-teau-Dauphin,

" fes autres fuccès fur ces

rochers, " j'aitrouvé le Prince de Conti,

dans cette expédition, plus grand que

nombre de héros dont on vante tant le

nom. Mais on ne rend pas toujours

jufticeaux grands hommes.

Louis XV. qui n'avoit pas encore paru

à la tête de fes troupes, voulut s'y mon-trer.

Il réfolut de faire ù première cam-pagne

en Flandres. A fon arrivée Cour-

tray

Page 83: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

par

fuis

I

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Weni

tray fc rendit, " clans peu jvjlenineut le

même fort. Le Roi alTi(lalui-même aux

travaux, " encourageoicles foldats par

fa prcfence.

Comme on a beaucoup parléen France

de cette premièrecampagne, à la paixje

demandai au Roi, s'il s'étoit trouvé un

goût décidé pour h guerre ? II éluda

d'abord la léponfe, me parlaen termes

généraux: mais un an après,dans un de

ces momens de confiance, où le cœur fc

répanddans les bras de Tamitié, il me

dit que c'eut été la pafliondominante, ":

que, fans l'exemplerécent de Ion biraïcul

" l'S confcils du Cardinal de Fieuryqu'il

avoit coniinuellement devant les yeux, il

s'y fûc livré tout entier: mais que Ta-

mour de fes peuplesl'avoit emporté fur

fa paffion.ILureux le gouvernement,

oj leMon:\rquelacrificfon penchantà la

félicitéde Tes (ujcts!

Louis fut ojligéd'abandonner fes pre-mières

conquêtes,pour courir au fecours

I de

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Page 84: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

V 1

72 MEMOIRES

de i'Alface. Le Prince Charles avoit

paftcle Rhin, " menaçoic d'envahir plu-

fieiirs provinces de la France. Le Roi

y marcha à la tcte d'une armée, " le

Prince repaflale Rhin.

Quelques avantages que la France a-

voit eus en Flandre, ne rendoient pas Ton

fiftéme meilleur. L'alliance que la reine

de Hongrie avoit contradlée avec l'An-gleterre,

la Hollande, la Sardaigne,": la

Saxe, formoit un trop grand contrepoids.

Le Roi de PrufTe, qui en avoit fait une

lui-n.cme avec la Grande Bretagne, n'a-

voit pas mis dans fon marché que laMai-

fon d'Autriche deviendroit Ci puiflante.

Il ell toujours foufentendu dans les

traites entre les Souverains, que ctrlui,

pour qui on fe déclare neutre, n'augmen-tera

pa«. fes forces au-delà d'une certaine

proportionrelative. La Maifon de Bran-debourg

a plus à craindre de celle d'Au-triche,

que de toute autre de l'Europe.

Il demeura fimple fpedlateurde la guerre,

tant

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h

d(

fc

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Page 85: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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DE P O M P A D O U R. 73

tant quela France " PEmpereur ne fi-rent

quede petites pertes : mais auITuôc

que la Reine fît de grands progrès, il

pritles armes contre elle pour les arrêter.

J'ai fouvcnt demandé depuis au Maté-

chal de Noailles, Tun des plus grands

hommes qu'il y ait en France dans la

Théorie politique,d'où vient que le corps

des Souverains fouffre ces manques de

foi, qui, dans la vie civile,pafTent pour

des vices intolérables ? Il m'a répondu

que ces infradlions étoient néceflai-

res, qu'ellesfaifoient la iiireté de IMui-

rop?. Sans elles, la république univer-

fclle fcroit bientoc alTervie à un

feul Prince. Il fuffiroit pour cela qu'il

eut une fois porte les autres à eue

neutres.

Le Roi Je Pruiïe, après s'être de nou-veau

allié avec la Fiance, marcha aufTitôt

vers Prague avec une puiflante armée.

Tandis que la France entière fe réjouïT-

foit des avantages de Frédéric, die reçut

fome L E une

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Page 86: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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74 MEMOIRES

une nouvelle qui i*atfMfta beaucoup. I x

Roi tomba malade à Metz, ^ dans peu

fa Vie fut en danger. La défolation alors

fut générale i je me louviens q'.ie tout le

iDonde pleuroit. Ces larmt's rcpandutrs

uni verfellc ment font mieux ion éloge

"^ue tous les traits flatteurs tlont les é:ii-

vains rempliront un jour Ton hiftoire.

J*ai parléà beaucoup de gens qui furi'nt

tcmoinsdclamortdtîLouisXIV. ib m'ont

affuré qu'aucun Françjts n*avoit verfc

une larme : cette nouvelle ne frappa

perfonne -," le iour de Ton enterrement

on avoit déjà oublié qu'il étoit m^)rr.

CVfl que la bonté a le pas fur rhéroïfme;

" Louis XV. eft le meilleur Prince qui

ait jamais régné.

Ce Monarque revint de fa maladie, "

la joie fut alors univerfelle. Ce Prince

ÏM le fiégede Fribourg en Brifgaw -,il en

démolit les forriGcations, comme il avoit

déyi détruit celles des autres places dont

il s'étoit rendu maître i" par cette poli-tique

Page 87: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE P O M P A 'D O V R. 7^

tique il prévint peut-éiredès-lors un

orand nombre de guerres dans les âges

futurs.

M. de Maurepas me difoit un jourà ce

fujttqiïchsTurcs ôi lesP^rfans n'avoienc

prcfquepointde placesfortifiées," que

la raifon

laces

pourqi ils fe faific ei'jit

rarement la guerre. J'ai oui aire uepuis

(juc la plupart de nos guerres Euroj-c-

cnnes tiroient leur fource de cette origine,

que les états fc fioient trop fur les bat-tions

"" les citadelles,ce qui empcchoïc

rdlet des négociations.Dans ce cas là,

L' fameux Vauban, dont j'aifi ibuvcnc

entendu vanter le génie, aurait été bien

ftinelte à la France.

Cependant le Roi de Prulfe qui, en

prenant les armes en faveur de la France,

avoit fait changer tous les fiftêmes d*Al-

k-magne, leva le fiégede Prague. Son

armée fuie devant celle du Prince Charles,

qui, aïant repalTéle Khin à la vue des

François, pallaTElbe à la fuite des Pruf-

'm ! '

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Eij flCliS,

Page 88: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

iifi

76 M " M 0 I R F s

fiens. Je n'ai jamais pu connoître V. gé-nie

de ce Prince Charles qui diris^eala

plupart des plans de cette guérie.Les

uns m'en ont dit tant de bien " les au-tres

tant de mal, qu'ilm'a été impolTiblc

d'âflfeoir un jugement fur fon compte.

Le Maréchal de Noaillcs, qui connoît

les hommes, m'a dit que ce Prince ne

manquoit ni de talens ni de génie \ mais

que la bonté de fon cœur détruilbit les

qualitésde fon ame. 11 n'a point de vo-lonté

en propre, m'ajouta-til, il fc laiHe

dirigerpar tous ceux qui l'environnent,

": ceux-ci ne font pas toujoursles plus

habiles gens du monde. Par exemple,

reprit-il,le voilà afluellement à Bruxelles

Gouverneur des Païs-Bas : il y a un Al-lemand

autour de lui qui lui fait faire ce

qu'ilveut, " ce quM veut n'tll pas tou-jours

ce qu'ilfaut.

La puiflancede la Maifon d'Autriche,

qui avoit été afFoiblie par la nouvelle al-liance

du Roi de Pruiïe avec la France,

fut

Page 90: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

)

;8 AI £ AJ 0 J R £ S

nent capitainespar l*age,les réflexions k

IVxj^cfience,celui ci écoic né général.

Ses ennemis-mêmes (" il en avoit beau-coup

à Vcrfaillcs}lui ont rendu cette jul-

lice, que jamaishomme n*a eu un coup

d^ceil plusétendu. Il voïoit d'abord ce

q'je les autres commandants ne décou-vraient

que par le tems " les circon-

ll.mces. Maurice ne prévoioitpas feule-ment

les cvénemcns, mais il les faifoit

naîirc -, "de cette manitre, on peut dire

qu'ilrc^loitle deftin. Ce généralfaifoit

la guerre en géomètre : il ne livroit ba-taille

qu'aprèsl'avoir gagnée dcmonftra-

tivement. On lui donnoit encore les

qualitésdu grand Turenne, c'tft-à-dire,

l'art de camper " de décamper à-propo-S

pour tracafftT l'ennemi, ce quiforme une

pcti:e guerre, qui conduit prefquctou-jours

aux grands avantages.

Au reftc ce portraitn'cit pointde moi :

je ne fuis que l'écho des gens du métier

qui fe font fouvcnt exprimésainfi en ma

piéfcnce. Pen-

Page 91: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE P 0 M P J D O U R. 79

Pendant que les afTaircs de la guerre

alloient bien, l*.iciminiIlraiion alloit mal,

LrKoi ne favoit où pren.lredes minillre?.

M. le Comte de Maiirepas failbit aller la

marine, autant que les Anglois " la po-

fition des affaires pouvoit^nt le lui per-mettre

: mais les autres bureaux ctoient

dar^s un délbrdre aQVcux. On Trit les

alfaires-ctrangercsà un vieillarinommé

Villeneuve, qui avoit été long-tems Am-

bafludcur à la Porte. Cet homme, dont

on a beaucoup vanté le mérite, avoit rui-ne

le commerce à Conftantinople,en lie

faifant lui-même le premier Marchand de

la nation. Il s'ctoit retiré de Ton Ambal-

fade avec des richeflts immenfes, qu'il

avoit ufurpces fur les Marfeillois. Ses

qualitésprincipalesétoient Tépargne Se

réconomie. Ces vertus, que le Cardi-nal

de Fleu y avoit beaucoup chéries,

é'oient fort à la mode à Verfailles. On

parvenoit à tout par la léilne. Le

vieil Ambafl4deur refula le bureau

E iiij qu'on

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Page 92: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1
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Page 95: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

80 MEMOIRES

qu'on lui offroit,fans doute parcequ*il

étoit plus pénible que lucratif. D'ail-

leurs j'aioui dire par des gens qui l'a-

voieni connu perfonnellement qu'iln'a-

voit pas le génie propre à cette forte d'ad-

miniftration. On avoit beaucoup vanté

ks, ralens, parcequ'il avoic fait la paix

entre la Porte " la Maifon d'Autriche.

Ces fortes de négociationsà Conflantino-

plc fe font ordinairement fans qu'un Mi-

îjiftre y mette beaucoup du fîen. Mon-

fieur de Maurepas m'a aflfuré que toute

cette affaire avoit roulé fur un Drogue-

man François nommé de Laria, qui con-

noiiToit parfaitement le génie Turc, "

que Villeneuve avoit emploie dans cette

négociation.

Cependant les affaires d'Italie n'alloicnt

pas bien. Dom Philippe avoit pris "

reprisla Savoie, fans pouvoir percer dans

le Plâifantin.

Le Roi de Naples, qu'un fimple Ca-

piiaincde vaifTeau Anglois avoit forcé à

la

Page 96: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

D E P 0 M P A D ou R. 81

la neutralité, parcequ'il n'étoit pas en

é at de prendre les armes, la rompit dès

qu'ilfut préparé à faire la guerre.

Il s'étoit avancé jufques à Vtletri, oïl le

Prince Lobkowitz, en voulant le fur-

prendre, fut furpris lui-même. Beau-coup

de monde péritde part " d'autre,

" comme je l'ai oui dire par des officiers

très expérimentés, il arriva alors ce qui

aitive prefque toujours dans ces occa-

fions, on s'affoiblit de part " d'autre "

l'on n'en fut que plus mal.

Lobkowitz s'enfuit devant le Roi de

Naplcs qui le pourfuivitdans l'écat eccîé-

fiaftique," Rome vit deux armées à fes^

portes " en fréiTiic.

Il arriva alors un petitévénement en

Allemagne, qui peut fervir à faire con-

tioître combien la guerre cft injufte,puif-

qu'elle fait oublier dans les puiflances.

belligérantesjufques au droit desgensv

qui devroit être inviolable chez toutes les^

nationsr

E îiiij; Lej

'r'S

Page 98: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE P 0 M P A D OU R. 83

On travailloit à Vienne, à Berlin, " à.

Verfailles fur les mêines plans qui avoient

été concertés dans les cabinets, lorfqu'un

événement imprévu changea une partie

des difpofuions. Charles VII. cet Em-pereur

infortuné,' qui n'avoit pas eu un

moment de tranquilité fur le trône des

CéJars, vint à mourir. Si la nature feule

peut rendre les hommes heureux, celui ci

ccoit le plus infortuné de tous les mor»

tels. Un tempérament foible lui faifoic

paflerdepuis long tcms des jours pleins

de ibuffrances " de douleurs. L'ambi-tion

qui ell toujours la première maladie

des Souverains l'accabloit autant que fes

maux : au- milieu de Tes infirmités, il ne

pealoit qu'à s'affurer un trône que foa

mauvais tempérament alloit lui enlever.

Son régne avoit été rempli de viciffi.-

tudes : Chai les s'écoit trouvé à la veille

d'étrt fans domicile. Il lui fallut fouven*

abandonner fa capitale " fa maifon.:.

ain(i,

r-, :

Page 99: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

84 ME MO r R E S

alnfi le fucceffeur des makres du monde

n'eut quelque fois ni feu ni lieu.

11 éioit païé par la France pour être

Empereur. On lui donnoit fix-millions

pour foutenir un rang qui, à caufe de

cela- même, ne lui appârtenoic pas. Les

gens, qui connoilTent les caufes de la

grandeur " de la décadence des Maifons,

prétendent que le malheur de celle-ci

avoir été de s'allier avec celle de Bourbon.

Ce qui arrivera toujours,dit on, aux pe-tits

états qui s'uniront aux grands.

Après la mort de Charles VII. la

France cherchoit des yeux en Allemagne

un Empereur, car iJ n'étoit pas poflible

que le fils de Charles pût fuccéder tran-quillement

à fon père. 11 n'avoit ni l'âge

ai les moïens de fe maintenir fur le trône

impérial, quand même on eut voulu l'y

placer. On penfa cependant à lui, mais

ce ne fut qu'un projet qu'on fit feule-

oicnt fcmblant de vouloir exécuter. Un

hommç

Page 100: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

\tnç

DEPOMPADOUR, 8s

homme de bon fens me difoit derniere-

menc : il y a une petitcfledans les

princesque je ne faurois leur pardonner j

c'ed de faire fe m blanc de ibuhaiter ce

qu'ils ne veulent pas, " d'agir cepen-dant

comme s'ils le vouloicnt. Cette

faulTe manie ôte la vie à une inBnicé de

braves citoïens de l'état, " ruine ta ré-publique.

On donna encore ici quelques bafcules

inutiles pour eflaïer d'aflurer le fceptrc

impérialà un Prince, qu'on favoit ne pou-voir

point le garder. Mais le jeune E-

ledtcur plus fage que Ton père, renonça à

un trône que fcs alliés ne pouvoient point

lui conferver\

" par-làfit plus de bien

à la France qu'ellen'auroit pu s*en faire

elle-même par le fuccès le plus heureux

de fa politique.

On s'addrefTa alors au Roi de Pologne.

Ce choix avoit cet avantage pour la

France qu'ildétachoit un Souverain de la

Maifon d'Autriche. On a écrit que TE-

2l kétcur^

Page 101: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

86 MEMOIRES

kdteur de Saxe n'avoic pasvoulu de

l'Empire : mais Monfieur de Belleiflc

m'a dit qu'il n'avoit pas pu le vouloir;

" que ce Monarque en avoit vu l'impof-

fibiiité dès le premier moment qu'on lui

en avoit parlé. Un Roi de Pologne Em-pereur

tut révolté toutes les cours du

Nord, " ce Monarque eut eu autant de

guerres à foutenir, qu'il y avoit alors de

Souverains en Allemagne. Voïanc Tim-

poflTibilitéqu'ily avoit d'aquérir, il fe fit

honneur ce cette impuiflancc auprès de la

Reine de Hongrie. Il s'allia plus étroite-ment

avec elle, pour l'akkr à placer le

Grand -Duc de Tofcane fon époux fur le

trône des Céfars. Si on pou voit fe pcr-

fuader que la politique n'eût pas agi dans

cette occafîon, le Roi de Pologne pouroit

paflTcrpour un Prince rempli de probité. Il

avoit un traité defFenfif avec la Reine de

Hongrie, il facrifioit donc Ton ambition à

l'alliance qu'ilavoit contradée avec elle :

exemple rare dans l'hilloire d";s Souve-rains!

Le

Page 102: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPADOUR. 87

î.e Prince de Soubil'e me difoit,en me

rappellantcette époque, que Tirrégula-

rité des traités en Allemagne, après la

mort de CharlesVII. avoit forcé la France

à avoir une conduite plus régulièredans

le Nord. Elle fe borna depuis à une

guerre defFenfive,ce qui étoit la feule po-litique

qui pût lui convenir.

L'Allemagne étant abandonnée a elle-

même, il fut queftion de la Flandre.

Maurice y prépara tout pour un de ces

coups hardis qui décident du fort des

états. Il fit le fiége de Tournay oii le

Roi aflifta en perfonne. Ce fiége mit en

danger la Hollande, qui dans cette occa-

fion chercha à fe battre.

J'ailu avec étonnement, dans les an-nales

de ce tems-là, que cette compagnie

de Marchands qui n'ont d'autres idées

que celles du commerce " de l'épargne,

ait été la première dans cette occaQon

à demander une bataille, dont la perte

pouvoit«ntrainer celle de la république.

La

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Page 103: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

^8 MEMOIRES

La bataille de Fontcnoi fc donna, "

les alliés la perdirent. On a beaucoup

parlé dans le monde de cette vitfloire.

Je m'en fuis fait donner le détail par un

Officier- général qui y avoit commandé,

" j'aitrouvé que cet événement ne de-

voie pas être mis au rang de ceux qui

rendent illuftre une nation»

L'armée Françoife écoit beaucoup plus

forte que celle des alliés ;le Roi " le

Dauphin afliftoient en perfonne à cette

bataille. Ces deux Princes étoient té-moins

oculaires de la bravoure des

troupes, ce qui forme un fécond courage,

qui contribue plus à remporter de» vic-toires

que le premier : les magafins

étoient abondamment pourvus, les fol-

dats ne manquoicnt de rien, la maifoa

du Roi y étoit,le tout commandé par uq

général expérimenté^ en qui les troupes

avoient une confiance aveugle : les

Princes du fang, les Ducs " Pairs "

grefquc toute la nobleflc du roïaume y

cam-

Page 104: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPaDOUR, 89

combattoient à côté du foldat, " y par-

tageoi"rniavec lui Tes périls" fa gloire.

En un mot toute la monarchie Françoife

étoit à Fontenoi en perlbnne. Si avec

tous ces avantages, les alliés en avoient

eu, c'écoit fait de la monarchie. Les

ennemis venoienc aux portes de Paris.

Je ne prétends point diminuer ici la

gloiredu Maréchal de Saxe qui dirigea

cette journée.

Il m'en a fouvent fait le récitlong-tcms

aprèsla paix," j'aitrouvé que ce héros,

qui ce jour-làétoit mourant, s'y étoit

furpafle. Il penfa à tout " remédia

à tout : il n'eft pas donné à l'efprit

militaire de porter fes vues plus loin.

Cependant des gens du métier m'ont

afîuré qu'on commit de grandes fautes à

cette journée," qu'on fut fouvent obligé

de défobéïr aux ordres du généralpour

les réparer. Le Duc de Biron prit fur

lui de ne point délaiffer le pofte d'An-

toin, qu'on avoit expreflfémentordonné

d'aban-

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Page 106: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE FOMPADOVR,91

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Du camp de FonUnui un: bture après la batailU,

'' Madame,

'' J'ai vu tout perdu, lorfquele Maic-

chal de Saxe a tout réparé. Il s'cft

iiirpaiïeen cette journée. Mes troupes

s*y font battues avec un courage in-vincible.

Ma Maifon fur-tout y a fait

des prodiges. Je lui dois le gain de la

bataille. La nobleHe Françoife y a

combattu fous mes yeux : j'aiété té-moin

de fa valeur héroïque « « «

Les trois dernières lignes étoient chif-frées.

Cette lettre mit beaucoup de tranquil-lité

dans mon ame.

Depuis le départ du Roi pour la Flan-dre

je voïois fouvent l'Abbé de Bernis.

On me l'avoit donné pour me tenir com-

pagnie

Page 107: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

92 MEMOIRES

pagnie pendant rabfencc du Roi. Cet

homme avait été introduit dans le monde

par les femmes. Il ne manquoit d'au-cuns

de ces petitstalens qu'il faut pour

plaire à notre fexe : complaifances, fa-çons,

manitrres, affabilité,cfpritailé,ra-contant

avec grâces, parlant bien, fai-

fant joliment des vers, "c. A toutes ces

qualités,il joignoit une figureaimable

qui prévenoit en fa faveur. Cet Abbé

écoit tout pleinde chofes flatteufcs à dire

aux Dames, ce qui faifoit qu'on le voïoit

continuellement avec plaifir.Comme il

ne prononçoit jamais le mot de fortune

dans nos premiers entretiens,jecrus avoir

rencontré à la fin une ame belle, fupé-

rieure aux biens " aux rangs. Je me

trompois : cet Abbé écoit dévoré du dé-

fir de fe diftinguer à la cour. Sous un

défintéreflement fimulé, il cachoic une

ambition démefurée. Son appartement,

à ce que j'aiapprisdans les fuites, écoit

un magafin rempli de mémoires. On y

en

Page 108: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE BOMPADOUR. 93

en trou voit pour les fermes, pour l\'fc-

nomie, pour la guerre, pour la marine

" pour les finances. Il avoic une

facilité admirable, pour créer des pro-jets.

11 imaginoit tout ce qu'il vou-

loit.

La journée de Fontenoi prépara les

autres conquêtes de la Flandre Autri-chienne.

Les Flamands reçurent Louis

XV. dans leurs villes avec de grandes

acclamations de joie. J'ai lu dans la

plupart des révolutions du monde que les

peuples fonc prefque toujours enchantés

de changer de maîtres.

Cette viétoirc caufa une révolution gé-nérale,

les Allemands " les Anglois ré-élurent

de percer dans le roïaume. Ils

y pénétrèrentpar la Provence " la Bre-tagne

: mais ce ne fut que pour s'ymon-trer.

Les Autrichiens paflferentle Var

" le repafferent-, les Anglois débarquè-rent

": fe rembarquèrent. Notre hiftoire

moderne éft remplie de ces équipées mi-litaires.

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Page 109: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

94MEMOIRES

lioaires. La poftcritéignorera toujours

pourquoi le Général Sinclair,qui étoit à

la tête de cette expédition, après avoir

fait capitulerune Ville Françoife, s'en-fuit

fans jouïr du fruit de Ja capitula-tion.

Ceux qui liront les annales de notre

fiécle auront de la peine à croire que les

cabinets de l'Europe aient fait tant de

fautes, " que les Généraux d'arméc^s

aient donné dans un fi grand nombre de

bévues.

Les Génois, qui avoieiit introduit les

Efpagnolsen Italie,en furent abandonnés^

l'état de Gènes fut envahi, " la capitale

prifcpar les Autrichiens. On demanda

d'abord aux Génois l'argent qu'ils a-

voient, " enfuite celui qu'ilsn'avoienc

point.

Cependant l'armée Allemande courait

après \t^ François " les Caftillans qui

fuïoienc devant elle. Elle pafîale Var à

leur fuite," s'établit dans la Provence.

Botta,

Page 110: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR.95

Botta, à qui on avoit confié la ville,"

qui etoit alors à Saint Pierre des Arènes,

oublia qu'il n'avoit point d'arméepour

la garder, " que ce qui reftoit dans ce

Fauxbourg n'écoit qu'un tas de malades

la plupart expirants. Comme on ne

fait pas la guerre avec des morts, il vit

naître une révolution à laquelleil ne put

remédier.

Les Génois, qui étoient devenus ef-

claves en préfence d'une grande armée,

recouvrent leur liberté après qu'elleelt

partie. Ce Botta fit alors une grande

faute. Il propofa au fénat de s'unir à lui

pour combattre ce qu'ilappelloitles ré-belles,

il ne voïoit p^s que ce même fénat

favorifoit fous main la révolution. On

lui promit ce qu'ilvoulut, maisce n'étoit

que pourdonner au peuple le tems de

fe ramafîer " d'unir fes forces. Ce Gc-.

ncral s'en apperçut, mais ilétoit alors trop

tard, il fut obligé de s'enfuir "; d'aban-donner

tous fes magafins. "t r

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Page 111: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

96 MEMOIRES

Le R(M m'a montré une lettre, qui

avoit été envoïée dans ce tems-là à la

cour par un fénateur Génois, où toute

cette affaire étoit détaillée. On y dé-couvre

d'un bout à l'autrejeprojetformé

de fecouer le joug de la fervitude Au-trichienne.

Le grand-confeily prêtoit

les mains depuis long-tems fans parpître.

Ce ne furent point les canons que les

Allemands traînèrent dans Gènes,, qui

firent naître la révolution : le plan en

étoit déjà formé\ cet événement ne fit

qu'en hâter le moment. C'eft ainfî que

la poftéritécft fouvent trompée dans

l'hilloire. Les annales du monde donnent

(buvent au hafard ce qui eft l'effet d'un

deffein prémédité.

Gènes délivrée éprouva un autre bon-heur,

c'eft qu'ilne fe trouva alors aucun

citoïen affcz confidérablc pour ôter la li-berté

à la république. Le moment étoit

des plus favorables : toute la puiffance

de l'état étoit entre les mains du peuple :

or

Page 112: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPJDOUR.97

or il fufRt toujoursdans ces occafions^ ii

ce que j'aioui dire par nos politiques,de

donner de l'argent" d'accorder des pri-vilèges.

Cette révolution, qui paroilToicune

affaire particulière,changea le fiftême

de affaires générales. Les Autrichiens

qui dévoient alfiégerToulon, èc faire

contribuer Marfeilles, n'aïant plus ni re-traite

ni provifions,repaHerent le Var.

La cour de Vienne alors ne ménagea

rien, die fit bloquer Gènes, " menaçi

les citoïens du plus dur châtiment, s'ils

ne le rendoient : mais les Génois*,qui û-

roient du fecours de la France, refillerent

au blocus " aux menaces. On leur en-

voïa de Bouflers " enfuite le Duc de

Richelieu pour les commander. Mon-

fieur de Maurepas m'a dit fouvent que

les Anglois, qui bloquoientGènes par

mer, avoient fait une grande faute, qui

étoit de n'avoir pas eu une petitemarine,

TomeL F com-

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Page 114: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE P 0 AI P J D 0 U R. ,g:^

homme me dit dans ce tems-là que ce

qui pouvoitarriver de plusheureux au

Pfc:enclantécoit de s'enfuir d'Ecoffe au^î

funivement qu'ily écoit entré : mais c'é-

toitun jeune homme quicherchoit moins

•uéuTir dans ces projets,qu'àles exécuter

finguliercment.

Cependant cette démarche, toute mal

combinée qu'elleécoic,avoit cet avan-

ta2;e pour le cabint-t de Verfailles qu'elle

failbicune diverfion en Angleterre. La

France s'cft toujoursfervie de la Maifon

de Stuard pour fes defleins particuliers.

J'aidu regret que George II. qui avoit

de la force " de la réfolution,ait té-moigné

quelque inquiétudelàdellus.

Un Lord m'a dit qu'ilavoit faitfaire un

ferment à la Milice de Londres, par le-quel

ellepromettoitde croire fincerement

que le Pape n'avoit pas le droit de faire

alîaflînerles Princes. 11 fit ouvrir aufli

les archives de Rochefter,pour y cher-cher

k formulaire d'excommunication

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Page 115: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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ICO MEMOIRES

du Saint Siège,tel que les Papes l'emploï.

citnt autrefois, atin d'infpirerde Thor-

reur aux Anglois pour le ficgede Rome.

Je ne voudruis pas que les Souverains

tmploïafTent ces petiteschoies qui mar-quent

toujours une ame foible. Un

Prince doit témoigner de la fermeré Tur

\t trune.

Le Prcccndant publia un manifefte

peur expoier les droits aux yeux de toute

rAn2:leterre :mais il n'v avoir dans ce

manifefte que des termes " des mots,

mais George avoit des troupes " du gros

canon.

Monfieur le Maréchal de Belleifle m'a

fait remarquer plus d'une fois, qu'ily

avoit une cbofe fingulleredans ce mani-fefte.

Le Prince Edouard y avoue dans

lin endroit qu'ily a de la faute de la

INlaifon de Stuard d'avoir perdu le trône

d'Angleterre," il infilte feulemen: fur la

réparation. Si les plainlcs rit-il,aulre-

fçis fermées centra notre Ji^mîlk\ont été oc-

cafionks

Page 116: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPJDOUR. ICI

ca/toncespar quelquefautedans noire gou-vernement^

elleles a bien expiées

Le Jeune Edouard pritpofTcfrion,au

nom de Ton Père, des roïaumes d'Angle-terre,

d'Ecofîe, de France, " d'Irlande,

dont il fe déclara le Régent. PalTe pour

l'Angleterre,-mais c'étoit bien vite faire

un Roi de France. Ces titres, qui n'é-

toient pas mieux fondés que la poflefTion,

difparurentpeu de tems après.

Pendant ce tems-Ià la France cherchoit

à rendre neutres les Hollandois i les deux

cours lachoient des manifeftes " les mi-

nillresnégocioient: mais ce projetde

neutralité ne fit que produireune nou-velle

guerre d'écritures. Monfieur l'Abbé

de laVille donna des Mémoires en beaux

termes " avec préclfion,on lui répondoit

élégamment en phrafesconcifcb,mais les

bataillescontinuèrent.

Les affaires d'Allemagne avoient

changé de face. Le Roi de PrcfTe,

aprèsavoir reconnu le Grand Duc de

F iij Tof.

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Page 117: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

102 MEMOIRES

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Tofcane pour Empereur, fit fa paix avec

Ja.Maifon d'Autriche. On m'a Ibuvent

répète un bon mot du Ma-échal de Belle-

ifle à te fujet-lù.Je favcis hkn^ di!oit-il,

que c(t bcnme^ qui aime tant la guerre^ de-

viendrcit pacifiqueà la première cccaficncit

\ il trouveroit fon avantage,

Monficur de Soubife m'a dit fouvent

que ce Monarque aurcit reconnu lePape pour

Empereur^ fi quelqueSouverain cï*Allemagne

lui avoit donné feulementcent -arpent s de ttrre

en quarrê. Cette paix avoit cet avantage

pour la France qu'ellediminuoit le pou-voir

de la Maifon d'Autriche. L'Italie

feuîe paroiflbiten devoir fouffrir-, car il

étoit à préfumer que la Reine de Hon-grie,

n'aïant plus de batailles à donner en

Allemagne, chercheroit à livrer des com-bats

au-delà des Alpes. Elle envoïa

quelques fecours dans les Païs-Bas; ce

qui n'empêcha pas le Maréchal de Saxe

de prendre Bruxelles. Ce fut alors que

Louis XV. pour donner la dernière main

à la

Page 118: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE P 0 M V A D OV R. io:ç

•ila conquête de la Flandre Autrichienne,

partitpour le Brabant afin d'y commaa-

vJcr Tarmce en perfonne.

Lts progrès furent très rapides,U pré-sence

du Roi, ^ la confiance que le foU

dat avoit dans les talents du Maréchal de

Saxe, rendirent tout facile. Il n'en é:oic

pas de même du Prétendant en EcoiFc,

où ii fuïoit devant Tennemi, ": cédoic

prerquetoujoursle champ de bataille au

Duc de Cumberland.

Ce fut dans ces circondances que

Monfieur d'Argenfon écrivit indirecle-

ment au gouvernement d'Angleterre pour

lui recommander lejeune Edouard, Ua

homme d'elpricm'en a fait voir depuis

le ridicule : car quand on auroit in["ni"^nv^

ctt expédientexprès pour faire périrco

Prince, ii étoit impolLble d'y mieux

rci] Jir.

Ce Miniftre le repréfentoità la cour,

comme parent du Roi, dont la pcr'brnc

h \tz quali.éslui écoient cxtrémemenc

F uïj chères

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Page 119: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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104 MEMOIRES

chercs. On y affuroit que le Koi George

ctoit un Prince trop équitablepour ne

pas apperccvoirle mérite du fils du Pré-

tendant. Ce manifede difoit enfuite aux

Anglois en généralqu'ilsdévoient admi-rer

en lui If s talents d*un illuftre patriote.

On pa0bit de là aux conféquences dan-

gereufesqu'il en réfulteroit pour l'An-

g^eterre, fi en traitoit le jeune Edouard

avec trop de rigueur,"c. "c. "c. On

ne voïoit pas que cette déclaration devoit

produire précifément un effet tout con-traire

à celui qu'on fe propofoit. Le

crime du Précendant n'étoit pas d'être

pafTé en Ecofle, mais d'être l'alliéde la

France. Les gens conléquents difoicnt,

ou le Prince Edouard eft rébelle, ou le

Koi George efl:ufurpateur. Les Souve-rains

ne doivent point accorder de pro-

tedion aux rebelles,ni s'abaftrr à prier

les ufurpateurs.

On prétend que l'invention de cette

lettre étoit d'unCà dinal qui,étant mem-

bre

Page 120: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE P 0 M P A D OU R: 105

brc du facré coilége,vouloit afTurcr une

retraite au Préccndant : mars c*étoit jufte-

mcnc le moïen de la barr^T. L'Angle-terre

aufli fans s'embaraflTtr de ce mani-

fefte, fit trancher la tcte à des Lords

qui s'étoient engages dans Ton parti, "

elle mit même à prix celle du Préten-dant.

'

? Pendant que tous les Princes de l'Eu-rope

fe faifoient la guerre, ils rafTem-

bioient leurs Miniftres à Biéda pour tra-vailler

à la paix. C'étoit un furcroit

d'opérations pour les cabinets qui fe

montroient en même tems guerriers ":

pacifiques. La difctte des Min'-ftres ré-

gnoit toujoursen France, on ne favoit où

en prendre de capables d'apporter du re-mède

aux malheurs publics. Le Mar-quis

d'Argenfon qui avoit les alfaircs

étrangères ne failbit qu'y femir le délbr-

dre " la confufion. On les donna à

Monfieur de Puyfienx, qui étoit alors à

E iiiij Bréda,,

Page 122: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPADOUR. 107

Gènes, à rendre l'Efpagne maîtrefic de la

plus grande partiede Tltaiie " à dépouil-ler

le Roi de Sardaigne de fes écats, "c.

kc.?

'

On le fit repartirpour la Provence, oii

il borna Tes exploits à la prifedu peiic

château de Tlfle Sainte-Marguerite, Un

homme d'efpricme difoit dernièrement

que, fi les projets cMmériques " les

plans d'imaginationpouvoienc rendre un

homme grand, Monfieur de Belleifle de-voir

être le plus grand homme de l'ifu-

rope.

Cependant la republique de Hollande,

qui fit unStathouder, décida la continua-tion

de la guerre. Je vis Louis XV,

frappéde cette nouvelle, foit que le Ibrc

de fes peuples le touchât, foitque la nou-velle

élévation du Prince d'Orange dé-^

rangt ât fes projets. Il dit à un courtifaii

en ma préfence : Ces Hoîlandois fcnt de

ternhks gens. Je v(H:-roîS que atterêpît^

hliqife

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Page 123: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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noS- MEMOIRES

lîiquefûtà mille-lieuës de mes frontières elle

me donne ellefeuleplus de peinesque le rejie

de l'Europe enfemble.

La France n'aïant plus d'efpérance

pour la neutralité,chercha à envahir les

Provinces Unies. Les politiquesdifoient

qu'il n'y avoit que ce moïen là pour réta-blir

l'équilibreen Europe, que les avan-tages

conftans des Anglois fur mer lui

avoient fait perdre.

On y travailla efficacement. Le Roi

gagna la bataille de Lawfelds. Il fut

queftionen même tems de fe rendre maî-tre

de Bergen- op-zoom. On chargea de

cette expéditionle Comte de Lowendahl,

qui promit d'en faire un cadeau au Roi

purle jour de fa fête. Bergen-op-zoom

fut pris" la Hollande en frémit. Elle

avoit mis la reddition de cette place au

rangdes chofes impoffibles. Cet événe-ment

fit voir qu'à la guerre la politique

.ne doit compter fur rien.

Le

Page 124: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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DEPOMPJDOUR. loç

Le congrès qui étoir à Bréda, fut

changé" tranfporiéà A ix-ia-Chapelle:

mais les cours ne changèrentpoint de

réfolution fur les fiéges" les batailles.

En attendant ique les Plénipotentiaires

cuflTent régléles préliminaires,on leva

de nouvelles troupes ;" la France fe

préparaplus que jamais à la guerre:

mais elle écoit fort embaraflee pour fe

procurer des foldars. On m'a afiTuré

qu'ily avoit de gros bourgs en France,

quine pouvoient pas même produireun feul

milicien. On étoit obligéde faire foldats

les hommes mariés, ce qui écoit faire la

guerre à la poflérité.On imagina auffî

toutes fortes d'impôts,pour fubvenir au

befoin d'argent.Monfieur de iVIachault,

controlleur-généralqui avoit fuccédé à

M. Orry, propofades nioïens qui ten-

doient tous à la ruine de l'état. Le par-lement

cria," déclara hautement par

fes rcpréfcntationsque, fi tous les édits

de finances qu'on propofoitpafiToient,

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tout étoit perdu : mais on lui répondit

qu'aux grands maux il falloit de grande

remèdes " il fe tur.

Ennn la prifede Bergen- op-zoom qui

ouvroit la Hollande à la France ;" le

Maréchal de Saxe qui menaçoit de faire

finir la république: d'une autre côté les

provinces du midi de la France prêtesà

mourir de faim faute de récolte, tout

difpofaà fignerdes préliminairesde paix

qui furent bientôt fuivis d'un traité défi-nitif.

Cette pofitiondes chofes parla

mieux en faveur de la tranquillitépu-blique,

que tous les difcours étudiés des

Plénipotentiairesaflemblés à Aix-la-Cba-

peîie.

Je me fislirele traité de paixàVerrailles.

Tous les articles me parurent conformes

à la pofitionpréfentede l'Europe, à l'ex-ception

de celui du Canada. Je trouvai

que des Commiflfaires établis pour régler

cette grande affaire, ne fairoient-que

l'embrouiller d'avantage, J'en parlaiaa

Maréchal

h,^

Page 126: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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DE P O M P A D OU R. m

Maréchal de Belleifle,qui me dit que cet

article étoit un fecrct d'état. Nous au-rions

pu lui donner une autre tournure

mais celle-ci nous convient ; elle laifleles

chofes dans l'Amériquecomme elles font,

" nous avons vingt nations fauvagesau

Canada qui prendront notre revanche.

Cette revanche quelques années après

nous coûta la partie.

Le Prince de Soubife me dit,quelque

tems après,que cette paix avoit été ua

enfant de la néceflfité,que de tous les

Princes qui l'avoient fignée,il n'y en a-

voit pas un qui n'eût fouhaicé la conti-nuation

de la guerre. Je pouroiscepen-dant

répondreque le Roi de France pen-

foit autrement. Je le vis plusgai qu'à

l'ordinaire : la joie qui écoit dans Iba

cœur éclatoit fur fon vifage.

Il y eut donc alors une fufpenfiondans

les malheurs publics. Gènes, quife def-

fendoit toujourscontre les Allemands,

commandée par le Duc de Richelieu,mit

bas

Page 127: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

112..

ME MOIRES

bas les armes. Les Efpagnols " les

François, toujoursen adion pour placer

Dorn Philippe en Italie,fufpendiTentles

batailles^" ilfut convenu que tout feroit

tranquilejufquesà la publicationdu traité

définitif.Je l'attendois moi- même avec plus

d'impatienceque tous les cabinets de TEu-

rope. Le Roi n'avoit point d'état fixe;

les intérêts de fa couronne " fa gloire

perfonnellcl'occupoient entièrement en

Fla.dre. Il ne revenoit à Verfailies

que lorfquela campagne étoit finie. J'au-

rois volontiers facrifié ma fatisfaflion par-ticulière

au bonheur de l'état : mais les

fiéges" les batailles ne faifoient qu'aug-menter

les malheurs publics. •

Pour avoir les moï^ns de fignerla paix,

il fallut établir de nouvelles lotteries "

créer de nouveaux impôts -, ainfi l'ai-

fance publiquecommençoit par un der-nier

épuifernent. ."^^ '. 1

Le fils du Prétendant que tout le'

monde avoic oublié reparut fur la fcéne.

Comme:

Page 128: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR, 113

Comme il s'imaginabien que perfonne

ne penferoità lui au congres d'Aix-la-

Chapelle,ilcommença par proteftercon-tre

tout ce qui s'yferoit. On ne fit au-cune

attention au placartqu'ilfit afficher

à ce fiijeti " on fignade parr " d'au-tre

fans s'arrêter à Tes proreftations.

Aprèscette oppofition,ilen fitune autre

plusgrandeà Paris qui fut de refifteraux

ordres du Roi.

Une des premièresconventions établies

entre TAngleterreÔc la FranLC, avoit été

que le filsdu Chevalier de S. George for-

tiroit du roïaume, Louis XV. lui fie

favoir plufieursfois la néccffitéindifpen-

fabîe où il fe trouvoit d'obferver cette

convention. Le Prince Edouard répon-dit

en termes formels à ceux qui lui en

parlèrentles premiers,qu'il n'obéiroic

pas. On m'a fouvent rapportél'excufe

qu'ilalléguoitpour ne pas fe conformer

aux volontés du Monarque François.

Le Roi de France^difoit-il,m'a promisque

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Page 130: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPADOUR, 115

le Jejourde Paris plaitau filsdu Préten-

darJ?

11 faut convenir qu'on ne vie jamais

d*ob(lination pareilleà celle de ce Prince,

Le Roi lui cnvoïa tout Paris pour lui

expoftrTciat des chofcs," lui témoigner

le regret qu'ila voit d'être forcé à l'é-loigner

de fa cour ; il ne réponditque

par des menaces à ceux qui lui parloienc

de la part du Roi. Le difcours que lui

adrefTa Monfieur le Comte de M^urepasctoit conçu en ces termes.

" Le Roi eft pénétréde douleur en k

•* voïant force de priervotre Altefle d'a-

*' bandonner fes états. Je viens de fa

**part pour vous afflirerque toute autre

** confidération que celle du bonheur de

'* les fujets,ne Tcut pas engagé à faire

" cette démarche. Vous l'auriez vu fou-

'* tenir inviolablemcnt vos droits,(î une

*' certaine tournure malheureufe des af-

*' faires de la guerre ne le forçoità

** cçder au tems. Les plusgrandsMo-*•

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Ilil ÏA\Û

Page 131: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

6 ME MO IRES

narques ne peuvent pas toujours ce

qu'ilsveulent. Ils ont des moments

de crife où la politiqueleur ordonne de

fléchir. Votre Alrc/Te fait que,de-puis

le fatal moment où la Maifon de

Stuard perdit la couronne d'Angle-terre,

la Maifon de Bourbon a fait plu-

fieurs efforts pour la lui remettre fur

la tête. Vous devez lui favoir gré de

fes intentions fans blâmer fon impuif-

fance. Je voudrois que vous euffiez

été témoin d^ rencrcticn qu'il a eu

avec moi, au moment qu'il m'a fait

appellerdans fon cabinet, pour me

charger de vous- fignifierToroie de

fortir du roïaum?, vous euffiez été

touché de fon état. Il eft pénétré de

votre fituation, mais il ne peut pas

aller contre les deflinées-, " il fera au

défefpoir,fi vous le forcez à prendre

un partiviolent. ^ '

:

••Louis XV. m'a député vers vous,

**^non pas comme Roi, non pas

"commet j

Page 132: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPÂDOUR.117

*« comme maître, mais comme allié,

" mais comme ami. Il fait plus,il m'a

'* chargé de vous demander comme une

*'grâce votre fortie de Tes états."

La réponl'edu Prince Edouard fut la-conique

: il fortit un pilloletdeh poche,

" aflTura le miniftre qu'il tueroit le pre-mier

qui viendroit pour i'arrécer. L'Ar-chevêque

de Paris lui parla aufli au nom

de Dieu " du Pape : mais la religionne

fit pas plus d*imprefiion fur lui que la

politique. Il fallut donc en venir au

partique le Roi vouloit éviter. Le fils

du Chevalier de St. George fut arrêté

comme i! alloit à l'opéra.

Les ennemis de la France ne manquè-rent

pas de fe récrier contre cette violence,

à laquelleils donnoient le nom du plus

noir attentat.

On alla vifiter fa maifon qu^on trouva

chaneée en un arfenal. Il avoit afTez

.

d'armes pour foutenir un fiége dans

toutes les formes. On difoit alors à la

-i cour

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Page 133: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

xi8 MEMOIRES

cour qu'ilavoit rcblu de fc battre lui ftul

contre un régiment entier, " enfuitc de

mettre le feu à un baril de poudre, qui

comniuniquoic à d'autres pour fc faire

lauter avec l'hôtel qu'iloccupoit. A ce

îécic le Roi repondit jVoilà me bravoure

lien déplacée.

Toute la France fe réjouïflToitnéan-moins

de la paix : " iln'y eut que deux

hommes dans le roïaume qui n'en fuient

pas fatisfaits. Ces deux hommes étoient

les Maréchaux de Saxe " de Lovvendahl.

Le premier en témoigna fon mécontente-ment

au miniftrc de la guerre.

*' Nous étions à la veille,lui dit-il,

** après la bataille de Fonteooi de nous

"

emparer de la Hollande, 6i de faire

*' finir cette république,qui eft toujours*' la fource des divifions en Europe : car

"ces marchands, avec leur marine ^

*« leurs richeflcs,tracaflent toujours, lis

" font les alliés nécefTaires des Anglois,

"nos ennemis naturels. Le grand ou-

**

vrage

Page 134: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE P 0 M P yî D O V R.,,9

'•vrage de leur deflru"5lion croit prefcjue

*' fini : pourquoi ne pas l'achever ? Si on

*' donne encore le tems à ces icpubli-

'* cains de fe fortifier,ils feront auflj au-

" dacicux ex. aufTi entreprenants qu*au-

*'paravant ;

" peut-être il viendra un

"jour que la France, avec toutes les

•' forces, ne poura point en avoir iatis-

*' tadtion. Détruire U Hollande, c'clt

•*couper le bias droit de l'Angleterre;

** " le confeil de France fait que toute

*' politiqued'c.at doit le réduire à afîoi-

" blirles Bretons.

•' Aquci ferc la vidoire de Fontenoi ?

" Quel avantage retire la France de la

** prifede Bergen-op-zoom ? Tous ces

** efforts de bravoure, tant d'illuftres of-

" liciers qui ont péridans les campagnes

« de Flandre, font àpurc perte pour elle.

" Si on devoit rendre ces places," re-

" mettre hs Hollandois " la Maifon

«' d'Autriche dans le même état où cha-

«*cun d'eux étoit avant la guerre, il va-

** loit

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Page 135: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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120 MEMOIRES

*' loit bien mieux refter tranquile. La

*' France, en rendant fcs conquêtes,s'efl

"fait la guerre à elle-même. Ce font

*' Tes propres vidloires qui l'ont abîmée.

*' Ses ennemis ont confervé leur même

*' degré de puiflance,elle feule s'eft aftoi-

" blie. Elle a un million de fujetsde

** moins " n'aprefqueplus de finances.**

Ces difcours viment aux oreilles du

Roi, qui répondit:" Je reconnois là

*' le llile de Meflieurs les généralifTi-

" mes. Leur politiqueeft: toujoursà

*« boulets rouges.'*

Le Comte de St. Severin d'Arragon,

qui avoit fait la paixentrepritde démon-

:trer que ces raifonnements étoient mal

fondés. Le Roi m'a fouvent répécé le

dilcours qu'illui avoit tenu dans cette

occ^fion. " Sire, lui dit il,la conquête

«' de la Hollande n'étoit point entrée

«'dans le plan de cette guerre. Toute

" la politiquede la Fiance s'étoit bornée

" à empêcher les Hollandois de fe dé-

*' clarer.

Page 136: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR, 121

" chrcr. Ce n'étoitpointpour faire finir

*' la république,mais pour la réduire à

*' des termes pacifiquesqu'on avoit fait

" des fiéges" livrédes batailles. On a

«' donc remplil'objetdu confeil d'état,

*' lorfqu'onles force à mettre bas les

" armes.

*' Vos générauxfont courir des bruits

** qu'aprèsla bataille de Fontenoi, "

'' la prifede Bergen-op zoom, on pou-*' voit s'emparer des é:ats-f/Mié;aux,":

*' changer le fort de cette république.»' Ilsfe trompent, le céfefp-irprêtedes** armes invincibles. On e(l fur de per-

'* dre fa conquête,lorfqu'onréduit un

" peupleà la récelTué d'é:re conquis.*' Les fouverainetés une fois établies ne

" fe détruifent plus: elles fe fervent de

*' contrepoidsles unes aux autres. S une

*' feule pafibitau pouvoird'une autre,

" tout 1 équilibrede l'Europe feroic

*'

rompu. La guerre n'a plusde ces

" grandscoups déciiîfsqui,du tems des

7cm. L G Ro-

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Page 138: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR, 123

'« Allemands, que les Romains cux-

"* mêmes ne purent pas retenir " qui

'« enfin détruifirent la république des

«« Céfars.

«' Mais on parlede la facilitéque nous

" avions de détruire, " Ton ne dit rien

*' de celle où nous écions d'être détruits.

*' Ce qui m'a porté,Sire, à terminer le

*' grand ouvrage de la paix,c'eft le déf-

*« ordre des finances, la dépopulationde

"« rétat " la difette de fubfiftances.

*' Le Controiieur-généralm'a dit qu'il

«* ne favoit plus où trouver de l'argent.

" Les Intendants des Provinces ont fait

" favoir au bureau de la guerre, qu'il

'' étoit impofTiblede lever une nouvelle

" milice, " celui de Guienne a écrit que

" fa province étoit à la veille de mourir

*' de faim. Voilà, Sire,trois motifs puif-

** fants qui m'ont, décidé à hâter la con-

" clufion du traité de paix."

Ces raifons ne convertirent pas la plu-part

des grands militaires,qui vouloienc

G ij tou-

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Page 139: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

124MEMOIRES

toujoursfe battre. Ils avoient conçu des

efpcrancesque la paix leur faifoit perdre.

Louis XV. me dit un jour en parlantfur

cette matière, qu'il n'avoit pointd'offi-cier

généraldans Tes troupes, qui ne facri-

fiât l'état pour un bâton de Maréchal de

France.

Le Roi, qui avoit récompenfé le Maré-chal

de Saxe, n'oublia point le Comte de

St. Severin. On le fitminiftre d'état. Ce

Comte n'étoit pas un grand génie, mais

il avoit un bon iens railonné qui lui tenoit

lieu d'entendement fupérieur. 11 allcic

lentement dans les affaires,maïs fûre-

ment. Son efprit géomètre " tardif

n'en étoit que plus propre à furmonter

les difficultés qui arrêtent toujoursles

efpritsbouillants " adlifs. Il n'avoit

point d'agitationdans l'ame; toutes fes

paffionsétoient fubordonnées à des loix

politiques. La colère, l'emportement,

l'efpritde parti," toutes ces petites mi-

nucics de prévention,qui décident les

autres

Page 140: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPÂDOVR. 125

autres minières, lui étoicnt inconnues.

Il appelloiccela le revers de la médaille du

fihiipotentiaire.Dans une négociation,

il alloit diredlement à Ton but fans s'arrê-ter

en chemin, il aimoic la paix par

goût, " travailloic à un traité définitif

par inclination, ":c.

Monfieur de Belleifle me dit qu'illui

trouvoit un grand defTaut,quiétoitde ne

pas faire afTcz de cas des grands mili-taires

: car enfin, ajoutoit-il,on ne peut

faire une bonne paix qu'à la fuite des

vifloires. Ce n'efl pas le plénipotentiaire

qui gagne les batailles,mais le général.

Cependant la France n'en pouvoir plus:

les mcïens qu'on avoit emploie pour fou-

tcnir la guerre, étoient fi violents, qu'ils

avoient forcé tous les refTorts du pou-voir.

Les Miniftres fe plaignoientbeau-coup

de récac de la France, " difoient

publiquement à la paix qu'ilsne favoienc

par oùcomniencer l'adminiftratiOn.

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Page 141: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

126 MEMOIRES

Ce n*eft point à Paris où la miferc gé-nérale

fe cnanirefte le plus. 11 y a tou-jours

un luxe quelconque dans cette capi-

taie, qui cache l'indigencepublique. La

pauvreté elle-même y paroîten broderie

" en rubans, tandis qu'elle fe montre

toute nue dans le refte de la France. La

cour avoit écrit dans les provinces pour

l'avoir lîétat des chofes. Monficur le

Maréchal de Belieifle m'a fait voir plu-

fieurs mémoires de ce tcms-là, écrits par

des Intendants de Province à Verfailles.

Le premier étoit conçu en ces termes :

II

"Monfeigneur,

*'Vous me demandez l'état des fi-

«' nances de cette province,le travail fera

?» d'abord fiait: il n'y en a point. Je ne

** crois pasqu'on trouvât cent-milie-livres

** d'argentcomptant dans cette province.

** Tous les états font confondus, parcc-

*'

que la pauvreté eft générale. Le«

" louïs-

Page 142: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

fercgé-

^ a tou-te

capi-ue. La

)roderie

montre

ce. La

?S pour

ieur le

"irplu-*itspar

•raiJIes.

:îesfi.

i'ïlfera

Je ne

livres

v'ince.

)arcç-

Le«

OUJS-

D E POMPADOUR. 127

*' louïs-d'or,dansce département,devien-

"* dront bientôt des piècesrares, qu'onne

'" trouvera que dans les cabinets des cu-

ir'*« rieux.»

L'autre eft d*un Intendant d'une Pro-vince

naturellement très fertile,mais où

la difette d'argentempêchoitla culture.

11 s'adréflbitainliau Miniftrc :

*' Monfeigneur,

" Je ne fauroisreprélenterà votre Ex-

" ceUence la mifere quirégnedans cette

** province.Les terres ne rendent pref-"

que rien. La plupartdes Ménagers,"

ne pouvant point vivre du produitde** leurs terres, les ont abandonnées. Les

" uns font devenus mendiants,les autres

*' fe font fait foldatfj," plufieursont" paflTédans les païsétrangers.La no-

*' blefle n'eft pas plusà fon aife: clic a

" à peinede quoi fubvenir aux charges

(« quiluifont impofées.

Giiij "De-

I"

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Page 143: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

i?8 MEMOIRES

" De quinze-cent-mille arpents de

*' terres cultivées,qui donnoient aupara-

** vant la fubfiftance à ce peuple, il y en

a maintenant fix-cent-mille qui font en

communes. Votre Excelitnce peut

*' voir par- là le vuide qu'il y a dans la

*' fubfiftance générale. Un hameau qui

*' avant la guerre donnoit à vivre à quin-

•' ze-ccns-habitansj peut à peine fournir

*' des denrées pour fiX-cens \" une fa-

*' mille particulièrequi étoit en état d'a-

** iimencerrix-enfans" autant d'hommes

" de travail, ne peut fournir Talimenc

*' qu'à cinq. Les btftiaux ont diminué,^

** à proportion des hommes. La cam-

*'

pagne en manque pour labourer les

*' terres ;dans la plupart des villagesce

** font les hommes qui font le travail des

" boeufs.

" J'airemonté à la fource de ce défor-

* dre, " j'aitrouvé que le mal vient du

manque générald'efpéces.Ilfaudroit,

*'

pour prévenirles fuiics de cette dépié-

*' dacloa

Page 144: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

c

DE POMPJDOUR. 129

** dation, que la cour fe réfolut d'avancer

' à cette province, à titre d'emprunt,

une fomnne de quinze-cent-mille-livres,

**pour

êire répartiegéométriquemenc

" aux pauvres citoïens. C'eft félon moi,

** le feul remède qui refte pour prévenir

de plus grands maux."((

Le troifiéme de ces mémoires ctoit

d'un autre Intendant qui s'cxprimoic

ainfi fur la dépopulation.

*' Monfeigneur,

" Les fujetsdu Roi diminuent tous

" les joursdans cette province. Bientôt il

" n'y aura plus d'habitants. J'ai fait

*' ordonner aux Curés des paroifTesde

" m'apporter la lifte des baptêmes " des

" enterrements," j'ai trouvé que le

*' nombre des morts excède celui des vi-

" vants : de manière que j'ai calculé

*'que,

fi cette dépopulationdure vingt-

J' ans,àc que Dieu me donne la vie pen^

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Page 146: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE FOMPJDOUR. 131

" Le commerce, qui languiffoitdepuis

" plufieursannées, cft tombé dans un

" dépériffcmenttotal. Nos vaifleaux font

" dans nos ports inutiles à l'état " aux

^' particuliersà qui ils appartiennent.

"Nous n'avons prefque rien à exporter;

'*nos denic.s nous fuffifent à peine, "

"nos manufactures ne produifentpoint.

" Les Anglois " les Hollandois font

prefque tout notre commerce.

•' Tous nos Capitaliftes,qui faifoient

valoir notre marine par l'équipement

" de nos vaifleaux,ont été ruinés par la

*'

guerre. Ceux qui mertoient autrefois

" dix-navires en mer en mettent à peine

**un. Les deux mers font couvertes de

•' voiles étrangères," le pavillon blanc

**commence à être inconnu fur l'océan.

" Tovtcs les autres nations tranfpor-

" tent ^jour la France;

la France feule

" ne tranfportepour perfonne. Cet en-

" gourdilTement général qui délie les

't braa.

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Page 147: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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Page 148: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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DEPOMPÂDOUR. 133

j'avoîsà combattre uneflcttede cent vaif-;

féauxde ligneAnglcis^jeKefauroisou pren-dre

vingt-millematelots.

Un autre malheur,auquelon ne pou-

voit pas remédier,étoitla réforme neccf-

fairedes troupes. Cent- cinqjante mille-

fujetsquiavoient combattu pour la cou-ronne,

à la paixfe trouvèrent fans pain.La plupartde ces militairesqui étoient

ménagersavant la guerre, ne Tétoient

plusà la paix. J'aioui dire plufieursfoisà Monfieur le Maréchal de Noailles,

qu'un laboureur qui quittela charuc

pour fe fairefoldat,ne la reprendplus

aprèsla réforme ; " ilajoutoitque, lorf-

que cent-mille-ménagersdans un roï-

aume fe croifent les bras,il faut que'

cent- mille-autres travaillent pour leur

donner du pain: fans quoila famine fe

mettroit dans la monarchie " l'écatfe-

roitperdu.

On

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Page 149: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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134 MEMOIRES

On fitquelquesréglemenspour éviter

le défordre qu'alloientcaulcr ces troupe»

réformées : mais Je remède étoit plus

dangereux que le mal.

De tous les épuifemens,celui des ré-

compenfes militaires fut le plusgrand ;

il fi4^iMtrouver de l'argentpour païer

comptant la bravoure " le courage des

officiers: car les militaires font des cré*

anciers inexorables. Autrefois la croix

de Saint Louis fuffifoit: mais les officiers

ont trouvé qu'une fomme annuelle don-

noit plusd'éclat aux belles adions.

plus de dix- mille penfionsdifférentes

furent établies fur le tréfor roïal. Un

homme d'églifeà quije faifoislire quel-quefois

les mémoires qu'on m'addreffoit

pour le Roi à ce fujer,me difoit qu'il

falloitque la gloireattachée aux belles

a(5lionsfut bien peu de chofe en France»

puifquelesmilitairesn'en vouloient point

pour récompenfe.L'archevêquede Pa-lis

\'il

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Page 150: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPQMPADOUR. 135:

ris avoit coutume de dire que les vic-toires

coûtoient plus à Técat que les dé-faites.

Ceux qui demandoient des récom-

penfes,expofoientleurs fervices avec une

modeflie arrogante qui révoltoit la cour.

Les mutilés étoient furtout infupporta-

bles. Un de ceux-ci» qui avoit fait plu-

fieurs voïagcs à la cour pour obtenir une

penfion, me dit un jour en prélencede

plufieursminiftres étrangers; Madame;,

puifque le Roi ne peut pas me rendre un

bras que j'aiperdu à fon fervice, qu'il

me donne au-moins de l'argent.

Un jourqu'un officier écoit venu d'Al-lemagne

pour apporter a la cour la nou*^

velle de la perte d'une bataille, le Roi

dit, Dieu foit louéyje ferai délivré cette

fois-cide rimportunitédes récompenfes. Il

fe trompoit, quinze-cens officiers, qui

n'étoienr. pas périsdans cette aclion, vin-rent

à Verfailles pour fe faire païer leu»

droit de préience»

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Page 151: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

136 ME MOIRES

"? Un Lieutenant de grenadiers, à' qui

le Miniftre de ia guerre avoit fait don-ner

la croix fans penfion, Jui dit;

Mcn-

feigneury votre Excellence a attaché à ma

houtoniere leftgrtede mon courage \mais elle

a oublié la réalité de nia valeur : voulant

dire par-làqu'illui falloit une penfion.

On voit des militaires en Fiance qui

jouilfentde revenus confidérables, pour

s'être trouvés à cinq ou fix- batailles; tan-dis

que les fujetsde Tétai fe font ruinés

pour fubvenir aux fraix de la guerre.

C'eft ainfi que les meilleurs établiffements

dégénèrent en abus.

Il fut queflion après les penfions de

travailler au rétabliflenient des finances

qui étoient dans un défordre affieux.

Ceuxquiconnoiffoientrhiftoirede France

préiendoientque, depuis vingt-régnes, la

monarchie n'avoit jamais été Ci obérée.

Les dettes de la nation étoient immenfes:

ilfallut établir un plan pour les acquitter.

On imagina une caifTe d'amoriiflement :

mais

Page 152: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPADOUR. 157

mais quand on voulut chercher dts

fonds, on trouva que ceux de la cou-ronne

étoient tous hipothéqués. Je fus

témoin de l'embaras du Roi, lurfquc

les Miniftres " les Confeillers d'état

lui déclarèrent l'état des choies. Mef-

finirs^

leur dic-il,/'/valait mieux me con-

feillcrde ne pas faire la guerre^ que de la

faireà des condilions fi oncreufes.On ota

quelques taxes : mais en lailTa plufieurs

impôts qu'en avoit créé pour fubvenir

aux fraix de la guerre, " qui fubfiftcrcnt

àlapîir ""c. "c. "c.

Voir rielle écoit la pofitionde la

France aprèsle Traité définitifd'Aix-la-

Chapelle. Les affaires domefliquesde la

couronne n'étoient pas en meilleur état.

Les miniftres pendant la guerre s'étoienc

arrogé une autorité illimitée,ils étoient

devenus defpotiquesdans leurs bureaux,

" traitoient les fujetsavec cette dureté

que donne la puiliancefans bornes.

Pendant

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Page 154: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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le

2)£ POMPADOUR, 139

le Roi ctoit rendu à lui-même. Cette

tranquillitéde la cour donna une grande

agitation à la ville. PI ufieurs femmes

depuis formèrent des dcfîeins fur le cœur

du Roi.

Parmi celles-ci étoit une Madame la

Poupeliniere mariée à un financier qui

l'avoit tirée du néant, d'oii il étoit forii

lui-même. Ils occupoient un palaisen-*

chanté à Pafly,où la plus mauvaife com-pagnie

de Paris fe rendoit tous les jours.

On m'a dit fouvent que cette femme

tomboit en funcope,toutes les fois qu'on

proféroitmon nom en fa préfence. EUç

difoit que j'avoisprisfon'rangà la cour,

que j'occupoisfa placeauprès du Roi, "

que tous les honneurs qu'on me rencjoit

à Verfailles lui appartenoient de droit.

Elle vouloit abfolument devenir la maî-

trefle de Louis XV.

,

Le Duc de Richelieu lui avoit mis ce

projetdans la tête : cependant il eflaïoit

fon cceur " Iç difpofoità la tendrçfle : on

donnoic

•V,-

Page 155: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

in.

140 M E .M 0 1 R E s

donnoitun air de mifiere à cette intrigue.

Le Duc s'introduifoit de nuit dans la

chambre de la Dame, par une ouverture

qu'on avoit pratiqué dans la chtmircf.

Richelieu rafTuroit qu'avec le tems, cette

ouverture la condoiroit aux petitsapparte-ments

de Verfailles. Cette Dame, pour

fe rendre plus digne de fon maître, fe

proftituoiten attendant avec un de Tes

fujets: mais une fille de chambre mécon-tente

découvrit tout le miftcre. Le finan-cier

qui, depuis quelque tems, cherchoic

à fe débaraffer de fa femme, faific cette

cccafion. Il rendit le public témoin de

fon infamie. Tout Paris courut voir le

délhonneur de fon lit.•

L'amant peut-êtreaufli dégoûté que le

mari ne s'embaraflTa gueres de cette dé-couverte

;il fe rendit à Verfailles, ne

s'imaginant pas que la cour fût encore

au fait de rien : miis j'avoiséié informée

de fon aventure une heure avant qu'elle

devint publique. Le Roi étoit feul dans

mcn

Page 156: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

h. :

DE POMPADOVR. 141

mon appartement lorfqu*ily parut: Sire,

dis je au Monarque, M. le Duc de Riche-lieu

que voilày eft en intriguesamoureuses

V agent le "pluscaché qu'ily ait en Europe ;

car afin d'être très fecretavec les Dames

quilvoudrait faireconnoître à votre Majcftc^

ilpnjfepar le trou de la cheminée. Le Roi

demanda quelleécole cette énigme, je lui

en donnai aulTitot l'explication: nous en

rîmes beaucoup, " Richelieu fut le pre-mier

à en badiner.

D'autres femmes encore formèrent le

pri'jt^td'arriver aux petitsappartements

de Verfailles ôc elles y parvinrentians

pafTerpar dcjs fouterrains. Louis XV.

avoit un goût décidé pour ces amours de

pafTagequi commencent " finiffent avec

la j-oflefiTion: mais cette habitude ne

prenoitpoint fur celle qu'il avoit con-

tradlée avec moi, " il revenoit toujours

plus confiant que jamais.

Depuis la paix,M. le Comte de Maure-

pas fe pjaifoità contrecarer tout ce (juife

paflbit

r.,u i

%.^

t',- 1

"";*

'???,

Page 157: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

14aMEMOIRES

pafToîtà la cour, " à en faire des pein-tures

ridicules. Ce Mihiftre avoit fes

petitsfoupersainfi que le Roi, " c'eft là

où fe pafToienttous les foirs les fcénes

comiques fur la couronne*

Nous avions eu plufieursdémêlés en-

femble, depuis mon féjourà Verfailles,

dans lefquelsil m'avoit traitée avec beau-coup

de hauteur " de fierté. Au milieu

de fes emportemens, ce Miniftre oublioic

fon rang, " fe fervoit de termes indignes

d'un homme en place. Je m'en étois

plaintlégèrement au Roi : car je vou-

lois ménager un homme utile à l'état.

On a publié dans le monde que mon

premier defiein, en arrivant à Verfailles,

avoit été de perdre ce Miniftre. 11 n'cft

pas poffibleque cette penfée me foit

venue dans l'cfprit.Le Roi, en me fai-

fant le portraitdes perfonnes en place,

m'avoit parléavantageufement de Mon-

ficur le Comte de Maurepas : cela feul

fuffifoit pour m'attacher à lui. Mais le

6 travail

Page 158: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

^ '

,DEPOMPADOUR. 143

travail dur " aQidu auquel il s'étoit ap-pliqué

pendant plus de trente-ans, avoit

rendu fon efpritfévcre " prefque intrai-table.

Il y avoit des tems où perfonnc

n'ofoit l'approcher. M* le Guài fon pre-mier

commis m*a dit que dans ces mo-ments

il étoit tout-épines.Sa mauvaifc

humeur pafîbità fa correfpondance, il

grondoit des gens q'iiétoicnt à mille-

lieuës de lui," les traitoit fans ménage-ment

pour leur rang " leur caradlere.

Il écrivit un jour ainfi à un Conful de

France dans les Echelles du Ltvant.

*' Je vous ordonne, Monfieur, de ne

«* plus m'ccrire, mais de vous rendre en

*' France fur le premier vailTeau, " de

" venir à Paris où vous attendrez mes

" ordres fans paroitreà la cour. Je

« fuis,"ôcc.

Son tfpritcauftiquepaiToitdans fes

débauches, " fe manifeftoit jufque dans

le fein même du plaifir: c'étoit dans ces

partiesque la fatire découloit de fa

bouche.

[t^j^f-

f.

Page 159: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

14+ MEMOIRES

bouche. J'appris un jour qu'il avoit

tenu des propos fort indécents contre moi

" qu'il y avoit mêlé le Roi. Je lélolus

d'abord d'en porter mes plaintesau mo-narque

: mais après quelques moments

de réflexion,je choiGs de lui écrire.

" J^ f^^^ informée des d Jeours fcanda-

" kux que vous tenez fur mon compte iâ

*'*'fur celui du Roi votre maître. Je ne

*•!•fais aucun cas des traits que vous laciez

" co^itre 7noi : mais je ne fiurois vous

*''- paffcrceux du Roi, Sa réputationm*eft

^^ c/jcre-,je vous préviens que, fi vous

*' 7ie changez de conduite à Jon égardsje

" Ven avertirai^ iâ v.us devez vous atten-

'* dreà la punition que mérite un tel crime.

« Je fuisy' àfc.

Cette lettre ne fcrvit qu'a lui donner

plus d'humeur contre moi. Il dit le foir

d'un air moqueur à pluficurs courtifans

qui

Page 160: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPÂDOUR.145

"]uifoupoient avec lui : Mejfuurs, me voilà

prêt à être difgraciê: la Pompa dcur me

menace: puis reprtfnant tout à co'jp

Ton air férieux : voieZy dit- il, en ma-

n'cre de réflrxion, combien le château di^

Ver/ailleseft divemi tripot: il n^y a pns

jufq-iesaux fillesde joie qui n'yprennent le

ton» Ces mots me furent r.ndus fidèle-ment

-,néanmoins je diflîmulai encore :

mv.% ce miniftre, quelque tems après,fc

trouvant à table en grande compagnie,

chanta des couplets diffamatoires contre

le Roi. J'en avertis le Monarque, "

dès ce moment fa difgracefut réfolue : il

eut ordre de quitter la cour.

Comme fon exil fit beaucoup de bruit

dans le monde, " qu'on y donnoit une

tournure qui attaquoiifon honneur " fa

probité,je priaile Roi de déclarer qu'il

étoic fatisfait de l'adminiftration de fon

bureau. Louis XV. le fit: on doit ju-ger

par là du cara«5lere de ce Prince, qui,

écant offcnfé par un de fes fujcts,avoit

TorneL H encore

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Page 162: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

D E P O M P J D O U R, 147

Monfieur de Noailles difoit Ibuvent,

^ue cbûque contredunfe que Dont Phi-lippe

danfoit en Italie^ coût oit cent-

mille livres à VEfpagne^ ^ que la Mre

de ce Princt avoii paie les "jioLns d'à-

vnnce,

Le Duc de Modine ccoit rétabli dans

fes états-,il auroit bien voulu donner le

bal comme Dom Philippe-,mais la gu -rre

l'avoic ruiné. Madame la Duchelî'c Ton

Epoule difoit publiquement au Palais-

roïal,que/onAltejfen^avoit pas de quoifaire

un pcs de menuet. Cette PrinceiTe venoic

• à la cour fans fouliers, pour montrer au

Roi l'indigenceoù la guerre avoit réduit

les états de Modene. Madame^ lui die

Louis XV. je m Juis pas beaucoupplus j

mon aifeque *vous : mais fat un cordonnier :

fi vous Jouhaitez^jevous renier rai.

Gènes é:oit libre : cette ville n ivoic

d'autre fervitude que celle de Ton gou-vernement

réiabli fur Tancien pied.

L' AmbafTadeur de la cour de Vienne die

HiJ un

*ftII

i.,?

I

Page 163: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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148 MEMOIRES

un jour à l'Envoïé de ce fénat qu'il ren-

contra dans la grande gallcriede Ver-

failles ; Monfîcur^ la Mai/on d'Autriche

pardonne la rcvolution à votre lépuhliqiie:

mais c'eftà chargede revenche,

Rome relpiroit.Les armées étrangè-res

qui, pendant la guerre, Tavoienc

beaucoup génce, s'étoitnt reiirces.

Naplcs n'avoit plus -belbin de s'épuifer

en troupes " en finances, elle aîloit fe

rétablir : il ne lui falloit pour ctla que

jouïr paifiblementde la fertilité " de la

richeffe de fon ciel Un Minidre étranger

me dit un jour à Toccafion de ce petitétat

que, 5V/ avoit eu V ambition de viferà la

fouveraineté^il rCaurcit pas cherché à régner

fur la France^ VEfpagne eu V Allemagne^

mais qu'ilaurcit fouhaitéd'être Roi de Na-

pies. Il difoit pour raifon que la puijfancj:

y émane dirc^emeiit du ciel;

i^ que c'eji

Dieu le Pcre qui la dijlrihiieà ritat pcli-

ii^uCn ?? '

Les

Page 164: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

BEPOMPÀDOVR, 149

Les grands du roïaume le plaignoient

toujours à la cour d'avoir dérangé leur

fortune à la guerre, " demandoicnt fans

celTc des récompenfes.

Le Prince de Conti, devenu Grand-

Prieur de France, difoit hautement que

fes chevaux n'avoient point de foin. yV

mitonne^ dit le Maicchal de Belleifltr,

2«'/7jm foientp.^s encore morts -, car à Coni

[onAltejfecommerjçoitdéjà à fe plaindrede

la difettedes foulages,

Louis XV. réparolttant qu'ilpouvoir

la fortune des grands par des charges,

des penfions où des gouvernements :

mais il avoit une plus grande affaire qui

étcic de réparercelle de la monarchie.

Je me fouviens qu'ildit un jour poli-ment

à ceux qui le ^Tefîbienrde fonger à

eux : cicz uu peu «v pti-ientûjv rerhédicr^ii

à tout s'il ejtpojjihle: mais cvant q:ic de

fonger aux maifcns particulièresje dois

pourvoir la grandefamille de Tctat, Une

autre fois il à\x^ en prélenccde toute la

^ Uiij '

' cour,

Ma *'

Page 165: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

!*••

1 50 MEMOIRES ^

cour, à huit ou clix-oflicicrsqui faifoient

valoir leurs campagnes " dtmandoient

des rccdYnprnftrs: Meffuurs, vous m'uvcz

7 amti de grqrJs fa vices fendant la g tierre :

fiais je vous p:ie de m'en rendre v.n plus

p and à la pnix^ c'ejide me pir mettre de

foiilûgeravant vcus, ceux qui ont JouteKit

lent le pcidsde la guerre. Vcus n^y avez

m ; que vcs Iras, eux y ont épuifcleur Jub-

J:ftancc,"r. "c.

Le Martchal de Bcllcifle ne fut point

oiiblié,on Iecornbladepenrions,de rangs,

": d'honneurs. Tous les corps de l'état

NVmprelTerent à lui rendre hommage.

L'Académie Françoife à Ton départ de

Paris pour fon gouvernement, fit un

difcours tout exprès pour prouver qu'il

écoit le libérateur de la France. Un

"homme d'efprita appelleles Membres de

l'Académie Françoife, les menteurs lesplus

élégantsde r Europe,

Le nou eau Miniftre de la Marine

couroit les provincesde la France pour

y trou-

Page 166: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

l':

DE POMPADOUR. 151

y trouver du bois,des mariniers," de

Targcnt: mais il cherclioit ce qui n'y

étoitpas. A fon r*îtour à Vcrfailles,il

parut un mémoire, fait par une main

inconnue,quiétoit conçu en ces termes.

ku

Mémoire fur la Marine.

"TA France ne doit pointformer le

** ?*— ' projt^tde faire une marine par

" gradation-, ce plan eft impratiquabie," Les Anglois,qui veillent à la con-

** (Irudlion de chaque vaifleau que nous

" mettons en chantier,en fabriquentde

«*nouvtraux dans la mcme proportion:

" de manière qu'ilsfe confervcnt tou-

** joursla fupérioritc.** La Grande-Bretagne,qui a afluclle-

** rncat cent-valfr;rauxde lignede plus

'*que II France, les aura donc en touc

•' icms, quand même celle-ciformerci t

" dans dix^ans une docte de tfois-cents

*' vaifleaux de guerre.

H iiij •? Nous

i"

1^ A,

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Page 167: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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152ME MOIRES

*' Nous avons fouvent vo.ilu créer une

•' Marine -,tk^ toutes les fois que nous

•' i'avons entrepris, les Bretons en ont

*' arrêté les progrès, ils nous ont enlevé

**ncs navires en pleine paix, " n'ont

*'

pas attendu la guerre pour le déclarer

'*nos ennemis l'ur mer. C*efl: que le

»* conftil de S. James aime encore mieux

** pulTer pour injude, que de rien hafar-

** lit r qui puifle porter atteinte à la fupé-

*' rlcrirc de fa Marine. Un Roi d'An-

^ f'.lcierre feroit d'abord détrôré par fts

•* {iijcts,s'il vouloit s'opiniatrerà être

'^ fiileîe aux traités de paix avec la

'* France. Il eft foufentendu par la na-

^' tlon qu'un traité ne doit fubfifler

•' qu'autant quela France ne conftruira

'* point de vaifieaux.

•' Les tems qui, dans tous les autres

•* céiordres de l'adminidration, remédie

'• ù tout, dans celui-ci gâte tout. La

*' vo e de conftrudion cft donc trop

** longue : on fait à Londres le jour que

" nos

Page 168: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOVR, 153

" nos vaifleaux font finis ": celui auquel

" on doit les lancer à TeaiL,

"Cette branche du pouvoir politique

*' doit être formée d^abord " à Tinfu de

*' TAmirauté d'Angleterre. 11 faut jetter

*' les yeuxfur la Hollande, le Danne-

" marc,la république de Gènes, " celle

•* de Venife, pour y acheter tout d'ua

"*coup

la quantité de vaiOTeaux qui nous

** font néceflaires j" fi les états mari*

*' times n'en ont pas arièz à vendre, qu'on

•* porte fcs regarda fur Malte, Alger,

" Tripoli,Conftantinople,"c. "c. n'im-

" porte de quelle nation fuient les na-

" vires, " comme ils foient conftruits,

" pourvu qu'ils puiflfentcontenir des

« hommes " du canon.

•* Le fecret eft néceflaire 8i ces achats

" doivent fe faire \ point nommé; car

** fi les Anglois en avoient vent, ils les

** préviendroientfoit à force ouverte ou

**

parla voie de la négociation.

// îiiij « Il

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Page 170: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMP/iDOUR, 155

Vont fc brifer: alors il fe noie dans Tes

idées,ou il s'cchapeà la nage.

Monficur de BjHeide m'a dit qu'ila-

voit deux ou trois cents mémoires dans

Ton cabinet pour augmenter les richefTes

de récat,qui lui avoient été adrelTés par

ies plusbeaux géniesdu roïaume, " qu'il

les feroic peut-êtrepublierun jour fous

ce titre: Recueil de projets très

BEAUX " TRES INUTILES A LâFrANCE.

Il convenoic cependant qu'ilnefalloit pas

découragerces géniesfpéculatifs: ildifoit

que les gens oififs ont fouvent des

idéesyque les hommes en placen'ont pas

le loifird'avoir : " ilajoutoitque, quoi-que

les faifeurs de mémoires n'arrivent

pas toujoursau but, ils fourniiTent foii-

ventdes moïens pour y parvenir.

Apres la paixle Roi avoit cnvoïé Mon-

fieur de Mirtpoix à Londres. Le Maré-chal

de Saxe difoit que ce Sv^igneur

rempliroit bien cetre ambafiade, car

il avoit la jambe bien faiie " dan-

' loir

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Page 171: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

156 MEMOIRES

foit joliment\ ce qui produiroit ua

bon effet dans cette cour, où il y avoic

fouvent bal. J'ai toujours ignoré les

raifons qui avoient porté Louis XV. à

faire ce choix : il ne m'en parlaqu'après

l'avoir fait.

Un habile homme, que le Roi avoit

fouvent emploie pour les affaires de la

couronne, me dit alors que Moniieur de

Mirepoix n'étoit ni aifez fouple ni affcz

liant pour les Anglois, " qu'il ne con-

Eoiffoit pas affez les intérêts refpedifs

des deux nations. Il a d'ailleurs,reprit-

il,un grand deffaut pour un Ambafla-

dcur : il cft trop honnête homme, les

Anglois le tromperont. Il auroit peut-

être pu ajouterqu'iln'ctoit pas allez ha-bile.

Monfieur de Mirepoix avoit paffé

fa jeuneflTec ans les plaifirs" le refte de

fa vie à la guerre : on n'apprend pas la

négociationau Théâtre, ni dans les ba-tailles.

Ce

Page 172: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR,157

Ce Miniftre mandoit toujoursde Lon-dres

que la cour de St. James étoit en-chantée

de ia paix," qu'elle ne penibic

qu'à en jouïr. Il écrivoit ce qu'il pen-

foit,parceque George II. lui iaifoit pen-

fer ce qu'ilvouloit.

Les Anglois avoicnt envoie à Paris

Milord Albemarle : celui-ci n'ctoit pas

non plus un grand négociateur. On lui

avoit appris par cœur fa leçon avant que

de partirde Londres, ": il ne failbitque

la répeterà Verfailles. Lorfqu'on lui

repréfcntoitque la cour de France étoit

informée que celle de Londres faifoitdes

préparatifsde guerre, il répondoit qu'on

fe trompoit. M. de Puifieux le lui di-

foittoujours5 " ilfaifoitfans ceflc la même

réponfe. La politiqueAngloife cfl plus

aifée que la Françoife, elle n'a qu'un fen-

tier : lorfqu'un Miniftre Breton l'a en-filé,

il n'a qu'à aller toujourstout droit.

" Je vis quelquefois ce Lord Miniftre,

il parloitaflez bien notre langue, dans

laquelle

•m;h

?? -Mï

w. M

Page 173: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

158 MEMOIRES

laquelleil s*cxprimoitmême avec érer-

gie. Il amoic la dépcnfe " vivoic en

Grand Seigneur : mais je lui trouvois un

deffaut qui ell commun à tous les An-

glois, c'eft que les prodigalitésmêmes

avoient un air d'avarice. George II. qui

Taimoit beaucoup fuppléoit à fes dé-

pcnfcs; car il ctoit fort pauvre, quoiqu'il

vécût en homme très riche. Un Anglois

qui Tavoit connu à Londres, dit en par-lant

de fon arrivée à Paris : Milord y fera

une maîtrefle, contradtera des dettes, "

périrade quelque accident. La prophé-tie

fut accomplie en tous points -,il vécut

avec une fille,emprunta de grofîcsfom-

ircs, " mourut fubitement.

Louis XV. écoit plus aflldu que jamais

auprès de moi. Je l'avois mis dans l'ha-bitude

de me voir tous les jours : il paf-

foit cinq à fix-heures dans mon apparte-ment

: j'écoisde tous les voïages " dans

toutes les maifons roïales j'avoismon ap-partement.

Plus je fréquentoisle Prince

Page 174: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR, 159

" plus je découvrois la bonté de foa

ame.

Mon mari qui,depuisque j'avoisquitte

Paris, fe plaignoithautement de mon lé-

jour à Vcrfaillcs,m'écrivit une lettre of-

fenfante. Il fe plaignoitbeaucoup de

moi, " encore plusdu Monarque. Les

termes écoient peu ménagés, il poulToit

l'audace jufqu'àlui donner ic .lOm de ti-

ran. Je lifois cette lettre lorfquele Roi

entra dans mon appartement -, je la mis

au(£côt dans ma poche, Se le reçus avec

une émotion qui marquoit le trouble de

mon ame. Il me demanda la caufe de

cette agitation\ je diffimulai quelque

icms : mais, comme il me prcflbit,je lui

remis la lettre de mon mari. Il la lue

d'un bout à l'autre fans faire paroîtrele

moindre mouvement de colère. Je Taf-

furai que je n'arois aucune part à fa té-mérité-,

" pour mieux l'en convaincre,

je le priaide punir févercment l'auteur.

No"j, Madame: me dit-il avec cet air de

bonté

f^

!

1

Page 175: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

160 MEMOIRE S

bonté qui lui cft fi naturel; votre mar sjl

rnaîheureuXy ilfaut leplaindre. L i^ji-oir^

ne parle point d'un pareiltrait de n;ode-

ration dans un Roi oftcnlc. Mon Epoux

qui en fut informe prit le parti de voï-

ager.

La paix, qui avoic répandu le calme

dans toute Tiiurope, cauloit de l'agita-tion

dans les corps politiquesdes états.

Le Parlement de Paris faifoit des remon-trances

à Louis XV. 11 Texhortoit par

un beau difcours à ôter le vingtième : les

députés de ce corps s'exprimoientainfi.

*' Tant de millions d'hommes dans l'in-

" digence ont befoin qu'on les foulage.•' Si au lieu de cela, on les oblige encore

*' à païer le vingtième, ils fe trouveront

" hors d'état de réparerleur perte com-

"me de rétablir leur fortune, " de- là le

" découragement général.

*« Des familles entières réduites à la

•' plus afFreufc indigence, craindront de

" laifleraprèselles une nombrcufe pofté-

" riié

Page 176: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

D E P 0 M P A D ou R. 161

** rite qui leur feroit à charge, " à qui

" elles ne pouroicnt tranrmcitre d'autre

** héritageque leur mifcre.

** Le nombre des enfans, qui font

*' l'appui" Tcfi-érancede Tctat, dimi-

**nuera confidcrablement, les villages

'' feront dépeuples, le commerce inter-

*'

rompu, ^ Ws terres inutiles. La rui-

**ne des laboureurs entraînera nccef-

'* rairemcnt celle des nobles, dont les

** fonds ne feront prefque plus d'aucun

*» produit;" Ton détruira à la l'ois "

•'ces peuples," cette brave noblede qui

'* en eft Tamc " la reflburcc pour fa va-

*' leur."

Monficur le Comte de Saxe appelloit

les Députés du Parlement, les pédants

de la Grand-chambre. Us veulait appren-dre

à l*adminiflration,difoit-il,ce qu'elle

fait mieux qu'eux. Ils parlent toujoursdes

maux de 1*1'tat^ ^ ne difentjamais riin du

remède» Un jour que le Premier-Préfi-

dent prononçoic ua beau difcours devant

Je

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Page 178: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE P O M P A D OU R. 1^,3

foit refpcce. La France entière fe fon-

doit dans les cloîtres : on voïoit de toutes

parts s'élever de vaftes républiques de

filles,qui failbient vœu de ne point don-ner

d*enfans à Tctat. Une lettre que je

reçus d'une rcligicufedeLion, " que je

communiquai au Roi, ïn fonger aux

moïens de corriger cet abus, LUe étoit

conçue en ces termes.

.i

\,

** Madame,

*• Je voulois d'abord écrire au Pape ;

** mais» après y avoir bien réfléchi,j'ai

** penfé que je ferois tout aufli bien de

^ m'adrefler à vous. Voici donc de quoi

" il s'agit. A l'âge de fept-ans, mes

**

parents m'enfermèrent dans le cloître

** où je me trouve, " à quatorze-ans

*• deux religieufesme fignifierentl'ofdrft

** de prendre le voile. Je rcfiRai qucl-

"

que tems ; car, quoique je ne connufft

*'

que la maifon où j'ctois,je foupçonnois

" qu'il

Page 179: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

^1'

164 MEMOIRES

•' qu'il dcvoit y avoir un autre monde

*'que le couvent que j'habitois," un

** autre ctat que celui de rcligieufe: mais

" la fœur du Cœur de Jefus notre Mcre

*'me die, pour décider ma vocation, que

** toutes ks femmes qui fe marioicnt

*' ttoient damnées, parccqu'cUes cou»

** choient avec un homme, " faifoienc

** des enfants : ce qui me fit verler beau-

"

coup \\z larmes pour ma pauvre mère,

*' qui brûlera cierncllement dans Us en-

" fers pour m'avoir mifc au monde.

** Je me fis religicufe,mais à picfent

"que j'aivingt-ans " que mon tempé-

** ramène eft formé, je fens tous les jours

«*que je ne fuis point faite pour cet état.

*' Il me fcmble qu'ilme manque quel-

•*que chofc, ": ce quelque chofe, fi je

"ne me trompe pas,

eft un mari.

•*' Je dérefperc la communauté en par-

*' lant continuellement de mariage. I-a

?• fœur du St. Efprit me dit que je fuis

.** répoufc de Jélus Chrid, pourmoi je

«me

Page 180: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE P 0 M P J D O U R. 165

•** me Tens très difpofccîà époufcr un

-** homme en fécondes noces.

'* Une jeune iille n'eft pas plutôt dans

" le couvent, qu'une demi-douxaine

*' dVmbaucheufcs s'emparent d'elle "

*' ne la quittent plus qu'elles ne l'aient

'• déterminée à prendre le voile. On en-

"rtrre tous les jours dans les monafteres

** dts enfants qui, dans un âge préma-

** tuié, font des vœux lans réflexion.

** Je vous lupplie, Madame, de porter

** le Roi à remédiei à cet abus. La re-

*' ligion " h profpériiéde l'état deman-

*' dent cette réfortne. Tant de victimes

*' immolées à l'avarice des pères" mercs

**ne donnent point d'enfans à la répu-

" biique, Se le roïaume du ciel n'en cft

*'

pas plus peuplé. Dieu veut des facri-

" fices volontaires " la volonté eft une

*' fuite de !a réflexion.

'* Il eft furprenant que nos loix, qui

**ont fixé J'âQjCoù une fille cft en état

•* de

'VM

t .1*

Page 181: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

Ci

ce

166 MEMOIRE S

*• de paflcrun contrat civil, aient oublié

de parler de celui auquel elle peut faire

des vœux. h(l ce que la raifon eft

** moins néccflaire pour contrarier avec

•* Dieu qu'avec les hommes? Je foumets

'' ceci à vos reflexions " à celles du Roi :

" cependant permettez moi d'être,

Madame,

Votre très humble fcrvante.

La Soeur de Joseph. 1»

I

Le Roi trouva que la Sœur du Cœur de

Jcfus " la Sœur du 6V. Efprit avoient eu

tort d'engager iaSœur^^y^y"'/"/",dansTécac

célibataire, qui, avec d'aufli heureuiVi.

difpofitionspour le mariage, n'auroit pas

manqué de donner un bon nombre d\'n-

fans à la république.

Pou» obvier à cet inconvénient, fa Ma-

jcftédonna un arrêt, par lequel il étoit

dcfienduaux communautés rcligieufcsde

recevoir

Page 182: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPJDOUR. 167

recevoir à l'avenir aucune novice, à

moins qu'ellen'ait vingt-quatre ans "c

un jour.

Outre le Parlement, les autres corps

du roïaume expofoient encore à la cour

rimpoflibiruéoù les peuples étoient de

païer le vingtième denier. I.çs ctats de

Languedoc rcprcfentoienthumblement

mais décidément que la province n'étoit

pas en ctat de Tupportcr cette chargir.

Les Evéques, qui pour l'ordinaire ne font

quesdes mandements, écrivoient des mé-moires

fur l'indigencepublique. Le Roi

leur ordonna de ne pas fe mêler des af-faires

de finances, 6c rompit Taflemblte.

Le Duc de Richelieu, qui étoit alors à

Montpellier, fecondoit ks volontés de la

cour, "c retenoit tant quM pouvoit la

plume d-"*?Prélats.

Ceux-ci ne pouvant plus écrire ni i"*dÇ'

f^mblcr, firent une députannn extraor-dinaire

pour expofer au Roi l'état des

chofcs. Les Députés furent admis à

7 Tau-

1*'

Page 183: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

#^'

m.

i

158 MEMOIRES

l'audience, ils parlèrent,on les écouta,

cnfuite ils retournèrent dans leur pro-vince

Se le vingtième denier fut perçu.

Un Miniltrc d'état dilbit fouvent que

ces rcpréfentationsn'avoient d'autre effet

que d'augmenter 1rs charges publiques.

Si les provinces païoient d*abord, elles

feroient délivrées de ces dépenltsqui ccn-

l^ituent les communautés en fraix de dé-pêches,

d'expéditions " de dépiuations,

fans parler des monopoles iné itabies

dans ces occafions.

Les états de Bretr^gne firent auflî des

difficultés : mais In repreientationsdes

uns " des autres n'eurent d'autre effet

que de porter la cour à nommer deux

Intendants des Finances, pour aller ré-gler

la Irvce de cet impôt fur les deux

provinces.

Ct3 difcufilons firent faire des reflexions

zv. confeil d'état fur la tenue de ces états.

On mit en délibération pendant quelques

jours fi on ne devolt pas les abroger en-

tièrement.

Page 184: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

ions

Iracs.

[ues

ca-

lent.

DE POMPADOUR. i60

tiercmcnt. Un Confcillcr d'étar,qui

ctoit pour la diflblution,fît un mémoire

que le Roi me communiqua. Cette

piècen'aïant jamais été imprimée, le pu*

blic n'en a eu aucune connoiiTance. Elle

étoit conçue en ces termes,

« Les états provinciaux ne font d'au-

" cune utilité à la France. Ces aflcm-

" blécs pouvoicnt être nécefTaircs,dans

" le tems que chaque province de la

•* monarchie formoic un roïaume fcparé:*' mais aujourd'hui que la France cft ré-

** unie fous un feul gouvernement, elle

" peut fe fuppléerà clle-mcme, " n'a pas

** bcfoin d'aflemblées.

" Ces états provinciauxne fervent qu'à

" entretenir la divifion entre le Prince 6c

" les fuje^ts: ilsfont un obftacle à la pcr-

" ceptiondes droits 6c à la levée des

" impôts.

" Le Roi n'établit pas plutôt une taxe

?* néceiraire pour fubvcnir aux dcpenfes

** extraordinaires,que ces états s'yopro-

"ïomi I, I

V\\ '

*' Icn; •.

Page 186: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

inon-

ïu de

l faut

pour

Epon-

ice de

/oient

ice,"

:s pu-

ihk'es

Taf-

its n'a

luede

jcllier

plus

in en-

'auto-

feul

:ntre,

DEPOMPADOUR. 171

•* centre, il eft dangereux de la divifcr

*•par des corps fubalcernes.

*' Ces états provinciauxportent aufll

«' fur la morale " la religion.Ceux du

" Languedoc font compofcs de vingt-'* quatre cvéques ou archevêques,qui" tous les ans font obligésde s'abfcnter

** pendanttrois-rnois de leurs dioccfes.

«' Us laiflent des grands vicaires à leur

** place,qui n'ont ni le même zelc ni

** la mênr^e attention pour leur troupeau -,

*' " pendantce tems-là le relâchement

" s'introduit par tour.

«* Le luxe de ces aflemblées n'eft pas

•• moins fcandaleux : chaque évêquey a

" une cour " des courtiians -, tous les

" prélatsy tiennent table ouverte ; au-

*' joUrd'huil'cvêque d'Alaix a trente-

" couverts, demain celui de Nimes in-

*' vite cinquante-convives,bic

: *^ La difToiuiion de ces états ne caufc-

'* roit aucune diminution dans les fi-

**nances générales. Le Don gratuir,

I ij ** qui

" '}TA

Page 187: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

*r

172 MEMOIRES

?• quifbrmerobjctprincipalde ces a/Tptn-

*« blccs, peut être régléen forme de taxe

•* commune levée annuellement. *•

On n'eut pas plutôt ferme la porte de

ces états provinciaux, que celle cJe Taf-

feinbléc du clergé s'ouvrit: c'étoit tou-jours

le même objet, mais traité en

grand.

11 étoit cjueftion,conrrme dans les au-tres,

du vingtième denier litdu don gra-tuit.

Quoique ce corp» veuilk fe don-ner

un air d'indigence, dans les occa-

fions où le Roi lui demande, il fait qu'il

paflcpour riche, " que tous les difcours

étudies qu'ilpouroit prononcer dans ces

circonftances, ne fauroient le rendre pau-vre

dans l'idée du public.

li tache donc de s'abonner avec le Roi.

11 propofa cette fois-la fcptwîillions "

demi pour le délivrer de l'impôt. J^ai

oui dire à un habile économe que ce n'eft

pas avec le corps eccléfiaftiquequ'ilfau-

droit traiter du rachat des taxes : fi en

pareil

Page 188: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOVR. 17J

pareilcas, il y a quelque abonnement à

faire,c'cft avec le peuple qu'ildoit être

fait. On doit lui donner la prefcrenrc

fur tous les autres corps, parceque c'eft

lui qui c(l le plusfoulé.

Les occupations du cabinet ne pre«

noient point fur \c% amusements de la

cour. Le Roi alloit régulièrementà la

chalTe,afTidoit aux fÎ3e6tacIes,^ foupoic

chaque jour avec moi dans les cits ap«

partements. Une amitié tendre " aSec*

tueuië nous lioit étroitemeac : les déûn

avoient fait placeà un doux penchant :

Taraie avoit fuccédé à l'amante. Nos

cœurs fentoient cette fatisfaâion qui tù,

l'effet des pafTions,fans éprouverles a-

mcrtumcs qui les accompagnent. Lou*

is XV. avoit trouvé pluficursfemmes quilui avoient infpiréde Tacnour : mais au-cune

ne lui avoit fait éprouver les

charmes de Tamitié, qui, dans les anKS

bien nées, auront toujoursla préférence.

Le premiercft un commerce de plaifirs,

/ iij dont

Kl

^1

lliit:

Page 189: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1
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r«''

I* •

174'

MEMOIRES •"'

dont la fatisfaftion conduit prefque toui

jours au dégoût : Ja féconde eft une

douce volupté de Tame, qui, pour ne pas

arriver jufques à la fatisfadlion des fens,

n'en eft que plus vive " plus délicate.

Le Roi m'afîura lui-même dans ce tems

que, s'ilavoic d'abord goûté les charmes

de i'amitié,il ne fe feroit jamais livré ù

ceux de l'amour. Il n'eut plus de paf-

fion•, car on ne doit pas appellerde ce

nom ces galanteriespafTageres, où le

tempérament feul fe livre au plaifir,fans

que le cœur y prenne part.^ '*^

Ge Prince me difoit fou vent qu'ilétoit

heureux d'avoir une véritable amie à qui

il pouvoitfaire part de fes plaifirs" con-fier

fes peines; caries rois en ont comme

les autres hommes. Une des plus

grandes pour Louis XV. étoit la convic-tion

du befoin qu'avoient les peuples

d'être foulages," l'impoflTjbilitéoù il

' ?

? il

croit de les rendre heureux. Il me mon-

troit l'état de fon ame, " n'avoit rien de

* "^^

" caché

Page 194: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

i"

176 MEMOIRES

.

La Marine formoit l'objetpiincipal.

M. Rouillé compora à la hâte une petite

flotte, qui ne fut pas plutôt en mer

qu'ellecommença à inquiéterles Anglois.

La nation Brctone perd fa tranquillité

naturelle au feul nom de Marine Fran-

çoife. Quelqu'un dit plaifamment un

jour à ce fujetque les Bretons ne dor*

moientplus,depuisque la France veilloit

À fes intérêts maritiimes\ ^ il affuroit

que, fi cette monarchie conilruifoit cent

vailTeaux de ligmesJ'inibmnie^evicodroit

généraleeo Angleterre. Cette Mariiie

n'étoit cependant qu'un commêncem^qit,

qui étoit encore bien éloigné de Tobjec

qu'on fe propofoit, L'Angleterrelican-

moins demandoit à la France quel dévoie

être l'ufagede ces vaiflcaux ? M, de Pui-

fieux répondità Milord Albemarle que le

Roi de France n'avoit pointde compte à

rendre à aucune puiiïancede l'Europe,

qu'on étoit en paix avec la Grande-Bre-tagne

i" que par conféqucnt ces vaif»

feiux ne pouvoientpas être dcftinés à lui

faire

Page 195: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

vaif*

a lui

faire

DE P 0 M P J V OU R. 177

faire la guerre- La cour de St. James

parut écre faitisfaitc: mais elle n'en fut

que plusMtentive*

Des livres fixèrent pour quelque tems

rattention de radmîniftration. Les Fran-çois,

qui font peut-êtreles peuplesles

plus gênés de l'Europe pour parler,ont

la manie de vouloir être ks plus libres

pour pcnfcr. Ils impriinentleurs idées

fur tout ce qui fe préftnte•, " le gou-vernement

eft toujoursla premièrechofe

qui le préfcnteà leur plume. On pré-tend

que c'eft la gêne elle-même quipro-duit

cette liberté-,

" j'aioui dire que, (i

on ne mettoit pas tai"x d'auteurs Fran-çois

à la Baftille,Il y en auroit moins

dans Paris.

Il arrive rarement que ces écrits libres

vaillent la peine d'être lus : il y en a

qui ne contiennent pas même la valeur

d'une lettre de cachet. C'eft faire trop

d*tîonneur aux mauvais ouvrages que de

rendre leurs auteurs penfionairesdu Roi.

Quoique le clergé affemblé accordât

lutj ce

• \:\

• 1

^^

\M

Page 196: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

178 MEMOIRES

ce qu'on vouloir, il ne donna pas tout ce

.qu'on vouloir. La cour fit des remon-trances

à ce corps, " il remontra à fon

tour: mais on trouva qu'ilfortoit des

bornes de la modération. Le Roi rom-pit

l'aflcmblée," exila les évêques dans

leurs diocefcs. Un courtifan dit le lende-main

au lever du Roi, qu'il falloit les

exiler hors du roïaume, " envoïer des

curés à leur place. Ctt ade de l'auto-rité

roïale rendit les prélatsplus fouples,

" ils parurent alors difpofésà faire ce

qu'on voudroit.,

Un Seigneur de la cour dit au Roi :

Sire, Si votre Mojefté veut interdire les

remontrances au clergéil y a un mo'ien fur

quiefid'interdire Paris aux Evêques, Ils

accorderont le don gratuit qu'on voudra^

fotirvu qu'onleur accorde de demeurer dans

cette capitale.

Cette affaire des Evéques inquiétoit

cependant le Roi, il me dit un jourun

peu ému, Ces gens-lairacrjfenitoujours.Je

n'ai pas plutôtenrichi un pauvre eccUfiafiique

par

Page 197: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPâDOUR. 179

par un bénéficede cent-mille-livres de r ente^

qu'ilprend le ton dans le clergé^ opine

contre le don gtatuit. Sire, lui dis-jc,//

me fembîe qu'ily auroit un moien d*arranger -

tout le monde, La couronne devroit s*ap'-^

proprier la moitié du revenu des grands hîné»

ficeSyà mefure que ceux qui hs pojfedentmour*

r oient. Cette taxe n*en feroit point une pour

perfonne. Votre Majejîé n^a aucun fujet ccn-

facrc à Véglifequi ne lui ait une grands chli"

gation^fielle lui donne une ahha'ie ou un évé-^

cbéf à rai/onde la moitié moins de revenu,

que n^en tire lepcjfejfeura^uel, Je me charge

de r abonnement^ je trouverai dans le roï-

aume deux cent s-eccléftajaquesquifcufcriront

d'avance au marché.^

-

'

Cette diminution ne fauroit pajferpour in-

jujie ; votre Majejté a la nom nation des

grands bénéfices du ro'iaume-, or celui qui

donne efitoujours le mahre des dons. On na

fauroitfe plaindre d'un Prince qui, au lieu

de cent vingt-mille-livresde rente qu'ilpeutaccorder à un defesfujetSylui en domiç/oix-

; 1' 1^

:

%

1)1V

Page 198: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

iSo MEMOIRES

Ces deux mots que j'avoisdits cd pa(l

fant au Roi, furent fuivis peu de jours a-

prèsd'un mémoire qu*uiiparticulieravoit

addreifé à MoDHeur le Comte de St. Flo-

ïencin"" qu'ilpréfentaà Louis XV.

,MEMOIRE

'Ââreffià ta tsur^ au fi^eftk Pinégalifiâes

iTaues Jrviejfitrte ccrps du Cierge,

«i

C'EST une maxime reconnue dans

le fiftême économique que l'éga-lité

géonoétriquedans la perceptiondes

** taxes en diminue le poids. Lorfqu'un

"* fardeau eil porté par tous les membres

** d'un corps, il eft toujoursléger.

*^ L'embarrasdu clergéau fujetdu don

** gratuit," des autres chargesqu'ildoit

«* fupporterpour fubvenir aux befoins de

•* récat, ne vient pas des taxes, mais de

•* h Impartition. Les grands bénéficiers,

•* qui devroient païcr d'advantage, font

*^ toxijoursceux qui paientle moins rela-

" tive-

Page 199: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPADOUR. i^i

«« tivcmtnt à leurs revenus : toute la

** charge tombe fur Iç pauvre curé de

** village," les bénéficiers (impies,qui

" à peine ont de quoi vivre, ^ qui font

** plusfoulés comme membres du clergé

** qu'en qualitéde fujetsde TécaC.

•* L'aflcmbléc des Evéques pour fe

*' taxer eux-mêmes avec le refte de leur

««corps, n'eft pas un privilègedu clergé,

** mais une grâce des Rois de France.

** Elle leur fut accordée à condition que

** la répartitionferoit julte," que les

*" petitsbénéficiers qui font fujetsdu Rot

^' comme les grands, ne feroienc point

" foulés.

« On taxe fur le pied de reffcdif :

" cette répartitionn'eft pas jufte,car un

^* curé qui a cent-écus de rente, " qu'on

taxe à un écu, cil pluschargéqu'un

Evêque qui,aïant cent-mille livres de

^^ rente, en paiemille : car le fuperâufe

«« trouve toujoursdans une annuité de

« quatre-vingt-dix-ûe^if-milk-livrcs,au-|

** lieu

ce

ce

V

?

'' vil'*''

Page 200: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

if.,1

182 ME MO 1 R E S

*' lieu que le nécciraire commence à man-

?*quer

à celui qui, nViani que ccnt-écus,

*' eft privéd'un. - .^

' '?

"

" Les petitseccléfiaftiqucsfont fujets

*' du Roi comme les grands. Permettre

"que des Evéques taxent les prêtrespar-

" ticuliers,parccqu*iîsleur foni fubbr-

" donnés, c'cft un abus de l'adminiftra-

** tien civile..

' -

.

-^

'

.,

•* Le Tpiritueln'a pointde droits fur le

*« temporti. C'eft à l'état politiqueà

••réglerla taxe " non pas au gouverne-

** ment eccicfiaftique. '

.

.

" Il faut taxer une fois pour toutes les

** fujetsqui forment le clergé,comme les

" autres de l'état qui compofent la répu-

** blique. On peut aifément favoir quelle

*' taxe les eccléfiaftiquesqui compofent

•' cecorpspeuvcntpaïer.Iln'yapourcela,

" qu'àprendre un état des fommes géné-

** raies que le clergéa fournies depuis

*' vingt-ans. Le vingtième de ce total

•* fera la taxe annuelle jufte. Il faut

;, ?.* " quatre

Page 202: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

i84 MEMOIRES

*' Cette augmentation de taxes feroît

*' conforme à la manière établie dans la

*^ perception des droits publics. Les ar-

*^ tiftes " les marchands paient plus à

** proportion que leur induflrie leur pro-

«( cure de nouvelles richefTes."

Les aflTaîres de TAmérique, dont on ne

parloirplus depuis la paix d'Aix-la-Cha-

{)elle,vinrent donner de nouvelles occu-pations

à la cour de France. Les An-

glois fe plaignoientparleur Amba0*adeur

Milord Albemarie que les François fa*

vorifoient les vues des Indiens, " qu'ils

les portoient fous roain à troubler leur

ctabliûêment de la nouvelle Ëcofle. M.

de Puifieux répondit à Ton tour au Mi-nière

Breton qu'on (e trompoit à Lon-dres.

«* La cour de France, lui dit-iJ,

•• n'a aucune connoifîanDc de cette fo-

"* mentation prétendue qui n'exifte pro-

** bablement que dans l'efpritdes An-

glois,"

1 Ce-ci

Page 203: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPADOUR. 185

Cependant les premièreséiîncelles de

ce feu qui dévoie allumer de nouveau la

guerre, commençoienc déjà à parottre.

On avoit des avis du Canada que les In*

diens faifoient des mouvements, " quoi-que

le cabinet de Verfailles ne donnât pas

directement ordre aux troupes Françoifes

de s'yoppoferyilne leurdifoit pas non plus

de ne pas k faire. Ce Hlence laiflà de-viner

aux commandants le partiqu*ib

dévoient prendre, lia ne fc déclarèrent

pas ouvertement : mais ilslaUIèccAi:agir

les cauCss fécondes* ^^—

^^ /Tr»

Un Mini"re d*une coisr étrangèreat»

liéeauuefois de la France, " qui voïott

beaucoup Monfieur de Fuiûeux daos oc

tems-là, lui remit à ce fujetce méonoift

que k Roi n'a jamaisvu, " que je n'ai

lu moi-même que long-tems après. "

*" La France, difott cet écrit,n'eft pat

** encore en étatde renouveller la guerrr.

^ 1) ^ut kûfler les cboiès dans la poûtioa

"*ou ellesfont jiifquesà ce qu'on foit à

" même

: .1

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Page 204: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

i86 MEMOIRES^

" même de mcfurer fes forces avec celles

*' de l'Angleterre. Si on ne prend point

V ce parti,on gâtera tout. La guerre

*' de mer influera fur celle de terre : la

*• Grandc-Bretagfie choifîra ce moment

**pour porter le Roi de Prufle à fe dé-

^* clarer contre la France, qui alors aura

1* deux fortes guerresà foutenir pour un

" foiblc continent, qu'elle perdra fans

"doute à la fin : car il n'eft pas difficile

M' de prévoird'avance les événements de

** cette guerre.La Marine Angloife eft

«* beaucoup fupérieure à la Françoif?* : le

" Roi de Pfuflè a deux-cent-mille hom-

*•mes bien exercés, tout- prêts à marcher

«* au premier ordrf, pourfaire une puif-

** fante divcrGon en Allemagne. Ses

•• troupes jointes à ceîlfs d'Angleterre

" feront panchcf la balance dans le Nord,

*' La France eft bien commeelle eft,elle

** doit borner fa politiqueà s'ytenir,juf-

*'ques à ce qu'une occafion favorable lui

** fourniffé ks moïens d'être mieux.

"Il

Page 205: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

et

DEPOMPADOUR. 1S7

** Il n'y a rien qui vous prelTedansTA-

mcrique, ajoutoit le mémoire, vous

" ferez toujoursà tems d'y faite valoir

" vos droits. Les fauvages font vos a-

" mis : ils ne peuvent point fouffrir les

" Anglois : bornez vos intrigues pré-

•' fentes à fou tenir cette divifion fans

" l'accélérer : le moment viendra où

^'vous la mettrez en œuvre. La pré-

*' cipitationgâte les meilleures affairés,

" au lieu qu'avec la patienceôc le tems

^* on vient à bout de tout.

'

** N'imaginez pas que vos intrigues

"avec les Amériquains en impofent à

" l'Europe, les menées les p'is fécretes

" des cours à la fin font toujoursdécou-

" vertes. On vous rend déjà'

relponfa-

'" ble des démarches des peuples du Ca-

** nada, quoique vous ne paroifTiezy en-

" trer pourrien : on Jait dans toute

«« l'Europe que les fauvages de l'Amé-

** rique fcptentrionaleagiflehttoujours

*' fans dclTein formé, lorsqu'ilsne font pas

** con-

\M

\-

Page 206: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

I

i

ce

C(

188 MEMOIRES

"conduits. Pcrfonne n'ignore que ces

** automates n'ont point de volonté en

"

propre, " (Qu'ilsne difent qu« ce

*' qu'on leur fait dire, " qu'ils ne font

que ce qu'on leur fait faire.

" Votre marine ne fait que de naître,

elle commence à peine à fe former ^

*^ une guerre de deux-ans fuffic pour

" l'anéantir entièrement. Avant que de

^^ commencer une guerre,il y a un moïen

** {\xr pouf favoir fi on doit l'entieprcn-

" dre, c'cft de pefer rutiliti des çon,-

"(juêjccpar 1"; dçi^|l^JÇagç^^4e|,.#^" faites» • » r

«' Si VOUS battez lés Àogiloisfur mer»

lïVcbofequi eft hors de toute probabilité»

««vous confcrvez rAtpérique feptcntrl,

" «inale que vous avez : fivous êtes batr

" tu, vous jperdrezl'Amérique " peut-

*^ ctre toutes vos autres colonies ; car

•* une conquête mène toujoursà Fautre.

" Les Anglois qui, au commence-

*•ment de la guerre, armeront feulenoent

**pour

Page 207: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPJDOUR. 189

•*pour le Canada, proffiterontde cette

•* première vi^oire pour s'acheminer à

** d'autres : " la cour de S, James for-

** mera dans les fuites un plande deftruc*

•' tion,auquel elle ne pcnfcpeut-êtrepas

** aujoiird'hui.

•' *' La France a ce dëfavantagequ'elle

?* n'a aucun ^llié qui puiffeTaider à rc-

*' parer fes pertes contre les Anglois.

«' La marine d'Efpagne n*eftpasenmeil-

*' leur état que celle de France 5" les

^* Hollandois nefouhaitent la guefre en-

** tre les p\3i(Fancesmaritimes, que pour

" proffiterde l'avantagequi leur revient

*• de la neutralité. Il n'ell pas impoflî-

;" trfe qu'une puifTancede terre qui perd

?*)unc bataille, ne reparcfa défaite par

" une vidoire ; il ne lui faut pour cela

*' qu'un général plus expérimenté,des

?« troupes mieux aguerriesou des circon*

«* ibinces plus favourables. Mais telle

«' e(t la pofitiondes affaires maritimes de

** la France, qu'une colonie qui lui eft

*«cn.

Page 208: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

190MEMOIRES

•' enlevée eft perdue pour toujours,car il

*' s'enfuit la deftruélion de Tes vaifleaux,

*' qui pouvoient feuls la ramener fur le

" chemin de la vidloire."

Ce mémoire, que des politiques,à qui

je l'ai fait voir depuis, ont trouvé bien

combiné, n'eut pas l'effet qu'on auroit

dû en attendre. Un autre qui fut prc-

fénté quelque tems après au même Mi-nière,

donna des idées différentes fur le

même objet..

On dit que les membres du Parlement

d'Angleterre,qui font prefque toujours

oppofés les uns aux autres dans leurs opi-nions,

difputent enfemble continuelle-ment

-," que de ces débats il fort une

lumière qui éclaire lescfprits" les rend

plus propres à faire du bien à la patrie.

Il n'en eft pas de même en France, où les

différentes opinions répandent une ob-

fcurité dans l'entendement qui jette par

tout le trouble " laconfufion. f i\

(C L'af-

Page 210: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

iqt^ MEMOIRES

«* ouvrant une inBnité de branches de

«' commerce, qu'ellen'auroit jamais fans

"^ la podèffionde ce continent.

*^ Quoique nous n'aïons pas une grande

^« Marine, nous avons néanmoins affez de

*^ vaiflèaux. Il n*e(l pas quelliond'une

** querellede mer, mais d'une guerre de

«" terre. Il fu/Ht que nous débarquions

"* des troupes au Canada : les affaires de

*^ l'Amérique n'ont aucune liaifon avec

«' celles de notre continent. S'il furvient

^" des troubles en Allemagne, ils naîtront

** de toute autre caufe : " fi le Roi de

»* Pruflc fe déclare contre la France, c'eft

•* qu'ilaura des vues particulièresqui fe-

** ront indépendantes de nos colonies :

•* il fe déclareroit de même quand nous

" n'aurions aucun démêlé avec les Bre-

•* tons au fujetdu Canada.

"Ce n'eft pas la première fois que nous

** avons eu plufieurs guerres à foutenir

** dans jc même tems : il eft même im-

•* poflibleque nous n'en aïons qu'une à

« la

Page 211: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

^

DE POMPJDOUR. 193 #^3" la fois. Nos intérêts font fiétroite-

" ment liés avec les autres puifîancesde

" l'Europe,que^ lorfquenous prenons

*« les armes, il faut que cinq ou fix

" princesfe déclarent.

^^ La pofitiondes agrairesdu Canada

" nous met dans la néceflitéde recom-

'* mencer la guerre : nous ne faurions

" refter dans l'étatoù nousfommes. No-

" tre politiqueaujourd'huidoit avoir

'' pour objetprincipalde regagner l'a-

" vantage que l'Angloisnous a fait

•* perdre.*' Quelquefupérioritéqu'onattribueà

** la Marine de la Grande-Bretag^ie,fes

*' fuccès ne font pas aufîi fûrs qu'on le

" dit. Les avantages à la guerre dé-

" pendentd'un grand nombre d'événe-

" ments qu'on ne fauroitprévoir.Sou-

" vent au moment où Ton croit rcm-

" porter des viûoires,on éprouvedes

V défaites.

"ïome L K «L'An-

il- ?

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Page 212: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

,194MEMOIRES

" L'Angleterre, depuis la paix,n'a pas

** eu le tems d'augmenter fes flottes. Ses

" forces font aujourd'hui comme elles

" étoient à la fin de la guerre.Avant le

** traité d'Aix-la Chapelle, nous nous

** deffendions fur mer, nous le pouvons

•* encore : mais fi nous attendons d'a-

•* vantage, nous n'y ferons plus à tems ;

*• car la fupérioritéde cette marine, qui

«* augmente tous lesjours,rendra la nôtre

*' fi inférieure que nous n'ofcrons plus

** paroîtredevant eux fur la mer, " que

«• nous ferons forcés alors de leur aban-

" donner l'Amérique feptentrionale.

** En recommençantla guerre tout de

" fuite,nous pouronschafTer les Anglois

** du Canada, au lieu qu'en continuant

** la paix, ils nous en chaflTeront. 11 n'eft-

*' plus tems de temporifer, il faut fe ré-

** foudre à abandonner cette partie de

** l'Amérique à l'Angleterre, ou nous

*J mettre en état de la lui difputer.« Les

Page 213: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

a pas

.

Ses

elles

int le

nous

ivons

sd'a-

ems;

', qui

nôtre

plus

c que

»ban-

ut de

glois

uant

n'eft

le ré-

le de

nous

Les

DEPOMPADOUR, 195

" Les nations fauvages nous font al-

*' liées 5 ces peuples ne peuvent foufFrir

*" les Anglois : il faut fe hâter de prof-

*" fiter de cette difpofitionfavorable à no»

" tre égard. Les peuples qui n'ont point

•* de loix fixes font naturellement chan-ce

géants. Ceux du Canada aiment la

«* guerre,ils méprifent les nations qui

*« vivent en paix. Vingt-ans de tran-

" quillitéleur fera avoir mauvaife opi-

"* nion des François. Ils les eftimeront

"' au-contraire, " s*uniront à eux plus

*'que jamais,s'ilsleur voient IcS'armes à

" la main contre une nation qu'ilsn'ai*

" ment point," "c. "c. "c.

Ces mémoires ne changèrent rien au

fiftême général,on continua de part "

d'autre à diffimuler Se à faire femblant de

vouloir la paix. L'Angleterre travailla

à augmenter la marine \" la France

donna ordre à Brefl " à Rochefort de

conftruire des vaifleaux.

K ij Plus

i, ly

t'

' t 1

; t;'

Page 214: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

196 MEMOIRES

Plus on imaginoitde moïens pour re-médier

aux malheurs de l'état," moins

on trouvoit de reflburces pour y parve-nir.

Le peuple ne pouvoir être foulage

que par Tabolition dts taxes, " on ne

pouvoit fubvenir aux befoins préfents

qu'en "!lréant de nouveaux impôts. La

confufion régnoit dans toutes les branches

de l'adminiftration, " le Roi me difoit

fouvent :je ne fais par où commencer.

L'encouragement de l'agriculture,la

perfedion des arts, l'augmentation du

commerce, l'aquitdes dettes de la nation

ofFroient des biens éloignés," le peuple

avoit befoin de fecours préfents. Pour

faire diverfion aux affaires publiques,qui

prcnoient beaucoup fur le tempérament

du Roi, j'yoppofoisde nouveaux amufe-

ments. Tout ce que l'imaginationpeut

produire de plus vif pour fatisfaîre les

fens étoit emploie à Verfailles. Toutes

ks fêtes que je donnois au Monarque

n'étoient

Page 215: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR. 197

n'étoient pas de moi. J'avoisà Paris des

gens de goût qui m'en fourniffoient ies

premiersmatériaux, " auxquelsjene fai-

fois que retoucher.

Malgré les foins que je me donnois

pour tirer la cour de cet étatlugubreque

l'embaras des affaires lui donnoit, je

m'apperçusque le Roi n'ctoit pas afTez

gai*.11 avoit un air plusfombre " plus

rêveur qu'à l'ordinaire. Cette nouvelle

fcéne lugubrem'efFraïa,j'endemandai la

caufe au Monarque ; il me répondit

vaguement qu'ilne s'appercevoitd'aucun

changement en lui,qu'ilétoit toujoursenchanté de ma fociccé : mais la révolu-

tion n'étoitque trop certaine.

Mes ennemis n'aïant pu engager le Roi

à m'éloignerde la cour par tous les ref-

forts de la politique,firentjouerceux de

la religion.Le confefleur de ce Mo-narque

fut mis à la tête de la cabale.

C'écoit un Jéfuitequi n'avoit que de la

morale à emploïer,"c rarement chez ua

K iij Prince

'

m

Ni

|i Ai'

Page 216: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

i9« MEMOIRES

Prince clic remporté fur les plaifirs:

mais il imagina un moïcn qui frappa le

Roi.

Ce rcvcTcnd fit faire un tableau par un

des plus habiles maîtres de Paris, qui re-

préfcntoitles peines de Tcnfcr. Plu-

fiturs têtes couronnées y paroilToientfouf-

frir des tourments douloureux : les gri-maces

" les contorfions de ces Princes

infortunés ctoient peintesavec un art "

une force qui faifoient frémir. Il pré-

ientace chef-d'œuvre infernal àLouisXV.

Le Roi le regarda quelque tems en fron-çant

le fourci], enfuitc il demanda l'ex-plication

du tableau\c'écoit là où le Loï-

aliftc l'attendoit: ** Sire, lui âihih le

*" Prince que vous voïez-là, qui foufFre

" des peines éternelles, étoit un Mo-

«* narque ambitieux, qui facrifioit fon

*• peuple au vain plaifirde s'aggrandir.

« Celui qui eft à fon coté, que des démons

" tiennent enchaîné, éroit un Monarque

?' avare qui accumuloit dans fcs coffres

-

^

"des

Page 218: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

200 MEMOIRES

" de la bonté du Roi. Un Prélat lui a-

voic fait faire amende-honorable à Metz

du tems de fa maladie.

Je fisde nouveaux effortspour tirerce

Prince de ce nouvel état de langueur;j'y

réuffis: mais une affaire domeftique le

replongeadans une nouvelle trifteffe.

Monfieur le Dauphin avoit atteint fa

vingt-deuxième année : cet âge en France

efl pour les filsde rois celui auquel on

leur confie les affaires de la couronne.

Ce Prince avoit toujourseu une défé-rence

aveuglepour les volontés du Roi

fon père : mais depuis quelque tems il

s'étoitfait un parti. I-,aplupartde ceux

quile formoienr, étoient mes ennemis :

ilsfaifoientde moi des portraitsridicules

" y intéreffoientle Roi. Louis XV. le

favoit, " c'eft ce qui formoit en lui le

contrafte quirattriftoit. Après m'avoir

fait parc de fa fituation,il me dit : ^e

fi'îezvr.us. Madamey^ vous étiez à ma

pa-:-.s ^-Sire, lui répondisje^ je ferois

*' entrer

'j

Page 219: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR, lot

** entre Monfeigneur le Dauphin dans

** tous les confeils, " je lui rendrois tous

" les honneurs qui font dus à fon rang "

•* à fa nailTance." He bien^ dit le Roi,

js Cuivrai votre confeil: " peu de jours a-

près le Dauphin fut admis dans les grandes

délibérations de l'état.

Monfieur de Machault, qui étoit alors

à la téce des finances, fe donnoit tous les

mouvements polTiblespour les rétablir :

on le preffoitde toutes parts. M. Rou-illé

lui demandoit de groffesfommes pour

former une marine. Les Païeurs des

rentes couroient après lui depuis le ma-tin

jufques au foir pour avoir des fonds;

" ceux qui avoient fait des avances dans

la dernière guerre ne quittoient poinc

fon appartement. Il dit un jour au Roi

en ma préfcnce,Sire^ je ne fais comment

ni y prendre peur faire honneur à vos en^

gagemenis, l'ont le monde me demande^ ^

perfonnene veut me faire crédit.

i.*

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Page 220: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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202 MEMOIRES

Le Maréchal de Bellciflc à qui ce con-

trolleur fe plaignoit fouvent,. lui ditr

*' Monfieur» je ne vois qu'un moïen

pour vous, qui cfl:de faire banque-route

à l'état. Quand une machine cft

dérangée, le feul remède qui rcfte eft

** d'en arrêter le mouvement pour la re-

**monter de nouveau.'*

Le confctl ne fut point fuivî, la ma-chine

des finances ne fut pointremontée»

" cette branche de i'adminiftratîon con-tinua

dans fon premier défordre. J'ai

quelque-part dans mt$ papiersun projet

de liquidation,par lequel l'auteur,,qui;

pafToitpour un tscs habile économe, prs-

tendoît que, pour établir un ordre im-muable

dans les finances, il falloit que

tous les vingt-cinq-ans Tétat fe déclarât

infolvable, "que les créanciers entraflent

en accommodement avec le Roi^ comme

avec un particulierqui n'a pas de quoi

païer." La

Page 221: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPADOVR. aoj

" La France, difoifce papiery ne veut

«* pointfaire banqueroute-,mais le moïen

" qu'elleemploie pour s'en garantireft

**encore plus onéreux : car que fait le

" Roilorfqu'ileûchargéde dettes ? Il éta-

** blitdes impôtsaccablants fur fes peuples

"

pour les païer jremède qui cft pireque

?* le mal, parceque la levée de la taxe

«* double toujoursl'impôt. Il prend par

*' force d*un côté pour païer volontaire-

^ment de Tautre. La banqueroute ne

" ruineroit qu'un certain nombre de fu-

" jets,au- lieu que le paiement appauvrit

" tout le monde."

Je ne fuis pas aflez verfé dans le fifl^éme

des finances pour décider fi un Roi éco-nome,

qui veut répandre l'abondance

dans fon état,doit commencer par perdre

la confiance de fes peuples. Il y a tou*

jours beaucoup à rabattre de ces mé^

moires. Un'

homme d'un grand génie

i!n*adit fouvent que, (i on effcéluoit tous

les beaux projets,qui tendent à rendre la

France

,1

' 1.-1

Page 222: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

I

I

Ii

204MEMOIRES

France l'étatle plusopulentde l'Europe,

il deviendroit peut être le plus pauvre de

l'univers,

La faveur particulièredont Louis XV.

concin?ioit à m'honorer, attiroit beau-coup

de gens dans mon appartement.

J'y avois tous les matins une cour nom-

breufe; quelques grands y venoient pour

plaireau Roi : mais la foule s'y rendoft

pour obtenir des grâces. J'avois mis ces

derniers dans l'habitude de me fournir

des mémoires, car je n'aurois jamais pu

me rappellertant d'objetsdifférents. Il

eft impofîible à ceux qui vivent éloignés

de la cour d'imaginer le nombre des

claffesde demandeurs qu'ily a en France,

" de combien de grâces " de faveurs le

trône peut-êtrel'heureux difpenfateur.

J'ailu dans un mémoire original,que

Louis XIV. avoit permis à ceux de fes

fujetsqui avoient quelque demande à

faire à la cour, de s'addrefîer direélement à

lui. Si cet établiffement avoit eu lieu

'

fous

Page 223: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPADOUR. 205

fous le régnepréfcnt,Louis XV. n'eut

fait autre chofe,pendanttout le cours de

fa vie,que de donner des audiences. Je

me faifoislireces mémoires, " j'enpar-lois enfui te au Roi»

Outre les demandeurs, il y avoit aufiî

des plaignants,": ceux-ci étoient ordi-nairement

en plusgrand nombre que les

autresl ; c

Il efl:difficile,dans un roïaume aufïi

étendu que la France, de prévenirtous

les abus : il en eft de néceflaircs" qui

.naifîcnt de l'ordre lui-même. Mais une

plaintequ'on m'addrefla m'en fit remar-quer

un, qui me parut digne de l'atten-tion

du Prince : c'étoitl'oubli qu'on a-

.voit toujoursfaitdes enfants de ces mili-taires

quimouroient pour le ferviccde la

patrie.Souvent un officiergénéralqui n'étoit

- pointné gentil-homme: mais qui par fa

valeur avoit affermi les privilègesdu

trône "; ceux de la nobleffe,laîfToitlui-

même

lin

I

Page 224: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

Si

I

1

ï

206 MEMOIRES-

même des enfants roturiers. Ceux-ci,

quelque luftresaprès,derenoient peuple:

ainfi on perdoitla trace des familles qui

avoient rendu les plus grands fervices à

l'ctac. Les belles aâiions mouroient avec

k héros : fa pofléritén^ avoit aucune

parc fa gloireécoie enfévelie avec lui dans

le même tombeau. J'en parlaiau Roi^

" quelque tema après fa Majefléfitpu^

blier un arrêt qui annobiiflbic les mili^

taires " leur poûérité. Les différents

dégrésde cette nobleflfe écoient énoncés

danslV^donnanceparle"différentsgrades

des officiers.

Perfonne ne foupçonnadans le roïanme

que j'cuflfcpart à cette délibérationj ainfi

fiaprèsma mort on ne fouille pointdans

mes papiers,la poûéritéignoreraà jamais

que j'aïeportéLouis XV. à faire cet ét^-

bliffement.

Les courtifans de Verfaillcs s*intfi-

guoienttoujours: ceux qui ne pouvoient

poÎAty^acer leurfortune par mon canal,

cher-

Page 226: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

208 MEMOIRES

s'élever au plus haut degré de la fortune,

qu'ellesprenoient le parti de la retraite :

quelques-unes mêmes, du fonds de leur

exil volontaire,faifoient agir des refîbrts

pour remonter fur le théâtre qu'ellesve-

noient d'abandonner,

M. de Machault eut les fceaux. On

s'eft fouvent plaintde cette circulation

des charges, dont les unes ont un exer-cice

diamétralement oppofé à la pratique

des autres : mais il faut s'en prendre à

l'ambition. Les poftesfubalternes en

France ne font qu'un chemin pour arri-ver

aux emplois honoraires " lucratifs.

A la vacance de chaque grande charge,

mon appartement étoit rempli de poftu-

lants. Ces gens-làqui avoienc déjà de

quoi vivre, cherchoient \ts moïens de

paroîtreavec éclat dans le monde à la

faveur d'une grande charge.

Cet enchaînement de plaifirsque

j*avois formé à Verfailles pour tirer

k Roi de cet état d'engourdiflfementoù

' - foa

Page 227: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR, 209

fon tempérament le jettoit,ne prenoit

point fur les affaires générales. Louis

XV. avoit fix- heures de travail,il s'occu-

poit le matin à Tadminidration extéri-eure

" intérieure du roïaumc.

La mort du Maréchal Comte de Saxe

vint faire diverfion aux amufements de

la cour. Je me fouviens qu'un homme

d'efpritqui écoit dans mon appartement,

au moment qu'on en reçut la nouvelle,

me dit; Madame

^nous allons avoir lien-'

tôt la guerre^ car de tous les généraux du

Roi de France^ le Roi de Prujfene craignoit

que le Maréchal de Saxe» • •

Les coinférences que Louis XV. avoit

eues fouvent avec ce héros m'avoît mife a

portéed'étudier fon caradere. On a du

plailirà connoître les grands hommes :

Tame de celui-ci étoit d'une trempe par-ticulière,

Toutts fes actions privéeste-

noient de l'homme ordinaire;

il n'étoit

grand qu'en un jour d'aftion : Ton ame

alors.

I

il' :

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à i. il

if,/' KI

Page 228: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

i!"

aïo MEMOIRES

alors, fij'ofem'cxprimer ainfi,changcolt

de caractère, elle devcnoit grande, noble,

" magnanime : une nouvelle clarté qui

fe communiquoit à Ton efprit,lui faifoit

tout voir du premier coup d'oeil. Son

imagination n'avoit rien à faire,le génie

militaire qui l'agitoitalors fuppléoit à

tout : mais après la bataille,cette belle

ame rentroit dans le néa^t de fa peticefTe:

il ne reftoit de grand en lui que le brujt

de fes aûions. ^

.•

Dans la vie privée ilpouflbitla baffefle

jufquesà la crapule ;fans goûc pour cet

amour délicat qui diilingueles âmes no-bles

des communes, il pe çonnoilToit

d'autre plaiQrdans la fociécé des ferAmes,

que celui de la débauche : on ne lui dé-couvrit

jamais de paflîonsdignes du hé-ros

: il trainoit après lui un ferrail corn*

pofé de filles de joie. Toutes fes maî-

trcfles étoient des femmes de proftitution

publique. Tandis qu'il troublpit l'Eu-rope

Page 229: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPJDOUR. 2u

rope par fcs vidoires,une comédienne

nommée la Favp.rt,agitoitfon cœur par

(es galanteries.

Ceux qui Tavoient vu fouvent ont dit

de lui qu'ilne pofîedoitaucune fcience.

Il ne connoiflToit que la guerre, qu'ilfa-

voit fans l'avoir jamaisapprife.On pré-tendit

quelque tems aprèsque cette mort

avoit fait changer tous les fiilémes de

l'Europe;" que le Roi de Pruflc en ef-fet

n'au roit jamaisrecommencé la guerre,

fiMaurice eût vécu. Il eft certain qu'un

feul homme peut changerla face de no-tre

monde politique.

J'ailu dans les mémoires originauxdu

régnede Louis XIV. des révolutions fur-

prenantes caufces par l'afcendant d'un feul

morte). Le Comte de Saxe avoit travaillé

toute fa vie avec une ardeur infatigable

pour aquérirune tranquillitédont il ne

jouîtjamais, A peine fut-il parvenu à

ce faîte des grandeurs où fes talents pour

la guerre ravoi«nt élevé,que la mort le

prç-

M

!H"f.

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'l

Page 230: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

\

212 MEMOIRES

précipitadans le tombeau. Le roi lui

avoit donné une maifon roïale pour le

récompcnfer des fervices qu'ilavoit ren-dus

à récat. il pofîcdoitde grands re-venus,

ôcjouïflbitde toutes les dignités

dont un mortel puifleccre revêtu.

Ce généralmourut avec une gloirein-

contcftable. Ses ennemis mêmes conve-

noicnt qu'ilavoit un talent fupérieurpour]a guerre : mais fi Ton génieBt beaucoup

pour la France, la France fit encore plus

pour lui : on ne le laifTajamais manquer

de rien. Les Paris lui fournirent tou-jours

abondamment les chofes néceffaires:

il combattit avec de nombreufes armées

dans un païs,qui fut prefquetoujoursle

théâtre des conquêtes de la France, "

celui de la gloire du nom François.

Maurice commanda les meilleures troupes

du Roi, lelquellesmouroient d'envie de

fe fignalerpar des vi6bûires. J'ai oui

dire par un habile homme qui eft du mé-tier,

qu'un héros doit pafîerpar tous les

rentiers

if

Page 231: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR, 213

rentiers militaires,qui conduifent à la

gloire. La cour de France ne fraïa

qu'un chemin à Maurice : on ne le mit

jamaisà ces épreuves,qui,en forçantun

commandant de Jéploïertoutes Tes ref-

fources,le décident général.

J'ailu, dans les mémoires manufcrits

de la minorité de Louis XIV. que les

ennemis du grand Condé portèrent la

Reine Mère à Tenvoier en Catalogne

pour defFendrc les frontières,en ne lui

donnant que de mauvaifes troupes " en

petit nombre, ce qui le fit échouer.

Condé, qui connut les deileins de fcs

ennemis, écrivit ainfî à Ion ami Gour-

ville. On m^a envoie iciattaquer Us dieux

tf les bommesy Csf on ne m^a donné que des

fantômesfour lescombattre, y échouerai;

car on m^a oté tous les moiens de vaincre.

Cependantce héros,malgré le défavan-

tage du nombre " celui du climat,fou-

tint les effortsde TEfpagne,'

La

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lii:.

Page 232: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

214 MEMOIRES

La mort du Maréchal de Saxe caufa

une révolution dans refpritdes courti-

fans militaires. Ceux qui jufques là s'é-

loient tenu cachés derrière Ton méiite Te

montrèrent. Tous prétendirent occu-per

la place de ce héros^ " aucun n'en

étoit capable.

A la première nouvelle qu'on eut à

Verfailles de la mort du Comte Maurice,

le Roi dit: Je r^ai fins de général Une me

rejieque quelquescapitaines, Lowendahl

cependant vivoit encore : mais on pré-tend

que le génie de ces deux hommes

étoit fait pour être enfemble, " que les

vertus héroïques de celui-ci tiroient leur

éclat des qualitésfupérieuresde l'autre.

Un courtifan dit à ce fujet,Lowendahl ne

fera plus rien de bon à la guerre 9car fon

confeileftmort.

Pendant qu'on étoit occupé à Verfailles

de cet événement, le Nonce du Pape vint

annoncer à Louis XY. que le Roi de

Pruffe

Page 234: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

ra»

2i6 MEMOIRES

des Princes foibles " fuperftitieux.

Quelques uns Tont attribué à un nou-veau

fiftême de population par la trani-

migration des catholiques des états at-tachés

à la communion Romaine : mais

les moines " les prêtresde ce rit ne peu-plent

point un état, "c.

Pour moi, je l'ai attribué à la manie

qu'ont tous les Princes d'aujourd'hui de

faire de nouveaux établifTements. Si on

examine la conftitution du gouvernement

PruQien, qui eft monarchique abfolu, on

verra que la pluralitédes religionsne peut

lui convenir : du-moins ai-jeapprisd'un

très habile homme que la liberté des dog-mes

ne peut bien s'accorder que dans les

républiques.

Depuis quelque tems, le Roi étoit

plus gai qu'à l'ordinaire : après tant de

crifes " de fatiguesil refpiroitun peu.

Il avoit le loifir de me voir fouvent,"

d'aller à la chafîe tant qu'ilvouloit. Ja-mais

Prince n'a tant aimé cet exercice.

Comme

Page 235: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

'un

DEPOMPADOVR. 217

Comme il le prenoit avec palTion,il s'y

fatiguoitfans mefure. Je lui reprcfentai

un jour qu*il changeoit ce plaifiren

peine," qu'illui conviendroit de le mo-dérer

: que l'excès de tout étoit nuifible :

mais il me réponditque celui de la chafTe

contribuoit aU contraire à fa fanté. C'eft

la nouvelle phifiquequi a introduit ce

fiftême. Les Médecins de cour, qui ne

parlentque d'agitation" de mouvement,

décident les Rois à pafTerla moitié de leur

vie à cheval.-

Mais une grande fatisfadion

qu'éprouvoitle Monarque, c'étoit

d'avoir foulage fes peuples. Il leur avoit

remis trois millions de taille,il venoit

d'abolir le centième dénier ": les fols par

livres perçus fur cet impôt. Ce n'étoit

pas un grand bien : mais cela annonçoit

la fin d'un grand mal.

Louis XV. ordonna en même tems

d'examiner la nature des taxes. De tous

les impôts, on ti'ouva que celui de la taille

Tome L L étoit

i. '

i

Page 236: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

ai8 MEMOIRES

étoit Je plus onéreux parcequ'ellene fui-

voit pas la proportion des biens réels.

On percevoit toujours l'ancienne taxe,

fans avoir égard aux épuifements" aux

dépéri(Tements que les terres avoient

foufferts : tel bourg ou village,qui avoit

été autrefois en état de païer de grandes

femmes^ ne l'étoit plus : cependant on en

exigeoitle même droit.

L'adminiftration chercha Jes moïens

d'abolir la taille,pour y fubftituer une

taxe qui fut fondée fur une répartition

plus géométrique. C'étoit un ancien

projetqui avoit été fouvent proposé "

qu'on avoic toujours rejette. On l'exa-mina

de nouveau, " après bien des con-

fidérations,on trouva qu'ilconvenoit de

laiHêr les chofes comme elles étoient,de

peur de donner dans des inconvénients

qui feroient pires. On prétendqu'ily a

des abus dans le gouvernement civil,

dont la réforme cauferoit un plus grand

mal que l'abus lui-même. C'étoit l'opi-nion

Page 237: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE P 0 M P J D 0 U R. 219

nion des miniftres " celle du Roi, mais

ce n'écoic pas la mienne -, car jVi toujours

cru que le mal ne peut produireaucun

bien. Nous avions fou'/ent de petites

difcuTions au fujetde l'adminiftration.

Louis XV. comme je l'ai dit au com-mencement

de ces mémoires, a beaucoup

d'efprit," furtout une pénétrationaifée

qui faifitpromptement.

"Vous regardez. Madame, me difoit-

«' //,la républiquegénérale comme une

" famille particulière,au-lieu qu'ilfaut

" l'envifagercomme une fociété univer-

" felle compofée de différents corps, dont

" la réunion forme l'état politique.Dans

" cette immenfité d'objets dirigéspar

" des hommes, qui ont des vues " des

" intérêts oppofés,la républiquetend à

" fa confervation par les chofes mêmes

" qui femblent la détruire. Dans la fa-

" mille particulière,il n'y a qu'un feul

" plan d'adminiftration. Il fuffitde por-«' ter la main fur un petitnombre d'abus,

Lij «'"

HI '

"t;

Il -.

m:

V

Page 238: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

120MEMOIRES

** " leur réforme rétablit Tordre d'unité,

*' qui eft la perfedtionde cette fociété :

'" mais dans la république générale,il

** faut balancer continuellement le bien

•«par le mal ;

" c'elt dans cet équilibre

** qu'eftTordre général de l'^^cat."

" Si cela eft ainfi,Sire, lui dis-jed'où

*' vient que les états,où il fe réforme le

" plus d'abus, font les mieux gouvernés.

*' Les Mofcovites étoient les peuples les

** plus mal policés de l'Europe," par

*' conféquentles plus malheureux, Pierre

•' le Grand parut, il corrigea les abus;

** " du fcin de cette réforme on vit naî-

" tre une nation puiflante" un peuple

?* riche " heureux.

" Le Brandebourg n'avoit ni force ni

" puiffance. La république générale

" ignoroitqu'ilexiflât fur la terre. Ce

" peuple ne connoilToit prefque point

"« l'art de la guerre.Une foule d'abus

"que fes Souverains n'avoicnt pu ou

** n'avoient pas voulu réformer, avoient

** rendu

Page 239: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE PO MP AD OU 11. 22Ï

" rendu Técat foible " ianguifTant. Un

*' de ces Souverains de nos joifrsa établi

*' l'ordre, " la difciplinemilitaire,a cor-

** rigéles abus\

" la reforme lui a fait

" jouer le premier rôle fur le théâtre de

«* l'Europe.

'• On dit que l'Angleterren'étoic rien,

** avant que Ton parlement eut entrepris

*^ de former fa puiflance. \\ retoucha

** toujoursdepuis à l'état politique,"

*' corrigeaune foule d'abus qui, depuis

** plufieursfiécles,retenoient cet état

** dans le néant. C'eft dans fcs B'tlh

** qu'on trouve aujourd'huile fiRême

" fuivi de fa grandeur.

** La France, Sire, nous offre de ceci

" un exemple domeftique. Louis XIIL

•» Prince foible " qui palTa fa vie à fe

** laifTer gouverner par îa^ miniftres, ne

"porta la main fur aucun abus, il laiiïa

*« l'état comme il le trouva, c'eft-à-dire,

*' rempli de défordre " de confufion.

" Votre Bifaïeul changea tout, " par la

Liij "ré*

é' !

! '.

Page 240: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

M'

i*'!

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222 MEMOIRES

•* réforme qu'ilétablit dans toutes les

*? branches de l'adminidratior, fitparoî-

** tre ce peuple fous un nouveau génie.

*' La France, fous Its premières an-

** nées de l'adminiftration de Louis XIV.

** atteignità un période de grandeur,

" auquel les Romains n'arrivèrent jamais

•' en Italie."

Le Roi fourit à cet endroit " me dit

fort obligeament. " Je vous avoue,

*' Madame;» que je ne vous aurois pas

** cru aufîi verfée dans ces matières. Je

" fuis enchanté que vous joigniezaux

"grâces de l'efpritdes connoiflances qui

«* fervent à former le jugement. Oa

" prend fouvcnt le change fur ces mati-

"cres, repritpolimentle Roi, " on con-

" fond prefquetoujours ici la grandeur

" des Princes avec le bonheur des peu-

*' pies. Un Souverain peut faire des ré-

*' formes dans fes états fans contribuer à

" la félicitéde ks fujcts: la révolution

«« n'eft que pour lui.

•* Pierre

Page 242: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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m

m

m

224AI E MOIRES

*' Tcxidence d'ur* feul homme. Frédc-

•' rie mort, iln'y a plus d'état politique,

*' C'cft une grande queftion,pourfui-

** vit le Roi de lavoir fi les Anglois font

" aujourd'hui plus puiflanrs " plus

*' heureux qu'ils ne l'étoient avant ces

*' volumes de BiJIs établis pourleur ré-

*' forme. La nation elle-même n'eft pas

** d'accord Jj^-defius.Il eil un partien

'* Angleterre qui prétend que Je gou-

** verncment cft entièrement abimé, "

**

que l'état politiqueeft endetté au-delà

" de (ts facultés," qu'iln'a pas de quoi

" fe fufîire à lui-même. Je préfume ce-

*' pendant que l'Angleterre a augmenté

**en forces : mais il faut plutôt l'attri-

" buer à l'inadvertance des* autres puif-

'* fances qu'à fa réforme, qui auroit peu

'* produit, fi les états qui l'environnent

** avoient fuivi fon exemple.

*' A l'égardde l'ex nple domeftique

"de ma couronne, j'aifou vent fouhaité

*'qu'à mon avènement au trône, la

'' France

Page 243: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPâDOUR, 225

•* France eut été dans la même pofnion"

que Louis XIII. Ja laifTa. Son fuccef-

" leur l'abima à force de réformes " de

•* grandeur -, il faudra plufieursfiéclcs**

pour la remettre."

Nos difcuîTions politiquesctoient tou-jours

mêlées de policcfle: il i,c fortitja-mais

de la bouche de Louis XV. une pa-role

qui lenticTaigreur,"c.

L*AngUterre épioittoujoursla ma-rine

dt; ia France, elle ne la perdoitpas

un moment de vue. Les finances de

l'état " les foins du miniftere écoient

emploiesà augmenter les forces navales,

M. Rouillé ne perdoitpointde tems ; il

faifoitconftruire des vailTeaux.

La France " l'Angleterrevivoient en

paix: mais ces deux puififancesagifToienc

avec la même défiance que fielleiseufîenC

é é en g erre. L'adminidradon étoit

obligéed*tmploïerde grandesfommes,

" le peupleFrançois qui fe plaintde

tout, ne murmura point,tant on fentoit

L iii^j la

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Page 244: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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1^e MEMOIRES

la nécc (Tué d'une marine capablede fai.-«-

lêcc àceik de la Grande-Bretagne.

Cependant tous les miniftrcs continu-

oient à fe déclarer contre moi. Ceux

pour qui je m'étois intérefle auprès du

Roi pour leur faire obtenir leur pofte,

étoienc les premiers à chercher à m'éloi-

gncr de la cour. Je me fuis fouvent

plaint,depuis mon féjour.1 Vcrfailles,de

cette fcélératefle,qui efc comme concen-trée

dans le cœur humain. On a'a pas

plutôt placé un mortel au faite des

grandeurs, qu'il cherche à bîedcr la

main qui l'a élevé. Je n'ai point dcf-

fcin d'entrer ici dans toutes les tracaffc-

rics qu'on me fufcita. Je ne finirois

point, fi je voulois donner le détail des

quolibets,des lettres " des chanfons

qui ont été compolés pour me donaer un

ridicule dans le monde. J*é;oistoujours

informée à pointnommé des difcours que

r on tenoic fur moi : ma conduite avec

leurs auteurs éioit de difTirnuler avec les

uns

Page 245: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DEPOMPADOUR, 227

tins " de menacer les autres de mVri'

plaindre au Roi : tous néanmoins con-

tinuoient à m'outrager. J*aurois mille-

fois quitté la cour, fije n'avois craint que

Thabitudeque le Roi avoit contrariée de

me voir ne prîtfur fcs jours.

Le Comte d'Argenibn, qui avoit le

bureau de la guerre, ne m'aimoit po:nt \.

il difoit pour raifon que je difpofoisde

trop d'emplois militaires,qu'iln'avoit pas

une licutenance d'infanterie à donner.

Cette accufation étoit d'autant moins

fondée, que jen'cmploïoismon crédit au-près

du Roi pour perfonne, que je n'euflc

confuhé ce miniftre auparavant. Son

inimitié venoit de ma faveur, il auroit

voulu que le Roi fe fût dégoûte de moi

pour jouïrfcul de tout mon crédit.

Le tems de paix eft favorablepour

les établiflements. On propofa au Roi

en 1751 de former une école militaire,

où la noblefle Françoife ap prend roit Tare

de la guerre. T.a viûmiriHe é.oit remplie^

difoit^

II

rH

Page 246: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

ff

228 MEMOIRES

difoit-on, de geuttl/hcmmisqui n\iVoieni

peint le mcïen de fe donner des mcîlresyi'^

qui,à caùfede ce!a,pajfoientleurs jours dam

l^oijîvetédes frovinceSy ûu-Iieu de les em^

pkïer au fervîcede Pétai,

Par la fondation de cette école il école

queftiond'yloger " d'y élever cinq cents

genilKhommes. I.orlque Le Roi m'en

montra le plan, il me demanda ce que

j'enpenfois.

*' Sire, //// disje,je le trouve admira*

•' ble. Je foubaitTois feulement qu'il

^' fut plus étendu. La monarchie Fran-

*' çoifequi a beaucoup de guerres, ne

*' trouvera pas affez d'c-fficie:."

dans cette

" Ecole. M. le Maréchal de Saxe m'a

** dit qu'il y en avoit communément

** vinfU-milis dans une armée comooféeO t.

*' de deux cent cinquante-mille hommes;

TEco'e militaire ne fournira que le

quaran^ic^medes bcfoins de la naticn-

' Un ù petitétabliflement ne mérite pas

** d'éire mis au ranidés «randes clioffs.'*

Un

4(

"

Page 247: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR.229

Un courtiran, après avoir lu l'inflitu-

tion de cette école régulière,dit plaifam-

ment qu'rVfortiroitde ce couvent guerrier

de très bons moine: militaires.

Le grand inconvénient que les gens

fagesy trouvoient, ctoit la dépenfe exor-bitante

à laquellecet ctabliflTement en-

gageoit la monarchie, dans un tems où

Ton venoit d'épuifertoutes les rclTourcts

,de l'érat,peur fubvenir aux befoins ex-traordinaires

de la guerre. Ce n*étoic

pas le tréfor roïal à la vérité qui devoit

en faire les fraix : mais de quelque fource

qu'on tire les fommes dans ces occafions»

elles font toujours onéreufes, parce

qu'ellescontribuent à apauvrir les peu-ples.

On difoit que la France avoit plus be-

foin d'une école de marine, que d'une

école militaire,que le Roi trouvoit dans

l'écat cent-officicrs de terre pour un de

mer ; qua lanobleiTe Françoifeaimoit par

gcût à commander les armées " qu'elle

I avait

il"-i-i?fi

f

I

Page 248: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

Ï'I

23P MEMOIRES

avoit.une répugnance pour les flottes;

mais le projetétoit rélblu.

La paix régnoitparmi les puifîancca

de l'Europe, lorlquedes difputesde reli-gion

vinrent troubler la tranquillitédo-

meftique de la France.

Deux partisqui, depuis quarante ans^

fe difputoientla fupériorité,fe renouvel-

lerent. Je n'entendois rien à leurs dé-

nnélés,je m'en fis expliquer le fujet* Si

jamais ces mémoires paroifîcntau jour,

je fupplie le ledteur de me pardonner

l'ennui que je vais lui caufer: ce préam-bule

n'eut jamais trouvé place dans ces

annales, Ç\ le Roi n'y eut pas été inté-

reffé : mais Louis XV. y pritbeaucoup

de part, " cela feul me fuffit pour en-trer

dans quelque détail fur cette dif-

pute.

Il naquit en Efpagne un homme nom-mé

Molina qui de fa pleinefcience s'avift.

de décider comment Dieu agitfur les mor-tels,

" de quelle manière les mortels ré-

fiilent:

Page 250: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

232 MEMOIRES

fa grâce; " félon Temploi libre qu'il

voïoit qu'ilsen dévoient faire,il fe déci-

doit lui-même à leur donner une place

dans le ciel,ou à les précipiterdans les

enfers.

Malheureufement pour le monde chré-tien,

ce Molina étoit jéfuite,fociéic que

les autres Moines n'aimoient point : ce

qui Ht que les Dominicains furtout qui

étoient Tes ennemis fe déclarèrent contre

le ccngruifme.

Comme la fcéne fe paffoiten Efpagne,

rinquifition prit connoiflance de la dif-

pute. Si elle avoit fait brûler Molina "

quelques Dominicains, l'affaire eut fini

là i" ce tribunal, pour la première fois,

eut rendu un grand fervice à la chréci-

cnté. On plaida à Rome le concours

concomitanty

la grâce coQpcranie. Plus on

difputoir,": moins on s'enrendoic. Un

moine propoHi fa médiation : mais le mé-diateur

écoic encore plus oblcur que Mo-lina

6c ks Dominicains.

La

Page 251: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

D E P O M P A D OV R. 233

La difficulté n'étoit pas de terminer la

difpute, mais de favoir furquoi on difpu-

toit. Les deux partis ne s'eniendoient

pas, " en attendant s'enfonçoientde plus

en plus dans les ténèbres, par le moïcn du

libre arbitre,de la fciènce moïenne " du

complément de la vertu adlive, "c.

La difpute finit faute de querelleurs,

car ily a des tems où les moines facrifient

tout à roifiveté. On fut tranquile juf-

ques au moment où parut un certain

Cornélius Janfenius, qui renouvella h

querelle. Celui-ci n'inventa rien, il dif-

putoit derrière un gros livre fait par un

autre homme nommé Baïus. Les Jéfui-

tes demandèrent au Pape la condamna-tion

de Cornélius, " comme ils ayoient

de bons avocats en cour de Home, ils

l'obtinrent; mais ils ne gagnèrent pas

leur caufe dans toute l'Europe. Les

écoles, les parlements, " furtout les fem»

mes, qui n*y entendoicnt rien, fc rangè-rent

à tout hafard du côté de Janfénlus.

On

r* j f

Page 252: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

234 MEMOIRES

On fit des livres de part " d'autre; le

congruifme combattit dans de gros vo-

Jumes la prédeftinationen bataille rangée:

mais la guerre reftoit toujours indécife,

parceque les deux partisqui ctoient de-venu

puifîantsne fe battoicnt que pour

l'honneur de la viftoire.

Jufques-làil n'y avoit gueres que des

particuliersqui fe fuffent querellésavec

les armes de la prédedination: mais les

univcrfités s'en mêlèrent " alors l'affaire

devint générale. Il ne fut plusqueftion

d'accommodement, parcequ'il n'y eut

plus aucun corps alTez puifTantdans l'état

pour forcer les deux partisà accepter fa

médiation.

Cependant les évêquesMoliniftes firent

un formulaire, pour condamner les cinq

propofitionsde Janfenius qui,félon l'opi-nion

de ceux de fon parti,étoient celles

de Saint Auguftin. Plufieurs commu-nautés

d'hommes fignerent: mais les re-

Kgîeufes,qui n'ont rien à faire, " qui

faifilTent

Page 253: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

y-

DE POMPADOUR,35

faifiircntavidemment toutes les occafîons

qui peuvent les faire rentrer dans le

monde, refuferent de figner. Celles du

Port-roïal fc diftinguercntpar leur opi-niâtreté.

Je ne m'étonne pas qu'ellesn'aient pas

voulu figner: mais je fuis furprisqu'onleur ait propoféde figner. C'étoit leur

donner une confidération dans cette af-faire

qu'ellesne dévoient pas y avoir.

On fitplus,elles furent enlevées ; on les

difperfadans d'autres monafteres,au-Iteu

de lespunir,en les laifTanttoujoursdans

le même couvent.

Les papes lachoient audi de tems à

autre de nouveaux formulaires, ce qui

rendoit de plus en plusla querelleintc-

reflanter S'ils eufTent bien fait,ilsl'euf-

fent abandonnée à elle-même, " Moliria

" Janfeniuseuflçnt tombé par-làdans

l'oubli : mais la cour de Rome a la manie

de vouloir être abfolue.

', i

N

Ce-

"^

Page 254: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

2^6 MEMOIRES

Cependant au milieu de cette guerre,

il y eut une trêve. Clément IX. qui

avoit du bon fcns, d:t(Tà des articles de

capitulation,les fitfigneraux JanfénilUs

" la paix fut conclue : mais quand ileft

queftion de religion,on reprendfacile-ment

les armes.

On dit qu'un nommé Quefnel Prêtre

de l'oratoire mit cette fois-ci le feu au

canon de la difcorde. Il fit un livre que

toute TEurope loua"qu'enfuitela France

b'âma. Il étoit mal aiféde dire l'endroit

par où pêchoitce livre : mais c'étoitalors

la mode de cabaler pour caufe de reli-gion:

cependant le partiMolinifte tri-

omphoit, il avoit l'oreilledu Roi. Le

confefffur de Louis XIV. étoit un Jéfui-

te, qui intriguoità la cour " à la villt*,

" qui n'oublioit pas de perfécuterles

Janféniftes,quide leur coté fe vengeoient

en écrivant contre les Loïaliftcs : ainfi la

guerre conti/Juoit toujours,quoi qu'ily

eût un partidominant.

Jufques-

#

Page 255: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

DE POMPADOUR. 237

Jufques-làil n'y avoit pointeu de ma-

nifefte entre les Moliniftes " les Janfé-

niftes ;" les deux partisavoitnc prisles

armes fans déclaration de guerre. Lou-is

XIV. fit venir de Rome une bulle qui

alluma un feu qui ne s'éteignitplus. Le

Pape, les evêques,le Roi, les ordres reli-gieux,

les peuples,les particuliers,tout

le monde enfin pritpart a la querelle,"

chacun cabala l'un contre l'autre.

On étoit fur tout furieu» contre le

Père le Tellier qui dirigeoitla confcience

du Roi. C'étoit un homme ardent "

ambitieux qui vouloit fe venger de quel-ques

ofFenfes perfonellesqu'ilavoit re*-

çues des Janféniftes: " pour en venii à

fes fins, il allarmoit autant la confcience

du Roi que le roïaume.

Louis XIV. fur la fin de fes joursétoit

devenu foible ôc indécis. La peur du

diable le remplifîbitde fraïeurs mor-telles

: rimpitoïableJéfuitelui avoit mis

dans rcfpritque TafFaire des Moliniftcs

étoit

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Page 256: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

238 ME MO IRES

ccoit la caufc de Dieu. 11 en vouloit fur

tout au Cardinal de Noailles, " il ofa

propoferà fon pénitentde le dcpoferju-ridiquement.

La mort de ce Prince ap-porta

quelque tre/e à cette iracafTerie

qu*on appelloitla conftitution.

Le Duc d'Orléans qui n'aimoit ni les

Papes ni les évéques " qui méprifoitles

bulles i pour fe débarrafTer des Moliniftes

" des Janfénifte?,établit un confeil où

leurs affaires dévoient être traitées fépa-

rément de celles du refte de la monar-chie.

Il vouloit par-làleur ôter une con-

fidération qui auparavant les avoient

rendu importantes : mais cette fagepré-caution

devint inutile, ces gens-là vou-

loient toujours figurer dans l'état. Ils

en appellerentà un concile national,c'é-

toit fecouer le joug de Tadminidration,

pour en créer une qui en fut indépen-dante.

Le Régent bannit " exila des

prêtres" des éveques : mais ce remède

ne faifoit qu'aigrirle mal; parcequ'il

aug.

Page 258: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

m

340 MEMOIRES

n'y eut quelque cfcarmouchc fur la pre-

dedination : mais comme l'affaire n'écoic

pas générale,on n'y failbit pas beaucoup

d'attention.

Cependant la difpute n*étoit pas en-core

éteinte: c'étoit un feu caché fous la

cendrr En 1750 les Moliniftcs com-

mirent les premiers aâes d'hoftilité. Ils

refufcrent les facremcnts aux malades du

parti oppofé, fous prétexte qu'ils n'a-

voient point de billets de confeflion.

Le Parlement s'en mêla : on punit des

prêtres,on exila des curés : ce qui donna

encore aux deux partis une confidération

que le Duc d'Orléans leur avoit fait per-dre.

Cette querelle t naître une nou-velle

difcuflîon : on demandoit fi le Par-lement

pou voit fe mêler de cette affairej

" s'il avoit droit d'exiler ceux qui, en

refufant d'adminiftratrer, ne faifoient

qu'obéirà leurs évêques.

Les Janféniftesdifoient que la police

cft de droit fupcrieur à celui-même de

réglife,

Page 259: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

D E P 0 M P A D O V R, 24t

lYglife,parceque (ans elle il n'y auroit ni

ordre ni fubordination dans un ccat, âc

ilsajoutoientque radminKtraiion des ia-

crtments cfl: la première partiede celte

police,"c. "c.

Les Moliniftes rcpondoient que, dans

le fpiritucl,ils ne reconnoifloient d'autre

fupéiiorité que celle du Pape ": des

cvéques : que le parlement ne dévoie fe

rrjéler que de Tétat politique,que le roï«

au me du ciel avoit été confié ù des paf-

leurs ^ non pas à des confciilers.

Cependant les fujetscontinuoient de

mourir fans communion; on puniflToic

les curés, mais le mal reftoit toujours.

Cette affaire répandoitune amertume fur

les jours de Louis XV. Les Bourbons

ont toujoursété fort fenfibles aux révo-lutions

caufées par la religion. La cour

fe donna plus de mouvements pour (.'-"

billets de confeffion, qu'ellen*en avoit

jamais eus pour l'affaire la plus impor-tante

de l'Europe. Il fallut fouvent

"ïome l M forcer

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V

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iî42 MEMOIRES

forcer les prêtres" emploïerdes foldats

pour les obligerà adminiftrer. Depuis la

naiflance de JefusChrifl, on n'avoit ja-mais

eu recours à la baïonette pour faire

conférer ce facrement. C'cioit un fcan-

dale à la vérité : mais le plusgrand étoit

de voir des fujcts,à l'articlede la mort,

demander la communion, " être rcfufés.

Le Koi médit un jour :" Ces gens-

» là m'inquiètent.Si cela continue,je* ferai forcé de faire chalTer tous les

' Curés, " d'ordonner que les paroifTes* foicnt defiervies par les Capucins,qui' font entièrement fournis à mes volon-

"? tés,""c.

* Une affaireplus importanteencore

que celle de la conflitution vint oc-cuper

la cour. Il ctoit queftionde

réieftion d'un Roi des Romains. La

Maifon d'Autriche, toujoursattentive

à fa grandeur, porte fes vues jufquesfur

Tâvenir. Charles VI. par une prévifion

faflueufe,avoir perte les Souverains de

• 1751-i'Fu-

i^:

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DE POMPADOUR, 243

TEurope à devenir les inftruments de foa

ambition, même après fa mort. Marie-

Thérele de fon vivant voulut aiïurer le

trône de l'Empire dans fa Maifon par

cette éledion.

C'étoit à un Prince, qu'on pouvoit re-garder

comme Lorain, à qui elle vouloit

conférer le titre d'héritier préfomptif;

car Charles VI. qui étoit mort fans en-

fans mâles, avoit fini la Maifon d'Au-triche.

Les cercles de l'Empire voïoienr,

dans cette démarche, un plus grand def-

pûtifme encore, que celui qui avoit été

exercé par le: dernier Empereur. Noa

feulement l'Empire, dont la conftitution

cft élc61:ive, devenoic héréditaire, mais

même il paflbitdans une famille étran-gère

: on le plaignit,mais voilà tour. Il

y a environ un ficcleque les petitsPrinces

d'AUemagni; ne peuvent exercer d'autre

vengeance à l'égard de la Maifon d'Au-triche,

que de murmurer contre elle.

M ij Marie-

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244 M E AJ 0 J R E S

Marie-ThérclV, qui connoifl"jit la fiipé-

liorilé de fts forces fur celles de ceux qui

pouvoient s*oppofer à Tes de/Ttins dans h

Nord, s^addrt'fTa aux autres cours de

]'Kuropc. La France fut une des pre-mières

à qui elle fie part de Ton plan.

Le Roi me communiqua les railbns de

rAmbalFadeur Autrichien, qui les avoic

adrcfTées à Monfieur de Puyfieux, " que

ce Miniftre avoit rédigées par écrit. El-les

font dignes de la portéritépar la tour-nure

que l'ambition leur donne.

'* Les ma'hturs encore lécents, c!:foi(

•* cel /Jgsntyque l'Europe a eftuïés à la

*^ mort de Charles VI. qui laifla le trône

•' de ri: m pirevacant, doivent porter les

'* Princes chrétiens à en prévenirde lem-

** blables. L'Empereur aujourd'hui ré-

** gnant jouîtd'une pleinefanté-,ôrnous

•* ofons préfumer que Dieu lui accordera

*• une longue vie : mais ù^ par quelque

?? accident attacha' à l'humanité,il vcnoit

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DE P 0 M P J D 0 U R. 2+5

" à mourir, la chrétienté fcroit plongc^î

** dans ks mêmes abîmes, où elle fe

'* trouva après le décès du précédent

*' Empereur. Il efl donc de Tintérct de

«* toutes les puifTinces de TEurope, de

** prévenir la guerre.Ce fléau qui a-

" bîme tout, réduit les peuples dans U

" dernière délblaiion. La vacance de

'* l'Empire a caufé des malheurs qui ne

'' finiront pas fi tof : que feroit-ce, H

" de nouvelles vicinUudcs venoient fe

*' joindre aux anc iennes .^

" On ne fauroit prendre trop de pré-

•* cautions pourfermer la porte d'avance

'* aux maux qu'on ne feroit plus à tems

'* de prévenir,lorfqu'ilsferoient arrivés.

" L'éleélion d'un Roi des Romains

** prévient les vues des Princes qui au-

** roient formé des deflclns. Le cou-

" ronnement fait, il n'y aura plus ni ca-

** baies, ni intrigues, pour devenir chef

" de l'Empire. On fe donne des mouve-

M iij " mcnta

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Page 264: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

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246 MEMOIRES

*' ments pour parvenir à la pofleflTion

*' d'un fceptre,lorfqu'ilcft vacant : mais

*'on n'y penfe plus, lorfqu'ileft occupé.

" Il eft vrai que l'Archi-Duc Jofeph,

•' en cas de mort de l'Empereur, n'eft

*'pas en âge de gouverner

fes ccats :

*' mais les maux de la minorité ne font

*•pas comparables à ceux qu'éprouveroit

*' l'Europe par la privationçi'un chef de

" l'Empire.

** Ce n'eft point que la Reine de Hon-

*' grie Craigne une révolution qui prive

*« fes héritiers d'un trône, qui eft devenu

** l'apanage légitime de fa famille. Elle

*' voudroit, en prévenant les guerres,

*'épargner

du fang répandu inutile-

** ment.

" L'Europe, après la mort de Charles

*« VI. à fait voir fon impuifîance à faire

*' un Empereur. L'Ele"5teur de Bavière,

qui fut placélur ce trône par des armées

étrangères, yfut toujourschancelant.

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C(

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248 MEMOIRES

Les affairesd'Allemagne ne valent fins U

•peine que la cour de France s'en mêle. Le

Roi de Pruffeeflaujourd'hui afftzputjfant

pour foutenir l*équilibredaris le Nord^ ùf

empêcherque la Mûifcn d' Autriche ne domine

fur la votre. Notre rôle donc aujourd'hui

doit être celui d^ un fpc5latcur.

Ce ne futpas le fcntiment du confeil :

mais ce n*eft pas la première fois qu'un

homme a mieux penfé cju*une aficm-

blce.

La cour de Vienne s'intriguoiten même

tems dans toutes les autres cours de ]*Eu-

rope,pour les difpoferàcette éledl ion. Celle

d'Angleterre repréfentoità Monfieur le

Marquis de Mirepoix, qu'ilétoic de Tin-

térêc de la France, qu'ellefc prêtâtà faire

un Roi des Romains, fans doute parceque

c'étoit le fien. Cette cour alla plus loin

dans la fuite. George II. s'avifa de dire

que l'éledlion d'un Roi des Romains ctoit

indépendante du collège êledoral ; c'eft-

à-dire, que la dignité de Thcritier pré-

fomptif

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D E P 0 M P A D ou R. 249

fomptif de TEmpire pouvoit être con-férée,

fans la délibération des Eledleurs -,

ce qui rcndoit la couronne impériale

tout-àfaic héréditaire.

Je me fouviens que tous les mémoires

de ce tems-là convenoient que l'Archi-

Duc étoit fort jeune : mais ils ajoutoienc

tous qu'ilvaloit encore mieux avoir un

Empereur en minorité qu'une vacance du

trône : c*eft-à-dire,qu'on convenoit d'une

fucceflîon réglée.

Un politique de notre cour, à qui je

parlaide cette éledion, me dit qu'il y

avoit un article dans le traité de Weft-

phalie qui régloitcette affaire. Il y elt

dit en termes formels, qu'(7« ne procc^

der oitpointà reIc5fion d^un Roi des Romains^

à moins que l'Empereur régnant ne fût hors de

V Empire^ àf que Jcn intention ne fût d'être

abfentpendant long-temSy ou pour toujours^

ou quefon grand âge ne lui permit plus de

veiller à Padminiflration ou qu'ilne prrût

quelquegrandenêcejfttéd'oïtdépeiidroi^leJa-

M iiiij lut

Ai

%

Page 268: Mémoires de Madame de Pompadour - La Vie a La Cour Écrit Par Elle Même 1766 - Tome 1

250 MEMOIRES

lut de r Empire. Mais les traités ne font

jamais fuivis; " on ne parloic non plus

tie celui-ci que s'il n'avoit janriaisexifté.

Il n'y avoit que le Roi de PrufTe qui

plaidoitla caufe du collège élcdloral : il

avoit fes raifons. L'éleélion d'un Roi

des Romains aflfuroit l'Empire à la Mai-

fon d'Autriche, " bien des gens ont cru

qu'ily avoit penfé. Il n'y a point d'am-bition

qui n'entre dans le cœur d'un

Prince qui eft affez puiffantà la guerre,

pour ctre le vainqueur de plufieursna-tions.

Je me ramené à Verfailles,d'où la pro-

pofitionduRoi des Romains m'a éloignée.

Louis XV. comme je l'ai dit ailleurs,

étoit moins accablé d'affaires qu'ilne l'a-

voit été pendant la guerre. La paix lui

laifToit un loifir qui faifoit la félicité de

ma vie. L'agitationdes fiéges" des ba-tailles

avoit mis une diverfion dans fa ré-

fidence. La Flandre me l'avoit enlevé

pluQçurs foiSj mais le traité de paix me

le

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o

DEPOMPADOVR. 251

le rendit entièrement. Sa confiance en

moi augmcntoit tous les joirs, il me fai-

loit part de Tes peines ; car les rois en ont

" comme hommes " comme Princes.

Louis XV. fe plaignoitfouvent de n'a-voir

pomt d*amis \il me difoit qu'ilavoit

fouhaité mille-fois d'être fimplc particu-lier,

pour goûter les effets de la fimpacie

que les rois n'éprouvent jamais. " Je

**ne diftinguepas plutôtun de mes lu-

**jeis,ajoutoit'ilypar quelque charge

** confidérable, que cent autres, jaloux

•' de cette faveur, font indifpoféscontre

" moi, fans que je gagne l'afFedlion de

** celui à qui je Tai accordée. Celui-ci

** fe plaintde ce que je n'ai pas afTez fait

**pour lui, " ceux-lù de ce que je n'ai

•' rien fait pour eux. Tous aiment lafa-

"veur, aucun n'aime le Roi. Je ne vois

?* autour de moi que des âmes vénales

** vendues au fafte te à l'oftentation.

•' L'intérct eft le feul mobile qui les fart

^^agir. Ils feroient fans aftioD,fi une

*« foulf

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