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Claude Vercey

Mes escaliers Études, poèmes et variations

Préface Jean-Pierre Georges

Photographies

Georges Curie

Éditions Les Carnets du Dessert de Lune

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Du mot Escalier Lexique : initiative architecturale permettant de passer progres-sivement, au prix d’un effort répété et minime, en cela bénéfique pour la santé, d’un niveau à un autre, – placé au long de la même verticale, c’est encore plus beau. Du bon usage : on se réfèrera à l’escalier, louant ses vertus, jusqu’au troisième. Au-delà toute allusion devient pénible. Dans les étages supérieurs, le terme devient obsolète et il est préférable de lui substituer la locution : « sans ascenseur ». Il est certes dif-ficile de s’entendre dire qu’on habite un sixième sans ascenseur ; mais un sixième avec escalier, ah ! ça jamais. Argot professionnel : dans l’industrie touristique, voyagiste res-ponsable des arrivées d’étapes, ou escales. L’usage de ce terme reste néanmoins peu courant, – non établi selon certains philologues.

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Prétexte Fable

Un (ami et photographe)

aimait d’amour immodéré

les escaliers :

tout en eux le ravissait leur galbe

les chevilles, l’audace d’une charpente, la tournure de l’esprit.

Pour mieux dire, volutes lui étaient volupté et vertus leur vis.

Aux fins de dignement les chanter

si fort que l’enchantaient leurs images il manquait de mots :

aux poètes homme sage il s’adressa.

Certains le prirent de haut – c’était de circonstance – d’autres

en la louange de cette simple machine trouvèrent comme il se doit

prétexte à s’élever.

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(bien élevé)

Une âme bien née aspire à l’escalier, tout esprit délié par l’escalier est inspiré. Mais garde la mesure, progresse par degré. Ne prends l’escalier à la légère, mais avec légèreté. Inutile de te lancer à corps perdu au risque de te perdre. Il s’agit tout au plus de gagner le degré supérieur, progresse par palier. Songe plutôt où tu mets le pied.

Afin de marquer l’excellence de ses intentions, – intention d’être sage, volontiers on met bas ses atours au bas de l’escalier et nu ainsi qu’aisément on remarque dès les premiers clichés, pas à pas on se meut quitte à croire qu’on progresse au long du développement.

Certains esprits s’y égarent, longue chemise blanche, pâle lueur de bougie. De l’escalier on ne s’échappe pas où l’on finit par tourner en cage, à graviter le long de l’hélice où jamais on ne sait si l’on gravit ou si l’on décline.

On ne prend pas un escalier à la légère, mais avec légèreté. Mieux vaut avoir médité longtemps avant de s’engager car il n’est pas – non, pas que le premier pas qui coûte. Une telle errance ne s’improvise : médite d’abord, tu risquerais de fort regretter à la suite de t’être engagé au pied levé, on ne prend un escalier par-dessus la jambe. Les progressions à vrai dire ne sont point fulgurantes, mais fracassantes sont les chutes, – gare ! Gare à l’hélice, à son envoûtement ! Voyez comme de ce vertige on écarte les enfants petits, on en garde les fous.

À la légère ne prend un escalier, mais avec légèreté.

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Esquisse d’homme montant un projet d’escalier

Nu (l’escalier est machine simple qu’il convient d’aborder simplement où l’homme en son plus simple appareil n’est plus qu’ (un donc petit commun multiple) )on lève le pied tâte comme en eau tiède et confiant le pose sur ça (solide) puis ce pied premier (droit je suppose) en appui tu pousses du second en extension la cheville

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joue l’espace est franchi et le premier degré d’un même enjambement pour à plat se poser sur le deuxième là marche car à peine es-tu en équilibre qu’ impatient le premier à nouveau se jette à son tour a poussé te propulse vers le suivant degré et mécanique et bien huilée t’entraîne jusqu’au grenier d’où bientôt il te faudra descendre

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Discours de la méthode ou Le complexe de l’escalier De l’escalier rien : il n’attendait rien, il dit qu’il n’y avait

pas songé. Et rien il dit est une bonne raison de s’engager : à écrire ou s’engager dans l’escalier comme en tout autre passage au passage remarquez, mais là ça tombait sur l’escalier, on le poussait il n’allait pas se dérober : on ne se méfie jamais assez des raisons d’écrire qu’on se donne. Ou qu’on se refuse. Mais un escalier précisément ne se donne pas, il se prend. J’ai donc pris l’escalier.

*

Sur l’escalier il n’y n’avait pas de raison. D’écrire, aucune

vraiment. Et de ne pas écrire, tout autant ; et aucune de refuser, – dommage en un certain sens. Tout est trop simple, même si le simple est difficile comme on sait, rien de moins simple que l’évidence. Dès lors cela restait tentant d’aller voir, me pencher, par-dessus la rambarde plonger (du regard), au-dessus de l’hélice qui tourne jusqu’au vertige, me laisser entraîner savoir ce qui se cache là, et pourquoi je me l’étais jusque là refusé. Vous comme moi, d’ailleurs : qui s’est jamais laissé tenter par l’escalier ?

*

De fait il ne s’impose pas, c’est sa force, et il apparaît que

bien peu le fréquentent. Préjugé : presque aussitôt j’y croisai messieurs Michaux (Henri) et Supervielle (Jules), amis et de bonne compagnie, un choc quand même cette rencontre, des messieurs si distingués, si avertis de la chose poétique et de celle qui ne l’est pas, là côte à côte, que peut-être je dérangeais quand ils se croyaient seuls, aussi seul que moi à gravir les étages. Du

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même coup donnons un tour supplémentaire, tour de vis de ce côté, afin d’en savoir davantage sur lui et sur moi.

*

L’escalier a ses manières, dans l’ombre il se tient discret :

mon escalier du moins. Je n’ignore pas l’escalier d’extérieur, monumental qui prélasse ses pierres de taille au soleil, que rongent les lichens par plaques orange et cernes vert-bleu, mais ce n’est pas mon escalier. Parce que me voilà avec un escalier désormais, moi qui n’attendais rien. En charge d’escalier, avec la responsabilité d’aller voir où ça mène.

*

En retrait il se tient, s’il y a un escalier plutôt que rien. Mais

rien, ce n’est pas rien, pour écrire il suffit. Et rien ne prouve qu’il n’y a rien. Il y a un porche, et le pressentiment, fortement éclairé je le vois comme une étroite blessure au bas de l’immeuble d’ombre. Il tourne dans sa tour au secret mon escalier et ça tinte à chaque pas, on épelle des syllabes, on égrène les consonnes, on jacte et brode, sur une pointe à petits points, on transparaît et disparaît, on s’active sur un pied, de l’autre, petite tapette grande tapette moulinette tourbillon tourbillon de colimaçon queue de cochon et la balle balle balle la balle a rebondi et dégringole là-bas le bas et gringole la balle et décling et gole et gole et ri et gole ... oh ! le.

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À différents degrés I

Laisse

Le cas de l’escalier par degrés sera délié

*

Les artistes sont priés

d’emprunter l’escalier de service

de le rendre à la sortie en bon état de marches

*

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N’allons pas pousser le poète

dans l’escalier

*

Ascension et premier étage

: premiers pas de l’homme dans l’espace

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tor ala

Esc Le soleil brille ah ! mâtin... un grand sourire de soleil ou de gendre idéal à pleines dents (gencives saines et robustes, la belle haleine) – à coups de cymbale un beau soleil commercial jaune citron sur les plaies Zipe l’ascenseur-éclair, pantalon avalons, dévalons – poubelles ! cavalons au long des rus d’autos immobiles cours-marche et saute (zim !) au-dessus d’un arc-en-ciel à cloche-pied au-dessus des flaques sang caillé et d’huiles (oil !) (Ici, on s’élève en plein air mes poussins ! : à cru et à cran à corps perdus à nerfs à vifs – debout-les morts-c’est-l’heure ! – ivre sous les coups les stocks les kits les ruts en toc fermée comme l’œil d’un boxeur la ville les maisons dans leur coin titubent les façades se renfrognent et font blocs.) Poussez pas, dites – quand même !

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Échauffées les luxueuses se reniflent à la queue leu leu sur l’autopont se font les gorges chaudes relèvent du garde-boue ; s’échappent des gazes des dentelles des bouts de culasse ; on froisse la tôle on se pourlèche aux pare-chocs (un pauvre à l’arrêt piétiné qu’on relève sous l’abribus) on autogire autour l’œil du centre s’empiffre vers le trou central du ventre-ville – on progresse voyez le progrès ! on danse voyez comme ! – on s’agglutine et processionne vers le profond au centre du fond du trou puis vers la lumière. Foules sur les escalators communiant mines baissées circonspectes au moment de l’élévation. Paquets pompons rubans trois compagnons républicains de sécurité l’air patraque l’œil molosse rabattent le client vers les bonnes choses de la vie. Par les bouches se déversent les stupéfaits

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Aux marches du palais Sur le perron, il vient puisque c’est le soir assister au déclin au désastre final. Pompes excessives – pour sûr, ors et

pourpres funèbres : d’un goût tout ça, et ce technicolor ! Mais selon le protocole, et les foules applaudissent. Ainsi l’on enseigne aux rois.

Il se détourne et à son tour fait ses adieux, effleure à peine,

caresse là, lâche un écu, pince une oreille (le jeune page aux yeux mouillés n’a pas crié) et il

s’élance lentement car avec majesté dans le monumental escalier.

Vingt étages depuis des siècles le contemplent. Il monte se coucher. S’écartent les garde-corps, comtes et marquis

qui tiennent les marches. Raides et graves lampadophores. Son pied touche juste la pierre qui sonne sous le talon. Et suivant la

gamme ascendante qu’il gravit, de moins en moins perceptible. On l’aperçoit encore, on le devine, haut qui se hisse au long des balustres. Enfin il atteint

l’ut final, palier dit de la reine – que s’obstinent les persifleurs à baptiser marche nuptiale. Mais taisons-nous, à cette heure le silence enveloppe le palais

le roi dort. On entendrait pialer une souris, et parfois

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en effet on l’entend ; ou c’est sur les dalles la feutrine des royales charentaises chuintant, et ça

qui grince l’échelle de meunier. D’amour se meurt dit-on

une suivante sous les combles joliment arrangés par monsieur de Mansart.

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Épigramme long – avec dates de péremption

*

L’avenir l’angoissait : Georges songeait-il a son centre d’art moderne

Valéry en Auvergne implante des volcans François conservera la mémoire des livres

et moi ?

À son tour il souhaita imprimer une trace initier un projet

architectural qui fut digne de lui c’est-à-dire modeste et provincial

enfin jeta son dévolu sur

l’escalier (non pas un mais mille construits dans chaque ville

en tout village méritant) aux fins que

les ceusses-d’en-haut messieurs déambulant et faisant leurs affaires

au hasard de la vie croisent les hum- bles-d’en-bas

les reconnaissent admirent leur savoir-faire les aiment – allez savoir !

*lesquelles, suite à on ne sait quelle inadvertance, ne nous ont pas été communiquées

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bref un monument qui facili -tât des uns

vers les autres le transit.

On applaudit puis en coulisses on chercha à l’en dissuader car il est remarquable

qu’un escalier dans les deux sens se pratique : sans doute qu’on le condescend mais aussi

on le monte

: concevez le désordre et les encombrements les heurts les possibles poussées

démagogiques les rêves d’élévation qu’ à chacun feraient naître ces édifices...! – Et les

pré-délinquants tous assis sur les marches !

Comme il était têtu et flexible il convoqua une commission : on parle désormais d’escaliers à péage.

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Drôle d’oiseau Enfantines Prince des monte-en-l’air depuis quatre décades en cavale à travers la Calabre traqué en Ca- talogne on l’a vu dans l’Allier reconnu en Mirepoix et voici notre lascar à la barbe des carabineri rendus fous à lier dans Milan faisant escale escaladant le grand escalier de la Scala qu’aussitôt il redescend à ski. À présent quel exploit ? Quelle exquise extravagance ? Par avance on en rit quand déjà dans les gendarmeries s’étudie grave ce cas d’école

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Fantaisies 1 Manu militari Norgelet

Un général c’est connu en général est têtu, celui-ci plus que

tout autre, surtout depuis qu’on l’avait rayé des cadres, – sorti la tête de ses étoiles disait sa femme fine mouche et grand cheval. Ainsi, à proximité d’une caserne, une préfecture faisait l’affaire ou un hôtel de belles pierres un rien ventru, il s’obstinait claquant des talons la main à la visière à saluer l’escalier. Ah ! soupirait-il, ces marches militaires ...!

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2 Le remonte-pente (Histoire de mon ex-) Le pauvret n’était plus à la hauteur : – J’ai des hauts et des

bas, reconnut-il à mon oreille. – Plus rien en haut et j’ai mes bas, lui soufflais-je pour l’encourager. – Je touche le fond, avoua-t-il – Ça m’étonnerait, lui répliquais-je, au moins ça je le sentirais.

(Oh nos amours, quelle dégringolade !)

Il n’éleva pas la voix, non : bien trop élevé. Descendit cependant prendre un remontant, à la cave descendit force fillettes, puis sans se démonter remonta me monter, le monstre. Fuma un brin me fit des cendres

je le jetai dans l’escalier.

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