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Beaubourg sort des chefs-d'œuvre LE MONDE CULTURE ET IDEES | 21.11.2013 à 15h59 • Mis à jour le 21.11.2013 à 17h06 | Par Harry Bellet Catherine Grenier est allée explorer la cave : des réserves du Centre Pompidou – 76 000 œuvres répertoriées –, la directrice adjointe du Musée national d'art moderne a exhumé quelques pépites (1 000 œuvres en tout, de 400 artistes) pour repenser totalement l'accrochage des œuvres, dans une exposition qui fera date : « Modernités plurielles, 1905- 1970 » est une nouvelle façon de lire l'histoire de l'art, rien de moins. Parce que ce n'est pas tout d'avoir un beau musée, encore faut-il savoir comment y ordonner les œuvres. Ainsi, au Musée du Louvre, d'abord conçu comme un palais avant d'être transformé en lieu d'expositions, se posent des problèmes d'architecture : il est difficile, par exemple, de mettre des sculptures de plusieurs tonnes sur des parquets anciens. Raison pour laquelle on leur a plutôt dévolu les rez-de-chaussée. Par ailleurs, ce musée est divisé en plusieurs départements : celui des antiquités – lui- même subdivisé en fonction de leur origine, les Egyptiens ne se mêlant ni aux Grecs, ni aux Etrusques, ni aux Romains ; celui des objets d'art, qui peut regrouper de l'orfèvrerie médiévale et des meubles Louis-Philippe. Le département des peintures est quant à lui partagé en « écoles » : quelles que soient leurs dates, on mettra les Espagnols avec les Espagnols, les Italiens avec les Italiens… Il a fallu attendre des expositions temporaires, et notamment celles organisées à l'occasion de l'ouverture du Louvre-Lens, pour voir des œuvres italiennes, flamandes, suisses – tableaux, mais aussi objets d'art – enfin réunies. L'idée : rendre compte d'une manière plus intelligible de la diversité, mais aussi des échanges, de la Renaissance. MATISSE RELÉGUÉ DANS UNE CAGE D'ESCALIER L'équivalent new-yorkais du Louvre, le Metropolitan Museum, ne raisonne pas très différemment, mais la situation est encore compliquée par la pratique des donations du privé : il a fallu ainsi construire une aile entière, prise sur Central Park, pour intégrer, en 1975, l'exceptionnelle collection donnée par Robert Lehman. Quelques chefs-d'œuvre, certes, mais qu'il n'était pas question d'ajouter au parcours déjà existant. Qui veut voir la totalité des œuvres Renaissance du Met doit donc être un adepte du jogging. Quand le Musée national d'art moderne à ouvert ses portes au sein du Centre Pompidou, en 1977, le problème était différent. Le bâtiment était conçu à cet effet, et la collection ne couvrait que le XXe siècle, à partir de 1905. Il était donc cohérent de proposer un parcours chronologique, en égrenant les grandes figures de la modernité. Mais une histoire de l'art qui aligne les chefs-d'œuvre, si elle est satisfaisante pour l'œil, ne l'est pas toujours pour l'esprit. On a donc tenté d'explorer d'autres voies. C'est ce qu'a fait un musée comme la Tate Modern de Londres, qui affiche depuis ses débuts une prédilection pour les accrochages thématiques, au détriment de la chronologie – et ce d'autant que ses collections lacunaires ne lui permettraient pas de concevoir un parcours encyclopédique, qui embrasserait l'ensemble de l'histoire de l'art du XXe siècle. Tel n'est pas le cas du Musée d'art moderne de New York (MoMA), dont les collections (135 000 œuvres enregistrées) sont les plus riches du monde. Toutefois, lors de sa réouverture, en novembre 2004, après de grands travaux d'extension, ses conservateurs avaient adopté eux aussi un accrochage thématique faisant, totalement ou presque, fi de la chronologie. La démarche permettait certes des rapprochements intéressants, mais conduisait aussi à certaines exclusions désagréables : La Danse de Matisse avait ainsi été reléguée dans une cage d'escalier… Depuis, les responsables du musée ont changé leur fusil d'épaule et sont revenus à une disposition plus sage, c'est-à-dire plus chronologique, de leurs chefs- d'œuvre.

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Beaubourg sort des chefs-d'œuvre LE MONDE CULTURE ET IDEES | 21.11.2013 à 15h59 • Mis à jour le 21.11.2013 à 17h06 |

Par Harry Bellet Catherine Grenier est allée explorer la cave : des réserves du Centre Pompidou – 76 000 œuvres répertoriées –, la directrice adjointe du Musée national d'art moderne a exhumé quelques pépites (1 000 œuvres en tout, de 400 artistes) pour repenser totalement l'accrochage des œuvres, dans une exposition qui fera date : « Modernités plurielles, 1905-1970 » est une nouvelle façon de lire l'histoire de l'art, rien de moins. Parce que ce n'est pas tout d'avoir un beau musée, encore faut-il savoir comment y ordonner les œuvres. Ainsi, au Musée du Louvre, d'abord conçu comme un palais avant d'être transformé en lieu d'expositions, se posent des problèmes d'architecture : il est difficile, par exemple, de mettre des sculptures de plusieurs tonnes sur des parquets anciens. Raison pour laquelle on leur a plutôt dévolu les rez-de-chaussée. Par ailleurs, ce musée est divisé en plusieurs départements : celui des antiquités – lui-même subdivisé en fonction de leur origine, les Egyptiens ne se mêlant ni aux Grecs, ni aux Etrusques, ni aux Romains ; celui des objets d'art, qui peut regrouper de l'orfèvrerie médiévale et des meubles Louis-Philippe. Le département des peintures est quant à lui partagé en « écoles » : quelles que soient leurs dates, on mettra les Espagnols avec les Espagnols, les Italiens avec les Italiens… Il a fallu attendre des expositions temporaires, et notamment celles organisées à l'occasion de l'ouverture du Louvre-Lens, pour voir des œuvres italiennes, flamandes, suisses – tableaux, mais aussi objets d'art – enfin réunies. L'idée : rendre compte d'une manière plus intelligible de la diversité, mais aussi des échanges, de la Renaissance. MATISSE RELÉGUÉ DANS UNE CAGE D'ESCALIER L'équivalent new-yorkais du Louvre, le Metropolitan Museum, ne raisonne pas très différemment, mais la situation est encore compliquée par la pratique des donations du privé : il a fallu ainsi construire une aile entière, prise sur Central Park, pour intégrer, en 1975, l'exceptionnelle collection donnée par Robert Lehman. Quelques chefs-d'œuvre, certes, mais qu'il n'était pas question d'ajouter au parcours déjà existant. Qui veut voir la totalité des œuvres Renaissance du Met doit donc être un adepte du jogging. Quand le Musée national d'art moderne à ouvert ses portes au sein du Centre Pompidou, en 1977, le problème était différent. Le bâtiment était conçu à cet effet, et la collection ne couvrait que le XXe siècle, à partir de 1905. Il était donc cohérent de proposer un parcours chronologique, en égrenant les grandes figures de la modernité. Mais une histoire de l'art qui aligne les chefs-d'œuvre, si elle est satisfaisante pour l'œil, ne l'est pas toujours pour l'esprit. On a donc tenté d'explorer d'autres voies. C'est ce qu'a fait un musée comme la Tate Modern de Londres, qui affiche depuis ses débuts une prédilection pour les accrochages thématiques, au détriment de la chronologie – et ce d'autant que ses collections lacunaires ne lui permettraient pas de concevoir un parcours encyclopédique, qui embrasserait l'ensemble de l'histoire de l'art du XXe siècle. Tel n'est pas le cas du Musée d'art moderne de New York (MoMA), dont les collections (135 000 œuvres enregistrées) sont les plus riches du monde. Toutefois, lors de sa réouverture, en novembre 2004, après de grands travaux d'extension, ses conservateurs avaient adopté eux aussi un accrochage thématique faisant, totalement ou presque, fi de la chronologie. La démarche permettait certes des rapprochements intéressants, mais conduisait aussi à certaines exclusions désagréables : La Danse de Matisse avait ainsi été reléguée dans une cage d'escalier… Depuis, les responsables du musée ont changé leur fusil d'épaule et sont revenus à une disposition plus sage, c'est-à-dire plus chronologique, de leurs chefs-d'œuvre.

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«BIG BANG» À BEAUBOURG A Paris, Catherine Grenier avait déjà innové en 2005, avec un accrochage thématique baptisé « Big Bang ». Il était né d'une contrainte : un des deux étages du Centre Pompidou était alors fermé pour travaux. Il bouleversait complètement la chronologie puisque le parcours débutait avec une peinture de Daniel Richter de 2003, qui jouxtait une sculpture de De Kooning de 1972 et une autre de Germaine Richier, des années 1950. « L'idée de base, expliquait alors Catherine Grenier, c'est de partir du corps. Ensuite, l'exposition est articulée en huit chapitres. Le premier traite de la destruction. Le deuxième du lien entre construction et déconstruction. Viennent ensuite l'archaïsme, le sexe, la guerre, la subversion, la mélancolie et le réenchantement. » Ces thèmes permettaient des rapprochements entre des artistes très jeunes et les pères de la modernité. « Une lecture très inhabituelle et très stimulante, confiait Alfred Pacquement, directeur des lieux à l'époque. Mais il sera quand même nécessaire de retrouver un musée où les grandes figures de l'histoire de l'art seront montrées en bonne et due forme. » Ce qui fut fait, peu ou prou, en 2007, une fois les travaux terminés. UN NOUVEL ACCROCHAGE, INFINIMENT PLUS RICHE Le nouvel accrochage proposé au Centre Pompidou tire parti de ces différentes expériences. Il prend en quelque sorte le meilleur des deux : la chronologie n'est pas absente, les espaces thématiques non plus ; et l'exhumation de seconds couteaux donne de chaque période une lecture infiniment plus riche que ne le ferait une succession de chefs-d'œuvre. Un choix que défendait déjà Eugène Delacroix (1798-1863). Dans un texte de 1862, cité dans le très réjouissant Comment distinguer un chef-d'œuvre d'une croûte ?, de Pauline Pons et Christophe Meslin, il estimait qu'« une collection offerte à l'étude doit se composer non seulement de beaux objets, mais encore de tous ceux qui, dans un ordre de mérite moins élevé, permettent toutefois de suivre et de juger les tâtonnements à travers lesquels l'art est arrivé à sa perfection. Rien ne saurait être plus instructif ». Instructif, l'accrochage l'est. Certes, il déroutera. Qui voudrait apprendre le b.a.-ba ou une vulgate du XXe siècle risque d'être bien perdu. Car la vision qu'en donnent Catherine Grenier, la dizaine de conservateurs qui ont travaillé avec elle, mais aussi les équipes d'universitaires de Paris-I qui ont planché sur le thème de l'art et de la mondialisation est infiniment complexe et enrichissante. Ne serait-ce que par son refus des chefs-d'œuvre. Il y en a, bien sûr, et pas des moindres. Mais ils sont mêlés à d'autres pièces moins valorisées habituellement, leurs contemporaines, ce qui permet de pousser très loin l'étude du contexte qui les a vus naître. Le futurisme, par exemple : apparu en Italie, il a eu des prolongements en Russie, mais on peut aussi le relier au vorticisme britannique, et à quelques artistes français, comme le sculpteur Raymond Duchamp-Villon (1876-1918). L'accrochage contextualise en étudiant les rapports entre les objets autant que les objets eux-mêmes. UNE HISTOIRE DE L'ART MONDIALE Comme un manifeste, l'accrochage débute avec un grand tableau d'Amédée Ozenfant (1886-1966), sympathique petit maître, théoricien peu lu aujourd'hui, et co-créateur, avec Le Corbusier, de la revue L'Esprit nouveau. L'œuvre, qui date de 1928, est intitulée Les Quatre Races, et représente trois personnages monumentaux et rougeâtres qui s'étreignent et tendent la main à un quatrième, noir. Le ton est donné : modernités est écrit au pluriel, et plurielles, elles le sont. On va découvrir ici, et pour la première fois sans doute depuis l'exposition de 1989 organisée par Jean-Hubert Martin, « Les Magiciens de la terre », qu'il n'est pas bon bec que de Paris. Ni même de New York, d'ailleurs. Qu'au cours du XXe siècle les Américains du Nord, mais aussi ceux du Sud, les Orientaux, extrêmes ou moyens, et les Africains également, avaient eux-mêmes une histoire. Grâce en soit rendue au « Musée des écoles étrangères » de Paris, lequel, dès les années 1920-1930, a regardé du côté des Belges, des Roumains, des Danois, des Suisses ou des Italiens, mais aussi des Japonais et, dès 1933, des Chinois. Xu Beihong (1895-1953), par exemple, est aujourd'hui inabordable : une de ses œuvres a été vendue en 2010 à Hongkong

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pour 23 millions de dollars. Merci au conservateur inconnu qui, en 1933, en a fait l'emplette pour l'Etat français, et laissons en paix ceux qui, aujourd'hui, souvent sous les quolibets, font de même pour les contemporains : un jour, peut-être lointain, ils pourraient avoir eu raison avant tout le monde. Ou tort, mais seul un long séjour à la cave pourra le déterminer. Une jolie place est également accordée à l'architecture – citons l'étonnant ensemble de maquettes et d'élévations réalisées par Raj Rewal pour New Delhi (de 1970 à 1989), qui a fait l'objet d'une généreuse donation de l'architecte au Centre Pompidou. Le design est lui aussi à l'honneur, même si on peut trouver saugrenu que les conservateurs aient cru devoir accrocher des chaises au mur : le fauteuil créé par Vladimir Tatline en 1927 est certes l'œuvre d'un artiste, mais celle-ci a été conçue pour être posée au sol, pas suspendue à une cimaise. Le voir, en revanche, à proximité d'un masque en Celluloïd réalisé par Antoine Pevsner en 1923 permet de s'interroger sur leurs étranges similitudes formelles. LE GOÛT DES COLLECTIONNEURS Pour rendre compte de ces pluralités, Catherine Grenier et ses équipes se sont appuyées sur les actualités de l'époque, telles qu'elles ont été restituées par les revues d'art ou d'architecture - particulièrement mises à l'honneur, même si c'est souvent sous forme de papier peint ! Des copies des couvertures de titres aujourd'hui mythiques sont juxtaposées. Des tableaux sont posés les uns à côté des autres, mais aussi les uns au-dessus des autres, presque à touche-touche et sur plusieurs niveaux? C'est ainsi qu'on les présentait à l'époque où ils furent exposés pour la première fois, comme en témoigne une photo d'une revue. Picasso jouxtant un masque dogon et un portrait par Francis Bacon ? Ils étaient ainsi dans la collection de l'écrivain Michel Leiris. Une estampe japonaise d'Hiroshige près d'une aquarelle de Paul Klee et d'un dessin d'enfant ? Vassily Kandinsky les voyait ensemble quotidiennement sur ses murs. S'écrit là une histoire du goût des collectionneurs plus que de celui des conservateurs, un genre où, là aussi, le Centre Pompidou fut pionnier en montrant en 1989 la donation de la collection de Daniel Cordier, justement sous-titrée « Le regard d'un amateur », un regard qui, en l'occurrence, valait bien celui de nombreux professionnels. On lira enfin, dans l'attention portée aux artistes africains notamment, un hommage rendu en filigrane à la désormais mythique exposition « Les Magiciens de la terre » réalisée en 1989 par Jean-Hubert Martin, simultanément au Centre Pompidou et à la Villette, pionnière dans la remise en cause des catégories canoniques de l'art occidental. Ne serait-ce qu'avec l'ensemble qui clôt la première partie du parcours, une série de sculptures en ciment peint du Nigérian Aniedi Okon Akpan, dont on ne sait pas grand-chose, sinon qu'il est – peut être – né en 1916. Des œuvres spectaculaires, d'une modernité incroyable. Et plurielle. « MODERNITÉS PLURIELLES, 1905-1970 » Du 23 octobre au 26 janvier 2015, de 11 heures à 21 heures. Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, Paris 4e. Entrée payante. Tél. : 01-44-78-12-33 www.centrepompidou.fr Vos réactions (1) Bahiaflâneur 22/11/2013 - 00h24 "Les Magiciens de la Terre": L'un des très grands artistes du Brésil, MESTRE DIDI, de Salvador de Bahia, avait eu l'honneur d'intégrer l'exposition. Orgueilleux, il le rappelait en 2010: http://www.bahiaflaneur.net/blog2/2010/12/mestre-didi-artiste.html MESTRE DIDI vient de mourir, le 6 octobre. Un de ses proches, Emanoel Araújo, artiste, collectionneur et directeur du Museu Afro Brasil, l'a salué en un superbe texte. La traduction est ici : http://www.bahiaflaneur.net/blog2/?s=alapini&x=0&y=0