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Courrier de l'Environnement de l'INRA n°25 mesures agri-environnementales et conservation des pelouses sèches : premier bilan en Seine-Maritime par Thierry Dutoit et Didier Alard Université de Rouen, laboratoire d'Ecologie, UFR Sciences, 76821 Mont-Saint-Aignan cedex Introduction Dans le Nord-Ouest de la France, les pelouses sèches sont des formations végétales herbacées agronomiquement pauvres qui occupent principalement des substrats calcaires. Ces milieux semi- naturels sont également caractérisés par un climat local avec une période sèche plus ou moins longue. Exploitées depuis le néolithique pour l'élevage (ovin, bovin) et les cultures (céréales, vignes), les pelouses sèches sont abandonnées par l'agriculture depuis les années 1950. En l'absence d'exploitation, elles s'enfrichent, avec à terme une disparition des espèces méridionales inféodées aux situations ensoleillées. En conséquence, ces milieux qui ont fait l'objet de nombreuses études typologiques (Wolkinger et Plank, 1981), sont maintenant le siège d'expériences de gestion pour conserver leur biodiversité (Arlot et Hesse, 1981; Duvigneaud et al, 1982; NCC, 1982). Ces expériences se sont notamment concrétisées par la mise en place de systèmes de pâturage extensif ovin (Maubert et Dutoit, 1995). Morcelées et isolées dans des trames paysagères variées (bocage, open-field, milieu urbain), les pelouses sèches ne peuvent être entièrement acquises ou gérées par les conservateurs de milieux naturels (réserves naturelles, conservatoires des sites). Il est donc de plus en plus souvent fait appel aux exploitants agricoles comme partenaires pour la gestion (convention de gestion, contrat de prestataire de services). Ce prolongement du travail de l'agriculteur pour l'aménagement de l'espace doit alors faire l'objet de compensations car les objectifs de conservation sont incompatibles avec le développement d'une exploitation intensive. Les mesures agri-environnementales mises en place par la CEE en 1992 peuvent alors constituer un outil intéressant pour relier ces deux problématiques. Il est cependant important de connaître la compatibilité d'application des mesures avec les contraintes d'exploitation agricole et les objectifs de conservation biologique. Au regard des résultats obtenus en Seine-Maritime, un premier bilan peut être dressé. Le contenu de cet article a été exposé en partie au Forum des gestionnaires « La gestion des milieux herbacées : une exigence croissante pour la protection de la nature », réuni au ministère de l'Environnement à Paris, le 31 mars 1995. 63

mesures agri-environnementalesen Haute-Normandie, ces pelouses abritent également des espèces en limite nord-ouest de leur aire de répartition. C'est notamment le cas de l'anémone

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Courrier de l'Environnement de l'INRA n°25

mesures agri-environnementaleset conservation des pelouses sèches :

premier bilan en Seine-Maritime

par Thierry Dutoit et Didier Alard

Université de Rouen, laboratoire d'Ecologie, UFR Sciences, 76821 Mont-Saint-Aignan cedex

Introduction

Dans le Nord-Ouest de la France, les pelouses sèches sont des formations végétales herbacéesagronomiquement pauvres qui occupent principalement des substrats calcaires. Ces milieux semi-naturels sont également caractérisés par un climat local avec une période sèche plus ou moins longue.Exploitées depuis le néolithique pour l'élevage (ovin, bovin) et les cultures (céréales, vignes), lespelouses sèches sont abandonnées par l'agriculture depuis les années 1950. En l'absence d'exploitation,elles s'enfrichent, avec à terme une disparition des espèces méridionales inféodées aux situationsensoleillées. En conséquence, ces milieux qui ont fait l'objet de nombreuses études typologiques(Wolkinger et Plank, 1981), sont maintenant le siège d'expériences de gestion pour conserver leurbiodiversité (Arlot et Hesse, 1981; Duvigneaud et al, 1982; NCC, 1982). Ces expériences se sontnotamment concrétisées par la mise en place de systèmes de pâturage extensif ovin (Maubert etDutoit, 1995).

Morcelées et isolées dans des trames paysagères variées (bocage, open-field, milieu urbain), lespelouses sèches ne peuvent être entièrement acquises ou gérées par les conservateurs de milieuxnaturels (réserves naturelles, conservatoires des sites). Il est donc de plus en plus souvent fait appelaux exploitants agricoles comme partenaires pour la gestion (convention de gestion, contrat deprestataire de services). Ce prolongement du travail de l'agriculteur pour l'aménagement de l'espacedoit alors faire l'objet de compensations car les objectifs de conservation sont incompatibles avec ledéveloppement d'une exploitation intensive. Les mesures agri-environnementales mises en place par laCEE en 1992 peuvent alors constituer un outil intéressant pour relier ces deux problématiques. Il estcependant important de connaître la compatibilité d'application des mesures avec les contraintesd'exploitation agricole et les objectifs de conservation biologique. Au regard des résultats obtenus enSeine-Maritime, un premier bilan peut être dressé.

Le contenu de cet article a été exposé en partie au Forum des gestionnaires « La gestion des milieux herbacées :une exigence croissante pour la protection de la nature », réuni au ministère de l'Environnement à Paris,

le 31 mars 1995.

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1. La Seine-Maritime, un département riche en pelouses sèches

Les pelouses sèches de Seine-Maritime occupent les coteaux crayeux de la vallée de Seine, de sesaffluents et les rebords de la cuesta du pays de Bray. Ces formations sont particulièrement riches enespèces végétales et abritent 36% des taxons protégés régionalement en Haute-Normandie. Lespelouses sèches constituent également des milieux à protéger en priorité avec 23% des sites classés en« zone naturelle d'intérêt écologique, floristique et faunistique » (ZNIEFF). Au Moyen Age, les

pelouses de Seine-Maritime étaient exploitées pour l'élevage de parcours ou la culture de la vigne(Dutoit et al., 1994). Aujourd'hui, ces activités sont abandonnées et les pelouses relictuelles sont deplus en plus isolées dans des paysages urbains (agglomération de Rouen), céréaliers (pays de Caux) oubocagers (pays de Bray). En 1994, le conservatoire des sites naturels de Haute-Normandie (CSNHN) amis en place une opération originale de reconstitution d'un parcours pastoral sur les pelouses péri-urbaines de Rouen (Pacary, 1995). Cette expérience adaptée à un contexte particulier ne peut pas êtregénéralisée à l'ensemble des sites. En effet, en zone rurale, de nombreuses pelouses sont encoreexploitées pour l'élevage (Alard et al., 1994). La mise en place des mesures agri-environnementalesdans deux « pays » contrastés de la Seine-Maritime (pays de Bray et boucles de la Seine) constituealors un excellent moyen d'évaluer les collaborations possibles avec le monde agricole pour laconservation des pelouses sèches.

2. Opérations locales et conservation des pelouses sèches2.1. Le pays de BrayLe pays de Bray correspond à un vaste anticlinal dissymétrique qui sépare la Haute-Normandie de laPicardie (fig. 1). C'est une région naturelle très individualisée, non seulement de par la nature du sol,mais aussi de par son agriculture. Le paysage qui en découle représente une exception aux openfïeldsdu Nord de la France. Avec ses bois, ses prairies permanentes, ses haies vives et ses fermes implantéesisolément, le Bray constitue un « îlot de bocage » (Frileux et Girard, 1985). L'exploitation agricole decette région a toujours été dominée par l'élevage ; cependant, depuis 1979, on observe un recul modéréde la surface toujours en herbe et du troupeau bovin. Les cultures fourragères restent stables, mais onpeut noter un accroissement des superficies consacrées aux cultures de vente (Fruit, 1991).

Dans cette région, les pelouses sèches sont très nombreuses et de petite taille. Elles occupentprincipalement les rebords de la cuesta (Neufchâtel, Neufmarché) et les buttes témoins (Mont-

Figure 1. Localisation des opérations locales concernant les pelouses sèches en Seine-Maritime

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Sauveur). Elles se distinguent par un cortège floristique plus pauvre que celles de la vallée de Seine,notamment en espèces thermophiles. La nature marneuse de la craie du Turonien permet cependant laprésence d'espèces végétales très originales comme la parnassie des marais, habituellement présentedans les prairies humides ou les tourbières. Contrairement aux autres pelouses du département, lapérennité de l'exploitation pour l'élevage a permis le maintien de populations importantes d'espècestypiques des pelouses sèches dont certaines sont protégées en Haute-Normandie. En conséquence, surles 200 ha de pelouses recensées pour le pays de Bray, 11 sites de pelouses ont été classés en ZNIEFF,soit une superficie approximative de 100 ha.

Jadis exploitées en communaux, de nombreuses pelouses ont été cultivées sporadiquement après laRévolution. Devant les faibles rendements obtenus, toutes ces terres sont cependant retournées à laprairie au début du XX e siècle. Aujourd'hui les surfaces de pelouses font l'objet d'exploitationsdiverses, du maintien du pâturage (60%) à l'abandon agricole (25%) en passant par la conversion enlabours (10%) ou en bois (5%). 74% des pelouses pâturées le sont par des bovins (Neufchâtel,Neufmarché), 23% par des ovins (Mont-Sauveur) et 3% par des équins (fig.2). Le pâturage est souventtournant avec une ou deux exploitations dans l'année. Le chargement annuel dépasse rarement 1 UGB(unité gros bétail)/ha.

L'opération locale mise en place dans le pays de Brayvient conforter les mesures classiques de l'opérationgroupée d'aménagement foncier (OGAF) menée entre1990 et 1992. Cette opération locale résulte du règlementCEE n°2078/92 qui codifie dans un même texte toutes lesmesures agricoles à caractère environnemental (article 19,prime à la vache tondeuse, etc.). Dans le pays de Bray,cinq mesures sont mises en oeuvre dans un but d'entretiendes paysages : maintien du pâturage extensif dans lesprairies humides et les coteaux calcaires, entretien desrivières, des haies et des vergers.

2.2. Les boucles de la SeineEntre Rouen et Le Havre, la vallée de Seine présente unpaysage original marqué par les méandres de la Seine etles falaises calcaires abruptes qui la bordent au nordcomme au sud. Contrairement au pays de Bray,l'agriculture est de plus en plus dominée par les culturesaux dépens de l'élevage traditionnel. Les boucles de lavallée de Seine constituent également un patrimoinepaysager important qui attire chaque année de nombreuxtouristes.

Pelouse calcaire pâturée dans le pays de BrayD. Alard del.

Pour le département de Seine-Maritime, en aval de Rouen, les pelouses se limitent principalement àdeux grands ensembles (fig. 1), l'un dans la boucle de Roumare (coteaux d'Hénouville, 30 ha), l'autresur la rive nord de l'estuaire entre Tancarville et Le Havre (coteaux du Hode-Saint-Vigor d'Ymonville,100 ha). Ces deux ensembles sont classés en ZNIEFF. Outre certaines espèces rarissimes et protégéesen Haute-Normandie, ces pelouses abritent également des espèces en limite nord-ouest de leur aire derépartition. C'est notamment le cas de l'anémone pulsatille sur les coteaux d'Hénouville (Liger, 1952).Si les pelouses de ce dernier site ont été cultivées jusqu'au début du XIX e siècle (vignobles, blé,sainfoin, etc.), les pelouses de Saint-Vigor d'Ymonville ont, quant à elles, surtout connu un passé decommunal. Contrairement aux pelouses du pays de Bray, toutes les pelouses des boucles de la Seinesont aujourd'hui abandonnées de toute exploitation agricole depuis les années 1960.

L'opération locale des boucles de la Seine fait suite à une OGAF Agriculture-Environnement mise enplace pour les zones humides depuis 1992. Elle complète cette dernière opération en intégrant lescoteaux calcaires dans les zones éligibles pour des aides au maintien du pâturage extensif. Sesobjectifs principaux sont le maintien du pâturage extensif dans les prairies humides et les coteauxcalcaires, la reconquête des vergers haute-tige et la rénovation du bocage.

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3. Caractéristiques des mesures agri-environnementales

Pour les deux opérations locales, les conditions d'éligibilité et les cahiers des charges définissant lesmesures en faveur des pelouses sèches sont identiques. Les agriculteurs pouvant bénéficier desmesures doivent être âgés de moins de soixante ans et s'engager pour une période de cinq ans. Ilsdoivent soumettre une surface minimum d'1 ha et leurs parcelles doivent être localisées dans lepérimètre des opérations locales. Deux types de contrats sont proposés aux agriculteurs, ils sontcaractérisés par les engagements suivants:

Contrat de base : maintien du pâturage extensif.- Maintien de la prairie naturelle (pâturage par des ovins, équins, caprins, équidés ou fauche) etinterdiction de retournement.- Fertilisation minérale, emploi de pesticides et d'herbicides, interdits.- Chargement moyen annuel compris entre 0,5 et 1 UGB/ha.- Maintien et entretien des éléments paysagers (arbres isolés, haies, etc.).- Contrôle de l'embroussaillement des ligneux et des refus de façons mécaniques ou manuelles (auminimum 1 passage d'entretien sur 5 ans).Le montant de la prime est de 500F/ha/an.Option 1 : Restauration du pâturage extensifL'engagement dans cette option nécessite une remise en état des prairies abandonnées.- Débroussaillage lourd la première année avec intervention d'un tracteur muni d'un gyrobroyeur surles parcelles les plus planes et intervention manuelle sur les parties les plus en pente. Toute utilisationde produits chimiques est exclue.- Entretien par le pâturage et contrôle de l'embroussaillement par des moyens mécaniques ou manuelsau cours des années suivantes.Le montant de la prime est alors majoré de 600 F, soit 1 100 F/ha/an.

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4. Méthodologie d'enquête et premiers résultats

La méthodologie employée pour la mise en place des mesures agri-environnementales a consisté en unrecensement des sites potentiellement éligibles grâce à des recherches documentaires (photosaériennes, cadastre) et des données de terrain (relevés botaniques et entomologiques). Les exploitantsagricoles ont ensuite été rencontrés individuellement (pays de Bray) ou lors de réunions localesorganisées par la chambre d'agriculture de Seine-Maritime (boucles de la Seine). Les résultats del'application des mesures agri-environnementales apparaissent très contrastés entre les deux opérationslocales. Dans le pays de Bray, de nombreux agriculteurs se sont engagés pour les deux types decontrats proposés. Au contraire, dans les boucles de la Seine, aucun agriculteur n'a manifesté d'intérêtpour ce type de mesures.

Dans le pays de Bray, 14 exploitants se sont prononcés favorablement pour l'établissement d'undossier. Ceci représente 40% (75 ha) de la surface totale des pelouses recensées. Pour le reste, 21%des surfaces continueront à être pâturées sans aides, 20% restant abandonnées, 5% boisées, 11%labourées et 3% seront gérées par le CSNHN (fig. 2).

Pour l'ensemble des dossiers, 43% (32 ha) seront traités en contrat de base et 57% (43 ha) en option 1.Dans la plupart des cas, des contrats ont pu être établis lorsque les pelouses faisaient encore l'objetd'un pâturage extensif. Les arguments invoqués pour le rejet des mesures sont les suivants :- Rénovation ou construction d'une clôture ;- Pelouses de petites tailles, éloignées de l'exploitation (problèmes de manutention et de vol) ;- Interdiction d'emploi d'herbicides pour les refus (chardons) ;- Interdiction d'épandage de fumier ;- Retrait d'animaux pour entrer dans la fourchette du pâturage extensif ;- Mesures incompatibles avec une conversion récente dans l'utilisation des parcelles (boisement,labour).

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Figure 2. Utilisation agricole des pelouses sèches du pays de Bray avant et après la mise en place de l'opération locale

Dans les boucles de la Seine, outre les arguments précédents, d'autres objections ont été formulées :- Impossibilité de restaurer de vieilles prairies abandonnées avec des pressions de pâturage faible ;- Surveillance des animaux du fait de la fréquentation touristique (ouverture régulière des clôtures surles parcelles en bordure des chemins de grande randonnée) ;- Impossibilité de contrôler les rejets arbustifs après débroussaillage avec une charge faible ;- Impossibilité d'utiliser des vaches allaitantes sur des pentes trop abruptes (risque de foulure).

5. Vers une intégration des objectifs de conservationdans les systèmes d'exploitation ?

Les résultats obtenus pour les deux opérations locales montrent bien les limites d'application desmesures agri-environnementales. Ces mesures s'avèrent très adaptées pour le maintien d'activitésagricoles d'élevage dans des régions où ce type d'exploitation est encore dominant. Cependant, il fautnoter que les primes offertes sont insuffisantes pour la reconquête de prairies abandonnées depuis denombreuses années (Dutoit, 1994). De même, elles ne permettent pas de compenser les pertes deproduction consécutives à une conversion du système d'élevage vers l'extensif. Les mesures agri-environnementales doivent donc être considérées comme un outil de maintien du pâturage extensifdans des zones où cette activité est en déclin. A terme (5 années), se pose donc le problème de leurprolongement par d'autres mesures incitatives...Concernant l'aspect écologique, les mesures agri-environnementales sont en phase avec les priorités deconservation biologique. Les pelouses sèches les plus diversifiées sont, en effet, celles qui sont encore

actuellement exploitées de fa-çon extensive (Dutoit et Alard,1995). De même, il y a adéqua-tion entre les systèmes d'ex-ploitation et les objectifs deconservation. Les pelousessèches ont une productivité vé-gétale très faible. Bien souvent,le système d'élevage rencontréconsiste donc en un pâturagetournant avec deux exploitationsoù les animaux sont retirésavant la phase de raclage. Il enrésulte des périodes sans pâtu-rage, favorable à la floraison de

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nombreuses espèces végétales (Maubert et Dutoit, 1995). Ces périodes d'abandon constituentégalement une mesure de prophylaxie, de nombreux parasites ne pouvant pas survivre à l'absenceprolongée de leur hôte.

La nécessité de maîtriser l'embroussaillement a souvent été présentée par les exploitants comme unecontrainte rendant la pratique du pâturage extensif impossible. Dans ce cas également, desconvergences peuvent exister entre objectifs de conservation et contraintes d'exploitation. Ledébroussaillage ne doit pas conduire forcément à la création d'une pelouse uniforme. Les fourréspossèdent en effet de nombreux rôles écologiques comme ceux de fournir le gîte et le couvert àbeaucoup d'espèces d'insectes, d'oiseaux et de mammifères (gibier). De même, le maintien de haiesdans les zones de rupture de pente permet de piéger les nitrates épandus sur les cultures des plateaux.Après une phase de débroussaillage, les rejets peuvent être éliminés, soit par l'utilisation d'ovins derace rustique (Solognot, Est à laine Mérinos, Boulonnais, Mergelland, etc.), soit par la mise en placed'un système où les animaux sont concentrés sur les surfaces débroussaillées (enclos électriquemobile). Dans de nombreux cas, le contrôle des rejets à la débroussailleuse ou au gyrobroyeur s'avèreêtre un complément efficace du pâturage pour faire régresser la broussaille.

En conclusion

En l'absence d'une politique volontariste pour la valorisation des produits provenant d'exploitations detype extensif, des mesures incitatives devront être continuellement proposées pour que l'agriculteurpuisse continuer à entretenir des milieux à forte valeur biologique, issus d'activités agricolestraditionnelles multi-séculaires. Si les mesures agri-environnementales s'avèrent particulièrementadaptées au maintien d'un certain type de pâturage, elles ne peuvent cependant concerner que lesrégions où les exploitants agricoles pratiquent encore l'élevage extensif et peuvent s'engager àrespecter les contraintes des cahiers des charges. Au contraire, dans des zones orientées vers d'autrestypes de production, y compris vers l'élevage intensif, ces mesures sont insuffisantes. Lesconservateurs de milieux naturels doivent alors faire appel à d'autres types de mesures incitatives(retrait de la parcelle à long terme) ou à leur propre système de gestion, comme dans le cas des sites

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péri-urbains ou pour ceux localisés dans des zones en cours de déprise agricole généralisée (fig. 3).Il est évident que tous les sites de pelouses sèches ne pourront être gérés par les conservateurs demilieux naturels et n'avoir pour seule vocation que la conservation des espèces. Un partenariat entreagriculture et conservation de la nature demeure possible si les protagonistes de chaque parti sont enmesure de faire des concessions l'un vers l'autre en vue d'intégrer certains objectifs de conservationbiologique aux objectifs de production et aux systèmes d'exploitation.

Cette étude a été financée par la DIREN de Haute-Normandie et réalisée sous l'égide duconservatoire des sites naturels de Haute-Normandie.

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