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Gastroentérologie Clinique et Biologique (2010) 34, e9—e11 LETTRE À LA RÉDACTION Métastases kystiques d’un adénocarcinome de la vésicule biliaire Cystic metastases of gallbladder adenocarci- noma Les métastases kystiques des cancers de la vésicule biliaire sont exceptionnelles, puisque, à notre connaissance, aucun cas n’est publié dans la littérature. Nous rapportons une observation. Un patient âgé de 72 ans, d’origine algérienne, était opéré en mai 2004 d’une cholécystite aiguë par cœlioscopie. L’examen de la pièce opératoire révélait un envahissement du fond de la vésicule par un adénocarcinome bien diffé- rencié classé pT2NxMx. Le patient était pris en charge dans notre institution un mois plus tard pour un bilan complémen- taire. Le taux sérique du CA 19-9 était à 79,6 UI/L (normale inférieure à 27 UI/L). Le scanner thoraco-abdominopelvien ne montrait aucun élément pathologique. Une nouvelle intervention à visée carcinologique était réalisée avec résection du lit vésiculaire à 1cm de profondeur, lympha- dénectomie pédiculaire et excision des orifices de trocart. L’exploration de la cavité péritonéale était sans anomalie. L’examen des pièces opératoires ne montrait aucun enva- hissement tumoral. En juin 2006, un scanner abdominal, réalisé pour des douleurs de l’hypochondre gauche, montrait une lésion kystique polylobée du muscle grand droit gauche (Fig. 1) en regard de la cicatrice d’excision d’orifice de tro- cart. L’exérèse de la lésion montrait un kyste à contenu eau de roche sans cellule maligne dans le liquide. L’analyse his- tologique montrait une prolifération tubulopapillaire, plus ou moins kystisée, formée de cellules cubocylindriques présentant des atypies cytonucléaires, des mitoses et au cytoplasme parfois mucosécrétant. Les recoupes étaient en zone saine. En immunohistochimie, les cellules tumorales exprimaient de fac ¸on intense et diffuse la pancytokéra- tine (AE1/AE3), les cytokératines 7, 8, 18 et 19, l’antigène carcino-embryonnaire, le CA 19-9 et de fac ¸on focale la cytokératine 20. Le diagnostic de métastase kystique d’un adénocarcinome de la vésicule biliaire était retenu. En mars 2008, le patient était hospitalisé pour des douleurs de l’hypochondre droit dans un contexte d’altération de l’état général. Le scanner montrait une lésion kystique hépatique droite sous-capsulaire à paroi fine, sans cloison ni calcifica- tion, de 120 mm × 90 mm (Fig. 2). Le CA19-9 était à 392 UI/L. Une cœlioscopie exploratrice montrait un épanchement intrapéritonéal et une carcinose péritonéale. Les biopsies montraient un adénocarcinome tubulopapillaire. Compte tenu de l’importance de la carcinose et de l’existence de lésions hépatiques, l’abstention chirurgicale était déci- dée. Une chimiothérapie palliative de type gemcitabine et oxaliplatine (Gemox) était initiée. En janvier 2009, après 12 cures de chimiothérapie, l’apparition de nouvelles lésions tumorales kystiques péritonéales, pariétales gastriques et sous-cutanées (Fig. 3) conduisait à la mise en place d’une seconde ligne de chimiothérapie par 5-fluorouracile oral. La progression en nombre et en taille des lésions péritonéales, pariétales et hépatiques montrait l’échappement au traite- ment et le patient retournait dans son pays en mai 2009. Discussion Aucun cas de métastase kystique d’un cancer de la vési- cule biliaire n’a été rapporté dans la littérature. Les lésions kystiques multiples péritonéales ont plusieurs diagnostics différentiels bénins et malins parmi lesquels l’hydatidose, le mésothéliome péritonéal, les pseudokystes et les méta- stases kystiques. De nombreux cancers peuvent donner des métastases kystiques, notamment les tumeurs carci- noïdes et les cystadénocarcinomes, le plus souvent ovariens ou pancréatiques [1]. La dégénérescence kystique d’une métastase n’est trouvée que dans 2 à 4 % des tumeurs métastatiques [2]. Deux mécanismes physiopathologiques peuvent expliquer le caractère kystique [3]. Tout d’abord, la croissance rapide d’une lésion hypervasculaire peut mener à une nécrose centrale, donnant un aspect de lésions kys- tiques à contours rehaussés et irréguliers au scanner assez caractéristique [1,3]. Ce mécanisme est surtout rencontré dans les métastases de tumeurs neuro-endocrines, de sar- comes, de mélanomes ou de carcinomes pulmonaires [3]. Par ailleurs, l’aspect kystique peut être dû à une sécré- tion mucineuse par différenciation cellulaire tumorale [1,3]. Ce type de métastases, à paroi fines et régulières, est plus classique pour les adénocarcinomes colorectaux et ovariens [3]. Ces lésions apparaissent par propagation de proche en proche par voie péritonéale, ce qui explique 0399-8320/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gcb.2009.12.007

Métastases kystiques d’un adénocarcinome de la vésicule biliaire

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Page 1: Métastases kystiques d’un adénocarcinome de la vésicule biliaire

Gastroentérologie Clinique et Biologique (2010) 34, e9—e11

LETTRE À LA RÉDACTION

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Métastases kystiques d’un adénocarcinome dela vésicule biliaire

Cystic metastases of gallbladder adenocarci-noma

Les métastases kystiques des cancers de la vésiculebiliaire sont exceptionnelles, puisque, à notre connaissance,aucun cas n’est publié dans la littérature. Nous rapportonsune observation.

Un patient âgé de 72 ans, d’origine algérienne, étaitopéré en mai 2004 d’une cholécystite aiguë par cœlioscopie.L’examen de la pièce opératoire révélait un envahissementdu fond de la vésicule par un adénocarcinome bien diffé-rencié classé pT2NxMx. Le patient était pris en charge dansnotre institution un mois plus tard pour un bilan complémen-taire. Le taux sérique du CA 19-9 était à 79,6 UI/L (normaleinférieure à 27 UI/L). Le scanner thoraco-abdominopelvienne montrait aucun élément pathologique. Une nouvelleintervention à visée carcinologique était réalisée avecrésection du lit vésiculaire à 1 cm de profondeur, lympha-dénectomie pédiculaire et excision des orifices de trocart.L’exploration de la cavité péritonéale était sans anomalie.L’examen des pièces opératoires ne montrait aucun enva-hissement tumoral. En juin 2006, un scanner abdominal,réalisé pour des douleurs de l’hypochondre gauche, montraitune lésion kystique polylobée du muscle grand droit gauche(Fig. 1) en regard de la cicatrice d’excision d’orifice de tro-cart. L’exérèse de la lésion montrait un kyste à contenu eaude roche sans cellule maligne dans le liquide. L’analyse his-tologique montrait une prolifération tubulopapillaire, plusou moins kystisée, formée de cellules cubocylindriquesprésentant des atypies cytonucléaires, des mitoses et aucytoplasme parfois mucosécrétant. Les recoupes étaient enzone saine. En immunohistochimie, les cellules tumoralesexprimaient de facon intense et diffuse la pancytokéra-tine (AE1/AE3), les cytokératines 7, 8, 18 et 19, l’antigènecarcino-embryonnaire, le CA 19-9 et de facon focale la

cytokératine 20. Le diagnostic de métastase kystique d’unadénocarcinome de la vésicule biliaire était retenu. Enmars 2008, le patient était hospitalisé pour des douleurs del’hypochondre droit dans un contexte d’altération de l’étatgénéral. Le scanner montrait une lésion kystique hépatique

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0399-8320/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits rdoi:10.1016/j.gcb.2009.12.007

roite sous-capsulaire à paroi fine, sans cloison ni calcifica-ion, de 120 mm × 90 mm (Fig. 2). Le CA19-9 était à 392 UI/L.ne cœlioscopie exploratrice montrait un épanchement

ntrapéritonéal et une carcinose péritonéale. Les biopsiesontraient un adénocarcinome tubulopapillaire. Compte

enu de l’importance de la carcinose et de l’existencee lésions hépatiques, l’abstention chirurgicale était déci-ée. Une chimiothérapie palliative de type gemcitabine etxaliplatine (Gemox) était initiée. En janvier 2009, après2 cures de chimiothérapie, l’apparition de nouvelles lésionsumorales kystiques péritonéales, pariétales gastriques etous-cutanées (Fig. 3) conduisait à la mise en place d’uneeconde ligne de chimiothérapie par 5-fluorouracile oral. Larogression en nombre et en taille des lésions péritonéales,ariétales et hépatiques montrait l’échappement au traite-ent et le patient retournait dans son pays en mai 2009.

iscussion

ucun cas de métastase kystique d’un cancer de la vési-ule biliaire n’a été rapporté dans la littérature. Les lésionsystiques multiples péritonéales ont plusieurs diagnosticsifférentiels bénins et malins parmi lesquels l’hydatidose,e mésothéliome péritonéal, les pseudokystes et les méta-tases kystiques. De nombreux cancers peuvent donneres métastases kystiques, notamment les tumeurs carci-oïdes et les cystadénocarcinomes, le plus souvent ovariensu pancréatiques [1]. La dégénérescence kystique d’uneétastase n’est trouvée que dans 2 à 4 % des tumeursétastatiques [2]. Deux mécanismes physiopathologiqueseuvent expliquer le caractère kystique [3]. Tout d’abord, laroissance rapide d’une lésion hypervasculaire peut menerune nécrose centrale, donnant un aspect de lésions kys-

iques à contours rehaussés et irréguliers au scanner assezaractéristique [1,3]. Ce mécanisme est surtout rencontréans les métastases de tumeurs neuro-endocrines, de sar-omes, de mélanomes ou de carcinomes pulmonaires [3].ar ailleurs, l’aspect kystique peut être dû à une sécré-

ion mucineuse par différenciation cellulaire tumorale [1,3].e type de métastases, à paroi fines et régulières, estlus classique pour les adénocarcinomes colorectaux etvariens [3]. Ces lésions apparaissent par propagation deroche en proche par voie péritonéale, ce qui explique

éservés.

Page 2: Métastases kystiques d’un adénocarcinome de la vésicule biliaire

e10 Lettre à la rédaction

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Figure 3 Tomodensitométrie montrant une métastase kys-t(

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igure 1 Tomodensitométrie montrant une lésion pariétaleolylobée du muscle grand droit gauche (juin 2006).

’aspect scannographique régulier et périphérique des méta-tases hépatiques par greffe sur le péritoine viscéral du foiet le péritoine pariétal diaphragmatique [3] comme dansotre cas. Le diagnostic de métastase kystique repose sura notion d’un cancer primitif pouvant induire des méta-tases kystiques, sur la coexistence de lésions d’allureifférente et sur l’évolution des lésions [1]. Dans notreas, le contexte de cancer de la vésicule biliaire n’est pasn élément d’orientation, l’origine algérienne du patientt les antécédents chirurgicaux peuvent faire évoquer uneydatidose ou un hématome vieilli. La ponction du liquide,

’absence d’autre tumeur primitive et l’analyse histolo-ique et immunohistochimique ont permis d’affirmer learactère métastatique de ces lésions et leur origine vési-ulaire.

igure 2 Tomodensitométrie montrant une lésion kystique duoie droit de 90 mm associée à de multiples lésions kystiquesériphériques confluentes (mars 2008).

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ique en regard de la région pylorique de 45 mm de diamètrejanvier 2009).

La prise en charge de ce patient est celle d’un can-er de la vésicule biliaire avec dissémination péritonéale.ce stade, le pronostic est le plus souvent sombre avec

ne médiane de survie inférieure à un an [4]. Le traite-ent palliatif repose sur la chimiothérapie, la radiothérapie

’ayant pas fait la preuve de son efficacité [5]. Pour notreatient, l’association Gemox n’a pas fait preuve d’efficacitéaugmentation de taille des lésions préexistantes et appa-ition de nouvelles lésions péritonéales), ce qui corrobore’expérience de André et al. [6].

Le cas rapporté apparaît exceptionnel par le caractèreystique des lésions secondaires mais aussi par une surviee plus de 2,5 ans après l’apparition de métastases en dépitu pronostic habituel de ces cancers à ce stade.

onflit d’intérêt

ucun.

éférences

1] Vilgrain V. Lésions kystiques du foie. Gastroenterol Clin Biol2001;25:B167—77.

2] Tokai H, Kawashita Y, Eguchi S, Kamohara Y, Takatsuki M, Oku-daira S, et al. A case of mucin producing liver metastaseswith intrabiliary extension. World J Gastroenterol 2006;12:4918—21.

3] Mortele KJ, Ros PR. Cystic focal liver lesions in the adult:differential CT and MR imaging features. Radiographics2001;21:895—910.

4] Hezel AF, Zhu AX. Systemic therapy for biliary tract cancers.Oncologist 2008;13:415—23.

5] Dreyer C, le Tourneau C, Faivre S, Qian Z, Degos F, Vuillerme MP,

et al. Cholangiocarcinomes : épidémiologie et prise en chargeglobale. Rev Med Interne 2008;29:642—51.

6] André T, Reyes-Vidal JM, Fartoux L, Ross P, Leslie M, RosmorducO, et al. Gemcitabine and oxaliplatine in advanced biliary tractcarcinoma: a phase II study. Br J Cancer 2008;99:862—7.

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Lettre à la rédaction

Y. Goudarda,∗

L. Mingoutauda

B. De La Villeona

P. de Saint-Blancardb

M. Hervouetc

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F. Ponsa Service de chirurgie thoracique et viscérale, hôpital

d’instruction des armées Percy,101, avenue Henri-Barbusse,92141 Clamart cedex, France

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b Service d’anatomie et de cytologie pathologiques,hôpital d’instruction des armées Percy, 101, avenue

Henri-Barbusse, 92141 Clamart cedex, Francec Service de médecine interne, hôpital d’instruction des

armées Percy, 101, avenue Henri-Barbusse, 92141 Clamartcedex, France

∗ Auteur correspondant. 112, boulevard Auguste-Blanqui,75013 Paris, France.

Adresse e-mail : [email protected] (Y. Goudard).

Disponible sur Internet le 18 fevrier 2010