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ÉTABLISSEMENT PRIVE DENSEIGNEMENT SUPERIEUR METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A L’EXAMEN D’ENTREE AU BARREAU Session 2013 Méthodologie conçue et rédigée par Laurent SOUBELET Exemples de sujets et corrigés établis par l’équipe pédagogique de CAPAVOCAT Avertissement Pour la reproduction des œuvres protégées et insérées dans le présent document, CAPAVOCAT dispose d’une autorisation délivrée par le Centre français d’exploitation du droit de copie (C.F.C.). Toute reproduction de ce document ou communication à des personnes autres que les clients de CAPAVOCAT réalisée sans l’autorisation expresse et écrite de notre établissement expose son auteur à des poursuites judiciaires. CAPAVOCAT SARL au capital de 7622 euros / RCS Paris B395 333 297 / Siège social : 106 bis rue de Rennes — 75006 Paris Tél : 01 47 07 87 27 / Fax : 01 47 07 35 68 / @ : www.capavocat.fr

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ÉTABLISSEMENT PRIVE D’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR

METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A L’EXAMEN D’ENTREE AU

BARREAU

Session 2013

Méthodologie conçue et rédigée par Laurent SOUBELET

Exemples de sujets et corrigés établis par l’équipe pédagogique de CAPAVOCAT

Avertissement

Pour la reproduction des œuvres protégées et insérées dans le présent document, CAPAVOCAT dispose d’une autorisation délivrée

par le Centre français d’exploitation du droit de copie (C.F.C.).

Toute reproduction de ce document ou communication à des personnes autres que les clients de CAPAVOCAT réalisée sans

l’autorisation expresse et écrite de notre établissement expose son auteur à des poursuites judiciaires.

CAPAVOCAT SARL au capital de 7622 euros / RCS Paris B395 333 297 / Siège social : 106 bis rue de Rennes — 75006 Paris

Tél : 01 47 07 87 27 / Fax : 01 47 07 35 68 / @ : www.capavocat.fr

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SOMMAIRE

PROPOS INTRODUCTIFS p. 3

Thème 1 METHODOLOGIE DU COMMENTAIRE D’ARRET p. 4

Sujet corrigé numéro 1 : Cass. civ. 2ème, 18 septembre 2003 (responsabilité) p. 33

Sujet corrigé numéro 2 : Cass. civ. 3ème, 17 janvier 2007 (contrat) p. 38

Sujet corrigé numéro 3 (commentaire comparé) : Cass. Ass. Plén., 14 avril 2006 (2 arrêts) p. 43

Thème 2 METHODOLOGIE DU COMMENTAIRE DE TEXTE JURIDIQUE p. 47

Sujet corrigé numéro 4 : commentaire de l’article 2224 (nouveau) du Code civil p. 52

Thème 3 METHODOLOGIE DU CAS PRATIQUE p. 57

Sujet corrigé numéro 5 : Droit des obligations (contrat) p. 60

Sujet corrigé numéro 6 : Droit des obligations (responsabilité civile) p. 65

Thème 4 METHODOLOGIE DE LA DISSERTATION JURIDIQUE p. 71

Sujet corrigé numéro 7 : « L’efficacité des avant-contrats » p. 76

Sujet corrigé numéro 8 : « La faute de la victime » p. 79

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PROPOS INTRODUCTIFS

Le présent fascicule a pour objet de vous rappeler les principes méthodologiques qui doivent être maîtrisés

afin d’aborder dans les meilleures conditions les épreuves de droit privé au programme de l’examen

d’entrée aux C.R.F.P.A. :

Les différents types d’exercices susceptibles de vous être proposés dans le cadre de ces épreuves sont :

- le commentaire d’arrêt (« simple » ou « comparé ») ; - le commentaire de texte juridique ; - le cas pratique (et son dérivé : la consultation) ; - la dissertation.

Ces exercices ne vous sont pas sont inconnus mais il vous faut accommoder leur traitement aux exigences

propres à l’examen que vous allez subir. Cet examen professionnel, qui intervient au terme de votre

formation juridique, suppose en effet que soit respecté un double impératif de maturité et d’efficacité.

La maturité appelle que vous démontriez, en fin de parcours universitaire, une assimilation satisfaisante

des « fondamentaux » des disciplines sur lesquelles vous êtes examiné. Il vous faut, en conséquence,

maîtriser les concepts et mécanismes principaux ainsi que leur actualité (législative et jurisprudentielle,

mais aussi doctrinale).

L’efficacité, qualité essentielle à un futur professionnel du droit, suppose que vous traitiez les sujets

proposés de manière parfaitement opérationnelle. Loin de vous noyer dans vos connaissances, vous devez

les appliquer avec aisance, dans une perspective finalisée.

Quel que soit le type d’exercice proposé, vous vous efforcerez de dérouler une réflexion étayée conduisant

à proposer des solutions (cas pratique) ou à justifier un point de vue (commentaire et dissertation). Votre

propos doit apparaître rigoureux et aboutir à des conclusions claires.

Un regard panoramique et approfondi sur les différents sujets proposés depuis plusieurs années témoigne

d’un certain classicisme dans les thématiques abordées et la facture des sujets. Les surprises majeures

sont plutôt rares (il y en a néanmoins…), les élaborateurs de sujets préférant manifestement des sujets

balisés, dont l’intérêt est (souvent) justifié par l’actualité législative ou jurisprudentielle.

Les différents types d’exercice possibles sont devenus, au terme de la réforme de l’examen opérée par l’arrêté du 11 septembre 2003, autant de types d’exercices probables. La conjonction de l’épreuve écrite obligatoire de droit des obligations et, pour certains, d’une autre épreuve écrite optionnelle de droit privé ouvre en effet le champ des exercices susceptibles de vous être proposés.

L’épreuve obligatoire de droit des obligations semble en effet, à l’échelon national, donner lieu à tous les

types d’exercices. L’épreuve optionnelle est, pour sa part, une épreuve à « caractère pratique » : cette dénomination devrait vous porter à l’exclusion de certains exercices mais quelques uns de vos prédécesseurs dans la préparation de cet examen ont été confrontés à quelques « étrangetés » (dissertations mais aussi commentaires de textes…)

Autrement dit, sauf à ce que des indications contraires, claires et catégoriques, vous soient délivrées dans

votre I.E.J. de rattachement, vous devez vous familiariser avec tous les types d’exercices. Cette

familiarisation est l’un des objectifs de la préparation que vous avez choisi de suivre.

Nous vous souhaitons une bonne lecture.

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THEME 1

METHODOLOGIE DU COMMENTAIRE D’ARRET

Le commentaire de décision de justice prend, dans le cadre de l’examen d’entrée au Barreau, le plus souvent la forme du commentaire d’un arrêt de notre Haute juridiction. Rares, en effet, sont les commentaires des décisions des juges du fond proposées lors des épreuves de droit privé (les commentaires des décisions de Cour d’appel semblent réservés à quelques « galops blancs » organisés par certains I.E.J.) Le commentaire des arrêts de la Cour de cassation soulève de multiples difficultés, de fond et de forme, dont il convient de prendre conscience afin de mieux les surmonter.

La méthodologie du commentaire d’arrêt (simple) sera en premier lieu exposée (I) ; celle du commentaire

« comparé » ou « conjoint » sera ensuite, en contrepoint, brièvement évoquée (II).

I / METHODOLOGIE DU COMMENTAIRE D’ARRET Le commentaire d’arrêt a un double objet : 1/ la découverte et la formulation en termes juridiques du problème de droit posé à la juridiction qui a rendu la décision à commenter ; 2/ l’analyse critique et référencée de la solution proposée par la décision commentée.

I.1. L’ELABORATION DU COMMENTAIRE D’ARRET

I.1.1 La lecture et l’« analyse » de l’arrêt

Un premier niveau de lecture de l’arrêt s’entend d’une lecture attentive (par deux fois minimum). Dès ce stade, vous devez visualiser et distinguer les faits, la procédure, les motifs de la Cour d'appel, les moyens du pourvoi, les motifs et la solution de la Cour de cassation.

Un second niveau de lecture de l’arrêt appelle une attention encore plus minutieuse. Cette seconde phase vous fait

rentrer progressivement dans « l’analyse » de la décision. Il vous faut :

Noter la nature, le lieu et la date de la décision ;

Synthétiser les faits, en ne relevant que les éléments essentiels pour la compréhension du problème de droit. Il est préférable de les présenter dans l'ordre chronologique, même s'ils n'apparaissent pas ainsi dans la décision. Vous pouvez, dès cette phase, commencer à qualifier juridiquement les protagonistes (préférez, par exemple, le « bailleur et « le locataire » à « M. Tancrède » et « la société Leo », dans l’hypothèse d’un contentieux contractuel locatif…) ;

Résumer la procédure. Faites attention à la rigueur et la précision du vocabulaire employé (par exemple : « interjeter appel », « se pourvoir en cassation »….).Toute maladresse pourrait être mal interprétée lors des épreuves d’examen d’entrée au Barreau ;

Relever les termes juridiques et, s'ils vous paraissent importants, donnez pour chacun d'eux une définition et une explication par rapport à l'arrêt. C'est ce qui vous permettra par d’alimenter votre commentaire ;

Vous efforcer de comprendre, fut-ce en première approche à ce stade, le problème juridique soumis à

l’examen de la juridiction saisie ;

Déterminer l’attendu essentiel : il s’agit de l’attendu dans lequel les juges énoncent les principes juridiques qui déterminent la solution du litige.

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QUELQUES « FONDAMENTAUX » DE VOCABULAIRE ET DE TECHNIQUE JUDICIAIRES

INDISPENSABLES A LA LECTURE D’UNE DECISION DE LA COUR DE CASSATION

Les termes, principes et notions ci-dessous évoqués se doivent d’être connues pour

l’appréhension d’une décision de la Cour de cassation. Leur ignorance pourrait causer de sérieux

problèmes de compréhension de la décision.

La Cour de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction mais le juge de la bonne application des règles de droit par les juges du fond. La Cour de cassation rend des arrêts du même nom (« arrêts de cassation ») et des arrêts de rejet. L’arrêt de cassation porte l’admission du pourvoi en cassation ; l’arrêt de rejet porte la mise à l’écart du pourvoi.

Dans un arrêt de rejet, on trouve :

la décision des juges du fond (ils ont jugé telle chose pour telle raison) ;

les arguments de l'auteur du pourvoi ;

le rejet du pourvoi, avec éventuellement, mais rarement, un motif, notamment lorsqu'il y a une

substitution de motifs (« substitution de motifs » : la Cour de cassation rejette le pourvoi, mais désapprouve les motifs retenus par la Cour d'appel. Elle justifie la décision attaquée en substituant à un motif inexact un motif de droit qui n'avait pas été explicitement invoqué par les parties).

Lorsque les Hauts magistrats approuvent le raisonnement de la Cour d'appel en affirmant que celle-ci a jugé « à bon droit », ils entendent faire savoir que le motif retenu est parfaitement bien fondé. Cette formule est assez fréquemment analysée comme révélant un arrêt de principe.

Dans un arrêt de cassation, figurent :

la décision des juges du fond (en substance) ;

la décision de cassation ;

les motifs de la cassation mais pas, ou très rarement, les moyens du pourvoi.

Les principaux cas d'ouverture à cassation doivent être connus :

La Cour de cassation peut considérer que les textes – ou les principes généraux du droit – ont

été mal appliqués, mal interprétés ou mal choisis par la Cour d'appel. Il y a alors « violation de la

loi ». La portée de ce type d’arrêt est souvent considérable.

Plus subtilement, il peut être reproché à la Cour d'appel d'avoir appliqué le bon texte, de l'avoir

bien interprété, mais cela en prenant appui sur des faits insuffisamment caractérisés : on vise

alors le « manque » ou « défaut de base légale ». Pour apprécier la portée de l'arrêt, il faut donc faire état du texte qui a été choisi– et partir du principe qu'il a été bien choisi – puis comprendre quelles sont les conditions d'application du texte qui, dans l'affaire, n'ont pas été suffisamment respectées.

Le défaut de réponse à conclusions correspond, quant à lui, à l'hypothèse suivante : un plaideur invoquait certains points devant les juges du fond qui n’y ont pas répondu, alors même qu’ils se trouvent obligés de répondre à tous les arguments soulevés dans les conclusions. Le défaut de réponse à conclusions justifie la censure de la Cour de cassation mais ce type d’arrêt de cassation, est sur le fond, bien peu significatif, à tel point qu’on vous ne les rencontrerez que très rarement dans le cadre de cet examen.

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La Cour de cassation peut encore considérer que le problème ne relève pas de son office : il s'agit

d'une question de fait qui relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Ce refus de contrôle devra être mis en exergue et explicité. Tous les arrêts de cassation comportent un visa, à savoir une référence à la règle de droit (texte ou, parfois, principe général non textuel) dont l’application défectueuse justifie la censure.

L’étendue de la cassation, quel que soit le cas d’ouverture retenu, peur varier : dans l’hypothèse

d’une cassation totale, la Cour de cassation annule entièrement l'arrêt de la Cour d'appel ; dans

celle d’une cassation partielle, la Cour de cassation approuve la décision sur certains points et la censure sur d’autres.

L’on relèvera, in fine, que tous les arrêts importants de la Cour de cassation comportent un

attendu de principe, car la Cour de cassation juge la conformité de la décision déférée à la loi : il

faut donc rappeler la loi avant de sanctionner son application (arrêt de cassation) ou de maintenir

la décision des juges du fond (arrêt de rejet). Cet attendu a pour objet d'énoncer, de manière

abstraite et concise, la règle de droit qui a pu être violée ou respectée par la décision attaquée.

Il est rédigé en termes généraux et abstraits ; la Cour de cassation fait état du principe qu'elle va

désormais appliquer. Selon les arrêts, cet attendu de principe est placé en tête (d'où le nom de

« chapeau ») ou au sein de l'arrêt rendu par la Cour de cassation. Les arrêts de cassation ne

contiennent pas nécessairement d'attendu de principe.

En complément des éléments synthétiques qui précèdent, vous lirez avec profit les trois

documents ci-après reproduits :

- un extrait du récent ouvrage de M. FABRE-MAGNAN, Introduction générale au droit, Cours et méthodologie, P.U.F., 2009, portant présentation de la Cour de cassation, de ses arrêts et de

leur technique (document 1) ;

- la très célèbre chronique de J. VOULET, « L’interprétation des arrêts de la Cour de cassation »,

J.C.P., éd. G., 1970, I, 2305, reproduite ci-dessous (document 2) ;

- la fiche méthdologique de Jean-François WEBER, président de chambre à la Cour de cassation,

intitulée « Comprendre un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière civile », parue au

Bulletin d’information de la Cour de cassation en mai 2009 (document 3).

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DOCUMENT 1 : un extrait du récent ouvrage de M. FABRE-MAGNAN, Introduction générale au droit, Cours et méthodologie, P.U.F., 2009

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DOCUMENT 2 : J. VOULET, « L’interprétation des arrêts de la Cour de cassation », J.C.P., éd. G., 1970, I, 2305

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DOCUMENT 3 :

J.-F. WEBER, « Comprendre un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière civile »,

B.I.C.C., 15 mai 2009 r de cassation

Comprendre un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière civile par Jean-François Weber, président de chambre à la Cour de cassation

Depuis la création du Tribunal de cassation en 1790, des générations de conseillers à la Cour de cassation ont affiné une technique de rédaction des arrêts très sophistiquée, dont les principales caractéristiques sont la concision, la précision terminologique et la rigueur logique.

Les progrès de l’informatique permettent désormais de rendre accessible, dans les bases de données, les rapports objectifs du conseiller rapporteur, qui posent la problématique du pourvoi, ainsi que les conclusions des avocats généraux dans les affaires publiées au Bulletin de la Cour. Ensuite, les moyens des pourvois auxquels répondent les arrêts, qui n’étaient publiés que dans les arrêts de rejet car ils font alors partie intégrante de l’arrêt, sont, depuis décembre 2008, accessibles sur Jurinet lorsqu’ils sont annexés à la décision (1) . A travers le développement des sites “intranet” et “internet” de la Cour de cassation, de très nombreux documents relatifs aux arrêts rendus sont désormais accessibles en ligne.

Dans le souci de faciliter encore davantage la lecture et la compréhension des arrêts de la Cour, il est apparu utile de diffuser la présente note méthodologique contenant un certain nombre de précisions techniques sur la rédaction des arrêts, et qui a pour objet d’attirer l’attention des lecteurs sur la spécificité formelle des arrêts de la Cour de cassation. Cette nouvelle fiche, comme la fiche déjà diffusée sous le titre “Interprétation et portée des arrêts de la cour de cassation en matière civile”, a pour ambition de contribuer au dialogue nécessaire entre la Cour de cassation et les juridictions du fond. La version électronique de cette fiche permet d’accéder directement à la plupart des arrêts cités.

Les difficultés de compréhension des arrêts

Les interrogations sur le sens des arrêts de la Cour de cassation

L’interprétation de ses arrêts suscite des questions et parfois des critiques, engendre des faux sens ou des hésitations.

Il est d’abord malaisé pour un justiciable de comprendre que la Cour :

- ne re-juge pas l’affaire, mais juge la conformité de la décision attaquée aux règles de droit (article 604 du code de procédure civile) ;

- n’apprécie pas le fait, mais dit le droit

Les avocats eux-mêmes ne commettent-ils pas parfois le contresens consistant à lire le moyen au lieu de retenir la réponse de la Cour ? Combien d’arrêts sont invoqués, de plus ou moins bonne foi, dans des conclusions, comme des arrêts de principe, alors qu’ils ne sont que des arrêts sans aucune portée normative en raison de l’appréciation souveraine des juges du fond ? La mise en ligne par “Legifrance” de l’intégralité des arrêts a décuplé la fréquence de ce type d’affirmation.

Quant aux interprétations doctrinales, elles font parfois découvrir aux chambres de la Cour des innovations ou des revirements que celles-ci n’avaient ni envisagés ni effectués.

De leur côté, les juges du fond s’interrogent souvent sur le sens d’un arrêt censurant leur décision, sur l’interprétation d’un précédent jurisprudentiel ou sur la portée d’une décision. Ainsi, peut-on se leurrer sur un rejet d’apparence satisfaisant pour le juge du fond, qui constitue en fait un

sauvetage de sa décision, par exemple grâce aux motifs présumés adoptés des premiers juges. Inversement, nous savons bien que sont mal reçues certaines cassations pour défaut de réponse aux conclusions : n’est-ce pas en effet un grief difficile à accepter par le juge d’appel qui s’est trouvé, dans un litige de droit immobilier, devant une douzaine d’intimés, des actions en garantie, des appels incidents ou provoqués, conduisant à de très nombreuses conclusions interminables, enchevêtrées et touffues... ?

Pourtant, tous les magistrats du fond qui viennent en stage à la Cour de cassation se rendent bien compte que, même si le taux de cassation en matière civile est de l’ordre de 30 % des pourvois, les magistrats de la Cour n’éprouvent aucun plaisir à casser un arrêt. Mais, sauf à renoncer à sa mission propre, la Cour ne peut que casser lorsque la loi est claire et que les circonstances de fait souverainement relevées par les juges du fond ne lui laissent aucune marge d’appréciation.

Analyse des difficultés de compréhension des arrêts

Ces difficultés ont, pour l’essentiel, deux sortes de causes relevant :

a) de la logique juridique des arrêts ;

b) de la politique et de la pratique judiciaire.

a) la logique juridique des arrêts

Si les arrêts de la Cour sont d’interprétation délicate, c’est en effet d’abord en raison de la mission de la Cour : aux termes du sous-titre III du titre XVI du livre premier du code de procédure civile, le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire qui tend, selon l’article 604, “à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu’il attaque aux règles de droit”. Ainsi, comme toute décision judiciaire, un arrêt de la Cour de cassation correspond à la formalisation du raisonnement de la Cour qui, partant de circonstances de fait souverainement retenues par les juges du fond, est saisie d’une contestation de la décision des juges du fond au moyen d’un argumentaire juridique. Si elle approuve le raisonnement des juges, elle rejette le pourvoi. Si elle le réfute, elle casse la décision attaquée.

Mais, contrairement à ce qu’elle exige des juges du fond, la Cour de cassation, juge du droit, n’exprime pas la motivation de sa décision, en ce sens qu’elle “dit le droit” sans dire pourquoi elle privilégie telle ou telle interprétation de la loi. Cette absence de “motivation” des arrêts est fréquemment critiquée par la doctrine, et la Cour de cassation n’est pas restée insensible à cette critique. Depuis la condamnation de la France par la Cour européenne de Strasbourg, la Cour de cassation a profondément modifié les conditions d’examen des pourvois, puisque les parties et leurs conseils ont désormais facilement accès, ainsi que tous les magistrats pour les arrêts publiés, au rapport objectif du conseiller rapporteur et à l’avis de l’avocat général (2) . La simple comparaison de ces éléments avec l’arrêt prononcé permet d’appréhender aisément la problématique du pourvoi, les solutions envisageables et les éléments pris en compte par la Cour de cassation dans le choix de la solution. Mais cet effort de transparence ne semble pas devoir aller jusqu’à transformer la nature de la mission de la Cour, qui lui permet de faire évoluer la jurisprudence en fonction des mutations de la société telles que prises en compte par les décisions des juges du fond.

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Le lecteur, ignorant souvent tout de la technique de rédaction d’un arrêt de la Cour de cassation, risque de l’interpréter inexactement. Afin d’éviter de faire dire à un arrêt plus que ce qu’il comporte, il convient de rappeler les limites dans lesquelles la décision de cassation s’insère.

La Cour de cassation n’a aucune possibilité d’auto-saisine d’une affaire, qui reste la chose des parties. Dès lors, le lecteur devra être attentif à trois paramètres qui définiront les limites du champ d’intervention de la Cour :

- les parties : ne peuvent se pourvoir que les parties à la décision critiquée et qui y ont intérêt (article 609 du code de procédure civile) ;

- les griefs : ne seront examinés que les chefs du dispositif de la décision attaquée expressément critiqués par le pourvoi. Les chefs de dispositif non visés par les moyens ne seront pas atteints par une éventuelle cassation, sauf s’ils sont la suite logique et nécessaire d’un chef de dispositif cassé ;

- les moyens : la Cour de cassation ne statuera, selon l’adage classique, que sur “Le moyen, rien que le moyen, mais tout le moyen”, d’où la nécessité de prendre connaissance des moyens présentés pour mesurer la portée d’un arrêt de la Cour. En effet, aux termes de l’article 624 du code de procédure civile, “la censure qui s’attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire”. Si la Cour de cassation, comme elle en a la possibilité, sous réserve du respect du principe de la contradiction (article 1015 du code de procédure civile), relève un moyen d’office ou rejette un pourvoi par substitution d’un motif de pur droit relevé d’office à un motif erroné, cet élément sera nécessairement mentionné dans la décision elle même et donc, le lecteur en sera informé.

Il résulte des limites du champ de la saisine de la Cour de cassation, que contrairement à ce qui est parfois perçu, un arrêt de rejet n’a pas nécessairement pour effet une totale approbation par la Cour de cassation de la décision attaquée. En effet, si les moyens n’ont pas visé certains chefs du dispositif ainsi que les motifs qui les justifient, la Cour n’a pas eu à les analyser ni, par voie de conséquence, à se prononcer sur leur pertinence.

De la même façon, une cassation intervenue sur un moyen contestant, par exemple, la recevabilité d’un appel ne préjuge en rien de la valeur de la démonstration juridique au fond de l’arrêt attaqué. En effet, certains moyens sont nécessairement préalables à l’analyse des moyens de fond, tels que les moyens invoquant la violation du principe de la contradiction (article 16 du code de procédure civile) ou des règles de procédure, comme la validité de l’ordonnance de clôture. Une cassation sur de tels moyens interdit l’examen des autres moyens, sur lesquels la Cour ne se prononce pas.

L’exigence du raisonnement logique impose, comme devant les juridictions du fond, l’examen des moyens dans un certain ordre (recevabilité avant le fond, principe de responsabilité avant l’indemnisation du préjudice, qui est nécessairement préalable à l’examen des moyens portant sur les appels en garantie, etc.). Dès lors qu’un de ces moyen est accueilli, il interdit l’examen des moyens qui, en pure logique, ne portent que sur une conséquence du chef de dispositif cassé. Cette situation s’exprimera par l’indication, juste avant le dispositif de la formule : “Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens...”.

Les moyens sont, en général, décomposés en “branches”, qui correspondent aux différents angles d’attaque que le demandeur au pourvoi a trouvés pour contester le chef de dispositif attaqué par le moyen : ainsi, une condamnation à payer une certaine somme peut être critiquée sur le fondement de la violation de l’article 1382 du code civil (première branche), mais aussi pour manque de base légale au regard de cet article 1382, faute, par exemple, d’avoir caractérisé le lien de causalité entre la faute et le dommage (deuxième branche), pour défaut de réponse

à des conclusions qui contestaient la réalité du dommage (troisième branche), etc. Pour qu’un moyen soit rejeté, il faut que la Cour examine chacune des branches présentées et les rejette toutes. Si la critique d’une branche est fondée, la Cour n’aura pas à statuer sur les autres branches du moyen, sauf s’il est possible d’écarter la branche pertinente en retenant que les motifs critiqués ne sont pas le seul fondement de la décision attaquée, qui peut être sauvée par un autre motif non contesté, ce qui s’exprime par une formule du type : “abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant...”.

Cette logique, inhérente à la décision de cassation, trouve sa traduction dans la construction même des arrêts (cf. infra).

b) Les difficultés tenant à la politique et à la pratique judiciaire du traitement des pourvois

Il est également des causes de difficultés de compréhension du sens et de la portée des arrêts qui tiennent aux choix des parties et de leurs conseils, ainsi qu’à la politique judiciaire au sens large et aux intérêts contradictoires à concilier. On entend fréquemment dire : pourquoi n’y a-t-il pas davantage d’arrêts de principe ?

C’est d’abord parce que les pourvois n’en donnent pas toujours la possibilité, car les moyens dits “disciplinaires” (cf. infra) constituent une majorité des pourvois, et ensuite parce que la rigidité d’un arrêt de principe et l’ampleur, difficile à cerner, de ses conséquences ont, de tout temps, incité la Cour de cassation à la prudence : la sécurité juridique, qui est la première mission de la Cour, conduit à privilégier des évolutions “à petit pas” plutôt que des revirements spectaculaires, dont l’application aux affaires en cours pose de redoutables questions, comme l’a montré le rapport du professeur Molfessis sur les revirements de jurisprudence (Litec 2005). La Cour a néanmoins eu l’occasion de mettre en oeuvre le fruit de ces réflexions dans un arrêt de la deuxième chambre civile du 8 juillet 2004 (Bull. 2004, III, n° 387), puis dans un arrêt d’assemblée plénière (Assemblée plénière, 21 décembre 2006, Bull. 2006, Ass. plén., n° 15).

S’y ajoute le fait que les rejets “d’espèce” dits de “sauvetage”, dénués de véritable portée juridique et dont le nombre a tendance à s’accroître, révèlent l’hésitation et les scrupules de la Cour suprême devant les effets dilatoires et souvent déplorables des cassations de décisions qui, pour être imparfaitement motivées, n’en sont pas moins pertinentes quant à la solution apportée. Comme le disait Mme le doyen Fossereau, “la Cour de Cassation rejette les pourvois deux fois plus qu’elle ne les accueille en cassant et c’est heureux, mais elle rend des arrêts d’espèce plus que de principe et c’est dommage”.

Ensuite, la Cour de cassation est nécessairement amenée à regrouper l’examen de certains pourvois. Comme devant toutes les juridictions, un pourvoi qualifié de “principal” peut entraîner, de la part du défendeur, une réplique sous forme de pourvoi “incident” ou “provoqué” (614 du code de procédure civile). La Cour choisira de répondre à ces différents pourvois et aux différents moyens qu’ils comportent dans un ordre procédant de la simple logique juridique (3) . Il existe également des cas de connexité qui conduisent la Cour à joindre des pourvois et à répondre par un seul arrêt lorsque la même décision est frappée de différents pourvois par des parties différentes (4) . Mais il est également possible que certains moyens visent un arrêt avant dire droit et d’autres l’arrêt au fond, ou que certains moyens critiquent un arrêt ayant fait l’objet d’un arrêt rectificatif, lui-même critiqué (5) . Dans ces cas, la Cour ne rendra qu’un seul arrêt.

Par ailleurs, la Cour de cassation, par la force des choses, est composée de plusieurs chambres, et il ne peut être recouru à tout instant aux chambres mixtes. Or, les chambres gardent une certaine autonomie compte tenu de leur spécialisation, ce qui a justifié, ces dernières années, la mise en place de procédures internes pour limiter autant qu’il est possible les divergences de jurisprudence entre les chambres. Néanmoins, lorsque plusieurs chambres sont conduites à traiter de la

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même question, il est assez fréquent que le mécanisme de consultation officielle de l’autre chambre soit mis en oeuvre conformément aux dispositions de l’article 1015-1 du code de procédure civile. Dans ce cas, l’indication de la consultation figure en tête de la réponse de la Cour et donne au lecteur la certitude de l’accord des chambres sur la doctrine ainsi exprimée, qui devient ainsi celle de la Cour toute entière (2e Civ., 14 février 2008, Bull. 2008, II, n° 36).

Certaines dispositions purement matérielles, qui paraissent une évidence pour les praticiens de la cassation, doivent être explicitées, telles que l’indication, en haut et à droite, sur la minute de chaque arrêt, de son mode de diffusion. Pour identifier le type de publication qui est décidé au terme du délibéré des chambres et qui correspond à l’importance que la chambre accorde à la décision qu’elle vient d’arrêter, les arrêts mentionnent des lettres suivantes dont il faut connaître la signification :

D = diffusion sur la base de la Cour, mais sans publication. Ce sont les arrêts qui, pour les chambres, n’apportent rien à la doctrine de la Cour de cassation. Ils sont fréquemment qualifiés “d’arrêts d’espèce”, même si une telle analyse n’a guère sa place pour un arrêt de la Cour, qui ne répond qu’à des moyens de droit ;

B = publication au Bulletin d’information de la Cour de cassation (BICC, diffusé tous les quinze jours à tous les magistrats), comportant le sommaire des arrêts qui seront publiés, et dont la Cour estime nécessaire de porter rapidement la solution à la connaissance des magistrats du fond. Le sommaire des arrêts est élaboré au sein de la chambre qui a rendu la décision et tend à dégager ce qu’apporte l’arrêt à la doctrine de la Cour. Le lecteur avisé ne doit en aucun cas se contenter de la lecture du sommaire, dont la concision peut conduire à des interprétations erronées, mais doit absolument se reporter à l’arrêt lui-même, connaissance prise des moyens auxquels il est répondu ;

P = publication au Bulletin de la Cour de cassation, édité désormais uniquement en version numérique. Ce sont les arrêts qui ont une portée doctrinale, soit par la nouveauté de la solution, soit par une évolution de l’interprétation d’un texte au regard de la jurisprudence antérieure, soit enfin parce que la Cour n’a pas publié cette solution depuis longtemps (une dizaine d’années) et qu’elle entend manifester la constance de sa position ;

I = diffusé sur le site internet de la Cour de cassation : il s’agit des arrêts qui, de l’avis de la chambre, présentent un intérêt pour le grand public, parce qu’il s’agit d’une question de société ou parce que la solution a des incidences pratique évidentes pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Ils sont parfois assortis d’un communiqué qui en précise la portée ;

R = ce sont les arrêts dont la portée doctrinale est la plus forte. Ils sont analysés au rapport annuel de la Cour de cassation, qui permet l’actualisation, en léger différé, de l’essentiel de l’évolution de la jurisprudence de la Cour.

Ces indications relatives au niveau de publication des arrêts se retrouvent sur Jurinet en tête des décisions, à l’exception de l’indication de la mise sur internet. Les arrêts publiés au Bulletin disposent d’un sommaire édité en italiques avant l’arrêt, et la publication au rapport annuel est indiquée avec un lien direct avec ce rapport quand il est imprimé.

Comprendre la nature du contrôle exercé par la Cour de cassation

Il résulte des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l’organisation judiciaire que la mission essentielle de la Cour de cassation est d’assurer l’unité de l’interprétation de la loi sur tout le territoire de la République sans connaître le fond des affaires, afin d’assurer l’égalité des citoyens devant la loi. La distinction du fait et du droit apparaît a prioricomme une évidence, comme un principe simple : la Cour de cassation contrôle l’application uniforme du droit et laisse aux juges du fond l’analyse des

faits. Cette distinction est plus complexe qu’il n’y paraît, et la lecture attentive des arrêts permet de comprendre l’importance et les modalités de ce contrôle qui détermine la liberté d’action des juges du fond.

La problématique du contrôle

Sur le principe du contrôle, certains soutiennent que la Cour ne pourrait pas exercer un contrôle nuancé : elle devrait contrôler toutes les notions juridiques, mais ne pourrait pas contrôler ce qui touche aux faits souverainement appréciés par les juges du fond. Les tenants de cette position considèrent que l’on doit apprécier un contrôle à son effet (la cassation) et non à sa forme ou à son expression. Ils contestent donc le principe même d’un contrôle modulé. D’autres tentent de distinguer le contrôle de forme (de procédure) du contrôle logique (vice de motivation y compris la dénaturation), du contrôle normatif (qui porte sur ce qui a été décidé au fond). Cette distinction séduisante ne semble pas pertinente puisqu’il n’y a pas de hiérarchie entre les lois de procédure et celles de fond. Les moyens dits “disciplinaires”, aussi irritants soient-ils, relèvent du contrôle de la Cour de cassation au même titre que les moyens portant sur le fond du droit. La seule différence est que les contrôles de forme ou de motivation sont tous de même intensité, alors que le contrôle normatif est le seul qui puisse revêtir un niveau d’intensité variable.

Cette question du contrôle est particulièrement complexe et constitue un sujet d’incertitudes que seule la connaissance des arrêts les plus récents de la Cour de cassation permet de lever. En effet, le niveau de ces contrôle n’est pas constant même si, sur le plan théorique, la Cour de cassation est consciente que trop contrôler pervertirait sa mission. Lorsque l’on entre dans la réalité des pourvois, il apparaît parfois difficile de s’en remettre à l’appréciation souveraine des juges du fond, sous peine de renoncer au rôle unificateur d’interprétation du droit de la Cour de cassation. Or, au fil du temps, la doctrine de la Cour de cassation peut évoluer : ainsi lors de la promulgation d’un nouveau texte, la tentation existe d’en contrôler strictement les conditions d’application, pour ensuite relâcher le contrôle.

Une intervention de l’assemblée plénière peut modifier la nature du contrôle : ainsi, la contestation sérieuse en matière de référé, dont le contrôle, abandonné par la première chambre civile le 4 octobre 2000 (Bull. 2000, I, n° 239), a été rétabli par l’assemblée plénière le 16 novembre 2001 (Bull. 2001, Ass. plén., n° 13), au motif précisément que “en statuant par ces motifs, qui ne mettent pas la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur l’existence d’une obligation non sérieusement contestable, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision”.

Suivant les matières et les chambres, la même notion peut être contrôlée ou non : ainsi en est-il de la faute qui, en matière de divorce, n’est pas contrôlée, mais qui fait l’objet d’un contrôle léger dans les autres contentieux. L’analyse d’une chambre peut également varier dans le temps : si la chambre sociale a longtemps considéré que le harcèlement était souverainement apprécié par les juges du fond (Soc., 23 mai 2007, Bull. 2007, V, n° 85) (6) , plusieurs arrêts du 24 septembre 2008, dans le souci d’harmoniser les solutions souvent disparates des juges du fond, ont instauré un contrôle de qualification de cette notion (Soc., 24 septembre 2008, Bull. 2008, V, n° 175) : “Qu’en se déterminant ainsi, sans tenir compte de l’ensemble des éléments établis par la salariée, la cour d’appel n’a pas mis la Cour de cassation en mesure d’exercer son contrôle sur le point de savoir si les faits établis n’étaient pas de nature à faire présumer un harcèlement moral au sens des textes susvisés”.

Les différents types de contrôle

Les praticiens de la Cour de cassation (magistrats et avocats aux Conseils) distinguent classiquement le contrôle normatif, le contrôle de motivation et le contrôle appelé par commodité “disciplinaire”, qui tend à

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une véritable égalité des citoyens devant la justice en faisant assurer un contrôle de qualité des décision judiciaires par la Cour de cassation.

1°) Le contrôle normatif

Le contrôle normatif, ou contrôle de fond, présente quatre niveaux :

- L’absence de contrôle lorsque le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire : le juge n’a même pas besoin de motiver sa décision ; par exemple, en application de l’article1244-1 code civil pour refuser d’accorder des délais de paiement, pour refuser de modérer une clause pénale (1152 du code civil), pour refuser une demande de sursis à statuer, pour fixer la charge des dépens ou le montant des frais non compris dans les dépens. Dans ces cas, les arrêts mentionnent que le juge n’a fait qu’user de son pouvoir discrétionnaire (Com., 16 septembre 2008, pourvois n° 07-11.803 et 07-12.160, et 1re Civ., 11 février 2009, pourvoi n° 08-11.337) ;

- Le contrôle restreint à l’existence d’une motivation, compte tenu du pouvoir souverain des juges du fond : le juge du fond, dès lors qu’il motive, apprécie la réalité des faits, et ces faits s’imposent à la Cour de cassation : par exemple, l’évaluation du préjudice et des modalités de sa réparation. Les arrêts font fréquemment référence au pouvoir souverain des juges du fond ou à leur appréciation souveraine des éléments de fait (2e Civ., 19 février 2009, pourvoi n° 07-19.340 : “... c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des faits qui lui étaient soumis que la cour d’appel a décidé que son attitude était constitutive d’un abus de droit”) ;

- le contrôle léger : c’est un contrôle de légalité qui intervient lorsque la cour d’appel a tiré une conséquence juridique de ses constatations de fait qui était possible mais qui aurait pu être différente sans pour autant encourir la critique, et ce contrôle léger s’exprime par une réponse au rejet selon laquelle le juge du fond “a pu...” statuer comme il l’a fait (Com., 17 février 2009, pourvoi n° 07-20.458 : “que la cour d’appel a pu en déduire que ce comportement était fautif et devait entraîner pour M. X... décharge à concurrence de la valeur des droits pouvant lui être transmis par voie de subrogation ; que le moyen n’est pas fondé”) ;

- le contrôle lourd : il intervient lorsque la cour d’appel ne pouvait, à partir de ses constatations de fait, qu’aboutir à la solution retenue, sous peine de voir son arrêt cassé pour violation de la loi : les arrêts de rejet utilisent alors des expression très fortes, telles que “exactement”, “à bon droit”, lorsque le juge a énoncé pertinemment une règle (2e Civ., 19 février 2009, pourvoi n° 08-11.888 : “Mais attendu que l’arrêt retient à bon droit que ni l’indépendance du service du contrôle médical vis-à-vis de la caisse ni les réserves émises par celle-ci sur le respect du secret médical ne peuvent exonérer les parties à la procédure du respect des principes d’un procès équitable”). Le mot “justement” est utilisé de préférence lorsque le juge a correctement tiré les conséquences d’un texte (1re Civ., 11 février 2009, pourvoi n° 07-16.993).

2°) Le contrôle normatif de motivation : le manque de base légale

Le deuxième type de contrôle est à la fois normatif et pédagogique, et s’exprime dans les cassations pour manque de base légale : dans ce cas, il est fait reproche aux juges du fond de n’avoir pas caractérisé tous les éléments permettant à la Cour de cassation d’exercer son contrôle normatif. Un exemple classique est pris des éléments de la responsabilité civile (faute, dommage et lien de causalité), qui doivent être caractérisés, faute de quoi la décision n’aura pas la base légale qui est contrôlée par la Cour de cassation. Dans une telle hypothèse, la décision est peut-être excellente mais la motivation est insuffisante, en ce qu’elle fait l’impasse sur des faits qui sont indispensables à l’application de la règle de droit. C’est en ce sens que les cassations pour manque de base légale ont une vocation pédagogique pour tous les juges, et la cour d’appel de renvoi pourra reprendre la même solution dès lors qu’elle la motivera correctement. Ceci explique qu’il ne peut y avoir de rébellion d’une cour de renvoi après une cassation pour manque de base légale.

3°) Le contrôle dit “disciplinaire”

En dehors des contrôles qualifiés de normatifs, il existe également ce que la pratique appelle improprement le contrôle “disciplinaire”. Les moyens disciplinaires sont ceux qui n’ont d’autre but que de faire censurer la décision attaquée pour un vice de motivation, fréquemment au visa des articles 455 et 458 du code de procédure civile et, souvent, pour défaut de réponse à conclusions. Certaines de ces critiques formelles dérivent de la méconnaissance des principes fondamentaux de la procédure, tels que la détermination de l’objet du litige, le respect des droits de la défense et du principe de la contradiction, la publicité des audiences, la communication des causes au ministère public, la composition des juridictions ou la signature de la minute. Dans tous ces cas, la Cour de cassation ne censure pas les juges du fond pour avoir mal jugé en leur dispositif, mais elle censure la décision pour sa méconnaissance des formes ou de la méthodologie légales. La conséquence d’une cassation “disciplinaire” est que la juridiction de renvoi pourra reprendre à son compte la même solution, mais après avoir complété, amélioré ou modifié la motivation, ou après s’être conformée aux formalités requises.

De la même façon, le grief de dénaturation est généralement considéré comme un grief disciplinaire, puisqu’il soutient que le juge a fait dire à un écrit clair autre chose que ce qu’il dit. La dénaturation d’un écrit ne sera sanctionnée par une cassation que si l’écrit est clair, car s’il est ambigu, il appartient alors aux juges du fond de l’interpréter souverainement (3e Civ., 11 février 2009, pourvoi n° 07-19.211 : “Mais attendu que c’est par une interprétation souveraine, exclusive de dénaturation, que l’ambiguïté des termes de la clause dite "réserve du privilège du vendeur et de l’action résolutoire" rendait nécessaire, que la cour d’appel a retenu que l’exception d’irrecevabilité présentée par Mme X... devait être rejetée”).

Il convient d’attirer l’attention du lecteur sur la différence essentielle entre le manque de base légale, qui sanctionne une insuffisance de motivation touchant au fond du droit et le “défaut de motifs”, qui sanctionne une absence de motivation (7) et qui trouve sa source non seulement dans des dispositions très claires du droit interne, mais aussi de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’interprétation qu’en a donné la Cour européenne de Strasbourg(8) . Si un chef de dispositif de la décision attaquée n’est pas fondé sur un motif de la décision qui le justifie ou un motif adopté de la décision des premiers juges qui est confirmée, la cassation interviendra pour violation de l’article 455 (et éventuellement 458) du code de procédure civile, qui impose la motivation des jugements. Pour qu’il y ait un manque de base légale, il faut que la décision soit motivée, mais que les motifs soient insuffisants pour la justifier en droit. La différence entre ces deux cas d’ouverture à cassation n’est donc pas une différence de degré mais une différence de nature, car le défaut de motifs est un vice de forme de l’arrêt, alors que le manque de base légale est un vice de fond.

A la lumière de cette analyse des trois types de contrôles exercés par la Cour de cassation, quelques exemples permettent de comprendre comment la Cour contrôle les décisions des juges du fond, mais évidemment dans la limite des moyens présentés par les parties :

- Les faits sont toujours souverainement appréciés par le juge du fond, qui doit seulement motiver sa décision (2e Civ., 5 mars 2009, pourvoi n° 06-20 994). Toutefois, le respect des règles de preuve de ces faits, et notamment de la charge de la preuve, est évidemment contrôlé, car il s’agit d’une question de droit (1re Civ., 3 décembre 2008, pourvoi n° 08-10.718). Les motivations portant sur un état psychologique, ou sur une appréciation quantitative non réglementée telles que l’occupation insuffisante d’un local, le montant d’une provision, la valeur d’une exploitation agricole, la part contributive d’un époux aux charges du mariage, ne sont pas contrôlés ;

- La qualification des faits est en principe contrôlée, car elle correspond à la mission essentielle du juge du fond. Mais ce principe est tempéré lorsque certaines qualifications sont très imprégnées de fait et qu’un contrôle, même léger, serait inopportun : si la faute fait en principe l’objet

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d’un contrôle léger (9) , elle est souverainement appréciée par les juges du fond en matière de divorce, car, dans cette matière très sensible, la Cour préfère laisser les juges du fond apprécier souverainement la faute des conjoints. L’aléa en matière d’assurance n’est plus contrôlé depuis un arrêt de la première chambre civile du 20 juin 2000 (Bull. 2000, I, n° 189). Le trouble manifestement illicite, en matière de référé, fait, au contraire, l’objet d’un contrôle léger, à la suite d’un arrêt d’assemblée plénière du 28 juin 2000 (Bull. 2000, Ass. plén., n° 6) qui est revenu sur les décisions de l’assemblée plénière du 4 juillet 1986 (Bull. 1986, Ass. plén., n° 11) (10) et celles, postérieures, de la deuxième chambre civile, qui privilégiaient la notion de trouble (question de pur fait) sur le “manifestement illicite” (question de droit mais qui doit être évidente : 2e Civ., 25 octobre 1995, Bull. 1995, II, n° 255).

- Les conséquences juridiques de la qualification des faits retenus sont toujours contrôlées.

A titre d’exemple, un arrêt de la troisième chambre civile du 13 juillet 2005 (Bull. 2005, III, n° 155) montre la diversité des contrôles auxquels peut procéder la Cour et la richesse des enseignements que l’on peut tirer d’un arrêt de la Cour lorsque l’on prend soin de l’analyser :

On y trouve successivement :

1°) un contrôle normatif sur l’article 606 du code civil ;

2°) une appréciation souveraine de certains faits, et 3°) un contrôle lourd sur le raisonnement de la cour d’appel compte tenu de la pertinence des prémisses : “Mais attendu qu’ayant relevé,(1) à bon droit, qu’au sens de l’article 606 du Code civil, les réparations d’entretien sont celles qui sont utiles au maintien permanent en bon état de l’immeuble tandis que les grosses réparations intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale, et (2)souverainement retenu, par motifs propres et adoptés, que les désordres étaient dus à des dispositions constructives inadéquates et que les travaux de remise en état de l’immeuble après les inondations, les travaux qui tendaient à empêcher ou à limiter le risque d’inondation, les travaux de mise en conformité de toitures et de réfection de l’installation électrique, la reprise de la fuite d’eau en cave, la réparation d’une canalisation détruite par le gel en raison d’un manque de calorifugeage et la remise en état de la couverture de l’appentis concernaient la structure et la préservation de l’immeuble, la cour d’appel (3) en a exactement déduit que ces travaux étaient imputables au propriétaire dès lors que le contrat de bail mettait à la charge du locataire les réparations locatives ou d’entretien, à l’exception des grosses réparations visées par l’article 606 du Code civil ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé”.

La claire perception par les juges du fond de la nature du contrôle tel qu’exercé actuellement par la Cour de cassation semblerait de nature à permettre d’éviter, grâce à une motivation adéquate, des cassations inutiles.

La formulation du contrôle dans les arrêts de la Cour de cassation

Les précisions qui suivent ont pour objet de faciliter la compréhension des subtilités terminologiques habituellement appliquées par les chambres civiles de la Cour de cassation, même s’il peut exister des décisions qui s’en écartent.

1°) Dans les arrêts de rejet :

Au regard des motifs de la décision attaquée, le terme :

- “a énoncé...” implique la reproduction exacte des termes de la décision attaquée et n’apporte aucune précision sur le contrôle ;

- “a constaté...” correspond à une appréciation souveraine des faits par les juges du fond : l’indication de l’absence de contrôle des faits procède de l’usage même de ce mot : un constat est nécessairement du fait ; - “a relevé...” porte plutôt sur des considérations et circonstances de fait ; - “a retenu...” correspond plutôt à une appréciation de fait ayant une incidence d’ordre juridique.

Mais, dans la rédaction, l’un de ces deux derniers verbes (relevé et retenu) est parfois utilisé d’une façon moins précise afin d’éviter une répétition. Cependant, ces verbes relevé, retenu, jugé ou décidé ne déterminent pas, par eux-même, la nature du contrôle exercé par la Cour de cassation ; en effet, ils peuvent correspondre :

- soit à une appréciation souveraine des juges du fond. Ils sont alors fréquemment précédés de l’indication “a souverainement relevé...”, “ a souverainement retenu....”,“a souverainement décidé....”, et la seule mention “a relevé”, “a retenu”, “a décidé” sous entend une absence de contrôle, puisque cette formulation ne contient aucune critique et implique la souveraineté des juges du fond.

- soit à l’expression d’un contrôle qui est alors indiqué de la façon suivante :

- Contrôle léger : a pu retenir... a pu en déduire... a pu décider que... ; - Contrôle lourd : a exactement retenu... en a exactement déduit... ou a retenu à bon droit... en a déduit à bon droit... a décidé à bon droit...

2°) Dans les arrêts de cassation :

Par hypothèse, si une cassation est prononcée, c’est que l’arrêt attaqué présentait un vice faisant l’objet d’un moyen pertinent, sur une question qui fait l’objet d’un contrôle de la Cour de cassation. L’expression de ce contrôle se trouvera dans ce que l’on appelle le “conclusif” de l’arrêt, c’est-à-dire dans le dernier alinéa de l’arrêt, qui exprime la doctrine de la Cour de cassation et qui débute par “qu’en statuant ainsi...” pour la violation de la loi ou par “qu’en se déterminant ainsi...” pour le manque de base légale.

Le contrôle normatif pour violation de la loi se concrétise à la fin du conclusif par l’expression “la cour d’appel a violé le texte susvisé” (assemblée plénière, 13 mars 2009, pourvoi n° 08-16.033, en cours de publication). Le contrôle de motivation normatif et pédagogique s’exprime par la formule “la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision”(chambre mixte, 20 juin 2003, Bull. 2003, Ch. mixte, n° 4). Le contrôle disciplinaire, lorsqu’il correspond à une violation d’un texte, s’exprime comme le contrôle normatif, puisqu’un texte s’imposant au juge a été violé. Lorsqu’il s’agit de la violation des articles 455 et 458 du code de procédure civile qui exigent que le juge motive sa décision, le conclusif se termine, en général, par la formule : “qu’en statuant ainsi, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé”(3e Civ., 26 novembre 2008, Bull. 2008, III, n° 188).

Comment sont construits les arrêts de la Cour de cassation ?

Pour lire aisément les arrêts de la Cour de cassation, il convient de connaître leur structure, qui est fondée sur un syllogisme rigoureux.

Structure d’un arrêt de rejet

Le syllogisme d’un arrêt de rejet se présente ainsi :

- chef de dispositif de la décision attaquée critiqué ; - moyens exposant les raisons juridiques de la critique ; - réfutation par la Cour de cassation de ces critiques.

Il existe deux principaux types d’arrêts de rejet du pourvoi :

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1°) Les arrêts dits “en formule développée” sont les arrêts de rejet, tels qu’ils sont publiés au Bulletin, qui ont suscité un débat à la chambre et qui apportent quelque chose à la doctrine de la Cour de cassation. Ils comportent un exposé des faits, la reproduction des moyens et la réponse de la Cour de cassation conduisant au rejet du pourvoi.

- L’exposé des faits ne contient que les éléments résultant de l’arrêt attaqué et, éventuellement, du jugement, s’il est confirmé. C’est la raison pour laquelle l’exposé des faits est introduit par l’expression : “Attendu, selon l’arrêt attaqué...”, pour bien marquer que cette analyse des faits n’est pas celle de la Cour de cassation, dont ce n’est pas la mission, mais celle des juges du fond. Sont éliminés de cet exposé tous les éléments factuels qui ne seraient pas nécessaires à la compréhension des moyens et de la réponse de la Cour de cassation. Les juges du fond ne doivent donc pas s’étonner de ne pas retrouver dans l’arrêt de la Cour de cassation tous les faits du procès qu’ils ont eu à juger. Il se termine souvent par l’indication de l’objet de l’assignation et de la situation procédurale des parties.

- L’arrêt se poursuit par l’indication du chef de dispositif attaqué par le moyen : il n’est pas nécessairement intégralement reproduit et est souvent simplement mentionné par une formulation du genre : “M. X... fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande (ou d’accueillir la demande de M. Y...)”, dès lors que la fin de l’exposé des faits a précisé la situation des parties (11) .

- Une fois le grief précisé, le moyen est introduit par la formule : “alors, selon le moyen, que...”. C’est le moyen tel que formulé par l’avocat aux Conseils qui est reproduit en caractères typographiques italiques sur la minute de l’arrêt et sur la publication au Bulletin, chaque branche étant numérotée. S’agissant du texte établi par le conseil d’une partie, il n’appartient pas à la Cour de cassation de le modifier, quelles que soient ses éventuelles imperfections.

- La réponse au rejet de la Cour de cassation s’exprime, en principe, par une seule phrase puisqu’elle est la réponse à un moyen qui vient d’être reproduit, et est introduite par “Mais attendu...”, dès lors que l’argumentation du moyen est réfutée grâce aux motifs pertinents repris de la décision attaquée. En effet, sauf les cas rares où la Cour substitue un motif de pur droit aux motifs de la cour d’appel (article 620 du code de procédure civile), la Cour de cassation doit trouver dans les motifs de la décision attaquée, ou, si l’arrêt est confirmatif, dans les motifs présumés adoptés des premiers juges, les éléments nécessaires à la réfutation de toutes les branches du moyen (12) . La doctrine de la Cour de cassation, qui s’exprime par la reprise formelle des motifs des juges du fond, montre bien l’importance majeure de la motivation juridique des décisions des juges du fond, qu’ils soient du second degré ou du premier, validés à la suite d’une confirmation du jugement en appel. Cette observation est d’autant plus importante que la Cour veille à ne pas réécrire les décisions attaquées, dont la précision terminologique, voire grammaticale, laisse parfois à désirer, ce qui est imputé ensuite, bien à tort, à la Cour de cassation. Lorsque l’arrêt attaqué comporte un mot impropre que la Cour de cassation évite d’utiliser, le mot est mis entre guillemets afin de bien marquer ses réserves sur cette expression impropre (par exemple : “compromis de vente” au lieu de promesse de vente (13). Il appartient au lecteur avisé de tirer, pour l’avenir, les conséquences de cette invitation discrète à veiller à la précision terminologique.

Afin d’éviter de trop alourdir le style mais dans le souci d’écarter chaque branche du moyen, la réponse contient de nombreuses incidentes telles que : “sans dénaturation”, “sans violer l’autorité de la chose jugée”, “abstraction faite d’un motif erroné mais surabondant”, “répondant aux conclusions”, “sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes”, etc. C’est pourquoi, pour bien comprendre l’intégralité d’une réponse au rejet, il convient de confronter chaque élément de la réponse avec les branches du moyen et les motifs contestés de l’arrêt. Cependant, ainsi que nous l’avons vu, l’essentiel et l’intérêt d’une réponse au rejet ne réside évidemment pas dans ces incidentes, mais dans la partie de la réponse dans laquelle la Cour reprend

les motifs de la décision attaquée, en les assortissant de l’indication du contrôle qu’elle entend exercer.

Si la Cour de cassation entend matérialiser l’importance doctrinale d’un arrêt de rejet, elle introduira dans sa réponse ce que la pratique appelle “un chapeau intérieur”. Ce chapeau intérieur correspond à la formulation abstraite d’une interprétation prétorienne de la règle de droit et est le pendant, pour un arrêt de rejet, du conclusif d’un arrêt de cassation pour violation de la loi. Ce chapeau intérieur est placé en tête de la réponse de la Cour. Il est suivi immédiatement de la constatation que la décision attaquée a fait une correcte application du principe ainsi énoncé (chambre mixte, 28 novembre 2008, Bull. 2008, Ch. mixte, n° 3). Lorsque l’assemblée plénière, réunie à la suite d’une rébellion d’une cour d’appel de renvoi, revient sur la doctrine de la Cour de cassation et adopte la position de la seconde cour d’appel, elle rejette fréquemment le pourvoi en formulant la nouvelle doctrine de la Cour sous forme d’un chapeau intérieur (assemblée plénière, 9 mai 2008, Bull. 2008, Ass. plén., n° 3).

2°) Les autres arrêts de rejet n’ont aucune portée normative et sont le plus souvent examinés par une formation à trois magistrats dès lors que “la solution s’impose”, conformément aux dispositions de l’article L. 431-1 du code de l’organisation judiciaire. Un tel arrêt, habituellement qualifié “d’arrêt rédigé en formule abrégée”, ne contient pas d’exposé des faits et ne reproduit pas les moyens. Il se contente de formuler la réponse de la Cour de cassation et les moyens sont simplement annexés à la décision. Les seules conséquences qui peuvent être tirées de ce type d’arrêt sont soit que l’arrêt attaqué était conforme à la doctrine de la Cour, soit que les moyens n’étaient pas efficaces, comme contestant une appréciation souveraine des juges du fond. Il faut préciser ici que lorsque la Cour répond qu’un moyen “manque en fait”, cette expression signifie simplement que le moyen fait dire à l’arrêt qu’il attaque autre chose que ce qu’il contient : c’est donc le moyen qui, par inadvertance ou délibérément, affirme une inexactitude, qui est sanctionnée par le rejet du moyen (3e Civ., 27 janvier 2009, pourvoi n° 08-11.401).

3°) Enfin, mention doit être faite des décisions de non-admission des pourvois, qui représentent actuellement environ 30 % du volume des affaires civiles. Les décisions de non-admission, qui ne sont pas véritablement des “arrêts” puisqu’elles ne comportent aucune réponse de la Cour si ce n’est le visa de l’article 1014 du code de procédure civile, ont les effets d’un arrêt de rejet, mais sans aucune portée normative. La non-admission peut être fondée sur l’irrecevabilité évidente du pourvoi ou sur l’absence de moyen sérieux de cassation. Une décision de non admission exprime plus la faiblesse des moyens (ou de certains moyens) présentés que la valeur de l’arrêt attaqué (3e Civ., 10 mars 2009, pourvoi n° 07-20.691).

Il va de soi que ces différentes réponses de la Cour de cassation peuvent se combiner en fonction de la pertinence des différents moyens présentés à l’occasion d’un pourvoi.

Structure d’un arrêt de cassation

Le syllogisme d’un arrêt de cassation se présente ainsi :

- La règle est celle-ci (le visa et le chapeau) ; - La juridiction du fond a dit cela ; - En statuant ainsi, elle a violé la règle (le conclusif).

C’est pourquoi un arrêt de cassation se décompose de la façon suivante :

Il débute par le visa “de la règle de droit sur laquelle la cassation est fondée” (article 1020 du code de procédure civile), ce qui s’exprime par un visa du ou des textes en cause, ou, le cas échéant, d’un principe général du droit reconnu par la Cour (14) . Si le texte est codifié, le numéro de l’article est mentionné, suivi du titre du code : ”Vu l’article 1382 du code civil”. Si plusieurs textes sont le support direct de la cassation, ils sont

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reliés par la conjonction de coordination “et” (assemblée plénière, 9 juillet 2004, Bull. 2004, Ass. plén., n° 11). Si un texte est le support direct de la cassation et qu’un autre texte apparaît nécessaire dans la situation particulière, cet autre texte est précédé de l’expression “ensemble” (assemblée plénière, 24 juin 2005, Bull. 2005, Ass. plén., n° 7) :

Après ce visa, est énoncée la règle de droit lui correspondant : c’est le “chapeau”, ainsi appelé parce qu’il coiffe l’arrêt, et qui est, en principe, la reproduction du texte visé. Lorsque le texte est long et complexe, la Cour en fait parfois la synthèse, matérialisée par une formule du genre : “Attendu qu’il résulte de ce texte que ....” ou “Attendu selon ces texte...”. Pour les texte très connus (articles 4, 16 et 455 du code de procédure civile, 1134, 1382, 1384 , 1792 du code civil), l’habitude a été prise de se dispenser du chapeau, ainsi que pour les cassations pour manque de base légale. Les textes introduits dans le visa par le mot “ensemble” ne sont pas reproduits dans le chapeau, qui ne reprend que le texte principal, fondement de la cassation. De nombreux textes comportent des renvois en rendant la compréhension difficile : “ ...visés au troisième alinéa de l’article 5 du chapitre 6 du livre II du code...” ; une telle énumération incompréhensible est alors remplacée par l’objet qu’elle concerne.

L’exposé objectif des seuls faits constants qui sont nécessaires à la compréhension de l’arrêt se situe soit après le chapeau, soit en tête de l’arrêt, lorsqu’il y a plusieurs moyens auxquels il convient de répondre. L’arrêt mentionne ensuite le grief fait à la décision attaquée : “Attendu que, pour accueillir (ou pour rejeter) la demande, l’arrêt retient...” ; suivent les motifs erronés qui fondent la décision et qui, parce qu’ils ne sont pas pertinents, vont conduire à la cassation.

L’arrêt se termine par le “conclusif”, seul texte qui exprime la doctrine de la Cour de cassation, qui boucle le raisonnement en retenant : “qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé” (chambre mixte, 25 octobre 2004, Bull. 2004, Ch. mixte, n° 3), ou “qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision” lorsque la cassation intervient pour manque de base légale (2e Civ., 19 février 2009, pourvoi n° 07-18.039). Afin de faciliter la compréhension de son arrêt, la Cour complète fréquemment le conclusif d’un élément d’explication qui se traduit, pour les cassations pour violation de la loi, par la formule “qu’en statuant ainsi alors que...” (assemblée Plénière, 27 février 2009, pourvoi n°07-19.841, en cours de publication) et, pour les manque de base légale, en indiquant la nature du vice de motivation retenu, tel que “sans rechercher... sans caractériser...”, afin que la cour d’appel de renvoi sache exactement ce qu’elle doit faire et qu’avait omis la première cour d’appel (Com., 10 février 2009, pourvoi n° 07-20.445).

Il arrive parfois que l’interprétation de la règle se trouve dans le chapeau, notamment lorsque le chapeau, étant introduit par une formule du genre “Attendu qu’il résulte de ces textes...”, ne se contente pas de formuler une synthèse neutre des textes mentionnés au visa, mais précise l’interprétation que donne la Cour de cassation de ces textes (1re Civ., 16 avril 2008, Bull. 2008, I, n° 114). Une telle présentation, plus “percutante”, est parfois critiquée comme constituant une anomalie méthodologique, car la Cour de cassation s’érige alors en pseudo-législateur en affirmant d’emblée une interprétation prétorienne, alors que cette affirmation doit, dans un processus judiciaire normal, être le résultat d’un raisonnement déductif.

Le lecteur doit être attentif au visa et au contenu du “chapeau” au regard du conclusif de l’arrêt, car une cassation peut intervenir dans deux hypothèses : soit parce que la cour d’appel a refusé d’appliquer un texte, soit parce qu’elle a appliqué un texte alors qu’il n’était pas applicable.

- Si la cassation correspond à un refus d’application d’un texte, le visa et le chapeau correspondront au texte qui aurait dû être appliqué et qui ne l’a pas été. Le conclusif indiquera, lorsque la formule traditionnelle “qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé” ne suffit pas à la compréhension de la cassation, pourquoi le texte aurait dû être appliqué,

grâce à une incidente introduite par “alors que...” (1re Civ., 18 février 2009, pourvoi n° 07-21.262).

- Si la cassation intervient pour fausse application, le visa et le chapeau correspondront au texte que l’arrêt attaqué a appliqué inexactement, et c’est le conclusif qui permettra de savoir la raison pour laquelle le texte visé n’était pas applicable. Dans ce cas également, le conclusif sera souvent complété d’une précision introduite par “alors que...” (Soc., 3 mars 2009, pourvoi n° 07-44.794).

Autrefois, les arrêts de cassation précisaient fréquemment si la cassation intervenait pour refus d’application ou pour fausse application. Ce type de précision est aujourd’hui plus rare, dans la mesure où il est admis que la nature de la cassation doit se déduire logiquement du rapprochement du visa et du chapeau, avec le conclusif (15) .

Comme dans toutes les décisions judiciaires, le dispositif est introduit par la formule “Par ces motifs”, qui est éventuellement complétée de l’indication destinée à purger sa saisine : “et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres moyens” si la cassation rend sans portée certains moyens qui critiquent des chefs de dispositif dépendant de celui qui est cassé (chambre mixte, 3 février 2006, Bull. 2006, Ch. mixte n° 1).

Si la cassation est totale, elle intervient “en toutes ses dispositions” (chambre mixte, 3 février 2006, Bull. 2006, Ch. mixte n° 1). La cour de renvoi aura alors à re-juger l’intégralité de l’affaire à partir de la décision du premier juge. Si elle est partielle, sa portée est précisée dans le dispositif : deux formules sont possibles : soit “casse , sauf en ce qu’il a ...” (Chambre mixte, 16 décembre 2005, Bull. 2005, Ch. mixte, n° 9) soit “casse mais seulement en ce qu’il a...” (Chambre mixte, 23 novembre 2004, Bull. 2004, Ch. mixte, n° 4, arrêt n° 2). Le choix de la formule sera fonction de ce qui semble le plus clair pour permettre à la cour d’appel de renvoi de déterminer ce qui reste à juger.

Comprendre la portée des arrêts de cassation

- Si la Cour de cassation rejette un pourvoi qui n’a fait l’objet que d’un moyen sur un chef de dispositif, elle n’approuve pas pour autant la solution donnée sur les autres points, puisqu’elle n’en a pas été saisie. C’est pourquoi on trouve parfois dans les arrêts la formule : “qu’ayant retenu par un motif non critiqué...”, ce qui permet de sauver l’arrêt en rejetant ce moyen.

-Si une cassation intervient, c’est que l’arrêt n’est pas justifié par un autre motif, qui permettrait à la Cour de dire que le motif attaqué qui va entraîner cette cassation est “erroné mais surabondant”.

- Si l’arrêt attaqué se contente de “confirmer le jugement”, ce sont les chefs de dispositif du jugement qui servent de base à l’articulation des moyens.

La Cour ne relève que rarement des moyens d’office de pur droit, mais, lorsqu’elle le fait, elle le dit et mentionne qu’elle en a donné avis aux parties, conformément à l’article 1015 du code de procédure civile (Com., 17 février 2009, pourvoi n° 07-17.711).

Donc, si la portée de la cassation semble ambiguë, il faut revenir au dispositif de l’arrêt, et éventuellement du jugement, pour le rapprocher du grief fait à l’arrêt par le ou les moyens sur lesquels la cassation est fondée.

Un gros effort a été fait par les chambres de la Cour pour préciser la portée de la cassation. Mais, pour être efficace, cet effort doit être partagé : en effet, comment être précis dans la portée de la cassation si le dispositif du jugement et celui de l’arrêt sont généraux ou se contentent de débouter le plaideur sans avoir précisé, au préalable, très précisément quelles étaient les demandes qu’il formulait ? Un arrêt d’assemblée

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plénière du 13 mars 2009 (pourvoi n° 08 -60.33, en cours de publication) vient de rappeler que l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans le dispositif, ce qui ne peut qu’inciter les juges du fond à une rédaction précise du dispositif des jugements, dont dépend la détermination de l’étendue de l’autorité de la chose jugée. Néanmoins, la Cour de cassation n’hésite pas à rechercher parfois dans le corps de l’arrêt des réponses distinctes à des chefs de demande correctement articulés mais qui font l’objet d’un dispositif global du type “déboute X... de ses demandes”, afin de limiter l’ampleur de la cassation. Mais il est vrai que, même si la cour de renvoi parvient à cerner les limites de sa saisine, il est souvent difficile d’obtenir des plaideurs et de leurs conseils de se limiter, dans leurs écritures et leurs plaidoiries, à la saisine de la cour de renvoi. Il appartient à la cour d’appel de renvoi, et notamment au conseiller de la mise en état, d’y veiller fermement, et il est tout à fait souhaitable que la cour de renvoi définisse expressément les limites de sa saisine lors de la mise en état, puis dans le texte de l’arrêt.

Portée des cassations totales

Il faut savoir que si la Cour de cassation, fût-ce par erreur, prononce une cassation totale, la cassation est effectivement totale, de sorte qu’il ne subsiste rien de l’arrêt attaqué.

Cette règle importante a été formulée par la deuxième chambre civile dans un arrêt du 25 novembre 1987, Bull. 1987, II, n° 244 : la cassation prononcée d’une décision en toutes ses dispositions “ investit la juridiction de renvoi de la connaissance de l’entier litige, dans tous ses éléments de fait et de droit”. Depuis, la deuxième chambre civile a fermement maintenu cette position, qui a été reprises par l’assemblée plénière le 27 octobre 2006 (Bull. 2006, Ass. plén., n° 13), et ce quel que soit le moyen qui a déterminé la cassation (2e Civ., 21 décembre 2006, Bull. 2006, II, n° 362). Dans cette hypothèse, d’une part, la saisine de la juridiction de renvoi est aussi large que possible, puisqu’aucun des chefs de l’arrêt cassé n’a acquis l’autorité de la chose jugée, alors même que certains moyens auraient été rejetés (1re Civ., 20 juin 1995, Bull. 1995, I, n° 265(16)). Il est en effet parfois nécessaire de rejeter un moyen de procédure qui est préalable (violation de l’article 16 du code de procédure civile par exemple), puis de casser sur une question de fond qui entraînera la cassation totale de l’arrêt. D’autre part, la juridiction de renvoi doit statuer sur tout ce qui lui est demandé. En ne le faisant pas, elle s’exposerait à une nouvelle cassation.

Cette jurisprudence comporte deux inconvénients évidents, l’un théorique, en ce qu’elle méconnaît l’article 624 du code de procédure civile, l’autre pratique, en ce qu’elle prolonge ou complique le procès. Mais elle offre aussi l’avantage considérable d’éliminer toute discussion sur l’étendue de la saisine de la juridiction de renvoi en cas de cassation totale.

Sur les points qu’elle atteint, la cassation replace les parties dans l’état où elles se trouvaient avant l’arrêt cassé. Devant la juridiction de renvoi, l’instruction est reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation. Dès lors, si, par l’effet d’une cassation totale, l’ordonnance de clôture rendue avant l’arrêt cassé a cessé de produire ses effets, les conclusions prises antérieurement n’en subsistent pas moins, de sorte que, l’intimé ayant demandé dans ses écritures que la clôture soit prononcée et que l’affaire soit jugée au vu des conclusions de première instance, la cour d’appel est tenue de juger l’affaire en fait et en droit, sur le vu de ces seules écritures (2e Civ., 20 janvier 2005, Bull. 2005, II, n° 19).

Dès lors qu’une partie comparaît et conclut devant la juridiction de renvoi, celle-ci n’est tenue de répondre qu’aux prétentions et moyens formulés devant elle. Cette règle trouve application même pour la procédure orale (assemblée plénière, 26 octobre 2001, Bull. 2001, Ass. plén., n° 12). Mais à l’inverse, en cas de renvoi après cassation, la partie qui ne comparait pas est réputée s’en tenir aux moyens et prétentions qu’elle avait remis à la juridiction dont la décision a été cassée (2e Civ., 12 décembre 2004, Bull. 2004, II, n° 63).

Portée des cassations partielles

En cas de cassation partielle et si certains chefs de la décision n’ont pas été attaqués, la cassation s’étend néanmoins à ces chefs en cas d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire (article 624 du code de procédure civile : 2e Civ., 26 août 2006, Bull. 2006, II, n° 291). En revanche, dès lors qu’il n’y a pas indivisibilité ou dépendance nécessaire, les chefs non cassés subsistent, même si la cour d’appel avait prononcé une condamnation unique correspondant à des chefs de demande distincts. Le juge de renvoi est donc saisi de l’intégralité du litige, à l’exception des chefs de dispositifs non cassés qui ont acquis l’autorité de la chose jugée. Ainsi, une cour d’appel statuant sur renvoi de cassation, après avoir relevé que la cassation intervenue ne portait que sur le débouté d’une demande relative au dépassement de la quotité disponible, en a exactement déduit que le rejet des demandes d’annulation d’une donation-partage devait être tenu pour irrévocable (1re Civ., 22 février 2000, Bull. 2000, I, n° 52).

Mais la censure est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation. Ainsi, doit être cassé l’arrêt rendu sur renvoi après cassation qui réévalue le montant d’une indemnité d’éviction due au preneur d’un bail commercial, “alors que la cassation était limitée à la portée du moyen qui critiquait le chef de l’arrêt relatif à l’octroi des intérêts” (3e Civ., 23 mars 1982, Bull. 1982, III, n° 76).

Les cassations pour des raisons de pure forme

Lorsque des cassations interviennent pour des raisons de pure forme, il appartient aux magistrats et fonctionnaires des greffes d’en tirer toutes les conséquences afin d’éviter que les anomalies sanctionnées se reproduisent. Compte tenu du délai nécessaire de traitement des pourvois, il apparaît souhaitable que chacun prenne en compte les erreurs des autres, notamment grâce aux arrêts publiés au BICC, et tire les conséquences utiles des arrêts condamnant des irrégularités trop fréquemment constatées.

Ainsi, le signataire se doit de procéder à la lecture intégrale de l’arrêt pour vérifier la régularité formelle de la décision, et ne pas se limiter à la relecture de ses seuls motifs. Sauf à faillir à sa mission, la Cour de cassation ne peut pas ne pas sanctionner sur des anomalies faisant que l’arrêt n’est plus une véritable décision de justice, même si l’erreur provient d’une mauvaise utilisation du traitement de texte.

On ne peut que regretter les trop nombreuses cassations qui sont encore prononcées, tant en matière civile que criminelle, pour des raisons purement formelles, tenant à des irrégularités constatées dans la composition des juridictions, à l’omission de mentions obligatoires, aux absences des signatures nécessaires. Ces cassations, dont l’effet est catastrophique pour l’image et le crédit de la justice, pourraient être facilement évitées, si des procédés de contrôle simples étaient mis en place au sein des cours d’appel et si les documents élaborés par la Cour de cassation avec les cours d’appel étaient systématiquement utilisés. Avec la mise en ligne sur Jurinet et la publication au BICC des arrêts sanctionnant ces anomalies, il faut souhaiter que ce type de cassation disparaisse.

Les contraintes de la technique de traitement des pourvois imposant l’établissement de moyens distincts lorsqu’il existe plusieurs chefs de dispositifs dans la décision attaquée, il serait sage que les juges du fond n’hésitent pas à rédiger des dispositifs précis et détaillés, afin d’éviter que l’accueil d’un seul moyen ne conduise inutilement à une cassation totale. Si un dispositif d’une décision au fond est établi comme le propose l’exemple donné ci-dessous, la cassation pourra n’être que partielle et la cour de renvoi saura exactement ce dont elle est saisie.

1°) Infirme le jugement en toutes ses dispositions ; 2°) Déclare X... et Y... responsables de l’accident... ;

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3°) Dit que Z... (victime) a commis une faute de nature à... ; 4°) Condamne in solidum X... et Y... à payer à Z... la somme de ... ; 5°) Condamne Y... à garantir X... ; 6°) Autres dispositions statuant sur la contribution à la dette entre les coauteurs ; 7°) Article 700 du nouveau code de procédure civile ; 8°) Dépens ;

La Cour de cassation souhaite que cette fiche méthodologique aide les magistrats du fond à mieux comprendre ses arrêts et lui permette ainsi de consacrer l’essentiel de ses forces à sa mission d’interprétation de la règle de droit.

J.-F. Weber (1) C’est-à-dire, pour les arrêts de cassation, pour les arrêts de rejets pour lesquels la Cour se contente de répondre au moyen si elle estime que la solution s’impose à l’évidence, et même pour les décisions de non-admission. (2) Sur Jurinet, les moyens sont accessibles par l’icône en tête de l’arrêt, à coté de la mention “texte de la décision”, et sont placés après le texte de l’arrêt. Le rapport objectif et les conclusions de l’avocat général sont accessibles par les icônes placées au pied de l’arrêt, à coté des noms du rapporteur et de l’avocat général. (3) Com., 10 février 2009, pourvoi n° 07-20.445. (4) Soc., 4 mars 2009, pourvois n° 07-45.291 et 07-45.295, et Com., 3 mars 2009, pourvois n° 08-13.767 et 08-14.346. (5) 3e Civ., 11 mars 2009, pourvois n° 08-10. 733, 08-11.859 et 08-11.897, et 2e Civ., 22 janvier 2009, pourvois n° 07-20.878 et 08-10.392. (6) “... la cour d’appel a constaté, par une appréciation souveraine, que les messages écrits adressés téléphoniquement à la salariée le 24 août 1998 et les autres éléments de preuve soumis à son examen établissaient l’existence d’un harcèlement”. (7) Ou une motivation incertaine, hypothétique, dubitative, contradictoire ou inintelligible (1re Civ., 30 septembre 2008, pourvoi n° 07-17.163), toutes situations qui reviennent à une véritable absence de motif “utiles”. (8) Article 455 du code de procédure civile, aux termes duquel ”le jugement doit être motivé”, et CEDH (X... c/ Espagne, 21 janvier 1999, requête n° 30544/96) : “La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante reflétant un principe lié à la bonne administration de la justice, les décisions judiciaires doivent indiquer de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. L’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision et doit s’analyser à la lumière des circonstances de chaque espèce” (§ 26).

(9) Il faut rappeler à cet égard l’exigence de motivation de la faute lorsque les juges du fond sanctionnent un abus du droit d’agir en justice pour éviter de regrettables cassations pour absence de motivation de ce chef (3e Civ., 25 février 2009, pourvoi n° 08-10.280). (10) “Mais attendu que si la grève est licite dans son principe en cas de revendications professionnelles, il appartient au juge des référés d’apprécier souverainement si elle n’entraîne pas un trouble manifestement illicite...”. (11) Il semble inutile d’alourdir la rédaction en mentionnant par exemple que “ M. X... fait grief à l’arrêt de le condamner à payer 3 000 000 € de dommages-intérêts avec intérêts à compter de la demande” sauf, bien entendu, si le moyen porte sur le point de départ des intérêts. (12) Ainsi, dans un même arrêt, un moyen peut être rejeté grâce à des motifs propres de l’arrêt attaqué et un autre moyen rejeté grâce aux motifs adoptés des premiers juges (3e Civ., 18 juin 2008, Bull. 2008, III, n° 105). (13) “Attendu... qu’en l’absence de clause de caducité sanctionnant de plein droit le non-respect du terme prévu pour la réitération de la vente, "le compromis" prévoyait que, passé ce délai, huit jours après la réception d’une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par la partie la plus diligente sommant l’autre de s’exécuter et demeurée sans effet, l’acquéreur aurait la possibilité de contraindre le vendeur par toute voie de droit, que M. X... avait sommé l’acquéreur par lettre recommandée du 1er juin 2005, laquelle avait, le 2 juin 2005, réitéré sa volonté d’acquérir, la cour d’appel, sans dénaturation, en a exactement déduit que la vente intervenue le 16 septembre 2003 était parfaite“ ; (3e Civ., 16 décembre 2008, pourvoi n° 07-21.779). (14) Le professeur Morvan en a identifié 96, tels que “le principe du respect des droits de la défense”, “le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui des troubles anormaux du voisinage” ou “le principe fondamental en droit du travail, selon lequel, en cas de conflit de normes, c’est la plus favorable aux salariés qui doit recevoir application” (Le principe de droit privé, éd. Panthéon-Assas, 1999). (15) Fausse application : 1re Civ., 11 mars 2009, pourvoi n° 08-12.166 ; refus d’application : 1re Civ., 11 mars 2009, pourvoi n° 08-13.390. (16) “... Attendu que, pour statuer ainsi, l’arrêt attaqué énonce que l’arrêt de la Cour de cassation du 14 février 1990 a rejeté le moyen pris en ses trois branches faisant grief à la cour d’appel d’Agen d’avoir décidé l’attribution préférentielle de la maison d’habitation à M. X... et le partage en nature du reste des biens indivis, et que la Cour de cassation avait ainsi indiqué, en prononçant le rejet et en motivant la cassation sur les autres moyens, qu’elle entendait, quelle que soit la formule employée dans le dispositif de l’arrêt, la restreindre aux chefs qui étaient visés par ces derniers ; Attendu qu’en se déterminant par de tels motifs, alors que l’arrêt de la Cour de cassation disposait que l’arrêt de la cour d’appel d’Agen était cassé et annulé dans toutes ses dispositions, et les parties et la cause remises dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, la cour d’appel a méconnu l’étendue de sa propre saisine, en violation de l’article susvisé”.

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I.1.2. La préparation du « commentaire »

Un commentaire intéressant appelle de la « matière ». Il vous faut donc chercher les éléments qui contiennent cette substance. A travers les faits, les prétentions, et les arguments, vous allez retrouver la qualification juridique du contentieux et son intérêt. Votre réflexion prendra trois directions : vous restituerez la signification de la décision, vous l'expliquerez par rapport à la règle de droit visée, puis vous tenterez de réfléchir à « l’impact » de cette décision. Il vous a été fréquemment expliqué que ces trois directions recouvrent trois aspects de la décision : le « sens », la « valeur » et la « portée » de l'arrêt. Cette division ternaire est commode mais approximative car ces trois temps ne sont pas toujours aisément distinguables ; il s’agit là d’une division pédagogique qui doit vous aider à progresser dans l’élaboration du commentaire, mais sur la « scientificité » de laquelle vous ne devez jamais vous appesantir…

a. le sens de la décision

Votre examinateur doit s'assurer que vous avez parfaitement compris la solution apportée à la question de droit qui était posée à la juridiction saisie.

La détermination de la question de droit, préalable indispensable à la compréhension de la solution

qui lui est apportée

La question de droit (ou « problème de droit »), que la lecture attentive de la décision vous a permis d’entrevoir, doit

être à ce stade précisée.

La question de droit résulte de la confrontation entre les différentes thèses soutenues par les parties, à propos d’une

difficulté juridique. Lorsqu’il s’agit d’analyser un arrêt rendu par la Cour de cassation, on confrontera la décision de la

Cour d’appel à la thèse développée par le pourvoi.

Vous remarquerez que la question de droit peut découler d’une comparaison entre ce qui a été décidé et sa critique,

mais aussi d’une comparaison entre les différentes motivations qui justifient soit la décision, soit sa critique. C’est

alors l’observation de la contradiction entre deux raisonnements qui permet de dégager la difficulté juridique.

L’exposé en termes abstraits de la difficulté juridique soumise à la juridiction saisie constitue la question de droit. En raison des différentes fonctions des organes juridictionnels, il est fréquent que l’analyse d’un arrêt rendu par les juges du fond, saisis du fait et du droit, conduise à poser la question de droit d’une façon qui prenne en considération des

éléments concrets, tandis que l’analyse d’un arrêt rendu par la Cour de cassation, qui ne juge qu’en droit, facilite la

formulation de la question d’une façon plus détachée des faits. Il est fréquemment souligné que la possibilité de poser une question de droit d’une façon synthétique et abstraite caractérise fréquemment un arrêt de principe, tandis que la nécessité de poser une question de droit de façon développée et proche des faits montre que ceux-ci ont été spécialement pris en considération pour la solution retenue, ce qui est le signe d’un arrêt d’espèce. Il peut y avoir une ou plusieurs questions de droit. Dans l’hypothèse d’une multiplicité de questions, les différentes interrogations peuvent être autonomes les unes par rapport aux autres ; les interrogations peuvent aussi liées les unes aux autres, notamment parce que le procès a été l’occasion pour les parties de formuler des prétentions diverses ; les questions peuvent être également liées les unes aux autres, notamment parce que la résolution de la première difficulté juridique en engendre une seconde. Lorsqu’il s’agit d’un arrêt rendu par la Cour de cassation, la pluralité des questions de droit apparaît parfois au travers de la multiplicité des moyens du pourvoi, chacun des moyens correspondant en principe à une question de droit distincte.

La détermination de la signification de la solution proposée par la décision commentée

Livrer le sens d'une décision, c'est, de façon claire et détaillée, dire : X... a affirmé ceci et a prétendu cela. Y... a rétorqué

ceci. Les juges du fond ont considéré telle ou telle chose ; la Cour de cassation a, en définitive, approuvé les juges du

fond ou, au contraire, censuré leur décision pour telle ou telle raison.

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On attend de vous que vous expliquiez les faits comme le raisonnement juridique, notamment la motivation de la

décision.

Il convient s’efforcer de reconstituer les étapes de ce raisonnement, d’expliciter ses fondements (notamment

textuels). Pour ce (bien) faire, il est nécessaire de maîtriser les rudiments de technique de cassation précédemment

évoqués.

b. La valeur de la décision

Après avoir restitué la signification de la décision, vous allez devoir en apprécier la valeur au regard du contexte

juridique général dans lequel elle s’inscrit, dans le but de formuler une « analyse critique » (à ne pas confondre avec une « critique » systématique et aveugle, y compris lorsque la solution mérite neutralité ou approbation…).

La valeur strictement juridique Vous devez être à même de préciser si l'interprétation proposée des textes appliqués par la Cour est « orthodoxe » ou admissible au regard de ce que vous connaissez des textes et de la jurisprudence, mais aussi des analyses doctrinales relatives au problème traité par l’arrêt. Dans le cadre de ce travail, deux questions vous apparaîtront rapidement primordiales :

- Le juge a-t-il appliqué aux faits de l'espèce la règle de droit qui avait vocation à les régir ? - Cette règle a-t-elle été bien interprétée ?

Certains raisonnements judiciaires, afférents à la détermination de la règle applicable et à l’interprétation à lui donner, vous sembleront indiscutables, ou, au contraire, très discutables. D’autre vous paraîtront elliptiques, obscurs ou manquants.

Il conviendra de révéler les forces et les faiblesses de certains raisonnements, d’approuver le rejet des thèses de

certains protagonistes ou, parfois, de vous étonner de ce qu’elles n’ont pas été retenues… Deux mots d’ordre à ce stade : précision et vivacité d’esprit.

La valeur sous l’angle « socio-économique »

Il est souhaitable, à la condition de ne pas en abuser, d’approfondir la réflexion sur la valeur de l’arrêt en s’interrogeant sur les facteurs économiques et sociaux qui ont pu influer sur l’adoption d’une solution ou sur le rejet des solutions que l’on pouvait concevoir comme alternatives.

Cet angle de réflexion est particulièrement utile, non seulement en droit civil mais aussi, en droit commercial, en droit

du travail…. Un conseil : privilégiez l’argument économique (sans sombrer dans le dogmatisme ; raisonnez en technicien) et efforcez-vous, en revanche, d’éviter le registre moral et/ou religieux qui n’est pas des plus stratégiques lors d’un examen de ce type.

c. La portée de la décision

Pour en terminer avec sa recherche des éléments de réponse, l'interprète doit tenter de mesurer les conséquences que peut avoir la décision sur l'évolution du droit positif. Il est traditionnellement admis que ces conséquences sont différentes selon qu'il s'agit d'un arrêt d'espèce ou d'un arrêt de principe.

L'arrêt d'espèce n'a d'autre ambition que de résoudre la difficulté spécifique que le litige a soulevée. L'arrêt de principe, au contraire, entend, au-delà de la solution particulière qu'il retient, imposer pour l'avenir une certaine

interprétation de la règle de droit. On remarquera qu'un arrêt de principe n'implique pas le bouleversement profond d'un ordre juridique établi. Rares sont les hypothèses où une décision modifie radicalement un concept. Généralement, l'évolution jurisprudentielle est moins

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spectaculaire. Arrêts après arrêts, se dégage puis s'affine ou encore s'infléchit progressivement une notion ou un principe. Il convient, en conséquence, pour mesurer la portée d'un arrêt, d’en disséquer les termes avec une attention appuyée.

Il n'existe certainement pas de règles absolues permettant, dans tous les cas, la détermination péremptoire de la portée de l’arrêt. Tout au plus, peut-on proposer quelques révélateurs destinés à assister l'intuition du commentateur. En limitant le propos aux arrêts de la Cour de cassation, on remarquera que les arrêts de principe sont généralement plus ceux qui cassent que ceux qui rejettent.

Il est admis que les arrêts de rejet sont rarement investis d'une grande portée. Mais il importe néanmoins de s'en assurer… N’oubliez pas, en effet, que la Cour de cassation peut opérer un revirement de sa jurisprudence en rejetant le pourvoi formé contre un arrêt ayant retenu une solution traditionnellement établie (vous penserez par exemple, à l’issue de ce stage estival, au célèbre arrêt Cass. ass. Plén., 29 mars 1991, Blieck…), . De même vous considérerez comme importants les arrêts de rejet qui, tout en approuvant la solution retenue par les juges du fond, la justifient, en droit, par substitution de motifs. Cette hypothèse rare révèle une portée significative voire exceptionnelle.

À bien y réfléchir, aucun arrêt ne ressemble à un autre, mais on peut tout de même, en suivant une catégorisation

pédagogique reconnue par bon nombre d’auteurs, dresser une typologie susceptible de vous guider dans la

détermination de sa portée :

1. L’arrêt de principe récent, dont la solution est de droit positif Ce type de décision est fréquemment offert au commentaire. Il contient les questions et les réponses sur lesquelles doit être concentré le commentaire.

2. L’arrêt de principe ancien portant une solution de droit positif Il s’agit d’une hypothèse assez fréquente. Il faut alors intégrer dans le commentaire le droit positif postérieur. Il s’agit principalement de rattacher à chaque élément de l’arrêt ancien les développements ultérieurs du droit positif.

3. L’arrêt de principe, dont la solution a été contredite ou va l’être Le commentaire est plus délicat car il convient de développer des éléments extérieurs à l’arrêt même, à savoir le droit qui lui est, ou sera, postérieur. Quand l’élément novateur, qui rend obsolète la décision à commenter, est très récent ou même à venir (pensez à une réforme législative en cours), il faut inclure dans le commentaire ces éléments prospectifs.

4. L’arrêt de principe ancien, dont la solution n’est plus de droit positif Il faut, en premier lieu, vous montrer capable, à partir de vos connaissances de déterminer l’ « obsolescence » de la solution… Il convient, en second lieu, de soigneusement équilibrer les développements qui relèvent de l’état du droit ancien (l’arrêt commenté) et ceux qui relèvent du droit positif.

En tout état de cause, n’optez pas pour un plan « l’arrêt-après l’arrêt », car la seconde partie ne porterait plus

véritablement sur l’arrêt… Votre structure doit être adaptée à l’arrêt commenté et vos développements doivent,

tout au long de votre copie, faire état des évolutions significatives postérieures à cet arrêt.

5. L’arrêt d’espèce, faisant application d’une solution de principe Il est relativement rare que l’on vous soumette un simple arrêt d’espèce mais cela n’est pas à exclure dans le cadre de l’examen d’entrée au Barreau. Le commentaire de ce type de décision appelle une connaissance correcte de l’arrêt de principe concerné. Il faut en outre chercher à rattacher l’arrêt d’espèce à l’arrêt de principe et traiter ce dernier, à l’occasion de l’analyse de l’arrêt à commenter. Il convient néanmoins d’éviter de minimiser à l’excès l’arrêt d’espèce, qui est l’objet direct du commentaire par rapport à l’arrêt de principe qui n’en est que l’objet indirect. Il est d’ailleurs probable qu’il y ait tout de même des différences entre les deux arrêts, ce qui permet une comparaison intéressante.

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30

6. L’arrêt d’espèce, contraire à un arrêt de principe connu Il convient, dans cette configuration délicate, de connaître l’arrêt de principe, l’intérêt de l’exercice résidant principalement dans la comparaison des deux arrêts. Dès lors, l’arrêt d’espèce doit être analysé en perspective de l’arrêt de principe qu’il contredit (ou semble contredire…), sans pour autant le frapper d’obsolescence puisqu’il n’est lui-même qu’un arrêt d’espèce. Il peut alors apparaître de différentes façons :

il peut être analysé comme portant une solution incohérente et non conforme au droit en vigueur, cette conclusion radicale devant être avancée avec beaucoup de précaution… ;

il peut être apprécié comme conforme à l’arrêt de principe, mais de manière peu visible, la contradiction n’étant alors qu’une fausse apparence ;

il peut être analysé comme le signe annonciateur d’une évolution du droit positif, qui pourrait intervenir sous la forme d’un futur arrêt de principe ou d’une réforme législative.

I.2. LA CONSTRUCTION DU COMMENTAIRE DE L’ARRET La construction de votre propos final doit obéir à une structure de présentation qui variera selon la décision proposée ; cette structure de présentation est dénommée « plan ».

Le plan-type d’exposition est une chimère dans la mesure où la structure doit être dégagée en considération du

problème de droit et de l’argumentaire des juges : ceci vous sera expliqué en cours de séance méthodologique par

votre enseignant. Néanmoins quelques principes de bon sens et cadres intellectuels, indicatifs, peuvent vous guider dans la construction de votre propos.

I.2.1. La construction du commentaire d’un arrêt ne comportant qu’un problème de droit

1 / A défaut de plan inspiré par la structure de l’arrêt ou la solution qu’il porte (v. point suivant), vous pouvez procéder de la façon suivante :

- vous synthétisez l’introduction (v. infra pour le schéma classique de l’introduction), en ne développant que peu ou pas les prétentions des protagonistes ;

- vous consacrez la première partie à « l’analyse » de la solution et de ses fondements (eu égard au problème posé, quelles étaient les prétentions des parties ? Compte tenu de ces prétentions, que décide

l’arrêt frappé de pourvoi ? Pourquoi les juges ont-ils adopté cette solution et pas une autre ?) puis la

seconde à une étude objective et critique de la solution, de ses motifs et de sa portée (le

« commentaire » proprement dit). Il va de soi que vous habillerez de manière élégante cette structure

primaire…

2 / Lorsque l’arrêt le permet, les « balancements » ci-dessous exposés (indicatifs et non limitatifs),

tirés de la structure même de l’arrêt ou de la solution qu’il porte, peuvent également être envisagés :

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31

Cadre 1 Cadre 2 Cadre 3

Articulation de pensée :

DOMAINE D’APPLICATION DE LA REGLE / EXCEPTIONS A LA REGLE

Articulation de pensée :

CONDITIONS / EFFETS » (d’une qualification juridique)

Articulation de pensée :

NOTION / REGIME (d’une qualification juridique)

Exemple de plan sur un arrêt qui s’y

prêterait :

I / La réaffirmation de l’intangibilité contractuelle

II / La consécration d’un pouvoir de

révision conditionnée en matière contractuelle

Exemple de plan sur un arrêt qui s’y

prêterait :

I / L’exigence du juste titre pour l’application de l’usucapion abrégée

II / L’effet acquisitif et rétroactif de

l’usucapion abrégée

Exemple de plan sur un arrêt qui s’y

prêterait :

I / La consécration de la notion d’ « accord de principe »

II / Des précisions apportées quant à la

sanction de la méconnaissance d’un accord de principe

Cadre 4 Cadre 5 Cadre 6

Articulation de pensée :

AVANT TEL ACTE OU TEL EVENEMENT / APRES TEL ACTE OU

TEL EVENEMENT (structure chronologique)

Articulation de pensée :

COMPARAISON DE LA

QUALIFICATION « X » A UNE QUALIFICATION « Y » - COMPARAISON DE LA

QUALIFICATION « X » A UNE QUALIFICATION « Z »

Articulation de pensée :

MISE EN OEUVRE DE LA REGLE A L’EGARD DE LA CATEGORIE « A » / MISE EN OEUVRE DE LA REGLE A L’EGARD DE LA CATEGORIE « B »

Exemple de plan sur un arrêt qui s’y

prêterait :

I / Les effets de l’obligation contractuelle avant la réalisation de

la condition résolutoire

I / La situation après la réalisation de la condition résolutoire

Exemple de plan sur un arrêt qui s’y

prêterait :

I / Faute lourde et inexécution contractuelle non qualifiée

II / Faute lourde et « dol »

Exemple de plan sur un arrêt qui s’y

prêterait :

I / Le rappel des effets de la résolution du contrat de vente entre les parties

II / Des précisions majeures quant aux effets de la résolution du contrat de

vente à l’égard des tiers

Page 32: METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A …

32

I.2.2. La construction du commentaire d’un arrêt comportant plusieurs problèmes de droit

Lorsque l’arrêt soulève différentes questions juridiques, clairement distinguables, il est possible (et souhaitable) de

traiter successivement les différentes questions abordées par l’arrêt. Cette solution de bon sens doit être privilégiée chaque fois que l’arrêt en donne l’occasion. La rédaction de l’arrêt peut être à cet égard très révélatrice.

Quand la distinction des problèmes juridiques est évidente, on la suit sans scrupules, quitte à adopter un plan en trois

parties (en présence de trois problèmes). Au delà de trois problèmes, il conviendra de les regrouper pour revenir à un

plan en deux parties, de manière à ne pas trop dérouter le correcteur de votre copie qui, souvenez-vous en, est

généralement épris de la forme binaire.

I.3. LA REDACTION DU COMMENTAIRE D’ARRET Le devoir doit comporter :

une introduction ;

des développements (généralement) en deux parties, chacune de ces parties étant subdivisée en deux

sous-parties. Des titres et des sous-titres visibles doivent structurer le propos de manière apparente ; éventuellement une conclusion, celle-ci n’étant pas obligatoire.

I.3.1 L’introduction L’introduction à un commentaire d’arrêt de la Cour de cassation, qui sera relativement ramassée dans le cadre des

épreuves de l’examen d’entrée au Barreau (bannissez les introductions de trois pages pour une épreuve de 2 heures 30

ou 3 heures ; préférez les introductions efficaces d’environ une page), peut obéir à une structure de ce type :

une phrase d’entrée en matière permettant d’identifier la décision et le domaine dont elle relève (le fameux « incipit », vivement recommandé, mais qui pourrait ne pas valoriser votre copie s’il s’avère être trop général ou approximatif) ;

Faits ;

Procédure ;

Arguments développés devant les juges du fond par le demandeur et le défendeur à l’action ;

Solution portée par ou les décisions des juges du fond ;

Thèse du demandeur au pourvoi en cassation ;

Question de droit posée à la Cour de cassation (exprimée, pour l’essentiel, par le moyen du pourvoi ; cette question peut encore être « induite » de la réponse que la Cour de cassation lui

apporte ; v. supra) ;

Réponse de la Cour de cassation (rejet du pourvoi ; censure par cassation, totale ou partielle, sur le fondement d’une violation de la loi ou d’un défaut de base légale…) ;

Annonce du plan d’étude, préalablement justifié, de la solution portée par l’arrêt commenté.

I.3.2. Les développements

La phase de rédaction, réputée la plus difficile, est relativement aisée si les étapes préparatoires ont été menées à bien. Le style doit être sobre et, si possible, élégant. Privilégiez les phrases courtes et maîtrisées aux phrases interminables qui se perdent en elles-mêmes.

Il vous faut faire apparaître vos intitulés dans le devoir : il suffit d’indiquer les intitulés de I et II et, à l’intérieur, les

intitulés de A et B (si vous optez pour un plan en deux parties et deux sous-parties, ce qui est fortement recommandé mais ne constitue pas une obligation absolue). Il n’est pas utile de faire apparaître les intitulés des « sous-sous parties » (1° et 2°).

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33

Chaque intitulé, rappelons-le, doit porter sur l’arrêt commenté. L’intitulé doit être concis. Il doit également être clair et

explicite.

Un intitulé adéquat doit être adapté au contenu de l’arrêt commenté et ne devrait pas pouvoir convenir au

commentaire d’un autre arrêt relatif à la ou les qualification(s) juridique(s) mises en œuvre par la décision (sauf à ce

que le problème de droit et la solution soient strictement identiques…).En somme, il convient qu’à la lecture des

intitulés, votre lecteur comprenne le problèmes soulevé par l’arrêt ainsi que la réponse qui lui est apportée (n’oubliez

pas qu’il peut y avoir plusieurs problèmes assortis d’autant de réponses…).

Vous éviterez, car ils ne sont pas conformes aux canons enseignés en droit privé dans nos Facultés de droit, les

intitulés formulés de manière interrogative ainsi que les intitulés « césurés » qui commencent en I pour finir en II.

Les parties principales doivent débuter par une brève introduction des différentes divisions qu’elles contiennent

(« chapeau introductif »). Le correcteur doit en effet toujours pouvoir anticiper la direction le commentaire se

développe. Il faut enfin ménager une transition nourrie entre les deux principales parties.

I.3.3. La conclusion (facultative) Si tout a été dit, il n’est nul besoin d’en rajouter.

En tout état de cause, ne formulez jamais de conclusion qui aurait pour objet et fonction de dire ce qui n’a pas été dit

précédemment alors que cela aurait dû être dit…

Envisagez la conclusion comme une ouverture, par delà le commentaire proprement dit. Cette exigence paradoxale rend la conclusion difficile.

Il sera ajoputé, pour clore ces conseils, qu’un commentaire d’arrêt doit être quantitativement maîtrisé : il

n’est nul besoin de produire une copie « fleuve ». Un bon commentaire révèle la finesse et la précision des

vues de son auteur en 5 à 6 pages, cette norme quatitative pouvant être modulée en considération de la

calligraphie du candidat.

I. 4. TROIS EXEMPLES DE REDACTION DE COMMENTAIRE D’ARRET

1ER

EXEMPLE

Le commentaire à suivre porte sur l’arrêt Cass. civ. 2ème, 18 septembre 2003 ci-dessous reproduit.

Les différentes étapes de l’exercice sont volontairement mises en relief et explicitées par des annotations

pédagogiques qui figurent en italique. Le texte du commentaire est en gras.

Cass. civ. 2ème, 18 septembre 2003 Sur le moyen unique : Vu l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ; Attendu, selon l’arrêt attaqué, qu’en sortant d’un magasin à grande surface à Soustons, Mme X... a heurté un plot en ciment situé sur le côté d’un passage pour piétons ; qu’elle a été blessée ; qu’elle a assigné la société Aquipyrdis, exploitante du magasin, ainsi que le cabinet Fillet-Allard, courtier en assurances, en responsabilité et indemnisation de ses divers préjudices, en présence de la Caisse primaire d’assurance maladie des Landes ; Attendu que pour la débouter de sa demande, l’arrêt retient que la présence des deux blocs de ciment peints en rouge et délimitant un passage pour piétons peint en blanc ne constitue ni un obstacle ni un danger particulier pour les usagers et qu’elle ne peut être considérée comme anormale et que l’enlèvement de ces plots après

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l’accident n’est pas en soi signe d’une dangerosité particulière, ni la démonstration de leur rôle causal ; Qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses propres constatations que l’un des plots en ciment délimitant le passage pour piétons avait été l’instrument du dommage, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 14 février 2001, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ;

L'établissement du rôle causal de la chose constitue, d'un point de vue historique, l'un des volets les plus animés de la responsabilité civile délictuelle pesant sur le gardien de la chose (article 1384 alinéa 1er du Code civil). L'arrêt rendu le 18 septembre 2003 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation contribue, à propos de la chose inerte, au mouvement de cette matière et, parallèlement, à son obscurcissement... Une personne a heurté un plot en ciment situé sur le côté d'un passage pour piétons alors qu'elle sortait d'une grande surface. Blessée, elle a assigné la société exploitante du magasin, ainsi qu'un courtier en assurances, en responsabilité et indemnisation de ses divers préjudices. La Cour d'appel de Pau, par un arrêt en date du 14 février 2001, a débouté la victime de sa demande au motif qu'il n'était pas démontré, en l'absence d'anormalité et de dangerosité de la chose, que le plot heurté avait joué un rôle déterminant et causal de la survenance du dommage corporel. Saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation était interrogée sur le caractère suffisant du heurt d'une chose inerte à l'établissement du caractère causal de l'intervention de cette chose dans la production du dommage. Apportant une réponse positive à cette interrogation, la Cour suprême casse et annule, au visa de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil, la décision rendue par les juges du second degré aux motifs qu'il ressortait de leurs propres constatations « que l’un des plots en ciment délimitant le passage pour piétons avait été l'instrument du dommage ». De ces faits simples et de cette solution à la motivation lapidaire, s'évincent l'assimilation du rôle actif de la chose inerte à son intervention matérielle (I) ainsi que l'objectivation de la responsabilité du gardien de la chose inerte qui en découle (II).

Le plan proposé suit une méthode de lecture d’une décision de la Cour de cassation extrêmement classique : il s’agit de rendre compte, dans une perspective analytique, de la décision elle-même (première partie) puis de mettre en perspective cette décision, au regard des données de droit positif, non seulement de « lege lata » mais aussi de « lege ferenda ». À suivre la démarche intellectuelle suggérée, vous serez inévitablement conduit à procéder, dans un premier temps de vos développements, à rendre précisément compte de la solution portée par la décision. Le contenu de cette première partie a trait à l’analyse de cette solution, bon nombre d’arrêts vous conduisant à expliciter la thèse juridique retenue par la Cour de cassation ainsi que la thèse écartée. Dans l’hypothèse d’un arrêt de rejet, la motivation de la décision de la Cour de cassation coïncidera peu ou prou, sauf substitution de motifs, avec la motivation de la décision des juges du fond. Seul le moyen du pourvoi développera une argumentation contraire qui n’aura pas prospéré. Dans l’hypothèse d’un arrêt de cassation, vous savez que vous trouverez une opposition juridique, plus ou moins franche, entre la solution portée par la décision des juges du fond et celle portée par l’arrêt de la Cour de cassation qui entérine, sauf hypothèses particulières, l’argumentaire développé par le moyen du pourvoi. Les intitulés de vos parties principales, ainsi que ceux de leurs subdivisions, doivent clairement et synthétiquement exprimer le contenu des propos à suivre. Bannissez les intitulés trop généraux qui ne reflètent pas l’arrêt, évitez les titres trop longs ou les titres à la formulation césurée. Le respect de ces consignes de bon sens peut vous conduire à exprimer, dans l’intitulé de la première partie, la solution affirmée par l’arrêt étudié. Une analyse de la décision commentée pouvait conduire à remarquer que cet arrêt portait :

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I / L'ASSIMILATION DU ROLE ACTIF DE LA CHOSE INERTE A SON INTERVENTION MATERIELLE

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, pour admettre le caractère causal de l'intervention matérielle de la chose inerte (A), marque son indifférence à la condition classique d'anormalité ou de dangerosité de cette chose (B).

(Vous remarquerez que les deux subdivisons internes reflètent ici l’opposition entre le raisonnement retenu par la Cour de cassation et celui, plus classique au regard de la jurisprudence dominante, adopté par la Cour d’appel. En telle hypothèse, les intitulés ne doivent jamais laisser soupçonner une articulation de pensée aussi « fruste » ; tout est dans la forme ou plus précisément, dans les intitulés…)

A / L'admission du caractère causal de l'intervention matérielle de la chose inerte

La cassation portée par cet arrêt de la deuxième chambre civile intervient sur le fondement d'une violation de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil.

Ce texte, dont on sait qu'il porte le principe d'une responsabilité de plein droit du gardien de la chose à l'origine d'un dommage (et ce depuis l'illustrissime arrêt Cass. ch. réunies, 13 février 1930, Jand'heur, qui visait alors une « présomption de responsabilité »), aurait été méconnu par une Cour d'appel qui a refusé, en l'espèce, de juger que le plot en ciment heurté par la victime se trouvait à l'origine du dommage subi.

La Cour d'appel avait en effet considéré que ce bloc, qui ne constituait ni un obstacle ni un danger particulier pour les usagers et dont la présence ne pouvait être considérée comme anormale, n'avait pas joué de rôle causal. Prenant manifestement acte du caractère immobile, et donc passif, de la chose heurtée, la Cour d'appel avait imposé la démonstration de ce que le plot en ciment constituait, en dépit de sa passivité apparente, la cause adéquate du préjudice dont réparation était demandée.

La Cour de cassation juge, pour sa part, cette exigence soit superflue soit satisfaite, cette alternative quant à l'interprétation de l'arrêt apparaissant, à vrai dire, difficile à trancher tant la motivation de la censure reste laconique. Ce que l'on sait de manière incontestable est que de la simple constatation de la « présence des deux blocs de ciment peints en rouge » « délimitant un passage pour piétons peint en blanc » découlait juridiquement que « l'un des plots en ciment délimitant le passage pour piétons avait été l'instrument du dommage ».

À s'en tenir à la lettre même de l'arrêt, l'on arrive à la conclusion que la simple intervention matérielle, voire la simple présence dommageable, de la chose immobile suffit à établir que la chose avait été l'instrument du dommage, c'est-à-dire qu'elle en était la cause. II s'agit là, bien évidemment, d'une cause, non pas « étrangère » mais bien étrange, dont l'appréciation marque une indifférence certaine aux critères classiques d'appréciation du rôle actif de la chose inerte sagement appliqués par la Cour d'appel (cette dernière phrase opère transition entre les deux sous--parties de cette première partie).

B / L'indifférence à l'anormalité et la dangerosité de la chose inerte

II apparaît évident que la Cour d'appel se voit ici reprocher par la Cour de cassation d'avoir appliqué les conditions classiques d'établissement du rôle actif de la chose immobile dont l'inertie paralyse l'application de la présomption de rôle actif.

L'on rappellera, en effet, que la chose en mouvement entrée en contact avec le siège du dommage (personne lésée ou bien endommagé) est présumée être la cause du dommage : la victime, en pareille hypothèse, doit seulement prouver l'intervention de la chose pour que soit établi le fait actif de la chose contre son gardien (à savoir le titulaire des pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle depuis le célèbre arrêt Franck en date du 2 décembre 1941). En revanche, lorsque la chose est entrée en contact avec le siège du dommage, mais était inerte lors de l'accident (ex : Cass. civ. 2ème, 8 juillet 1992) ou encore lorsque, étant en mouvement, elle n'a pas heurté le siège du dommage (ex : Cass. civ. 2ème, 3 avril 1978), il appartient à la victime d'établir qu'elle a été l'instrument du dommage en démontrant son caractère ou son comportement anormal ou dangereux. La violation de la loi reprochée à la Cour d'appel paraît alors surprenante, dans la mesure où les juges du fond ont précisément pris le soin, en premier lieu, de démontrer que le plot litigieux ne constituait « ni un obstacle, ni un danger particulier » et d'ajouter, en second lieu, que son enlèvement ultérieur ne contredisait nullement cette conclusion. La surprise est atténuée si l'on veut bien prendre en considération un certain nombre de décisions qui ont récemment ignoré les critères de normalité ou de non dangerosité pour se limiter au constat que la chose inerte, par sa seule position ou présence, avait été l'instrument du dommage (à propos de portes vitrées qui se sont brisées au contact

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de la victime : Cass. civ. 2ème, 29 avril 1998 et Cass. civ. 2ème, 15 juin 2000 ; à propos d'une boite aux lettres qui occupait une position normale : Cass. civ. 2ème, 25 octobre 2001). Ce mouvement jurisprudentiel, contredit par d'autres décisions récentes portant application de la condition d'anormalité et/ou de dangerosité (v. Cass. civ. 2ème, 7 mai 2002 et Cass. civ. 2ème, 14 décembre 2002) pourrait être interprété, de prime abord, comme étendant la présomption de rôle actif à la chose inerte entrée en contact avec le siège du dommage. Il semble cependant, à la réflexion, que cette interprétation ne reflète pas exactement la motivation de décisions qui ne présument aucunement le rôle actif mais établissent sèchement, en référence à l'intervention de la chose, sa qualité d'instrument du dommage.

Il convient, à ce stade, d’opérer une transition entre votre première partie finissante et le début de la seconde partie :

L'assimilation ainsi opérée entre intervention matérielle et rôle actif de la chose inerte contribue à objectiver

encore, peut-être au-delà des limites du raisonnable, la responsabilité du gardien de cette chose.

Après avoir rendu compte du contenu de l’arrêt et de la motivation de sa solution, il vous faut aborder le « commentaire » proprement dit au travers de la mise en perspective de l’arrêt. La « valeur » et la « portée » de la solution doivent être examinées en considération de vos connaissances : vous pouvez, dans le cadre de cet examen, envisager l’impact (s’il en est un) de la décision sur le droit en vigueur et tenter également de mesurer l’intérêt et/ou le bien fondé de la décision qui vous est soumise. Appliquée à cet arrêt, cette démarche classique pouvait conduire à :

II / L'OBJECTIVATION ACCRUE DE LA RESPONSABILITÉ DU GARDIEN DE LA CHOSE INERTE

La prise en considération de la simple intervention matérielle de la chose inerte consacre, de manière évidente, le refoulement de la prise en considération du rôle passif de la chose inerte (A) (impact). Privé du bénéfice de cette cause d'exemption de sa responsabilité, le gardien de la chose inerte se voit aujourd'hui imposer une responsabilité dont l'automaticité aveugle appelle la critique (B) (appréciation de la solution).

A / Le refoulement du « rôle passif » de la chose inerte

La solution consacrée par la deuxième chambre civile dans son arrêt du 18 septembre 2003 sonne le glas de toute référence au rôle passif de la chose inerte.

Dans l'hypothèse où est consacrée une présomption de rôle actif de la chose (chose en mouvement entrée en contact avec le siège du dommage), la démonstration du rôle passif permet, en théorie, de combattre cette présomption (peu nombreux sont les arrêts qui admettent un tel renversement de la présomption...).

Dans l'hypothèse inverse qui est la nôtre, le rôle passif naturellement attribué à la chose inerte impose, en principe, que soient démontrés par le demandeur les caractères spécifiques de la chose justifiant que l'on retienne exceptionnellement son rôle actif (anormalité et/ou dangerosité). Au terme de ce raisonnement sommaire, l'on comprend aisément que la référence à la simple intervention matérielle écarte le rôle simplement passif de la chose inerte et ce quelles que soient ses caractéristiques.

Or, on s'accorde à penser que la référence au « rôle passif », consacrée depuis un célèbre arrêt du 19 février 1941, avait le grand mérite de réintroduire dans la responsabilité du fait des choses une dose de responsabilité personnelle du gardien (anormalité du « positionnement » de la chose, par exemple) qui lui était nécessaire pour conserver son « âme » de... véritable responsabilité.

De la dénégation du rôle naturellement passif de la chose inerte s'infère ainsi l'objectivation d'une responsabilité que l'on savait d'ores et déjà objective. Cette objectivation accrue conduit à l'automatisation, aveugle et contestable, de la réparation sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil (transition entre les deux sous-parties).

B / L'automatisation contestable de la réparation sur le fondement de l'article 1384 alinéa 1er

du Code civil

L'on pourrait être tenté de louer la solution posée par l'arrêt en ce qu'elle porte, considération prise de la facilitation de la preuve qui en résulte, une amélioration du sort de la victime. Il convient de constater à ce stade que l'établissement du rôle causal de la chose inerte s'apparente, aux termes de cet arrêt et de ceux qui peuvent lui être apparentés, à la démonstration de l'« implication » du véhicule terrestre à moteur dans le

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cadre de l'application de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985 : l'implication y est en effet appréhendée comme la simple intervention matérielle de la chose à quelque titre que ce soit.

Mais l'on constate aussitôt que ce rapprochement témoigne d'une dérive indemnitaire inquiétante dans l'application du principe général de responsabilité civile délictuelle du fait des choses. Si la Cour de cassation devait persister dans cette voie et développer ce courant jurisprudentiel, « cette orientation devrait être condamnée » (P. JOURDAIN). La responsabilité française du fait des choses se présente en effet comme un régime d'une extrême sévérité « qui n'a pas d'équivalent à l'étranger » (G. VINEY) : aggraver cette responsabilité n'apparaît, en conséquence, ni nécessaire ni opportun. Cette première remarque pourrait suffire à justifier la critique à l'égard de solutions étranges que la Cour de cassation n'a, en outre, pas motivées : si elle entend établir un régime de faveur au profit des victimes de certains types de choses inertes (par exemple les choses potentiellement dangereuses du fait de leur conformation), il lui appartiendrait de le préciser clairement de façon à rendre intelligibles les divergences de raisonnement et de solution que l'on peut aujourd'hui constater dans la jurisprudence de sa deuxième chambre civile. Des arrêts récents rendus dans le cadre de contentieux relatifs à des heurts contre des portes vitrées (Cass. civ. 2ème, 24 février 2005 et Cass. civ. 2ème, 4 janvier 2006), en amorçant le « retour » de l’exigence classique d’anormalité, avaint annoncé la clarification qu’appelle ce troublant état du droit. Il appartient aujourd’hui à la Cour de cassation de confirmer sa volonté de restauration de solutions dont la légitimité ne justifiait aucun contredit. Cette clarification est aujouird’hui, fort heureusement confirmée (Cass. civ., 2ème, 29 mars 2012 et Cass. civ. 2ème, 13 décembre 2012).

PS : les développements ci-dessus pourront être approfondis et actualisés par l’étude du rôle actif de la chose inerte dans le Thème 15 des fascicules de droit des obligations.

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2EME EXEMPLE

Cass. civ. 1ère, 28 octobre 2010

Sur le moyen unique : Attendu que par contrat du 27 décembre 2001, Mme X... a commandé à la société Génération Online un produit appelé « Net in Pack », comprenant, pendant une durée de 36 mois, la création d'un site internet marchand, du matériel informatique, des services internet et des services d'assistance téléphonique et de maintenance de ce matériel dont le financement a été assuré par la souscription auprès de la société Factobail, le 7 janvier 2002, d'un contrat de location financière d'une durée de 36 mois stipulant un loyer mensuel de 196, 64 euros ; qu'à la suite de la liquidation judiciaire de la société Génération Online, prononcée par jugement du 18 juin 2002, cette société a cessé d'exécuter ses obligations ; que Mme X... a alors interrompu le paiement des mensualités du contrat de location financière ; que la société Factobail l'a assignée en paiement des sommes dues jusqu'au terme de ce contrat et que Mme X... a reconventionnellement sollicité l'annulation du contrat pour absence de cause, à défaut la constatation de sa caducité du fait de la liquidation judiciaire de la société Génération Online et de l'indivisibilité de ces deux contrats ; Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 21 novembre 2008), d'avoir accueilli la demande de la société Factobail et rejeté la sienne, alors, selon le moyen : 1° / que, lorsque deux contrats constituent un ensemble contractuel indivisible, l'anéantissement ou l'impossibilité de l'exécution de l'un entraînent la caducité de l'autre ; qu'en outre, deux contrats constituent un ensemble contractuel indivisible soit lorsque telle a été l'intention des parties, soit lorsque l'un de ces contrats n'a aucun sens en l'absence d'exécution des obligations stipulées par l'autre de ces contrats ; qu'en énonçant, dès lors, pour retenir que Mme Z... Y..., épouse X..., ne pouvait valablement opposer un défaut de cause du contrat de location financière qu'elle a conclu avec la société Factobail du fait de la disparition de la société Génération Online et pour, en conséquence, condamner Mme Z... Y..., épouse X..., à payer à la société Factobail la somme de 7 175, 04 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2002 et la débouter de ses demandes tendant à la condamnation de la société Factobail à lui payer les sommes de 235, 18 euros et de 470, 36 euros en remboursement de loyers qu'elle lui avait versés, qu'en stipulant qu'elle serait déchargée de toute responsabilité et de toute obligation au titre de la garantie, la société Factobail avait entendu rendre divisibles les obligations de la société Génération Online et ses propres obligations, quand le contrat de location financière que Mme Z... Y..., épouse X..., avait conclu avec la société Factobail n'avait aucun sens en l'absence d'exécution par la société Génération Online des obligations qu'elle avait souscrites à l'égard de Mme Z... Y..., épouse X..., aux termes du contrat qu'elle avait conclu avec elle le 27 décembre 2001 et quand, par conséquent, les contrats conclus par Mme Z... Y..., épouse X..., respectivement avec la société Génération Online et avec la société Factobail constituaient un ensemble contractuel indivisible, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 1217 et 1218 du code civil ; 2° / qu'est sans portée la clause contractuelle stipulée en contradiction avec l'économie générale ou avec la finalité de la convention ou de l'opération pour laquelle cette convention a été conclue ; qu'en se fondant, dès lors, sur les clauses stipulées dans le contrat de location financière conclu entre Mme Z... Y..., épouse X..., et la société Factobail, selon lesquelles le loueur était déchargé de toute responsabilité et de toute obligation au titre de la garantie relative aux produits loués et selon lesquelles l'immobilisation temporaire des produits pour quelque cause que ce soit n'entraînait aucune diminution des loyers, ni indemnité, pour retenir que la société Factobail avait entendu rendre divisibles les obligations de la société Génération Online et ses propres obligations et que Mme Z... Y..., épouse X..., ne pouvait valablement opposer un défaut de cause du contrat de location financière qu'elle a conclu avec la société Factobail du fait de la disparition de la société Génération Online et pour, en conséquence, condamner Mme Z... Y..., épouse X..., à payer à la société Factobail la somme de 7 175, 04 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2002 et la débouter de ses demandes tendant à la condamnation de la société Factobail à lui payer les sommes de 235, 18 euros et de 470, 36 euros en remboursement de loyers qu'elle lui avait versés, quand, interprétées comme rendant divisibles le contrat de location financière et le contrat conclu, le 27 décembre 2001, entre Mme Z... Y..., épouse X... et la société Génération Online, ces clauses avaient été stipulées en contradiction avec la finalité et l'économie générale de l'opération pour laquelle le contrat de location financière avait été conclu, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1134 du code civil; 3° / qu'enfin, la disparition de la cause d'un engagement à exécution successive entraîne sa caducité ; qu'en énonçant, par conséquent, pour écarter le moyen soulevé par Mme Z... Y..., épouse X..., tiré de la disparition de la cause du contrat de location financière qu'elle a conclu avec la société Factobail du fait de la cessation d'activité de la société Génération Online et pour, en conséquence, condamner Mme Z... Y..., épouse X..., à payer à la société Factobail la somme de 7 175, 04 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2002 et la débouter de ses demandes tendant à la condamnation de la société Factobail à lui payer les sommes de 235, 18 euros et de 470, 36 euros en remboursement de loyers qu'elle lui avait versés, que l'objet et la cause de ce contrat devaient s'apprécier au jour de sa signature et qu'ils existaient à cette date puisqu'un procès-verbal de livraison du matériel avait été signé sans réserve

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par Mme Z... Y..., épouse X..., le 25 janvier 2002, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs inopérants et a violé, en conséquence, les dispositions de l'article 1131 du code civil ; Mais attendu que la cour d'appel a constaté que le contrat de location litigieux stipulait que les produits ayant été choisis par le locataire sous sa seule responsabilité et sans la participation du loueur, ce dernier mandatait le locataire pour exercer tout recours à l'encontre du fournisseur, que le loueur serait déchargé de toute responsabilité et de toute obligation à cet égard et que l'immobilisation temporaire des produits pour quelque cause que ce soit n'entraînerait aucune diminution de loyers ni indemnité ; qu'elle en a souverainement déduit que la commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions, de sorte que la disparition de l'une ne pouvait priver de cause les obligations nées de l'autre ; qu'aucun des griefs n'est donc fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

PROPOSITION DE CORRIGE On a longtemps considéré que les contrats étaient des entités autonomes, imperméables aux influences extérieures et donc indépendants les uns des autres. Cette remarque peut aujourd’hui être nuancée. S’appuyant sur une lecture renouvelée de l’effet relatif des contrats, la jurisprudence a élaboré un régime particulier pour les groupes de contrat, afin de retranscrire la complexité de certaines opérations contractuelles forgées par la pratique. L’apparition de ces nouvelles figures contractuelles pose toutefois de sérieux problèmes, tant en ce qui concerne le critère de l’ensemble contractuel indivisible, que son régime et, en particulier, le rôle qui doit être attribué à la cause. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 28 octobre 2010 témoigne de ces difficultés, en même temps qu’il contribue peut-être à les clarifier1. En l’espèce, une société de maintenance informatique a conclu avec une cliente un contrat intitulé « net in pack », par lequel elle s’engageait notamment à lui livrer du matériel informatique et à en assurer la maintenance pendant trente-six mois. Le financement de l’opération était assuré par un contrat de location financière conclu auprès de la société Factobail. Ces deux contrats, conclus par des personnes distinctes, empruntaient une durée identique et poursuivaient une fin commune : le contrat de financement permettant de financer la réalisation du contrat informatique. Cette mécanique s’est pourtant grippée lorsque la société débitrice de la maintenance informatique a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, ce qui rendait évidemment impossible l’exécution de ses obligations. Le locataire du matériel loué a alors cessé de rembourser et s’est vu assigner en paiement des loyers par la société Factobail. Pour échapper au paiement, le locataire a alors demandé, à titre reconventionnel, la nullité du contrat pour absence de cause et, subsidiairement, sa caducité du fait de la liquidation de la société informatique. La cour d’appel a accueilli la demande en paiement formée par le bailleur, écartant ainsi la nullité et la caducité du contrat de financement, puisque la volonté des parties avait été de rendre divisible les deux conventions. Le locataire a alors formé un pourvoi en cassation qui, dans un moyen unique, effectuait trois critiques à l’encontre de l’arrêt d’appel. Dans une première branche, le pourvoi reprochait à

1. Cass. civ. 1ère, 28 octobre 2010, publié au bulletin, 09-68014, JCP éd. G. 2011, 303, note C. Aubert de Vincelles, D. 2011, p. 566, note D., D&P juin 2011, p. 72, obs. L. Aynès.

la cour d’appel d’avoir écarté la qualification d’ensemble contractuel indivisible alors que les deux contrats conclus n’avaient aucun sens l’un sans l’autre. La cour d’appel aurait ainsi méconnu le critère de la notion d’ensemble contractuel indivisible. Dans une deuxième branche, le pourvoi soutenait que la clause sur laquelle se fondait la cour d’appel pour écarter l’indivisibilité contredisait l’économie générale du contrat, de sorte qu’elle devait être écartée. L’éviction de la clause permettait ainsi d’envisager à nouveau l’existence d’un ensemble contractuel indivisible. Enfin, dans une troisième branche, il s’appuyait sur une jurisprudence récente de la Cour de cassation ayant admis que la disparition de la cause au sein d’un contrat à exécution successive provoque sa caducité. Le contrat de financement serait donc devenu caduc du fait de l’extinction du contrat informatique, cause du contrat de financement. La Cour de cassation devait ainsi déterminer si l’extinction du contrat informatique devait entraîner la caducité du contrat souscrit en contemplation. Plus précisément, la question consistait à déterminer si les deux contrats envisagés étaient ou non indivisibles, afin d’apprécier si la disparition du premier pouvait entrainer la caducité du second, sur le fondement de la cause. La qualification d’ensemble contractuel indivisible ainsi que le rôle de la cause au sein de l’ensemble étaient ainsi placés au centre du litige. Sans poser explicitement un critère de l’ensemble contractuel, cette dernière expression n’étant d’ailleurs pas employée, la Cour de cassation livre toutefois de précieux indices sur les éléments qui permettent d’exclure l’indivisibilité. Elle rejette ainsi le pourvoi en se fondant sur les termes du contrat, lesquels, en substance, déchargeaient le loueur de toute responsabilité à l’égard du bien loué en cas de défectuosité et conféraient au locataire tout pouvoir pour agir à l’encontre de la société informatique, sans qu’une éventuelle immobilisation ne justifie une quelconque diminution du loyer. La Cour de cassation considère ainsi que la cour d’appel « en a souverainement déduit que la commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions, de sorte que la disparition de l’une ne pouvait priver de cause les obligations nées de l’autre ». En se fondant sur les stipulations des parties pour apprécier la divisibilité des deux contrats, la Cour de cassation précise les éléments de reconnaissance de l’ensemble contractuel indivisible (I.). De même, elle confirme l’incidence de la disparition de la cause au sein de l’ensemble contractuel (II.), la cessation de l’un des contrats de l’ensemble ayant pour

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effet de priver de cause les obligations nées des autres, à condition toutefois que l’indivisibilité soit caractérisée.

I / LA RECONNAISSANCE DE LA DIVISIBILITE DE

L’ENSEMBLE CONTRACTUEL

La solution rendue par la Cour de cassation est importante, dans la mesure où l’on sait qu’il règne une grande incertitude sur le critère de l’indivisibilité contractuelle (A.), incertitude que la Cour de cassation pourrait ici contribuer à dissiper (B.).

A. L’incertitude du critère de l’indivisibilité

1.- La distinction entre ensemble contractuel divisible et indivisible. L’arrêt rappelle encore l’importance de la distinction entre les ensembles contractuels divisibles et indivisible. La notion d’ensemble contractuel doit pourtant être précisée, dans la mesure où elle décrit une hypothèse dans laquelle une pluralité de contrats est ordonnée à la réalisation d’un même but, d’une opération unique Sous cet aspect, on relèvera qu’il est indifférent que la Cour de cassation n’emploie pas l’expression d’ensemble contractuel. L’essentiel est ailleurs, qui consiste à savoir si ces deux contrats étaient bien indivisibles. D’apparition récente, l’indivisibilité entre deux contrats entraîne de nombreuses conséquences, puisque l’on admet que la disparition de l’un rejaillit sur le maintien des autres contrats. En l’espèce, il fallait précisément déterminer si la disparition du contrat de maintenance pouvait entraîner, par ricochet, la caducité du contrat de financement. On perçoit ainsi très clairement l’enjeu de l’existence de l’ensemble contractuel indivisible puisque, lorsque l’un d’eux disparaît, les contractants se trouvent libérés de leurs obligations, le contrat qui en est le support ayant disparu. Mais on en perçoit également les risques puisque, si les obligations qui pesaient sur les parties s’éteignent, il en va de même des créances qu’il pouvait engendrer. Le risque s’accroît encore lorsque les différents contrats sont conclus entre des parties distinctes. Dans cette hypothèse, l’ignorance de l’existence de l’autre contrat pourrait nuire à une partie qui pouvait croire en la poursuite d’un contrat qui, en raison de son inscription au sein d’un ensemble plus vaste, va disparaître. Relevons cependant ici que l’existence du contrat de maintenance était connue du loueur. 2.- Les deux critères de l’indivisibilité contractuelle. L’importance de la distinction entre les ensembles contractuels divisibles et ceux qui ne le sont pas rend plus nécessaire encore la détermination du critère de l’ensemble contractuel indivisible. La question n’a naturellement pas été tranchée par le Code civil, qui ne connaît pas les ensembles contractuels indivisibles mais, différemment, les obligations indivisibles. Une controverse s’est ainsi élevée sur le critère de l’indivisibilité. Selon certains auteurs, lorsque deux contrats poursuivent le même but et participent à une opération unique, de sorte qu’ils n’ont aucun sens indépendamment les uns des autres, ils sont alors indivisibles. C’est le critère dit objectif, qui présente des liens avec la théorie de la cause : chaque contrat serait la cause des obligations engendrées par les autres contrats de l’ensemble, parce qu’ils embrasseraient une finalité commune. Il s’agirait à l’évidence d’une nouvelle acception de la cause qui, au-delà du contrat, devrait être appréciée au

sein de l’ensemble contractuel. À l’inverse, selon d’autres auteurs, l’indivisibilité ne peut reposer que sur la volonté des parties de lier le sort des contrats. L’accord de toutes les parties serait ainsi nécessaire pour instaurer une indivisibilité. C’est le critère subjectif. Entre ces critères, la Cour de cassation ne semble pas avoir tranché. Elle adopte une démarche pragmatique, en panachant les critères au gré des espèces (par ex., comp. : Civ. 1ère, 4 avril 2006, Bull. civ. I, n° 190, 02-18277 et Cass. com., 13 février 2007, Bull. civ. IV, n° 43, 05-17407). Ces critères livrent pourtant des résultats différents. Ainsi, en l’espèce, le critère objectif semblait pouvoir caractériser une indivisibilité : conclu pour une même durée, à quelques jours d’intervalle, le contrat de location financière n’avait aucun sens en l’absence du contrat de maintenance informatique, dont la disparition pouvait priver d’utilité l’usage du matériel. L’opération serait ainsi objectivement indivisible. En revanche, le critère subjectif ne semblait pas confirmer cette indivisibilité, en l’absence de stipulation introduisant un lien de dépendance entre les contrats. Plus encore, et c’est cette circonstance qui va déterminer la position de la Cour de cassation, les stipulations semblaient à l’inverse introduire un lien de divisibilité entre les contrats. La Cour de cassation retient en effet que « la commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions ». Autrement dit, la première chambre civile, à travers la référence à la volonté des parties, accorde une préférence au critère subjectif de l’indivisibilité entre les contrats (en ce sens, note C. Aubert de Vincelles). Plus encore, la volonté des parties semble pouvoir défaire une indivisibilité entre des contrats qui concourent à la réalisation d’une même opération économique. La Cour de cassation révèle ainsi toute l’importance des stipulations contractuelles, dès lors qu’elle renvoie à la commune intention des parties pour déterminer l’existence d’une divisibilité contractuelle.

B. La fonction des clauses de divisibilité

1.- La clause de divisibilité exprimant la commune intention

des parties. Comme on l’a déjà relevé, la Cour de cassation précise que « la commune intention des parties avait été de rendre divisibles les deux conventions », ce qui justifie ainsi que l’indivisibilité soit écartée. Cette solution mérite quelques précisions puisque, en l’espèce, la Cour de cassation s’appuie sur l’analyse des clauses contractuelles qui jouent ainsi un rôle décisif. Ces clauses précisaient que les produits avaient été choisis par « le locataire sous sa seule responsabilité et sans la participation du loueur, ce dernier mandatait le locataire pour exercer tout recours à l’encontre du fournisseur, que le loueur serait déchargé de toute responsabilité et de toute obligation à cet égard ». Le loueur n’entendait ainsi entretenir aucune relation avec le fournisseur du matériel informatique en cas de défectuosité, ce pourquoi le locataire était mandaté par le loueur pour exercer tout recours éventuel contre le prestataire informatique. Mais, plus encore, il était prévu que « l’immobilisation temporaire des produits pour quelque cause que ce soit n’entraînerait aucune diminution de loyers ni indemnité ». Autrement dit, le loueur excluait tout lien entre la jouissance du matériel et le paiement des loyers, ce qui pouvait laisser entendre, a fortiori, que la cessation des prestations informatiques dues par la société Génération Online était sans incidence sur le contrat de location

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financière. Ce sont tous ces éléments qui justifient, selon la Cour de cassation, la divisibilité entre le contrat de financement et le contrat financé. On remarquera encore que l’appréciation de l’intention des parties est, à l’évidence, une question de fait, ce qui justifie la référence à l’appréciation souveraine des juges du fond à laquelle renvoie la première chambre civile, laquelle réduit nécessairement la prévisibilité des solutions, dès lors que tout est affaire d’espèce. La volonté des parties, ici déduite des clauses du contrat, peut ainsi venir établir la divisibilité au sein d’un ensemble contractuel. 2.- La clause de divisibilité en contradiction avec la commune intention des parties. Si la solution retient toutefois l’attention, c’est surtout qu’elle semble conférer une grande force aux clauses contractuelles dans l’appréciation de la divisibilité. Or, on se souvient que, en présence d’une stipulation comparable par laquelle le il était précisé que « locataire restait tenu de payer les loyers jusqu’au terme de la convention même au cas où le contrat d’exploitation conclu (…) ne serait pas exécuté ou serait résilié », la Cour de cassation a tout de même retenu que les deux contrats étaient interdépendants, écartant la clause de divisibilité expresse au motif que la clause contredisait « l’économie générale du contrat » (Cass. com., 3 mai 2000, inédit, 98-18782 ; depuis : Cass. com., 24 avril 2007, inédit, 06-12443). Si la clause envisagée dans l’arrêt commenté était sans doute moins nette, dans la mesure où elle ne prévoyait pas le maintien du contrat de financement en cas de disparition du contrat financé, elle démontrait cependant que le financier se désintéressait du sort du contrat financé, signe d’une divisibilité contractuelle. Dès lors, si les clauses peuvent exclure toute indivisibilité, on peut se demander si la ligne jurisprudentielle précitée, qui écarte la clause de divisibilité expresse en présence d’une indivisibilité objective, doit être maintenue. Certains auteurs se sont ainsi interrogés sur le point de savoir si cet arrêt constituait un revirement de jurisprudence, ou marquait une divergence en la première chambre civile et la chambre. Une autre lecture de l’arrêt est cependant possible. La solution pourrait, plus simplement, signifier que le juge doit apprécier la commune intention des parties à partir de tous les éléments relatifs à la conclusion du contrat, sans occulter l’analyse des différentes clauses contractuelles (Cass. civ. 1ère, 16 mars 2008, Bull. civ. I, n° 72, 06-19339). Dès lors, si les clauses envisagées dans notre affaire établissaient la commune intention des parties de rendre divisibles les contrats, il n’en ira pas toujours ainsi : au fond, tout est affaire de volonté. Envisageant un ensemble contractuel comparable, la chambre commerciale a ainsi censuré une cour d’appel qui s’était appuyée sur une clause semblable sans rechercher « si les parties, nonobstant la clause précitée, avaient la commune intention de rendre leurs accords indivisibles » (Cass. com., 7 juin 2011, inédit, 10-20020). Il n’est donc pas certain qu’une clause de divisibilité (expresse ou tacite) puisse à elle seule défaire une indivisibilité objective, au moins pour la chambre commerciale (arrêt préc.). Cette solution est justifiée : une clause isolée peut parfaitement n’être pas révélatrice de la commune intention des parties, ce qui justifie alors sa mise à l’écart au terme de l’opération d’interprétation du contrat, comme l’a admis naguère la jurisprudence à travers la référence l’économie du contrat. Quoi qu’il en soit, des situations similaires pourraient ainsi recevoir des solutions différentes, puisqu’il suffira au juge de s’abriter derrière l’interprétation de la volonté des parties, dont on sait qu’elle est souverainement appréciée par les juges du fond.

L’arrêt est également remarquable dans la mesure où il confirme que c’est la cause, ou plutôt sa disparition, qui justifie l’anéantissement de l’ensemble contractuel à condition, toutefois, que celui-ci soit indivisible.

II.- L’influence de la disparition de la cause au sein

de l’ensemble contractuel

La Cour de cassation confirme ici l’importance de la disparition de la cause au sein de l’ensemble contractuel (A.), ce qui amène à s’interroger sur l’avenir du rôle dévolu à la cause en matière (B.).

A. La disparition de la cause, fondement de la

caducité de l’ensemble contractuel

1.- La caducité des contrats au sein de l’ensemble. L’arrêt commenté est remarquable, dans la mesure où il s’appuie très clairement sur la notion de cause afin de préciser le sort du contrat de financement. En effet, après avoir relevé que les conventions étaient divisibles en raison de la commune intention des parties, la Cour de cassation en déduit « que la disparition de l’une ne pouvait priver de cause les obligations nées de l’autre ». La solution paraît logique, les contrats étant divisibles, la disparition du contrat financé ne pouvait priver de cause les obligations issues du contrat de financement. Mais en se prononçant ainsi, la Cour de cassation confirme, a contrario, le ressort qui anime le régime juridique de l’ensemble indivisible : la disparition de l’un des contrats prive de cause les autres contrats ou, différemment, les obligations créées par les autres contrats. Pratiquement, les conséquences de la disparition de la cause au sein de l’ensemble sont considérables. La disparition de la cause provoquant la caducité de l’ensemble. En effet, on sait que le locataire invoquait l’indivisibilité des contrats afin d’obtenir sa libération en raison de la disparition du contrat financé. Ce raisonnement prend appui sur le régime juridique élaboré par la Cour de cassation qui considère que, « lorsque deux contrats constituent un ensemble contractuel indivisible, la résiliation de l’un des contrats entraîne la caducité de l’autre et libère le débiteur des stipulations que celui-ci contenait » (Civ. 1ère, 4 avril 2006, Bull. civ. I, n° 190, 02-18277). La solution vaut d’ailleurs pareillement en présence de la résolution ou de la nullité d’un contrat au sein de l’ensemble, la caducité pouvant même être rétroactive (Cass. com., 5 juin 2007, Bull. civ. IV, n° 156, 04-20380). 2.- Consécration de l’idée de permanence de la cause. Si la cause est bien le support technique de la disparition de l’ensemble contractuel, il faut alors en déduire que l’appréciation de la cause et sa sanction sont profondément renouvelées. Dans le Code civil, la cause s’apprécie exclusivement au stade de la formation du contrat, dont elle est une condition de validité. Par conséquent, la disparition de la cause postérieurement à la formation du contrat est normalement sans incidence sur le sort du contrat. C’est cette solution classique qui est ici remise en question, puisque la Cour de cassation suggère que la cause joue encore un rôle au stade de l’exécution du contrat. Plus précisément, elle est une condition de pérennité du contrat — c’est-à-dire de son maintien —, elle ne doit donc pas seulement exister lors de la formation du contrat mais tout au long de sa vie. Où l’on perçoit l’idée de permanence de la

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cause, celle-ci devant perdurer tout au long du contrat, la caducité étant précisément définie comme la disparition d’un élément essentiel du contrat postérieurement à sa formation. La portée de la consécration de l’idée de permanence de la cause doit cependant être bien circonscrite. Elle ne vaut qu’en présence d’un ensemble contractuel indivisible, ce pourquoi la Cour de cassation refuse ici de prononcer tout anéantissement en cascade de l’ensemble. Il faut cependant faire état d’une solution bien connue dans laquelle la Cour de cassation a jugé, en dehors du contexte des ensembles contractuels, qu’au sein d’un contrat à exécution successive, « la disparition de la cause de cet engagement » entraînait « sa caducité » (Cass. civ. 1ère, 30 octobre 2008, Bull. civ. I, n° 241, 07-17646). Cette dernière solution, qui conforte l’extension du rôle dévolu à la cause en cours d’exécution du contrat, ne peut cependant pas être appliquée isolément à un contrat de l’ensemble en cas de disparition d’un autre puisque, en la matière, il faut au préalable caractériser l’indivisibilité. Le rôle de la disparition de la cause au sein de l’ensemble contractuel est ainsi bien mis en lumière par l’arrêt commenté, ce qui peut toutefois suggérer quelques interrogations.

B. Les interrogations suggérées par la cause au

sein de l’ensemble contractuel

1.- Le bien-fondé du recours à la cause ? L’utilisation de la cause en la matière peut susciter la critique. On peut déjà faire valoir qu’elle complique encore l’appréhension de cette notion dont la clarté n’est, on le sait, pas la vertu première. Toutes ces nouvelles utilisations, si elles sont souvent critiquées, témoignent sans doute de la vitalité de l’emploi de la cause en matière contractuelle qui, en raison de sa malléabilité, permet de servir des fonctions aussi variés que contradictoires : la cause peut-être ainsi employée pour annuler une vente consentie à un prix dérisoire, pour anéantir une clause limitative de responsabilité qui prive de

substance l’engagement souscrit, mais aussi pour justifier que la résiliation d’un contrat d’exploitation d’une chaufferie provoque la caducité d’un contrat d’approvisionnement pourtant conclu entre parties différentes (Civ. 1ère, 4 avril 2006, Bull. civ. I, n° 190, 02-18277). Mais qu’est-ce qui justifie alors l’emploi de la cause en la matière ? Peut-être tout simplement sa souplesse ou, autrement dit, son imprécision. L’emploi de la cause serait ainsi prisé parce qu’il permet au juge de créer de nouveaux instruments pour justifier des solutions inconnues du Code civil. Dans l’attente d’une réforme du droit des contrats, la cause permettrait ainsi au juge d’adapter les règles anciennes du Code civil, ou d’en créer de nouvelles. 2.- Les substituts à la cause. Dans la perspective d’une réforme justement, plutôt que d’employer la cause, on peut se demander si le législateur français ne gagnerait pas à consacrer formellement l’existence des ensembles contractuels indivisibles au sein du code civil. Sur ce point, les différents projets de réforme ne sont d’ailleurs pas indifférents au sort de l’ensemble contractuel indivisible, auquel plusieurs dispositions sont consacrées, mais sans référence (au moins explicite) à la théorie de la cause (cf. article 1172 de l’avant-projet Catala). La solution la plus aboutie semble exprimée par le Projet Terré, qui précise que la caducité de l’ensemble est encourue lorsque l’un des contrats disparaît et rend l’exécution des autres impossible ou sans intérêt. Le texte pose cependant une limite : la caducité est subordonnée à la connaissance du contractant qui subit la caducité de l’existence de l’ensemble contractuel au moment de la conclusion du contrat. La solution paraît ainsi équilibrée qui, sans recours à la cause, ménage l’intérêt du contractant qui subit la disparition du contrat initial, de même que l’intérêt de celui qui subit la caducité du contrat. Si elle avait été appliquée en l’espèce, cette solution aurait peut-être permis de venir à bout de l’ensemble constitué par le contrat de financement et le contrat financé. Maigre consolation pour le locataire, qui ne pouvait donc compter que sur une réforme du droit des contrats pour obtenir gain de cause.

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II / QUELQUES PRINCIPES PROPRES AU COMMENTAIRE D’ARRET « COMPARE » OU « CONJOINT »

S'il vous est demandé de réaliser un commentaire « comparé » ou « conjoint » de plusieurs arrêts, les règles de

composition restent identiques.

Ce sont les solutions qui, dans la majorité des cas, varieront. Elles pourront être opposées, différentes,

complémentaires, etc. À l'interprète de mettre en évidence l'intérêt d'une appréciation d'ensemble de ces décisions. Les recommandations précédemment développées, applicables au commentaire d'une seule décision, vaudront a fortiori pour plusieurs. C'est dans la conception générale du commentaire que l'originalité de l'exercice se révélera. Les éléments contenus dans chaque arrêt devront être fondus en un commentaire unique. L'effort de l'interprète devra donc tout particulièrement être orienté vers l'élaboration du plan. Ce dernier tendra, en effet, à être suffisamment large pour couvrir la matière traitée par les différents arrêts et néanmoins le plus précis possible pour mettre en relief les difficultés communes, réglées de manière identique ou divergente

Deux impératifs majeurs doivent donc vous guider dans la conception de ce type de commentaire « comparé » ou

« conjoint » :

Efforcez-vous de formuler un problème de droit commun aux deux décisions de manière comparer, de façon

rigoureuse, les différentes solutions à ce même problème ;

Ne commentez jamais successivement chacune des décisions. Maintenez l'approche comparative à chaque

étape de l'analyse et de l'appréciation, quel que soit le plan adopté.

UN EXEMPLE DE COMMENTAIRE D’ARRETS COMPARE

Cass. Ass. plén. 14 avril 2006 (2 arrêts)

1er arrêt Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 29 juin 2004), que le corps sans vie de Corinne X... a été découvert, entre le quai et la voie, dans une gare desservie par la Régie autonome des transports parisiens (la RATP) ; qu’une information ouverte du chef d’homicide involontaire a révélé que l’accident, survenu lors du départ d’une rame, était passé inaperçu, aucun témoin des faits ne s’étant fait connaître ; que M. X..., époux de la victime, agissant tant en son nom personnel qu’en qualité de représentant légal de ses deux enfants mineurs, a demandé que la RATP soit condamnée à réparer le préjudice causé par cet accident ; Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté cette demande alors, selon le moyen, qu’en application de l’article 1384, alinéa 1er du Code civil, la faute de la victime n’exonère totalement le gardien de sa responsabilité que si elle constitue un cas de force majeure ; qu’en constatant que la chute de la victime ne peut s’expliquer que par l’action volontaire de celle-ci et que la réalité de la volonté de provoquer l’accident est confortée par l’état de détresse apparent de la victime, alors qu’un tel comportement ne présentait pas les caractères de la force majeure, la cour d’appel a violé de façon flagrante les dispositions de l’article précité ; Mais attendu que si la faute de la victime n’exonère totalement le gardien qu’à la condition de présenter les caractères d’un événement de force majeure, cette exigence est satisfaite lorsque cette faute présente, lors de l’accident, un caractère imprévisible et irrésistible ; qu’ayant retenu que la chute de Corinne X... sur la voie ne pouvait s’expliquer que par l’action volontaire de la victime, que le comportement de celle-ci n’était pas prévisible dans la mesure où aucun des préposés de la RATP ne pouvait deviner sa volonté de se précipiter contre la rame, qu’il n’avait été constaté aucun manquement aux règles de sécurité imposées à l’exploitant du réseau et que celui-ci ne saurait se voir reprocher de ne pas prendre toutes mesures rendant impossible le passage à l’acte de personnes ayant la volonté de produire le dommage auquel elles s’exposent volontairement, la cour d’appel a décidé à bon droit que la faute commise par la victime exonérait la RATP de toute responsabilité ; D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ;

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2nd arrêt

Attendu, selon l’arrêt confirmatif attaqué (Douai, 12 novembre 2001), que M. X... a commandé à M. Y... une machine spécialement conçue pour les besoins de son activité professionnelle ; qu’en raison de l’état de santé de ce dernier, les parties sont convenues d’une nouvelle date de livraison qui n’a pas été respectée ; que les examens médicaux qu’il a subis ont révélé l’existence d’un cancer des suites duquel il est décédé quelques mois plus tard sans que la machine ait été livrée ; que M. X... a fait assigner les consorts Y..., héritiers du défunt, en résolution du contrat et en paiement de dommages-intérêts ; Sur le premier moyen : Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt d’avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1) qu’en estimant que la maladie dont a souffert M. Michel Z... avait un caractère imprévisible, pour en déduire qu’elle serait constitutive d’un cas de force majeure, après avoir constaté qu’au 7 janvier 1998, date à laquelle M. Michel Y... a fait à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, M. Michel Y... savait souffrir, depuis plusieurs mois, d’une infection du poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail et se soumettait à de nombreux examens médicaux, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l’article 1148 du code civil ; 2) qu’un événement n’est pas constitutif de force majeure pour le débiteur lorsque ce dernier n’a pas pris toutes les mesures que la prévisibilité de l’événement rendait nécessaires pour en éviter la survenance et les effets ; qu’en reconnaissant à la maladie dont a souffert M. Michel Y... le caractère d’un cas de force majeure, quand elle avait constaté que, loin d’informer son cocontractant qu’il ne serait pas en mesure de livrer la machine commandée avant de longs mois, ce qui aurait permis à M. Philippe X... de prendre toutes les dispositions nécessaires pour pallier le défaut de livraison à la date convenue de la machine commandée, M. Michel Y... avait fait, le 7 janvier 1998, à son cocontractant la proposition qui fut acceptée de fixer la date de livraison de la commande à la fin du mois de février 1998, soit à une date qu’il ne pouvait prévisiblement pas respecter, compte tenu de l’infection au poignet droit justifiant une incapacité temporaire totale de travail, dont il savait souffrir depuis plusieurs mois, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé, en conséquence, l’article 1148 du code civil ; Mais attendu qu’il n’y a lieu à aucuns dommages-intérêts lorsque, par suite d’une force majeure ou d’un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ; qu’il en est ainsi lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie, dès lors que cet événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution, est constitutif d’un cas de force majeure ; qu’ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que seul Michel Y... était en mesure de réaliser la machine et qu’il s’en était trouvé empêché par son incapacité temporaire partielle puis par la maladie ayant entraîné son décès, que l’incapacité physique résultant de l’infection et de la maladie grave survenues après la conclusion du contrat présentait un caractère imprévisible et que la chronologie des faits ainsi que les attestations relatant la dégradation brutale de son état de santé faisaient la preuve d’une maladie irrésistible, la cour d’appel a décidé à bon droit que ces circonstances étaient constitutives d’un cas de force majeure ; D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ; […] PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X... aux dépens ;

*****

PROPOSITION DE CORRIGE Observations liminaires : bien qu’ils traitent tous deux du problème de la force majeure, les deux arrêts proposés présentent des spécificités importantes. Il convient dès lors de procéder à un commentaire comparé des décisions. Un tel exercice implique de mettre les arrêts en perspective entre eux, et non seulement au regard du droit positif. S’agissant d’arrêts récents, leur portée supposée doit être examinée avec soin, en n’hésitant pas à exercer un regard critique. Il faut, en tout état de cause, éviter de transformer cet exercice en une dissertation sur le thème de la force majeure.

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L’ « ouragan » (expression de P.-H. Antonmattéi) qui soufflait sur la jurisprudence depuis les années 1980 n’a pas emporté la conception classique de la force majeure. C’est ce que l’Assemblée plénière de la Cour de cassation s’emploie à démontrer par deux arrêts du 14 avril 2006, visant à clarifier la situation. Dans un premier arrêt, rendu en matière délictuelle, le corps sans vie d’une femme avait été découvert entre le quai et la voie dans une gare desservie par la RATP. Au pourvoi de son mari, qui reprochait aux juges du fond de l’avoir débouté de sa demande d’indemnisation fondée sur l’article 1384 alinéa 1er du Code civil, la Cour de cassation répond que « si la faute de la victime n’exonère totalement le gardien qu’à la condition de présenter les caractères de la force majeure, cette exigence est satisfaite lorsque cette faute présente, lors de l’accident, un caractère imprévisible et irrésistible ». La faute volontaire de la victime excluait ainsi la responsabilité du transporteur. Un motif très proche est reproduit dans le second arrêt, rendu en matière contractuelle. En l’espèce, un client avait commandé à un artisan une machine spécialement conçue pour les besoins de son activité professionnelle. En raison de l’état de santé de ce dernier, les parties étaient convenues d’une nouvelle date de livraison, qui n’a pas été respectée. Les examens médicaux subis par l’artisan avaient en effet révélé l’existence d’un cancer, des suites duquel il est décédé sans pouvoir livrer la machine. Le client forma un pourvoi contre l’arrêt qui avait exclu toute indemnisation. L’Assemblée plénière le rejette en précisant, après avoir rappelé les termes de l’article 1148 du Code civil, que « lorsque le débiteur a été empêché d’exécuter par la maladie », cet événement est constitutif d’un cas de force majeure dès lors qu’il présente « un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution ». Au fond, était posée la question des critères et de l’appréciation de la force majeure, tant en matière contractuelle que délictuelle. La solennité de la formation, la large publicité dont ils bénéficient, démontrent l’importance que la Cour de cassation entend donner à ces arrêts. Ressentant la nécessité de clarifier et unifier les solutions applicables, l’Assemblée plénière semble marquer un retour à une conception classique. Au-delà de cette clarification apparente (I), subsistent pourtant des interrogations persistantes (II).

I — CLARIFICATION APPARENTE

Sans revenir à la trilogie classique, la Cour de cassation tente de clarifier la situation en exigeant un événement irrésistible et imprévisible quelle que soit la matière (B). En revanche, l’extériorité semble devoir être écartée (A).

A. L’extériorité écartée La condition d’extériorité, qui répond au souci d’imposer au responsable tout ce qui était de son fait, était traditionnellement exigée par la jurisprudence. Or les arrêts commentés n’en font aucune mention. Certes, en présence d’arrêts de rejet, il convient de garder une grande prudence dans l’interprétation, spécialement lorsque, comme en l’espèce, les pourvois n’invoquaient pas cette circonstance. D’ailleurs, le communiqué de presse de la Cour de cassation précisait que les critères cumulés de la théorie classique,

incluant l’extériorité, étaient réaffirmés par les arrêts du 14 avril 2006 (communiqué disponible sur le site : www.courdecassation.fr). Pourtant, il semble bien que l’extériorité ne soit plus désormais considérée comme un critère de la force majeure. Dans l’arrêt rendu en matière contractuelle, la Cour de cassation a admis l’existence d’un cas de force majeure alors que le débiteur avait été empêché d’exécuter par la maladie. Peu importerait donc que la maladie touche directement la personne du débiteur. Cette solution confirme, quoique de manière moins nette, un arrêt qui avait retenu que « la maladie du débiteur, irrésistible, constituait un événement de force majeure, bien que n’étant pas extérieure à celui-ci » (Cass. Civ. 1re 10 févr. 1998). L’Assemblée plénière se garde bien de suivre son avocat général en affirmant de manière générale que l’extériorité ne serait plus une condition de la force majeure. Sans doute peut-on alors exclure l’extériorité, au moins en matière contractuelle, lorsque l’événement, quoique lié au débiteur, lui est « psychologiquement » extérieur. L’extériorité serait alors entendue comme l’imputabilité de l’événement au débiteur. Ainsi, la maladie ou la grève pourraient constituer des cas de force majeure, dès lors qu’elles étaient imprévisibles et irrésistibles. L’arrêt rendu en matière délictuelle pourrait conforter cette position, qui ne mentionne pas plus l’extériorité. Cependant, il est courant que les arrêts ne s’appesantissent pas sur la condition d’extériorité, ce qui ne contribue pas à clarifier la situation (v. par ex. récemment, Cass. civ. 1re 30 mai 2006 qui n’évoque pas la condition d’extériorité, pourtant mentionnée par le pourvoi, mais indiscutable en l’espèce). L’exclusion apparente de l’extériorité est confortée par l’exigence cumulée de l’irrésistibilité et de l’imprévisibilité.

B. Le cumul des conditions d’irrésistibilité et

d’imprévisibilité

Les deux arrêts retiennent l’existence d’un cas de force majeure lorsque l’événement était à la fois irrésistible et imprévisible. L’Assemblée plénière a donc pris le parti de clarifier la controverse existante en unifiant les solutions applicables en matière contractuelle ou délictuelle. L’exigence d’irrésistibilité n’est pas surprenante, qui constitue pour de nombreux auteurs la justification principale de la force majeure (v. ainsi, G. Viney et P. Jourdain). On ne saurait tenir pour responsable celui qui ne pouvait surmonter l’événement. Évidente, cette condition a toujours été exigée en toutes matières par la jurisprudence. Aussi l’intérêt des arrêts du 14 avril 2006 réside-t-il surtout dans le maintien de l’imprévisibilité. Nombreux sont en effet les arrêts rendus en matière contractuelle qui admettaient que l’irrésistibilité suffisait à elle seule à caractériser la force majeure (v. par ex. Cass. civ. 1re, 6 nov. 2002). Le contraste avec la responsabilité délictuelle était alors saisissant, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation persistant à exiger un événement irrésistible et imprévisible. L’unification réalisée par les arrêts commentés se traduit donc par un retour de la condition d’imprévisibilité, tant en matière délictuelle que contractuelle. Ainsi, la maladie peut constituer un cas de force majeure « dès lors que cet événement, présent[ait] un

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caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution ». Cette solution condamne a priori la notion d’inévitabilité, proposée par la doctrine, et utilisée explicitement par plusieurs arrêts. La formulation des arrêts ne permet pas cependant de tirer des enseignements définitifs. Si la Cour de cassation semble bien avoir souhaité réintroduire la notion d’imprévisibilité en matière contractuelle, l’espèce en cause ne permettait pas de trancher la question de manière claire. La maladie du débiteur, dont l’évolution fut foudroyante, était manifestement imprévisible au jour de la conclusion du contrat. Dès lors, la solution retenue n’aurait sans doute pas été différente en définissant la force majeure par la seule irrésistibilité. Mieux même, l’arrêt rendu en matière délictuelle fait douter de l’exigence cumulée de l’irrésistibilité et de l’imprévisibilité. Peut-on en effet sérieusement prétendre que le suicide d’une personne qui se jette sous un train est imprévisible pour le transporteur ? Prendre le métro quotidiennement devrait suffire à se convaincre du contraire. Derrière les termes employés par la Cour de cassation, on doit s’attacher à l’appréciation concrète des faits. La clarification escomptée ne dissimulerait-elle pas alors des questions non résolues ?

II — INTERROGATIONS PERSISTANTES

L’appréciation des critères de la force majeure (A) pourrait laisser subsister une hiérarchie entre eux (B).

A. Appréciation des critères de la force majeure L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a confirmé les modalités classiques d’appréciation des critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. L’imprévisibilité doit être appréciée « au jour de la conclusion du contrat » en matière contractuelle, au jour de la survenance du dommage en matière délictuelle. Cette solution permet d’adapter la condition d’imprévisibilité à la spécificité contractuelle. Ainsi, le débiteur frappé d’une maladie qui s’est déclenchée postérieurement à la formation du contrat ne supportera pas les conséquences de son inexécution. Est-ce à dire pourtant qu’en matière contractuelle, la survenance de la maladie au cours de l’exécution du contrat, rendant prévisible l’inexécution ultérieure n’imposerait aucune obligation à la charge du débiteur ? Ne serait-il pas préférable que ce dernier informe son créancier, sur le fondement d’une obligation de loyauté déduite de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil, des suites prévisibles, lui permettant ainsi de prendre les mesures nécessaires ? Le silence gardé par la Cour de cassation face au pourvoi qui invoquait précisément un tel argument pourrait signifier sa volonté de ne pas imposer une telle obligation. Ne dispenserait-on pas alors le débiteur à bon compte, en rendant superflue toute mesure de prévention de l’inexécution ?. L’irrésistibilité de l’événement pourrait-elle d’ailleurs être caractérisée ? Les deux arrêts rappellent que l’irrésistibilité doit être appréciée au jour de la survenance de l’événement. C’est

pourtant sur la méthode d’appréciation que la solution est la plus originale. Les arrêts rendus en matière délictuelle se montrent généralement d’une grande sévérité. Récemment encore, la Cour de cassation a censuré un arrêt qui avait retenu la force majeure après avoir relevé une multitude de fautes de la victime, percutée par un train alors qu’elle errait sur une voie, la SNCF n’ayant pas vérifié l’absence de passagers dans la rame avant de la diriger vers le dépôt (Cass. civ. 2e 15 déc. 2005). Dans l’hypothèse soumise à l’Assemblée plénière, la faute intentionnelle de la victime qui recherchait volontairement la réalisation du dommage a suffi à caractériser la force majeure. La solution prend ici une coloration punitive, le transporteur ne pouvant « se voir reprocher de ne pas prendre toutes mesures rendant impossible le passage à l’acte de personnes ayant la volonté de produire le dommage auquel elles s’exposent volontairement » (premier arrêt). Appliqué en matière contractuelle, une telle position aurait pour effet de rapprocher la force majeure de l’imprévision, qui concerne en principe l’équilibre objectif entre les prestations promises et non l’impossibilité d’atteindre le résultat voulu. Une telle interprétation serait cependant trop radicale. Il faut sans doute penser que l’appréciation judiciaire des critères de la force majeure conduira à établir une hiérarchie entre eux.

B. Hiérarchie des critères de la force majeure ? Exiger la réunion de l’irrésistibilité et de l’imprévisibilité ne suffit pas à déterminer leur rôle respectif. Concrètement, l’imprévisibilité doit-elle être placée sur le même plan que l’irrésistibilité ? La jurisprudence relative aux vols à main armée de transporteurs de fonds est particulièrement intéressante à cet égard. Si la Cour de cassation a progressivement admis que le transporteur pouvait s’exonérer de sa responsabilité en cas de braquage (v. par ex., Cass. com. 29 mai 2001), événement prévisible par nature, c’est que l’irrésistibilité lui paraissait primer sur les autres conditions de la force majeure. Une interprétation large des arrêts commentés mettrait en doute la pérennité d’une telle solution. L’Assemblée plénière ne prenant pourtant pas directement parti sur ce point, il est possible d’envisager une conception plus souple dans laquelle l’imprévisibilité ne serait qu’un élément « adventice » (A. Bénabent,) utilisé comme un simple indice de l’irrésistibilité. Dans cette hypothèse, l’imprévisibilité servirait seulement à démontrer que l’événement présentait un caractère irrésistible. Bien que les termes employés par les arrêts semblent l’exclure, l’inévitabilité de l’événement pourrait alors ressurgir sous le couvert de l’imprévisibilité. Cette solution est préconisée par l’avant-projet de réforme du droit des obligations, qui retient que « la force majeure consiste en un événement irrésistible que l’agent ne pouvait prévoir ou dont on ne pouvait éviter les effets par des mesures appropriés (art. 1349 al. 3). Ce n’est pas le moindre des paradoxes de ces arrêts, destinés à clarifier et unifier le régime de la force majeure, que de susciter tant de questions sur sa nature.

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THEME 2

METHODOLOGIE DU COMMENTAIRE

DE TEXTE JURIDIQUE

Le commentaire de texte fait partie des épreuves traditionnellement proposées aux étudiants et aux candidats à des examens et concours. Il intéresse particulièrement les juristes car une partie importante de l’activité de ceux-ci consiste précisément à déterminer le sens et la portée de textes à caractère normatif.

I / L’ESPRIT DE L’EXERCICE

Toutes sortes de textes peuvent être donnés à commenter : - articles de la Constitution ; - dispositions d'une convention internationale ; - des textes législatifs ; - des dispositions réglementaires ; - des propositions et projets de loi ; - des textes doctrinaux ; - etc.

L’exercice est assez délicat.

Le commentaire attendu est en en effet le contraire même d’une paraphrase. Ce commentaire doit partir du texte, mais son intérêt tient à la valeur qu’il y ajoute : il doit en préciser le sens mais aussi en relever les mérites et/ou les insuffisances. On ne peut parvenir à ce résultat que si l’on possède des connaissances préalables.

Le commentaire se distingue de la dissertation en ce que les considérations de forme y tiennent une place moins

fondamentale. On ne peut avancer de règles générales parce que les textes proposés sont très divers : par leur longueur (d’une ligne à plusieurs pages), leur thématique, leur nature, leur densité, leur qualité rédactionnelle… Quelques points de repère peuvent cependant être fixés. Tout commentaire doit répondre à trois impératifs : expliciter, illustrer, discuter. La nature du texte peut conduire à privilégier un ou deux d’entre eux, mais aucun ne doit être complètement absent.

Expliciter, c’est préciser le sens du texte en rendant clairs les passages difficiles ou ambigus et préciser la signification des passages « allusifs ». Aucun texte n’est transparent car les mots peuvent avoir plusieurs sens. L’auteur peut utiliser des synonymes pour désigner les mêmes choses, ou les mêmes mots pour désigner des choses différentes. ;

Il faut illustrer le texte. Commenter le texte suppose d’apporter des exemples, ou de nouveaux exemples, qui prolongent la lettre du texte.

Vous pouvez également opposer au texte des contre-exemples. On passe ici au troisième impératif : discuter. La distance critique est toujours appréciée à la condition que la critique soit maîtrisée… Ne vous laissez pas tenter par la désapprobation catégorique : mesurez votre point de vue et confrontez-le posément à la position qui ressort de l’analyse du texte.

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II / LA TECHNIQUE DE L’EXERCICE

II.1. LA PREPARATION Avant de vous « plonger » dans le texte, procédez à son examen, et réunissez sur lui ces quelques informations essentielles :

Quel est ce texte et d'où provient-il ?

Doivent être précisées, en réponse à cette première question, la nature du texte, son origine (ou auteur), sa date, sa localisation dans la globalité du texte (Code, loi, ouvrage…) dont il est issu.

Quel est son domaine général et son objet précis ?

La thématique juridique abordée par le texte ainsi que sa teneur générale doivent être déterminées à ce stade.

Comment se présente-t-il ? Relevez les caractéristiques du texte en termes de dimension, divisions et articulations.

II.2. LA LECTURE DYNAMIQUE DU TEXTE

Elle suppose plusieurs lectures approfondies, car cette analyse doit être menée à divers niveaux successifs.

II.2.1. L’étude de la structure du texte

Deux volets doivent être envisagés au titre de la structure du texte :

Structure typographique et grammaticale Remarquez les divisions en paragraphes ou alinéas, ainsi que la ponctuation (surtout si le texte est bref). Ces divisions sont essentielles car elles indiquent souvent le « plan » du texte.

Structure logique L’étude de la structure logique s’entend de l’examen du type de propositions ou de dispositions contenues dans le texte. Vous rechercherez si l’on y trouve, par exemple, une « notion » puis son « régime », un « principe » puis son « exception »… Vous mettrez également en relief les conditions d’application, les énumérations (limitatives ou indicatives), les exclusions …, Si le texte commenté contient une argumentation ou un raisonnement, notez la nature des arguments dont il est fait usage (raisonnement par déduction ou par induction, argument a fortiori ou a contrario, argument analogique..).

Cette étude de la structure logique est un travail d'interprétation du texte. S'il s'agit d'un texte législatif ou réglementaire, vous

devrez y rattacher la jurisprudence et la doctrine le concernant.

II.2.2. L’étude lexicale du texte Les mots, les expressions employées, doivent être minutieusement analysés et explicités. Chaque mot, chaque expression technique, chaque préposition, chaque adjectif, chaque adverbe doit être précisément appréhendé.

Vous devez faire ressortir les mots clés, les concepts clés : c'est souvent « autour » d'un mot ou d'une expression qu'ont été élaborées des théories doctrinales ou des constructions jurisprudentielles. Les termes sont alors si significatifs qu'ils feront à eux seuls l'objet d'une partie du commentaire.

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II.3. LA DETERMINATION DU SENS DU TEXTE

La détermination du sens du texte vous impose de dégager systématiquement, puis d’expliquer la teneur du texte. De nombreuses questions peuvent orienter votre travail :

Quelle situation est visée par le texte ? Quel système institue-t-il ? Quelles règles édicte-t-il ?

Quelles notions y sont définies ? ou impliquées ?

Porte-t-il autorisation ? S’agit-il, au contraire, d’un texte porteur d’une interdiction ? Quelles sont les conditions posées par ce texte ? Dans l’hypothèse d’une opinion d’auteur, quelles idées y sont exprimées ? Quels sont les points de vue ou idées

qui y critiqués ?

etc. Vous devez non seulement dégager et expliciter la signification globale du texte à commenter, mais aussi celle de chacune de ses composantes.

II.4. LA DETERMINATION DU « CONTEXTE »

Vous devez, après avoir dégagé la signification du texte, abordé la recherche de l'environnement juridique du texte C'est la recherche d'éléments de commentaire extérieurs au texte, mais qui en constituent l'environnement intellectuel et juridique. Un texte n'est jamais un élément isolé. II fait partie d'un vaste ensemble cohérent, et on ne peut le comprendre et l'expliquer qu'à la lumière de son environnement, en relevant comment il s'insère dans le droit positif, dans la pensée juridique, dans l'évolution des mœurs et des idées, etc.

Suivant une démarche ternaire classique, vous vous attacherez à une étude du contexte « en amont » du texte, à une étude du contexte « parallèle » au texte puis à un étude du contexte « en aval » du texte.

1. En amont du texte

- Examinez les origines et les fondements (d'un texte législatif dans son ensemble, ou de l'une de ses dispositions, ou d'une opinion contenue dans un texte d’auteur) :

Quelles sont les origines historiques de ce texte ?

Quelles sont ses sources ?

Sur quels principes généraux ou « supérieurs » est-il fondé ?

De quelle théorie ou philosophie s'inspire-t-il ? Par quel courant d'idées ou d'opinion a-t-il été inspiré?

- Examinez la finalité (d'un texte législatif, de l'une de ses dispositions ou encore d'une théorie doctrinale) :

Quelle est l'intention du législateur (ratio legis) ?

Quelle est l’objectif de l'auteur d’un texte (à caractère doctrinal) ?

Mettez en exergue l'objectif poursuivi, l'idée de base.

Dans l’hypothèse de dispositions législatives récentes, vous prendrez soin de préciser les motifs de l'intervention du législateur ainsi que l’apport de cette intervention au droit positif. Il sera également intéressant de déterminer si ces dispositions nouvelles ont été inspirées, réclamées par la doctrine, par un courant d'opinion, par un groupe de pression (« lobby »)…?

2. Le contexte parallèle au texte

Deux groupes de questions méritent attention :

Existe-t-il des dispositions complémentaires au texte commenté (renvois, exceptions…) ?

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Existe-t-il des dispositions ou des opinions voisines ? Trouve-t-on des dispositions ou des opinions comparables dans d’autres domaines ? Quid, éventuellement, des droits étrangers sur le sujet ?

3. En aval du texte

Evoquez les interprétations jurisprudentielles (d'un texte législatif ou réglementaire dans son ensemble, ou de l'une de ses dispositions, ou de l'un de ses termes)

Le texte a-t-il été appliqué par la jurisprudence, ou interprété, ou déformé ?

Comment, pourquoi ?

Exposez les appréciations critiques relatives au texte commenté

Comment ce texte a-t-il été reçu par les justiciables et par la doctrine ? Quels en sont les « qualités » et les « défauts » ? Il convient, lorsque vous abordez les aspects négatifs du texte, de ne pas sombrer dans la critique gratuite : justifiez votre propos au moyen d’arguments techniques, à caractère objectif.

Mesurez la portée (d'un texte, d'une disposition, d'une opinion) Vous pouvez ici vous interroger sur :

Les conditions d’application de ce texte ;

Ses incidences juridiques, économiques et sociales, tant positives que négatives ;

Une éventuelle abrogation ou modification de ce texte.

III / STRUCTURE ET CONTENU DU COMMENTAIRE DE TEXTE

III.1. LE PLAN

En règle générale, un commentaire de texte se construit selon le plan du texte lui-même.

Les règles de forme ne sont donc pas aussi strictes que celles de la dissertation juridique :

Le plan peut comporter plus de deux parties (jusqu'à trois ; au-delà, efforcez-vous d'opérer les regroupements qui sont vraisemblablement possibles). Mais, pour l’examen d’entrée au Barreau, vous privilégierez le plan en deux parties s‘il vous paraît praticable.

Il n'est pas nécessaire d'équilibrer rigoureusement les subdivisions du commentaire : si certaines parties du texte présentent plus d'intérêt et appellent plus d'explications que d'autres, vous pouvez leur donner une place plus importante.

Si le texte est bref et ne comporte qu'une seule phrase, prenez appui sur la structure grammaticale et logique de cette proposition ou même sur les mots clés.

S'il est plus long, suivez les divisions en alinéas, en articles (regroupés s'il y a lieu) ou en paragraphes.

Dans l’hypothèse (rare) où aucun plan ne se dégage de la structure du texte, recherchez un plan dans son contenu, dans

les notions dont il traite, dans les idées qui y sont exprimées. Vous veillerez, en ce cas, à ce que votre plan recouvre l'ensemble du texte et vous permette de le commenter en totalité sans cependant vous en éloigner.

Le plan « analyse-commentaire », possible pour le commentaire d'arrêt, est ici à écarter. Ne séparez jamais l'analyse du

texte des développements relatifs à son environnement juridique. Toutes les connaissances dont vous ferez état, toutes les

explications que vous donnerez doivent être placées dans le commentaire de telle partie du texte, de telle phrase, de tel

mot. Cela demande un travail de construction assez délicat, car vous devez répartir judicieusement dans le commentaire du texte tous les matériaux que vous avez réunis durant votre travail préparatoire.

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III.2. LA REDACTION DU COMMENTAIRE

III.2.1. L’introduction du commentaire

Un schéma d’introduction s'impose dans la majorité des cas, car il consiste en une indispensable présentation du texte :

Mise en situation du texte

Vous devez préciser la nature du texte (loi, décret, texte doctrinal...) puis son origine ou son auteur. La date du texte devra être également relevée. Si le texte est un extrait d’ouvrage (ou d’un texte plus global), vous essaierez de « localiser » cet extrait au sein de l’ouvrage (ou de ce texte plus global) de manière à le contextualiser.

Domaine général du texte, puis sujet précis Il conviendra, à ce stade de l’introduction, de développer quelques indications très générales sur l’environnement juridique du texte puis sur son objet. Vous devez cependant soigneusement éviter d’aborder ce qui relève de l’analyse ou du commentaire d’une partie du texte, ce travail relevant des seuls développements.

Structure d'ensemble

L’étude de la structure d’ensemble du texte s’entend de l’examen de ses dimensions, de ses divisions apparentes (articles, alinéas ou paragraphes) puis de l’exposé du plan du texte.

Annonce du plan de commentaire

L’annonce du plan du commentaire rejoindra, le plus souvent, l’exposé du plan du texte. Si vous ne tirez pas votre plan de la structure du texte, il est souhaitable de faire précéder l'annonce du plan de celles des idées essentielles du texte.

III.2. Les développements

Les qualités rédactionnelles attendues au titre du commentaire de texte sont identiques à celles exigées pour les autres types d’exercices. Vous vous efforcerez d’illustrer vos analyses et commentaires sur le texte, de manière à préciser votre pensée et démontrer votre maîtrise du droit positif afférent à la question ou les questions abordées par le texte.

III.2. 3. Conclusion ?

L’exercice du commentaire ne comporte pas à proprement parler de conclusion. Le but n’est pas d’imposer une thèse, la vôtre ou celle de l’auteur, mais de faire progresser la compréhension du texte et des questions qu’il soulève. Si cet objectif est atteint, l’exercice est réussi et il apparaît, ici encore, inutile d’en dire et écrire plus.

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III. 3. EXEMPLE REDIGE DE COMMENTAIRE DE TEXTE(S)

Commentaire de l’article 2224 du Code civil issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

Proposition de correction du commentaire d’article 2224 issu de la loi n° 2008-561

du 17 juin 2008

Observations générales. Le commentaire de l’article 2224 est l’occasion d’en éprouver les limites. S’agissant d’un texte relativement récent, son étude permet d’une part, d’exposer l’état du droit antérieur afin d’expliquer le choix réalisé par le législateur et, d’autre part, d’étudier les potentialités et les limites de ce texte en s’attachant aux termes mêmes qu’il sollicite. Pour mener cette étude, il faut ici suivre le découpage que sa forme suggère. Enfin, le délai butoir, en tant qu’il répond au choix d’un point de départ flottant, doit être évoqué en toute fin de commentaire.

L’esprit de réforme gronde dans le droit civil. Rien ne paraît lui échapper, pas même cette grande dame à laquelle les rédacteurs, essoufflés par le périple de la codification, ne rendirent qu’un hommage incomplet : « La fatigue commençait à peser sur la longue et laborieuse rédaction du corps de nos lois civiles ; les discussions du Conseil d’État sont écourtées, rares et vides ; les orateurs du gouvernement et du tribunat ont hâte d’en finir, et l’on sent que le législateur, succombant sous le poids de son œuvre immense, soupire après l’instant d’arriver au port » (in, M. Troplong : Le droit civil expliqué suivant l’ordre des articles du code, depuis et y compris le titre de la vente. De la prescription, ou commentaire traité du titre XX du Livre III du Code civil. Tome premier. Paris, Charles Hyngray Libraire-éditeur, 3ème éd., 1838, préface, p. XII). Souvent oubliée parce que située à l’extrême fin du Code civil, la prescription est restée dans l’ombre des quelques 2218 articles qui la précèdent, sans que son importance ne parvienne à l’imposer. Cette situation contribua à maintenir les « imperfections fâcheuses » (in, M. Troplong : op. cit., loc. cit.), dénoncées dès les premières heures de sa naissance et auxquelles vinrent se greffer celles découlant des tendances naturelles du droit moderne. La prescription devint ainsi, au fil du temps, un lacis inextricable de règles de portée variable, insusceptibles d’assurer la sécurité juridique nécessaire. Parallèlement, le droit français devait perdre de son attractivité face à ce droit de la prescription poussiéreux, parfaitement inadapté aux enjeux économiques modernes. En juin 2004, un groupe de travail présidé par M. J.-F. Weber, président de la troisième Chambre civile de la Cour de cassation entama un état des lieux et ouvrit la voie à une refondation du droit de la prescription. Parallèlement, l’avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription, présenté au Garde des Sceaux le 22 septembre 2005, s’attacha à la restauration du droit de la prescription notamment au regard des données du droit européen Cet élan déboucha tout d’abord sur un premier projet de loi de simplification du droit déposé le 13 juillet 2006 au Sénat par Th. Breton et J.-F. Copé proposant une réforme par voie d’ordonnance. Elle ne vit finalement pas le jour. Finalement, la Commission des lois du Sénat constitua une mission d’information relative au régime des prescriptions civiles et

pénales. Elle proposa, après nombre d’auditions, dix recommandations en matière civile et sept en matière pénale. Une proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile lui fit rapidement suite. Elle insistait largement sur la nécessité d’une telle réforme. Au cœur de cette proposition, trois objectifs : la simplification et la modernisation du droit de la prescription, la réduction de la durée et du nombre de délais. La nécessité et l’urgence d’une telle réforme en facilitèrent la réalisation puisque, malgré quelques oppositions, elle aboutit assez rapidement à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. L’un des apports les plus évidents de cette loi reste sans nul doute le toilettage du délai de prescription de droit commun aujourd’hui organisé à l’article 2224. Selon cette disposition, « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Tout en réduisant considérablement le délai de droit commun, désormais porté à cinq ans (I), elle fixe un nouveau point de départ, succombant au mouvement de subjectivation, perceptible tant en droit interne qu’en droit européen (II).

I / LA CONSECRATION DU DELAI QUINQUENNAL DE DROIT

COMMUN L’article 2224 consacre un délai de droit commun de cinq ans (B) applicable aux « actions personnelles ou mobilières » (A).

A. Le domaine du délai de droit commun L’article 2224 ne s’applique qu’aux « actions personnelles ou mobilières ». Cette formulation ouvre deux pistes de réflexion. La première concerne l’objet désormais attaché à la prescription (1), la seconde, le domaine rationae materiae de la nouvelle prescription de droit commun (2). 1. L’objet de la prescription. Le droit de la prescription a, depuis la dissociation action en justice/droit, pâti de la variabilité des terminologies utilisées. Jusqu’à la réforme du droit de la prescription, l’application successive de la

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prescription au droit substantiel et à l’action en justice laissait planer le doute quant à l’objet qu’elle saisissait. Malgré une très forte réception de la conception substantialiste, le droit français a, ici comme ailleurs, subi l’influence des droits étrangers. Les droits de common law, promoteurs d’une conception essentiellement processuelle de la prescription, ont peu à peu séduit une partie de la doctrine française. En jeu, cette curieuse obligation naturelle qui s’échapperait de la prescription et qui ne ferait, enseigne-t-on, que quelques apparitions fugaces en présence d’un paiement réalisé une fois la prescription acquise. L’incertitude avait même porté la doctrine à soutenir la thèse d’une dualité d’objet, la prescription s’adressant selon les cas à l’action en justice ou au droit. Sur ce terrain, l’article 2224 prend nettement position. En visant essentiellement les « actions personnelles ou mobilières », il reçoit la thèse de la conception processuelle. Résolvant les incertitudes internes, cette solution cadrerait parfaitement avec l’objectif d’harmonisation européenne. L’objectif législatif de simplification et de modernisation du droit de la prescription serait donc ici parfaitement atteint. C’est à tout le moins ce qu’une interprétation quelque peu extensive de ce texte laissait entendre. Le choix d’une prescription processuelle n’a ici rien de général. Le texte n’est pas un texte définissant la prescription mais seulement l’un de ceux qui régit le délai de droit commun et son point de départ. La réalité d’une telle consécration ainsi que sa portée ne peuvent donc être réellement mesurées qu’à la lecture de l’ensemble des dispositions de la loi. Or, deux exemples semblent contredire cette interprétation de l’article. La définition posée à l’article 2219 érige la prescription extinctive en « mode d’extinction d’un droit », élargissant considérablement le champ des objets possibles. Quelques lignes plus loin, l’article 2221 soumet la prescription extinctive « à la loi régissant le droit qu’elle affecte ». Or, cette solution, acquise en jurisprudence, ne se comprend qu’en présence d’une prescription substantielle. Dès lors si le délai de droit commun s’adresse explicitement aux actions en justice, il reste difficile d’affirmer sa nature exclusivement processuelle. Cette réforme ne réalise finalement « aucun progrès de la science juridique : il n’en ressort aucune conception claire de la nature de la prescription, ni de son fondement » (in, M. Mignot : « La proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile : une nouvelle application du droit de ne pas payer ses dettes ? », Petites affiches 26 février 2008, n° 41, p. 6). 2. La nature des actions en justice. Pour définir son domaine d’application, l’article 2224 croise, de façon assez curieuse, deux classifications. Sont prescrites par le temps qu’il prévoit les actions « personnelles ou mobilières ». Cette formulation appelle plusieurs observations. a. Le domaine matériel. Tout d’abord, l’article 2224 du Code civil est doté d’un domaine relativement large en ce qu’il couvre l’intégralité des actions personnelles ainsi qu’une partie des actions réelles. Les actions personnelles sont ici celles qui sanctionnent un droit personnel par opposition aux actions réelles qui viennent protéger la réalisation des droits réels. Les actions mobilières sont, quant à elles, les actions visant la réalisation des droits mobiliers (qu’ils soient personnels ou réels). Dès lors les actions en revendication mobilière sont-elles, elles aussi, du ressort de l’article 2224. Sa formulation, ne laissant place à aucune exception particulière, ne fait que conforter cette idée. Ceci étant, encore

qu’il soit d’une ampleur considérable, l’empire de la prescription organisé par l’article 2224 du Code civil trouverait sa limite dans cette énumération alternative. Ainsi, s’il s’impose comme le droit commun, il ne s’adresse qu’aux actions personnelles ou mobilières, ce que l’intitulé de la section 1 ne faisait pas apparaître. Le terme mis à la carrière de l’article 2262 du Code civil s’accompagne ici d’un morcellement du droit commun par catégorie d’actions. Le délai de droit commun des actions réelles immobilières sera, quant à lui, régi par le nouvel article 2227 (« (…) les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans (…) »). Par ailleurs, ce choix de définition de domaine pose une difficulté particulière. A croiser deux distinctions, le législateur en a oublié les catégories naissant à leurs intersections. La lettre de l’article 2224 exclut, semble-t-il, certaines actions mixtes. Si les actions personnelles mobilières y sont comprises grâce à la conjonction de coordination « ou », les actions personnelles immobilières telles que les actions en nullité des contrats de vente immobilière restent, quant à elles, à la croisée des chemins des articles 2227 et 2224. Ni tout à fait personnelles, ni tout à fait immobilières, ces actions se retrouvent finalement orphelines de prescription, encore que l’esprit de la réforme dicterait sûrement l’application du délai quinquennal en ces lieux. b. La portée du droit commun. La généralité de l’article 2224 est quelque peu trompeuse. S’il ne fait pas allusion à de possibles dérogations, ce n’est que pour asseoir son autorité. Maladresse de la réforme ou intention inavouée, les actions en nullité relative restent régies par l’article 1304 du Code civil. La remarque n’est que de faible portée dans la mesure où le délai prévu est identique à celui de l’article 2224 et les règles de fixation du point de départ, proches de celles constituant l’actuel droit commun. Contre toute attente, cet oubli pourrait bien conforter la généralité de l’article 2224. Pour autant, bien que la loi ait eu en vue de réduire le nombre des exceptions, elle ne les en pas moins fait survivre à sa promulgation. L’article 2223 dispose à cet effet que « les dispositions du présent titre ne font pas obstacle à l’application des règles spéciales prévues par d’autres lois ». Le domaine réel de l’article 2224 se déduira donc de la confrontation de son domaine théorique aux exceptions légales. Plus ces dernières seront nombreuses, plus son statut de droit commun se réduira à la seule fonction de catégorie résiduelle. Ainsi, « comme beaucoup de démarches prometteuses d’aujourd’hui, le résultat est modeste. Beaucoup de bruit pour peu de chose. C’est mieux que beaucoup de bruit pour rien ou pas grand-chose. Mais derrière la paille des mots, on aurait préféré qu’il y eût beaucoup de grain, fût-il du grain à moudre » (in, Ph. Malaurie : « Le Sénat et la réforme de la prescription civile (une démarche prometteuse au contenu modeste) », Petites affiches 4 mars 2008, n° 46, p. 3).

B. La consécration du délai quinquennal La réforme consacre un délai de droit commun six fois inférieur au délai trentenaire classique (1). Cette petite révolution, encore que nécessaire, ne résout cependant pas, contrairement à l’objectif affiché de la réforme, la difficulté liée à l’éclatement des délais. 1. La réduction significative du délai dit « de droit commun ». Le choix du délai quinquennal concrétise la volonté affirmée d’abandonner certains grands noms du droit de la prescription. L’ancien droit de la prescription avait mis en évidence, au-delà d’une nette tendance à l’éclatement des

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délais, un fort mouvement de raccourcissement des délais. La majorité des 250 délais, dénombrés par le groupe de travail présidé par M. J.-F. Weber, utilisait des durées qui allaient de un mois à dix ans. Peu d’entre eux exploitaient les durées s’étendant entre 10 et 30 ans. Cette densification des délais de courte durée avait considérablement atteint le délai droit commun. La prescription trentenaire ne parvenait plus à s’imposer face à la rapidité des échanges et au besoin de sécurité. Elle ne se justifiait pas non plus face à l’accès facilité aux informations juridiques pertinentes (in, A. Chardeau, G. Duquet : « La réforme de la prescription civile : un enjeu juridique et économique », Petites affiches 11 Avril 2008, n° 74, p. 4). La critique n’est d’ailleurs pas nouvelle. En 1948, elle apparaissait déjà « comme un être antédiluvien qu’il est aussi dangereux qu’illogique de conserver » (in, P. Souty : « La prescription trentenaire doit disparaître », Gaz. pal. 1948.doct.43). Prime à la paresse, la longueur était perçue comme un frein à l’activité économique. Unanimement, elle faisait de plus perdre au système français toute compétitivité face aux systèmes étrangers optant pour des coupes plus dynamiques allant de dix (Italie, Suède, Finlande, Suisse) à trois ans (Allemagne). Elle était d’ailleurs largement supplantée par le délai décennal. Pour autant, ce dernier n’eut pas non plus les honneurs de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, malgré les préconisations de la Cour de cassation (v. notamment, Rapport de la Cour de cassation 2001 et 2002), le projet de réforme par ordonnance, les propositions faites par le Medef ainsi qu’un amendement déposé en ce sens. Le délai de droit commun est désormais quinquennal. Si le choix d’une durée particulière confine souvent à l’arbitraire, la tranche utilisée n’en révèle pas moins les intentions qui animèrent le législateur. Elle restaure la compétitivité du droit français au plan européen et international. Le délai quinquennal s’imposait finalement comme « (…) un juste équilibre entre le risque qu’un délai de prescription trop long ne crée de l’insécurité et le risque qu’un délai trop court ne devienne une source d’injustice pour les titulaires de droits » (in, E. Blessig : Rapport n° 847). Au-delà de la durée du délai, c’est l’ampleur de sa réduction qui surprend. Cette révolution était cependant largement attendue et s’affichait comme l’un des principaux objectifs de la réforme. Elle était d’ailleurs quelque peu annoncée dans les réformes précédentes. Le choix d’un délai particulièrement bref, bien que restaurant une partie de la compétitivité du système de prescription français, n’en a pas moins reçu un accueil mitigé. Faute de réelle réflexion théorique, le bilan économique de cette réforme serait, en définitive, assez modeste : « les praticiens (qui) prédisent une explosion des actions préventives dans le but de conserver les droits », murmure-t-on (in, S. Amrani-Mekki : « Liberté, simplicité, efficacité, la nouvelle devise de la prescription ? A propos de la loi du 17 juin 2008 », JCP éd. G. 2008.I.160, n° 29 in fine). La réduction des coûts d’archivage se trouverait rapidement compensé par les frais engagés pour éviter que la prescription ne s’accomplisse. Par ailleurs, ce délai favorise à lui seul les comportements opportunistes : certains débiteurs peuvent être tentés de jouer la montre et les créanciers, face à cette passivité légalement autorisée, d’agir promptement afin d’interrompre ou de suspendre la prescription. Or, le coût pourrait conduire les créanciers à abandonner leurs créances d’un faible montant. En définitive, « il n’est pas sûr que le choix d’un délai court soit le plus efficient d’un point de vue économique » (in, M. Mignot : op. cit., p. 6).

2. L’éclatement des délais. « Réduire le délai de droit commun de trente ans à cinq ans n’aurait qu’une portée limitée si cette mesure ne met pas fin au foisonnement des délais de prescription, source de complexité du droit civil français » (in, A. Chardeau, G. Duquet : op. cit., p. 4). Or, en dépit de cette modification significative de la durée du délai, le système de délais reste dans son principe identique au système antérieur. Les propositions de systématisation des délais autour de grandes catégories correspondant à deux ou trois durées types (long, moyen et court) n’ont finalement pas été reçues. Autour du délai de droit commun gravite un certain nombre de délais spéciaux dont la coupe est choisie en fonction des particularités de la matière qu’ils sont amenés à régir : ainsi, « à mesure que l’intérêt protégé est essentiel, la durée s’allonge » (in, S. Amrani-Mekki : op. cit., n° 36 in fine). Dès lors, la généralité de la lettre de l’article 2224 ne crée qu’une uniformité de façade faisant une large place aux dérogations. S’épanouissent, à côté du délai quinquennal, nombre de délais d’une durée supérieure à cinq ans (v. le délai trentenaire de la prescription des actions en nullité absolue du mariage, le délai décennal de la prescription des titres exécutoires, des actions en responsabilité civile pour les dommages corporels). Concernant les délais de durée plus courte, le Sénat a rejeté l’idée d’un alignement général sur le nouveau délai de droit commun, chacun d’entre eux obéissant à des motifs propres. C’est donc par le biais de réformes sectorielles que leur refonte devrait être envisagée. Soulignant l’impossibilité d’une unification absolue du délai de prescription, la réforme laisse donc la place à de nouveaux conflits de délais et semble, sous cet angle, ne point honorer son objectif de simplification. Les craintes qu’avait suscité la proposition d’une réduction drastique du délai de droit commun n’auront donc finalement pas empêché l’admission du délai quinquennal. Tout au plus auront-elles imposé un changement corrélatif des règles venant fixer le point de départ de la prescription. Le point de départ objectif a ainsi été remplacé par un point de départ dit flottant, venant compenser la brièveté du délai.

II / LA FIXATION D’UN NOUVEAU POINT DE DEPART

La consécration d’un point de départ flottant (A) soulève, malgré la clarté du texte, un certain nombre de difficultés de mise en œuvre (B).

A. L’introduction de la technique du point de départ

flottant

Le choix d’un point de départ flottant n’est pas très surprenant dans son principe puisque l’éclatement des règles classiques de fixation du point de départ de la prescription avait laissé échapper quelques unes de ses applications (1). En revanche, le contexte européen ainsi que le chaos des règles du droit interne en rendaient l’introduction généralisée souhaitable (2). 1. Une introduction annoncée. Le point de départ de la prescription extinctive est aujourd’hui fixé au jour où le « (…) titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer (l’action en justice) ». La fixation du point de départ est donc désormais subjective en ce qu’elle se réfère à la connaissance par le titulaire des faits lui permettant d’exercer son action. Cet intérêt pour la connaissance contraste indubitablement avec la lettre de l’ancien article 2257 du Code civil qui, bien qu’intégré dans une section relative

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aux « causes qui suspendent le cours de la prescription », n’en fixait pas moins le point de départ de la prescription au jour de l’exigibilité de l’obligation (in, J. Flour, J.-L. Aubert, Y. Flour, J.-L. Savaux : Droit civil. Les obligations. 3. Le rapport d’obligation. Paris, Sirey, 4ème éd., 2006, p. 352, n° 487). La fixation était alors objective. Ceci étant, l’ampleur du changement n’est pas aussi conséquent que pourrait le laisser penser la confrontation de ces deux dispositions. La rigueur du système de fixation objective du point de départ de la prescription avait conduit le législateur et la jurisprudence à en assouplir l’application. Un certain nombre de textes, face à la rigueur de cette conception objective, consacrèrent ouvertement, encore que très ponctuellement des points de départ subjectifs. L’article 1304, alinéa 2, du Code civil prévoit ainsi que la prescription de l’action en nullité pour erreur ou dol court du jour « où ils ont été découverts » et non du jour de leur survenance. La jurisprudence a, quant à elle, ressuscité l’adage Contra non valentem agere non currit praescriptio (« la prescription ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir ») pourtant mis à l’index par les rédacteurs. Cet adage permettait notamment de suspendre le cours de la prescription (le temps n’étant alors pas décompté pour constituer la prescription applicable) lorsque son bénéficiaire se trouvait dans l’ignorance de son droit. Elle ne courrait pas contre lui dans la mesure où il se trouvait, en raison de cette ignorance, dans l’impossibilité d’agir. C’est à tout le moins ce que commandait le fondement de la prescription extinctive alors analysée comme une sanction de l’inertie du créancier. L’article 2224 ne fait que consacrer de manière définitive et générale une tendance largement perceptible en la systématisant. En définitive, la connaissance des faits permettant d’exercer l’action en justice ne relève désormais plus du mécanisme de la suspension mais participe directement de la fixation du point de départ de la prescription. 2. Une introduction souhaitable. Cette solution paraît justifiée à de nombreux égards. Tout d’abord elle participe de la réalisation de l’objectif d’harmonisation des droits. Cette solution apparaît notamment dans les Principes Unidroits (v. article 10.2 qui fixe le point de départ de la prescription au « lendemain du jour où le créancier a connu ou devait connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ») ainsi que dans l’actuel droit allemand de la prescription. Le §199, alinéa 1er, du BGB prévoit ainsi que « la prescription de droit commun commence à courir à partir de la fin de l’année, au cours de laquelle la prétention est née et lors de laquelle le créancier a pris connaissance ou aurait dû prendre connaissance sans faute grave des éléments constitutifs de l’action ainsi que de la personne du débiteur ». Par ailleurs, elle permet d’uniformiser les règles de fixation du point de départ de la prescription. Enfin, en généralisant cette conception subjective du point de départ de la prescription, elle uniformise la manifestation de cette subjectivation, évitant toute discrimination selon la nature des créances en cause. Ce traitement uniforme semble, en effet, préférable à la casuistique que drainait inévitablement le recours à l’adage Contra non valentem agere non currit praescriptio, l’appréciation de l’ignorance du droit ayant donné lieu à des jurisprudences assez contradictoires.

B. Les incertitudes du système de point de départ

flottant

La principale difficulté du système de point de départ flottant réside, à première vue, dans l’appréciation de la connaissance (1). L’étude de cette difficulté met, par ailleurs, à jour un risque bien plus grave : celui de l’imprescriptibilité. Afin de l’éradiquer, le législateur a donc dû prévoir un second délai, délai dit butoir, indissociable de celui organisé par l’article 2224 (2). 1. L’appréciation de la connaissance du titulaire. Si le principe même d’une subjectivation du délai de prescription semblait s’imposer, sa mise en œuvre n’est pas sans soulever quelques interrogations. La mission d’information sur le régime des prescriptions civiles et pénales, sans en rejeter le principe, avait tout de même conclu en s’interrogeant « sur l’intérêt pratique d’une telle évolution législative ». Le point de départ du délai quinquennal est aujourd’hui fixé au jour où le titulaire « a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Toute la difficulté va alors être reportée sur le terrain de la caractérisation et la preuve de cette connaissance. Dans chaque espèce le juge va donc devoir apprécier la réalité de cette connaissance. Les travaux parlementaires soulignent cependant que si la notion de bonne foi n’apparaît pas explicitement dans l’article 2224, elle n’en reste pas moins consubstantielle de la formule qu’il utilise. L’expression « aurait dû connaître » est en effet destiné à sanctionner « l’ignorance des faits de mauvaise foi » (in, E. Blessig : Rapport n° 847, p. 36). Plus largement, elle autorise une certaine "objectivation" de l’appréciation de la connaissance nécessaire pour ne pas mettre l’imprescriptibilité à la porte de tous les contrats. C’est d’ailleurs en raison de l’interprétation restrictive qu’il fondait qu’un amendement proposant sa suppression avait été déposé. Mais une conception purement subjective de la connaissance porterait en elle le germe de l’échec de la prescription en ce qu’elle autoriserait la fixation du point de départ plus de trente ans après la réalisation des faits qui donnent naissance à l’action. L’amendement fut donc rejeté. Le risque d’imprescriptibilité, s’il se trouve en partie maîtrisé par le recours à la bonne foi, n’en disparaît pas pour autant totalement. C’est pourquoi le législateur a généralisé le système de délai butoir. Encore qu’extérieur à la lettre de l’article 2224, il n’en fixe pas moins sa portée. 2. Le cantonnement du risque d’imprescriptibilité, l’existence du délai butoir. Le principe d’un délai butoir faisait déjà une apparition dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription (v. article 2278 : « Néanmoins, sauf à l’égard des crimes contre l’humanité, qui sont imprescriptibles, toutes les actions sont prescrites dix après le fait générateur de l’obligation, quels qu’en soient l’objet, le point de départ, les interruptions, les suspensions, les conventions en modifiant la durée »). A l’image du système allemand, il constitue en réalité une nécessité technique répondant à la souplesse du point de départ flottant. Il permet en effet d’encadrer l’action en justice dans un cadre temporel inflexible en refusant de prendre en compte la connaissance des faits permettant de l’exercer postérieure à son échéance. Ainsi, malgré le scepticisme manifeste du Medef (in, « La prescription civile : projets de réformes », RJ com. 2007.34) et l’hostilité évidente de la Cour de cassation qui y décèle une mesure d’une « constitutionnalité douteuse » (v. notamment, le rapport du groupe de travail de la Cour de cassation sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription du 15 juin 2007. rapp., en matière de prescription de l’action en nullité fondée sur le dol, Cass. 1ère civ., 24 janvier 2006), le délai butoir entrera dans le droit français de la

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prescription à l’article 2232. L’alinéa premier de cette disposition prévoit désormais que : « Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit ». L’intangibilité du cours du délai se double ici d’une fixation objective du point de départ de ce délai afin d’éviter que ce délai ne demeure virtuel (v. E. Blessig : Rapport n° 847, p. 44). Cette technique n’est, là encore, pas nouvelle en droit français, la transposition des normes européennes ayant

permis son introduction parcellaire. L’apport de la réforme réside surtout dans la généralité du recours au système de délai butoir, encore que l’alinéa second soustraie quelques matières de son champ d’application (« Le premier alinéa n’est pas applicable dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2227, 2233 et 2236, au premier alinéa de l’article 2241 et à l’article 2244. Il ne s’applique pas non plus aux actions relatives à l’état des personnes »). Il n’y a, en définitive, rien moins qu’un renversement du principe et de l’exception.

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THEME 3

METHODOLOGIE DU CAS PRATIQUE

La réponse à un cas pratique participe de l'application à une situation concrète d'une règle abstraite, légale,

réglementaire ou jurisprudentielle.

L’objectif principal de l’exercice est la détermination des questions juridiques sous-jacentes à l’énoncé et de leur

apporter des éléments de réponse en conformité avec le droit positif.

I / L’APPREHENSION DES FAITS

La première étape de la résolution d’un cas pratique consiste à analyser les circonstances de fait. Leur examen attentif va permettre d'éliminer les détails superflus ou inutiles. En effet, certains d'entre eux ont pu être introduits délibérément dans l'énoncé pour vous orienter sur une fausse piste. Il est donc nécessaire d'écarter tous les faits qui sont sans rapport avec la question principalement posée.

II / LA DETERMINATION DES PROBLEMES JURIDIQUES

Vous ne rencontrerez aucune difficulté particulière lorsque l’énoncé pose les questions en termes juridiques. En cette

occurrence, tout devrait être simple puisqu'il suffit de répondre à la question posée.

À l'inverse, il arrive souvent que l’un des protagonistes du sujet, qui vous consulte, expose le projet qu'il a conçu ou le

résultat qu'il désire atteindre, ou encore les problèmes qu’il rencontre, avec les mots de tous les jours et de façon

techniquement imprécise. Votre premier travail est alors de qualifier et de traduire en termes juridiques précis ce projet,

ce résultat ou ces difficultés.

Si votre « client » est poursuivi par un adversaire qui émet contre lui des prétentions en langue profane et vous demande quels moyens de défense il doit utiliser, il faut alors qualifier en droit la réclamation de l'adversaire, afin de pouvoir argumenter une éventuelle riposte. Dans le même ordre d'idées, il est judicieux d'exposer à ce « client » les arguments que son adversaire lui opposera vraisemblablement et porter sur eux un jugement de valeur juridique afin de donner au premier des indications précises sur la force de la position de son adversaire.

Lorsque l’énoncé est ouvert, qu’aucune question ne vous est posée et qu’aucun protagoniste du cas ne vous consulte à son

profit, il vous appartiendra de dégager l’intégralité des questions posées par le cas et de formuler l’issue prévisible à chacun de

ces problèmes juridiques.

Lorsque tous les aspects juridiques de la situation sont ainsi recensés, il faut procéder à l'identification des éléments de réponse aux questions posées, c'est-à-dire des règles juridiques pertinentes.

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III / LA RESOLUTION DES PROBLEMES JURIDIQUES

PAR APPLICATION DES REGLES DE DROIT PERTINENTES

Il s'agit d'une démarche en deux temps. Le premier consiste à recenser les règles susceptibles de s'appliquer à la situation décrite, le second à rechercher si elles lui sont effectivement applicables.

III. 1. LE RECENSEMENT DES REGLES SUSCEPTIBLES DE S’APPLIQUER

Le recensement des règles susceptibles de s'appliquer à la situation décrite suppose que l'on fasse appel à ses connaissances théoriques et pratiques.

Trois principaux cas de figure peuvent se présenter :

En premier lieu, il se peut que l'énoncé mentionne la seule règle ou le seul ensemble de règles sur l'applicabilité desquels le « client » souhaite être éclairé. Le champ de vos investigations du candidat se trouve alors circonscrit avec précision. Dans cette hypothèse, aucun effort de réflexion ne vous est demandé sur ce point et vous n’avez plus qu’à vous concentrer sur l'applicabilité des règles mentionnées dans la question ;

En deuxième lieu, il peut arriver que le « client », sans faire allusion à une règle précise ou à un ensemble de règles, indique simplement au candidat, en termes techniques, le résultat qu'il souhaite obtenir. Ce dernier doit alors rechercher toutes les règles ayant pour effet de produire le résultat désiré en indiquant éventuellement celles qui peuvent s'appliquer à la situation actuelle du « client » et celles qui ne le peuvent pas et, parmi ces dernières, ce que vous pourriez faire pour qu'elles s'appliquent.

Ne pas traiter de toutes les possibilités permettant d'obtenir le résultat souhaité serait une erreur. En formulant

ainsi sa question le « client » veut en effet être informé complètement sur tous les moyens possibles de

réaliser son vœu.

En troisième lieu, il se peut que le « client », vraisemblablement désarçonné par la situation dans laquelle il se trouve, ne sache que faire. Il n'est même pas capable de se fixer un résultat à atteindre. Il vous demande simplement conseil.

Les choses sont alors plus complexes et le candidat doit avoir l'imagination qui a manqué à son client et faire la liste à

la fois de tous les aspects juridiques, positifs ou négatifs, de la situation dans laquelle ce dernier est placé et de tous

les moyens utilisables pour la préservation ou la restauration de ses droits. Cette recherche demande que vous puisiez dans vos connaissances et suppose que vous les dominiez pour détecter toutes les règles susceptibles de trouver

application à l'espèce considérée. La même démarche sera applicable dans l’hypothèse où l’énoncé ne mentionne

aucun « client » mais vous invite à résoudre l’ensemble des questions soulevées par les situations exposées.

Une fois recensées les règles juridiques paraissant avoir un rapport avec la situation étudiée, il reste à vérifier si elles lui sont effectivement applicables.

III. 2. L’APPLICABILITE DES REGLES JURIDIQUES A LA SITUATION CONCERNEE

Il s'agit ici de voir si les conditions d'application des règles identifiées dans l'étape précédente se retrouvent dans les faits relatés.

Il faut se demander si tel fait ou telle circonstance constitue la condition d'application de la règle prévue par la loi. C'est encore un travail de qualification qu'il convient de mener avec rigueur :

La vérification est aisée lorsque la réalisation de la condition d'application dépend d'éléments objectifs comme un délai précis fixé par la loi et qu'une observation attentive des dates indiquées dans l'exposé des faits donne une réponse indiscutable ;

La vérification est plus délicate lorsque la réalisation de la condition d'application de la règle dépend d'éléments subjectifs, notamment parce que la qualification des faits dépend de l'appréciation que les juges en feront. Vous devrez surmonter une difficulté du même type lorsque la règle applicable fait l'objet d'interprétations divergentes. Il conviendra alors de se livrer à une discussion approfondie pour savoir si les conditions d'application de la règle

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sont ou non réunies en l'espèce et assortir votre conclusion de précautions de langage. Certains domaines du droit où règne une grande incertitude en raison d'interprétations contradictoires des règles légales illustrent bien cette difficulté. Dans ce cas, vous devrez vous livrer à l'interprétation la plus vraisemblable car la plus conforme à l'intention du législateur ou la plus fidèle au courant jurisprudentiel majoritaire.

Enfin, vous pouvez être confronté à une complication particulière : l'exposé des faits ne vous donne pas certains détails dont il a besoin pour savoir si les conditions d'application de la règle sont remplies. Dans la vie professionnelle à laquelle vous aspirez, le donneur d’avis peut interroger son client sur les détails qui lui manquent afin d'obtenir de lui un complément d'information. Le candidat que vous êtes ne peut point l’envisager…. Il est également hors de question que vous refusiez de répondre en vous réfugiant derrière cette lacune du sujet. Vous devrez donc répondre en examinant les différentes hypothèses de fait possibles et en disant quels seraient les effets de l'application de la règle applicable dans chacune d'elles.

Lorsque les réflexions préalables, décrites ci-dessus, sont achevées, les éléments de réponse aux différentes questions posées sont prêts. Il faut alors rédiger la réponse.

IV / LA FORMULATION DES SOLUTIONS

Il s’agit de comprendre que derrière les questions qui vous sont posées ou le récit en bloc qui vous est proposé, vous devez toujours :

résumer les faits (et non les recopier);

qualifier les faits qui vous sont soumis (situez juridiquement les protagonistes ; posez une qualification sur les

liens qu’ils entretiennent) ;

poser la question de droit (ou problème de droit), autrement dit la question ou le problème qu’un juge saisi

aurait à résoudre ;

énoncer les règles applicables ;

conclure en proposant une solution ou plusieurs solutions si plusieurs hypothèses étaient envisageables,

notamment parce que plusieurs qualifications étaient concevables.

N’oubliez pas que vous devez impérativement motiver les solutions que vous avancez. Les réponses péremptoires, qui

ne se fondent sur aucune justification juridique ou qui reposent sur une justification insuffisante, sont des réponses

insatisfaisantes. Même si elles sont exactes, l’insuffisance de motivation leur enlève presque toute valeur.

Il faut tirer cette motivation du droit positif au sens large, c'est-à-dire de la loi, du règlement et de la jurisprudence, voire, très accessoirement, de la doctrine. Les considérations historiques ou philosophiques, souvent utiles dans une dissertation ou un commentaire de texte, doivent être écartées. Il faut éviter absolument éviter de proposer une dissertation dont le sujet serait la question posée et toujours se souvenir que l'on doit chercher des solutions.

Quant à la structure de vos développements, vous pouvez considérer que le cas pratique n’obéit pas à une forme particulière mais à quelques principes d’organisation.

Vous devez très simplement traiter les questions les unes après les autres (soit celles qu’on vous a posées soit celles

que vous avez dégagées à partir de l’énoncé). Soyez logique : certaines questions sont des préalables à d’autres.

Vous pouvez faire précéder le traitement d’une question d’un petit intitulé démontrant que vous avez cerné la

thématique juridique abordée par le cas ; lorsque plusieurs questions sont susceptibles d’être regroupées en raison

d’une thématique commune, il est opportun de le faire. Les exemples ci-dessous vous permettront de visualiser le

résultat de la mise en œuvre de ces conseils.

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V / DEUX EXEMPLES DE CAS PRATIQUE

1ER EXEMPLE (CONTRAT)

ÉNONCE

Gilbert Lebreton connaît depuis quelques mois une série de problèmes auxquels il tente de faire face du mieux qu’il peut, sans vraiment avoir le sentiment d’y parvenir. Ses ennuis ont commencé avec ceux de la société dont il est actionnaire. En effet, celle-ci connaissant d’importantes difficultés financières, elle a dans un premier temps été mise en redressement judiciaire. Dans ce cadre, un plan de redressement a été judiciairement décidé, aux termes duquel les actionnaires de la société s’engageaient à la recapitaliser à hauteur de cinq millions d’euros, Gilbert Lebreton s’engageant personnellement à hauteur de huit cents mille euros. Toutefois, devant la réticence ou l’incapacité de certains autres actionnaires à payer les sommes convenues, Monsieur Lebreton a refusé de verser les huit cents mille euros dus par lui : non seulement il connaissait lui-même des difficultés à mobiliser une telle somme, mais il craignait de surcroit que ses efforts soient fournis en pure perte. En conséquence, l’échec du plan de redressement est devenu inévitable, et la société a été placée en liquidation judiciaire. Monsieur Lebreton se voit toutefois réclamer les huit cents mille euros par le liquidateur judiciaire. Il estime ne rien devoir dans la mesure où la société n’a jamais formellement accepté l’engagement des actionnaires, la motivation de ces derniers ayant paru faible dès l’origine, et aucun d’entre eux n’ayant en effet participé à la recapitalisation. Il n’est cependant pas très sûr de sa position. Dans le but de sauver sa société, Gilbert Lebreton avait dans un premier temps tenté de réunir la somme exigée de lui ; dans le doute, il a continué ses efforts après la liquidation de la société. Ses principales ressources sont immobilières : il est devenu, à la mort de sa mère, propriétaire en Bretagne d’une très vaste propriété autour de la vénérable demeure familiale. Afin de valoriser son bien, Monsieur Lebreton l’a divisé en plusieurs parcelles, sur certaines desquelles ont été bâties des maisons destinées à la location saisonnière. L’été dernier, il a proposé à Monsieur Lenormand, l’un des locataires réguliers d’une des maisons, de la lui vendre. Ce dernier, qui a toujours déclaré s’y plaire énormément, a beaucoup hésité car c’était un investissement considérable qui s’offrait à lui. Pour le motiver, Monsieur Lebreton a finalement consenti une promesse unilatérale de vente de la maison à Monsieur Lenormand, qui l’a acceptée. Aux termes de celle-ci, signée le 15 octobre 2011, Monsieur Lenormand disposait de six mois pour demander la réalisation de la vente, pour un prix de deux cent cinquante mille euros. En décembre 2011, Monsieur Lebreton est entré en négociation avec Monsieur Picard en vue de la vente d’une autre parcelle, un terrain d’un hectare environ. Le 19 février 2012, pressé d’en finir, Monsieur Lebreton lui a fait une offre ferme pour un prix de cent cinquante mille euros. Monsieur Picard a décidé d’accepter cette offre, et a donc, le samedi 3 mars 2012 , envoyé par la poste sa réponse à Monsieur Lebreton, qui l’a reçue le mardi 6 mars. Le 4 mars, toute la famille Lebreton s’était cependant réunie dans la vieille demeure familiale (propriété de Gilbert) pour fêter l’anniversaire de Norbert, son frère. Était également présent Hubert, leur cousin, riche promoteur immobilier. Un peu déprimé, Gilbert Lebreton avait confié en aparté à son cousin — un homme d’affaires comme lui — qu’il n’avait plus grand espoir que Monsieur Lenormand lève son option, alors que la promesse allait bientôt arriver à son terme, pas plus qu’il ne comptait sur l’acceptation de Monsieur Picard, dont il n’avait plus de nouvelles depuis presque quinze jours, alors que les discussions, certes difficiles, avaient jusque là été très suivies. C’est alors qu’Hubert avait proposé à Gilbert de lui racheter l’ensemble des parcelles, y compris la demeure familiale, pour la somme de deux millions d’euros. « Cela fera un magnifique golf », avait affirmé le promoteur. Réticent à l’idée de perdre la vieille demeure, Gilbert s’était toutefois laissé convaincre par son cousin, qui lui garantissait que c’était « le meilleur moyen de garder la maison dans la famille », dont tous les membres pourraient « continuer à y venir quand ils le veulent », et surtout par les coups de fil que le cousin passa à son banquier et son notaire, afin de permettre la réalisation de la vente dès le lendemain. Le 5 mars 2012, Gilbert cédait donc à Hubert toutes ses propriétés bretonnes. Monsieur Lebreton a pris soin, le même jour, d’informer par courrier Monsieur Lenormand qu’il rétractait sa promesse de vente, et Monsieur Picard qu’il retirait son offre. Il s’est ainsi momentanément cru sorti d’affaire… C’était sans compter sans la combativité des personnes lésées par la vente au profit de cousin Hubert. Le 10 mars 2012, Monsieur Lenormand a déclaré lever son option, puis agi en nullité de la vente réalisée entre les cousins Lebreton et demandé la reconnaissance de ses droits sur la maison. Monsieur Picard a pour sa part agi en nullité de la vente conclue pour le terrain qu’il avait accepté d’acquérir et également demandé sa substitution dans les droits d’Hubert. Enfin, Norbert est peut-être apparu comme le plus « remonté » de tous. En effet, ayant consenti à un partage successoral qui donnait la pleine propriété de la demeure familiale à Gilbert, il avait obtenu de ce dernier la signature d’un pacte de préférence qui lui donnait la garantie d’avoir au moins la possibilité de conserver le bien dans la famille dans l’hypothèse où Gilbert viendrait à vouloir s’en séparer. Ce dernier estime qu’Hubert étant leur cousin et tout aussi attaché qu’eux à cet endroit plein de souvenirs, il n’a rien fait de mal. Norbert, qui n’a jamais fait confiance à « l’affairiste » Hubert, ne l’entend pas de cette oreille. Il a donc agi en nullité de la vente et demandé sa substitution dans les droits de son cousin. La situation s’envenimant entre Gilbert Lebreton et son frère, ce dernier en est venu à lui demander le remboursement d’un prêt pour lequel Gilbert avait signé une reconnaissance de dette. Les fonds n’ont pourtant

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jamais été versés par Norbert, Gilbert ayant préféré faire appel à un établissement bancaire. Il craint cependant l’issue de la procédure judiciaire… Enfin la fille de Monsieur Lebreton, consciente de ce qu’il vient de recevoir une somme d’argent importante, voudrait en profiter pour faire l’acquisition de son appartement. Bénéficiaire d’un pacte de préférence, elle n’a jamais été notifiée de la vente de son appartement à un tiers par le premier propriétaire. La gestion locative est restée aux mains de la même agence, mais elle ressent toutefois les effets du changement de propriétaire en ce que le nouveau refuse de financer certains travaux pourtant à sa charge. Elle voudrait donc agir en nullité de la vente et demander sa substitution dans les droits du nouveau propriétaire. Monsieur Lebreton est toujours très inquiet. Il a touché une grosse somme mais il a peur d’être forcé d’en dépenser une bonne part à la suite de toutes ces actions…

ÉLEMENTS DE CORRECTION DU CAS PRATIQUE

Ce cas pratique soulève de multiples questions. Seront successivement examinées : les difficultés afférentes à la recapitalisation de la société de Monsieur Lebreton (I), les contestations de la vente au profit de Cousin Hubert (II), la demande de remboursement de Norbert (III) et enfin la question de l’appartement de la fille de Monsieur Lebreton (IV).

I — LA RECAPITALISATION DE LA SOCIETE DE MONSIEUR LEBRETON Dans le cadre du plan de redressement judiciaire de sa société, Monsieur Lebreton a pris l’engagement, comme les autres actionnaires de sa société, de lui apporter huit cent mille euros. Il a cependant, comme les autres, refusé par la suite de payer cette somme, ce qui a conduit à la liquidation de la société. Le liquidateur exige désormais le paiement de cette somme, ce que Monsieur Lebreton refuse en affirmant que la société n’a jamais formellement accepté l’offre des actionnaires. La question est donc de savoir si ce silence de la société interdit d’accorder force obligatoire à l’engagement des actionnaires, ou si l’on peut considérer, en dépit de l’absence d’une manifestation extériorisée de volonté, qu’un contrat a été valablement formé. En d’autres termes, le silence de la société peut-il valoir acceptation de l’offre des actionnaires ? L’accord entre les parties est essentiel à la formation du contrat (v. l’article 1101 du Code civil). Cette formation procède de l’échange de deux consentements réciproques matérialisé par la rencontre de l’offre et de son acceptation. Conformément à l’adage selon lequel, en matière contractuelle, « qui ne dit mot, ne consent pas », l’acceptation d’une offre de contrat doit être expresse ou tacite, le silence ne valant pas à lui seul acceptation. Le très célèbre arrêt Civ., 25 mai 1870 a posé cette solution de principe, tout en réservant l’hypothèse de circonstances particulières justifiant que l’on y déroge. La jurisprudence ultérieure a illustré ces circonstances justifiant que l’on confère, par exception, valeur d’acceptation à un silence qui, par principe, n’en a pas. Aux exceptions communément relevées et systématisées (volonté de la loi de la loi ou des parties, intérêt exclusif du destinataire, usages professionnels, relations antérieures entre les parties…), la Cour de cassation semble aujourd’hui vouloir ajouter des cas qui ne peuvent leur être purement et simplement assimilés. Elle a récemment estimé qu’il devait en être ainsi dès lors que « les circonstances permettent de donner à ce silence la signification d’une acceptation » (Civ. 1ère, 24 mai 2005, Bull. Civ. I, n°223), les circonstances en cause étant véritablement propres à l’espèce. Elle a depuis rendu nombre d’arrêts illustrant d’autres circonstances particulières susceptibles de

donner au silence la signification d’une acceptation. L’un d’eux (Com. 18 janv. 2011 ; v. la présentation de cet arrêt par G. Loiseau, document 7, p. 73, précité) a approuvé une cour d’appel d’avoir considéré que l’engagement pris par un associé pour permettre à une société de présenter un plan de redressement crédible à l’homologation du tribunal était une circonstance de nature à donner au silence de la société la signification d’une acceptation.

En l’espèce, en dépit du silence initial de la société, l’offre

qui lui avait été faite avait bien été prise en considération

dans le cadre de l’élaboration même du plan de

redressement. Dès lors, cette circonstance particulière

pourrait conférer au silence la valeur d’une acceptation, de

sorte que la formation d’un contrat entre la société et les

actionnaires pourrait être judiciairement reconnue.

En conséquence, Monsieur Lebreton devrait être condamné, au titre de l’exécution forcée de ce contrat (article 1184 alinéa 2 in fine) à payer la somme de huit cents mille euros.

II — LES CONTESTATIONS DE LA VENTE AU PROFIT DE COUSIN HUBERT Gilbert Lebreton a vendu à son cousin Hubert l’ensemble des biens immobiliers dont il était propriétaire en Bretagne. Toutefois, cette vente a été réalisée alors que Gilbert Lebreton avait consenti une promesse unilatérale de vente portant sur l’une de ses maisons en faveur de Monsieur Lenormand, laquelle portait un droit d’option dont le terme n’était pas encore échu à la date de la réalisation de la vente. Gilbert Lebreton avait, par ailleurs, fait une offre ferme portant sur un autre terrain à Monsieur Picard, qui l’avait acceptée avant la réalisation de la vente conclue avec Hubert Lebreton. Norbert Lebreton étant le bénéficiaire d’un pacte de préférence portant sur la vieille demeure familiale, Gilbert a, en outre, omis de lui proposer de la lui vendre avant de contracter avec Hubert. Il importe donc de s’interroger sur la valeur de cette vente à la lumière des différents avant-contrats qui ont été préalablement conclus et de l’offre de contracter qui a été précédemment formulée. Ainsi, pouvait-il rétracter la promesse unilatérale de vente consentie à M. Lenormand afin de vendre la maison à un tiers (A) ? L’offre de contracter faite à un tiers et acceptée par lui peut-elle faire obstacle à la perfection de la vente du terrain (B)? Enfin, la vente de la demeure familiale peut-elle être valable alors qu’elle a été conclue au mépris d’un pacte de préférence consenti à un tiers (C)?

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A — La vente de la maison de vacances Le délai d’option consenti par Gilbert Lebreton à Monsieur Lenormand était fixé au 15 mars 2012. Le 5 mars 2012, Monsieur Lebreton a déclaré rétracter l’offre de vente contenue dans la promesse. Ce n’est qu’ensuite (mais avant l’échéance du droit d’option) que Monsieur Lenormand a néanmoins levé l’option d’achat. Il convient de se demander si Monsieur Lenormand peut contester la vente réalisée entre les cousins et forcer Gilbert Lebreton à lui vendre la maison de vacances, ce qui suppose,

dans un premier temps, de s’assurer de la validité de l’avant-

contrat dont on revendique l’exécution. La promesse unilatérale de vente est un avant-contrat par lequel une personne s’engage, pour une durée définie, à vendre à une autre un bien donné à des conditions déterminées. Bien qu’elle ne soit pas inscrite dans la lettre du Code civil, la jurisprudence n’a pas manqué d’en consacrer l’efficacité, en application du principe fondamental de liberté contractuelle. Contrat à l’origine purement consensuel, la promesse unilatérale se voit parfois, à l’époque contemporaine, rattrapée par des exigences spéciales de validité, principalement en matière immobilière. Ainsi, aux termes de l’article 1589-2 du Code civil (issu d’une ordonnance du 7 décembre 2005), « est nulle et de nul effet toute promesse unilatérale de vente afférente à un immeuble, à un droit immobilier (…) si elle n'est pas constatée par un acte authentique ou par un acte sous seing privé enregistré dans le délai de dix jours à compter de la date de son acceptation par le bénéficiaire. » Cette nullité d’ordre public ne peut faire l’objet d’une renonciation par les parties (Cass. civ. 3ème, 1er juin 1998, Bull. civ. III, n° 154).

En l’espèce, aucune information n’est indiquée quant à

l’accomplissement de cette formalité validante. S’agissant

ici d’une promesse de vente immobilière, si cette formalité

n’a pas été respectée, Monsieur Lebreton pourra se

prévaloir de l’invalidité de la promesse pour échapper à sa

force obligatoire. Dans le cas contraire, la question de la

sanction de l’inexécution devra être posée. Le reflux de volonté du promettant, pendant la durée d’efficacité de l’option et en amont de celle-ci, ne devrait pas, en toute logique et technique juridique, influencer le régime d’exécution de la promesse unilatérale de vente. Cette tentative de retrait ou de « rétractation » par le promettant d’un consentement que la promesse unilatérale est sensé figer ne devrait, en effet, aucunement faire obstacle à la rencontre des volontés en cas de levée de l’option par le bénéficiaire. Telle était, d’ailleurs, la position d’une jurisprudence que l’on pensait établie de par l’application évidente de la force obligatoire des conventions (article 1134 alinéa 1er C.civ.) qu’elle portait.

Bouleversant ce régime que l’on croyait inébranlable, la

troisième chambre civile de Cour de cassation a admis à

compter d’un arrêt du 15 décembre 1993 (Civ. 3ème, 15

décembre 1993, Consorts Cruz), décrié mais historique, que

cette rétractation du promettant antérieurement à la levée

de l’option faisait obstacle à la rencontre des volontés. Assise sur une application littérale (mais discutable) de l’article 1142 du Code civil qui dispose que « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur », cette solution postule que, tant que le bénéficiaire n’a pas déclaré acquérir, l'obligation du promettant ne constitue qu'une obligation de faire et en tire pour conséquence que la levée d'option, postérieure à la rétractation du promettant, exclut toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir,

et donc l’exécution forcée en nature de la vente. En application de cette logique, le promettant ne peut donc être condamné qu’à des dommages et intérêts de nature contractuelle. En dépit d’une solution remarquée (Cass. civ. 3ème , 8 septembre 2010) dont a pu penser qu’elle annonçait une évolution, voire un revirement, la solution portée par l’arrêt Consorts Cruz a récemment été confirmée par la même troisième chambre civile dans un arrêt de censure, rendu au double visa des articles 1101 et 1134, jugeant que « la levée de l'option par le bénéficiaire de la promesse postérieurement à la rétractation du promettant excluant toute rencontre des volontés réciproques de vendre et d'acquérir, la réalisation forcée de la vente ne peut être ordonnée » (Cass. civ. 3ème , 11 mai 2011). Clairement adoptée par la chambre commerciale (Cass. com., 13 septembre 2011), cette solution semble être fermement ancrée en droit positif (v., néanmoins, l’étrange arrêt Cass. civ. 3ème, 6 septembre 2011). En l’espèce, les choses sont tranchées : Monsieur Lenormand a levé son option postérieurement à la rétractation de Monsieur Lebreton. Il ne pourra donc pas, en l’absence de clause rétablissant expressément l’exécution forcée comme sanction de l’inexécution de ses obligations par le promettant (Cass. civ. 3ème, 27 mars 2008 a admis l’efficacité d’une telle clause expresse), obtenir la réalisation forcée de la vente. En conséquence, la vente de la maison de vacances à un tiers ne saurait être remise en cause par une réalisation forcée de la vente promise au bénéficiaire.

B — La vente du terrain Après que Gilbert Lebreton lui a fait une offre de vente portant sur un terrain, Monsieur Picard l’a acceptée en l’état le 3 mars 2012. Il a exprimé son acceptation par l’envoi d’un courrier le 3 mars 2012, que Gilbert Lebreton a reçu le 6 mars 2012. Le 5 mars 2012, il avait pourtant transféré la propriété du terrain à son cousin Hubert. Il convient ici de déterminer si l’acceptation de Monsieur Picard a permis la formation d’un contrat affectant la validité, ou l’efficacité, de celui passé entre Gilbert et Hubert Lebreton. C’est donc la question du moment de la formation du contrat qu’il est nécessaire de poser. En principe, la rencontre des volontés suffit à former le contrat. Mais un problème existe pour les « contrats entre absents », qui portent un décalage entre les moments où s’expriment l’offre et l’acceptation : leurs auteurs peuvent être tentés de rétracter leur offre ou leur acceptation. Deux théories s’affrontent pour déterminer le moment de formation du contrat : celle de l’émission de l’acceptation (le contrat est formé à partir du moment où le destinataire de l’offre a exprimé sa volonté de l’accepter) et celle de la réception de l’acceptation (le contrat n’est formé qu’à partir du moment où l’offrant a eu connaissance de l’acceptation de son offre par son destinataire). Le Code civil ne pose aucun principe certain, mais la Cour de cassation, en sa chambre commerciale, a semblé se rallier à la première de ces théories dans un important arrêt du 7 janvier 1981, dans lequel elle a retenu que « faute de stipulation contraire, une convention est destinée à devenir parfaite non par la réception par le pollicitant de l’acceptation de l’autre partie, mais par l’émission, par celle-ci, de cette acceptation ». Un arrêt récent (Civ. 3ème, 16 juin 2011) porte une solution contraire en énonçant que « la formation du contrat était subordonnée à la connaissance de l'acceptation de l'offre par le pollicitant ». Mais cet arrêt, rendu au visa de droit spécial

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de l’article L.412-8 du Code rural, ne semble pas devoir remettre en cause la solution de droit commun, tant en raison de la formulation du principe choisie qu’au regard de son champ d’application particulier (droit de préemption au bénéfice des exploitants preneurs de baux ruraux).

S’agissant, en l’espèce, d’une situation qui ne relève pas de

la solution spéciale portée par l’arrêt du 16 juin 2011, la

solution de droit commun devrait, en l’absence de toute

stipulation contraire portée par l’offre, s’appliquer au cas

présent. Il est donc, dans cette perspective, possible d’affirmer que l’émission de l’acceptation par Monsieur Picard, matérialisée par l’envoi de la lettre, a formé le contrat de vente entre lui et Gilbert Lebreton. Les parties s’étant accordées en ce qui concerne la chose et le prix, cette vente immobilière peut être considérée comme parfaite (article 1582 du Code civil), même si elle devra être réitérée par acte authentique pour être opposable aux tiers (Décr. no 55-22 du 4 janv. 1955, art. 28 et 30), ce à quoi Monsieur Lebreton pourrait être judiciairement forcé. En conséquence, la vente du terrain au cousin Hubert pourrait être remise en cause.

C — La vente de la demeure familiale Norbert Lebreton était le bénéficiaire d’un pacte de préférence portant sur la demeure familiale dont la propriété est revenue à son frère Gilbert. Ce dernier en a pourtant conclu la vente avec leur cousin Hubert sans préalablement proposer à Norbert d’acquérir la demeure. La question qui se pose a trait à la nature de la sanction de la violation d’un pacte de préférence par le débiteur de celle-ci. En l’absence de textes propres à cet avant-contrat, également créé par la pratique, il est revenu à la jurisprudence, comme en matière de promesse unilatérale, d’élaborer le régime de son exécution et de la sanction de son inexécution. Considérant que le débiteur de la préférence n’est tenu que d’une obligation de faire envers le bénéficiaire du pacte (obligation de présentation prioritaire d’une offre, que l’on peut alternativement analyser comme une obligation de ne pas faire si l’on veut bien concevoir que ce débiteur s’engage à ne pas présenter l’offre à des tiers sans l’avoir

préalablement soumise au créancier de la préférence), la

troisième chambre civile de la Cour de cassation juge (Cass.

Civ. 3e, 30 avril 1997) que la sanction de principe d’une

inexécution de cette obligation de préférence est,

conformément à la lettre de l’article 1142 du Code civil,

l’allocation de dommages et intérêts contractuels, à

l’exclusion de toute exécution forcée.

Et, jusqu’en 2006, la mauvaise foi du tiers contractant, voire la collusion frauduleuse entre celui-ci et le débiteur de la préférence, ne pouvait permettre de déroger à cette solution, la substitution forcée du créancier de la préférence au tiers contractant étant toujours exclue.

La Cour de cassation réunie en Chambre mixte, dans un

arrêt majeur en date du 26 mai 2006, a toutefois, sur ce

dernier point, apporté une réponse différente en jugeant que

« si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir ». Consacrant une exception à la simple allocation de dommages-intérêts lorsque la mauvaise foi ou la fraude sont

caractérisées par la démonstration de la double condition de connaissance par le tiers de l’existence du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir, la jurisprudence du 26 mai 2006 permet de prononcer la nullité du contrat conclu en méconnaissance délibérée des droits du bénéficiaire et d’ordonner la substitution de ce dernier au tiers contractant. Autrement dit, si cette condition de la double connaissance du tiers de l’existence du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir n’est pas remplie, la réalisation de la vente ne pourra être ordonnée et l’inexécution du pacte de préférence ne donnera lieu qu’à des dommages et intérêts.

Un arrêt récent (Civ. 3ème, 3 novembre 2011) a appliqué cette

solution en même temps qu’il a confirmé, après un arrêt

antérieur (Cass. civ. 3ème, 14 février 2007), qu’il était possible

de satisfaire les conditions apparemment draconiennes de

l’arrêt de 2006. Dans cette espèce, la connaissance par le tiers de l’existence du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir avait pu être établie car ce tiers et le vendeur étaient représentés par la même personne physique lors des opérations ayant abouti à la vente au profit du tiers. Cet arrêt porte, en outre, un possible assouplissement (v. les observations de G. Loiseau précitées) des conditions d’application de la jurisprudence de la Chambre mixte car la troisième chambre civile approuve la cour d’appel d’avoir examiné la satisfaction de la double condition au moment de la réitération de la vente par acte authentique (une promesse synallagmatique de vente avait et antérieurement conclue ; cet assouplissement semble contredire la logique claire et rigoureuse de l’arrêt Cass. civ. 3ème, 25 mars 2009).

Dans le cas des Lebreton, les liens de parentés entre les

personnes impliquées ainsi que leur attachement commun à

la vieille demeure familiale rendent au moins probable la

connaissance par Hubert du pacte de préférence.

L’animosité que Norbert semble lui témoigner pourrait être

un indice supplémentaire de l’intérêt pour Hubert d’éviter

que Gilbert ne propose à son frère la vente de la demeure.

Ainsi il semble bien que Norbert puisse réunir les conditions nécessaires à l’annulation de la vente et à sa substitution dans les droits de son cousin.

III — LA DEMANDE DE REMBOURSEMENT DE NORBERT Norbert Lebreton exige de son frère qu’il lui rembourse d’une part un prêt pour lequel Gilbert a signé une reconnaissance de dette. Si Gilbert ne conteste pas avoir signé cette reconnaissance de dette, il nie en revanche avoir reçu la somme qu’il avait ainsi reconnu devoir à Norbert. C’est le mode de formation du prêt mais aussi, et surtout, la preuve de son existence et de l’obligation de restitution qui en découle qui sont donc en cause ici. Le contrat de prêt portant sur une somme d’argent est un contrat de prêt de consommation au sens de l’article 1892 du Code civil, qui le définit comme « un contrat par lequel l’une des parties livre à l’autre une certaine quantité de choses qui se consomment par l’usage, à la charge pour cette dernière de lui rendre autant de même espèce et qualité. » Traditionnellement, le contrat de prêt est un contrat réel. Si la Cour de cassation juge depuis une dizaine d’années (Civ. 1ère, 28 mars 2000 ; Civ. 1ère, 5 juillet 2006, Bull. civ. I, n°358) que le contrat de prêt consenti par un professionnel du crédit n’est

pas un contrat réel mais un contrat consensuel, elle a

Page 64: METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A …

64

clairement jugé que le contrat de prêt entre particuliers

demeure un contrat réel (Cass. civ. 1ère, 7 mars 2006 ; Civ. 1ère,

19 juin 2008, document 18) qui se forme par l’accord des

volontés et la remise de la chose (le versement de la somme convenue en cas de prêt d’argent). Une fois formé, il fait naître une obligation à la charge du seul emprunteur : le remboursement du prêt.

En l’espèce, Norbert Lebreton n’est pas un professionnel du

crédit : la remise préalable des fonds est donc une condition

de formation d’un contrat de prêt entre Norbert et Gilbert

mais aussi la cause d’une obligation de remboursement à la

charge de Gilbert. Quant la charge de la preuve, aux termes de l’article 1315 alinéa 1er du Code civil, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Il revient donc bien à Norbert de prouver la remise des fonds pour établir l’existence du prêt ainsi que celle de l’obligation de remboursement à son profit. En référence à l’article 1132 du Code civil, qui dispose qu’une « convention n’est pas moins valable, quoique la cause n’en soit pas exprimée », la première chambre civile de la Cour de

cassation a jugé, en présence d’une reconnaissance de dette à laquelle est attachée une présomption de remise des fonds, qu’il revient à celui qui allègue une absence de remise des fonds, équivalente à l’absence de cause de l’obligation de restitution, d’apporter la preuve de ses allégations (Civ. 1ère, 19

juin 2008, 2 arrêts; et, surtout, Civ. 1ère, 14 janvier 2010, 2

arrêts, qui clarifient le raisonnement et la solution en la

détachant de la nature du prêt).

En d’autres termes, l’existence d’une reconnaissance de

dette soutient la mise en œuvre de la présomption de cause

prévue par l’article 1132 du Code civil, cette présomption

simple pouvant néanmoins être combattue par la preuve

contraire. Conformément aux principes les plus établis du droit de la preuve, il appartient donc à celui qui conteste ce qui est énoncé dans l’acte, à savoir la remise des fonds, d’en rapporter la preuve en apportant la preuve de leur absence de

versement (vous lirez avec profit O. Deshayes, observations

1ère, 14 janvier 2010, 2 arrêts).

Très récemment (Civ. 1ère, 9 février 2012), la Cour de

cassation a cependant précisé le champ d’application de

cette présomption. Dans une espèce où les parties avaient conventionnellement fixé une date de remise des fonds postérieure à celle de l’établissement de la reconnaissance

de dette, la première chambre civile a jugé que le fait que le

contrat ne soit pas définitivement formé à la date de la

reconnaissance de dette litigieuse empêchait de « faire présumer la cause de l'obligation de l'emprunteur prétendument constituée par cette remise ». Un acte recognitif d’obligation ne peut donc pas efficacement précéder la naissance de l’obligation reconnue : la solution est pour le moins logique... En tout état de cause, le prêteur pourra prouver, en présence d’une convention dont la cause n’est pas exprimée, le versement préalable des fonds par tous moyens (not. Cass. civ. 1ère, 9 novembre 1964 et Civ. 3ème 21 juin 1972 qui jugent l’article 1341 du Code civil inapplicable lorsque la cause n’est pas exprimée à l’acte). Dans le cas des frères Lebreton, la solution dépendra donc du contenu de la lettre portant reconnaissance de dette. Si la remise des fonds, condition de formation du contrat et cause de l’obligation de restitution, était effectivement prévue

à une date postérieure à celle de l’établissement de la reconnaissance de dette, Gilbert Lebreton pourra se prévaloir de l’impossibilité d’application de la présomption de remise préalable des fonds : il appartiendra à Norbert de prouver, par tous moyens, que l’argent a bien été versé. Dans le cas contraire, il reviendra à Gilbert de prouver que la remise des fonds n’a jamais eu lieu, comme il le soutient.

IV - L’APPARTEMENT DE LA FILLE DE MONSIEUR LEBRETON

La fille de Monsieur Lebreton était bénéficiaire d’un pacte de préférence, mais elle n’a jamais été notifiée de la vente de son appartement à un tiers par le propriétaire d’origine. Elle voudrait maintenant agir en nullité de la vente et demander sa substitution dans les droits du nouveau propriétaire. La question de la sanction du pacte de préférence a précédemment été abordée. L’arrêt de Chambre mixte en date du 26 mai 2006 précité pose la double condition de la connaissance par le tiers de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir. En l’espèce, rien ne permet de caractériser fermement cette double connaissance. Il est même difficile de soutenir que la fille de Monsieur Lebreton ait eu l’intention de se prévaloir du pacte, puisqu’elle n’en a eu l’idée que plus tard. Toutefois, l’article 1142 du Code civil, relatif à la sanction de l’inexécution des obligations de faire ou ne pas faire, pourrait trouver à s’appliquer ici : la sanction de principe de l’inexécution d’un pacte de préférence demeure en effet, sur le fondement de ce texte, l’allocation de dommages et

intérêts contractuels (Cass. Civ. 3e, 30 avril 1997). A défaut de

pouvoir obtenir la nullité de la vente conclue en violation de

ses droits et sa substitution au tiers, la fille de Monsieur

Lebreton pourrait donc demander des dommages et intérêts

contractuels.

Cependant, sa renonciation au pacte de préférence pourrait

éventuellement lui être opposée. En effet, dans un arrêt rendu le 3 novembre 2011 (Civ. 3ème, 3 novembre 2011), la troisième chambre civile de la Cour de cassation a approuvé une cour d’appel d’avoir analysé comme « une renonciation tacite, certaine et non équivoque de la locataire à se prévaloir du pacte de préférence » les faits d'avoir eu connaissance des ventes et de leurs conditions financières dans le mois qui a suivi leur réalisation, d'avoir effectué le paiement des loyers aux nouveaux propriétaires sans la moindre protestation et de ne pas avoir exprimé la volonté d'invoquer le pacte de préférence. En l’espèce, il semble bien que la fille de Monsieur Lebreton ait eu connaissance du changement de propriétaire, et qu’elle n’y ait pas objecté. Ses protestations ne sont intervenues que plus tard, lorsque des problèmes sont apparus avec ce nouveau propriétaire.

L’application de la solution de l’arrêt du 3 novembre 2011 à

son cas dépendra toutefois du moment exact où elle a été

avertie du changement de propriétaire et de sa réaction à ce

moment précis, ainsi que du temps écoulé entre le

changement de propriétaire et l’apparition des problèmes

avec le nouveau. Si elle venait à être retenue, une telle renonciation ferait évidemment obstacle à toute demande d’allocation de dommages-intérêts au titre d’une (prétendue) méconnaissance d’un droit de préférence.

Page 65: METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A …

65

2ND EXEMPLE (RESPONSABILITE CIVILE)

ÉNONCE

« Ernestine LAPOISSE cuisine » Ce 20 août 2009 devait être une journée mémorable pour Ernestine LAPOISSE. Son mari, Thomas LAPOISSE, qui travaillait depuis 5 ans sur une plate-forme pétrolière dans le Golfe du Mexique, est définitivement rentré à CAPAVILLE. Certes, durant ces 5 années, Ernestine n’a jamais dit : « un seul être vous manque et tout est dépeuplé ». Néanmoins, aujourd’hui, elle est heureuse du retour de son mari. Aussi, afin de préparer leurs retrouvailles, Ernestine a décidé de mettre en application ses talents de cuisinière. Attrapant son nouveau couteau électrique « Made in China », acheté en juin dernier Ernestine entreprit de découper un gigot de pré-salé « extra » - selon les propres mots de son boucher. Mais, alors qu’elle vérifiait le bon fonctionnement du couteau, les deux lames se détachèrent violemment : la première alla se loger dans le genou d’Ernestine, entrainant de violents saignements ; la seconde, après un vol plané des plus spectaculaires, brisa l’écran plat du magnifique poste de télévision d’une valeur de 10 000 euros. Surprise et choquée, Ernestine ne comprit pas. Elle avait acheté ce couteau électrique, le tout dernier modèle de la gamme, en juin dernier auprès de la société de vente par correspondance, Les 3 belges. Jusqu’à présent, elle n’avait jamais eu à se plaindre d’eux. Ne pouvant rester dans cet état — le sang commençant à se répandre malgré un garrot de fortune, Ernestine appela immédiatement son médecin, le docteur ESCULAPE. Celui-ci était alors en pleine conversation professionnelle avec son collègue, le docteur JLOUPTOUT, médecin salarié de la Clinique des Pommiers de CAPAVILLE. Ce dernier, devant retourner sur son lieu de travail, proposa au docteur ESCULAPE de le déposer, avec l’ambulance de la Clinique, au domicile d’Ernestine LAPOISSE. Mais, alors que l’ambulance entrait sur la place CUJAS de CAPAVILLE, le docteur JLOUPTOUT aperçut trop tardivement que le véhicule de Monsieur PASDEBOL, qui le précédait, venait juste de freiner pour éviter Madame LAGUIGNE — la mère de Madame LAPOISSE -, qui avait entrepris de traverser, alors que le feu était rouge pour les piétons, avec son chien Raplapla. Le choc fut instantané et inévitable. La voiture de Monsieur PASDEBOL renversa Madame LAGUIGNE — Raplapla très prudent ayant eu le temps de se sauver -, et fut percutée à l’arrière par l’ambulance du docteur JLOUPTOUT. Le bilan est simplement matériel pour les deux automobilistes. En revanche, Madame LAGUIGNE, âgée de 75 ans, s’est fracturée la jambe. Pendant ce temps-là, Ernestine était toujours dans sa cuisine en train de refaire son garrot de fortune… Arrivé sur les lieux, le docteur ESCULAPE l’informa de l’état de sa mère. Habituée à subir de tels événements malheureux, Ernestine tint bon. Après avoir mis un bandage correct, le docteur Esculape profita de son déplacement pour administrer à Ernestine un vaccin, le Datux, qu’elle avait acheté, sur ordonnance, la semaine passée chez son pharmacien. Ce vaccin, le Datux, a été fabriqué et mis en circulation par les Laboratoires LEFOPA, en février 1997. Mais, dix jours plus tard, Ernestine LAPOISSE commença à ressentir les premiers signes d’une maladie musculaire très rare. Le docteur Esculape est perplexe. Scientifiquement, l’origine de cette maladie est encore inconnue. Si le vaccin a pu jouer un rôle dans sa survenance, il est également possible que sa cause soit infectieuse, ce qui finalement ne serait guère surprenant compte tenu de la blessure d’Ernestine au genou. De retour au domicile conjugal, Thomas LAPOISSE vient vous consulter et souhaiterait connaître les différentes actions en responsabilité offertes à sa femme et à sa belle-mère.

Page 66: METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A …

66

ÉLEMENTS DE CORRECTION DU CAS PRATIQUE

Observations générales : Ce cas pratique de droit de la

responsabilité aborde des questions éminemment

techniques : la responsabilité du fait des produits défectueux

et les accidents de la circulation. Il est donc nécessaire

d’apporter un soin tout particulier à la présentation des

règles de droit. Par ailleurs, ces questions ont fait l’objet de

multiples précisions jurisprudentielles. Elles se révèlent donc

être particulièrement sensibles.

* * * * *

L’analyse des faits exposés par Thomas LAPOISSE permet de

dégager trois questions principales. La première porte sur la

responsabilité du fait du couteau électrique défectueux (I), la

deuxième sur les responsabilités nées de l’accident de la

circulation de la place Cujas (II), la troisième sur la

responsabilité du fait du vaccin le Datux (III).

I. LA RESPONSABILITE DU FAIT DU COUTEAU ELECTRIQUE

Ernestine Lapoisse s’est blessée en utilisant un couteau

qu’elle a acheté en juin dernier. L’écran plat de son poste de

télévision a également été détruit. La victime peut-elle

mettre en œuvre les règles de la responsabilité du fait des

produits défectueux ?

1. Application de la loi du 19 mai 1998

La loi n° 98-389 du 19 mai 1998 a transposé dans le Code civil,

aux articles 1386-1 à 1386-18, la directive du Conseil des

Communautés européennes du 25 juillet 1985 relative à la

responsabilité du fait des produits défectueux. Ces nouvelles

dispositions se caractérisent par leur vocation à transcender

la distinction de la responsabilité contractuelle et délictuelle

(art. 1386-1 C.civ. : « Le producteur est responsable du

dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non

lié par un contrat avec la victime. ») Cette loi est applicable

aux produits mis en circulation postérieurement à sa date

d’entrée en vigueur.

Il importe donc de définir cette notion de mise en circulation.

Selon l’article 1386-5, alinéa 1er, du Code civil, un produit est

mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi

volontairement. En outre, la Cour de cassation a précisé que

pour les produits fabriqués en série, le moment de la mise en

circulation correspond à la date du dessaisissement de

chaque exemplaire du produit dans le circuit de production-

distribution-vente (Civ. 1re, 24 janvier 2006).

En l’espèce, le couteau électrique est le dernier modèle de la

gamme. On peut en déduire qu’il a très probablement été mis

en circulation après l’entrée en vigueur de la loi du 19 mai

1998. Cette dernière doit donc s’appliquer.

2. Prescription de l’action en responsabilité

Avant toute chose, il convient de vérifier qu’Ernestine LAPOISSE

est toujours dans les délais pour agir. La loi prévoit un délai

de forclusion : la responsabilité du producteur est éteinte dix

ans après la mise en circulation du produit qui a causé le

dommage à moins que la victime n’ait engagé une action en

justice (art. 1386-16 C.civ.). En l’espèce, on a constaté que le

couteau, étant le dernier modèle de la gamme, a très

probablement été récemment mis en circulation. Par

conséquence, le délai de 10 ans n’est sans doute pas expiré.

Par ailleurs, la loi a prévu un délai de prescription de trois

ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou

aurait du avoir connaissance du dommage, du défaut, et de

l’identité du producteur (art. 1386-17 C.civ.). En l’espèce, le

dommage s’est réalisé en août 2009, la prescription n’est

donc pas acquise.

3. Conditions relatives au produit

Il convient maintenant d’envisager les conditions d’application

de la loi. En effet, si le producteur est en principe responsable

de plein droit, il appartient à la victime de prouver le

dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le

dommage.

Il faut tout d’abord un produit défectueux mis en circulation à

l’origine du dommage.

La notion de produit est perçue de façon très large (art. 1386-

3 C.civ.). En l’occurrence, il s’agit d’un couteau électrique

donc d’un bien meuble, il s’agit bien d’un produit. Le

caractère défectueux du produit est également entendu

largement. En effet, l’article 1386-4 alinéa 1er du Code civil

dispose qu’ : « un produit est défectueux au sens du présent

titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut

légitimement s'attendre ». Le critère est donc l’attente

légitime de sécurité du public. En l’espèce, les lames du

couteau se sont violemment détachées. Rien n’indique une

quelconque erreur de la victime. Il semble bien que le produit

soit défectueux dans la mesure où les lames se sont d’elles-

mêmes désolidarisées du couteau. Il est donc possible

d’estimer que le produit présentait un défaut de sécurité.

En ce qui concerne la mise en circulation du produit, ainsi

que nous l’avons déjà observé, il est important que le

producteur se soit dessaisi volontairement du produit (art.

1386-5 C.civ.) et que ce dernier soit destiné à la vente ou à

toute autre forme de distribution (art. 1386-11, al. 1er, 3°

C.civ.). En l’espèce, la mise en circulation du couteau

électrique est réelle, le produit ayant été mis en vente.

Enfin, le produit doit être à l’origine du dommage. La

jurisprudence a en outre facilité la charge probatoire de la

victime en admettant l’utilisation de présomptions, pourvu

qu’elles soient graves, précises et concordantes (par ex. : Civ.

1re, 22 mai 2008). En l’occurrence, le lien de causalité devrait

pouvoir être facilement établi entre le défaut du produit et les

dommages corporels et matériels de la victime.

Page 67: METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A …

67

4. Identification du responsable

Ensuite, en ce qui concerne la détermination de la personne

responsable, il faut observer qu’initialement l’article 1386-7

du Code civil permettait à la victime d’agir indifféremment

contre le producteur du produit mais également contre le

vendeur, le loueur, à l’exception du crédit-bailleur ou du

loueur assimilable au crédit-bailleur, ou tout autre

fournisseur professionnel. Une telle disposition constituait un

élargissement de la directive de 1985, il fut sanctionné par la

C.J.C.E. dans un arrêt du 25 avril 2002. Tenant compte de

cette condamnation, le législateur a modifié l’article 1386-7

du Code civil par la loi 2004-1343 du 9 décembre 2004. La

nouvelle rédaction devint la suivante : « Le vendeur, le loueur,

à l'exception du crédit-bailleur ou du loueur assimilable au

crédit-bailleur, ou tout autre fournisseur professionnel n'est

responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes

conditions que le producteur que si ce dernier demeure

inconnu. » Cette rédaction fut néanmoins condamnée par la

C.J.C.E. dans un arrêt du 14 mars 2006. Aussi, une nouvelle loi

du 5 avril 2006 modifia l’article 1386-7 du Code civil.

Dorénavant, sa rédaction est la suivante : « si le producteur

ne peut être identifié, le vendeur, le loueur, à l’exception du

crédit-bailleur ou du loueur assimilable au crédit-bailleur, ou

tout autre fournisseur professionnel, est responsable du

défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que

le producteur, à moins qu’il ne désigne son propre

fournisseur ou le producteur dans un délai de trois mois à

compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a

été notifiée ».

En l’espèce, Ernestine LAPOISSE a acheté le couteau électrique

auprès de la société de vente par correspondance Les 3

belges. Le producteur semble inconnu ou tout du moins

difficile à identifier. L’on sait simplement que le produit a été

fabriqué en Chine. En conséquence, Ernestine LAPOISSE peut

agir contre son vendeur, la société Les 3 belges. Le vendeur

sera responsable du défaut du produit, sauf s’il indique dans

les trois mois de son assignation son propre fournisseur ou le

producteur.

5. Identification du préjudice réparable

Enfin, il faut s’interroger sur le préjudice réparable sur le

fondement de la loi du 19 mai 1998. Là encore, les dispositions

du Code civil ont connu quelques modifications suite à

l’intervention de la C.J.C.E. Initialement l’article 1386-2 du

Code civil prévoyait que la responsabilité du fait des produits

défectueux s’appliquait à la réparation de tous les dommages

corporels et de tous les dommages matériels, à l’exclusion de

ceux causés au produit défectueux lui-même. Une telle

disposition très protectrice des victimes constituait un

élargissement de la directive de 1985 qui prévoyait une

franchise de 500 euros pour les biens matériels. Elle fut

sanctionnée par la C.J.C.E. dans son arrêt du 25 avril 2002

(précit.). En conséquence, la loi du 9 décembre 2004 a modifié

l’article 1386-2 du Code civil, qui est dorénavant rédigé de la

façon suivante : « Les dispositions du présent titre

s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une

atteinte à la personne. Elles s'appliquent également à la

réparation du dommage supérieur à un montant déterminé

par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le

produit défectueux lui-même ». Si on a pu espérer à un

moment que la franchise retenue serait inférieure à 500

euros, le décret n° 2005-113 du 11 février 2005 n’a finalement

pas répondu à cet espoir en fixant bien à 500 euros le montant

de cette franchise.

En l’espèce, Ernestine LAPOISSE a incontestablement subi un

préjudice corporel en relation avec le défaut du produit. Elle

devrait pouvoir, sur le fondement de la responsabilité du fait

des produits défectueux, obtenir réparation de l’intégralité de

son préjudice corporel. Par ailleurs, elle a subi un préjudice

matériel avec la perte de son écran plat. La valeur de celui-ci

étant supérieure à 500 euros, Ernestine LAPOISSE devrait

pouvoir obtenir réparation de sa perte avec, toutefois, une

franchise de 500 euros.

OBSERVATIONS : à titre subsidiaire, vous pouviez vous

demander si Madame LAPOISSE ne pourrait pas se fonder sur

d’autres dispositions que celles des articles 1386-1 et suivants

du Code civil. Est-elle libre de choisir une autre action ? La loi

de 1998 est très claire sur ce point. Elle ne remplace pas le

droit antérieur, elle vient simplement se superposer (art.

1386-18 C.civ. : Les dispositions du présent titre ne portent pas

atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se

prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou

extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de

responsabilité. Le producteur reste responsable des

conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il

répond. »). Il faut cependant indiquer que cette disposition

repose sur l’article 13 de la Directive dont le sens a été

précisé par trois importants arrêts de la Cour de Justice des

Communautés Européennes du 25 avril 2002 (précit.). La Cour

a ainsi expliqué que l’article 13 ne saurait être interprété

comme laissant aux États membres la possibilité de

maintenir un régime général de responsabilité du fait des

produits défectueux différent de celui prévu par la directive.

S’il n’exclut pas l’application d’autres régimes de

responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant

sur des fondements différents, tels que la garantie des vices

cachés ou la faute, il ne permet pas, en revanche celle d’un

régime de responsabilité du producteur reposant sur le

même fondement que celui mis en place par la directive et

non limité à un secteur déterminé de production. Par

conséquent, on a pu s’interroger sur le maintien de la

jurisprudence fondée sur l’obligation contractuelle de

sécurité et sur les actions qui restaient ouvertes aux victimes

en dehors des articles 1386-1 et suivants du Code civil.

En l’espèce, étant en présence d’un contrat de vente, on

pouvait envisager l’application de la garantie des vices

cachés. Le vendeur étant un professionnel, Ernestine LAPOISSE

pourrait obtenir une indemnisation totale sur le fondement de

l’article 1645 du Code civil.

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68

II. L’ACCIDENT DE LA CIRCULATION DE LA PLACE CUJAS

L’ambulance du docteur JLOUPTOUT a percuté le véhicule de

Monsieur PASDEBOL qui a lui-même percuté Madame

LAGUIGNE. Cette dernière peut-elle invoquer les dispositions

de la loi du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la

circulation ?

Observation importante : Vous êtes consulté par Thomas

LAPOISSE inquiet de la situation de sa femme et de sa belle-

mère. Il ne fallait donc pas s’interroger sur les dommages

des véhicules du docteur JLOUPTOUT et de Monsieur PASDEBOL.

Seule la situation de Madame LAGUIGNE importait ici.

1. Conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985

Selon l’article 1er de la loi de 1985, cette loi s’applique aux

victimes d’un accident de la circulation dans lequel est

impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses

remorques ou semi-remorques à l’exception des chemins de

fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont

propres.

Cette loi peut donc être invoquée par toutes les victimes d’un

dommage imputable à un accident de la circulation dans

lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur.

Il faut donc :

- Un accident de la circulation. Le terme d’« accident »

postule par définition le caractère soudain et surtout fortuit

de l’événement en cause. Il n’y aurait pas lieu d’appliquer les

dispositions de la loi lorsque le dommage a été

volontairement recherché par son auteur (acte volontaire ou

intention de causer le dommage). Le terme de « circulation »

n’est pas précisé par la loi. La jurisprudence a adopté une

conception extensive. La loi concerne tant les accidents

survenus dans les lieux privés destinés à la circulation que

ceux ayant lieu sur les voies ouvertes à la circulation

publique. Par ailleurs, cette idée suppose à tout le moins que

l’accident soit un tant soit peu lié aux fonctions de

déplacement du véhicule en cause.

En l’occurrence, il s’agit bien d’un accident de la circulation

purement involontaire, sur la voie publique.

- L’implication d’un véhicule terrestre à moteur. Le terme de

« véhicule terrestre à moteur » signifie que le véhicule est

destiné au transport de choses ou de personnes circulant sur

le sol et mû par une force motrice quelconque. Le terme

d’« implication » a fait l’objet d’interprétations

jurisprudentielles. Dès lors qu’une collision est intervenue

entre le véhicule du défendeur et la victime, l’implication est

établie. L’absence de contact n’écarte pas systématiquement

l’implication du véhicule. Pour autant, il convient d’établir que

le véhicule a pour le moins été une des composantes du

processus accidentel. Pour les accidents complexes, sont

impliqués au sens de l’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 tous

les véhicules qui sont intervenus à quelque titre que ce soit.

Donc, on écarte la jurisprudence qui se fondait sur la

référence à l’implication dans le dommage.

En l’occurrence, nous nous trouvons en présence d’un

accident complexe avec une collision entre deux véhicules

terrestres à moteur et un piéton. L’ambulance du docteur

JLOUPTOUT et la voiture de Monsieur PASDEBOL sont toutes les

deux impliqués dans l’accident.

- Un dommage imputable à l’accident : cette condition n’est

pas expressément posée par la loi. Toutefois, elle relève de

l’intitulé du texte. Il bénéficie aux victimes d’un accident de la

circulation. Le droit à indemnisation ne peut donc bénéficier

qu’à celui qui fait état d’un dommage causé par l’accident,

c’est-à-dire d’un dommage qui ne se serait pas produit sans

la survenance de l’accident. La Cour de cassation admet

l’existence d’une présomption d’imputabilité du dommage à

l’accident. L’examen de la jurisprudence permet toutefois de

préciser que la présomption d’imputabilité du dommage à

l’accident n’a vocation à jouer que lorsque l’imputation parait

vraisemblable au regard des circonstances de la cause. Un

critère temporel est mis en œuvre.

En l’occurrence, cette condition ne soulève pas de difficultés.

La jambe de Madame LAGUIGNE a été immédiatement

fracturée.

2. Détermination des responsables

De prime abord, la victime d’un accident de la circulation

peut, selon l’article 2 de la loi de 1985, agir contre le

conducteur ou le gardien des véhicules impliqués dans

l’accident.

Il faut donc en déduire que Madame LAGUIGNE peut agir contre

Monsieur PASDEBOL qui est l’un des conducteurs impliqués

dans l’accident.

De même, elle devrait pouvoir agir contre le docteur

JLOUPTOUT qui est le conducteur du second véhicule impliqué

dans l’accident. De surcroît, le docteur JLOUPTOUT est salarié

de la Clinique des Pommiers. L’accident est intervenu alors

qu’il conduisait l’ambulance dans le cadre de son activité

professionnelle. Or, si le gardien d’une chose est celui qui en

a la direction, l’usage et le contrôle, la jurisprudence retient

traditionnellement que les qualités de gardien et de préposé

sont incompatibles. Le commettant est le gardien des choses

employées par son préposé et doit être tenu pour responsable

des dommages causés par la chose utilisée par celui-ci dans

le cadre de ses fonctions, selon l’article 1384, alinéa 5 du Code

civil (par ex. : Civ. 2ème, 24 janvier 1996). Madame LAGUIGNE

devrait donc pouvoir agir contre le docteur JLOUPTOUT et la

Clinique des Pommiers. Cette analyse classique a néanmoins

été remise en cause par un récent arrêt de la deuxième

Chambre civile de la Cour de cassation du 28 mai 2009.

Appliquant la jurisprudence Costedoat à un accident de la

circulation régi par la loi de 1985, la Cour de cassation a

affirmé, au visa de l’article 1384, alinéa 5, du Code civil et des

articles 1er et 2 de la loi de 1985 que « n’est pas tenu à

Page 69: METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A …

69

indemnisation à l’égard de la victime le préposé conducteur

d’un véhicule de son commettant impliqué dans un accident

de la circulation qui agit dans les limites de la mission qui lui

ont été imparties ». Dès lors, le commettant est le seul

responsable de l’accident si son préposé n’a pas excédé les

limites de sa mission et si son préposé n’a commis aucun

abus de fonction.

Quant à l’abus de fonction : depuis un arrêt de l’Assemblée

plénière du 19 mai 1988, l’abus de fonction du préposé est

caractérisé lorsque le « préposé a agi hors des fonctions

auxquelles il était employé, sans autorisation, à des fins

étrangère à ses attributions » (A.P., 19 mai 1988). Ces trois

conditions sont cumulatives. En l’occurrence, nous n’avons

que peu de détails. Il apparaît toutefois que le docteur

JLOUPTOUT a agi dans le cadre de ses fonctions. Il était allé

consulter le docteur ESCULAPE pendant ses heures de travail.

L’une des trois conditions de l’abus de fonction n’étant pas

vérifiée, la Clinique des Pommiers ne peut s’exonérer de sa

responsabilité.

Quant aux limites de sa mission : cette notion n’a pas été

définie pas la jurisprudence. Jusqu’à présent, la Cour de

cassation a estimé que le préposé avait excédé les limites de

sa mission s’il avait commis une faute pénale intentionnelle

(A.P., 14 décembre 2001), une faute intentionnelle (Civ. 2ème, 21

septembre 2004) ou encore une faute pénale non

intentionnelle qualifiée (Crim., 28 mars 2006). En

l’occurrence, il semble difficile d’admettre que le docteur

JLOUPTOUT a excédé les limites de sa mission. Il a

involontairement participé à un accident de la circulation

pendant ses heures de travail, alors qu’il revenait d’un

déplacement professionnel.

En conséquence, il faut admettre que Madame

LAGUIGNE ne peut rechercher la responsabilité du docteur

JLOUPTOUT. Elle peut simplement agir contre la Clinique des

Pommiers et Monsieur PASDEBOL sur le fondement de la loi de

1985.

3. Les causes d’exonération

Les responsables peuvent-ils opposer à Madame Laguigne

une cause d’exonération ?

Selon l’article 2 de la loi de 1985, les victimes ne peuvent se

voir opposer la force majeure ou le fait d’un tiers par le

conducteur. En outre, selon l’article 3 de la loi de 1985,

l’auteur du dommage ne peut opposer aux victimes non

conductrices leur propre faute pour la réparation des

dommages corporels, à l’exception de leur faute inexcusable

si elle a été la cause exclusive du dommage. La Cour de

cassation a donné définition très stricte de la faute

inexcusable : « Seule est inexcusable…la faute d’une

exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son

auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Civ.

2ème, 20 juillet 1987 ; Civ. 2ème, 30 juin 2005). Par ailleurs, ce

même article précise que les victimes âgées de moins de 16

ans et de plus de 70 ans, ou titulaires d’un titre antérieur à

l’accident leur reconnaissant un taux d’incapacité

permanente ou d’invalidité au moins égal à 80%, sont dans

tous les cas indemnisées des dommages résultant des

atteintes à leur personne qu’elles ont subis. Néanmoins,

l’alinéa 3 introduit un tempérament : les victimes non-

conductrices spécialement protégées perdent le bénéfice de

cette protection en cas de recherche volontaire du dommage

subi. En revanche, pour les dommages matériels, la faute de

la victime a toujours un effet exonératoire.

En l’espèce, Madame LAGUIGNE est une victime non

conductrice de plus de 70 ans. Elle a subi un préjudice

corporel. Elle fait partie des personnes super-privilégiées.

Seule la recherche volontaire du dommage subi pourrait lui

faire perdre sa protection légale. Aucune indication n’allait

dans ce sens. Aucune cause d’exonération ne pourra lui être

opposée.

III. LA RESPONSABILITE DU FAIT DU VACCIN LE DATUX

Il faut déterminer si Ernestine LAPOISSE peut rechercher la

responsabilité du Laboratoire LEFOPA en raison du défaut du

vaccin.

1. Identification de l’action en responsabilité

Actuellement, le droit de la responsabilité du fait des produits

défectueux est éclaté entre, d’une part, le droit commun

interprété à la lumière de la directive du 25 juillet 1985

relative à la responsabilité du fait des produits, pour les

produits mis en circulation entre le 30 juillet 1988 (fin du délai

de transposition de la directive) et le 21 mai 1998 (date

d’entrée en vigueur de la loi relative à la responsabilité du fait

des produits défectueux), et d’autre part, le droit spécial,

institué par la loi du 19 mai 1998 relative à la responsabilité du

fait des produits défectueux, pour les produits mis en

circulation après son entrée en vigueur. L’élément

déterminant est donc la date de mise en circulation du

produit.

Comme nous l’avons déjà constaté l’article 1386-5, alinéa 1er,

du Code civil précise qu’un produit est mis en circulation

lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement et la

Cour de cassation a précisé que pour les produits fabriqués

en série, le moment de la mise en circulation correspond à la

date du dessaisissement de chaque exemplaire du produit

dans le circuit de production-distribution-vente (Civ. 1re, 24

janvier 2006).

En l’occurrence, le vaccin le Datux a été mis en circulation en

février 1997. Pour autant, cela ne signifie pas nécessairement

que l’échantillon en cause a été mis dans le circuit de

distribution-vente en 1997 ! En réalité, nous ne connaissons

pas la date à laquelle le fabricant s’est dessaisi de

l’exemplaire du vaccin litigieux. L’on sait simplement

qu’Ernestine LAPOISSE l’a acheté très récemment. Il semble

donc difficile d’admettre que le pharmacien lui a vendu un

vaccin vieux de 21 ans (et donc périmé) et que le docteur

ESCULAPE ne s’en est pas rendu compte (sinon, il serait

envisageable de rechercher les responsabilités du médecin et

du pharmacien).

Page 70: METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A …

70

Il est donc logique d’admettre que l’exemplaire du vaccin

d’Ernestine LAPOISSE a en réalité été mis dans le circuit de

production-distribution après l’entrée en vigueur de la loi du

19 mai 1998. Les dispositions des articles 1386-1 et suivants du

Code civil devaient donc s’appliquer.

2. La prescription de l’action en responsabilité

Après avoir démontré que la loi du 19 mai 1998 devait

s’appliquer, vous pouviez rapidement écarter cette question

en rappelant les délais de forclusion et de prescription

énoncés par la loi (cf. I. 2.). Aucune difficulté particulière

n’existait en l’espèce.

3. Les conditions relatives au produit

De nouveau, il fallait étudier les conditions relatives au

produit. Après les avoir rappelées brièvement, vous pouviez

rapidement axer votre analyse sur le point suscitant quelques

difficultés en l’occurrence.

Pour engager la responsabilité du producteur, il est en effet

nécessaire que le produit défectueux soit à l’origine du

dommage. Si l’article 1386-9 du Code civil impose au

demandeur d’apporter la preuve du dommage, du défaut et du

lien de causalité, la Cour de cassation a néanmoins admis que

la victime pouvait se prévaloir de présomptions. Ainsi, la

victime peut se prévaloir de présomptions pour établir le lien

de causalité entre le dommage et le défaut du produit, si elles

sont graves, précises et concordantes. Le défaut du produit

peut également être présumé à l’aide de telles présomptions

(Civ. 1re, 22 mai 2008). Toutefois, ces présomptions doivent

être précises, graves et concordantes. Récemment, la Cour

de cassation a eu l’occasion de préciser dans un arrêt du 22

janvier 2009 (Civ. 1re, 22 janvier 2009) que de telles

présomptions n’existent pas lorsque plusieurs facteurs

peuvent être à l’origine d’une maladie.

En l’occurrence, il existe un doute quant à l’origine de la

maladie d’Ernestine LAPOISSE. Il est possible que le vaccin ait

joué un rôle dans sa survenance, mais cela n’est pas certain.

Il est également possible que la maladie ait une origine

infectieuse. Sa blessure au genou pourrait en être la cause.

En conséquence, il est impossible de se prévaloir de

présomptions précises, graves et concordantes pour établir

un lien de causalité certain entre son dommage et le vaccin.

La responsabilité du producteur ne peut donc être recherchée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Page 71: METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A …

71

THEME 4

METHODOLOGIE DE LA DISSERTATION JURIDIQUE

Que l’on vous soumette un sujet « monographique » ou d’apparence plus réflexive et transversale, formulé de manière interrogative ou non, qu’il s’agisse d’une phrase ou d’un court texte, la technique de la dissertation est identique. Elle repose sur une étape liminaire fondamentale : assimiler le sujet qui vous est soumis, ce qui veut dire apporter la plus grande attention à la façon dont il est rédigé. Particulièrement à ce stade de votre parcours, les connaissances de base sont considérées comme un acquis. C’est donc

votre capacité à utiliser efficacement et intelligemment ce capital juridique dans le cadre de la conduite d’une

démonstration qui sera évaluée.

I / LA PREPARATION

I.1. LA REFLEXION LIMINAIRE

Le but de la dissertation est l'exposé d'une question juridique, c'est-à-dire la description des règles juridiques qui lui sont applicables, leur explication et, éventuellement, leur critique.

Il faut lire et relire le sujet, attentivement en s'attachant à tous ses termes mais aussi à la ponctuation. Il vous notamment prêter une attention particulière aux singuliers ou aux pluriels, ainsi qu’aux mots de liaison.

Cette lecture attentive doit vous conduire à préciser le sujet de manière à traiter « tout le sujet mais rien que le

sujet ».

I.2. LE RASSEMBLEMENT DES MATERIAUX Le jour de l’examen, dès la première lecture du sujet, une multitude d'idées vont vous venir à l’esprit. Notez-les. Après avoir procédé à une première réflexion sur le sujet, vous reprendrez ces notes pour ne retenir que ce qui vous paraîtra pertinent. Vous développerez et affinerez alors ces premières intuitions. Puis vous devrez aller plus loin, en remontant plus haut… Il faudra en effet reprendre votre réflexion en l’élargissant pour mieux revenir au domaine exact de la question proposée : cette technique (élargissement puis recentrage) vous permettra :

d'écarter tout ce qui « n'entre pas » véritablement dans le sujet ; de déterminer ce qui devra impérativement figurer dans son traitement ;

d’établir la position dans laquelle l’élément concerné devra être placé (introduction ? développements ?...).

Page 72: METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A …

72

II / LA CONSTRUCTION DE LA DISSERTATION

II.1. REMARQUES GENERALES SUR LE PLAN

La dissertation doit être parfaitement construite avec un plan très net et un enchaînement rigoureux des idées. Elle exige un esprit clair et précis. Il vaut mieux un devoir moins dense mais très bien exposé, reposant sur des idées limpides et animé par un raisonnement rigoureux, qu'un amas de connaissances présentées sans aucun ordre logique.

Le plan doit être construit autour de deux idées principales. Les deux parties doivent en principe être

équilibrées et se subdiviser elles-mêmes en deux ou trois sous-parties qui se distinguent par un intitulé. Tout d'abord, il faut rechercher la clarté : la dissertation est destinée à exposer une question au lecteur, à la lui faire

comprendre. Il faut, en conséquence, éviter toute présentation complexe ou filandreuse. L'exposé de la question doit permettre d'en distinguer les différents aspects, ceux-ci doivent donc apparaître dans des

rubriques distinctes en évitant les redites. De plus, l'intitulé des parties ou des sous-parties doit être assez caractéristique

pour permettre de distinguer les différents aspects de la question successivement envisagés. En effet, chaque partie ou

sous-partie doit correspondre à son intitulé, sous peine de confusion. Le plan doit également être équilibré avec des développements à peu près égaux dans chacune des parties. Si toute la matière à traiter se retrouve dans l'une des parties et qu'il n'y ait presque rien à développer dans l'autre, il faut immédiatement renoncer à ce plan et tenter de trouver une autre articulation de pensée, un autre type de plan.

On soulignera, en conclusion de ces remarques générales, que l’on peut opter pour un plan sophistiqué ou original mais

cela demande une certaine maturité, de l'expérience et des connaissances très solides. Si le sujet vous déstabilise, il sera

plus raisonnable de retenir une structure d’exposition classique, sobre et équilibrée, plutôt que d'essayer une présentation

plus aboutie que vous pourriez ne pas mener à bien (penser au temps dont vous disposez pour rédiger…). N’oubliez pas, en

outre, qu’il est toujours possible d'« habiller » un plan classique par des intitulés originaux.

II.2. QUELQUES INDICATIONS SUR LES ARTICULATIONS DE PENSEE PROPRES

A VOUS GUIDER DANS L’ELABORATION D’UN « PLAN »

Il serait absurde de proposer un plan unique, adapté au traitement des différents types de sujets, fort variés, susceptibles

de vous être proposés. En revanche, il est possible de dresser une typologie sommaire des structures d’exposition susceptibles d’être adoptées.

Le plan « d’idées »

Il est évidemment à privilégier.

Ce type de plan témoigne d’une réflexion originale et maîtrisée sur le sujet. Il porte l’expression d’évolution(s), parfois

de révolution(s), de paradoxes, de vraix ou faux mouvements de fond… à propos d’une notion ou d’un principe à

caractère juridique.

Il peut exprimer une analyse approbatrice, une position nuancée ou critique (ex : oui en apparence / non en réalité ; la consécration d’un principe / son inopportunité).

L’important est de développer un propos progressif et démonstratif, où chaque temps de la pensée est illustré par un

exemple choisi (« une idée, un exemple »).

Ce type de plan est délicat car il suppose, pour dégager une idée pertinente, une bonne maîtrise de la matière.

Le plan dans lequel les deux parties s'opposent

Page 73: METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A …

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L’articulation de pensée est ici la suivante : dans une première partie, on va développer une première idée puis, dans la seconde partie, une autre idée.

Ce type de plan permet, par exemple, d'exposer une situation juridique présentant des aspects contradictoires. Dans la mesure où les règles juridiques sont rarement dénuées de toute cohérence, cela implique généralement une opposition entre des règles fondées sur des impératifs différents ou destinées à protéger des intérêts divergents.

Un plan du type

I — Principe II — Exceptions

s’inscrit parfaitement dans cette logique à caractère antagoniste. C'est encore à ce type de structure de pensée que l'on fait appel pour défendre une opinion en réfutant les arguments de la thèse adverse, pour mieux fonder sa propre thèse. Pensez à une structure du type :

I - Réfutation de la thèse adverse II - Justification de la thèse avancée

C'est encore cette même logique d’antagonisme que vous rencontrez dans la structure suivante, souvent utilisée pour le traitement d’un sujet de comparaison :

I - Ressemblances II - Différences

Vous noterez que ce dernier plan devra être manié avec prudence car le risque de déséquilibre entre les deux parties

est flagrant : bien rares sont les cas dans lesquels ressemblances et dissemblances s’équilibrent quantitativement…

Le plan dans lequel les deux parties constituent le prolongement l’une de l’autre Le plan type est :

I — Conditions II — Effets

ou encore le plan :

I — Notion II — Régime

Ces structures ont le mérite de la simplicité. Elles vous offrent un cadre maniable d’exposition d’une institution

juridique. Néanmoins ces cadres ne pourront pas être utilisés tels quels lors des épreuves d’examen d’entrée au

Barreau : il conviendra de les « habiller » et de conférer une apparence réflexive au tout… (attention à ce point).

Plan « chronologique »

Maniée sans finesse, la structure d’exposition chronologique est à proscrire. En revanche, lorsque le critère chronologique st retenu comme le repère d’un changement de nature juridique ou de révolution normative, il peut éventuellement constituer une articulation logique, susceptible d’un habillage élégant.

Page 74: METHODOLOGIE DES EXERCICES DE DROIT PRIVE PROPOSES A …

74

III / LA REDACTION

III.1. L’INTRODUCTION

L’introduction a une importance capitale : elle manifeste votre compréhension du sujet et définit tous les problèmes qu’il soulève et que les développements vous permettront d’argumenter. N’hésitez pas en conséquence à la développer (20 % du volume de votre copie n’est pas déraisonnable). Les étapes décrites ci-dessous peuvent revêtir une importance variable en fonction du sujet. Mais elles vous donnent l’architecture générale d’une introduction satisfaisante. 1. L’accroche ou entrée en matière Il s’agit de la phrase « d’attaque » destinée à retenir l’attention du lecteur. Elle peut prendre une forme interrogative ou bien comporter une citation en relation avec le sujet…. Elle doit cependant éviter de paraître ampoulée ou artificielle. 2. Le contexte et les définitions Cette étape permet de cerner le sujet au travers, par exemple :

du contexte économique, historique, culturel… ; de la définition des termes du sujet à partir de connaissances juridiques, économiques, historiques,

philosophiques….

3. Intérêt et délimitation du sujet Pourquoi cette question ? Pourquoi cette notion ou cette thématique ? L’essentiel est ici de justifier le choix d’un sujet qui, s’il vous a été soumis, a été considéré digne d’intérêt. La délimitation du sujet est, à ce stade, souvent nécessaire lorsque la thématique est vaste ou le libellé du sujet polysémique. Cette délimitation devra être opérée de manière habile et justifiée, de manière à préparer la formulation de la problématique.

4. Problématique Une « problématique » devra être arrêtée. Quel est l’ensemble des problèmes soulevés par le sujet, tel que vous l’aurez précédemment délimité : une contradiction ? Une innovation ? Une complémentarité ? Une rupture ? Une évolution ? Une révolution ? Une avancée ? Un reflux ?...

Introduisez toujours une dimension dynamique à votre réflexion, sous peine de disqualifier cette « réflexion » en une

pénible « récitation ». Il est important, à ce stade, de démontrer une claire et complète perception des enjeux du sujet. 5. Annonce du plan Il s’agit de la thèse que vous allez défendre, de la réponse que vous entendez apporter au sujet qui vous est soumis. Il s’agira d’une phrase affirmative qui annonce les deux (exceptionnellement trois) parties du plan. L’annonce du plan est d’autant plus réussie qu’elle semble découler naturellement de l’ensemble de l’introduction et qu’elle n’apparaît pas comme artificiellement plaquée sur des développements sans rapport immédiat avec elle.

Autrement dit, le plan doit constituer l’aboutissement logique de ce qui précède.

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75

III.2. LA STRUCTURE ET LA REDACTION DES DEVELOPPEMENTS

Chaque partie (I et II) doit comporter l’annonce des sous-parties, objets du développement.

En général, deux sous-parties suffisent amplement. Au-delà, et sauf exception, les développements risquent de

paraître trop morcelés ou inconsistants. Elle peut comprendre encore elle-même deux subdivisions de niveau inférieur qui ne doivent pas nécessairement faire l’objet d’intitulés.

Vous rédigerez des chapeaux introductifs en tête de la première et de la seconde partie. Il convient enfin de formuler

des transitions soignées entre la première et la seconde partie mais aussi entre le A et le B de chacune de ces deux

parties. Quant au contenu de votre propos, cette épreuve dite « théorique » doit, dans le cadre de l’examen d’entrée au Barreau,

rester assez … « concrète » : après avoir exposé la règle générale et abstraite, nous vous conseillons de donner des exemples

précis de son application, de manière à illustrer la fonction « sociale » de la règle en cause.

III.3. LA CONCLUSION

La conclusion n’est pas obligatoire mais reste néanmoins opportune. Elle permet souvent d'élargir le sujet en faisant allusion à une institution voisine ou en annonçant une réforme imminente.

Mais elle ne constitue pas une « session de rattrapage » : si vous veniez à développer en conclusion, des idées ou des

éléments faisant partie du sujet et qui auraient dû figurer dans l'introduction ou dans le corps du sujet, cette conclusion,

loin de vous être profitable, serait gravement nuisible à vos intérêts…

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EXEMPLES CORRIGES DE DISSERTATION

1ER EXEMPLE

Sujet : « L’efficacité des avant-contrats »

PROPOSITION DE CORRIGÉ

Avec les avant-contrats, l’article 1134, alinéa 1er du Code civil, « colonne du temple contractuel » a souvent subi des « coup(s) de butoir propre(s) à le faire vaciller » (D. MAZEAUD, note sous Civ. 3ème, 15 décembre 1993, JCP G, 1995, 22366, n° 1). Ignorés peu ou prou par les rédacteurs de 1804, les avant-contrats se sont développés sous l’impulsion de la pratique. Adoptant de multiples formes au service des parties, les avant-contrats sont apparus comme de formidables instruments pour contractualiser la période précédent la conclusion d’un contrat définitif. A ce titre, les promesses synallagmatique et unilatérale de contracter, ainsi que le pacte de préférence constituent les formes les plus topiques des avant-contrats. Pour autant, en dépit du profond intérêt qu’ils peuvent représenter, la jurisprudence a eu tendance à remettre en cause leur force obligatoire restreignant ainsi leur efficacité. L’efficacité des avant-contrats est en effet subordonnée à la possibilité d’obtenir leur exécution, éventuellement forcée, et, partant, le parfait respect de la parole donnée. Dès lors, si l’exécution de l’avant-contrat peut être obtenue, son efficacité s’en trouve renforcée. En revanche, si l’exécution ne peut être obtenue, son efficacité et son intérêt s’en trouvent fortement réduits. Or, il est manifeste que l’exécution des avant-contrats ne peut être toujours obtenue. Tous les avant-contrats ne sont

pas aussi efficaces les uns des autres (I. L’efficacité

contrastée des avant-contrats). Ce contraste dans leur efficacité suscite en conséquence une recherche d’une plus

grande efficacité des avant-contrats (II. L’efficacité

recherchée des avant-contrats). Les remèdes actuels à l’efficacité contrastée des avant-contrats devront, à ce titre, être distingués des remèdes potentiels.

I / L’EFFICACITE CONTRASTEE DES AVANT-CONTRATS L’efficacité des avant-contrats reste contrastée. En effet, même si on ne peut nier une tendance favorable au renforcement de l’efficacité des avant-contrats, il n’en demeure pas moins que l’efficacité de certains d’entre eux reste par certains aspects limités. En somme, la mesure de l’efficacité actuelle des avant-contrats permet de constater

que l’efficacité des avant-contrats est tantôt promue (A),

tantôt limitée (B).

A. La promotion de l’efficacité 1. L’avant-contrat le plus efficace est très certainement la promesse synallagmatique de contracter. Dans cette hypothèse, les deux parties ont consenti au contrat définitif,

mais ont prévu qu’une formalité supplémentaire devra être accomplie dans l’avenir. Les consentements au contrat définitif ayant été donné, l’exécution forcée de la promesse pourra être ordonnée. En affirmant que « la promesse de vente vaut vente », l’article 1589 du Code civil ne fait qu’illustrer cette idée. Par exception, il arrive que les parties érigent la formalité à accomplir en condition de validité du contrat définitif. C’est l’hypothèse des « promesses de vente ne valant pas vente ». Les parties peuvent ainsi ériger conventionnellement la forme notariée en condition de validité du contrat de vente. La promesse ne donne alors naissance qu’à une obligation de faire, dont l’inexécution devrait en principe se résoudre en dommages-intérêts. L’efficacité de ce type de promesse synallagmatique est donc relative. Pour autant, la Cour de cassation admet restrictivement de telles promesses. Elle exige une volonté particulièrement claire des parties pour ériger une formalité en condition de validité du contrat (par ex. : Civ. 3ème, 28 mai 1997, Bull. civ. III, n° 116). Corrélativement, cette sévérité jurisprudentielle assure une certaine efficacité à la première catégorie de promesses synallagmatique. 2. Mais, l’aspect le plus marquant de la tendance jurisprudentielle assurant la promotion de l’efficacité des avant-contrats est très certainement l’évolution récente de la jurisprudence sur le pacte de préférence. Un pacte de préférence est un contrat par lequel une personne s’engage à présenter en priorité à une autre la conclusion d’un contrat au cas où elle se déciderait à le conclure. Or, jusqu’à un arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation du 26 mai 2006, le droit de priorité consenti par le pacte de préférence n’avait qu’une efficacité relative lorsque le promettant ne respectait pas le contrat. En effet, traditionnellement, la Cour de cassation admettait la nullité du contrat conclu avec un tiers en violation d’un pacte de préférence, s’il était établi que le tiers acquéreur avait eu connaissance du pacte et de l’intention du bénéficiaire d’exercer le droit de préférence qui lui avait été consenti (Civ. 3ème, 26 octobre 1982, Bull. civ. III, n° 208 ; Civ. 3ème, 10 février 1999, Bull. civ. III, n° 37), mais elle refusait la substitution du bénéficiaire du pacte au tiers acquéreur (Civ. 3ème, 30 avril 1997). Depuis, la Cour de cassation est revenue sur cette solution. Désormais, le bénéficiaire du pacte peut obtenir l’annulation du contrat conclu avec le tiers et obtenir sa substitution à l’acquéreur, s’il établit que ce tiers avait eu connaissance, lorsqu’il a contracté, de l’existence du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir (Ch. mixte, 26 mai 2006 ; Civ. 3ème, 31 janvier 2007 ; Civ. 3ème, 14 février 2007). En conséquence, il est désormais possible d’obtenir la substitution. Une telle évolution jurisprudentielle renforce indéniablement l’efficacité des pactes de préférence. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue, qu’en l’état du droit positif, l’efficacité des avant-contrats est, sous certains aspects, limitée.

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B. La limitation de l’efficacité 1. La limitation de l’efficacité des avant-contrats apparaît, de façon assez paradoxale, dans la jurisprudence favorable au renforcement de l’efficacité des pactes de préférence. En effet, alors même que la Cour de cassation a accepté, dans son arrêt rendu en chambre mixte le 26 mai 2006, le principe de la substitution du bénéficiaire du pacte de préférence au tiers acquéreur, elle l’a subordonné à la réunion de deux conditions. Le tiers devait avoir connaissance du pacte et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir. Or, cette double preuve risque d’être difficile à apporter, même si cela n’est pas impossible comme l’a démontré un arrêt rendu par la Cour de cassation le 14 février 2007 (Civ. 3ème, 14 février 2007). Cela étant, bien souvent cette double preuve ne sera pas rapportée. Ceci est d’autant plus vrai que la jurisprudence n’impose pas au tiers qui aurait connaissance du pacte de s’informer auprès du bénéficiaire de sa décision d’user de son droit ou non. Cette solution affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 29 juin 2010 renforce considérablement la situation du tiers par rapport à celle du bénéficiaire (Civ. 3ème, 29 juin 2010). En somme, pour le pacte de préférence, la substitution reste encore très théorique. Son efficacité l’est d’autant plus. L’on pourrait en déduire que le plus souvent le bénéficiaire n’obtiendra que des dommages et intérêts. Or, si la Cour de cassation a pu admettre à une époque que la seule connaissance du pacte par le tiers pouvait justifier l’attribution de dommages et intérêts (Civ. 1re, 11 juillet 2006, Bull. civ. I, n° 389 ; Civ. 3ème, 31 janvier 2007, Bull. civ. III, n° 16), elle semble dorénavant hostile à cette solution lorsque la double preuve n’est pas établie (Civ. 3ème, 29 juin 2010, précit.). Par ailleurs, la question de l’efficacité des pactes de préférence semble aujourd’hui se déplacer de l’exécution à la formation de ces contrats. En effet, si la prédétermination du prix du contrat envisagé et la stipulation d'un délai ne sont pas des conditions de validité du pacte de préférence (Civ. 3e, 15 janvier 2003, Bull. civ. III, n° 9), il peut arriver que les parties aient déterminé un prix et une durée. La question de la validité, et donc d’une certaine façon de l’efficacité, de ces pactes s’est posée. Par un arrêt du 23 septembre 2009, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a admis la validité de ces pactes à la condition que les modalités stipulées ne soient pas, au regard de la nature et de l’objet de l’opération réalisées, constitutives d’une atteinte au droit de propriété. Avec une telle réserve, la Cour de cassation ouvre donc la voie à une remise en cause de l’efficacité des pactes de préférence à prix et délai déterminés. 2. La limitation de l’efficacité des avant-contrats se manifeste encore plus avec les promesses unilatérales de contracter. En effet, alors même que par une promesse unilatérale une personne s’engage envers une autre à conclure un contrat si celle-ci lui demande, la jurisprudence ne donne aucune efficacité à cet engagement. Ainsi, la Cour de cassation a affirmé, à propos d’une promesse unilatérale de vente comportant un délai pour la levée de l’option, que la rétractation du promettant avant la levée de l’option devait se résoudre en dommages-intérêts (Civ. 3ème, 15 décembre 1993 ; Civ. 3ème, 11 mai 2011). L’exécution forcée ne peut être ordonnée. Le promettant ne pourra être tenu qu’à des dommages et intérêts. En conséquence, cette solution a remis en cause les solutions retenues en cas de conclusion d’un contrat par le

promettant avec un tiers en violation de la promesse unilatérale de contracter. En effet, traditionnellement, on admettait que le contrat conclu avec le tiers pouvait être déclaré nul ou inopposable, si le tiers avait eu connaissance de la promesse lors de la conclusion du contrat (Civ. 3ème, 20 février 1979, JCP G, 1980, II, 19376 ; Civ. 3ème, 10 novembre 1982, Bull. civ. III, n° 221) et on admettait également que cette inopposabilité ou cette nullité permettait au bénéficiaire de la promesse d’obtenir la formation de la vente en levant l’option. En affirmant que la rétractation du promettant avant la levée de l’option devait se résoudre en dommages-intérêts, la Cour de cassation a incontestablement remis en cause la substitution dans les promesses unilatérales de vente en cas de vente à un tiers de mauvaise foi. La vente à un tiers peut en effet s’analyser en une rétractation du promettant. Il faut donc admettre qu’actuellement le bénéficiaire d’une promesse unilatérale non respectée peut uniquement obtenir des dommages-intérêts en cas de vente à un tiers de mauvaise foi. En somme, avant la levée de l’option, la promesse unilatérale de contracter ne présente pas une réelle efficacité. Aussi n’est-il pas surprenant que la limitation de l’efficacité des avant-contrats a suscité une recherche de l’efficacité.

II / L’EFFICACITE RECHERCHEE La recherche de l’efficacité des avant-contrats apparait comme une préoccupation constante pour les contractants et la doctrine. Ainsi, dans l’attente d’évolutions législatives ou

jurisprudentielles (B), les contractants sont à la recherche de

solutions contractuelles (A).

A. Les solutions contractuelles Les contractants peuvent rechercher des aménagements contractuels afin de redonner une certaine efficacité aux avant-contrats et donc de faire en sorte qu’ils soient exécutés. Certaines clauses sont néanmoins plus pertinentes que d’autres. 1. Ainsi, les parties peuvent insérer une clause pénale ou une clause dédit dans le contrat. La clause pénale permet de fixer des dommages élevés en cas de rétractation. Un montant élevé pourrait être dissuasif et renforcer l’efficacité des avant-contrats. Toutefois, de telles clauses ne sont pas sans danger. Une somme manifestement excessive pourrait inciter le promettant à demander au juge sa révision à la baisse sur le fondement de l’article 1152, alinéa 2, du Code civil. En outre, une telle clause n’a qu’un caractère indemnitaire, elle ne permet pas d’obtenir l’exécution forcée de la promesse violée. Les contractants peuvent alors préférer une clause de dédit, qui ne s’analyse pas comme une clause de dommages intérêts mais comme la contrepartie d’un droit de se délier. Son montant est donc intangible, il n’entre pas dans le champ de l’article 1152, alinéa 2, du Code civil. Pour autant, une telle solution aboutit à admettre le principe de la rétractation alors que cette idée semble contraire à l’esprit des avant-contrats. En définitive, avec une telle solution, la pratique réagit à la jurisprudence en la consacrant. 2. Or, les parties peuvent également renforcer l’efficacité de l’avant-contrat en introduisant une clause d’exécution forcée en nature du contrat inexécuté. Ceci est particulièrement vrai

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pour les promesses unilatérales de vente, dans la mesure où un arrêt de la Cour de cassation du 27 mars 2008 a expressément prévue cette faculté pour ces promesses (Civ. 3, 27 mars 2008). Cela étant, selon cet arrêt, la clause ne peut se contenter de préciser que le promettant souscrit un engagement ferme et définitif. Elle doit préciser quelle sera la nature de la sanction de la violation d’un tel engagement. Autrement dit, elle doit indiquer que la rétractation du promettant pendant le délai d’option contractuellement fixé ne pourra pas faire échec à la formation du contrat promis, au cas où le bénéficiaire exprimerait son consentement avant l’expiration de ce délai. Les solutions contractuelles ne sont donc pas sans failles. Aussi, la doctrine a proposé des évolutions.

B. Les évolutions possibles

Certaines évolutions jurisprudentielles envisagées à une époque semblent aujourd’hui remises en cause. Aussi faudrait-il se tourner vers une réforme législative qui pourrait prendre place à l’occasion d’une réforme plus générale du droit des contrats. 1. Il semble en effet aujourd’hui difficile d’envisager un renforcement de l’efficacité des avant-contrats avec une relecture de l’article 1142 du Code civil, qui dispose que l’inexécution d’une obligation de faire se résout en dommages-intérêts. En effet, l’arrêt Consorts Cruz du 15 décembre 1993 avait affirmé, pour écarter la conclusion forcée du contrat de vente, que la promesse unilatérale de vente ne donnait naissance qu’à une obligation de faire. Or, ce fondement avait pu troubler à un double titre : d’une part, le promettant n’est juridiquement tenu à effectuer aucune prestation, d’autre part, il est admis depuis longtemps que l’inexécution d’une obligation de faire peut être sanctionnée par l’exécution forcée de l’obligation. Toutefois, une évolution a été, à un moment, envisagée après l’arrêt de la Chambre mixte de la Cour de cassation du 26 mai 2006. En effet, cet arrêt a donné un nouveau souffle à la recherche de l’efficacité des avant-contrats, en marquant un certain reflux

de l’article 1142 du Code civil. Auparavant, il était invoqué pour faire obstacle à la substitution du bénéficiaire du pacte de préférence au tiers acquéreur. Le promettant étant tenu d’une obligation de faire, sa violation ne pouvait entrainer que l’allocation de dommages-intérêts. Depuis 2006, cette qualification ne fait pas obstacle à l’exécution forcée du contrat. Partant, une extension de cette solution aux promesses unilatérale de contracter paraissait envisageable. Or, dans son arrêt du 11 mai 2011, la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence de 1993, mais en abandonnant toute référence à l’article 1142 et à l’obligation de faire. La Cour de cassation préfère viser les articles 1101 et 1134 du Code civil pour refuser la réalisation forcée de la vente projetée. L’abandon de la référence à l’obligation de faire semble donc fermer toute évolution jurisprudentielle. La Cour de cassation est finalement peut-être sensible à la théorie anglo-saxonne de l’efficient breach of contract. Seule une évolution législative pourrait donc renforcer l’efficacité des avant-contrats. 2. Les différents projets de réforme du droit des contrats n’ont pas ignoré les avant-contrats. Ils consacrent tous un renforcement de l’efficacité des avant-contrats. Ainsi, le projet de réforme de la Chancellerie consacre l’inefficacité de la rétractation du promettant pendant le temps laissé au bénéficiaire de la promesse unilatérale pour exprimer son consentement de telle sort que le contrat promis sera formé malgré ce retrait du consentement. Par ailleurs, le projet de réforme précise que le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul. Corrélativement, le projet prévoit qu’en cas de violation d’un pacte de préférence par un tiers qui en connaissait l’existence, le bénéficiaire du pacte peut agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu, sans préjudice de dommages et intérêts. Le projet lève ainsi une ambigüité que l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription avait laissé subsister. Le renforcement de l’efficacité des avant-contrats semble donc bien présider aux évolutions futures.

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2ND EXEMPLE

Sujet : « La faute de la victime »

[Accroche] « Celui qui éprouve un préjudice par sa faute n’est pas censé éprouver un préjudice »2. Par cet adage, Pomponius écarte l’idée selon laquelle la victime d’un dommage pourrait en obtenir réparation alors qu’elle l’a causé.

[Définitions des termes du sujet et du sujet en général] Unir les vocables « victime » et « faute » relèverait donc du paradoxe… La victime n’est-elle pas la personne « qui subit personnellement un dommage par opposition à celle qui la cause » (Vocabulaire juridique Capitant, V° « Victime »). Ainsi définie, comment une victime pourrait-elle être à la source de son propre dommage ? Subissant un dommage causé par un tiers, une victime ne pourrait en même temps être qualifiée de fautive, n’ayant, a priori, violé aucune « obligation préexistante » (Planiol, « Études sur la responsabilité civile », RCLJ 1905, p. 279 et s., spéc. p. 287) ou méconnu aucun « droit ou obligation imposée par l’ordre juridique » (P. Jourdain et G. Viney, Les conditions de la responsabilité, in Traité de droit civil, L.G.D.J., n° 445). Il n’y aurait donc pas lieu de parler de faute de la victime ou alors conviendrait-il de détacher d’un coté la faute que celle-ci a commise, causant un dommage à un tiers, de sa qualité de victime d’un dommage causé par un tiers. Pour autant, la victime ne peut-elle pas avoir contribué à la création du dommage qu’elle subit ou même l’avoir causé exclusivement à l’intervention d’un tiers ? C’est effectivement le cas, une victime peut avoir eu un rôle causal dans la création de son dommage. Dès alors, la faute de la victime pourrait se définir comme le comportement fautif de la victime ayant contribué à la création de son propre dommage. Il ne s’agit toutefois pas de retenir la responsabilité de la victime à l’égard d’elle-même ; solution qui ne peut être admise au regard de la définition juridique de la responsabilité.

[Intérêt du sujet] En tant que cause étrangère, la faute de la victime joue un rôle important dans la détermination de l’étendue de son droit à réparation et donc dans l’étendue de l’obligation de l’ « auteur » du dommage. La faute de la victime peut en effet être exclusive de l’intervention d’un tiers, de telle sorte que l’action du tiers ne se verra attribuer aucun rôle causal dans la création du dommage et sa responsabilité sera tout simplement écartée. La faute de la victime peut également avoir simplement contribué à l’apparition du préjudice. Dans ce cas la responsabilité du tiers n’est pas remise en cause, mais le quantum du droit à réparation de la victime sera limité. Constitutive d’une cause d’exonération de la responsabilité, la faute de la victime permettrait ainsi à l’auteur du dommage de se décharger totalement ou partiellement « d’une obligation, d’un devoir, d’une charge ou d’une responsabilité qui peut résulter de la loi, […] » à l’égard de la victime (Vocabulaire juridique Capitant, V° « Exonération »). L’effet exonératoire de la faute de la victime trouve sa justification technique dans la notion de lien de causalité, il s’agit en effet de prendre en compte la faute de la victime comme l’une des causes du dommage. Dès lors, plus le lien de causalité est apprécié souplement, plus la faute de la victime a de chance d’entraîner

2 Quod quis ex culpa sua damnum sentit, non intellegitur damnum sentire : Pomponius, Dig. Lib. L., Tit. XVII, 203.

l’exonération partielle de l’auteur du dommage ; inversement, plus son appréciation est restrictive et plus la faute de la victime risquera alors d’être écartée comme cause du dommage ou bien retenue comme cause exclusive et ainsi exclure la responsabilité du tiers. Justement, deux théories s’affrontent en matière de causalité, celle de l’équivalence des conditions qui retient l’ensemble des causes du dommage sans distinction et celle de la causalité adéquate qui ne s’attache qu’à la cause qui selon le cours normal des choses a provoqué le dommage. Mais alors, selon que l’on opte pour l’une ou l’autre de ces théories, la faute de la victime aura une portée très différente : indifférente, partiellement ou totalement exonératoire.

[Suite de l’étude de l’intérêt du sujet et problématique] A partir de ce constat, l’étude de la faute de la victime n’est pas dénuée d’intérêt tant dans une approche technique que politique. Sur un plan technique tout d’abord, les règles juridiques qui la prennent en compte sont rares. Ainsi, en droit commun de la responsabilité, aucune règle juridique ne fait produire d’effets juridiques à la faute de la victime. Ces règles ressortent toutes de régimes spéciaux de responsabilité, comme en matière d’accident de la circulation ou encore de responsabilité du fait des produits défectueux. Les rédacteurs du Code civil n’avaient d’ailleurs pas envisagé une telle situation, qui résulte d’une construction principalement prétorienne (A. Duméry, La faute de la victime, thèse Aix, 2007, n° 14). Au-delà des considérations techniques, dans une approche plus politique, la prise en compte de la faute de la victime apparaît en complet décalage avec l’idéologie actuelle de la réparation des dommages subis par les victimes qui sous-tend le droit de la responsabilité. Comment en effet peut-on justifier la prise en compte de la faute de la victime, alors même que le droit de la responsabilité civile aurait pour fonction première de réparer intégralement les dommages ? Cette dissonance apparaît pleinement dans la jurisprudence de la Cour de cassation, qui utilise cette question comme instrument de politique juridique. En témoigne dans le passé le célèbre arrêt Desmares du 21 juillet 1982 (Civ. 2ème, 21 juillet 1982 ), écartant l’exonération partielle de l’auteur du dommage en matière de responsabilité du fait des choses et favorisant ainsi l’indemnisation des victimes. Cet arrêt fut interprété comme un véritable appel du juge au législateur afin que celui-ci institue des règles spéciales de responsabilité en matière d’accidents de la circulation, ce qui fut fait par la loi du 5 juillet 1985. Par la suite, la Cour de cassation tira d’ailleurs les conséquences de l’intervention du législateur. Elle opéra en effet, cinq ans plus tard, un important revirement de jurisprudence en admettant de nouveau l’exonération partielle en matière de responsabilité du fait des choses dans les arrêts du 6 avril 1987 (Civ. 2ème, 6 avril 1987 (6 arrêts)). Vingt ans après, de tels sursauts jurisprudentiels se produisent à nouveau. L’année 2008 a ainsi été marquée par deux arrêts fondamentaux concernant la place de la faute de la victime dans le cadre de l’activité de transport de la SNCF. La faute de la victime comme cause d’exonération partielle de l’auteur du dommage tend de nouveau à être remise en cause en faveur d’un tout ou rien de l’exonération, plus encore, la faute de la victime ne semble pas toujours suffire pour entraîner l’exonération du

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tiers. Il apparaît donc nécessaire de confronter la théorie de la faute de la victime avec le droit positif, afin d’en vérifier l’unité face au développement des régimes spéciaux de responsabilité ou de solutions jurisprudentielles particulières à certains contentieux.

[Annonce de plan] L’étude de la place de la faute de la victime comme cause d’exonération de l’auteur du dommage suppose d’envisager à la fois sa réception comme condition d’exonération de l’ « auteur » du dommage (I) puis ses effets sur sa responsabilité (II).

Le respect de chacune des étapes de l’introduction est nécessaire pour traiter convenablement le devoir. A défaut, il est fort possible que le traitement de la dissertation ne soit que partiel... Un autre plan était possible : la faute de la victime, cause d’exonération partielle (I)/faute de la victime cause d’exonération totale (II). Il a pour intérêt de mettre en valeur les effets possible d’une faute de la victime, mais ne s’arrête pas assez sur l’admission même de la faute comme cause d’exonération de l’auteur du dommage.

I — L’ADMISSION DE LA FAUTE DE LA VICTIME COMME CAUSE

D’EXONERATION DE LA RESPONSABILITE DE L’ « AUTEUR »

DU DOMMAGE.

Si la faute de la victime rend, à elle seule, possible l’exonération de la responsabilité de l’auteur du dommage (A), son domaine est cependant discuté (B).

A — La notion de faute de la victime Pour que le fait de la victime entraîne l’exonération de la responsabilité de l’auteur du dommage, encore faut-il que ce fait soit constitutif d’une faute. Un simple fait de la victime ne suffit pas à l’auteur du dommage pour s’exonérer de sa responsabilité. Autrement dit, la participation causale de la victime à la réalisation du dommage qu’elle subit n’entraîne pas, à elle seule, la limitation de son indemnisation. Même si la jurisprudence a pu admettre, par le passé, qu’un simple fait de la victime permette à l’auteur du dommage de s’exonérer en matière de responsabilité du fait des choses (Civ. 2ème, 17 décembre 1963), elle est aujourd’hui unanime quant à l’exigence d’un fait fautif (Ph. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, n° 303, p. 156). Le fait de la victime doit donc être qualifié de faute, autrement dit, il doit être de nature à engager sa responsabilité personnelle (M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, t. 2 : Responsabilité civile et quasi-contrats, PUF, 2007, n° 55). La Cour de cassation a d’ailleurs eu l’occasion de rappeler récemment cette exigence dans un arrêt du 17 janvier 2008 (Civ 1ère, 17 janv. 2008). Mais alors, au-delà de la faute de la victime, le fait de la chose dont elle a la garde ou des personne dont elle doit répondre, permettent-ils aussi à l’auteur du dommage de s’exonérer de sa responsabilité ? En matière de responsabilité du fait d’autrui, la jurisprudence admet l’exonération de l’auteur du dommage en cas de fait fautif du tiers dont la victime doit répondre. Au-delà, aucune exonération n’est possible. Reste à savoir comment se définit la faute de la victime ? Elle se définit par référence à la notion de faute au sens de l’article 1382 du Code civil. Elle lui emprunte en effet sa

nature. Ainsi, la faute de la victime doit être un fait illicite objectif. La possibilité de caractériser une faute de la victime dépend donc, en premier lieu, des devoirs préalables de celle-ci. En conséquence, si une obligation de minimiser le dommage était créée à la charge de la victime, les hypothèses de faute de la victime seraient multipliées. Une telle obligation obligerait en effet la victime, une fois le dommage réalisé, de limiter les conséquences de celui-ci. Il faut noter que la participation causale de la victime n’intervient alors pas au stade de la réalisation du dommage mais postérieurement. Si une telle obligation a été affirmée en droit anglo-américain par le bien de la notion de mitigation of damages, la Cour de cassation l’a écarté dans un domaine spécial, en matière d’obligation de soin, cela dans un arrêt rendu par la deuxième chambre civile en date du 19 juin 2003. La justification de cette solution peut être trouvée dans l’article 16-3 du Code civil qui dispose que « nul ne peut être contraint, hors les cas prévus par la loi, de subir une intervention chirurgicale ». Dès lors, le refus de soin résultant d’une autorisation de la loi ne peut donc constituer une faute. La portée conférée à cet arrêt par la Cour de cassation n’est cependant pas spéciale mais générale. Ainsi, dans son attendu de principe, elle a retenu, au visa de l’article 1382, que « l’auteur d’un accident doit en réparer toutes les conséquences dommageables ; que la victime n’est pas tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable ». Il n’y aurait donc pas, de manière générale, d’obligation pour une victime de minimiser son dommage. Il reste alors à savoir si les prédispositions de la victime permettent à l’auteur du dommage de s’exonérer de sa responsabilité. Autrement dit, les prédispositions de la victime peuvent-elles être considérées comme fautives ? Les prédispositions peuvent être définies comme « toute particularité génétique, physiologique, psychologique ou comportementale de nature à influer sur le risque de dommage ». Elles peuvent augmenter le risque de subir un dommage, et, en cela, être en lien causal avec le dommage. Cependant, par nature, elles ne peuvent pas être qualifiées de faute de la victime. En effet, les prédispositions n’auront d’influence que sur l’évaluation du préjudice réparable puisqu’elles peuvent augmenter le quantum du préjudice. Fait illicite, la faute de la victime ne comprend pas, en second lieu, d’élément subjectif. En effet l’ajout, par la loi du 3 janvier 1968, d’un article 489-2 du Code civil, aujourd’hui déplacé à l’article 414-3 du Code civil par la loi du 5 mars 2007, qui dispose que « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu'il était sous l'empire d'un trouble mental n'en est pas moins obligé à réparation », écarte une telle référence. Plus généralement encore, dans les arrêts Derguini et Lemaire rendus le 9 mai 1984, la Cour de cassation a retenu que la faute de jeunes enfants permettait à l’auteur du dommage de s’exonérer de sa responsabilité. Pour cela, elle retint que « la Cour d’appel, qui n’était pas tenue de vérifier si le mineur était capable de discerner les conséquences de son acte, a pu estimer sur le fondement de l’article 1382 du Code civil que la victime avait commis une faute qui avait concouru avec celle de X à la réalisation du dommage dans une proportion souverainement appréciée ». Il reste alors à voir si la notion de faute de la victime est admise de manière générale, ou bien si elle ne suffit pas toujours, devant être subsumée dans une autre qualification ou revêtir certains caractères particuliers. Toutes ces questions renvoient à l’étude du domaine de la faute de la victime.

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B — Le domaine de la faute de la victime Le domaine de la faute de la victime en tant que cause d’exonération de l’auteur d’un dommage est très général tant sur un plan personnel que matériel. Dans une approche personnelle, elle peut jouer tant à l’égard de la victime directe qu’à l’égard de la victime par ricochet (Ass. plén. 19 juin 1981), ce qui est assez logique, puisque la victime par ricochet est celle qui subit un préjudice du fait du dommage subit par la victime directe. Dans une approche matérielle, la faute de la victime trouve application quelle que soit la nature de la responsabilité. En effet, la faute de la victime a vocation à jouer indifféremment matière de responsabilité contractuelle (Civ. 1ère, 9 octobre 1991) que délictuelle (Civ. 2ème, 11 février 1976 ; Civ. 2ème, 27 novembre 1975 ; Ass. plén. 9 mai 1984, Derguini et Lemaire ). Plus encore, en matière délictuelle, la faute de la victime peut jouer tant en matière de responsabilité du fait personnel, qu’en matière de responsabilité « objective ». Ainsi, elle trouve application en matière de responsabilité du fait des choses (Civ. 2ème, 6 avril 1987 : Bull. II, n° 86 ; Civ. 2ème, 8 mars 1995 : Bull. II, n° 82), des parents du fait de leur enfant (Civ. 2ème, 19 février 1997, Bertrand ) ou encore du fait d’autrui. Indiscutable aujourd’hui, cette approche extensive a été contestée. Certains auteurs considèrent en effet qu’un régime de responsabilité subjective, auquel la faute de la victime s’inspire très largement, ne devrait pas « interférer » dans un régime de responsabilité objective (P. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, coll. Dalloz Action, 2008-2009, n° 1865). Plus encore, le législateur prévoit expressément qu’une telle exonération puisse jouer en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Ainsi, l’article 1386-13 du Code civil dispose que « la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable ». Enfin, elle trouve également à s’appliquer en matière pénale tant lorsque l’infraction est non-intentionnelle (Civ. 1ère, 29 février), que lorsque l’infraction est intentionnelle (Crim. 8 janvier 2008: « Vu l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1382 du code civil ; Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans rechercher si, malgré le rejet de l'excuse de légitime défense et la relaxe de la partie civile du chef de violences, celle-ci n'avait pas commis une faute qui avait concouru à son propre dommage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ». Contra, Crim. 28 février 1990 : RTD civ., 1990, p. 670). Ce large domaine se justifie pleinement au regard de la façon dont la faute de la victime est prise en compte. Celle-ci joue un rôle causal dans la réalisation du dommage, et est donc indifférente à la nature de la responsabilité de l’auteur du dommage. Pour autant, le législateur et la jurisprudence ont parfois limité l’admission de la faute de la victime en en adoptant une conception plus exigeante, qui dépend à chaque fois de la nature de la responsabilité de l’auteur du dommage. Dans certaines hypothèses spéciales, la faute de la victime ne peut être reçue que si elle fait l’objet qu’une qualification particulière ou revêt certains caractères. Tout d’abord, la faute de la victime reçue comme cause d’exonération de l’auteur du dommage ne peut être qu’une faute « qualifiée », de telle sorte qu’une simple faute de la victime ne suffit pas. Ainsi, en matière d’accident de la circulation, l’article 3 de la loi Badinter du 5 juillet 1985, limite la prise en compte de la

faute de la victime à l’existence d’une « faute inexcusable » « cause exclusive de l’accident ». Celle-ci a été définie par la Cour de cassation comme « la faute volontaire d’une exceptionnelle gravité exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience » (Civ. 2ème, 20 juillet 1987 (10 arrêts) ; Ass. plén., 10 novembre 1995,). Les critères de la faute inexcusable sont très stricts, la rendant très difficile à caractériser, cela d’autant plus que la Cour de cassation en contrôle la qualification. Constitue, par exemple, une telle faute le fait pour un piéton de traverser brusquement une autoroute, ou bien une route nationale en état d’ébriété ou encore de s’être couché sur la voie. Si une telle faute n’est pas démontrée, une faute simple de la victime ne permettra pas à elle seule à l’auteur du dommage de s’exonérer. L’objectif est de limiter la possibilité pour l’auteur du dommage de s’exonérer de sa responsabilité. La volonté d’indemniser la victime exclue alors la prise en compte de sa faute. Ensuite, si la faute exigée est une faute simple de la victime, celle-ci doit parfois remplir certains caractères pour être prise en compte. Ne remplissant pas ces caractères, la faute de la victime ne pourra alors pas entraîner l’exonération de l’auteur du dommage. Ainsi, matière de transport ferroviaire, la Cour de cassation exclue l’exonération partielle de l’auteur du dommage en affirmant « que le transporteur ferroviaire, tenu envers les voyageurs d'une obligation de sécurité de résultat, ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant la faute d'imprudence de la victime que si cette faute, quelle qu'en soit la gravité, présente les caractères de la force majeure » (Civ. 1ère, 13 mars 2008 ). Il est donc nécessaire non seulement qu’une faute soit démontrée, mais elle ne suffit pas à elle seule. Elle doit remplir des conditions qui lui sont extrinsèques, tenant aux circonstances dans lesquelles elle s’est produite, qui sont celles de la force majeure du point de vue de l’auteur du dommage. Classiquement, la faute devra donc être constitutive pour l’auteur du dommage d’un fait irrésistible, imprévisible et extérieur (Cette dernière condition est discutée en matière contractuelle, la jurisprudence n’y faisant plus référence : Ass. plén., 14 avril 2006). Mais alors, la faute de la victime est elle si importante ? Ce n’est pas certain, elle semble même quasiment indifférente, puisque la qualification de l’événement — comme événement de force majeure — peut suffire à lui seul à entraîner l’exonération de l’auteur du dommage. Un simple fait de la victime, constitutif d’un cas de force majeure, permettrait alors l’exonération totale de l’auteur du dommage. Il reste alors à vérifier quel est l’effet exonératoire pour l’auteur du dommage de la démonstration d’une faute de la victime.

II — L’EFFET EXONERATOIRE DE LA FAUTE DE LA VICTIME

SUR LA RESPONSABILITE DE L’AUTEUR DU DOMMAGE L’existence d’une faute de la victime permet à l’auteur du dommage de s’exonérer de sa responsabilité, plus précisément de limiter l’étendue du droit à réparation de la victime du dommage. Si l’effet exonératoire dépend, en principe, du degré de la participation causale de la faute de la victime dans la création du dommage (A), la jurisprudence est parfois indifférente à cette considération, retenant alors, par exception, un tout ou rien de l’exonération (B).

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A — Le principe : un effet dépendant du degré de la

participation causale de la faute de la victime La contribution de la faute de la victime à la réalisation du dommage peut produire un effet variable sur l’étendue de son droit à réparation et donc sur l’étendue de l’obligation de l’auteur du dommage à réparer son dommage. L’effet exonératoire de la faute de la victime dépend du degré de participation de la faute de la victime à la réalisation du dommage. Tantôt la faute de la victime constitue l’une des causes de la réalisation du dommage parmi d’autres, tantôt, elle est la cause exclusive du dommage. En premier lieu, lorsqu’elle a concouru avec une autre cause à la production du dommage, la faute de la victime peut entraîner une exonération partielle de la responsabilité de l’auteur du dommage. Cette analyse suppose que les juges recourent à la théorie de l’équivalence des conditions. L’exonération de l’auteur du dommage se fait alors en proportion de la gravité respective des fautes. Ainsi, cette proportion peut varier. Si la faute de la victime est très légère, elle peut ne pas exonérer du tout l’auteur du dommage. Au contraire, si elle est particulièrement grave, l’exonération de celui-ci peut être totale (Civ. 2ème, 24 juin 1992). Il convient de noter qu’une telle pesée des fautes est à l’œuvre tant devant les juridictions civiles que pénales (Crim. 8 janvier 2008). On peut cependant douter que la seule gravité de la faute de la victime puisse entraîner une exclusion totale de la responsabilité de l’auteur du dommage. En effet, ce n’est pas parce que la faute de la victime est grave qu’elle exclut toute participation du tiers à la réalisation du dommage, le concours des fautes existe bien. Le problème est alors essentiellement celui du lien causal, si la faute de la victime exclut la responsabilité de l’auteur du dommage, c’est seulement parce qu’elle constitue la cause exclusive du dommage. En second lieu, la faute de la victime peut être totalement exonératoire de la responsabilité de l’auteur du dommage. Deux fondements, souvent confondus, le permettent. C’est le cas lorsque le fait fautif de la victime peut être qualifié de force majeure ou bien encore lorsqu’elle constitue la cause exclusive du dommage. Tout d’abord, la faute de la victime qui remplit les caractères de la force majeure est totalement exonératoire de la responsabilité du tiers. Dans ce cas la responsabilité de l’auteur du dommage sera tout simplement exclue. Ensuite, c’est également le cas lorsque la faute de la victime est la cause exclusive de son dommage. En appliquant la théorie de la causalité adéquate, les juges retiennent alors la cause prépondérante du dommage, cette cause étant la faute de la victime et non l’action de l’auteur du dommage. Il s’agit donc seulement de choisir, parmi les différentes causes possibles du dommage, celle qui a été prépondérante. La cause retenue, dans notre hypothèse la faute de la victime, absorbe alors, à elle seule, la totalité de la causalité à la source du dommage. (Civ. I, 23 novembre 1999). Ce fondement n’a rien à voir avec la force majeure. En effet, la force majeure qualifie un événement tandis que la causalité s’intéresse à l’intensité du lien existant entre un événement et un dommage. En tant que telle la force majeure n’a rien à voir avec la causalité (A. Duméry, « Absence de causalité et force majeure : réflexions autour d’une dissonance », RRJ, 2009-2, p. 629 et s., spéc. n° 11 et s.), la jurisprudence a d’ailleurs pu admettre qu’un

événement de force majeure n’entraîne qu’une exonération partielle de l’auteur du dommage (Civ., 19 juin 1951, Lamoricière ). De la sorte la notion de force majeure devrait être rejetée du régime de la faute de la victime : la cause du dommage est exclusive ou ne l’est pas. La force majeure et l’exonération totale du dommage n’entretiennent donc pas de lien nécessaire, sauf à considérer que, par nature, la force majeure absorbe la totalité de la causalité. Quoi qu’il en soit, en l’état du droit positif, tant la faute de la victime remplissant les caractères de la force majeure que la faute de la victime cause exclusive du dommage entraînent une exonération totale de la responsabilité de l’auteur du dommage. Il faut noter, de manière prospective, qu’un système d’exonération à intensité variable a également été proposé par le projet Catala. Le régime proposé s’appuie sur la qualification et les caractères de la faute pour déterminer l’étendue de l’exonération de l’auteur. Ainsi, lorsque la faute de la victime remplit les caractères de la force majeure, elle entraîne l’exonération totale de la responsabilité de l’auteur du dommage (article 1349). Si la victime a recherché intentionnellement la réalisation du dommage, l’exonération du tiers est également totale (article 1350). Enfin, lorsque le dommage correspond à une atteinte à l’intégrité corporelle, la faute doit être « grave » pour entraîner l’exonération totale. En la matière, une faute simple permettra donc au mieux une exonération partielle de l’auteur du dommage. Hors de ce domaine spécial, la faute simple retrouve application et provoque une exonération partielle ou totale, selon les conditions précédemment évoquées (article 1349 et 1350). Toujours est-il qu’en l’état du droit positif, l’exonération de la responsabilité de l’auteur du dommage est à géométrie variable. Pourtant, dans certains cas spéciaux, un tout ou rien de l’exonération s’applique.

B — L’exception : le tout ou rien de l’exonération

La jurisprudence adopte, par exception, un système du tout ou rien de l’exonération. Elle ne permet alors à l’auteur du dommage que de s’exonérer totalement, excluant corrélativement la possibilité pour celui-ci de s’exonérer partiellement. De telles hypothèses restent cependant spéciales et leurs justifications méritent attention. Chronologiquement, la solution du tout ou rien a d’abord été affirmée en matière de responsabilité du fait des choses, avant d’être abandonnée dans ce domaine en 1987 (arrêts précités dans l’introduction). Ainsi, dans l’arrêt Desmares (précité), la Cour de cassation a affirmé que «seul un événement constituant un cas de force majeure exonère le gardien de la chose, instrument du dommage, de la responsabilité par lui encourue par application de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ; que dès lors, le comportement de la victime, s'il n'a pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, ne peut l'en exonérer, même partiellement ». De cet arrêt, il était possible de déduire que l’exonération de la responsabilité ne pouvait avoir lieu que si le fait de la victime était constitutif d’un cas de force majeure pour l’auteur du dommage. Aujourd’hui, une telle solution est appliquée dans deux hypothèses : en matière de transfusion sanguine et de transport ferroviaire. En matière de transfusion sanguine, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a retenu cette solution dans un arrêt du 20 octobre 2005. Elle a écarté l’exonération partielle d’un centre de transfusion sanguine à

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la suite d’une contamination par l’hépatite C subit lors d’une transfusion effectuée consécutivement à un accident de la circulation provoqué notamment par la faute de la victime (Civ. 2ème, 20 octobre 2005, Caruso). Dans cette espèce, la victime avait bien joué un rôle causal dans la réalisation du dommage. Comme sa faute avait contribué à la réalisation du dommage, en application de la théorie de l’équivalence des conditions, l’auteur du dommage, l’établissement français du sang, pouvait en principe s’exonérer partiellement de sa responsabilité. Ce ne fut pas la solution choisie par la Cour de cassation. Elle exclut en effet la possibilité pour l’établissement de s’exonérer, à moins de démontrer que la faute de la victime remplissait les caractères de la force majeure. Aucune exonération partielle n’était donc possible par la preuve de la simple faute de la victime. L’objectif avoué était d’assurer la protection des victimes (M. Bacache, op. cit., n° 435) en assurant leur réparation intégrale. Dans le même sens, en matière de transport ferroviaire, la Cour de cassation est récemment venue modifier la donne en matière d’exonération du transporteur ferroviaire. En effet dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, elle affirma que « que le transporteur ferroviaire, tenu envers les voyageurs d'une obligation de sécurité de résultat, ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant la faute d'imprudence de la victime que si cette faute, quelle qu'en soit la gravité, présente les caractères de la force majeure » (Civ. 1ère, 13 mars 2008 ). De cette affirmation deux éléments peuvent être tirés. Le premier est qu’aucune exonération partielle du transporteur ferroviaire n’est possible en raison de la faute de la victime. Le second, que le transporteur ferroviaire peut s’exonérer lorsque le fait de la victime est constitutif d’un événement de force majeur. Quelques mois plus tard, une chambre mixte a suivi le même chemin. Dans un arrêt du 28 novembre 2008, elle réaffirme la solution de principe dégagée en mars 2008. La Cour de cassation précisa cependant sa solution en retenant ici que la gravité de la faute de la victime est indifférente dans l’exonération du transporteur ferroviaire. Les faits de l’espèce étaient pourtant édifiants. Un mineur de quinze ans est décédé après avoir ouvert l’une des portes d’un train express régional étant tombé sur la voie après avoir effectué une rotation autour de la barre d’appui situé au centre du marchepied. Pour autant, la faute de la victime est exclue comme cause d’exonération de l’auteur du dommage et la

qualification de force majeure n’est pas retenue. L’appréciation de la Cour de cassation est donc très sévère pour l’auteur du dommage. Si le domaine du tout ou rien est aujourd’hui limité à deux domaines précis, comment peut-on justifier le recours à ce régime ? Sur un plan politique, la solution a pour effet de limiter la possibilité pour l’auteur du dommage de s’exonérer. Ce faisant, la situation de la victime est améliorée. Ce choix n’est pas indifférent. Au contraire, il déplace l’équilibre des intérêts entre l’auteur du dommage et la victime en favorisant la victime. Quelle est alors la justification du recours à ce régime ? Dans l’arrêt Desmares, il s’agissait principalement de provoquer le législateur à modifier le droit applicable aux dommages provoqués par les véhicules automobiles (Jean-Luc Aubert, « L'arrêt Desmares : une provocation... à quelques réformes », D. 1983. Chron. 1). Aujourd’hui, ce choix trouve essentiellement sa justification dans la volonté d’assurer la réparation intégrale du dommage subit par la victime. Sur un plan technique, la solution est pourtant critiquable. Pour n’admettre que l’exonération totale, la Cour de cassation se fonde sur la notion de force majeure. Seule la faute qui revêt les caractères de la force majeure permettra à l’auteur du dommage de s’exonérer. Or, on l’a dit, la force majeure qualifie un événement et non le lien de causalité entre la cause d’un dommage et celui-ci. Dès lors, fonder la solution sur la force majeure consiste à supposer que la force majeure absorbe à elle seule la totalité de la causalité entre la faute de la victime et le dommage. Or, ce n’est pas nécessairement le cas. Un événement peut très bien revêtir les caractères de la force majeure sans monopoliser la causalité. Le fondement retenu est donc tout à fait critiquable. Si un tout ou rien de l’exonération est retenue, il doit nécessairement se fonder sur la causalité. Il implique de ne retenir comme exonératoire que la faute constituant la cause exclusive du dommage. Cette approche est tout à fait possible si la théorie de la causalité adéquate est retenue, elle exclue en effet les autres causes du dommage. Cette solution correspond d’ailleurs à celle retenue en matière d’accident de la circulation puisqu’elle exige une « faute grave » de la victime qui est la « cause exclusive du dommage ». La force majeure est donc exclue et la solution du tout ou rien est fondée, logiquement, sur une approche exigeante de la causalité.