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126 Comptes rendus ne se construit-il pas à l’aune de la norme imposée du « travailleur masculin et adulte, en bonne santé [...] associée à la norme “ordinaire” du Code du travail » (p. 276) en même temps que dans l’ombre de ceux qui sont positionnés sur les « barreaux » supérieurs ? En attirant l’attention sur le bas de l’échelle, le livre porte sur la question plus large des inégalités sociales, ne serait-ce que parce que les processus de segmentation, ici de construction de situations subalternes, ont des effets — par exemple de « mise en insécurité des salariés qualifiés et stables » (p. 23) — qui se propagent aux échelons intermédiaires. Références Beaud, S., Confavreux, J., Lindgaard, J., 2006. La France invisible. La Découverte, Paris. Renahy, N., 2005. Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale. La Découverte, Paris. Anne-Marie Arborio Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST), département de sociologie, université de Provence, 29, avenue Robert-Schuman, 13621 Aix-en-Provence cedex, France Adresse e-mail : [email protected] doi: 10.1016/j.soctra.2007.12.020 Michèle Descolonges, Bernard Saincy (dir.), Les nouveaux enjeux de la négociation sociale internationale, La Découverte, coll. « Entreprise & Société », Paris, 2006 (196 p.) Dans un ouvrage coécrit en 2004, Michèle Descolonges, sociologue et Bernard Saincy, syn- dicaliste CGT, se demandaient si « les entreprises seront un jour responsables » (Descolonges et Saincy, 2004). L’ouvrage collectif qu’ils dirigent aujourd’hui invite précisément à examiner l’une des manifestations de cette responsabilité sociale des entreprises : la conclusion d’accords- cadres internationaux (ACI), négociés au sein d’entreprises multinationales par les directions et des syndicats internationaux et nationaux. Le phénomène étudié se révèle restreint (on compte une petite cinquantaine d’ACI), récent (la moitié ont été signés ces trois dernières années) et incertain (leur nature et leur portée juridiques restent problématiques et leur application souvent difficile à contrôler). Il n’en est pas moins significatif des tensions que porte en elle la mondiali- sation (entre local et global, normes publiques et normes privées, syndicats et représentants de la société civile...) et des expériences que développent les acteurs économiques et sociaux pour y faire face. À ce titre, il a retenu dernièrement l’attention de nombreux observateurs — praticiens, experts, acteurs institutionnels, universitaires — dont les analyses relèvent souvent cependant de la littérature grise. On peut donc se réjouir de la parution en franc ¸ais de ce premier ouvrage de synthèse. À partir de l’analyse des textes des ACI et dans une moindre mesure d’entretiens avec les syndicalistes impliqués dans leur négociation, il vise à présenter ces diverses expériences de « négociation sociale internationale » et à en examiner les enjeux, pour les acteurs syndicaux en premier lieu. Déterminer en quoi de telles négociations perturbent le jeu syndical et conduisent ses acteurs à le repenser, voire à le recomposer, est en effet l’une des principales questions qui parcourent l’ouvrage. La première partie présente ainsi le contexte général dans lequel apparaissent ces accords en adoptant « une perspective syndicale » incarnée par les deux contributions de Bernard Saincy. L’analyse porte sur les nouvelles articulations à trouver entre des régulations publiques

Michèle Descolonges, Bernard Saincy (dir.), Les nouveaux enjeux de la négociation sociale internationale, La Découverte, coll. « Entreprise & Société », Paris, 2006 (196 p.)

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126 Comptes rendus

ne se construit-il pas à l’aune de la norme imposée du « travailleur masculin et adulte, en bonnesanté [. . .] associée à la norme “ordinaire” du Code du travail » (p. 276) en même temps que dansl’ombre de ceux qui sont positionnés sur les « barreaux » supérieurs ? En attirant l’attention surle bas de l’échelle, le livre porte sur la question plus large des inégalités sociales, ne serait-ce queparce que les processus de segmentation, ici de construction de situations subalternes, ont deseffets — par exemple de « mise en insécurité des salariés qualifiés et stables » (p. 23) — qui sepropagent aux échelons intermédiaires.

Références

Beaud, S., Confavreux, J., Lindgaard, J., 2006. La France invisible. La Découverte, Paris.Renahy, N., 2005. Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale. La Découverte, Paris.

Anne-Marie ArborioLaboratoire d’économie et de sociologie du travail (LEST), département de sociologie,

université de Provence, 29, avenue Robert-Schuman, 13621 Aix-en-Provence cedex, FranceAdresse e-mail : [email protected]

doi: 10.1016/j.soctra.2007.12.020

Michèle Descolonges, Bernard Saincy (dir.), Les nouveaux enjeux de la négociation socialeinternationale, La Découverte, coll. « Entreprise & Société », Paris, 2006 (196 p.)

Dans un ouvrage coécrit en 2004, Michèle Descolonges, sociologue et Bernard Saincy, syn-dicaliste CGT, se demandaient si « les entreprises seront un jour responsables » (Descolongeset Saincy, 2004). L’ouvrage collectif qu’ils dirigent aujourd’hui invite précisément à examinerl’une des manifestations de cette responsabilité sociale des entreprises : la conclusion d’accords-cadres internationaux (ACI), négociés au sein d’entreprises multinationales par les directions etdes syndicats internationaux et nationaux. Le phénomène étudié se révèle restreint (on compteune petite cinquantaine d’ACI), récent (la moitié ont été signés ces trois dernières années) etincertain (leur nature et leur portée juridiques restent problématiques et leur application souventdifficile à contrôler). Il n’en est pas moins significatif des tensions que porte en elle la mondiali-sation (entre local et global, normes publiques et normes privées, syndicats et représentants de lasociété civile. . .) et des expériences que développent les acteurs économiques et sociaux pour yfaire face. À ce titre, il a retenu dernièrement l’attention de nombreux observateurs — praticiens,experts, acteurs institutionnels, universitaires — dont les analyses relèvent souvent cependant dela littérature grise. On peut donc se réjouir de la parution en francais de ce premier ouvrage desynthèse. À partir de l’analyse des textes des ACI et dans une moindre mesure d’entretiens avecles syndicalistes impliqués dans leur négociation, il vise à présenter ces diverses expériences de« négociation sociale internationale » et à en examiner les enjeux, pour les acteurs syndicaux enpremier lieu.

Déterminer en quoi de telles négociations perturbent le jeu syndical et conduisent ses acteursà le repenser, voire à le recomposer, est en effet l’une des principales questions qui parcourentl’ouvrage. La première partie présente ainsi le contexte général dans lequel apparaissent cesaccords en adoptant « une perspective syndicale » incarnée par les deux contributions de BernardSaincy. L’analyse porte sur les nouvelles articulations à trouver entre des régulations publiques

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Comptes rendus 127

internationales balbutiantes, des États dont le rôle est brouillé par la multiplication des niveauxde négociation (infranational, régional, mondial) et de grandes entreprises transnationales, enposition de force. La restructuration en cours du syndicalisme international et la persistance desstratégies d’évitement des employeurs à l’égard de la négociation sociale sont ensuite soulignées,de même que la multiplication des acteurs et l’élargissement des thèmes qui caractérisent cettedernière. Dans la quatrième partie, consacrée aux acteurs de la négociation sociale internationale,Guillaume Duval s’interroge pour sa part sur une possible concurrence au niveau de l’entrepriseentre les ONG engagées dans ces démarches et les organisations syndicales et évoque les condi-tions d’un véritable jeu à trois avec les directions d’entreprise. Les positions des syndicalistesfrancais à l’égard des ACI font quant à elles l’objet du chapitre conclusif : Michèle Descolongessouligne le « dilemme » dans lequel les placent ce passage à l’international, qui impose de dépas-ser la « xéno-indifférence » de la base, de forger des capacités d’expertise ou encore de développerle travail intersyndical.

Les deux parties centrales se concentrent plus directement sur l’analyse des accords conclus,en étudiant leurs signataires, leur champ d’application, leurs objets, les références internationalesmobilisées — notamment la Déclaration relative aux droits fondamentaux au travail de l’OIT de1998 — ou encore les mécanismes de suivi qu’ils mettent en place. Dans la deuxième partie, Nata-cha Seguin expose ainsi les avancées et les limites des accords, alors que Michèle Descolongesrappelle le rôle moteur qu’ont joué les acteurs syndicaux internationaux sectoriels dans l’histoirede ces négociations. Les analyses juridiques conduites par deux des principaux spécialistes de laquestion forment la troisième partie de l’ouvrage. André Sobzack met en évidence l’intérêt queles partenaires sociaux portent à ces accords, alors même qu’aucun cadre juridique n’existe etpointe les solutions qu’ils inventent ou bricolent alors pour les rendre légitimes et opératoires.Isabelle Daugareilh, de son côté, part du constat que la quasi-totalité des accords ont été conclusdans des entreprises européennes (et initialement francaises), montre comment nombre d’entreeux adoptent une terminologie proprement communautaire et souligne le rôle joué par un acteurcomme le comité d’entreprise européen : elle engage ainsi une réflexion stimulante sur la spéci-ficité « européenne » de ces démarches et sur la vision singulière de l’entreprise globalisée et dela mondialisation qu’elles véhiculent.

Si chacune de ces contributions apporte un éclairage intéressant sur ces formes émergentes derégulation sociale internationale, la structure d’ensemble présente à nos yeux quelques faiblesses :on regrettera ainsi que les données de cadrage soient présentées trop tardivement et de manièreéparse et plus encore que les découpages retenus conduisent à plusieurs redites d’un chapitre àl’autre. En isolant les contributions syndicales et juridiques, l’ouvrage peine également à fairedialoguer véritablement les diverses voix qu’il convoque.

Restent plusieurs conclusions ou interrogations majeures qui montrent tout l’intérêt d’unetelle étude et invitent à poursuivre les recherches dans ce domaine. Il en est ainsi de la recon-naissance d’un interlocuteur syndical international par les entreprises multinationales que permetla négociation des ACI ; du fait qu’elle préfigure d’éventuelles négociations transnationales nonseulement d’entreprise, mais aussi de branche ou qu’elle interroge les relations entre donneursd’ordre et sous-traitants ; et enfin du débat complexe sur l’intérêt et la facon d’instituer cettenégociation.

Références

Descolonges, M., Saincy, B., 2004. Les entreprises seront-elles un jour responsables ? La Dispute, Paris.

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Élodie BéthouxInstitutions

et dynamiques historiques de l’économie (IDHE), CNRS, École normale supérieurede Cachan, 61, avenue du président Wilson, bâtiment Laplace, 94235 Cachan cedex, France

Adressee-mail : [email protected]

doi: 10.1016/j.soctra.2007.12.026

Olivier Chadoin, Être architecte. Les vertus de l’indétermination. De la sociologie d’uneprofession à la sociologie du travail professionnel, Pulim, Limoges, 2006 (384 p.)

L’ouvrage décline l’étude du « travail professionnel », défini comme « activité des [architectes]pour maintenir et faire valoir leur expertise face aux autres professions de la maîtrise d’œuvre »(p. 30), sur les trois plans du projet, de la maîtrise d’œuvre, des marchés. Sur le premier plan,l’auteur étudie le cas de la ZAC Paris–Bercy et montre comment le système d’interdépendancedes acteurs sert de cadre au positionnement des architectes, y compris dans des fonctions spé-ciales de médiation (architecte–coordinateur). Une deuxième partie analyse le positionnementdes architectes dans l’espace de la maîtrise d’œuvre, marqué par la multiplication des expertiseset le partenariat concurrentiel. L’auteur discerne avec justesse que les professions y évoluent nonseulement par fragmentation des missions, mais aussi par invention de nouveaux territoires profes-sionnels (p. 219). Une dernière partie est consacrée au positionnement des architectes sur le marchéde la réhabilitation, aussi important que celui des constructions neuves mais peu pénétré par lesarchitectes. Hormis une bonne connaissance du terrain et des analyses fouillées, l’ouvrage sesignale par sa cohérence : étudier le travail professionnel. Il en résulte toute une série d’argumentspour rompre avec une vision courante de la profession d’architecte, marquée par la crise ou ladéprofessionnalisation. L’auteur montre que les hommes de l’art utilisent le capital symboliqueque leur confère le titre d’architecte pour s’ajuster à des situations professionnelles fluctuantes,se repositionner ou investir de nouveaux marchés. Cette adaptabilité des architectes est étayéepar des indices permanents du travail professionnel qu’ils accomplissent, aspect rarement étudié.L’une des tactiques de la réussite des architectes serait par exemple de ne pas trop insister sur leurspécialité de manière à capter les marchés incertains et volatiles. Le livre rejoint ici les analyses(non citées) de Benoît Laplante (in P.-M. Menger, Les professions et leurs sociologies, éditionsMSH, 2003).

Une première question que soulève le livre touche à l’exploitation de la littérature indigène. Lespropos des acteurs sont considérés comme des témoignages d’égale importance, représentatifsd’un état de la profession. Il eut été judicieux de les référer à la position des acteurs, au contextedans lequel ils ont agi et au jugement que les professionnels ont porté sur leur action. La visionde la profession aurait gagné en justesse si l’auteur n’avait pas fait de Henry [corr. Hubert]Salmon (p. 78) un représentant de l’Ordre ; passé sous silence que Rémi Lopez (p. 81) fut l’undes présidents les plus décriés du Conseil [corr. Centre] national de l’Ordre des architectes ;omis de dire que l’action de Francois Barré (p. 122) à la tête de la Direction de l’architecture futcontroversée. . . Le discours de personnalités investies de fonctions étatiques ou para-étatiquespeut-il rendre compte de l’état réel d’une profession ?

Une deuxième question touche à la base empirique de la thèse soutenue. L’auteur énumère,sans les quantifier, l’éventail des métiers sur lesquels les architectes peuvent se positionner (urba-