6
Introduction La propagation et la domestication des arbres fruitiers et forestiers sont assu- rées par la multiplication sexuée qui fait intervenir des structures reproductrices particulières, les organes floraux. Ces derniers, après fécondation, forment des graines. Le semis des graines donne naissance à des arbres différents de la variété mère et différents entre eux. En revanche, les plantes fruitières qui sont multipliées par la voie asexuée, par laquelle un organisme est capable d’en générer un autre sans intervention de structures reproductrices spécifiques, maintiennent les caractéristiques de leur parent. Ce mode de reproduction est largement pratiqué par les arboricul- teurs et comprend plusieurs techniques, comme le marcottage, le bouturage et le greffage; ce dernier est appliqué chez la majorité des arbres fruitiers (COU- TANCEAU, 1962). Parmi les méthodes de propagation asexuée, on trouve aussi la culture in vitro qui a été retenue par de nombreux cultivateurs et sélectionneurs afin de propager intensivement et conformé- ment leur matériel végétal de base (ALTMAN et LOBERANT, 1998). L’utilisa- tion de cette biotechnologie est satisfai- sante par rapport aux méthodes tradi- tionnelles et offre plusieurs avantages, notamment pour l’obtention de matériel sain et dans un temps relativement court. A cet égard, plusieurs études ont mon- tré l’utilité du greffage d’apex in vitro pour la multiplication et l’assainisse- ment des arbres fruitiers (CORNAGGIA, 1986; DEOGRATIAS et DOSBA, 1986). A l’origine, cette technique fut mise au point pour les agrumes par MURASHIGE et al. (1972) et NAVARRO et al. (1975) pour être améliorée ensuite par ROISTA- CHER et al. (1986). De nombreux programmes d’améliora- tion génétique des arbres fruitiers ont utilisé le greffage in vitro comme solu- tion d’appoint aux problèmes de la re- production végétative et comme moyen de résoudre des problèmes agronomi- ques majeurs tels que l’enracinement, le contrôle de la vigueur, l’assainissement des arbres virosés, la sensibilité des ra- cines aux maladies du sol et l’adaptation des variétés aux aléas pédologiques et climatiques (JONARD et al., 1988). La technique de greffage in vitro a été appliquée chez plusieurs espèces frui- tières ligneuses (NAVARRO, 1988), no- tamment chez les cerisiers (DEOGRATIAS et DOSBA, 1986), les pommiers (HUANG et MILLIKAN, 1980), les pêchers (BARBA et al., 1995) et les agrumes (GUO et DENG, 1998). Durant ces dernières décennies, la cul- ture du châtaignier a subi un fort déclin en raison, d’une part, du bouleverse- ment socio-économique entraînant la dépopulation des régions montagneuses et, d’autre part, du changement dans les habitudes alimentaires. En plus, le châtaignier européen a sérieusement souffert, au niveau de ses racines, de la maladie de l’encre causée par les agents pathogènes Phytophthora cam- bivora et P. cinnamomi (CRADDOCK et BASSI, 1999). Récemment, l’intérêt porté à la culture du châtaignier a augmenté pour répon- dre à la demande du marché en fruits et en bois. Cela a entraîné la recherche de nouveaux cultivars producteurs ayant une architecture de la couronne appro- priée à la récolte et la sélection de nou- veaux porte-greffes permettant une meilleure adaptation de l’arbre greffé à l’environnement de culture et lui of- frant une meilleure résistance à la ma- ladie de l’encre (GOMES PEREIRA et al., 1993). En Suisse, des programmes de sélection et de croisement ont été réalisés dès les années cinquante pour améliorer la ré- sistance de l’espèce européenne indi- gène (Castanea sativa) (BAZZIGHER et 87 Revue suisse Vitic. Arboric. Hortic. Vol. 36 (2): 87-92, 2004 Agroscope RAC Changins Station fédérale de recherches agronomiques Directeur: André Stäubli www.racchangins.ch Microgreffage in vitro du châtaignier Premiers résultats C.L. LÊ, Agroscope RAC Changins, case postale 254, CH-1260 Nyon 1 S. ABDELHAMID, Laboratoire de botanique évolutive, Université de Neuchâtel, CH-2000 Neuchâtel E-mail: [email protected] Tél. (+41) 22 36 34 422. @ Résumé Dans cet article, nous décrivons la méthode de multiplication in vitro de trois clones du châtaignier (Maraval CA-74, Lüina et Verdanesa), la tech- nique adaptée pour leur enracinement, ainsi que celle que nous avons développée pour le greffage in vitro. La composition du milieu de culture et le choix du stade physiologique adéquat pour le greffage jouent un rôle important dans la réussite du mi- crogreffage. Afin de s’assurer de la compatibilité entre le porte-greffe et le greffon, un examen histologique a été réalisé sur des plantes greffées pour visuali- ser au niveau tissulaire le degré de compatibilité entre partenaires.

Micro Greffage Du Chataignier(1)

Embed Size (px)

DESCRIPTION

agronomie

Citation preview

Page 1: Micro Greffage Du Chataignier(1)

IntroductionLa propagation et la domestication desarbres fruitiers et forestiers sont assu-rées par la multiplication sexuée qui faitintervenir des structures reproductricesparticulières, les organes floraux. Cesderniers, après fécondation, formentdes graines. Le semis des graines donnenaissance à des arbres différents de lavariété mère et différents entre eux. Enrevanche, les plantes fruitières qui sontmultipliées par la voie asexuée, parlaquelle un organisme est capable d’engénérer un autre sans intervention destructures reproductrices spécifiques,maintiennent les caractéristiques de leurparent. Ce mode de reproduction estlargement pratiqué par les arboricul-teurs et comprend plusieurs techniques,comme le marcottage, le bouturage etle greffage; ce dernier est appliqué chezla majorité des arbres fruitiers (COU-TANCEAU, 1962).Parmi les méthodes de propagationasexuée, on trouve aussi la culture invitro qui a été retenue par de nombreux

cultivateurs et sélectionneurs afin depropager intensivement et conformé-ment leur matériel végétal de base(ALTMAN et LOBERANT, 1998). L’utilisa-tion de cette biotechnologie est satisfai-sante par rapport aux méthodes tradi-tionnelles et offre plusieurs avantages,notamment pour l’obtention de matérielsain et dans un temps relativement court.A cet égard, plusieurs études ont mon-tré l’utilité du greffage d’apex in vitropour la multiplication et l’assainisse-ment des arbres fruitiers (CORNAGGIA,1986; DEOGRATIAS et DOSBA, 1986). Al’origine, cette technique fut mise aupoint pour les agrumes par MURASHIGE

et al. (1972) et NAVARRO et al. (1975)pour être améliorée ensuite par ROISTA-CHER et al. (1986).De nombreux programmes d’améliora-tion génétique des arbres fruitiers ontutilisé le greffage in vitro comme solu-tion d’appoint aux problèmes de la re-production végétative et comme moyende résoudre des problèmes agronomi-ques majeurs tels que l’enracinement, lecontrôle de la vigueur, l’assainissement

des arbres virosés, la sensibilité des ra-cines aux maladies du sol et l’adaptationdes variétés aux aléas pédologiques etclimatiques (JONARD et al., 1988).La technique de greffage in vitro a étéappliquée chez plusieurs espèces frui-tières ligneuses (NAVARRO, 1988), no-tamment chez les cerisiers (DEOGRATIAS

et DOSBA, 1986), les pommiers (HUANG

et MILLIKAN, 1980), les pêchers (BARBA

et al., 1995) et les agrumes (GUO etDENG, 1998).Durant ces dernières décennies, la cul-ture du châtaignier a subi un fort déclinen raison, d’une part, du bouleverse-ment socio-économique entraînant ladépopulation des régions montagneuseset, d’autre part, du changement dansles habitudes alimentaires. En plus, lechâtaignier européen a sérieusementsouffert, au niveau de ses racines, de lamaladie de l’encre causée par lesagents pathogènes Phytophthora cam-bivora et P. cinnamomi (CRADDOCK etBASSI, 1999).Récemment, l’intérêt porté à la culturedu châtaignier a augmenté pour répon-dre à la demande du marché en fruits eten bois. Cela a entraîné la recherche denouveaux cultivars producteurs ayantune architecture de la couronne appro-priée à la récolte et la sélection de nou-veaux porte-greffes permettant unemeilleure adaptation de l’arbre greffé àl’environnement de culture et lui of-frant une meilleure résistance à la ma-ladie de l’encre (GOMES PEREIRA et al.,1993).En Suisse, des programmes de sélectionet de croisement ont été réalisés dès lesannées cinquante pour améliorer la ré-sistance de l’espèce européenne indi-gène (Castanea sativa) (BAZZIGHER et

87Revue suisse Vitic. Arboric. Hortic. Vol. 36 (2): 87-92, 2004

Agroscope RAC ChanginsStation fédérale de recherches agronomiquesDirecteur: André Stäubliwww.racchangins.ch

Microgreffage in vitro du châtaignier

Premiers résultats

C.L. LÊ, Agroscope RAC Changins, case postale 254, CH-1260 Nyon 1S. ABDELHAMID, Laboratoire de botanique évolutive, Université de Neuchâtel, CH-2000 Neuchâtel

E-mail: [email protected]él. (+41) 22 36 34 422.@

Résumé

Dans cet article, nous décrivons la méthode de multiplication in vitro detrois clones du châtaignier (Maraval CA-74, Lüina et Verdanesa), la tech-nique adaptée pour leur enracinement, ainsi que celle que nous avonsdéveloppée pour le greffage in vitro.La composition du milieu de culture et le choix du stade physiologiqueadéquat pour le greffage jouent un rôle important dans la réussite du mi-crogreffage.Afin de s’assurer de la compatibilité entre le porte-greffe et le greffon, unexamen histologique a été réalisé sur des plantes greffées pour visuali-ser au niveau tissulaire le degré de compatibilité entre partenaires.

p 087 094 2.4.2004 10:22 Page 87

Page 2: Micro Greffage Du Chataignier(1)

MILLER, 1987). Pour cela, des espècesasiatiques ont été introduites en Europeet surtout l’espèce japonaise (Castaneacrenata), relativement résistante à lamaladie de l’encre et à celle du chancrede l’écorce causée par l’agent pathogèneCryphonectria parasitica. Ces variétésexotiques ont été utilisées comme géni-teur pour des croisements contrôlés etnaturels, qui ont abouti à la créationdes hybrides interspécifiques utilisés parla suite comme porte-greffe (BREISCH,1995).Cependant, le greffage du châtaignierest fréquemment limité par des phéno-mènes d’incompatibilité qui peuvent semanifester au champ même après plu-sieurs années de croissance normale,comme l’ont montré ORAGUZIE et al.(1999) chez le châtaignier néo-zélan-dais, PEREIRA-LORENZO et FERNANDEZ-LOPEZ (1997) chez le châtaignier espa-gnol et UFUK et SOYLU (1999) chez lechâtaignier turc.Dans notre étude, l’hybride interspéci-fique utilisé comme porte-greffe est leclone multiplié in vitro Maraval CA-74,qui présente des caractéristiques intéres-santes. Il offre aux variétés à greffer unebonne résistance à l’encre, une résis-tance au gel précoce, une bonne vigueur,une rapidité de mise à fruits et unegrande compatibilité (BREISCH,1995).Nous rapportons ici les résultats con-cernant la multiplication, l’enracine-ment et le greffage in vitro d’apex entrele porte-greffe Maraval CA-74 et lesdeux variétés suisses Lüina et Verdanesaqui sont les plus répandues sur le terri-toire du sud des Alpes.Ce travail a été entrepris dans le cadred’une collaboration entre le Service debiologie végétale (culture in vitro)d’Agroscope RAC Changins, la sous-station du sud des Alpes de l’Institutfédéral de recherches sur la forêt, laneige et le paysage (WSL, Birmens-dorf) et le laboratoire de botaniqueévolutive de l’Université de Neuchâtel.

Matériel et techniques

Matériel expérimental

Le porte-greffe est constitué par leclone Maraval CA-74 qui est un hybrideinterspécifique naturel issu d’une polli-nisation de Castanea crenata par Cas-tanea sativa. Le matériel végétal nousa été fourni par le Ctifl, centre de Ba-landran (France).Les greffons sont constitués par deuxvariétés suisses, Lüina et Verdanesa. Cesvariétés sont établies et multipliées invitro dans le service de culture in vitrod’Agroscope RAC Changins (LÊ, 1992).

Multiplication in vitro

La multiplication in vitro du châtaignierest reconnue difficile en raison de l’ab-sence d’un protocole fiable pour cetteespèce (BALLESTER et al., 2001). Dansce travail, nous avons choisi à desseinpour ces trois clones de châtaignier,comme pour la majorité des espèces li-gneuses, la propagation in vitro par lamultiplication de bourgeons axillaires(SNIR, 1982; DEOGRATIAS et DOSBA,1986). Pour ce faire, des segments detige renfermant chacun un bourgeonaxillaire (env. 2-4 mm de longueur)sont cultivés dans des conteneurs enplastique contenant 60 ml d’un milieunutritif de base DKW (DRIVER et KU-NIYUKI, 1984) où la concentration deCaCl2.2H2O et Ca(NO3).4H2O et NaFeEDTA est respectivement de 147,950et 40 mg/l. A ce milieu sont ajoutés0,2 mg/l de benzylaminopurine (BAP),0,02 mg/l d’acide 3-indolylbutyrique(IBA), 4 mg/l de thiamine, 2 mg/ld’acide nicotinique,100 mg/l de myo-inositol, 4 mg/l de glycine, 3% de fruc-tose et 0,9% d’agar (Bacto® Agar).Le pH du milieu nutritif est ajusté à 6,2avec du NaOH ou du HCl à 0,1 N avantl’autoclavage à 121 °C (1,1 kg/cm2 depression) pendant 15 minutes.Les cultures sont maintenues dans unenvironnement climatique avec unéclairement dont l’intensité est de50 umole/m2/s, fourni par des tubesfluorescents de type Philips TLD58 W/89, à une température alternée(25 ± 1 °C le jour, 18 ± 1 °C la nuit)selon une photopériode de 16 heurespar jour. L’humidité relative est de 60%dans la chambre de culture pendanttoute la durée de l’expérimentation.Les nouveaux bourgeons obtenus in vitrosont excisés et transférés sur le mêmemilieu toutes les quatre semaines afinde produire du matériel expérimental.

Enracinement

De jeunes pousses feuillées de quatre àcinq semaines de développement culti-vées sur le milieu de multiplication sontcoupées à leur base (env. 2-3 cm de lon-gueur) et repiquées sur un milieu d’en-racinement, selon la technique BdR/Ctifl-Balandran, France (BOURRAIN etNAVATEL, 2000), contenant 2 mg/ld’acide 3-indolylbyturique (IBA). Lespousses sont maintenues pendant septjours à l’obscurité, ensuite elles sonttransférées sur un milieu de base deMURASHIGE et SKOOG (1962), sans ré-gulateurs de croissance, contenant de lavermiculite pour permettre l’émergencedes racines durant deux semaines.

Les conditions de stérilisation et deculture sont identiques à celles de laphase de multiplication in vitro (voirci-dessus).

Technique de greffage in vitro

Au cours des essais préliminaires, l’in-fluence du stade de croissance desgreffons a été examinée. De ces résul-tats, nous avons retenu des apex-gref-fons de deux semaines de culture invitro, qui, dans nos conditions d’expé-rimentation, nous ont permis d’obtenirles meilleures réponses au greffage.Aussi avons-nous poursuivi les essaisde microgreffage des variétés Lüina etVerdanesa avec cette contrainte. Pourle greffage in vitro, la greffe en fentesimple qui est la plus adaptée à notrematériel a été retenue dans cette étude.Des apex-greffons (env. 1 cm de lon-gueur) sont coupés et maintenus d’aborddans une solution de diéthyldithiocar-bamate de sodium (DIECA) pendantcinq minutes, afin de prévenir l’oxyda-tion des composés phénoliques rendanttoxiques les tissus endommagés. En-suite, dans des conditions d’asepsie ri-goureuses, les greffons sont taillés enbiseau de manière à éviter une ouverturetrop large et trop profonde du porte-greffe. Parallèlement, on procède à lapréparation du porte-greffe enraciné deMaraval CA-74 en créant une fentesimple pour recevoir le greffon. Tousles bourgeons axillaires du porte-greffesont éliminés par la même occasion.Puis, sous une loupe binoculaire, onprocède à l’assemblage des deux parte-naires à l’aide de pinces fines. Lesplants greffés sont alors cultivés sur lemilieu d’enracinement et maintenusensuite dans la chambre de culturedans les mêmes conditions climatiquesque pendant la phase de multiplication.

Examen histologique

L’incompatibilité au greffage, aussi bienintra- qu’interclonale, est un phénomènetrès fréquent chez le châtaignier (ORA-GUZIE et al., 1999). Aussi, des examenshistologiques ont été réalisés afin des’assurer de l’affinité entre les deuxcultivars et le porte-greffe. L’examenhistologique consiste à fixer des plantsde deux semaines greffés dans une so-lution de formaldéhyde-acide acétique-alcool (FAA). Ensuite, les échantillonssont soumis à une déshydratation gra-duelle dans l’éthanol de 20% à 100%,suivie d’un enrobage par infiltration

88

p 087 094 2.4.2004 10:22 Page 88

Page 3: Micro Greffage Du Chataignier(1)

dans une solution de 50% d’Historesin®

et de 50% d’éthanol absolu et enfindans une solution pure d’Historesin®,selon les indications de la firme Rei-chert-Jung (Heidelberg). Ils sont ensui-te découpés au microtome à une épais-seur de 5 µm, colorés par la réaction del’acide périodique de Schiff (PAS) etcontre-colorés au Fast green. Enfin, lescoupes sont montées dans l’Eukitt® puisobservées au microscope.

Résultats et discussion

Multiplication in vitro

La multiplication in vitro des trois clonesde châtaignier selon la méthode men-tionnée ci-dessus a permis d’obtenirsans difficulté plus de 95% d’explantsqui ont repris leur croissance et leur dé-veloppement normal par la suite, sansnécrose apicale et sans chlorose (fig. 1et 2). Le choix du milieu de culture so-lide et la présence de la benzylamino-purine (BAP) et de l’acide 3-indolylbu-tyrique (IBA) (à respectivement 0,2 mg/let 0,02 mg/l) dans le milieu nutritif ontpermis le développement d’un nombreélevé de bourgeons utilisables par ex-plant pour le porte-greffe MaravalCA-74 (fig. 3). La multiplication invitro du châtaignier est plus couram-ment pratiquée par le biais des bour-geons axillaires que par les apex, parceque le pourcentage de bourgeons utili-sables est plus élevé. Cette méthode demultiplication était recommandée par

plusieurs auteurs pour la famille des fa-gacées, reconnue difficile à reproduire,comme le chêne et le hêtre (SAN-JOSÉ

et al., 1988). Chez le châtaignier, ladifférence entre les deux méthodespeut être expliquée par l’effet de domi-nance produit par l’apex, ainsi que parle développement maximal et l’orienta-tion morphogénétique des bourgeonsaxillaires qui sont utilisés pour la remiseen culture (SANCHEZ et al., 1997).Toutefois, on remarque la présence decals à la base des bourgeons issus decette phase de multiplication et, danscertains cas, de plantes à feuilles vi-treuses. Ce même phénomène, observésur les jeunes pousses développées invitro, a été relevé auparavant par VIEI-TEZ et al. (1986) et MIRANDA-FONTAINA

et FERNANDEZ-LOPEZ (2001) sur lesclones de châtaignier espagnols. De

nombreux facteurs d’ordre nutritionnel,hormonal et physique (consistance dugel d’agar) entrant dans la compositiondu milieu nutritif pourraient être àl’origine de ce défaut dans la formationdes jeunes pousses feuillées (PÂQUES etBOXUS, 1987).Le nombre de bourgeons utilisables parexplant au cours des repiquages suc-cessifs est également illustré dans la fi-gure 3. On observe une variation im-portante du nombre total de bourgeons(NTB) ainsi que du nombre de bour-geons utilisables (NBU) au cours deces repiquages. Le nombre de bour-geons utilisables est notamment plusélevé en juillet que durant les moisd’hiver. Cette variation dans le nombrede bourgeons peut être expliquée, selonGONÇALVES et al. (1998), par l’activitéspécifique des peroxydases qui, en fonc-

89

Fig. 1. Explants initiaux de châtaignier (Maraval CA-74) obtenusaprès quatre semaines de culture à partir de bourgeons axillaires.

Fig. 2. Jeunes pousses feuillées du clone porte-greffe MaravalCA-74 développées à partir d’explants initiaux. Barre = 1 cm.

Fig. 3. Nombre de bourgeons produits par explant au cours des repiquages successifs.

Production de bourgeons axillaires

0

2

4

6

8

10

No

mb

re d

e b

ou

rgeo

ns/

exp

lan

t

NBT: Nombre de bourgeons totalNBU: Nombre de bourgeons utilisables

Juille

tAoû

t

Septe

mbr

e

Octobr

e

Novem

bre

Décem

bre

Janv

ier

Févrie

r

p 087 094 2.4.2004 10:25 Page 89

Page 4: Micro Greffage Du Chataignier(1)

tion des conditions climatiques envi-ronnantes, pourraient influencer la ca-pacité de prolifération du châtaignier.Par ailleurs, le problème majeur surve-nant lors de la multiplication in vitroest le brunissement du milieu nutritifcausé par l’oxydation des composésphénoliques libérés par le tissu végétal,comme nous l’avions observé aupara-vant (LÊ, 1992) sur les clones de châ-taignier suisses. Afin de remédier àcette difficulté, les explants sont main-tenus pendant quatre à cinq jours àl’obscurité lors de chaque remise en cul-ture. A cet égard, SANCHEZ et al. (1997)et MATO et VIEITEZ (1986) ont suggérépour plusieurs espèces ligneuses lemaintien à l’obscurité des explants fraî-chement inoculés. Cela contribue àdiminuer de façon importante la conta-mination du milieu nutritif par descomposés phénoliques exsudés lors desrepiquages.

Enracinement in vitro

Au cours de multiples repiquages surle milieu de multiplication contenant0,2 mg/l de BAP, nous avons isolé lespousses feuillées et les avons transfé-rées sur un milieu d’enracinement ap-proprié pour qu’elles développent denouvelles racines adventives. Cela apermis de reconstituer des plantes en-tières capables de subir des expériencesde greffage in vitro (fig. 4). L’examendes résultats après deux semaines deculture montre qu’un taux d’enracine-ment important (env. 95%) a pu être ob-

tenu avec une concentration de 2 mg/ld’IBA. On dénombre en moyenne qua-tre nouvelles racines produites par ex-plant et par cycle de culture, avec unelongueur de 12 à 15 mm environ. Ellessont vigoureuses et dotées parfois de ra-cines secondaires. Une forte concentra-tion d’auxine (1 à 5 mg/l) pour induirela formation de racines adventives surle porte-greffe du châtaignier est, dansle cas présent, indispensable, commel’ont démontré XING et al. (1997) pourla micropropagation du châtaignieraméricain. A ce propos, des travaux an-térieurs montrent que l’enracinementdu châtaignier peut être obtenu soit parla culture de jeunes pousses feuilléessur un milieu contenant 1 à 5 mg/ld’acide-3-indolylbutyrique (IBA), soitpar un trempage des bourgeons axil-laires dans une solution d’IBA à forteconcentration (0,5 à 1,0 g/l) pendant 30à 120 secondes (SANCHEZ et al., 1997;CHAUVIN et SALESSES, 1988).Cependant, l’inconvénient majeur quiapparaît au stade de l’enracinement estla présence de nécroses apicales. En ef-fet, nous avons relevé une partie non né-gligeable (env. 25%) de pousses feuil-lées présentant ce défaut après le cycled’enracinement. Des observations simi-laires ont été également faites par XING

et al. (1997). VIEITEZ et al. (1989) ontaussi constaté ce défaut physiologique etont tenté d’expliquer ce phénomène parune déficience en calcium, le manquede cytokinines dans le milieu de cultureet par une connexion vasculaire incom-plète entre les bourgeons et les racinesdéveloppées in vitro. Cela empêche,

par conséquent, l’absorption des élé-ments nutritifs indispensables à leurcroissance. Afin de parer à ce défautphysiologique, divers moyens ont étésuggérés lors de la phase d’enracine-ment, tels que l’apport de calcium (SHA

et al., 1985; YANG et al., 1985; SINGHA

et al., 1990), des cytokinines (KATAEVA

et al., 1991; PIAGNANI et al., 1996) ouencore l’incorporation des vitaminesdans le milieu nutritif jouant le rôled’antioxydant à l’encontre des compo-sés phénoliques (LÊ, 2001). Dans cetteétude, nous avons utilisé des plantesdont l’apex présentait une croissancenormale pour l’opération de greffageultérieure.

Greffage in vitroet examen histologique

La technique de greffage in vitro décriteplus haut permet d’obtenir les plantesgreffées avec les cultivars Verdanesa etLüina nécessaires à l’examen histolo-gique (fig. 5a et b).La reprise de greffes effectuées sur desplantes âgées de deux semaines deculture montre que nos conditionsd’expérimentation sont favorables audéveloppement des plantes greffées. Ladétermination des conditions physiolo-giques de deux partenaires est primor-diale pour établir un certain équilibreentre la vigueur du porte-greffe et dugreffon, facilitant la reprise de crois-sance ultérieurement. Dans notre expé-rience, l’assemblage du greffon, âgé de

90

Fig. 4. Clones de Maraval CA-74 enracinés sur le milieu d’enracinement selon la techniqueBdR.

Fig. 5a. Plant greffé du clone Lüina sur Ma-raval CA-74. Arrêt de croissance (flèche)montrant l’incompatibilité des partenairesaprès deux semaines en culture in vitro.

p 087 094 2.4.2004 10:25 Page 90

Page 5: Micro Greffage Du Chataignier(1)

deux semaines, sur le porte-greffe ra-ciné paraît correspondre aux exigencesd’ordre pratique pour réussir le gref-fage in vitro chez le châtaignier. En cequi concerne les plantes ligneuses,FRANCLET (1981) montre que le gref-fage d’apex prélevé sur des explantscultivés in vitro est avantageux parcequ’il entraîne un rajeunissement dumatériel adulte.De même que lors de l’opération d’en-racinement, nous avons constaté que leproblème majeur du greffage in vitroétait la présence de nécroses sur lesapex des greffons de la variété Lüina.Ce phénomène peut être la manifesta-tion des symptômes d’incompatibilitédite localisée (HERRERO, 1951) entrevariété et porte-greffe. Les coupes his-tologiques (fig. 6a et b) montrent bienl’existence d’une barrière constituéepar un précipité dense et l’absence deconnexion entre les deux partenaires.Des résultats similaires ont été aussitrouvés par HUANG et al. (1994) qui re-lèvent le même phénomène d’incompa-tibilité de greffage chez les châtaigniersasiatiques. Ces auteurs montrent qu’iln’y a pas de relation étroite entre l’acti-vité des peroxydases dans l’apex et sondéveloppement après le greffage. Enfait, cette incompatibilité localiséesemble être due à une diffusion dessubstances inhibitrices provenant descellules de deux partenaires (BRIAN etDURON, 1971) ou du greffon, qui empê-chent le développement des cellules duporte-greffe comme le montre MOORE

(1986) dans ses travaux portant sur lacompatibilité entre poirier et cognas-

sier. De même, le stade physiologiquede la plante (DEOGRATIAS et al., 1991)ainsi que l’oxydation des polyphénolsproduits à la surface des coupes par lesdeux partenaires jouent également unrôle important dans la réussite du gref-fage (RAMANAYAKE et KOVOOR, 1999).Contrairement à la variété Lüina, aprèsdeux semaines de greffage in vitro entreVerdanesa (greffon) et Maraval CA-74(porte-greffe), les tissus s’interpénètrentet entrent en division active de part etd’autre (fig. 7a et b). Les observationshistologiques montrent des zones deprolifération plus larges et plus nom-breuses, alors que ces zones demeurenten petit nombre et peu développéeschez Lüina. Les tissus vasculaires en-trent en contact avec les tissus cam-biaux, offrant la possibilité d’une con-nexion vasculaire ultérieure, comme l’aobservé HERRERO (1951) sur le pêcher(var. Hale’s early) greffé sur le porte-greffe Brompton. L’auteur signale qu’uncontact est très rapidement établi entreles deux partenaires et que l’activitédes tissus vasculaires respectifs contri-bue à produire une connexion continueentre le porte-greffe et le greffon: c’est

un cas de compatibilité entre les deuxpartenaires. A ce propos, BRIAN etDURON (1971) ont aussi rapporté quelorsqu’une combinaison entre le poirier(var. Passe-Crassane) et un cognassier(Cydonia oblonga) est compatible, uncambium continu se met en place,constituant une véritable différenciationhistologique, et la combinaison évoluealors normalement.Ainsi, le greffage in vitro nous permetd’obtenir des plantes greffées et de dé-tecter précocément les incompatibilitésqui se manifesteront au champ, parfoistrès tardivement après plusieurs années,entraînant par conséquent des pertesconsidérables pour les producteurs (JO-NARD et al., 1983). Cete constatationpermet d’améliorer les conditions degreffage traditionnel, en recourantd’une part à des plants de C. sativa sé-lectionnés issus de semis et en plantantd’autre part directement des hybridesinterspécifiques sélectionnés et compa-tibles avec plusieurs variétés. Ces deuxmoyens peuvent être utilisés efficace-ment par les sélectionneurs de plantsdu châtaignier pour réussir le greffageau champ.

91

Fig. 5b. Plant greffé du clone Verdanesa surMaraval CA-74. Reprise de greffe (flèche)montrant la compatibilité des partenairesaprès deux semaines en culture in vitro.

Fig. 6b. Ligne dense montrant la séparation des deuxpartenaires et matérialisant leur incompatibilité. Gros-sissement × 40.

g

g

pgpg

pg

Fig. 7b. Zone montrant le début de la connexion desdeux partenaires (flèche). Grossissement × 40.

gg

pg

Fig. 6a. Coupe longitudinale d’unplant greffé après deux semainesde culture. g = greffon Lüina; pg= porte-greffe Maraval CA-74.Grossissement × 5.

Fig. 7a. Coupe longitudinale d’unplant greffé après deux semainesde culture. g = greffon Verdanesa.pg = porte-greffe Maraval CA-74(flèche = zones de connexion).Grossissement × 5.

pg

p 087 094 2.4.2004 10:25 Page 91

Page 6: Micro Greffage Du Chataignier(1)

Conclusion❏ L’ensemble des résultats expéri-

mentaux concernant les conditionsde multiplication, d’enracinementet de greffage du châtaignier invitro réalisés dans ce travail per-mettent de tirer les conclusionssuivantes:– il est possible de faire proliférer

des pousses feuillées utilisablesde trois clones de châtaignier(Maraval CA-74, Verdanesa etLüina) grâce à l’action conju-guée de la benzyladenine (0,2mg/l) et de l’acide-3-indolylbu-tyrique (IBA 0,02 mg/l);

– l’enracinement des poussesfeuillées (clone Maraval CA-74)servant de porte-greffe peut êtreobtenu avec le traitement àl’IBA à 2 mg/l;

– le greffage in vitro des cultivarsVerdanesa et Lüina sur porte-greffe Maraval CA-74 est réali-sable en utilisant des greffonsâgés de deux semaines;

– l’examen histologique effectuésur des sujets greffés permet devisualiser, au niveau de la greffe,le degré de compatibilité entreles deux partenaires.

❏ Des travaux ultérieurs effectuéssur d’autres génotypes sélection-nés sont en cours de réalisation,afin de vérifier l’efficacité de cettenouvelle technique, cela en rap-port avec le contrôle au verger.

❏ Dans cette étude, le protocole expé-rimental mis au point – à notre con-naissance pour la première fois –peut constituer, en l’absence d’unetechnique de détection fiable et re-productible sur la compatibilité (ouincompatibilité) au greffage du châ-taignier, une alternative avantageu-se permettant d’éviter de longuesannées d’observation au champ.

Remerciements

La direction d’Agroscope RAC Chan-gins est vivement remerciée pour avoirautorisé la réalisation de cette étude àChangins, dans le cadre d’une collabo-ration avec l’Université de Neuchâtel etl’Institut fédéral de recherches sur laforêt, la neige et le paysage (WSL, Bir-mensdorf). Nos remerciements s’adres-sent également au professeur PhilippeKüpfer, de l’Université de Neuchâtel,pour nous avoir accueillis dans son labo-ratoire de botanique évolutive et avoirfacilité le développement d’un nouveausujet de recherche, et à M. MarcoConedera (WSL, Birmensdorf) pour sonintérêt porté à cette étude et pour sesconseils avisés. Notre gratitude s’ex-prime également à l’Action COST 843(OFES) pour son encouragement au dé-

veloppement des biotechnologies végé-tales appliquées en Suisse. Notre recon-naissance va aussi à Mme Maria Lafargue(INRA-Bordeaux), Mme Laurence Bour-rain et M. Jean-Claude Navatel, Ctifl,centre de Balandran (France) pour lamise à disposition du matériel végétalindispensable à la réalisation de ce tra-vail. De même, nos remerciements sontadressés à MM. Alberto Sassella etMauro Jermini (RAC-Cadenazzo) pourleur intérêt porté à ce travail, ainsi qu’àtous nos collègues du service de cul-ture in vitro pour leur précieuse colla-boration permettant le bon déroulementde cette étude.

BibliographieLa liste complète des références bibliographiques

peut être obtenue auprès du premier auteur.

92

SummaryIn vitro micrografting of chestnut (Castanea sativa Mill.)A method for in vitro propagating, rooting and grafting of three clones of chestnut(Maraval CA-74, Lüina and Verdanesa) is described in this paper.The composition of the nutrient medium and the choice of the physiological stagesuitable for grafting can play an important role for the successful result in the micro-grafting process.To ensure the compatibility between scion and rootstock, an histological study wasrealized on the grafted plantlets in view to visualize the compatibility degree betweenpartners at the tissue level.Key words: Castanea crenata × Castanea sativa, chestnut, in vitro grafting, apicalnecrosis, compatibility.

ZusammenfassungIn vitro Mikro-Veredelung des Kastanienbaums (Castanea sativa Mill.)

In diesem Artikel wird eine Methode zur Massenvermehrung, Wurzelbildung undVeredelung von drei Kastanien-Klonen (Maraval CA-74, Lüina und Verdanesa)beschrieben.Die Zusammensetzung des Nährmediums und die Wahl der für die Veredelunggeeignete physiologische Phase könnten eine wichtige Rolle spielen für den Erfolgdes Mikro-Veredelungs-Prozesses.Um auf dem Niveau des Gewebes den Kompatibilitätsgrad der Sorte mit der Unterlagesicherzustellen wurde eine histologische Studie durchgeführt.

Tous les compteurspour l’agriculture de précisionAgriTechno L’agriculture de précision

Case postale 24 – CH-1066 EpalingesTél. 021 784 19 60 – Fax 021 784 36 35 – GSM 079 333 04 10

E-mail: [email protected]

Vitesses surfaceHeures Débitmètres Contrôle pulvérisation

FABRIQUE DE BOUCHONS ET DE LIÈGE AGGLOMÉRÉ

E. & H. Schlittler Frères SAAutschachen 41CH-8752 Naefels / GlTél. +41 (0)55 618 40 30Fax +41 (0)55 618 40 [email protected]

Pièces Bourgogne ouBordeaux de fabrication

artisanale?Consultez le sitewww.swisscork.ch

p 087 094 2.4.2004 10:25 Page 92