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Conférence « Deux ans après le rapport Stiglitz Sen Fitoussi »
Mieux mesurer la performance économique, le progrès social
et la soutenabilité en Europe et en France
12 octobre 2011
Il y a deux ans, la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi publiait un rapport très
novateur sur la manière dont la statistique publique devait évoluer pour répondre
aux besoins de nos sociétés. Ce rapport a suscité, en Europe, un grand
engouement, aussi bien dans l’opinion que chez les décideurs publics. Mais c’est
sans doute au sein de la statistique publique que l’accueil a été le plus
enthousiaste. Tous nos collègues y ont vu une « nouvelle frontière ». Une
manière aussi de nouer des liens plus étroits avec nos concitoyens, les
utilisateurs de statistiques.
Il nous est apparu très rapidement, en effet, qu’il existait, en Europe et en
France, une très grande appétence pour des statistiques publiques « moins
régaliennes », plus proches de l’expérience vécue. Des statistiques qui nous
rapprochent aussi des utilisateurs, dans leurs singularités. Qui nous aident, en
quelque sorte, à sortir de la « tyrannie de la moyenne ». Au fond, nous
souhaitons tous faire mentir le vieil adage : « lies, damned lies, statistics ».
Mensonges, fieffés mensonges, statistiques.
Ces préoccupations nouvelles, cette attention portée au sociétal, au subjectif,
peuvent être perçues, aujourd’hui encore, comme des considérations
périphériques, dans un contexte où la crise économique mondiale engendre des
pertes de bien-être massives. Des pertes de premier rang.
Mais la conviction des statisticiens européens est, me semble-t-il, relativement
claire : il faut tenir les deux bouts de la chaine. Éclairer avec le plus de précision
et de célérité possible les évolutions macroéconomiques. Et progresser dans
l’appréhension du bien-être, qu’il soit matériel ou subjectif. Avec le souci de
mieux éclairer aussi les problèmes de soutenabilité environnementale.
2
La liste des participants à ce colloque montre également que les préoccupations
du rapport Sen-Stiglitz-Fitoussi sont partagées bien au-delà de l’Europe, en Asie,
en Afrique et en Amérique. Nous sommes bien évidemment très honorés de leur
participation.
Comme je l’ai dit, les statisticiens publics européens ont réservé le meilleur
accueil au rapport Fitoussi-Stiglitz-Sen. Et très rapidement, un sponsorship
européen a vu le jour, coprésidé par la France et Eurostat. Avec, aussi, la
collaboration active d’Enrico Giovannini, le Président d’Istat, qui avait beaucoup
œuvré au sein de la Commission Stiglitz.
Quelle donc a été l’action de ce sponsorship européen et quelles perspectives
ouvre-t-il ? Quelle a été, plus spécifiquement, l’action de l’Insee, qui a pris une
part active à l’élaboration du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi et ensuite à son
application au contexte européen ?
Il y a deux ans, la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi a recensé les indicateurs de
bien-être susceptibles d’aller au-delà du PIB. Ce PIB qui reste une mesure
incomplète, restreinte, du bien-être. Elle l’a fait en distinguant trois grands
domaines : le bien-être courant sous ses aspects monétaires, le bien-être au
sens large, avec la qualité de vie et enfin la « soutenabilité » à long terme de ce
bien-être.
Afin d’appréhender le bien-être, la Commission Stigltiz a préconisé l’adoption
d’une « approche ménages ». Car l’objectif ultime n’est pas la maximisation de la
croissance, mais celle du bien-être des ménages. Il faut pour cela mettre l’accent
sur la mesure du revenu et de la consommation. Enfin, pour appréhender le bien
être, il ne faut pas se contenter de grands agrégats ou d’une moyenne par tête. Il
faut désagréger et s’intéresser à la distribution des revenus et de la
consommation par tête.
On le sait, en effet, l’utilité marginale du revenu décroît. Toutes choses égales
d’ailleurs, une répartition plus égalitaire des revenus augmente donc le bien-être
3
collectif. C’est pourquoi il est important de fournir des informations statistiques
sur la distribution des revenus et de la consommation.
Il faut aussi s’efforcer d’embrasser les revenus dans toute leur étendue, en
valorisant, par exemple, les services publics gratuits fournis aux ménages. Cet
agrégat doit inclure les dépenses directement financées par la collectivité dans
des domaines comme la santé, l’éducation et l’action sociale.
Dès lors qu’elles contribuent au bien-être, ces dépenses devraient être
comptabilisées à leur valeur de marché et non pas à leur coût. Sans cet effort
d’harmonisation, en effet, comment mettre en œuvre des comparaisons fiables
entre la France, où la fourniture de services publics est de règle, et les États-
Unis, où les services de santé et d’éducation relèvent souvent du secteur privé ?
Comment apprécier, dans toute son étendue, l’ampleur de la redistribution dans
un pays ?
C’est avec ce souci d’appréhender dans toute leur plénitude les revenus et la
consommation des ménages que la France s’est lancée dès 2007 dans un
enrichissement de ses comptes nationaux. Il en est résulté des comptes de
ménages par quintile, qui incorporent la consommation des biens marchands,
mais aussi la consommation de biens publics, valorisés aux prix du marché.
On observe alors, en France, qu’un taux d’épargne moyen de 17 % masque
en fait de grandes disparités allant d’une épargne nulle voire négative pour
les 20 % des ménages les plus pauvres, à un taux d’épargne voisin de
35 %, pour les 20% des ménages les plus riches. En termes de bien-être,
les ménages les plus aisés ont de grandes marges de manœuvre,
susceptibles d’améliorer leur qualité de vie et leur autonomie de choix (slide
n°1).
Une autre avancée marquante tient à la valorisation des transferts en nature
associés à la gratuité de l’enseignement public et aux prestations maladie.
On observe alors que le revenu disponible des 20 % des ménages les plus
pauvres double après valorisation des transferts sociaux en nature. L’écart
4
entre les revenus des 20 % les plus riches et les 20 % les plus pauvres
passe alors de 5 à 3. Ce résultat témoigne du rôle important joué par les
politiques redistributives sur les revenus des plus modestes (slide n°2).
Cette méthode d’estimation du compte des ménages par catégorie, à la
française, devient maintenant une référence pour nos partenaires étrangers.
Celle-ci va être mise en œuvre dans 22 pays, dont plus de la moitié sont situés
hors d’Europe. C’est en tout cas la contribution de l’Insee au redressement des
exportations françaises.
S’il y a eu ainsi des travaux précurseurs, du Stiglitz avant l’heure, il y a eu aussi
beaucoup de post-Stiglitz. Je ne reviendrai pas sur les travaux remarquables
accomplis par l’OCDE, que Martine Durand vient d’exposer en détail. Et
l’ouvrage publié par l’OCDE mérite vraiment d’être salué.
Je voudrais plutôt vous parler ici des travaux du Sponsorship européen, que j’ai
eu l’honneur de co-présider avec W. Radermacher, le Président d’Eurostat. Ce
groupe de travail a été lancé en mai 2010, rassemblant quinze États membres
européens. S’y sont joint également la Suisse, l’OCDE et la Commission
économique des nations unies pour l’Europe. L’objectif central était de traduire le
rapport Stiglitz en objectifs opérationnels. Passer des principes généraux à la
mise en œuvre.
On peut considérer qu’il s’agit là d’une phase un peu austère, mais elle n’en
reste pas moins essentielle. L’approche privilégiée est celle, pragmatique, d’un
cadre à remplir, d’un tableau de bord.
De premières expériences avaient été conduites en France et dans d’autres pays
européens. Elles ont servi de prototype et permis d’éclairer la réflexion engagée
dans le cadre du Sponsorship européen. Trois groupes de travail ont été mis en
place.
Le premier groupe, copiloté par la France et Eurostat, était chargé d’examiner
comment mieux prendre en compte la perspective ménage dans le cadre des
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comptes nationaux. Avec le souci notamment de mieux retracer les aspects
associés à la distribution des revenus, de la consommation et de la richesse.
Ces statistiques existent déjà en partie. Il s’agit donc essentiellement de les
rendre plus visibles, dans un cadre harmonisé au niveau européen. Mettre
l’accent sur le revenu et la consommation, en intégrant pleinement les services
de santé et d’éducation fournis à titre gratuit par les services publics.
Il faut aussi avancer sur d’autres fronts. Encourager la production de comptes de
patrimoine, qui reste encore limitée à certains pays. Harmoniser, également, les
enquêtes emploi du temps pour mieux prendre en compte le travail non
marchand et le temps de loisir, des facteurs importants de bien être.
Le deuxième groupe, copiloté lui aussi par la France, était chargé de proposer
des statistiques harmonisées pour mesurer la qualité de vie. À la fois dans ses
aspects objectifs et subjectifs et dans diverses dimensions.
La démarche adoptée est pragmatique. Il s’agit de produire rapidement, sur une
base annuelle, un tableau de bord européen. Comportant des indicateurs de
qualité de vie harmonisés et synchronisés au sein de l’UE. Des expériences
pilotes ont permis d’éclairer ces travaux. Je pense tout particulièrement à la
France et au Royaume Uni. À ce titre, il convient de saluer l’initiative britannique
pour son nouveau module « Are you happy ? » dans sa grande enquête auprès
des ménages.
Le troisième groupe de travail portait sur la soutenabilité environnementale.
Plusieurs grands thèmes ont été étudiés.
Dans quelle mesure les comptes nationaux ont-ils besoin d’être complétés par
des comptes environnementaux intégrés. Comment mieux lier comptes
nationaux et comptes de l’énergie pour avoir une meilleure information sur
l’efficacité énergétique.
6
Comment promouvoir des indicateurs qui soient à même de mesurer les
conséquences de la consommation nationale sur les émissions de gaz
carbonique. Plus généralement, comment mesurer l’empreinte globale des
polluants associés à l’activité nationale. Comment aller au-delà d’indicateurs qui
se focalisent sur la seule production nationale. Ici, l’expérience française a
contribué à alimenter la réflexion, avec le calcul d’empreinte carbone de la
consommation des ménages.
Au total, plusieurs recommandations sont déjà mises en œuvre ou en cours de
mise en œuvre dans certains pays. D’autres progrès vont suivre dans les années
à venir. Disposer ainsi d’une feuille de route est très important pour orienter
l’agenda statistique européen. Pour aider à définir des priorités de court et
moyen terme sur la base d’un solide consensus. Ces tableaux de bord,
disponibles dans tout pays européen, seront des outils précieux à des fins de
benchmarking, et pour guider la conduite des politiques économiques et sociales.
En guise de conclusion, je voudrais vous donner un dernier exemple de travaux
innovants. Ceux-ci touchent à la mesure du bien-être subjectif, tels qu’ils ont été
réalisés par l’INSEE pour la France. Dans la mesure où les individus sont les
mieux à mêmes de juger de la qualité de leur vie, le rapport Stiglitz invite à aller
au-delà des indicateurs de qualité de vie objectifs, concernant des faits précis et
mesurables et à construire des indicateurs de qualité de vie subjectifs.
Ces indicateurs visent à dépasser les faits et à appréhender le « ressenti » des
individus. Ils permettent d’aller au-delà du bien-être matériel. Pour les construire,
les instituts statistiques doivent introduire dans les enquêtes des questions
portant sur la satisfaction ressentie au cours de telle ou telle activité.
L’INSEE a ainsi enrichi plusieurs enquêtes existantes. Dans une première
enquête, les personnes sont interrogées sur l’appréciation subjective qu’elles
portent sur tel ou tel aspect de leur existence et sur leur vie en général (loisir,
relations avec les proches, logement, travail et santé). Dans l’enquête Emploi du
temps 2009-2010, un millier de ménages ont ainsi été invités à noter la qualité du
temps passé dans chacune des activités de la journée.
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J’ai le plaisir de vous livrer aujourd’hui quelques résultats inédits sur des
indicateurs subjectifs de qualité de vie en France. Ils figurent dans votre dossier
de participant. Ces résultats ont été obtenus grâce aux questions récemment
introduites dans l’enquête « Statistiques sur les ressources et les conditions de
vie ». Enquête que l’INSEE conduit tous les ans.
En France, en 2010, les personnes interrogées sur leur niveau de satisfaction
dans la vie, le situent en moyenne à 7,3 sur une échelle de 0 à 10. La
satisfaction augmente systématiquement avec le niveau de vie. Mais, comme on
peut s’y attendre, le gain de satisfaction devient plus faible dans le haut de la
distribution et d’autres dimensions que le revenu gagnent en importance (slide
n°3).
Les résultats montrent par ailleurs que les conditions de vie matérielles sont
parmi les facteurs mesurés, celles qui jouent le plus sur le bien-être ressenti.
Viennent ensuite la santé, le travail et la famille (slide n°4).
Autre résultat intéressant : la satisfaction suivant les âges. En 2010 en France,
les personnes qui ont entre 45 et 49 ans déclarent un niveau de satisfaction plus
bas que les autres ; Cette courbe de satisfaction ressemble à un U. Élevée dans
la jeunesse, elle baisse autour de 40 ans pour remonter ensuite jusqu’à 70 ans.
On constate donc un décalage entre moyens et résultats en termes de bien être
ressenti (slide n°5).
Par ailleurs, vivre à la campagne rendrait légèrement plus heureux. En effet, les
individus vivant dans des communes rurales ont des taux de satisfactions
légèrement plus élevés. Mais les différences observées entre ville et campagne
ne sont pas très fortes.
Quant au diplôme, il joue faiblement sur le niveau de satisfaction. En revanche,
la situation vis-à-vis de l’emploi pèse lourdement sur la satisfaction dans la vie :
les personnes au chômage déclarent en moyenne un niveau de satisfaction de
6,1, celles qui sont en emploi de 7,5.
8
Ainsi la réduction du chômage est-elle un facteur de bien-être en soi et cela me
permet de revenir à mes propos liminaires. La conjoncture mondiale est
aujourd’hui source de préoccupations. Cependant, si, pour paraphraser Keynes,
à long terme nous serons tous morts, ce ne sera pas le cas de nos enfants et
encore moins de nos petits-enfants. L’INSEE est donc pleinement investi et
impliqué dans le développement de nouveaux indicateurs pour mieux mesurer le
bien-être et le développement durable.
Je vous remercie.
10/11/2011
Jean Philippe CotisDirector general Insee
A better measurement of Economic Performance, Social Progress and Sustainabilityin Europe and in France
10/10/2011Two years after the Stiglitz-Sen-Fitoussi report: what well-being and sustainability measures ?
Inequalities between householdsin the national accounts
-11%
3%7%
10%
36%
1%6% 6%
9%
34%
-20%
-10%
0%
10%
20%
30%
40%
50%
Q1 Q2 Q3 Q4 Q5
Average savings rate: 17%
Two estimates depending on the adjustments made on the information collected in the Household Budget Survey concerning income Scope: ordinary households resident in mainland France, excl. FISIM.Source: Insee, national accounts 2003, SILC 2004, Tax income 2003, Family Budget 2006, Housing 2002, Health2002-2003 surveys.
Saving, in % of disposable income
The saving rate increases with relative income level
Income quintile
10/10/2011Two years after the Stiglitz-Sen-Fitoussi report: what well-being and sustainability measures ?
Inequalities between householdsin the national accounts
Social transfers in kind reduce inequalities
-50
-30
-10
10
30
50
70
90
Q1 Q2 Q3 Q4 Q5
Direct taxes and social contributionsSocial benefits and other transfers in cashSocial transfers in kind
% of primary income
Income quintileSource: National Accounts, Base 2000, Insee, 2003
10/10/2011Two years after the Stiglitz-Sen-Fitoussi report: what well-being and sustainability measures ?
Average life-satisfactionby living standard
Satisfaction level
Income decile
5
6
7
8
1er 2e 3e 4e 5e 6e 7e 8e 9e 10e
10/10/2011Two years after the Stiglitz-Sen-Fitoussi report: what well-being and sustainability measures ?
Average life-satisfactionby number of material difficulties experienced
Satisfaction level
Number of material difficulties
5
6
7
8
0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 et+
10/10/2011Two years after the Stiglitz-Sen-Fitoussi report: what well-being and sustainability measures ?
Average life-satisfactionby age
Satisfaction level
Age
5
6
7
8
24ou -
25-29
30-34
35-39
40-44
45-49
50-54
55-59
60-64
65-69
70-74
75-79
80-84
85ou +