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Mathieu SAPIN Supplément gratuit • Casemate 101, mars 2017

Mise en page 1 - Casemate · A-t-il relu votre album avant paru - tion ? Oui, j’y tenais. Un seul passage l’a agacé : quand je laisse entendre que la mort le fait flipper. Il

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Page 1: Mise en page 1 - Casemate · A-t-il relu votre album avant paru - tion ? Oui, j’y tenais. Un seul passage l’a agacé : quand je laisse entendre que la mort le fait flipper. Il

Mathieu SAPIN

Supplément gratuit • Casemate 101, mars 2017

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Vous montrez Depar-dieu parfois oursoutragé, parfois d’unedélicatesse exquise

envers vous.Mathieu Sapin : J’ai eu de la chance,et me suis rendu compte après coupqu’il a été très généreux avec moi.Copains ?Je ne dirais pas ça. Mais il a des gestestouchants. Le lendemain matin de laprojection de mon court-métrage(Vengeance et Terre battue, avec Char-lotte Le Bon, Gustave Kervern…), il m’aappelé pour me demander si ça s’étaitbien passé. Dès l’Azerbaïdjan, nos rap-ports ont été simples et naturels. Jesuis assez direct avec lui, m’amusantà le mettre en boîte. Je pense qu’ilapprécie. Il y a tellement de gens quine se comportent pas de manièrenaturelle avec lui ! Certains parce quela star les impressionne, d’autres parcequ’ils désirent lui demander quelquechose, ce qui les rend empruntés, pastrès naturels. Fasciné par l’extraordinaire bric-à-brac de son salon parisien, trufféd’œuvres d’art plastique ?On se croit dans un musée ! Comme

dans beaucoup d’autres domaines,loin de tout savoir universitaire, Depar-dieu s’est forgé au fil des années uneculture d’autodidacte. Il a des goûtstrès pointus aussi bien en Art contem-porain qu’en Art classique. Il peut dis-courir sur des peintres italiens que jene connais pas, moi qui suis censéavoir suivi des études classiques. Il esttoujours surprenant, instinctif. Dans unrestaurant de Bavière, je l’ai vu s’enti-cher d’un cochon en plâtre. Il l’aobtenu et lui a fait une place, chez lui,avec ses Rodin.Ce salon, où s’est déroulée votre inter-view en 2014, avec toutes ces statuesen taille réelle, a un côté saisissant detombeau égyptien. Et encore, je n’aipas dessiné une sorte de sculpture enforme de lit funéraire. Quand on rentredans cette immense pièce, on est saisipar son côté très théâtral. Je tenais àmontrer l’endroit sur une double page.Le nombre de fois où il m’a accueilli en

slip, au milieu de toutes ses œuvres ! L’acteur se met-il en scène ?Pas du tout. C’est sans calcul. Il dit d’ail-leurs : « Je suis une caricature. » Etajoute n’en avoir rien à foutre, que cesœuvres ne sont que des biens maté-riels, qu’il pourrait abandonner cecocon qu’il s’est aménagé pour se bar-rer dans un autre pays. J’ai tendance àle croire, en me rappelant, comme jele raconte dans Casemate 101, qu’ilpart en voyage avec presque rien, troischemises, deux slips. J’ai essayé demontrer un homme beaucoup pluscomplexe qu’une caricature des Gui-gnols, plein de contradictions.Je lui trouve un côté génial, et je pèsemes mots, avec sa manière de ressor-tir des choses très inattendues. Sansdoute grâce à son sens de l’observa-tion. Je nous revois dans une galeriemarchande moscovite où il était entrépour acheter des bijoux. Il s’est mis àmarchander en accumulant les réfé-rences sur les pièces en question. Jeconsacre deux ou trois bulles à laséquence, mais j’aurais voulu en fairetrois pages. Mettez-moi dans la mêmesituation, le vendeur pourrait me refour-guer n’importe quoi. Pas à Depardieu.

Interview

2012. Mathieu Sapin accompagne Gérard Depardieu sur les traces d’Alexandre Dumas dans le Caucase (Casemate 70). C’est le début d’une longue complicité. 2017. Suite des souvenirs de l’auteur sage du Château (Casemate 81), auprès du dernier des monstres sacrés du cinéma français (Casemate 101).

Depardieu loindes GUIGNOLS

I

« Son salon a un côté tombeau égyptienavec une sculpture en forme de lit funéraire »

Mathieu SAPIN

DR

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Si vous parlez pétrole, il va vous res-sortir comment exploiter le pétrole offs-hore. Un discours marrant, mais aussitrès technique puisqu’il a fait ce travailchez Fidel Castro. Il est question de lacomtesse de Ségur ? Il vous parle despersonnages en les appelant par leurnom. Sur la chasse aussi. Rapport à lamort, autodestruction, bouffe, voyages,les femmes, les liens sont nombreuxentre Hemingway et Depardieu. Le pre-mier s’est flingué. J’espère que ce nesera pas le cas du second. Reçoit-il les journalistes facilement ?Quand vous m’avez demandé si vouspouviez l’interviewer, je n’y croyais pastrop. Il m’a répondu que vous n’aviezqu’à passer le jour même. À côté decela, il peut refuser une émission téléavec Léa Salamé parce qu’il s’en fout.Quelques télés se disent intéresséespar la sortie de mon bouquin. Il m’a ditne pas vouloir en entendre parler.Un souvenir de rigolade ?Un jour, je le vois gueuler au téléphone,expliquant qu’il n’a pas de temps àperdre, qu’il doit bosser. En fait, sonboulot consistait à regarder des épi-sodes de Spartacus. Pourquoi vous montrer si réticent àposer avec les cadettes de l’arméerusse ?Parce que je crains toujours l’instru-mentalisation. On ne sait jamais où,dans quel journal peuvent se retrouverles photos. Ça me rappelle un dépla-cement de François Hollande, bienaprès la parution du Château, mon livresur la vie à l’Élysée. Je me retrouve dans

une soirée donnée par un ancien chefd’État africain. Un de ses hommes deconfiance vient m’annoncer que sonpatron aimerait beaucoup que je luiconsacre une bande dessinée. J’airefusé, bien sûr en y mettant les gants.Terrain glissant. Si vous êtes trop gen-til vous vous retrouvez à réaliser un outilde propagande, si vous racontez ceque vous voyez, vous risquez de finiraux crocodiles. Comment l’avez-vous présenté àvotre belle-famille, au Portugal ?Ce n’est pas moi, la situation m’aéchappé, ma femme a ourdi ce com-plot sans me consulter ! Franco-Portu-gaise, elle assurait alors la traductionde la série À pleines dents ! Gérard etmoi étions alors au Portugal. Un soir oùnous devions dîner sans l’équipe, elles’occupe de réserver des places aurestaurant et invite sa sœur sans meprévenir. Lorsque je l’apprends, je disà celle-ci, qui adore Depardieu et a vutous ses films, qu’il déteste qu’on l’em-merde avec ça, qu’il n’en a rien à fou-tre, etc. Évidemment elle me dit « oui,oui », mais à peine présentée lui sautedessus, disant qu’elle est fan absolue,lui sortant ses répliques par cœur. LeGérard a commencé à s’énerver, c’étaittrès drôle. Quelle chance d’avoircomme sujet un personnage aussi riche,

dans les choses positives comme dansdes choses négatives. A-t-il relu votre album avant paru-tion ?Oui, j’y tenais. Un seul passage l’aagacé : quand je laisse entendre quela mort le fait flipper. Il m’a lancé qu’ilne voyait pas où j’avais entendu cela,qu’il n’avait pas du tout peur de mou-rir. En fait, il m’avait semblé – on a sou-vent abordé le sujet – qu’à Moscou,son discours était moins ferme. Ducoup, j’ai mis les deux interprétations.C’est toute la difficulté de ce genred’exercice. Il y a mille manières d’in-terpréter certains propos. Il faut assu-rer une certaine subjectivité. Il m’a aussi raconté énormément dechoses sur des personnes vivantes. Évi-demment, je ne voulais pas créer deproblèmes, même s’il dit s’en foutre.Je lui ai demandé de relire surtout pourvalider les épisodes mettant en scèned’autres personnages. Avez-vous tout dit ?Bien sûr que non, j’aurais pu réaliser ledouble des pages. Il m’a fallu m’arrê-ter avant que le lecteur ne souffre d’in-digestion. Car il y a risque d’indiges-tion avec Depardieu. Après trois jourspassés avec lui, je suis vanné, je n’enpeux plus. Comment Depardieu juge-t-il votreDepardieu de papier ?Il considère que la bande présente unavatar de lui-même. Il n’y a qu’en bandedessinée que Depardieu se voit demanière agréable.

Propos recueillis par Frédéric VIDAL

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Interview

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Gérard, Cinq années dans lespattes de Depardieu,Mathieu Sapin,160 pagesDargaud,21,90 €,dispo.

ArchivesSapin avance ses pions, Casemate 94,L’Élysée au pied du Sapin, Casemate 81,Obélix adopte Sapin, Casemate 70, etc.

Depardieu, de Mitterrand à Poutine, http://casemate.fr/gerard-depardieu-de-mitterrand-a-poutine/

Archives.fr

« Il n’y a qu’en BD, son avatar de lui-même, que Depardieu se voit de manière agréable »

Mathieu SAPIN