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Spiritualité et école laïque n° 35 Lignes de crêtes Recherche de sens et de spiritualité La spiritualité laïque Déjouer les théories du complot Ecole et cinéma Chrétiens dans l’Enseignement Public Lignes de crêtes Avril - Mai - Juin 2017 10 € ISSN 1969-2137

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Spiritualité et école laïquen° 35

Lignes de crêtes

Recherche de sens et de spiritualité

La spiritualité laïque

Déjouer les théories du complot

Ecole et cinéma

Chrétiens dans l’Enseignement Public

Lignes de crêtesAv

ril -

Mai

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2017

10 €

ISSN

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Site de CdEP : www.cdep-asso.org

Éditorial : un numéro un peu spécial (AM Marty) .. p 3Questionnaire (M. Lesquoy)....................................... p 4Rencontre à Marseille (J. Kayser) ............................. p 5

MétierDéjouer les théories du complot (Cécile Raczynski) p 6Et si l’école ... (Jacques Olive) ................................... p 8Les voeux de Sidonie ................................................. p 9L’expérience spirituelle à l’école (Pierre Durand) . p 10Recherche de sens et de spiritualité (N. Lemaitre) . p 12Ecole et cinéma (Catherine Listrat) ...................... p 16Eveiller à la question du sens (J-Louis Gourdain) . p 18Spiritualité et présence en milieu laïc (M. Farine) p 20Le yoga à l’école (Laurence Deteix-Debost) .......... p 22

Église et FoiVocabulaire (Patrick Jacquemont) ........................... p 23 La spiritualité laïque (Bernard Descouleurs) ......... p 24Y-a-t-il une spriritualité propre à l’enseignement public ? (Jacques Olive) ........................................... p 30Raison et Foi (Pierre Chabert) ................................. p 31

Et ailleurs ?Education en Roumanie et ailleurs (Marius Talos) p 32Laïcité - engagement (Henri Serrière)..................... p 34

Vie culturelleEnseigner le fait religieux (N Lemaitre) .................. p 36Yoga (Laurence Defeix-Debost) ............................... p 37Cinéma et spiritualité (Isabelle Tellier) ................... p 38François Cheng (Christiane Guigon) ...................... p 39Marie Hennezel (Benoit Petit) ................................. p 40Abdennour Bidar (A-M Marty).................................. p 41Lecture de Jules Verne(frère Denis-Bernard, Denis Cazes) .......................... p 42Migrations, revue Christus (J-L Gourdain) .............. p 44Pour seul cortège, Laurent Gaudé (J Xhaard) ........ p 44

Vie de l’associationRencontre nationale 2017, lettre & photos ............. p 45Rapport d’activité 2016............................................. p 46Rapport d’orientation ................................................ p 47Prises de parole ......................................................... p 48Départ en retraite de F Pontuer ................................ p 49

IconographieVierge de miséricorde (Nicole Lemaitre) ................ p 50

Sommaire

2 Lignes de crêtes 2016 - 35

Lignes de crêtesest la revue de Chrétiens dans l’En-

seignement Public, résultat de la fu-sion des Équipes Enseignantes et dela Paroisse Universitaire.

Elle s’adresse à ceux qui se sententconcernés par l’école et les questionsd’éducation, qui ont le souci de nourrirleur foi pour faire vivre leurs engage-ments et éclairer leur regard sur lemonde.

Directeur de publication : Chantal de la Ronde,- Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse n° 0217 G 81752 du 7 juin 2012Imprimerie Chauveau-Indica, 2 rue 19 Mars 1962 - 28630 Le COUDRAY

Abonnement à Lignes de crêtesnormal

(non-cotisants)36 €

réduit (cotisants,aumôniers)

25 €

soutien à partir de 40 €

étranger 40 €

Cotisation à Chrétiens dansl’Enseignement Public

Merci de libeller votre chèque à l’ordrede Chrétiens dans l’EnseignementPublic et de l’envoyer à :Chrétiens dans l’Enseignement Public

67 rue du Faubourg-Saint-Denis75010 Paris - tél : 01 43 35 28 50

traitement mensuel cotisation

1000-1500 € 80 €

1500-2000 € 120 €

+ de 2000 € 160 € ou plus

Cotisation minimale annuelle de 40 €Cependant, nous vous proposons de dé-terminer le montant de votre cotisationen fonction de vos possibilités. Vous trou-verez ci-dessous un tableau donnant desindications de montant.

CouverturePage 1 et 4 : Montage Anne-Marie Marty

Prochains numéros•Communication et management•Corps / École

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3Lignes de crêtes 2017 - 35

Un numéro un peu spécial

Depuis les attentats de 2015, tout le monde s’interroge sur une partie de la jeunessequi se sent attirée par le salafisme. Les tenants de l’école catholique prétendentparfois qu’ils sont les seuls à pouvoir donner aux jeunes une réflexion sur le sens

de l’existence. Certains s’interrogent sur la laïcité qui conduirait à ne transmettre quedes connaissances abstraites, indépendantes de tout art de vivre et de toute intériorité.

Devant la renaissance de ces questions, en octobre 2016, la rencontre nationale desresponsables de CdEP a comporté une journée de réflexion sur le thème : Re-cherche de sens et de spiritualité dans l’enseignement public. Ce dossier reprend

et approfondit les questions posées ce jour-là. Il redonne les pistes de réflexions quiavaient été suggérées dans le journal interne de l’association, CdEP-info, pour préparerla rencontre et esquisse des réponses plus ou moins élaborées.

La conférence-témoignage de Nicole Lemaitre est largement reprise. Elle est accom-pagnée de plusieurs témoignages et réflexions sur la façon dont leurs auteurs, re-traités comme elle, ont vécu dans leur pratique enseignante la confrontation entre

cette recherche de sens et l’obligation de la laïcité. Ils en ont tiré un certain nombre deconvictions qu’ils nous font partager. D’autres témoignages évoquent, de manière trèsconcrète, les pratiques actuelles à différents niveaux d’enseignement.

I l se trouve qu’un thème analogue avait été abordé, il y a dix ans, lors d’une rencontrenationale à la Baume-les-Aix qui réunissait les Equipes Enseignantes et la Paroisse Uni-versitaire, juste avant la fusion. Nous avons retrouvé une conférence intitulée « Spiri-

tualité et laïcité » qui n’a pas perdu de son actualité et que nous publions intégralementmême si certains risquent de trouver sa lecture un peu ardue.

En cette période de vacances nous vous présentons quelques suggestions de lec-tures, la plupart en lien avec le thème, et aussi des réflexions venues d’ailleurs,pour prendre un peu de distance.

Ce numéro a été élaboré par une équipe, en partie distincte du comité de rédaction,et vous n’y trouverez pas forcément toutes les rubriques habituelles. Avec un telthème, la rubrique « métier » se trouve bien garnie mais la rubrique « société » a

disparu. Pas de page sur les livres pour la jeunesse, même si, en cherchant bien, ontrouve quelques ouvrages pour initier les jeunes à la connaissance des religions ou auyoga.

Pas de lecture biblique, non plus, ni de prière, mais un commentaire d’image où Ni-cole Lemaitre montre comment la connaissance des pratiques religieuses permetde comprendre une œuvre d’art en la situant dans son contexte.

La rubrique « Vie de l’association » est traversée par les problèmes politiques et lafaçon dont les chrétiens peuvent ou doivent se positionner au moment des élections.CdEP a signé avec le CCFD-Terre Solidaire un certain nombre de communiqués. (Le

numéro a été envoyé à l’imprimeur entre l’élection présidentielle et les législatives). Larentrée qui s’annonce verra apparaitre de nouvelles questions, espérons que les pistesesquissées dans ce dossier aideront les lecteurs à les aborder avec sérénité.

Bon été à tousAnne Marie Marty

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4 Lignes de crêtes 2017 - 35

Voilà quelques questions que nous pour-rions approfondir en équipes CdEP ou indivi-duellement, en guise de préparation à larencontre d'animation des 20-22 octobre2016 sur le thème de la spiritualité à l'ÉcolePublique.

Questions1. Quelles significations les personnes de

votre entourage (professionnel, associatif,membres de CdEP) donnent-elles à la notionde spiritualité ?

2. Et pour vous, à quoi cela fait-il réfé-rence ?

- Envisagez-vous la spiritualité uniquementdans le cadre des religions, de la religion ?Ou/et hors de ce cadre ?

- Associez-vous la spiritualité à la réalisationd'une finalité, la recherche de vérité,une quête de sens, de transcen-dance, une quête philosophique ; larecherche d'un humanisme, de va-leurs morales… ?

3. La spiritualité a-t-elle sa placedans l'École Publique ?

Si oui, sous quelle forme doit-elleêtre recherchée ?

4. Faire exister la spiritualité ausein de l'École Publique, est-ce com-patible avec la laïcité à laquelle lesmembres de CdEP sont attachés ?

A ce propos, je vous renvoie au livre de LucFerry « La révolution de l’amour, pour unespiritualité laïque ». j’ai lu 2011, 8,40 €

CitationsPour vous éclairer si besoin, je vous livre

quelques citations relevées dans plusieursarticles de dictionnaires.

Si toute religion est fondée dans une spiri-tualité, toute spiritualité n'est donc pas unereligion. (Wikipédia, article Spiritualité, voirnote 11)

Comme l'esprit et la matière se touchent,métaphysique et science vont pouvoir, toutau long de leur surface commune, s'éprou-ver l'une l'autre, en attendant que le contactdevienne fécondation. (Bergson, La penséeet le mouvant, p. 37)

La spiritualité commence en l’homme, où lalumière de l'intelligence et de la réflexion com-mence à poindre. (Bossuet, Connais v, 13)

La spiritualité, en tant qu'expression d'uneaspiration aussi ancienne que l'humanité,existait avant les institutions religieuses. (Wi-kipédia, article Spiritualité)

Selon Matthieu Ricard, interprète françaisdu 14ème Dalaï Lama : (le Dalaï-Lama) très at-taché à la notion de «spiritualité laïque» dé-clare que « la religion est un choix personnelet que la moitié de l'humanité n'en pratiqued'ailleurs aucune et qu'en revanche les va-leurs d'amour, de tolérance, de compassionprônées par le bouddhisme concernent tousles humains, et cultiver ces valeurs n'a rienà voir avec le fait d'être croyant ou non » (Wi-kipédia, article spiritualité)

Michèle Lesquoyoctobre 2016

Pistes de réflexion autour dela notion de spiritualité

De nombreux échanges, parfois problématiques ont eu lieu dans lesclasses après les attentats de janvier et novembre 2015. Suite à cela leConseil d’administration de CdEP du 21 mai 2016, a choisi pour thèmede la rencontre d’animation d’octobre 2016 Recherche de sens et despiritualité à l’école publique. Michèle Lesquoy a alors proposé les pistessuivantes, pistes qui ont guidé en partie la réunion des équipes marseil-laises de la page ci-contre :

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La spiritualité a-t-elle une placeà l’école publique ?

Métier

5Lignes de crêtes 2017 - 35

Le 12 octobre 2016, la réunionde rentrée des Chrétiens de l’En-seignement Public (CdEP) de la ré-gion de Marseille a rassemblé unevingtaine de personnes : quelquesactifs en école, collège et des re-traités qui ont tenté de répondre àla question : La spiritualité a-t-elleune place à l’école publique ?

Nous prenons le mot spiritualitédans le sens où il est employédans l’interview suivant d’AndréComte-Sponville interrogé à pro-pos de son livre L’esprit del’athéisme. Introduction à une spi-ritualité sans Dieu1 : A la ques-tion : Les notions de « laïc » et de«spiritualité» ne sont-elles pas an-tinomiques ?, il a répondu : Il n’y apas de contradiction. Un athée abesoin aussi d’une vie spirituelleautant qu’un croyant. La spiritua-lité, qui n’est pas une doctrinemais une dimension de la condi-tion humaine, c’est la vie de l’es-prit. Les athées n’ont pas moinsd’esprit que les autres, pourquoiauraient-ils moins de spiritualité,pourquoi s’intéresseraient-ils moinsà la vie spirituelle?2

Lors de cette rencontre il y a eudes affirmations « généralistes »qui confirment cette définition :

- Nous rencontrons des per-sonnes qui donnent sens à leurvie, des gens qui vivent un grandhumanisme, la fraternité. Mesenfants qui ne s’affirment paschrétiens sont humanistes.- Non croyants, incroyants, jen’en veux plus de cette distinc-tion mise entre les gens. Lesathées croient de manière diffé-rente à des Valeurs Humanistes.

Cela débouche sur un conseil :Laïcité, spiritualité, religion, nepas faire un méli-mélo…

Parmi les autres idées exprimées,on pouvait distinguer deux sortesd’affirmations. Les premièresavaient trait à la vie réflexive, à l’ac-quisitions de méta-connaissances ;on pourrait parler de Spiritualitécomme portée et sens des acquisi-tion de connaissance, développe-ment d’une vie intérieure :

- Dans l’enseignement public, ilfaut que les apprentissagesaient un sens aux yeux desélèves et des enseignants.- En Lettres classiques, la spiri-tualité a sa place, comme étudedes choses sensibles et inté-rieures, moins en maths, encoreque… Il ne s’agit pas simplementde transmettre des connais-sances, mais d’éveiller mesélèves sur la vie. Mes petitesfilles n’ont pas envie de réfléchir,elles parlent de coefficients, denotes, au lieu de réfléchir.- Les professeurs ont-ils la possi-bilité de faire surgir une réflexionchez les élèves ? En Statistiqueson travaille sur des chosesconcrètes ; réponse de monélève : les statistiques, qu’est-ceque c’est abstrait !- En maternelle on éveille. On vitavec les enfants six heures parjour.- Il y a des âges où les jeunes seposent des questions. Vers 9-10ans, on voit se développer unevie spirituelle chez les enfants.Par l’instruction civique, oncontribue à son développe-ment… Ma vie spirituelle s’estdéveloppée au cours complé-mentaire (par la lecture, grâce àun enseignant communiste…)- Comme la transmission desconnaissances est de plus enplus difficile, les enseignants sebarricadent, et ne laissent pasfiltrer l’essentiel. La Laïcité

devient une protection, une cou-verture.- Y-a-il du temps où les élèvespeuvent parler ?

Les autres affirmations concer-naient plutôt le domaine del’éthique. On pourrait l’intitulerSpiritualité et valeurs :

- En Lycée Professionnel, il fautun sens donné à sa vie : aimerson prochain, une vie avec réci-procité : aimerais-tu qu’on tefasse cela ? Cela permet de dés-amorcer les tensions, les dis-putes… Si on ne parle pas, onrisque de cogner- Je suis imprégné de valeurschrétiennes, il y a énormémentde valeurs communes parta-gées. Le respect nous réunit.- Identifier spiritualité et valeursme pose problème. Commentfaire en classe avec quelqu’unqui défendrait la jouissance àl’extrême ?

Enfin il y a eu une affirmationfaisant clairement le lien entre lesdeux domaines, hélas sur le modenégatif, mais qui montre bien lesdeux versants indissociables dece qu’on pourrait nommer spiri-tualité : Et pourtant face à l’inté-grisme qui monte, et qu’on nousdemande de repérer, commentfaire si les élèves ne parlent pasde leur projet ?

Voilà l’écho d’un premier échange,quelques jalons qui donnent enviede poursuivre la recherche.

Jean KayserMarseille

1 L’esprit de l’athéisme. Introductionà une spiritualité sans Dieud’André Comte-SponvilleÉditions Albin Michel, 2006, 222 p.2https ://voir.ca/societe/2006/12/21/andre-comte-sponville-pour-une-spi-ritualite-laique/

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Je suis documentaliste dans unlycée de la Seine-Saint-Denis quiaccueille 1300 élèves et étu-diants. À l’occasion de la minutede silence après l’attentat deCharlie Hebdo en 2015, plusieursenseignants du lycée ont fait re-monter les réticences et réactionsde plus d’un élève. Tous les élèvesconcernés ont été reçus indivi-duellement par les CPE. Les entre-tiens ont révélé que plusieurs deces élèves étaient touchés par desthéories du complot à propos desattentats sur le sol français.Compte tenu de ce contexte, desmises au point par les CPE et lesenseignants ont eu lieu en cours.Cependant, l’action que je vaisvous présenter maintenant m’aparu utile et nécessaire auxélèves.

Cette action s’est inscrite dans lecadre de la Semaine de la Presseet des Médias à l’École, organiséechaque année par leCLEMI, un service duRéseau Canopé. Cetteannée, cette Semainea eu lieu du 20 au 25 mars et ellea été placée sous le signe del’éducation à la citoyenneté et del’éveil à l’esprit critique.

J’ai contacté deux réservistes dela réserve citoyenne* en novem-bre 2016, l’un journaliste free-lance, le second, étudiant en find’études à Sciences-Po Paris. Tousdeux ont accepté le principe d’uneintervention en co-animation de-vant les élèves sur les thèmes dela rumeur et des théories du com-plot. J’ai ensuite proposé cette in-tervention à une collègue defrançais sur des heures de saclasse de seconde. Cette der-nière a accepté et nous nous

sommes tous réunis à Paris enjanvier dernier pour monter ledéroulé de ce projet.

La classe de seconde choisieest une classe calme et sérieuse.Elle comprend de nombreuxélèves qui ont pleinement joué lejeu de l’intervention qui leur étaitproposée par les deux réservistes.Pour introduire cette interven-tion, leur enseignante de fran-çais les avait fait réfléchir sur letexte La dent d’or de Fontenelle.Ce texte d’un précurseur desLumières montre l’importance dela vérification des faits dans lecontexte de la propagation d’unerumeur.

L’intervention des deux réser-vistes s’est déroulée sur unedurée de trois heures. Elles sesont réparties en deux fois lamême séance d’une heure pardemi-groupe classe suivies d’uneséance d’une heure en groupe

classe.

La première heurea permis aux deux

demi-groupes d’élèves de réfléchirà la question : « L’info, c’est quoipour vous ? » Pour ce faire, lesdeux réservistes ont lancé un son-dage parmi ces élèves : « Com-ment trouvez-vous l’info ? Est-ceque vous écoutez / regardez lesinfos ? ». A la grande surprise desadultes, les élèves ont quasimenttous répondu qu’ils regardaientles informations à la télévisionavec leurs parents et seule la moi-tié des élèves, qu’ils s’informaientvia les réseaux sociaux. Pour eux,les réseaux sociaux, « c’est plusrapide, c’est à l’instant » mais « latélévision est plus professionnelle,il y a un travail préalable avant ladiffusion des informations ».

Métier

6 Lignes de crêtes 2017 - 35

Les deux réservistes ont alorssouligné l’importance de « faire letri, à la télévision aussi ». Certainsinvités à la télévision, en effet, sepermettent de propager defausses informations, il faut doncexercer son esprit critique et dis-tinguer les opinions des informa-tions.

Une nouvelle question a ensuiteété posée aux élèves : « Croyez-vous les sources officielles, gouver-nementales ou institutionnelles ? ».Parfois on se pose des questionslégitimes, ont souligné les réser-vistes, parfois il est vrai qu’un gou-vernement mente – par exempledans les scandales sanitairescomme les vaches folles ou l’af-faire du Médiator : le gouverne-ment britannique savait que cettemaladie pouvait être transmise àl’homme et ne l’a pas dit. Depuisce scandale, on trace les viandes.

Une troisième question a étéposée : « Avez-vous des sujets surlesquels vous vous posez la ques-tion du mensonge ? » Les élèvesont répondu que le remède dusida aurait été trouvé, ont soulevéla disproportion selon eux entrel’affaire Benzema et l’affaireFillon, ont affirmé que le nombredes morts sur la route serait sous-évalué, de même que les chiffres

Déjouer les théories du complot

L’info, c’est quoipour vous ?

Croyez-vous les sourcesofficielles, gouvernementalesou institutionnelles ?

Avez-vous des sujetssur lesquels vous vousposez la question dumensonge ?

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du chômage. Enfin, un élève a af-firmé que la France vendait desarmes à l’Irak et aux djihadistesafin de maintenir l’état de guerrepour des intérêts stratégiques liésau pétrole. L’enseignante de fran-çais a alors réagi en demandant sion avait besoin de prétexte pourattaquer les djihadistes. Une autreélève a alors soulevé la questiondes cartes d’identité retrouvées« comme par hasard » sur les lieuxdes attentats. Selon elle, les atten-tats seraient des manipulationsdu gouvernement et des servicessecrets français. Les réservistesont répondu que les terro-ristes signent leurs atten-tats par leur carte d’identitépour ne pas tomber dansl’oubli. Puis ils ont interrogéles élèves : « Partagez-vous cesdoutes concernant les attentats?». L’un d’eux a répondu que l’at-tentat au Stade de France était unéchec et qu’il aurait été beaucoupplus meurtrier si les services se-crets l’avaient organisé. Selon cetélève, « le gouvernement est beau-coup plus intelligent que ces terro-ristes ».

Les réservistes ont alors souli-gné la responsabilité qui est cellede chacun des élèves : « Vousdevez être conscients de la res-ponsabilité qui est la vôtre ». Ilsont rajouté que si l’on peut seposer légitimement des questionssur certaines opérations militairestelles que la guerre d’Indochine(rôle du lobby du caoutchouc), ilfaut toutefois se les poser avec lesbons outils. « Quand cela devientune méthode d’explication géné-rale, tout est perçu comme uncomplot ». « Il faut vérifier » et pourcela « se poser la question, mettreà l’épreuve de ma propre enquêtetelle opinion d’un proche » . « Nepas simplifier le monde », « allerjusqu’au bout de la démarche,être exigeant. ».

Deux choses à retenir ont souli-gné les réservistes à la fin de cettepremière heure : « c’est une bonnedémarche que de se poser laquestion ». « Mais allez jusqu’aubout de la démarche, allezchercher l’information pourrétablir la vérité ». Bien distin-guer entre les sources : le-monde.fr et mimidu93 parexemple.

Lors de la dernière heure,les deux réservistes ont pro-posé un jeu aux deux demi-groupes réunis : unPowerPoint proposait des ar-

ticles sélectionnéssur la toile, les élèvespar groupes devaientdire si cette affirma-

tion était vraie ou fausse et s’ils’agissait d’une opinion, d’une in-formation ou d’une rumeur et direcomment ils feraient pour vérifier.Treize affirmations ont été succes-sivement proposées à la sagacitédes élèves qui s’en sont fort bientirés : ils ont indiqué les indicespertinents et ne sont tombés dansaucun piège.

En guise de conclusion, souli-gnons la satisfaction des élèves etdes intervenants. La très grandemajorité des élèves ont joué le jeude ces actions qui leur étaient pro-posées. Les élèves de cetteclasse de seconde ont surtoutréagi et débattu entre eux lors dujeu proposé la troisième heure. Ilssont repartis satisfaits et heureuxde cette séance moins formellequ’un cours.

Quant aux deux réservistes, ilsont attiré notre attention sur la né-cessité de ne pas laisser lesélèves seuls avec leurs questionssur ce thème des théories du com-plot. Ces deux intervenants exté-rieurs ont exprimé leursatisfaction lors du déjeuner qui a

suivi cette séance de trois heureset m’ont assuré qu’ils revien-draient bien volontiers mener unenouvelle action au lycée.

Si donc ces actions ont révéléque quelques élèves sont attiréspar des théories complotistes, ildemeure que la grande majoritéd’entre eux a su faire preuve d’es-prit critique et c’est là un constatrassurant.

Cécile RaczynskyProfesseure documentaliste

Lycée Seine-Saint-Denis

* La Réserve citoyenne de l’Éducationnationale, lancée le 12 mai 2015,offre à tous les citoyens la possibilitéde s‘engager bénévolement pourtransmettre et faire vivre les valeursde la République à l’École, aux côtésdes enseignants, ou dans le cadred’activités périscolaires.

Métier

7Lignes de crêtes 2017 - 35

Opinion,informationou rumeur ?

phot

o A-

M M

arty

Ce texte est tiré d’une com-munication donnée le 27 avril2017, dans le cadre de la jour-née inter académique des do-cumentalistes de la régionparisienne.

Une vidéo de cette confé-rence est visible sur YouTubevia le site Canopé Ile de France.

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Deux exemplesL’exercice de la laïcité n’est pas

toujours très facile. Je voudrais endonner deux exemples.

Le premier concerne une cho-rale laïque d’adultes dont la chef,complètement athée, n’en prisepas moins le répertoire sacré,d’où une succession de messes,motets... qui a fait fuir certainschoristes mais satisfait la plupart.Par contre, s’agissant le plus souventd’œuvres en latin ou en grec, et en l’ab-sence volontaire de toute traduction,on en arrive à quelques aberrations li-turgiques comme de chanter gaiementun Kyrie - et j’en passe- sans se rendrecompte qu’il s’agit de chants religieux,voire même de prières qu’on ne peutinterpréter indépendamment de toutespiritualité !

Le deuxième exemple concerne,lui, l’école publique. Alors quej’animais un stage de professeursde collège sur l’enseignement dufait religieux (le christianisme enl’occurrence) un collègue m’avaitreproché avec véhémence de ma-nifester une intolérance religieuseinsupportable, ce qui m’avaitamusé mais également interrogé !N’avais-je pas été laïque jusqu’à lacaricature ?

Tenir les deuxbouts

Être à la fois un chrétienconvaincu et engagé et un profes-seur de l’enseignement publictenu, sinon à la neutralité, dumoins à une laïcité impartiale, estparfois compliqué. Ça l’est encoreplus quand l’on doit parler d’au-tres religions dont on ne partage

pas les convictions. Lors d’uncours de seconde sur l’islamj’avais dit que le christianismes’était plutôt répandu par la prédi-cation alors que l’Islam l’avait faitpar l’épée (dans les deux cas jeparle, bien sûr, des premiers siè-cles de leur expansion) d’où desréactions indignées de certainesmusulmanes de la classe. Aucours suivant alors que j’avais pré-paré mon argumentaire, souratesà l’appui, mes contestatairesavaient repris la parole pout direqu’elles avaient consulté l’imamqui avait dit : « c’est le professeurqui a raison », petite satisfactiond’amour propre mais frustrationde ne pas aller plus loin, surtoutpour nuancer ces propos un peuabrupts.

Dernière raison pour expliciter letitre de cet article, c’est non seu-lement l’inculture religieuse et spi-rituelle ahurissante de la plupartdes élèves et même de certainsjeunes collègues, mais aussi lemanque d’intérêt pour ces ques-tions affiché par la plupart. Pour-tant, au détour d’une phrase dedevoir ou d’une conversation lorsd’un voyage scolaire, on voit par-fois resurgir ces questions existen-tielles – même naïvementformulées – sur la mort, Dieu, l’en-fer… Et parfois aussi cette ques-tion ultime : « et vous, Monsieur,est ce que vous êtes chrétien ? ».

En tant que chrétien je me doisd’annoncer la Bonne Nouvelle. Jedevrais dire à ce jeune : « Bien sûrque tu ne réussis pas, que tu asl’air malheureux… mais Dieut’aime...» Pourtant je ne peux et nedois rien dire de tel mais je peuxdire que tu n’es pas là unique-ment pour accéder à un métier, à

une bonne situation mais quel’école a le devoir – pour sa part -de t’aider à t’ « élever », à accéderà un niveau de connaissances, deréflexion qui vont te permettre det’ouvrir à cette vie de l’esprit qui tedonnera – peut-être – accès à uneforme de religion ou d’areligionque tu auras librement choisie.

Enseigner le faitreligieux

C’est en cela que l’enseigne-ment des religions ou du fait reli-gieux, même s’il est fait trèshonnêtement par la plupart descollègues (je me souviens d’un demes anciens élèves devenu jeunecollègue, musulman pratiquant,enseignant à son tour le christia-nisme de façon très objective ettrès laïque !) est toujours décevantsi on le coupe de ses fondementsspirituels. On a parfaitement ledroit d’expliquer que la spiritualitén’est pas une simple perte detemps et qu’elle est à l’originemême de quelques unes des plusbelles réalisations matérielles ouintellectuelles de l’humanité,qu’un tableau ce n’est pas que dela technique picturale, que la mu-sique ne se réduit pas à des notesharmonieusement disposées etqu’une religion de se résume pasà des rites ou à des obligations etinterdictions. Par exemple on nepeut expliquer le passage duroman au gothique uniquementpar des considérations techniques(ce qui est bien commode !) maisaussi par un changement de théo-logie : « Dieu est lumière » commedit G. Duby citant Suger.

On a trop longtemps eu ten-dance à, d’une certaine façon,

Et si la spiritualité faisait bonménage avec l’école publique !

Métier

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mépriser les enfants, en particu-liers ceux du peuple pour quil’école est un des rares lieux del’élévation des esprits en la rédui-sant trop à des fonctions utilita-ristes. Mon grand-père qui avait dûquitter l’école à dix ans, certif. enpoche, parlait et écrivait un fran-çais parfait, me récitait Lamartineet Victor Hugo ! Et vous compren-drez alors ma colère jamais retom-bée lorsque jeune professeurdans un collège breton j’ai en-tendu la prof (je ne m’habitue pasà « professeure ») de français,issue de la bonne bourgeoisie, ex-pliquer aux parents d’élèves desixième (issus de milieux très mo-destes) qu’il suffisait de leur ap-prendre à lire sur les paquets depâtes et les boîtes de conserves !

Il n’est pas vrai que la religion etla réflexion philosophique n’inté-ressent pas les élèves ! Si l’onn’ose pas aborder ces questions,sans esprit prosélyte bien sûr, nenous étonnons pas qu’ils sem-blent se désintéresser de tout ouqu’ils aillent chercher sur Internetdes réponses à leurs questionne-ments, inquiétudes ou aspira-tions. Nul doute que l’initiation àla spiritualité peut contribuer àdonner des armes pour résister àtoutes les formes d’embrigade-ment ou de radicalisme religieux.

Jacques OliveHistoire-Géographie

Métier

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6 janvier 2017

Envoyé (par courriel) à mes élèves de 2nde et de 1ère :

Cher-e-s élèves,

je vous souhaite de tout cœur une belle et heureuse année 2017 :

Que les jeunes comme vous, à qui importent la paix et l'amitié, aientle courage de faire entendre leur voix, bien nécessaire par les tempsqui courent, dans le chœur des humains de bonne volonté, pour cou-vrir le vacarme des grandes et des petites guerres, le tumulte des crisde haine, pour rassurer celles et ceux qui ont peur de l'autre, et pourchanter à l'unisson l'hymne de la fraternité :

Qu'en 2017 il vous soit donné de recevoir beaucoup de «cadeaux»,de la vie ou des autres, avec joie et reconnaissance :

Que la lecture, la littérature, les livres, vous ouvrent à la connais-sance de vous-même, à celle des autres, vous enrichissent, vous pro-curent émerveillement et réconfort :

Que le théâtre, l'art (la musique, la chanson...) et la culture en généralsoient pour vous des portes ouvertes sur la vie et sur le monde, des vec-teurs de compréhension mutuelle, et des « ponts » entre tous les humains.

Et que chacun-e- d'entre nous laisse l'empreinte de son sourire, deson regard bienveillant et de paroles chaleureuses au cœur de nom-breuses personnes...

Je vous souhaite le meilleur pour 2017. Sidonie,

votre professeur de lettres / littérature

J'ai reçu (toujours par courriel, et avant la rentrée) des réponses trèsgentilles, reconnaissantes, étonnées :

« C'est la 1ère fois qu'un prof. me dit / m'écrit des trucs comme ça » ;

« Merci pour vos vœux qui m'ont beaucoup touché... » ; et, bien sûr,des vœux en retour des miens.

De retour au lycée, lors de mon 1er cours de 2017, j'ai passé danschacune de mes classes un Power Point reprenant peu ou prou tout ceque j'ai l'habitude d'exprimer aux élèves à titre de souhaits de bonneannée (voir mon « post » de janvier 2014, « Mes vœux à mes élèves ») ;et je suis toujours étonnée de la spontanéité des réactions, toujours po-sitives, que je reçois comme autant de cadeaux !

Non, les jeunes lycéens d'aujourd'hui ne sont pas négatifs, inquiets,consuméristes, blasés ; oui, les paroles fortes et vraies les touchent, etmême ils les attendent des adultes ! N'hésitons/ N'hésitez pas, quandl'occasion se présente... à leur parler de l'essentiel (« les notes et la réus-site scolaire, bon, c'est important ; aimer, être aimé, être ‘un ouvrier depaix’, œuvrer pour un monde meilleur, plus juste et plus fraternel, c'estessentiel ! » leur ai-je dit).

Les voeux de Sidonie

Nous n’avons pas pu re-produire les illustrations qui ac-compagnent cette lettre. Vouspourrez les découvrir sur le sitecdep-asso.org

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L’expérience spirituelle à l’écoleDans le cadre des Semaines Sociales de 2016 sur l’éducation, Pierre Durand a envoyé la contribution ci-dessous :

Métier

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Diagnostic :Une demande semble émerger

pour introduire plus de spiritualitéà l’école. Attente sociale parta-gée ? Revendication ? Il ne s’agitpas par ce biais de contourner lalaïcité scolaire et d’y importer encontrebande une vague religiositéqui ne serait qu’une pâle copiedes spiritualités religieuses refu-sant de dire son nom. Il s’agit defaire droit à une dimension essen-tielle de la commune humanité,en réhabilitant une spiritualité uni-verselle dont je ne suis pas sûrqu’il faille la dire laïque trop vite,sous peine de la réduire et del’instrumentaliser. Ce projet parti-cipe d’une éducation globale del’enfance, et nous ne serions pasles premiers à considérer qu’ils’agit d’un achèvement du pro-gramme éducatif, ainsi que l’avaitbien vu la plupart des représen-tants de l’Education jadis nou-velle : ne citons ici queMontessori et Freinet.

Il y a toutefois une actualitéde cette problématique quitient à ce qu’est devenue l’en-fance aujourd’hui. Le diagnos-tic est connu : des enfantsprisonniers du présent, n’ima-ginant plus qu’on puisse tran-siger sur la réalisation deleurs désirs, et donc parfaite-ment conditionnés à l’offre deconsommation compulsive denotre société. L’appel lancé à laspiritualité est donc une sorted’appel au secours. Comme sil’école était capable de contribuerà une sorte de réveil de l’enfance.Capable de consentir à son ennui,de le traverser, l’enfant pourrait re-trouver le goût de la gratuité, la

capacité de recul, le souffle d’unevie élargie ; capable d’habiter le si-lence, il pourrait retrouver le mur-mure des choses et réécouter laprose du monde ; invité à prati-quer des rituels immémoriaux, ilpourrait commencer à réhabiter lasociété en frère etc. Il y va donc depratiques scolaires à retrouver, àconforter, à inventer.

Se pose toutefois la question dela compatibilité entre le projet del’école et la tolérance à la spiritua-lité. Celle-ci relève de l’expé-rience intime, de l’interpellationintérieure, d’une ébauche de re-lecture de sa vie, voire de son his-toire personnelle. Toutes cespostures posent une question fon-damentale à l’école, puisqu’ellesne relèvent pas d’un savoirconstruit par le sujet qui apprend,mais qu’elles relèvent de l’appel,

de la surprise, du non programma-ble… Ne disons pas trop vite quela spiritualité ne s’apprend pas : ily a des techniques pour ! Maisl’école se pilote de plus en pluspar des statistiques basées surl’évaluation des compétences : ladisposition qui me permet de

donner du sens à ma vie n’estpas à ce jour une compétence, etson évaluation n’est mesurablepar aucun spiromètre.

Ce diagnostic dégage donc uncertain nombre d’enjeux et d’obs-tacles. Des chantiers permanentssont ouverts pour concilier àl’école l’indiscutable nécessitéd’ouvrir à la spiritualité, et lecontexte institutionnel qui n’estpas conçu pour cela. J’évoqueraiquelques actions qui y participent,en les complétant par les préco-nisations nécessaires.

Mutualiser les bonnespratiques !

Les pistes que j’évoque ici ontété travaillées il y a quelques an-nées, dans le cadre de la forma-tion des enseignants à l’IUFM,

puis à l’ESPE de Bourgogne.

Postures, attitudes,émotions. La liste seraitbien trop longue à dresserdes opportunités à utili-ser, des rituels à installer.Rappelons le « Quoi deneuf » de Freinet, que descollègues ont su transfor-mer en « Quoi dejoyeux ? ». Toutes les va-riantes sont possibles quipermettent à l’élève deformuler ses émotions po-sitives, de développer une

estime de soi qui donne de lavaleur à sa personne. Quant auxémotions potentiellement dange-reuses, la colère par exemple, desdispositifs existent pour les régu-ler. Les pratiques de résolutionnon violente des conflits, renduespossibles par l’inscription de

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médiations diverses dans l’espacescolaire, assurées par les adultesou les élèves installent un nou-veau rapport au temps qui fait par-tie des objectifs visés : relecturede l’action, décentration des ac-teurs, mise en œuvre du délai etc.Nos élèves redonneront du souffleet donc du sens à leur vie s’ilssont capables de se désengluerde l’instant présent et de la jouis-sance immédiate.

Le silence et la contemplationpeuvent retrouver une place dechoix dans les dispositifs scolaires,à condition de créer les conditionsd’un sursis possible dans l’accès àla parole. Être spectateur de sa pro-pre réflexion, du délai pris pour uneréponse peuvent ouvrir à l’espaced’une spiritualité entendue commeconsentement à l’ « ouvert », à l’exis-tence de questions immémoriales,comme celles qui peuvent être trai-tées dans les petits ateliers de phi-losophie, et pour lesquelles laréponse n’est pas l’essentiel. Celaimplique que l’école ne soit passeulement le lieu qui donnerait lesbonnes réponses avant mêmeque tous aient eu le temps deposer leurs questions. Les rituelsmis en place à l’occasion des ate-liers de philosophie, en garantis-sant le droit au silence, préserventaussi l’espace inaliénable de l’in-timité de chacun. La spiritualitécommence aussi avec la résis-tance aux pensées dominantes etuniques.

Les classes transplantées fu-rent souvent l’occasion de médita-tions inachevées avec nos élèves,que ce soit face à un coucher desoleil, à un ciel étoilé ou lors del’affût pour entendre bramer lecerf. Reconquérir le silence pourfaire exister le monde. Réharmoniser

le rythme de l’école avec le soufflede l’enfant.

Enfin les programmes et activi-tés peuvent être traités de façonplus ou moins spirituelle. Il faut sa-voir renoncer à l’injonction de par-ler ou de faire parler, au moinsprovisoirement, le temps que lacomplicité avec le monde ou l’œu-vre se construise. Le face à faceavec l’œuvre d’art est ouverture àl’altérité du processus créatif.Contempler avant de commenter.Les programmes d’histoire nesubstitueront pas la galerie dessaints à celle des héros et des gé-néraux. Mais il faudra bien que lesfaits servent aussi à hiérarchiserles valeurs. Traverser la guerre ducôté des collabos ou des justesn’est pas identique. A condition depouvoir enseigner la Shoah.

Quelles préconisations ?On voit bien qu’il ne s’agit ni de

changer les programmes ni d’enrédiger de nouveaux, ni de réintro-duire quoi que ce soit qui auraitdisparu. Il s’agit de permettre àl’école d’exister selon un certainstyle. Non pas qu’il y ait une péda-gogie de la spiritualité, mais il y ades conditions qui la rendent pos-sible. L’évaluation permanente del’école par les nombres, sa re-cherche d’efficacité contribuent àproposer un modèle de réussitequi n’a rien de spirituel. La compé-tition n’est pas la coopération, cer-tains rythmes scolaires ne laissentpas les enfants souffler, et noustenons que le souffle a à voir avecla spiritualité. S’il y a bien quelquechose à attendre de l’institution,c’est qu’elle laisse « souffler » tousses acteurs.

La formation des enseignantsne peut oublier qu’il s’agit de lesaider à accompagner l’éducationintégrale de la personne del’élève. Pas seulement l’inculca-tion de savoirs dits utiles, pas seu-lement le développement decompétences évaluables, et pourle coup, pas seulement le vivre en-semble.

Il faudrait rappeler que l’enfantn’est pas seulement un futur ci-toyen, même si cet accomplisse-ment adulte lui permettra demettre en œuvre la fraternité et lagénérosité transmises par les pro-grammes d’éducation civique. Ils’agit aussi de s’adresser à la per-sonne de l’élève solitaire, engagédans le combat spirituel de l’arra-chement à tous les conditionne-ments, tous les déterminismes, àl’emprise aliénante du groupe. Laposture solitaire est la seule pos-ture éminemment spirituelle. Enmême temps que l’école doitcontribuer à reconstruire du vraicollectif, de vraies compétencesd’élaboration d’un destin partagé,elle doit aussi ménager les es-paces et les pratiques de solitudequi permettront à chaque élève dedevenir soi-même.

Pierre DurandDijon

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Actes du colloqueLes actes des Semaines sociales2016 sont parus, ils sont disponi-bles, sur Bod.fr au format papier eten e-book sur les sites de vente.

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La spiritualité est à la mode, depréférence elle est non religieusedans nos médias et profondémentindividuelle. Elle est facilementbouddhique, de plus en plus sou-vent chamanique mais ni chré-tienne ni même musulmane. Or larelation avec l’au-delà de soi-même a créé des événements,non seulement des conversionsindividuelles mais des phéno-mènes collectifs de part et d’autrede la Méditerranée. L’avantage del’histoire est qu’on peut les analy-ser sans danger pour comprendreleurs mécanismes aujourd’hui.Mais dans l’acte d’enseigner, jecrois beaucoup plus à l’impor-tance de transmettre une convic-tion personnelle sans agressivité,plus en tout cas que seulement unsavoir ou même une culture. Carje me suis souvent posé la ques-tion comme enseignante : doit-onen rester à l’histoire des religionsen remplaçant une histoire saintepar une histoire vraie ? Peut-on secontenter de la présentation defiches de culture religieuse objec-tives et calibrées ? Ce qui inté-resse est souvent au-delà desapparences, c’est du moins monexpérience.

Surtout ne pas donner l’impres-sion qu’on assène un catéchismetout fait mais qu’on pose autre-ment les questions et que touteapproche du religieux doit êtrefaite de questions et non de ré-ponses, d’un vécu et nond’images médiatiques. La mé-fiance à l’égard de l’enseignementdes doctrines dans un cadre laïcest en effet liée à la confusionentre culture religieuse ou histoiredes religions et catéchisme. Il fautd’abord briser cette confusion

pour accéder aux structures pro-fondes de la spiritualité car le ca-téchisme, initiation croyante faitepar des croyants n’est pas affaired’enseignement mais de témoi-gnage. Pour arriver à parler de spi-ritualité, nous cherchons autrechose qu’une présentation ency-clopédique des contenus, pour la-quelle il y a d’ailleurs actuellementd’excellents manuels. Nous vou-lons éduquer à la lecture des si-gnifications de ce qui fait lefondement des systèmes de pen-sée qui ont produit du patrimoine(dans tous les sens du terme, à lafois matériel et mental, des façonsde penser les choses et lemonde). Ce n’est pas seulementpar l’analyse du patrimoine maté-riel mais par celle du patrimoinedoctrinal, des manières de penserl’homme et le monde que l’on dé-fendra la tolérance.

Mon expérienceMon expérience est maintenant

très ancienne, surtout pour l’en-seignement en lycée et collège(1971-1976 !), mais elle m’a laisséquelques convictions.

Au lycéeLes religions intéressent les

élèves, au moins les ados et lesétudiants

J’ai commencé à enseigner l’his-toire en lycée technique. J’avaispeu d’heures et des gamins de se-conde peu accrochés à des coursordinaires d’histoire-géo, avec unprogramme ne touchant pas dutout à l’histoire religieuse. Pour-tant en vivant un peu avec eux(hand et ski), des questions sontvenues, toujours pour savoir ce

que je croyais personnellement,d’autant que j’avais une classed’adaptation pour des jeunes ve-nant des CAP qui avaient à peuprès mon âge. Comme le pro-gramme n’était pas trop lourd, j’aibeaucoup organisé des débats,sur différents sujets, et surtoutavec des témoins (camps deconcentration, sexualité (maisoui), tabac et drogues…) Ce futpassionnant car ils s’entendaientbien et étaient particulièrementsolidaires.

Bien entendu, mes réponsessont arrivées aux oreilles des col-lègues et je me souviens de dis-cussions endiablées à midi àpropos de religion et de questionstrès pointues sur la Vierge ou larésurrection. Les profs n’étaientpas hostiles, seulement anticléri-caux parfois, ce que j’étais moi-même, mais mes compétencesthéologiques étaient limitées…c’est ainsi que j’ai entamé une for-mation théologique. A l’époque,sortant des concours, je n’étaisspécialiste que d’histoire démo-graphique et sociale !

Très vite nommée sur un postefixe en collège, j’ai tout de suite eul’ensemble des classes mais trèsvite aussi la meilleure et la piredes 3e, ce qui m’a permis de pour-suivre mon expérience du lycéetechnique car ces élèves parfoistrès perturbés étaient en quête desens. J’ai surtout le souvenir dediscussions sur la justice, l’origineet le sens de la vie. Dans les au-tres classes, il était naturel que jecommente la Bible en 6e et lesicônes et images en 5e, les textesde Luther et Calvin en 4e.

Recherche de sens et de spiritualitédans l’enseignement public

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L’accroche la plus intéressantea été avec les parents. J’utilisaisune Bible de Jérusalem en classeet plusieurs parents témoins deJéhovah m’ont reproché sansagressivité de ne pas employerune « vraie » Bible. Occasion d’undialogue avec tous lors d’une réu-nion. Les autres ont trouvé eneffet qu’ils ne connaissaient pasbien la Bible. J’ai donc monté ungroupe biblique de chrétiens endélicatesse avec leur Eglise horsdu collège, chez l’un d’eux. Nouspréparions les textes du di-manche, car la majorité avait suiviun catéchisme. J’ai même invitéune fois le curé, un jésuite je crois,qui a accepté de venir nous voir etnous écouter et a trouvé sympa-thique qu’on utilise les textes dudimanche. Au bout de la deuxièmeou troisième réunion, j’ai proposéde commencer par un Notre Père.C’est parfaitement passé.

Mais cela n’a duré que quelquesmois car cette année-là, en 1975-1976, j’ai été recrutée en université.

À l’universitéA l’université, je me suis trouvée

dans la bataille pour l’enseigne-ment du fait religieux et la défensedu patrimoine.

Tous les choix religieux et anti-religieux étaient présents danscette grosse université de Paris 1.Eduquée tout au long dans l’ensei-gnement public, je n’avais pas dedifficulté à affronter les différentsmilieux sécularisés. L’ouvertureétait très grande mais dansl’après mai 68, parler directementde religion était impossible. C’estdonc dans le commentaire de do-cuments sur les révoltes (parexemple Thomas Muntzer ou surles dévots du règne de Louis XIII)

que passait une culture religieuse.Les étudiants en étaient assezfriands et nul ne m’a jamais accu-sée de contrevenir à la laïcité. Laraison en est simple, il s’agissaitde comprendre le vocabulaire dedocuments de la première moder-nité… tabernacle, goupillon, maisaussi salut, élection, justification,libre examen, etc.

Très vite, nous avons observéque les étudiants étaient igno-rants devant un tableau de Boschou de Poussin. L’idée d’initiationau patrimoine a commencé à sedévelopper au milieu des années80. Alors, Robert Fossier a mis enplace une formation continue pourles profs du secondaire.

Dans les années 90, on com-mençait à penser au fait religieux.Le rapport Joutard avait déjà misl’accent sur la nécessité de sup-pléer le manque de culture reli-gieuse en s’appuyant sur lesprogrammes d’histoire existants etsans créer un enseignement pro-pre du fait religieux qu’on avaitpensé confier à des clercs de cha-cune des religions ! Très vite, lesprofs d’histoire-géographie ont ré-pondu. Très vite aussi le besoin deformer les enseignants est devenuun leitmotiv.

L’enseignement desreligions

J’ai introduit l’enseignement desreligions dans la préparation auxconcours. L’université Paris 1 estune fabrique de futurs ensei-gnants et donc de préparation auxconcours. À plusieurs reprises,des questions d’histoire religieuse

sont venues auprogrammedes concours,en histoirem é d i é va l e ,moderne ouc o n t e m p o -raine, endépit des at-taques laï-cardes. Bonmoyen dansles amphis de

tester les at-tentes des jeunes

à cet égard. Tout au long des an-nées 1990-2000, je suis restéemarquée par l’ignorance, atten-due, mais aussi par leur difficultéà se déclarer confessionnellementdans les amphis. Lors d’un T.D.d’explication de document où lanotion de tabernacle était abordéedu côté de l’Ancien Testament parune étudiante, juive à l’évidence,vers 2000 peut être, j’ai fait l’inter-rogation orale suivante : « qui asubi un catéchisme ou une forma-tion à une religion ? » seuls deuxpuis trois ont levé la main sur 250.Renseignements pris ensuite, ilsétaient tous dans les mouvancescharismatiques.

J’ai dû expliquer à un juif radicalque s’il refusait de travailler le sa-medi, il ne serait pas titularisédans l’enseignement public et àune jeune femme voilée, d’origine

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bretonne d’ailleurs, qu’elle devraitôter son voile pour passer leconcours et enseigner. Je sais quele premier, après avoir réussi leCapes, n’a pas été titularisé et laseconde me semble avoir disparu.Pourtant, ces convaincus savaientdiscuter pour témoigner de cequ’ils vivaient à l’intérieur de leurreligion et cela était incontestable-ment un progrès pour tous. J’ai ré-cupéré comme cela une année unétudiant qui voulait travailler sur lestraditions soufies en Master et quiest entré dans l’enseignement pu-blic sans problème. Je dois direque les beurs et beurettes m’ontbien plus impressionnée que lesétudiants d’origine juive, protes-tante, catholique ou bouddhiste

Il n’en demeure pas moins quesi les jeunes se sont montrés trèsréceptifs et tolérants, ce n’est pasle cas des cadres de l’éducationnationale ! J’ose espérer qu’ils ontlu le dernier essai de Jean Birn-baum, « Un silence religieux, Lagauche face au djihadisme » Paris,Seuil, 2016. Nous ne serons pasd’accord avec tout et en particulierl’idée qu’il n’y a plus d’utopie endehors de l’Islam, mais la méthodeest utile pour demander aux laï-cards ignorants d’aller se former.

Il y a eu aussi le moment patri-monial. La défense du patrimoineet de sa droite interprétation m’aamenée à créer l’un des premiersdiplômes professionnels le DESSpuis Master Histoire et gestion dupatrimoine, qui existe toujours àParis I et vient de fêter ses vingtans (une rareté dans ce type de di-plôme !). Là sont passées bien desconsidérations sur les bâtiments,les retables ou les images chré-tiennes. Pendant ce temps, il afallu très longtemps à Paris I pourcréer une formation aux trois mo-nothéismes par trois spécialistes

des religions tant il y avait descraintes que la laïcité ne soit pasrespectée…

Mon analyseVoila ma façon de comprendre

la quête d’un sens ou d’une spiri-tualité dans l’enseignement public

Après 45 ans d’enseignement,je commence à peine à compren-dre pourquoi cela passait. Face àl’irruption des religions du mondedans notre environnement euro-péen, notre laïcité doit relever ledéfi, éveiller au sens pour dépas-ser le consumérisme, faire com-prendre l’autre de façon à éviterles affrontements. Certes, maiscomment s’y prendre ? Les histo-riens ont été les premiers touchéspar ces questions.

Pratique personnelleMa pratique personnelle face à

l’histoire : passer d’un sens pourmoi à un sens pour tous.

L’histoire est bien commode carson enseignement est basé surune documentation à comprendreet à critiquer. Donc on peut fairesaisir pourquoi tel ou tel person-nage agit. Si on prend par exemplele cas Luther, on peut en rester àl’écume des choses (les indul-gences) mais aussi utiliser destextes brûlants sur la fin dumonde, l’urgence du salut et la li-berté de celui qui agit selon saconscience… Son texte sur La Li-berté du chrétien s’y prête parfai-tement. On peut même renouvelerl’image de la Vierge et donc de lafemme à travers son petit textecommentant le Magnificat (nonaccessible en Pléiade, mais çaviendra sans doute dans l’année).C’est ainsi que tout historien peututiliser des textes du patrimoinereligieux au-delà des Ecritures

pour suggérer le souffle du divinsur toute action. On peut ensei-gner l’histoire et nourrir sa foi enmême temps. J’ai par exemple dé-couvert les poèmes de Jean de laCroix ou Thérèse d’Avila en prati-quant l’espagnol et le françaismerveilleux de Calvin. Mais j’aiaussi cherché à comprendre lechristianisme oriental à travers lesRécits du pèlerin Russe… on peutmultiplier les exemples. Faire com-prendre la violence terrible desguerres de religion à partir deBlaise de Monluc, le soldat profes-sionnel face à la guerre civile, oule lyrisme nationaliste dans lesouffle poétique de Charles Péguy.

On peut faire la même démons-tration en décryptant des lieux etobjets d’histoire de l’art. Donner àcomprendre un sens qui débordela représentation pour mener plusloin. Pourtant, il est difficile de dé-passer les descriptions exté-rieures au phénomène religieux etde saisir la puissance de transfor-mation individuelle et collectivequ’induit le choix religieux. Pourentrer dans ces profondeurs, jecrois qu’il faut passer par un médiaextérieur, qui permette plusieurs ni-veaux de lecture et l’apprivoise-ment de notions spirituellesinconnues de la majorité de noscollègues. L’un de ces médias estle cinéma, plus exactement le ci-néma de fiction1. Le cinéma est deces instruments pour entrer plusprofond dans le mystère spirituel

Ce media permet en effet dedire mieux que tout autre l’indici-ble et en particulier le choix reli-gieux, la conversion ou le miracle,mais aussi le choix moral ou lerapport à la mort et aux morts dessociétés qui le produisent et lepromeuvent.

Le religieux est présent au ci-néma depuis l’origine et donc il

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nous raconte comment se heur-tent et évoluent les points de vue,devenant ainsi le témoin d’apolo-gétique ou d’antiapologétique de-puis un siècle. Il permet la critique,la comparaison, l’abord du sujetde façon détachée puisqu’il esttoujours fiction. Dans nos sociétésgorgées d’information, il me sem-ble que l’image de fiction montremieux que toute image réelle l’invi-sible, la quête du sens, l’imaginaireà l’œuvre dans les consciences.

Pour comprendre les ressortsde l’action dans une culture don-née chrétienne, rien ne vaut eneffet le cinéma, qui dévoile desstructures mentales conscientesou inconscientes. Le Western bienplus que le cinéma de patronageou de pèlerinage. Seuls le décryp-tage et la discussion permettentd’aller plus loin que l’action oul’émotion et forment une culturede l’image utile pour décrypter leshomologues télévisuels.

Pratique œcuméniqueindispensable

Ce n’est pas un hasard si reve-nant à l’Institut catholique de Parisaprès une interruption, commeprof, je me suis vue proposer demonter un cours d’histoire œcumé-nique à l’Institut Supérieurd’Etudes Œcuméniques (ISEO). Marecherche en histoire du XVIe siècleen est responsable. Dans cette pre-mière mondialisation, on a cherchéà se distinguer et à s’imposer, spi-rituellement et nationalement, ona cherché à cliver et non à rassem-bler alors que ce qui sépare cha-cun de nous est infime. La pratiquede l’ISEO pour enseigner et pourmonter colloques et travaux est lapreuve que tout est possible : la fra-ternité et la quête de l’unité de-mandées par l’Évangile mais aussile témoignage commun.

Les violences des guerres de re-ligion, bien dénommées guerresciviles, après les massacres de laSaint-Barthélemy sont devenuesaujourd’hui un champ d’étudeobligé pour les his-toriens qui en dé-cortiquent lescauses et les pro-cessus, mais aussipour ceux qui étu-dient les paix né-gociées etincertaines entrevoisins.

Au plus haut ni-veau, pouvoir par-ler d’Eucharistie,de justification, desalut… ou deMarie, de pri-mauté pontificale etde communion des saints sans sefâcher est une expérience pré-cieuse qu’on peut reconduire deniveau d’intervention en niveaud’intervention. Il suffit que chacunécoute. Le sentiment d’un Dieucommun construit par le dialogueet l’émotion communs peut alorsêtre partagé.

Pratique interreligieuseseulement esquissée

Entre temps, l’approche de lanotion de spiritualité s’est beau-coup élargie, jusqu’à passer de laquête du salut de l’âme à la rela-tion de l’humain avec ce qui le dé-passe. Peu à peu, débordée parla quête de sens, d’espoir ou delibération, elle est parfois deve-nue sans dieu, totalement décon-nectée, uniquement centrée surle développement personnel(New Age).

J’ai beaucoup formé les étu-diants et les enseignants, maisaussi, par exemple certains

groupes juifs et protestants surl’idée de création, sur les rituels etplus encore sur les grands lieux depèlerinage, Rome plus que San-tiago en fait.

Le pèlerinage est intéressantcar il permet des comparaisonsassez riches comme le montrentles travaux du CARE (CNRS) à lasuite d’Alphonse Dupront. Sur lesgrands lieux de pèlerinage dumonde, sur les reliques et les mi-racles, on peut réfléchir au liendes individus et des groupes avecle sacré. J’ai tenté de le faire auJapon par ex. Sans doute pas lemeilleur lieu pour cela.

Entre le sacré chrétien et les au-tres sacrés, il faut bien compren-dre qu’il y a des différencesconsidérables derrière des gesteset des rites qui sont proches. Desconcepts comme Création, Élec-tion, Salut… ne passent pas ail-leurs.

ConclusionPourquoi parler de spiritualité

en classe et sur quoi le faire ?

D’abord le désir de partager unsens du temps présent. Sans ou-blier l’intérêt du passé pour évo-

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photo AM Marty

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quer des questions trop brûlantes.Exemple, les guerres de religionface à la violence montante.

Une volonté de montrer un au-delà vivant, mobilisateur et joyeux,qui rassure et construit chacund’entre nous. Mais aussi le désirde montrer les religions de l’inté-rieur, à travers leurs structuresdoctrinales : il est indispensablede rendre compte des doctrinesprivilégiées qui sous-tendent unecivilisation car elles permettent dela comprendre de l’intérieur et dela voir à l’œuvre à l’insu même deceux qui y participent. Si la thèsede Max Weber sur l’Ethique pro-testante et l’esprit du capitalismereste aujourd’hui à la fois discutéeet fascinante, c’est justement qu’ilmettait pour la première fois envaleur les mécanismes des repré-sentations d’un moment commeressorts de l’action collective.

Les images2

Présenter une Vierge de Vladi-mir, une Trinité de Roublev ou uneNativité de La Tour sans parler del’Incarnation, c’est donc rater unestructure profonde de notre imagi-naire de la maternité et de la rela-tion familiale. Commenter lacrucifixion du retable d’Isenheimsans dire que les panneaux dusupplice s’ouvrent sur ceux de laRésurrection, c’est réduire l’œuvred’art. C’est parce que les pèlerinsdu sanctuaire, atteints du mal desardents (intoxication au seigle er-goté) pouvaient, par un acte de foiguidé par la représentation icono-graphique, croire en la Résurrec-tion de ces chairs décomposéesqu’ils pouvaient espérer la guéri-son en cette vie ou en l’autre.

les autres civilisationsDécrypter une spiritualité locale,

animiste, New Age, bouddhiste,

musulmane ou chrétienne sup-pose aussi une approche laïquede la pensée religieuse dans nossociétés postmodernes. Que veutdire être croyant non pratiquant,pratiquer une spiritualité sans ap-partenance religieuse instituée ?Le retour au paganisme et au cha-manisme qui postulent la domina-tion des forces de la nature surl’homme derrière l’idée d’être “enharmonie avec la nature” est-ilune panacée ? Prendre pour com-pagnon un Jésus-Christ historiquehomme et Dieu à la fois a desconséquences sur la manière decomprendre les relations avec lesautres, avec la nature et avecl’État. Il faut le savoir. Il en est demême dans les autres grandesspiritualités. Comme chrétiens,nous avons à faire passer ce quiest au fondement de chaque civi-lisation mais sans oublier la nôtre,si malmenée actuellement. Doncla Création ex nihilo, l’Incarnation,la Trinité (modèle de la communi-cation instantanée), la Résurrec-tion et non la Réincarnation… lesentiment de l’Élection person-nelle ou collective ce qui tisse in-contestablement la spiritualitéchrétienne.

Nous sommes ainsi loin d’un ca-téchisme mais proches des ques-tions fondamentales qui sont etseront posées dans notre monde.

Nicole LemaitreProfesseur d’histoire honoraire à

Paris I

1 Les réflexions qui suivent se veulenten continuité avec mon article : NicoleLemaitre, Idée de modernité et patri-moine immatériel, dans L’enseigne-ment du fait religieux, (Actes de laDESCO), Paris, 2003, p. 307-324. 2 Voir le commentaire fait par NicoleLemaitre à la fin de ce dossier.

Depuis maintenant huit ans,j’inscris ma classe (CE2-CM1) auprojet « Ecole et cinéma »1. Depuissix ans la classe de ma collègue(CM1-CM2) vient avec nous. Ils’agit d’aller voir trois films surl’année au cinéma le plus prochede chez nous, c’est-à-dire à 23km.

Le cinéma c’est le 7ème art, ainsije considère que nos visites au ci-néma René Fallet de Dompierre-sur-Besbre entrent dans le domaine del’Histoire des Arts.

Préparer la séanceTout d’abord, il faut apprendre

aux élèves à être des spectateursdiscrets et respectueux des au-tres. On ne fait pas de commen-taires à son voisin et on gardedans sa tête les réflexions quenous suggèrent les images. Onn’est pas à la maison sur son ca-napé ; on ne se lève pas quand onen a envie, on reste attentif tout lelong du film. J’ai déjà amené mesélèves à des représentations àl’opéra voir La Bohème et La Flûteenchantée, et je demande lamême attention respectueuse. Ilsen sont capables si on a préparél’histoire avant et s’ils ont despistes pour observer des chosesprécises dont on parlera dès le re-tour en classe.

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École et cinéma

Le cinéma est un auxiliaire pé-dagogique particulièrement ap-précié par Nicole Lemaitre et sescollègues d’histoire, mais aussipar d’autres, comme CatherineListrat professeur des écoles dansune zone rurale de l’Allier.

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Le film qui fut le plus difficile àpréparer et pour lequel je ne sa-vais pas à quelles réactions m’at-tendre fut Le Monde vivantd’Eugène Green. Curieusementc’est le seul film en huit ans quireçut un tonnerre d’applaudisse-ments à la fin ! J’ai réalisé com-bien les enfants recevaient lesimages sans se poser de ques-tions et savaient d’eux-mêmesfaire abstraction des codes quiparfois gênent les adultes.

Sur trois ans, les enfants voientneuf films qui font partie de notrepatrimoine. Ils découvrent des cul-tures différentes car beaucoup defilms sont étrangers. Ils appren-nent à être des spectateurs atten-

tifs. Nous discutons toujours dudéroulement des histoires dansles films et des émotions provo-quées. Et mon grand plaisir estlorsqu’ils me disent : “Tu sais maî-tresse, le film qu’on a vu avec toiest passé à la télé et on l’a re-gardé à la maison avec mes pa-rents.”

Une ouverture sur lemonde et la culture

Lors de ces projections nous es-sayons toujours de décrypter lesimages et de beaucoup en discu-ter, ce qui permet, comme l’a ditNicole Lemaitre dans sa confé-rence sur la spiritualité, « d’allerplus loin que l’action ou l’émotionet de former une culture del’image utile pour décrypter les ho-mologues télévisuels.»

Catherine ListratAllier

1. Ce dispositif existe à tous les ni-veaux d’enseignement : collège et ci-néma, lycée et cinéma…2. Il existe un site conçu par « Les en-fants du cinéma » qui présente lesfilms du catalogue d’ « école et ci-néma », il s’agit de :www.nanouk-ec.com 3. Voir l’article d’Isabelle Tellier, page 38

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Il faut toujours donner le synop-sis et présenter les personnagesavant la projection. La grande an-goisse des élèves est que le filmsoit en noir et blanc… Signe poureux que le film est vieux et seradonc ennuyeux. Pour des filmsd’animation, l’enthousiasme esttoujours présent, car ils corres-pondent à ce qu’ils connaissent.

Il m’est arrivé de préparer cer-tains films en donnant des élé-ments du vocabulaire du cinéma :les différents plans, la façon de fil-mer, les scènes… Mais il ne fautpas toujours décortiquer lesimages de façon technique. Par-fois c’est seulement le plaisir quil’emporte.

Des films très diversLes films proposés par ce projet

sont très divers2 :

J’ai déjà parlé des films d’ani-mation, surtout des films japo-nais3 tels que Mon voisin Totoro,Ponyo sur la falaise. Les enfantssont surpris car beaucoup d’élé-ments culturels qui leur sontétrangers sont véhiculés par cesdessins animés.

Les films étrangers font réfléchirsur ces habitudes tellement diffé-rentes des nôtres : Le chien jaunede Mongolie, Jiburo, où on voitque les enfants ne sont pas élevésde la même façon dans les autrespays.

Des classiques, comme les filmsde Tati ou de Charlie Chaplin, fontpartie de notre patrimoine et lesenfants les découvrent avec joie…même s’ils sont en noir et blanc.Ce qui permet de tordre le cou auxidées reçues évoquées plus haut.Bien sûr le fait que l’humour soitprésent n’est pas négligeable.

Le monde vivantC’est un film en couleurs de2003. C’est un conte avec lesingrédients classiques tels quedeux chevaliers, une princesseà délivrer, un ogre, des enfantsprisonniers. Donc les élèves nesont pas dépaysés... mais leschevaliers sont en jean’s, lesacteurs parlent lentement enfaisant toutes les liaisons dutexte. La femme de l’ogre aideun des chevaliers et va l’aimer.Le rôle de l’imagination est trèsimportant : le « chevalier-r-au-lion » (avec la liaison !) estaccompagné d’un labrador, lesenfants trouvent un bébééléphant (ils ont un lapin dansles bras)... En fait on dirait duthéâtre, et chaque scène estune surprise. L’histoire finitbien car les chevaliersépousent la princesse et lafemme de l’ogre qui est mortdans un combat.

École et cinéma

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Trois ans après mon départ à la re-traite, en 2014, quand je relis ma car-rière de professeur de lettresclassiques en lycée puis en classes pré-paratoires littéraires, il me semble bienvoir se dessiner une sorte de ligne di-rectrice de mon enseignement : la vo-lonté d’ouvrir chacun de mes élèves àla question du sens. Certes un profes-seur de lettres se doit d’être un spécia-liste du sens des textes qu’il s’efforcede construire avec ses élèves, spécia-liste aussi, en tant qu’enseignant delatin et de grec, du sens et du contre-sens en version ! Mais la question dusens ne saurait évidemment se limiterà la signification des textes ou des œu-vres, il s’agit aussi et surtout, à traversles différents objets d’étude, d’amenerles élèves à s’interroger sur une sortede sens supérieur, qui est le sens du sa-voir, le sens du monde et de la vie. Il nes’agit pas exactement ou pas seule-ment de spiritualité, mais les deux ap-proches – l’éveil à la question du senset l’ouverture à la dimension spirituellene sont pas sans lien.

J’ai enseigné à une époque où, dansla lignée du structuralisme et de sa pré-tention affichée, par exemple en lin-guistique, de faire abstraction du sens,au moins dans un premier temps, onrisquait de considérer la significationcomme plus ou moins secondaire. Jecrois que les choses sont en train dechanger1, mais je me souviens des ma-nuels envahis par le jargon de la rhéto-rique et de la stylistique, qu’on forçaitles élèves à ingurgiter, non sans effetssecondaires plus ou moins graves : j’aivu par exemple des générationsd’élèves se gargariser d’oxymores2, eten trouver un peu partout et surtout làoù il n’y en avait pas, sans jamais s’in-terroger sur l’effet de sens ainsi recher-ché. La pratique forcenée del’argumentation, qui a sévi longtemps

dans l’enseignement du français en2nde et 1ère, rejoignait parfois la vieillesophistique grecque : être capable deplaider le pour et le contre sur unmême sujet ; rendre le plus fort l’argu-ment le plus faible et inversement, aurisque d’une sorte de relativisme géné-ralisé – et destructeur pour la formationdu citoyen – suivant lequel tout se vaut.Enseignant le français en hypokhâgne,je me suis souvent interrogé sur lesprésupposés idéologiques qui faisaientprivilégier les questions formelles :perspective générique3, problèmes del’écriture, sur lesquels doit déboucher,en troisième partie, toute bonne disser-tation littéraire. Sans nier la nécessitéde l’acquisition d’un vocabulaire tech-nique minimal, sans ignorer l’intérêtdes problèmes de genre littéraire oud’écriture, il m’a toujours semblé qu’ilfallait en définitive dégager des effetsde sens : non pas chercher, comme ledisaient si maladroitement certainsélèves, le « message » transmis par letexte4, mais essayer de comprendre ceque le texte peut nous dire aujourd’hui,à nous lecteurs de notre temps, danssa complexité et la richesse de ses im-plications. Alors la littérature apparaîtbien pour ce qu’elle doit être : non pasun luxe inutile, mais une activité vitale,qui nous éclaire sur le monde, sur lesautres et sur nous-mêmes.

Alors, quand on enseigne les lettreset qu’on a la conviction que l’éveil à laquestion du sens doit être au centre deson enseignement, on peut privilégiercertaines œuvres en fonction de cet ob-jectif. J’ai étudié assez souvent LaPeste de Camus avec mes élèves depremière même si, d’un point de vuepurement littéraire, ce roman n’estqu’une demi-réussite ; j’ai mis Claudelet Le Partage de Midi au programmed’une classe d’hypokhâgne ; j’ai pro-longé l’étude d’Un Roi sans divertisse-

Éveiller à la question du sens dansl’enseignement public

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ment de Giono, en terminale et en hy-pokhâgne, par la lecture de quelquestextes de Pascal. J’ai même pu, enclasse de grec, inscrire dans la liste éta-blie pour l’oral du bac, à côté de textesplus classiques, quelques paraboles del’Evangile de Luc (le fils prodigue, le bonSamaritain), sans m’attirer le moindreproblème du côté des parents, bienqu’aucun élève n’ait jamais été inter-rogé, le jour de l’épreuve, à ma connais-sance du moins, sur l’un de ces textes !Cela pour dire qu’on peut se permettrecertaines audaces. On se souvientpeut-être du passage de La Peste où ledocteur Rieux explique que les chré-tiens ne sont pas conséquents : ils pro-clament en effet, dit-il, qu’ils croient enun Dieu tout-puissant et ils se contredi-sent en recourant au médecin alorsqu’ils devraient laisser à leur Dieu lesoin de les guérir ! Comme je trouvaisl’argument assez sophistique et parfai-tement insupportable, je faisais lire àmes élèves, après avoir étudié le textede Camus, un extrait du livre du PèreVarillon, Joie de croire, joie de vivre, oùil explique que la toute-puissance deDieu n’est pas le super pouvoir d’unmagicien mais la toute-puissance del’amour, qui est finalement une toute-faiblesse, puisque l’amour rend vulné-rable. Je crois qu’en agissant ainsi,j’étais honnête et tout à fait fidèle auxvaleurs de la laïcité ; au demeurantn’ai-je jamais encouru de remarques dequiconque à ce sujet.

Pour terminer je voudrais reprendrequatre propositions, éminemment dis-cutables, cela va de soi, que je faisaisen 2004, lors d’une rencontre locale5,à Rouen, alors que j’étais encore en ac-tivité, et qui me semblent n’avoir rienperdu de leur actualité:

1. Rappeler aux élèves, à temps et àcontretemps, qu’ils ne sont pas là seu-lement pour réussir un examen ou avoirun métier. Nos ambitions sont plushautes : il s’agit de leur fournir un ba-gage qui les aidera à vivre et à être li-

bres en sachant porter un jugement cri-tique sur ce qui leur est proposé, dansle domaine de la culture, de la poli-tique, du divertissement, de la consom-mation. Il s’agit de leur donner lesmoyens de prendre une position per-sonnelle face aux problèmes du mondeet de la vie, bref de construire un sens.

2. Leur enseigner la gratuité. Il y adéjà longtemps j’avais commencé l’an-née, en guise de provocation, en disantà des élèves latinistes de terminalescientifique : “Quelle chance vous avez,pendant trois heures par semaine nousallons nous retrouver pour fairequelque chose, du latin, qui ne sert àrien !” Quelle chance en effet, quelluxe de pouvoir passer des heures àétudier une langue ancienne, uneœuvre littéraire, philosophique, musi-cale ou picturale, ou un raisonne-ment mathématique !

3. Faire émerger, chaque fois quec’est possible, à l’occasion des diversobjets d’étude, les grandes questionsqui sont comme des constantes de laréflexion de l’humanité sur elle-même :l’attitude face à autrui, l’engagementdans la cité, le problème du bonheur etdu sens de la vie, la question de la mortet des fins dernières…

4. Par une ouverture aux autres disci-plines, qui n’est pas forcément un tra-vail interdisciplinaire, faire ressortir unecertaine cohérence du savoir : à traversles différentes sphères du savoir il mesemble en effet que l’humanité s’ef-force de construire un sens, instable etpluriel par définition, et de répondre auxgrandes questions qui la taraudent :questions de l’homme et du monde,question du sens de la vie.

Evidemment, je ne suis pas du toutsûr d’avoir rempli ce programme ambi-tieux ! Mais cela valait la peine d’es-sayer !

Jean-Louis Gourdain,Rouen

1. Tzvetan Todorov, grandthéoricien de la littératureen général et du genre fan-tastique en particulier, s’estélevé, vers la fin de sa vie,contre l’approche trop tech-niciste de la littératuredans l’enseignement dansun petit ouvrage, à lire et àméditer : La Littérature enpéril, Paris, Flammarion,20072. L’oxymore est une al-liance de mots contraires.L’exemple typique en estemprunté au Cid de Cor-neille : « Cette obscureclarté qui tombe desétoiles. 3. Il s’agit des genres litté-raires.4. Ce qui fait en effet l’inté-rêt du texte littéraire, c’estprécisément qu’il ne sau-rait se réduire à un mes-sage univoque.5. Rencontre intitulée :L’école : supermarché dusavoir ou lieu de transmis-sion du sens ?

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Je ferai une seule partie joignantexpériences et diagnostic, puisferai quelques propositions.

SouvenirsQuelques souvenirs remontant

tous au-delà de 12 ans :

Comme père d’élèves en lycéepublic, j’ai plusieurs fois été cho-qué que des professeurs se décla-rent athées devant toute la classe,sans plus, alors qu’un de mesamis, par ailleurs responsable duSNES se présentait à sa classe, audébut de l’année scolaire, comme« catholique de gauche », pour queses élèves puissent savoir d’où ilparlait, précisait-il.

Un jour, dans la salle des profsde mon collège, un de mes cama-rades syndiqué (SNES) nous re-commandait de nous méfier de laprésidente des parents d’élèves etdéléguée au CE (Conseil d’Etablis-sement), car elle était une « appa-ratchik » du diocèse. Lelendemain, le secrétaire de notresection me demandait si je n’avaispas été trop choqué de cette miseen garde, s’excusant presqued’avoir laissé passer... Quand

cette déléguée, en fin de mandataux parents d’élèves, a quitté leCE, c’est le même camarade syn-diqué qui a proposé de lui offrirdes fleurs...

En classe de latin en 3°, unélève s’est étonné publiquementque l’on puisse encore croire endes niaiseries comme les mira-cles. Conscient de la gêne de cer-tains élèves, je me suis contentéde dire que dans une école laïqueon était tenu de respecter lescroyances des uns et des autres.J’ai vraiment regretté de ne pasavoir fait une réponse plus person-nelle, mais étais-je en droit d’allerplus loin ? Je continue à penserqu’une vraie laïcité ne s’y opposaitpas, sans en être sûr ; sans biensavoir jusqu’où j’avais le droit d’al-ler dans le témoignage personnel.Je pense que j’aurais pu dire queparmi les croyants il y avait des in-tellectuels de premier rang quipensaient intelligemment leur foi,et peut-être même aussi certainsde leurs profs.

Comme professeur de latin, j’aimonté toute une séquence sur leschrétiens dans l’Empire romain(Tacite, Pline le jeune, Minucius

Felix, mais aussi Burgess :Le temps des mécréantset le film Quo vadis ? ),sans avoir perçu la moin-dre critique venant de pa-rents d’élèves, même deceux de mes collèguesqui avaient leur enfantdans ma classe. Je nesais pas si un professeurnon-croyant aurait pré-senté une telle séquence– mais j’ai bien précisé à

mes élèves qu’il ne s’agissait pasde catéchisme mais de culture lit-téraire et historique.

Comme membre d’un groupe derecherche au CRDP, travaillantdans la ligne Mérieu, je me sou-viens qu’en présentant notre tra-vail à une séance du CRDPouverte au public enseignant,j’avais parlé de nos « valeurs »,j’avais, sans plus de précision, té-moigné que nous partagions lesmême valeurs, même si lessources de nos valeurs étaient di-verses...

ConclusionsJe tire plusieurs conclusions de

ces expériences.

D’abord que des enseignants,sans avoir conscience d’êtreagressifs, peuvent outrepasser undevoir de réserve, et miner lesconvictions de leurs élèves, dansun milieu de jeunes où êtrecroyant ou même avoir des préoc-cupations spirituelles n’est pas sifacile. Pour avoir accompagné desjeunes dans leur préparation dubac, je ressens que pour la plupartdes jeunes la foi chrétienne est del’ordre de l’impossibilité culturelle.

Ensuite que, sans avoir euconscience d’affirmer sa foi –sinon en communiant lors des en-terrements -, on peut être perçupar ses collègues comme chrétienet respecté comme tel.

Notre présence de chrétien (àmon avis un peu trop discrète,mais peut-être est-ce mieux ainsi)est capitale pour donner un peud’air au climat « spirituel » de nosécoles publiques.

Spiritualité et présenceen milieu laïque

photo A-M Marty

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Accessoirement, on est parfoisgêné d’être en concurrence avecdes écoles catholiques qui se don-nent des facilités pour « réussir »mieux que nous. Aujourd’hui c’estdevenu un lieu commun quel’école catholique est une meilleureécole... mais à quel prix évangé-lique... quand elle permet surtoutl’évitement des plus pauvres.

Le spirituelL’essentiel de ce que j’entrevois

n’est pas encore dit : il y a, decommun entre certains chrétienset certains athées ou agnostiques,ce que l’on appelle maintenant le« spirituel », qui est approché aussibien par des incroyants que pardes chrétiens et que l’on pourraitappeler l’ouvert : à la fois attentionau spirituel dans le sensible, cedont témoignent certaines œuvresd’art musicales ou plastiques, maisaussi des façons toutes simplesd’être créateur dans sa propre vieet de sa propre vie , une certaine «foi poétique » et une ouverture àl’autre avec une dimension de gé-nérosité et d’espérance, et le soucide la maison commune.

Tout ceci, qui échappe à la rai-son calculatrice et au souci de laperformance, pourrait être par-tagé dans l’école publique partous ceux, croyants ou non, qui onten commun cette conception del’homme et cette exigence qui fa-vorisent l’éclosion de l’humaindans l’homme et le petitd’homme. C’est de ce type deconvictions que l’enseignement abesoin, dans le public commedans le privé d’ailleurs...(Il y a eu sur ce sujet un dossierannuel des groupes secondaires,

auquel j’avais participé, avec unarticle intitulé : Le spirituel... lecœur ouvert de l’homme)

Quelles propositions ?Les chrétiens dans l’enseigne-

ment public devraient s’interrogereux-mêmes et s’encourager à œu-vrer avec cet horizon, témoignantqu’il y a moyen d’être porté par safoi, non vers des affirmations iden-titaires de sa différence, mais versune capacité de trouver le soufflesi nécessaire aujourd’hui pour af-fronter avec d’autres les défis dumonde qui vient.

Les communautés chrétienneset leurs responsables devraientdavantage faire confiance aux ins-titutions éducatives de la répu-blique, même en étant lucides surleurs manques, au moins savoirqu’il y a des chrétiens dans l’en-seignement public.

Qui est, comme moi, assezvieux pour se souvenir qu’à cer-taines époques l’Église de Francetémoignait publiquement de sonrespect pour l’Éducation natio-nale, et peut-être se souciait da-vantage de l’accompagnementspirituel des chrétiens qui yétaient engagés professionnelle-ment ou dans l’aumônerie... ?

On devrait éventuellement rappe-ler que des personnalités commeMounier et Marrou, par exemple,ont œuvré à acclimater la laïcitédans l’Église et, pour Marrou, la cul-ture chrétienne dans l’université.On devrait réfléchir sur ce que signi-fie « l’exculturation du christianisme», d’où cela vient, et les initiatives etles remises en question que cettesituation devrait susciter. Certains

auteurs ont dénoncé le « silencereligieux » qui règne dans la cul-ture sur toutes ces questions, etqui grève lourdement la cohabita-tion des groupes humains dansnos sociétés (on devrait pouvoirparler d’ailleurs de communautés,comme y autorise la commissionStasi, mais c’est devenu politique-ment incorrect).

Mais bon, ce n’est pas de conso-lations que nous avons besoin,mais de ressources théologiques,spirituelles, humaines, pour enga-ger une réflexion sur ce que la so-ciété attend de son école, sur lesefforts qu’elle est prête à consentirpour sa réussite, pour entrepren-dre, au cœur des tâches d’ensei-gnement et au-delà d’elles, unetâche d’initiation à l’humain quenous sentons tous si nécessaire, àlaquelle nous essayons de nousconsacrer, et qui est devant nouscomme un apprentissage à faireensemble... et merci aux SemainesSociales de France de travailler surce chantier.

Dans ce chantier, pourquoi nepas ouvrir, à la base et au som-met, des ateliers sur les pro-grammes (ou les activités) quinous semblent de nature à appor-ter une nourriture spirituelle ausens large, en étant aussi àl’écoute de ce dont les élèvespourraient témoigner sur ce quidans leur culture est source de vieen plénitude.

Marc FarineNord

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SP : Quel est l’intérêt premier decette pratique ?”

L : Le yoga pour les enfantsconduit à la distanciation desproblèmes. Sérénité, bienveillanceet rigueur s’associent. Il évite detourner en rond. Le travail sur lesémotions, le bien-être corporel, lespensées et le cœur en font desmoments riches d’échanges àtous niveaux. Cette pratique régu-lière modifie l’ambiance declasse : elle fait passer les élèvesde l’externe vers l’intérieur, sansconduire à l’individualisme dansun processus d’individuation1.

La motivation prend une autredimension : l’élève ne travailleplus pour une récompense oufaire plaisir à l’adulte ; sa motiva-tion2 devient intrinsèque, associéeau plaisir, à la stimulation et à laréalisation de l’activité.

SP : Comment le pratiques-tu ?

L : Par exemple, faire “émergerla joie” le lundi dès la premièreheure par la danse est une habi-tude qui mobilise les élèves et lesfait entrer dans ce processus…processus qui conduit à laconnaissance de soi-même et dessentiments humains.

Le langage oral est mobilisédans l’expression des différentsaspects des émotions, analyséespar les enfants à partir de texte(chacun peut prendre la parole,par le moyen d’un bâton de pa-role) ou de situations de conflits,sur lesquelles on prend le tempsde la discussion. Les mots sontdes fenêtres, il convient de tou-jours faire attention à une parolebienveillante. L’argumentations’améliore. L’estime de soi

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s’affirme et change les résultatsscolaires.

La souffrance de certains élèvesa un tel impact sur eux qu’ils nepeuvent accéder aux apprentis-sages. Le yoga en améliorant lebien-être individuel constitue unlevier de progression.

SP : Est-ce que le yoga est uneforme de spiritualité ?

L : Oui, il y a une élévation, on nereste pas sur le plan matériel et enmême temps on est dans unecertaine profondeur puisqu’ondécouvre ce que l’on a en soi !

Propos recueillis et mis en formepar Sylvie Paquet

1. Individuation, au sens jugien, est leprocessus de création et de distinc-tion de l’individu. Il peut signifier ensciences de l’éducation : “réalisationpersonnelle et cheminement vers ladécouverte de soi”

2. Cf pyramide de Maslow

Le yoga à l’école,pourquoi/comment ?

L.aurence Deteix-Debost, pro-fesseur des écoles, maître-for-matrice du département de l’Allierrépond aux questions de Sylvie Paquet

SP : Pourquoi pratiques-tu leyoga à l’école ?

L : L’habitude de pratiquer leyoga est venue à cause de difficul-tés de gestion de classe, alors quej’étais en poste à Tahiti, après denombreuses années dans un vil-lage où les habitudes de travailétaient bien installées. A ce mo-ment-là le climat de classe repo-sait essentiellement sur labienveillance et la coopérationentre enfants. Ce n’était pas trans-férable avec un public si différent.

J’ai donc entamé une réflexionsur ce qui pouvait m’aider dans lapratique quotidienne ; j’ai com-mencé par le yoga Taï-chi que j’aipratiqué et sur lequel je me suisformée. Cela a ouvert la voie à unetransmission aux élèves. Le retourde l’institution n’a pas été favora-ble : l’image que le yoga véhiculefait craindre des dérives sectaires.

Les recherches entreprises surl’enseignement du yoga m’ontamenée à m’intéresser à la re-laxation qui conditionne le bien-être des enfants à l’école.L’ouvrage des éditions Retz “la re-laxation active à l’école et à lamaison” permet de commencer àfaire accéder les enfants à un étatfavorable aux apprentissages.

Dans la mesure où cela fonction-nait pour ma classe j’ai eu envie dele faire partager à d’autres ensei-gnants. Un congé formation et lemaster 2 de formation des forma-teurs m’ont donné une sorte de lé-gitimité pour proposer cetteouverture aux collègues.

Les secrets de l’ho’oponopono,poche, nov 2015, 6 €.Le livre par qui, pour moi, tout acommencé.

Voir d’autres livres page 37

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telles propositions “humanistes”centrées sur l’homme. Ce sera larecherche du développement inté-rieur de l’homme, de sa crois-sance et de sa dimensioncommunautaire (le vocabulaire dela spiritualité religieuse). Certainsauteurs de cette “nouvelle spiri-tualité” ont comme dénomina-teurs communs le bonheur et laméditation. Christophe André pro-pose Le guide de la méditation(Psychologies Hors Série avril2017). Il ajoute : N’oublie pasd’être heureux, 2014 ; puis Ma-thieu Ricard Plaidoyer pour le bon-heur, Nil 2003 ; Bertrand Vergely,Petite philosophie du bonheur,Milan 2001. Jusqu’à la dénoncia-tion de cette spiritualité du bon-heur par Pascal Bruckner :L’euphorie perpétuelle du bon-heur, Poche 2003. Boris Cyrulnikapproche, lui, le bonheur à traversle malheur : Un merveilleux mal-heur, O. Jacob 1999.

Il ne saurait s’agir dedénigrer cette re-cherche du bonheur.Mais est-ce nécessaired’employer le vocabu-laire de la spiritualitépour en parler ? Ils’agit bien de quête dubonheur mais tournéevers elle-même. Or sinous employons le motspiritualité, il renvoie àspiritus, un esprit quinous est donné, «pneumâ”, “ruah” dansle vocabulaire chré-

tien. Ce sont des dons etnon pas des conquêtes. Parler despiritualité c’est envoyer un donde Dieu esprit, pneumâ, “ ruah”.Ne peut-on pas trouver un motneutre, laïc pour traduire les réali-tés évoquées : le mot “ sens ” ? Ily a un sens de la laïcité mais c’est

bien abuser que de parler de spi-ritualité de la laïcité.

Le rétablissement du sensOui, pas de vie humaine sans

souffle, celui de la respiration re-trouvée dans la méditation, maisc’est d’un souffle humain dont onparle alors. Bien sûr on ne dit pasassez aujourd’hui, le sens de laméditation, de la respiration. Maisla méditation du chrétien est la mé-ditation qui vient d’ailleurs « lectiodivina », l’Écriture reçue et renduesans cesse. Dieu est multiple avecdes facettes diverses : insistancemystique chez les moines dans laprière monastique, insistance hu-maniste chez Madeleine Delbrel.Guy Coq a tenté ainsi un excellentmanuel de la diversité spirituellemais il peut tomber quelquefoissur une confusion entre spiritua-lité dans la foi et spiritualité del’humanisme. Les dons spirituelsdes chrétiens vont se traduire pardes gestes différents : la gymnas-tique au chœur des moines pourqu’ils ne s’endorment pas avecdes « miséricordes » de soutien ; lamystique d’un Teilhard de Chardinet des chercheurs scientifiques enest un autre exemple.

Mais il s’agit bien de spiritualitéchrétienne, incarnée, dieu merci,et qu’il n’est pas utile de comparerau sens de l’oraison de tout priant,de tout chercheur.

Patrick Jacquemont,01-05-2017

NB : Joseph Moingt propose une ré-flexion différente et complémentairedans “Spiritualités Hors frontières”Etudes Février 1997Nous savons être beaux joueurs avecle mot “sens” utilisé dans cet articlecar il sera utilisé bien utilement pourparler du “sens de la foi”. A dévelop-per une autre fois.

VocabulaireÉglise et Foi

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Le désenchantementdes religions

Qui n’a redécouvert avec libéra-tion le maître livre de Marcel Gau-chet Le désenchantement dumonde. Une histoire politique dela religion (Gallimard 1985, Folioessai n°466, 2017) ?

Dans la recherche d’une justeapproche de la laïcité s’ouvrait unrenouvellement de la réflexion surla possibilité d’une parole laïqueprésentant « le fait religieux » dansl’école. Ce que montre particuliè-rement l’article expert et expéri-menté de Nicole Lemaître dans cenuméro (page 12).

Le sur enchantementdes spiritualités

Mais dans le même momentque ce désenchantement des reli-gions se développait, comme pourcombler un manque, un suren-

chantement des “spiritualités”.Vaste amalgame de l’homme avecce qui le dépasse ou le fonde. Etc’est au nom de “spiritualité” ques’est rassemblée cette quête trèsliée au New-Age. Apparemment,on devrait pouvoir se réjouir de

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Je voudrais d’abord situer lesdeux termes que votre Congrès arapprochés mais que l’on peutaussi considérer en tension : spi-ritualité et laïcité.

Que faut-il entendre parspiritualité ?

Ce mot est fréquemment utiliséaujourd’hui et parfois un peu gal-vaudé. En essayant de le situer dupoint de vue du fondement, je di-rais simplement que la spiritualité,c’est ce qui maintient l’homme au-dessus de l’abîme. En effet, le rap-port de l’homme à la spiritualitén’a cessé de reproduire, tout aulong de son histoire, la situationprimordiale – celle d’avant la créa-tion – où, selon la Genèse, le souf-fle de Dieu, l’Esprit, planeau-dessus de l’abîme1.

Cette image m’apparaît commeune expression symbolique de lacondition humaine. Depuis sonorigine, l’humanité se trouveconfrontée à la gestion des forcesobscures qui surgissent de sesprofondeurs. Efforts de contrôle,de domination, de sublimation,émanant du travail de l’intelli-gence, du discernement de laconscience, des activités multi-formes de l’esprit. Au-delà de lagestion morale des conduites indi-viduelles et des comportementssociaux, les questions de l’origineet de la destinée, comme les aspi-rations au dépassement de l’hori-zon immédiat, tracent ladimension du sens et ouvrent lechamp de la spiritualité. C’est letravail de l’esprit humain. Son

sens esthétique, son sens moral,ses intuitions pour la conduite deson action, lui permettent de subli-mer ses pulsions, de discerner cequi lui apparaît comme « le meilleur» en fonction de ses possibilités.C’est ainsi que progressivement ilconstruit son humanité « au-dessusde l’abîme » de l’inhumain.

L’esprit humain – tout commel’Esprit créateur de la Genèse –est appelé à faire advenir l’huma-nité de l’homme en l’arrachant àla barbarie. C’est cela le chantierde la spiritualité, qui concerne nonseulement les individus maisaussi les sociétés.

une dimension del’être-homme

Considérée dans cette perspec-tive, la spiritualité doit être reconnuecomme une dimension anthropolo-gique, c’est-à-dire comme une di-mension constitutive de l’êtrehumain. Cette considération philo-sophique rejoint les données del’anthropologie biblique, qui pré-sente la création de l’hommecomme un composé de terre etd’esprit. L’homme est tiré de laterre, façonné à partir de l’argile dusol, (c’est le sens premier du mot« Adam » : « le terreux ») et Dieu luiinsuffle son propre souffle, sa«Ruah», son Esprit, et c’est ainsi qu’ildevient nefesh être vivant.

L’homme réunit ainsi en lui leciel et la terre, c’est ce qui carac-térise son humanité, ou plutôt ceà quoi il est appelé, car l’humanitéest une réalité en devenir, elle doitencore advenir, et cet avènement,

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cet accomplissement, relève denotre responsabilité. C’est le tra-vail de l’esprit en l’homme quipeut faire advenir son humanité.C’est ce même travail de l’espritqui peut transfigurer la matière,comme le prophétisait Teilhard deChardin. Par conséquent, être enquête de spiritualité n’est pas unefantaisie, une mode intéressanteau sein de la société de consom-mation, c’est une question émi-nemment plus sérieuse, uneresponsabilité à l’égard de notrehumanité : il s’agit de s’engager etde travailler pour son avènement.

La spiritualité en effet ne sauraitêtre considérée du seul point devue de l’individu. Parce qu’elle estune dimension de l’humanité, ellene peut se limiter au seul objectifde l’accomplissement des per-sonnes, elle concerne aussi né-cessairement le corps social et lechamp politique. Devant la mon-tée d’un libéralisme économiquede plus en plus agressif et la mar-chandisation de l’humain qu’il en-traîne, il devient de plus en plusurgent de redonner de l’âme ànotre vie sociale. Comme l’écrivaitdéjà Charles Péguy en 1914, notresociété a évolué de telle façon quedésormais l’Argent se trouve seulface à l’Esprit.2

Quelques décennies plus tard, IonPatocka déclarera que le caractèredémoniaque du 20e siècle tient sur-tout au déni du souci de l’âme. Ceciconstitue un défi social et politiqueque la spiritualité individuelle nesaurait relever à elle seule.

La spiriualité laïqueFin avril 2007, à la Baume les Aix, la Paroisse Universitaire a organisé sa dernière rencontre nationale avant

la fusion. Nous avons retrouvé l’intervention de Bernard Descouleurs telle qu’elle était prête pour une diffusiondans la revue Trajets qui a cessé sa parution au bénéfice de Lignes de Crêtes. À part une petite allusion àl’actualité de l’époque, ce texte garde toute sa pertinence et nous sommes heureux de le publier en hommageà son auteur, malheureusement décédé peu après la rédaction de ce texte. Il mérite d’être médité par petitesdoses tout au long de l’été.

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Quel peut être l’apportde la laïcité dans cechantier ?

La laïcité n’est pas seulementun espace juridique séparant lesdomaines de compétence respec-tifs de l’État et des religions,celles-ci se trouvant renvoyées àl’espace privé. Sous-jacent à cedispositif juridique, il y a une phi-losophie de la laïcité, une concep-tion de l’homme, sans laquelle cedispositif ne pourrait tenir.

La laïcité est d’abord, en effet,au service de la liberté del’homme, de sa liberté deconscience. Selon les termes de laloi de 1905, la République assurela liberté de conscience maisaussi la liberté d’expression pu-blique des croyances puisqu’ellegarantit le libre exercice des cultes .C’est cette conception del’homme libre et responsable quifait exister la laïcité comme l’es-pace républicain pour le « vivre en-semble ». Cet espace républicainse déploie selon trois dimensions :celle de la liberté de conscience etde l’exercice des cultes, celle del’égalité des droits reconnus auxdifférentes religions ou positionsphilosophiques et de leur égalitéde traitement, celle de la fraternitéqui est la qualité du vivre ensem-ble dans le respect des diffé-rences et la reconnaissance desvaleurs communes.

C’est ici que laïcité et spiritualitépeuvent converger : sur ce terrainfondamental de l’humain qu’il fautd’une part protéger et préserverde l’intolérance et des fanatismes,et qu’il faut, d’autre part et enmême temps, soutenir et promou-voir dans sa dignité. Il apparaîtainsi que, contrairement à une ap-proche superficielle trop répan-

due, la laïcité ne saurait être ré-duite à la neutralité. Si l’Etat estneutre à l’égard des religions,n’ayant pas à en privilégier l’uneau détriment des autres ni à inter-venir dans leur domaine particu-lier, il ne peut être neutre enmatière de droits de l’homme.

La laïcité doit promouvoir uncertain sens de la dignité del’homme (les débats sur le voile is-lamique auraient dû s’orienterdans cette direction plutôt que dese fourvoyer dans le domaine dessignes religieux plus ou moins os-tensibles !). La Déclaration desdroits de l’homme est la référencefondatrice de la laïcité. Si donc ilconvient d’enseigner de nouveaula laïcité à l’école comme l’a re-commandé le Rapport Stasi, cedoit être dans cette perspectivepositive, au service de la dignitéhumaine et non comme une doc-trine de neutralité et d’abstention.

Monsieur Claude Nicolet, profes-seur honoraire à la Sorbonne etmembre de l’Institut, qui se dé-clare matérialiste, va assez loindans cette direction puisqu’il voitdans la pratique de la laïcité uneforme d’ « exercice spirituel ». Il s’agitde débusquer le flic ou l’inquisiteurqui sommeille en nous et nous rendtrop souvent intolérants. Ce qu’il ap-pelle la laïcité intérieure est uneascèse qui conduit à une certainedépossession de soi pour accueil-lir l’autre dans le respect de sa di-gnité. La laïcité intérieure, écrit-il,conduit à se demander si notrecomportement est bien conformeà celui que nous demandons auxautres. Il faut donc à chaque mo-ment se demander : qu’est-ce queje vais dire ou faire pour être fi-dèle à mes principes… Elle im-plique ce que les jansénistesappelaient : faire son oraison.Cela veut dire se faire passer soi-

même au tribunal de la confes-sion, s’examiner soi-même.3

Qu’est-ce qu’une spiri-tualité laïque ?

Traditionnellement, la spiritua-lité est pensée en référence à lareligion. Associer laïcité et spiritua-lité peut donc poser question dansla mesure où la tradition chré-tienne occidentale a imposé du-rant des siècles la spiritualité desreligieux comme modèle de l’ étatde perfection, c’est-à-dire commemodèle de l’état idéal de la viechrétienne. La spiritualité deslaïcs s’est construite et organiséeen référence à ce modèle. Dèsl’époque médiévale, les Tiers Or-dres, branches laïques des grandsOrdres monastiques ou men-diants, assuraient une transposi-tion séculière de la prière et del’ascèse des religieux. Dans lecourant de la Contre-Réforme,saint François de Sales mais aussiles Jésuites avec les Congréga-tions mariales avaient ouvert lavoie d’une spiritualité pour leslaïcs bien ancrée dans l’institutionecclésiale. Louis Chatellier, profes-seur à l’université de Nancy II, abien montré l’ampleur du mouve-ment des « Dévots » à travers l’Eu-rope, sous l’impulsion et lecontrôle des Jésuites, lequel a mo-délisé durablement des mentali-tés et des habitudes religieuses.4

Par conséquent, dans l’Églisecatholique, la spiritualité des laïcsa été très longtemps un démar-quage du modèle religieux : qu’ils’agisse de l’inspiration des textessources, de la guidance d’un maî-tre (le directeur de conscience oudirecteur spirituel), de la régula-tion communautaire, des mé-thodes d’apprentissage del’intériorité, de la connaissance desoi, du détachement, de la prière,

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du dialogue avec Dieu et du dis-cernement… Les différents mou-vements de spiritualité pour laïcs– Confréries ou Congrégations –se caractérisaient par un systèmed’encadrement assez strict et ri-goureux visant à se distancer dumonde, qui était tout à la fois re-douté mais aussi objet d’atten-tion, dans la mesure où l’onambitionnait de le conquérir pourle soumettre à Dieu. Tout commedans la vie monastique, la spiri-tualité se construisait par des pra-tiques. Ainsi, le temps devait êtremesuré : le temps de sommeilétait limité, et les prières venaientrythmer et encadrer la journée ;l’imagination devait être dominée,le corps contrôlé… (Notons au pas-sage que ce genre de modèle fonc-tionne encore actuellement danscertains mouvements conserva-teurs contemporains tels que l’OpusDei ou les Légionnaires du Christ)

Cette spiritualité pour les laïcsdéveloppe une sorte de cloître in-térieur où la vie de foi se déploie àdistance du monde : celui-ci étantconsidéré comme l’espace privilé-gié où agit Satan. C’est au 20e siè-cle, avec le développement del’Action catholique, l’émergenced’une théologie du laïcat et la recon-naissance de la juste autonomie desréalités terrestres, que commencerade se mettre en place une spiritua-lité pour les laïcs prenant en compteleur place spécifique et leur respon-sabilité dans la société.

Le protestantisme, avec Luther,opèrera une rupture radicaled’avec le modèle religieux de laspiritualité en rejetant les vœux dereligion et l’interprétation desconseils évangéliques qu’ils expri-maient. Pour Luther ce n’est pasle retrait du monde, mais aucontraire l’engagement dans lestâches séculières qui est la voca-

tion du croyant : c’est la Beruf, latâche profane, le travail profes-sionnel, qui est le lieu où se réa-lise le salut. Le sociologue MaxWeber a vu dans ce changementradical de perspective la raison dudéveloppement du capitalismedans les pays protestants5.

Toutefois la rupture culturellequi s’est creusée entre l’Église etla Modernité a coupé la plupart denos contemporains des sourceschrétiennes de la spiritualité. Pourautant les agnostiques et autreslaïques revendiquent une vie spi-rituelle. Ils reconnaissent, euxaussi que le spirituel est une di-mension constitutive de l’homme.Et c’est sans doute le sens de ladignité absolue de l’homme quifonde cette quête de spiritualité.Ce sens de la dignité de l’hommegénère des aspirations qui invitentà rechercher au-dessus de soi ouau plus profond de soi le souffleintérieur qui élève l’âme et lui per-mette ainsi de conduire sa vie, del’orienter, de la maintenir à un cer-tain niveau d’exigences. Cettequête de spiritualité, que certainsidentifient comme sagesse (cf. Lasagesse des modernes de LucFerry et Comte-Sponville)6, peutêtre poursuivie dans nos sociétéssécularisées hors de toute réfé-rence religieuse. Pour Luc Ferry,dans la société sécularisée, la spi-ritualité est devenue laïque parcequ’elle « s’est débarrassée de sesoripeaux théologiques ». Selon lui,dans ce type de société, l’em-preinte des religions s’estompe etla place de Dieu s’efface, la fron-tière entre l’homme et Dieu nonseulement n’est plus infranchissa-ble mais elle n’est plus perceptiblecar, dit-il : le divin s’humanise etl’humain se divinise. Par consé-quent, c’est à l’intérieur del’homme – et non en dehors de luiou au-delà de lui – que la trans-

cendance peut être approchée. Eneffet le sacré ne réside pas ail-leurs que dans l’homme qui de-vient l’homme-Dieu. Si leshommes, écrit-il, n’étaient pas enquelque façon des dieux, il ne se-raient pas non plus des hommes.Il faut supposer en eux quelquechose de sacré ou bien accepterde les réduire à l’animalité.7

Et Luc Ferry repère dans la so-ciété contemporaine de nombreuxsignes qui expriment ce caractèresacré de l’homme, notammenttoutes les formes d’engagementhumanitaire au service de la viede l’homme et du respect de sa di-gnité. Dans cette visée, les valeurssacrificielles n’ont pas disparu :La liberté, écrit-il, peut mériter quel’on risque sa vie pour elle. C’estcela la sacralisation de l’humain !Cela ne consiste pas à idolâtrerl’être humain ou à dire qu’il estformidable (il suffit en effet d’ou-vrir les yeux pour constater qu’iln’est pas si formidable que ça !). Ils’agit simplement de ne pas oc-culter ces aspirations qui, au seinde toutes nos relations, révèlentune dimension sacrée. Sans cesacré-là, sans cet absolu-là, notrevie n’aurait strictement aucunsens. Encore n’ai-je pas évoqué saforme la plus haute, qui est biensûr celle de l’amour.8

Repères et exigencesd’une spiritualité laïque

Comme je l’ai souligné précé-demment, la spiritualité estd’abord et fondamentalement ac-tivité de l’esprit. Le théologien Ursvon Balthasar dit que l’homme sedéfinit par l’esprit. C’est l’espritqui lui permet d’émerger du pul-sionnel ou du fusionnel, d’organi-ser et d’unifier ses différentespotentialités. L’esprit est enl’homme principe unificateur.

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Mais l’esprit est aussi activitécréatrice. C’est l’esprit qui permetà l’homme d’interpréter la réalitédans laquelle il vit et ainsi de pro-duire le sens. C’est l’esprit qui per-met d’échapper à l’absurde en sedonnant des raisons de vivre et demourir.

Si la vie spirituelle est par excel-lence activité de l’esprit, vie selonl’esprit, elle doit être le lieud’émergence de la liberté, car ilexiste un lien de nature entre l’es-prit et la liberté. C’est dans l’acti-vité créatrice de la production desens que se déploie la liberté.L’homme est libre du sens qu’ildonne à sa vie : dans la mesure oùson esprit le conduit, il lui appar-tient de créer sa vie, de tracer saroute et de faire son histoire. Cha-cun de nous est appelé à écrirelui-même sa propre histoire. Celle-ci n’est pas écrite d’avance,contrairement aux conceptions fa-talistes de l’existence selon les-quelles nous sommes embarquésdans une aventure que nous nemaîtrisons pas.

Si la spiritualité est recherchedu sens de la vie et de la vérité del’existence, elle est aussi décision.Cette décision vise la transforma-tion personnelle, la libération despesanteurs ou des aliénations,mais aussi la transformation dumonde. Nous commençons depercevoir que la quête de spiritua-lité constitue un engagement àl’égard de l’humanité. Elle sup-pose que nous ayons foi en la li-berté. Or force est de reconnaîtreque la liberté disparaît de nospréoccupations mais aussi de nosrêves. La liberté n’est plus aimée,elle ne suscite plus guère de pas-sion aujourd’hui, car elle s’esttrouvée défigurée, travestie en te-nancière de fonds de commerce,réduite au pauvre rôle de liberté

des échanges. Or commentconstruire notre humanité si nousne croyons plus à la liberté ?

Les deux sont indissociable-ment liées, car notre humanité dé-pend de notre décision. Et ici jerejoins Guy Coq lorsqu’il déclare :L’humanité, comme la liberté, ré-sulte d’une décision. Je suis libreparce que je décide que l’hommeest liberté.9 C’est pourquoi le tra-vail de la spiritualité consistera,entre autres, en un travail de libé-ration intérieure, de dépossessionde soi pour se laisser conduire parl’esprit. Ceci rejoint ce travail de lalaïcité intérieure dont parle ClaudeNicolet. C’est dans ce travail dedépossession, de lâcher prise,que l’on accède progressivementà cette liberté qui peut émerger ennous comme une force intérieure,un dynamisme de l’esprit.

La liberté ne consiste pas dansla multiplicité des possibles nidans l’abondance des choix, maisbien dans la production du sens.L’homme spirituel peut voir sespossibilités d’action réduites aumaximum, il n’en demeure pasmoins souverainement libre. Lecondamné à mort n’a plus dechoix ; de ce point de vue, c’est unhomme fini. Et cependant mêmedevant l’échafaud ou le pelotond’exécution, il conserve cette sou-veraine liberté, sur laquelle per-sonne n’a prise, de pouvoir donnerun sens à sa mort. C’est ce queJésus a réalisé à la Cène et dont leschrétiens n’ont cessé de faire mé-moire à travers les siècles.

La production de sens impliqueune quête patiente et constantede la vérité. Aujourd’hui, cettequête de la vérité ne peut se satis-faire des réponses toutes faites,des vérités définitives parce quedéfinies une fois pour toutes. Lesens de la complexité et la culture

de l’incertitude véhiculés par lapensée scientifique – toute véritéscientifique étant susceptibled’une remise en question – neprédisposent pas à une adhésionsans réserve aux énoncés de ladoctrine religieuse. Les exigencesintellectuelles qui accompagnentsouvent la demande de spiritualitéchez bon nombre de nos contem-porains ne trouvent pas de répon-dant dans des discours dont larépétition ne fait que renforcer l’in-digence culturelle, ni dans un pié-tisme où l’émotionnel tient lieutrop souvent d’expérience spiri-tuelle. Le besoin d’une Parole quiéclaire du dedans est ici fonda-mental. Malheureusement le dis-cours dominant de l’institutionreligieuse se situe en extériorité.Incapable de répondre à l’attentede vérité intérieure et de cohé-rence interne nécessaires au sou-tien de l’existence, il ne provoquepas d’écho au-dedans de l’hommeen recherche de sens.

Il existe toutefois des lieux où laParole, surgie d’une expériencespirituelle, parvient à se commu-niquer. Le taux de plus en plusélevé de la fréquentation des mo-nastères et des abbayes témoignede ce fait qu’ils sont devenus deslieux de ressourcement pour lespersonnes en recherche, croyantsou incroyants.

L’expérience de l’intériorité estaussi une dimension structurantede la spiritualité. Il faut ici souli-gner d’emblée que l’intériorité estd’un autre ordre que la démarchepsychologique du travail sur soi,nécessaire pour acquérir une meil-leure maîtrise de soi. L’approchepsychologique du soi représenteun premier niveau de lecture etd’interprétation : bilan de ses li-mites et de ses potentialités pourde meilleures performances et

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une plus grande efficacité dansl’action.

La démarche spirituelle entraîneà un autre niveau de profondeur.Elle conduit nécessairement ànotre centre intérieur – ce quecertains appellent le Moi profond-à ce qui nous constitue commesujet, ce lieu de naissance de soique de nombreux maîtres spiri-tuels nomment la Source. Ce lieud’où surgit la parole vive et non lesformules inculquées et répétées.Ce lieu où s’affirme l’être person-nel, celui qui, comme le ditCamus, refuse d’être ce qu’il estparce qu’il aspire à devenir ce qu’iln’est pas encore. Mais ce lieu dufond de l’âme, du plus profond desoi où l’être personnel peut se re-cueillir, se reconnaître et s’affir-mer, peut être méconnu etinhabité lorsque l’on vit constam-ment à la surface de soi-même. Ilpeut aussi être encombré ou sub-mergé par le trop-plein du Moi quirend impossible ou très difficilel’ouverture à l’autre que soi… Onle voit : la profondeur ici recher-chée est celle du fondement desoi, de ce lieu où l’être personnelse dégage de l’extériorité, des re-présentations et du discours, pourdécouvrir qu’il est en définitiveautre chose que ce qu’il dit de lui-même. Le chemin qui conduit à celieu passe par le silence, la soli-tude, la méditation. Il peut débou-cher sur une brèche ouvrant surun horizon dont les limites demeu-rent inaccessibles et sur le constatque l’homme passe infinimentl’homme.

L’expérience de l’altérité quis’enrichit de l’intériorité est uneautre dimension structurante. Larentrée en soi-même dont il vientd’être ici question n’a rien à voiravec l’enfermement narcissique.L’intériorité authentique, celle quis’alimente à la source, implique

l’ouverture à l’au-delà de soi, à l’au-tre que soi, au plus grand ou au plusimportant que soi, à ce qui en nouspasse infiniment l’homme.

En fait, en descendant au fondde soi, en essayant de rejoindreles racines de notre être person-nel, nous rencontrons le Désir, etc’est lui qui nous pousse hors denous-même. Comme l’écrit Eloi Le-clerc : L’homme est un être de désirassoiffé de vie et de bonheur, debeauté et d’amour. Il peut vivre etconnaître la joie de vivre. Le désir estle fond du cœur, dit saint Augustin.Être de désir, il se projette vers lemonde, vers le vaste monde deschoses et des êtres. Mais par-delà lemonde et à travers lui, il vise la plé-nitude de la vie.10

Rentrée en soi-même et sortiede soi, être dans et être vers, c’estle mouvement paradoxal de l’inté-riorité. Ces deux mouvementssont indissociables car la rentréeen soi-même provoque la rencon-tre du désir et l’aspiration à la plé-nitude de la vie et ceci conduit àla rencontre de l’Autre que soi quis’impose comme Absolu. Rencon-tre de l’autre homme reconnucomme frère pour lequel on peutsacrifier sa propre vie.

Mais aussi pressentiment de laPrésence d’un Autre qui s’imposeau creux d’une expérience de l’ab-sence. Le contact avec Dieu nousest donné par le sens de l’ab-sence écrivait Simone Weil.11

L’aspiration à la plénitude de lavie est qualifiée par de nombreuxpoètes comme expérience duseuil, une porte qui s’ouvre sur l’il-limité, l’infini, l’au-delà del’homme. Cette expérience limi-naire peut être ressentie commeun appel ou une question, peut-être la question fondamentale, lepressentiment de la présence del’Autre. Certains ne parviennent

pas à nommer cette Réalité pres-sentie, devinée, entraperçue. Pourd’autres au contraire, il s’agit de larencontre de Dieu comme ce fut lecas pour Augustin d’Hippone auIVe siècle : Trop tard je t’ai aimée,beauté toujours ancienne et tou-jours nouvelle, trop tard je t’aiaimée. Et pourtant tu étais de-dans, mais c’est moi qui étais de-hors….Tu étais toujours avec moi,c’est moi qui n’étais pas avec toi.

Et le théologien Maurice Zundelcommente ainsi ce texte d’Augus-tin : Augustin réalise qu’on n’entrepas en soi comme dans un mou-lin, que l’autre plus intime à nous-même en est la clé. Et ce qu’il y ad’admirable et d’inépuisable dansson témoignage, c’est que préci-sément Dieu apparaît en luicomme le seul chemin vers lui-même. Au fond, c’est un mêmemoment pour lui de découvrirDieu et de se découvrir lui-même,un même moment dans la mêmelumière, dans la même joie, dansla même libération… Il est essen-tiel de le souligner, dans cette ex-périence qui était source de tantde lumière pour toute l’humanité,Augustin ne rencontre pas Dieucomme son maître, comme unpharaon qui le dominerait, il lerencontre comme le secret de sapropre intimité, il le rencontrecomme celui qui le libère de tout,il le rencontre comme celui quil’intériorise à lui-même, il le ren-contre comme celui qui le ceint desa dignité… Dieu est donc pour luila respiration de la liberté, Dieuest l’espace de la grandeur, Dieuest le sceau de sa dignité, Dieu estenfin, si l’on peut dire, son vérita-ble « moi », selon l’admirable rituelhindou qui faisait dire au fiancé àsa fiancée : « Tu es moi. ». Car c’estvraiment en Dieu qu’Augustin de-vient lui-même. Et il peut dire à Dieu: « Tu es moi », comme Rimbaud,

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dans une intuition mystérieuse, pou-vait écrire : « Je est un autre ». C’estdans cet autre, intérieur à lui-même,au plus intime de lui-même, danscet autre qui est sa vie, comme ditencore admirablement Augustin,c’est dans cet autre qu’il atteint à lui-même.12

ConclusionAi-je répondu à votre question :

Quelle spiritualité dans le cadre dela laïcité ? Je proposerai quelquesbrèves remarques en conclusion :

1/ Sous-jacente à la question dela laïcité, nous avons repéré laquestion de l’homme. Poser laquestion de la spiritualité, c’estposer une question anthropolo-gique, c’est s’interroger sur l’êtrede l’homme. J’ai tenu à soulignerque la spiritualité est une dimen-sion constitutive de l’être humain.Et ceci avant toute considérationreligieuse.

2/ L’individualisme contemporainfavorise certainement l’intérêt pourune spiritualité vécue individuelle-ment, hors de tout encadrement ins-titutionnel et de toute interférenced’une instance religieuse.

Sans doute faut-il prendre acted’une autonomisation pratique dela vie spirituelle. Le besoin d’uneexpérience directe, sans média-tion, c’est-à-dire la prise de dis-tance à l’égard de l’institutionreligieuse, le refus pratique detoute régulation, la valorisation dela liberté intérieure et de l’autono-mie de l’itinéraire personnel, ca-ractérisent la spiritualité laïque.Chacun, dans le secret de saconscience et le sanctuaire de sonintimité, cherche sa nourriture spiri-tuelle, parfois en rejoignant desgroupes informels, mais à distancedes communautés trop voyantes ettrop structurées qui mettent facile-ment leurs adeptes en dépendance.

3/ On ne peut qualifier tout etn’importe quoi de spiritualitélaïque : celle-ci n’est pas unmagma indifférencié. Elle est sou-tenue par plusieurs exigences quej’ai présentées : la production desens et la liberté intérieure quis’accompagne de la décision, laquête de la vérité dans l’exerciced’une pensée libre, l’expériencede l’intériorité et celle de l’altérité.

Deux itinéraires possibles y sontrepérables : un itinéraire de trans-cendance verticale où peut se réa-liser la rencontre de Dieu. Il existed’authentiques expériences deDieu en dehors de toute institutionreligieuse. L’expérience d’Etty Hil-lesum est de ce point de vue toutà fait emblématique.13 L’autre iti-néraire correspond à ce qu’onpeut appeler un itinéraire detranscendance horizontale oùl’homme cherche à vivre l’absoluici et maintenant. Les positionsd’André Comte-Sponville illustrentassez bien cet itinéraire : le sacréne se trouve pas ailleurs que dansla vie quotidienne ni l’éternité endehors du présent.

4/ S’engager dans une dé-marche de spiritualité, c’est pren-dre sa vie au sérieux. Il me semblequ’en tant que chrétiens, nousavons à prendre au sérieux les exi-gences d’une spiritualité au ser-vice de la croissance del’humanité de l’homme. Il nousfaut considérer le temps de la spi-ritualité comme temps de l’Avent,c’est-à-dire temps de l’avènementde Dieu en l’humanité commenouvelle naissance. Dans cet es-prit, il nous appartient de chemi-ner avec tous ceux qui essaient devivre cette démarche de quête spi-rituelle. Cet accompagnement estimportant, car le cheminement so-litaire de la spiritualité laïque estune aventure risquée.

5/ Je terminerai sur une imagesymbolique qui fera pendant àcelle du début de mon exposé : jevous propose de regarder le Christqui marche sur les eaux tumul-tueuses du lac de Tibériade et quirejoint ses disciples dans leurbarque : étant monté dans labarque, il se fit un grand calme.Pour la foi chrétienne, l’identifica-tion au Christ est la voie qui per-met de surmonter l’abîme de nosangoisses mortifères pour entrerdans la nouvelle naissance.

Bernard Descouleursrencontre PU-EE 2007

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1 Genèse, 1, 22 Charles Péguy, Note conjointe surMonsieur Descartes3 Les laïques aussi ont une vie inté-rieure, entretien avec Claude Nicoletin Panoramiques, n° 64, 20034 Louis Chatellier L’Europe des dévots,Nouvelle bibliothèque scientifiqueFlammarion 19875 Max Weber, L’éthique protestante etl’esprit du capitalisme, Plon 19646 André Comte-Sponville, Luc Ferry,La sagesse des modernes, RobertLaffont 19987 Luc Ferry, L’homme-Dieu ou le sensde la vie, Grasset 1996, p. 668 Id, La sagesse des modernes,p. 3969 Guy Coq et Isabelle Richebé, Petitspas vers la barbarie, Presses de la Re-naissance, Paris, 2002, p. 15610 Eloi Leclerc, Le maître du désir,Desclée de Brouwer 1997, p. 15211 Simone Weil, Œuvres complètesVI, 2, Gallimard 199712 Maurice Zundel, De l’homme pos-sible à l’homme personne, Premièreconférence, Centre Charles Péguy,Notre Dame de France, Londres, fé-vrier 198413 Etty Hillesum, Une vie bouleversée,Seuil, Points 1995

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Cette question, à vrai dire poséede façon un peu plus abrupteC’est quoi votre spiritualité ? étaitcelle d’un jeune collègue à qui l’onproposait de participer aux réu-nions de notre équipe et j’avoueque je n’ai, depuis, cessé d’y re-penser et de travailler à sa ré-ponse. Qu’est ce qui a pu m’attireret me retenir dans notre mouve-ment dans la mesure où je mesuis toujours senti à l’aise dansl’école publique et dans monEglise, dans la mesure où per-sonne ne m’a jamais reproché, nid’un côté ni de l’autre, cette dou-ble appartenance ? Je crois que cequi m’a plu le plus c’est cettesorte de trilogie : une façon vrai-ment fraternelle de faire Eglise en-semble, une liturgie nourrissanteet vraie, le tout reposant sur unespiritualité avec laquelle je mesuis toujours senti en phase. Ouimais comment la définir ?

Précisons tout d’abord quemembre depuis mes débuts de laParoisse Universitaire (d’uneéquipe locale et de l’équipe natio-nale), je suis assez ignorant de cequi se vivait au sein des EquipesEnseignantes et que je ne pré-tends pas non plus faire uneétude universitaire (appuyée surune analyse fine des publicationsou des interventions de l’associa-tion) mais simplement une ana-lyse de mon vécu et ressenti. Ce

que j’écris n’engage donc quemoi, peut et doit donc être l’objetde débats, ce qui est d’ailleursdans la droite ligne de la traditionde la PU et de CdEP.

C’est un conseil que m’avaitdonné Henri Bernard Vergotte, unde nos anciens présidents, quim’a servi de fil rouge depuis mesdébuts (je cite de mémoire) : « Netiens pour vraie aucune vérité ré-vélée, si tu ne l’as d’abord passéeau filtre de ta raison ». Je croisqu’il y a là une constante trèsforte, c’est la nécessité absoluedu travail intellectuel même et sur-tout en matière de foi. On com-prendra que cette exigence posebeaucoup de problèmes dans uneEglise où les dogmes en tant quetels ne doivent pas être discutés- et encore moins remis encause - et où les avis du Magis-tère peuvent être commentésmais non critiqués. Ce côté re-belle, mais tout en restant fidèle àl’Eglise (celle de Jésus Christ etdes Apôtres plutôt que celle deRome) me parait un fondementessentiel de cette spiritualité. Oncomprendra sans doute que j’aitoujours soutenu Hans Küng qui ademandé que l’Eglise laisse lesthéologiens débattre de tout etque l’on cesse de considérer unequestion comme résolue avantmême de l’avoir posée, aussi bienen matière dogmatique (l’Immacu-

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lée Conception) que disciplinaire(le célibat des prêtres). C’est cetteexigence intellectuelle, nourrieaussi bien de réflexion person-nelle que de lectures et de re-cherches diverses, qui me paraitêtre au cœur de notre spiritualité.Bien sûr cette exigence perma-nente nuit parfois à l’action et c’estce qui explique que nous n’avonsjamais été un mouvement d’ActionCatholique, ce qui n’empêche paschacun, nourri par cette réflexion,de prendre les engagements reli-gieux, sociétaux, politiques ou syn-dicaux qui lui paraissent découlerde cette réflexion.

Cette approche disons intellec-tuelle de la spiritualité me paraitincontournable et cela pour deuxraisons. Nous sommes les enfantsde l’Université qui nous a inculquécette nécessité impérieuse de laraison et je ne vois pas au nom dequelle « foi du charbonnier » nousabandonnerions tout esprit cri-tique pour accepter, sans les ana-lyser, les textes sacrés et à plusforte raison, les affirmations dumagistère. Cela nous prémunitaussi et nous donne des argu-ments contre toutes les tentationsfondamentalistes (comme les théo-ries créationnistes par exemple).

La deuxième raison est que siDieu nous a donné ces capacitésintellectuelles, ce n’est certaine-ment pas pour qu’elles restentinutilisées. La réflexion approfon-die est, je le crois, une des formesles plus accomplies de la prière.Cette soif insatiable de la véritédoit accepter le décapage perma-nent de toutes nos convictions etattitudes. C’est à cette condition

Y-a-t-il une spiritualité propre àl’enseignement public ?

Jacques Olive essaye, ici, de définir la spiritualité qu’il a découverteen fréquentant la Paroisse Universitaire et CdEP.

Chacun peut, à son tour, se poser les mêmes questions. Noussommes tous inserés différemment dans l’école et la société. Nosgroupes essayent d’inventer des réponses adaptées à notre temps. Com-ment les approfondir, les partager ? ...

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que l’on peut dire : “j’ai tout misen doute et pourtant je crois !”

Poussant sur cette racine solide,notre spiritualité peut se dévelop-per de façon différente selon lapersonnalité et l’histoire de cha-cun mais avec un certain nombrede points communs :

- La préférence pour la lecturepersonnelle et la méditation destextes, sacrés et profanes (sans laPU je serais passé à côté de cer-tains auteurs fondamentaux, dumoins pour moi)

- Le goût pour le partage de laParole, innovation inouïe pourl’époque, dans les célébrationslors des journées nationales parexemple

- Une liturgie adaptée à cespoints capitaux, d’une grande sim-plicité mais d’une grande exi-gence, refusant toute pompe ettout sentimentalisme, avec peu degout pour le spectaculaire (façoncharismatique) et les surplis àdentelles !

On ne s’étonnera pas que cetteapproche ne plaise pas à tout lemonde comme à cet aumônier quinous disait : “À quoi bon en discuterpuisque l’Église a déjà tranché ! ”

Mais elle peut nous donner unefoi sereine, débarrassée decroyances dépassées et d’uneobéissance servile ! Je rendsgrâce à la providence qui m’a faitrencontrer ces chrétiens-là quim’ont permis de vivre la rencontreféconde de la foi et de la raison.

Jacques OliveProvence

La foi est constituée par unetension interne radicale car elle seconstitue par deux positions abso-lues et opposées. En effet elle estpure subjectivité, sa qualité et sonintensité ne peuvent que s’éprou-ver individuellement et, par ail-leurs, son contenu porte sur cequ’il y a de plus objectif en tantqu’absolument indépendant del’homme : Dieu. La raison présentedes caractéristiques inverses. Ellen’est pas subjective par sa volontéd’universalité et elle porte sur uneobjectivité construite et donc rela-tive. La foi est dans l’affirmation, laraison dans la procédure. Le lan-gage populaire nous en avertit :“un homme de peu de foi” est unhomme sans foi, et “un homme quia toujours raison” est un imbécile.

Raison et foi peuvent être desconcurrentes, l’une misant sur laprudence l’autre sur l’audace,l’une pratiquant la marche à pascomptés, l’autre le saut, parfoispérilleux, la raison s’assurantd’elle-même, n’ayant de recoursque d’elle-même, la foi comptantsur des apports externes, sur uneaide de l’absolu lui-même. La rai-son peut échouer à être à la hau-teur de son entreprise et sa

sagesse consiste à lereconnaître, à voirdans cette limitationhumiliante l’essencemême de la subjecti-vité. La foi, elle, peutse fourvoyer dans descertitudes.

Ce que je déteste neporte pas sur lereligieux :

c’est le fanatisme, et il y en a detoutes sortes. L’histoire nous a faitconnaître des fanatismes religieux,l’actualité nous les confirme, leXXème siècle avec l’hitlérisme et lestalinisme en ont inventé de nou-velles boutures. Le fanatisme c’estla croyance qui se conçoit sur lemodèle de la raison : une certitudequ’il y a des vérités universelles ab-solues et qu’il est impossible à unêtre humain normal de les refuser.Mais il y a aussi un fanatisme de laraison qui se livre à l’opération in-verse, il transforme les acquis ra-tionnels en croyances excluanttoute conscience des limites. Lesdeux ont en commun la faiblessede leurs convictions : les premiersparce qu’une seule personne nepartageant pas leur foi la fait vacil-ler, les autres parce qu’une seulepersonne relativisant les produc-tions rationnelles mine leur séré-nité intellectuelle.

Pierre Chabert, agrégé de philosophie

Extrait d’une conférence donnée lorsd’une rencontre SIF (Service in-croyance et foi ) à Toulouse en 2011.

Raison & foi

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(discontinuités synchroniques). Lemanque de continuité signifieperte ou absence de liens, dans letemps et dans le contexte socio-politique qui constitue un peuple.C’est le premier trait du sentimentde non-appartenance, de l’étatd’orphelin. Mais il y en a d’autres.Avec la discontinuité s’accroîtaussi le déracinement. Nous pou-vons le trouver en trois domaines.

Le premier : un déracinementde type spatial au sens général. Iln’est plus si facile de construireson identité rien qu’en s’identi-fiant à un lieu. La ville envahit lequartier et le fait éclater de l’inté-rieur. Plus encore: la ville globale,représentée par les chaînes degrands magasins, les pratiquesalimentaires, l’omniprésence desmoyens de communication demasse, la logique exprimée par lelangage et la brutale culture d’en-treprise, remplace la ville locale.De la réalité sociale de celle-ci, c’està peine s’il subsiste quelques bribesdérisoires pour le dehors, cachantmal la tragique réalité – elle aussiglobalisée ! – des gens qui dormentdans la rue, des enfants exploités etdrogués d’aurolac (ndlr : diluant depeinture), de la violence et de lamarginalisation. L’identité person-nelle, comme l’identité collective,ressentent vivement cette disloca-tion des espaces : le concept depeuple est de plus en plus vidé decontenu dans la dynamique actuellede fragmentation et d’émiettementdes groupes humains. […]

Et ailleurs ?

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Deux autres formes de déraci-nement : l’existentiel et le spiri-tuel. Le premier d’entre eux,l’existentiel, a comme symptômel’absence de projets de vie etpeut-être aussi le sentiment degrandir dans un monde couleur decendre. N’ayant plus de conti-nuité, ni de lieux chargés d’histoireet de sens (mais uniquement desfragments du temps et de l’es-pace, ces éléments qui constitu-tent l’identité et mènent à laformation d’un projet personnel),on voit s’affaiblir en nous à la foisle sentiment d’appartenir à unehistoire et le lien à un futur possi-ble, à un avenir capable de m’in-terpeller et de dynamiser leprésent. […]

Le déracinement a encore unautre trait. Aussi bien l’opacitécroissante des références spa-tiales que la rupture de continuitéentre passé, présent et avenir, pri-vent peu à peu la vie des citoyensde certains repères symboliques,de ces fenêtres, véritables hori-zons chargés de sens, qui s’ou-vrent çà et là vers unetranscendance, tant dans la citéque dans les actions deshommes. Cette ouverture vers letranscendant subsistait, dans lescultures traditionnelles, par l’inter-médiaire d’une représentation dela réalité plutôt statique et hiérar-chisée, et cela s’exprimait par unemultitude d’images et de sym-boles présents dans la cité (de-puis le plan-même de celle-cijusqu’aux lieux imprégnés d’his-toire et même de sacré). Parcontre, dans la manière d’agir dumonde moderne, cette transcen-dance était intégrée à un impératifde progrès qui constituait le nerfde l’histoire comme émancipation

Éducation en Roumanie et ailleurs

[…] Marius Talos présented’abord le contexte critique danslequel l’éducation chrétienne doitfaire entendre sa voix :

Crise de l’éducationchrétienne

[…] d’après l’ouvrage du papeFrançois : Jorge Maria Bergoglio,Educatia, exigenta si pasiune,ARCB 2014, p.36 ss et pp.86-89.

Les « tentations tristes » del’éducation

La première tentation à affronterdans l’acte éducatif est un découra-gement jusqu`à la nausée. […]

Une autre tentation est le désirde séparer trop tôt le bon grain del’ivraie. La contemplation de l’his-toire du salut nous donne d’éprou-ver le sens de la durée, caraucune croissance humaine ne sepeut obtenir par la force. […]

Plus loin est mentionnée la ten-tation de privilégier « les valeursde l’intelligence plutôt que cellesdu cœur ». […]

Une quatrième tentation estcelle de rougir de notre foi. [...]

L’éducation ou le risque de gran-dir dans un monde déraciné

Il nous faut reconnaître que lapression de ces « tentations tristes »augmente de nos jours, contribuantà faire apparaître des clivages, mar-qués de discontinuités croissantesentre générations (discontinuitésdiachroniques), mais aussi ausein de la même génération

Lors de la rencontre du SIESC, à Cluj (Roumanie) en juillet2017, Marius Talos, jésuite à Bucarest, a tenu une conférencedont apparaissent ci-dessous de larges extraits, l’intégralité dutexte figurant sur le site du SIESC.

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et se traduisait en action de l’êtrehumain – action transformante,au sens moderne du mot –, quis’exprimait symboliquement dansl’art, dans le souffle vivifiant quelui apportaient certaines fêtes,dans des actions libres et sponta-nées, et dans l’image du peuplede la rue. Mais maintenant que lesespaces, qui jusqu’il y a peu, fonc-tionnaient comme éléments dé-clencheurs et comme symbolesde la transcendance, sont tou-jours plus limités et vidés de sens,le déracinement revêt aussi unedimension spirituelle.

Éducation chrétienne etpluralisme religieuxdans une societésécularisée

Le contexte actuel dans lequelest proposée l’éducation chré-tienne est marqué de deux carac-téristiques qu’il est impossibled’ignorer : le pluralisme religieuxet le sécularisme. […]

Nous constatons combien en cedébut du XXIe siècle les démocra-ties occidentales se transformenten sociétés de plus en plus frag-mentées et sécularisées. […] Denos jours nous constatons l’appa-rition d’une nouvelle typologie plu-raliste due à la technologie et auxmoyens de communication demasse entre des continents diffé-rents, phénomène qui conduit àexposer les personnes à des idéeset des valeurs culturelles et reli-gieuses concurrentes. [...]

La forme la plus défensived’éducation religieuse propose unretour illusoire à la position biendéfinie et en quelque sorte proté-gée dont elle jouissait dans le

passé, niant par là-même l’impactde la pluralité sur l’identité socialeet personnelle. […]

Une autre réaction possible, pre-nant acte de la réalité du plura-lisme, renvoie la religion etl’éducation dans l’espace privé ousemi-privé sous forme d’écolesprivées ou confessionnelles. […]

Une troisième approche estcomplètement différente : elleadopte comme norme le plura-lisme post-moderne et rejettel’étude des religions comme impo-sant des structures oppressives etne promouvant la « croyance » etles valeurs qu’à partir de l’expé-rience personnelle. […]

Il existe encore une quatrièmeapproche de l’éducation religieusequi reconnaît la pluralité, maischerche à sauvegarder l’intégritédes différentes religions sousforme de systèmes distincts decroyance et spiritualité, ainsi qued’idéologies à prétentions univer-selles de vérité. […]

Une cinquième attitude possiblede l’éducation religieuse reconnaîtla pluralité, mais maintient ouverttout débat à cet égard. […]

Enfin, il se pratique aussi unesixième réponse pédagogiqueface au pluralisme religieux, à sa-voir par élimination totale de l’édu-cation religieuse du programmede l’école publique, sous prétexteque la société d’aujourd’hui estprofondément sécularisée. […]

Marius Talos reprend les propo-sitions du pape François pour re-vitaliser l’éducation chrétiennedans le contexte troublé esquisséplus haut.

Éducation chrétienneen temps de crise :quelques éléments deréponse

[…] En conclusion je formulequelques propositions, modestesmais chargées d’espérance :

Renouer le pacte pédagogique

À différentes reprises, le papeFrançois a fait remarquer qu’ennotre temps a été rompu ce qu’onappelait naguère le « pacte péda-gogique », qui était à la base de lacollaboration tacite entre famille,école et société. […]

Dans le même sens, on déploreune inflation « d’experts », au dé-triment des « enseignants » et desparents, jusque dans les aspectsles plus intimes de l’éducation.Pour ce qui regarde la vie affec-tive, la personnalité et son déve-loppement, les droits et devoirs,les « experts » savent tout : objec-tifs, motivations, techniques; ilfaut d’urgence former à nouveaude « véritables maîtres », capablesde transmettre, avec les connais-sances scientifiques, la recherchedes valeurs plus profondes. On abesoin de « véritables maîtres »également dans le domaine poli-tique et social, capables de garan-tir la dignité de la personne et laprotection de ses droits. […]

L’éducation chrétienne entreéducation morale et redécouvertede la transcendance

« Éduquer chrétiennement ne seréduit pas à donner une caté-chèse. Celle-ci n’est qu’une partie.Cela ne veut pas dire non plus fairedu prosélytisme : ne faites jamaisde prosélytisme à l’école, jamais,

Et ailleurs ?

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Laïcité – engagementjamais ! Donner une éducationchrétienne signifie conduirejeunes et enfants vers les valeurshumaines dans toute leur réalité,et une de ces valeurs est la trans-cendance. » […]

Education pour tous et éduca-tion intégrale

En beaucoup d’endroits, lesécoles chrétiennes et spéciale-ment catholiques sont recher-chées pour leur excellence, maisaussi pour le statut élitiste dontelles jouissent. […] C’est pourquoi,aussi difficile que cela paraisse, ilnous est demandé de renoncer àtout ce que veut dire confort per-sonnel, de lutter pour éradiquer(ce) désordre moral. […] Qu’uneécole catholique soit située dansune grande métropole ou dans unvillage obscur, les éducateurs ca-tholiques sont appelés à semerdans les cœurs des élèves desgermes de paix, de justice et decompassion, de pardon et d’espé-rance : « Quittez les lieux où leséducateurs sont en nombre etallez à la périphérie. Là-bas, met-tez-vous à chercher. Ou du moins,quittez la zone centrale ! Et là,cherchez les défavorisés, les pau-vres. Eux ont quelque chose queles jeunes des quartiers richesn’ont pas – sans que ce soit leurfaute, mais parce que c’est uneréalité sociologique : eux ont l’ex-périence de la survie, mais ausside la cruauté, de la faim, des in-justices. Ils ont une humanitéblessée. Mais moi j’ai la convictionque notre salut vient des plaiesd’un crucifié. De ces blessures, ilsretirent une sagesse, pour autantqu’il y ait un bon professeur pourles guider. » Le Saint Père insistesur la nécessité de trouver notrecentre dans le Christ, de sortir denotre bulle individuelle, en ayantle courage de nous rendre à la pé-

riphérie, de lutter contre la margi-nalisation et l’exclusion, en nousexhortant à faire ce qu’a fait don Boscoà une époque où les enfants de la rueétaient extrêmement nombreux :« Education d’urgence. Education mul-ticolore ». […] On recherche une « édu-cation d’urgence » sachant user devoies nouvelles :

éducation informelle : le SaintPère souligne : « Il est nécessairede nous ouvrir de nouveaux hori-zons, de créer de nouveaux mo-dèles […]. Il y a trois langages : lelangage de la tête, le langage ducœur, le langage des mains. […] »

éducation inclusive : « Une édu-cation se fait inclusive lorsque toutle monde y trouve sa place » […].

éducation au risque : « Un éducateurqui ne sait pas prendre des risques,n’est pas qualifié pour éduquer. » [...].

En conclusion, le Pape actuel in-siste pour que l’éducation recoureavec passion et dévouement auxtrois remèdes fondamentaux : lacréativité, la mémoire de la com-munauté éducative et la solidaritéecclésiale. Aussi demeure emblé-matique le souhait adressé parJorge Maria Bergoglio à la commu-nauté des éducateurs d’Argentine: « Avec le pouvoir qui m’est donnéd’En-Haut, de tout cœur, je veuxadresser ces voeux à tous lesmembres de notre communautépédagogique : ‘Au reste, frères etsœurs, tout ce qu’il y a de vrai,tout ce qui est noble, juste, pur,digne d’être aimé, d’être honoré,ce qui s’appelle vertu, ce qui mé-rite l’éloge, tout cela, portez-le àvotre actif !‘ (Phil. 4, 8) »

conférence résumée par Christine Antoine

Quand mon métier m’a conduiten Afrique, en milieu musulman,puis en Allemagne, en milieu pro-testant, ma foi s’est trouvéeconfrontée à d’autres doctrines oureligions ; c’est une foi avant toutdéfensive que j’ai d’abord déve-loppée pour répondre aux objec-tions ou attaques venant d’autrescroyants.

Islam au TchadAu Tchad, de 1961 à 1965, la

plupart de nos amis étaient mu-sulmans mais des musulmans to-lérants comme le sont souvent lesNoirs. Je n’ai jamais cherché à lesconvertir ou à les convaincre. Mafemme et moi, nous avons simple-ment prêché par l’exemple etnotre façon de vivre au jour le jour; les discussions doctrinales n’ontpas beaucoup de sens avec lesmusulmans qui, souvent, ignorentà peu près tout du Coran et bienentendu de la Bible. « Islam » signi-fie soumission à Allah et leur reli-gion, comme celle des Juifs, peutse résumer à la pratique scrupu-leuse des prescriptions du Coran(ou de la Bible pour les Juifs). Nosamis ignoraient certainement,comme moi alors, que le Coran re-flète, en grande partie, les livres ré-vélés avant lui, la Torah et lesEvangiles, tout en prétendant qu’ilsont été altérés, voire trahis.

Nos amis ont respecté en nousdes croyants-pratiquants essayantde vivre en conformité avec les exi-gences de leur foi ; cela leur suffi-sait, semble-t-il. Ils savaient parailleurs que nous étions venus en

Et ailleurs ?

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Après cette conférence, voici untémoignage d’un enseignant qui arencontré diverses religions lorsde sa vie professionnelle.

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« coopération », pour les aider àdévelopper leur pays, après l’Indé-pendance, et non par souci d’exo-tisme ou pour « faire du C.F.A. » (del’argent). Notre comportement vis-à-vis des Africains qu’ils soient «puissants ou misérables », était lemême, humain et respectueux, etnos fréquentations dénuées detout racisme. Je ne pense pas quenotre attitude ait posé de questionaux Africains auxquels nous avonseu affaire, mais certainement àbeaucoup d’Européens, venus làdans d’autres intentions, et quin’appréciaient pas beaucoupnotre façon d’être et d’agir. Mo-destement, nous avons voulu, enpartant en mission, être «les témoins auprès detous les hommes, de ceque (nous avons) vu et en-tendu » (Ac. 22, 15) : laBonne Nouvelle du saluten Jésus-Christ.

Protestantisme enAllemagne

Ce ne sont pas lesmêmes raisons qui nousont amenés en Allemagne. Le ha-sard nous a mis très rapidementen contact avec des protestants :les collègues allemands et desamis de la chorale. Ils m’interpelè-rent très vite sur mon catholicismeet cette fois encore, je ne savaispas grand-chose sur ce qui nousséparait, « au fond », avec les gensde la Réforme. Je n’avais guère eul’occasion, auparavant, de fré-quenter de « parpaillots ». Ce quej’avais appris à leur sujet en his-toire, les guerres de religions et laSaint Barthélémy, m’était alors ap-paru plus comme une rivalité poli-tique : un roi, un royaume, une

religion, le classique principe du «cujus regio, ejus religio ».

J’ai alors fait la connaissanced’un pasteur, le père d’une col-lègue allemande, qui m’a donné àlire le Commentaire de l’Epitre auxRomains de Martin Luther. Le ha-sard a voulu que j’aie « Luther » auprogramme de la licence d’alle-mand. Ce fut une découverte pourmoi et une plongée dans cetteépoque où la chrétienté se débat-tait dans les pires affres de la dé-cadence religieuse, morale etintellectuelle (avec une théologievidée de sa substance).

LutherCe n’est pas

de gaîté decœur que cemoine, pieux,féru de théolo-gie et d’exé-gèse, a jetédans cettemare nauséa-bonde le pavéde ses 95thèses. « Toute

la théologie réformatrice de Lu-ther est enracinée dans ce qui luiest le plus intime, à savoir son ex-périence personnelle de la justifi-cation » (Karl Barth). Se doutait-ilseulement que ce « drame d’uneâme » déclencherait une crise telleque le catholicisme romain n’enavait jamais traversé de si gravedurant son histoire ? S’il avait rai-son sur le fond, il n’a pas eu tou-jours la manière ; il faut dire queses adversaires romains n’avaientpas des comportements ni une ar-gumentation toujours très châtiés.Il eût fallu peu de choses pour quecette réforme, initiée par Luther,

ne débouchât sur un renouveaude l’Église, au début de ce que l’ona appelé la Renaissance. LeConcile réclamé par Luther et denombreux humanistes arriva troptard et se fit en « réaction »(Contre-Réforme) à un raz-de-marée réformiste qui mit en périlet la religion, et la société del’époque. Les élèves ignorent cesfaits qu’il est important d’évoqueren classe.

Je n’avais plus cette aversionpour ce réformateur qu’on avaitcoutume de vilipender dans lesmilieux catholiques, « un diable »,qualificatif correspondant mieuxaux papes de l’époque ! Quant àson combat pour la justificationpar la foi, je ne savais pas encorepourquoi il constituait un si grandfossé entre les catholiques et lesprotestants.* Son rejet de la plu-part des sacrements, sa référenceexclusive à la Bible, sa vision pes-simiste de l’être humain et le dis-crédit jeté sur le culte des saints,dont celui de Marie, tout cela mesemblait aller trop loin.

Il me faudra du temps et une fré-quentation plus critique des protes-tants (calvinistes) pour comprendretout ce qui nous a séparés, plussouvent par méconnaissance mu-tuelle. Et, soit dit en passant, ce nesont pas ceux qui sont les plus ins-truits de leur religion qui refusent ledialogue.

Henri Serrière,Enseignant d’allemand,

Toulouse* En 1999 une déclaration conjointesur la justification par la foi a été si-gnée à Augsbourg entre catholiqueset luthériens.

Et ailleurs ?

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Laïcité – engagement

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Ressources en ligne Éduscol

Laïcité et enseignement du faitreligieux : textes de références,ressources...

http://eduscol.education.fr/cid46675/laicite-fait-religieux.html

Éducasources

Sélection thématique de res-sources en ligne réalisée par leSCÉRÉN-CRDP de Midi-Pyrénées,avril 2009

http://www.educasources.edu-cation.fr/selecthema.asp?ID=140580

La bibliographie du documenta-liste (2009)

http://crdp.ac-lille.fr

LivresRégis Debray

Le Feu sacré, Folioessais, 2005.

Les religions, quelintérêt  ? Une ré-ponse aux milieuxathées et agnos-tiques.

L’enseignement du fait religieuxdans l’école laïque : rapport auministre de l’éducation nationale,SCEREN-CNDP / Odile Jacob ,2002. - 59 p.

L’évocation des religions, entant que faits de civilisation, estprésente dans les programmes.Cependant, l’exercice reste ma-laisé pour nombre d’enseignants.Issu de la mission de réflexionconfiée à Régis Debray par Jack

Lang, ce rapport présente les at-tendus, les résistances, lescontraintes et les recommanda-tions pour une étude du religieuxcomme objet de culture.

Un recueil de textes

L’homme et le divin : aborder lesreligions par les textes, JeanGrand, Laurence Mellerin, SCÉ-RÉN-CRDP de Franche-Comté /Desclée de Brouwer, 2001. -399 p.

A travers la présentation de huitgrandes religions : de la Mésopo-tamie, de l’Egypte ancienne, de la-Grèce antique, l’hindouisme, lebouddhisme, le judaïsme, le chris-tianisme et l’islam, et une sélec-tion de cinquante textes issus deces mêmes traditions, pour don-ner à lire et méditer de beauxtextes.

Islam

L’islam dans la République : rap-port au Premier ministre HautConseil à l’intégration, Documen-tation française, 2001. - 203 p.

Ce livre commence par un étatdes lieux des relations entre l’Étatet les églises et par une présenta-tion de la présence musulmaneen France afin d’aider à compren-dre les questions qui se posent ac-tuellement dans notre pays àpropos de l’islam en tant que faitreligieux, social etculturel.

Pour les enfants

1 «foi», 2 «foi»,3 «foi» ! : Petites his-toires pour compren-dre les Religions,Sylvie Girardet Ha-tier, 2006. - 71 p.

Des histoires pour sensibiliserles enfants aux différentes reli-gions et diverses croyances sur lacréation du monde.

DictionnairesDictionnaire culturel du christia-

nisme, Nicole Lemaitre, Marie-Thérèse Quinson, Véronique Sot,Paris, Cerf-Nathan, 1994, 331 p.

Petit avec quelques approxima-tions qu’on ne nous a jamais invi-tées à modifier lors des nombreuxretirages… Il fait suite à un

Dictionnaire culturel de la Bible,par Danielle Fouilloux et al., Cerf-Nathan, 1990, 301 p.

L’équivalent existe désormais pourl’Islam, le Coran et les autres reli-gions du monde, le bouddhisme enparticulier (Philippe Cornu).

Pourtant, il sera prudent d’utili-ser des dic-t i o n n a i r e se n c y c l o p é -diques an-ciens debibliothèquecomme Catho-licisme oul’Encyclopédiede l’Islam etc.

Des grammaires comme celle deHatier enseignants, Guil-laume Bourel et als : En-seigner les troismonothéismes, Paris, Ha-tier, 2009, 127 p.

Particulièrement clairet équilibré, et adapté àdes situations d’ensei-gnement, bien qu’il soitaxé sur les anciens pro-grammes.

Enseigner les religionsPetite bibliographie proposée par Nicole Lemaitre

Vie culturelle

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Livres sur le yogaQuelques livres conseillés par Laurence Deteix Debost, voir p. 22

37Lignes de crêtes 2017 - 35

Vie culturelle

Les quatre accords tol-tèques, Miguel Ruiz, édi-teur Jouvence, édition depoche 7,9 €Si vous êtes emballés,il ya même le cinquièmeaccord toltèque

Calme et attentif commeune grenouille, Eline Snel,2017, 19,90 €.

Génial, à utiliser enclasse, à la maison avec ses enfants,à conseiller aux mamans d’élèvesanxieuses.

Les cartes des Mudras,Gertrud Hirshi, broché,23 €.

Les mudras sont desimples gestes des doigtset de la main. Exercicesde concentration, ils «soi-gnent» également. Je lesutilise comme interludes en classe.

Certains sont téléchargeables sur Internet, sousle nom le yoga au bout des doigts PDF

Stretching et yoga pour lesenfants, Jacques Choque,éd Amphora, 2005, 22,5 €.

On en trouve des extraitssur Internet.

Imagine-toi dans la caverne dePlaton, Jacques de Coulon, édPayot, fév 2015, 20 €

Série d’exercices simples et lu-diques qui se révèleront très utileset rassurants pour les ados biensûr, les parents et même les ensei-gnants qui souhaitent se former àla résolution non violente desconflits

Les philofables, MichelPiquemal, Albin Michel,

Plusieurs volumes decontes philosophiques pourfaire réfléchir.

albums pour les petits :Le yoga de Kika, Ulrika Deze & Simon Kroug, éd

Milan jeunesse, 12,5 €.Yoga-baba, Pascale Bougeault, éd école des loisirs,

2007, 12,2 €.

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et de la fraternité. Pour m’expli-quer, je vais prendre un exempletrès simple. Récemment, un amide retour d'un séjour au Japon mefait part de son étonnement de-vant la subtilité de certaines cou-tumes locales, comme le salut ense penchant en avant. Il racontequ'ayant un guide féminin, il s'était« naturellement » mis à faire cegeste en se positionnant par imi-tation de manière « féminine », en-traînant sans le savoir la gêne etl'embarras chez certains de ses in-terlocuteurs, jusqu'à ce qu'on lui

explique la cause desa méprise. Intri-guée, je me suismise à regarder lesfilms japonais avecun œil plus attentif :je constate qu'effec-tivement, les per-

sonnages qui se saluent en sepenchant en avant ne le font pasexactement de la même manièresuivant leur sexe (ils ne position-nent pas leurs mains au mêmeendroit). J'avais vu des dizaines(peut-être des centaines) de filmsjaponais sans avoir jamais aupa-ravant noté ce détail « exotique »qui fait le sel des récits de voyagesen terres étrangères, mais nouslaisse, justement, en positiond'« étrangers ». C'est tant mieux, etc'est pour ça (entre autres) quej'aime le cinéma.

Le récit narratif entraine toutavec lui, en ne s'attachant qu'auxmotivations profondes (les senti-ments, les émotions) qui sont bienplus universelles que les cou-tumes. Au cinéma, on peut ainsitrès rapidement se sentir le frèrede quelqu'un qui ne partage qua-siment rien de notre mode de vie,

Vie culturelle

mais tout de notre condition hu-maine. Sans forcément s'identifieraux personnages d'un film, on lescôtoie et on les comprend, on lesaccompagne le temps de l'histoirequi leur arrive. On change facile-ment avec eux de sexe, de métier,de pays, de langue, de vie. Onpeut sympathiser avec un criminel(dans les films noirs), se sentirproche d'un monstre (voir les filmsde Tim Burton). Cette expérience,que permet aussi la littérature, est àla base des liens que nous pouvonscréer avec les autres, en faisant fides différences contingentes quinous séparent. Elle nous rend sim-plement plus humains.

Isabelle Tellier Paris

Cinéma et spiritualité

Le cinéma peut aussi être uneexpérience spirituelle. C'est uneintuition qu'avaient déjà AndréBazin, un des premiers grands cri-tiques français (et mentor de Fran-çois Truffaut) ou les fondateursd'une revue comme Télérama.

Dans Le cinéma, invitation à laspiritualité Michèle Debidour dé-clinait en dix chapitres théma-tiques (tels que « Le film, lieuprivilégié du symbolique », « Ci-néma et cheminement spirituel »,« Figures de croyants au cinéma »,etc.) un plaidoyer sur la valeur spi-rituelle du sep-tième art. Lesœuvres qu'ellecitait étaientdes classiques :elle écartaitheureusementrapidement les péplums bibliquesmais les figures attendues de Ro-bert Bresson ou d'Andrei Tar-kovsky occupaient une place dechoix dans son livre. Attendusaussi, « Le décalogue » de Kies-lowski, « L'évangile selon saintMatthieu » de Pasolini ou les réali-sations des frères Dardenne. Maisles analyses proposées étaientsouvent un peu moralisantes etbien pensantes, c'était clairementvia leur « message » uniquementque les œuvres étaient envisagés.Quasiment aucun film réalisé horsoccident et aucun film « de genre» n'était convoqué.

Je préfère me focaliser ici surces films délaissés et sur l'autresorte d'expérience spirituelle qu'ilspermettent, presque sans la cher-cher. C'est quelque chose de plusmodeste mais peut-être d'aussiimportant que la morale : l'expé-rience simultanée de la différence

Le cinéma, invitation à la spiritualitéMichèle Debidour, éd de l’Atelier2007, 18,15 €

L'expériencesimultanée de ladifférence et de

la fraternité

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François Cheng est né le 30 août 1929 à Jinan(Chine) où son père travaillait, mais sa famille est ori-ginaire de Nanchang dans le Yangxi, famille de let-trés. Le père et la mère de François Cheng ont étudiéaux États-Unis. Le père est spécialiste des sciencesde l’éducation. François est le 2ème de quatre frères.[...]

Cheng arrive en France dans les derniers jours de1948. À ce moment-là la mission de l’UNESCOs’achève. Le Père ne peut rentrer en Chine et ayantquatre enfants à charge, décide de partir aux États-Unis où il se retrouve à la tête du Chinese Institut àNew-York. Mais François ne veut pas partir, il décidede rester en France. [...]

François Cheng a été naturalisé Français en 1971,et spontanément il a adopté le prénom de François(prénom de François d’Assise, humble entre les hum-bles, celui qui parle aux oiseaux, qui lui a permis dedécouvrir le christianisme et de se convertir).

Il débute sa carrière d’enseignant, d’abord chargéde cours à Paris VII, puis professeur à l’Institut Natio-nal des Langues et Civilisations Orientales (INALCO),jusqu’à sa retraite en 1996.

En 1963, second mariage avec Micheline Benoit (sapremière femme, mère de la sinologue Anne Cheng,regagne la Chine en pleine révolution culturelle).

Le 13 juin 2002, il devient membre de l’AcadémieFrançaise, au fauteuil34, qu’occupait son amiJacques de Bourbon-Busset,

Pour connaître Fran-çois Cheng, lire Entre-tiens avec FrançoiseSiri, Albin Michel (mars2015), lire aussi le dis-cours de réception àl’Académie Française etréponse de Pierre-JeanRémy.

Qui est François Cheng ?Par sa double culture, François Cheng est un auteur qui présente la spiritualité sous un jour intéressant.La lettre des CdEP de la Loire a publié une étude assez complète à son sujet dont voici quelques extraits.

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De l’ÂmeFrançois Cheng (Albin Michel 2016)

C’est par une série de sept lettres adressées à uneamie très belle, rencontrée il y a une trentaine d’an-nées dans le métro et revue récemment que FrançoisCheng a choisi de nous parler de l’âme.

Le terme est tombéun peu en désuétude.On parle de l’espritqui permet d’organi-ser la société et quirégit le savoir. Maisl’esprit peut être al-téré. Nous avonsparmi nous des handi-capés mentaux, dessujets frappés par desaccidents vasculairescérébraux ou touchéspar la vieillesse.

L’âme est en cha-cun de nous, dèsavant sa naissance etelle l’accompagnejusqu’au bout. L’âme est l’unité foncière de chacunde nous. Elle nous relie au souffle vital. Elle est lesiège du désir, de la mémoire vécue, des sentiments,de la sensibilité, de l’amour sous toutes ses formes.Elle permet la création artistique. Elle est reconnuepar toutes les civilisations.

D’autre part, Cheng nous parle merveilleusementbien de la « chercheuse d’âme » que fut Simone Weil(cf. La Croix du 15 décembre 2016).

Livre à lire et à relire, On peut admirer aussi la pagede couverture : une représentation de la région duShinjian.

Christiane Guigonlettre des CdEP de la Loire

mars 2017

Autre livre récent de François Cheng sur la spiritualité :Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie, AlbinMichel, 2013

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Le dernier livre de Marie de Hen-nezel1 (MdH) aborde le thème de laspiritualité, confronté au corps ma-lade, aux rêves et à la mort.

MdH a intégré en 1987 la pre-mière unité de soins palliatifs enFrance et s’est spécialisée dansl’accompagnement de fin de vie :à travers ses conférences et par laformation des personnels desanté, elle conseille sur l’art debien vivre et bien vieillir2.

Elle écrit sur le goût de la ten-dresse, la nécessaire chaleur del’amour qui permet de s’épanouiret aussi de faire attention aux au-tres, grands malades ou mou-rants3 : « Il est plus intéressant,quand on est malade, de se de-mander vers quoi cette maladienous conduit, ce qu’elle peut nousfaire découvrir de nous-mêmes,plutôt que de s’interroger sur lepourquoi, sur l’origine psycholo-gique ou même génétique. » Pourcela, prendre du temps pour s’al-longer et méditer peut aider lescellules du corps à faire leur tra-vail (à se reconstituer). « Il s’agitde visualiser une lumière et del’imaginer pénétrer dans le corpspar la fontanelle, puis se répandredoucement autour et à l’intérieurdes organes, le long de la colonnevertébrale jusqu’aux pieds. Selonl’endroit où le corps est malade ilfaut laisser longtemps cette lumière« baigner » l’organe malade ».

Son expérience se nourrit deplusieurs courants scientifiques etspirituels et rend compte de seséchanges avec François Mitter-rand. Personne ne saisit véritable-ment la raison pour laquelle leprésident entreprend l’ascension,chaque année, de la roche de So-lutré. « Tous les chrétiens sont à lamesse pour cette fête de l’EspritSaint et moi, j’ai ma manière à moide célébrer les forces de l’esprit ».

Le lendemain de cette ascension,il a pris l’habitude d’aller se re-cueillir dans l’église de Taizé. Il ex-plique : « Je m’assieds sur un petittabouret, au fond de l’église, et jereste là. Il y a une énergie palpa-ble dans ce lieu, étonnant, non?Est-ce l’énergie de la prière ? Je nesais. » Fr. Mitterrand avoue qu’il sentune Présence. « C’est physique, c’estpalpable.». Mais il ne cherche pas àla nommer. La sentir lui suffit.

Il interroge MdH sur « Le Livre del’épreuve » de Farïdoddïn Attar4,poète iranien soufi du XIII° siècle,cette épopée mystique où l’on litque l’épreuve n’est pas une catas-trophe qui vous tombe dessus,mais qu’elle porte en elle un se-cret. Nous désirerions inconsciem-ment avoir accès à ce secret.L’épreuve nous l’apporteraitcomme un cadeau. « Ce qui inté-resse Fr. Mitterrand, c’est la visiondéculpabilisante de l’épreuve quepropose le poète. Nous sommesloin de l’idée qu’elle viendraitpunir, ou sanctionner une fautemorale. Ou bien qu’elle serait laconséquence d’une blessure del’enfance. L’épreuve n’est pas da-vantage un simple manque dechance. Entre la version culpabili-sante et la version nihiliste, lepoète persan nous invite à réflé-chir à un sens plus profond : laversion spirituelle ».

MdH explique que la méditationinspirée de l’Orient et du boud-dhisme ne fait pas référence àune transcendance, mais qu’il suf-fit d’être là, présent à son souffle,de laisser les soucis reposer, decalmer son esprit : « C’est une hy-giène de la pensée et de l’esprit,[…] que pratiquent les traditionsreligieuses dans leurs médita-tions. […] En plus de la présenceau souffle, on récite un mantra,c’est-à-dire une parole, une

Vie culturelle

40 Lignes de crêtes 2017 - 35

phrase qui a un sens spirituel, carcette méditation est aussi uneforme de prière. Ainsi, les musul-mans de la branche soufie réci-tent aussi, en méditant : “La ilahailla Allah”, qui signifie : “Il n’y a pasd’autre dieu que Dieu», et les juifsont aussi leur mantra : “ShemaYisrael adonai eloheinu adonaiechad”, qui signifie : “Écoute Is-raël, le Seigneur est notre Dieu, leSeigneur est un» ».

L’auteur évoque son expériencede l’accompagnement des mou-rants : « chez les soufis, on dit quela tâche de l’être humain est depolir son cœur pour qu’il devienneun miroir dans lequel le divin peutse refléter ». Une question taraudele président : « est-ce que lescroyants meurent mieux que lesautres, plus apaisés ? - Non, pasforcément, lui dis-je. J’ai accompa-gné deux prêtres, tous les deuxtrès angoissés et tourmentés, in-capables de prier et de s’aban-donner. Mais, en revanche, il y apeu de temps, j’étais au chevetd’une femme qui se disait athée,mais “curieuse de la suite». J’aitrouvé la formule intéressante […]J’ai souvent eu l’occasion de le luidire, ce n’est pas la foi, maisl’épaisseur de vie que l’on a der-rière soi qui permet de s’abandon-ner sereinement à la mort.».

Benoit PetitTouloiuse

Les forces de l’esprit

1 Croire aux forces de l’esprit, Fayard,2016. Autres titres évocateurs de seslivres : Le Grand livre de la tendresse(Albin Michel), La chaleur du corps em-pêche nos corps de rouiller (poche2010) et J’ai choisi de me battre, j’aichoisi de guérir (R. Laffont 2014)2 http://www.franceculture.fr/emis-sions/les-discussions-du-soir/les-forces-de-lesprit3 La mort intime (Robert Laffont)4 Fayard, 1981

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Abdennour Bidar est un philo-sophe très courtisé par les médiasdepuis la parution de sa « Lettreouverte au monde musulman  »dans l’hebdomadaire Marianne,peu avant les attentats de janvier2015. Fils d’un père musulman etd’une mère d’origine chrétienneconvertie à l’islam, il est norma-lien, agrégé et docteur en philoso-phie. Son parcours personnel l’a

amené à s’intéresser d’abord àl’islam puis à toutes les spirituali-tés. Haut fonctionnaire, il a parti-cipé aux travaux du gouvernementde François Hollande sur la laïcitéet est devenu inspecteur généralen mars 2016. Actuellement, ilécrit des livres, fait des confé-rences qui visent à aider au dia-logue et à l’harmonie entre lesdifférentes composantes de notresociété.

En 2016, il a publié trois ou-vrages intitulés « Laïcité et religiondans la France d’aujourd’hui »,« Les tisserands, réparer ensem-ble le tissu déchiré du monde » et

« Quelles valeurs partager ettransmettre aujourd’hui ? ». Si lepremier livre est une étude clas-sique sur la laïcité, le second estbeaucoup plus original etconstructif car il cherche à décryp-ter ce qui fait la vitalité de notremonde, ses élans spirituels plusou moins inconscients dans les-quels il voit l’émergence d’unenouvelle spiritualité. Quant au troi-sième, il est un outil remarquablepour les enseignants chargés del’enseignement moral et civique(EMC) institué à la rentrée 2015.Il précise même dans sa préface :« J’ai voulu y contribuer ici en pré-sentant les trente notions quej’aborde selon les quatre axes dé-finis par le Ministère de l’Educationnationale : culture de la sensibilité,du jugement, de la règle et du droit,de l’engagement ».

C’est vraiment un traité de mo-rale ouvert sur le monde, ses ré-férences sont puisées danstoutes les traditions, non seule-ment occidentales (culture an-tique, judaïsme, christianisme,

islam, philosophies, littérature…)mais aussi asiatiques (Japon,bouddhisme, confucianisme…). Al’intérieur de chaque chapitre, onpasse ainsi, par exemple, de VictorHugo au Talmud puis au Coran ouà certains mystiques chrétienspour arriver chez les mystiquesd’Inde du sud, le tout dans unquestionnement parfaitement lim-pide. Pour bien marquer que lamorale sert à guider l’action leschapitres ont pour titre des ex-pressions verbales telles que« agir avec bonté », « libérer son es-prit critique » ou « rester fidèle ».Chaque chapitre commence parune série de questions qui résu-

ment la problématique qui seradéveloppée et qui, à chaque fois,met en évidence les contradic-tions ou les conflits auxquels onpeut se trouver confronté dansune application trop rigide de cer-tains principes.

Certes ce livre estd’abord conçucomme un manuelmoderne d’intro-duction à la morale,mais il peut aussiintéresser tousceux qui souhaitentcomprendre d’oùviennent ces no-tions morales qui nous ont sou-vent été transmises comme des

impératifs religieux mais qu’on re-trouve, sous une forme ou uneautre, dans toutes les traditionsd’un bout à l’autre de la planète. Ilest pour tous, une invitation à dé-finir ses propres règles morales enaccord avec sa personnalité et sonentourage.

Anne-Marie MartyPicardie

Addennour Bidar, Quelles valeurspartager et transmettre au-jourd’hui ? Albin Michel 2016 18€.

Quelles valeurs partager ettransmettre aujourd’hui ?

Vie culturelle

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EnfanceMon grand père auvergnat et athée

ne parlait jamais de l’islam. Je voyais lesmusulmans rester beaucoup entre eux.Et moi au milieu. Un électron libre. Tan-tôt chez les uns tantôt chez les autres.Était-ce là le sens de ma vie, de faireenfin communiquer ces deux mers quise touchent sans mêler leurs eaux, cetOrient et cet Occident qui se côtoientsans se connaître? Le petit garçon quej’étais a dû se figurer que c’était là saresponsabilité à venir, effectivement.Self islam : Histoire d’un islam person-nel, quatrième de couverture , 2006

ExtraitQu’est-ce donc que s’humaniser,

sinon cheminer vers soi et avec lesautres ? Aller au « je » par le « nous »,prendre soin de soi en prenant soindes autres. Il y a un bénéfice réci-proque pour l’individu et pour la so-ciété lorsqu’ainsi les forces de toussont mises au service de chacun.Quelles valeurs partager et transmettreaujourd’hui ?, page 266.

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Jules Verne fournit un très bonexemple où il est possible à l’ensei-gnant de montrer aux élèves (enadaptant son propos à l’âge et auniveau de ceux-ci) qu’il n’y a pasd’œuvre littéraire, ni de création ar-tistique sans une spiritualité et desréférences, intellectuelles ou reli-gieuses, sous-jacentes. Et cecimême dans des œuvres qui en pa-raitraient dépourvues a priori.

Le XIXe siècle connaît une pous-sée des sciences et des tech-niques alors sans précédent.Après 1850, le sentiment de lamachine s’est désormais installédans les esprits et l’imaginationdes écrivains peut tout naturelle-ment lui deman-der des idées,des histoires,des aventures.Sur ce terrain,Jules Verne( 1 8 2 8 - 1 9 0 5 )reste un maîtreinégalé pour sonépoque. Toute-fois, il ne prêteson talent (affinépar son éditeuret ami Hetzel)qu’à des extra-polations mesu-rées. C’est eneffet dans ledécor du XIXe siè-cle et de sesterres encore vierges qu’il met enscène la machine possible quifrappe déjà aux portes de demain.Jules Verne sent alors tout le partique sa créativité est en droit dedemander à l’hybris de l’homme,à la démesure de ses ambitionsface à son prochain, face à la so-ciété et à la Nature.

Vers l’homme et les incroyablesmachines que le progrès lui pro-met migrent avec Jules Verne desthèmes religieux qui peuvent don-ner un cadre très ferme à ses ro-mans, comme dans L’Îlemystérieuse (1874-1875) et Lescinq-cents millions de la Bégum(1879). C’est que les aventuresqu’il brosse n’auraient peut-êtrepas eu autant d’impact sur sespremières générations de lecteurssi elles n’avaient aussi croisé dansles eaux d’un imaginaire plus quo-tidien et commun, si ellesn’avaient fait leur un systèmed’images et de références, encoredominant au XIXe siècle, jouant surles registres du bien, du mal et

nourri demême de ré-férences bi-bliques.

L’aventurevernienne,c’est aussicelle d’unimaginairechrétien en-core par-tagé parbeaucoup,ayant à seconfronterau senti-ment ins-tallé de la

m a c h i n ecertes, mais qui est aussi devenuincertain ! Les découvertes de lascience, en effet, présentent au-trement que ne le fait le récit bi-blique les origines du monde et del’homme. Or, le roman vernien,loin de sonner le glas d’un tel récitfondateur, en restaure la trame et

Vie culturelle

22

y insuffle pour cela des idéaux hu-manitaires ou patriotiques. C’estainsi que L’Île mystérieuse laissederrière elle la guerre de Séces-sion et que Les cinq-cents millionsde la Bégum peinent à oublier ladéfaite de Sedan… Le fait estqu’avec ces deux ouvrages senoue la trame solide d’un thèmequi conduit l’imaginaire verniend’Eden à la Jérusalem nouvelle.

Que nous raconte à ce sujet L’Îlemystérieuse ? Un groupe d’hommesen fuite dans un ballon (en perdition)se trouve pris dans les ténèbresd’une violente tempête, avant devoir apparaître au milieu des eaux,une terre sèche, une île. Le parallé-lisme est troublant avec le « toutn’était que tohu-et-bohu » biblique.Là, sur cette île, tous exécutent en-semble les gestes des commence-ments de la civilisation et font enmême temps l’expérience d’uneprovidentielle mais bien concrètemain invisible, celle d’un capitaineNemo apaisé mais mourant. Puis,tout se précipite : les pirates, lefeu de l’activité volcanique en lutteavec l’océan, la fin d’un monde quise dénoue sur une presque pierred’autel granitique, gage d’un salutqui conduira le petit groupe dessurvivants vers une vie et une fra-ternité meilleures. Voilà pour la Jé-rusalem nouvelle !

De leurs côtés, Les cinq centsmillions de la Bégum racontentl’histoire d’un fabuleux héritagepartagé, mis au service de laconstruction de la ville idéale, parun philanthrope et savant fran-çais, dans l’écrin d’un cadre natu-rel préservé. C’est en fait là, danscet Eden américain, qu’il faut re-chercher les plans verniens de la

Un imaginaire chrétien dans leroman vernien

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Jérusalem nouvelle, plus que dansL’Île mystérieuse ; ces plans oùtriomphe l’idée de progrès àchaque coin de rue, de maison etd’édifice public imaginés. La Jéru-salem nouvelle sort du sol, à lamanière du plus haut degré de ci-vilisation qui se puisse rejoindreen matière de vie scientifique, cul-turelle et sociale. Mieux encore,elle se montre une mère incompa-rable et attentive. Tous ses en-fants, hommes et femmes, ainsique leur progéniture, s’y distin-guent par la qualité de leur corps,de leur esprit, de leurs mœurs. Lavie y resplendit, avec pour auxi-

liaire une pédagogie et une hy-giène sans failles.

Cette même cité radieuse, tou-tefois, est menacée par l’ennemihéréditaire, une Allemagne qui aété architecte, à l’opposé et nonloin de là, d’une ville industriellebâtie avec l’autre moitié de l’héri-tage. Le canon géant forgé parcelle-là (une sorte de Grosse Ber-

tha avant l’heure !) est pointé versla Jérusalem nouvelle, mais ilmanque sa cible dans la nuit. Parailleurs son artificier, la Provi-dence aidant, meurt, de son côté,brutalement. L’œuvre de décréa-tion qu’il avait projetée, planifiée,est étouffée dans l’œuf. Le tempslui aura manqué pour signer ausens propre un pacte avec la mort.

Le mystère du mal hante de lasorte la vision vernienne de l’Edenet de la Jérusalem nouvelle. AvecL’Île mystérieuse, il était questiond’une chute depuis les cieux etd’une bataille contre de forts mau-vaises personnes : les pirates.Dans Les cinq cents millions de laBégum, ce manichéisme refaitsurface, mais à la manière d’unpacte avec le diable comme empê-ché d’agir au dernier moment. Lafigure de la rédemption marquetrès fortement l’histoire de la mys-térieuse Lincoln Island. Celle-cin’est pas entièrement absentedes Cinq cents millions de laBégum, car la ville de l’acier, laville ennemie reprise en main parFrance-Ville (le nom est tout unprogramme à lui seul !) connaît unnouveau souffle, est sauvée dudésastre économique.

Tout montre que Jules Verneprocède en quelque manière parfragmentation sur l’imaginairechrétien et ses clichés, tout enmettant en tension le commence-ment et la fin, genèse et apoca-lypse. Vis-à-vis du mystère du malqui trace la route à la question dusalut, c’est dans un autre récitd’aventure, dans le Château desCarpathes (1892) qu’il lui donneraun tour plus métaphysique, touten restant très scientifique dansses explications. La Stilla, unecantatrice d’exception, pourtant

morte, y apparaît à la fois captived’un génie infernal et parvenue àl’immortalité impersonnelle que lascience a su donner à son imageet à sa voix ! Orphée et Eurydicetout à la fois, elle est tirée de cetenfer par son ancien amour qui laperd une seconde fois dans le brisd’un miroir et dans les flammes.C’est peut-être à la faveur de cesrécits d’aventure, de leur référent

religieux enfoui, que Jules Vernedonne à comprendre jusqu’oùl’idée de Progrès aura pu chercherà mettre ses pas dans celle duSalut, à gommer l’histoire de laRévélation en lui substituant celle,repensée, de la civilisation.

Frère Denis-BernardMoine Trappiste

(Denis Cazes)

Vie culturelle

23Lignes de crêtes 2017 - 35

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Vie culturelle

<#> Lignes de crêtes 2017 - 35

On aurait tort de pousser un soupir de lassitude de-vant le titre de ce dossier de la revue Christus : « En-core les migrants ! » Eh bien non ! Ce numéro apporteune réflexion neuve et essentielle sur ce sujet re-battu. Certes les témoignages, dus en particulier auservice jésuites des réfugiés (JRS) ne manquent paset on sera ému de cette belle histoire de « l’ange sy-rien » (p. 53) qui prit la direction de l’embarcation etla mena à bon port après que le passeur eut plongépour regagner la rive, abandonnant le canot à la dé-rive.

Mais l’essentiel est dans cette relecture de notrefoi chrétienne à la lumière de ces mouvements ac-tuels de populations. Le croyant – mais aussi touthomme, puisque nous ne sommes que de passageen ce monde – est par essence un migrant, commele montre l’histoire d’Abraham ou celle du peuple hé-breu passant de l’Égypte à la terre promise, une terre« qu’ils recevront comme un héritage, ce qui signifiesans en être les propriétaires », comme le précisetrès justement Jean-Marie Carrière (p. 21), puisqu’unhéritage se reçoit et se transmet de génération en gé-nération. La vie chrétienne est ainsi « un exode », pourreprendre le titre de l’article de Michel Fédou (p. 25)et l’accueil de l’autre, devoir moral fondamental pourquiconque éprouve la conviction d’être lui-même depassage, est aussi et paradoxalement une ouvertureà l’hospitalité de l’autre (voir la table ronde, p. 43s.)qui m’accueille dans son humanité, tel Abraham, ac-cueillant dans sa tente de migrant les trois mystérieuxpersonnages du livre de la Genèse (Gn 18).

J’emprunterai ma conclusion à Alain Thomasset,qui dit l’essentiel (p. 63) : « Dans la rencontre des ré-fugiés, nous avons commencé à voir la part d’exiléqui vit en nous. Ceux qui n’ont plus ni maison nichamp ni famille parfois, nous ont fait découvrir com-bien nous sommes des réfugiés à notre tour, sansautre garantie que la foi en ce Seigneur qui est la Ré-surrection et la Vie, sans autre maison que celle desa Parole. Toute autre terre, toute autre assurance,toute autre maison disparaîtront, et y mettre saconfiance serait vain. L’essentiel réside ailleurs, dansl’amour reçu et partagé.».

Jean-Louis Gourdain, Rouen

Revue Christus n° 253janvier 2017

Migrations Un voyageintérieur

Un récit court, mais d’une grande densité. L’au-teur l’a qualifié de roman, ce qui lui donne libertéde création.

Nous sommes à Babylone, il y a bien longtemps.Alexandre est malade, va-t-il mourir ? Bien sûr, nousconnaissons la réponse : Alexandre que l’Histoire ap-pelle le Grand, est mort en pleine gloire et en pleinejeunesse à Babylone.

Selon une méthode qui lui est chère, l’auteur, Lau-rent Gaudé, utilise plusieurs points de vue : le narra-teur semble se glisser, tour à tour, dans la peau dechaque personnage, et cela sur un tempo rapide, unepage pour chacun, parfois moins. Cela donne unrythme étrange au déroulement du récit, et à notrelecture. On avance par étapes, pas si étonnantpuisque l’on suit le cortège funèbre qui doit ramenerla dépouille d’Alexandre jusqu’à sa terre natale.

Ce roman est celui des vaincus : les Perses parAlexandre, mais Alexandre lui-même par la maladie,puis la mort, et aussi Éricléops, l’envoyé d’Alexandre,toujours plus loin vers l’Est, et enfin Dryptéis, la prin-cesse perse, fille de Darius, l’ancien roi des rois.

Dryptéis est au coeur du récit, mariée au plusproche compagnon d’Alexandre, puis devenue veuve.Elle a déjà essayé d’échapper à son destin, se reti-rant aux confins de l’Empire, parmi des moines quil’accueillent sans lui poser de questions :«Elle est loinde Babylone, sur la terrasse de ce temple suspenduqu’elle a choisi pour refuge». Elle a quitté la cour, sonagitation, ses intrigues pour un monde de silence, delenteur. On vient l’y chercher, quand Alexandre semeurt. Là commence ce récit qui est celui de saquête de l’oubli, de sa tentative de rompre la malé-diction qui plane sur sa famille. Elle n’est pas seuleen jeu, elle a un fils, comment le protéger ?

Ce livre envoûtant est une méditation sur laconquête, la violence, la gloire et ses vanités. C’estaussi et surtout une réflexion sur l’éloignement, la dé-prise, le renoncement où trouver la paix.

Jacqueline XhaardAngers

Pour seul cortègeLaurent Gaudé, Actes Sud/Leméac, 2012

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Une lettreAntoine Martin, président des Equipes Enseignantes

au moment de la fusion avec la Paroisse Universitairenous fait part de ses préoccupations.

Chers amis, en ces temps tourmentés, j’ai quelquesmots à vous dire,

– à mes amis cathos :

Je ne suis pas d’extrême droite, même si certainsde vous aiment à penser que nous le serions tous. Moije m’en garderai autant que possible

Je trouve même peu compatible ma foi, et les va-leurs véhiculées par cette idéologie. Dans un autretemps, un Pape, futur saint, disait d’une autre idéolo-gie séduisante alors qu’elle était « intrinsèquementperverse » Ce qualificatif irait bien à l’extrême droite,ou même à ceux moins extrêmes apparemment, quise laissent aller dans le même sens.

Mais, me diriez-vous avec raison, « tu es degauche . Effectivement, ce n’est pas une insulte àmes yeux j’ai toujours cru en l’espoir soulevé parcette famille, sans être tenté pour autant par sesbranches extrêmes ! Dans tous les cas j’ai cherché àgarder une lucidité éclairée par les valeurs évangé-liques que nous partageons.

– aux amis d’un autre bord,

j’aurais envie de dire, gardez-vous, vous aussi, detout enfermement délétère, montrez vos convictionspluralistes et respectueuses. Prenez vos responsabi-lités et donnez à chacun, y compris au croyant, sa partde responsabilité dans la construction d’un mondepartagé. Montrez-vous capables de partager vosconvictions avec ceux qui diffèrent de vous, et de bâtiravec eux ce monde à venir.

– La laïcité est là pour nous aider tous, ce n’est pasune religion, mais une ligne de conduite apte à enri-chir, dans notre diversité, notre humanité commune.

Amitiés à toutes et tous.le 25 mars 2017

Antoine MartinMontpellier

Rencontre nationale 2017

Vie de l’association

45Lignes de crêtes 2017 - 35

Paul Bony & Daniel MoulinetNotre aumônier, Daniel Moulinet se montre très

heureux de la présence de Paul Bony qui a été jadisson professeur.

Nous rendrons compte dans un prochain nu-méro de sa conférence sur le corps dans la Bible.

Table rondeDe gauche à droite, M. B., Paul Bony,

conférenciers, Catherine Listrat qui diriqeles débats et Chantal de La Ronde,nouvelle présidente de CdEP.

Photos : Suzanne Cahen

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46 Lignes de crêtes 2017 - 35

Gabrielle Gaspard représententles CdEP. Pour la deuxième réu-nion, la question choisie est : Com-ment éducateur, investi dansl’école, habité par une foi reli-gieuse, peut-on avoir une paroleutile à d’autres ? Michèle penseque ce groupe, marqué par unedissymétrie de représentation,pourrait s’organiser autour d’uneréflexion sur « croyants en école ».Ce groupe, prenant au sérieux lesdébats dans les classes et les ac-tions des élèves à la suite des at-tentats de Charlie Hebdo et duBataclan (2015), a permis à cha-cun de ses membres de voir toutel’importance des points de re-pères et croyances des élèves.C’est vraiment autre chose quel’étude du fait religieux, et mérited’être exploré.

Recherche de sens etde spiritualité à l’école

Suite à cette réflexion, CdEPchoisit comme thème de la ren-contre d’animation d’Issy (20-22octobre) Recherche de sens et despiritualité à l’école et sollicite letémoignage de Nicole Lemaître,professeur honoraire d’histoire àParis I2.

Semaines SocialesDès le 11 février Philippe Leroux

participe à la réunion organiséepar les Semaines Sociales deFrance qui a choisi cette annéecomme thème Ensemble l’éduca-tion. Tout au long de l’année, loca-lement et nationalement, ungroupe d’adhérents participe auxdébats puis propose pour la ren-contre de novembre deux ateliers(Enseigner la Laïcité à l’école,avec Bernard Lepage, atelier

Vie de l’association

Sanctionner mais pas abandon-ner : comment le travail en réseaupermet l'accueil de collégiens ex-clus). Finalement, trois contribu-tions sont déposées sur laplate-forme participative, deuxmises en forme en octobre à Issy(Une école publique qui favorise lamixité sociale et crée la rencontre,Donner dans le cadre de l’ensei-gnement public et laïque un sensaux recherches spirituelles dechacun) et une par Pierre Durand,de Dijon (Faire toute sa place à laspiritualité)3. A La Villette, les 19et 20 novembre, CdEP tient unstand où il présente ses activitéset propositions. Autour du standse nouent rencontres interperson-nelles et débats. Plusieurs inter-ventions relancent dans leurrecherche la quinzaine d’adhé-rents présents.

CCFD terre solidaireDe nombreux adhérents des

CdEP voient les actions avec leCCFD-TS comme un élargissementde leurs perspectives où leur at-tention d’enseignants aux plus fra-giles, à chacun de leurs élèves,prend plus de relief. Michèle Bour-guignon participe au réseau thé-matique Migrations et AlicePalluault à la commission Éduca-tion à la citoyenneté et à la solida-rité internationale. ÉvelyneCouteux, qui représente CdEP àl’assemblée générale du CCFD-TS,a été pendant trois ans élue au CAdu CCFD. Elle décide de ne pas sereprésenter, tout en restant à l’AG.Merci Évelyne pour tout le travailaccompli, tous les liens tissés !

Après la mobilisation réussie au-tour de la COP 21, le CCFD-TS veutsoutenir une dynamique qui intè-

Assemblée généraleRapport d’activité 2016 (extraits)

Transmission etrecherche de sens

Dans l’école, on sent qu’il estvain d’opposer contenus et péda-gogie. CdEP fait le choix d’inviterMarie-Claude Blais, lors de la ren-contre nationale, les 2 et 3 avril, àSt Aubin-les-Elbeuf (76), à traiter laquestion de la transmission, forcé-ment liée aux processus d’appren-tissage. Les savoirs, la langueprécèdent les jeunes, ceux qui seles approprient s’ouvrent à unnouvel univers et découvrent des« communautés » symboliquesdans lesquelles ils peuvent s’inté-grer. La relation de pair à pair, pro-posée par Internet, ne peut êtrequ’une des modalités de l’appren-tissage. Transmettre et apprendresont les deux facettes d’unemême réponse à une société quia un projet pour elle-même. La cé-lébration, le deuxième dimanchede Pâques, nous permet de pas-ser ensemble d’une vie marquéepar des difficultés et une mort,semblables à celle de Jésus, à lavie dans l’Esprit. Le tableau pensépar Dominique Thibaudeau en estle symbole1. Cette rencontre natio-nale, organisée par les adhérentsde la région de Rouen, fut pourtous les participants un grand mo-ment d’accueil réciproque et devie fraternelle.

Le 21 janvier se réunit pour lapremière fois, à l’initiative del’ap2e, un groupe sur l’enseigne-ment du fait religieux et la laïcitéà l’école. S’y rencontrent des re-présentants des écoles confes-sionnelles catholiques, juives etmusulmanes, et des enseignantsde l’enseignement public. MichèleLesquoy et Christine Antoine, puis

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gre le devenir Ici et le devenir là- bas par-tout où c’est possible, en s’appuyant demanière nouvelle sur toutes ses res-sources humaines disponibles dans ethors mouvements. Éveline nous a fait partde tous ces enjeux. Comment réhabiliterle politique ? Comment peser sur les choixpolitiques ? Comment éviter les discoursde provocation ? Le CCFD-TS, allié avecd’autres associations, a publié en novem-bre 2016 la campagne Prenons le parti dela solidarité avec 15 propositions pour l’or-ganisation de débats lors des élections de2017. CdEP avait déjà fait connaître à sesadhérents l’initiative de la revue Projet,soutenue par des mouvements de la col-légialité, débouchant sur un numéro spé-cial Extrême droite : écouter, comprendre,agir. CdEP prend très au sérieux leséchéances politiques de 2017, avec desconséquences prévisibles pour l’enseigne-ment. CdEP est particulièrement sensibleà l’accueil des familles et des jeunes mi-grants fuyant la guerre ou à la recherched’un avenir, parfois dans une situation trèsprécaire (Calais, Paris, Vallée de la Roya,Marseille) et insiste sur le droit pour tousles enfants et les jeunes de faire desétudes (cf. proposition 11 du CCFD).

1 Ce tableau a été découpé puis reconstruit aucours de la célébration.2 Voir le texte de cette conférencee page 123 Voir page 10

Rapport d’orientation del’association

Lors de l’Assemblée générale, le rapport d’orientation a faitl’objet d’un travail en ateliers à partir de cinq pistes proposéespar le Conseil d’administration de janvier. Le Conseil d’aminis-tration de mai a repris le travail des ateliers sur ces thèmes. LeBureau de juin arrêtra un texte définitif selon les axes suivants:

Agir• Accueillir de nouveaux personnels de l’éducation dans l’as-

sociation (intergénérationnel et partenariat).

• Proposer dans l’association une formation aux enseignantspour la relecture (spirituelle, théologique, …) de ce qu’ils vivent.

L’accueil de nouveaux, la relecture par un enseignant de sonactivité apparaissent des préoccupations aussi importantes,sur le terrain, dans la pratique du métier, que comme objectifsà mettre en œuvre dans l’association CdEP.

Travailler les 3 questions suivantes• École et politique ; la liberté de l’enseignant.

Ce thème a été proposé aux organisateurs de la rencontre na-tionale de Dijon, les 6 et 7 avril 2018.

• Pour une attitude éducative et responsable face aux mé-dias et à l’opinion ; importance d’une analyse critique.

La rencontre des responsables des 21-23 octobre 2017 seraune occasion pour travailler cette question en même tempsqu’elle s’efforcera de mettre au point la communication deCdEP.

• Des croyants en école publique et laïque, comment ? Pour-quoi ?

Ce thème fait référence à cette phrase figurant sur notre siteet notre flyer de présentation : notre présence dans l’écolelaïque et notre foi chrétienne sont parfaitement conciliables etréciproquement fructueuses.

Notre identité profonde articule notre pratique d’enseignant,et notre foi. Nous ne sommes pas « divisés ». Bien sûr desnuances apparaissent sur la portée relative de chaque terme.Nous pensons qu’il y a une originalité de la croyance, de l’adhé-sion pour celui qui se réfère à un humanisme, ou à la foi chré-tienne, mais comment rendre compte positivement de cetteoriginalité ? Nous pensons que ce thème pourrait très bien ins-pirer la session des actifs des 23-27 août 2018.

Vie de l’association

47Lignes de crêtes 2017 - 35

Calendrier16-30 juillet, session de Ristolas

24-30 juillet rencontre Siesc à Vichy.

13-17 septembre, retraite

Il est encore temps de s’inscrire ! (Voirles détails sur le site ou dans le n° 34)

Et pensez à réserver les dates annon-cées dans le rapport d’orientation ci-contre !

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48 Lignes de crêtes 2017 - 35

leurs enfants et à la précarisationdu travail et des liens sociaux. Lastigmatisation de celui qui est dif-férent, la volonté de construire desmurs, la surenchère de proposi-tions sécuritaires et identitaires :ces idées sont dangereuses pourune société qui aspire au vivre en-semble dans la paix et le respectde la dignité de chacun. On neconstruit pas un projet de solida-rité contre certains groupes etcontre des personnes. On neconstruit le lien social qu’aveccelles et ceux qui vivent ensembleet participent au devenir de lacommunauté.

En effet, laïcs de différents mou-vements, nous expérimentions denombreux projets ouverts à tous,basés sur l’initiative citoyenne, lasolidarité, le respect de la planète.Après les résultats du premiertour, ce groupe élargi à d’autresmouvements et collectifs, a publiéun second texte Transformons laclameur du monde en espérance,colorant la déclaration desévêques, texte signé bien sûr parCdEP, mais aussi par l’ACO1 :

La clé réside dans notre capa-cité à dépasser nos peurs … L’ave-nir de notre pays est ouvert, il netient qu’à nous de ne pas nous en-fermer et d’agir librement, enconscience, pour le garder ou-vert… refusons de laisser instru-mentaliser l’Evangile, recentronsle débat sur les vrais sujets ettransformons la clameur dumonde qui nous entoure en espé-rance. Réaffirmons notre foi enl’autre, « tout homme et toutl’homme », et en nos capacités àconstruire notre destin commun.

Depuis six mois, grâce à leursmouvements et associations denombreux laïcs chrétiens ont faitl’expérience de ce que pouvait ap-

Vie de l’association

porter une parole collective pourcontribuer à l’avenir de notre so-ciété. Cette démarche est à pour-suivre, CdEP peut en particulieraborder et évoquer, avec des as-sociations proches, les défis d’uneécole au service de tous.

Jean Kayser24 mai 2017

1. L’ACO, dans un contexte complexe,a tenu à préciser dans un texte propresa position face à l’extrême droite

Prises de paroleCdEP et lapolitique

L’inquiétude devant la pauvretéet les inégalités dans notre so-ciété, la perspective des électionsdu printemps 2017 a conduitbeaucoup de nos adhérents à sepréoccuper des questions poli-tiques, et des conséquences deschoix politiques dans l’éducatif.Sur ce chemin, plusieurs équipesont signalé des temps d’échangeet de relecture à partir du textedes évêques : Dans un monde quichange, retrouver le sens du poli-tique. Dans notre équipe nousavons bien remarqué que lorsd’échange sur tel ou tel para-graphe, la crise du sens, parexemple, nous nous posions desquestions sur un aspect déve-loppé ailleurs dans le texte, lacrise de la parole.

Ces recherches ont aussi été lefait des équipes nationales desmouvements de laïcs chrétiens.Les Scouts de France soutenuspar plusieurs mouvements ontlancé un numéro spécial de larevue Projets : Face à l’extrêmedroite : écouter, comprendre, agir.

Le CCFD-TS et les mouvementsde sa collégialité, dont CdEP, ontavant le premier tour des électionsprésidentielles publié un texte in-titulé : Pour une citoyenneté res-ponsable et engagée. Ce texteétait un appel à la conscience,alors que les retombées politiquesdu mouvement La Manif pour toussemblaient alimenter un monopolede la parole et orienter l’ensembledes chrétiens vers les positionsd’une droite intransigeante :

Une inquiétude se développechez celles et ceux qui habitentnotre pays quant à l’avenir de

Violence à l’écoleÀ coté des grandes questions

politiques, il reste des problèmeslancinants. C’est ainsi que le CAde CdEP à senti la nécessité derappeler, dans un communiqué,la gravité des violences scolaires.

Communiqué

Le Conseil d’administration deChrétiens dans l’EnseignementPublic (CdEP) souhaite alerter lesresponsables politiques, les pro-fessionnels de l’éducation, les pa-rents et accompagnants d’élèves,les élèves eux-mêmes, au sujet desituations de violence dans desétablissements secondaires.

Ces derniers mois, médias etmembres de l’association nousont rendus témoins de gravesconflits : citons, par exemple,l’agression de la principale du col-lège Daniel-Féry de Limeil-Bré-vannes, les intrusions au lycéePaul Éluard de Saint-Denis, lesactes de violence à l’intérieur puisà l’extérieur du lycée Suger deSaint-Denis, la mise en rétentionet tentative d’expulsion d’un ly-céen sans papiers dans les quar-tiers nord de Marseille, les gestesmeurtriers d’un lycéen de Grasse,victime de harcèlement...

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Ces événements, signesd’échecs profonds, ainsi que lesréalités vécues par les élèves etenseignants qu’ils concernent, at-tirent toute notre attention. Ils re-lèvent d’une violence multiformequi a une histoire, faite notam-ment d’abandons ou de rejetssuccessifs pour des jeunes etleurs familles, de remises encause radicales pour des person-nels à qui l’on demande beaucoupet parfois trop (« passer l’éponge »,toujours et encore…). Commentaccueillir dignement ces souf-frances ? Comment éviter que dessituations dégénèrent à ce point ?

Il ne faudrait peut-être pasgrand-chose pour prévenir la gé-néralisation de conflits. Nous ex-périmentons, avec certainscollègues, l’importance de lieux ettemps de dialogue dans les éta-blissements et dans les classes(instances et conseils divers),ainsi que l’efficacité de dispositifsréunissant largement les bonnesvolontés complémentaires d’ac-teurs éducatifs de terrain. Nousconstatons que, très souvent, lespersonnels ne peuvent tenir lecoup qu’en équipes, avec desmoyens pour se rencontrer et laconfiance de l’institution à tousles niveaux de pouvoir et de déci-sion. Nous relevons aussi de nom-breuses initiatives visant à faireprendre conscience aux élèvesdes valeurs de solidarité et d’en-traide (semaines citoyennes, pro-jets et actions de coopération,etc.).

Malgré les difficultés quoti-diennes et au-delà des raccourcisnégatifs qui peuvent fleurir çà etlà, les personnels, dans leur majo-rité, ne se résignent pas,conscients de la valeur de l’exem-plarité – et se désolant du peu de

cas que semblent en faire certainsresponsables politiques. C’estpourquoi, au moment où les ly-céens de terminale sont appelés àse projeter dans l’avenir, nous ap-pelons les personnels et leurs res-ponsables à décider ensembled’initiatives adaptées à la com-plexité des situations, indispensa-bles pour rendre possible laformation des citoyens de demain.

Le CA de CdEPParis le 13/05/2017

12 mai 2017Françoise Pontuer, secrétaire de

la PU puis de CdEP a pris sa re-traite en mars.

Une petite fête a réuni tous ceuxqui ont eu l’occasion de la rencon-trer au cours des nombreuses an-nées où elle a travaillé pour notreasociation. Marie Hélène Depar-don a évoqué l’importance et la di-versité du travail de Françoise etMarie Jeanne laval lui a remis uncadeau très apprécié.

Vie de l’association

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Photos : Jean Kayser

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50 Lignes de crêtes 2017 - 35

L’œuvre, en mauvais état, a subi une restaurationintempestive au XIXe siècle, qui a aussi ajouté uncroissant de lune sous les pieds de la Vierge.

Cette représentation réunit pour la première foissans doute deux grands thèmes mariaux de la fin duMoyen Âge : la Vierge au grand manteau ou de misé-ricorde, protectrice du peuple contre les fléaux et laVierge du Rosaire, une dévotion récente, diffusée parles Chartreux et les Dominicains réformés de Hol-lande et d'Italie depuis les années 1480. Antibes étaitune ville de la frontière provençale, mais tout près,Grasse ou Nice possédaient un couvent de domini-cains. Il est probable qu'ici, comme pour la même re-présentation dans la commune voisine de Biot, uneconfrérie de dévotion, du chapelet ou du Saint-Esprit,en est le commanditaire.

La famille Bréa de Nice est alors active sur tout leSud-Est intérieur et côtier, de Six-Fours à Savonne etunit un modèle bien connu depuis les débuts du XVesiècle (leurs maîtres sont Miralhet et Durandi….), àune invention toute nouvelle. Les Bréa assureront descommandes identiques jusqu'en 1552 au moins(François à Entraunes).

Ici, Louis Bréa peut-être (Nice, v. 1450-1523, maisla signature n'est plus lisible) suit les canons de l’ico-nologie d’Italie du Nord tout en révélant une sou-plesse et une douceur qui appartiennent déjà à laRenaissance dans les visages de la Vierge et de Jésus,— malgré les retouches de restauration — : visages fa-miliers vers lesquels se tournent les fidèles, puissantset humbles, hommes et femmes…, avec leur chapeleten main, unis entre eux et avec leurs protecteurs dansla prière des mystères de la vie de Marie et de Jésus.C'est une dévotion protectrice et rassurante qui ouvreà la piété intériorisée par la représentation person-nelle des épisodes de la vie du Christ. Dès l’origineen effet il s’agit de prier pour suivre la Vierge et leChrist, de se concentrer sur leur présence ici-bas etmaintenant dans l'Incarnation, bien plus que de rabâ-cher pour une protection magique (dérive dénoncéepar les humanistes). Le chapelet comprend ici six di-zaines (et non cinq) et renvoie donc au chapelet desainte Brigitte (les années terrestres de Marie). De-puis longtemps, on demandait aux moines qui ne sa-vaient pas lire de remplacer la récitation des psaumespar celle de 150 Pater; maintenant, pour tous les fi-dèles, les Pater en rouge délimitent dix Ave (Saluta-

tion angélique de Luc 1, 28, complétée au début duXIVe siècle par la protection mariale, non scripturaire).Les futurs mystères du Rosaire sont en cours de fixa-tion au début du XVIe s.

Le manteau de la Vierge protège à gauche l’ordredu clergé dont le pape (Innocent VIII peut-être) est re-présenté au premier rang avec sa tiare et l’ordre laïcreprésenté par l’empereur (Charlemagne ?) en ar-mure avec la couronne impériale et le roi (François Ier

peut-être), accompagnés par leurs femmes et tous lesfidèles qui, à égalité, sont représentés bien individua-lisés. Le manteau est soulevé par les anges, enconformité avec la représentation donnée par le cis-tercien Césaire de Heisterbach à Cologne (DialogusMiraculorum, écrit entre 1219 et 1223) et repris parle dominicain Géraud de Frachet vers 1250.

Ce thème, développé depuis l'Allemagne (Cologne),renvoie à la plus ancienne prière connue à la Vierge(Sub tuum praesidium confugimus) ; il est ici mis augoût du jour pour s'appliquer à la société toute entièreet aux angoisses multiples d'une ville frontière à lafois terrestre et maritime au temps des guerres d'Ita-lie et des razzias barbaresques. Ce témoin précieuxdu dynamisme de l'aspiration à l'intériorité des fidèlesclercs et laïcs vers 1515 doit mieux être mis en va-leur.

Nicole Lemaitre

Vierge de Miséricorde

BibliographiePaul Perdrizet, La Vierge de Miséricorde : étude

d'un thème iconographique, Paris, Bibliothèquedes Écoles françaises d'Athènes et de Rome,1908, 260 p. et XXI p. de pl. (en ligne sur Gallica).

André Duval, « Rosaire » dans, Dictionnaire despiritualité, t. XIII (1988), col. 937-980.

Germaine et Pierre Leclerc, Louis Brea. Unpoème de l'unité, Tours, Mame, 1992, 221 p. etpl., préface de Jean Delumeau.

Marie-Hélène Froeschlé-Chopard, Dieu pour touset Dieu pour soi. Histoire des confréries et de leursimages à l'époque moderne, Paris, L'Harmattan,2006, 401 p.

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Antibes, ancienne cathédrale. Louis Bréa, v. 1513Classé Monument Historique en 1908

Peinture sur bois. Partie centrale d’un retable de 2,50 x 2, 20m, qui est encadré de 18tableautins représentant la vie du Christ et ses miracles (voir au dos de la couverture).

51Lignes de crêtes 2017 - 35

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Christine Antoine, Jean Kayser, Jacques Oilve(documentation)Nicole Lemaitre (iconographie)Georges Million (dessins)Tcho Picault (secrétariat)Chantal de La Ronde, (relecture)

Collaborateurs :Comité de Rédaction :

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