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Recherche Année 2013 - Numéro 06 06 Géopolitique et Diplomatie cesip Centre de Recherche de lécole des hautes études internationales et politiques hei/hep

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Géopolitique et Diplomatie

cesip Centre de Recherche de l’école des hautes études internationales et politiques

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Sommaire

L’éditorial de Jacques Soppelsa p. 5

KINSHASA : 2012 - PARIS : 2013 LA FRANCOPHONIE EN MARCHEPatricia Mamet p. 6

LES RÉVOLUTIONS ARABES, DEUX PRINTEMPS PLUS TARD… Marc D’Anna p. 11

LE TRAVAIL DÉCENT : ANALYSE CONCEPTUELLECarole Gueville p. 20

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LE COMITE SCIENTIFIQUE DU cesipDiplomatie et Géopolitique

Président : Jacques Soppelsa, Président honoraire de l’Université Paris I - Panthéon Sorbonne

Membres : l Max Peyrard, Chaire Jean Monnet, Département Economie - Paris Sorbonnel Professeur Guy Feuer, Université René Descartesl Raimondo Cagiano de Azevedo, Professeur de démographie, Université la Sapienza, Romal Michel Carmona, Président de l'Institut de la Villel Bernard Dorin,Ambassadeur de Francel Simon Peterman, Doyen de la Faculté des Sciences Politiques de l'Univesité de Liègel Ciprian Mihali, Président de l'Observatoire des Instituts Francophones d'Etudes Stratégiques (Cluj, Roumanie)

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L’éditorial de Jacques Soppelsa

Chers lecteurs.Ce nouveau numéro des Cahiers du CESIP poursuit notre objectif de faire systéma-tiquement cohabiter en son sein des réflexions émanant d'intervenants aguerris en matière de relations internationales et d'articles signés par de jeunes chercheurs issusde nos Masters ou de la palette de nos futurs docteurs.

C'est ainsi que ce numéro 6 est concrètement illustré par trois contributions inédites:1) Patricia Mamet, membre du Conseil Economique, Social et Environnemental, Professeure au sein de notre Institut des Hautes Etudes Internationales et Politiques,nous propose une analyse consacrée à deux événements récents en matière de Fran-cophonie : le Sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement tenu à Kinshasa en Octobre 2012 et celui dédié aux Femmes et à la Francophonie, organisé à Paris enMars dernier. Une analyse d'autant plus intéressante que son auteur a participé ellemême auxdits événements, révélateurs, notamment, au plan géopolitique, de l'évolu-tion hautement significative des missions de l'Organisation Internationale de la Francophonie.

2) Marc d'Anna, Doctorant en Sciences Politiques à l'Université de Montpellier, présente des réflexions particulièrement originales à l'occasion du deuxième anni-versaire de ce que les médias ont appelé « les révolutions arabes ». Ce spécialiste duProche et du Moyen Orient nous livre ici de brillants propos, adossés à une solide documentation, des analyses qui sont susceptibles certes d'alimenter des controverses,comme lesdites « révolutions » ont elles mêmes sécrété de vives polémiques ; maisn'est ce pas aussi via la controverse que la réflexion s'enrichit ?.

3) In fine, nous avons sélectionné parmi les meilleurs mémoires de la dernière promotion de nos étudiants de Master, le travail de Carole Gueville portant sur unthème particulièrement original, le « travail décent ».

Dans le contexte contemporain de la mondialisation et de l'évolution édifiante d'un monde que l'on qualifiait naguère de « sous développé » et que (« politicaly correct » oblige!) l'ONU s'obstine à qualifier de « pays en voie de développement »ou, mieux encore, de « pays moins avancés », les dernières décennies ont été illustréespar l'apparition et l'essor du « Droit au développement » et, parmi ses corollaires majeurs, celui de « travail décent ».Un concept que l'actualité récente a popularisé,mais de tragique manière.

Nous vous souhaitons, comme à l'accoutumée, une excellente lecture,en vous rappe-lant que nous prenons connaissance avec beaucoup d 'intérêt, de vos critiques et de voscommentaires.

Bien fidèlement à vous

Jacques SoppelsaPrésident (h) de l'Université de Paris Panthéon Sorbonne

Président du Comité Scientifique et Pédagogique de l'Ecole des Hautes Etudes Internationales et Politiques.

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a Francophonie a le vent en poupe.Le 13 Octobre 2012, à Kinshasa, s’esttenu le 14è Sommet des Chefs d’Etat

et de gouvernement de la Francophonie. Et, le20 Mars dernier, à l’initiative de la Ministre déléguée de la Francophonie : Yamina Ben-guigui, le premier Forum Mondial desFemmes Francophones a été organisé à Paris.Deux rencontres qui ont, certes, ici ou là, sécrété quelques critiques, tout particulière-ment la première. Critiques à notre avis large-ment infondées, même si certaines questions,viscéralement liées aux objectifs de l’organi-sation sont restées, et pour cause, en suspens.Observateur physiquement présent, et signa-taire de ces lignes, nous n’avons pas la préten-tion, ni à l’exhaustivité, ni à l’objectivité.

Rappelons au préalable, pour éviter toutmalentendu, qu’il y a “francophonie” et “Fran-cophonie”.

La francophonie, avec un f minuscule, est unconcept qui renvoie à la société civile et auxinstitutions non gouvernementales qui oeu-vrent directement ou indirectement à promou-voir le français comme langue de travail et deculture.

La Francophonie, avec un F majuscule, cor-respond à une organisation institutionnelle ,l’ACCT (“Agence de la Coopération Cultu-relle et Technique”, devenue OIF (Organisa-tion Internationale de la Francophonie), en2005, et dont le Secrétariat Général est actuel-lement assumé par l’ancien Président du Sénégal Abdou Diouf.En son sein, on peut distinguer ses membresselon l’époque de leur adhésion : ses fonda-

teurs (une vingtaine, dont la France et le Canada), une seconde vague, déferlant durantles années soixante dix, constituée notammentpar les jeunes Etats indépendants du continentafricain ou de l’aire du Pacifique : ces Etats ontété quasi exclusivement préoccupés de consi-dérations linguistiques et géoculturelles. Etune troisième vague, qui a fait passer l’OIF àquelques 77 membres (dont 3 ayant statutd’associés et 20 d’observateurs), une vaguequi correspond explicitement, au cours desdeux dernières décennies, à la conjonction dedeux facteurs complémentaires, la disparitiondu système bipolaire et le processus de mon-dialisation.Et c’est précisément dans ce contexte que l’ona pu assister à des modifications progressivesmais édifiantes des missions de l’OIF. Desmissions vigoureusement illustrées par les Déclarations de Bamako, de Saint Boniface etde Ouagadougou. Les deux premières ont clairement souligné lavolonté de l’Organisation Internationale de laFrancophonie de contribuer à la prévention desconflits et, dans l’espace francophone, de favoriser la consolidation de l’état de droit etde la démocratie et d’agir pour la promotion etl’effectivité des Droits de l’Homme.Quant à la Déclaration d’Ouagadougou, elle amis en avant dans le domaine économique etsocial les principes majeurs de la coopérationet du développement durable.

Prévention des conflits, promotion de la démocratie, des Droits de l’Homme ; coopé-ration ; développement durable ? Vaste pro-gramme !Vaste programme, certes, mais qui épouse sanscontestation possible les grands principes et les

KINSHASA : 2012 - PARIS: 2013 LA FRANCOPHONIE EN MARCHEPatricia Mamet Professeure à l’Institut des Hautes Etudes Internationales et PolitiquesMembre du Conseil Economique, Social et Environnemental

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grands axes de la politique étrangère conduitepar la France au cours des dernières décennies.

Au cours du Sommet de Kinshasa, les Chefsd’Etat ont solennellement réaffirmé ces objec-tifs, notamment le Président de la RépubliqueFrançaise, à l’occasion de la cérémonie d’ou-verture.

Plus généralement, le Sommet proprement dita été fondamentalement marqué par l’adoption(unanimement, à une exception près - cf. infra)de toute une gamme de résolutions exprimantun double souci :- réaffirmation des principes fondamentaux etdes missions de l’OIF, d’une part ; - souci de s’attaquer à l’éradication des princi-paux “points chauds” de la sphère francophoneen général et du continent africain en particulier.

Ont été adoptées notamment :- une résolution sur “les situations de crise, desortie de crise et de consolidation de la paixdans l’espace francophone”. Une résolutionqui évoque sans détours, par exemple, lespréoccupations de l’Organisation quant à la situation politique et économique de Mada-gascar ; son intérêt en Guinée Bissau (à la suitedu coup d’Etat qu’a connu cette dernière), en encourageant la CPLP (Communauté des paysde langue portugaise) à soutenir le processusde sortie de crise ; les enjeux du Caucase(appui aux efforts des Coprésidents du groupede Minsk en vue du réglement pacifique duconflit du Haut Karabakhut) ; ceux de Chypre,enfin, où, plus que jamais, les Chefs d’Etat etde gouvernement réunis à Kinshasa ont déploré les lenteurs des négociations bilaté-rales et appuyé sans réserve les efforts des Nations Unies pour trouver enfin une “solutiondurable, globale et juste au problème chyprioteet réunifier Chypre , son peuple et ses institu-tions.

- des résolutions plus spécifiques, consacréesaux deux cas jugés, non sans raison, particu-lièrement cruciaux au sein de l’Afrique subsa-harienne, la République Démocratique duCongo et le Mali.

Quant à la République Démocratique duCongo, le Sommet (non sans courage eu égardau lieu de même de sa tenue !), en référenceexplicite aux deux textes fondamentaux del’OIF que sont les Déclarations de Bamako et

de Saint Boniface, évoqués supra, et en expri-mant leur forte préoccupation quant à la situa-tion humanitaire de l’Est du pays (eu égard auxactivités des groupes armés) a fermementcondamné les violations massives des Droitsde l’Homme (déplacements des populations,violences sexuelles, meurtres de civils, “recrutement d’enfants soldats”) et a tenu les dirigeants des groupes armés en question pourresponsables de ces exactions. Le Sommet (àla vive satisfaction du Président de la Répu-blique Démocratique du Congo, exprimée sansréserves dans son discours de clôture) a notamment réitéré son soutien aux autoritéscongolaises dans leur lutte contre l’impunitéet dans leur action à poursuivre en justice lesauteurs de crimes de guerre et de crimes contrel’humanité .

Quant au Mali, le moins que l’on puisse écrireaujourd’hui, quelques mois à peine avant lacrise ouverte déclenchée en février dernier,c’est de souligner la clairvoyance prémonitoiredes Chefs d’Etat dans leur analyse prospective :“préoccupés par l’atteinte à la souveraineté età l’intégrité territoriale du Mali par desgroupes armés, terroristes et extrémistes, et parla rapide détérioration de la situation humani-taire dans le nord du pays, les graves violationsdes Droits de l’Homme, les déplacementsmassifs de population, les atteintes aux sitesculturels, y compris ceux inscrits au patri-moine mondial de l’humanité”, les participantsau Sommet ont exhorté la communauté inter-nationale à se mobiliser pour lutter contre lacriminalité organisée et le terrorisme développésdans la région.Un soutien sans ambages à l’appel des autori-tés de Bamako, l’Etat sollicitant, pour rétablirl’autorité dans le Nord du pays, l’aide de lacommunauté internationale en général et cellede la France, membre actif et historique de laFrancophonie, en particulier !

Deux autres résolutions illustrent vigoureuse-ment le souci du Sommet d’être concret et dedépasser le domaine de l’éradication et desconflits localisés, stricto sensu :- la première appelle la communauté interna-tionale au renforcement de la lutte contre la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée:Le Sommet a proposé l’organisation d’uneconférence régionale sur ladite piraterie, lerenforcement des actions menées par la com-munauté internationale et les pays affectés,

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l’aide matérielle au profit de ces derniers et,nouvelle preuve du souci des participants d’en-visager des mesures très concrètes “des actions rapides pour l’enlèvement des naviresabandonnés en mer et qui servent de refugeaux pirates” (sic).- la seconde s’applique à la bonne gouver-nance... dans les industries extractives et forestières.Une résolution qui condamne fermement l’ex-ploitation illégale des ressources naturelles.(“une exploitation qui peut avoir pour consé-quence de contribuer à la pérennisation descontentieux et des conflits”... un commentairepertinent... mais aussi une première dans lecorpus des décisions de l’OIF). Sont évoqués notament la nécessité d’’éliminer le commercedes “minerais de conflit” dans la région desGrands Lacs et l’appui à l’application du système de certification du processus de Kimberley.

Le 14è Sommet s’est aussi illustré, gage de dynamisme, par la poursuite du processusd’élargissement de l’OIF.

L’Organisation Internationale de la Franco-phonie recense désormais, nous l’avons vu, 77 membres : 54 membres de plein droit, (avecl’intégration de l’Arménie), 3 membres asso-ciés et 20 Etats observateurs (avec l’arrivée enson sein de l’Uruguay).

L’officialisation à Kinshasa de Montevideo entant qu’observateur n’a posé aucun problème(Songeons à l’Histoire et au rôle majeur qu’avait joué la France sous la Restauration, dansla création de la République Orientale del’Uruguay, “état-tampon”, au lendemain duconflit entre le Brésil et l’Argentine). L’arrivéedu Qatar, en revanche, a suscité polémique.Certaines critiques, en la matière, nous parais-sent justifiées : le Qatar,en effet, a brûlé lesétapes et est devenu membre associé sans pas-ser, ce qui est la règle, par la case “membre observateur”. Ce traitement de faveur peut êtremis, sans nul doute, au crédit d’une très puis-sante activité de lobbyism... En revanche, lacritique, émise ici ou là, relative au fait que leQatar n’est pas un Etat francophone ne tientplus aujourd’hui, compte tenu de l’évolutionproprement dite de l’Organisation : un certainnombre d’adhérents n’ayant pas le françaiscomme langue nationale (l’Arménie, l’Alba-nie la Moldavie ou la Macédoine, par exemple).

Abdou Diouf l’a rappelé : « Il y a des Franco-phones au Qatar. Ce pays a une politique trèsvolontariste de formation au français dans leslycées , une radio francophone a été créée...Ce sont les signes d’un volontarisme franco-phone ».

Mais, paradoxalement en apparence, l’apportle plus significatif dudit Sommet réside peutêtre dans les rappels certes discrets, des initia-tives générées, cinq mois plus tôt, toujours àKinshasa, lors de la rencontre internationale“d’intellectuels et opérateurs culturels franco-phones” portant sur le thème : “Vuesd’Afrique : Francophonie et gouvernancemondiale”.Lesdits intellectuels, à l’issue de leur Colloque, avaient en effet lancer un appel“pour un espace géo-culturel francophonemondial”. Un appel peu relayé, malheureuse-ment, par les médias, mais qui a visiblementinspiré maints intervenants du Sommet.

Un appel articulé autour de sept priorités :1) L’ouverture et l’adaptation des sociétésfrancophones à la mondialisation et pour unemeilleure insertion professionnelle des jeunes“favoriser la pratique systématique du multi-linguisme dans les pays francophones”, paral-lèlement à la création d’un InstitutFrancophone des Hautes Etudes Stratégiqueset la mise en place d’un “réseau francophonede création et d’innovation”.

2) L’insertion de la Francophonie dans uneéthique et un esprit civique en favorisant l’édu-cation ouverte à une culture politique.

3) L’engagement de la Francophonie sur “lavoie d’un acteur majeur de la gouvernancemondiale oeuvrant pour l’éclosion d’une nou-velle architecture économique et financièreglobale de justice et d’équité”.

4) L’inscription de la question démographiquedans les priorités des programmes franco-phones de développement durable pour labonne gouvernance politique de l’espace francophone.

5) La formation au respect de l’intégrité envi-ronnementale de l’équliibre écologique et del’exploitation responsable des ressources environnementales dans l’intérêt des généra-tions futures.

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6) La reconnaissance de la libre circulation deshommes et des femmes avec la création d’unvisa francophone. Visa qui permettrait notam-ment aux jeunes Africains et aux diasporas demieux s’intégrer aux réalités des pays du Nordet aux jeunes des pays francophones du Nordde mieux découvrir les réalités africaines.

7) La mise en place d’un nouveau corpus doc-trinal en matière de relations internationales enréaffirmant plus clairement la volonté politiquede faire de la Francophonie un vecteur majeurd’influence diplomatique.

Bref, un recentrage hautement significatif desobjectifs et des actions de l’Organisation Internationale de la Francophonie, en prenanten compte les nouvelles donnes géopolitiqueset les défis du nouvel ordre mondial.

Des objectifs singulièrement ambitieux, maisqui ont eu, non seulement, le mérite d’être pro-clamés dès le mois de mai à Kinshasa, maisaussi d’être rappelés, implicitement ou expli-citement, à plusieurs reprises, au Sommetd’octobre.

Dans ce contexte, “le Forum Mondial desFemmes Francophones” du 20 Mars 2013 quivient de se dérouler à Paris, à l’initiative de laMinistre Yamina Benguigui, a pu apporter unnouveau pan de reflexion non négligeable à cevaste chantier.L’organisation de cette manifestation suiviepar plus de 700 femmes venues de tous lescontinents, s’est imposée sur la base d’un tristeconstat. En effet, aujourd’hui les femmes sontles premières victimes de nombreuses inégalitéset de violences, et cela, notamment, dans demultiples pays en développement. Cette réalitéest d’autant plus choquante qu’il est établid’une façon incontestable aujourd’hui que lapromotion des droits des femmes, et notam-ment l’éducation, est une condition et un moteur du développement.

Ce forum a permis en particulier de posercomme objectif haut et fort la défense desdroits des femmes et de “porter les fondationsd’un nouveau statut des femmes dans l’espacefrancophone et de défendre leurs droits partoutoù ils sont menacés”.Un appel non négligeable déjà lancé sur la reconnaissance des droits de femmes par la directrice générale de l’Organisation mondiale

de la Santé, Madame Margaret Chan en 2007et 2010 et réaffirmé aujourd’hui par notre Ministre de la Francophonie.

Si de nombreux pays, au sein de la commu-nauté francophone ont pu prévoir des “outils” relativement efficaces pour placer lacondition des femmes au coeur même des politiques publiques, les moyens manquentsouvent cruellement pour une réelle mise enoeuvre d’actions globales, en particulier dansle domaine de l’emploi, de la formation professionnelle, de la santé, de l’accès à la culture et de l’égalité tout simplement.Il a été rappelé à maintes reprises que dansl’espace francophone, “sont constatées encoredes disparités flagrantes d’un pays à l’autre etpire encore dans certains pays, les femmessont sans aucun droit subissent au quotidiendes exactions (des violences de toutes sorte etcela sans aucune protection sanitaire et juri-dique) et sont également exclues des systèmeséducatifs scolaires quand ils existent !

Le Ministre des Affaires Étrangères, LaurentFabius, a précisé dans ce cadre de réflexion,qu’il y a aujourd’hui 120 millions de femmesfrancophones dans le monde et qu’elles serontplus de 350 millions en 2050.Ajoutant également que dans les conflits armésau Mali ou en République démocratique duCongo, dans les crises politiques, les femmessont souvent les premières victimes.Il est ressorti de tous ces débats une grandemobilisation, en particulier de la société civileoù les femmes sont toujours très actives dansles secteurs associatifs et les ONG de type humanitaires.une volonté d’être plus opéra-tionnel, et de faire entendre davantage la voixdes femmes dans les négociations. Nous savons en effet, qu’au plan international, lesdébats sont marqués par la remise en questiondes acquis internationaux relatifs aux droitsdes femmes et aux droits sexuels et reproduc-tifs. Il a été rappelé que lors de la dernièrecommission sur le statut des femmes (CSW)des Nations Unis en mars 2012, les Etats ontéchoué à adopter des conclusions agréées.Ainsi certains Etats remettent largement enquestion le caractère universel des droits desfemmes et revendiquent différentes formes de“relativisme culturel”... dissensions malheu-reusement confirmées lors de la conférencedes Nations Unies sur le Développement durable (Rio +20 de juin 2012).

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Il est clair que dans le cadre des prochaineséchéances internationales qui revêtiront uneimportante stratégique toute particulière, lavoix des femmes francophones sera détermi-nante, sachant que le cap 2015 s’orientera sur“la lutte contre les violences faites auxfemmes”.Gageons que le 15è Sommet de la Francophoniequi se déroulera à Dakar en 2014, réaffirmerales droits fondamentaux des femmes et la luttecontre toutes les formes de violences et de dis-crimination faites aux femmes dans une visionjuste et volontariste, pour un développementéconomique et durable plus équitable et doncplus égalitaire.

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Les opinions exprimées dans cet article n’en-gagent que son auteur

e « Printemps arabe », version arabedes fameuses « révolutions de velours »des années 2000 en ex-Union

soviétique, a été initié il y a deux ans déjà pardes jeunes « bloggeurs » familiers des réseauxsociaux et adeptes de la « révolution par actioncivile » chère au théoricien de la révolte non-violente, le professeur Gene Sharp1 et mise enapplication pour la première fois dans les années 1980 par le syndicat chrétien de LechWalesa, Solidarnosc, qui parvint à faire vacillersans violence la dictature communiste du général Jaruzelski. Au début de ce processus « révolutionnaire »,au départ pacifique et assez laïque, l’idée dominante était que le « printemps arabe » allait inaugurer une nouvelle ère démocra-tique, et que les sociétés civiles arabes étaientdésormais assez « mûres » pour sortir à la foisdu fatalisme de la dictature corrompue et de latentation de l’islamisme radical. Dans un second temps, lorsque les mouvements isla-mistes « modérés » ont commencé à imprimerleur marques et ont mélangé leurs « AllahOuakbar » et leurs slogans islamiques aux appels laïques des premiers révolutionnairesbloggeurs, les médias occidentaux ont conti-nué à chanter les louanges des révolutionnaireset ont vu dans les manifestations de jeunesavides de justice, de dignité, de démocratie etde transparence, une formidable occasion à lafois de mettre fin à des dictatures corrompues,qui justifiaient leur tyrannie avec le prétextesouvent démagogique et facile du « danger islamiste », et de réconcilier des forces jadisopposées et persécutées : d’un côté les laïques,

les syndicalistes, les progressistes, et les libé-raux, très présents notamment dans les débutsde la « révolution du Jasmin » en Tunisie etdans le mouvement du « 14 février au Maroc »,et de l’autre, des « libéraux-conservateurs musulmans, des religieux et des islamistes. Parla magie du « printemps arabe », toutes cesforces hétérogènes et souvent opposées entreelles idéologiquement et historiquement, allaient désormais être capables de vivre enharmonie à la faveur d’élections libres permises par la chute des dictateurs. Selon cette thèse optimiste, pour ne pas direidyllique, le « printemps arabe » aurait « vaincu » le salafisme jihadiste plus efficace-ment que les assauts contreproductifs des GI’saméricains contre Al-Qaïda en Irak, en Afgha-nistan ou au Pakistan. Dans les pays qui ontdéjà connu des élections libres (Tunisie,Egypte, Maroc), tout comme dans la Libye, libérée », la « menace islamiste » serait désor-mais un « fantasme » de partisans du choc descivilisations ou de « sionistes ». Car la violence passée ou présente des islamistes duGIA algérien, de la nébuleuse d’Al-Qaïda, duHamas à Gaza, etc, ne serait, en fait, qu’uneréaction à la violence première des dictaturesmilitaires anti-islamistes de Ben Ali, Moubarak,Assad ou Kadhafi, ou des « sionistes » et des« croisés » américains. De sorte que la chutede ces dictateurs plus ou moins laïques et l’ins-tauration de régimes démocratiques issus desrévolutions auraient permis l’éclosion d’unenouvelle voie médiane, ni laïque « à l’occi-dentale », ni islamiste à la Al-Qaïda : celle del’« islamisme démocratique », voie incarnéepar le parti de la Justice et du Développementau pouvoir en Turquie (AKP) et par lesbranches modernistes des Frères musulmans,

LES RÉVOLUTIONS ARABES, DEUX PRINTEMPS PLUS TARD…

Marc d’AnnaDoctorant Sciences Politiques

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considérés comme des « modérés » face auxsalafistes radicaux ou terroristes.

Raison garder

Avec le recul dont nous disposons au prin-temps 2013, c’est-à-dire après l’accession aupouvoir de partis islamistes proches des Frèresmusulmans en Tunisie, au Maroc et en Egypte,c’est une vision de la situation bien moins idyl-lique et romancée qui domine. Non seulementles élections qui ont eu lieu en Tunisie, auMaroc et en Egypte, entre octobre 2011 et janvier 2012, consacré partout la défaite desprogressistes laïques et des manifestants libé-raux de la « première heure », moins puissants,moins organisés et moins populaires que les islamistes, révolutionnaires de la « deuxièmeheure », abreuvés de pétrodollars du Qatar, duKoweït ou d’Arabie saoudite. Mais les laïques-progressistes et les libéraux ont été évincéspratiquement partout au profit de partis isla-mistes plébiscités pour leur programmes anti-corruption, leur action sociale et parce qu’ilsrépondaient aux préoccupations de tous ceuxqui pensent que l’islam politique est « LA » solution.

En Tunisie, lors des élections de l’Assembléeconstituante du 23 octobre, les progressistes etles libéraux ont été battus par les islamistesd’Ennahda, forts de 40 % des suffrages, et ontchoisi dans leurs rangs l’ex premier ministreJebali (remplacé depuis par Ali Larayedh), quise réfère -comme son mentor Rached Ghan-nouchi, leader du mouvement- au « modèle »islamiste turc et jure qu’Ennahda est devenuun parti démocratique qui n’imposera pas lacharià. Il est vrai qu’en Tunisie, les islamistesdoivent composer avec une société sécularisée,où les femmes bénéficient d’un statut et d’unrôle socio-politique unique, puis avec desforces progressistes attachées aux acquis héri-tés du despote éclairé Habib Bourguiba, le pèrede la Tunisie post-coloniale (1956). Il est également vrai qu’en Tunisie, le progrèsest favorisé par une faible population, large-ment alphabétisée2 et dont le taux de natalitéest l’un des plus bas du monde arabe. Mais onest tenté de rester prudent lorsqu’on découvrela prose du chef de l’islamisme tunisien « mo-déré ». Celui-ci, en effet, dans son ouvrage Leslibertés publiques dans l’État islamique3, rap-pelle que la charià ne sera pas rétablie maisqu’elle n’en demeure pas moins « la source

principale de toute législation ». Et d’ajouterque « le rôle d’un chef d’État est d’accomplirla religion et d’éduquer l’oumma selon l’islam »… Certes, on peut répondre qu’Ennahda achangé. Mais dans une interview assez récente, datant d’octobre 20054, le même Rached Ghannouchi rendait encore hommageau « savantisme du cheikh Youssef El-Qara-daoui », le célèbre prédicateur salafiste d’al-Jazira, auteur de fatwas justifiant les attentatssuicides, les appels à la destruction d’Israël, lahaine envers les Juifs et les chrétiens, sans oublier, bien sûr, l’assassinat des « apostats »5.A propos d’Ennahda et du danger de destruc-tion des acquis du bourguibisme en Tunisie,l’ouvrage de l’ancien ambassadeur tunisien àl’Unesco et ancien opposant à Ben Ali, MezriHaddad, La face cachée de la révolution tuni-sienne, Islamisme et Occident, une alliance àhaut risque, est riche d’enseignements. L’au-teur, qui est également un philosophe et un finanalyste politique, ne cesse depuis des annéesd’alerter l’opinion publique internationale surles procédés subversifs des mouvements isla-mistes maghrébins issus des Frères musulmansqui tentent, comme leurs homologues turcs,d’utiliser l’Occident et la démocratie pourmieux combattre les valeurs de la laïcité etainsi arriver « par étapes » à leurs fins : l’ap-plication progressive de la charià. Parallèlement au risque de confiscation pro-gressive de la démocratie par les Frères mu-sulmans, dénoncé par les laïques, la Tunisiepost-benaliste est confrontée depuis la chutede Ben Ali, à une dérive violente et une mon-tée sans précédent de l’insécurité imputablenotamment à des groupes islamistes salafistessouvent jihadistes, qui représentent l’aile laplus violente et incontrôlable de la révolution,mais qui entretient des rapports souvent am-biguës avec le parti des Frères musulmans quin’ose pas les réprimer et les laisse quadrillerdes villes et des quartiers entiers en toute im-punité, de peur de perdre la base électorale islamiste d’Ennahda. C’est dans ce contexte derelative impunité des islamistes radicaux quede nombreux athées, progressistes, leaders ouintellectuels laïques sont régulièrement mena-cés ou pris pour cibles par les Salafistes et certaines milices comme les « protecteurs de la révolution » qui ont fait assassiner le 18 octobre 2012 le leader du mouvement poli-tique néo-bourguibiste laïque Lofti Lagdh, etque l’on soupçonne d’avoir participé à l’as-sassinat de l’autre grand opposant anti-isla-

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miste de gauche, Chokri Belaid, tué le 6 février2013.Au Maroc, lors des élections du 25 novembre,le Parti de la Justice et du Développement(PJD), avec 107 sièges, a ridiculisé les forceslaïques et réalisé le double du score du parti nationaliste Istiqlal. Le PJD est aujourd’hui à latête d’un gouvernement de coalition, commeen Tunisie, et bénéficie des réformes constitu-tionnelles (Premier Ministre responsable devant le Parlement et doté de pouvoirs renforcés) octroyées par le Roi, qui a nomméPremier ministre Abelilal Benkirane, l’hommefort du PJD. Certes, Benkirane, qui représen-tait l’aile dure du mouvement islamiste dansles années 1970-19806, jure lui aussi qu’il nerétablira pas la charià, ce que voudrait pour-tant la « base » militante. Mais cet homme,connu pour ses déclarations populistes, doit répondre à la « demande d’islamisme » desmasses qui ont voté pour son parti. Benkiraneest, d’ailleurs, apprécié par elles en raison desbatailles rétrogrades, voire obscurantistes, qu’ila menées : en 2004, par exemple, il avait dénoncé la réforme royale du code de la famille(moudawana), qui repoussait l’âge légal demariage pour les femmes de 15 à 18 ans, limi-tait la polygamie et interdisait la tutelle du pèreou du frère sur les femmes. Il est connu, aussi,pour son refus de la liberté de croyance, sescroisades contre les laïques, contre les prosé-lytes chrétiens et contre ceux qui veulent dépénaliser la consommation de nourriture durant le ramadan. En 2010, il avait mêmetenté de faire interdire la présence du chanteurpop Elton John, accusé de « risquer d’encou-rager l’homosexualité au Maroc »7… Commeleurs homologues tunisiens ou égyptiens, leslibéraux et laïques marocains estiment que « leur révolution » a été dérobée par le PJD. Etils ont justifié le boycott des élections de fin no-vembre par le fait que le PJD et le roi Moha-med VI (plus largement le pouvoir du « Makhzen »8 se seraient alliés pour leur couper l’herbe sous le pied et, ce faisant, empêcher une désacralisation de la monarchieet une laïcisation du royaume.En Égypte, lors des législatives des 28 novembre 2011 et du 12 janvier 2012, lesislamistes des partis Liberté et Justice (PLJ,frères-musulmans), Nour (salafistes) et Wassat(« islamistes modérés »), ont écrasé le Blocégyptien libéral, avec plus de 71 % des voix.Pour les scrutins à venir, les islamistes demeurentles grands favoris des sondages et les maîtres

du jeu électoral. Atout supplémentaire : ils sontd’ailleurs fortement épaulés par l’État-parraindes Frères musulmans, le Qatar, qui leur envoiedes millions de dollars. Il est vrai que, depuissoixante ans, les vrais dirigeants de l’Égypteont toujours été les militaires (qui contrôlent,comme en Turquie, une large part de l’écono-mie du pays)9. Il est vrai, aussi, qu’ils ne se retireront jamais du pouvoir d’eux-mêmes,d’autant qu’ils sont les derniers garants del’unité de l’Etat et des alliances stratégiquesavec les Etats-Unis et Israël, face aux desseinsthéocratiques et antisionistes des islamistes quivoudraient, même s’ils disent à l’occasion lecontraire, une rupture avec ces deux Etats honnis. Mais à la différence de la Turquie, dontl’élite militaire demeure laïque et totalementhostile aux islamistes, l’armée égyptienne estdepuis longtemps travaillée par des compo-santes très pro-islamistes. Elle a même accom-pagné, depuis Nasser, le processus deréislamisation des institutions, de la justice etde l’éducation, tout en éliminant l’oppositionlaïque et libérale, afin qu’il n’y ait plus d’espace politique entre elle et les islamistesradicaux… Durant l’été 2012, l’alliance tactique contractée un temps entre l’arméeissue de « l’ancien régime » et les Frères musulmans a abouti à la victoire des Frèresmusulmans et du Président Mohammed Morsisur le pouvoir militaire, qui a finalement accepté la nouvelle constitution proposée parles islamistes, puis surtout la nomination d’unnouveau chef des armées plus favorable à laConfrérie, en la personne de Abed Fattah al-Sissi.Du côté de la Libye post-Kadhafi, la « révolu-tion pacifique » ne l’est pas restée longtemps.Faute d’armée réelle et de contrepoids effi-caces, les composantes islamistes de la rébel-lion exigent que leur victoire militaire seconcrétise politiquement. Certes, les protago-nistes de la « Nouvelle Libye », notamment leConseil National de Transition, assurent que « l’islam libyen », de rite malékite, encadré parla grande confrérie des Sénoussis, jadis apparentée à l’ex-famille royale libyenne, est « tolérant ». Mais cette vision est contestablecar les Senoussis sont influencés par le wahha-bisme saoudien, promoteur du salafisme le plus obscurantiste dans le monde. Certes, le 7 juillet 2012, un Congrès général national aété élu et s’est traduit par la surprise de la victoire des modérés de l’Alliance des ForcesNationales puis de l’accession au pouvoir du

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soumettre au pouvoir central, lequel necontrôle ni le territoire national ni l’armée,mise en échec par les milices qui assassinentsans procès les anciens membres du régime deKadhafi.

L’exception algérienne

Enfin, notre tableau serait incomplet sans mentionner le cas algérien, où les islamistesétaient donnés largement vainqueurs des élections législatives du 10 mai 2012, sachantque les islamistes proches des Frères musul-mans étaient déjà associés au pouvoir militaireet représentés au Parlement et dans les minis-tères depuis le début de « l’ère Boutéflika »,l’homme qui a mis fin à la guerre civile algé-rienne en amnistiant et libérant des prisons desmilliers d’islamistes ; radicaux au nom de la « Concorde civile ». Mais ce sont les deux partis proches du pouvoir et des militaires, leFLN et son allié RND (Rassemblement Natio-nal démocratique) qui ont remporté les élec-tions, de la sorte que le statu quo est resté,l’incertitude majeure demeurant la successionde Boutéflika, vieux et malade… En outre, lesattentats islamistes et prises d’otage, d’Imenasperpétrés le 18 janvier 2012 par le groupe dissident d’AQMI (« les signataires du sang »)du chef jihadiste Bolmokhtar, dans le Sud de l’Algérie, non loin du théâtre d’interventionmilitaire franco-tchadien au Nord Mali, ontmis en évidence le fait que malgré sa relativestabilité depuis la fin de la guerre civile et lefait qu’elle ait échappé au chaos révolution-naire, l’Algérie demeure encore vulnérable àla capacité de nuisance des mouvements terroristes, surtout dans un contexte d’inter-vention française au mali voisin, que l’Algé-rie a parfois contribué à destabiliser (pourempêcher la création d’un Nord Mali-Azawadmauro-touareg) en appuyant des groupes isla-mistes radicaux comme Ansar Dine...

Quid de la Syrie ?

En Syrie, la « révolution en marche » est toutaussi singulière. Sa population est bien plushétérogène que celle de la Tunisie, car les minorités ethniques et religieuses (Kurdes,chrétiens, alaouïtes, druzes, etc.) atteignentprès de 30 %. Et à la différence de l’Égypte,où la minorité (chrétienne copte) est persécu-tée par une majorité de Sunnites arabes, enSyrie c’est une minorité encore plus faible

Premier Ministre Ali Zeydan en octobre 2012.Mais en tant qu’ancien Proche des Frères musulmans du PJD, Zeydan a dû immédiate-ment rassurer les islamistes en maintenant enplace la charià, dans sa vision orthodoxe,comme source de la constitution, des lois et dela jurisprudence, ce qui n’est pas forcément un gage de liberté de conscience et de progressisme… En réalité, si l’on peut rester assez confiantsdans l’avenir de la Tunisie et du Maroc, où,malgré la menace représentée par les groupessalafistes et les milices qui agressent réguliè-rement des laïques et des opposants progres-sistes, car il y existe de vrais contrepoidsnationaux laïques et modérés (soufisme, mo-narchie, forces laïques) face aux islamistes, ily a de quoi en revanche être inquiet lorsqu’onobserve le « cas libyen », où l’Etat n’existepas, où le gouvernement central ne parvientpas à désarmer les milices et les clans rivaux.Car ce pays, dépourvu de tradition nationaleunitaire, est aux mains de tribus rivales et com-porte trois « pays » distincts : la Cyrénaïque, laTripolitaine et le Fezzan. Et à la différence dela Turquie, où l’armée kémaliste et nombre departis de gauche ou nationalistes très laïcistes demeurent fortement opposés aux islamistes, en Libye les partisans de la chariàne rencontreront pas ce type d’obstacles mili-taires ou civils. L’islam politique y demeure,en effet, l’unique ferment d’identité et d’unitéqui soit capable de transcender les clivages régionalistes et tribaux. Des individus inquié-tants comme le « gouverneur militaire » de Tripoli, Abdelhakim Bel-Hadj, ancien combattant en Afghanistan et proche d’Al-Qaïda en Irak jusqu’en 2005, sont là pourdémentir de facto les belles déclarations duphilosophe français Bernard Henri Levy, grandinitiateur de la guerre en Libye contre Kadhafi,sur la « démocratie libyenne ouverte » et « l’islam libyen tolérant »10. Tout comme lesattentats islamistes contre les ambassades amé-ricaine (14 septembre 2012) et française (23 avril 2013), qui ont démontré une fois deplus le pouvoir de nuisance des groupes jiha-distes plus ou moins proches d’Al-Qaïda et desJihadistes maliens et subsahariens voisins, puissurtout la faiblesse du gouvernement central etde son semblant d’armée impuissante à fairerentrer dans le rang les milices. D’ailleurs, depuis la chute de Kadhafi, les clans rivaux,tous plus ou moins islamistes, n’ont toujourspas désarmé, s’entretuent et refusent de se

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numériquement, les Alaouïtes (adhérant auparti nationaliste arabe Baas) qui domine, depuis les années 1970, une majorité de sunnites souvent gagnée aux revendications islamistes. Ainsi, dans un contexte de répres-sion croissante, a été créé, avec l’appui depuissances sunnites comme la Turquie et lesmonarchies du Golfe, un Conseil National Syrien (CNS), puis une « Coalition Nationale »,présidée par Al-Khatib avant sa démissiondébut 2013, sur le modèle libyen, lequel tentede fédérer les trois grandes tendances de l’opposition à Bachar al-Assad : les nationa-listes, qui incluent des dissidents issus detoutes les confessions ; les libéraux, très minoritaires sur le terrain ; et les islamistes,majoritaires au sein de la population sunnite -désormais largement opposée au parti laïcBaas associé aux « infidèles alaouïtes »11. Dansune interview accordée au site kurde Kurd-watch12, le porte-parole des Frères musulmanssyriens, Zuhayr Salim, a rappelé que son mouvement est hostile à l’idéologie laïque-nationaliste du Baas et que son objectif est de« créer un Etat islamiste pour tous, Arabes,Kurdes, Turcs, Circassiens, et tous les autresqui vivent ici ». Par ailleurs, des légions de Salafistes Jihadistes sont de plus en plus présentes en Syrie au sein de la rébellion. Onpeut citer notamment le Front al-Norsa, très liéà Al-Qaïda en Irak (et Al Qaïda dans la Pénin-sule arabique, AQPA)13, qui a prêté allégeanceà Al-Qaïda le 10 avril 2013. Rappelons aussique l’on a retrouvé en Syrie, un groupe jihadiste commandé par Mohammad al-Zawa-hiri, le propre frère du chef d’Al-Qaïda,Ayman Zawahiri. Ces faits montrent que ’opposition islamiste au régime alaouïte-baas-siste est de plus en plus incontrôlable. Certes,on ne peut nier que le régime de Bachar al-Assad pratique une répression sanglante etque la violence est depuis des années surtout lefait du parti Baas et du clan au pouvoir. Toute-fois, la tournure prise par les évènements cesderniers mois et la part de plus en plus impor-tante prise par les salafistes jihadistes au seinde la rébellion syrienne anti-Baas laissent augurer un scénario de guerre civile entre isla-mistes et bassistes/alaouites. Or cette guerrecivile n’est pas prête d’être contenue par une « communauté internationale rendue impuis-sante par les vétos russe et chinois mais aveu-glée ou fascinée, comme ailleurs, par cesislamistes sunnites qui utilisent les mots démocratie et révolution pour mieux imposer

-par étapes- leur vision tout aussi totalitaire dela société fondée sur la charià et le mythe duCalifat.

« Mauvais » révolutionnaires chiites versus « bons » révolutionnaires sunnites

Etonnamment, alors que l’Occident a tout faitpour déloger par la force des bombes del’OTAN le régime nationaliste de MuammarKadhafi en Libye pour aider les rebelles islamistes sunnites à accéder au pouvoir, puisde même que les Etats du Golfe sunnites et lesOccidentaux ont exigé le départ de tous les dirigeants arabes qui étaient en guerre avec lesislamistes sunnites (les “bons” islamistes), enrevanche, ce même camp occidental-sunniteorchestre ou tait la répression, par les monar-chies pétrolières sunnites du Golfe, des “mau-vais” islamistes : les révolutionnaires chiites.(Rappelons que ceux-ci sont majoritaires àBahreïn (60%), où une dynastie séculaire issuede la minorité sunnite (40%) les contrôlechaque jour dans l’indifférence générale). Cesopposants chiites réclament simplement des libertés et une égalité de traitement car leschiites sont traités comme des inférieurs dansce pays. Pour couvrir ou justifier ce traitementdes Chiites de Bahreïn, le Conseil de Coopé-ration du Golfe (CCG), dominé par l’Arabiesaoudite -elle-même persécutrice de sa mino-rité chiite- accuse l’opposition chiite de Bahreïn et d’ailleurs dans le Golfe, d’être manipulée par la République islamique iranienne, ce qui n’est pas toujours inexact. LeCCG se pose ainsi en défenseur du “mondelibre” face au danger que représenterait un Iranchitte détenteur du feu nucléaire qui étendraitson influence, déjà grandissante au Liban (dominé par le Hezbollah chiite pro-iranien),de l’Irak (en grande partie aux mains deschiites, majoritaires, 60% de la population),aux régions chiites rebelles du sud-est del’Arabie saoudite (qui regorge de puits de pétrole...), de Bahreïn ou encore du Yémen, oùvivent 45 % de Chiites. D’évidence, dans les pays du Golfe, toute démocratisation réelle rime aisément avec secessionnisme ou révolution chiite. Il est éga-lement vrai que Téhéran a tout fait, depuis1979, pour mobiliser ces minorités chiites“déshéritées” (mustadhafin, en perse), “humi-liées” par les monarques sunnites alliés desEtats-Unis et de l’Europe. Mais l’amalgameChiites = Iran ne tient pas toujours, loin de là,

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et sert souvent prétexte au néo-containment dumonde chiite par les sunnites.

Le cas du Yémen

Au Yémen, par exemple, pays d’origine desgrands parents d’Oussama Ben Laden, l’ex-Président Ali Abdallah Saleh, issu de laminorité chiite des Zaïdites, qui a accepté unplan de paix scellant son départ en échanged’une amnistie et d’élections libres, n’a jamaisété un partisan de l’Iran chiite ou de la Révolution islamique de Khomeiny et était aucontraire un laïque et un nationaliste arabeclassique, promoteur de l’unité nationale et ennemi juré tant des rebelles chiites indépen-dantistes que des islamistes sunnites ou des sécessionnistes du sud. Les islamistes sunnitesaccusent l’ex-Président Saleh le Zaïdite(chiite) d’avoir en sous main toléré ou mêmefavorisé la rébellion chiite, dite « houtiste »,quand bien même ses coreligionnaires chiiteslui reprochent au contraire de ne pas avoir soutenu cette révolte zaïdite du Nord. Saleh adonc autant payé son passé de dictateur que savolonté de promouvoir un Yémen uni, désor-mais livré au chaos. Mais dans ce pays fonciè-rement tribal et fort divisé, le départ du despote(dont les membres de la famille et du clan dé-tiennent encore les clefs du pouvoir sécuritairedu pays) n’a pas calmé les insurgés islamistes,les militaires dissidents ou les tribus rivaleséprises de revanche. Ces dernières n’ont pasuniquement accusé Saleh d’avoir été un tyranmais, mais aussi d’avoir cessé, comme Kadhafi, de distribuer les mannes de la corruption aux chefs tribaux, d’avoir “colla-boré” avec les Occidentaux “croisés” en matière de lutte contre Al-Qaïda, et enfind’être un “mécréant”, coupable de violer lescommandements de l’islam. Après avoir négocié le départ volontaire de Saleh, leConseil de Coopértation du Golfe a obtenu,certes, l’organisation d’élections libres, maiscelles-ci risquent de porter au pouvoir, comme ailleurs, des islamistes : ceux du parti sunniteal-Islah dominent déjà l’opposition du ForumCommun et se sont alliés, comme en Tunisie,aux révolutionnaires socialistes. Dans ce pays, les jeunes démocrates de la « génération facebook» ne pèsent pas lourdface aux tribus rebelles armées et aux islamistes sunnites qui quadrillent le terrain etles mosquées. Rappelons que depuis 2004, lesaffrontements entre les insurgés chiites, le

pouvoir et les groupes sunnites ont fait desmilliers de morts dont personne ne parle aujourd’hui. Véritable bombe à retardement,le Yémen, pays pauvre ou la famine menacetrois millions de personnes, est un des fiefsd’Al-Qaïda, qui partage avec les tribus hôtesles juteux trafics et les rançons liées aux prisesd’otages. Force est donc de reconnaître que,comme ailleurs en zone chiite dominée par lesSunnites, les rebelles démocrates comptentsurtout que s’ils sont sunnites et encouragéspar les Occidentaux, d’une part, et les sunnitesturcs ou arabes, de l’autre. Une victime chiited’Arabie saoudite, du Bahreïn ou du Yémensemble donc compter « moins » qu’une victime sunnite de Syrie, au point que l’on neparle pas d’elle. Telle est la grille de lecturecynique qui incite à se méfier de l’informationmanichéenne à l’œuvre dans les discours politiques et les médias depuis le début du « printemps arabe », lequel a vite tourné en « hiver islamiste ». Cette vision fortementorientée de la situation consiste grosso modo àsoutenir et médiatiser le martyr ou les succèsélectoraux des « démocrates » sunnites (frèresmusulmans ou salafistes) anti-laïques et anti-chiites, dès lors que ceux-ci sont encouragéspar Al-Jazira, l’Arabie saoudite, la Turquienéo-islamiste, l’Occident et le Qatar.

A contrario, cette représentation partielle etpartiale vise à faire taire le “martyr” des rebelles chiites ou à discréditer les rébellionschiites et les formules laïques-nationalistes ennemis de l’islamisme sunnite (baas/alaouitessyriens, partisans du bourguibisme et de BenAli en Tunisie, ou de Moubarak en Egypte, kémalistes en Turquie, etc), dès lors que celles-ci sont anti-occidentales, pro-iraniennes, pro-russes, pro-chinoises ou simplement tour-nées contre le leadership saoudien et les Frèresmusulmans. Pour ces raison, les victimeschiites massacrées par les despotes sunnites-notamment en Arabie saoudite ou au Yémen,comptent moins que les victimes sunnites soutenues par les Frères musulmans, Al-Jazira,l’Arabe saoudite, le Qatar et les Occidentaux.Ce camp pro-occidental et pro-sunnite a parconséquent une indignation pour le moins sélective. Il canalise toutes ses efforts d’indi-gnation en direction des régimes sunnites pétroliers et de leurs protégés des partis issusdes Frères musulmans et des groupes salafistesanti-laïques et anti-chiites... Comment en effetexpliquer autrement le fait que les pays de

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l’OTAN, qui ont bombardé la Libye et qui fustigent le régime alaouïte syrien (chiite) sisévèrement, demeurent au contraire si silen-cieux face aux répressions sanglantes et conti-nuelles des manifestants chiites par les soldatssunnites saoudiens envoyés à Bahreïn ou dansl’Est saoudien sur décision des monarchiessunnites du Conseil de Coopération du Golfe ?

Les islamistes « modérés » tunisiens etégyptiens nostalgiques du Califat...

Le thème du Califat est central au sein desmouvances islamistes. Et son évocation estcommune aux Frères musulmans, aux sala-fistes ou aux islamistes turcs conservateurs del’AKP, qui pleurent toujours son abolition en1924 par Atätürk « l’apostat ». Plus significatifencore : ce mythe du Califat est, avec la charià, un point de convergence idéologiquefondamental entre les islamistes « durs » (tendance « jihadiste » ou Al-Qaïda) et les « modérés » (Frères musulmans égyptiens outunisiens, AKP turc, PLJ égyptien, etc). C’estainsi que l’ex Premier ministre tunisien, Hamadi Jebali, membre du parti islamiste Ennahda pourtant réputé modéré, n’a pas hésité à appeler de ses voeux le « sixième Califat islamique »14 lors d’un meeting prononcé à Tunis mi-novembre 2011. L’allu-sion, que Jebali dut démentir face aux indi-gnations des laïcs, a inquiété les Tunisiensencore attachés aux acquis de la Tunisie deHabib Bourguiba, père de l’indépendance en1956 : droits des femmes, sécularisation, liberté de conscience, ouverture à l’extérieur15,etc. En fait, les leaders islamistes tunisiens savent que leur base électorale et militante estplus radicale qu’eux. Leurs homologues égyp-tiens et même marocains tiennent, eux aussi,un tel double discours oscillant entre, d’unepart, professions de foi démocratiques ou promesses en matière de protection desfemmes et des libertés publiques et, d’autrepart, allusions codées aux idéaux islamistes(charià, califat, lutte contre le « blasphème »et le prosélytisme; dénonciation de l’« impé-rialisme occidental », du « sionisme », chasseà l’athéisme, etc). Il n’est pas inutile de se souvenir, par surcroît, que le mythe du Califatet de la Oumma islamique cher aux Frères mu-sulmans et aux salafistes du monde entier est,également, au coeur de la Charte du Hamas.Or le fait même que le parti tunisien Ennahda,le parti turc AKP et les Frères musulmans du

PJD marocain ou du PLJ égyptien soutiennentdepuis toujours le Hamas suffit à jeter uneombre suspecte sur leurs déclarations rassu-rantes en matière de la liberté de conscience,de promotion de la paix et d’inclination pour ladémocratie.

« Islamisme modéré à la turque » ?16

L’idée même d’opposer Frères musulmans (« démocrates musulmans, gentils, pro-occi-dentaux ») et « Salafistes » jihadistes (anti-démocrates, « mêchants », anti-occidentaux)est loin d’être toujours satisfaisante. Car lesFrères musulmans arabes se réclament eux-même depuis toujours du salafisme, qui signifiele retour aux « Pieux ancêtres » et à la purifi-cation de l’islam face aux contaminations infi-dèles extérieures, tel que le théorisait Hassan al-Banna lui-même, le fondateur desFrères musulmans (1928) héritier du courantsalafiste du XIXè siècle. Comment peut-ondonc comparer à des « libéraux », à des « démocrates chrétiens », voire à des « conser-vateurs » -en d’autres termes, un centre droiteuropéen- les idéologues obscurantistes et populistes qui ambitionnent de renverser lesrégimes laïques et « apostats » ? On nous répondra probablement que les islamistes issusde cette mouvance ont renoncé au Jihad, pour-tant glorifié dans tous les textes de référencedes Frères et des salafistes, et que la preuve deleur évolution « démocratique » réside dansleur participation aux premières élections libres. On nous rappellera, aussi, d’ailleursqu’en Algérie, le 26 décembre 1991, dès le premier tour des élections législatives, le Front islamique du Salut obtint 188 sièges sur 231, etfut poussé de force dans le camp de la violencelorsque la junte algérienne et le Premier ministre d’alors, Si Ahmed, firent annuler arbitrairement sa victoire électorale. Plus dedouze années plus tard, et après une guerre civile d’une extrême violence qui opposa lajunte militaire algérienne aux islamistes terro-ristes issus du FIS, des GIA et du GSPC (devenu AQMI), l’Algérie semble d’ailleursêtre revenue à la case départ, puis les islamistesdes différents courants plus ou moins prochesdes Frères musulmans sont donnée largementvainqueurs des élections législatives de mai 2012. Poursuivant la même idée selon laquelle l’islamisme politique est violent lorsqu’il estpersécuté par les juntes militaires éradicatrices,

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on nous objectera enfin, qu’en 2005, à Gaza, leHamas, mouvement terroriste sunnite issu desFrères musulmans et lié à la Syrie de Bacharal-Assad et à l’Iran de Mahmoud Ahmadiné-jad, remporta largement les élections devant leFatah (et, donc, l’Autorité palestinienne deMahmoud Abbas) et que, là aussi, cette victoire électorale ne fut pas reconnue, ce quidéclencha les violences interpalestiniennes etisraélo-gazaouites que l’on sait ?

Inversement, pour alimenter la théorie des islamistes pacifiques et parfaitement démo-crates en cas d’élections libres, on nous rappelle à l’envi que là où les islamistes purentaccéder au pouvoir, comme l’AKP en Turquie-vainqueur de toutes les élections libres depuis2002- les islamistes jadis partisans de la chariàet du califat sont devenus de bons démocrateset ont renoncé à toute violence. Les leaders islamistes « modérés » de l’AKP au pouvoiren Turquie, notamment le Premier MinistreRecep Taiyyp Erdogan, incarnent même aujourd’hui la synthèse « islamo-démocratique »la plus achevée et sont devenus les référencesde tous les mouvements islamistes précitésissus des Frères musulmans qui sont arrivés aupouvoir démocratiquement en Tunisie, auMaroc ou en Egypte. On peut répondre que lesmouvements islamistes qui ont gagné les premières élections libres de Tunis à Rabat enpassant par Le Caire n’ont pas renoncé pourautant à leurs idéaux islamo-totalitaires fonda-teurs. La démocratie, pour eux, est bien plusun moyen efficace de réislamiser les sociétésmusulmanes et de renverser les pouvoirs mili-taires anti-islamistes qu’une fin en soi fondéesur des idéaux philosophiques : liberté de conscience, égalité des sexes et des confessions, sécularisation, séparation despouvoirs, etc.Autre signe qui ne trompe pas : le succès mon-dial du téléprédicateur salafiste Youssef al-Qardaoui au sein des Frères musulmans etdes salafistes « modérés » du monde entier. Lefait même que les sermons et discours télévi-sés haineux, anti-juifs, anti-chrétiens, anti-laïques, anti-progressistes et revanchards de cefanatique gourou spirituel d’Al-Jazira, auteurde fatwas justifiant des attentats kamikazes enIrak ou en Israël, fascinent autant la base desFrères musulmans et les salafistes, a de quoifaire réfléchir. Selon nous, le simple fait queQaradaoui soit une des références des dirigeants issus des Frères musulmans,

vainqueurs des récentes élections, invalidetoute tentative visant à qualifier les partis islamistes précités de « démocrates-musul-mans ». Youssef al-Qaradaoui affirmait parexemple, le 28 janvier 2009, sur Al-Jazira, que« tout au long de l’histoire, Allah a imposé aux[Juifs] des personnes qui les puniraient de leurcorruption. Le dernier châtiment a été admi-nistré par Hitler. Avec tout ce qu’il leur a fait -et bien qu’ils [les Juifs] aient exagéré les faits-,il a réussi à les remettre à leur place. C’étaitun châtiment divin. Si Allah veut, la prochainefois ce sera par la main des musulmans. »

En guise de conclusion...

En conclusion, on peut dire qu’il encore troptôt pour affirmer que les « révolutions arabes »ont libéré le monde des dictatures et du terro-risme islamiste. Ensuite, il apparaît un peuhâtif de parler d’un « printemps arabe » monolithique, comme si tous les pays arabesétaient identiques et comme si toutes les révo-lutions s’étaient déroulées dans les mêmesconditions partout en territoire arabe. Car lesseuls points communs entre certains de cespays sont une langue plus ou moins communeet une religion majoritaire commune, quoi queles minorités chiites, chrétiennes, alaouites,druzes, zaïdites, kharidjites, yézidies, etc, morcellent cette toute relative homogénéité religieuse. Il est, enfin, tout aussi absurde decomparer des pays à forte tradition nationaleet militaire comme la Tunisie ou l’Égypte,avec des pays tribaux et sans traditions nationales et militaires, comme le Yémen oula Libye.

Depuis le déclenchement des révolutionsarabes, les violences et les manifestations dehaine envers les minorités chrétiennes (Coptes,Assyro-chaldéens, etc), les femmes non voilées ou libres, les « apostats », ont augmenté de façon exponentielle. Les agres-sions et assassinats de chrétiens égyptienscoptes par l’armée ou par des salafistes, enEgypte depuis le début des évènements révo-lutionnaires et l’accès au pouvoir des Frèresmusulmans, l’attaque de la chaîne de télévisiontunisienne, le 11 octobre 2011, par des cen-taines d’islamistes opposés à la diffusion sur Nessma TV du film « blasphématoire »Persepolis, furent les premiers dommagesidéologiques collatéraux de ces révolutions...Ceci incite l’intellectuel tunisien Samir Amin

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d’écrire cette phrase terrible à lire pour toutdémocrate libéral mais pas totalement dénuéede vérité si l’on admet que la démocratie,avant même d’être un processus électoral, estune culture de la liberté et de la sécularisation :« les élections, en Egypte comme ailleurs dansle monde, ne sont pas toujours le meilleurmoyen d’asseoir la démocratie, mais souventcelui de mettre un terme à la dynamique desavancées démocratiques »17...

Notes

1- Gene Sharp est Professeur de sciences politiques àl'université de Dartmouth (Massachusetts). Il a dirigéle programme sur les “Sanctions non violentes appli-quées aux conflits et à la défense” à Harvard. Ancienobjecteur de conscience pendant la guerre du Vietnam,emprisonné à l’époque pour appel à la désertion, GeneSharp est président d’honneur de la fondation AlbertEinstein, qui accorde des bourses à des promoteurs dela démocratie dans le monde entier. Inspirateur de Solidarnosc dans les années 1980, du mouvementOTPOR en Serbie dans les années 1990, puis des « ré-volutions de velours » dans les années 2000 (Ukraine,Géorgie, Kirghizistan, etc), Gene Sharp a égalementmarqué la première phase des révolutions arabes, avantla reprise en main par les mouvements islamistes, notamment les activistes laïques progressistes ou libé-raux agissant sur le web comme notamment WahelGhonim en Egypte ou Lina Ben Mehnni en Tunisie.Son ouvrage le plus lu et téléchargé sur internet est Ladictature à la démocratie (1993), traduit en 30 languesdont l’arabe et téléchargeable h:http://www.aein-stein.org/organizations/org/FDTD_French.pdf.

2- Voir Fethi Benslama, Soudain la révolution, de laTunisie au monde arabe : la signification d’un soulè-vement, Denoël, 2011.

3- Ouvrage publié par le Centre d’études de l’unitéarabe, Beyrouth, 1993, p. 48.

4- Interview réalisée par Ala Iddin Al-Rachi, le 5 octobre 2005.

5- Pour approfondir la pensée de Qardaoui, lire Le Licite et l’Illicite (alhallal wal haram), 1992, réédition2000, ou encore, L’Eveil Islamique entre le rejet et l’ex-trémisme (As-Sahwah al-islâmiyyah bayna al-djuhûdwa At-Tatarruf), 1984.

6- En 1975, Benkirane, né en 1954, à Rabat, est mem-bre de l’organisation clandestine islamiste Chabiba slamiyya (Jeunesses islamiques), qui pratique le terro-risme à l’encontre des partis d’extrême-gauche. On im-pute notamment aux Chabiba l’assassinat en 1975 dudirigeant de l’Union socialiste des forces populaires(USFP), Omar Benjelloun. En 1981, Benkirane fonde laJamaa al-islamiyya, puis en 1996, le mouvement toutaussi radical, Le Mur « Unicité et réforme », ensembled’associations qui l’aide à chapeauter les réseaux debienfaisance, reçoit les dons et inspire la ligne idéolo-gique du mouvement. Il s’allie alors au MPDC

d’Abdelkrim Khatib, proche du Roi Hassan-II. En 1998,le MPDC devient le PJD actuel, dont il est élu Secré-taire général en 2008 ; cf Isabelle Mandraud, « L’isla-miste Abdelilal Benkirane, chargé de former ungouvernement au Maroc », Le Monde, 1er décembre2011).

7- Voir Isabelle Mandraud, « L’islamiste Abdelilal Ben-kirane, chargé de former un gouvernement au Maroc »,Le Monde, 1er décembre 2011.

8- Le « Makhzen » désigne le pouvoir royal dans sonensemble et son acception à la fois politique et reli-gieuse.

9- Ses activités vont des boissons et du papier de soieaux armements en passant par la distribution.

10- Bernard Henri Levy : Le Point -Juillet 2012.

11- L’opposition interne est représentée notamment parle Forum du dialogue national, favorable à un change-ment démocratique et pacifique en Syrie ; le Rassem-blement national démocratique, qui regroupe desopposants au Baas, la tendance conservatrice sociale-islamiste, représentée par Haytham al-Maleh, ex-prési-dent d’une association de défense des droits del’homme. À l’extérieur, l’opposition est représentée parAbdel Halim Khaddam, ex-ministre des Affaires étran-gères et vice-président de Hafez al-Assad, lui aussi alliéaux Frères musulmans syriens et à la Turquie. Il dirigedepuis Paris le Front de salut national (FSN), créé en2006, avec l’appui.

12- Intitulé « To hell with syrian (identity) ! We do notrecognize Syria », 4 décembre 2011.

13- Les autorités syriennes ont en effet arrêté, près de laville de Deraa, Mohammad Zawahiri, fr (cf The Inde-pendent, 5 janvier 2013. Selon ce journal, l’arrestationa eu lieu à Deraa, au Sud-Ouest de la Syrie, alors queZawahiri tenait une réunion avec les groupes armés del’opposition. Le chef du font Al Nosra, Abou Moham-mad el-Joulani, entretiendrait des contacts directs avecZawihiri.

14- « Mes frères, vous vivez un moment historique, unmoment divin, une nouvelle étape civilisationnelle, siDieu le veut, dans le sixième Califat, une grande res-ponsabilité nous attend », cité par Valentin Mbougueng,« On attendait Montesquieu, voici le sixième califat »,Afrique-Asie, décembre 2011.

15- Voir l’ouvrage de Mezri Haddad, La face cachée dela révolution tunisienne, Islamisme et Occident, une alliance à haut risque, Apopsix Editions, 420 p.

16- Voir à ce propos Alexandre Adler, « Que signifiel’islamisme modéré », Le Figaro, samedi 3 et dimanche4 décembre 2011 ; voir aussi Alexandre del Valle, Le to-talitarisme islamiste à l’assaut des démocraties, LesSyrtes, 2002.

17- Samir Amin, Le Monde arabe dans la longue durée :un printemps des peuples ?, Éditions Le Temps des Cerises, Paris, 2011.

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a notion de développement et son corollaire le sous-développement ontbeaucoup évolué depuis un demi-

siècle et sous-tendent les enjeux de la gouver-nance mondiale. Avec la Conférence de Stock-holm en 1972 fut mis en place une logique departenariat et de coopération entre les paysémergents, les pays en développement d’unepart et les pays industrialisés de l’autre. C’estégalement l’émergence du droit au développe-ment, c’est-à-dire l’idée qu’il faut une volontépolitique pour organiser le monde (autrementdit une gouvernance mondiale) afin que celui-ci soit plus équitable. Fut alors définit le déve-loppement humain. D’après le PNUD : « Le principal objectif dudéveloppement humain est d’élargir la gammedes choix offerts à la population, qui permet-tent de rendre le développement plus démocra-tique et plus participatif. Ces choix doiventcomprendre des possibilités d’accéder aux revenus et à l’emploi, à l’éducation et auxsoins de santé et à un environnement propre ne présentant pas de danger. L’individu doit également avoir la possibilité de participerpleinement aux décisions de la communauté etde jouir des libertés humaines, économiques etpolitiques. »

Réflexions étymologiques

On aurait demandé à Confucius ce qu’il auraitfait s’il avait été un Dieu. Après réflexion,celui-ci aurait répondu « je fixerai d’abord lesens des mots »1. C’est, en effet, une tâcheardue de définir ou de tenter de définir les mots,mais néanmoins une démarche primordiale.Aussi faut-il s’arrêter quelques instants sur lestermes mêmes de travail décent.

Qu’est ce que le travail ?L’étymologie latine du vocable travail, à savoirtripalium, désignait un instrument de torturequi immobilisait la malheureuse victime. Onretrouve encore de nos jours cette idée, soitd’immobilisation, soit de souffrance, dans certaines utilisations du mot travail. Ainsi unmaréchal-ferrant utilise un objet appelé “travail” pour immobiliser un cheval trop agité.Mais on peut aussi penser à l’obstétrique : unefemme en plein travail est une femme en priseavec les douleurs de l’accouchement. Le travail serait intrinsèquement une torture,quelque chose de douloureux et qui seraitcontraire à la liberté.

En fait, avec une approche un peu plus philo-sophique, on se rend compte qu’il y a une double dimension du travail :- une dimension objective : comment, par letravail, on transforme le monde extérieur, ouautrement dit ce que l’on produit par le travail- une dimension subjective : comment le travail transforme le travailleur lui-même.

En effet, par le travail, l’homme ne modifie passeulement le monde extérieur (dimension objective), mais il transforme sa propre nature(dimension subjective). « Le travail cultive, socialise et élève l’homme »2. C’est dans cesens, par cette dimension subjective que l’onpeut considérer que, contrairement à l’étymo-logie du terme, le travail est une manifestationde la liberté de l’homme. Mais pour y arriver,pour parvenir à cette libération, il faut passerdes heures sur son labeur avec le corollaire defatigue et de sacrifice de ce temps pris sur lesloisirs ou sur la vie familiale. On retrouve làl’aspect contraignant du travail. Autrement dit,

LE TRAVAIL DÉCENT : ANALYSE CONCEPTUELLECarole GuevilleSous la Direction de Mme Patricia Mamet

L

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les moyens pour aboutir à cette libération sontl’asservissement, la contrainte. Donc, les médiations par lesquelles se réalise l’essencedu travail (à savoir la liberté de l’homme) sonten contradiction avec elle. On peut se demanderdans quelle mesure le but du travail décentn’est-il pas d’assurer le respect de l’essencemême du travail tout en rendant les médiationsplus conformes à cette essence.

Le travail a également une dimension sociale,que ce soit au niveau de la société en permet-tant des échanges, mais aussi au sein des struc-tures familiales par l’obtention d’un revenupour subvenir non seulement aux besoins primaires quotidiens, mais aussi par exemplepour financer les études des enfants et donc assurer l’avenir de la famille mais aussi de lasociété.

Enfin, il y a une dimension en quelque sortetranscendantale du travail. Le travail permet dedépasser son individualité, de laisser une tracede son passage dans la communauté humaine,de créer quelque chose ensemble.

D’un pur point de vue économique, le travailest un coût. Il s’ajoute au capital pour consti-tuer le coût de production. C’est le coût de production qui permettra de fixer le prix devente et, par conséquent, les éventuels béné-fices, but de toute production dans un systèmeéconomique capitaliste. Avec la conséquencesuivante : pour accroître les bénéfices on peutsoit augmenter le prix de vente, mais avec lerisque fort probable de voir les ventes baisser etdonc les profits également, ou bien on chercheà diminuer les coûts de production. Or, lescoûts fixes ne sont pas réductibles, la seule variable restante est donc celle du coût du travail : soit en diminuant les salaires, soit endiminuant le nombre de travailleurs et donc enaugmentant la productivité. Les deux optionsont des conséquences sur le bien être des travailleurs. Dans cette perspective écono-mique, le travail est ici le travail salarié. Ce quiest finalement très restrictif et ne prend pas encompte toutes les autres formes de travail (travail dans le secteur informel, travail desfemmes et enfants au sein de la structure fami-liale…). Ces autres formes de travail sontmoins présentes dans les sociétés occidentalesmais constituent une réalité dans le reste dumonde.Dominique Peccoud, conseiller spécial du

Directeur général du BIT pour les affairessocio-religieuses, a explicité le choix du termetravail pour le concept de travail décent : « L’OIT n’a pas choisi de parler d’emploi,mais de travail décent. Lorsque les NationsUnies ou d’autres experts des relations internationales parlent de travail décent, onentend fréquemment parler de jobs, de travail,ainsi qu’une expression qui revient : “We wantto head full and productive employment anddecent work”, c’est à dire « nous voulons unemploi complet et productif et un travail décent ».Dans cette expression : employment est une catégorie statistique. Cela veut dire absence dechômage. Full employment veut dire : tout lemonde a la capacité d’exercer un travail. Cen’est donc pas du tout au sens d’emploi dansune relation contractuelle entre un employeuret un employé. C’est une notion statistique. En revanche quand on parle du type de travail, onparle bien de travail et non pas d’emploi. Le-Directeur général3, venant d’un pays d’Amé-rique du sud, en l’occurrence le Chili, a toujours été préoccupé par le fait que si l’OITveut être pertinente, elle ne doit pas seulementse préoccuper de l’emploi au sens contractuelentre des employeurs et des employés, mais detoutes les formes de travail possibles. Il ne fautpas attendre que l’économie soit formaliséedans des relations employeurs/employés pourque l’on puisse parler de décence au travail etde définition normative de cette décence au travail. C’est pourquoi nous avons traduit travail et non pas emploi. Pourquoi ne prend-on pas non plus le terme job au sens américain ?Parce que si vous regardez l’étymologie de ceterme qui vient de l’anglais “goby” venant lui-même du français « gober ». Un job c’est pouvoir gober un travail qui vous permet desurvivre un jour »4.

En choisissant le terme de travail au détrimentd’autres termes (emploi, job, etc.) il y a la volonté d’élaborer un concept qui tend à l’uni-versel et qui ne soit pas qu’une notion quanti-fiable mais aussi) -et peut être même surtout-une notion qualitative.

Décent ? On confond bien souvent les termes décence etdignité, qui sont bien proches. On peut donc sedemander pourquoi l’on parle de travail décentet non pas de travail digne. En effet, dans l’idéedu travail décent, il y a celle du respect de ladignité du travailleur.

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On constate que depuis la fin de la SecondeGuerre Mondiale, la dignité est devenue un“phénomène juridique”5. Elle devient l’élé-ment premier du nouveau droit internationalqui se crée. Après la Seconde Guerre Mon-diale, on a constaté que les Droits de l’Hommeont été bafoués et qu’ils ne suffisent pas ou plutôt ne suffisent plus. Le terme “dignité” apparait alors dans les principaux textes de droitinternational :- dans le Préambule de la Charte de l’ONU (26 juin 1945) est réaffirmé la foi « dans lesdroits fondamentaux de l’Homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommeset des femmes, ainsi que les nations, grandeset petites »- dans le Préambule de l’Acte Constitutif del’UNESCO (16 novembre 1945) « la grande etterrible guerre qui vient de finir a été renduepossible par le reniement de l’idéal démocra-tique de dignité, d’égalité et de respect de lapersonne humaine »- dans la Déclaration Universelle des Droits del’Homme (10 décembre 1948) que ce soit dansson Préambule : « la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux consti-tue le fondement de la liberté, de la justice, dela paix dans le monde » ou bien dans l’articlepremier : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en droit et en dignité »- dans les Pactes Internationaux Relatifs aux Droits Civils et Politiques et aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels (16 décembre 1966), ces droits sont légitimeset reconnus car ils « découlent de la dignitéinhérente à la nature humaine »- dans la Charte Africaine des Droits del’Homme et des Peuples (27 juin 1981) article 5 :« le droit au respect de la dignité inhérente à lapersonne humaine par les individus » et article19 qui proclame : « l’égale dignité et les mêmedroits pour les peuples ».

Remarquons cependant que certains textes majeurs du droit international ont “oublié” ceterme de dignité ; c’est le cas curieusement dela Convention Européenne des Droits del’Homme et des Libertés Fondamentales (4 novembre 1950).

Mais si ces textes se réfèrent à la dignité, ils nela définissent pas. La définition juridiquequ’apporte G. Cornu n’est pas beaucoup plus

éclairante : « a) fonction ou titre hautementhonorifique6 (…) b) l’honneur d’une personne(…) c) Plus généralement, la valeur imminentequi s’attache à une institution (…) ou à touteautre personne »7. Ici on peut croire que dignitéest équivalent au respect. Pourtant le respectest la conséquence de la dignité.

On peut chercher chez les philosophes un certain nombre d’éléments de définition. AinsiPic de la Mirandole écrivit dans De la dignitéhumaine : « la dignité de l’homme réside danssa liberté ». Or nous avons vu précédemmenten quoi le travail dans son essence, à défaut deses médiations, libère l’homme. Le travail parait être un des éléments essentiels de la dignité de l’homme. Kant, dans Fondement dela métaphysique des mœurs annonce : « dans lerègne des fins, tout a ou un prix ou une dignité ».La dignité est donc ce qui n’a pas de prix, carpas d’équivalent. Or nous savons que le travaila aussi une dimension marchande, écono-mique. Ce sont sans doute les droits des travailleurs qui sont dignes, au-delà de lasphère marchande.

La dignité est un concept mis en avant dans denombreux textes, sa définition demeure floue,voire problématique.

Qu’en est-il de la décence ?Remarquons que tout comme on parle de travail décent et non pas de travail digne, onparle aussi de droit au logement décent. Pas aulogement digne. Il y a donc une nuance. Qu’elle est-elle ?Avishai Margalit8 a élaboré le concept de “société décente” que l’on pourrait définircomme une société où les institutions n’humi-lient pas les personnes placées sous leurs auto-rités et où les citoyens n’en humilient pasd’autres. Autrement dit, la décence s’oppose-rait à l’humiliation dans le rapport à l’autre. Untravail décent est donc un travail qui n’humiliepas.

On ne peut parler de décence sans évoquer lanotion orwellienne de « common decency ».Pour Orwell, il s’agissait d’une sorte de facultéinstinctive de percevoir le bien et le mal. Il envisageait une société décente comme une société où chacun aurait la possibilité de vivrehonnêtement, décemment, d’une activité, d’untravail qui ait un sens humain. Cette idée decommon decency repose sur la perception des

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individus, sur leur vécu, leur ressenti.

Ainsi parler d’un travail décent plutôt que d’untravail digne, n’altère en rien l’idée même dedignité humaine qui sous-tend ce concept, maiscela prend en compte les particularismes cul-turels des différentes sociétés, le vécu dechaque individu dans son quotidien. C’est cequ’a expliqué Dominique Peccoud : « Nousavons préféré le terme de décence à celui dedignité. Non pas parce que nous nions la dignité mais parce que nous voulons essayerde proposer des conventions internationalesqui ne s’imposent pas comme telles à tout lemonde de la même façon. Le propre de la décence c’est la manière dont la dignité humaine est reconnue dans une société à un moment donné. Le premier acte de décence quel’on a dans notre vie c’est de nous saluer. Sivous comparez l’art de se saluer au Brésil etdans le Royaume Uni, vous voyez bien que l’onest à deux pôles dialectiques. Au Brésil on veutexprimer son désir de fusion avec l’autre et cesera “l’abraço” brésilien, dans le RoyaumeUni on vous dira un “quiet distant hello” quivous dira “Monsieur je vous respecte mais jesouhaite rester à distance de vous autant que jesouhaite que vous restiez à distance de moi”.Et donc vous voyez bien que l’on est là dansdeux formes de sociétés bien différentes. Maisnéanmoins le but de la salutation est toutefoisde pouvoir exprimer le rapport que l’on a à lareconnaissance de la dignité intrinsèque del’autre en tant que personne humaine »9.

Ainsi l’on peut voir que le choix des termesn’est jamais neutre et inscrit le concept qui s’endégage dans un courant de pensée qui lui estpropre.

1-Les quatre piliers du travail décentLe travail décent fut défini par l’OIT en 1999 etplus précisément par son Directeur Général JuanSomavia dans le Rapport de la 87è Conférenceinternationale du travail : « L’objectif premierde l’OIT aujourd’hui est de promouvoir les possibilités pour les femmes et les hommes d’obtenir un travail décent et productif dans desconditions de liberté, d’équité, de sécurité et de dignité humaine. ». Quatre composants ou piliers du travail décentsfurent reconnus :

L’emploiL’objectif n’est pas seulement le plein emploi.

Bien sûr il est souhaitable puisqu’une personneau chômage n’a pas de travail décent. Mais celaserait une vision réductrice, car uniquementquantitative, de ne s’intéresser qu’au taux dechômage. Il y a également une dimension qualitative à ne pas négliger : « Le but n’est passeulement de créer des emplois, mais la créa-tion d’emplois de qualité acceptable. La quan-tité de travail ne peut pas être dissociée de saqualité. Toutes les sociétés ont une notion dutravail décent, mais la qualité de l’emploi peutsignifier beaucoup de choses. Elle peut renvoyerà différentes formes de travail, et aussi diffé-rentes conditions de travail, ainsi que des idéesde valeur et de satisfaction. »10

Pour qu’un emploi soit jugé de qualité, il fautqu’il réponde à 4 critères : la sécurité, le respect,la dignité, la participation. Mais il reste un autrecritère, peut-être le plus important, le premierpour bon nombre de travailleurs : la rémunéra-tion. Elle doit permettre au travailleur de satis-faire ses besoins primaires et ceux de sa famillemais aussi lui permettre d’assurer l’éducation deses enfants et d’accéder à la société des loisirs.Or, d’après le BIT en 2003, 1,3 milliard de personnes ont moins d’1 dollar par jour et c’estprès de 3 milliards d’individus dans le mondequi vivent sous le seuil de pauvreté fixé à 2 dollars par jour. Parmi eux, il y a des personnes au chômage (total ou partiel), maisaussi des travailleurs pauvres (550 millions depersonnes). Il faudrait donc trouver un équilibreentre le nombre d’emplois, c’est-à-dire la quan-tité de travail, et la qualité du travail (que l’on réduit à la rémunération comme critère le moinssubjec. D’après Gary S. Fields, il y a une « corrélation négative entre la rémunération etl’emploi ».

On retrouve donc dans l’optique du travail décent la question suivante : comment faire pourque le plus grand nombre ait un emploi d’unepart, mais aussi un travail de qualité et rémuné-rateur ? Cela pose les problématiques de l’éducation/formation et celle de la non-discri-mination (notamment entre homme et femme).

La protection socialeElle concerne la sécurité et la santé des travail-leurs. Il y a trois types de besoins :- Les besoins primaires (soins primaires, nour-riture, logement, eau, sanitaire, éducation primaire)- Les aléas liés à la maladie, à l’accident et à lamort (en 1999, 250 millions de travailleurs ont

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eu un accident de travail et 300 000 en sontmorts) - Les aléas dus aux catastrophes naturelles.

La protection sociale cherche à garantir l’accèsaux besoins primaires et à protéger les individusface à ces différents aléas. La plupart des Pays en Développement consacre25% de leur PIB à la protection sociale.Mais seulement 20% des travailleurs dans lemonde ont une protection sociale adéquate, avecdes disparités selon les Etats : en Afrique sub-saharienne et en Asie du Sud le pourcentagevarie de 5 à 10%, en Amérique Latine de 10 à80% et en Asie de l’Est de 10 à 100%.Enfin, précisons un point important : la protec-tion sociale bien souvent ne prend en compteque le secteur formel. Or les conditions de travail sont plus dures et plus dangereuses dansle secteur informel (où la majorité des travail-leurs sont des femmes).

Droits fondamentaux du travailIl s’agit des différentes normes prises en comptepar les conventions de l’OIT. Ces principes ontété réaffirmés par la déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux.Selon cette déclaration, l’ensemble des EtatsMembres de l’OIT (actuellement 177) « ontl’obligation de respecter, promouvoir et réaliser, de bonne foi et conformément à laConstitution [de l’OIT], les principes concer-nant les droits fondamentaux », c’est-à-dire:a) la liberté d’association et la reconnaissanceeffective du droit de négociation collective;

b) l’élimination de toute forme de travail forcéou obligatoire (convention n°29 de l’OIT)

c) l’abolition effective du travail des enfants.

Cela concernait 206 millions d’individus dansle monde en 2000. Mais il y a une différence àfaire entre la majorité de ces enfants qui travaillent dans les fermes et dans les entreprisesfamiliales et qui ne constituent pas une prioritéà court terme et une minorité (plus de 8 millionsd’enfants) qui est exploitée sexuellement, ouvictime de travail forcé, ou bien même embri-gadée dans des milices (les enfants-soldats).C’est cette minorité qui constitue l’urgence première. Dans les pays pauvres, c’est près d’un quart desenfants qui travaillent, mais dans les PMA enAfrique, le pourcentage est bien supérieur (entre

35 et 51%). Un indicateur indirect mais pertinent en ce domaine est le taux de non-inscription en école secondaire. d) l’élimination de la discrimination en matièred’emploi et de profession (convention n°111 del’OIT). Il s’agit principalement des discrimina-tions de genre mais pas seulement. Il y a diffé-rents indicateurs pour se rendre compte de cesdiscriminations. Le taux de chômage de la population concernée, ainsi que le taux d’acti-vité (ex : le taux de la population active fémi-nine/population féminine totale) montrent ladifficulté de l’accès à l’emploi. Les indicateursportant sur les différences de rémunération et lanature des emplois (qualifiés ou non) mettent enavant la difficulté d’avoir accès à des emploisde qualité.

Le dialogue socialIl s’agit du droit des travailleurs à défendre leurspoints de vue, leurs intérêts et de pouvoir parti-ciper aux négociations avec leurs employeursou les autorités. On distingue 3 formes de dialogues sociaux :- Entre les travailleurs et leurs employeurs, portant sur les conditions d’emploi- Entre le management et les employés, concer-nant le fonctionnement de l’entreprise- Entre les partenaires sociaux et l’Etat, à propos de la politique sociale et économique dupays.Cela suppose la reconnaissance des différentspartenaires sociaux dont les syndicats.

Les différences en la matière au sein des Paysen Développement sont grandes, ce qui montreune fois de plus la diversité de cette notion.Ainsi, en Afrique du Sud, 73% des travailleurssont couverts par une convention collective, soitplus qu’au Japon ou aux Etats-Unis. Mais, enMalaisie, le pourcentage avoisine les 3%.

2-Le travail décent comme bien public mondialCertains analystes cherchent à faire reconnaîtrele travail décent non plus comme un simpleconcept ou une norme, mais comme un bien public mondial. Cette démarche ne manque pasd’intérêt, on cherchera donc ici à l’expliciter.

Qu'est-ce qu'un Bien Public Mondial?L’acception française d’un bien public peut êtrerésumée ainsi : un bien public est un bien produit et fourni par les pouvoirs publics. Maiscela ne correspond pas au sens du “public good”anglo-saxon. Ce qui se rapproche davantage de

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cette notion de “public good” c’est ce que AlainBeitone définit comme “bien collectif”. Un biencollectif ou un bien public (selon la conceptionanglo-saxonne et que l’on retiendra ici) a deuxcaractéristiques principales : la non rivalité et lanon exclusion. - non rivalité: la consommation de ce bien n’enempêche pas la consommation par d’autres.- non exclusion: ces biens sont consommés partous, nul n’en est exclu.Autrement dit ce sont des biens dont la consom-mation par une personne n’empêche ni n’excluela consommation par d’autres individus.

Ces biens publics peuvent être matériel ou bienimmatériel (ex: la justice).Avec la notion de Bien Public Mondial, onchange d’échelle. On transfère la notion de bienpublic du niveau national (Etat) au niveau inter-national, celui de la gouvernance mondiale.On distingue généralement deux approches desBiens Publics Mondiaux:- l’une minimaliste, aussi qualifiée de néoclas-sique- l’autre maximaliste, qualifiée d’approched’économie politique internationale.

On peut synthétiser ces deux approches par letableau suivant11 :

Au-delà du concept même de Bien Public Mondial qui varie selon l’approche retenue,c’est la conception même de la coopération internationale qui n’est pas la même. Pour la première approche, qui se réfère au marché, ce sont les défaillances de ce dernierqui justifient l’existence des Biens Publics Mondiaux. On parle en termes d’intérêts, decoûts, d’avantages, et de dédommagements.Cette approche cherche à dresser une liste des domaines couverts par les Biens Publics Mondiaux, celle-ci variant tant selon les auteursqu’avec le temps. C’est une approche norma-tive. Dans cette perspective, il n’y a pas de remise en cause du système actuel de coopéra-tion interétatique. On reste donc dans un multi-latéralisme interétatique, où l’on cherche àdonner une dimension internationale aux politiques sectorielles nationales et où on tented’influencer les agents (firmes multinationales,Etats) par des mesures incitatives mais pas pardes sanctions.

Avec l’approche d’économie politique mondiale, ce n’est plus le marché qui fixe les règles. C’est le politique. Les Biens PublicsMondiaux sont des constructions historiques,faits de décisions politiques, et renvoyant auprincipe de l’intérêt général. Cette approche neconsidère pas qu’il y ait des failles du marché àatténuer, à corriger. Elle remet en cause le sys-tème de gouvernance mondiale telle que nous leconnaissons : « Le concept de Biens PublicsMondiaux selon une approche d’économie politique a un caractère subversif, puisqu’il souligne les limites du système international actuel, avec notamment le décalage entre lamondialisation des questions centrales de l’humanité et le caractère borné par les souve-rainetés nationales des décisions politiques. Ce système “décalé” est organisé sur le prin-cipe de la souveraineté des Etats et des organi-sations internationales où les Etats ont une voix,alors que la question posée est celle des choixcollectifs par des citoyens. La question desBiens Publics Mondiaux renvoie donc à la souveraineté des citoyens faisant des choix collectifs, et donc à la question de la citoyen-neté mondiale. »12 C’est donc une remise encause du système onusien tel que nous leconnaissons et plus généralement des relationsinternationales, puisque celles-ci ont toujoursété fondées sur le principe de la souverainetéétatique. Une telle approche suppose des trans-ferts de souveraineté plus grands vers des orga-

Conception des BPM entermes de défaillance des mar-chés : une vision minimalistede la coopération internatio-nale

Conception des BPM entermes d’économie politiquemondiale : une vision maxi-maliste de la coopération in-ternationale

l Référent : le marché l Analyse économiste en termesd’intérêts. L’économie définit lechamp du politiquel Accords de coopération bilaté-raux ou multilatéraux, au niveaudes pouvoirs publics et (ou) pri-vés.l Les entreprises privées inter-viennent dans la fixation desnormes, comme force de lobbypesant sur les décisions prises parles autorités publiquesl Les solutions envisagées sontcelles des relations marchandespour réduire les externalités néga-tives (droits à polluer, par ex.).Les autres solutions sont les dé-clarations d’intention, sui le plussouvent ne sont suivies d’aucunedécision pratiquel Conception d’une démocratieinternationale uniquement fondéesur une légitimité élective des re-présentants dans les instances in-ternationalesl On reste sur une forme classiquedu multilatéralisme onusien. Pasou peu de réflexion sur l’ingé-rence

l Référent : les patrimopines com-munsl Analyse politique en termes derapport de pouvoir. Le politiquedéfinit le champ de l’économie.Primauté du droit et des règles surle marchél Régulation internationale, avectransferts de souveraineté et sanc-tions à un niveau internationall Prise en compte et intégration dela pluralité des acteurs au niveaudes centres de décisions interna-tionauxl Les entreprises privées sontmises en face de leurs responsabi-lités dans la production et le fi-nancement des BPM. Mise enplace de règles et de pouvoirstransnationaux, avec fiscalité per-mettant de financer les biens pu-blics mondiaux. Des sanctionsinternationales sont envisagées.l Conception d’une démocratieinternationale participative, avecémergence d’une spciété civilemondiale accompagnant une gou-vernance régionale et (ou) mon-diale l Un multilatéralisme à réinventeren termes d’émergence de pou-voirs transnationaux et de nou-velles architectures de lagouvernance mondiale

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nisations internationales (ex : OIT, Union Européenne). Si cela suppose des négociationsimportantes pour arriver à un consensus avecl’ensemble des acteurs (dont la société civile,intégrée dans le processus décisionnel), les décisions qui en résultent ont plus de force, delégitimité et peuvent être contraignantes, passeulement incitatives.

Le travail décent est-il un Bien Public Mondial ?Si l’on s’en tient aux listes qui ont été établies,on ne retrouve pas le travail décent parmi lesBiens Publics Mondiaux. Mais rappelons queces listes ont beaucoup changé avec le temps etleurs auteurs et qu’elles correspondent à l’approche minimaliste des Biens Public Mondiaux. Cependant des Biens Publics Mondiaux comme la connaissance, la luttecontre la pauvreté sont reconnus comme tels parplusieurs économistes (ex : Inge Kaul). Or, ilsrenvoient soit à la finalité du travail décent (réduire la pauvreté) soit à ses composantes (lesconnaissances se transmettent par l’éducation,la formation).Si l’on s’intéresse strictement à la définitiond’un Bien Public Mondial tel que nous l’avonsétabli précédemment, alors le travail décent ferait partie des biens publics immatériels aumême titre que les Droits de l’Homme. Le travail décent n’est pas excluable. Le fait quedes travailleurs bénéficient des droits fonda-mentaux du travail dans n’importe quel paysn’en prive pas les travailleurs des autres pays.De la même façon, si un travailleur chinois bénéficie d’une réelle couverture sociale, celane privera pas un travailleur français d’en bé-néficier aussi. Certes, c’est un bien immatériel,mais ses conséquences sont d’autant plusconcrètes qu’elles impactent directement le quotidien des personnes. Selon la même logiqueon peut d’ailleurs concevoir les Droits del’Homme comme un bien public mondial. Lefait qu’en Europe on “consomme” les Droits del’Homme -c’est à dire que l’on bénéficie de la liberté d’expression, de croyance etc., n’enprive pas les autres habitants de la planète. Aucontraire.

Quel intérêt à définir le travail décent commeBien Public Mondial ? Cela renforcerait sa légitimité : « s’il peut sembler plus adapté deconsidérer le travail décent comme une norme,il nous semble que sa définition comme BienPublic Mondial est nécessaire. En effet, la

perception symbolique de cette définition a uneportée politique beaucoup plus forte. (…) Dé-finir le travail décent comme un Bien PublicMondial, c’est souligner son universalité et lapossibilité de rencontrer chez le travailleur del’autre bout du monde, non seulement sonconcurrent mais son semblable »13

La difficulté à définir le travail décent en tantque Bien Public Mondial réside, semble-t-il, davantage dans le débat qui oppose les deuxconceptions de Biens Public Mondiaux et lapossible remise en cause de la gouvernancemondiale telle que nous la connaissons aujourd’hui.

L’acteur principal de la promotion dutravail décent : l’OIT

L’Organisation Internationale du Travail estd’autant plus impliquée dans la promotion duTravail décent qu’elle est à l’origine même duconcept.

Historique de l’OIT, aux origines du travail décent

Arrêtons-nous quelque peu sur l’histoiremême de cette organisation afin de mieuxcomprendre ce qui l’a amené à agir ainsi.Créée en 1919, l’OIT fait partie du système international qui émerge après le traumatismede la Première Guerre Mondiale : le Traité deVersailles, la création de la SDN (Société desNations). Cependant, on peut remarquer quecela s’inscrit dans le courant de pensée de Robert Owen Daniel Legrand et dans le prolongement de l’Association internationalepour la protection légale des travailleurs (fondée en 1901). On retrouve dans le Préam-bule de sa Constitution des éléments toujoursd’actualité et finalement repris dans le conceptde travail décent : la lutte contre le chômage,l’organisation de l’enseignement profession-nel et technique et autres mesures analogues,la garantie d’un salaire assurant des conditionsd’existence convenables (ce qui correspond enquelque sorte au pilier Travail), la protectiondes travailleurs contre les maladies généralesou professionnelles et les accidents résultantsdu travail (ce qui correspond au pilier Protec-tion Sociale); la protection des enfants, desadolescents et des femmes; le principe “à travail égal, salaire égal” (c’est-à-dire uneébauche du pilier Droit fondamentaux du travail); et enfin le principe de la liberté

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syndicale (qui renvoie au quatrième pilier Dialogue Social).

L’OIT survit à la fin du système du Traité deVersailles et intègre, après la Seconde Mon-diale, le système onusien. La Déclaration dePhiladelphie du 10 mai 1944 redéfinit les butset objectifs de l’Organisation Internationale dutravail, mais également ses principes (Premierarticle) :« a) le travail n’est pas une marchandise ; b)la liberté d’expression et d’association est unecondition indispensable d’un progrès soutenu ;c) la pauvreté, où qu’elle existe, constitue undanger pour la prospérité de tous ; d) la luttecontre le besoin doit être menée avec une inlassable énergie au sein de chaque nation etpar un effort international continu et concertédans lequel les représentants des travailleurset des employeurs, coopérant sur un piedd’égalité avec ceux des gouvernements, parti-cipent à de libres discussions et à des déci-sions de caractère démocratique en vue depromouvoir le bien commun ».

On retrouve là aussi des principes qui, plus de60 ans après, sont contenus dans le concept dutravail décent.L’article III de cette Déclaration définit dix objectifs à l’OIT dont la plupart (à l’ex-ception du 8è et 9è) correspondent là encoreaux aspirations actuelles du travail décent :1) la plénitude de l’emploi et l’élévation desniveaux de vie (pilier Travail)

2) l’emploi des travailleurs à des occupationsoù ils ont la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connais-sances et de contribuer le mieux au bien-êtrecommun ; (pilier Travail)

3) pour atteindre ce but, la mise en œuvre,moyennant garanties adéquates pour tous lesintéressés, de possibilités de formation et demoyens propres à faciliter les transferts de travailleurs, y compris les migrations de main-d’œuvre et de colons (pilier Travail)

4) la possibilité pour tous d’une participationéquitable aux fruits du progrès en matière desalaires et de gains, de durée du travail et autres conditions de travail, et un salaire minimum vital pour tous ceux qui ont un emploi et ont besoin d’une telle protection (pilier Travail et pilier Droits Fondamentaux

du Travail)

5) la reconnaissance effective du droit de négociation collective et la coopération desemployeurs et de la main-d’œuvre pour l’amé-lioration continue de l’organisation de la production, ainsi que la collaboration des travailleurs et des employeurs à l’élaborationet à l’application de la politique sociale et économique (pilier Dialogue Social),

6) l’extension des mesures de sécurité socialeen vue d’assurer un revenu de base à tous ceuxqui ont besoin d’une telle protection, ainsi quedes soins médicaux complets (pilier ProtectionSociale),

7) une protection adéquate de la vie et de lasanté des travailleurs dans toutes les occupa-tions (pilier Protection Sociale),

10) la garantie de chances égales dans le domaine éducatif et professionnel. (pilierDroits Fondamentaux du Travail).

Le rôle de l’OIT est réaffirmé et reconnu parl’OMC dans la Déclaration de Singapour(1996) pour ce qui concerne les normes inter-nationales du travail. Avec la Déclaration del’OIT relative aux principes et droits fonda-mentaux, l’organisation met en avant lesgrands principes de son action : la reconnais-sance de la liberté d’association ; la luttecontre le travail forcé ; contre le travail des en-fants et les discriminations.

Le travail décent : création et promotionLa création à proprement parlé du concept de“travail décent” date de juin 1999 dans le Rapport du Directeur général intitulé :Un travail décent. C’est l’axe central de l’actionde l’OIT : « L’OIT cherche à promouvoir untravail décent. Il ne s’agit pas seulement decréer des emplois mais de créer des emploisd’une qualité acceptable. Il ne saurait y avoirde divorce entre le volume de l’emploi et saqualité. Toutes les sociétés ont une notion dutravail décent mais la qualité de l’emploi peutsignifier beaucoup de choses. Elle peut ren-voyer à différentes formes de travail, à diffé-rentes conditions de travail ainsi qu’à desidées de valeur et de satisfaction. Ce qu’il fautaujourd’hui, c’est concevoir des systèmes sociaux et économiques qui garantissent le mi-nimum indispensable en matière de sécurité et

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riences entre les différents acteurs. Il y a plusieurs éléments :- un questionnaire structuré reflétant les quatrepiliers de l’Agenda du travail décent- un site Web interactif (http://cebtoolkit.ilo.org) pour la gestion des connaissances etdes outils d’échange, pour l’intégration systé-matique de l’emploi et le travail décent. Lesoutils sont fournis par les organismes et les intervenants nationaux et sont fondés sur leursexpériences pratiques - des éléments de sensibilisation, d’informationau travail décent afin de mieux comprendrel’Agenda du travail décent et être prêt à l’appliquer efficacement.- des outils d’application au niveau des pays,avec une auto-évaluation.

Le travail décent et l’ONU

Bien que l’OIT fasse partie du système onu-sien, il s’agit ici de comprendre comment letravail décent a dépassé les ”frontières” del’OIT pour devenir un enjeu majeur de l’ONUet de ses différents organismes, intégrant mêmeles Objectifs du Millénaire du Développement.

Le travail décent : un enjeu pour le système onusien

Si on remonte à l’origine de l’ONU, à l’un deses textes fondateurs, à savoir la DéclarationUniverselle des Droits de l’Homme (1948), onconstate des occurrences à l’idée du travail décent(bien que non nommé ainsi), c’est-à-direplus de 50 ans avant sa formulation par l’OIT.« Article 23 : Toute personne a droit au travail,au libre choix de son travail, à des conditionséquitables et satisfaisantes de travail et à laprotection contre le chômage.Tous ont droit, sans aucune discrimination, àun salaire égal pour un travail égal.Quiconque travaille a droit à une rémunéra-tion équitable et satisfaisante lui assurant ainsiqu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, partous autres moyens de protection sociale.Toute personne a le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syn-dicats pour la défense de ses intérêts. »

D’autres articles évoquent les notions de protection sociale (Art.22, 25) et les problé-matiques liées à l’éducation et à la formation(Art.26)Le Sommet Mondial de 2005, réunissant

d’emploi, sans que cela empêche de s’adapterà l’évolution rapide d’un marché mondial trèsconcurrentiel ».

Le travail décent s’inscrit donc au-delà desnormes qui fixent un minimum. Le travail dé-cent s’inscrit dans une dynamique du progrèssocial.

da du travail décent (2000) fixe comme objectifs à atteindre le plein emploi productifet un travail décent pour tous. D’autres rap-ports sont allés dans ce sens comme Une Mon-dialisation Juste : créer des opportunités pourtous de la Commission Mondiale sur la Dimension Sociale de la Mondialisation (rattachée à l’OIT) en 2004 et, en 2008, laDéclaration sur une justice sociale pour unemondialisation juste :« Les quatre objectifs stratégiques (ce qui cor-respond aux 4 piliers du travail décent) sontinséparables, en corrélation et se soutiennentmutuellement. L’échec à en promouvoir un nui-rait au progrès des autres objectifs. Pour opti-miser leurs impacts, les efforts pour lespromouvoir devraient faire partie d’une stra-tégie globale et intégrée pour le travail décent.L’égalité entre les genres et la non-discrimi-nation doivent être considérés comme desquestions transversales dans l’élaboration decette stratégie ».

L’OIT met en place avec les Etats et les orga-nisations internationales des programmes pourpromouvoir le travail décent à différenteséchelles. Ainsi, depuis le lancement de ces programmes (le plus ancien à commencer en2006), il y en a eu 55. Ces programmes portentmajoritairement sur des périodes de 2-3 ans. Ilsn’ont pas tous eu lieu en même temps. La répartition est la suivante :- Etats de la péninsule arabique : 5- Europe et Asie Centrale : 9- Amériques : 12- Afrique : 21 (les programmes ne concernentque des pays appartenant à l’Afrique subsaha-rienne) dont 12 PMA et un ancien PMA.

A la demande de différentes organisations internationales et Etats, et surtout de l’ECO-SOC, l’OIT a mis en place un certain nombred’outils pour promouvoir le travail décent àdifférentes échelles, notamment celle des Etats.

Cela permet un véritable échange d’expé-

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191 Etats, a réaffirmé l’importance des objec-tifs du millénaire du développement établis en2000. Le but, rappelé tout au long de la décla-ration finale, est d’éradiquer la pauvreté, derendre possible un développement pour tousdans un contexte d’une mondialisation plusjuste, plus partagée. Le travail décent n’est pasmentionné sous cette appellation mais on y faittrès clairement référence dans l’article 47 de ladéclaration finale consacrée à l’emploi :« Nous sommes résolument en faveur d’unemondialisation équitable et décidons de fairedu plein emploi et de la possibilité pour chacun, y compris les femmes et les jeunes, detrouver un travail productif et acceptable, lesobjectifs fondamentaux de nos politiques nationales et internationales en la matière etde nos stratégies nationales de développement,y compris celles qui visent à réduire la pauvreté, dans le cadre de nos efforts pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. Les mesures prises dans ce domaine devront également englober l’élimi-nation des pires formes de travail des enfants,telles qu’elles sont définies dans la conventionn°182 de l’OIT, et le travail forcé. Nous déci-dons également de veiller au respect absoludes principes et droits fondamentaux relatifsau travail. »

En juillet 2006, c’est l’ECOSOC qui reprendcette idée à travers l’organisation d’un débatsur l’idée de « créer à l’échelle nationale et internationale un niveau propice pour attein-dre le plein emploi et l’emploi productif ainsique le travail décent pour tous, résultant d’un développement durable ». Le lien est donc établi au milieu des années 2000 entre le travail décent et le développement durable.C’est tout logiquement que dans la déclarationfinale issue de ce débat, les ministres et chefsde délégations ont reconnu que l’Agenda pourle Travail Décent mis en place par l’OIT est uninstrument important pour atteindre l’objectifdu travail productif et décent pour tous.

Les différentes Agences du système onusien furent alors invitées à collaborer autour de cetobjectif du travail décent. On peut s’en aper-cevoir à travers quelques exemples de ”rapprochement” entre ces Agences et l’OIT :- le PNUD et l’OIT se sont mis d’accord pourfaire du travail décent une priorité dans leursactions au niveau national. Ainsi, les rapportscommuns, réalisés dans une optique du déve-

loppement humain, intègrent la problématiquedu travail décent à une échelle nationale- l’UNICEF et l’OIT ont signé un accord decoopération afin de renforcer leur travail com-mun et de rendre plus efficace leurs actionscommunes qui visent à encourager les gouver-nements à faire plus d’efforts pour respecterleurs engagements sur les normes du travail eten particulier les conventions 138 (âge mini-mum pour travailler) et 182 (le travail des en-fants)- le FAO et l’OIT ont signé plusieurs accordsafin de joindre leurs efforts pour éradiquer lafaim, le travail des enfants, la pauvreté et pourpromouvoir le travail décent en zones rurales--l’OMS avec l’OIT mais aussi le FMI, laBanque Mondiale et l’UNFPA (fond des popu-lations des Nations Unies) ont créé ”One Social Protection Floor” qui est un programmecommun visant à assurer aux populations lesplus vulnérables un accès aux services basiquesde la protection sociale en temps de crise.

Le travail décent et les Objectifs du Millénaire pour le Développement

En 2000, à New York, 193 Etats et 23 organi-sations internationales ont adopté les Objectifsdu Millénaire pour le Développement (OMD)avec la promesse (qui ne sera pas tenue malheureusement malgré des progrès notables)de les atteindre en 2015. Ces OMD couvrentdes enjeux planétaires de premier plan : la réduction de l’extrême pauvreté et de la mortalité infantile, la lutte contre plusieurs épidémies dont le SIDA, l’accès à l’éducation,l’égalité des sexes, et l’application du déve-loppement durable.

On en dénombre 8 :1) Réduire l’extrême pauvreté et la faim.

2) Assurer l’éducation primaire pour tous.

3) Promouvoir l’égalité et l’autonomisation desfemmes.

4) Réduire la mortalité infantile.

5) Améliorer la santé maternelle.

6) Combattre les maladies

7) Assurer un environnement humain durable.

8) Mettre en place un partenariat mondial pour

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lioration de la santé maternelle : En s’intéressant et en protégeant les femmesqui travaillent, en promouvant leur éducation,le travail décent a des effets bénéfiques sur labaisse de la mortalité infantile et maternelle.De plus, en favorisant l’accès aux soins à travers la protection sociale et en légiférant surla protection des femmes enceintes travaillant,l’Agenda pour le travail décent va dans ce sens.

- Le sixième objectif est de combattre les maladies, et en particulier certaines dont leVIH.Dans les pays les plus touchés par l’épidémiede SIDA, cela pose un véritable problème économique. Ce sont des organisations admi-nistratives et des entreprises qui sont décimées.Lorsque dans un foyer, l’un des parents est malade et ne peut plus travailler ou bienlorsqu’il décède, bien souvent les enfants sontmis à contribution pour subvenir aux besoinsde la famille et travaillent. Enfin, il y a les discriminations pour l’accès àl’emploi des personnes séropositives. Autant de raisons qui font du travail décent unélément de réponse face à ce problème. Et ce,d’autant plus qu’en promouvant l’accès de tousà une protection sociale, le travail décent permettrait un meilleur accès aux soins, que cesoit pour le VIH comme pour d’autres mala-dies.

- Le septième objectif concerne un environne-ment humain durable. Remarquons tout d’abord qu’il ne s’agit pasque d’un environnement durable, il est aussi etavant tout humain. On est bien dans la mêmelogique qui sous-tend le travail décent. En mettant en place des normes plus contrai-gnantes pour améliorer les conditions de travail et limiter les accidents au travail, on limite aussi les risques de catastrophes indus-trielles dont les répercussions sur l’environne-ment peuvent être majeures.

- Le huitième et dernier objectif s’intéresse àla mise en place d’un partenariat mondial pourle développement :Le travail décent en favorisant le dialogue social facilite les accords sur le développementà différentes échelles (local, national, interna-tional).

Ainsi, on voit bien que si le travail décent a étéintégré officiellement dans le premier objectif,

le développement.

Or, le travail décent peut permettre d’atteindreplusieurs de ces OMD :

- Le premier objectif concerne la réduction dela pauvreté : Il est bien évident que le travail décent, en permettant le plein emploi et des rémunérationscorrectes vise à atteindre cet objectif. Le travail décent a toujours été pensé dans la perspective de la réduction de la pauvreté dansle monde. C’est d’ailleurs assez logiquement qu’en 2008,cet objectif a été amendé afin d’intégrer com-plètement le travail décent. C’est l’objectif intitulé 1b : « Atteindre le plein emploi productif et le travail décent pour tous, y com-pris pour les femmes et les jeunes ».

- Le deuxième objectif, porte sur l’éducationprimaire pour tous : L’Agenda pour un travail décent promeut unaccès universel, obligatoire et gratuit de l’édu-cation primaire. De plus, il encourage les professeurs en faisant en sorte qu’ils aient debonnes conditions de travail, une meilleure formation. On sait que le revenu du foyer estun élément décisif qui rentre en compte dansla décision des parents d’envoyer ou non leursenfants à l’école. Si les parents ont un travaildécent, alors ils ont une rémunération qui leurpermet de subvenir aux besoins de l’ensemblede leur foyer sans pénaliser l’éducation de leursenfants. De plus, en luttant contre le travail desenfants, le travail décent favorise leur scolari-sation.

- Le troisième objectif est relatif à l’égalité etl’autonomisation des femmes : L’égalité est un des éléments fondamentauxdes droits du travail : égalité dans l’accès àl’emploi, égalité dans les revenus. De plus, eninsistant sur l’éducation pour tous, le travail décent favorise l’éducation des femmes, ycompris leur accès à des formations pouradultes et donc leur permet de s’intégrer davantage dans la vie économique de leurspays et d’être plus autonomes. L’action vis-à-vis des femmes et d’autant plus importante quecelles-ci sont les premières victimes du travailnon décent.

- Le quatrième et le cinquième objectifs visentla réduction de la mortalité infantile.et l’amé-

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on ne peut le réduire à celui-ci. Il s’agit d’unthème transversal pour la réalisation de l’en-semble des OMD.Néanmoins c’est aussi une reconnaissance officielle par l’ONU, et donc l’ensemble de lascène internationale, de l’importance du travaildécent qui est devenu un enjeu mondial.

Notes

1- Cité par P.BERNARD, La notion d’ordre public endroit administratif. LGDJ, Paris, 1962.

2- M.GOURINAT, De la Philosophie, T.2 ? HachetteSupérieur, Paris, 1993.

3- Juan Somavía, directeur de l’OIT depuis 1998 est denationalité chilienne.

4- D. PECCOUD, Travail décent : point de vue philo-sophique, www.metiseurope.eu, 15 Septembre 2008.

5- On retrouve ici le sens romain de dignitas qui étaitune fonction imminente qu’exerçaient ceux ayant l’en-semble des vertus du citoyen pour le bien de la Polis.

6- G.CORNU, Vocabulaire juridique, PUF, 2007

7- A .MARGALIT, La Société Décente, Paris Climat,1999.

8- Source précédemment citée

9- Rapport de la 87è Conférence internationale du travail, OIT, 1999.

10- J-J GABAS et P.HUGON, Les Biens Publics Mondiaux et la coopération internationale, L’Economiepolitique, 2001/4 n° (p.19-31).

11- J-J GABAS et P.HUGON, Les Biens Publics Mon-diaux et la coopération internationale, L’Economie politique, 2001/4 n° (p.19-31).

12- De la mondialisation à l’universalisation : une am-bition sociale ; Rapport intermédiaire au Président de laRépublique ; Collection des Rapports officiels ; 2010.

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