135
Kaïna Amaouche Plateforme et abus de position dominante : la détermination du pouvoir des plateformes au service de leur régulation --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- AMAOUCHE Kaïna. Plateforme et abus de position dominante : la détermination du pouvoir des plateformes au service de leur régulation, sous la direction de Jean-Christophe RODA. - Lyon : Université Jean Moulin (Lyon 3), 2021. --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Document diffusé sous le contrat Creative Commons « Paternité pas d’utilisation commerciale - pas de modification » : vous êtes libre de le reproduire, de le distribuer et de le communiquer au public à condition d’en mentionner le nom de l’auteur et de ne pas le modifier, le transformer, l’adapter ni l’utiliser à des fins commerciales.

Mémoire Abus de position dominante et plateformes

  • Upload
    others

  • View
    18

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Kaïna Amaouche

Plateforme et abus de position dominante : la détermination du pouvoir des

plateformes au service de leur régulation

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

AMAOUCHE Kaïna. Plateforme et abus de position dominante : la détermination du pouvoir des plateformes au

service de leur régulation, sous la direction de Jean-Christophe RODA. - Lyon : Université Jean Moulin (Lyon

3), 2021.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Document diffusé sous le contrat Creative Commons « Paternité – pas d’utilisation commerciale - pas de modification » : vous êtes libre de le reproduire, de le

distribuer et de le communiquer au public à condition d’en mentionner le nom de l’auteur et de ne pas le modifier, le transformer, l’adapter ni l’utiliser à des fins

commerciales.

Page 2: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 1 sur 134

Kaïna Amaouche

Mémoire de Master 2

Droit des Affaires Approfondi

Mention Droit des affaires

2020/2021

Mémoire réalisé sous la direction de Monsieur le Professeur Jean-Christophe Roda

Plateformeetabusdepositiondominante:ladéterminationdu

pouvoirdesplateformesauservicedeleurrégulation

Page 3: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 2 sur 134

Remerciements

Je tiens à remercier toutes les personnes ayant contribué à la rédaction de ce mémoire.

Je remercie chaleureusement mon directeur de mémoire, Jean-Christophe Roda, pour ses nombreuses relectures, son implication et sa patience. Ses enseignements m’ont transmis un

enthousiasme pour le droit de la concurrence et ont conditionné mon choix de sujet de mémoire.

Je tiens à remercier particulièrement ma mère et Alexandre pour leur soutien inconditionnel,

leurs conseils et leurs critiques.

Pour finir, un grand merci à Amance pour ses encouragements et sa détermination qui auront ponctués l’écriture de ce mémoire.

Page 4: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 3 sur 134

Principales abréviations

ADLC

ARCEP

CNIL

CSA

DMA

DoJ

DSA

FTC

GAFAM

OCDE

RGPD

TFUE

Autorité de la concurrence

Autorité de régulation des Communications

électroniques, des postes et de la

distribution de la presse

Commission nationale de l’informatique et

des libertés

Conseil supérieur de l’audiovisuel

Digital Markets Act

Department of Justice

Digital Services Act

Federal Trade Commission

Google, Amazon, Facebook, Apple et

Microsoft

Organisation de coopération et de

développement économiques

Règlement général sur la protection des

données

Traité sur le fonctionnement de l’Union

européenne

Page 5: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 4 sur 134

Table des matières

PRINCIPALES ABREVIATIONS ........................................................................................................... 3

INTRODUCTION ............................................................................................................................... 7

PARTIE 1 – APERÇU DES CARACTÉRISTIQUES SPÉCIFIQUES AUX PLATEFORMES EN LIGNE ................. 8 I- LES TENTATIVES DE CARACTÉRISATION JURIDIQUE DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES ................... 8 II- LES TRAITS COMMUNS DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES ........................................................... 11 PARTIE 2 – LA MENACE DES ÉCOSYSTÈMES DES PLATEFORMES SUR LES MARCHÉS EN LIGNE .......... 15 I- LE CADRE NORMATIF DE L’ABUS DE POSITION DOMINANTE EN FRANCE, DANS L’UNION EUROPÉENNE ET AUX ÉTATS-UNIS ........................................................................................................ 15 II- LES SOURCES D’INQUIÉTUDES DES AUTORITÉS ............................................................................. 18

PARTIE 1 – L’APPRÉCIATION DU POUVOIR DES PLATEFORMES ...................................................... 20

TITRE 1 – LA DÉLICATE DÉTERMINATION DES MARCHÉS PERTINENTS EN LIGNE .............................. 20 CHAPITRE 1 – LA MÉTHODOLOGIE DE DÉLIMITATION DU MARCHÉ PERTINENT APPLIQUÉE AUX MARCHÉS EN LIGNE .............................................................................................................................. 20 I- LA DEFINITION DU MARCHÉ PERTINENT ........................................................................................ 21 II- LA DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE PRODUITS OU DE SERVICES DES PLATEFORMES ................ 24 A- L’appréciation controversée du caractère substituable des produits ou services ....................... 24 B- Les indices permettant une meilleure délimitation des marchés en ligne ................................... 27 1) Les caractéristiques objectives des produits ou services et la perception des consommateurs .. 27 2) Les modes de distribution des produits ou services : la distinction entre marché en ligne et marché hors ligne ................................................................................................................................. 31 3) La substituabilité du côté de l’offre : un cadre légal mouvant ...................................................... 33 CHAPITRE 2 – LA NOTION DE MARCHÉ PERTINENT À L’ÉPREUVE DES MARCHÉS EN LIGNE .................. 34 I- LA DIFFICILE DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE POUR DES PLATEFORMES MONDIALISÉES ............ 34 II- L’ENCHEVÊTREMENT DES MARCHÉS EN LIGNE ............................................................................. 37 CHAPITRE 3 – LES CRITIQUES DE LA MÉTHODE DE DÉLIMITATION DES MARCHÉS PERTINENTS ........... 40 I- LA REMISE EN CAUSE DE LA NOTION DE MARCHÉ PERTINENT ...................................................... 40 A- Une volonté de mettre à jour la notion de marché pertinent ...................................................... 40 B- La dénonciation du « gerrymandering » ou « charcutage » ......................................................... 42 II- L’UTILISATION DISCUTÉE DE LA NOTION DE MARCHÉ PERTINENT POUR LES MARCHÉS BIFACES 43 A- Des méthodes divergentes : l’affaire Amex. ................................................................................. 43 C- Le recul de l’utilisation de la notion de marché pertinent : l’affaire Venteprivée.com ................ 45 TITRE 2 – LA MESURE DU POUVOIR DE MARCHÉ DES PLATEFORMES .............................................. 47 CHAPITRE 1 - L’APPRÉCIATION MALAISÉE DE LA POSITION DOMINANTE DES PLATEFORMES .............. 47 I- L’INDICE DES PARTS DE MARCHÉ DANS DES MARCHÉS EN LIGNE TRÈS CONCENTRÉS ................. 48 II- LE PHÉNOMÈNE DE GATEKEEPER : L’ERECTION DE BARRIÈRES À L’ENTRÉE DIFFICILEMENT SURMONTABLES ................................................................................................................................... 52 III- ACCORD ENTRE DEUX GÉANTS : LA PISTE DE LA POSITION DOMINANTE COLLECTIVE ............... 55 CHAPITRE 2 - LE CONTENTIEUX DES ABUS DE POSITION DOMINANTE DES PLATEFORMES .................. 58 I- LES PRATIQUES DES PLATEFORMES CONFRONTÉES A L’ABUS DE POSITION DOMINANTE ........... 58 A- L’appréciation classique de l’abus de position dominante ........................................................... 58

Page 6: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 5 sur 134

B- Les pratiques équivoques des plateformes en position dominante ............................................. 60 1) Les pratiques reprochables ........................................................................................................... 60 2) Les justifications envisageables .................................................................................................... 65 II- LES PLATEFORMES AU CŒUR DE LA TOURMENTE CONCURRENTIELLE ........................................ 66 A- Google et la presse en France : le non-respect du droit de l’Union européenne en matière de droits voisins ......................................................................................................................................... 66 B- Les poursuites incessantes à l’encontre de Google aux États-Unis .............................................. 69 1) Les accords conclus entre Google et les fabricants de smartphones ............................................ 69 2) Les accords passés entre Google et Facebook .............................................................................. 70 3) Le rôle de Gatekeeper de Google sur le marché de la recherche généraliste en ligne ................. 71

PARTIE 2 – RÉGULER LE POUVOIR DES PLATEFORMES ................................................................... 73

TITRE 1 – LA MISE À MAL DU DROIT DE LA CONCURRENCE PAR LES PLATEFORMES ......................... 73 CHAPITRE 1 – ÉTAT DES LIEUX DU FONCTIONNEMENT DES MARCHÉS DU NUMÉRIQUE : POURQUOI FAUT-IL MIEUX LES RÉGULER ? ............................................................................................................. 74 I- LA DIFFICILE RÉGULATION DANS LE SECTEUR DE LA PRESSE EN LIGNE ......................................... 74 II- LES ÉCOSYSTÈMES « APPLE » ........................................................................................................ 75 III- L’ÉCHEC DES CONDAMNATIONS SUCCESSIVES PAR LES AUTORITÉS DE CONCURRENCE ............ 78 CHAPITRE 2 – LE DROIT DE LA CONCURRENCE A L’EPREUVE DES PLATEFORMES ................................. 82 I- LE RÔLE FONDAMENTAL DES AUTORITÉS DE CONCURRENCE ....................................................... 82 A- L’efficacité de la Commission européenne remise en question ................................................... 82 B- Les nouvelles fonctions du CSA ..................................................................................................... 85 C- La capacité d’adaptation de l’Autorité de la concurrence ............................................................ 86 D- Department of Justice et Federal trade Commission .................................................................... 87 II- LES POTENTIALITÉS DU DROIT DE LA CONCURRENCE GRAND ET PETIT ....................................... 88 A- Une adaptation du droit commun à privilégier ............................................................................ 88 B- L’exploitation du petit droit de la concurrence ............................................................................ 90 C- L’abus de dépendance économique ............................................................................................. 92 TITRE 2 – L’ÉMERGENCE DE NOUVELLES RÉGLEMENTATIONS ET PROPOSITIONS ............................ 95 CHAPITRE 1 - LA MULTIPLICATION DES LÉGISLATIONS SPÉCIFIQUES AUX PLATEFORMES .................... 96 I- RÈGLEMENT (UE) 2019/1150 PROMOUVANT L’ÉQUITÉ ET LA TRANSPARENCE POUR LES ENTREPRISES UTILISATRICES DE SERVICES D’INTERMÉDIATION EN LIGNE .......................................... 96 A- L’objet du règlement P to B .......................................................................................................... 96 B- Contenu du règlement .................................................................................................................. 97 C- Critiques du règlement ................................................................................................................. 98 II- DIGITAL SERVICES ACT ET DIGITAL MARKETS ACT ...................................................................... 100 A- La responsabilité particulière des contrôleurs d’accès ............................................................... 101 B- La régulation ex ante et ex post de la puissance des contrôleurs d’accès .................................. 103 1) Combattre les acquisitions prédatrices par un contrôle ex ante plus efficace ........................... 103 2) Les mesures correctives comportementales et structurelles dans le cadre du contrôle ex post 105 CHAPITRE 2 – PISTES DE RÉFLEXIONS ET PROPOSITIONS QUANT À UNE FUTURE RÉGULATION ......... 108 I- L’APPROCHE D’UN NOUVEAU MOUVEMENT AUX ÉTATS-UNIS ................................................... 108 A- Établir un nouveau faisceau d’indices plus clair afin de déterminer le pouvoir de marché d’une entreprise ........................................................................................................................................... 110 B- Renforcer et mettre à jour la politique de concurrence et l’application de la section 2 du Sherman Act ....................................................................................................................................... 111 II- LA RÉGULATION DES « ENTREPRISES CRUCIALES » ..................................................................... 111 III- LES ENJEUX LIÉS AUX DONNÉES PERSONNELLES ....................................................................... 113 IV- RÉGULER LES PLATEFORMES NUMÉRIQUES DE TRAVAIL .......................................................... 115

Page 7: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 6 sur 134

BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................... 120

INDEX ALPHABETIQUE ................................................................................................................ 133

Page 8: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 7 sur 134

INTRODUCTION Dans le cadre de ce mémoire, nous nous pencherons sur l’appréhension des plateformes

numériques par le droit français, le droit de l’Union européenne et le droit américain. Certaines

plateformes se sont imposées sur les marchés du digital, et leur position dominante est

maintenant incontestable. Cette situation de dominance nous mène à nous questionner sur

l’exploitation de ces positions dominantes par les plateformes au sein de marchés en ligne en

mouvance constante. Les plateformes font aujourd’hui partie de notre vie quotidienne et

soulèvent des enjeux nouveaux. Très rapidement, elles sont devenues essentielles pour

nombreuses de nos activités et loisirs, voire indispensables. Ce succès est tel que l’État lui-

même cherche à exploiter les données précieuses que ces plateformes amassent. En effet, la loi

n°2019-1479 du 28 décembre 2019 a instauré la possibilité pour les administrations fiscale et

douanières d’utiliser les données rendues publiques par les contribuables sur les réseaux sociaux

pour détecter une série de comportements frauduleux énumérée par la loi1. Ce succès a permis

à ces plateformes de concentrer une masse d’utilisateurs considérable. Un rapport de la direction

générale du Trésor2 sur les plateformes numériques et la concurrence, à partir des présentations

financières des entreprises, exprime cette concentration importante d’utilisateurs sur certaines

plateformes incontournables :

1 - Nombre d'utilisateurs de grandes plateformes, source DG Trésor

1 Éditions Législatives, Dalloz, « ‘Data mining’ des plateformes et réseaux sociaux afin de détecter la fraude fiscale : le décret est publié », Dalloz Actualités IP/IT et Communication, Compliance, 19 février 2021 ; voir CNIL 10 déc. 2020, délib. N°2020-124, JO 13 févr. 2021 ; Décr. N°2021-158, 11 févr. 2021, JO 13 févr. 2 Direction Générale Trésor, Plateformes numériques et concurrence, n°250, Novembre 2019.

Page 9: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 8 sur 134

PARTIE 1 – APERÇU DES CARACTÉRISTIQUES SPÉCIFIQUES AUX

PLATEFORMES EN LIGNE

Afin de traiter des comportements des plateformes par le prisme du droit de la concurrence, il

est indispensable de tenter de les définir. Le caractère protéiforme des plateformes s’oppose à

une définition globale de la catégorie des plateformes. Cependant, plusieurs tentatives de

définition juridique des plateformes figurent dans le droit (I). De plus, les plateformes ont de

nombreux traits communs, ce qui nous permet de mieux les appréhender (II).

I- LES TENTATIVES DE CARACTÉRISATION JURIDIQUE DES

PLATEFORMES NUMÉRIQUES

Les plateformes désignent des infrastructures numériques qui permettent à deux ou à plusieurs

groupes d’interagir : elles agissent donc comme des intermédiaires entre différents usagers3.

Les plateformes mettent à disposition l’infrastructure nécessaire pour servir de médiateur entre

différents groupes.

Le droit existant permet d’apporter quelques éléments de définition des plateformes

numériques. Cependant, les plateformes numériques « structurantes » ne sont pas en tant que

telles définies juridiquement, ce qui limite très largement la possibilité de leur imposer des

règles particulières4.

L’article L.111-7 du Code de la consommation5 qualifie l’opérateur de plateforme en ligne :

« toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public en ligne reposant sur 1° le classement ou le référencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus, de biens ou de services proposés ou mis en ligne par des tiers ; 2° ou la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service ».

3 SRNICEK Nick, Capitalisme de plateforme. L’hégémonie de l’économie numérique, Montréal, Lux. Éditeur, 2018, p. 48. 4 FAURE-MUNTIAN Valéria, FASQUELLE Daniel, Commission des affaires économiques, Rapport d’information n°3127 sur les plateformes numériques, 24 juin 2020, p. 10. 5 Article issu de la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.

Page 10: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 9 sur 134

Le Code de la consommation inclut par son I 1° les moteurs de recherche en ligne et par son 2°

les réseaux sociaux et toutes les plateformes de mise en relation comme Leboncoin, Airbnb,

mais aussi Youtube ou Twitch. C’est une qualification extrêmement large qui permet de prendre

en considération l’ensemble des plateformes en ligne. Ainsi, cette définition des plateformes en

ligne inclut tant les comparateurs en ligne que les plateformes de vente en ligne ou d’économie

collaborative.

D’après l’article 1er du Règlement (UE) 2019/1150, les services d’intermédiation en ligne

doivent répondre à trois conditions. Tout d’abord, ils doivent constituer des services de la

société d’information, c'est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à

distance, par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services.

Ensuite, ils doivent permettre aux entreprises utilisatrices d’offrir des biens ou services aux

consommateurs, en vue de faciliter l’engagement de transactions directes entre ces entreprises

utilisatrices et des consommateurs, peu importe que ces transactions soient conclues.

Finalement, les services doivent être fournis aux entreprises utilisatrices sur la base de relations

contractuelles entre le fournisseur de ces services et les entreprises utilisatrices qui offrent des

biens ou services aux consommateurs. Ce règlement nous donne peu d’information sur les

plateformes en elle-même et se concentre sur la relation entre fournisseur d’un service

d’intermédiation en ligne et entreprises utilisatrices.

Le Digital Markets Act, proposition de législation européenne sur les marchés numériques6, a

vocation à régir les services de plateforme de base fournis ou offerts par les « contrôleurs

d’accès » ou « gatekeepers » aux utilisateurs professionnels ou finaux établis ou situés dans

l’Union européenne. Cette proposition de règlement utilise des critères spécifiques pour

qualifier les plateformes de gatekeepers et les soumettre à des obligations particulières : elle

prévoit des critères quantitatifs ou l’utilisation d’une évaluation au cas par cas. Ainsi, les

plateformes seront considérées comme des contrôleurs d’accès si trois critères cumulatifs sont

remplis : ces plateformes ont un impact significatif sur le marché intérieur, elles exploitent des

passerelles importantes vers les clients et bénéficient d’une position établie et durable dans leurs

6 Commission européenne, Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (législation sur les marchés numériques), 2020/0374, 15 décembre 2020.

Page 11: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 10 sur 134

activités7. Le fonctionnement des gatekeepers est illustré dans le rapport de la Direction

Générale du Trésor8 :

2 - Exemples de gatekeeper, source DG Trésor

Sont réunis sous l’acronyme « GAFAM » les acteurs principaux du marché des plateformes

numériques que sont Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. Chacune de ces

plateformes a développé son modèle propre. Pourtant, elles se caractérisent aujourd’hui toutes

par des positions dominantes durablement acquises du fait de traits communs liés à leur modèle

de développement9. Les GAFAM ont créé des écosystèmes dans lesquels ils sont en position

de force.

La prédominance de ces plateformes est telle que Tim O’Reilly, auteur de l’article intitulé

« Government as a Platform »10, propose de transposer aux États les recettes du succès des

plateformes numériques (Amazon, eBay, Wikipédia, Google, etc.) qui « remodèlent notre

économie » grâce à la création « de nouvelles méthodes remarquables pour exploiter la

créativité des personnes en groupe ».

Nous pouvons donc d’ores et déjà conclure qu’il existe une grande diversité de plateformes ce

qui empêche une vision générale de leur fonctionnement. Ces plateformes peuvent apparaître

sous différentes appellations : plateformes numériques, plateformes en ligne, fournisseurs de

services d’intermédiation en ligne … Pourtant, ces plateformes ont de nombreux traits

7 BRUNESSEN Bertrand, « Chronique Droit européen du numérique – La volonté de réguler les activités numériques », RTD eur. 2021. 160. 8 Direction Générale Trésor, Plateformes numériques et concurrence, n°250, Novembre 2019. 9 FAURE-MUNTIAN Valéria, FASQUELLE Daniel, Commission des affaires économiques, Rapport d’information n°3127 sur les plateformes numériques, 24 juin 2020. 10 O’REILLY Tim, « Government as a Platform », Innovations: Technology, Governance, Globalization, vol. 6, n°1, 2011, p. 13 à 40.

Page 12: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 11 sur 134

communs et peuvent être regroupées grâce à leurs modes de fonctionnement et modèles

commerciaux dont nous allons traiter.

II- LES TRAITS COMMUNS DES PLATEFORMES NUMÉRIQUES

Selon un rapport du secrétariat de l’OCDE11, il existe deux catégories de plateformes : celles

visant à capter l’attention des internautes et les plateformes de mise en relation. Cependant, les

études distinguent parfois les plateformes transactionnelles et non transactionnelles. Les

plateformes ayant pour objectif de capter l’attention des internautes fournissent des services en

apparence gratuits financés par la publicité en ligne. Les moteurs de recherche et les réseaux

sociaux notamment ont adopté ce business model. Les plateformes de mise en relation, quant à

elles, mettent à disposition des places de marché sur lesquelles plusieurs acteurs pourront

interagir. C’est le cas d’Airbnb, de Tinder, mais aussi d’Amazon.

Cependant, sur les marchés du numérique, nous retrouvons aussi des fournisseurs de contenus,

tels que les sites web.

Les plateformes revendiquent l’existence d’un marché de l’attention12. L’idée générale de ce

marché est que si nous ne payons pas pour un produit, nous sommes les produits vendus.

L’objectif essentiel du modèle économique des plateformes comme les GAFAM est de

maintenir leurs « clients » sur leurs écrans : c’est la raison pour laquelle elles se réfèrent au

marché de l’attention des consommateurs. Sur ce marché de l’attention, notre attention est le

produit vendu aux annonceurs et les Big Techs vendent des prédictions aux annonceurs basés

sur la data. Cependant, l’Autorité de la concurrence a refusé de prendre en compte l’existence

de ce marché qui est extrêmement large et est donc très favorable aux plateformes.

De plus, ces plateformes partagent trois grandes ambitions. Elles recherchent un engagement

toujours plus important des utilisateurs afin d’augmenter l’utilisation des plateformes. Elles

poursuivent un objectif de croissance qui consiste à faire revenir les utilisateurs et à les inciter

à inviter leurs amis. Finalement, la plupart des plateformes utilise la publicité en ligne afin

d’augmenter leurs profits.

11 OCDE, Données massives: adapter la politique de la concurrence à l’ère du numérique, DAF/COMP(2016)14, 21 novembre 2016, p. 14. 12 ORLOWSKI Jeff, The Social Dilemma, 26 Janvier 2020.

Page 13: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 12 sur 134

Ces plateformes présentent également des caractéristiques similaires : économies d’échelle, de

gamme, d’expérience, effets de réseau directs, indirects ou croisés. Ces concepts ne sont pas

nouveaux mais ils sont simultanés. En effet, d’après le rapport d’information n°3127 déposé

par la commission des affaires économiques sur les plateformes numériques13, des

caractéristiques communes aux plateformes numériques peuvent être identifiées. Le rapport met

en avant les effets de réseau, les économies d’échelle, le développement d’activités

conglomérales ou encore le rôle central joué par les données14.

Les économies d’échelle caractérisent une situation dans laquelle le coût marginal de

production d’un bien ou d’un service est inférieur à son coût moyen, de sorte que toute

augmentation du volume de production conduit à une diminution du coût unitaire du bien.

Concernant les effets de réseau, plus les utilisateurs d’une plateforme sont nombreux, plus cette

plateforme est attractive pour les autres potentiels utilisateurs. En effet, les usagers rejoindront

les plateformes de réseaux sociaux sur lesquelles leurs amis sont déjà présents et les moteurs

de recherche concentrant le plus d’activité pour obtenir l’information la plus pertinente

possible. Nous rechercherons toujours une plateforme de mise en relation où l’offre ou la

demande est la plus importante afin de vendre, louer ou acheter, le bien le plus intéressant et le

plus rapidement possible. Les plateformes portent donc une tendance inhérente à la

monopolisation15. En attirant plus d’usagers, les plateformes ont accès à d’importants volumes

de données personnelles qui leur permettent de se développer et de conserver leurs positions

centrales dans le marché concerné. La superposition d’effets de réseau directs et indirects a été

illustrée dans le rapport de la Direction Général du Trésor16 :

13FAURE-MUNTIAN Valéria, FASQUELLE Daniel, Commission des affaires économiques, Rapport d’information n°3127 sur les plateformes numériques, 24 juin 2020. 14 Idem, p. 19. 15 SRNICEK Nick, Capitalisme de plateforme. L’hégémonie de l’économie numérique, Montréal, Lux. Éditeur, 2018, p. 50. 16 Direction Générale Trésor, Plateformes numériques et concurrence, n°250, Novembre 2019.

Page 14: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 13 sur 134

3 - Plateformes et effets de réseau, source DG Trésor

Concernant les économies d’échelle, les plateformes ont la possibilité de développer rapidement

plusieurs plateformes commerciales en s’appuyant sur des infrastructures déjà disponibles, avec

des coûts marginaux très faibles. Tout cela donne lieu à une croissance quasiment illimitée.

La troisième caractéristique des plateformes est le financement croisé qui consiste à réduire

voire à supprimer le prix d’un produit ou d’un service d’une branche de l’entreprise, tout en

augmentant les tarifs dans une autre branche pour compenser les pertes.

Un standard se met en place lorsqu’une technologie unique tend à s’imposer sur le marché.

Ainsi, dans un marché présentant des effets de réseaux, les entreprises vont se livrer une guerre

de standards. Ce fut le cas lors de la bataille des standards de magnétoscope entre Betamax et

VHS. Cependant, dans le contexte d’économie de réseau, le fait d’imposer sa propre

technologie n’est pas l’unique solution. En effet, les entreprises peuvent s’entendre sur une

norme. C’est le cas de la norme de disque compact ou de pellicule photo APS.

Leurs modèles commerciaux des plateformes se recoupent car elles mettent en place des

écosystèmes semblables. En effet, ces entreprises contrôlent des Marketplace ou créent des

environnements logués et on observe une intégration verticale des réseaux notamment des

marketplaces qui sont des acteurs de leurs marketplaces. Ces intégrations verticales peuvent

prendre la forme de mode de propriété et de contrôle regroupant sous une seule autorité les

divers stades de production et distribution. Ces stades de production concernent alors un type

de biens ou de services donnés aux différentes étapes de l'ensemble de la chaîne de valeur.

D'une manière plus simple, l'intégration verticale consiste, pour une entreprise, à intégrer dans

sa propre activité celle de l'un de ses fournisseurs, ou de l'un de ses clients.

Page 15: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 14 sur 134

Un point de similarité important des plateformes est l’existence des liens forts avec le marché

des données personnelles.

Les conséquences de ces objectifs partagés et de ces caractéristiques communes est une

tendance naturelle à la concentration des marchés (concurrence pour le marché plutôt que sur

le marché et on arrive sur un oligopole souvent asymétrique, ou un monopole) et aux effets de

réseau (tendance à la persistance).

Tous ces éléments amènent à un manque de transparence et à une opacité de la part des

plateformes. De plus, pour le Subcommittee on Antitrust17, les conséquences d’un tel pouvoir

sur les marchés est la diminution de l’innovation, la restriction des choix pour les

consommateurs, et une démocratie affaiblie.

Ainsi, cette première approche des plateformes numériques nous mène à nous questionner sur

les motifs qui poussent les autorités de concurrence et les législateurs à scruter de plus en plus

leurs comportements sur les marchés. Les écosystèmes érigés par les plateformes numériques

sont-ils des menaces pour la libre concurrence sur les marchés en ligne ?

17 Subcommittee on Antitrust, commercial and administrative law of the committee on the judiciary, « Investigation of competition in digital markets », Majority staff report and recommendations, 2020, p. 7.

Page 16: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 15 sur 134

PARTIE 2 – LA MENACE DES ÉCOSYSTÈMES DES PLATEFORMES SUR

LES MARCHÉS EN LIGNE

Les écosystèmes fermés mis en place par les plateformes les érigent à des positions dominantes.

Ces positions dominantes impliquent des responsabilités particulières, et dans la mesure où la

création de ces marchés en ligne est récente, la menace de l’abus est considérable. Afin de traiter

des abus de position dominante potentiels de ces plateformes, nous tracerons les contours des

cadres normatifs français, européen et américain (I). Enfin, nous aurons l’occasion d’étudier

brièvement des décisions emblématiques concernant les abus de position dominante, ce qui

nous permettra de mieux comprendre les inquiétudes de la doctrine et des autorités de

concurrence (II).

I- LE CADRE NORMATIF DE L’ABUS DE POSITION DOMINANTE EN

FRANCE, DANS L’UNION EUROPÉENNE ET AUX ÉTATS-UNIS

L’expression « abus de position dominante » recouvre à la fois les pratiques d’éviction et

d’exploitation qui sont des comportements unilatéraux. Cependant, ce n’est pas la position

dominante en elle-même qui est sanctionnée, mais l’abus qui découlerait d’une telle position

sur un ou plusieurs marchés.

Aux États-Unis, la section 2 du Sherman Act de 1890 sanctionne les tentatives de

« monopolisation » du marché :

« Every person who shall monopolize, or attempt to monopolize, or combine or conspire with any other person or persons, to monopolize any part of the trade or commerce among the several States, or with foreign nations, shall be deemed guilty of a felony, and, on conviction thereof, shall be punished by fine not exceeding $100,000,000 if a corporation, or, if any other person, $1,000,000, or by imprisonment not exceeding 10 years, or by both said punishments, in the discretion of the court. »

Tandis que le Sherman Act déclare seulement la « monopolisation » illégale, le Clayton Act

prohibe certaines pratiques commerciales qui sont propices à la formation de monopole ou qui

en sont les conséquences. C’est notamment le cas de la section 2 du Clayton Act qui vise la

discrimination par les prix, c’est-à-dire l’offre à différents prix pour le même produit ou service

par une entreprise.

Page 17: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 16 sur 134

Au sein de l’Union européenne, nous retrouvons l’article 102 du Traité sur le fonctionnement

de l’Union européenne (TFUE) qui condamne l’abus de position dominante.

« Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à: a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables, b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs, c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. »

A l’occasion de la décision Hoffmann-La Roche18, la Cour de Justice des Communautés

européennes a pu préciser la notion d’abus de position dominante. En effet, elle vise une

situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire

obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la

possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis des

concurrents, de ses clients et, finalement des consommateurs19.

En droit français, l’article L.420-2 alinéa 1 du Code de commerce vise l’exploitation abusive

d’une position dominante selon ces termes : « Est prohibée, dans les conditions prévues à

l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une

position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus

peuvent notamment consister en un refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente

discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que

le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. »

Cependant, contrairement au droit de l’Union européenne, le droit interne français réserve une

possibilité d’exemption d’une pratique d’abus de position dominante. Nous retrouvons cette

exemption à l’article L.420-4 III du Code de commerce qui dispose que « Ne sont pas soumis

18 CJCE, 13 février 1979, Hoffman-La Roche, Affaire 85/76. 19 Idem, Considérant 38.

Page 18: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 17 sur 134

aux dispositions des articles L. 420-2-1 et L. 420-2-2 les accords ou pratiques dont les auteurs

peuvent justifier qu'ils sont fondés sur des motifs objectifs tirés de l'efficacité économique et

qui réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte. ».

Il existe une spécificité en droit interne français que l’on ne retrouve pas en droit de l’Union

européenne : l’exploitation abusive de l’état de dépendance économique lorsqu’elle est

susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence20. L’exploitation

abusive d’un état de dépendance économique suppose une domination relative d’une entreprise

à l’égard d’une autre entreprise, que celle-ci soit client ou fournisseur.

L’Autorité de la concurrence, dans son rapport pour 201021, précise que :

« Les critères retenus par la jurisprudence pour caractériser de façon générale une situation de dépendance économique peuvent être utilisés comme indicateurs de la puissance d’achat d’un opérateur de la grande distribution : forte notoriété de l’opérateur vis-à-vis duquel le plaignant est en situation de dépendance ; part de marché importante de cet opérateur ; part importante dans le chiffre d’affaires du dépendant ; enfin et surtout, impossibilité, pour le dépendant, de trouver un partenaire alternatif en cas de rupture de la relation contractuelle. »

Ainsi, nous avons pu donner un bref aperçu du cadre normatif relatif à l’abus de position

dominante. Il est donc pertinent de poursuivre avec certaines décisions de jurisprudence qui

constituent des pierres angulaires en matière d’abus de position dominante et qui nous

permettront de commencer à aborder certaines problématiques essentielles dans le cadre de ce

mémoire.

20 AUGUET Yvan, GALOKHO Cheik, RIERA Alexandre, Droit de la concurrence, Ellipses, 2020, p. 159. 21 ADLC, Rapport pour l’année 2010, p. 105.

Page 19: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 18 sur 134

II- LES SOURCES D’INQUIÉTUDES DES AUTORITÉS

Certaines décisions particulièrement marquantes ont prouvé par le passé qu’il n’était pas aisé

de mettre fin à des abus de position dominante répétés. Nous pouvons citer à titre d’exemple

les décisions Standard Oil et Microsoft.

Concernant l’affaire Standard Oil22, la Standard Oil Company and Trust était une entreprise

américaine à la tête d’un empire industriel de 1870 à 1911 qui contrôlait la totalité de la

production de pétrole, son processus de transformation, son marketing et son transport aux

États-Unis. Les origines de l’entreprise remontent à 1863, et dès 1880, de par l’élimination des

concurrents, la fusion avec d’autres entreprises et l’utilisation de rabais ferroviaire favorables,

elle contrôlait le raffinage de 90% du pétrole produit aux États-Unis. En 1882, la Standard Oil

Company et les entreprises affiliées se sont réunies via le Standard Oil Trust.

En 1892, la Cour Suprême de l’Ohio a ordonné la dissolution du Trust qui a cependant continué

d’opérer. En 1906, le gouvernement fédéral a poursuivi la Standard Oil Company sur le

fondement du Sherman Antitrust Act de 1890.

La Cour Suprême indique que ne sont sanctionnés que les accords déraisonnables par la section

du Sherman Act. Elle nous invite à opérer une appréciation au cas par cas des accords

(appréciation casuistique), mettant ainsi en œuvre la « rule of reason » : c’est l’invention du

bilan concurrentiel. Nous pouvons le placer comme équivalent de notre système d’exemption.

Concernant l’affaire Microsoft23, il y a vingt ans, Microsoft a été poursuivi par le Department

of Justice ainsi que vingt États pour avoir violé le droit fédéral antitrust. Microsoft dominait le

marché mondial du logiciel. Le risque était la monopolization par Microsoft du marché des

navigateurs et l’utilisation de ce point de contrôle pour dominer l’ère du web à venir24. Le

gouvernement a gagné le procès et l’innovation a surgi du marché nouvellement ouvert.

Microsoft a été accusé de monopoliser le nouveau marché des navigateurs internet en pré-

installant Internet Explorer sur les systèmes d’exploitation Windows, qui équipaient la grande

majorité des ordinateurs personnels. Cette affaire a été close par un accord amiable avec le

22 Standard Oil Co. of New Jersey v. United States, 221 U.S. 1 (1911) ; Britannica, The Editors of Encyclopaedia. « Standard Oil », Encyclopedia Britannica, March 24, 2020. 23 United States v. Microsoft Corp., 253 F.3d 34 (D.C. Cir. 2001). 24 BLUMENTHAL Richard, WU Tim, « What the Microsoft Antitrust Case taught us », The New York Times, 18 mai 2018.

Page 20: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 19 sur 134

département de la Justice après que le juge Jackson ait proposé de démanteler Microsoft en

deux entités, l’une dédiée au système d’exploitation Windows, la seconde destinée au

développement d’applications25.

Il existe de nombreuses critiques visant le modèle commercial des plateformes. La doctrine

américaine avec le nouveau mouvement des « hipsters du droit de la concurrence », le

Department of Justice, la Commission européenne ou encore l’Autorité de la concurrence

envisagent tous d’un œil critique le comportement des plateformes qu’elles considèrent comme

des monopoly gatekeepers. A partir de ces illustrations de jurisprudence, nous pouvons entamer

notre recherche concernant les plateformes numériques et l’appréhension de leurs

comportements et de leurs modes de fonctionnement par les autorités de concurrence, les

législateurs et la doctrine.

25 COMBE Emmanuel, Économie et politique de la concurrence, Dalloz, 2ème édition, 2020, page 283.

Page 21: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 20 sur 134

PARTIE 1 – L’APPRÉCIATION DU POUVOIR DES

PLATEFORMES

La régulation des plateformes ne peut se faire sans une analyse économique et méthodologique

permettant de déterminer leurs pouvoirs de marché. Cette analyse suppose une délimitation

préalable du marché pertinent (titre 1), puis l’examen de leur puissance économique (titre 2).

TITRE 1 – LA DÉLICATE DÉTERMINATION DES MARCHÉS

PERTINENTS EN LIGNE

Afin de déterminer le pouvoir des plateformes, il est indispensable de délimiter les marchés sur

lesquels ce dernier se déploie (chapitre 1). Cependant, nous verrons que la délimitation des

marchés numériques s’avère être un exercice ardu sans cesse remis en cause par divers auteurs

(chapitre 2).

CHAPITRE 1 – LA MÉTHODOLOGIE DE DÉLIMITATION DU MARCHÉ PERTINENT

APPLIQUÉE AUX MARCHÉS EN LIGNE

Le droit de la concurrence a une fonction de protection des marchés concurrentiels. Les

potentielles perturbations de la concurrence sur ces marchés sont le résultat de pratiques

relevant d’un pouvoir de marché, aussi appelé « pouvoir de monopole ». Ainsi, il est

indispensable de repérer le marché éventuellement affecté : le marché pertinent26. En effet, nous

ne pouvons mesurer les effets d’une quelconque pratique si le marché dans lequel ces

comportements se sont développés n’est pas délimité.

Dans un premier temps, il est utile de revenir sur la définition du marché pertinent tant en droit

français, qu’en droit de l’Union européenne (I). C’est à partir de cette méthode fixée dans la

soft law27 que nous pourrons apprécier les indices permettant de délimiter le marché à la fois

dans sa dimension matérielle ainsi que dans sa dimension géographique (II).

26 MAINGUY Daniel, DEPINCÉ Malo, CAYOT Mathilde, « Droit de la concurrence », LexisNexis, 3ème édition, 2019, p. 283. 27 BLUMANN Claude, « Conclusions du colloque international des jeunes chercheurs : la soft law en droit en l’Union Européenne », Rev. UE 2014. 225 : « La soft law , ce serait l'ensemble des actes non officiels, qui n'ont pas de base juridique précise, qui ne peuvent se ramener à la nomenclature officielle de l'article 288 du TFUE :

Page 22: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 21 sur 134

I- LA DEFINITION DU MARCHÉ PERTINENT

La notion de marché est associée à celle de pouvoir de marché et donc à celle de pouvoir de

monopole28. Les textes en matière de concurrence, et plus précisément en matière d’abus de

position dominante, font référence à la notion de marché. On parle alors de « marché intérieur »,

« marché pertinent », « marché de produits », « marché concerné », « marché en cause », ou

encore de « relevant market » en anglais. La délimitation du marché nous permettra

d’appréhender les répercussions des comportements et pratiques dans un périmètre borné.

La délimitation du marché pertinent en matière d’abus de position dominante repose sur une

démarche rétrospective et non prospective29. En effet, d’après Jérôme Philippe, il s’agit de

déterminer ex post tous les produits ayant, pendant une période déterminée du passé, constitué

le marché : il faut reconstituer le passé, et imaginer ce qu’il aurait pu être sans l’éventuel abus

de domination30.

En droit interne, la notion de marché pertinent n’est pas définie. En effet, elle n’apparaît pas

dans le Code de commerce. Cependant, nous pouvons nous référer au rapport annuel 2001 du

Conseil de la concurrence, ancienne Autorité de la concurrence. A l’occasion de ce rapport, le

Conseil rappelle la définition du marché pertinent qu’il retient depuis plusieurs années :

« Le marché, au sens où l’entend le droit de la concurrence, est défini comme le lieu sur lequel se rencontrent l’offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. En théorie, sur un marché, les unités offertes sont parfaitement substituables pour les consommateurs qui peuvent ainsi arbitrer entre les offreurs lorsqu’il y en a plusieurs, ce qui implique que chaque offreur est soumis à la concurrence par les prix des autres. A l’inverse, un offreur sur un marché n’est pas directement contraint par les stratégies de prix des offreurs sur des marchés différents, parce que ces derniers commercialisent des produits ou des services qui ne répondent pas à la même demande et qui ne constituent donc pas, pour les consommateurs, des produits substituables. Une substituabilité parfaite entre produits ou services s’observant rarement, le Conseil regarde comme substituables et comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande. »

communications, résolutions, conclusions, déclarations, délibérations, orientations, lignes directrices, livres verts et blancs, mesures d'ordre intérieur, règlements intérieurs des institutions. » 28 Idem. 29 COMBE Emmanuel, Économie et politique de la concurrence, Dalloz, 2ème édition, 2020, p. 288. 30 PHILIPPE Jérôme, « La mesure du marché pertinent », Revue française d’économie, volume 13, n°4, 1998, p. 126.

Page 23: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 22 sur 134

Ainsi, le Conseil de la concurrence base sa définition sur l’offre et la demande mais également

sur la potentielle substituabilité des produits pour les consommateurs : ce sont donc ces trois

notions clefs qui sont au cœur de la méthode de délimitation du marché. Ces éléments vont

constituer le faisceau d’indices mis en place par l’Autorité de la concurrence que nous

détaillerons plus tard.

Au niveau européen, c’est en 1997 que la Commission des Communautés européennes s’est

prononcée concernant la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la

concurrence31. Celle-ci opère une distinction entre marché de produits et marché géographique,

le marché en cause combinant l’appréciation de ces deux concepts.

Ainsi, le marché de produits comprend « tous les produits et/ou services que le consommateur

considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur

prix et de l'usage auquel ils sont destinés »32.

Le marché géographique, quant à lui, « comprend le territoire sur lequel les entreprises

concernées sont engagées dans l'offre des biens et des services en cause, sur lequel les

conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones

géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de

manière appréciable »33.

La définition du marché pertinent constitue un préalable à la qualification d’abus de position

dominante. En effet, à l’occasion d’une décision du 12 mai 201634, la cour d’appel de Paris a

rappelé que :

« l'application des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 TFUE suppose, avant de porter une appréciation sur les pratiques litigieuses, de définir le marché pertinent afin de déterminer si l'entreprise en cause y occupe une position dominante. Consacrée de façon constante par la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et par la jurisprudence communautaire et interne, cette définition préalable du marché pertinent constitue, ainsi que le souligne l'Autorité dans ses observations devant la cour, "le point de départ de l'examen à conduire" en vue de la qualification d'une pratique anticoncurrentielle. »

31 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, 97/C 372/03, JOCE C372/05, 9 décembre 1997. 32 Idem. 33 Idem. 34 Cour d’appel de Paris – Pôle 05 ch. 07, 12 mai 2016, n°2015/00301.

Page 24: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 23 sur 134

La Commission européenne a eu l’occasion de préciser cette définition le 7 mai 201835. Celle-

ci rappelle que la définition du marché n’est pas un processus mécanique ou abstrait mais qu’au

contraire, elle suppose une analyse de tous les éléments d’appréciation disponibles concernant

les comportements observés sur le marché ainsi qu’une compréhension globale des mécanismes

du secteur observé. La Commission met donc en avant une méthode d’analyse par faisceau

d’indices la plus rigoureuse possible. Tout comme l’Autorité de la concurrence, elle se réfère

au critère de la substituabilité du côté de la demande et propose l’utilisation du test dit « du

monopoleur hypothétique » (hypothetical test) ou SSNIP36. Ce test fera partie du faisceau

d’indices mis en œuvre par les Autorités.

Ainsi, nous pouvons définir le marché comme le lieu où le moyen de rencontre de l’offre et de

la demande d’un bien ou d’un ensemble de biens, et où se déterminent le prix de cession et les

quantités échangées. Les critères retenus par les lignes directrices sont donc la chaîne de

substituabilité, des considérations relatives à la définition géographique du marché, et des

marchés par routes individuelles.

Ces principes généraux, bien que restant valables, font l’objet de critique. Ainsi, un rapport

préparé pour la Commission européenne37 préconise que ces lignes directrices soient mises à

jour afin de refléter les développements du marché. Sont mises en avant les problématiques

liées à la relation entre le marché de gros et celui de détail, l’évaluation de la substituabilité

entre différentes technologies et notamment le rôle des coûts de changement qui en résultent,

ainsi que la définition des marchés groupés et de la chaîne de substitution.

Cette actualisation de l’approche de la puissance significative d’achat et notamment de la

définition du marché pertinent seront au cœur de nos préoccupations. En effet, il est important

de s’interroger sur l’adéquation de ce faisceau d’indices et de cette méthodologie avec les

marchés en ligne sur lesquels les plateformes opèrent.

35 Communication de la Commission, Lignes directrices sur l’analyse du marché, l’évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire de l’Union pour les réseaux et les services de communications électroniques, 2018/C 159/01, JO C159/1, 7 mai 2018. 36 « Small but Significant Non Transitory increase in Price » : augmentation légère mais significative et non provisoire du prix. 37 Étude préparée pour la Commission européenne, DG des réseaux de communication, du contenu et des technologies, par Wik Consult, Révision des lignes directrices sur la puissance significative sur le marché (PSM), 24 avril 2018.

Page 25: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 24 sur 134

A l’occasion des investigations dans le cadre de la concurrence sur les marchés du digital38, le

Subcommittee on Antitrust a distingué plusieurs marchés en ligne afin d’y examiner la

concurrence. Nous y retrouvons notamment le marché de la recherche en ligne, celui du e-

commerce, des réseaux sociaux ou encore de la publicité en ligne. Notre étude consistera à

analyser l’application des lignes directrices de délimitation du marché aux marchés en ligne

afin de mieux comprendre les critiques.

Afin de procéder à cet examen, il est essentiel de détailler le faisceau d’indices suivi par les

autorités de concurrence afin de délimiter le marché pertinent.

II- LA DÉLIMITATION DES MARCHÉS DE PRODUITS OU DE SERVICES DES

PLATEFORMES

Le critère principal aux fins de délimitation du marché de produits est la substituabilité des

produits ou des services. En effet, un marché peut être défini comme un ensemble de produits

présentant entre eux une forte substituabilité au niveau de la demande et de l’offre à l’intérieur

d’un espace géographique donné39. La Commission européenne ainsi que la pratique de

l’Autorité de la concurrence opère une distinction entre la substituabilité du côté de la demande

et la substituabilité du côté de l’offre.

A- L’appréciation controversée du caractère substituable des produits ou services

La Commission européenne, lorsqu’elle définit le marché de produits en cause, se fonde sur la

substituabilité des produits40. La substituabilité est une notion relative, ce qui a fait dire à la

Cour d’Appel de Paris « qu’elle n’a donc pas besoin d’être absolue et parfaite »41. Deux termes

peuvent être utilisés : l’interchangeabilité et la substituabilité. Selon Laila Bidaud, d’un point

de vue strict, l’analyse de l’interchangeabilité des produits ou services se rapporte aux

caractéristiques physiques ou techniques des produis ou services visés. L’interchangeabilité a,

38 Subcommittee on Antitrust, commercial and administrative law of the committee on the judiciary, «Investigation of competition in digital markets», Majority staff report and recommendations, 2020. 39 COMBE Emmanuel, Économie et politique de la concurrence, Dalloz, 2ème édition, 2020, chapitre 6. 40 BOUSTANY Phillipe, La notion de marché en droit européen de la concurrence, thèse, Paris II, 2004, p. 248. 41 Cour d’appel de Paris 7 mai 1997 ; voir Com. 18 mai 1999, n°97-15.814.

Page 26: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 25 sur 134

quant à elle, trait à l’usage des produits : on parlera alors d’interchangeabilité fonctionnelle42.

Cependant, sur un plan pratique, ces notions peuvent être employées comme des synonymes.

En effet, la méthode la plus commune est celle de la substituabilité du côté de la demande. Cette

dernière peut être matérialisée par le test d’élasticité croisée de la demande. En effet, l’élasticité

croisée de la demande est devenue, pour tous les économistes, l’instrument de mesure du degré

de substituabilité43. Selon le Professeur Jean-Christophe Roda, l’idée est la suivante : « le

consommateur est-il susceptible de se tourner vers un produit de substitution en cas

d’augmentation durable du prix du produit ? »44

C’est la perception du consommateur qui est prise en compte, la substituabilité du côté de la

demande est donc, en soi, une notion subjective45. Ainsi, deux produits ne sont pas substituables

bien qu’ils possèdent les mêmes caractéristiques objectives et permettent la même utilisation si

l’utilisateur n’accepte pas de remplacer l’un par l’autre.

L’élasticité consiste donc à analyser le comportement des opérateurs sur le marché lorsqu’ils

sont confrontés à une variation des caractéristiques du produit ou du service, comme par

exemple une variation de prix46. L’élasticité se traduit donc comme le rapport entre les

variations de deux caractéristiques données. A titre d’exemple, selon Emmanuel Frot, si

l’élasticité de la demande des oranges est de 0,5, cela signifie qu’une augmentation du prix des

oranges de 1% diminue leur demande de 0,5%47.

Le test SSNIP « Small but Significant Non-transitory Increase in Price » consiste donc à

s’interroger sur ce qu’il se passerait en cas d’augmentation légère mais significative et durable

du prix d’un produit ou d’un service donné, en supposant que les prix de tous les autres produits

42 BIDAUD Laila, La délimitation du marché pertinent en droit français de la concurrence, thèse, Montpellier, 2001, p. 256. 43 BIDAUD Laila, La délimitation du marché pertinent en droit français de la concurrence, thèse, Montpellier, 2001, p. 243. 44 RODA Jean-Christophe, Droit de la concurrence, Dalloz, Mémentos, 1ère édition, 2019, p. 37. 45 DECOCQ André, DECOCQ Georges, Droit de la concurrence, Droit interne et droit européen, LGDJ, 8ème édition, 2018, p. 104. 46 MAINGUY Daniel, DEPINCÉ Malo, CAYOT Mathilde, Droit de la concurrence, LexisNexis, 3ème édition, 2019, p. 286. 47 FROT Emmanuel, « Le concept d’élasticité de la demande en économie de la concurrence », Revue Lamy de la concurrence, n°50, RLC 2976, mai 2016.

Page 27: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 26 sur 134

ou services restent inchangés (« augmentation des prix relatifs »)48. L’objectif est alors

d’étudier la réaction des clients à une augmentation légère et durable des prix de 5 à 10%.

Pour Emmanuel Combe49, afin de délimiter les contours du marché pertinent, nous pouvons

nous demander si l’entreprise peut augmenter les prix de manière profitable de 5 à 10%. Si tel

est le cas, alors le marché pertinent se limite aux produits concernés par l’opération. Si tel n’est

pas le cas, le test est réitéré sur un périmètre plus large de produits, jusqu’à ce que la hausse de

prix devienne profitable pour l’entreprise. C’est le test retenu du « monopoleur hypothétique »

ou SSNIP « Small but Significant Non-transitory Increase in Price ».

La création de nouveaux marchés en ligne a un impact sur l’élasticité de la demande. En effet,

l’élasticité de la demande de quotidiens papiers a vraisemblablement dû augmenter suite au

développement de la presse en ligne50. Emmanuel Frot rappelle qu’avant le déploiement de la

presse en ligne, une augmentation du prix des quotidiens se traduisait par une baisse modérée

de la demande car les lecteurs n’avaient pas accès à un autre type d’information écrite. La presse

en ligne permettant un accès gratuit à de nombreux articles, les lecteurs ont maintenant une

alternative à la presse papier.

Ainsi, pour mettre en œuvre le test de l’élasticité croisée ou SSNIP, il faut connaître le prix du

produit ou du service concerné.

Le prix est considéré comme un critère quantitatif. Ainsi, il permet de tester la substituabilité

des produits car les autorités de la concurrence peuvent observer la corrélation des prix au cours

du temps, la stationnarité du rapport de prix de deux biens et les différences de prix. En effet,

des différences de prix importantes et durables entre deux produits peuvent être interprétées

comme le signe d’une faible substituabilité.

Il est également possible de simuler un « crash test » qui est un choc marqué et non anticipé

affectant le prix du bien X et ayant un impact inverse sur le marché du bien Y.

48 Communication de la Commission, Lignes directrices sur l’analyse du marché, l’évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire de l’Union pour les réseaux et les services de communications électroniques, 2018/C 159/01, JO C159/1, 7 mai 2018, cons. 29. 49 COMBE Emmanuel, Économie et politique de la concurrence, Dalloz, 2ème édition, 2020, p. 400. 50 FROT Emmanuel, « Le concept d’élasticité de la demande en économie de la concurrence », Revue Lamy de la concurrence, n°50, RLC 2976, mai 2016.

Page 28: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 27 sur 134

A titre d’exemple, concernant le marché des services de recherche généraliste, la Commission

européenne a indiqué que « même si les services de recherche généraliste ne sont pas en

concurrence au niveau des prix, d'autres paramètres de concurrence existent entre les services

de recherches généralistes. Ils incluent la pertinence des résultats, la rapidité de production des

résultats, la qualité de l'interface utilisateurs et la profondeur d'indexation du web »51.

Cependant, selon Marie Cartapanis, la notion de substituabilité « raisonnable » ne peut pas être

la base de la délimitation du marché répondant aux modèles économiques de l’innovation52.

Afin de pallier à cette insuffisance, Marie Cartapanis propose la prise en compte de substitutions

réversibles et durables : cela permettra de mieux prendre en considération les réalités de ces

marchés particulièrement innovants. Concernant le test SSNIP, l’auteure de la thèse

« Innovation et droit de la concurrence », précédemment citée, rappelle qu’il est fondé

uniquement sur l’augmentation du prix, et ne prend donc pas en compte des éléments essentiels

tels que la supériorité technologique ou encore la gratuité des services proposés.

Malgré tout, nous allons nous pencher sur les indices utilisés par les autorités de concurrence

pour déterminer la substituabilité des produits sur un marché, pour, à terme, délimiter le marché

pertinent en cause.

B- Les indices permettant une meilleure délimitation des marchés en ligne

1) Les caractéristiques objectives des produits ou services et la perception des consommateurs

Les caractéristiques physiques et d’usage des produits sont pris en compte dans la délimitation

du marché pertinent car des biens physiquement différents n’appartiennent souvent pas au

même marché pertinent.

Deux affaires illustrent cette analyse des qualités intrinsèques de produits et services : les

affaires Google/Motorola Mobility et Apple/Shazam.

51 Commission européenne, 27 juin 2017, Moteur de recherche Google (Shopping), AT.39740, cons. 160. 52 CARTAPANIS Marie, Innovation et droit de la concurrence, thèse, Aix-Marseille, 2017, p. 33.

Page 29: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 28 sur 134

A l’occasion d’un contrôle des concentrations entre les entreprises Google et Motorola

Mobility53, la Commission européenne a estimé qu’il existait deux marchés séparés des

systèmes d’exploitation, l’un pour les ordinateurs, l’autre pour les smartphones.

La Commission se base sur les réponses à une investigation de marché. En effet, la majorité des

personnes sondées considèrent que les systèmes d’exploitation pour ordinateurs et les systèmes

d’exploitation pour smartphones appartiennent à des marchés de produits différents aux vues

des différences de fonctionnalités et de performance.

C’est donc la qualité intrinsèque des produits, en l’espèce des systèmes d’exploitation, qui a été

prise en compte dans la détermination du marché. Aussi, les mêmes outils d’analyse ont amené

la Commission à ne pas opérer de distinction entre les systèmes d’exploitation des smartphones

et ceux des tablettes, dont les qualités intrinsèques presque identiques ne permettent pas

d’envisager leur position sur deux marchés indépendants.

Le fonctionnement détaillé des systèmes d’exploitation pour smartphone ci-dessous permet de

mieux appréhender le rôle du système d’exploitation (« operating system ») qui fait le lien

entre le matériel informatique (« hardware ») et les applications accessibles par l’utilisateur :

4 - Fonctionnement des systèmes d'exploitation

La Commission s’est également penchée sur le fonctionnement interne des appareils

électroniques et notamment des smartphones afin de comparer les caractéristiques des systèmes

d’exploitation et, le cas échéant, leurs différences.

53 Commission européenne, 13 février 2012, aff. Google/Motorola Mobility, aff. M.6381.

Page 30: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 29 sur 134

La Commission a confirmé cette approche en 2013 dans une affaire Microsoft/Nokia54. Ainsi,

bien qu’il puisse exister une certaine convergence entre les systèmes d’exploitation pour

smartphones et les systèmes d’exploitation pour ordinateurs, des divergences importantes

persistent telles que le matériel utilisé et les capacités de performance. La Commission peut

ainsi en conclure que la substituabilité du côté de la demande est limitée par ces différences.

La Commission européenne a également eu l’occasion d’isoler un marché des services d’écoute

de la musique en streaming le 6 septembre 201855. Dans un premier temps, la Commission

européenne a délimité les activités économiques des parties concernées : Apple et Shazam.

Apple développe des systèmes d’exploitation pour tablettes et smartphones ainsi qu’un service

de distribution de musique en ligne via des applications. Shazam met à disposition une

« automatic content recognition » c’est-à-dire une reconnaissance automatique de contenu.

Ainsi, les deux parties sont actives dans l'octroi de licences de données musicales et dans la

fourniture de services de publicité en ligne.

Une fois les secteurs concernés listés, la Commission européenne peut délimiter les marchés

pertinents affectés. Les services sont identifiés et leur substituabilité pourra alors être appréciée.

La Commission identifie notamment un marché des plateformes de solutions/applications

logicielles, mais choisit de ne pas définir la portée exacte de ce marché pertinent.

Elle identifie également le marché de la distribution de musique numérique et y attribue les

services de musique en streaming pour smartphone, en excluant les services de vidéo en

streaming.

Nous pouvons remarquer que les juridictions se fondent sur la perception par les utilisateurs

des qualités du produit ou du service considéré mais aussi sur les données objectives que sont

les caractéristiques des produits.

Concernant la perception du consommateur de la qualité du produit, les marques jouent un rôle

que nous ne pouvons pas mettre de côté. En effet, la différenciation par l’image de marque

pourra être prise en compte car elle peut entraîner une segmentation du marché par la qualité.

54 Commission européenne, 4 décembre 2013, Microsoft/Nokia, aff. M.7047. 55 Commission européenne, 6 septembre 2018, Apple/Shazam, aff. M.8788.

Page 31: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 30 sur 134

Les comportements de consommation constituent des données très importantes afin d’évaluer

la substituabilité de différents produits ou services. Ces données peuvent être recueillies par le

biais d’enquêtes par questionnaire, de tests économétriques visant à caractériser la fonction de

demande, d’études des stratégies commerciales des offreurs…

Les caractéristiques de la demande et notamment les habitudes de consommation ou le volume

d’acheteurs peuvent être pris en considération.

Le ciblage marketing et donc les stratégies marketing révèlent la segmentation du marché et

permettent une meilleure connaissance des comportements de consommation.

Cependant, selon Philippe Boustany, les offres par la publicité, les études de marché et les

différentes méthodes de distribution tendent à globaliser les préférences des consommateurs,

mais également à orienter leurs préférences et/ou à créer de nouveaux besoins56. Il est donc

essentiel de préciser qu’un grand nombre de consommateurs « subissent leurs besoins, réels ou

créés, plus qu’ils ne les assument ou ne les dominent »57.

La Commission a pu utiliser les critères de pouvoir et de nombre de consommateurs afin de

déterminer le marché de produits en cause58. Cependant, ce n’est pas le cas lorsque la clientèle

est qualifiée de ‘captive’, c’est-à-dire que ses besoins pour les produits d’un unique fabricant

sont constants. Ces produits, non-interchangeables, sont souvent la cause d’une telle situation59.

Nombre d’entreprises cherchent à s’assurer qu’elles demeurent l’unique interlocuteur et

contractant du consommateur. Pour se faire, elles recherchent l’exclusivité permanente avec le

consommateur. C’est pourquoi le droit de la concurrence prend en considération les situations

dans lesquelles un professionnel dispose d’une situation privilégiée lui permettant de

s’affranchir pour tout ou partie des contraintes du marché.

Afin d’assurer cette exclusivité, les plateformes peuvent proposer des produits « phares »

supposant la souscription de services accessoires pour garantir une utilisation optimale60. Nous

pouvons considérer que c’est le cas des produits Apple qui sont particulièrement compatibles

56 BOUSTANY Phillipe, La notion de marché en droit européen de la concurrence, thèse, Paris II, 2004, p. 259. 57 DE LEYSSAC Lucas, PARLEANI G., Droit du marché, PUF, Paris, 1ère édition, 2002, p. 120. 58 Commission européenne, 8 novembre 1991, Mettalgesellschaft / Safic Alcan, JOCE C 300, pt. 14. 59 GAVALDA V. C., PARLEANI G., Droit des affaires de l’union européenne, Litec, Paris, 4ème édition, 2002, p. 293. 60 DEPINCÉ Malo, « Du consommateur fidèle au consommateur captif : analyse du droit du marché », Revue Lamy droit des affaires, n°150, 1er juillet 2019.

Page 32: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 31 sur 134

entre eux : l’achat d’un ordinateur Apple suppose l’achat d’un iPhone si le consommateur

cherche à pouvoir utiliser l’ensemble des fonctionnalités de son appareil, notamment une

fluidité accrue en termes de sauvegarde de ses données et de transmission des informations d’un

appareil à l’autre.

Les plateformes peuvent aussi limiter la possibilité pour un consommateur de partir à la

concurrence : si l’on s’en tient à l’exemple précédent d’Apple, il est en effet particulièrement

difficile de changer son iPhone pour un smartphone équivalent d’une autre marque. En

revanche, le changement d’un iPhone vers un autre iPhone est facilité.

2) Les modes de distribution des produits ou services : la distinction entre marché en ligne et

marché hors ligne

La délimitation du marché peut aussi se fonder sur le mode distribution des produits ou services.

Dans le secteur des télécommunications, il faut distinguer les marchés de gros (fourniture

d’accès aux réseaux et de services de réseaux, à des opérateurs de réseaux ou à des fournisseurs

de service) et les marchés de détails (fourniture de service aux utilisateurs finaux)61.

Plus particulièrement dans le cas de marchés de service, il est nécessaire de vérifier que les

modalités de distribution du service sont interchangeables. A l’occasion d’une décision

SFR/Télé 2 France62, la Commission européenne a considéré que les plateformes de distribution

de la télévision payante opéraient toutes sur le même marché de la distribution de la télévision

payante, quel que soit le mode de diffusion choisi (câble, satellite, DSL…)63.

Concernant le même secteur de la télévision, la chambre commerciale, en 200064, a validé la

distinction entre le marché de la télévision à péage et celui de la télévision gratuite commerciale

« par référence au comportement du consommateur ». Elle a aussi déduit l’existence d’un

marché de diffusion de films par paiement à la séance.

La prise en compte de la diversité des modes de distribution se retrouve lors de la délimitation

du marché pertinent de la publicité en ligne par l’Autorité de la concurrence.

61 DECOCQ André, DECOCQ Georges, Droit de la concurrence, Droit interne et droit européen, LGDJ, 8ème édition, 2018, p. 113. 62 Commission européenne, 18 juillet 2007, SFR/Télé 2 France, aff. M.4503. 63 DECOCQ André, DECOCQ Georges, Droit de la concurrence, Droit interne et droit européen, LGDJ, 8ème édition, 2018, p. 106. 64 Cass. Com. 30 mai 2000, n°99-17.038.

Page 33: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 32 sur 134

A l’occasion de la décision n°10-DCC-1165, l’Autorité de la concurrence a eu l’occasion de

distinguer le marché de la publicité télévisuelle de celui de la publicité en ligne :

« Chaque média a donc sa fonction et son propre rôle et les modes de consommation de chacun d’eux sont différents et complémentaires. […] Les budgets alloués à chaque média ne sont donc pas déterminés en mettant en concurrence les divers supports entre eux en fonction de leurs coûts, mais davantage en mettant en adéquation les objectifs des annonceurs avec les apports qualitatifs propres à chacun des différents médias. »

De plus, il faut distinguer le marché de la publicité en ligne de celui de la publicité hors ligne.

La Commission européenne a eu l’occasion de le préciser dans la décision

Google/DoubleClick66. Celle-ci se base sur plusieurs indices pour arriver à cette conclusion.

Bien que du côté de l’offre, les annonceurs proposent en majorité de la publicité en ligne comme

hors ligne, il n’est pas possible de délimiter un marché pertinent de la publicité en général, car

la majorité des répondants perçoivent ces marchés comme distincts67. Le fait que la publicité

en ligne puisse atteindre une audience ciblée de façon efficace la différencie de la publicité hors

ligne.

Ainsi, en fonction des modes de distribution, l’impact de la publicité n’est pas le même et les

autorités de concurrence concluent que la publicité en ligne et la publicité hors ligne

n’appartiennent pas au même marché pertinent.

Selon un avis du 18 septembre 2012 de l’Autorité de la concurrence68, « de nouveaux acteurs

et de nouveaux outils (pure players, places de marché et comparateurs de prix) sont susceptibles

de renforcer la concurrence sur Internet ». Cependant, dans ce même avis, l’Autorité de la

concurrence indique que « du côté de la demande comme du côté de l’offre, le canal de la vente

en ligne et le canal de la distribution traditionnelle se rapprochent, mais ces deux canaux ne

sont pas encore substituables au point de pouvoir être considérés comme se situant

systématiquement sur un seul et même marché. La situation peut toutefois varier d’un secteur

à l’autre ».69

65 ADLC, Décision n°10-DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1 de la société NT1 et Monte-Carlo Participations (groupe AB). 66 Commission européenne, 11 mars 2008, Google/DoubleClick, Affaire M.4731. 67 Idem, considérants 44-45. 68 ADLC, Avis n°12-A-20 du 18 septembre 2012 relative au fonctionnement du commerce électronique, point 26. 69 Idem, point 190.

Page 34: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 33 sur 134

Ainsi, d’après la Commission européenne, il apparaît que les ventes à distance et les ventes en

magasin ne soient pas substituables mais plutôt complémentaires70.

3) La substituabilité du côté de l’offre : un cadre légal mouvant

Selon la Commission européenne, il y a substituabilité par l'offre lorsque les fournisseurs

peuvent « réorienter leur production vers les produits en cause et les commercialiser à court

terme sans encourir aucun coût ni risque supplémentaire substantiel en réaction à des variations

légères, mais permanentes, des prix relatifs »71.

La Commission européenne72 indique une marche à suivre afin d’apprécier l’ampleur de la

substituabilité du côté de l’offre. Celle-ci précise qu’il faut tenir compte de la probabilité que

des entreprises qui ne sont pas encore actives sur le marché de produits pertinent décident d’y

entrer, à court terme, à la suite d’une augmentation des prix relatifs légère mais significative et

durable. Ainsi, si les coûts globaux d’adaptation de la production au produit en question sont

relativement négligeables, ce produit pourra entrer dans la définition du marché de produits.

Par ailleurs, des exigences légales ou réglementaires ainsi que des barrières techniques devront

être prises en compte car elles peuvent être de nature à freiner l’entrée sur le marché pertinent

et à réduire les possibilités de substitution du côté de l’offre.

Selon Cyril Nourissat73, le e-commerce est un terrain privilégié pour mesurer la façon avec

laquelle les règles étatiques peuvent créer des barrières juridiques ayant pour conséquence la

segmentation d’un marché mondial au détriment de l’opérateur et du consommateur final. La

substituabilité du côté de l’offre peut donc constituer un outil pertinent lorsque confronté aux

plateformes numériques.

L’ensemble de ces critères pouvant être mobilisés par les autorités de concurrence ne sont pas

tous adaptés aux modèles que les plateformes numériques ont adopté ou mis en place. Nous

70 Commission européenne, 16 février 2010, Otto/Primondo Assets, Affaire M.5721, point 28. 71 Communication de la Commission, La définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, 97/C 372/03, JOCE C372/05, 9 décembre 1997. 72 Communication de la Commission, Lignes directrices sur l’analyse du marché, l’évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire de l’Union pour les réseaux et les services de communications électroniques, 2018/C 159/01, JO C159/1, 7 mai 2018, cons. 41. 73 NOURISSAT Cyril, « Colloque, Réseaux de distribution et vente en ligne : évolutions jurisprudentielles et questions à venir », Revue Lamy de la concurrence, n°38, 1er janvier 2014.

Page 35: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 34 sur 134

allons donc nous intéresser à deux particularités des marchés du numérique mettant à mal la

conception classique du marché pertinent : leurs dimensions géographiques et leurs

enchevêtrements.

CHAPITRE 2 – LA NOTION DE MARCHÉ PERTINENT À L’ÉPREUVE DES MARCHÉS

EN LIGNE

La dimension géographique des marchés en ligne est appréciée au cas par cas et remet en cause

sa pertinence au vu de l’activité mondialisée des plateformes (I). Par ailleurs, les marchés en

ligne sont fréquemment multifaces en plus d’interagir entre eux, ce qui ne facilite pas leur

découpage (II).

I- LA DIFFICILE DÉLIMITATION GÉOGRAPHIQUE POUR DES

PLATEFORMES MONDIALISÉES

Une fois le marché de produits ou de services pertinent identifié, il faut définir sa dimension

géographique. La Commission européenne a eu l’occasion de se prononcer concernant la

dimension géographique du marché pertinent :

« Selon une jurisprudence constante, le marché géographique en cause peut être défini comme le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans la fourniture ou la demande des produits ou services en cause, où elles sont exposées à des conditions de concurrence suffisamment homogènes et qui se distinguent des territoires voisins sur lesquels les conditions de concurrence sont significativement différentes. Les territoires sur lesquels les conditions de concurrence sont hétérogènes ne constituent pas un marché uniforme. »74

Les conditions de concurrence d’un marché peuvent être caractérisées par trois facteurs : la

structure de la demande, l’organisation de l’offre et la relation de l’offre à la demande75. On

peut considérer que les éléments essentiels caractérisant les conditions de concurrence

proviennent de l’étude des parts de marché, des barrières à l’entrée du marché, des relations

74 Communication de la Commission, Lignes directrices sur l’analyse du marché, l’évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire de l’Union pour les réseaux et les services de communications électroniques, 2018/C 159/01, JO C159/1, 7 mai 2018, cons. 48. 75 ZACHMANN V. J., Le contrôle communautaire des concentrations, L.G.D.J., Paris, 1994, p. 225.

Page 36: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 35 sur 134

entre les entreprises, de la phase de développement du marché ainsi que des concurrents

présents sur le marché76.

La Commission fait référence à diverses affaires issues de sa jurisprudence constante. En 1978,

à l’occasion de l’affaire United Brands Company77, la Cour de Justice des Communautés

européennes précise que la délimitation, d’une manière claire, de la partie substantielle du

marché commun où elle est en mesure de se livrer éventuellement a des pratiques abusives

faisant obstacle à une concurrence effective est impérative pour évaluer la position dominante

d’une entreprise. Elle ajoute que dans cette zone définie, les conditions objectives de

concurrence du produit en cause doivent être similaires pour tous les opérateurs économiques.

Dans un autre arrêt Michelin78, la Cour valide l’approche de la Commission qui considérait que

le fait que les revendeurs établis aux Pays-Bas ne s’approvisionnent qu’auprès des fournisseurs

exerçant leurs activités aux Pays-Bas en l’espèce permettait de conclure que le marché pertinent

était le marché néerlandais. En effet, c’était à ce niveau que les conditions objectives de

concurrence étaient similaires pour les opérateurs économiques concernés.

Ainsi, si l’on considère une interprétation a contrario de la décision Michelin, la présence des

fournisseurs dans plusieurs pays donne a priori une indication d’un marché géographique

étendu, d’une tendance d’européanisation, voire d’internationalisation de ce marché

géographique. Cependant, il suffit que les produits soient importés dans certains pays pour créer

une concurrence sur ces marchés.

En 1988, à l’occasion de l’affaire Alsatel/Novasam79, la Cour de Justice a considéré que le

marché pertinent en cause était le marché des installations téléphoniques sur l’ensemble du

territoire français. En effet, elle a pu en arriver à cette conclusion après avoir recherché le cadre

dans lequel les conditions de concurrence étaient suffisamment homogènes. En l’espèce, une

autorisation par l’administration des Postes et des Télécommunications était nécessaire à la

location et l’entretien des installations téléphoniques au niveau national. Cette situation de fait

76 BOUSTANY Phillipe, La notion de marché en droit européen de la concurrence, thèse, Paris II, 2004, p. 278. 77 CJCE, 14 février 1978, United Brands/Commission, aff. 27/76, point 44. 78 CJCE, 9 novembre 1983, Michelin/Commission, aff. 322/81, point 26. 79 CJCE, 5 octobre 1988, Alsatel/Novasam, aff. 247/86, point 15.

Page 37: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 36 sur 134

a permis à la Cour de Justice de limiter le marché géographique pertinent au territoire national

français.

Le Tribunal de première instance des Communautés européennes a également eu l’occasion de

se prononcer concernant le marché pertinent géographique. En 199780, celui-ci a rappelé que la

définition du marché géographique relevait, tout comme celle du marché des produits, d’une

appréciation économique. Ainsi, il peut être défini comme le territoire sur lequel tous les

opérateurs économiques concernés se trouvent exposés à des conditions objectives de

concurrence similaires ou suffisamment homogènes.

La dimension géographique est visée en droit français par l’article L.420-2 du Code de

commerce qui dispose que la domination doit porter sur « le marché intérieur ou une partie

substantielle de celui-ci ».

Les facteurs pertinents pour la délimitation du marché géographique en cause seront donc

notamment la nature et les caractéristiques des produits ou des services en cause, l’existence de

barrières à l’entrée, les préférences des consommateurs, des différences appréciables de parts

de marché entre zones géographiques voisines ou des écarts de prix substantiels81. Nous

retrouvons donc plusieurs éléments du faisceau d’indices mis en œuvre dans le cadre de la

délimitation du marché de produits pertinent.

Cependant, la dimension géographique est particulière pour des plateformes en ligne accessible

dans le monde entier. A titre d’exemple, dans sa décision Google Shopping, la Commission

européenne a conclu que le marché pertinent de la recherche généraliste en ligne et celui de la

comparaison des services d’achat avaient tous deux des portées nationales82. Bien que les

services de recherche en ligne soient accessibles par les utilisateurs du monde entier, la plupart

des services de recherche généraliste en ligne proposent des sites localisés dans différents pays

et dans une variété de langues. De plus, il existe des barrières à l’extension de la technologie de

recherche au-delà des frontières nationales et linguistiques. Il en va de même concernant le

marché de la comparaison des services d’achat pour lequel la langue est particulièrement

80 CJCE, 12 juin 1997, Tiercé Ladbroke/Commission, aff. T-504/93, point 102. 81 Règlement n°802/2004 du 7 avril 2004, Annexe I : Formulaire co relatif à la notification d’une concentration conformément au règlement (CE) n°139/2004, section 6, III. 82 Commission européenne, 27 juin 2017, Moteur de recherche Google (Shopping), aff. T.39740, point 251.

Page 38: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 37 sur 134

importante puisque les résultats y sont spécifiques. Dans le même sens, à l’occasion de la

décision Apple/Shazam83, la Commission européenne a indiqué que le marché de la publicité

en ligne et ses possibles sous-segments ont une portée nationale ou doivent être définis

parallèlement aux frontières linguistiques au sein de l’espace économique européen.

Pourtant, à l’occasion d’un contrôle des concentrations Microsoft/LinkedIn84, la Commission a

considéré que le marché géographique pertinent pour les systèmes d’exploitation s’étendait au

moins sur l’ensemble du territoire de l’espace économique européen, voire au niveau mondial.

La Commission a repris cette appréciation des décisions Microsoft85 de 2004 et

Google/Motorola Mobility86 que nous avons déjà évoquées précédemment.

Ainsi, le marché des services de recherche en ligne aurait une portée nationale tandis que le

marché de système d’exploitation aurait une portée mondiale. Les éléments d’appréciation sont

nombreux et il semble que la Commission procède à une appréciation au cas par cas.

Pourtant, concernant les plateformes et donc dans les affaires Microsoft ou Google que nous

venons de mentionner, les pratiques sur les marchés en ligne ont souvent des répercussions

mondiales. Ainsi, non seulement les services en ligne de Google sont accessibles dans le monde

entier, mais Microsoft commercialise son système d’exploitation dans le monde entier. Ainsi,

les produits et services font partie du commerce mondial, et pourtant, l’appréciation du marché

géographique diffère.

II- L’ENCHEVÊTREMENT DES MARCHÉS EN LIGNE

Il existe une distinction opérée par la Commission européenne entre le marché de la fourniture

de service de recherche généraliste, le marché de fourniture de contenu et le marché des réseaux

sociaux. Ces marchés en ligne sont tous différents et pourtant tendent à se recouper, notamment

lorsqu’il s’agit de publicité en ligne. Cet enchevêtrement a pour conséquence la mise à mal du

découpage des marchés pertinents.

83 Commission européenne, 6 septembre 2018, Apple/Shazam, Affaire M.8788. 84 Commission européenne, 6 décembre 2016, Microsoft/LinkedIn, aff. M.8124, point 17. 85 Commission européenne, 24 mars 2004, Microsoft, aff. C-3/37.792. 86 Commission européenne, 13 février 2012, Google/Motorola Mobility, Affaire M.6381.

Page 39: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 38 sur 134

La publicité en ligne nous permet de nous intéresser à la quasi-totalité des marchés en ligne

« gratuits » utilisant les données personnelles des utilisateurs et le ciblage publicitaire à des fins

de ressources. En effet, la publicité en ligne est l’autre « face » des marchés de service en ligne

gratuits.

Nous avons déjà rappelé la distinction opérée entre la publicité en ligne et la publicité hors ligne

par l’Autorité de la concurrence et la Commission européenne. Cependant, il faut également

vérifier si plusieurs marchés, au sein de la publicité en ligne, coexistent. Ainsi, les autorités de

concurrence ont eu l’occasion de délimiter plusieurs marchés dits de la publicité en ligne en

fonction des acteurs à l’œuvre.

Concernant la forme que prend la publicité en ligne, nous pouvons distinguer la publicité

« display » et la publicité « search ». La publicité « search » correspond aux annonces

publicitaires pertinentes proposées par exemple lors de recherche sur Google. L’avis du 14

décembre 2010 concernant le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne examine la

publicité liée aux recherches dite « search » tandis que l’avis du 6 mars 2018 sur l’exploitation

des données se penche sur la publicité dite « display ». La publicité « display » vise les pavés,

bannières, habillages intégrés au contenu d’un site afin d’être vus par les internautes. Ce type

de publicité est présent sur la plupart des sites internet et des réseaux sociaux.

La publicité liée aux recherches en ligne semble se détacher du reste des produits publicitaires.

Pour cette raison, l’Autorité de la concurrence s’est intéressée au moteur de recherche Google

et à son rôle sur le marché de la publicité liée aux moteurs de recherche87 à l’occasion d’un avis

du 14 décembre 2010 portant sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne88.

Afin de délimiter le marché du service de recherche généraliste, la Commission européenne a

eu l’occasion de déterminer que la fourniture de services de recherche généraliste est une

activité économique et que la substituabilité de la demande est limitée entre le service de

recherche généraliste et les autres services en ligne.

87 Les moteurs de recherche sont les points d’entrée de la navigation en ligne et bénéficient donc d’une place stratégique concernant la publicité en ligne. 88 ADLC, Avis n° 10-A-29 du 14 décembre 2010 sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne.

Page 40: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 39 sur 134

A titre d’exemple, pour l’Autorité de la concurrence, la publicité liée aux recherches constitue

un marché spécifique et non substituable à d’autres formes de communication. Pour arriver à

cette conclusion, l’Autorité a considéré que le ciblage fin des publicités liées aux recherches

n’avait aucun équivalent aux yeux des annonceurs. Nous retrouvons un des aspects des marchés

bifaces car bien que la publicité soit à destination des consommateurs finaux, il est nécessaire

de se placer du côté des annonceurs afin d’observer la substituabilité des services.

Le marché de la publicité en ligne concerne également les réseaux sociaux comme Facebook.

Aux considérants 167 à 170 de l’avis du 14 décembre 2010, l’Autorité de la concurrence

questionne la substituabilité de l’offre de Facebook et d’autres réseaux sociaux avec celle de

Google en matière de ciblage publicitaire.

A l’occasion du rachat de WhatsApp par Facebook89, la Commission européenne a affirmé que

les réseaux sociaux constituaient un marché pertinent distinct. La Commission précise que les

limites exactes du marché des réseaux sociaux restent indéterminées puisqu’en l’espèce, la

transaction ne soulevait pas de sérieux doutes concernant la concentration sur ce marché.

Ainsi, les acteurs du marché des réseaux sociaux sont aussi présents sur le marché de la publicité

« display » en ligne.

Pour conclure, à l’occasion de l’avis concernant l’exploitation des données dans le secteur de

la publicité en ligne du 6 mars 201890, l’Autorité de la concurrence reconnaît un manque de

transparence du secteur, dans les campagnes et la répartition des revenus. Elle demande de

légiférer pour imposer la transparence au secteur, en direction des annonceurs et éditeurs, de la

part des intermédiaires et des plateformes de distribution, sans pénaliser les entreprises de taille

modeste.

Ainsi, les particularités des secteurs sur lesquels les plateformes évoluent mettent à mal

l’application des critères classiques de délimitation des marchés pertinents. Cette observation a

amené les autorités de concurrence, les juges ou encore la doctrine à remettre en cause cette

méthode pour proposer des alternatives.

89 Commission européenne, 3 octobre 2014, Facebook/WhatsApp, Affaire M. 7217. 90 ADLC, Avis n° 18-A-03 du 6 mars 2018 portant sur l’exploitation des données dans le secteur de la publicité sur internet.

Page 41: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 40 sur 134

CHAPITRE 3 – LES CRITIQUES DE LA MÉTHODE DE DÉLIMITATION DES MARCHÉS

PERTINENTS

La méthode de délimitation des marchés pertinents est critiquée dans son ensemble et non pas

uniquement sous l’angle des marchés en ligne et des plateformes (I). Cependant, ces critiques

trouvent un écho particulier lors de l’appréciation des marchés pertinents en ligne (II).

I- LA REMISE EN CAUSE DE LA NOTION DE MARCHÉ PERTINENT

A- Une volonté de mettre à jour la notion de marché pertinent

D’après Jean-Christophe Roda, il existe un débat depuis quelques années autour de l’utilisation

de la définition du marché en tant qu’outil adéquat pour l’analyse des concentrations ou des cas

d’abus de position dominante. En effet, un rapport datant d’octobre 2012 à destination du

comité de la concurrence de l’Organisation de coopération et de développement économiques91

envisage le remplacement partiel ou complet de la définition du marché pertinent et le recours

complémentaire à d’autres outils.

Par ailleurs, les lignes directrices américaines concernant les concentrations horizontales

précisent que la délimitation du marché pertinent n’est pas une fin en soi bien qu’elle permette

l’identification des acteurs sur le marché ainsi que le niveau de concentration sur ce marché92.

Ainsi, la notion de marché pertinent ne serait qu’un outil parmi d’autres afin de mettre en

lumière les effets anticoncurrentiels d’un comportement particulier.

Cette vision est partagée par la Cour de Justice de l’Union européenne qui, à l’occasion d’une

décision Gosselin Group93, a précisé que la définition du marché pertinent aux fins d’établir

l’incidence sensible sur le commerce entre États membres est, dans certaines circonstances,

superflue.

91 OCDE, Définition du marché pertinent, Rapport octobre 2012, DAF/COMP(2012)13/REV1, point 245. 92 United States Department of Justice and the Federal Trade Commission, « Horizontal Mergers Guidelines », 19 août 2010, p. 7. 93 CJUE, 11 juillet 2013, Gosselin Group NV, aff. C-429/11, cons. 67.

Page 42: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 41 sur 134

Le rapport d’information à l’attention de l’Assemblée nationale relatif au droit européen de la

concurrence94 se montre tout aussi critique à l’égard de la notion de marché pertinent. La

commission des affaires européennes considère que la notion de marché pertinent doit être

abandonnée afin de prendre en compte plus finement les notions de « concurrence potentielle »

et de gain d’efficacité. Cette même commission confronte la notion de marché géographique

avec le fonctionnement des plateformes de vente en ligne. En effet, à l’occasion d’une

communication de la Commission concernant la compétitivité des entreprises européennes en

1999, la Commission européenne a admis que « dans de nombreuses industries, les facteurs

entrepreneuriaux, technologiques, financiers et institutionnels de la mondialisation conduisent

à élargir le marché géographique pertinent d’un niveau européen à un niveau mondial »95 .

La commission des affaires européennes conclut ainsi que la mondialisation économique rend

la notion de « marché pertinent » aléatoire et la soumet à des changements rapides et peu

prévisibles. Non seulement la notion de marché géographique est mise à mal par le rayonnement

mondial des plateformes, mais la notion de marché de produits se trouve elle aussi remise en

question. En effet, d’après la commission, l’innovation permanente que l’on retrouve

notamment sur les marchés en ligne ne tend pas à rechercher la substituabilité mais au contraire

la différenciation.

Il semble ainsi qu’une approche dynamique et non statique de la délimitation du marché

pertinent soit nécessaire car les évolutions de l’économie ont conduit à une minoration de

l’importance de la définition du marché pertinent96. Nicolas Petit démontre que chaque

GAFAM97 semble être en concurrence « directe avec d’autres GAFAM, bien que seuls Google

et Facebook ne soient réputés évoluer sur le même marché98. On peut en conclure que la

méthodologie actuelle de délimitation des marchés pertinents ne permet pas de prendre en

compte pleinement la concurrence entre plateformes. F. Fisher propose, afin de répondre à ce

problème, l’évaluation d’un pouvoir de marché en amont, en omettant l’étape de délimitation

du marché pertinent99.

94 Commission des affaires européennes, Rapport d’information n°2451 sur le droit européen de la concurrence face aux enjeux de la mondialisation, 27 novembre 2019, p. 56. 95 Communication de la Commission, La compétitivité des entreprises européennes face à la mondialisation, - comment l’encourager, JO C329, 20 janvier 1999, p. 27. 96 OCDE, Définition du marché pertinent, Note de référence du secrétariat, DAF/COM(2012) 13/REV1, octobre 2012, p. 12. 97 Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft. 98 PETIT Nicolas, « Technology Giants, The “Monigopoly” Hypothesis and Holistic Competition: A Primer », Working Paper, Université de Liège, octobre 2016, p.8. 99 FISHER Franklin, “Horizontal Mergers: Triage and Treatment”, Journal of Economic Perspectives, vol. 1 n°2, 1987, p.38.

Page 43: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 42 sur 134

B- La dénonciation du « gerrymandering » ou « charcutage »

Nicolas Petit100 décrit le phénomène de « gerrymandering » comme le découpage opportuniste

d’un marché pertinent aux fins de sanctionner une ou plusieurs entreprises. En effet, cette

délimitation aurait pour effet de placer l’entreprise visée en position dominante grâce à une

appréciation étroite des critères de découpage.

Nicolas Petit illustre son propos par la décision Google Android101. En l’espèce, la Commission

européenne a constaté que Google Android était en position dominante sur le marché des

« systèmes d’exploitation mobiles intelligents sous licences ». Cette délimitation est vivement

critiquée par Nicolas Petit qui considère que si l’on appliquait un tel raisonnement à Airbus,

nous pourrions considérer qu’il vend 100% des avions à double-pont : Airbus serait donc en

position dominante sur ce marché ultra spécialisé et étroit.

Nicolas Petit conclut que les plateformes en ligne à la tête d’écosystèmes fermés seraient en

meilleure posture et à l’abris du « charcutage » opéré par la Commission. En effet, les fabricants

de smartphone comme Samsung ou LG ne pouvant pas obtenir de licence sur le système

d’exploitation iOS d’Apple, la Commission européenne en conclut qu’Apple n’est pas en

concurrence avec Google sur le marché pertinent. Cependant, Apple fait l’objet

d’investigations, notamment par la Commission européenne concernant l’App Store qui est

pourtant bien un écosystème fermé102.

Ainsi, la volonté de mettre à jour la notion de marché pertinent et celle d’éviter les dérives d’une

utilisation abusive de la notion se superposent à une critique de fond concernant les marchés

bifaces. Ces critiques plus spécifiques nous intéressent particulièrement car les plateformes

opèrent fréquemment sur des marchés bifaces.

100 PETIT Nicolas, « EU engaged in antitrust gerrymandering against Google », The Hill, 31 juillet 2018. 101 Commission européenne, 18 juillet 2018, Google Android, Affaire C(2018) 4761. 102 Commission européenne, Communiqué de presse, Pratiques anticoncurrentielles : la Commission ouvre une enquête sur les règles de l’App Store d’Apple, 16 juin 2020.

Page 44: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 43 sur 134

II- L’UTILISATION DISCUTÉE DE LA NOTION DE MARCHÉ PERTINENT POUR

LES MARCHÉS BIFACES

Un marché multiface est « un marché sur lequel une ou plusieurs plateformes permettent des

transactions entre deux catégories d’utilisateurs, en cherchant d’abord à les rassembler, puis à

accroître le volume de transactions par des structures de prix appropriées »103. Ces marchés

reposent donc sur la notion de plateforme, qui constitue l’intermédiaire entre plusieurs versants

d’un marché104. Les caractéristiques particulières des marchés multifaces tels que les

externalités de réseau, les effets de réseau, la structure des prix et les liens entre les faces du

marché bousculent le recours au marché pertinent et entraînent un nouvel examen de la

délimitation de ces marchés, autant aux États-Unis (A) qu’en France (B).

A- Des méthodes divergentes : l’affaire Amex.

Nous allons nous pencher sur la décision Ohio v. American Express105. En l’espèce, l’action

antitrust menée par le Department of Justice et par dix-sept États fédérés à l’encontre d’Amex106

visait le marché des cartes de crédit. La Cour suprême s’est prononcée concernant la

délimitation du marché pertinent qui était une question essentielle à la détermination des effets

anticoncurrentiels de la pratique visée.

Il était reproché à Amex d’entraver la concurrence en empêchant les commerçants d’inciter les

consommateurs à l’utilisation de cartes de crédit ayant un plus faible coût pour eux. En effet,

certains commerçant évitaient le paiement de frais élevés en conseillant à leurs clients d’utiliser

des cartes de crédit d’entreprises concurrentes : cette pratique est dénommée « steering ».

C’est pourquoi Amex insérait dans ses contrats avec les commerçants des clauses dites « anti-

steering » empêchant les commerçants de pousser les consommateurs à utiliser une carte de

crédit d’un concurrent.

Si le marché pertinent n’incluait que les commerçants – et donc une seule face du marché des

cartes de crédit –, les clauses anti-steering auraient eu un effet anticoncurrentiel important.

103 ENCAOUA David, « Pouvoir de marché, stratégies et régulation : les contributions de Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014 », Revue d’économie politique, n°1, janv.-fév. 2015, p. 176. 104 CARTAPANIS Marie, Innovation et droit de la concurrence, thèse, Aix-Marseille, 2017, p. 43. 105 Ohio v. American Express Co., 585 U.S. (2018) June 25, 2018. 106 Cette dénomination renvoie à trois entreprises émettrices de carte bancaire : Visa, MasterCard et American Express.

Page 45: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 44 sur 134

Cependant, si le marché était qualifié de marché biface, alors les effets anticoncurrentiels subis

par les commerçants auraient pu être compensés par les effets pro-concurrentiels dont profitent

les consommateurs détenteurs de cartes Amex.

La Cour suprême des États-Unis a adopté une définition large du marché des cartes de crédit.

Cette décision a été critiquée par l’opinion dissidente rédigée par le juge Breyer107. Selon celle-

ci, la Cour suprême aurait abandonné sans raison le critère de substituabilité pour le critère de

complémentarité. Or, ce critère de complémentarité n’apparaît pas au sein des lignes directrices

sur les concentrations horizontales108 mentionnées plus tôt. Ainsi, la méthode de délimitation

du marché pertinent opérée par la Cour suprême n’est pas conforme à ses lignes directrices et

montre un certain détachement de la méthode classique lorsqu’elle est face aux marchés bifaces,

marchés typiques des plateformes.

En effet, les géants du numérique, comme Google ou Facebook, ont eux aussi bâti leur modèle

économique sur un modèle biface109.

Les autorités de concurrence retiennent la notion de marché biface en cas d’interdépendance de

deux marchés pertinents distincts. Ces marchés sont caractérisés pas des effets de réseaux

indirects car le bénéfice du client final dépend du nombre de clients de l’autre marché. A titre

d’exemple, sur la plateforme Airbnb, plus les propriétaires de logements sont nombreux sur la

plateforme, plus l’offre est intéressante pour les voyageurs et réciproquement.

Si la décision Amex ne s’applique pas seulement au secteur bancaire, toutes les entreprises

opérant sur un marché biface pourraient en bénéficier. Cela aurait des conséquences

importantes puisque pour obtenir la condamnation d’un acteur sur un marché donné, il faudrait

démontrer que le comportement visé produit des effets anticoncurrentiels sur le deuxième

versant de ce marché.

107 CHAIEHLOUDJ Walid, « États-Unis : La Cour Suprême des États-Unis juge que le marché des cartes de crédit est un marché biface et que les clauses « anti-steering » n’ont pas d’effets anticoncurrentiels sur ce marché (Ohio/American Express) », Concurrences n°4-2018, Article n°88295, 25 juin 2018, pp. 209-212. 108 United States Department of Justice and the Federal Trade Commission, « Horizontal Mergers Guidelines », 19 août 2010. 109 CHAIEHLOUDJ Walid, « États-Unis : La Cour Suprême des États-Unis juge que le marché des cartes de crédit est un marché biface et que les clauses « anti-steering » n’ont pas d’effets anticoncurrentiels sur ce marché (Ohio/American Express) », Concurrences n°4-2018, Article n°88295, 25 juin 2018.

Page 46: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 45 sur 134

Ainsi, pour qu’un comportement de la part d’un réseau social comme Facebook soit sanctionné,

il faudrait démontrer la présence d’effets anticoncurrentiels à la fois sur le marché du réseau

social mais aussi sur le marché de la publicité en ligne qui permet le fonctionnement du premier

marché.

C- Le recul de l’utilisation de la notion de marché pertinent : l’affaire Venteprivée.com

Dans un arrêt du 12 mai 2016110, la cour d’appel de Paris a confirmé une décision de l’Autorité

de la concurrence du 28 novembre 2014111.

En l’espèce, le site d’e-commerce Brandalley.fr a saisi l’Autorité de la concurrence car il

considérait que le site Vente-privée.com abusait de sa position dominante sur le marché de la

vente événementielle privée sur Internet en imposant aux grandes marques une clause

d’exclusivité interdisant la commercialisation des stocks invendus auprès de sites

concurrents112.

Le site Brandalley.fr opérait donc une distinction entre le marché de la vente évènementielle en

ligne des autres canaux de déstockage. Cet argument a été rejeté par l’Autorité de la concurrence

qui conclut que « l’existence d’un marché évènementiel en ligne tel que délimité dans la

notification des griefs et pour la période visée (2005-2011) n’est pas établie »113. Celle-ci se

base sur les autres canaux de distribution de produits de déstockage dont notamment les

magasins ou dépôts d’usine, les showrooms physiques ou les sites e-commerce.

Concernant le secteur événementiel par Internet, la cour d’appel a conclu que lorsqu’un secteur

a subi des mutations telles qu’il ne serait plus possible d’identifier et de porter une appréciation

rétrospective sur des comportements passés des consommateurs, l’Autorité de la concurrence

est en droit de constater qu’elle n’est pas en mesure de définir le marché114.

110 Cour d’appel de Paris – Pôle 05 ch. 07, 12 mai 2016, n°2015/00301. 111 ADLC, Décision n°14-D-18 28 novembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la vente évènementielle en ligne. 112 ZINTY Stéphane, Droit commun des plateformes numériques – Le déroulement de la relation entre la plateforme et les usagers, JurisClasseur Contrat-Distribution, LexisNexis, 1er novembre 2019. 113 ADLC, Décision n°14-D-18 28 novembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la vente évènementielle en ligne, cons. 115. 114 Wolters Kluwer, « Forte évolution d’un secteur : une définition du marché pertinent impossible ? », Actualités du droit, Lamyline, 1er juin 2016.

Page 47: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 46 sur 134

C’est ainsi que la cour d’appel de Paris a confirmé le rejet de l’action pour abus de position

dominante introduite à l’encontre de la société Vente-privee.com en raison de l’absence d’un

marché pertinent de la vente événementielle en ligne pour la période en cause115.

Ainsi, l’Autorité de la concurrence semble avoir la possibilité de rendre une décision relative à

l’appréciation de l’existence ou non d’un abus de position dominante sans préalablement

procéder à la définition du marché pertinent116. La Cour de cassation117 a validé la position de

la cour d’appel et de l’Autorité de la concurrence.

Selon Stéphane Zinty118, afin de remédier aux difficultés inhérentes à la définition du marché

pertinent en matière numérique, le rapport Crémer de la Commission européenne suggère de

repenser la définition des marchés, le critère du marché pertinent n’étant plus totalement adapté

à l’économie numérique. Le rapport préconise ainsi de considérer l’identification des préjudices

et les stratégies anticoncurrentielles davantage que le marché.

La délimitation du marché pertinent est un préalable indispensable à la quantification du

pouvoir de marché. C’est pour cette raison que nous avons traité de la méthode de définition du

marché pertinent dans un premier temps pour ensuite nous intéresser à la mesure du pouvoir de

marché. Les liens entre délimitation du marché et pouvoir de marché sont extrêmement forts.

En effet, un marché trop large évince la pression concurrentielle tandis qu’un marché trop étroit

met en évidence un pouvoir de marché qui peut être surévalué119. Ainsi, puisque la méthode de

délimitation du marché pertinent n’est pas totalement adaptée aux marchés du numérique, la

mesure du pouvoir de marché s’en trouve affectée.

115 COSTES Lionel, « L’absence d’abus de position dominante de la société Vente-privée.com confirmée », Actualités du droit, Lamyline, 18 mai 2016. 116 TOUSSAINT-DAVID Gaëlle, « Dispenses de définition préalable du marché par l’Autorité de la concurrence », La Lettre des Réseaux, 3 janvier 2017. 117 Cass. com. 6 décembre 2017, n°16-18.835. 118 ZINTY Stéphane, Droit commun des plateformes numériques – Le déroulement de la relation entre la plateforme et les usagers, JurisClasseur Contrat-Distribution, LexisNexis, 1er novembre 2019. 119 BASEX Michel, THIRY Bernard, « Interdiction faite à Coca-Cola de racheter Orangina », AJDA, 1999, p.611.

Page 48: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 47 sur 134

TITRE 2 – LA MESURE DU POUVOIR DE MARCHÉ DES PLATEFORMES Il semble particulièrement difficile d’appréhender l’étendue du pouvoir de marché des

plateformes tant leur business model bouscule les codes du droit de l’abus de position

dominante. Ainsi, de nouvelles notions émergent et les règles de droit s’adaptent afin de saisir

l’ampleur de la puissance économique des plateformes (chapitre 1). Après avoir tenté de saisir

le pouvoir de marché des plateformes en observant leurs comportements sur les marchés du

numérique, il est essentiel de se pencher sur les investigations en cours à leur encontre (chapitre

2).

CHAPITRE 1 - L’APPRÉCIATION MALAISÉE DE LA POSITION DOMINANTE DES

PLATEFORMES

A l’occasion de la décision du 14 février 1978 United Brands/Commission120, la Cour de Justice

a défini la position dominante comme :

« une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients, et finalement, des consommateurs. »

Cette définition a été reprise dans la décision Hoffmann-La Roche/Commission121 un an plus

tard. Cette position est partagée par l’Autorité de la concurrence. En effet, elle définit la position

dominante dans son rapport pour l’année 2010 ainsi que dans plusieurs décisions. Elle précise

que :

« La jurisprudence, tant interne que communautaire, définit la position dominante comme étant la situation dans laquelle une entreprise est susceptible de s’abstraire des conditions du marché, d’agir à peu près librement sans tenir compte du comportement et de la réaction de ses concurrents. »122

120 CJCE, 14 février 1978, United Brands/Commission, Affaire 27/76. 121 CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, Affaire 85/76, pt 38. 122 ADLC, Rapport annuel 2010, p. 239.

Page 49: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 48 sur 134

La preuve de la position dominante repose sur un faisceau d’indices. Nous nous pencherons

notamment sur les parts de marché détenues (I), l’existence de barrières à l’entrée (II) et nous

traiterons finalement de l’abus de position dominante collective (III).

I- L’INDICE DES PARTS DE MARCHÉ DANS DES MARCHÉS EN LIGNE TRÈS

CONCENTRÉS

La Commission européenne traite du calcul des parts de marché et de son utilité dans la

Communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la

concurrence de 1997123. Elle précise que pour calculer la taille totale du marché et les parts de

marché détenues par les fournisseurs, il faut se baser sur le chiffre d’affaires correspondant aux

produits en cause, vendus sur le territoire en cause. Les parts de marché recouvrent le

pourcentage des ventes totales d’un marché que réalise une entreprise124.

La Cour de Justice estime que des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes,

et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante125.

Ainsi, autant pour la jurisprudence communautaire qu’interne, la détention de plus de 50% des

parts de marché est considérée comme extrêmement élevée. En effet, dans son rapport de

2010126, l’Autorité de la concurrence relève que, d’une manière générale, l’examen des parts de

marché constitue un paramètre essentiel dans l’appréciation de la domination éventuelle d’une

entreprise sur le marché. Elle précise d’ailleurs, en se référant à sa décision 10-D-17127, qu’une

part de marché correspond à la part des ventes réalisée par chacun des fournisseurs sur le marché

en cause. Nous pouvons en conclure que cet indice est décisif mais pas exclusif.

Comment les autorités de concurrence utilisent-elles ce paramètre lors de l’analyse du pouvoir

de marché des plateformes ? Les marchés en ligne sont des secteurs particulièrement innovants,

et dans le cas de marchés innovants, « les contours du marché sont en général changeants et les

parts de marché peuvent évoluer rapidement »128. Ainsi, les parts de marché sont relatives dans

les secteurs innovants. Dans sa thèse « Innovation et droit de la concurrence », Marie Cartapanis

123 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, 97/C 372/03, JOCE C372/05, 9 décembre 1997. 124 CARTAPANIS Marie, Innovation et droit de la concurrence, thèse, Aix-Marseille, 2017, p. 87. 125 CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, Affaire 85/76, pt 41. 126 ADLC, Rapport annuel 2010, p. 239. 127 ADLC, Décision n°10-D-17 du 25 mai 2010 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la boule de pétanque en compétition. 128 OCDE, Market Definition, Policy Roundtable, DAF/COMP(2012)19, 11 octobre 2012, p. 426.

Page 50: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 49 sur 134

prend l’exemple du marché des réseaux sociaux avec l’acteur Myspace. Ce réseau social

dominait le marché en 2003 et est tombé dans l’oubli depuis. Il en va de même pour les systèmes

d’exploitation BlackBerry, incontournables dans le marché des systèmes d’exploitation en

2005, aujourd’hui presque inexistant.

La frise chronologique suivante réalisée par l’Agence 90129 nous permet de réaliser la vitesse à

laquelle les acteurs sur le marché des réseaux sociaux se succèdent :

5 - Chronologie des réseaux sociaux, source Agence 90

129 https://www.agence90.fr/infographie-evolutions-reseaux-sociaux/

Page 51: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 50 sur 134

Cela nous amène à conclure que cette instabilité des parts de marché ne permet pas aux autorités

de concurrence de se baser sur cette donnée pour pouvoir déterminer le pouvoir de marché des

plateformes de manière fiable.

Néanmoins, s’ajoute à cette instabilité des phénomènes d’hyper et de super dominances

provenant des plateformes GAFAM notamment.

A titre indicatif, Google représente plus de 90 % du marché des moteurs de recherche, Facebook

occupe les trois quarts du marché des réseaux sociaux, Google et Apple, avec Android et iOS,

disposent respectivement de 76 et de 22 % du marché des systèmes d'exploitation pour les

smartphones et Google et Facebook détiennent à eux seuls plus de la moitié du marché de la

publicité en ligne. La concentration dans le secteur des réseaux publicitaires est

particulièrement mise en lumière par le graphique suivant publié dans la décision n°18-A-03 de

l’Autorité de la concurrence130 :

6 - Parts de marché dans le secteur des serveurs publicitaires, source Datanyze

130 ADLC, Avis n° 18-A-03 du 6 mars 2018 portant sur l’exploitation des données dans le secteur de la publicité sur internet.

Page 52: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 51 sur 134

D'énormes conglomérats se sont ainsi formés, réalisant des marges extrêmement importantes.

Pour le premier trimestre 2020, Facebook affiche une marge opérationnelle de 33%, Apple de

22 % et Google de 19 %. Or, les marges constituent un indicateur pour révéler le niveau de

concentration d'un marché131.

Selon Marie Cartapanis, l’entreprise en super dominance détient un pouvoir de marché élevé

sur un marché132. Google représentant 90% du marché des moteurs de recherche se trouve donc

en situation de super dominance. Concernant l’hyper dominance, « la position dominante de

l’entreprise n’est pas présente sur un seul marché, mais elle résulte de son intégration verticale

ou horizontale, ce qui explique la qualification d’entreprise ‘hégémonique’ »133. Ainsi, si

Google est en situation de super dominance sur le marché des moteurs de recherche en ligne, il

détient également une part importante du marché de la publicité en ligne et est donc également

en situation d’hyper dominance. Les GAFAM134 sont particulièrement concernées par cette

situation d’hyper dominance car elles se situent la plupart du temps sur des marchés multifaces

ou/et sont verticalement ou horizontalement intégrées.

A l’occasion de la décision Google Shopping135, la Commission européenne indique qu’elle

utilise les parts de marché de Google en volume comme approximation pour diverses raisons136.

Dans un premier temps, les services de recherche généraliste étant fournis gratuitement aux

utilisateurs, les parts de marché en valeur ne peuvent pas être calculées. Par ailleurs, la

Commission n’a pas été en mesure d’obtenir des valeurs vérifiables et précises relatives au

« revenu par recherche » (Revenue Per Search) du service de recherche généraliste en ligne.

Néanmoins, l’ensemble des méthodes mises en œuvre par la Commission européenne ont

permis de conclure que les parts des marchés nationaux de Google pour la recherche généraliste

en ligne en 2010 étaient de 84,6% en France, 85,3% en Allemagne, 85,9 en Italie, 91,3% en

Espagne et 81,3% au Royaume-Uni.

131 CLAUDEL Emmanuelle, « Numérique : le droit de la concurrence français à l’offensive », RTD Com. 2020, 806. 132 CARTAPANIS Marie, Innovation et droit de la concurrence, thèse, Aix-Marseille, 2017, p. 89. 133 Idem, p. 91. 134 GAFAM est l’acronyme des acteurs majeurs de la BigTech : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Ce sont les cinq grandes firmes américaines qui dominent le marché du numérique. 135 Commission européenne, 27 juin 2017, Moteur de recherche Google (Shopping), Affaire T.39740. 136 Idem, cons. 275.

Page 53: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 52 sur 134

La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés

contestables et équitables dans le secteur numérique (Digital Markets Act)137, indique qu’un

contrôleur d’accès doit avoir un « poids important sur le marché intérieur ». L’indice des parts

de marché semble donc rester pertinent car il est utilisé dans le cadre d’une future régulation

des plateformes.

Pourtant, nos réflexions nous amènent à conclure que l’indice des parts de marché des

entreprises est trop instable et fluctuant lorsque le marché pertinent est caractérisé par des cycles

d’innovation courts138. A cela s’ajoute le caractère multiface des marchés en ligne qui crée des

situations de super dominance et d’hyper dominance.

II- LE PHÉNOMÈNE DE GATEKEEPER : L’ERECTION DE BARRIÈRES À

L’ENTRÉE DIFFICILEMENT SURMONTABLES

Il est opportun de compléter le critère des parts de marché par une analyse fondée sur certaines

capacités des plateformes, notamment celles leur permettant d’ériger des barrières à l’entrée ou

à l’expansion sur un marché. La notion de barrières à l’entrée a été fondée par J. Bain (1956) et

se définit comme tout élément qui permet aux entreprises en place sur un marché de gagner des

bénéfices supérieurs à la normale, sans la menace d’entrée.

Il existe des barrières à l’expansion et des barrières à l’entrée sur les marchés en ligne, barrières

parfois érigées par les plateformes elles-mêmes. Cette situation a mené à la création du statut

de contrôleur d’accès ou gatekeeper.

D’après la Cour de Justice139, l’avancée technologique qu’une entreprise possède par rapport à

ses concurrents ou l’existence d’un réseau commercial extrêmement perfectionné constituent

des avantages techniques et commerciaux. Ces avantages vont ériger des barrières à l’entrée de

nouveaux concurrents sur le marché dont résultera l’absence de concurrence potentielle pour

l’entreprise en cause.

137 Commission européenne, Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (législation sur les marchés numériques), 2020/0374, 15 décembre 2020, article 3.1. (a). 138 CARTAPANIS Marie, Innovation et droit de la concurrence, thèse, Aix-Marseille, 2017, p. 97. 139 CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, Affaire 85/76, pt 48.

Page 54: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 53 sur 134

De façon similaire, le Tribunal de première instance des Communautés européennes140 a pu

conclure que la possession de ces avantages techniques et commerciaux contribuait à maintenir

et à renforcer la position de l’entreprise concernée sur le marché pertinent. Ces atouts incluent

notamment les innovations techniques avantageuses protégées par des brevets mais aussi

l’obtention d’une position forte en matière de recherche et de développement ainsi que

l’acquisition d’un système de distribution solide et bien organisé.

D’après l’Autorité de la concurrence, l’entrée des éditeurs sur le marché de la vente directe

d’espaces publicitaires sur internet est conditionnée par la nécessité d’atteindre un certain

niveau d’audience afin d’attirer les annonceurs141. L’Autorité observe l’entrée de plusieurs

acteurs sur le marché de la publicité en ligne mais rappelle que les principales barrières à

l’entrée mais surtout à l’expansion tiennent à l’accès aux données des utilisateurs.

Selon l’Autorité de la concurrence142, les barrières à l’entrée apparaissent élevées pour

développer une activité de moteur de recherche compétitive, compte tenu notamment des

investissements en jeu pour le développement des algorithmes143 et de l’indexation des contenus

ainsi que de l’effet de taille.

La Commission européenne conclut également que les marchés nationaux de la recherche

généraliste en ligne sont caractérisés par l’existence d’un certain nombre de barrières à l’entrée

et de barrières à l’expansion144. La Commission rappelle que pour proposer des résultats

pertinents, le moteur de recherche doit recevoir un grand volume de requêtes et de feedback.

Les barrières à l’entrée et l’expansion sont au cœur de la proposition de législation sur les

marchés numériques (Digital Markets Act)145. La proposition rappelle que les grandes

plateformes constituent des intermédiaires pour la majorité des transactions entre les utilisateurs

finaux et les entreprises utilisatrices146 : ce rôle d’intermédiaire entraîne une forte dépendance

à ces plateformes qui s’élèvent au rang de points d’accès ou contrôleurs d’accès. Sont visés par

140 TPICE, 12 décembre 1991, Hilti/Commission, aff. T-30/89, pt 19. 141 ADLC, Avis n° 18-A-03 du 6 mars 2018 portant sur l’exploitation des données dans le secteur de la publicité sur internet, cons. 232. 142 ADLC, Avis n° 10-A-29 du 14 décembre 2010 sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne. 143 L’investissement n’étant pas forcément financier mais parfois temporel : c’est le cas pour l’algorithme auto-apprenant de Google qui au fur et à mesure des recherches effectuées et du temps qui passe se perfectionne. 144 Commission européenne, 27 juin 2017, Moteur de recherche Google (Shopping), Affaire T.39740, cons. 285. 145 Commission européenne, Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numériques (législation sur les marchés numériques), 2020/0374, 15 décembre 2020, article 3.1. (a). 146 Idem, page 1.

Page 55: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 54 sur 134

la proposition les services de plateformes essentiels tels que les moteurs de recherche en ligne,

les réseaux sociaux, les services de plateformes de partage de vidéos, les systèmes

d’exploitation ou encore les services de publicité. La plupart des acteurs de ces secteurs sont

des plateformes opérant sur des marchés en ligne.

La proposition relative aux marchés contestables et équitables dans le secteur du numérique

établit trois conditions à remplir avant d’être considéré comme contrôleur d’accès et donc

soumis à un certain nombre d’obligations147. Le service de plateforme essentiel doit avoir une

incidence importante sur le marché intérieur, exploiter un ou plusieurs points d’accès majeurs

pour les clients et jouir ou être censés jouir d’une position solide et durable dans leurs

opérations.

L’exploitation d’un point d’accès permet en effet l’érection de barrières à l’entrée par les

plateformes, cette proposition vise donc à combattre ces comportements.

Il existe d’autres indices permettant de déterminer le pouvoir de marché d’une plateforme, et

nous pouvons nous intéresser au pouvoir de négociation des clients de la plateforme. Le Digital

Markets Act prend pour exemple les contrôleurs d’accès fournissant un accès aux boutiques

d’applications logicielles148 tels qu’Apple. En effet, le pouvoir de négociation entre Apple et

les développeurs d’application (entreprises utilisatrices) est déséquilibré, ce qui permet au

contrôleur d’accès de l’écosystème fermé d’imposer des conditions générales.

La détention de technologies clefs, tels que des algorithmes, permet aux plateformes de

contrôler un marché. Nous pouvons citer à titre d’exemple l’algorithme quality score de Google

permettant d’attribuer un score à chaque annonceur en fonction du nombre de clics sur ses

publicités et de leur pertinence. Facebook, quant à lui, utilise le News FeedRanking Algorithm

qui régit la diffusion ou non d’une publication dans le fil d’actualité des utilisateurs.

Plus particulièrement, la détention de volume de données personnelles extrêmement important

joue un rôle essentiel concernant le marché de la publicité en ligne. La plupart des plateformes

proposant un service gratuit se rémunèrent via la location d’espace publicitaire en ligne. A

147 Commission européenne, Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (législation sur les marchés numériques), 2020/0374, 15 décembre 2020, article 3. 148 Idem, page 33, cons. 57.

Page 56: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 55 sur 134

l’occasion d’un rapport de 2016 « Droit de la concurrence et données »149, l’Autorité de la

concurrence et la Bundeskartellamt ont estimé que les données pouvaient être utilisées comme

obstacle à l’entrée dans un marché. Ainsi, la détention de données massives peut constituer une

importante source de pouvoir de marché150.

III- ACCORD ENTRE DEUX GÉANTS : LA PISTE DE LA POSITION DOMINANTE

COLLECTIVE

D’après l’Autorité de la concurrence151, le concept de dominance collective renvoie à :

« un groupe d’entreprises qui disposent, en commun, d’un pouvoir de marché assimilable à celui d’une entreprise en position dominante simple, c’est-à-dire lui permettant de s’abstraire de la concurrence d’autres entreprises actives sur le même marché. Le concept de dominance collective réunit ainsi deux notions : en premier lieu celle de l’interdépendance, et en second lieu celle, plus classique, de la dominance. »

Afin de différencier l’abus de position dominante collective de l’entente, il faut vérifier

qu’aucune concertation n’a eu lieu entre les entreprises concernées. Cette acception est de

jurisprudence constante et nous la retrouvons dans une décision du 12 mars 2007 du Conseil de

la concurrence152 :

« De jurisprudence constante, la dominance collective se différencie de l’entente. Sont en dominance collective des entreprises qui, du fait de leurs caractéristiques propres et des circonstances spécifiques au marché concerné, adoptent des comportements parallèles qui les conduisent à se comporter comme si elles ne formaient qu’une seule entreprise, sans que cette identité de comportement nécessite le concours de leurs volontés. A l’inverse, l’entente résulte précisément de cet accord des volontés. »

A l’occasion de la décision Airtours153, la Commission européenne a listé les trois conditions

nécessaires à ce qu’une situation de position dominante collective soit définie.

La première condition implique que le marché oligopolistique soit suffisamment transparent

pour que chaque membre puisse connaître l’évolution du comportement sur le marché de

chacun des autres membres.

149 Autorité de la concurrence et Bundeskartellamt, Droit de la concurrence et données, Rapport, 10 mai 2016, p. 32. 150 CARTAPANIS Marie, Innovation et droit de la concurrence, thèse, Aix-Marseille, 2017, p.109. 151 ADLC, Décision n°10-D-36, 17 décembre 2010. 152 Cons. Conc., Décision n°07-D-08, 12 mars 2007, pt 179. 153 Commission européenne, 6 juin 2002, Airtours/Commission, Affaire T-342/99.

Page 57: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 56 sur 134

Ensuite, il doit exister un nombre de facteurs de dissuasion suffisant pour assurer durablement

une incitation à ne pas s’écarter de la ligne de conduite.

Enfin, la Commission doit établir que la réaction prévisible des concurrents actuels et potentiels

ainsi que des consommateurs ne remettrait pas en cause les résultats attendus de la ligne d’action

commune.

La notion d’abus de position dominante collective peut-elle s’appliquer à certains

comportements de la part des plateformes ?

Le 16 décembre 2020, plusieurs États fédérés dont l’État du Texas ont porté plainte à l’encontre

de Google devant le tribunal de district du Texas154. L’objet de la plainte est relatif au potentiel

abus de position dominante de Google sur le marché de la publicité en ligne155. Est notamment

reproché à Google la surfacturation aux éditeurs de la publication de publicités et l’évincement

de ses rivaux.

A l’occasion de cette plainte, les différents États ont également visé un accord entre Google et

Facebook qui limiterait les efforts de Facebook pour concurrencer Google en échange d’un

pourcentage des recettes publicitaires. Google et Facebook, top 1 et 2 sur le marché de la

publicité en ligne156, se seraient ainsi partagés le marché de la publicité sur les sites et

applications par une entente datant de 2018. La plainte prétend qu’ils auraient fixé les prix et

partagé le marché entre eux. En effet, les États fédérés concernés avancent que Google aurait

offert des avantages tels que des informations ou de la rapidité au détriment des autres

participants aux enchères. Ainsi, l’accord aurait alloué une portion des gains d’enchère des

éditeurs à Facebook. Cette opération aurait eu pour objectif d’asseoir et de sécuriser la position

dominante de Google sur le marché de la publicité en ligne, sur lequel il est en position

dominante.

154 United States District Court Eastern District of Texas Sherman Division, Complaint of States of Texas, Arkansas, Idaho, Indiana, Mississippi, Missouri, North Dakota, South Dakota, Uta and the Commonwealth of Kentucky against Google LLC, 16 décembre 2020. 155 McCABE David, WAKABAYASHI Daisuke, « 10 States accuse Google of abusing monopoly in Online Ads», The New York Times, 16 décembre 2020. 156 NYLEN Leah, « Google, Facebook, made secret deal to divvy up market, Texas alleges », Politico, 16 décembre 2020.

Page 58: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 57 sur 134

Cette plainte répond à celle déposée par le Department of Justice et onze États fédérés le 20

octobre 2020157. Cette fois-ci, ce sont des accords rémunérés passés avec Apple qui sont

reprochés à Google. Après plus d’un an d’investigation, le Department of Justice accuse Google

d’avoir « maintenu de façon illégale un monopole dans la recherche en ligne et la publicité en

ligne » grâce à des accords rémunérés passés avec les fabricants de smartphones, dont

Apple »158. Ces accords concerneraient la préinstallation sur les smartphones du moteur de

recherche Google. D’après une estimation de la banque Goldman Sachs en 2018, Google paie

9 milliards de dollars par an à Apple pour l’installation par défaut de son moteur de recherche

dans le navigateur Safari.

Il serait donc intéressant d’appréhender ces accords entre certaines plateformes sous le spectre

de l’abus de position dominante collective. Les affaires en cours se déroulant aux États-Unis,

l’utilisation de cette notion ne sera pas mise en œuvre. Cependant, la ligne séparant l’entente

de l’abus de position dominante collective est très fine, notamment à cause de prix qui auraient

été fixés d’un commun accord, ce qui nous renvoie à la pratique de l’entente.

Une fois le faisceau d’indices déroulé afin de quantifier le pouvoir de marché de la plateforme,

les autorités de concurrence doivent déterminer si la plateforme en position dominante est

l’auteure d’un abus. L’appréhension des pratiques anticoncurrentielles peut être aussi malaisée

que l’appréciation du pouvoir de marché, ce qui a amené à une multiplication du contentieux

relatif aux plateformes.

157 United States District Court for the District of Columbia, Complaint of the Attorney General of the United States, and the States of Arkansas, Florida, Georgia, Indiana, Louisiana, Mississippi, Missouri, Montana, South Carolina, Kentucky and Texas against Google LLC, 20 octobre 2020. 158 PIQUART Alexandre, « La justice américaine contre Google, une enquête limitée, mais cruciale », Le Monde, 20 octobre 2020.

Page 59: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 58 sur 134

CHAPITRE 2 - LE CONTENTIEUX DES ABUS DE POSITION DOMINANTE DES

PLATEFORMES

Nos réflexions sur le pouvoir de marché des plateformes nous permettent de mieux comprendre

comment certaines plateformes, dont notamment les GAFAM, se sont érigées en contrôleurs

d’accès sur des marchés en ligne. Ainsi, bien que ces positions dominantes soient pour la plupart

mises en évidence, il est nécessaire de démontrer un abus de la part de ces plateformes afin de

sanctionner des comportements jugés anticoncurrentiels (I). Les investigations menées sur le

marché du numérique dans son ensemble ont conduit les autorités de concurrence a réclamé de

la part de ces plateformes plus de transparence, mais également à passer au crible leurs

comportements sur les marchés qu’elles dominent (II).

I- LES PRATIQUES DES PLATEFORMES CONFRONTÉES A L’ABUS DE

POSITION DOMINANTE

A- L’appréciation classique de l’abus de position dominante

En droit européen comme en droit interne, la qualification de l’infraction d’abus de position

dominante suppose que deux conditions cumulatives soient réunies : il faut une position

dominante et un abus de la part de l’entreprise qui détient une telle position159.

Après avoir pu se pencher sur la délimitation des marchés pertinents et l’appréciation du

pouvoir de marché des plateformes, nous pouvons nous intéresser à l’abus de position

dominante. La position de super ou d’hyper dominance que nous avons pu développer s’infère

nécessairement des modèles économiques des plateformes ainsi que des marchés multifaces sur

lesquels elles opèrent.

Selon J. Schumpeter, les monopoles engendrés par des évolutions technologiques ou de

nouvelles créations doivent être acceptés car ils s’inscrivent dans un processus de concurrence

« dont chaque élément ne révèle ses véritables caractéristiques et ses effets définitifs qu’à très

159 AUGUET Yvan, GALOKHO Cheik, RIERA Alexandre, Droit de la concurrence, Ellipses, 2020, p. 160.

Page 60: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 59 sur 134

long terme, (et qu’il est donc) vain d’essayer d’apprécier le rendement de ce système à un

moment donné… »160. Ainsi, ce type de monopole n’a pas vocation à persister dans le temps.

Le marché du numérique est un marché de l’innovation de rupture ou disruptive innovation161

ou, selon J. Schumpeter, un marché de la destruction créatrice. Selon cette acception, les

monopoles ou les fortes dominances ne seraient pas à craindre dès lors que le marché est ouvert

aux innovations162.

La thèse sous l’influence de l’École d’Harvard est la théorie de la concurrence praticable sous

la forme de l’association de trois logiques : Structure, Comportement, Performance. C’est le

‘modèle SCP’. Selon cette thèse, ce serait la structure du marché qui commanderait les

comportements des entreprises et déterminerait leurs performances. Ainsi, une structure de

marché oligopolistique déterminerait des comportements et des performances dommageables.

Face à cette théorie, nous retrouvons l’« efficacité économique » de l’École de Chicago, liée au

« bien-être du consommateur » et qui ne dépendrait pas du nombre d’opérateurs sur un marché.

Ainsi, c’est la performance d’un opérateur qui détermine des comportements et donc la structure

du marché.

Aujourd’hui, l’école de « la nouvelle économique industrielle » ou « post-Chicago » se fonde

sur une approche plus comportementaliste, fondée sur la théorie des jeux, la qualité de

l’information, la structure du marché, l’ensemble permettant de nouvelles perspectives, comme

celles des infrastructures essentielles, des prix prédateurs…163

Une fois la position dominante démontrée, il est essentiel de rappeler que celle-ci n’implique

aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée. En effet, la Cour de Justice dans une

décision Michelin164 a eu l’occasion de préciser que cette position implique seulement :

« qu’il incombe à celle-ci, indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun. »

160 SCHUMPETER J., Capitalisme, socialisme et démocratie, Payot, Paris, 1951, p. 165. 161 CHRISTENSEN Clayton, « The Innovator’s Dilemma », Harvard Business School Press, 1997. 162 MALAURIE-VIGNAL Marie, HEINTZ Dominique et LÉCOLE Marion, « Comment appréhender les abus et l’utilisation des données dans la relation d’une plateforme avec ses partenaires contractuels? », Contrats Concurrence Consommation n°12, LexisNexis, Décembre 2020, dossier 16, §4. 163 MAINGUY Daniel, DEPINCÉ Malo, CAYOT Mathilde, Droit de la concurrence, LexisNexis, 3ème édition, 2019, p. 52-54. 164 CJCE, 9 novembre 1983, Michelin/Commission, Affaire 322/81, pt 57.

Page 61: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 60 sur 134

En effet, à l’occasion d’une décision Post Danmark, la Cour de Justice a développé les objectifs

de l’ancien article 82 CE sanctionnant l’abus de position dominante. Si cet article n’a pas pour

objectif d’empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, la position dominante

sur un marché, cette disposition ne vise pas non plus à assurer que des concurrents moins

efficaces que l’entreprise occupant une position dominante restent sur le marché165.

A l’occasion de la décision Hoffmann-La Roche166, la Cour de Justice des Communautés

européennes a démontré qu’elle appréhendait l’abus de position dominante de façon objective.

Il n’est donc pas nécessaire de démontrer une intention ou une faute. Nous pouvons déduire

cela du considérant 91 de la décision :

« La notion d’exploitation abusive est une notion objective, qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante […] qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une concurrence normale de produits ou services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence. »

B- Les pratiques équivoques des plateformes en position dominante

1) Les pratiques reprochables

Parmi les comportements susceptibles d’être qualifiés d’abus, nous retrouvons deux catégories,

éminemment liées : les abus d’exploitation et les abus d’éviction167. Les plateformes

commettent-elles ou sont-elles susceptibles de commettre ces formes d’abus ?

Les abus d’exploitation, également qualifiés d’abus de comportement, consistent en l’utilisation

par l’entreprise dominante de sa puissance économique pour imposer à ses partenaires des

conditions inéquitables comme des prix excessifs, trop bas ou discriminatoires168.

Certains comportements, au premier abord anticoncurrentiels, ne sont pas forcément qualifiés

comme tels par les autorités de concurrence. A titre d’exemple, l’autorité de la concurrence

165 CJUE, 27 mars 2012, Post Danmark, Affaire C-209/10, pt 21. 166 CJCE, 13 février 1979, Hoffman-La Roche, Affaire 85/76. 167 VILLEMONTEIX Marianne, Droit de la concurrence, Gualino, Mémentos, 2ème Edition, 2020/2021, p. 50. 168 Idem, p. 51.

Page 62: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 61 sur 134

allemande169 a sanctionné Facebook pour abus de position dominante en raison de la violation

du règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD)170. La

Bundeskartellamt a considéré que le fait d’imposer aux utilisateurs de Facebook des conditions

permettant de procéder à une collecte systématique et massive de leurs données personnelles

constituait un abus d’exploitation171. Cependant, le Tribunal régional supérieur de Düsseldorf

(Oberlandesgericht Düsseldorf) a écarté l’hypothèse d’un abus d’exploitation qui doit être

sérieusement démontré et ne peut découler de la violation des règles du RGPD. Il convient de

préciser que le président de l’autorité de la concurrence allemande a l’intention de faire appel

du jugement du Tribunal régional supérieur de Düsseldorf.

A titre d’exemple, il est reproché à Google un manque de transparence pour ces services

AdWords et AdSense dans le cadre de la publicité en ligne. Sont particulièrement visés le

mécanisme effectif de fixation des coûts par clic payés ainsi que le mécanisme des enchères.

Ces pratiques sont dénoncées dans l’avis du 14 décembre 2010 de l’Autorité de la

concurrence172. Cette insuffisante transparence accompagnée d’une absence d’objectivité a

entraîné une discrimination entre les annonceurs. Une des solutions permettant de pallier à ces

manquements est la prise d’engagement pour plus de transparence dans le fonctionnement des

services AdWords et AdSense.

Concernant la théorie des infrastructures essentielles, nous savons qu’une entreprise en

situation de position dominante détenant une infrastructure à laquelle les entreprises opérant

sur un marché aval ou amont doivent nécessairement avoir accès pour concurrencer l’entreprise

détentrice de l’infrastructure, doit accepter une limitation de sa liberté contractuelle et ouvrir

cette infrastructure à ses concurrents sur une base équitable et non discriminatoire173.

Ainsi, pourrait-on interpréter le terme « infrastructure » de façon plus large, pour y inclure, par

exemple, l’accès aux bases de données personnelles dans le marché de la publicité en ligne ? A

l’occasion d’une réponse174 donnée par la vice-présidente exécutive Margrethe Vestager, au

169 Bundeskartellamt. 170 Bundeskartellamt, 7 février 2019, Facebook, B6-22/16. 171 BOSCO David, « Contentieux Facebook en Allemagne : la décision du Bundeskartellamt censurée », Contrats Concurrence Consommation n°10, Octobre 2019, comm. 161. 172 ADLC, Avis n° 10-A-29 du 14 décembre 2010 sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne, p. 62-64. 173 Voir à titre d’exemple : CJCE, 26 novembre 1998, Oscar Bronner, aff. C-7/97 ; Cons. Conc., avis n°02-1-08 relatif à la saisine de l’Association pour la promotion de la distribution de la presse. 174 Réponse à la question E-000595/2020, 31 mars 2020.

Page 63: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 62 sur 134

nom de la Commission européenne, à une question175 posée par Carmen Avram, Andreas

Schwab et Stéphanie Yon-Courtin, le lien entre infrastructures essentielles et grandes

plateformes numériques a été mis en lumière. D’après la Commission européenne, « il ne

saurait y avoir d’approche générale pour l’application de la théorie dite des infrastructures

essentielles aux plateformes numériques en position dominante ». Ainsi, la théorie des

infrastructures essentielles est une théorie du préjudice comme les autres, et la Commission se

réserve le droit d’apprécier un comportement sous cet angle en fonction des circonstances, sans

mettre en place de généralités.

A côté des abus d’exploitation, nous retrouvons les abus d’éviction, également qualifiés d’abus

de structure, correspondant aux comportements tendant à éliminer les concurrents.

Concernant l’application de l’article 102 TFUE, la Commission a publié une communication

en 2009176. Elle traite des pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes et invite à

passer d’une approche centrée sur des catégories prédéfinies de pratiques illicites par leur objet

à une approche orientée vers les effets, potentiels ou réels, de l’abus177.

A titre d’exemple, selon la Cour de Justice178, une prise de participation majoritaire dans une

société doit recevoir la qualification d’abus de domination par le fait qu’elle conduit l’entreprise

à renforcer sa position dominante et tend à entraver substantiellement la concurrence sur le

marché concerné. Cela nous amène à nous intéresser aux killer acquisitions179. En effet, les

nombreuses acquisitions opérées par les plateformes dominantes sont l’un des facteurs ayant

permis l’important et durable pouvoir de marché de ces plateformes. Le phénomène de

concentration que l’on observe sur les marchés en ligne est renforcé par le rachat d’un très grand

nombre de start-up, pas moins de 400 depuis 10 ans et 200 ces cinq dernières années180. En

effet, Google a fait l’acquisition de Youtube en 2006, de DoubleClick en 2007 ou encore de

Motorola en 2011 : toutes ces entreprises étaient de potentielles concurrentes sur certains

175 Question avec demande de réponse écrite E-000595/2020 à la Commission, 3 février 2020. 176 Communication de la Commission — Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes, 24 février 2009, 2009/C 45/02. 177 COMBE Emmanuel, Économie et politique de la concurrence, Dalloz, 2ème édition, 2020, page 286. 178 CJCE, 21 février 1973, Europemballage Corporation et Continental Can Company, aff. 6-72. 179 Subcommittee on Antitrust, commercial and administrative law of the committee on the judiciary, «Investigation of competition in digital markets », Majority staff report and recommendations, 2020. 180 CLAUDEL Emmanuelle, « Numérique : le droit de la concurrence français à l’offensive », RTD Com. 2020, 806.

Page 64: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 63 sur 134

segments de marché. De plus, personne n’ignore le rachat par Facebook d’Instagram puis de

WhatsApp, lui permettant de conquérir des parts sur le marché des réseaux sociaux. Ces

acquisitions peuvent être synonymes d’abus, notamment si elles ont comme objectif

anticoncurrentiel « d’étouffer dans l’œuf un nouveau compétiteur ou d’empêcher que des

technologies ou des équipes stratégiques ne tombent dans l’escarcelle d’un concurrent »181.

Finalement, il est important de traiter de la pratique de prix prédatoires que l’on retrouve sur

les marchés en ligne. Cette pratique constitue un abus d’éviction182. Également appelés prix

d’éviction ou prix prédateurs, cette pratique est une stratégie délibérée d’une entreprise,

généralement en position dominante, consistant à évincer les concurrents du marché en fixant

des prix inférieurs aux coûts de production183. A titre d’exemple, le modèle de prix et plus

largement le business model de la plateforme Netflix repose sur la pratique de prix extrêmement

faibles, au point de faire des pertes importantes. Afin de rester intéressant sur un marché sur

lequel arrivent Disney+ ou encore Amazon prime, Netflix compte sur son budget dédié aux

contenus originaux s’élevant à 15 milliards de dollars en 2019, contre 6 milliards pour Apple

ou encore 7 milliards pour Amazon184. Ainsi, le coût d’acquisition d’un utilisateur s’établit à

539 dollars alors que le prix du service de streaming pour les utilisateurs se trouve entre 95,88

euros et 191,88 euros par an185. Peut-on alors considérer que les prix pratiqués par des

plateformes avec ce même business model sont des prix prédatoires ? Ces prix obligent tout

potentiel concurrent à engranger des pertes pendant plusieurs années avant de rendre le service

rentable, ce qui a pour conséquence l’érection de barrières à l’entrée dans le marché

particulièrement importantes.

181 VILLEMIN Eric, « Les Gafa ont-ils tué les start-up ? », Les Échos, 5 juin 2018. 182 NOURISSAT Cyril, DE CLAVIÈRE BONNAMOUR Blandine, Droit de la concurrence – Libertés de circulation, Dalloz, Hypercours, 2020, p. 438. 183 Commission européenne, DG Concurrence, Glossaire des termes employés dans le domaine de la politique de concurrence de l’Union européenne, Antitrust et contrôle des opérations de concentrations, Juillet 2002. 184 DEKONINK Basile, « La folie Netflix en cinq chiffres », Les Échos, 16 septembre 2019. 185 Prix par an basé sur le prix de l’abonnement en France au tarif Essentiel ou Premium.

Page 65: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 64 sur 134

L’article des Échos par Basile Dekonink détaille, en chiffres, le modèle économique de

Netflix186. Nous y retrouvons la dette à long terme en milliard de dollars augmentant chaque

année ainsi que le coût grandissant des programmes :

7 - Les chiffres XXL de Netflix, source Les Échos

186 DEKONINK Basile, « La folie Netflix en cinq chiffres », Les Échos, 16 septembre 2019.

Page 66: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 65 sur 134

2) Les justifications envisageables

L’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) offre deux

possibilités aux entreprises leur permettant d’échapper à la qualification de leur comportement

d’abusif : l’entreprise peut démontrer que son comportement est « objectivement nécessaire »

ou que la pratique en cause permet la réalisation de gains d’efficacité.

Concernant les gains d’efficacité, quatre conditions cumulatives doivent être réunies : les gains

d’efficience résultent de la pratique ; il n’existe pas de pratiques moins dommageables pour la

concurrence pour obtenir ces gains ; les gains d’efficience sont suffisants pour contrebalancer

l’atteinte aux consommateurs ; et ces gains ne conduisent pas à l’élimination de toute

concurrence sur le marché.

Les GAFAM peuvent-ils se prévaloir de ces gains d’efficacité ? L’Autorité de la concurrence a

souligné que la position dominante actuelle de Google sur le marché de la recherche généraliste

en ligne ou encore la publicité en ligne était l’aboutissement d’un « remarquable effort

d’innovation, dont le lancement et le maintien sont le fruit à la fois d’une prise de risque et d’un

investissement soutenu, que l’entreprise a obtenu le succès qu’on lui connaît, dans le cadre

d’une compétition par les mérites »187.

De la même façon, le rapport de la Direction Générale Trésor de novembre 2019188 insiste sur

le fait que « dans plusieurs secteurs, ces plateformes (numériques) ont contribué à réduire les

coûts de transaction et à générer des gains d’efficacité notables. ».

L’OCDE, dans un rapport « Like it or not? The impact of online platforms on the productivity

of incumbent service providers »189, a eu l’occasion de constater que dans les secteurs de

l’hôtellerie, de la restauration, des taxis et du commerce de détails, le développement des

plateformes soutient la productivité moyenne des entreprises de service existantes et stipule

également la réallocation de la main d’œuvre vers les entreprises les plus productives dans ces

secteurs190.

187 ADLC, Avis n° 10-A-29 du 14 décembre 2010 sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne, page 67, cons. 362. 188 Direction Générale Trésor, Plateformes numériques et concurrence, n°250, Novembre 2019. 189 RIVARES Alberto Bailin, GAL Peter, MILLOT Valentine, SORBE Stéphane, OECD Economics Department Working Papers No. 1548, « Like it or not? The impact of online platforms on the productivity of incumbent service providers », 15 mai 2019. 190 Direction Générale Trésor, Plateformes numériques et concurrence, n°250, Novembre 2019.

Page 67: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 66 sur 134

En effet, « le contrôle d’un grand volume de données très diverses peut constituer une source

importante de gains de productivité et d’innovation en matière de produits » selon une note de

référence du secrétariat de l’OCDE191.

II- LES PLATEFORMES AU CŒUR DE LA TOURMENTE CONCURRENTIELLE

A- Google et la presse en France : le non-respect du droit de l’Union européenne en matière de droits voisins

En novembre 2019, le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse

d’information générale et l’Agence France-Presse (AFP) ont saisi l’Autorité de la concurrence

concernant un potentiel abus de position dominante et de dépendance économique.

La directive sur le droit d’auteur et les droits voisins du 17 avril 2019, transposée par la loi du

24 juillet 2019, confère aux éditeurs et aux agences de presse le droit d’autoriser ou interdire la

reproduction de leurs publications par les plateformes numériques. Cependant, « Google a

décidé unilatéralement qu’elle n’afficherait plus les extraits d’articles, les photographies, les

infographies et les vidéos au sein de ses différents services (Google Search, Google Actualités

et Discover), sauf à ce que les éditeurs lui en donnent l’autorisation à titre gratuit »192. Pourtant,

la loi du 24 juillet a pour objectif de mettre en place les conditions d’une négociation équilibrée

entre éditeurs, agences de presse et plateformes numériques :

8 - Communiqué de presse décision n°10-MC-01 Autorité de la concurrence

191 OCDE, Données massives: adapter la politique de la concurrence à l’ère du numérique, DAF/COMP(2016)14, 21 novembre 2016, p. 24. 192 ADLC, « Droits voisins : l’Autorité fait droit aux demandes de mesures conservatoires présentées par les éditeurs de presse et l’AFP », Communiqué de presse, 9 avril 2020.

Page 68: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 67 sur 134

Ainsi, à l’occasion d’une décision 20-MC-01193, l’Autorité de la concurrence a estimé que

Google était susceptible d’avoir abusé de sa position dominante sur le marché des services de

recherche généraliste en imposant des conditions de transaction inéquitables aux éditeurs et

agences de presse. Afin de justifier cette qualification d’abus de position dominante, l’Autorité

s’est basée sur trois comportements observés de la part de Google : ce dernier impose des

conditions de transaction inéquitables, manifeste une volonté de contourner la loi du 24 juillet

2019 et a mis en œuvre une pratique discriminatoire. Ainsi, Google a démontré qu’il est dans

une situation de dominance suffisamment importante pour imposer des licences gratuites,

évitant ainsi toute forme de négociation et de rémunération, et ce en refusant de communiquer

les informations nécessaires à la détermination de la rémunération sans procéder à un examen

des situations des éditeurs. L’objet de la directive sur les droits voisins et donc de la loi a ainsi

été ignoré, et ce contournement de la loi n’a été rendu possible que par la position écrasante de

Google sur le marché français des services de recherche généraliste. Le manque total de

transparence de la part de Google envers les éditeurs et les agences de presse avec pour objectif

le non-respect de la loi a ainsi causé une « atteinte grave et immédiate au secteur de la presse,

alors que la situation économique des éditeurs et agences de presse est par ailleurs fragile, et

que la loi visait au contraire à améliorer les conditions de rémunération qu’ils tirent des

contenus produits par les journalistes »194. En effet, « le modèle économique de ce secteur [celui

de la presse] repose principalement sur deux sources de revenus : la vente de contenus, sous la

forme papier ou sous la forme numérique qui représente environ 70% de son chiffre d’affaires,

et la publicité, qui représente les 30% restant »195.

Afin de remédier à cette situation dommageable pour le secteur de la presse, l’Autorité de la

concurrence a prononcé des mesures d’urgence à l’encontre de Google. L’objectif de ces

injonctions est la négociation de bonne foi de la part de Google avec les éditeurs et agences de

presse. Les critères de négociation devront impérativement être « transparents, objectifs et non

discriminatoires » afin de répondre aux objectifs de la directive droits voisins. Finalement, cette

négociation devra aboutir à une proposition de rémunération de la part de Google.

193 ADLC, Décision 20-MC-01 du 09 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l'Alliance de la presse d'information générale e.a. et l’Agence France-Presse. 194 ADLC, « Droits voisins : l’Autorité fait droit aux demandes de mesures conservatoires présentées par les éditeurs de presse et l’AFP », Communiqué de presse, 9 avril 2020. 195 Cour d’appel de Paris – Pôle 5, ch. 07, 8 octobre 2020, , n°20/8071, p. 5, cons. 2.

Page 69: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 68 sur 134

L’Autorité de la concurrence a détaillé l’objectif de ces mesures d’urgence dans le communiqué

de presse relatif à sa décision n°20-MC-01 :

9 - Communiqué de presse décision n°10-MC-01 Autorité de la concurrence

Par une assignation délivrée le 3 juillet 2019, Google a formé un recours contre cette décision.

Google a ainsi demandé à la cour d’appel de Paris d’annuler la décision 20-MC-01 de l’Autorité

de la concurrence, et à titre subsidiaire, de modifier les injonctions prononcées par l’Autorité

afin qu’elles soient strictement proportionnées et nécessaires pour faire face à l’urgence.

A l’occasion d’une décision du 8 octobre 2020196, la cour d’appel de Paris a validé la quasi-

totalité des injonctions ordonnées par l’Autorité de la concurrence197. Cependant, une procédure

au fond pour abus de position dominante et une procédure relative au non-respect des

injonctions restent en cours au sein de l’Autorité de la concurrence. Une des questions non

tranchées est celle de la nature des informations nécessaires à la négociation de bonne foi.

Très récemment, le 21 janvier 2021, l’Alliance de la presse d’information générale a annoncé

la signature d’un accord-cadre avec Google France relatif à l’utilisation des publications de

presse en ligne198. Cependant, cet accord ne concernerait que les éditeurs dits IPG. Ces éditeurs

disposent d’une certification octroyée par la Commission paritaire des publications et agences

196 Cour d’appel de Paris – Pôle 5, ch. 07, 8 octobre 2020, , n°20/8071. 197 MASMI-DAZI Fayrouze, « Droits voisins, Acte II : en appel, Google dévoile un pan de son plan de bataille », Dalloz actualité, 21 octobre 2020. 198 PLATIAU Charles, « Les éditeurs de presse signent un accord avec Google », Reuters, 21 janvier 2021.

Page 70: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 69 sur 134

de presse (CPPAP)199 : cela restreint le champ de la négociation imposée à Google et sera

certainement au cœur de la décision à venir de l’Autorité concernant le respect des injonctions

qu’elle a ordonnées.

B- Les poursuites incessantes à l’encontre de Google aux États-Unis

1) Les accords conclus entre Google et les fabricants de smartphones

Le Department of Justice américain ainsi que onze États fédérés accusent Google d’avoir

maintenu indûment son monopole dans la recherche en ligne grâce à des accords rémunérés

passés avec les fabricants de smartphones, dont Apple200. Une plainte a donc été déposée devant

le tribunal de district de Columbia le 20 octobre 2020.

En effet, Google est accusé d’avoir abusé de sa position dominante sur le marché de la recherche

en ligne mais aussi celui de la publicité de recherche en ligne. Plusieurs comportements sont

visés201 par cette plainte. Est visée la conclusion d'accords d'exclusivité interdisant la

préinstallation de tout service de recherche concurrent. Est également reprochée la conclusion

d’accords de ventes liées et autres imposant la préinstallation de ses applications de recherche

dans des emplacements privilégiés sur les appareils mobiles et non susceptibles d’être

supprimées, quelle que soit la préférence des consommateurs. La plainte se réfère à la

conclusion d'accords à long terme avec Apple exigeants que Google soit le moteur de recherche

général par défaut - et de facto exclusif - sur le navigateur Safari d'Apple et d'autres outils de

recherche Apple. Pour finir, est critiquée l’utilisation des bénéfices de monopole aux fins

d’achat d’un traitement préférentiel pour son moteur de recherche sur les appareils, les

navigateurs Web et d'autres points d'accès de recherche, créant un cycle continu et renforçant

sa position dominante.

199 MASMI-FAZI Fayrouze, « Accord sur les droits voisins : miroir aux alouettes ou avancée ? », Dalloz Actualités, 4 février 2021. 200 PIQUART Alexandre, « La justice américaine contre Google, une enquête limitée, mais cruciale », Le Monde, 20 octobre 2020. 201 United States Department of Justice, Office of Public Affairs, « Justice Department Sues Monopolist Google For Violating Antitrust Laws. Department Files Complaint Against Google to Restore Competition in Search and Search Advertising Markets », Press Release, 20 octobre 2020.

Page 71: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 70 sur 134

Ainsi, plus largement, les comportements reprochés sont « les tactiques anticoncurrentielles

pour lui permettre de maintenir et d’étendre son monopole »202. Ces tactiques érigent des

barrières à l’entrée du marché de la recherche généraliste en ligne et ont pour effet de verrouiller

ce même marché. Cette plainte initiée par le Department of Justice constitue les premières

poursuites pour monopolization engagées depuis l’affaire Microsoft203 il y a vingt-cinq ans.

2) Les accords passés entre Google et Facebook

Dix procureurs généraux (attorneys general) accusent Google d’avoir abusé de sa position

dominante sur la technologie permettant le fonctionnement de la publicité en ligne. Les

investigations et le procès se concentrent ainsi sur les outils permettant de faire le lien entre les

annonceurs achetant des emplacements publicitaires et les éditeurs de presse vendant ces

emplacements204. La plainte vise également les accords passés entre Google et Facebook,

nommés « co-conspirator », accords potentiellement anticoncurrentiels et illégaux ayant pour

but de fixer les prix et de truquer les enchères205.

Les États fédérés à l’origine de cette plainte sont l’État du Texas, de l’Arkansas, de l’Idaho, de

l’Indiana, du Kentucky, du Mississippi, du Missouri, du Dakota du nord, du Dakota du sud et

de l’Utah. Cette plainte206 a été déposée devant la U.S. District Court, Eastern District of Texas,

Sherman Division.

Les comportements anticoncurrentiels visés par la plainte sont nombreux. En effet, Google

impose aux éditeurs d’octroyer une licence aux serveurs de Google et d’utiliser le service

d’échanges de Google pour leurs opérations. Par ailleurs, Google se réserve un traitement

préférentiel en exploitant les inventaires des éditeurs au profit de son propre inventaire. De plus,

Google et Facebook œuvrent afin d’empêcher le développement d’une innovation appelée «

header bidding », innovation promouvant la concurrence sur le marché.

La technique du « header bidding » consiste à intégrer dans la page web du code permettant de

proposer l’inventaire disponible à plusieurs supply-side platforms (SSP) et Ad Exchange avant

202 RODA Jean-Christophe, « Google dans la tourmente concurrentielle », Recueil Dalloz 2020, p. 2176. 203 United States v. Microsoft Corp., 253 F.3d 34 (D.C. Cir. 2001). 204 McCABE David, WAKABAYASHI Daisuke, « 10 States accuse Google of abusing monopoly in Online Ads », The New York Times, 16 décembre 2020. 205 FEINER Lauren, « Texas and nine other states file new antitrust lawsuit against Google, here’s the full complaint», CNBC, 16 décembre 2020. 206 United States District Court Eastern District of Texas Sherman Division, Complaint of States of Texas, Arkansas, Idaho, Indiana, Mississippi, Missouri, North Dakota, South Dakota, Uta and the Commonwealth of Kentucky against Google LLC, 16 décembre 2020.

Page 72: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 71 sur 134

de sélectionner le plus offrant207. Selon la Commission nationale de l’informatique et des

libertés (CNIL), cette méthode permet à l’éditeur d’organiser une mise en concurrence des

différents réseaux publicitaires lors de la vente de son inventaire, et par conséquence de

maximiser ses revenus.

Ces deux plaintes visant Google mettent en lumière la façon avec laquelle la plateforme Google

travaille à maintenir sa position dominante sur plusieurs marchés en ligne. L’ensemble des

pratiques envisageables permettant de réduire la concurrence sur les marchés que Google

domine sont mises en œuvre, ce qui a pour conséquence l’érection de barrières à l’entrée et un

réel frein à l’innovation. Il serait intéressant de connaître la décision des juges américains

concernant ces comportements équivoques, cependant, l’éventualité d’une transaction entre les

États et la firme Google n’est pas à exclure. Néanmoins, il est possible que la Commission

européenne s’inspire de ces plaintes détaillées pour, elle aussi, engager des investigations à

l’encontre de Google.

3) Le rôle de Gatekeeper de Google sur le marché de la recherche généraliste en ligne

Une coalition de 38 États fédérés a lancé des poursuites pour pratiques anticoncurrentielles à

l’encontre de Google le 17 décembre 2020208. La plainte reproche à Google son rôle de

gatekeeper sur le marché de la recherche généraliste en ligne. Google signerait ainsi des contrats

exclusifs aux fins d’empêcher de potentiels concurrents de se développer et empêcherait les

utilisateurs du moteur de recherche d’accéder aux sites d’autres fournisseurs de renseignements.

La possession d’une masse de données personnelles importante est visée par les procureurs

généraux. A titre d’exemple, la procureure générale de l’État de New York a dénoncé la position

de Google à l’occasion d’un communiqué de presse : « depuis des décennies maintenant,

Google se pose comme porte d’entrée de l’Internet et utilise nos données pour tuer ses

compétiteurs et contrôler nos décisions ».

207 Définition du CNIL. 208 Le Monde avec AFP, « Aux États-Unis, Google fait l’objet d’une troisième plainte en deux mois », Le Monde, 17 décembre 2020.

Page 73: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 72 sur 134

L’ensemble de ces plaintes sont consécutives aux investigations menées par le Subcommittee

on Antitrust sur la concurrence sur le marché du digital209. En effet, une investigation

bipartisane relative à la concurrence sur les marchés en ligne a été engagée le 3 juin 2019. Les

investigations se sont terminées le 6 octobre 2020 et sont centrées sur la domination et les

comportements des plateformes Apple, Amazon, Google et Facebook. Le rapport tente d’une

part de déterminer et de lister les challenges que représentent Amazon, Apple, Google et

Facebook de par leurs dominations sur certains marchés en ligne, et d’autre part d’apporter des

solutions permettant de rétablir la concurrence dans l’économie du digital. Concernant la

régulation de ces plateformes, le rapport met en avant le besoin urgent de renforcer les lois

antitrust ainsi que de dynamiser et d’accélérer l’application de ces lois. Afin d’atteindre ces

objectifs, le rapport propose la mise à jour par la réécriture du Clayton Act, du Sherman Act

mais également du Federal Trade Commission Act afin qu’ils prennent en compte les enjeux

de l’économie du numérique.

Les investigations engagées à l’encontre des plateformes structurantes mais aussi la

multiplication du contentieux tant aux États-Unis qu’en Europe nous mène à nous interroger

sur leur régulation. Celle-ci est particulièrement mouvante et sans cesse remise en question en

raison de la mutabilité et de l’instabilité des marchés en ligne et de l’économie du numérique

dont nous avons tenté de tracer les contours.

209 Subcommittee on Antitrust, commercial and administrative law of the committee on the judiciary, «Investigation of competition in digital markets », Majority staff report and recommendations, 2020.

Page 74: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 73 sur 134

PARTIE 2 – RÉGULER LE POUVOIR DES PLATEFORMES

La détermination du pouvoir des plateformes nous permet dans un second temps d’envisager la

régulation de celles-ci. En effet, une bonne appréhension de ce pouvoir de marché rend possible

une régulation efficace et globale des plateformes en situation de position dominante.

Pour se faire, il sera nécessaire de procéder à un état des lieux des modes de fonctionnement

des plateformes afin de constater les potentielles raisons qui mettent à mal l’application du droit

de la concurrence dans le secteur du numérique (titre 1). Cela nous conduira à nous demander

si le droit de la concurrence déjà existant peut s’adapter aux enjeux soulevés par les plateformes

(titre 2). En effet, malgré un droit de la concurrence riche, il semble que les autorités, les

législateurs et la doctrine cherchent à pallier à ses potentielles carences en développant des

règlementations spécifiques aux plateformes et plus largement à l’économie du numérique (titre

3).

TITRE 1 – LA MISE À MAL DU DROIT DE LA CONCURRENCE PAR LES

PLATEFORMES Selon Cyril Nourissat, « à une période de « laisser faire » sur Internet (autorégulation par les

seuls acteurs d’essence libertaire) a succédé une période intense de règlementation étatique »210.

En effet, le droit économique dans son ensemble se serait saisi de la matière, et ce dans un

certain désordre. Cyril Nourissat attribue ce « désordre » au rayonnement régional du droit des

contrats ou encore du droit de la concurrence, mis à mal par la réalité mondiale des marchés en

ligne.

Nous allons donc nous intéresser à cette période de « laisser faire », afin de mieux comprendre

les carences de l’application du droit économique aux plateformes. Dans un premier temps, il

est utile d’observer une relative autorégulation des plateformes (chapitre 1). Cependant, c’est

principalement l’action des autorités que nous scruterons afin de mieux comprendre son

efficacité limitée (chapitre 2).

210 NOURISSAT Cyril, « Colloque, Avant-propos, Réseaux de distribution et vente en ligne : évolutions jurisprudentielles et questions à venir », Revue Lamy de la concurrence, n°38, 1er janvier 2014.

Page 75: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 74 sur 134

CHAPITRE 1 – ÉTAT DES LIEUX DU FONCTIONNEMENT DES MARCHÉS DU

NUMÉRIQUE : POURQUOI FAUT-IL MIEUX LES RÉGULER ?

Dans un objectif de concision, nous aborderons le sujet des marchés du numérique à travers

trois aspects permettant de mieux dresser l’état des lieux alarmant du fonctionnement des

plateformes. Dans un premier temps, nous traiterons du secteur de la presse en ligne (I) puis

des écosystèmes fermés d’Apple (II). Finalement, nous aurons l’occasion de nous demander si

les condamnations à répétition des plateformes ont porté leurs fruits (III).

I- LA DIFFICILE RÉGULATION DANS LE SECTEUR DE LA PRESSE EN LIGNE

L’autorégulation ne concerne pas la protection de la concurrence. En l’absence de morale

« spontanée », seul le droit paraît capable de poser des barrières à des comportements et des

excès néfastes au marché et à ses opérateurs211. Pourtant, les plateformes en ligne ont longtemps

agi comme des gouvernements de facto.

Une illustration récente d’un tel comportement peut se trouver dans l’affaire des articles de

presse en Australie. En février 2021, l’Australie examine une proposition de loi inédite ayant

pour objectif la rémunération des éditeurs de presse en ligne par Google et Facebook pour les

contenus de presse d’information et d’actualité apparaissant sur leurs plateformes212. En

réaction à cette proposition de loi australienne, Facebook et Google ont empêché les utilisateurs

australiens de partager ou d’accéder aux articles de presse à but informatif213.

Finalement, après des négociations concernant le contenu de la proposition de loi, Facebook a

rétabli la diffusion d’articles de presse à destination des utilisateurs Australiens214. En effet, des

amendements ont été portés à la proposition de loi afin de laisser à Facebook la possibilité

d’évincer certains contenus de sa plateforme pour éviter d’être contraint de négocier.

Ces compromis et ce rapport de force sont symptomatiques de l’absence de régulation dans le

passé.

211 BOUSTANY Philippe, La notion de marché en droit européen de la concurrence, thèse, Paris II, 2004, p. 64. 212 KHALIL Shaimaa, « Facebook and Google news law passed in Australia », BBC News, 25 février 2021. 213 CLAYTON James, « Facebook blocks Australian users from viewing or sharing news », BBC News, 18 février 2021. 214 CLAYTON James, « Facebook reverses ban on news pages in Australia », BBC News, 23 février 2021.

Page 76: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 75 sur 134

II- LES ÉCOSYSTÈMES « APPLE »

L’App Store, magasin en ligne d’applications pour les produits Apple, est un écosystème fermé.

Apple a mis en place un système particulièrement verrouillé : « l’entreprise ne propose que des

lignes de produits et de services qui se complètent, souvent indispensables l’un à l’autre pour

fonctionner de façon optimale »215. Ainsi, la seule façon de télécharger une application sur un

produit Apple est de passer par l’App Store. Ce mode unique de distribution des applications

est particulièrement problématique, dans la mesure où « les applications mobiles ont

fondamentalement changé la façon dont nous accédons au contenu » selon Margrethe Vestager.

Le contrôle de ce système incontournable et fermé érige Apple en contrôleur d’accès ou

gatekeeper. Ce rôle a permis à Apple d’imposer ses règles sur l’App Store, notamment avec

pour objectif d’empêcher les utilisateurs d’acheter des applications hors de l’App Store.

Le 11 mars 2019, Spotify a déposé une plainte auprès de la Commission européenne concernant

les pratiques réalisées sur l’App Store. Deux règles en particulier sont visées par cette

plainte216 : d’une part, l’utilisation obligatoire du système d’achat intégré propriétaire « IAP »

d’Apple pour la distribution de contenu numérique payant est critiquée. En effet, l’utilisateur

de ce système d’achat implique notamment une commission de 30% à destination d’Apple sur

l’ensemble des frais d’abonnement perçus par l’intermédiaire du système IAP. D’autre part,

sont vivement reprochées les restrictions de la capacité des développeurs à informer les

utilisateurs d’autres possibilités d’achat en dehors des applications.

Cependant, Spotify n’est pas la seule entreprise à critiquer les comportements d’Apple sur

l’App Store. En effet, après que l’éditeur Epic Games ait dénoncé la commission de 30% de

l’App Store et invité les joueurs à passer directement par son propre système d’achat Direct

Epic, son application Fortnite a été banni de l’App Store. Cette décision unilatérale suivie de la

même décision de la part de Google sur le Google Play Store est un moyen pour Apple de

dissuader tout autre créateur d’applications de se rebeller. Apple impose donc ses propres règles

dans un écosystème dépourvu d’alternative pour les créateurs d’applications et met en place ses

propres sanctions.

215 NOROT Anne-Claire, « Apple: un écosystème bien verrouillé », les Inrockuptibles, 2 janvier 2011. 216 Commission européenne, Communiqué de presse, Pratiques anticoncurrentielles: la Commission ouvre des enquêtes sur les règles de l’App Store d’Apple, 16 juin 2020.

Page 77: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 76 sur 134

Le 9 mars 2021, l’association de start-up France Digitale a porté plainte contre le fabricant de

l’iPhone auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)217. Est

visée l’activation par défaut des publicités personnalisées d’Apple : il est reproché à Apple de

se créer un avantage sur le marché publicitaire en ajoutant des contraintes aux autres218. En

effet, l’entreprise a annoncé lancer un nouveau système limitant le « traçage » publicitaire. Ce

système impose aux éditeurs de demander le consentement des utilisateurs avant de partager

leurs informations avec des tiers : c’est l’App Tracking Transparency (ATT). Cela serait un

moyen pour Apple, qui détient une importante masse de données personnelles grâce à ses

écosystèmes fermés, d’empêcher la collecte d’informations par ses concurrents.

Par ailleurs, à l’occasion d’une question écrite à l’attention du Ministère de l’économie, des

finances et de la relance, Jean-Michel Mis attire l’attention sur le « sherlocking », pratique

consistant à copier les fonctionnalités d’applications tierces innovantes à son propre bénéfice

en intégrant celles-ci comme un nouveau service gratuit d’iOS219.

En effet, grâce à cette pratique amplifiée par le pouvoir de son écosystème, Apple se retrouve

en mesure de nuire aux entreprises. Prenons l’exemple des Airtags : Apple a lancé en avril 2021

cette nouvelle ligne de produit, une balise connectée, accessoire permettant de localiser des

objets égarés220. Cependant, un autre acteur commercialise également ce type de produit depuis

2012 : l’entreprise Tile. Pour fonctionner, ces produits doivent être reliés entre eux en réseau :

il s’agit pour Apple de sa fonction « Localiser » et pour Tile de son réseau propriétaire,

accessible via une application dédiée. Plus le nombre d’utilisateurs est important sur le réseau,

plus le produit est efficace car il dispose ainsi de plus de chances de retrouver les objets égarés

auxquels la balise connectée est accrochée.

Apple a récemment ouvert son réseau « Localiser » (Find My Network Accessory Program) aux

entreprises tierces, pour que des entreprises comme Tile puissent rendre compatible leurs objets

connectés au réseau d’Apple et donc avec les iPhones. Cependant, ce choix laissé aux

entreprises comme Tile est fallacieux et mènera nécessairement au déclin des concurrents

d’Apple.

217 PIQUART Alexandre, « Publicité : France Digitale porte plainte contre Apple auprès de la CNIL », Le Monde, 10 mars 2021. 218 Propos de Nicolas Rieul, président de l’Internet Advertising Bureau France (IAB). 219 MIS Jean-Michel, Question n°10-00062, Ministère interrogé : Ministère de l’économie, des finances et de la relance. 220 BROWNLEE Marques, Apple vs The Paradox of Choice! Vidéo Youtube, 30 avril 2021.

Page 78: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 77 sur 134

En effet, c’est un choix paradoxal, puisque quelle que soit la décision prise par les entreprises

tierces, Apple gagne toujours : si Tile commercialise des balises compatibles avec le réseau

« Localiser », les clients de Tile possédant des iPhones pourront profiter du plus grand réseau

« Localiser » d’Apple. L’interface d’utilisation de l’Airtag étant intuitivement prise en charge

directement par le système d’exploitation d’Apple, les utilisateurs délaisseront le réseau Tile et

son application tierce, tout en faisant grandir le réseau « Localiser » d’Apple. Ainsi, Tile serait

contraint à commercialiser un produit qui nuirait activement à son activité puisque leur propre

réseau s’affaiblira dans le temps avec la fuite vers le réseau d’Apple par leurs propres clients.

Si Tile refuse de rejoindre le réseau Localiser d’Apple, leur réseau sera de moins en moins

attractif car les utilisateurs d’iPhone se tourneront vers l’Airtag plus compatible. En effet, Apple

a un réseau plus important dès le départ et peut donc pénétrer plus profondément le marché.

Les utilisateurs d’iPhone ont alors le choix entre l’application Tile et le réseau « Localiser »

d’Apple : l’un requiert une application séparée et un plus petit réseau tandis que l’autre se

connecte automatiquement en arrière-plan et ne demande aucune action de la part du

consommateur.

Ainsi, l’exemple des Airtags nous démontre que de par son réseau colossal et sa capacité

d’intégrer des fonctionnalités dans son écosystème fermé, Apple possède un avantage

concurrentiel considérable face à ses concurrents.

Seuls acteurs dans des écosystèmes conçus pour être hermétiques et indispensables (sans

alternatives disponibles), c’est ainsi que les plateformes se comportent comme des

gouvernements de facto. Elles ont le pouvoir d’imposer leurs règles, de façon à ce que les

entreprises utilisatrices et les utilisateurs n’aient pas d’alternatives et se trouvent contraints de

s’y conformer. Par conséquent, les plateformes sont elles-mêmes responsables de la vérification

de la bonne application de ces règles ainsi que de l’application des sanctions de leur choix si

nécessaire. Partant, une régulation de ces acteurs paraît essentielle.

Page 79: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 78 sur 134

III- L’ÉCHEC DES CONDAMNATIONS SUCCESSIVES PAR LES AUTORITÉS DE

CONCURRENCE

Les condamnations pour abus de position dominante ont-elles été efficaces ? La saga Google

nous permet à la fois d’illustrer les comportements équivoques répandus sur les marchés en

ligne et de nous questionner quant à l’efficacité des sanctions prononcées par les autorités de

concurrence, et notamment par la Commission européenne.

Le 27 juin 2017, à l’occasion de la décision Moteur de recherche Google (Shopping)221, la

Commission européenne a condamné l’entreprise Google concernant le référencement

préférentiel de son comparateur de prix, Google Shopping.

Le 18 juin 2018, Google a été condamné par la Commission européenne pour des pratiques

liées au système d’exploitation mobile Android222.

Concernant le secteur de la publicité en ligne, Google a écopé de deux condamnations. Une de

la part de la Commission européenne223 et une de la part de l’Autorité de la concurrence

française224. Selon l’Autorité de la concurrence, Google a abusé de sa position dominante sur

le marché lié aux recherches en raison des règles de fonctionnement de sa plateforme

publicitaire Google Ads opaques et difficilement compréhensibles. Cela permettait de traiter

les annonceurs de façon inéquitable et aléatoire, voire incohérente, en raison de l’application

de conditions non objectives.

La Commission européenne, quant à elle, a condamné Google pour abus illégal de position

dominante sur le marché du courtage publicitaire lié aux recherches en ligne en raison de

restrictions contractuelles anticoncurrentielles. Ces restrictions sont illustrées sur le schéma

publié par la Commission européenne à l’occasion d’un communiqué de presse sur sa décision :

221 Commission européenne, 27 juin 2017, Moteur de recherche Google (Shopping), Affaire C(2017) 4444. 222 Commission européenne, 18 juillet 2018, Google Android, Affaire C(2018) 4761. 223 Commission européenne, 20 mars 2019, Google AdSense, AT.40411. 224 ADLC, Décision n°19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches.

Page 80: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 79 sur 134

10 - Communiqué de presse Commission européenne 20 mars 2019

Selon la Commission, Google est en position dominante à la fois sur le marché des systèmes

d’exploitation sous licence (Android), de la recherche en ligne (Google Search) et des boutiques

d’application (Google Play)225. L’ensemble des décisions condamnant Google soulève une

difficulté majeure : le verrouillage du marché par les géants du numérique qui empêche l’entrée

de nouveaux acteurs, notamment européens. Anne-Sophie Choné-Grimaldi recense les

propositions émises afin de contrer cet effet de verrouillage délétère pour le développement

d’une libre concurrence : sanctions plus sévères, limitation de la collecte massive

d’informations, partage de ces données personnelles, démantèlement permettant une « division

structurelle entre la plateforme et ses services »226.

En termes d’amendes, les décisions successives de la Commission européenne Google

Shopping227, Google Android228 et Google AdSense229 ont sanctionné Google à hauteur de 8,25

milliards d’euros. L’efficacité de ces amendes est à relativiser puisque selon un article des

Échos230, ces amendes n’ont pas changé la trajectoire du cash-flow de Google, huit fois plus

conséquent.

225 CHONÉ-GRIMALDI Anne-Sophie, « Les abus de position dominante dans le secteur numérique (réflexions à partir de la décision Google-Android) », Recueil Dalloz, 2020, p. 343. 226 ANATO P., LE GRIP C., Rapport d’information fait au nom de la Commission des affaires européennes sur le droit européen de la concurrence face aux enjeux de la mondialisation, 27 novembre 2019, proposition n°19. 227 Amende d’un montant de 2,42 milliards d’euros. 228 Amende d’un montant de 4,34 milliards d’euros. 229 Amende d’un montant de 1,49 milliards d’euros. 230 Les Échos, « Google: Partie suivante, La Commission européenne fait bouger Google, mais pas son titre en Bourse », Les Échos, 20 mars 2019.

Page 81: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 80 sur 134

Déjà en 2004, Microsoft était condamné pour abus de position dominante par la Commission

européenne231. Deux points principaux étaient reprochés à Microsoft : les ventes liées du

système d’exploitation Windows sur son lecteur musical et sur « video Media Player » ainsi

que la compatibilité entre les produits Microsoft et les autres logiciels. La « saga » Microsoft a,

elle, duré 7 ans, du lancement de l’enquête pour abus de position dominante en février 2000 à

la confirmation par la Cour de Justice de l’Union européenne de la condamnation émise par la

Commission européenne en 2007.

Cependant, en 2008, Microsoft a été condamné à verser 860 millions d’euros pour ne pas avoir

modifié ses comportements anticoncurrentiels malgré sa première condamnation en 2004232. La

réticence affichée de Microsoft témoigne de la relative liberté dont jouisse les plateformes. En

effet, Microsoft avait pour obligation la communication à ses concurrents d’informations

techniques ayant pour objectif l’élaboration de logiciels compatibles avec Windows. Microsoft

a alors mis en place un système de licence à un tarif fixe de 10 000 euros, tout en fournissant

des informations jugées insuffisamment détaillées par ses concurrents233.

Les pratiques reprochées par la Commission européenne en 2000 ne semblent pas si éloignées

de celles auxquelles se livrent aujourd’hui par les GAFAM, et pour lesquelles nombre d’entre

eux sont condamnés à payer des amendes substantielles. Ces observations peuvent nous amener

à nous interroger sur l’efficacité de ses poursuites chronophages.

A l’occasion de ces investigations relatives à la concurrence sur les marchés du digital, le

Subcommittee on Antitrust, commercial and administrative law234 a insisté sur le besoin urgent

de réformes législatives. Le rapport vise les GAFA, Amazon, Apple, Facebook et Google.

Amazon est accusé d’avoir abusé de sa position dominante à la fois en tant que détaillant et en

tant que marketplace. Il est reproché à Apple d’utiliser son influence sur l’App Store pour

évincer la concurrence et imposer une commission élevée aux développeurs d’applications.

Facebook est considéré comme ayant le monopole sur le marché des réseaux sociaux, tandis

que Google fait face à de multiples allégations, notamment concernant le marché de la

recherche généraliste en ligne, le marché de la publicité en ligne et celui des systèmes

d’exploitation235.

231 Commission européenne, 24 mai 2004, Microsoft, aff. C (2004) 900. 232 TUE, 27 juin 2012, Microsoft Corp. / Commission, aff. T-167/08. 233 Le Monde, « Microsoft devra payer 860 millions d’euros d’amende », Le Monde, 27 juin 2012. 234 Subcommittee on Antitrust, commercial and administrative law of the committee on the judiciary, «Investigation of competition in digital markets », Majority staff report and recommendations, 2020, p. 7. 235 KANG Cecilia, NICAS Jack et McCABE David, « Amazon, Apple, Facebook and Google prepare for their ‘Big Tobacco Moment’, The New York Times, 28 juillet 2020.

Page 82: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 81 sur 134

Les illustrations données par le secteur de la presse en ligne et par les écosystèmes d’Apple

nous permettent de mieux comprendre les problématiques de marché pertinent et de pouvoir de

marché dont nous avons traité dans une première partie, mais également d’introduire la difficile

régulation des plateformes. Le saga Google en Europe fait écho aux nombreuses plaintes

déposées aux États-Unis qui ont fait l’objet de précédents développements et donne un bref

aperçu de l’ampleur du contentieux et de la nécessité grandissante de renforcer et peut-être de

repenser la régulation des plateformes.

Les réticences affichées des plateformes à se plier aux lois et décisions des autorités est

symptomatique d’une relative autorégulation. L’autorégulation est une vision de l’organisation

de la société fondée sur un consensus. Les règles techniques de fonctionnement de l’Internet

ont été élaborées entre chercheurs via ce processus de décisions236, ce qui explique la liberté

régnant sur les marchés du numérique. Ainsi, une meilleure régulation est à penser et à

construire.

Régis Bismuth s’interroge sur le rôle de l’État en ce qui concerne la régulation des activités

prenant appui sur Internet. La dimension mondiale des activités en ligne se matérialise par

l’intervention d’acteurs, d’infrastructures et de flux localisés et diffusés sur différents

territoires : « Internet constituerait ainsi un espace où la régulation ne pourrait être pensée qu’à

l’échelle globale »237. Pourtant, un droit de la concurrence existe déjà ici et ailleurs, et propose

un arsenal d’outils sur lequel nous allons nous pencher.

236 ITEANU Olivier, Quand le digital défie l’État de droit, Eyrolles, 2016, p.160. 237 BISMUTH Régis, Internet, espace d’interrégulation, Thèmes et Commentaires sous la direction de Marie-Anne Frison Roche, Dalloz, 2016.

Page 83: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 82 sur 134

CHAPITRE 2 – LE DROIT DE LA CONCURRENCE A L’EPREUVE DES PLATEFORMES

Le rôle des autorités de concurrence est primordial pour mieux comprendre la régulation

actuelle des plateformes (I). Pour cette raison, nous allons tenter de délimiter leur pouvoir

d’action. Par ailleurs, il semblerait que le droit de la concurrence lato sensu, sur lequel les

autorités de concurrence s’appuient, peut s’adapter à la diversité des plateformes. Cependant,

cela implique une utilisation sur mesure de ce droit mosaïque afin de le rendre efficace (II).

I- LE RÔLE FONDAMENTAL DES AUTORITÉS DE CONCURRENCE

A- L’efficacité de la Commission européenne remise en question

La Cour des comptes européenne, chargée du contrôle de la bonne gestion du budget de l’Union

européenne, a rendu un rapport dans lequel elle conclut que la Commission européenne n’a pas

totalement relevé les défis posés par les marchés numériques et les volumes croissants de

données238.

Selon le rapport spécial 2020 de la Cour des comptes européenne, au cours des dix dernières

années, « le nombre d’opérations de concentration au niveau de l’Union européenne a augmenté

d’environ 40% et l’émergence de nouveaux marchés numériques a sérieusement compliqué

l’application des règles de concurrence »239. Cette observation a amené la Cour de comptes à

se demander si la Commission avait réussi à faire respecter les règles de concurrence de l’Union

européenne, et notamment si elle disposait d’une capacité de détection et d’enquête suffisante.

La Cour des comptes européenne a remarqué qu’en raison du manque de ressources, la

Commission européenne n’a effectué que quatre enquêtes sectorielles240. Ainsi, le nombre

d’enquêtes effectuées par la Direction générale de la concurrence de sa propre initiative

diminue, à l’exception de l’année 2015 :

238 VITARD Alice, « Antitrust : La Commission européenne doit être plus agressive face aux entreprises technologiques », L’Usine Digitale, 19 novembre 2020. 239 Cour des comptes européenne, Contrôle des concentrations dans l’UE et procédures antitrust de la Commission : la surveillance des marchés doit être renforcée, Rapport spécial, 2020, p. 16. 240 Depuis 2005, la Commission a mené des enquêtes sectorielles sur les services financiers (2005), l’industrie de l’énergie (2005-2007), l’industrie pharmaceutique (2008) et le commerce électronique (2015).

Page 84: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 83 sur 134

11 - Évolution du nombre de nouvelles enquêtes par la DG COMP de sa propre initiative

La Direction générale de la concurrence sélectionne ses enquêtes afin de privilégier les cas

ayant l’impact potentiel le plus élevé sur le marché intérieur ainsi que sur les consommateurs.

Cependant, pour la Cour des comptes européenne, « l’approche suivie pour établir l’ordre de

priorité des cas n’était pas optimale »241. Selon les « Orientations sur les priorités retenues par

la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives

des entreprises dominantes »242, il est important que la Commission européenne s’attache à

investiguer les types de pratiques d’éviction qui sont les plus préjudiciables aux

consommateurs. Cependant, il ne semble pas qu’il y ait de « critères pondérés clairs pour

garantir la sélection des cas présentant le risque le plus élevé pour la concurrence ou le bien-

être des consommateurs sur le marché intérieur et dans tous les secteurs économiques

concernés »243.

Certains facteurs ont mis à mal les ressources et la capacité technique de la Direction générale

de la concurrence. Parmi ces facteurs, nous retrouvons notamment l’augmentation du nombre

241 Cour des comptes européenne, Contrôle des concentrations dans l’UE et procédures antitrust de la Commission: la surveillance des marchés doit être renforcée, Rapport spécial, 2020, p. 22. 242 JO C 45 du 24 février 2009, p. 7. 243 Cour des comptes européenne, Contrôle des concentrations dans l’UE et procédures antitrust de la Commission: la surveillance des marchés doit être renforcée, Rapport spécial, 2020, p. 23.

Page 85: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 84 sur 134

de décisions prises, le volume croissant d’informations et de données à traiter et à analyser ainsi

que la complexité croissante des questions juridiques à examiner244. Face à ce constat, la Cour

des comptes insiste sur le fait que la Commission européenne doit prendre ses décisions dans

un délai raisonnable afin de réduire les coûts économiques pour les entreprises et les

consommateurs victimes d’une infraction. En effet, « les procédures ont été particulièrement

longues pour […] les cas complexes d’abus de position dominante dans les secteurs […] du

numérique »245.

La Cour des comptes préconise une intervention de la Direction générale de la concurrence en

amont, c’est-à-dire avant l’apparition d’un problème de concurrence, dans le secteur de

l’économie du numérique. La Cour constate également l’absence de mise à jour des lignes

directrices et communications de la Commission afin de s’adapter à l’ère du numérique et

d’améliorer la prévisibilité pour les entreprises.

Finalement, la Cour des comptes met l’accent sur le fait que les entreprises du numérique

rivalisent « pour » un marché et non plus « dans » un marché, ce qui se traduit par des situations

où le gagnant rafle toute la mise (« winner takes all »). En effet, les applications reposant sur

les données massives profitent de l’absence de limites physiques à la quantité et à la variété de

données246. Ainsi, selon le secrétariat de l’OCDE, les données massives ont modifié la courbe

d’apprentissage des entreprises :

244 Cour des comptes européenne, Contrôle des concentrations dans l’UE et procédures antitrust de la Commission : la surveillance des marchés doit être renforcée, Rapport spécial, 2020, p. 29. 245 Idem, p.31. 246 OCDE, Données massives: adapter la politique de la concurrence à l’ère du numérique, DAF/COMP(2016)14, 21 novembre 2016, p. 12.

Page 86: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 85 sur 134

12 - Courbe d'apprentissages des entreprises, source DAF-COMP(2016)14

En partant du graphique, le secrétariat de l’OCDE conclut que dans le domaine des données

massives, l’entreprise en place reste non seulement plus longtemps en phase d’accélération

rapide, mais aussi met plus de temps à épuiser la rentabilité croissante des données, ce qui peut

créer une situation de monopole sur le marché en question.

B- Les nouvelles fonctions du CSA

Selon un communiqué de presse du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA)247, une nouvelle

direction en charge de la régulation des plateformes en ligne doit être mise en place. En effet,

cette création doit permettre au CSA de s’adapter afin d’intervenir dans la régulation des

plateformes en ligne. Le champ d’action du CSA devrait comprendre la lutte contre les infox

ou contre la haine en ligne. Ce domaine étant particulièrement restreint, cette nouvelle direction

ne devrait pas empiéter sur le champ d’action de l’Autorité de la concurrence. Ces compétences

seraient liées à la mise en œuvre du Digital services act dont nous traiterons dans un second

titre.

247 Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, Le CSA poursuit sa transformation avec la création d’une « direction des plateformes en ligne » et la mise en place de dispositifs à destination du grand public, Communiqué de presse, 17 février 2021.

Page 87: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 86 sur 134

C- La capacité d’adaptation de l’Autorité de la concurrence

Selon l’Autorité de la concurrence, les autorités de concurrence ont pu saisir les comportements

des acteurs du numérique en ayant recours à des raisonnements innovants et en appliquant des

solutions bien établies à des services nouveaux248. Cependant, des améliorations et des

adaptations pourraient être opérées afin de rendre plus efficace les interventions de l’Autorité

de la concurrence dans le secteur du numérique. En effet, selon Bruno Lasserre, ancien

président de l’Autorité de la concurrence (2004-2016), « la force d’Uber et des autres, c’est leur

rapidité […] ils peuvent créer une situation de fait accompli sur laquelle il sera très difficile de

revenir ». Pour cette raison, ce dernier prône l’utilisation des moyens d’urgence dont disposent

les autorités de concurrence, notamment les mesures conservatoires.

L’Autorité de la concurrence considère également la problématique des « killer acquisitions »

en faisant le constat de l’absence de contrôle de certaines opérations en dessous des seuils

susceptibles de soulever des préoccupations de concurrence. En effet, Bruno Lasserre

envisageait une adaptation des critères d’examen des opérations de concentration. Celui-ci fait

le constat suivant : le seul critère du chiffre d’affaires ne permet pas d’appréhender des

entreprises disposant d’un potentiel de croissance non encore monétisé assis sur la collecte et

le traitement d’un grand nombre de données à caractère personnel et une base d’utilisateurs

importante susceptibles d’engendrer d’importants effets de réseau249. Nous reviendrons sur la

potentielle adaptation de ce critère dans l’ultime section de ce mémoire consacrée aux pistes de

réflexion pour l’avenir.

248 ADLC, « L’Autorité publie sa contribution au débat sur la politique de concurrence face aux enjeux posés par l’économie du numérique », Communiqué de presse, 21 février 2020. 249 FÉRAL-SCHUHL Christiane, Cyberdroit, le droit à l’épreuve de l’Internet, Praxis Dalloz, 8ème édition, 2020-2021, p. 1450.

Page 88: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 87 sur 134

D- Department of Justice et Federal trade Commission

Les entreprises de la Big Tech sont également scrutées de l’autre côté de l’Atlantique,

notamment par le U.S. Congress, le Department of Justice et la Federal Trade Commission.

Selon un article S&P Global250, les autorités américaines (DoJ et FTC) ont préféré

l’autorégulation des Big Techs afin de ne pas freiner l’innovation dans le secteur du numérique.

Ainsi, elles n’ont pas établi de cadre afin de réguler les industries mouvantes de la technologie.

Le graphique ci-dessous met en lumière l’exposition des Big Tech à la régulation :

13 - Exposition des Big Tech à la régulation, source S&P Global

Le rapport du Subcommittee on Antitrust concernant la concurrence sur les marchés du digital

témoigne de cette régulation grandissante : le Subcommittee a examiné les positions dominantes

d’Amazon, Apple, Facebook et Google, ainsi que leurs pratiques commerciales afin de

déterminer la façon avec laquelle leur pouvoir de marché affectait l’économie et la

démocratie251. Dans ce rapport, le Subcommittee insiste sur le fait que le Parlement doit

250 S&P Global, « U.S. Regulators, Regulators lean in to U.S. Big Tech firms ». 251 Subcommittee on Antitrust, commercial and administrative law of the committee on the judiciary, « Investigation of competition in digital markets », Majority staff report and recommendations, 2020.

Page 89: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 88 sur 134

s’assurer que les autorités de concurrence (antitrust agencies) appliquent la loi de façon juste

et agressive252. Cette demande prend racine dans les découvertes faites par le Subcommittee

durant les investigations. En effet, le Subcommittee affirme pouvoir prouver qu’à l’occasion de

moments clefs, les autorités de concurrence ont failli à stopper les entreprises en situation de

monopole lorsqu’elles acquièrent leurs concurrents. Le Subcommittee insiste lourdement sur le

fait que la puissance des actions des autorités est cruciale.

Le renforcement du pouvoir des autorités et leur intérêt poussé concernant les comportements

des plateformes se retrouvent ainsi autant dans l’Union européenne qu’aux États-Unis. Il est

donc important de se pencher sur les outils dont disposent ces autorités.

II- LES POTENTIALITÉS DU DROIT DE LA CONCURRENCE GRAND ET PETIT

Selon l’Autorité de la concurrence, le droit de la concurrence constitue un moyen

particulièrement efficace pour maintenir la dynamique concurrentielle de l’économie

numérique. Cependant, le droit Antitrust n’est-il pas trop subtil ? Plusieurs pistes sont à

envisager tant le droit de la concurrence offre diverses possibilités. Plusieurs auteurs

s’accordent à dire que le droit commun peut être adapté afin de mieux réguler les plateformes

(A). De plus, il est intéressant de se pencher sur les potentialités du petit droit de la concurrence

(B) mais aussi sur l’abus de dépendance économique (B), outils du droit de la concurrence peu

exploités.

A- Une adaptation du droit commun à privilégier

Selon Christiane Féral-Schuhl, les avis divergent sur l’opportunité de mettre en place une

régulation spécifique des plateformes253.

Selon le rapport n°3119 de la Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les

libertés à l’âge du numérique, l’approche par le droit commun est à privilégier :

« Pour certains membres de la Commission, il convient de privilégier l’approche par le droit commun et une nouvelle régulation spécifique doit rester une solution de dernier ressort et s’appuyer sur une analyse précise des dysfonctionnements du marché et des

252 Idem, p. 7. 253 FÉRAL-SCHUHL Christiane, Cyberdroit, le droit à l’épreuve de l’Internet, Praxis Dalloz, 8ème édition, 2020-2021, p. 1447.

Page 90: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 89 sur 134

gains attendus de la régulation ainsi que de ses effets secondaires sur l’écosystème d’internet. Pour la majorité des membres de la Commission, l’approche par l’adaptation du droit commun peut être complétée par la mise en place d’une régulation spécifique, portant sur les acteurs dominants de l’économie numérique. »254

Nous traiterons de la règlementation spécifique aux plateformes dans un second titre. Ainsi, il

est tout d’abord question d’adapter le droit de la concurrence existant afin de mieux prendre en

compte les enjeux soulevés par les plateformes.

En effet, le Conseil national du numérique préconise l’utilisation des ressources juridiques et

des outils de régulation existants afin d’adapter leur cadre et leurs modalités « aux dynamiques

spécifiques du numérique et aux nouveaux espaces de droit que sont les plateformes »255 .

Concernant plus particulièrement le droit de la concurrence, la recommandation n°10 du rapport

sur la neutralité des plateformes propose une meilleure approche des comportements des

plateformes en position dominante. Une meilleure prise en considération des discriminations

dans les référencements, des déséquilibres entre les parties et du bien-être des consommateurs

est mise en avant. Cependant, le Conseil national du numérique prône une prise en compte plus

évolutive et de manière anticipée des notions de « position dominante » ou de « facilité

essentielle ». Sont visées les nouvelles formes de dominante dont nous avons traitées dans la

première partie de ce mémoire : les stratégies d’intermédiation, la constitution de « silos », la

création d’un écosystème de référence pour les partenaires256, l’accumulation des données ou

encore la constitution d’informations sur l’état du marché et les préférences des utilisateurs257.

En ce sens, les positions de l’Autorité de la concurrence sont similaires puisque celle-ci met en

lumière deux caractéristiques spécifiques à l’économie du numérique qu’il faut mieux prendre

en compte : l’importance des données et l’existence de vastes communautés d’utilisateurs258.

De la même façon que le Conseil national du numérique, l’ADLC propose une adaptation des

notions de position dominante mais également d’infrastructures essentielles. De plus, l’ADLC

conclut que le droit de la concurrence pourrait être complété par un mécanisme permettant

254 PAUL Christian, FÉRAL-SCHUHL Christiane, Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, Rapport n°3119, Numérique et libertés : un nouvel âge démocratique, déposé le 9 octobre 2015, recommandation n°91. 255 Conseil national du numérique, Neutralité des plateformes, Rapport, mai 2014, p. 27. 256 Voir l’exemple des Airtags d’Apple, p. 75-76. 257 Conseil national du numérique, Neutralité des plateformes, Rapport, mai 2014, p. 16. 258 ADLC, « L’Autorité publie sa contribution au débat sur la politique de concurrence face aux enjeux posés par l’économie du numérique », Communiqué de presse, 21 février 2020.

Page 91: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 90 sur 134

d’intervenir sur les comportements nuisibles à la concurrence mis en œuvre par les opérateurs

dits « structurants ».

B- L’exploitation du petit droit de la concurrence

Le droit des pratiques restrictives de concurrence, ou petit droit de la concurrence, a déjà été le

fondement de décisions prises à l’encontre de plateformes259 . L’application du petit droit de la

concurrence n’impose pas de définir le marché pertinent ou de déterminer la position dominante

de l’entreprise, ce qui présente un avantage considérable. En effet, les situations de déséquilibre

significatif ou de rupture brutale des relations commerciales établies impliquent uniquement

l’analyse de la nature des relations entre entreprises. C’est pour cette raison que le Conseil

national du numérique suggère au législateur de réinvestir « le corps de règles relatif aux

pratiques restrictives de concurrence en misant sur leur plasticité et en les adaptant aux

dynamiques des plateformes »260.

Deux pistes de réflexion sont envisagées par le Conseil national du numérique pour permettre

une utilisation optimale du droit des pratiques restrictives de concurrence.

Tout d’abord, le Conseil national du numérique propose une clarification des conditions

minimales de « morale commerciale » dans les relations entre les plateformes et leurs

partenaires ainsi que la mise en place de « bonnes pratiques » pouvant être actualisées

périodiquement261. Le règlement UE n°2019/1150 promouvant l’équité et la transparence pour

les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, dont nous traiterons un peu

plus loin, remplit en partie ce rôle. En effet, il tente d’encadrer la relation contractuelle entre

les services d’intermédiation en ligne et les entreprises utilisatrices (professionnels) en

imposant des obligations de transparence concernant les critères de classement des contenus

par exemple.

Enfin, le Conseil national du numérique suggère la création d’un réseau européen des entités

en charge de l’examen des pratiques commerciales, à l’instar de la Commission d’examen des

pratiques commerciales française262.

259 Cass. Com. 8 juillet 2020 n°17-31.536, Expedia. 260 Conseil national du numérique, Neutralité des plateformes, Rapport, mai 2014, p. 29. 261 Idem, p. 29. 262 Idem, p. 29.

Page 92: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 91 sur 134

L’action en concurrence déloyale est également efficace et a de nombreuses potentialités selon

Jean-Christophe Roda263.

En effet, à l’occasion d’une décision du 4 mars 2020264, la Cour de cassation a conclu que le

statut de travailleur indépendant des chauffeurs Uber était fictif. A la suite de cette décision,

une action collective regroupant des taxis et notamment des organismes représentatifs265 est

intentée pour concurrence déloyale. Cette action collective a pour objet la réparation du

préjudice moral - réputation des taxis perçus comme une corporation « réfractaire au progrès »

- ou matériel - perte de valeur des licences, perte de chiffre d’affaires liée à la baisse nécessaire

du prix des courses pour faire face à la concurrence - 266 en raison de la violation du droit du

travail par la plateforme Uber.

Uber a également été condamné pour concurrence déloyale par la cour d’appel de Paris le 12

décembre 2019267. Il était reproché à la plateforme « d’inciter les chauffeurs à circuler et

stationner sur la voie publique en quête de clients et d’inciter les chauffeurs à ne pas retourner

à leur base ou dans un endroit situé hors de la chaussée dans l’attente d’une réservation, sauf

s’ils justifient d’une autre réservation préalable ». Par cette décision, il est rappelé que les

plateformes assurant le transport de personnes par voiture avec chauffeur doivent respecter la

réglementation imposée par le Code des transports268.

Ainsi, l’action en concurrence déloyale peut être invoquée chaque fois que l’auteur s’affranchit

d’une règlementation, à condition que le non-respect de celle-ci constitue réellement une

« économie des coûts » que pourrait invoquer la victime269. En plus de permettre à la victime

d’obtenir des dommages et intérêts, l’action en concurrence déloyale permet l’action en

cessation de l’illicite. Cette action est particulièrement avantageuse puisque la victime de

concurrence déloyale recherche principalement la cessation du trouble dont la source se

retrouve dans le comportement déloyal. Ainsi, pour faire cesser le comportement en question,

263 RODA Jean-Christophe, « Les plateformes et la vieille dame », Gazette du Palais, 15 décembre 2020, p. 3. 264 Cass. Com. 4 mars 2020 n°19-13.316, Uber. 265 Union Nationale des Taxis, Fédération Nationales des Artisans du Taxi, Fédération Nationale des Taxis Indépendants, Fédération Nationale du Taxi, Les Nouveaux Taxis Parisiens… 266 CHICHE Alexia, « Les taxis français attaquent Uber pour concurrence déloyale, une action collective inédite en France », Communiqué de presse, Lexis Actualités, 9 septembre 2020. 267 Cour d’appel de Paris – Pôle 5, ch. 5, 12 décembre 2019, n°17/03541, SARL VIACAB c/ SASU UBER France. 268 MALAURIE-VIGNAL Marie, « Concurrence déloyale des plateformes électroniques », Contrats Concurrence Consommation n°3, Mars 2020, comm. 41. 269 RODA Jean-Christophe, « Les plateformes et la vieille dame », Gazette du Palais, 15 décembre 2020, p. 3.

Page 93: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 92 sur 134

les tribunaux peuvent prononcer sous astreinte l’interdiction de l’utilisation de tel ou tel moyen

dans l’exercice de la concurrence, et parfois ordonner l’accomplissement d’un fait positif270.

C- L’abus de dépendance économique

L’abus de dépendance économique est-il un outil de régulation pertinent ? Christiane Féral-

Schuhl nous explique que lorsque les plateformes sont verticalement intégrées, elles peuvent

restreindre la concurrence en intervenant sur la visibilité de leurs concurrents, au profit des

leurs. Ces pratiques relèvent du « self-preferencing » : à l’occasion de la décision Google

Shopping271, en application de l’article 102 TFUE, la Commission européenne a créé ex nihilo

la prohibition du « self-preferencing »272.

L’intégration verticale de ces plateformes leur permet de capter une partie importante de la

valeur issue des services et des contenus créés par des tiers et de placer leurs partenaires

commerciaux dans une situation de dépendance économique273.

Un exemple récent d’une intégration verticale créant une certaine situation de dépendance

économique des concurrents est celle d’Apple et des données personnelles : des associations

ont saisi l’Autorité de la concurrence en reprochant à Apple d’imposer des conditions de

transaction inéquitables aux développeurs d’application. Cependant, n’est pas en cause la

commission de 30% imposée par Apple dont nous avons eu l’occasion de traiter. Est visé le

nouveau dispositif d’Apple permettant aux utilisateurs d’iPhones de refuser le partage de leurs

données personnelles à des tiers à des fins publicitaires. Ce dispositif implique l’apparition

systématique d’un avertissement sollicitant le consentement de l’utilisateur lors de la

consultation d’applications sur l’iPhone.

Ce dispositif semble respectueux de la protection des données personnelles de l’utilisateur qui

peut, via un choix simple et accessible, limiter la diffusion des publicités ciblées liées à son

activité sur les applications.

270PICOT Yves, AUGUET Yvan, DORANDEU Nicolas, Concurrence déloyale, Répertoire IP/IT et Communication, Dalloz, Octobre 2010, §230. 271 Commission européenne, 27 juin 2017, Moteur de recherche Google (Shopping), Affaire C(2017) 4444. 272 CHAIEHLOUDJ Walid, « Pour la consécration d’une notion éversive : la position dominante ‘de crise’ », Recueil Dalloz, D. 2021.809, §6. 273 FÉRAL-SCHUHL Christiane, Cyberdroit, le droit à l’épreuve de l’Internet, Praxis Dalloz, 8ème édition, 2020-2021.

Page 94: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 93 sur 134

Cependant, les associations requérantes considèrent qu’un tel dispositif caractérise un abus de

position dominante et rappellent que l’obligation de recueil du consentement pèse déjà sur les

développeurs d’application en vertu des dispositions du RGPD et de la directive e-Privacy274.

A l’occasion d’une décision du 17 mars 2021275, l’Autorité de la concurrence a considéré que

le nouveau dispositif dit « sollicitation ATT » (« app tracking transparency ») s’inscrivait dans

la stratégie mise en œuvre par Apple en matière de protection de la vie privée. L’ALDC a estimé

« qu’une entreprise, même si elle est en situation de position dominante ou peut être regardée

comme une plateforme structurante, dispose d’une liberté de principe pour fixer des règles

d’accès à ses services. »276

Malgré tout, l’Autorité de la concurrence poursuit l’instruction du dossier au fond afin de

déterminer si le traitement induit par la sollicitation ATT constitue ou non une pratique

anticoncurrentielle, notamment en ce qu’il produit de la part d’Apple une forme de

discrimination à son profit, ou « self-preferencing »277.

Ainsi, le self-preferencing sera particulièrement préjudiciable pour les concurrents des

plateformes en position dominante se trouvant d’ores et déjà en situation de dépendance

économique, notamment concernant l’accès aux données personnelles.

Selon Emmanuel Claudel, la dépendance peut être économique, au sens où un acteur

économique apparaît comme un « partenaire obligé »278. Cependant, elle peut aussi être

technologique. Deux conditions doivent être respectées pour caractériser un abus de position

dominante : le partenaire a pris un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une

telle contrainte et la partie tenant l’autre sous sa dépendance « en tire un avantage

manifestement excessif »279.

274 Légipresse, « Ciblage publicitaire : la nouvelle fonctionnalité d’Apple limitant la collecte de données des utilisateurs d’iPhone ne caractérise pas un abus de position dominante », Dalloz, 2021, p. 126. 275 ADLC, Décision n°21-D-07 du 17 mars 2021 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par les associations Interactive Advertising Bureau France, Mobile Marketing Association France, Union Des Entreprises de Conseil et Achat Media, et Syndicat des Régies Internet dans le secteur de la publicité sur applications mobiles sur IOS. 276 ADLC, Décision n°21-D-07 du 17 mars 2021, cons. 136, p. 31. 277 ADLC, Décision n°21-D-07 du 17 mars 2021, cons. 163, p. 36. 278 Voir VIRASSAMY G. pour lequel « un des partenaires se trouve tributaire pour son existence ou sa survie de la relation régulière, privilégiée ou exclusive qu’il a établie avec son cocontractant, le partenaire obligé », Les contrats de dépendance, Thèse, 1986. 279 CLAUDEL Emmanuel, « L’abus de dépendance économique : un sphinx renaissant de ses cendres ? », RTD com. 2016. 460.

Page 95: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 94 sur 134

L’Autorité de la concurrence a déjà eu l’occasion de mobiliser la notion d’abus de dépendance

économique face à une plateforme. L’Autorité a en effet sanctionné Apple pour abus de

dépendance économique vis-à-vis de ses revendeurs indépendants « premium »280. Afin de

condamner Apple, l’Autorité de la concurrence s’est appuyée sur l’enchevêtrement de clauses

contractuelles, notamment l’imposition de la vente quasi exclusive des produits Apple, le

caractère notoire de la marque Apple et l’absence d’alternative à la distribution des produits

Apple. L’ADLC a conclu que ces clauses étaient révélatrices d’une altération de la concurrence

intra-marque et pouvaient avoir comme effet l’exclusion de certains distributeurs du marché en

question, tels que la société requérante eBiscuzs.com.

Le règlement (UE) 1150/2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises

utilisatrices des services d’intermédiation en ligne insiste sur la dépendance accrue des

entreprises utilisatrices des plateformes notamment due aux effets de réseaux indirects fondés

sur les données281. De plus, du fait de cette dépendance croissante, les plateformes vont disposer

le plus souvent d’un pouvoir de négociation supérieur leur permettant d’agir unilatéralement et

de façon inéquitable282.

Il semble que le droit de la concurrence grand et petit nous offre de nombreux outils permettant

de réguler les plateformes. Ces outils peuvent être mis à jour ou adaptés afin de permettre des

poursuites efficaces des plateformes. Cependant, certains auteurs sont en faveur de la mise en

place de règlementations spécifiques, ce que le législateur européen a d’ores et déjà entrepris.

280 CLAUDEL Emmanuelle, « Numérique : le droit de la concurrence français à l’offensive », RTD Com. 2020, 806. 281 Règlement 2019/1150, Parlement et Conseil, 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, JOUE L 186, 11 juillet 2019, considérant 2. 282 Idem, considérant 2.

Page 96: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 95 sur 134

TITRE 2 – L’ÉMERGENCE DE NOUVELLES RÉGLEMENTATIONS ET

PROPOSITIONS

Il semble que l’adaptation du droit de la concurrence, grand et petit, permettrait une meilleure

régulation des plateformes. Cependant, un nouveau mouvement voit le jour, mettant en place

une régulation spécifique aux plateformes et au secteur du numérique dans sa globalité.

Plusieurs questions se présentent alors à nous : Un droit commun économique des plateformes

voit-il le jour ? La création d’un droit digital de la concurrence serait-elle opportune et

nécessaire ?

Selon Jean-Christophe Roda, « à l’heure où se bâtit progressivement un droit « commun » des

plateformes avec, en dernier lieu, l’adoption (bienvenue mais finalement peu ambitieuse) du

règlement n° 2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les

entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, il est essentiel d’élaborer des

règles équilibrées et non pas uniquement guidées par la crainte de voir les plus petites structures

balayées par la concurrence des GAFAM. »283.

En effet, « certains considèrent que le droit commun ne permet pas de répondre pleinement aux

enjeux posés par les grandes plateformes de l’économie du numérique »284. Nous allons donc

nous attarder sur les nouvelles règlementations à destination des plateformes, notamment celles

qui ne sont pour l’instant que des propositions (chapitre 1). Finalement, nous pourrons nous

pencher sur d’autres voies, solutions, émises par la doctrine autant en Europe qu’aux États-Unis

quant à une meilleure approche de la régulation des plateformes (chapitre 2).

283 RODA Jean-Christophe, « Sale temps pour les plateformes », Gazette du palais, 17 septembre 2019. 284 FÉRAL-SCHUHL Christiane, Cyberdroit, le droit à l’épreuve de l’Internet, Praxis Dalloz, 8ème édition, 2020-2021, §2, cons. 626.131.

Page 97: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 96 sur 134

CHAPITRE 1 - LA MULTIPLICATION DES LÉGISLATIONS SPÉCIFIQUES AUX

PLATEFORMES

Nous pouvons observer une tendance mondiale de régulation des Big Techs. En effet, selon la

Commission européenne, la puissance de marché de certaines plateformes en ligne peut être

une source de préoccupation, notamment dans le cas des plateformes les plus puissantes dont

dépendent sans cesse davantage les autres acteurs du marché285.

Face à ce constat, le règlement (UE) 2019/1150286 promouvant l’équité et la transparence pour

les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne a été promulgué afin de

« favoriser la confiance dans l’environnement des plateformes en ligne au sein de l’Union

européenne »287 (I). De plus, plus récemment, deux propositions de règlement sont à l’adoption

et visent les plateformes (II). Ces règlementations manquent-elles d’ambition ?

I- RÈGLEMENT (UE) 2019/1150 PROMOUVANT L’ÉQUITÉ ET LA

TRANSPARENCE POUR LES ENTREPRISES UTILISATRICES DE SERVICES

D’INTERMÉDIATION EN LIGNE

Le règlement 2019/1150 du 20 juin 2019 dit « Plateform-to-Business » est le premier texte

européen portant spécifiquement sur les plateformes en ligne288. Afin de pouvoir émettre une

critique à l’encontre de ce règlement (C), il est essentiel de se pencher sur son objet (A) et son

contenu (B).

A- L’objet du règlement P to B

A la lecture des considérants de départ du règlement (UE) 2019/1150, une approche similaire à

celle du droit antitrust semble avoir été adoptée. Dès le considérant premier du règlement, il est

fait mention du « bien-être du consommateur », qui serait amélioré par les services

d’intermédiation en ligne. Une seconde mention à ce critère clef du droit antitrust apparaît au

285 Communication de la Commission, La stratégie pour un marché unique numérique en Europe, COM/2015/0192 final, 6 mai 2015, p. 10. 286 Règlement 2019/1150, Parlement et Conseil, 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, JOUE L 186, 11 juillet 2019. 287 Commission européenne, Communiqué de presse, Plateformes en ligne : la commission définit de nouvelles normes en matière de transparence et d’équité, 26 avril 2018. 288 ZINTY Stéphane, Droit commun des plateformes numériques – Le déroulement de la relation entre la plateforme et les usagers, JurisClasseur Contrat-Distribution, LexisNexis, 1er novembre 2019.

Page 98: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 97 sur 134

troisième considérant qui précise que « la compétitivité, l’équité et la transparence de

l’écosystème en ligne, dans lequel les entreprises adoptent un comportement responsable, sont

aussi essentiels au bien-être des consommateurs. »

Un large éventail de plateforme est ciblé par le règlement. Est notamment visé par le règlement

le moteur de recherche Google289, mais aussi les places de marché telles qu’Amazon, les

boutiques d’applications comme l’App Store ou encore les services de réseaux sociaux en

ligne290.

C’est à l’article 2, 2) du règlement que sont définis les « services d’intermédiation en ligne ».

Ceux-ci doivent répondre à trois conditions. Dans un premier temps, ils doivent constituer des

services de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre

rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire

de service. Ensuite, ils doivent permettre aux entreprises utilisatrices d’offrir des biens ou

services aux consommateurs, en vue de faciliter l’engagement de transactions directes entre ces

entreprises utilisatrices et des consommateurs, que ces transactions soient ou non finalement

conclues. Enfin, ces services doivent être fournis aux entreprises utilisatrices sur la base de

relations contractuelles entre le fournisseur de ces services et les entreprises utilisatrices qui

offrent des biens ou services aux consommateurs.

Ce règlement prétend ainsi s’attaquer aux problèmes d’équité et de sécurité relatifs aux

plateformes en ligne.

B- Contenu du règlement

Le règlement (UE) 2019/1150 poursuit plusieurs objectifs. Tout d’abord, il encadre

juridiquement les conditions générales des plateformes en ligne en imposant des obligations de

clarté, de prévisibilité, d’accessibilité ou encore d’exhaustivité291. De même, concernant le

classement de leurs résultats, le règlement garantit une meilleure transparence des critères et

paramètres déterminant ce classement. Ainsi, en cas de déréférencement ou de modification de

l’ordre de classement, le contenu de la notification de ces évènements devra être accessible à

l’entreprise utilisatrice concernée292. Le même système de transparence et de motivation des

289 Voir considérant 4 : « les moteurs de recherche en ligne peuvent être d’importantes sources de trafic internet pour les entreprises […] » 290 Voir considérant 11. 291 Article 4 du règlement (UE) 2019/1150. 292 Article 5 du règlement (UE) 2019/1150.

Page 99: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 98 sur 134

décisions s’applique au traitement différencié293. Finalement, ce sont les mécanismes de recours

qui sont visés par le règlement : la mise en place de mécanismes de recours effectifs dans

l’ensemble de l’Union européenne ainsi que d’un système interne de traitement des plaintes est

prévue.

Cependant, il est important de préciser que le règlement ne prévoit aucune sanction car il revient

aux États membres de l’Union européenne d’assurer une sanction effective pour les

comportements visés. Le règlement n°2019/1150 a été transposé à l’article L.442-1 du Code

de commerce par la loi DDADUE294. On le retrouve ainsi dans le droit des pratiques restrictives

bien que, comme précisé précédemment, c’est le vocable du droit antitrust qui est utilisé au

début du règlement.

C- Critiques du règlement

Il faut cependant nuancer l’application du règlement concernant le marché de la publicité en

ligne par exemple. En effet, il est précisé que :

« Le présent règlement ne devrait cependant s’appliquer ni aux services d’intermédiation en ligne de pair à pair en l’absence d’entreprises utilisatrices, ni aux services d’intermédiation en ligne interentreprises non proposés aux consommateurs, ni aux outils publicitaires en ligne, ni aux échanges publicitaires en ligne, qui ne sont pas proposés en vue de faciliter l’engagement de transactions directes et qui n’impliquent pas une relation contractuelle avec les consommateurs. »295

Cette exclusion apparaît à nouveau à l’article 1er du règlement :

« 3. Le présent règlement ne s’applique ni aux services de paiement en ligne, ni aux outils publicitaires en ligne, ni aux échanges publicitaires en ligne, qui ne sont pas proposés en vue de faciliter l’engagement de transactions directes et qui n’impliquent pas une relation contractuelle avec les consommateurs. »

Ainsi, sont exclus certains secteurs de l’application du règlement, notamment les services

d’intermédiation ou plateformes qui ne mettent en relation que des entreprises comme les

293 Article 7 du règlement (UE) 2019/1150. 294 Loi n°2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière. 295 Considérant 11 Règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne.

Page 100: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 99 sur 134

services de publicité en ligne ou outils publicitaires. Certains points peuvent tout de même

concernés le marché de la publicité en ligne. En effet, le règlement impose au fournisseur du

service une description des biens et services accessoires fournis en plus du service

d’intermédiation : la facturation pour régie publicitaire par exemple.

Globalement, le règlement est le bienvenu du fait qu’il apporte de la transparence au sein des

plateformes qui, comme nous avons pu l’exposer tout au long de ce mémoire, profitent parfois

de l’opacité de l’organisation de leurs activités. Cependant, de nombreux auteurs considèrent

que ce règlement est insuffisant.

Selon François Viangalli296, le règlement n’apporte pas, au vu de la complexité des questions

qui risqueront d’être soulevées en jurisprudence, toutes les réponses envisageables même s’il

constitue un instrument européen de premier plan pour le commerce du numérique.

Marie Malaurie-Vignal297, quant à elle, regrette l’absence de précision sur la nature juridique

du traitement internalisé des plaintes et sur la façon dont la plateforme va les traiter. Ainsi, elle

envisage l’hypothèse d’un traitement des plaintes automatisé par le biais d’algorithme et s’en

inquiète, bien qu’elle conclue qu’au vu de la vitesse du numérique, un système interne de

règlement des plaintes est un instrument pertinent car permettant d’agir très vite.

296 VIANGALLI François, « Le règlement européen du 29 juin 2019 sur les services d’intermédiation en ligne : de la loyauté commerciale à la transparence algorithmique », Revue Lamy Droit de l’Immatériel, n°175, 1er novembre 2020. 297 MALAURIE-VIGAL Marie, « La Cour suprême mondiale de Facebook : co-régulation ou défaite des États ? Réflexion sur les « médiations » du droit des pratiques commerciales déloyales », Contrats Concurrence Consommation n°10, Octobre 2020, étude 13.

Page 101: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 100 sur 134

II- DIGITAL SERVICES ACT ET DIGITAL MARKETS ACT

La Commission européenne a publié, le 15 décembre 2020, les projets de règlements Digital

Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) ayant pour ambition la mise en œuvre d’un

nouveau cadre de régulation, pour mettre fin à l’irresponsabilité des géants du numérique.

L’objectif est de parvenir à leur adoption début 2022.

Avec le même esprit que pour la directive Commerce électronique298, l’objectif de ce « paquet »

européen relatif au numérique serait de fixer des règles plus claires et modernes sur le rôle et

les obligations des intermédiaires en ligne, ainsi qu’un régime de gouvernance plus efficace299.

Le Digital Services Act est une proposition de règlement de la Commission qui a vocation à

remplacer la directive Commerce électronique, rédigée à un moment où le rôle et l’ampleur des

plateformes numériques étaient moindres300. Selon Brunessen Bertrand, la distinction opérée

par la directive Commerce électronique entre éditeur et hébergeur profite aux grandes

plateformes et ne correspond pas à la réalité de leur rôle très structurant. Le Digital Services

Act devrait donc porter sur le rôle et les obligations des intermédiaires en ligne et sur l’égalité

des conditions de concurrence sur les marchés numériques européens, en particulier sur la mise

en place d’éventuelles règles ex ante spécifiques aux plateformes numériques301. A titre

d’exemple, le Digital Services Act aurait pour conséquence une responsabilité accrue pour les

publications sur les plateformes de réseaux sociaux et marketplaces.

Le Digital Markets Act, quant à lui, devrait compléter le cadre juridique mis en place par le

règlement 2019/1150 et concerne l’équilibre des relations commerciales. La proposition DMA

s’intéresse dans un premier temps aux contrôleurs d’accès et aux obligations leur incombant

(A). En second lieu, c’est une régulation de ces gatekeepers par un contrôle ex ante et ex post

de leur puissance qui est envisagé (B).

298 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »). 299 IDOT Laurence, « Vers une régulation accrue des plateformes », Europe n°7, juillet 2020, alerte 41. 300 BERTRAND Brunessen, « Chronique Droit européen du numérique – La volonté de réguler les activités numériques », RTD eur. 2021. 160. 301 Commission européenne, Analyse d’impact initiale sur la révision du règlement (UE) n°330/2010, 23 octobre 2020.

Page 102: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 101 sur 134

A- La responsabilité particulière des contrôleurs d’accès La définition retenue par la Commission européenne pour définir les gatekeepers est restrictive.

Cette définition repose sur trois critères cumulatifs302 développés comme suit par Linda

Arcelin303. Selon le premier critère, l’entreprise doit être d’une taille telle qu’elle a une

incidence sur le marché intérieur : ce critère est déterminé par le dépassement d’un seuil de

chiffre d’affaires ou d’un seuil de capitalisation boursière. Le second critère prévoit que

l’entreprise doit exploiter un service de plateforme essentiel constituant un point d’accès

important des entreprises utilisatrices pour atteindre les consommateurs finaux : c’est le

nombre d’utilisateurs finaux actifs chaque mois et d’entreprises utilisatrices qui sont la base de

ce critère. Finalement, selon le dernier critère, l’entreprise doit finalement occuper une position

dont on s’attend à ce qu’elle soit bien ancrée et durable : cette condition est présumée remplie

si les deux précédentes conditions sont respectées au cours de chacun des trois derniers

exercices.

De nouvelles obligations devraient peser sur les plateformes ayant le statut de contrôleurs

d’accès. A titre d’exemple, ces plateformes structurantes devront permettre à des tiers

d’interagir avec leurs propres services dans certaines situations304 et aux entreprises utilisatrices

d’accéder aux données générées par leurs activités sur leur plateforme. Ainsi, les gatekeepers

devront déverrouiller les points d’entrée sur les marchés concernés, notamment via l’accès à

certaines données.

Il semble donc que les données générées par ces plateformes structurantes soient

potentiellement des infrastructures essentielles, notamment sur le marché de la publicité en

ligne. En effet, les contrôleurs d’accès auront également l’obligation de fournir aux entreprises

qui font de la publicité sur leurs plateformes les outils et les informations nécessaires pour que

les annonceurs et les éditeurs puissent effectuer leur propre vérification indépendante des

annonces publicitaires hébergées par le contrôleur d’accès305.

302 Voir article 3 1. et 2. proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur du numérique (législation sur les marchés numériques), 2020/0374 (COD). 303 ARCELIN Linda, « La régulation des gatekeepers par la proposition de Digital Markets Act (DMA) », Revue Lamy de la concurrence, n°104, 1er avril 2021. 304 Voir article 6 « Obligations susceptibles d’être précisées incombant aux contrôleurs d’accès » de la proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur du numérique (législation sur les marchés numériques), 2020/0374 (COD). 305 Paquet espace numérique: présentation du volet (2) « Digital market act », Actualités LexisNexis, 21 décembre 2020 ; voir article 5 (g) proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif aux marchés

Page 103: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 102 sur 134

Les pratiques ayant pour conséquence de favoriser les services des gatekeepers sont également

visées par la proposition de règlement : ces plateformes n’auraient plus la possibilité

d’empêcher les entreprises utilisatrices de promouvoir leur offre ou de conclure des contrats

avec leurs clients en dehors de leur plateforme306. Il semble que les pratiques d’Apple sur l’App

Store entrent dans le cadre de cette potentielle nouvelle interdiction : les développeurs

d’applications pourraient alors proposer aux utilisateurs l’achat des applications et leur accès

hors de l’App Store.

De la même façon, les contrôleurs d’accès ne pourront plus empêcher les consommateurs

d’accéder aux services d’entreprises en dehors de leurs plateformes ou de désinstaller des

logiciels ou des applications préinstallées s’ils le souhaitent307 : ces mesures permettront de

lutter contre le self-preferencing dont nous avons d’ores et déjà traité.

Nous pouvons considérer que ces obligations peuvent être organisées en deux catégories : les

obligations liant données et concurrence et les autres obligations contractuelles devant être lues

en combinaison avec celles du règlement P2B adapté lors de la loi DDADUE308.

contestables et équitables dans le secteur du numérique (législation sur les marchés numériques), 2020/0374 (COD). 306 Voir article 5 (b) (c) proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur du numérique (législation sur les marchés numériques), 2020/0374 (COD). 307 Voir article 6 (b) proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur du numérique (législation sur les marchés numériques), 2020/0374 (COD). 308 ARCELIN Linda, « La régulation des gatekeepers par la proposition de Digital Markets Act (DMA) », Revue Lamy de la concurrence, n°104, 1er avril 2021.

Page 104: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 103 sur 134

B- La régulation ex ante et ex post de la puissance des contrôleurs d’accès

1) Combattre les acquisitions prédatrices par un contrôle ex ante plus efficace

Selon le rapport d’information n°2451 de la Commission des affaires européennes309,

l’économie du numérique semble particulièrement favorable aux « acquisitions prédatrices »

ou « killer acquisitions ». Le rapport définit ces « killer acquisitions » comme « le rachat de

concurrents potentiels par des grandes entreprises, acquisitions qui peuvent réduire

l’innovation »310.

Selon Jean Tirole311, afin de contrer ces dites « killer acquisitions », les autorités de concurrence

doivent imposer aux entreprises Big Tech la notification des fusions et acquisitions. De plus,

Jean Tirole suggère de renverser la charge de la preuve auprès des entreprises dominantes en

cas d’acquisition intervenant au début de la vie d’une entreprise : les plateformes devront alors

démontrer en quoi la fusion est pro-concurrentielle.

A l’instar de Jean Tirole, le rapport d’information n°2451 attire l’attention sur le fait que ces

acquisitions ne font pas l’objet d’un contrôle des concentrations par les autorités de concurrence

dû à la faiblesse du chiffre d’affaires des entreprises.

Selon les données communiquées par l’Autorité de la concurrence, Google a absorbé 168

entreprises, dont Waze, Youtube et DoubleClick depuis 2008. Concernant Facebook, la firme

a acquis 71 entreprises dont les plus connues sont Instagram et Whatsapp. Le rapport n°3127

relatif aux plateformes numériques312 considère que ces acquisitions sont insuffisamment

contrôlées et permettent à certains acteurs d’accroître leurs positions sur certains marchés

numériques, et ce, au détriment de la concurrence. Cependant, ce même rapport apporte

diverses illustrations démontrant que, dans de nombreux cas, l’acquéreur « conserve ou

développe son activité ». A titre d’exemple, de par l’acquisition de Youtube, « Google s’appuie

sur la très forte complémentarité de ses deux services et valorise les données collectées par les

309 ANATO Patrice, LE GRIP Constance, Commission des affaires européennes, Rapport d’information n°2451 sur le droit européen de la concurrence face aux enjeux de la mondialisation, 27 novembre 2019. 310 Idem, p. 19. 311 TIROLE Jean, « Competition and the Industrial Challenge for the Digital Age », Toulouse School of Economics, 3 avril 2020. 312 FAURE-MUNTIAN Valéria, FASQUELLE Daniel, Commission des affaires économiques, Rapport d’information n°3127 sur les plateformes numériques, 24 juin 2020, p. 51.

Page 105: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 104 sur 134

recherches de l’utilisateur de son moteur de recherche », en étendant ses supports publicitaires

aux contenus vidéos. Ainsi, le rapport n°2451313 met en lumière les potentiels gains d’efficacité

entraînés par l’acquisition de start-ups comme moteur économique par les entrepreneurs

innovants.

Il est important de rappeler que la problématique des acquisitions prédatrices n’est pas une

caractéristique spécifique à l’économie du numérique. Une étude économique314 met en

évidence que ces manœuvres se retrouvent particulièrement dans le secteur pharmaceutique.

A l’occasion de la conférence « La régulation des plateformes numériques » organisée par la

Chaire Innovation & Régulation des Services numériques, le président du groupe de travail

« Competition Policy » de l’ETNO315, Marc Lebourges, a remarqué, en considération des

acquisitions prédatrices de Facebook316 notamment, que :

« pour des plateformes globales opérant sur des marchés bifaces avec des volumes d’activité considérables, mais sans chiffre d’affaires directement localisé dans les pays d’utilisation, les critères classiques comme les revenus et les prix ne sont plus suffisants pour que le droit de la concurrence apprécie le comportement des acteurs. A ce sujet, une doctrine solide sur les services gratuits dans le cadre du droit de la concurrence reste à construire ».

Les killer acquisitions ou acquisitions prédatrices ont été envisagées par la proposition DMA

par le prisme d’un contrôle ex ante. Ainsi, l’article 12 de la proposition DMA traite « des

obligations d’informer sur les concentrations » et précise que :

« Le contrôleur d’accès informe la Commission de tout projet de concentration au sens de l’article 3 du règlement (CE) nº 139/2004 impliquant un autre fournisseur de services de plateforme essentiels ou de tout autres services fournis dans le secteur numérique, que ce projet soit soumis ou non à une obligation de notification à une autorité de concurrence de l’Union en application du règlement (CE) nº 139/2004 ou à une autorité nationale de concurrence compétente selon les règles nationales en matière de concentrations. Le contrôleur d’accès informe la Commission de cette concentration avant sa réalisation et après la conclusion de l’accord, la publication de l’offre publique d’achat ou d’échange ou l’acquisition d’une participation de contrôle. »

313 ANATO Patrice, LE GRIP Constance, Commission des affaires européennes, Rapport d’information n°2451 sur le droit européen de la concurrence face aux enjeux de la mondialisation, 27 novembre 2019. 314 CUNNINGHAM C., EDERER F. et SONG M., « Killer acquisitions », 2017. 315 European Telecommunications Network Operators. 316 Voir l’autorisation par la Commission européenne du rachat de What’s App par Facebook sans condition ; Commission européenne, 3 octobre 2014, Facebook/WhatsApp, Affaire M. 7217.

Page 106: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 105 sur 134

Cependant, il ne semble pas que l’objet de cette information du contrôleur d’accès à la

Commission donne lieu à un véritable contrôle des concentrations comme le préconise Jean

Tirole et le rapport d’information n°2451 de la Commission des affaires européennes. Il semble

qu’il ait pour objet de permettre à la Commission européenne d’identifier les contrôleurs

d’accès et d’ajuster la surveillance des évolutions du secteur317. Linda Arcelin ne manque pas

de préciser que le texte est « malaisé à suivre » ce qui est déplorable, d’autant plus que l’article

ne va pas au bout de la réflexion en imposant un contrôle des concentrations à proprement parlé.

2) Les mesures correctives comportementales et structurelles dans le cadre du contrôle ex

post

L’article 16 de la proposition DMA apporte des informations concernant le pouvoir de sanction

et de régulation de la Commission : sont alors prévues des mesures correctives

comportementales et structurelles. Les mesures structurelles sont cantonnées au statut

d’alternatives de dernier recours en cas d’échec des mesures comportementales.318

Au titre des remèdes structurels, peut être cité le démantèlement, au cœur de nombreux débats

en Europe mais surtout aux États-Unis. Le démantèlement est envisagé par certains comme une

alternative plus efficace aux engagements et aux amendes. Aux États-Unis, l’affaire

emblématique de démantèlement dont nous avons traité en introduction est Standard Oil319.

Cependant, cette division en trente-trois unités de l’entreprise n’a pas empêché certaines entités

de se reconstituer afin de former de nouveaux géants320. Ainsi, même si la menace d’un

démantèlement paraît très dissuasive, son efficacité sur le long terme est incertaine, tout comme

les potentielles conséquences néfastes pour le consommateur final.

La solution des injonctions structurelles a été évoquée puis abandonnée dans la dernière

proposition du Digital Market Act (DMA). L’actuelle proposition de règlement traite des

injonctions structurelles de la façon suivante :

317 ARCELIN Linda, « La régulation des gatekeepers par la proposition de Digital Markets Act (DMA) », Revue Lamy de la concurrence, n°104, 1er avril 2021. 318 Article 16-2, « Enquête sur le marché portant sur le non-respect systémique », proposition DMA. 319 Standard Oil Co. of New Jersey v. United States, 221 U.S. 1 (1911). 320 RODA J.-C., « Le démantèlement des GAFAM : réelle menace ou coup de bluff », Recueil Dalloz, 30 janvier 2020, n°3.

Page 107: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 106 sur 134

« Une mesure corrective structurelle, telle que la séparation juridique, fonctionnelle ou structurelle, y compris la cession de toute activité ou de partie de celle-ci, ne devrait être imposée que s’il n’existe pas de mesure corrective comportementale qui soit aussi efficace ou si, à efficacité égale, cette dernière s’avérait plus lourde pour l’entreprise concernée que la mesure corrective structurelle. Les modifications apportées à la structure d’une entreprise telle qu’elle existait avant que le non-respect systématique ne soit constaté ne seraient proportionnées que s’il existe un risque important que ce non-respect systématique résulte de la structure même de l’entreprise concernée. »321

Ainsi, il semble que les mesures correctives structurelles soient limitées à un nombre de cas

extrêmement restreint. En France, il faut se préparer à un renforcement des pouvoirs de l’ADLC

puisqu’il est possible que l’injonction structurelle ne soit plus limitée au cadre de la procédure

d’engagement.

Selon Jean Tirole322, dans l’industrie de la tech, l’identification d’une structure stable et

essentielle n’est pas aisée. Les marchés en ligne ou digital markets sont en mouvance

permanente, ce qui complique l’identification, la collecte de données et la régulation des

structures essentielles, puisque les technologies et les demandes se transforment de façon

incessante. Outre cette difficile identification, Jean Tirole met en avant les conséquences d’un

potentiel démantèlement : la destruction des externalités de réseau. A titre d’exemple, si un

réseau social était amené à être démantelé, les utilisateurs seraient dispatchés dans deux ou trois

réseaux différents et tenteraient malgré tout de se retrouver sur une plateforme unique.

Une des solutions à l’intégration verticale, à la formation de conglomérats et à la mise en place

de puissants écosystèmes serait d’imposer aux entreprises dominantes l’interopérabilité des

données : cela constituerait une alternative efficace aux démantèlements des entreprises qui

continueraient de bénéficier de l’efficience et du rendement des intégrations323.

David Bosco considère que les réformes envisagées pour le secteur du digital, dont le Digital

Markets Act et le Digital Services Act, promettent de nouvelles perturbations de l’équilibre du

droit de la concurrence324. Selon lui, le constat que ce secteur souffre d’un déficit de

321 Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relative aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique, 15 décembre 2020 COM(2020) 842 final, 2020/0374 (COD), considérant 64. 322 TIROLE Jean, « Competition and the Industrial Challenge for the Digital Age », Toulouse School of Economics, 3 avril 2020. 323 CRÉMER Jacques, DE MONTJOYE Yves-Alexandre et SCHWEITZER Heiker, « Competition policy for the digital era », Commission européenne, 2019. 324 BOSCO David, « L’avenir du droit de la concurrence », Contrats Concurrence Consommation n°12, décembre 2020, dossier 15.

Page 108: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 107 sur 134

concurrence est encore discutable : se confronte encore la perspective de l’adoption de règles

spécifiques au secteur du numérique à la volonté d’une réforme générale du droit de la

concurrence.

Page 109: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 108 sur 134

CHAPITRE 2 – PISTES DE RÉFLEXIONS ET PROPOSITIONS QUANT À UNE FUTURE

RÉGULATION

En parallèle des nouvelles règlementations spécifiques aux plateformes, les critiques et les

propositions fusent. Parmi ces propositions, nous en retiendront quelques-unes, dont celles de

Marshall Steinbaum et Maurice E. Stucke aux États-Unis (I) ou de Marie-Anne Frison-Roche

en France (II). Nous pourrons ensuite mettre en exergue deux enjeux particulièrement

importants à prendre en compte dans le processus de régulation des plateformes, les données

personnelles (III) et les travailleurs des plateformes (IV).

I- L’APPROCHE D’UN NOUVEAU MOUVEMENT AUX ÉTATS-UNIS

Marshall Steinbaum et Maurice E. Stucke325 proposent une alternative au standard bien connu

en droit antitrust : le bien-être du consommateur. Ce standard est considéré comme dépassé et

trop restrictif par les deux auteurs. Ces derniers dénoncent le scénario récurrent du « winner

takes all », conséquence d’un environnement moins compétitif et d’une plus grande

concentration sur les marchés.

Leur essai propose diverses nouvelles approches du droit de la concurrence américain, dont

certaines concernent directement les plateformes. Leur objectif est de mieux comprendre les

failles dans le droit de la concurrence et dans son application afin d’y pallier de façon juste et

efficace.

Dans cette démarche, est proposée la poursuite de nouveaux objectifs par les juges et les

autorités de concurrence afin de promouvoir cette libre-concurrence326. De plus, est préconisée

la dispersion de la puissance privée (disperse private power). En limitant la concentration de la

puissance de marché des entreprises, les pressions et comportements anticoncurrentiels et

antidémocratiques seraient freinés. Dans un second temps, cela pourrait également permettre le

développement d’une distribution inclusive et équitable du pouvoir au sein des marchés.

325 STEINBAUM Marshall, STUCKE Maurice E., « The Effective Competition Standard: A New Standard for Antitrust », University of Chicago Law Review: Vol. 87, Issue 2, Article 11, 2020. 326 STEINBAUM Marshall, STUCKE Maurice E., « The Effective Competition Standard: A New Standard for Antitrust », University of Chicago Law Review: Vol. 87, Issue 2, Article 11, 2020, p. 602-603.

Page 110: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 109 sur 134

Marshall Steinbaum et Maurice E. Stucke s’intéressent également à la législation en place aux

États-Unis, notamment au Clayton Act327 et au Sherman Act328. Plus particulièrement, ils

considèrent que le panel de comportements unilatéraux pris en compte par la section 2 du

Sherman Act devrait être étendu329. A titre d’exemple, ils proposent la mise en place de

standards plus simples afin de juger de l’illégalité d’un refus de contracter (refusal to deal) ou

des accords sélectifs (exclusive dealing). En effet, ces pratiques d’éviction peuvent ériger des

barrières à l’entrée des marchés et posent particulièrement problème dans le secteur du

numérique. En effet, selon les auteurs, la mise en place de standards plus efficaces et sévères

concernant ces pratiques dissuaderait les plateformes ayant le statut de gatekeepers d’adopter

des comportements d’exclusion.

Leur réflexion se porte également sur l’avenir des textes antitrust américain. En effet, les deux

auteurs illustrent leur propos en s’inspirant de la législation allemande qui a été réformée afin

de mieux réguler les plateformes. En 2017, l’Allemagne a légiféré en droit de la concurrence

de façon à ce que les effets de réseaux directs et indirects soient des critères permettant

d’évaluer la position d’une entreprise sur un marché330. En prenant pour exemples les droits de

la concurrence étrangers mouvants et adaptés aux évolutions du numérique, Marshall

Steinbaum et Maurice E. Stucke regrettent la paralysie du droit antitrust américain. Les auteurs

attribuent cette inaction au caractère de « common law » du Sherman et du Clayon Acts, ainsi

que le fait qu’ils prévoient à la fois une responsabilité civile et pénale331.

Ainsi, les deux économistes et spécialistes du droit antitrust font des propositions tout au long

de leur essai afin d’adapter le standard du bien-être du consommateur qui, selon eux, est

dommageable à la libre-concurrence au regard de son interprétation et de son application. Deux

séries de propositions peuvent retenir notre attention car elles résonnent avec les critiques

émises tout au long de ce mémoire : l’établissement d’un nouveau faisceau d’indices concernant

le pouvoir de marché (A) et la mise en place d’une nouvelle démarche d’appréhension des

comportements potentiellement anticoncurrentiels (B).

327 Clayton Antitrust Act of 1914 (38 Stat. 730, codified at 15 U.S.C. §§12-27, 29 U.S.C. §§52-53). 328 Sherman Antitrust Act of 1890 (26 Stat. 209, 15 U.S.C. §§1-7). 329 STEINBAUM Marshall, STUCKE Maurice E., « The Effective Competition Standard: A New Standard for Antitrust », University of Chicago Law Review: Vol. 87, Issue 2, Article 11, 2020, p. 608-609. 330 Act Against Restraints of Competition amended by article 10 of the Act of 12 July 2018. 331 STEINBAUM Marshall, STUCKE Maurice E., « The Effective Competition Standard: A New Standard for Antitrust », University of Chicago Law Review: Vol. 87, Issue 2, Article 11, 2020, p. 619.

Page 111: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 110 sur 134

A- Établir un nouveau faisceau d’indices plus clair afin de déterminer le pouvoir de marché d’une entreprise

Pour Marshall Steinbaum et Maurice E. Stucke332, un standard de concurrence efficace

(effective competition standard), permettrait de promouvoir la concurrence et l’innovation dans

les marchés très concentrés. Ce standard serait basé sur divers indices permettant de mieux

appréhender le pouvoir de marché d’une entreprise. Nous allons nous pencher sur chacun de

ces indices.

La capacité unilatérale à fixer les prix ou les salaires, ou à facturer des prix supérieurs aux prix

concurrentiels ou des salaires inférieurs à la productivité marginale des travailleurs doit être

prise en compte. Par ce premier indice, les deux économistes ajoutent à l’indice bien connu de

la fixation unilatérale des prix la fixation de salaires trop faibles et incluent le bien-être des

salariés de l’entreprise dans le standard de concurrence efficace. Un second critère est envisagé

et renvoie de la même façon au bien-être des travailleurs : c’est la capacité unilatérale à

restreindre la production ou l’emploi.

La capacité à imposer des conditions contractuelles désavantageuses ou à inclure des termes

induisant un déséquilibre significatif entre les parties est aussi à prendre en considération. Ce

critère renvoie au déséquilibre significatif, d’ores et déjà pris en compte par le droit des

pratiques restrictives français. Ainsi, les économistes s’inspirent du petit droit de la concurrence

afin de mieux envisager la puissance de marché des entreprises.

L’essai ajoute à la liste deux critères permettant d’évaluer les conséquences du comportement

d’une entreprise sur ses concurrents : la capacité à exclure des concurrents ou à entraver l’entrée

sur un marché (érection de barrières à l’entrée) et la capacité à discriminer par le prix ou par les

salaires.

Finalement, les auteurs tiennent compte de la capacité d’une entreprise à réaliser des bénéfices

ou à effectuer des paiements aux actionnaires au-delà du coût du capital d’une entreprise

pendant une période prolongée de temps. Cet indice est nouveau et montre l’intérêt aigu pour

332 STEINBAUM Marshall, STUCKE Maurice E., « The Effective Competition Standard: A New Standard for Antitrust », University of Chicago Law Review: Vol. 87, Issue 2, Article 11, 2020, p. 606-607.

Page 112: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 111 sur 134

les entreprises fonctionnant grâce aux investisseurs privés sans faire de bénéfices pendant de

longue période.

A travers ces propositions d’indices, nous pouvons nous rendre compte que Marshall Steinbaum

et Maurice E. Stucke envisagent le droit de la concurrence comme un outil de protection du

marché, des travailleurs, des consommateurs et des concurrents. L’ensemble de l’écosystème

dans lequel évolue l’entreprise doit être scruté afin d’appréhender son pouvoir de marché et en

définitive mieux saisir les conséquences de ses comportements.

B- Renforcer et mettre à jour la politique de concurrence et l’application de la section 2 du Sherman Act

Ce faisceau d’indices devrait alors permettre de renforcer et de mettre à jour la politique de

concurrence et l’application de la section 2 du Sherman Act. En effet, l’analyse des

comportements potentiellement anticoncurrentiels se ferait en trois étapes, dont la première est

l’exercice d’un pouvoir de marché significatif, déterminé par ce faisceau d’indices. De plus, ce

pouvoir de marché devra être de nature à exclure la potentielle concurrence et/ou à limiter la

compétition. Finalement, le pouvoir de marché ne devra pas être dû uniquement aux capacités

de l’entreprise, aux économies d’échelle, à la recherche et aux avantages naturels. Ainsi, les

économistes réservent les gains d’efficacité et la concurrence par les mérites qui ont une place

importante dans la doctrine de concurrence américaine.

II- LA RÉGULATION DES « ENTREPRISES CRUCIALES »

Selon Marie-Anne Frison-Roche, il faut réguler les « entreprises cruciales ». Deux approches

de cette catégorie d’entreprises, une négative et une positive, sont proposées par Marie-Anne

Frison-Roche. Ainsi, « l’entreprise cruciale est négativement celle dont la défaillance entraîne

l’effondrement du système » tandis que « l’entreprise est positivement cruciale si, à travers elle,

le secteur est orienté vers des finalités au service de l’avenir du groupe social »333.

L’approche par la notion « d’entreprise cruciale » prend en considération un cas de figure nous

intéressant : la régulation d’une entreprise ayant pour objectif de conquérir un espace crucial.

Dans le cadre de l’étude de la régulation des « entreprises cruciales », il est précisé que cette

conquête peut prendre la forme d’acquisitions prédatrices telles que les killer acquisitions dont

333 FRISON-ROCHE Marie-Anne, « Réguler les ‘entreprises cruciales’ », Recueil Dalloz, Chronique Concurrence, 24 juillet 2014, n°27.

Page 113: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 112 sur 134

nous avons déjà traitées. Cependant, pour Marie-Anne Frison-Roche, l’abaissement des seuils

de contrôle des concentrations ne résoudrait pas ce défi car il n’est qu’un « instant de

régulation » et n’est donc pas un instrument de régulation.

Afin de justifier la création d’une catégorie juridique « d’entreprises cruciales » à réguler

particulièrement, Marie-Anne Frison-Roche rappelle qu’il existe d’ores et déjà des « entreprises

systémiques » telles que les banques et établissements financiers. La régulation de ces

entreprises prendrait alors la forme d’une intervention de l’État au sein même des entreprises

cruciales, par le biais d’une représentation dans les organes sociétaires, notamment au sein du

conseil d’administration ou du conseil de surveillance afin d’exercer une mission de

surveillance de l’entreprise. Cette immixtion de la politique de l’État au sein d’entreprises

privées serait justifiée par la puissance déployée par ces entreprises au sein de nos sociétés.

A titre d’exemple, Google, via une stratégie de rachat de start-ups telles que Titan334, Skybox335

ou Word Lens336, a pour objectif de capter les informations publiques et privées afin de

construire des métadonnées. En effet, Eric Schimdt et Jared Cohen ont pu développer leurs

ambitions dans le livre The New Digital Age337 :

« L’ordinateur excelle dans le domaine de la reconnaissance de schémas reproductibles ainsi que dans la résolution de problèmes souvent hors de portée. Ainsi, avec davantage de données, les algorithmes informatiques pourront calculer des prédictions et des corrélations avec plus de précisions – plus rapidement et avec plus d’exactitude que n’importe quel être humain » 338 (Computers are very good at recognizing patterns and solving needle-in-the-haystack problems, so with more data, computer algorithms can compute more precise predictions and correlations – faster and with more accuracy than any human).

L’avenir prometteur du secteur des données personnelles soulève des inquiétudes que formulent

Marie-Anne Frison-Roche. Le développement des métadonnées pourrait mener à une

connaissance totale du monde ce qui permettrait à Google de « vendre le futur » et d’en avoir

334 Titan : entreprise fabricante de drones permettant à Google de capter les images afin d’alimenter Google Maps. 335 Skybox : entreprise en charge de la gestion des télécommunications par satellite. 336 Word Lens : entreprise dans le secteur de la traduction en langage permettant l’amélioration de Google Translation. 337 SCHIMDT Eric, COHEN Jared, The New Digital Age, Reshaping the Future of People, Nations and Business, John Murray, 2013. 338 SCHIMDT Eric, COHEN Jared, The New Digital Age, Reshaping the Future of People, Nations and Business, John Murray, 2013, p. 146.

Page 114: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 113 sur 134

le monopole339. Cette perspective permet donc à Marie-Anne Frison-Roche de catégoriser

Google comme « entreprise cruciale » justifiant un certain niveau de surveillance de la part des

États concernant son mode de fonctionnement et son développement futur.

III- LES ENJEUX LIÉS AUX DONNÉES PERSONNELLES

L’accès à une masse importante de données diverses est un facteur de compétitivité sur certains

marchés et leur collecte peut ainsi constituer une barrière à l’entrée si de nouveaux entrants ne

sont pas en mesure de collecter ou d’acheter le même type de données que les entreprises déjà

en place340. Ainsi, plusieurs comportements anticoncurrentiels découlent de la détention et de

l’acquisition des données personnelles. Les plateformes numériques possèdent la plupart du

temps un grand volume de données et sont donc à l’origine de ces comportements

répréhensibles.

Concernant les fusions et acquisitions, l’OCDE, dans un rapport datant de 2015, a indiqué que

dans les secteurs liés aux données, « le nombre des fusions et acquisitions (M&A) a rapidement

augmenté de 55 opérations en 2008 à près de 164 en 2012 »341.

Nous pouvons prendre pour exemple le rachat de WhatsApp par Facebook342 : à l’occasion de

la décision de validation de l’opération de concentration en 2014, Facebook avait soutenu

devant la Commission européenne l’impossibilité technique de mettre en correspondance les

identités des utilisateurs de Facebook et celles des utilisateurs de WhatsApp. Cependant, la

Commission européenne a constaté que Facebook avait menti et le réseau social a écopé d’une

amende de 110 millions d’euros le 18 mai 2017343. Cette non-conformité en matière de données

personnelles perdure puisque la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés)

a mis en demeure WhatsApp fin 2017 pour transfert illégal de données personnelles à sa maison

mère Facebook344. Selon la CNIL, l’application de messagerie transmet les données,

notamment les numéros de téléphone de ses 10 millions d’utilisateurs, à sa maison mère depuis

339 FRISON-ROCHE Marie-Anne, « Réguler les ‘entreprises cruciales’ », Recueil Dalloz, Chronique Concurrence, 24 juillet 2014, n°27. 340 ADLC et Bundeskartellamt, Droit de la concurrence et données, Rapport, 10 mai 2016, p. 13. 341 OCDE, Data-Driven Innovation: Big Data for Growth and Well-Being, OCDE Publishing, Paris (2015), p. 94. 342 Commission européenne, 3 octobre 2014, Facebook/WhatsApp, Affaire M. 7217. 343 Communication de la Commission, Concentrations: la Commission inflige 110 millions EUR à Facebook pour avoir fourni des renseignements dénaturés concernant l’acquisition de WhatsApp, 18 mai 2017. 344 MARCHAND Leïla, « La CNIL met en demeure WhatsApp pour transfert illégal de données personnelles », Les Échos, décembre 2017.

Page 115: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 114 sur 134

2014, sans aucune base légale. S’ajoute à ces numéros de téléphone les informations relatives

aux habitudes d’utilisation des utilisateurs de WhatsApp. Cependant, la loi Informatique et

libertés345 impose le recueillement du consentement des utilisateurs avant de procéder au

partage de leurs données personnelles346. Cette procédure est toujours en cours et devrait trouver

une issue en 2021347.

Outre les fusions et les acquisitions, certaines pratiques d’éviction privant certains concurrents

de l’accès aux données ont des conséquences néfastes sur la concurrence et peuvent parfois

entraîner l’exclusion d’acteurs du marché en question348.

Selon la théorie des infrastructures essentielles développées notamment par la Cour de Justice

de l’Union européenne :

« celui qui, en situation de monopole ou de domination sur un marché, détient une infrastructure essentielle, non reproductible dans des conditions économiques raisonnables, ressource sans laquelle des concurrents ne pourraient servir leurs clients ou exercer leur activité, peut être contraint de permettre à ses concurrents d’accéder à cette ressource, afin de protéger le jeu de la concurrence sur un marché aval, amont ou complémentaire. »349

Ainsi, pour que les données personnelles soient qualifiées de « facilités » essentielles, les

données visées doivent être véritablement uniques et le concurrent ne doit pas pouvoir les

obtenir autrement pour fournir ses services350.

Pour conclure, le rapport sur les données massives de l’OCDE351 suggère que les pratiques

d’exclusion ainsi que les comportements prédateurs fondés sur la détention et l’exploitation

d’importantes bases de données ont des conséquences dommageables pour la concurrence.

Entre autres, ces pratiques peuvent « limiter l’accès des concurrents à des données

fondamentales, empêcher les autres de partager des données, restreindre la transférabilité des

345 Loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés comportant notamment les dispositions relatives aux « marges de manœuvres nationales » autorisées par le RGPD. 346 GRUHIER Camille, « Données personnelles : WhatsApp mis en demeure », Que Choisir, 20 décembre 2017. 347 GRUHIER Camille, « Données personnelles: WhatsApp partagera vos données avec Facebook », Que Choisir, 9 janvier 2021. 348 ADLC et Bundeskartellamt, Droit de la concurrence et données, Rapport, 10 mai 2016, p. 20. 349 Cour de cassation, Rapport annuel 2005, L’innovation technologique : Cass. Com. 12 juillet 2005, n°04-12.388 (Bull n°163). 350 CJCE, 26 novembre 1998, Bronner, aff. C-7/97, §44-45. 351 OCDE, Données massives: adapter la politique de la concurrence à l’ère du numérique, DAF/COMP(2016)14, 21 novembre 2016, p. 24.

Page 116: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 115 sur 134

données ou exclure les rivaux qui menacent l’avantage concurrence, lié aux données, d’une

entreprise en place »352.

Il semble donc que la régulation des plateformes doive nécessairement prendre en considération

les enjeux liés aux données personnelles.

IV- RÉGULER LES PLATEFORMES NUMÉRIQUES DE TRAVAIL

La rédaction d’un rapport intitulé « Réguler les plateformes numériques de travail » a été confié

par le Premier ministre à une commission sous l’autorité de l’ancien président de la chambre

sociale de la Cour de cassation, Jean-Yves Frouin353. Cependant, ce rapport ne concerne que

les plateformes de mobilité : VTC, moniteur d’auto-école et plateformes de livraison354.

Le rapport poursuit un double objectif fixé par le gouvernement : le renforcement du socle de

droit dont bénéficient les travailleurs des plateformes tout en préservant la flexibilité de la main

d’œuvre ainsi que la sécurisation de la relation entre plateformes et travailleurs. Il est donc

question de conserver la « flexi-sécurité » à l’origine des dernières réformes du Code du travail,

notamment le statut souple d’indépendant. En effet, ce statut d’indépendant ne devrait pas être

remis en question car cela contredirait le modèle économique des plateformes.

Pourtant, l’entreprise Just Eat a annoncé vouloir salarier 4 500 livreurs en CDI en 2021355 afin

de « proposer une solution autre de livraison, plus responsable ». Jérôme Pimot, cofondateur

du Collectif des livreurs autonomes de Paris, met en garde quant à l’avenir de cette décision :

« Tous les livreurs sont payés à l’heure et non à la course, qu’ils soient sur le terrain ou non, ce

qui leur assure une garantie de revenus quelle que soit leur activité journalière. […] Mais, à

moyen ou long terme, on risque de se retrouver avec une minorité à temps plein et des tas de

petits contrats, voire de l’intérim, parce qu’il faudra quand même de la flexibilité pour s’adapter

à la demande ».

352 Idem, p. 24. 353 FROUIN Jean-Yves, avec le concours de BARTEFY Jean-Baptiste, Réguler les plateformes numériques de travail, Rapport au Premier ministre, 1er décembre 2020. 354 DAUGAREILH Isabelle, PASQUIER Thomas, « Controverse : La situation des travailleurs des plateformes : l’obligation de recourir à un tiers employeur doit-elle être encouragée ? », Rev. Trav. 2021. 14. 355 AIZICOVICI Francine, « ‘Une solution de livraison plus responsable’ : Just Eat change de modèle et passe au salariat », Le Monde, 20 février 2021.

Page 117: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 116 sur 134

En l’espèce, c’est la protection des droits des travailleurs par la régulation qui nous intéressera.

Comme à chaque tentative de régulation des plateformes, le législateur, et en l’espèce le rapport,

se heurte à la diversité des plateformes : les plateformes de travail n’ont pas le même modèle,

elles diffèrent notamment en fonction des montages contractuels et des algorithmes utilisés.

Cela suppose alors une analyse casuistique qui complique la régulation.

Le rapport envisage deux voies concernant la régulation de ces plateformes de travail

protéiformes : le recours au tiers employeur sous la forme d’une affiliation obligatoire à une

société de portage, ou une définition plus précise de l’indépendance dans le cas des travailleurs

de plateformes. Est également proposée par le rapport une régulation collective du secteur par

délégation à des acteurs tiers356. Le second volet du rapport propose un cadre au dialogue social,

cependant, le législateur a fait le choix de l’autorégulation par le biais de charte unilatérale.

Après la remise du rapport Frouin au ministre du Travail fin décembre 2020, l’ordonnance

n°2021-484 du 21 avril 2021357 a été publiée. L’ordonnance est relative au périmètre de la

représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes dans

le secteur d’activités des VTC et dans celui des livraisons à vélo, scooter ou tricycle. Ainsi,

dans ces deux secteurs d’activité représentant environ 100 000 travailleurs, une élection

nationale, à tour unique et par vote électronique, sera organisée afin de permettre aux

travailleurs indépendants de désigner les organisations qui les représenteront358. Par ailleurs,

l’ordonnance met en place la création d’une Autorité des relations sociales des plateformes

d’emploi (ARPE) chargée de la régulation des relations sociales entre plateformes et travailleurs

indépendants.

Le rapport Frouin ne cible qu’une petite catégorie de plateformes, à titre d’exemple, les

plateformes telles qu’Amazon ou encore Booking ne sont pas concernées. Par ailleurs, le

règlement 2019/1150 Platform to Business, antérieur au rapport Frouin, propose déjà un

renforcement des relations contractuelles et une information plus importante pour les

travailleurs, ce qui peut paraître redondant359.

356 Idem. 357 Ord. n°2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation a été publiée. 358 DECHRISTÉ Caroline, « Première étape vers une représentation et un dialogue social au sein des plateformes », Dalloz Actualité, Social, 29 avril 2021. 359 RODA Jean-Christophe, Conférence, Réguler les plateformes numériques du travail, sous la direction scientifique de Laurène Gratton, 9 avril 2021.

Page 118: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 117 sur 134

CONCLUSION

Nous avons pu observer, tout au long de ce mémoire, que le contentieux des plateformes peut

mobiliser le droit du travail, le droit de la compliance, le droit des pratiques anticoncurrentielles,

le droit des pratiques restrictives de concurrence ou encore le droit de la concurrence

déloyale360. Cependant, l’application de ces droits, lorsqu’il s’agit de comportements des

plateformes, présente des failles. Pour cette raison, les modes de fonctionnement des

plateformes sont toujours plus scrutés et des efforts considérables sont dédiés au renforcement

de leur régulation. Ce renforcement peut se faire par le biais de multiples outils dont nous avons

pu discuter à l’occasion de la seconde partie de ce mémoire.

David Bosco met l’accent sur le double phénomène qu’a entraîné la remise en question de

l’efficacité du droit de la concurrence lorsque confronté aux enjeux du numérique : le droit de

la concurrence a été perturbé et dépassé361. Perturbé car la mise en œuvre du droit de la

concurrence est « trop lourde, trop lente, et les standards sont trop exigeants pour réguler

efficacement le numérique ». Dépassé puisque l’ajout d’un « New Competition Tool » (NTC)

en droit de la concurrence est débattu. Cet outil permettrait aux autorités de concurrence

d’intervenir sur des marchés en l’absence d’infractions anticoncurrentielles ou de dépassement

des seuils en matière de concentration. Selon David Bosco, l’opérateur dominant supportera

une sorte de « responsabilité sans faute » avec l’application d’un tel outil, ce qui remet en cause

la conception classique, traditionnel du droit de la concurrence.

Christiane Féral-Schuhl attribue cette remise en cause de l’application du droit de la

concurrence aux pratiques des plateformes aux solutions trop tardives qu’il offre362. Elle

propose ainsi la mise en place de principes directeurs généraux permettant de construire

rapidement des « règles du jeu équitables ».

En effet, une critique ressort particulièrement de ce mémoire : le secteur du numérique, et donc

celui des plateformes, est mouvant et les pratiques changent fréquemment, ce qui implique une

adaptation du droit qui doit également être évolutif et souple. Cela appelle donc à envisager la

360 MALAURIE-VIGNAL Marie, « Concurrence déloyale des plateformes électroniques », Contrats Concurrence Consommation n°3, Mars 2020, comm. 41. 361 BOSCO David, « L’avenir du droit de la concurrence », Contrats Concurrence Consommation n°12, décembre 2020, dossier 15. 362 FÉRAL-SCHUHL Christiane, Cyberdroit, le droit à l’épreuve de l’Internet, Praxis Dalloz, 8ème édition, 2020-2021.

Page 119: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 118 sur 134

soft law, ou alors la compliance363, tout en conservant une certaine sécurité et prévisibilité

juridique. Les législateurs et autorités de concurrence poursuivent donc la mise en place d’un

équilibre qui permettrait de concilier les objectifs de régulation efficace et de flexibilité.

Plusieurs obstacles se dressent face aux ambitions des législateurs et des autorités de

concurrence. Le premier obstacle tient aux caractères des plateformes.

Tout d’abord, le caractère protéiforme des plateformes rend leur définition délicate364 : ces

plateformes ont en commun un potentiel de développement rapide, s’appuyant sur les nouvelles

technologies et les services en ligne, qui peuvent leur permettre « d’accéder à moindre coût à

des marchés potentiels très vastes » et de « mettre en relation des utilisateurs quasiment du

monde entier »365.

Ensuite, selon Bruno Oppetit, le caractère transnational des plateformes suppose un

dépassement de la dialectique États-entreprises366. Ainsi, une alternative à la régulation telle

que nous la connaissons pourrait être la co-régulation entre entreprises et État(s), notamment

via les modes alternatifs de règlement des différends. Cependant, Marie Malaurie-Vignal367

insiste sur l’importance d’un encadrement strict permettant de contrer les captations du pouvoir

régulatoire et de sanction par les géants du numérique.

La régulation des plateformes s’avère particulièrement difficile en raison du ciblage qui diffère

selon les autorités et les législateurs concernés. A titre d’exemple, l’Arcep368 privilégie le

ciblage de « grands acteurs structurants pour l’économie du numérique »369 – notion non définie

– tandis que le Conseil national du numérique lui préfère la catégorie des plateformes « dotées

de la plus forte capacité de nuisance ».

363 Voir la sous-section sur la régulation des ‘entreprises cruciales’ par Marie-Anne Frison-Roche. 364 VANNI Philippe, LACRESSE Alexandre, « Concurrence déloyale et plateformes en ligne », Revue Lamy de la concurrence, n°100, 1er décembre 2020. 365 Direction Générale Trésor, Plateformes numériques et concurrence, n°250, Novembre 2019, p. 2. 366 OPPETIT Bruno, « Les sociétés multinationales et les États nationaux » : Mélanges Bastian, 1974, t. 1, p. 161 s. 367 MALAURIE-VIGAL Marie, « La Cour suprême mondiale de Facebook : co-régulation ou défaite des États ? Réflexion sur les « médiations » du droit des pratiques commerciales déloyales », Contrats Concurrence Consommation n°10, Octobre 2020, étude 13. 368 Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes. 369 ARCEP, Régulation du numérique : l’Arcep trace les contours d’une régulation nouvelle pour le numérique, Communiqué de presse, 7 septembre 2020.

Page 120: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 119 sur 134

Finalement, un dernier obstacle complexifie la régulation des plateformes : la création de

nouveaux objectifs du droit de la concurrence. Nous avons pu constater qu’aux États-Unis,

Marshall Steinbaum et Maurice E. Stucke suggèrent la poursuite de nouveaux objectifs par les

juges et les autorités de concurrence tels que le bien-être des salariés. De la même façon en

France, David Bosco se pose la question suivante : « Devrait-on appliquer les règles de

concurrence d’une manière qui soit compatible avec les problématiques environnementales,

avec la lutte contre la pauvreté, ou encore avec la préservation des emplois européens ? »370.

La poursuite de nouveaux objectifs doit permettre de mieux appréhender le pouvoir des

plateformes et donc de mieux les réguler, cependant ces critères étant nouveaux, le consensus

sur leur détermination et leur définition n’est pas atteint et ne simplifie pas la tâche de régulation

d’ores et déjà de taille.

Ainsi, quand bien même de nouvelles législations adaptées aux comportements des plateformes

voyaient le jour, leur impact sera difficilement prévisible. En effet, selon Thierry Pénard, toute

nouvelle régulation est comme un nouveau médicament qui devrait faire l’objet de tests

« cliniques » pour en connaître les effets secondaires sur l’écosystème de l’Internet371. Ainsi,

une nouvelle régulation spécifique doit rester une solution de dernier ressort. Cependant, cette

position date de 2015, pouvons-nous considérer qu’en 2021 la solution de dernier ressort est

celle de la régulation spécifique ? Nous avons eu l’occasion de développer les possibles

adaptations du droit de la concurrence sous toutes ces formes, grand et petit, pour arriver à une

meilleure prise en compte des défis que représentent les plateformes structurantes. La réponse

ne s’impose pas d’elle-même, néanmoins, la potentielle mise en vigueur des règlements

européens Digital Markets Act et Digital Services Act pourront certainement nous éclairer et

jouer le rôle de « médicaments ».

370 BOSCO David, « L’avenir du droit de la concurrence », Contrats Concurrence Consommation n°12, décembre 2020, dossier 15. 371 PÉNARD Thierry, « Réguler les plateformes : une fausse bonne idée », L’Opinion, 23 avril 2015.

Page 121: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 120 sur 134

BIBLIOGRAPHIE

I- TRAITÉS, DICTIONNAIRES ET OUVRAGES GÉNÉRAUX AUGUET Yvan, GALOKHO Cheik, RIERA Alexandre, Droit de la concurrence, Ellipses, 2020. COMBE Emmanuel, Économie et politique de la concurrence, Dalloz, 2ème édition, 2020. DECOCQ André, DECOCQ Georges, Droit de la concurrence, Droit interne et droit européen, LGDJ, 8ème édition, 2018. ITEANU Olivier, Quand le digital défie l’État de droit, Eyrolles, 2016. MAINGUY Daniel, DEPINCÉ Malo, CAYOT Mathilde, Droit de la concurrence, LexisNexis, 3ème édition, 2019. NOURISSAT Cyril, DE CLAVIÈRE BONNAMOUR Blandine, Droit de la concurrence – Libertés de circulation, Dalloz, Hypercours, 2020. RODA Jean-Christophe, Droit de la concurrence, Dalloz, Mémentos, 1ère édition, 2019. VILLEMONTEIX Marianne, Droit de la concurrence, Gualino, Mémentos, 2ème Edition, 2020/2021, p. 50.

II- OUVRAGES SPÉCIAUX, MONOGRAPHIES ET THÈSES BIDAUD Laila, La délimitation du marché pertinent en droit français de la concurrence, thèse, Montpellier, 2001. BOUSTANY Philippe, La notion de marché en droit européen de la concurrence, thèse, Paris II, 2004. CARTAPANIS Marie, Innovation et droit de la concurrence, thèse, Aix-Marseille, 2017. FÉRAL-SCHUHL Christiane, Cyberdroit, le droit à l’épreuve de l’Internet, Praxis Dalloz, 8ème édition, 2020-2021. SCHIMDT Eric, COHEN Jared, The New Digital Age, Reshaping the Future of People, Nations and Business, John Murray, 2013.

III- RÉPERTOIRES ET OUVRAGES PRATIQUES Britannica, The Editors of Encyclopaedia. "Standard Oil." Encyclopedia Britannica, March 24, 2020. Commission européenne, DG Concurrence, Glossaire des termes employés dans le domaine de la politique de concurrence de l’Union européenne, Antitrust et contrôle des opérations de concentrations, Juillet 2002.

Page 122: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 121 sur 134

FRISON ROCHE Marie-Anne (sous la direction de), Internet, espace d’interrégulation, Thèmes et Commentaires, Dalloz, 2016. PICOT Yves, AUGUET Yvan, DORANDEU Nicolas, Concurrence déloyale, Répertoire IP/IT et Communication, Dalloz, Octobre 2010. SRNICEK Nick, Capitalisme de plateforme. L’hégémonie de l’économie numérique, Montréal, Lux. Éditeur, 2018 ZINTY Stéphane, Droit commun des plateformes numériques – Le déroulement de la relation entre la plateforme et les usagers, JurisClasseur Contrat-Distribution, LexisNexis, 1er novembre 2019.

IV- ARTICLES ARCELIN Linda, « La régulation des gatekeepers par la proposition de Digital Markets Act (DMA) », Revue Lamy de la concurrence, n°104, 1er avril 2021. BASEX Michel, THIRY Bernard, « Interdiction faite à Coca-Cola de racheter Orangina », AJDA, 1999, p.611. BLUMANN Claude, « Conclusions du colloque international des jeunes chercheurs : la soft law en droit en l’Union Européenne », Rev. UE 2014. 225. BRUNESSEN Bertrand, « Chronique Droit européen du numérique – La volonté de réguler les activités numériques », RTD eur. 2021. 160. BOSCO David, « L’avenir du droit de la concurrence », Contrats Concurrence Consommation n°12, décembre 2020, dossier 15. CHAIEHLOUDJ Walid, « Pour la consécration d’une notion éversive : la position dominante ‘de crise’ », Recueil Dalloz, D. 2021.809. CHONÉ-GRIMALDI Anne-Sophie, « Les abus de position dominante dans le secteur numérique (réflexions à partir de la décision Google-Android », Recueil Dalloz, 2020, p. 343. CHRISTENSEN Clayton, « The Innovator’s Dilemma », Harvard Business School Press, 1997. CLAUDEL Emmanuel, « L’abus de dépendance économique : un sphinx renaissant de ses cendres ? », RTD com. 2016. 460. CLAUDEL Emmanuelle, « Numérique : le droit de la concurrence français à l’offensive », RTD Com. 2020, 806. DAUGAREILH Isabelle, PASQUIER Thomas, « Controverse : La situation des travailleurs des plateformes : l’obligation de recourir à un tiers employeur doit-elle être encouragée ? », Rev. Trav. 2021. 14.

Page 123: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 122 sur 134

DECHRISTÉ Caroline, « Première étape vers une représentation et un dialogue social au sein des plateformes », Dalloz Actualité, Social, 29 avril 2021. DEPINCÉ Malo, « Du consommateur fidèle au consommateur captif : analyse du droit du marché », Revue Lamy droit des affaires, n°150, 1er juillet 2019. ENCAOUA David, « Pouvoir de marché, stratégies et régulation : les contributions de Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014 », Revue d’économie politique, n°1, janv.-fév. 2015, p. 176. FISHER Franklin, « Horizontal Mergers: Triage and Treatment », Journal of Economic Perspectives, vol. 1 n°2, 1987. FROT Emmanuel, « Le concept d’élasticité de la demande en économie de la concurrence », Revue Lamy de la concurrence, n°50, RLC 2976, mai 2016. IDOT Laurence, « Vers une régulation accrue des plateformes », Europe n°7, juillet 2020, alerte 41. KAN Lina, « Amazon’s Antitrust Paradox », The Yale Law Journal, Janvier 2017, 564-907. MALAURIE-VIGAL Marie, « La Cour suprême mondiale de Facebook : co-régulation ou défaite des États ? Réflexion sur les « médiations » du droit des pratiques commerciales déloyales », Contrats Concurrence Consommation n°10, Octobre 2020, étude 13. MALAURIE-VIGNAL Marie, HEINTZ Dominique et LÉCOLE Marion, « Comment appréhender les abus et l’utilisation des données dans la relation d’une plateforme avec ses partenaires contractuels? », Contrats Concurrence Consommation n°12, LexisNexis, Décembre 2020, dossier 16. MASMI-DAZI Fayrouze, « Droits voisins, Acte II : en appel, Google dévoile un pan de son plan de bataille », Dalloz actualité, 21 octobre 2020. MASMI-FAZI Fayrouze, « Accord sur les droits voisins : miroir aux alouettes ou avancée ? », Dalloz Actualités, 4 février 2021. NOURISSAT Cyril, « Colloque, Avant-propos, Réseaux de distribution et vente en ligne : évolutions jurisprudentielles et questions à venir », Revue Lamy de la concurrence, n°38, 1er janvier 2014. O’REILLY Tim, « Government as a Platform », Innovations: Technology, Governance, Globalization, vol. 6, n°1, 2011, p. 13 à 40. PETIT Nicolas, « Technology Giants, The “Monigopoly” Hypothesis and Holistic Competition: A Primer », Working Paper, Université de Liège, octobre 2016. PETIT Nicolas, « EU engaged in antitrust gerrymandering against Google », The Hill, 31 juillet 2018. PHILIPPE Jérôme, « La mesure du marché pertinent », Revue française d’économie, volume 13, n°4, 1998, pp. 125-159.

Page 124: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 123 sur 134

RODA Jean-Christophe, « Sale temps pour les plateformes », Gazette du palais, 17 septembre 2019. RODA Jean-Christophe, « Google dans la tourmente concurrentielle », Recueil Dalloz 2020, p. 2176. RODA Jean-Christophe, « Le démantèlement des GAFAM : réelle menace ou coup de bluff », Recueil Dalloz, 30 janvier 2020, n°3. RODA Jean-Christophe, « Les plateformes et la vieille dame », Gazette du Palais, 15 décembre 2020, p. 3. STEINBAUM Marshall, STUCKE Maurice E., « The Effective Competition Standard: A New Standard for Antitrust », University of Chicago Law Review, Vol. 87, Issue 2, Article 11, 2020. TIROLE Jean, « Competition and the Industrial Challenge for the Digital Age », Toulouse School of Economics, 3 avril 2020. VANNI Philippe, LACRESSE Alexandre, « Concurrence déloyale et plateformes en ligne », Revue Lamy de la concurrence, n°100, 1er décembre 2020. VIANGALLI François, « Le règlement européen du 29 juin 2019 sur les services d’intermédiation en ligne : de la loyauté commerciale à la transparence algorithmique », Revue Lamy Droit de l’Immatériel, n°175, 1er novembre 2020.

V- CHRONIQUES, NOTES, CONCLUSIONS ET COMMENTAIRES DE JURISPRUDENCE

BERTRAND Brunessen, « Chronique Droit européen du numérique – La volonté de réguler les activités numérique », RTD eur. 2021. 160. BONNET Philippe, GAUCLERE Manon, « L’Autorité de la concurrence allemande sanctionne Facebook pour abus de position dominante », Actualité Deprez Guignot Associé, 14 mars 2019. BOSCO David, « Contentieux Facebook en Allemagne : la décision du Bundeskartellamt censurée », Contrats Concurrence Consommation n°10, Octobre 2019, comm. 161. CHAIEHLOUDJ Walid, « États-Unis : La Cour Suprême des États-Unis juge que le marché des cartes de crédit est un marché biface et que les clauses « anti-steering » n’ont pas d’effets anticoncurrentiels sur ce marché (Ohio/American Express) », Concurrences n°4-2018, Article n°88295, 25 juin 2018. COSTES Lionel, « L’absence d’abus de position dominante de la société Vente-privée.com confirmée », Actualités du droit, Lamyline, 18 mai 2016. Éditions Législatives, Dalloz, « ‘Data mining’ des plateformes et réseaux sociaux afin de détecter la fraude fiscale : le décret est publié », Dalloz Actualités IP/IT et Communication, Compliance, 19 février 2021

Page 125: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 124 sur 134

FRISON-ROCHE Marie-Anne, « Réguler les ‘entreprises cruciales’ », Recueil Dalloz, Chronique Concurrence, 24 juillet 2014, n°27. Légipresse, « Ciblage publicitaire : la nouvelle fonctionnalité d’Apple limitant la collecte de données des utilisateurs d’iPhone ne caractérise pas un abus de position dominante », Dalloz, 2021, p. 126. MALAURIE-VIGNAL Marie, « Concurrence déloyale des plateformes électroniques », Contrats Concurrence Consommation n°3, Mars 2020, comm. 41. TOUSSAINT-DAVID Gaëlle, « Dispenses de définition préalable du marché par l’Autorité de la concurrence », La Lettre des Réseaux, 3 janvier 2017. Wolters Kluwer, « Forte évolution d’un secteur : une définition du marché pertinent impossible ? », Actualités du droit, Lamyline, 1er juin 2016.

VI- DÉCISIONS ET JURISPRUDENCES

A- Jurisprudence américaine

1- Décisions

Standard Oil Co. of New Jersey v. United States, 221 U.S. 1 (1911). United States v. Microsoft Corp., 253 F.3d 34 (D.C. Cir. 2001). Verizon Communs., Inc. v. Law Offices of Curtis V. Trinko, LLP - 540 U.S. 398, 124 S. Ct. 872 (2004). Ohio v. American Express Co., 585 U.S. (2018) June 25, 2018.

2- Plaintes United States District Court for the District of Columbia, Complaint of the Attorney General of the United States, and the States of Arkansas, Florida, Georgia, Indiana, Louisiana, Mississippi, Missouri, Montana, South Carolina, Kentucky and Texas against Google LLC, 20 octobre 2020. United States District Court Eastern District of Texas Sherman Division, Complaint of States of Texas, Arkansas, Idaho, Indiana, Mississippi, Missouri, North Dakota, South Dakota, Uta and the Commonwealth of Kentucky against Google LLC, 16 décembre 2020.

B- Jurisprudence communautaire CJCE, 21 février 1973, Europemballage Corporation et Continental Can Company, Affaire 6-72. CJCE, 14 février 1978, United Brands/Commission, Affaire 27/76. CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche, Affaire 85/76.

Page 126: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 125 sur 134

CJCE, 9 novembre 1983, Michelin/Commission, Affaire 322/81. CJCE, 5 octobre 1988, Alsatel/Novasam, Affaire 247/86. CJCE 20 mars 1990, Du Pont Nemours, Affaire C-21/88. TPICE, 12 décembre 1991, Hilti/Commission, Affaire T-30/89. CJCE, 12 juin 1997, Tiercé Ladbroke/Commission, Affaire T-504/93. CJCE, 26 novembre 1998, Bronner, Affaire C-7/97. Commission européenne, 6 juin 2002, Airtours/Commission, Affaire T-342/99. Commission européenne, 24 mai 2004, Microsoft, Affaire C (2004) 900. Commission européenne, 18 juillet 2007, SFR/Télé 2 France, Affaire M.4503. Commission européenne, 11 mars 2008, Google/DoubleClick, Affaire M.4731. Commission européenne, 16 février 2010, Otto/Primondo Assets, Affaire M.5721. Commission européenne, 13 février 2012, Google/Motorola Mobility, Affaire M.6381. CJUE, 27 mars 2012, Post Danmark, Affaire C-209/10. TUE, 27 juin 2012, Microsoft Corp. / Commission, Affaire T-167/08. CJUE, 11 juillet 2013, Gosselin Group NV, Affaire C-429/11. Commission européenne, 3 octobre 2014, Facebook/WhatsApp, Affaire M. 7217. Commission européenne, 6 décembre 2016, Microsoft/LinkedIn, Affaire M.8124. Commission européenne, 27 juin 2017, Moteur de recherche Google (Shopping), Affaire C(2017) 4444. Commission européenne, 18 juillet 2018, Google Android, Affaire C(2018) 4761. Commission européenne, 6 septembre 2018, Apple/Shazam, Affaire M.8788. Commission européenne, 20 mars 2019, Google AdSense.

C- Jurisprudence française

1- Autorité/Conseil de la concurrence Conseil de la concurrence, Décision n° 04-D-45 du 16 septembre 2004 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société́ Export Press à l’encontre du groupe des Nouvelles Messageries de Presse Parisienne.

Page 127: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 126 sur 134

Conseil de la concurrence, Décision n° 07-D-08 du 12 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’approvisionnement et de la distribution du ciment en Corse. ADLC, Décision n°10-DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1 de la société NT1 et Monte-Carlo Participations (groupe AB). ADLC, Décision n°10-D-17 du 25 mai 2010 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la boule de pétanque en compétition. ADLC, Décision n°10-D-36 du 17 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du gaz de pétrole liquéfié́ (GPL) conditionné. ADLC, Décision n°14-D-18 du 28 novembre 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la vente évènementielle en ligne. ADLC, Décision n° 16-D-25 du 23 novembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne. ADLC, Décision n° 18-D-13 du 20 juillet 2018 relative à des pratiques mises en œuvre par Google dans le secteur de la publicité en ligne. ADLC, Décision n°19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches. ADLC, Décision 20-MC-01 du 09 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l'Alliance de la presse d'information générale e.a. et l’Agence France-Presse. ADLC, Décision n°21-D-07 du 17 mars 2021 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par les associations Interactive Advertising Bureau France, Mobile Marketing Association France, Union Des Entreprises de Conseil et Achat Media, et Syndicat des Régies Internet dans le secteur de la publicité sur applications mobiles sur IOS.

2- Cour d’appel de Paris Cour d’appel de Paris 7 mai 1997. Cour d’appel de Paris – Pôle 05 ch. 07, 12 mai 2016, n°2015/00301. Cour d’appel de Paris – Pôle 5, ch. 5, 12 décembre 2019, n°17/03541, SARL VIACAB c/ SASU UBER France. Cour d’appel de Paris – Pôle 5, ch. 07, 8 octobre 2020, n°20/8071.

3- Cour de cassation Cass. Com. 18 mai 1999, n°97-15.814. Cass. Com. 30 mai 2000, n°99-17.038.

Page 128: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 127 sur 134

Cass. Com. 6 décembre 2017, n°16-18.835. Cass. Com. 4 mars 2020 n°19-13.316, Uber. Cass. Com. 8 juillet 2020 n°17-31.536, Expedia.

D- Jurisprudence allemande Bundeskartellamt, 7 février 2019, Facebook, B6-22/16.

VII- DOCUMENTS OFFICIELS ET COMMUNICATIONS DES INSTITUTIONS

A- Commission européenne Communication de la Commission, La définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, 97/C 372/03, JOCE C372/05, 9 décembre 1997. Communication de la Commission, La compétitivité des entreprises européennes face à la mondialisation, - comment l’encourager, JO C329, 20 janvier 1999 Communication de la Commission, Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes, 2009/C 45/02, JO C45/7, 24 février 2009. Communication de la Commission, La stratégie pour une marché unique numérique en Europe, COM/2015/0192 final, 6 mai 2015 Communication de la Commission, Concentrations: la Commission inflige 110 millions EUR à Facebook pour avoir fourni des renseignements dénaturés concernant l’acquisition de WhatsApp, 18 mai 2017. Étude préparée pour la Commission européenne, DG des réseaux de communication, du contenu et des technologies, par Wik Consult, Révision des lignes directrices sur la puissance significative sur le marché (PSM), 24 avril 2018. Commission européenne, Communiqué de presse, Plateformes en ligne : la commission définit de nouvelles normes en matière de transparence et d’équité, 26 avril 2018. Communication de la Commission, Lignes directrices sur l’analyse du marché, l’évaluation de la puissance sur le marché en application du cadre réglementaire de l’Union pour les réseaux et les services de communications électroniques, 2018/C 159/01, JO C159/1, 7 mai 2018. CRÉMER Jacques, DE MONTJOYE Yves-Alexandre et SCHWEITZER Heiker, « Competition policy for the digital era », Commission européenne, 2019. Commission européenne, Communiqué de presse, Pratiques anticoncurrentielles : la Commission ouvre une enquête sur les règles de l’App Store d’Apple, 16 juin 2020.

Page 129: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 128 sur 134

Commission européenne, Analyse d’impact initiale sur la révision du règlement (UE) n°330/2010, 23 octobre 2020. Commission européenne, Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique (législation sur les marchés numériques), 2020/0374, 15 décembre 2020 COM(2020) 842 final, 2020/0374 (COD).

B- Autorité de la concurrence ADLC, Rapport annuel 2010. ADLC, Avis n° 10-A-29 du 14 décembre 2010 sur le fonctionnement concurrentiel de la publicité en ligne. ADLC, Avis n°12-A-20 du 18 septembre 2012 relative au fonctionnement du commerce électronique. ADLC et Bundeskartellamt, Droit de la concurrence et données, Rapport, 10 mai 2016. ADLC, Avis n° 18-A-03 du 6 mars 2018 portant sur l’exploitation des données dans le secteur de la publicité sur internet. ADLC, « L’Autorité publie sa contribution au débat sur la politique de concurrence face aux enjeux posés par l’économie du numérique, Communiqué de presse, 21 février 2020. ADLC, « Droits voisins : l’Autorité fait droit aux demandes de mesures conservatoires présentées par les éditeurs de presse et l’AFP », Communiqué de presse, 9 avril 2020.

C- Assemblée nationale

ANATO Patrice, LE GRIP Constance, Commission des affaires européennes, Rapport d’information n°2451 sur le droit européen de la concurrence face aux enjeux de la mondialisation, 27 novembre 2019. FAURE-MUNTIAN Valéria, FASQUELLE Daniel, Commission des affaires économiques, Rapport d’information n°3127 sur les plateformes numériques, 24 juin 2020. MIS Jean-Michel, Question n°10-00062, Ministère interrogé : Ministère de l’économie, des finances et de la relance. PAUL Christian, FÉRAL-SCHUHL Christiane, Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, Rapport n°3119, Numérique et libertés : un nouvel âge démocratique, déposé le 9 octobre 2015.

D- United States Department of Justice United States Department of Justice, Office of Public Affairs, « Justice Department Sues Monopolist Google For Violating Antitrust Laws. Department Files Complaint Against Google to Restore Competition in Search and Search Advertising Markets », Press Release, 20 octobre 2020.

Page 130: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 129 sur 134

Subcommittee on Antitrust, commercial and administrative law of the committee on the judiciary, « Investigation of competition in digital markets », Majority staff report and recommendations, 2020. United States Department of Justice and the Federal Trade Commission, « Horizontal Mergers Guidelines », 19 août 2010.

E- OCDE OCDE, Market Definition, Policy Roundtable, DAF/COMP(2012)19, 11 octobre 2012. OCDE, Définition du marché pertinent, Note de référence du secrétariat, DAF/COM(2012) 13/REV1, octobre 2012. OCDE, Data-Driven Innovation: Big Data for Growth and Well-Being, OCDE Publishing, Paris (2015), p. 94. OCDE, Données massives: adapter la politique de la concurrence à l’ère du numérique, DAF/COMP(2016)14, 21 novembre 2016. RIVARES Alberto Bailin, GAL Peter, MILLOT Valentine, SORBE Stéphane, OECD Economics Department Working Papers No. 1548, « Like it or not? The impact of online platforms on the productivity of incumbent service providers », 15 mai 2019.

F- Divers Cour de cassation, L’innovation technologique, Rapport annuel 2005. Conseil national du numérique, Neutralité des plateformes, Rapport, mai 2014. Direction Générale Trésor, Plateformes numériques et concurrence, n°250, Novembre 2019. Cour des comptes européenne, « Contrôle des concentrations dans l’UE et procédures antitrust de la Commission : la surveillance des marchés doit être renforcée », Rapport spécial, 2020. ARCEP, Régulation du numérique : l’Arcep trace les contours d’une régulation nouvelle pour le numérique, Communiqué de presse, 7 septembre 2020. FROUIN Jean-Yves, avec le concours de BARTEFY Jean-Baptiste, Réguler les plateformes numériques de travail, Rapport au Premier ministre, 1er décembre 2020. CSA, Le CSA poursuit sa transformation avec la création d’une « direction des plateformes en ligne » et la mise en place de dispositifs à destination du grand public, Communiqué de presse, 17 février 2021.

Page 131: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 130 sur 134

VIII- ARTICLES DE PRESSE AIZICOVICI Francine, « ‘Une solution de livraison plus responsable’ : Just Eat change de modèle et passe au salariat », Le Monde, 20 février 2021. BLUMENTHAL Richard, WU Tim, « What the Microsoft Antitrust Case taught us », The New York Times, 18 mai 2018. BRETON Johann, « Droits voisins : l’Autorité de la concurrence donne trois mois à Google pour négocier avec la presse », Les Numériques, 10 avril 2020. BRETON Johann, « Presse : Google va payer les éditeurs de contenus de ‘haute qualité’ », Les Numériques, 26 juin 2020. CHICHE Alexia, « Les taxis français attaquent Uber pour concurrence déloyale, une action collective inédite en France », Communiqué de presse, Lexis Actualités, 9 septembre 2020. CLAYTON James, « Facebook blocks Australian users from viewing or sharing news », BBC News, 18 février 2021. CLAYTON James, « Facebook reverses ban on news pages in Australia », BBC News, 23 février 2021. DEKONINK Basile, « La folie Netflix en cinq chiffres », Les Échos, 16 septembre 2019. DUMOULIN Sébastien, MADELAINE Nicolas, « Premiers accords entre Google et la presse française sur les droits voisins », Les Échos, 19 novembre 2020. FEINER Lauren, « Texas and nine other states file new antitrust lawsuit against Google, here’s the full complaint», CNBC, 16 décembre 2020. GRUHIER Camille, « Données personnelles : WhatsApp mis en demeure », Que Choisir, 20 décembre 2017. GRUHIER Camille, « Données personnelles: WhatsApp partagera vos données avec Facebook », Que Choisir, 9 janvier 2021. KANG Cecilia, NICAS Jack et McCABE David, « Amazon, Apple, Facebook and Google prepare for their ‘Big Tobacco Moment’, The New York Times, 28 juillet 2020. KHALIL Shaimaa, « Facebook and Google news law passed in Australia », BBC News, 25 février 2021. Le Monde, « Microsoft devra payer 860 millions d’euros d’amende », Le Monde, 27 juin 2012. Le Monde avec AFP, « Aux États-Unis, Google fait l’objet d’une troisième plainte en deux mois », Le Monde, 17 décembre 2020. Les Échos, « Google: Partie suivante, La Commission européenne fait bouger Google, mais pas son titre en Bourse », Les Échos, 20 mars 2019.

Page 132: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 131 sur 134

McCABE David, WAKABAYASHI Daisuke, « 10 States accuse Google of abusing monopoly in Online Ads », The New York Times, 16 décembre 2020. MADELAINE Nicolas, « Droits voisins : Google et la presse quotidienne française proches d’un accord », Les Échos, 7 octobre 2020. MARCHAND Leïla, « La CNIL met en demeure WhatsApp pour transfert illégal de données personnelles », Les Échos, décembre 2017. NOROT Anne-Claire, « Apple: un écosystème bien verrouillé », les Inrockuptibles, 2 janvier 2011. NYLEN Leah, « Google, Facebook, made secret deal to divvy up market, Texas alleges », Politico, 16 décembre 2020. OREMUS Will, “The Key Questions That Will Decide Whether Google Is a Monopoly”, OneZero, 22 octobre 2020. OREMUS Will, « The Battle that will define Big Tech for Decades », OneZero, 24 octobre 2020. PÉNARD Thierry, « Réguler les plateformes : une fausse bonne idée », L’Opinion, 23 avril 2015. PEPIN Guénaël, « Face à Facebook et Google, l’Autorité veut rééquilibrer le marché de la publicitaire », Next Inpact, 9 mars 2018. PIQUARD Alexandre, « La justice américaine contre Google, une enquête limitée, mais cruciale », Le Monde, 20 octobre 2020. PLATIAU Charles, « Les éditeurs de presse signent un accord avec Google », Reuters, 21 janvier 2021. RICHAUD Nicolas, SCHMITT Fabienne, « Google prêt à payer les journaux à ses conditions », Les Échos, 25 juin 2020. STORY Louise, HELFT Miguel, « Google buys Double Click for $3,1 Billion », The New York Times, 14 avril 2007. VILLEMIN Eric, « Les Gafa ont-ils tué les start-up ? », Les Échos, 5 juin 2018. VITARD Alice, « Antitrust : La Commission européenne doit être plus agressive face aux entreprises technologiques », L’Usine Digitale, 19 novembre 2020.

Page 133: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 132 sur 134

IX- RÉFÉRENCE EXTRAJURIDIQUES BROWNLEE Marques, Apple vs The Paradox of Choice ! Vidéo Youtube, 30 avril 2021. Colloque, L’émergence d’un droit des plateformes, sous la direction scientifique de Xavier Delpech, 21 octobre 2020. Conférence, Réguler les plateformes numériques du travail, sous la direction scientifique de Laurène Gratton, 9 avril 2021. CUNNINGHAM C., EDERER F. et SONG M., « Killer acquisitions », 2017. ORLOWSKI Jeff, The Social Dilemma, 26 Janvier 2020.

Page 134: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 133 sur 134

Index alphabétique

A abus d’éviction, 60 abus d’exploitation, 60, 61, 62 abus de dépendance économique, 88, 92,

93, 94, 121 abus de position dominante collective, 48,

55, 56, 57 action en concurrence déloyale, 91 antitrust, 18, 42, 43, 70, 72, 82, 83, 84, 88,

96, 98, 108, 109, 122, 129, 130

B barrières à l’entrée, 34, 36, 48, 52, 53, 54,

63, 70, 109, 110 barrières à l’expansion, 52, 53 bien-être du consommateur, 59, 96 bilan concurrentiel, 18

C concentration, 7, 14, 36, 39, 40, 50, 51, 62,

82, 86, 104, 108, 113, 117 concentrations horizontales, 40, 44 contrôleur d’accès, 52, 54, 75, 102, 104,

105

D démantèlement, 79, 105, 106, 123 Digital Markets Act

DMA, 3, 9, 52, 53, 54, 100, 101, 102, 105, 107, 119, 121

Digital Services Act DSA, 3, 100, 107, 119

données personnelles, 12, 14, 38, 54, 61, 71, 76, 79, 92, 93, 108, 112, 113, 114, 115, 131

droit d’auteur, 66

E écosystèmes, 13, 15, 42, 74, 76, 77, 106 effets de réseaux, 13, 44, 94, 109 entreprises cruciales, 111, 112

G gatekeepers, 9, 100, 101, 102, 105, 109,

121 gerrymandering

charcutage, 42, 122

H header bidding, 70 hyper dominance, 51, 52, 58

I infrastructures essentielles, 59, 61, 62, 89,

101, 114 intégration verticale, 13, 51, 92, 106

K killer acquisitions, 62, 86, 103, 104, 111 acquisitions prédatrices, 103

M marché biface, 44, 123 marché de produits, 21, 22, 24, 30, 33, 34,

36, 41 marché géographique, 22, 34, 35, 36, 37,

41 marché multiface, 43 marché pertinent, 20, 21, 22, 23, 24, 25,

26, 27, 29, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 39, 40, 41, 42, 43, 44, 45, 46, 52, 53, 90, 120, 122, 124, 129

marketplace, 80 marques, 29, 45 modes de distribution, 31, 32

P parts de marché, 34, 36, 48, 50, 51, 52 plateforme structurante, 93 pouvoir de marché, 20, 21, 41, 46, 47, 48,

50, 51, 54, 55, 58, 62, 73, 87, 109, 110, 111

pouvoir de monopole, 20, 21 pratiques restrictives de concurrence, 90,

117 prix prédateurs, 59, 63

Page 135: Mémoire Abus de position dominante et plateformes

Page 134 sur 134

publicités, 39, 54, 56, 76, 92 puissance de marché, 96, 108, 110 puissance économique, 16, 20, 47, 60

R réseaux sociaux, 7, 9, 11, 12, 24, 37, 38,

39, 49, 50, 54, 63, 80, 97, 100, 123

S self-preferencing, 92, 93

substituabilité des produits, 22, 24, 26, 27 super dominance, 51, 52 système d’exploitation, 19, 28, 37, 42, 77,

78, 80

T test d’élasticité croisée de la demande, 25 test SSNIP, 25, 27