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Guy Saint-Jean ÉDITEUR LOUISE TREMBLAY-D’ESSIAMBRE Mémoires d’un quartier TOME 3 Évangéline AUTEURE DE LA SÉRIE À SUCCÈS LES SŒURS DEBLOIS

Mémoires d’un quartier...MÉMOIRES D’UN QUARTIER 8 Brusquement, et fort curieusement, je vous l’avoue, je n’aipas envie de lire autre chose que la suite de mon propre livre

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G u y S a i n t - J e a nÉ D I T E U R

LOUISE TREMBLAY-D’ESSIAMBRE

Mémoires d’un quartier

• T O M E 3 •

Évangéline

AUTEURE DE LA SÉRIE À SUCCÈS LES SŒURS DEBLOIS

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Mémoires d’un quartier

• T O M E 3 •

Évangéline

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Du même auteur chez le même éditeur :

La dernière saison Tome 1 : Jeanne, roman 2006

La dernière saison Tome 2 : Thomas, roman 2007

Les sœurs Deblois Tome 1 : Charlotte, roman, 2003

Les sœurs Deblois Tome 2 : Émilie, roman, 2004

Les sœurs Deblois Tome 3 : Anne, roman, 2005

Les sœurs Deblois Tome 4 : Le Demi-frère, roman, 2005

Les années du silence Tome 1 : La Tourmente, roman, 1995

Les années du silence Tome 2 : La Délivrance, roman, 1995

Les années du silence Tome 3 : La Sérénité, roman, 1998

Les années du silence Tome 4 : La Destinée, roman, 2000

Les années du silence Tome 5 : Les Bourrasques, roman, 2001

Les années du silence Tome 6 : L’Oasis, roman, 2002

Entre l’eau douce et la mer, roman, 1994

La fille de Joseph, roman, 2006 (réédition de Le Tournesol, 1984)

L’Infiltrateur, roman basé sur des faits vécus, 1996

«Queen Size», roman, 1997

Boomerang, roman en collaboration avec Loui Sansfaçon, 1998

Au-delà des mots, roman autobiographique, 1999

De l’autre côté du mur, récit-témoignage, 2001

Les demoiselles du quartier, nouvelles, 2003

Mémoires d’un quartier Tome 1: Laura, roman, 2008

Mémoires d’un quartier Tome 2: Antoine, roman, 2008

Visitez le site Web de l’auteur :

www.louisetremblaydessiambre.com

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G u y S a i n t - J e a nÉ D I T E U R

Mémoires d’un quartier

• T O M E 3 •

Évangéline

1958 – 1959

LOUISE TREMBLAY-D’ESSIAMBRE

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Tremblay-D’Essiambre, Louise, 1953-Mémoires d’un quartierComprend des réf. bibliogr.Sommaire: t. 1. Laura, de 1954 à 1958 – t. 2. Antoine, 1957-1958 – t. 3. Évangéline, 1958-1959.ISBN 978-2-89455-263-6 (v. 1)ISBN 978-2-89455-300-8 (v. 2)ISBN 978-2-89455-316-9 (v. 3)I. Titre. II. Titre: Laura, de 1954 à 1958. III. Titre: Antoine, 1957-1958. IV. Titre: Évangéline, 1958-1959.PS8589.R476M45 2008 C843’.54 C2008-940607-9PS9589.R476M45 2008

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’Aide au Développement de l’Industrie de l’Édition (PADIÉ) ainsi quecelle de la SODEC pour nos activités d’édition. Nous remercions le Conseil des Arts duCanada de l’aide accordée à notre programme de publication.

Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres —Gestion SODEC

© Guy Saint-Jean Éditeur Inc. 2009Conception graphique: Christiane SéguinRévision: Lysanne Audy

Page couverture: Toile de Louise Tremblay-D’Essiambre, «Évangéline et Antoine»,inspirée de John Mlacak.

Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et ArchivesCanada, 2009ISBN: 978-2-89455-316-9ISBN ePub : 978-2-89455- 499-9ISBN PDF : 978-2-89455- 500-2

Distribution et diffusionAmérique: PrologueFrance: VolumenBelgique: La Caravelle S.A.Suisse: Transat S.A.

Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.

Guy Saint-Jean Éditeur inc. 3154, boul. Industriel, Laval (Québec) Canada. H7L 4P7. 450 663-1777 • Courriel : [email protected] • Web : www.saint-jeanediteur.com

Guy Saint-Jean Éditeur France 30-32, rue Lappe, 75011, Paris, France. (1) 43.38.46.42 • Courriel : [email protected]

Imprimé et relié au Canada

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À Monique de Varennes, pour toutes ces heures de lecture,

ses commentaires judicieux, mais surtout, pour sa grande gentillesse...

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NOTE DE L’AUTEUR

Juillet 2008. Contre toute attente, après l’hiver mémo -rable de neige que nous avons connu, il fait beau. Il fait

même très beau depuis une semaine. Parfait, je suis censée être en vacances. Vendredi dernier, j’ai envoyé lemanus crit d’Antoine à mon éditrice, satisfaite du travail a c com pli. Devant moi, donc, une pile de livres, du soleilà n’en savoir que faire et la piscine. Que pourrais-jedemander de plus, moi qui affirme haut et fort, et trèssérieusement d’ailleurs, que j’aurais dû naître lézard auMexique?

J’avais même pris entente avec Laura, Antoine,Évangélineet compagnie de ne pas me déranger durantces quel ques jours de repos que je voulais m’accorder.Et ils avaient ac quiescé! Je vous le répète: qu’aurais-jepu demander de plus?

Rien... J’aurais sincèrement pu ne rien vouloir d’autrepuisque j’avais la sensation bien réelle de tout posséder!Vous la connaissez peut-être, vous aussi, cette sensation deplénitude qui fait, l’espace de quelques minutes, que l’onse dit que rien n’est plus merveilleux que de sentir la viebattre en soi? Quand j’ai remis mon manuscrit, il y aquelques jours, j’en étais là.

C’était sans compter le désir en moi, inassouvi,inquiet, envahissant, de connaître la suite de la vie deLaura, Antoine, Bernadette, Évangéline...

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Brusquement, et fort curieusement, je vous l’avoue,je n’ai pas envie de lire autre chose que la suite de monpropre livre. C’est bien la première fois que cela m’ar-rive, mais j’ai trop hâte de savoir ce qui s’en vient dansla vie de la famille Lacaille.

Alors, contrairement à ce qui se passe habituelle-ment alors que les personnages rôdent à n’en plus finirautour de moi pour que je me remette à l’ouvrage, cematin, c’est moi qui les ai conviés à ce rendez-vous inat-tendu dans mon bu reau. Pourtant, par la fenêtregrande ouverte, j’entends les oiseaux qui s’apostro -phent comme s’ils me reprochaient de ne pas êtredehors. Le soleil, ce vilain coquin, caresse la peau demon bras, se faisant enjôleur. Mais je vais résister pourquelques heures au moins. J’ai trop envie de retrouverceux qui, au fil de tous ces derniers mois, sont devenusune se conde famille pour moi.

Et puis, il y a le sourire d’Antoine, fragile commeune promesse, éthéré comme un espoir, mais qui, enmême temps, s’accorde si bien aux chants des oiseauxqui envahis sent mon antre d’écriture, ce matin.

Il y a une éclaircie de soleil dans la vie d’Antoine,comme dans ma cour, et je voudrais tellement que celasuffise à éloigner les nuages orageux.

C’est donc vers lui que je me tourne encore, parréflexe, juste pour admirer son sourire et brusquement,c’est l’ombre grandissante d’Évangéline qui se rap-proche de lui comme si elle voulait le protéger.

Curieux...

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1 Louise Tremblay-D’Essiambre, Les années du silence, Laval, Guy Saint-Jean Éditeur, 1995-2002, 6 tomes.

2 Louise Tremblay-D’Essiambre, Les sœurs Deblois, Laval, Guy Saint-Jean Éditeur, 2003-2005, 4 tomes.

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Je croyais que l’aide tant espérée viendrait plutôt deBébert, d’Anne, de Laura à la rigueur...

Je ferme les yeux en essayant de comprendre ce quiarrive et la voix d’Évangéline me rejoint, éraillée, râpeuse.

Et quand Évangéline veut parler, je vous le jure, jen’ai rien d’autre à faire que de l’écouter...

P.-S.: Bien entendu, tout comme dans les deux pre-miers tomes de cette série, vous aurez aussi la chancede retrou ver Cécile, Gérard et la tante Gisèle des Annéesdu silence1, tout comme Anne, Charlotte et Blanche desSœurs Deblois2... Bonne lecture!

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CHAPITRE 1

Buenas noches mi amorBonne nuit que Dieu te gardeÀ l’instant où tu t’endors

N’oublie jamaisQue moi je n’aime que toi

Buenas noches mi amor,CHANTÉ PAR MICHEL LOUVAIN,

LE 15 MAI 1958 AU GALA DES SPLENDEURS, DIFFUSÉ PAR LA SRC.

Mardi 23 septembre 1958

–Bâtard, la belle-mère, où c’est que vous allezendiman chée de même à matin? Y aurait-tu une

messe spéciale qui m’aurait échappé?Dès les premiers mots de Bernadette, Évangéline

s’arrêta dans l’embrasure de la porte de la cuisine et jetaun coup d’œil à la pointe de ses souliers vernis pourremonter sur sa robe grise à gros boutons. D’un petitgeste sec, elle ajusta le revers blanc d’une de ses manchesen tirant dessus.

— Pantoute, fit-elle enfin en relevant la tête poursoutenir le regard de sa belle-fille. Y a pas de messe

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spéciale, ni de réunion des Dames de Sainte-Anne, nirien pantoute de particulier. C’est à cause de la Céciledocteur si chus swell de même à matin.

Bernadette fronça les sourcils.— Cécile? Cécile Veilleux? Je vous suis pas, moé là...

A’ s’en viendrait-tu vous chercher sans que je le sache?— Pantoute, répéta Évangéline en tirant cette fois-ci

sur la seconde manchette. Pourquoi c’est faire qu’a’ vien -drait me chercher? On est pas du même bord de la clô-ture, elle pis moé, si tu vois ce que j’veux dire. Pis en plus,cré maudit, a’ demeure à Québec.

— C’est ben ce que je me disais, aussi.— Mais c’est quand même à cause d’elle si j’ai mis

ma robe grise pis mes souliers de cuir patent, rapportqu’a’ m’a donné des pilules pour arrêter mon mal degenoux.

Les sourcils de Bernadette remontèrent illico à leurplace et elle ouvrit les yeux tout grands.

— Que c’est que les pilules que Cécile vous a pres -crites ont à voir avec votre robe du dimanche?

— Je m’en vas magasiner.— Ah bon... Là, je comprends un peu plus la robe

même si je vois toujours pas ce que Cécile Veilleuxvient faire là-dedans.

Évangéline claqua la langue d’impatience.— Me semble que c’est clair, non? soupira-t-elle en

haussant les épaules. Si j’ai moins mal aux genoux, jepeux marcher plus longtemps pis si je peux marcherplus longtemps, ben, je peux aller magasiner. C’est

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pour ça que je dis que c’est à cause de la Cécile docteurque j’ai mis ma robe du dimanche.

— Là, c’est clair, approuva Bernadette en hochantde la tête.

— Pis c’est pas toute. C’est encore la docteur qui m’afaite comprendre, l’autre jour quand est venue recon-duire Laura après leur pique-nique, rapport qu’a’ m’avue descendre l’escalier d’en avant pis que je devaisfaire une grimace comme d’habitude pasque ça metirait dans les jambes, ben a’ m’a fait comprendre quemettre mes chaussons de laine à journée longue, çaaidait pas mes genoux. Pis que mettre des godassesusagées quand j’vas faire les commissions, c’était pas lediable mieux. Ça fait que, à matin, je m’en vas maga-siner avec Noëlla pour m’acheter des souliers neufs.Des souliers de marche, comme la docteur m’a con-seillé. Avec juste un p’tit peu de talon pour aider mondos pis mes genoux, pis ben ben confortables. Faut quemes pieds soyent aussi ben dans ces souliers-là que dansmes chaussons de laine. C’est ça qu’a’ l’a dit, la docteur,pour que je soye capable de les endurer toute la journée.

— Bonne idée, approuva Bernadette qui n’avaitjamais vu sa belle-mère avec autre chose dans les pieds,quand elle était dans la maison, que des chaussons delaine bariolés de toutes les couleurs, chaussons qu’elleavait toujours trouvés hideux, d’ailleurs, sans jamaisoser le dire franchement.

Maintenant qu’elle avait tiré sur tous les plis de sarobe et ajusté son col amidonné en étirant le cou,

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Évangéline saisit son sac à main posé sur la table.— Ouais... C’est vrai que c’est une bonne idée.

J’espère juste qu’avec mes oignons, ça sera pas trop durà trouver. Si tu savais comment j’espère tomber sur dessouliers confortables! Ça fait des années que j’ai malaux jambes. Mais dis-toé ben que si j’en trouve à mongoût, à partir de demain, j’vas garder mes chaussonspour le soir quand je me mets en jaquette. Bon, c’estpas que je m’ennuie avec toé, Bernadette, mais faut queje m’en aille. C’est comme rien que Noëlla doit m’at -tendre au coin de la rue. Le temps de mettre mon cha-peau pis chus partie.

Heureusement qu’Évangéline avait déjà tourné ledos à Bernadette, car celle-ci ne put s’empêcher d’affi -cher un long sourire moqueur à la mention de cetteantiquité de chapeau qu’Évangéline s’entêtait à porterd’avril à octobre. Un vieux chapeau de paille, noir etgarni d’une grappe de raisins mauves sur le côté, qu’elleplaçait rigoureusement sur sa tête pour aller à la messeou quand elle faisait les frais d’une toilette un peu plussoignée comme ce matin.

— Pis attends-moé pas pour dîner, lança encoreÉvangéline depuis l’entrée. On va se payer un clubsandwich à deux, Noëlla pis moé. J’vas revenir juste àquèque part dans l’après-midi. Pour une fois que je sorsailleurs qu’aux Dames de Sainte-Anne, j’ai pas l’in ten -tion de me presser. À tantôt, Bernadette!

La porte d’entrée, fermée à la volée par une maindéterminée, scella cette discussion.

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Bernadette poussa un long soupir de contentement.Toute une journée à elle! Non qu’elle n’appréciât pas laprésence d’Évangéline — toutes les deux, elles s’en ten -daient fort bien —, mais quelques heures de liberté n’é-taient pas pour lui déplaire. D’autant plus qu’il faisaitune splendide journée d’automne. Un rapide coupd’œil sur la cuisine, comme toujours impeccable parcequ’Évangéline détestait la moindre traînerie, une pen -sée pour l’époussetage qui pouvait facilement attendreune journée de plus, une autre pour le dîner qu’elleréduirait à sa plus simple expression puisqu’elle seraitseule avec les enfants, et à son tour, Bernadette em -prunta le corridor en direction de sa chambre, située àl’avant de la maison. Quand elle passa devant la porte dela chambre des garçons, elle lança par-dessus son épaule:

— Ramasse tes jouets, Charles! Toé pis moé, on vaaller se promener. Y’ fait trop beau pour rester enfer -més dans maison.

— Youppi! — Pis prends donc ton ballon avec toé, on sait

jamais. On va aller voir si Daniel a envie de venir avecnous autres.

Le petit Charles, bientôt trois ans, déluré et plutôtactif, montra le bout de son nez dans l’encadrement dela porte de sa chambre qui faisait aussi office de sallede jeux. Son regard brillait de joie anticipée quand ildemanda pour être bien certain d’avoir tout compris:

— Daniel? Tu veux aller chercher Daniel pour allerjouer au parc?

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Bernadette s’était arrêtée sur le pas de sa chambre.Elle se retourna vers son fils et lui sourit.

— Pourquoi pas? Si ça te tente, comme de raison.On pourrait demander à la maman de Daniel si a’ peutvenir avec nous autres.

— Oh oui, ça me tente! Y’ est gentil, Daniel, mêmesi y’ est plus p’tit que moé.

— Je pensais aussi que ça te ferait plaisir, ajoutaBernadette, malicieuse. Mais arrête de dire que Danielest plus p’tit que toé, ça m’énerve! Je te l’ai expliqué,l’autre jour: Daniel est petête pas aussi grand que toé,mais y’ a presque le même âge. C’est pour ça que vousvous adonnez ben ensemble. La grandeur, ça veut riendire. Donne-moé deux minutes pour me changer dechandail pis on part. Si t’es prêt avant moé, va m’at -tendre dans l’entrée. On va sortir par en avant.

Quelques instants plus tard, main dans la main,Bernadette et son fils remontaient la rue en directionde la demeure des Veilleux, un duplex acheté l’annéepré cé dente par Gérard Veilleux, le père du petit Danielet le frère de celle qu’Évangéline appelait «Cécile la docteur».

Curieusement, à cause d’une rencontre inopinéeentre Laura, la fille aînée de Bernadette, et cette Cécilede Québec venue visiter son frère, les deux famillesavaient créé des liens d’amitié qui allaient s’intensifiantau fil des semaines. Marie, l’épouse de Gérard, étaitdevenue une bonne amie pour Bernadette, et durantl’été qui s’achevait, Laura avait passé cinq semaines

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chez Cécile, à Québec, pour l’aider à s’occuper de sonfils, Denis, qui avait quatre ans.

Laura était revenue transformée de ce voyage pro-longé. Bernadette n’aurait su dire en quoi sa fille avaitchangé à ce point, mais un fait demeurait: Laura n’é-tait plus tout à fait la même. Ceci avait fait dire àMarcel, son mari, que c’était lui qui avait eu raison des’opposer à ce séjour chez des gens qui n’étaient pas deleur milieu. Mais comme souvent, on n’avait pas tenucompte de son avis.

— Quand je te disais, Bernadette, que ça serait pasune bonne affaire, c’te voyage-là! Regardes-y l’allure,astheure. Habillée comme une fille de Westmount, a’ veut manger plein d’affaires qu’on connaît pas, a’ vou -drait qu’on lise des livres au lieu de regarder la tivi...Calvaire! A’ parle même pus comme nous autres! Benentendu, quand j’en ai parlé, personne a voulu m’écou -ter. Regarde ce que ça donne, astheure!

Bernadette n’avait pu rétorquer quoi que ce soitpour défendre Laura: Marcel avait raison en affirmantque leur fille n’était plus la même.

Pourtant, de toute évidence, dès l’instant où Lauraavait mis un pied en dehors du train la ramenant chezelle, Bernadette avait compris que sa fille était heureusede retrouver les siens. Un regard comme celui qu’elleavait posé sur sa famille, rassemblée à la gare Windsorpour l’événement, un regard aussi joyeux ne pouvaitmentir. Curieusement, à ce moment-là, le temps d’unbattement de cœur et dans la foulée des pronostics de

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Marcel, Bernadette avait été soulagée. Six semaines encompagnie de deux médecins ne semblaient pas avoirtrop influencé sa fille. L’instant d’après, elle avait déjàoublié cette brève sensation d’inquiétude et elle esquis-sait un grand sourire. Non seulement sa Laura était deretour, mais en plus, elle semblait sincèrement heu -reuse de revenir chez elle. Rien d’autre n’avait d’im -por tance.

Elle-même s’était tellement ennuyée de sa fillemalgré une maison remplie de «visite» depuis le moisde juin. Le temps d’un soupir, Bernadette avait eu unepensée pour Adrien, son beau-frère, ainsi que pourMaureen, son épouse, qui avaient envahi leur apparte-ment durant les cinq dernières semaines. La présenced’Adrien et de Maureen n’avait pas été de tout repos,et ce, pour une foule de raisons.

Toute à ses pensées, Bernadette avançait à pas lentsvers la demeure de Marie sans se soucier du babillagede son fils qui passait des commentaires sur tout ce qu’ilvoyait. Bernadette, elle, c’est le retour de Laura qu’elleavait en tête, aussi précis que si elle était encore à la gare.Elle se rappela même avoir légèrement froncé les sour-cils et repoussé machinalement ses longs cheveux der-rière l’oreille droite en pensant à Adrien. C’est toujoursce geste-là qu’elle faisait quand elle se sentait mal àl’aise et elle n’était jamais tout à fait détendue quandelle songeait à Adrien. Mais ce matin-là, au moment oùsa fille était enfin revenue à la maison, de façon tout àfait délibérée, Bernadette avait décidé de ne pas pousser

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A près les secrets et les tourments de Laura et d’Antoine, c’estÉvangéline, leur grand-maman, qui prend place au centre

de cette suite attendue de la vie d’une famille attachante.Évangéline Lacaille a la réputation d’être une femme plutôt

distante, froide et intransigeante. À la mort de son mari, il y aplusieurs années, elle a appris à serrer les dents pour traverser lavie, veuve avec deux jeunes enfants. Puis les garçons ont grandi etavec le temps, Évangéline s’est forgé une carapace solide, soncaractère devenant exécrable.C’est sa voisine, Anne Deblois, avec son piano et sa musique,

qui réussit sans le savoir à percer la cuirasse d’Évangéline jusqu’àatteindre son cœur de grand-mère: Antoine semble si malheureux.Par cette brèche ouverte par la jeune pianiste, Évangéline découvredes sentiments et des secrets depuis longtemps refoulés en elle.Entre les ruminations intérieures de Bernadette qui s’inquiète pour ses enfants, les préoccupations d’Anne Deblois pour le petitAntoine et Cécile Veilleux qui cherche désespérément à revoirLaura, le tempérament bouillant de la vieille dame se transforme en détermination farouche à protéger et rendre heureux les siens.

Louise Tremblay-D’Essiambre est passionnée d’écriture. Elle a écritvingt-deux ouvrages dont les magnifiques séries Les sœurs Deblois

et Les années du silence, des romans figurantrégulièrement aux palmarès québécois des meilleursvendeurs. Femme de cœur, l’auteure comble son fidèlelectorat avec ses histoires aux dialogues exceptionnels, auxpersonnages attachants et surtout aux descriptions d’unevie simple où chaque instant est vrai. La série Mémoiresd’un quartier rend hommage à toutes les familles ouvrièresmontréalaises, des années 1950 à aujourd’hui.

IMPR

IMÉ AU

CAN

ADA

Page couverture : toile de Louise Tremblay-D’Essiambre, «Évangéline et Antoine », inspirée de John Mlacak. 9 782894 553169

00000

ISBN: 978-2-89455-316-9

Mémoires d’un quartier• T O M E 3 •

Évangéline

24,95$