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Mémoires d’un quartier, tome 5: Adrien...MÉMOIRES D’UN QUARTIER 8 les chambres à coucher, d’autant plus qu’Évangéline est une fer-vente pratiquante. Mais Évangéline

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Mémoires d’un quartier

• T O M E 5 •

Adrien

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Du même auteur chez le même éditeur :

Mémoires d’un quartier, tome 4 : Bernadette, 2009

Mémoires d’un quartier, tome 3 : Évangéline, 2009

Mémoires d’un quartier, tome 2 : Antoine, 2008

Mémoires d’un quartier, tome 1 : Laura, 2008

La dernière saison, tome 1 : Jeanne, 2006

La dernière saison, tome 2 : Thomas, 2007

Les sœurs Deblois, tome 1 : Charlotte, 2003

Les sœurs Deblois, tome 2 : Émilie, 2004

Les sœurs Deblois, tome 3 : Anne, 2005

Les sœurs Deblois, tome 4 : Le demi-frère, 2005

Les années du silence, tome 1 : La Tourmente, 1995

Les années du silence, tome 2 : La Délivrance, 1995

Les années du silence, tome 3 : La Sérénité, 1998

Les années du silence, tome 4 : La Destinée, 2000

Les années du silence, tome 5 : Les Bourrasques, 2001

Les années du silence, tome 6 : L’Oasis, 2002

Les demoiselles du quartier, nouvelles, 2003

De l’autre côté du mur, récit-témoignage, 2001

Au-delà des mots, roman autobiographique, 1999

Boomerang, roman en collaboration avec Loui Sansfaçon, 1998

« Queen Size », 1997

L’infiltrateur, roman basé sur des faits vécus, 1996

La fille de Joseph, roman, 1994, 2006 (réédition du Tournesol, 1984)

Entre l’eau douce et la mer, 1994

Visitez le site Web de l’auteure :www.louisetremblaydessiambre.com

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Tremblay-D’Essiambre, Louise, 1953-Mémoires d’un quartierSommaire : t. 5. Adrien, 1962-1963.ISBN 978-2-89455-347-3 (v. 5)I. Titre. II. Titre : Adrien, 1962-1963.PS8589.R476M45 2008 C843’.54 C2008-940607-9PS9589.R476M45 2008

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programmed’Aide au Développement de l’Industrie de l’Édition (PADIÉ) ainsi que celle de la SODEC pour nos activités d’édition. Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.

Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — GestionSODEC

© Guy Saint-Jean Éditeur Inc. 2010Conception graphique : Christiane SéguinRévision : Lysanne AudyPage couverture : Toile de Louise Tremblay-D’Essiambre, «Les nouveaux horizons d’Adrien»

Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et Archives Canada, 2010ISBN : 978-2-89455-347-3

Distribution et diffusionAmérique : PrologueFrance : De BoréeBelgique : La Caravelle S.A.Suisse : Transat S.A.

Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie ou microfilm, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.

Guy Saint-Jean Éditeur inc. 3154, boul. Industriel, Laval (Québec) Canada. H7L 4P7. 450 663-1777 • Courriel : [email protected] • Web : www.saint-jeanediteur.com

Guy Saint-Jean Éditeur France 30-32, rue de Lappe, 75011, Paris, France. (1) 43.38.46.42 • Courriel : [email protected]

Imprimé et relié au Canada

, inspirée de John Joy.

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Ils sont huit et je les aime... Claudine, Samuel, Simon, Jean-Nicolas, Marie-Maude,

Moli, Louis-David, Jérôme... Mes petits-enfants. Ce livre est pour eux.

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NOTE DE L’AUTEUR

Adrien…Je vais vous faire une confidence... J’avais hâte de le re trou ver,

ce cher Adrien. Et contrairement à Bernadette qui a eu de la dif-ficulté à s’ouvrir à moi, lui, je sais qu’il m’attend. Je dirais mêmequ’il m’attend impatiemment. En fait, cela fait des années qu’ilespère prendre la place qui lui revient dans cette histoire, sansjamais y arriver tout à fait.

Vous aussi, n’est-ce pas, vous l’aviez remarqué ? À chaque tome, depuis 1954, Adrien se manifestait plus ou

moins directement. Il essayait de se glisser dans la trame de l’his-toire de cette famille Lacaille, bouleversant, à l’occasion, l’ordreétabli. Je ne sais pas pour vous, mais de mon côté, je vous avoueque parfois cela m’agaçait de le voir s’imposer de la sorte, débar-quant à l’improviste la plupart du temps. À quelques reprises,Adrien m’a fait l’impression d’être la mouche du coche et il m’aprodigieusement exaspérée avec des états d’âme que lui-mêmesuscitait sans vraiment les comprendre.

« Voir qu’on peut aimer deux femmes à la fois ! », comme ledirait fort probablement Évangéline...

Non, je sais qu’Évangéline ne dirait pas cela. Après tout, elleest au courant de la situation entre son fils aîné et Bernadette etelle n’a rien dit. Ou si peu... Elle s’est même faite leur complice,partant tôt pour l’hôpital quand elle recevait ses traitements pourqu’ils puissent avoir un peu d’intimité. Drôle de mère, en fin decompte, à une époque où la religion sévissait encore jusque dans

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les chambres à coucher, d’autant plus qu’Évangéline est une fer-vente pratiquante. Mais Évangéline sera toujours fidèle à elle-même et je souhaite de tout cœur que ce Dieu en qui elle a uneconfiance absolue lui prête vie encore longtemps. Il y a tant degens autour d’elle qui ont besoin de sa présence bourrue maisaffectueuse.

N’empêche qu’à vivre assis entre deux chaises, Adrien peutbien, par moments, se demander où il en est !

Marcel n’a peut-être pas tout à fait tort quand il affirme hautet fort qu’il ne comprend pas son frère Adrien ! Moi aussi, parmoments, j’ai de la difficulté à le suivre ! Malgré tout, les deuxfrères finiront-ils par se rapprocher ?

J’ai souvent dit que vivre, c’est apprendre à faire des choix.Soit! C’est une réalité et j’y crois toujours fermement. Ap prendreà devenir un adulte, c’est apprendre à faire les bons choix et à s’yconformer honnêtement. Mais il arrive parfois que la vie, juste-ment, ne nous laisse pas le choix.

Adrien va le comprendre très vite et comme il est un hommede cœur, il saura probablement ce qu’il doit faire.

Bernadette pourra-t-elle l’aider ? Cela, je ne le sais pas encore.La vie laisse parfois certaines latitudes qui orientent ce que nousaimerions faire. Ce que je sais, par contre, c’est que Bernadette apeur de perdre ses acquis et que cette façon de voir son existenceamène bien des questionnements, des reculs, des chagrins.

Mais la famille Lacaille sait se tenir même dans l’adversité. J’ensuis le témoin privilégié, tout comme vous. Évangéline etBernadette ne seront pas seules. Maintenant, la famille Lacailles’est élargie. Il y a Estelle et Angéline, la sœur et la nièce d’Évangéline, qui habitent Montréal depuis quelques mois. Il y a

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aussi Laura qui n’est plus une enfant, sans oublier, tout au bout dela rue, une jeune musicienne qui s’est attachée à cette famillecomme si elle était la sienne et qui, de loin, observe bien deschoses...

Tout autour d’eux, il y a toujours Francine et ses problèmes decœur, Alicia et son amitié grandissante pour Laura, Charlotte etson mari qui deviendra important aux yeux des Lacaille, Cécilela docteur et son frère Gérard, toujours aussi généreux l’un quel’autre, sans oublier Antoine qui, lui, n’arrive pas à oublier sonpassé et essaie d’apprendre à devenir un homme. Il trouve celadifficile... En fait, il y a toute une famille qui continue de vivre etqui essaie de le faire du mieux qu’elle peut !

P.-S. Comme vous pourrez le constater, une partie de ce tomese déroulera au Texas. Pour permettre au texte de rester fluide etagréable, les dialogues seront en français. Je n’y ajouterai quequelques mots anglais pour vous rappeler que dans la réalité dela famille Prescott, c’est en anglais que cela se passe. Bonne lec-ture.

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CHAPITRE 1

«Rien n’est jamais acquis à l’hommeNi sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur

Et quand il croit ouvrir les brasSon ombre est celle d’une croix

Et quand il croit serrer son bonheurIl le broie

Sa vie est un étrange et douloureux divorceIl n’y a pas d’amour heureux…»

Il n’y a pas d’amour heureux GEORGES BRASSENS

Texas, dimanche 8 avril 1962

Adrien repoussa le drap tout doucement. Maureen dormaitencore à poings fermés, et comme le médecin avait dit

qu’elle devait prendre le plus de repos possible, Adrien ne voulaitsurtout pas la déranger. Elle grogna dans son sommeil, se tournasur le côté sans ouvrir les yeux, et Adrien en profita pour quitterla chambre sans faire de bruit.

Le dimanche était la seule journée de la semaine où il ne tra-vaillait pas. Ce matin, il pouvait donc prendre tout son temps.

Adrien se dirigea vers la cuisine et referma la porte sur lui.Sans hésiter, il ouvrit une armoire sous le comptoir, sortit le

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percolateur et le remplit d’eau avant d’ajouter une bonne mesurede café moulu dans le panier, puis, il déposa le tout sur le rond dupoêle électrique qu’il avait offert à sa femme en guise de cadeauquand ils avaient enfin emménagé dans leur nouvelle maison.Certes, ils habitaient toujours sur le domaine des Prescott, à quel -ques pas en fait de la demeure principale, mais au moins ils étaientchez eux, tout comme Brandon et Mark, les frères de Maureen.

Il esquissa un sourire quand la bonne odeur du café prit posses-sion de la pièce. Il n’y avait que chez sa mère qu’il acceptait de boiredu café instantané. Et c’était bien pour faire plaisir à Bernadettequiétait si fière de lui en offrir, voyant cela comme une preuve indis-cutable de leur réussite financière. Mais pour lui, un vrai café, goû-teux, réconfortant, c’était comme celui qu’il avait bu en France aumoment de la Libération et il en allait de même pour Maureen...

Après avoir versé un nuage de lait dans sa tasse, Adrienregagna l’arrière de la maison où une longue galerie couverte,parsemée de chaises berçantes en bois et en osier, invitait à ladétente. Il se laissa tomber sur le premier siège venu.

D’ici, la vue était moins spectaculaire que celle que l’on avaitde la maison de ses beaux-parents, juchée plus haut sur la buttequi dominait les terres familiales, mais peu lui importait. QuandAdrien prenait le temps de s’asseoir sur la galerie, c’était doréna-vant chez lui qu’il le faisait, et cela avait autant d’importance à sesyeux que le paysage qu’il pouvait contempler. Le petit boiséd’arbres centenaires, chênes et pacaniers, et le lopin de terre enfriche, hérissé de cactus, juste à côté, avaient tout de même un cer-tain charme malgré l’horizon un peu limité. S’il voulait de grandsespaces, Adrien n’avait qu’à seller son cheval et partir au bout deschamps de son beau-père. Là, la vue n’avait aucune limite. Le ciel

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se confondait avec les terres rougeâtres dans la brume de chaleurqui ondulait à partir du sol.

Adrien dégusta une longue gorgée de café, les yeux mi-clos, sepermettant une pensée pour Bernadette. Depuis son derniervoyage au Canada, il y avait maintenant plus d’un an, c’était ledimanche matin qu’il pensait à elle. Le temps d’un soupir, dequelques souvenirs, d’un instant de nostalgie. Puis, tout commeBernadette le faisait probablement de son côté, il finissait toujourspar rouvrir les yeux sur sa réalité à lui. Un quotidien qu’il avaitdélibérément choisi et qu’il aimait. À ce moment de sa réflexion,il se disait toujours qu’il avait plus de chance que Bernadette, carlui, finalement, même s’il savait qu’une partie de son cœur reste-rait toujours à Montréal, il avait choisi sa vie en épousant celle quidormait à ses côtés. Il s’était prononcé en toute connaissance decause, alors que Bernadette, elle, subissait son existence. Elle lasubissait depuis toujours, peut-être, avant même de comprendrequ’elle s’était trompée en mariant Marcel. Heureusement,comme elle le disait elle-même, il y avait Évangéline et les enfants.

— Les enfants sont l’essentiel de ma vie, disait-elle régulière-ment quand ils avaient l’occasion de parler en tête-à-tête. Ilsdevraient être l’essentiel de la vie de tous les parents qui ont unpeu de cœur.

Et aujourd’hui, Bernadette avait aussi un travail qu’elle aimaitbien. C’est sa mère, Évangéline, qui le lui avait écrit.

« Bernadette passe maintenant ses heures entre la maison, lesenfants et son travail. Elle semble vraiment heureuse de la viequ’elle mène. »

Adrien se réjouissait sincèrement pour elle, car il avait tou -jours partagé cette vision des choses. Une vie faite de labeur et

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d’attachement serait toujours l’unique façon d’être heureux. C’estce que vivait Bernadette. Quant à lui, ce qui lui manquait le plus,et ce, depuis de nombreuses années, c’était la chance d’être père.Mais voilà que son attente allait enfin être récompensée. Dansquelques mois, il allait enfin connaître les joies de la paternité àson tour. Maureen en était à son cinquième mois de grossesse, etcontrairement aux fois précédentes, tout allait pour le mieux. Unmédicament découvert en Allemagne et utilisé surtout en Europeavait été recommandé par leur médecin, le docteur Holt, pourtraiter les nausées de Maureen qui étaient tellement fortes qu’elleavait perdu deux bébés jusqu’à maintenant.

— Pourquoi attendre que notre gouvernement légifère? Celapourrait prendre des mois, des années ! La Food and Drug n’estpas particulièrement reconnue pour sa rapidité ! Et Maureen n’estplus très jeune. À trente-sept ans, on ne peut se permettre de longsdélais... J’ai un ami en Angleterre, un excellent médecin...Paraîtrait-il que chez eux, le médicament donne de bons résul-tats. I will call him...

Adrien avait fait la grimace. Un nouveau médicament, nonautorisé… Il s’était dit qu’il appellerait la Food and Drug ; il avaitposé des questions au docteur Holt. Mais celui-ci semblait siconfiant qu’Adrien, finalement, n’avait rien fait. Tant mieux !Maureen se portait fort bien et la grossesse allait de l’avant. Cinqmois !

C’est ainsi que Maureen avait pu bénéficier de ce médicament,la thalidomide, qui arrivait d’Angleterre juste pour elle, directe-ment chez Lock Drug Store, la pharmacie de Bastrop, la ville laplus proche.

Adrien s’étira longuement en soupirant de bien-être. La vie

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semblait enfin prendre un tournant agréable. Depuis qu’ilsvivaient dans leur maison, Maureen et lui, son épouse avaitretrouvé une bonne partie de l’énergie qui était la sienne. Sans samère constamment auprès d’elle pour tout contrôler, Maureenavait repris les rênes de son existence et ressemblait de plus en plusà la jeune infirmière qu’Adrien avait rencontrée en France.Maureen Prescott était redevenue la femme avec qui Adrien avaitdécidé de faire sa vie, et cela contribuait grandement à faireoublier qu’à Montréal, il y avait une autre femme qu’il aimait toutaussi sincèrement.

Adrien regarda autour de lui. Sur sa gauche, il apercevaitl’écurie, aujourd’hui à moitié désertée. Seuls Brandon et Adrienavaient gardé l’habitude de chevaucher les grandes étendues dudomaine familial quand ils devaient se rendre aux pâturages.Mark, lui, préférait les jeeps que son père avait achetées et qu’ilgarait dans une partie de l’écurie.

Adrien soupira de bien-être. L’air était doux, la brise gardaitune pointe de fraîcheur de la nuit dernière, et c’était agréable.

Enfin, l’été commençait après un mois de mars particulière-ment pénible de pluie, de vent, de grésil parfois, et un débutd’avril capricieux.

— Adrian ?Maureen n’avait jamais su prononcer le prénom d’Adrien en

français, et ce dernier, qui n’avait jamais vraiment aimé son nom,s’était surpris à préférer la douceur chantante qu’il y avait dans savoix quand elle l’appelait « Adrian ». Il se tourna vers elle en sou-riant.

— Bien dormi ?Sans répondre, Maureen s’étira longuement en bâillant. Vêtue

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uniquement d’une légère robe de nuit, elle était restée dans l’em-brasure de la porte. La légèreté du tissu laissait deviner la lour-deur des seins et une petite rondeur du ventre. Adrien ne putrésister. Il se leva pour venir prendre Maureen tout contre lui.

— Aujourd’hui, murmura-t-il à son oreille, on ne fait que deschoses agréables.

Maureen le regarda en souriant malicieusement.— Ah oui ? Alors, tu pourrais me préparer le jardin. Tu sais

comme j’ai hâte de voir pousser nos légumes. A big garden with alot of vegetables... Pour toi, pour moi et pour lui, ajouta-t-elle enposant la main sur son ventre. Mais avant, on va déjeuner. Jemeurs de faim, lança-t-elle en s’arrachant à l’étreinte d’Adrien.Tu veux des œufs ?

Adrien suivit sa femme à l’intérieur, curieusement ému etamusé. Jamais il n’aurait pu imaginer qu’un jour, entendre quel-qu’un lui dire qu’il avait faim ferait son bonheur.

— D’accord pour les œufs et d’accord aussi pour le potager.Ensuite, on pourrait aller à Bastrop pour se promener et mangerun gros cornet de crème glacée. Qu’est-ce que tu en penses ?

— Ice cream ?Oh oui ! Ça serait vraiment bon.Maureen avait un petit air gourmand en disant cela. Adrien

éclata de rire. Un rire de joie, de contentement.— Alors, c’est ce qu’on va faire ! Je m’habille et je reviens !Maureen et Adrien passèrent les heures suivantes à préparer le

potager. Bien installée sur une chaise Adirondack avec l’ordreformel de ne toucher à rien, Maureen donnait ses conseils à Adrienqui retourna la terre et sema les graines. Carottes, poivrons,tomates, concombres, maïs, laitues, haricots, oignons, pommes de terre...

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— Sapristi, Maureen ! Tu ne veux pas qu’on crève de faim.— Des légumes, c’est bon pour les bébés, décréta la future

mère, les deux mains posées sur son ventre en un geste possessif.Maman m’a promis de venir m’aider pour faire des conserves.Notre fils ne manquera de rien.

Parce que Maureen était persuadée d’avoir un garçon.Puis, tel que promis, un peu plus tard dans l’après-midi, ils

firent un brin de toilette et se dirigèrent vers la ville.Bastrop se dressait à une dizaine de milles à peine du domaine

des Prescott. C’était une ville qui avait de l’histoire, ayant étéfondée en 1832. Elle avait connu le contrôle mexicain, la répu-blique puis avait intégré le giron des États-Unis quand le Texasavait choisi de devenir le vingt-huitième État américain.

Cette ville avait plu à Adrien dès sa première visite. Elle offraitun harmonieux mélange de genres, conjuguant avec bonheurl’ancien et le moderne. L’architecture de son centre-ville, bienstructuré et conservé, et dont les résidants de Bastrop étaient trèsfiers, datait du siècle dernier. Il était précédé, tant sur la rue prin-cipale que sur les rues transversales, par de grandes maisonstypiques du Sud avec leurs galeries et leurs tours victoriennes,blotties au fond d’immenses terrains sous de nombreux arbresséculaires. À leur façon, tous ces bâtiments racontaient la longuehistoire de Bastrop, sans oublier la rivière Colorado qui n’avaitrien à voir avec le long fleuve du même nom, mais qui enchantaitles habitants du coin qui pouvaient y canoter et s’y baigner, main-tenant que les pêcheurs n’étaient plus qu’un souvenir.

Fière de ses quelque quatre mille habitants, Bastrop n’avaitrien à envier à une grande ville, et Adrien ne se faisait jamais tirerl’oreille quand, le dimanche, Maureen laissait entendre qu’elle

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aimerait bien s’y rendre pour une promenade. Adrien entrete-nait, probablement en vain, le rêve secret de s’y établir un jour,loin de l’envahissante famille de sa femme. Et si son beau-pèren’était pas d’accord avec le déménagement et refusait de le garderà son emploi, Bastrop aurait sûrement un travail à lui offrir avecses nombreux commerces, son école, sa salle de spectacle, sabanque.

Même les noms des rues chantaient à ses oreilles : Buttonwood,Pecan, Spring, Walnut, Chestnut, avec, inscrit un peu plus haut,le nom porté par cette même rue alors que le Texas était encoreun État mexicain : Old San Antonio Road, El Calmino Real, OldFerry Crossing... Alors, même si Adrien savait fort bien qu’il yavait loin de la coupe aux lèvres, il continuait d’espérer, se disantque la venue d’un enfant pourrait peut-être changer bien deschoses.

Tel un rituel convenu, Adrien stationna sa voiture au nord dela rue principale, Main Street, et bras dessus, bras dessous,Maureen et lui se dirigèrent vers le centre-ville, admirant et com-mentant les maisons qu’ils croisaient, comme ils le faisaientchaque fois. Par ce beau dimanche, nombreux étaient ceux quiprenaient du bon temps sur leur perron. Connus de plusieurs,tant Maureen qu’Adrien saluaient et prenaient des nouvelles.

Puis, tout juste avant d’arriver au croisement où s’alignaientles commerces, ils bifurquèrent sur Farm Street pour rejoindre leparc, le bien nommé Fisherman’s Park en souvenir d’une époquepas si lointaine où la rivière était partie prenante de la vie quoti-dienne.

Maureen accéléra le pas. À l’ombre d’une gloriette, le mar-chand de glace faisait tinter sa clochette.

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— Allons ! Un peu plus vite, Adrian! Je meurs d’envie d’unbon cornet au chocolat !

Ils terminèrent l’après-midi au Teen Tower, anciennementl’Opera House, transformé en cinéma durant les années deguerre et maintenant consacré aux jeunes qui venaient y dansersur les musiques endiablées de Chuck Berry et autres ElvisPresley tout en buvant un coca-cola.

C’est ce que firent, sans vergogne, Maureen et Adrien, mêmes’ils étaient probablement les plus âgés de la salle !

— So what ? Depuis qu’il est là, fit Maureen toute souriante,une main sur son ventre, j’ai l’impression d’avoir à nouveau vingtans !

Puis ce fut le souper familial, comme tous les dimanches.Maintenant que Brandon et Mark avaient des enfants, les ren-contres autour de la table paternelle se faisaient plus rares. Adrienne s’en plaignait pas. Il avait toujours trouvé un peu ridicule cetteobligation de souper tous ensemble, tous les jours. Une fois parsemaine, par contre, rendait la tradition acceptable et mêmeagréable.

Pendant que les femmes discutaient bébés, assises sur lagalerie, les hommes, restés au salon, discutaient des semaines àvenir. Maintenant que le froid et la pluie étaient chose du passé, ilétait temps de conduire les bêtes aux pâturages d’été, à plusieursdizaines de milles au sud de la propriété.

— Tomorrow...Nous sommes déjà en retard sur l’horaire.Charles Prescott, Chuck pour les intimes, était le seul maître à

bord, et personne n’aurait songé à contester son autorité, pas plusque lui, jadis, n’avait osé contredire son père qui avait bâti cetempire à la sueur de son front. Travailleur infatigable, malgré un

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sérieux problème cardiaque, Chuck dirigeait sa famille commeune véritable entreprise, ce qui ne l’empêchait pas d’avoir le cœurtendre, d’aimer sincèrement ses enfants et leurs conjoints tout engâtant outrageusement ses petits-enfants.

C’est ainsi que ce soir-là, alors que le soleil se couchait au-delàde la dune, boule incandescente glissant derrière le violet dequelques nuages tout effilochés, Adrien apprit que Brandon et luipartaient dès l’aube le lendemain pour vérifier l’état des sentiers.S’ils étaient praticables, dès le surlendemain, Mark et les ouvriersse rendraient en jeep au bout de la terre pour réparer tout ce quiavait besoin de l’être : clôtures, abris, mangeoires. Pendant cetemps, suivant à cheval, Brandon et Adrien conduiraient le trou-peau. Comme chaque année, il y en avait pour une bonne dizainede jours avant qu’Adrien soit de retour.

Malgré l’inquiétude qu’il ressentait à laisser Maureen touteseule, Adrien ne protesta pas. Quand il était question du troupeauet du travail, Chuck Prescott était le patron avant d’être le père oule beau-père.

Retenant un soupir de contrariété, Adrien se releva pour venirà la fenêtre. Le jour n’était plus qu’une raie de lumière sur l’ho-rizon. À l’autre bout du ciel, la lune prenait la relève, accompa-gnée d’un millier d’étoiles scintillantes, et la brise avait retrouvésa fraîcheur nocturne. Autant en profiter. D’ici quelques se maines,même le vent de la nuit serait brûlant.

S’excusant auprès des hommes de la famille, Adrien rejoignitles femmes sur la galerie.

Si, à son retour, la grossesse de Maureen se poursuivait nor-malement, il écrirait à sa mère pour lui annoncer la bonne nou-velle.

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