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Extrait de : Mémoires de … Antoine de MONTALIVET Décembre 2000

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Extrait de :

MMéémmooiirreess ddee ……

Antoine de MONTALIVET

Décembre 2000

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Il

signore

CONCINI

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« À s'teure je suis Roi ! » s'écria

Louis XIII quand, sur le pont dormant du Louvre, Concini tomba sous les balles des conjurés 1.

Pour nos lecteurs qui n'auraient plus

en mérengeoises cette période transitoi-re de nos aventures, ni le rôle joué par Concini à la cour de France entre 1601 et 1617, nous leur en faisons, par gran-de bénévolence, et en dessous, succinct résumé.

1 R. Merle — FORTUNE DE FRANCE

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I — L E D É M A R I A G E

Côté jardin : Enceinte d'un nouveau bâtard, Gabrielle

d'Estrées meurt à Saint-Germain-l’Auxerrois le 10 avril 1599. C'est la dernière en date des maîtresses d'Henri IV qui, après des années de promesses allait la porter jusqu'au trône. Les conseils pertinents frappés au coin du bon sens qu'elle prodiguait à son royal amant n'avaient pas l'aval de la Cour et la citronnade bue la veille chez sa sœur fut d'une acidité vitriolante.

Côté Cour : La rupture du Roi avec sa première épouse, Mar-

guerite de Valois est consommée. Celle-ci accepterait le démariage contre une menue compensation financière. Navarre2, toujours soucieux de ses écus, comme de ceux de son pays, lanternise puis finit par se rendre aux conditions que la Reine Margot impo-se : deux rentes de 50.000 livres par an et une indemnité de 200.000 écus 3.

Pour le plaisir d'apprécier la modestie du petit dédommage-

ment, il est utile d'effectuer une conversion en francs. Ce calcul est trop rarement proposé par les auteurs dans des traités historiques. Combien de lecteurs sont passés sur des valeurs de cette farine-là, jugeant que cela devait faire beaucoup d'argent, mais sans plus !

Il est constant qu'à toute estimation il faut donner repère dans 2 Nous utilisons parfois à dessin Navarre plutôt que Henry IV, ce surnom donné par ses frères d'armes (il fut roi de Navarre avant d'être roi de France et de Navarre) avait un ton plus affectueux que le titre officiel. 3 J.P. Babelon— HENRI IV

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l'époque, faute, pour les liseurs saupoudrés au long des temps, de n'y point trouver mesure à leur monnaie.

Cela est si vrai que les sommes citées dans le présent opuscule devront être réévaluées par une bonne âme si, après l’an 2002, l'Euro européen – qui fut Écu dans les années 1980 – occis notre unité de compte actuelle, le Franc dont la première frappe d'or eut lieu au printemps 1357 pour libérer notre roi Jean II le Bon, des mains du Prince Noir britannique 4.

Voilà donc, cher lecteur du présent, et pour vous seul, la traduc-

tion monétaire du baragouin royal évoqué plus haut : – 50.000 livres, à 105 Fr. la livre de 1610, nous font

5.250.000 Fr. de 1997. (800 000 € - Réédition 2010) – Deux rentes par an, une au 30 juin et l'autre au 31 décembre

représentent 10.500.000 Fr. soit 875.000 Fr. par mois, (C.S.G. non déduite) — (1 600 000 € - Réédition 2010)

– 200.000 beaux écus, à 315 Fr. l'écu d'or 1610, équivalent à 63 millions de Francs 1997. ( 9 600 000 € - Réédition de 2010)

Il sera de bon ton de remarquer qu’en ces temps-là, le montant

des indemnités de licenciement avait un je-ne-sais-quoi de très, mais très social…

Au rebours, on fera également montre de bonne éducation en observant que ces grandeurs, pour astronomiques qu'elles parais-sent, ne figurent que la dixième partie de nos modernes gouffres, symbolisés par deux hautes Maisons de Finances d’État, l'une ayant débuté à faire Crédit dans la bonne ville de Lyon, et l'autre n'ayant point manqué d'Assurances en tout genre. Comprendra qui pour-ra, et ce, pour ramener toute chose à sa juste taille…

Pour en revenir à notre démariage, le petit écueil bassement ma-

tériel résolu, il restait à convaincre Sa Sainteté résidant en Vatican, Elle seule ayant pouvoir de dissolution.

Tous les motifs utiles furent avancés : De la consanguinité des 4 On pourra à ce sujet consulter plus loin le chapitre sur les monnaies et leur conversion au cours des siècles.

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époux au troisième degré, au défault de consentement de Margue-rite de Valois pour son mariage avec le Roi de Navarre. Mais le dossier était bien léger. On osa même proposer que le mariage n'ait pas été consommé. Voir la tête de Margot qui avait tout fait pour tirer Henri du lit de Gabrielle !

On s'accorda enfin sur une idée du Cardinal d'Ossat, un spé-cialiste des cas difficiles puisqu'il avait déjà négocié l'abjuration d'Henri IV à Rome : Le petit Henri de Navarre, baptisé à Pau en 1554 avait eu pour parrain Henri II, et se trouvait en conséquence le frère spirituel de la princesse Marguerite 5.

L'argument enfoui dans un havresac d'écus fit merveille ; Clé-ment VIII céda et Navarre fut ravi.

Margot aussi, qui lui écrit le 2 octobre 1599 : J'ai loué Dieu que Sa Majesté eût obtenu de Rome ce qu'elle désirait

et j'écris à Sa Majesté pour l'assurer que ma volonté ne me changera jamais au vœu que je Lui ai fait d'une entière et parfaite obéissance.

Il est vrai qu'elle pouvait louer Dieu, car s'Il s'était trouvé oc-

cupé ce jour là, comme cela se produit souvent dans les hautes sphères, à une conférence sur le Monde avec Dom Pérignon et petits fours de son voisin, le pâtissier cornu à grande fourche, alors adieu veau, vache, cochon, couvées…

5 J.P. Babelon (op. cit.)

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II — L E S R E M P L A C A N T E S

Mais le temps presse Navarre, qui fait tout au débotté,

même l'amour ; en premier pour donner remplacement à Gabrielle et en second, à Marguerite.

Côté jardin, pour prendre les relèves en défaiseuses de lit, cer-

taines familles s'en font une spécialité à la Cour depuis quelques lustres. Faire fortune par la galanterie est une pratique perfection-née par les d'Entragues ; et quand nous écrivons galanterie, c’est dans toutes les acceptions du terme…

Charles d'Entragues, dit le bel Entraguet, raffiné d'honneurs et mignon d'Henri III, est le frère de François d'Entragues, que ce même Roi maria à Marie Touchet, ex-favorite de son frère Char-les IX.

De ces épousailles apparurent deux damoiselles dont l'une, telle pion bien manœuvré sur jeu pour venir à Dame, est présentée à Henri IV, un après-midi de juin 1599, dansant un branle lors d’une répétition d’un ballet de Cour. C'est la brune et piquante Henriette d'Entragues, aux regards de Carmen et à l'allure de femme chatte. Les filets de la passion sont lancés sur le Roi…mais, …une fois le poisson ferré, on va le tenir très court6 . Quoiqu'en ces temps, à la Cour, il n'y eût presque plus que les huiles d'olive qui, grâce à une pression à froid, étaient encore vierges, le gentil papa et la tendre maman scombridés, font monter les enchères sur la jeune oiselle.

6 J.P. Babelon (op. cit.)

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Mais, pour l'instant, seulement les enchères. Après consultation de moult experts, la virginité – très relati-

ve – de l'impétrante est estimée à 50.000 écus (15.750.000 Francs 1997, soit 2 400 000 € - Réédition de 2010)

Père et Mère renâclent. Navarre, enamouré, leur promet alors le marquisat de Verneuil-

sur-Oise pour la pucelle. Ils veulent mieux ; plus haut. Et le Béarnais craque. Il griffonne : Nous, Henri jurons devant Dieu que nous donnant pour compagne

Henriette au cas que dans six mois, elle devienne grosse et qu'elle accou-che d'un fils, alors nous la prendrons à femme et légitime épouse en face de notre Sainte Église.

François d'Entragues, prudent, fait enfermer la convention dans une carafe, scellée dans une cache d'un mur de son manoir.

La fille est lâchée au Roi au château de Malesherbes. Mais il courtise déjà une autre jouvencelle et la nouvelle Marquise de Ver-neuil, bientôt engrossée, ne lui pardonnera jamais sa constante dérobade. Elle en gardera une rancœur qui pourrait expliquer sa vraisemblable participation au complot qui coûta à Henri IV son trône et sa vie. Nous reviendrons plus loin sur ce point.

Côté Cour, il faut trouver digne épouse, apte en procréation of-

ficielle – car le propre d'un souverain est d'avoir un descendant –, œuvre que Margot ne sut assumer. Henri IV sait que la diplomatie f lorentine pousse sa Dame. Le mémorialiste bien connu Monsieur le duc de Saint-Simon, revisitant l'histoire dans son "Parallèle des trois premiers Rois Bourbons"7, laisse supposer que l'absolution de Clément VIII était assortie de cette condition.

Marie de Médicis, princesse toscane, et fille du Grand Duc

François est un parti qui ne rebute pas Navarre, tout au moins sur le plan politique. Toutefois, pour ce grans galans, elle est assez éloi-gnée physiquement de la Carmen qu'il a sous le coude, malgré les 7 M. Carmona - MARIE DE MÉDICIS

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portraits qui lui sont envoyés de mois en mois, tous plus accom-modants les uns que les autres.

Quand on évoque la très potelée jeune personne devant le Béarnais, dont la constitution ne fait pas rechigner au labeur, il va jusqu'à interroger ses conseils es-médecines pour savoir, si une tant importante charnure ne serait pas obstacle à perpétuation. Déjà mame-lue et fessue à souhaits à 27 ans, malgré les trucages en traitement d’image des artistes f lorentins ; et Dieu sait si les portraitistes d'époque savaient s'y prendre.8 Pour sa part le grand peintre Ru-bens tourna la difficulté d'une façon élégante : Marie fut représen-tée à l'âge de 17 ans dans le tableau "Présentation du portrait de la Reine à Henri IV". À noter que le titre lui-même est légèrement anticipé quant au terme Reine.

Henri IV hésite. Mais, à y bien réf léchir, Madrid, la Maison

d'Habsbourg et les catholiques français ne seraient point fâchés de l'alliance, les ligueurs9 s'en trouveraient affaiblis et la bénédiction papale nous rapprocherait de l'Italie, relation longtemps convoitée pour faire pièce à l'Espagne.

De sus, la famille de la demoiselle est connue de bonne re-nommée en doulce France, puisqu'une lointaine cousine a déjà tenu un bras du siège royal sous le nom de Catherine, soixante ans plus tôt.

Henri IV, qui n'irait que d'une fesse vers Florence, comme il ai-

mait à dire, est convaincu par un irréfutable argument présenté par 8 Le modèle étant le client (payeur) il était souvent difficile de le représenter dans sa vraie nature ! Il en est de même aujourd'hui dans les enquêtes d'opinion, où les sondeurs ne peuvent retourner une image négative à l'homme politique — ou au parti – qui finance le sondage. Ce serait la meilleure façon de perdre un client. Quant aux Instituts d'État, leur impartialité est inversement proportionnelle aux émoluments distribués par le pouvoir en place. 9 Membres de la Sainte Ligue, Confédération de catholiques née pendant les guerres de Religion. Devant les progrès du calvinisme, des confréries armées se formèrent dans les provinces à partir de 1568 et fusionnèrent en 1576 en une «Sainte Ligue» dirigée par Henri de Guise. Mais l'assassinat de ce dernier (23 décembre 1588) les priva du seul chef faisant l'unanimité. À Paris, les excès des Seize (chefs des seize quartiers de la capitale) contribuèrent, avec l'alliance espagnole, à discréditer la Ligue. L'abjuration de Henri IV (1594) permit de mettre fin à la lutte en 1596.

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un de ses plus proches conseillers, Maximilien de Béthune, baron de Rosny, plus connu sous le nom de Sully. Ce dernier se fait d'ail-leurs gloire dans ses mémoires du raisonnement proposé qui em-porta l'adhésion du roi :

La France a une dette de 1 million de Ducats d'or – 370 mil-lions de Francs 1997 – envers la Toscane. Les intérêts courent de-puis des années, Navarre envisage d'en rembourser une partie, mais à bonnes tractations sur l'affaire qui se présente, on peut es-pérer blanchir la colonne des débits et radier celle des agios (terme f lorentin signifiant aisance !).

Saint-Simon remarque que, du côté du Grand-Duc de Toscane, ce dernier sentit bien que s'il ne se déterminait pas à la marier, il ne trouverait plus l'occasion de l'établir convenablement à sa naissance (à son rang).

On marchande donc tout l'hiver comme en banque f lorentine et, au printemps on s'accorde enfin sur la dot :

– 700.000 écus (220 millions 1997) payable en argent comptant versé à Marseille.

– Plus, bien sûr, le billet pour la Caravelle (pas l'avion, le ba-teau) de Florence à Marseille-Provence, ancien nom du port de Marignane.

– Plus l'armement de vingt-quatre porte-containers des f lottes de Florence, de Gènes, de l'Ordre de Malte et du Saint-Siège qui assureront la protection de la jouvencelle et galèreront sa Suite.

Total des frais : presque un million d'écus (315 millions de Fr.). On n'est pas loin du compte, si l'on regarde notre dette. Le contrat de mariage est signé le 5 octobre 1600 à Florence où

Marie de Médicis reçoit l'alliance nuptiale des mains de son oncle ex-cardinal, Ferdinand de Médicis, Grand-Duc de Toscane, repré-sentant le Roi de France.10

10 l'oncle représente le beau-père de sa nièce… Une de nos tendres amies, historienne, nous a confié que les mariages par procuration étaient d'usage en ces temps : La perfec-tion voulait, qui plus est, que le représentant du Roi entre dans le lit de l'épousée, en public mais habillé, une jambe dans la couche et l'autre tendue bien droite dans la ruelle – nom de l'espace qui longeait les côtés d'un lit –, la Cour étant prise en totalité à témoin de l'acte officiel.

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Les malles et bagues – bagages – étant prêtes, on embarque à Livourne le 17 octobre. La Galère Royale file 6 nœuds, nous raconte M. Carmona11. A bord, l'ambiance est joyeuse et, dans la suite tos-cane de la nouvelle Reine, un jeune intrigant f lorentin courtise la plus proche amie de Marie. Celle qui fut sa compagne de jeux d'en-fance a troqué son nom, Dianora Dori, peu enluminuré à son goût, pour celui de Léonora Galigaï. Au fil des années, elle est de-venue la confidente et principale conseillère de la princesse.

Elle est attirée par la réputation charmeuse de ce jeune délicieux gentilhomme, neveu du Secrétaire d’État du Grand Duc de Tosca-ne, que son oncle a poussé dans le bateau, excédé des frasques du jeune coquardeau dans la cité des Médicis. Il a pour nom Concino Concini. La vie de débauche et les innombrables escroqueries de cet affairiste portent ombrage à la Cour toscane où tout n'est pour-tant pas d'une grande limpidité.

Les relations de Monsieur son Oncle ne lui ayant évité moult sé-jours en geôle, nous avons un aperçu des capacités de l'aventurier qui vient en France pour faire fortune ou mourir.

Il est, en effet, sur le bon chemin en courtisant la sœur de lait de

la Reine, comme certains mémorialistes ont surnommé Léonora dans ses débuts. Ils l’appelleront aussi plus ironiquement La Gali-gaï, La Conchine puis par dérision La Maréchale d'Encre. Cette dernière étiquette ref létant un physique octroyé par une nature inattentionnée.

Elle possède déjà une inf luence indéniable sur sa royale amie et l'enrôle certains soirs dans des jeux de cartes où la magie et la divi-nation mettent en place les sofas de la nouvelle Cour. La Suite princière en veut savoir aussi, et chacun aura le contentement, à la mesure de ses offrandes aux esprits, par l’entremise de la carto-mancienne… Son apprentissage touche à la perfection et elle va pouvoir prochainement mettre en œuvre ses capacités d'intermé-diaire obligée.

11 M. Carmona - op. cit.

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L'Armada pacifique touche terre française le 9 novembre. Mais il a fallu s'arrêter huit jours à Gènes pour cause de forte

tempête. Il fut aussi indispensable de relâcher, de loin en loin, dans quelques ports intermédiaires pour les pleins d'eau ; mais avant tout pour se mettre à l'abri des hardis pirates musulmans d'Alger12 qui razzient régulièrement les côtes italiennes et provençales. De quoi vous faire trembler les passagers, Marie la première, malgré l'escorte des Galéasses et autres Birèmes assurée par 5.000 hom-mes armés, protégeant les 2.000 invités à la noce, et surtout les caisses des lingots de la dot.

Dans ces instants difficiles, le jeune Concini a su tirer profit de la situation, se jetant aux pieds de la Reine, l'assurant de lui faire rempart de son corps et défense au péril de sa vie si pareille aven-ture survenait. Jalons bien placés.

L'arrivée à Marseille, où Henri IV n'est pas présent, (officielle-

ment) pour cause de guerre (d'intimidation) franco-savoyarde, est assez folklorique et représentative de la si charmante désinvolture phocéenne.

La Galère Royale, restée au large, pour préparer son effet, attend, après allers et retours d’estafettes navigantes, le feu vert des repré-sentants du Roi, le Duc de Guise, le Connétable et le Chancelier. On débat des derniers détails du protocole, jusqu’à définir qui sera au huitième ou au vingt-quatrième rang sur le document pictural qui fera office de dépêche A.F.P. !

Il est alors temps de songer à envisager, de penser à réf léchir, en

un mot de prévoir les moyens nécessaires pour mettre en place efficacement, mais sans excitation, les attributs du cérémonial pour la débarcation ;

le temps de mesurer la situation ; puis d'aller quérir avec une prompte lenteur les tapis rouges qui

seront étalés sur le port ; et de s'en revenir à pas comptés, faisant boire les chevaux et aus-

si les hommes, ce 9 novembre chauffant comme Saint-Martin ; 12 M. Carmona — op. cit.

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et de les dérouler avec délicateté (pas les chevaux ni les hom-mes, mais les tapis) ;

mais hélas ! pas au bon quai ; alors de les renrouler à la précaution, car de grand coût ils sont ; et de les mettre en bonne place enfin, dans un brouhaha ponc-

tué de petitimes injures provençales ; une vraie galère ! Une Galère Royale qui n'accostera que cinq heures plus tard. Pendant ce temps, à bord, Concini minaude devant Léonora et

Marie… D'après les estimations d’un aïeul de Léon Zitrone, envoyé spé-

cial de la Gazette des Jours de la France en ces temps-là, 7.000 specta-teurs, dont Marius, César et Fany, assistent au spectacle. Imagi-nons un instant que Marcel Pagnol, ou son ancêtre, eut été là avec sa boîte magique… Et que nous ayons cassette de ce jour d’autrefois… Hélas, moult fois hélas !

La débarcation se fait dans des révérences sous pluie de f leurs. Les amphitryons commis à l'accueil montrent leur tête deux fois plutôt qu'une. Au cas où, dans quelque temps le souvenir de ces hôtes si charmants sortirait de la mémoire de celle qui devient leur reine…

Il se fait tard et l'insouciance locale empêtrant toute organisa-tion, on couche où l'on veut, ou plutôt où l'on peut. La Reine et quelques proches courtisans à l'Hostel de Ville, et le reste, en gale-tas de vieille cité ; mais plus souvent dans les rues, les rats repus par le poisson du port y étant moins agressifs que la gent insectivo-re des literies.

Loin de là, Navarre profite de ses dernières heures de liberté en galipettes avec Henriette d'Entragues, présumant que sa nouvelle épouse n'aura peut-être pas les libéralités que Margot eut envers Gabrielle. Retardant sans cesse l'instant définitif qu'il redoute au-tant qu'il espère, il fait porter aux visiteurs italiens l'ordre de se rendre à Lyon, où il sera dans quelques jours.

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À ces mots la nouvelle épousée trépigne f lorentinement, vocifè-re, menace de déchirer le contrat, tempête qu'elle va rentrer chez maman, puis, l'accès latin passé et considérant l'éloignement de sa terre natale, elle remonte à contrecœur dans sa carrosse13, accom-pagnée de Léonora et de son fol amant.

Le deuxième acte du mariage à épisodes est joué à Lyon le 17 dé-

cembre 1600. Un jeune dauphin nommé Louis, et qui sera le trei-zième de la dynastie, en naîtra le 27 septembre 1601.

On part alors vers Paris en famille. Au long des étapes, avec son parler franc habituel, Navarre prend contact avec les Grands tos-cans de la suite royale. Son langage étonne, peu compatible avec les subtilités f lorentines enrubannées, où le méchant défaut qu'est l'hypocrisie se pare de toutes les qualités s'il est étiqueté diplomatie.14

Cheminant donc, d'autres, de sang italien plus bouillonnant en respirent mieux, apprécient le gaillard et paillard pyrénéen, préfé-rant la dispute – discussion franche – à la fausseté tartufée. Ils sont peu à peu mis en confiance et, à mots couverts, lui font mise en garde contre Concini.

En fait, dès le premier contact à Lyon, Henri IV ressent à son

égard une méfiance profonde qui se transforme bientôt en aversion15. L'arrivée au Louvre, le 10 juillet 1601, permet à l'aventurier f lo-

rentin de ne pas perdre le contact avec le pouvoir ; logé par son intercédante fiancée, il joue rapidement la carte Henriette d'Entra-gues pour tenter de faire accepter son mariage avec Léonora Gali-gaï.

Marie de Médicis n'a pu convaincre son royal époux sur les épousailles, cependant la maîtresse y parvient. Navarre accepte,

13 carrosse fut longtemps du genre féminin. 14 Quatre siècles plus tard, à très peu près, on donnera même le joli nom de convivialité à cette fourberie. Une partie de notre culture, qui consiste à glisser les deux pieds plutôt qu'un, sur le chemin d'un quidam à qui l’on vient d'offrir un café, est peut-être imputable aux compagnons de route du Béarnais, à défaut de ceux de son arrière-grand-oncle Fran-çois Ier. Vous trouverez d'ailleurs de pareils panégyristes pérorer sur votre cercueil, eux qui n'ont eu de cesse de vous chantourner des costumes au vitriol, votre vie durant ! 15 J.P. Babelon (op. cit.)

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mais appréciant peu l'inf luence du couple Concini sur la reine, il pose comme expresse condition qu'une fois unis, ils s'en retour-nent dans leurs jardins lointains.

Cette thèse est parfois contestée par certains historiens, mais il eut cependant été préférable qu'elle se réalisât...

L'ascension commence. Léonora est nommée Dame d'atours de

la Reine, qui ne veut se faire coiffer que des mains de la laide et courte noiraude, béarnaise dénomination garantie !

Au fil des mois, imposée par Marie qui jure qu'elle en mourra si on lui arrache sa sœur, et par Henriette qui espère son entremise pour se rapprocher du Louvre, la présence du couple a raison d’Henri IV. Peu à peu, persuasion féminine oblige, il ne regarde plus Concini du même œil. Il va même, un soir, jusqu’à battre les cartes avec lui.

De son côté, la souveraine nomme l’aventurier Premier Maître d’Hôtel en 1605 – intendant des services généraux – et lui accorde une pension annuelle de 25.000 livres (2.625.000 Fr. 1997).

Un an plus tard, à son retour de mission en Italie, il est accueilli

par le Roi avec une bienveillance qui l’étonne, puis renforce sa su-perbe. Car Henri a besoin de lui : Si, par son entremise, Léonora parvenait à faire accepter par la Reine le retour d'Henriette d'En-tragues à la Cour, le Roi ne serait pas ingrat. Un poste de grande importance pourrait lui être confié : Ambassadeur du Roi de France à Florence, par exemple.

Et l'on part, bras dessus, bras dessous, souper avec la Reine. La superbe se double alors de fatuité. Il est donc un proche du

Roi. Mais cette situation n'est pas pour plaire aux vieux fidèles de Navarre et il déjoue de peu un attentement de meurtreurie sur sa personne en fin 1906.

Plus le temps passe, plus le couple d'aventuriers vit un train

royal sur la cassette de la Reine ; lui, pérorant en Cour avec une

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élégance de ruffian et une allure bravache16, et elle, monnayant aux visiteurs quémandeurs les faveurs de la Florentine dans une cham-bre sans jour, entourée de queues de chandelles fumantes, d'affi-quets, de chimères, de poudre de souris desséchées, de fioles de bave de crapaud et d'animaux empaillés.

Affalée sur un immense lit noir, tendu de noir et bordé de noir, la sorcière apocryphe hésite, dans ses divagations chroniques, entre hystérie et schizophrénie.

Ou, tout au moins, en joue bien le rôlet. C'est passage obligé pour qui sollicite exemptions ou privilèges.

Et le tarif tient compte de la tête du mandeur. Son lit aussi parfois. Elle est la seule, au Louvre, à avoir accès permanent à la chambre de Marie de Médicis, par un virelet – petit escalier tournant – qui la relie directement à la sienne, à l'étage supérieur. Quant à son doux époux, il ne répugne pas à quelques promenades avec Marie de Médicis dans les jardins du Louvre, les étouffantes soirées d'été.

Et les langues vont bon train…

16 M. Carmona —( op. cit.)

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III — L ' A S S A S S I N A T

Le mardi 14 mai 1610 dans les trois heures de l’après-

dîner, le Roi met son coutumier habit de satin noir égratigné17 et fait atteler sa carrosse de ville, voulant aller à l'Arsenal, visiter Mon-sieur de Sully qu'une affection printanière retient au lit. Les em-barras des rues, déjà habituels en ces temps, sont accrus par la foule admirant les arcs de triomphe élevés la veille, à l'occasion du sacre de la Reine.

Et tout en roulant cahin-caha vers l'Arsenal, il se remémore ses derniers entretiens avec Marie. Poussée par les Concini qui lui ont maintes fois rappelé qu'il lui manque un sacrement pour s'imposer à l'obéissance de ses sujets en cas de malheur, elle a tabusté son royal époux durant de longs mois pour obtenir l'officialisation qui confortera son pouvoir dans l'éventualité d'une régence18.

Manœuvre habile ; mais Navarre a toujours refusé, une régence impliquant sa propre disparition.

Cette hypothèse parut longtemps inconcevable à celui qui fut le

dernier Roi de France dans la lignée médiévale des chefs audacieux, énergiques et pugnaces. Sur ce plan, et sur bien d'autres, il était plutôt un digne successeur de Charlemagne que d'Henri III.

Son opinion changea pourtant en avril. Son prochain départ pour guerroyer nécessitait la régence politique de Marie de Médicis pour gouverner en son absence en tant que Reine régnante.

17 J.P. Babelon – op. cit. 18 M. Carmona – op. cit.

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La carrosse du roi se dirige à grand peine vers l'Arsenal car le sacre et ses festivités ont importé une foule considérable dans la capitale. Dans le grand charroi de la rue de la Ferronnerie, deux chars à mangeailles et boissons, venant des Halles proches s'en-tremêlent les attelages. La voiture du Roi en est bloquée devant l'Auberge du Cœur Couronné Percé d'une Flèche19. L’étroitesse de la voie et les roues du véhicule touchant les bornes de chaque côté forcent les valets à descendre des marchepieds et à contourner la rue par le cimetière Saint-Innocent.

Un homme suit la carrosse depuis le départ. Il est connu et a

déjà été fouillé plusieurs fois sans succès au guichet du Louvre. Il en est refoulé à chaque occasion par la Garde, sa demande de par-ler seul à seul avec le Roi pour lui transmettre un important mes-sage secret fait plutôt considérer ce grand gaillard à la barbe rousse et aux yeux mélancoliques comme un doux illuminé et on prend habitude de le voir côtoyer les cortèges.

La carrosse ralentit, l’homme saute d’un bond sur le marche-

pied, écarte le rideau, frappe Henri IV d'un coup de couteau. Le Roi s'écrie « je suis blessé », lève le bras et Ravaillac frappe une se-conde fois, directement au cœur.

Quand, plus tard il sera questionné, il avouera avoir toujours eu sa fine dague sur lui, bien cachée le long d'une chausse et qu'aucu-ne fouille n'a jamais permis de déceler.

Personne ne songea à féliciter les services de Sécurité ! A moins que…

19 L'appellation de l'auberge serait antérieure au crime ! Peu crédible…

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IV — L A R É G E N C E

A l’assassinat d'Henri IV, Louis XIII est roi mais ne peut

régner avant sa majorité, fixée depuis Charles V en 1374, à l’âge de quatorze ans.

Cet enfant renfermé et cloîtré dans une éducation rigoriste qui a

favorisé son introversion, n'a que huit ans et demi mais possède déjà un caractère affirmé et une intelligence supérieure à la moyen-ne par laquelle il comprend et analyse, en grande partie, les intri-gues de la Cour.

L'objet de son grand amour, son père, n'est plus. C'est avec lui

qu'il partait en folles chevauchées dès l’âge de six ans, et il assume très mal cette absence. C'était le seul qui le comprenait et savait exciter sa jeune fougue lors d'épiques batailles de soldats d'étain, où Navarre le rudoyait comme au combat en lui donnant les prin-cipes de l'art de la guerre. Il a perdu son seul ami, et la France a perdu son dernier grand Roi féodal.

Il ne lui reste qu'une mère qui peut enfin donner libre cours à

son avidité longtemps contenue de pouvoir, d'argent et de joyaux. Dire qu'elle aime peu ce fils serait une litote. Elle sait que Louis, dont la rigueur morale fait déjà surface, acceptera difficilement ses excès. Elle verrait d'un bien meilleur œil régner son troisième fils

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Gaston, Duc d'Orléans ; un des plus vils princes que la monarchie ait porté20, futur ourdisseur de complots contre Richelieu et contre le Roi, son frère. Qui s'entendra d'ailleurs à merveille avec Concini…

La Reine-Régente fait peu à peu éloigner les conseillers de Louis,

anciens fidèles de Navarre. L'Enfant-Roi comme le surnomme R. Merle21, se réfugie alors dans un mutisme et une inertie qui ont autorisé certains auteurs moins avertis, si ce n'est aimablement malveillants, à nous le présenter comme un enfant simplet, colé-reux et rebelle ! Il est asseurément vrai, à leur décharge, que cette image patiemment véhiculée par Marie de Médicis et son maffieux entourage, pour les raisons que l'on devine, a été reprise par quel-ques mémorialistes bien en Cour, et que la rigueur, fût-ce celle d'un prétendant au trône est rarement la tasse de thé des plumitifs enga-gés…

Le tempérament émotif de Louis, savamment entretenu par le

fouet presque quotidien ordonné par sa mère, lui cause le déclen-chement progressif d’un bégaiement qui rejoint une difficulté de prononciation de la lettre "r" depuis ses premiers balbutiements. Ce handicap, qui déclenche grande hilarité chez les opportunistes du Palais, sera plus tard sa force, et Louis aimera dire se préférer agir que parler.

Voyez-vous un roi de France zozotant et bégayant dans un gali-matias à l'accent africain ? Fi ! ma chère, que ne vaudrait-il mieux un servile Gaston, soumis aux désirs du Duché de Toscane, et f lo-rentinement servi par quelques ducs en mal de chausses brodées d'or ?

En cette année 1611, il ne reste plus au jeune roi, comme con-

fident accessible, que l'ancien page de son père, Charles de Luynes. Ayant prétexte de lui enseigner la fauconnerie, ce Maître oiseleur devient son oreille au Louvre.

Il a 23 ans de plus que Louis qui en fait insensiblement son

20 J.P. Babelon – op. cit. 21 R. Merle – op. cit.

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conseiller officieux et secret ; quelques altercations feintes, jouées devant la reine mère, dédouanent aisément Luynes.

Au cours de longs conciliabules, dans la salle d'armes du roi, il l'exhorte, pour sa propre sécurité, à poursuivre ses jeux d'enfants aux yeux de la Cour, toute velléité de pouvoir portant grand risque de noise d'un aventurier italien qui convoite une branche du scep-tre… et n'est pas le seul !

A la mort d'Henri IV, on présente souvent Marie de Médicis

sous l'emprise totale du couple Concini. C'est peu dire si l'on se réfère aux libéralités démesurées qu'elle leur accorde sans raison, et sans raisons, et dont nous allons fournir, plus loin, quelques édi-fiants extraits. Qu'elle se trouve, comme on l'a maintes fois affir-mé, sous la coupe directe de la Galigaï est patent, mais en lisant entre les lignes des mémorialistes, il est aisé d'en déduire que cette apparence d'irresponsabilité convient parfaitement à ses projets ; et lui servira même d'argument de défense bien plus tard.

Elle s'acharne alors sur son Ministre des Finances – et de ce

que l'on pourrait appeler aujourd'hui l'aménagement du territoire – Maximilien de Béthune, baron de Rosny, mais plus connu sous le nom de (duc de) Sully. Ce fut l'un des meilleurs économistes fran-çais, austère et efficient gestionnaire huguenot, co-rédacteur avec feu son Maître et compagnon d'armes, du Grand dessein d'une Ré-publique chrétienne de l'Atlantique à l'empire de Russie. Ce dont certains gestionnaires politiques modernes auraient grand profit à s'inspirer pour le bien de leur petit peuple.

Il est évident qu'un Intendant si rigoureux ne pouvait supporter la mise en perce des coffres de l'État. Le 26 janvier 1611, en plein conseil de régence, il démissionne, outré des propos tenus par son rival de facto, Concini, économiste lui aussi, mais pour sa bourse personnelle …

Palliant le risque de laisser croire au lecteur qu'une quelconque

partialité guiderait nos propos, nous préférons prêter la plume aux témoins irrécusables des douceurs administrées :

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On n'avait jamais vu jusque là, dans ce pays, un aussi grand pou-voir exercé pendant tant d’années avec une telle absence de scrupules, et de surcroît par un couple d'origine étrangère.22 Et notre Louis de Saint-Simon, portraitiste de talent ajoute une touche de réalisme en leur attribuant un aimable qualificatif : la lie domestique.

Récapitulatif non exhaustif et au hasard des temps, de quelques

menus cadeaux de Marie au jeune couple démuni :

– Août 1610, Marquisat d'Ancre, revenu annuel exemp-té de tout droits d’impôt : 40.000 livres23.

– Septembre 1610, Membre du Conseil d’État24 et des Finances, revenu annuel exempté idem : 350.000 livres25.

– Novembre 1613, nommé Maréchal d'Ancre et vêtu de quelques autres dizaines de milliers de livres pour frais de représentation et tickets d'autoroute. Le tout, bien entendu, non imposable.

Et tant d'autres prébendes, plus modestes, mais qui vous fe-

raient bien vivre sans souci un honneste gauthier jusqu'à un âge barbon ; tant et tant qu'une milliasse de ces lignes ne suffirait à contenir.26

Cependant, une chansonnette court alors les rues de Paris :

Si la Reine allait avoir Un poupon dans le ventre Il serait bien noir Car il serait d'Ancre.

22 M. Carmona rapportant Saint Simon – op. cit. 23 4.360.000 Fr. de 1999 (664 000 € de 2010) 24 Au vu de ces montants, un certain Roland Dumas, membre du Conseil d'État – lui aussi – paraît bien mesquin dans ses détournements de fonds public, 380 ans plus tard ! 25 38.150.000 Fr. de 1999 26 Les cassettes ayant été effacées par erreur, nous n'avons malheureusement plus les preuves que le soir du 31 avril 1614, au vingt heures, un abominable journaleux de la Lucarne Magique aurait prononcé ces mots prémonitoires : « Aujourd'hui, à la Nationale Assemblée, tous ces Tapis d'ors ont fait rêver plus d'un député parmi ceux qui se sont autoamnis-tiés ». Grand dommage pour notre pauvre Louis XVI qui n'a pu en faire autant…

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(A rapprocher, dans la satire populaire, du surnom dont on avait affublé la noiraude Léonora Galigaï : la Marquise d'Encre ainsi que du titre porté depuis peu par son tendre époux Concini, le Marquis d'Ancre.)

Touchée par ces basses insinuations, la Reine-Régente s'en fait

vite une raison et, pour oublier ces tracasseries, poursuit sa géné-reuse distribution des biens de la couronne ; mais, cette fois pour elle-même :

– Avril 1612, une maisonnette dans un parc de huit hectares, en bord de la rue de Vaugirard pour 90.000 li-vres27.

– Juillet 1613, une petite propriété attenante, à l'est pour 27.000 livres28.

– Le même mois, la ferme de l'Hostel-Dieu pour 50.000 livres.

– 1614, quatre voisins expropriés pour cause d'utilité personnelle au montant de 126.740 livres29.

– La même année, les Chartreux dont le couvent est en prolongement ouest des précédentes acquisitions et qui re-chignent à la vente, sont proprement expulsés et relogés en terrains vagues. Pour un coût total de 293.740 livres30 et presque autant pour démolitions et travaux.

Petit calcul : 800 mètres sur 300 nous font 24.000 mètres carrés, d'où un prix du mètre carré à démolir de 1.334 francs dans le VIe arrondissement de Paris. Il nous en restera le Pa-lais du Luxembourg (au grand dam, d’ailleurs des casseurs de 1789 et de 1871).

27 9.810.000 Fr. de 1999 28 2.943.000 Fr. - - - - } soit un total d'acquisitions immobilières personnelles 29 13.814.660 Fr. - - - - } en deux ans de : 58,6 millions de francs (de 1999), 30 32.017.000 Fr. - - - - } soit 9990 mois (832 ans) de salaire au SMIC (1999)

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L'ascension des Concini et la morgue décisionnelle dont ils font montre crée une jalousie d'un niveau rarement atteint à la Cour de France et deux clans s'établissent au fil des nécessités :

– Ceux qui, prétextant droiture et fidélité à la souveraine, en demandent récompense ; – Et ceux qui, prétextant grandes difficultés financières en leurs baronnies et petite légitimité de cuissage à la main, se trouve-raient mieux sur le trône, ou tout proches, à tout le moins qu'on ne les dédommage. Et les Condé, les grands et petits ducs, d'ici et d'ailleurs, d'occa-

sions ou de convenances, passent à la caisse. Quant au pillage du Trésor royal, il passe lui, à la vitesse supé-

rieure. Navarre et Sully avaient amassé à la Bastille en quelques années environ 3.500.000 livres31. Ce pactole devait permettre de financer une guerre de précaution qui desserrerait le carcan des Habsbourg de Vienne et de Madrid, dont les possessions, de la Sardaigne au Milanais en passant par le royaume de Naples, de l'Autriche à la Franche-Comté et des Pays-Bas au Portugal ren-daient irrespirable l'air français.

Pour comparer ce qui est comparable, ce trésor affecté au Minis-tère de la Défense représentait 17 % du budget de la France qui, en 1610 s'élevait à 20 millions de livres32. Pour les lecteurs curieux, en 1996 le budget du pays a été de 1.560 milliards soit 716 fois celui de Navarre ! Que diraient alors les aimables pacifistes, antimilita-ristes et résistants du Bar du Coin si l'on affectait 265 milliards aux Rafales et autres chars Leclerc ? Ils hurleraient, sans nul doute, et cela serait bien normal puisque à ce jour d'hui, nous n'avons plus que des amis.

Comme chaque fois, jusqu'à la prochaine déculottée… Pour en revenir à notre malle-forte de la Bastille en ces années

1610, d'aucuns y plongent à pleins bras. Des potelés et des poilus, mais tous italiens.

31 381 millions de francs ( de 1999) 32 2,18 milliards de francs - - - -

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Qui, 900.000 livres33 pour dédommager Condé, a qui on n'a pu donner Amboise en merciements de sa séparation des princes rebelles, les Vendôme, duc d'Anjou, de Nevers et autres jeunes gens affamés.

Qui, 1 million de livres34 pour ramener à raison ces enfants turbulents.

Qui, 1.200.000 livres35 pour financer les frais de route, jusqu'à Bordeaux en vue du mariage de Louis XIII et d'Anne d'Autriche.

Chers enfants et cher voyage… "Quarante charrettes d'or issues de la Tour", note le Président

Jeannin, gardien de la Banque de France de l'époque. Mais qui donc plonge les bras à pleines mains ? Surtout Marie de Médicis, après avoir forcé la main du jeune

Roi à signer l'autorisation de retrait. C'est une obligation. Il cède, les yeux embués, non du fouet que sa mère tient encore, mais du souvenir de son père et de l'éparpillement du conséquent bouclier qu'il lui avait légué. Les Concini sont présents à chaque fois et leurs regards avides croisent ceux, foudroyants de Louis. Il appro-che alors de ses quatorze ans, et François de Bassompierre confie dans ses mémoires qu'il y voit déjà les signes de la prochaine ven-geance.

Fin 1615, il reste à peu près 400.000 livres dans la cassette de l'état. Puis elles disparaissent comme par désenchantement un jour de fort brouillard…

Le pillage est achevé.

33 98 millions de francs - - - - } (voir note page suivante) 34 109 millions de francs ( de 1999) } Total des Prélèvements : 338 millions de Fr. 35 131 - - - - - - - - - - - } soit 4856 ans de SMIC (1999) !

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V — L A C H U T E

Cil prend mal coup qui trop haut monte.36 (d'une

chanson de 1380 sur Hugues Aubriot, prévôt de Paris). En décembre 1615, les États généraux qui siègent depuis plu-

sieurs mois, demandent la mise en place de Commissions d'enquête et de juridictions spéciales destinées à examiner les comptes des financiers ayant conclu des marchés avec l’État au cours des dernières années et juger ceux qui se seraient rendus coupables de détournements. Le jour où l'enquête remonterait à Concini, le pas serait vite franchi pour une mise en cause personnelle de la reine mère37. Un habile homme politique français du XXe siècle à dit, avec justesse, que lorsqu'on désire en-terrer une affaire, on nomme une commission d'enquête.

C'était déjà vrai en 1615. Le mariage de Louis XIII avec Anne d'Autriche occupe le de-

vant de la scène, mais en arrière plan les affaires et les intrigues pourrissent l’atmosphère. Marie de Médicis et Concini tiennent Louis à l'écart du gouvernement, pressentant un coup de force du jeune souverain pour reprendre ce qui n'est que sa légitime posi-tion. Un conseil secret restreint se met en place autour du Roi et

36 Celui qui monte trop haut risque de prendre un mauvais coup. 37 M. Carmona – op. cit.

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quelques-uns commencent à échafauder plans de redressement et… d'épuration.

A la Cour, brocardée sous cape, l'apogée du Maréchal d'Ancre n'en tient pas moins à distance d'éventuels justiciers qui n'osent affronter de face un puissant en puissance. L'année 1616 le voit au sommet de sa magnificence. Elle aveugle même son bon sens en le laissant commettre une impardonnable erreur :

Un après-dîner, dans une Galerie, Concini pousse la provoca-

tion à l'encontre de Louis XIII jusqu'à ne pas se découvrir devant lui et feindre de l'ignorer. A six pieds de là, lui tournant le dos, il le ridiculise à voix haute par des propos blessants, contrefaisant les difficultés de langage du roi dans sa jeunesse. La raillerie porte à faux devant un parterre de gentilshommes autant atterrés par l'ou-trecuidance du langage que par l'inf lexibilité de Louis qui s'éloigne dignement, sans un mot, blême d'une colère que Luynes lui avait appris à contenir.

Ce jour là, l'aventurier f lorentin parapha son arrêt de mort. Plus les années passent, plus son intelligence affichée avec les

Habsbourg d'Espagne, qui auraient vu, eux aussi, d'un bon œil l'installation de Gaston sur le trône, indispose le roi et les fidèles de son Conseil. Les informations des mouches et des rediseurs38 se font plus précises.

En ce début d'année 1617, Concini confie à quelques familiers

qu'il se sentirait fort à l'aise derrière le trône, gouvernant en sous-main, l'autre tenant le sceptre du manœuvrable Gaston, la reine mère envoûtée par Léonora et éloignée du Palais. Quitte à les invi-ter tous trois, un prochain soir à une cigüe-partie. Mais il faut que le terrain soit libre et Louis est vraiment de trop !

Si quelques auteurs ont cru déceler de la fidélité chez certains

Grands pour Marie de Médicis, ce loyalisme apparent s'expliquerait plus facilement par les dons généreux et lénifiants de la reine au 38 espions

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moindre lèvement d'épée, plutôt qu'à un dévouement désintéres-sé.39 Mais le Trésor royal était vide et les subventions baissaient !

Et, chez les moins fidèles, une idée faisait son chemin. Après tout, il était peut-être d'un meilleur placement de se mettre du côté d'un audacieux f lorentin, qui, pour parvenir à ses fins, était sans doute prêt à rétribuer les vassaux nécessaires à ses ambitions.

La coupe est débordante. Le roi est menacé. L'entourage et les

proches conseillers du jeune souverain envisagent alors d'annihiler le comploteur. L'accord de Louis XIII est long et difficile à obtenir. Il lui reste en mémoire les préceptes chevaleresques de son éduca-tion paternelle : se battre, oui, vaincre l'adversaire, oui, mais l'as-sassiner, non. Néanmoins, son père lui a aussi enseigné que si mort d'homme n'est pas nécessaire pour aboutir, il est toutefois plus sûr de dégainer l'épée du fourreau le premier.

C'est Vitry, Capitaine des gardes, qui tendra la souricière sur le

pont dormant de l'entrée de la cour du Louvre le 24 avril 1617. Le lendemain de l'enterrement à la sauvette, le corps est déterré

par le peuple, puis pendu au gibet du Pont-Neuf. Des morceaux arrachés par les corbeaux arrivent jusqu'à la nouvelle demeure de la Galigaï. Elle a tout juste le temps de reconnaître quelques tron-çons de son charmant époux avant d'être arrêtée, rapidement questionnée et pendue.

Puis brûlée. On faisait bien les choses en ces temps-là ! Trop bien peut-être, comme nous le verrons plus loin. Et Louis dit " A s'teure je suis Roi ! ". Les grands mettent genoux à terre. Marie de Médicis affolée, prend peur et vide ses coffres person-

nels, reposoirs capitonnés où ont transité les écus de la Bastille. Elle en retire une première fois 200.000 livres40, puis quelques jours

39 d'autant qu'ils considéraient Concini comme un rival. 40 21,8 millions de Fr. ( de 1999) ]

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plus tard 180.000 livres41 que suit un nouveau prélèvement de 140.000 livres42. Toutes ces sommes sont rassemblées et remises à la Banque Lumagne pour être envoyées à l'étranger. Rien qu'à Rome sont déjà parties 1.200.000 livres43 sans préjudice de ce qui a été envoyé en Allemagne, aux Pays-Bas espagnols et en Hollande44. On aurait pres-que envie d'ajouter à l'énumération : sans préjudice de ce qu'elle a détourné et envoyé depuis 16 ans.

N'était-ce point une bonne gérance, pardon, une bonne régence que celle qui rapporta au bas mot 20 milliards de nos vieux centi-mes en dix-sept ans ?

Et Louis XIII prit les affaires du royaume en mains en remer-

ciant la gérante. Mais ceci est une autre histoire.

41 19.6 - - - - - - - - - - - } (voir note page suivante) 42 15,3 - - - - - - - - - - - } 43 130 millions de Fr. ( de 1999) } soit 187 millions de francs 1999 } ( 3224 ans de SMIC 1999 ) 44 M. Carmona – op. cit.

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VI — D E S Q U E S T I O N S ?

Il reste malgré tout un point sombre dans ce roman tra-

gique. Chacun se doit de l'évoquer un jour ou l'autre : Qui a armé Ravaillac ?

Foin des illuminés. On a déjà donné, avec Jacques Clément pour l'illumination jésuitique qui éclaira le poignard dont Henri III ne se releva pas. Voici quelques éléments de réf lexion :

• Henri IV régnant, le sacre de Marie de Médicis était inutile. Navarre fermait les yeux sur ses détournements, lui en de-mandant autant sur ses galipettes avec Henriette d'Entra-gues.

• Un indice apparaît cependant par l'intermédiaire de Sully

qui, dans son instructif Économies royales, cité par M. Car-mona, affirme que, pendant l'été 1609, Henri IV serait venu à l'Arsenal lui confier que Concini négociait avec l'Espagne, que la Passitéa (Galigaï), mise par Concini auprès de la Reine, la poussait à se faire sacrer, qu'il voyait très bien que leurs projets ne pouvaient réussir que par sa mort, qu'enfin il avait un avis précis qu'on devait l'assassiner.

Troublante lucidité.

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• Il est de notoriété historique que Marie de Médicis a appris, apparemment sans émoi particulier, la mort d'Henri IV par un " E ammazzato " (on l'a tué) lancé par Concini dans l'en-trebâillement d'une porte.

• Les témoins présents ont été choqués, de même que Saint-

Simon qui nous rapporte : Personne n'ignore avec quelle indé-cence la Reine et ceux qui la possédaient45 reçurent une nouvelle si funeste qui devait les surprendre et les accabler. Pas de surprise. Pas d'accablement.

• Henriette d'Entragues a eu un fils d'Henri IV, né un mois

après Louis XIII et légitimé en 1603. Le trône laissé vacant lui aurait été comme un gant si, rappelons-nous, ressortant la promesse de mariage du fin fond d'une muraille paternel-le, l'antériorité de l'acte balayait l'alliance postérieure, avec Marie de Médicis, et du même coup le couple italien et le jeune roi.

Ambitieux projet qui livrait le pays aux dents acérées des jeunes loups enduchés et des voisins concupiscents.

• Ravaillac était revenu de Florence un mois avant son régici-

de et hantait la cour du Louvre depuis ce temps. Il est absolument impossible qu'il n'ait jamais été soumis

à une fouille adamantine — sévère —, laquelle était imposée régulièrement à toute la faune qui peuplait ce lieu, souvent composée de mouches à la solde des princes étrangers, en quête d'informations. Le dévestissement des individus était complet et les doublures mirées en transparence. Des ordres précis ont donc été donnés en ce qui concernait Ravaillac. Par qui et pourquoi ?

45 à lire dans le sens : ceux qui la manœuvraient

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Après l'assassinat, le régicide fut rapidement entendu, quelques témoins également, puis l'enquête promptement close et les acteurs supprimés ou éloignés46. De même que d'autres menus détails qui, une fois assemblés comme petits ruisseaux, font grande rivière de diamants gratifiants aux comploteurs.

Cette célérité dans l'enquête et dans le jugement a intrigué un

historien moderne.47 Déjà, dans les années 1960, la quête des véri-tés historiques était très à la mode, honorable motivation refaisant surface régulièrement, depuis que l'homme s'est fait historien. Dans le cas de Ravaillac, cette pertinente recherche de vérité a été particulièrement développée, il y a quelques années, par J. Casta-rède dans une récente et passionnante étude48.

Il y tente avec sucés, un parallèle entre l'assassinat de Henri IV

et celui de J.F. Kennedy. La surprise passée, l'on ne peut qu'abon-der à ses constatations :

– L'enquête sur Lee Oswald a été aussi bâclée que celle sur Ravaillac ; ils ont été rapidement réduits au silence ainsi que leurs principaux contacts.

– Des témoins, qui pourraient être qualifiés d'importants n'ont pas été entendus et certains ont disparus dans de trou-blantes circonstances.

– Dans les deux cas, mêmes questions, mêmes imbroglios, même beau monde mêlé.

Il n'est pas dans la vocation de cet ouvrage de reprendre toutes les interrogations de l'auteur, mais on pourra se référer à la biblio-graphie pour profiter avec bonheur de l'intéressante étude de sa thèse. Le contexte dans lequel cet événement notable de notre His-toire s’est déroulé est rarement mis en lumière, et la façon dont le

46 Le crime eut lieu le 14 mai et Ravaillac écartelé le 27. Prompte justice ! 47 La nouvelle mode voudrait que nous écrivions : … a interpellé quelque part … Mais nous ne céderons pas à la tentation, dussions-nous passer pour archaïque ! 48 J. Castarède – LE ROI VENGÉ

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sujet est éludé ou traité par les spécialistes de cette discipline est porteuse en elle-même d'interrogations….

Qui tente encore, de nos jours, de défendre la mémoire de qui ? Cette question mérite aussi d'être posée, même avec un sourire

amusé ; la simple bienséance interdisant de supposer que les guer-res de religion ne sont pas terminées…

Très modestement pour notre part, et à y bien réf léchir en nos mérengeoises, l'inculpation de Marie de Médicis, des époux Con-cini et d'Henriette d'Entragues49, ne relèverait peut-être pas de l'erreur judiciaire.

Si, de surcroît, elle était accompagnée de la mise en examen du duc d'Epernon, de la Congrégation des Jésuites et de quelque Prin-ce madrilène régnant, l’œuvre de Justice serait probablement sur le bon chemin !

Sans compter que quelques Grands-Ducs auditionnés par un juge d'instruction prolixe nous en apprendraient moultement…

D’aucuns purent railler50 notre bon Navarre sur son allure, son

accent ou son odeur, sur ses frasques conjugales ou ses adaptations spirituelles opportunes, mais nous lui devons d’avoir poursuivi avec acharnement l'extraction de la France de l'ère médiévale.

Cette œuvre, commencée par François Ier, et qu'il axa vers le

monde rural avec l'aide de Sully et des premiers spécialistes en sélection végétale et animale51, n'eut pour but que l'amélioration des conditions de vie des paysans par une productivité raisonnée. Son objectif était de constituer ce que nous pourrions appeler de nos jours des stocks antifamine, relevant à la fois d'une démarche

49 marquise de Verneuil et maîtresse délaissée par Henri IV 50 et le font encore dans les salles de classe… 51 Dont le grand agronome Olivier de Serres, qui publia en 1600 un Théâtre d'agriculture et mesnage des champs, dans lequel il conseille en particulier l'assolement des cultures afin de ne pas épuiser les terres. À noter que Théâtre s'entend au sens de traité, recueil, et que mesnage signifie exploitation, gestion. (D'où nous fîmes ménagement, puis, via nos voisins anglo-saxons management = conduite, administration des biens).

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gestionnaire et d’une prise de responsabilité protectrice de la population face à l’adversité de la nature.

Ses algarades, presque quotidiennes avec Sully en 1599 alors

qu'il l'avait nommé Grand Voyer (responsables des chemins, routes et canaux)52, n'avaient pour motif qu'une divergence de vues sur les méthodes à employer pour parvenir aux objectifs définis en plein accord ; mais cela n'entamait en rien leur mutuelle estime.

Henri IV ne baptisa-t-il pas lui-même de son humour gascon des Sullys, les ormes que son ministre faisait planter le long des routes nouvelles, afin qu'une protection bienfaisante ombrage conducteurs, chevaux et denrées alimentaires convoyées ?

Quant à sa conversion religieuse, si souvent décriée, elle n’était,

sans nul doute, que le bras de levier d’une unification nationale qui lui paraissait indispensable face à l’agressivité des Habsbourg qui, de l'Espagne aux Pays-Bas entenaillaient la France.

Ce fut un vrai souverain gestionnaire, avec une vision de l'Eu-rope totalement à l'opposé de celle des coquins et des marchands que d’irresponsables hauts fonctionnaires (pléonasme) actuels, dévoreurs de deniers publics, édifient entre Bruxelles et Stras-bourg, en cette triste fin de XXe siècle.

Ce fut un vrai roi, incontestable, sûr, juste et loyal, mais hélas cerné de prédateurs plus ou moins nobles, les politiques, que sa droiture, son respect du bien public, son amour du peuple et son franc-parler ont considérablement gêné.

C’était un empêcheur d'empocher en rond. Un Chevalier, le dernier. Il l'a payé. Son fils l'a vengé.

52 en plus de ses charges financières et économiques

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