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Mec. Ind. (2000) 1, 37–42 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S1296-2139(00)00102-0/FLA Modèles micromécaniques de l’interface d’un système tribologique dans une approche thermodynamique de l’usure continue Marta Dragon-Louiset * Laboratoire de mécanique des solides, CNRS-UMR-7649, École polytechnique, 91128 Palaiseau cedex, France (Reçu le 11 octobre 1999, accepté le 17 novembre 1999) Résumé — Cette étude s’inscrit dans une approche énergétique de l’usure de glissement proposant un modèle prédictif du phénomène. Concernant l’interface de deux corps soumis au contact et au frottement, elle cherche à caractériser un comportement moyen et homogénéisé du milieu granulaire, appelé troisième corps. Dans ce cadre, la description de ce milieu comme étant celle d’un fluide visqueux est proposée. On fait l’inventaire de lois de variation de la viscosité d’une suspension avec la fraction volumique des particules qu’elle contient, utilisables dans l’étude du troisième corps. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS usure / contact / frottement / troisième corps / frontière mobile Abstract Micromechanical models of the interface of a tribological system in a thermodynamical approach of continuous wear. This study is a contribution to a thermodynamical approach of contact wear, developed in order to create a predictive model. The interface (third body) of the two contacting solids is made up of the detached particles and eventually a lubricant. Although this interface has complex mechanical properties depending on the wear mechanism and operating conditions, an average behaviour of this area considered as homogeneous is sufficient for our model. The behaviour of a viscous fluid is proposed as a description of the interface’s one. According to several models, its viscosity varies with the volume fraction of particles. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS wear / contact / fretting / third body / moving boundary 1. INTRODUCTION L’usure par contact de glissement et frottement se caractérise par une perte de matière et une altération des surfaces affectées difficiles à prévoir. Retardée parfois par la présence d’un lubrifiant, cette usure met en jeu des mécanismes très divers, allant de l’usure douce par fatigue au grippage, en passant par l’abrasion. Dans une approche générale cherchant à mettre au point une démarche prédictive du phénomène, utilisant un outil de simulation numérique et la méthode des élé- ments finis, on propose un modèle d’un système soumis à l’usure. Cette approche permet d’évaluer la perte de ma- tière à l’aide d’une analyse thermodynamique. Elle né- cessite, pour son application, l’évaluation de la contribu- tion énergétique du milieu constitué des particules déta- chées — dit troisième corps — à la dissipation totale. * [email protected]. La rhéologie du troisième corps est très délicate à dé- terminer, et dépend d’un grand nombre de données non seulement liées aux matériaux et au chargement, mais également à l’environnement et au mécanisme d’usure observé. Cependant, il suffit dans cette étude d’évaluer un comportement « moyen », au sens de la mécanique statis- tique, du milieu d’interface composé des déchets d’usure et d’un éventuel fluide (lubrifiant ou environnement par- ticulier). Plusieurs de ces modèles sont proposés pour la description de l’usure dans le cas du cisaillement continu, i.e. stationnaire. 2. PRINCIPE DE L’APPROCHE THERMODYNAMIQUE Cette démarche nécessite un développement basé sur la thermodynamique des processus irréversibles. Elle fait l’objet des références [3, 4]. On en trouvera ici 37

Modèles micromécaniques de l'interface d'un système tribologique dans une approche thermodynamique de l'usure continue

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Page 1: Modèles micromécaniques de l'interface d'un système tribologique dans une approche thermodynamique de l'usure continue

Mec. Ind. (2000) 1, 37–42 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservésS1296-2139(00)00102-0/FLA

Modèles micromécaniques de l’interface d’un systèmetribologique dans une approche thermodynamique

de l’usure continue

Marta Dragon-Louiset *Laboratoire de mécanique des solides, CNRS-UMR-7649, École polytechnique, 91128 Palaiseau cedex, France

(Reçu le 11 octobre 1999, accepté le 17 novembre 1999)

Résumé —Cette étude s’inscrit dans une approche énergétique de l’usure de glissement proposant un modèle prédictif duphénomène. Concernant l’interface de deux corps soumis au contact et au frottement, elle cherche à caractériser un comportementmoyen et homogénéisé du milieu granulaire, appelé troisième corps. Dans ce cadre, la description de ce milieu comme étant celled’un fluide visqueux est proposée. On fait l’inventaire de lois de variation de la viscosité d’une suspension avec la fraction volumiquedes particules qu’elle contient, utilisables dans l’étude du troisième corps. 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

usure / contact / frottement / troisième corps / frontière mobile

Abstract —Micromechanical models of the interface of a tribological system in a thermodynamical approach of continuouswear. This study is a contribution to a thermodynamical approach of contact wear, developed in order to create a predictive model.The interface (third body) of the two contacting solids is made up of the detached particles and eventually a lubricant. Although thisinterface has complex mechanical properties depending on the wear mechanism and operating conditions, an average behaviour ofthis area considered as homogeneous is sufficient for our model. The behaviour of a viscous fluid is proposed as a description of theinterface’s one. According to several models, its viscosity varies with the volume fraction of particles. 2000 Éditions scientifiqueset médicales Elsevier SASwear / contact / fretting / third body / moving boundary

1. INTRODUCTION

L’usure par contact de glissement et frottement secaractérise par une perte de matière et une altération dessurfaces affectées difficiles à prévoir. Retardée parfoispar la présence d’un lubrifiant, cette usure met en jeudes mécanismes très divers, allant de l’usure douce parfatigue au grippage, en passant par l’abrasion.

Dans une approche générale cherchant à mettre aupoint une démarche prédictive du phénomène, utilisantun outil de simulation numérique et la méthode des élé-ments finis, on propose un modèle d’un système soumis àl’usure. Cette approche permet d’évaluer la perte de ma-tière à l’aide d’une analyse thermodynamique. Elle né-cessite, pour son application, l’évaluation de la contribu-tion énergétique du milieu constitué des particules déta-chées — dit troisième corps — à la dissipation totale.

* [email protected].

La rhéologie du troisième corps est très délicate à dé-terminer, et dépend d’un grand nombre de données nonseulement liées aux matériaux et au chargement, maiségalement à l’environnement et au mécanisme d’usureobservé. Cependant, il suffit dans cette étude d’évaluer uncomportement « moyen », au sens de la mécanique statis-tique, du milieu d’interface composé des déchets d’usureet d’un éventuel fluide (lubrifiant ou environnement par-ticulier). Plusieurs de ces modèles sont proposés pour ladescription de l’usure dans le cas du cisaillement continu,i.e. stationnaire.

2. PRINCIPE DE L’APPROCHETHERMODYNAMIQUE

Cette démarche nécessite un développement basé surla thermodynamique des processus irréversibles. Ellefait l’objet des références [3, 4]. On en trouvera ici

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M. Dragon-Louiset

Figure 1. Système de deux corps en contact et leur interface.

un résumé nécessairement incomplet, mais dont figu-rent les points essentiels pour l’application à notre mo-dèle.

Considérant un système tribologique assez général,composé des trois domaines (figure 1) (deux corps enmouvement relatif 1 et 2, et le troisième corps qui seforme entre eux) on écrit les lois classiques de la mé-canique, en prenant en compte l’existence d’un flux dematière de 1 et 2 vers 3. Ce transfert de matière est unprocessus dissipatif, irréversible.

La face soumise au frottement d’un des solides encontact apparaît, à l’échelle microscopique, nettementdégradée (fissurée, oxydée). Le corps sain par ailleursperd là progressivement de la matière, par rupture desmicro-aspérités. On définit ainsi (figure 1) pour chacundes corps en contact deux zones, l’une saineΩi etl’autre dite d’élaboration, séparées par la surfaceΓi . Ledomaine délimité par les surfacesΓi estΩ3. Sous l’effetde l’usure, les surfacesΓi évoluent ; elles constituentdes frontières mobiles [8] pour les matériaux sains.On noterani la normale àΓi extérieure àΩi , etb3i désignera la valeur deb dansΩ3 près deΓi . Le

mouvement des surfacesΓi résulte du détachement desparticules emprisonnées, puis évacuées petit à petit dansl’interface.

L’analyse conduit à exprimer la dissipation dans l’in-terfaceΩ3 assez simplement, moyennant trois hypo-thèses raisonnables qui sont la continuité des déplace-ments, des efforts normaux et de la température aux fron-tièresΓi . On s’intéresse de plus au cas stationnaire bi-dimensionnel. Aux surfacesΓi sont associés des tauxd’énergie dissipée, lesquels font finalement apparaîtreplusieurs contributions dans le bilan total de la produc-tion d’entropie linéiqueW(x) :

W(x) = v1(g1− g3

1)

T 1+ v

2(g2− g32)

T 2

+∫ e

0

1

T 3

[(σ 3 : ε3− ρ3ψ3)− q3 · ∇T

3

T 3

]dz

(1)

suivantOx, où

gi = ni · σ i ·∇ξ i · ni − ρiψi

et

g3i = ni · σ 3

i ·∇ξ3i · ni − ρ3

i ψ3i (i = 1,2)

Nous avons noté pargi, g3i (i = 1,2), les taux li-

néiques d’énergie à dissiper surΓi parΩi etΩ3. Ils dé-pendent de la contrainteσ i dans les milieux sains, du gra-dient normal des déplacements∇ξ i , et de l’énergie spé-cifique interneρiψi des milieuxΩi et des zones d’éla-boration — et donc du tenseur complet des contraintes.vi est la célérité de la surface de discontinuité par rap-port à la matière. D’autre part, la contribution intégraleest la dissipation intrinsèque et thermique dans la partiecentraleΩ3.

Un critère d’usure est ensuite postulé, déduit de cetteanalyse thermodynamique faisant apparaître le candidatnaturel pour l’exprimer, c’est-à-diregi . Il repose surl’existence d’un seuil énergétiquegis initial au-delà du-quel il y a usure :

si gi − g3i < g

is , Ωi ne s’use pas

si gi − g3i = gis , il y a usure potentielle deΩi

Pour l’appliquer à un cas industriel donné, il faut éva-luer la seconde contribution à l’énergie totale, c’est-à-direcelle du troisième corps. Les études micromécaniques

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Modèles micromécaniques de l’interface d’un système tribologique

peuvent permettre de préciser les différents termes, sui-vant la nature et le système soumis à l’usure.

2.1. Remarques

Ainsi lorsqu’il y a usure continue du milieuΩi , ona le critèregi = gis + g3

i qui a une certaine similitudeavec le critère de plasticitéσ = σ 0 + h(εp), σ 0 : seuild’écoulement initial,h(εp) : terme d’écrouissage dépen-dant du paramètre interne, la déformation plastique. Lecritère d’usure a également une similitude avec la rup-ture ductile, en terme du taux de restitution d’énergie,G= 2γ + h(4a). En rupture fragileh(4a) est nul (cri-tère de Griffith), et en rupture ductileh(4a) est, selonla théorie de la courbe de résistance, une fonction crois-sante de la longueur de fissure. Dans l’usure, les termesg3i sont couplés par la dissipation visqueuse. En effet,

l’hypothèse de l’existence des seuilsgis constants revientà dire que :

(1) (gi − g3i ) qui est la dissipation dans la zone

d’élaborationΓi est de taux spécifique constant ;

(2) (g31+g3

2) est la puissance dissipée dans la zone ci-saillée centrale lorsqu’on y néglige le gradient thermique.

La somme(g31 + g3

2) correspond à la dissipation totaledans le processus d’usure. Il est intéressant de noter deuxcas particuliers de découplage :

– un des deux milieux est indéformable et inusable (1er

cas) ;

– les milieux 1 et 2 sont identiques (2e cas) ;

pour lesquels on peut aisément relierg31 ou/et g3

2 à ladissipation de la zone centrale. En dehors de ces casparticuliers, on ne peut pas estimer indépendamment les

termesg3i sans faire une analyse micromécanique de

l’interface d’usure.

3. INTERFACE DU SYSTÈME

Il ne s’agit pas ici de déterminer la rhéologie du troi-sième corps. On cherche à appliquer le modèle du sys-tème soumis à l’usure décrit brièvement plus haut, oùl’énergie de dissipation est le paramètre significatif surlequel s’appuie notre critère. Pour cela, si le comporte-ment exact de l’interface n’a pas besoin d’être connu (àsupposer même qu’il puisse l’être), il suffit en revanched’évaluer une moyenne dans le temps et dans l’espacede certaines grandeurs mécaniques relatives à cette inter-face. Des modèles simples « statistiques » ou « moyens »peuvent ainsi être adaptés à l’application considérée, sui-vant la présence ou non d’un fluide interstitiel, la tailledes particules. . .

3.1. Structure de l’interface

Observant l’interface à une grande échelle, troiscouches (figure 2) se distinguent, comme l’indiquent Ber-thier [1] et Georges [5] dans leurs travaux :

(1) la zone d’élaboration deΩ1 (matériau fissuré,aspérités) et les particules deΩ1 emprisonnées, petit àpetit diffusées dans la partie centrale ;

(2) la partie centrale, où se mélangent les particulesdes 2 corpsΩ1 et Ω2 ainsi qu’un éventuel fluide/lub-rifiant, soumise au cisaillement dû au mouvement relatifdeΩ1 etΩ2 ;

(3) la zone d’élaboration deΩ2 et les particulesdeΩ2.

Figure 2. Interface du système tribologique.

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Dans la partie droite de la figure (figure 2) ont été sché-matisées quelques particules. Georges [6] a étudié expé-rimentalement un modèle de bulles et a suivi le déplace-ment de quelques bulles initialement alignées, dans uneexpérience reproduisant un film cisaillé entre deux sur-faces en mouvement relatif. Cette expérience montre queles particules des deux couches superficielles ont un lentmouvement de diffusion vers la partie centrale, alors quecelles du milieu sont décalées du fait du cisaillement.

3.2. Modèles micromécaniquesde la zone d’élaboration

Ces modèles peuvent permettre de préciser les diffé-rentes contributions à l’équation (1) de production d’en-tropie. Il n’existe pas, à notre connaissance, de modèlesgénéraux pour étudier la zone d’élaboration, faisant latransition entre le matériau saini et le troisième corps for-tement cisaillé décrit par les expériences de Georges [5].

On peut penser qu’il s’agit de milieux « granulaires »denses, fortement contraints. Individuellement, les par-ticules détachées restent emprisonnées par les aspéri-tés adjacentes. Elles ont des déformations individuellestrès fortes, microscopiquement parlant, mais considéréesdans leur ensemble comme un milieu granulaire, leur dé-formation macroscopique est faible. Ces particules diffu-sent petit à petit vers la zone cisaillée centrale.

La diffusion des particules de cette zone d’élaborationà la zone cisaillée centrale est un processus irréversible.Comme il est suggéré précédemment, la variation deconcentrationϕi de la phasei étant faible dans la sous-zoneΩi

3 (figure 2) et la déformation macroscopique dumilieu granulaire de cette zone étant quasi-nulle, on peututiliser une théorie simplifiée de diffusion stationnairequi, en l’absence de force extérieure suppose un flux dediffusion de matièref i de la forme :f i =−η∇ϕi (voir[7, p. 287]) avecϕi la concentration dei.

3.3. Modèles micromécaniquesde la couche cisaillée

La partie centrale est un mélange tri-phasique (parti-cules deΩ1,Ω2 et air ou autre fluide—eau, lubrifiant. . .)qui s’écoule entreΩ1 etΩ2. Semblable à un milieu gra-nulaire plus ou moins dense, elle subit de forts efforts depression et un grand cisaillement. La taille moyenne desparticules, leur concentration volumique moyenne et lecisaillement sont trois paramètres à prendre en compte.

La fraction volumique totale des particules d’usuredans le mélange sera notéeϕ. Elle peut évoluer suivantzou rester constante, sachant qu’alorsϕ1 (particules issuesdeΩ1) etϕ2 (deΩ2) varient tout de même avecz, et queϕ = ϕ1+ ϕ2.

Dans le cas d’une usure douce et stationnaire, lavitesse normale des surfacesΓ1 et Γ2 est très faibledevant la vitesse relative deΩ1 etΩ2, et donc celle del’écoulement. On peut raisonnablement admettre que lafraction volumique en particules d’usure dans le mélangede la partie centrale reste faible. À une échelle pluspetite, le comportement de cette couche homogénéiséepeut être considéré comme celui d’un fluide visqueux,dont la viscosité dépend deϕ et éventuellement de lavitesse de cisaillement. La déformation de ces particulesn’est souvent pas prise en compte dans ce type de modèleet leurs interactions sont négligées.

Si les particules sont grosses par rapport à l’épaisseurdu troisième corps et très déformées dans ce mélange, ousi elles s’écrasent les unes contre les autres, ce milieune pourra plus être décrit comme un fluide visqueuxnewtonien. Il faudra s’intéresser aux modèles de milieuxgranulaires qui permettraient de décrire jusqu’à unesituation de grippage et de blocage du mouvement entreΩ1 etΩ2.

La connaissance de la dissipation visqueuse reposesur l’évaluation du coefficient de viscosité du troisièmecorps. On dispose ainsi de plusieurs modèles possibles,dont voici quelques exemples simples, sans doute suffi-sants pour les applications.

3.3.1. Fluide compressiblede Navier–Stokes, non parfait,isotrope, de viscosité η

Lorsque l’écoulement est stationnaire, parallèle àOx

(figure 2), les champs n’étant fonctions que dez, leséquations de Navier–Stokes s’écrivent :

∂z

[η(z)

∂zU3x

]= 0

∂p

∂z= 0

oùU3 désigne la vitesse dans la partie centrale deΩ3 etpla pression. D’où,C étant une constante, un cisaillementde la forme :

ε3xz =

C

2η(z)Cette solution permet d’estimer aisément la dissipationvisqueuse.

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Modèles micromécaniques de l’interface d’un système tribologique

3.3.2. Viscosité η du mélange, fonctionde la concentration en particules ϕdans le fluide de viscosité η0

Pour des mélanges très dilués, on a la loi classiqued’Einstein [7] :

η= η0[1+ 2,5ϕ] (2)

établie en considérant chaque particule isolée dans lefluide et de forme sphérique. Le coefficient 2,5 corres-pond à la forme sphérique des particules, mais est diffé-rent si les particules sont aplaties.

On peut étendre cette loi en appliquant le raisonne-ment d’un modèle auto-cohérent. Supposons que la vis-cositéη(η0, ϕ + ∂ϕ) d’un mélange contenant la concen-trationϕ+∂ϕ de particules dans un fluide de viscositéη0,est celle du mélange de∂ϕ particules dans un fluidede viscositéη(η0, ϕ), contenantϕ particules. L’auto-cohérence s’exprime par :

η(η0, ϕ + ∂ϕ)= η(η(η0, ϕ), ∂ϕ

)Prenant l’expression d’Einstein pourη(η0, ϕ), on ob-tient :

η= η0 exp(2,5ϕ) (3)

Tenant compte cette fois des interactions entre parti-cules deux à deux, la relation

η(z)= η0[1+ 2,5ϕ+ 6,2ϕ2] (4)

d’après Batchelor [2], est plus précise que celle d’Ein-stein, lorsque la solution subit un cisaillement peu élevé.Remarquons qu’en développant (3) pour de faibles con-centrations au second ordre, apparaît le terme 3,1ϕ2 dif-férent du 6,2ϕ2 de (4).

Quémada [2] propose la relation semi-empirique sui-vante :

η(z)= η0[1− ϕ/ϕmax]−2 (5)

où ϕmax désigne la fraction volumique maximale desparticules.

Voici dans lafigure 3 deux exemples d’empilementcompact, avec les concentrations maximales des parti-cules et les fractions volumiques de fluide correspon-dantes.

La figure 4permet de comparer les différentes courbescorrespondant à ces modèles. On peut ainsi remarquerque jusqu’àϕ = 0,2 le modèle d’Einstein semble suffi-sant pour le cas qui nous intéresse.

glissement possible glissement impossible

ϕmax= π6' 0,52 ϕmax= π

3√

3' 0,60

ϕf ' 0,48 ϕf ' 0,40

Figure 3.

Figure 4. Viscosité relative en fonction de la fraction volumiquedes particules.

3.3.3. Évolution de la viscosité ηen fonction de la vitessede cisaillement ε3

xz

La plupart des auteurs considèrent la loi d’Ostwald :

η(z)= η0+ a(z)(ε3xz

)n(6)

Avec des lois non-linéaires de ce type, on peut encoreintégrer les équations de Navier–Stokes qui ne dépendentque de la variablez.

4. CONCLUSION

La littérature consacrée à l’usure offre essentiellementdes observations et analyses phénoménologiques qu’ilest délicat de transposer en dehors de leur contexte pourprévoir la tenue à l’usure d’une structure. La complexité

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et l’abondance des couplages qui interviennent dans cesphénomènes décourage toute tentative de modélisationgénérale.

La présente analyse s’inscrit dans une approche oùl’apparition d’un mécanisme particulier et la prise encompte des conditions de lubrification, corrosion. . . in-terviennent à travers des paramètres physiques identi-fiables dans un modèle global. Les idées simples présen-tées ici sont ainsi amenées à être enrichies par d’autresmodèles applicables aux différents cas rencontrés, et per-mettant la mise en œuvre de l’approche thermodyna-mique de l’usure développée. Cette approche suggère leparamètre naturel à prendre en compte pour décrire lecritère, le taux spécifique d’énergie à dissiper pour diffé-rentes parties du système, et l’évaluation de la dissipationdans le troisième corps à l’aide de modèles microméca-niques élémentaires. Les applications spécifiques du mo-dèle dépassent le cadre de cet article et feront l’objet depublications ultérieures.

Remerciements

Cette étude, menée en collaboration avec le dépar-tement MTC de la direction des Études et Recherchesd’EDF, fait partie d’un travail de thèse se déroulant aulaboratoire de mécanique des solides à l’École polytech-nique, sous la direction de C. Stolz et de K. Dang Van.Je remercie tout particulièrement le professeur H.D. Bui

pour ses conseils et les discussions fructueuses qui sont àl’origine de ce travail.

RÉFÉRENCES

[1] Berthier Y., Experimental evidence for friction and wearmodelling, Wear 139 (1990) 77–92.

[2] De Kruif C.G., Van Iersel E.M.F., Vrij A., Russel W.B., Hard-sphere colloidal dispersions: viscosity as a function of shearrate and volume fraction, J. Chem. Phys. 83 (9) (1985) 4717–4725.

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