Monde - Économie: La fortune de 1% des plus riche dépasse celui des 99% des plus pauvres

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A l'approche du Forum économique mondial (FEM) de Davos, qui débute demain en Suisse, l'ONG britannique Oxfam a indiqué hier lundi que le patrimoine cumulé du 1 % le plus riche du monde a dépassé l'an dernier celui des 99 % restants avec un an d'avance sur les prévisions. « L'écart entre la frange la plus riche et le reste de la population s'est creusé de façon spectaculaire au cours des douze derniers mois », constate un rapport de l'ONG intitulé « Une économie au service des 1 % ». « L'an dernier, Oxfam avait prédit que les 1 % posséderaient plus que le reste du monde en 2016. Cette prédiction s'est en fait réalisée dès 2015 : un an plus tôt », souligne le rapport.

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  • 210 NOTE D'INFORMATION D'OXFAM 18 JANVIER 2016

    www.oxfam.org

    Bidonville de Tondo Manille, aux Philippines (2014). Crdit : Dewald Brand / Miran pour Oxfam

    UNE CONOMIE AU SERVICE DES 1 % Ou comment le pouvoir et les privilges dans l'conomie exacerbent les ingalits extrmes et comment y mettre un terme

    La crise mondiale des ingalits atteint de nouveaux sommets. Les 1 % les

    plus riches possdent dsormais davantage que les 99 % restants. Ils font

    usage de leur pouvoir et de leurs privilges pour biaiser le modle

    conomique et creuser le foss qui existe entre eux et le reste de la

    population. Un rseau mondial de paradis fiscaux a permis aux plus riches

    de cacher quelque 7 600 milliards de dollars. La lutte contre la pauvret est

    vaine si la crise des ingalits n'est pas rsolue.

  • 2

    RSUM

    UNE CONOMIE AU SERVICE DES 1 %

    Le foss entre les riches et les pauvres est plus abyssal que jamais. Le Crdit

    Suisse a rcemment rvl que les 1 % les plus riches avaient dsormais

    accumul plus de richesses que le reste de la population mondiale1, soit une anne

    plus tt que ce qu'avait prdit Oxfam dans une communication largement diffuse

    en amont du Forum conomique mondial de 2015. Paralllement, les richesses

    dtenues par la moiti la plus pauvre de l'humanit ont chut de mille milliards de

    dollars au cours des cinq dernires annes. Il sagit de lultime dmonstration que

    nous vivons dans un monde o les ingalits ont atteint un niveau sans prcdent

    depuis plus d'un sicle.

    Le document Une conomie au service des 1 % explore le comment et le

    pourquoi d'une telle situation et expose de nouveaux lments troublants sur une

    crise des ingalits qui chappe tout contrle.

    D'aprs les calculs d'Oxfam :

    En 2015, 62 personnes possdaient elles seules les mmes richesses que

    3,6 milliards de personnes (soit la moiti la plus pauvre de l'humanit), contre

    388 personnes en 2010.

    La fortune des 62 personnes les plus riches au monde a augment de 44 %

    entre 2010 et 2015, soit une hausse de plus de 500 milliards de dollars

    (542 milliards de dollars), pour s'tablir 1 760 milliards de dollars.

    Paralllement, les richesses de la moiti la plus pauvre de l'humanit ont

    diminu de plus de mille milliards de dollars au cours de la mme priode, soit

    une chute de 41 %.

    Depuis le dbut du XXIe sicle, la moiti la plus pauvre de la population

    mondiale a bnfici de seulement 1 % de l'augmentation totale des richesses

    mondiales, alors que les 1 % les plus riches se sont partag la moiti de cette

    hausse.

    Le revenu annuel moyen des 10 % les plus pauvres dans le monde a augment

    de moins de 3 dollars par an en prs d'un quart de sicle. Autrement dit, leur

    revenu journalier a augment de moins d'un cent par an.

    L'exacerbation des ingalits conomiques est nfaste pour lensemble de la

    population, car elle sape croissance et cohsion sociale. Et les consquences pour

    les personnes les plus pauvres sont particulirement dsastreuses.

    Les dfenseurs du statu quo prtendent que les inquitudes gnres par les

    ingalits reposent sur la jalousie politique. Ils voquent souvent la rduction du

    nombre de personnes vivant dans l'extrme pauvret pour dmontrer que les

    ingalits ne constituent pas un problme majeur. Mais ils font fausse route. En

    tant qu'organisation ayant vocation lutter contre la pauvret, Oxfam salue sans

    quivoque les progrs fantastiques qui ont contribu rduire de moiti le nombre

    de personnes vivant en dessous du seuil d'extrme pauvret entre 1990 et 2010.

    Mais si, au cours de la mme priode, les ingalits ne s'taient pas creuses

    dans tous les pays, 200 millions de personnes supplmentaires auraient pu sortir

  • 3

    de cette pauvret. Un chiffre qui aurait mme pu atteindre 700 millions si les

    pauvres avaient davantage bnfici de la croissance conomique que les riches.

    Accumulation de la croissance des revenus dans le monde par dcile entre 1988 et

    2011 : 46 % de la croissance totale est revenue aux 10 % les plus riches2

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    (2005 P

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    )

    Dciles des revenus mondiaux

    Augmentation des revenus entre 1988 et 2011 en milliards de $ 1 % les plus riches

    Nul ne peut nier que les grands gagnants de l'conomie mondiale actuelle sont les

    plus fortuns. Notre modle conomique est fortement biais en leur faveur, une

    tendance qui semble s'intensifier. En lieu et place du ruissellement attendu sur les

    couches infrieures de la population, les revenus et les richesses sont aspires

    un rythme alarmant par cette lite. ce stade cest un rseau de paradis fiscaux

    toujours plus labor et soutenu par un panel de gestionnaires de patrimoine qui

    garantit que cet argent reste hors de porte des citoyens ordinaires et de leurs

    tats. D'aprs une rcente estimation3, 7 600 milliards de dollars, soit plus que le

    PIB combin de l'Allemagne et du Royaume-Uni, sont actuellement dtenus sur

    des comptes offshore par des particuliers.

    7 600 milliards de dollars, soit plus que le PIB combin de l'Allemagne et du Royaume-Uni, sont actuellement dtenus sur des comptes offshore par des particuliers.

  • 4

    La fortune des 62 personnes les plus riches continue de croitre, tandis que les

    richesses de la moiti la plus pauvre de l'humanit stagnent4

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    Richesses des 50 % les moins riches (en milliards de dollars)

    Richesses des 62 personnes les plus riches (selon Forbes, en milliards de dollars)

    En outre, les ingalits conomiques croissantes aggravent les ingalits

    existantes. Le Fonds montaire international (FMI) a rcemment dclar que les

    pays au sein desquels les revenus sont les plus ingaux ont tendance prsenter

    des ingalits plus marques entre les hommes et les femmes dans la sant,

    l'ducation, sur le march du travail, ainsi qu'en termes de reprsentation dans les

    institutions, comme dans les parlements5. Les carts salariaux entre les femmes et

    les hommes sont galement plus marqus dans les socits plus ingalitaires.

    Dans ce contexte, il est noter que 53 des 62 personnes les plus riches au monde

    sont des hommes.

    Par ailleurs, Oxfam a rcemment dmontr que les plus pauvres vivent dans les

    zones les plus vulnrables au changement climatique, alors que la moiti la plus

    pauvre de la population mondiale n'est responsable que de 10 % des missions

    totales6. On estime que les 1 % les plus riches du monde ont une empreinte

    carbone moyenne 175 fois suprieure celle des 10 % les plus pauvres.

    Plutt quune conomie qui soutienne la prosprit de chacun, les futures

    gnrations et la plante, nous avons cr un modle conomique qui favorise les

    1 % les plus riches. Comment en sommes-nous arrivs l, et pourquoi ?

    L'une des principales raisons alimentant cette incroyable concentration des

    richesses et des revenus est la croissance des rendements en faveur du capital, au

    dtriment du travail. Dans la quasi-totalit des pays riches et dans de nombreux

    pays en dveloppement, la part du revenu national revenant aux travailleurs a

    chut. Autrement dit, les travailleurs rcoltent de moins en moins les fruits de la

    croissance. A contrario, les dtenteurs de capitaux ont vu leur capital constamment

    augmenter (sous la forme d'intrts, de dividendes ou de bnfices non distribus)

    un rythme suprieur celui de la croissance conomique. L'vasion fiscale

    pratique par ces dtenteurs de capitaux et la rduction de la fiscalit sur les plus-

    values ont encore renforc ces retours sur capitaux. Warren Buffet ne dclarait-il

    pas qu'il tait lui-mme soumis un taux d'imposition plus faible que n'importe qui

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    d'autre dans son entreprise, y compris son agent d'entretien et sa secrtaire ?

    Dans le monde du travail, l'cart se creuse rapidement entre travailleurs moyens et

    ceux occupant les plus hauts postes. Alors que les revenus de nombreux

    travailleurs stagnent, ceux qui se trouvent aux chelons suprieurs ont vu leur

    salaire considrablement augmenter. D'aprs l'exprience d'Oxfam auprs de

    travailleuses du monde entier (du Myanmar au Maroc), les salaires de misre

    concernent avant tout les femmes. Ces dernires reprsentent la majorit des bas

    salaires et sont cantonnes aux tches les plus prcaires. Paralllement, les

    revenus des personnes voluant dans des postes responsabilit ont explos. Les

    PDG des plus grandes firmes amricaines ont vu leur salaire augmenter de plus de

    moiti (+54,3 %) depuis 2009, alors que les salaires de base ont trs peu volu.

    Le PDG de la plus grande socit informatique indienne gagne 416 fois plus qu'un

    employ ordinaire travaillant dans son entreprise. Enfin, 24 femmes seulement

    figurent au classement Fortune 500.

    Dans diffrents secteurs d'activit de l'conomie mondiale, les entreprises et les

    particuliers exercent souvent leur pouvoir et leur rang pour s'accaparer les fruits de

    la croissance. Les changements conomiques et politiques oprs au cours des

    30 dernires annes (drglementation, privatisation, secret financier et

    mondialisation, notamment de la finance) ont exacerb la capacit des riches et

    des puissants faire usage de leur rang pour concentrer encore plus leurs

    richesses. Cet agenda politique a t principalement influenc par ce que

    George Soros qualifie de fondamentalisme de march , lequel est au cur de la

    crise des ingalits actuelle. Au final, les profits dont bnficient une minorit ne

    sont souvent pas reprsentatifs dune distribution juste et efficace.

    Le rseau mondial de paradis fiscaux et l'institutionnalisation de l'optimisation

    fiscale, une pratique florissante des dernires dcennies, illustrent parfaitement

    notre modle conomique actuel, biais dans l'intrt des puissants. Les

    fondamentalistes de march sont parvenus imposer une lgitimit intellectuelle

    selon laquelle une fiscalit allge pour les entreprises et les particuliers fortuns

    est ncessaire pour stimuler la croissance conomique et qu'elle est salutaire pour

    tous. Le modle est entretenu par une brochette de professionnels grassement

    rmunrs voluant dans les secteurs bancaires privs, juridiques ou dans des

    cabinets comptables et autres entreprises de placements.

    Seules les entreprises et les particuliers les plus fortuns ( savoir ceux qui

    devraient payer le plus d'impts) ont les moyens de recourir ces services et ce

    maillage international pour viter de payer ce qui est d. Cela pousse

    indirectement les tats qui ne sont pas des paradis fiscaux allger leur fiscalit

    sur les entreprises et sur les particuliers fortuns et ainsi sembarquer dans un

    implacable nivellement par le bas .

    L'assiette fiscale diminue du fait de cette optimisation gnralise, et ce sont les

    budgets des gouvernements qui en subissent les effets, engendrant des coupures

    dans les services publics de premire ncessit. Les gouvernements se tournent

    donc de plus en plus vers l'imposition indirecte (comme la TVA) qui affecte de

    manire disproportionne les plus pauvres. L'optimisation fiscale est un

    phnomne qui empire rapidement.

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    D'aprs une analyse d'Oxfam mene sur 200 entreprises, notamment les plus

    puissantes au monde et les partenaires stratgiques du Forum conomique

    mondial, 9 entreprises sur 10 sont prsentes dans au moins un paradis fiscal.

    Les investissements privs dans les paradis fiscaux ont pratiquement quadrupl

    entre 2001 et 2014.

    Cette pratique mondiale de l'optimisation fiscale saigne blanc les tats

    providence dans les pays riches. Elle prive galement les pays pauvres des

    ressources dont ils ont besoin pour lutter contre la pauvret, scolariser tous les

    enfants et empcher leurs citoyens de succomber des maladies pour lesquelles il

    existe un traitement facile.

    Prs d'un tiers (30%) de la fortune des riches Africains, soit 500 milliards de

    dollars, est plac sur des comptes offshore dans des paradis fiscaux. On estime

    que cela reprsente un manque gagner fiscal de 14 milliards de dollars par an

    pour les pays africains. Cette somme couvrirait elle seule les soins de sant

    susceptibles de sauver la vie 4 millions d'enfants et permettrait d'employer

    suffisamment d'enseignants pour pouvoir scolariser tous les enfants africains.

    L'optimisation fiscale a t dcrite juste titre par l'International Bar Association

    comme une violation des droits humains7 et par le prsident de la Banque mondiale

    comme une forme de corruption au dtriment des pauvres . Pour mettre fin la

    crise des ingalits, les leaders mondiaux n'ont d'autre choix que de mettre fin

    lre des paradis fiscaux.

    Les entreprises du secteur ptrolier, du gaz et des autres industries extractives font

    usage de tous les leviers que leur confre leur puissance conomique pour asseoir

    leur position dominante. Ces pratiques leur assurent des profits nettement

    suprieurs la valeur que ces entreprises apportent l'conomie et psent en

    ralit lourdement sur cette dernire. Elles font pression pour bnficier de

    subventions des tats (sous la forme d'allgements fiscaux) et pour faire obstacle

    l'mergence de solutions plus cologiques. Au Brsil et au Mexique, les

    populations indignes sont affectes de faon disproportionne par la destruction

    de leurs terres traditionnelles, les forts tant rases au profit de l'exploitation

    minire et de l'agriculture intensive. Les vagues de privatisation (comme celle qua

    connue la Russie aprs la chute du communisme) permettent un petit groupe

    d'individus damasser des fortunes consquentes du jour au lendemain.

    Au cours des dernires dcennies, c'est le secteur financier qui a connu la

    croissance la plus rapide. Un milliardaire sur cinq est dsormais issu du monde de

    la finance. Dans ce secteur, les disparits entre salaires, primes et valeur relle

    ajoute l'conomie sont plus marques que dans tout autre domaine. D'aprs

    une rcente tude de l'OCDE8, les pays o le secteur financier est surdimensionn

    sont marqus par une plus grande instabilit conomique et des ingalits plus

    fortes. Les plus pauvres ont t les plus durement touchs par la crise de la dette

    publique dcoulant de la crise financire, de la remise flot des banques et des

    politiques d'austrit qui ont suivi. Le secteur bancaire demeure au cur du rseau

    des paradis fiscaux, la majorit des fortunes offshore tant gres par seulement

    50 des plus grandes banques au monde.

    Dans le secteur vestimentaire, les entreprises exercent en permanence leur

    position dominante pour ne pas renoncer aux salaires de misre. Entre 2001 et

    2011, les salaires des ouvriers de l'industrie textile dans les 15 plus grands pays

    Prs d'un tiers (30%) de la fortune des riches Africains, soit 500 milliards de dollars, est plac sur des comptes offshore dans des paradis fiscaux. On estime que cela reprsente un manque gagner fiscal de 14 milliards de dollars par an pour les pays africains. Cette somme couvrirait elle seule les soins de sant susceptibles de sauver la vie 4 millions d'enfants et d'employer suffisamment d'enseignants pour pouvoir scolariser tous les enfants africains.

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    exportateurs de vtements au monde ont diminu en valeur absolue. Il est admis

    que le fait de verser aux femmes des salaires infrieurs contribue optimiser la

    rentabilit. Le monde s'est focalis sur le sort des ouvriers dans les usines de

    vtements au Bangladesh en avril 2013, lorsque l'effondrement de l'usine Rana

    Plaza a fait 1 134 victimes. Des personnes meurent tandis que les entreprises

    cherchent sans cesse optimiser leurs profits au dtriment de la scurit. Malgr

    l'moi et les beaux discours, les intrts financiers court terme des acheteurs

    priment toujours dans ce secteur, o incendies et problmes de scurit restent

    monnaie courante.

    Les ingalits sont galement exacerbes par les entreprises qui recourent aux

    monopoles et la proprit intellectuelle pour biaiser le march en leur faveur,

    excluant la concurrence et augmentant les prix pour le consommateur ordinaire. En

    2014, les entreprises pharmaceutiques ont consacr plus de 228 millions de dollars

    aux activits de lobbying Washington. Lorsque la Thalande a dcid de dlivrer

    une licence obligatoire pour plusieurs mdicaments cls, une disposition offrant

    aux autorits la possibilit de produire des mdicaments localement un cot

    largement moindre en s'affranchissant de l'autorisation du dtenteur du brevet

    international, les entreprises pharmaceutiques ont fait pression sur le

    gouvernement amricain pour qu'il place la Thalande sur une liste de pays

    pouvant tre sujets des sanctions commerciales.

    Tous ces exemples illustrent comment et pourquoi notre modle conomique

    actuel ( au service des 1 % ) est corrompu. Il ignore la majorit de la population

    mondiale, et ne tient pas compte de la plante. Le FMI, l'OCDE, le Pape et bien

    d'autres encore s'accordent sur le fait que nous traversons actuellement une crise

    des ingalits. Il est temps d'agir pour trouver une solution, car les ingalits ne

    sont pas invitables. Le modle actuel ne doit rien au hasard : il rsulte de choix

    politiques dlibrs et du fait que nos dirigeants accdent aux volonts des 1 % les

    plus riches et de leurs reprsentants plutt que d'agir dans l'intrt du plus grand

    nombre. Il est temps de mettre fin ce modle conomique corrompu.

    Notre monde regorge de richesses. L'accumulation de fortunes aussi importantes

    aux mains d'une minorit si infime n'a aucun sens sur le plan conomique, et

    encore moins moral. D'aprs Oxfam, l'humanit peut mieux faire. Nous avons

    l'imagination, les technologies et le talent requis pour construire un monde meilleur.

    Nous avons l'opportunit d'laborer un modle conomique plus humain, o

    priment les intrts du plus grand nombre. Un monde proposant un travail dcent

    pour tous, o les femmes et les hommes vivent sur un pied d'galit, o les paradis

    fiscaux se limitent quelques chapitres dans les manuels d'histoire et o les riches

    paient leur juste part pour contribuer crer une socit qui profite chacun.

    Oxfam appelle les dirigeants agir pour montrer qu'ils se rangent du ct de la

    majorit et pour rsoudre la crise des ingalits. Des salaires dcents une

    meilleure rglementation des activits du secteur financier, les dcideurs politiques

    ne manquent pas de pistes pour mettre un terme au modle conomique au

    service des 1 % et commencer construire un modle conomique humain qui

    profite tous :

    Verser aux travailleurs un salaire dcent et mettre fin aux carts salariaux

    dus aux primes vertigineuses des dirigeants : passer de salaires minimum

    des salaires dcents ; promouvoir la transparence sur les salaires ; promouvoir

    les droits des travailleurs se rassembler et faire grve.

  • 8

    Promouvoir l'galit conomique pour toutes et les droits des femmes :

    indemniser le travail de soins non rmunr ; mettre fin aux carts salariaux

    entre les femmes et les hommes ; promouvoir l'galit des femmes en matire

    de succession et de droits fonciers ; amliorer la collecte de donnes pour

    valuer la manire dont les politiques conomiques affectent les femmes et les

    filles.

    Surveiller l'influence des puissantes lites : imposer des registres publics

    pour les activits de lobbying et mieux rguler les conflits d'intrts ; diffuser

    publiquement et gratuitement des informations pertinentes sur les processus

    administratifs et budgtaires, et les rendre facilement accessibles ; rformer

    l'environnement rglementaire, notamment au niveau de la transparence des

    tats ; dissocier entreprises et financement des campagnes politiques ; prendre

    des mesures pour rompre les liens entre les grandes entreprises et les tats.

    Modifier le systme international de R&D et la tarification des

    mdicaments, de manire ce que l'ensemble de la population ait accs

    des mdicaments adapts et abordables : ngocier un trait international

    relatif la R&D ; renforcer les investissements pour les mdicaments,

    notamment pour des gnriques abordables ; exclure les rgles de proprit

    intellectuelles des accords commerciaux. Le financement de la R&D doit tre

    dissoci de la tarification des mdicaments pour briser les monopoles des

    entreprises, garantir le bon financement de la R&D pour les thrapies requises

    et proposer des produits abordables.

    Partager quitablement la charge fiscale pour uniformiser les rgles du

    jeu : transfrer la charge fiscale du travail et de la consommation vers la

    richesse, le capital et les revenus tirs de ces actifs ; augmenter la transparence

    sur les mesures fiscales incitatives ; adopter un impt sur la fortune au niveau

    national.

    Recourir des dpenses publiques progressives pour lutter contre les

    ingalits : donner la priorit aux politiques, pratiques et dpenses qui

    augmentent le financement des services de sant et dducation gratuits afin de

    lutter contre la pauvret et les ingalits au niveau national. Ne pas mettre en

    uvre des rformes de march nayant pas fait leurs preuves ou impossibles

    raliser pour les systmes de sant et dducation publics, et assurer la

    prestation de services essentiels par le secteur public plutt que par le secteur

    priv.

    Oxfam appelle en priorit les dirigeants mondiaux s'entendre sur une

    approche globale pour mettre fin lre des paradis fiscaux.

    Les dirigeants mondiaux doivent s'engager plus efficacement dans la lutte contre

    les paradis fiscaux et contre les rgimes fiscaux dommageables, y compris les

    rgimes non prfrentiels. Il est temps de mettre un terme au nivellement vers le

    bas en matire de fiscalit des entreprises. Enfin, tous les tats y compris les

    pays en dveloppement, traits sur un pied dgalit doivent s'accorder sur la

    cration d'une organisation mondiale de la fiscalit qui tienne compte de tous les

    tats et ayant pour mission de s'assurer que les rgimes fiscaux nationaux n'ont

    pas de rpercussions ngatives l'chelle internationale.

  • 9

    1 LE MONDE SENRICHIT, MAIS CERTAINS Y GAGNENT PLUS QUE D'AUTRES

    DES PROGRS IMPRESSIONNANTS AU NIVEAU MONDIAL

    La taille de l'conomie mondiale a plus que doubl au cours des 30 dernires

    annes9. En 2014, sa valeur a atteint prs de 78 000 milliards de dollars. Alors que

    la production a continu de croitre, le produit intrieur brut (PIB) (l'un des

    principaux indicateurs de richesse conomique) a augment en valeur absolue

    dans toutes les rgions du monde au cours de cette priode. En Asie du Sud, le

    PIB combin en 2014 a plus que quintupl de valeur depuis 1985.

    Au cours des 30 dernires annes, la croissance annuelle moyenne du PIB a t

    plus leve dans les pays revenu faible et moyen que dans les pays riches10. Les

    revenus moyens dans les pays pauvres sont en train de rattraper ceux des pays

    plus riches, et les ingalits entre les nations sattnuent11. Des puissances

    conomiques mergentes sont la tte de ce processus de rattrapage : la Chine et

    lInde, par exemple, ont t les principaux moteurs de la hausse spectaculaire du

    PIB conjugu des pays asiatiques. Entre 1990 et 2011, la croissance conomique

    dans la rgion a aid prs d'un milliard de personnes chapper l'extrme

    pauvret, dont 700 millions ne serait-ce que dans ces deux pays12. La proportion

    de la population mondiale vivant dans l'extrme pauvret a recul, pour passer de

    36 % en 1990 16 % en 2010, de sorte que l'Objectif du Millnaire pour le

    dveloppement consistant rduire de moiti l'extrme pauvret a t atteint avec

    cinq annes d'avance sur l'objectif de 201513. Cette anne, encourags par ces

    progrs, les chefs d'tat du monde entier se sont engags radiquer l'extrme

    pauvret dici 2030 dans le cadre des objectifs de dveloppement durable (ODD)14.

    Les stocks de richesses mondiaux, cest--dire la valeur totale de tous les actifs

    financiers et non financiers moins le total de la dette, ont eux aussi connu une forte

    hausse. Ils ont presque doubl au cours des 15 dernires annes, pour passer de

    160 000 milliards de dollars en 200015 267 000 milliards de dollars en 201516.

    Alors que la crise financire mondiale de 2008 a eu un effet dommageable sur les

    stocks de richesses, toutes les rgions du monde ont enregistr une croissance sur

    cette priode, certaines des augmentations les plus fortes se manifestant parmi les

    pays revenu faible et moyen. Les stocks de richesses en Amrique latine et en

    Afrique ont plus que tripl, tout comme la richesse en Chine et en Inde, deux des

    conomies mergentes connatre des croissances des plus rapides au monde17.

    PRIVS DES AVANTAGES DE LA CROISSANCE

    La croissance mondiale et les progrs raliss en matire de dveloppement

    humain nous donnent de bonnes raisons de croire que l'objectif d'radication

    dfinitive de la pauvret est ralisable. Cependant, la ralit vcue par les milliards

    de personnes issues des groupes socioconomiques les plus pauvres, et les

  • 10

    perspectives qui les attendent si les tendances actuelles se poursuivent, sont

    moins encourageantes. Derrire les indicateurs conomiques globaux et nationaux

    se cachent dimmenses disparits de revenus et de richesses entre particuliers tout

    comme parmi les mnages. Les donnes sur la distribution mondiale des revenus

    montrent que les ingalits de revenu interpersonnelles sont extrmement leves

    et que ceux qui se situent au sommet de lchelle des revenus bnficient dun

    niveau de croissance globale disproportionnellement lev.

    Si la croissance mondiale des revenus tait rpartie de manire quitable, chaque

    dcile (un dixime) de la population devrait recevoir peu prs 10 % de celle-ci. Or

    la ralit traduit de fortes disparits : entre 1988 et 2011, les 10 % les plus riches

    de la population se sont arrog 46 % de la croissance globale des revenus, alors

    que les 10 % les plus pauvres nen ont reu que 0,6 %1819. En fait, les 10 % les plus

    riches ont touch plus de revenus que les 80 % les plus pauvres, et plus de quatre

    fois le montant reu par les 50 % les plus pauvres. La situation est encore plus

    sombre lorsquon sintresse aux 1 % de la tranche suprieure de la rpartition du

    revenu mondial. Entre 1988 et 2011, les 1 % les plus riches ont peru une part de

    la croissance globale des revenus suprieure celle de lensemble des 50 % les

    plus pauvres (soit 50 fois plus de personnes).

    Graphique 1 : Accumulation de la croissance des revenus dans le monde par dcile

    entre 1988 et 2011 : 46 % de la croissance totale est revenue aux 10 % les plus

    riches

    -

    1,000

    2,000

    3,000

    4,000

    5,000

    6,000

    7,000

    1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

    en m

    illia

    rds

    de $

    (2005 P

    PA

    )

    Dciles des revenus mondiaux

    Augmentation des revenus entre 1988 et 2011 en milliards de $ 1 % les plus riches

    Source : Lakner-Milanovic World Panel Income Distribution (LM-WPID) database (2013). Base de donnes

    cre pour C. Lakner et B. Milanovic (2013) Global Income Distribution: From the Fall of the Berlin Wall to the

    Great Recession , Banque mondiale. Donnes pour 2011 obtenues via une correspondance personnelle avec B.

    Milanovic, septembre 2015. Calculs de Sophia Ayele. Pour en savoir plus sur la mthodologie utilise pour

    laborer ce diagramme, voir la note d'accompagnement sur la mthodologie.

  • 11

    Les conomies ont beau croitre et les pays les plus pauvres rattraper les plus

    riches, il nempche que, dans le monde entier, les revenus des plus pauvres ne

    suivent pas, ce qui se traduit par des progrs bien plus lents en matire de

    rduction de lextrme pauvret que ceux qui pourraient tre raliss sil en allait

    autrement. Les recherches ralises par lOverseas Development Institute (ODI)

    montrent quentre 1990 et 2010, les 40 % les plus pauvres de nombreux pays en

    dveloppement ont vu leurs revenus croitre plus lentement que le taux de

    croissance moyen national. Si les revenus des 40 % les plus pauvres avaient

    augment au mme rythme que la moyenne dans tous les pays, 200 millions de

    personnes se seraient sorties de lextrme pauvret ds 201020. Si la croissance

    avait t favorable aux pauvres, et que les revenus des 40 % les plus pauvres

    avaient augment de 2 points de plus que la moyenne, la pauvret serait moiti

    moindre que son niveau actuel21. Bien que le nombre de personnes vivant dans

    l'extrme pauvret ait baiss ces dernires annes, il reste encore bien trop lev.

    La Banque mondiale estime quen 2015, 700 millions de personnes vivaient dans

    l'extrme pauvret (avec moins de 1,90 dollar par jour)22 23. Les conomistes de la

    Banque mondiale prvoient que, si la croissance ne bnficie pas aux pauvres au

    cours des 15 prochaines annes, lextrme pauvret ne sera jamais radique d'ici

    2030 et prs de 500 millions de personnes continueront de vivre avec moins de

    1,90 dollar par jour24. Les ingalits de revenus ne nuisent pas seulement ceux

    qui touchent les revenus les plus faibles et sont laisss pour compte, mais elles

    freinent aussi le niveau de croissance globale et raccourcissent les priodes de

    croissance. Le FMI a ainsi constat que dans un pays, laugmentation de la part

    des revenus des 20 % les plus pauvres de la population saccompagne dune

    croissance plus leve du PIB25.

    Prendre les taux de croissance des groupes de revenus les plus pauvres pour les

    comparer la moyenne, tel que le dixime ODD se propose de le faire26, a pour

    effet de faire limpasse sur l'cart criant en termes absolus qui continue de se

    creuser entre les nantis et les plus dmunis. Mme si les revenus des personnes

    les plus pauvres augmentent au mme rythme ou une allure plus rapide que la

    moyenne, lcart absolu entre les riches et les pauvres va continuer se creuser.

    Les revenus des plus pauvres partent de si bas que toute croissance demeure

    faible en valeur absolue, tandis que pour ceux qui ont des revenus extrmement

    levs, une croissance mme faible en matire de pourcentage peut entraner des

    hausses colossales en valeur absolue. LODI a constat quau cours des trente

    dernires annes, alors que les pays ont connu des priodes prolonges de

    croissance des revenus tous les chelons, les ingalits absolues nont cess de

    croitre. Parmi un chantillon de pays en dveloppement, ces 20 dernires annes,

    les 10 % les plus riches de la population doivent la croissance une augmentation

    de leurs revenus de prs du tiers en valeur absolue, alors que les gains des 40 %

    les moins riches ne se sont gure levs plus de la moiti de ce niveau27. Au

    Brsil, o les ingalits de revenus restent extrmement leves, les revenus des

    50 % les plus pauvres ont plus que doubl en termes rels entre 1988 et 2011, soit

    une augmentation lgrement plus rapide que ceux des 10 % les plus riches. Or

    cette augmentation des revenus des 10 % les plus riches quivaut bien plus

    dargent en termes absolus, de sorte que la diffrence absolue entre les revenus

    moyens des deux groupes a elle aussi presque doubl28.

  • 12

    Graphique 2 : Au Brsil, les revenus des 50 % les plus pauvres augmentent plus

    vite que ceux des 10 % les plus riches, et pourtant l'cart entre ces deux groupes

    continue de se creuser.

    0

    50

    100

    150

    200

    250

    300

    350

    400

    450

    1988 2011

    Revenus des 50 % les plus pauvres

    Revenus des 10 % les plus richescart de

    113milliards

    de dollars

    cart de 194 milliards de

    dollars

    Source : Lakner-Milanovic World Panel Income Distribution (LM-WPID) database (2013). Base de donnes

    cre pour C. Lakner et B. Milanovic (2013) Global Income Distribution: From the Fall of the Berlin Wall to the

    Great Recession , Banque mondiale. Donnes pour 2011 obtenues via une correspondance personnelle avec B.

    Milanovic, septembre 2015. Voir les sources pour le graphique 1 et la note de mthodologie qui l'accompagne.

    Les analyses ralises par Oxfam pour le prsent document montrent que, bien

    que la tranche suprieure des 1 % et la tranche infrieure des 10 % de la

    rpartition mondiale des revenus affichent une hausse des revenus par habitant

    entre 1988 et 2011 (de 31 % dans le premier des cas et de 33 % dans le

    deuxime), ces augmentations ont un impact trs diffrent sur le niveau de vie des

    populations concernes. Alors que les revenus par habitant de la tranche

    suprieure des 1 % les plus riches ont augment pour passer d'un peu plus de

    38 000 dollars PPA (parit de pouvoir dachat 2005) un peu plus de

    49 800 dollars (soit une augmentation de 11 800 dollars)29, ceux de la tranche

    infrieure des 10 % les plus pauvres sont passs de 196 dollars 261 dollars (soit

    une augmentation de seulement 65 dollars, ce qui laisse ce groupe bien en-de

    du seuil dextrme pauvret qui est fix 1,90 dollar par jour). Malgr un

    pourcentage de croissance des revenus quasi-similaire pour ces deux groupes au

    cours de la priode envisage, laugmentation de 65 dollars par habitant des

    revenus des 10 % les plus pauvres est drisoire par rapport l'augmentation que

    les 1 % les plus riches ont perue, qui tait 182 fois suprieure.

    En ce qui concerne les stocks de richesses, les ingalits sont encore plus

    criantes. L'an dernier, Oxfam rvlait que les 1 % les plus riches de la population

    dtenaient 48 % de la richesse mondiale totale et que, si ces tendances se

    maintenaient, ils dtiendraient plus de la moiti de toute la richesse dici 201630. Or

    cest bien ce qui sest pass, avec un an davance sur les prdictions dOxfam. La

    richesse moyenne de chaque adulte appartenant aux 1 % les plus riches slve

    1,7 million de dollars, soit plus de 300 fois celle dun individu moyen appartenant

    aux 90 % les plus pauvres de la population. Cependant, la richesse de beaucoup

    de ceux qui appartiennent aux 10 % les plus pauvres est gale zro voire

  • 13

    ngative31. L'an dernier, Oxfam a galement fait savoir que les 80 personnes les

    plus riches figurer sur la liste Forbes des milliardaires avaient vu leur richesse

    collective passer de 1 300 milliards de dollars en 2010 1 900 milliards de dollars

    en 2014, leur apportant ainsi la mme quantit de richesse que la moiti la plus

    pauvre de la population mondiale. Cette anne, les 80 milliardaires les plus riches

    du monde ont une richesse collective de plus de 2 000 milliards de dollars.

    Paralllement, la richesse de la moiti la plus pauvre de la plante a recul

    denviron mille milliards de dollars au cours des cinq dernires annes32 et

    dornavant, ce sont seulement les 62 milliardaires les plus riches qui dtiennent

    une richesse gale celle de la moiti la plus pauvre de la population mondiale

    (soit 3,6 milliards de personnes). En 2010, ils taient 388. Ce chiffre, en net recul,

    sexplique par une concentration croissante des richesses aux mains dune

    poigne dindividus33.

    Graphique 3 : La fortune des 62 personnes les plus riches continue de croitre,

    tandis que les richesses de la moiti la plus pauvre de l'humanit stagnent

    0

    500

    1000

    1500

    2000

    2500

    3000

    Ric

    hess

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    les

    en m

    illia

    rds

    de $

    (au taux

    de c

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    au c

    ours

    du jour

    Richesses des 50 % les moins riches (en milliards de dollars)

    Richesses des 62 personnes les plus riches (selon Forbes, en milliards de dollars)

    Sources : Richesses des 50 % les plus pauvres selon le Crdit Suisse, Global Wealth Databook 2015 .

    Donnes sur la richesse nette des 62 individus les plus riches de la liste annuelle des milliardaires de Forbes.

    La hausse des disparits conomiques a aussi pour effet dexacerber les ingalits

    qui existent entre les groupes sociaux, notamment entre femmes et hommes. Les

    ingalits entre les femmes et les hommes sont la fois une cause et une

    consquence des ingalits de revenus. Le FMI a rcemment constat que dans

    les pays o les ingalits de revenus sont les plus accentues, les ingalits entre

    femmes et hommes en matire de sant, dducation, de participation au march

    du travail et de reprsentation y taient galement plus marques34. Les carts

    salariaux entre femmes et hommes, o travail gal les femmes gagnent moins

    d'argent que les hommes, se rvlent aussi tre plus levs dans les socits plus

    ingalitaires35, situation qui est d'autant plus aggrave par la sgrgation

    professionnelle et les responsabilits de prise en charge non rmunres36. La part

    du gteau conomique dvolue aux femmes est bien moindre que celle des

    hommes, et les revenus les plus levs sont rservs en quasi exclusivit aux

    hommes, qui reprsentent 445 des 500 particuliers les plus riches de la plante37.

  • 14

    Paralllement cela, les femmes constituent la majorit de la main-duvre bas

    salaire et sont concentres dans les emplois les plus prcaires38. En outre, une

    tude des conomies mergentes a constat que les pays o les ingalits

    conomiques saccentuent le plus sensiblement (comme la Russie et la Chine par

    exemple) sont galement ceux o la rduction moyenne des ingalits entre

    femmes et hommes est la plus lente39.

    Le problme de lessor des ingalits touche tout le monde. LOCDE relve que

    l'accroissement des ingalits de revenus reprsente une menace pour la cohsion

    sociale et risque de ralentir lactuelle reprise conomique40. La Banque mondiale

    voque la promotion de la prosprit partage comme l'un de ses deux

    principaux objectifs, venant tayer celui de la rduction de la pauvret41. Mme le

    FMI a soulign que les ingalits peuvent nuire non seulement aux plus pauvres,

    mais aussi la bonne marche des conomies mondiales42. Pour que le monde

    remplisse son objectif long terme, rcemment convenu, de rduire zro les

    missions de gaz effet de serre d'ici la seconde moiti du sicle43, il sera

    galement crucial de sattaquer la rpartition des missions. Oxfam a rcemment

    dmontr que les plus pauvres vivent dans les zones les plus vulnrables au

    changement climatique, alors que la moiti la plus pauvre de la population

    mondiale n'est responsable que denviron 10 % du total des missions. On estime

    que les 1 % les plus riches au monde ont une empreinte carbone moyenne

    175 fois suprieure celle des 10 % les plus pauvres44.

    Il nous faut inverser ces tendances en adoptant des politiques progressistes qui

    partagent les bienfaits conomiques entre les peuples plutt que dassister la

    concentration des rendements du capital. Les revenus et richesses investis dans

    les infrastructures et les services publics sont autant de vecteurs douverture,

    dopportunits et de progrs sociaux et conomiques pour la majorit, permettant

    l'acclration des efforts vers l'radication de l'extrme pauvret. La socit sen

    porterait bien mieux sil tait mis fin laccroissement de la concentration des

    revenus et l'accumulation de la richesse entre les mains dune minorit.

    DTENTEURS DE CAPITAUX ET PDG PROSPRENT AU DTRIMENT DU TRAVAILLEUR MOYEN

    Il est possible de rpartir grossirement les revenus entre dune part les revenus

    du travail, qui sont gnrs par les travailleurs sous forme de salaires et

    davantages sociaux, et les revenus du capital, qui sont dfinis comme tant les

    dividendes, les intrts et les bnfices non distribus des socits. Depuis 30

    ans, la part des revenus accorde au travail est en repli dans la plupart des pays

    du monde45, tandis que la part du capital ne fait quaugmenter. Le best-seller de

    Thomas Piketty en 2014, Le Capital au XXIe sicle, en fait lillustration en

    constatant que les propritaires de capitaux ont vu leurs revenus croitre un

    rythme suprieur au taux de croissance des conomies46. Autrement dit, les

    travailleurs rcoltent une part moindre des fruits de la croissance.

    Cette tendance se retrouve aussi bien dans les pays riches que dans les pays

    pauvres : la part du travail a diminu dans presque tous les pays de l'OCDE au

    cours des 30 dernires annes47 ainsi que dans les deux-tiers des pays revenu

    faible et moyen entre 1995 et 200748. L'Amrique latine est lunique rgion faire

    exception la rgle. Plusieurs pays y ont enregistr une part croissante des

    salaires au cours de cette priode49. Les donnes de la Pen World Table indiquent

  • 15

    que dans 127 pays, la part moyenne des revenus consacrs la main-d'uvre a

    baiss pour passer de 55 % en 1990 51% en 201150. Le graphique 3 montre que

    toutes les rgions du monde suivent la mme tendance. Dans le mme temps, les

    salaires naugmentent pas aussi vite que la productivit des travailleurs51. Le recul

    de la part de la main-d'uvre reflte le fait que les amliorations de productivit et

    la croissance de la production ne se traduisent pas en une hausse proportionnelle

    des revenus pour les travailleurs. Les consquences en sont importantes car il faut

    y voir la disparition du lien qui existe entre productivit et prosprit. Aux tats-

    Unis, entre 1973 et 2014, la productivit nette a augment de 72,2 %, alors que le

    salaire horaire index sur linflation na augment que de 8,7 % pour le travailleur

    de la classe moyenne52.

    Graphique 4 : Revenus du travail, sous forme de part du PIB dans les diffrents

    pays, 1988 2011

    40 %

    45 %

    50 %

    55 %

    60 %

    65 %

    1990 1993 1996 1999 2002 2005 2008 2011Moyenne d

    es

    revenus

    du t

    ravail

    en p

    art

    de P

    IB

    High-Income Upper-Middle Income Lower-Middle Income Low-Incomerevenu lev revenu intermdiaire, tranche suprieure

    revenu intermdiaire, tranche infrieure

    revenu faible

    Source : Penn World Table. Feenstra, Robert C., Robert Inklaar et Marcel P. Timmer (2015), The Next

    Generation of the Penn World Table numro venir dAmerican Economic Review, disponible en

    tlchargement sur www.ggdc.net/pwt

    Non seulement les salaires ne parviennent pas rtribuer correctement les

    travailleurs des efforts quils fournissent, mais ils ne suffisent pas non plus pour

    rpondre aux besoins de revenu des particuliers et des familles. Dans l'Union

    europenne, prs de 9 % des personnes exerant une activit sont menaces de

    pauvret, et ce taux na fait que croitre ces dix dernires annes53. Les tudes

    d'Oxfam ont mis en lumire les difficults auxquelles font face les travailleurs

    pauvres dans diffrents pays et secteurs. Une rcente note d'information intitule

    In Work But Trapped in Poverty rsume les travaux de recherche dOxfam dans

    ce domaine, et fait apparatre des constats communs dans cinq secteurs diffrents

    au sein de cinq pays en dveloppement, o malgr des temps de travail

    extrmement longs, les travailleurs restent pris au pige de la pauvret54. Dans

    ltude la plus rcente (juillet 2015), les travailleurs du secteur vestimentaire au

    Myanmar (Birmanie) ont dclar que, mme en faisant des heures

    supplmentaires, ils n'ont pas les moyens de subvenir leurs besoins en matire

    de logement, de nourriture et de mdicaments avec le revenu qu'ils gagnent dans

  • 16

    les usines. Ils font galement part de leurs inquitudes concernant les bas salaires,

    les longues heures de travail et les aspects scuritaires55. Au Maroc en 2009,

    Oxfam a rvl que les droits des cueilleuses de fraises taient bafous

    plusieurs gards, notamment en raison du harclement des fournisseurs de

    main-d'uvre , du danger lors des transports et des salaires infrieurs au niveau

    minimum56, des ingalits qui sexpliquent par leur extrme privation d'autonomie

    par rapport aux hommes.

    Les bas salaires sexpliquent aussi par dautres vulnrabilits lies lemploi,

    surtout lorsque celui-ci est prcaire. Cela touche surtout les femmes, qui

    reprsentent la majorit des travailleurs mal rmunrs et qui occupent les emplois

    les plus prcaires57. En outre, il leur revient d'assumer une part disproportionne

    des responsabilits en matire d'assistance et de soins non rmunres, ce qui

    limite leurs chances d'occuper des postes de direction, des emplois techniques ou

    professionnels58. En moyenne, les femmes consacrent quotidiennement presque

    2,5 fois plus de temps des activits de travail non rmunres que les hommes59

    et des tudes ont montr qu mesure que la participation des femmes au march

    du travail s'accentue, les responsabilits qui leur incombent en termes d'activits

    d'assistance et de soins non rmunres ne diminuent pas60. Les taux de

    rmunration plus faibles des femmes ont galement un effet cumulatif tout au long

    de leur vie, conduisant une inscurit globale accrue, y compris des conomies

    ou des retraites moindres sur lesquelles elles peuvent compter une fois arrives au

    stade de la vieillesse61. Les femmes ont plus de mal trouver un travail dcent que

    les hommes, avec 84,3 % des femmes en Afrique subsaharienne occupant des

    emplois prcaires (y compris du travail familial non rmunr) en 2014, contre

    70,1 % des hommes62. Dans beaucoup de rgions en dveloppement, 75 % des

    emplois occups par des femmes relvent de lconomie informelle63.

    Lapproche adopte par ltat quatorien illustre un moyen efficace d'augmenter

    les bas salaires. La Constitution de 2008 du pays contenait un article sur la

    ncessit d'un salaire minimum vital, suivi en 2014 par lintroduction dune politique

    associe au salaire minimum vital. Le salaire minimum a augment danne en

    anne en termes rels, malgr un niveau d'inflation lev. Toutefois, ses effets sur

    le taux demploi et les salaires du pays ont t limits en raison du non-respect de

    la loi et la taille du secteur informel en quateur64. Dornavant, les entreprises qui

    oprent en quateur sont lgalement tenues de payer un salaire minimum vital

    leurs employs avant de pouvoir distribuer des dividendes leurs actionnaires.

    D'autres mesures ont t lances en vue damliorer les salaires, notamment le

    protocole de la libert syndicale dans le secteur des vtements de sport en

    Indonsie65 , la collaboration d'un groupe de marques vestimentaires avec la

    Fdration syndicale mondiale IndustriALL pour promouvoir les ngociations

    sectorielles, appeles ACT66 ou encore la coalition du Malawi 2020, qui s'est

    engage revitaliser lindustrie du th et aboutir un salaire minimum vital

    l'horizon 202067, et le programme daccrditation de la Living Wage Foundation au

    Royaume-Uni68. Nanmoins, les augmentations de revenus issues dinitiatives

    volontaires telles que celles-ci sont restent drisoires par rapport aux changements

    de politique publique comme ceux survenus en quateur et dans une moindre

    mesure en Chine. Ceux-ci bnficient en effet tous les travailleurs, et pas

    seulement ceux lis des multinationales69.

    L'conomie mondiale doit non seulement fournir des emplois dcents et mieux

    rmunrs, mais il lui en faut aussi plus. Il s'agit l dune ncessit vitale face la

    poursuite de la croissance dmographique et des dveloppements technologiques

  • 17

    qui offrent les moyens robotiss et automatiss de remplacer les travailleurs dans

    de nombreux secteurs. En dpit d'une croissance solide du produit intrieur brut

    (PIB) depuis prs de 20 ans, les conomies africaines crent trop peu d'emplois

    dans des secteurs o la production par travailleur est suffisamment leve pour

    offrir une chappatoire la pauvret70. Il est d'autant plus proccupant de constater

    que les secteurs dactivit conomique la croissance la plus rapide, comme les

    services de haute technologie, sont ceux qui crent le moins d'emplois71.

    LOrganisation internationale du travail (OIT) estime que plus de 201 millions de

    personnes taient au chmage dans le monde en 2014, soit plus de 31 millions de

    chmeurs supplmentaires depuis le dbut de la crise financire mondiale72. Pire

    encore, lOIT prdit que les perspectives mondiales pour l'emploi vont continuer

    se dtriorer, avec une augmentation du chmage mondial de 3 millions de

    personnes ne serait-ce quen 2015. Partout dans le monde, ce sont les jeunes, et

    surtout les jeunes femmes, qui sont les plus touchs par un taux de chmage

    lev, presque le triple de celui des adultes73. LOIT relve que cette tendance est

    commune dans toutes les rgions du monde, malgr la tendance gnralise dun

    meilleur niveau d'instruction.

    Pour autant, tous les participants au march du travail ne perdent pas au change.

    mesure que la part globale des revenus consacre aux salaires se rtrcit, au

    sein de celle-ci, la rmunration des cadres suprieurs ne fait quaugmenter. Dans

    un rapport de 2012, lOCDE a constat qualors mme que les travailleurs faible

    revenu ont vu leurs revenus baisser, ceux des 1 % gagner le plus ont augment

    de 20 % au cours des deux dernires dcennies74. Cela se manifeste par les

    normes augmentations des enveloppes salariales octroyes aux PDG. Le salaire

    moyen (plus les bonus) d'un PDG de l'une des 350 plus grandes entreprises

    amricaines tait de 16,3 millions de dollars en 2014, en hausse de 3,9 % par

    rapport 2013 et de 54,3 % depuis le dbut de la reprise conomique en 2009

    (voir Graphique 4)75. Et ce sont principalement les hommes qui en profitent, alors

    que lon compte tout juste 22 femmes parmi les PDG des entreprises de S&P

    50076, signifiant que cette tendance contribue creuser lcart salarial entre

    femmes et hommes. Les salaires levs des PDG ont eu un effet de contagion ,

    augmentant la rmunration d'autres cadres suprieurs et managers, contribuant

    au doublement de la part des revenus de la tranche des 1 % et de celle des 0,1 %

    des mnages amricains les plus riches entre 1979 et 200777. La baisse des taux

    marginaux d'imposition ces 30 dernires annes (cest--dire le pourcentage

    d'impts sur les revenus) pour les revenus les plus levs incite d'autant plus les

    grandes fortunes consacrer davantage d'nergie gonfler leurs enveloppes

    salariales personnelles ds que l'occasion se prsente78. La baisse des taux

    marginaux dimposition se rvle tre troitement lie la hausse des parts de

    revenus avant impts aussi bien aux tats-Unis que dans d'autres pays79.

  • 18

    Graphique 5 : Aux tats-Unis, l'augmentation des revenus des PDG surclasse

    nettement celle des travailleurs moyens

    997,2%

    503,4%

    10,9%0 %

    200 %

    400 %

    600 %

    800 %

    1000 %

    1200 %

    1400 %

    1978 1982 1986 1990 1994 1998 2002 2006 2010 2014

    volu

    tion e

    n p

    ourc

    enta

    ge

    CEO pay S&P 500 Typical worker paySalaire des PDG

    Salaire des travailleurs moyens

    Source : Reproduit partir de L. Mishel et A. Davis (2015) CEO Pay Has Grown 90 Times Faster than Typical

    Worker Pay Since 1978 EPI. http://www.epi.org/publication/ceo-pay-has-grown-90-times-faster-than-typical-

    worker-pay-since-1978/80

    Ce nest pas que dans les pays riches que les PDG touchent des salaires bien

    suprieurs aux revenus moyens. Les lgislateurs en Inde ont promulgu en 2013

    un dcret de divulgation qui oblige de rendre public le pay ratio des PDG (le

    rapport entre la rmunration du PDG et la rmunration mdiane des employs),

    ce qui constitue une tape importante dinformation du public sur le niveau

    d'ingalit qui existe au sein des entreprises81. La Commission indienne des titres

    et des changes (SEBI) publie actuellement le premier ensemble d'informations de

    ce type. Elle constate, par exemple, que le patron du plus grand fabricant de

    cigarettes en Inde est pay 439 fois le salaire mdian des employs de sa socit,

    tandis que son homologue dune entreprise de services informatiques du pays

    reoit 416 fois le salaire moyen de ses employs82.

    PRIVILGE, POUVOIR ET INFLUENCE SONT LES MOTEURS DE LA CONCENTRATION DES RETOMBES CONOMIQUES

    Alors que les populations comptent sur les conomies nationales pour produire des

    emplois, des biens et des services ; ce sont des conomies fortes dont nous avons

    besoin pour assurer la stabilit et rduire la pauvret, surtout dans les pays les

    plus pauvres. Il sagit certes de conditions essentielles, mais il convient de

    reconnatre aussi que les indicateurs conomiques occultent bien des aspects non

    montaires du bien-tre et du progrs83.

  • 19

    Depuis longtemps la libralisation des marchs a t promue comme la mthode

    de gestion la plus efficace, laissant le soin aux lois de l'offre et de la demande de

    parvenir des prix optimaux pour tous les biens et services84. Cette pense a

    depuis lors domin les politiques conomiques et influenc les dcideurs politiques

    et particulirement dans les annes 1980. Cest sur cette ide que reposait le

    Consensus de Washington, avec pour grands principes pour les pays en

    dveloppement la privatisation, la libralisation et la stabilit macro-conomique

    (quil faut entendre comme stabilit des prix). Cette approche suggrait que les

    tats devaient intervenir le moins possible dans l'conomie productive pour

    permettre aux marchs de spanouir85. Mais ds les annes 1990, des brches

    sont apparues dans le modle du Consensus de Washington. Celui-ci sest rvl

    produire plus de torts que de bienfaits dans les nombreux pays en dveloppement

    qui suivaient ses prconisations86. En gypte par exemple, le fondamentalisme du

    march libre et les programmes d'ajustement structurel ont t particulirement

    prjudiciables la capacit des femmes bnficier de la croissance, notamment

    en raison de leur concentration dans un nombre limit de secteurs conomiques,

    de leur mobilit rduite et des charges qui leur reviennent en matire d'assistance

    et de soins non rmunres87.

    Ce modle d'application universelle sappuyait sur l'hypothse que nous vivons

    dans une conomie de parfaite concurrence , o linformation de tous les

    acteurs est suppose totale et o chacun peut prendre part ; une hypothse qui na

    jamais pu se confirmer en ralit. Acheteurs et vendeurs nont de cesse de

    chercher dcrocher un avantage sur leurs concurrents, de perturber les rgles du

    jeu pour quelles jouent en leur faveur. Des innovations technologiques et

    organisationnelles, de nouveaux produits ou services et de nouveaux modes de

    prestation sont autant de moyens de se procurer un avantage. Mais d'autres

    moyens existent pour tirer soi des avantages, que ce soit par des relations

    troites avec la classe dirigeante, par la distorsion de la rglementation et des lois

    en sa faveur ou par l'exploitation son profit des dfaillances du march.

    Encadr 1 : Recherche de rente

    Les ressources peuvent tre utilises de faon improductive pour sarroger des

    biens ou des richesses qui existent dj, ou pour obtenir des politiques qui crent des

    avantages fonds sur des privilges. Ce type de comportement improductif est qualifi

    de recherche de situation de rente. Une situation de rente provient en grande partie de

    dcisions gouvernementales ou politiques... mais on la retrouve aussi dans les

    relations personnelles et au sein des entreprises et des bureaucraties.

    Source : R. D. Congleton et A. L. Hilman (2015) Companion to Political Economy of Rent Seeking ,

    Edward Elgar Publishing

    Il nest pas toujours ncessaire de procder de lourds investissements en

    matire de travail, defforts et de crativit pour obtenir des retours lucratifs et se

    hisser une position de puissance et d'avantage conomique. En fait, il arrive que

    la cration de revenus et de richesses soit presque intgralement dconnecte de

    toute productivit ou valeur ajoute. Il est possible dillustrer cette situation ainsi :

    un chef de guerre pose une barrire lentre dun pont et impose un droit de

    passage alors mme quil n'a nullement contribu la construction de celui-ci. Il est

    cependant souvent plus difficile d'identifier les cas o les retours sont dconnects

    de tout apport de valeur. Ainsi par exemple, une compagnie ptrolire pourrait faire

    valoir que, en raison de son expertise technologique et de ses investissements

  • 20

    initiaux, les bnfices quelle tire de l'extraction du ptrole sont le juste reflet de la

    contribution conomique apporte par ses activits. Or il convient de faire

    remarquer quune telle compagnie doit galement ses bnfices consquents ainsi

    que les salaires mirobolants de ses hauts dirigeants, qui se chiffrent en millions de

    dollars, sa capacit dexclure des concurrents de ce secteur ainsi qu la

    demande internationale de ptrole qui fait monter les prix, et ce d'autant plus

    quand la production diminue.

    Il serait pervers daffirmer que les contributions de 62 milliardaires seraient

    quivalentes celles de 3,6 milliards dautres personnes. Il est inconcevable que le

    PDG d'une compagnie de tabac en Inde soit aussi productif que 439 de ses

    employs, ou que le propritaire d'une entreprise de prt--porter au Royaume-Uni

    soit capable de produire autant que plus de 2 000 travailleurs du secteur de

    lhabillement88. Et pourtant, lcart entre les plus riches et le reste de la population

    continue de se creuser. L'augmentation du ratio entre le salaire des PDG et le

    salaire moyen sest accrue au Royaume-Uni depuis la publication par Oxfam en

    2014 de son rapport sur les ingalits, qui se situe dornavant 183 contre 189.

    Pour les dtenteurs de capitaux et les hauts dirigeants, les rmunrations ne

    cessent de croitre90, tandis que le travailleur moyen reoit moins tout en contribuant

    davantage et que le foss entre la productivit des travailleurs et le salaire quils

    touchent continue de slargir.

    Graphique 6 : Alors que la productivit des travailleurs dans les pays dvelopps

    augmente, les salaires stagnent.

    100

    102

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    1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011 2013

    Ind

    ice

    (a

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    =1

    99

    9)

    Indice de la productivit du travail

    Indice des salaires rels

    Source : Reproduit partir du Graphique 7, OIT Global Wage Report 2014/15 . Base de donnes de l'OIT sur

    les salaires dans le monde, Modles conomtriques des tendances de l'OIT, avril 2014.

    Les pratiques dites de copinage refltent comment il est possible d'accumuler

    une telle richesse sans apporter la moindre valeur ajoute. Les situations de

    monopole ou de forte participation de l'tat, notamment par loctroi de permis

    dexploitation de la part des autorits gouvernementales, sont un terrain facile pour

  • 21

    les pratiques dites de copinage. Laugmentation des richesses des milliardaires

    issus de ces secteurs de connivence suggre galement que laccumulation de

    richesses et de revenus se fait aux dpens de tout apport d'avantages ou de valeur

    associs de valeur ajoute relle pour le reste de la socit. D'aprs les donnes

    de Forbes pour calculer la concentration des richesses dans les secteurs de

    copinage , le magazine The Economist constate que les milliardaires issus des

    conomies mergentes et qui doivent leur fortune, tout du moins en partie, ces

    secteurs ont doubl leur richesse par rapport la taille de l'conomie, entre 2000 et

    201491. The Economist constate galement que parmi ces grandes fortunes,

    certains ont bnfici de l'urbanisation et de l'augmentation des prix immobiliers

    qui lui sont associs ; que l'envole des prix des matires premires a enrichi les

    propritaires de ressources naturelles du Brsil l'Indonsie, et que les

    privatisations, dont certaines ont eu lieu dans des conditions douteuses, ont

    galement produit des retours lucratifs leurs nouveaux propritaires privs92.

    Si lon regarde la richesse des particuliers qui provient la fois de secteurs

    dpendant de l'tat et de pays exposs la corruption ainsi que l'extrme richesse

    qui a t hrite et non gagne , Oxfam estime qu'au moins 50 % de la fortune

    des milliardaires du monde pourrait avoir t acquise au moins en partie par des

    moyens non mritocratiques93. En Inde, 46 % des milliardaires ont fait fortune dans

    des secteurs qui dpendent dune position de pouvoir de march, d'influence ou

    daccs privilgi loctroi de permis94. Au Mexique, quatre multimillionnaires ont

    vu leur fortune agrge augmenter, pour passer de l'quivalent de 2 % du PIB du

    pays en 2002 9 % en 201495. Une partie importante de la fortune de ces quatre

    individus provient de secteurs qui ont t privatiss, octroys sous concession

    et/ou rglements par le secteur public. German Larrea et Alberto Baillres, par

    exemple, sont propritaires de socits minires qui ont profit de lenvole du prix

    des matires premires96.

    Les institutions conomiques et politiques ont en leur pouvoir soit dattnuer soit

    dexacerber lcart qui existe entre les rmunrations dun ct et l'effort et le

    mrite de lautre. Elles dtiennent les moyens de contrler le pouvoir sur le march

    exerc par des secteurs, des entreprises et des particuliers et la manire dont ils

    usent de ce pouvoir ; et elles devraient sen servir. Ainsi par exemple, protger la

    proprit intellectuelle est un moyen soit de rcompenser leur juste valeur ceux

    qui ont fourni labeur et efforts, soit de crer des possibilits pour des entreprises et

    des particuliers de dominer un march. Des avantages concurrentiels temporaires

    procurs par des innovations peuvent se prenniser via des changements de

    lgislation et de rglementation, ce qui a pour effet de fausser le jeu perptuit.

    En principe, l'conomie d'un pays est distincte de son systme politique, mais,

    comme Oxfam la dmontr dans son rapport de 2014 intitul En finir avec les

    ingalits extrmes , dans la pratique, ils sont intrinsquement lis lun l'autre97.

    La relation qui existe entre le pouvoir conomique et politique et les ingalits cre

    un cycle qui se rpercute sur la conception des instances mises en place et

    charges de rgir lconomie d'un pays98. Les riches peuvent potentiellement peser

    sur les dcisions politiques dun gouvernement et inflchir les rgles en leur faveur,

    souvent au dtriment du reste de la population. La gouvernance dmocratique sen

    trouve rode, la cohsion sociale rogne et l'galit des chances rduite pour

    tous. Dans le pass, la puissance des travailleurs syndiqus et leur influence sur

    les instances conomiques permettaient denrayer certains excs, mais le dclin

    mondial de la syndicalisation dans le secteur priv a affaibli ce pouvoir et est

    troitement associ la hausse des ingalits99.

  • 22

    Au cours des 35 dernires annes, les dcisions prises en matire de

    drglementation et de privatisation, combines avec l'avnement de l're de

    l'information et de la mondialisation, ont cr de nouveaux dbouchs. Dans le

    mme temps, ces forces ont galement permis des secteurs d'activit, des

    entreprises et des particuliers de sarroger une part disproportionne du pouvoir

    conomique. Or les consquences n'ont rien de drisoire. La concentration du

    pouvoir conomique ne fait que servir davantage les intrts de ces mmes

    secteurs d'activit, entreprises et particuliers, en crant un cercle vicieux et injuste

    qui prennise et renforce le contrle des marchs et des ressources conomiques

    par une lite au dtriment d'autrui, autant de leurs concurrents que de leurs

    employs. Les femmes sont particulirement dsavantages, en raison de leur

    absence des postes de direction et de leur surreprsentation dans les secteurs mal

    rmunrs, dans l'conomie informelle et dans les activits non rmunres et non

    reconnues. Pour parvenir un objectif de prosprit partage, o il est donn

    chacun la possibilit de participer la croissance conomique et de voir son travail

    dment rcompens, il revient aux institutions qui rgissent le mode de

    fonctionnement de nos conomies de servir les intrts de tous les citoyens plutt

    que ceux de la classe politique et conomique dirigeante.

    Les chiffres prsents dans la premire partie de ce document font apparatre des

    tendances inquitantes qui mritent de toute urgence quon leur prte attention. Le

    monde ne manque pas de revenus, qui ne cessent de croitre, ni de richesses, qui

    continuent de saccumuler. Il est injuste que les personnes vivant dans la pauvret

    ne voient pas leurs revenus progresser alors que leur survie en dpend, tandis que

    les dtenteurs de capital dj privilgis s'approprient une plus grande part des

    revenus et des richesses, qui se concentrent toujours plus alors que les ingalits

    ne font que grandir.

  • 23

    2 POUVOIR ET PRIVILGE EN ACTION

    En s'appuyant sur les tendances mondiales et les chiffres relevs dans la premire

    partie, la deuxime partie du prsent document fournit des exemples des pouvoirs

    conomique et politique exercs par des mcanismes, des entreprises et des

    particuliers dans le but damnager les rgles et les institutions au profit dune lite.

    La partie 2.1 se penche sur larchitecture du systme fiscal mondial dont les

    rpercussions se font ressentir sur lensemble des entreprises et des particuliers.

    La partie 2.2 sintresse des secteurs spcifiques dans lesquels les personnes

    en position de pouvoir et d'influence ralisent des gains colossaux tandis que des

    cots environnementaux, sociaux et financiers sont supports par le citoyen

    lambda. Les secteurs que nous tudions (ceux de lextraction minire, de la finance

    et du vtement) sont certes varis dans leur structure et leur importance nationale,

    mais ils affichent tous la mme tendance exclure le plus grand nombre des

    retombes financires quils procurent. La partie 2.3 identifie les structures

    dentreprise et les dispositions juridiques existantes qui favorisent la concentration

    du pouvoir conomique. Enfin, la partie 2.4 met l'accent sur le pouvoir que des

    particuliers exercent en vue de fausser les rgles en leur faveur.

    UNE LITE INTRSSE, QUI AMNAGE LE SYSTME FISCAL MONDIAL ET LAISSE LES PARADIS FISCAUX INTACTS

    Dans tous les pays du monde, les recettes fiscales servent payer les services

    publics, les infrastructures, les organes de rgulation, les systmes de protection

    sociale et d'autres biens et services indispensables leur bon fonctionnement. Un

    rgime fiscal quitable est essentiel au financement dun tat efficace et

    oprationnel. Il permet aux gouvernements de s'acquitter de leurs obligations

    envers les citoyens concernant laccs des services essentiels tels que la sant

    et l'ducation. Dans les pays en dveloppement en particulier, o il existe un

    besoin encore plus aigu de renforcer les services de sant et d'ducation pour les

    centaines de millions de personnes en situation d'extrme pauvret, les recettes

    fiscales constituent un moyen durable de lever des fonds. Un systme fiscal

    progressif et bien conu est de nature aligner la contribution aux recettes

    publiques de chacun avec ses capacits financires. Or il arrive aussi que les

    rgimes fiscaux nationaux ainsi que la structure de la fiscalit internationale

    pchent cet gard et aient en fait leffet inverse si bien que la contribution la plus

    importante est assume par les plus pauvres100 101.

    L'actuelle architecture fiscale mondiale a aussi pour effet daffaiblir la capacit des

    tats percevoir les impts qui leur sont dus en facilitant lvasion fiscale

    transfrontalire et la dissimulation des richesses. En particulier, les paradis

    fiscaux102 et les centres financiers offshore, qui peuvent se caractriser entre

    autres par le secret bancaire et par des rgimes dimposition nulle ou faible,

    reprsentent l'un des dispositifs les plus vidents la disposition des entreprises et

    des particuliers pour se soustraire leurs obligations fiscales. Jusqu prsent, les

    tats ont chou mettre un terme la pratique mondiale de l'vasion fiscale et au

    rseau de paradis fiscaux qui la rendent possible103. Ce systme est exploit par

  • 24

    des intermdiaires professionnels zls et fort bien rmunrs banquiers privs,

    conseillers juridiques, comptables, conseillers en investissement qui profitent

    d'une conomie mondiale aux frontires de plus en plus effaces. Ce sont les

    entreprises et les particuliers les plus riches (qui, dans un systme d'impt

    progressif, devraient payer le plus d'impt), qui ont le plus gagner recourir

    cette architecture pour viter de payer leur juste part d'impt et qui peuvent se

    permettre de soffrir les services dintermdiaires.

    Lexploitation dchappatoires fiscales et lvasion fiscale de grande envergure font

    partie intgrante des stratgies but lucratif de nombreuses multinationales. Les

    entreprises peuvent transfrer artificiellement la proprit dactifs ou le cot rel

    doprations vers des filiales factices implantes dans des territoires faible taux

    d'imposition ou qui nexigent pas la divulgation dinformations commerciales

    pertinentes. Les bnfices disparaissent des pays o a lieu l'activit

    conomique relle et sont relocaliss dans des paradis fiscaux. En 2012, par

    exemple, les multinationales amricaines ont dclar 80 milliards de dollars de

    bnfices aux Bermudes, soit plus que leurs bnfices combins dclars au

    Japon, en Chine, en Allemagne et en France. Ce montant colossal reprsente

    3,3 % du total des bnfices raliss par ces socits dans le monde. Aussi, il est

    vident quil ne reflte pas l'activit conomique relle aux Bermudes, o le total

    des ventes ne slve qu 0,3 %, et sa part du nombre total d'employs ou du total

    de sa masse salariale ne reprsente quune part minuscule comprise entre 0,01 et

    0,02 %104.

    Les entreprises qui rduisent leur facture fiscale (que ce soit par lvasion lgale ou

    illgale) bnficient dun avantage significatif sur leurs concurrents et les petites et

    moyennes entreprises (PME) de leur pays. Le systme offshore et la concurrence

    fiscale dommageable cotent aussi aux tats des milliards de dollars par an. Bien

    que les montants exacts en jeu restent inconnus, il est clair quil s'agit l dun

    problme important. En tudiant les donnes publiques de plus de 200 entreprises,

    dont les 100 plus grandes au monde et les partenaires stratgiques du Forum

    conomique mondial, Oxfam a constat que 9 sur 10 sont prsentes dans au

    moins un paradis fiscal105. D'aprs les donnes du FMI, le montant des

    investissements des entreprises dans ces paradis fiscaux a pratiquement

    quadrupl entre 2000 et 2014106. Le recours aux paradis fiscaux et d'autres

    pratiques dvasion fiscale se rpercute sur tous les pays quel que soit leur niveau

    de revenu, y compris les plus pauvres. On estime que lvasion fiscale des

    multinationales cote environ 100 milliards de dollars par an aux pays en

    dveloppement107.

    Alors que les recettes fiscales en provenance des multinationales et des

    particuliers fortuns restent bien en-de de leur potentiel, les tats se trouvent

    confronts deux options : soit rduire les dpenses indispensables la rduction

    des ingalits et de la pauvret, soit compenser le manque gagner en imposant

    davantage d'autres franges moins aises de la socit et les petites entreprises.

    Quelle que soit loption retenue, les plus pauvres en sortent perdants et le foss

    des ingalits ne cesse de se creuser. Le monde offshore et l'opacit qu'il offre

    constitue aussi un refuge sr pour le blanchiment des revenus issus de la

    corruption de la classe politique, du commerce illicite darmes et du trafic de drogue

    international, ce qui contribue la propagation du crime mondialis et au pillage

    des fonds publics par des lites corrompues. Lvasion fiscale a t dcrite juste titre par l'International Bar Association comme une violation des droits humains108

    et par le prsident de la Banque mondiale comme une forme de corruption au

  • 25

    dtriment des pauvres . La crise des ingalits ne sera rvolue que lorsque nous

    mettrons fin une fois pour toutes lre des paradis fiscaux.

    Cela fait trop longtemps dj quun consensus mondial prnant une approche plus

    significative de lutte contre les pratiques fiscales dommageables se fait

    attendre. Il y a quinze ans, le rapport de lOCDE intitul Concurrence fiscale

    dommageable proposait que les pays envisagent de mettre fin aux conventions

    fiscales quils ont conclues avec les administrations figurant sur la liste des paradis

    fiscaux 109. Malheureusement, les pays de l'OCDE qui oprent dans la pratique

    comme des paradis fiscaux, ainsi que d'autres pays-membres dinfluence qui

    abritent les plus grandes socits du monde, sont parvenus lpoque bloquer

    tout progrs dans ce sens. Il est triste de constater que nous payons aujourdhui

    encore les frais de ce manque de volont politique. Le projet BEPS sur lrosion de

    la base d'imposition et le transfert de bnfices lanc sous limpulsion du G20 et de

    lOCDE, qui a reu l'aval des dirigeants du G20 en novembre 2015, a une fois de

    plus peu fait pour juguler les pratiques fiscales dommageables110, et la moindre

    tentative dintroduction de rgles plus strictes a fini par tre dulcore111. Ce projet

    reprsentait une opportunit historique de mettre fin tous les scandales et

    pratiques abusives qui dfraient de plus en plus la chronique partout dans le

    monde, mais cette chance unique a t nglige.

    LES INITIS DU SECTEUR

    Les industries extractives

    Les ressources ptrolires, gazires et minires non renouvelables jouent un rle

    dominant dans l'conomie de nombreux pays. Les possibilits de gnration de

    revenus et de richesses, les progrs technologiques et les recettes publiques

    associes aux activits de ces secteurs sont gigantesques par rapport ceux des

    autres secteurs productifs. Nanmoins, les gains considrables apports par ce

    secteur sont susceptibles dtre trs fortement concentrs dans les mains dune

    poigne dacteurs. Cette situation a de fortes chances de privilgier une conomie

    axe sur loptimisation de la valeur extraite de ces actifs, plutt que sur l'innovation,

    la cration d'emplois et d'entreprises qui profitent la majorit.

    Les tats tout comme les entreprises tirent profit des ressources naturelles quand

    les technologies et le savoir-faire en permettent lextraction un cot

    conomiquement viable et lorsque les marchs internationaux des matires

    premires garantissent des prix levs. La lgislation, la gologie et des

    connaissances spcialises permettent aussi de dgager des rendements levs,

    qui prservent les activits du secteur de la concurrence de march et aboutissent

    la cration de monopoles. Le secteur est contrl par des socits tatiques,

    dont certaines, comme la Sonangol en Angola, assument de front la charge

    dadministrer et de rglementer le secteur112. Il arrive aussi que le contrle soit

    concentr dans les mains dacteurs privs : par exemple, la vente du gant

    ptrolier russe Yukos Mikhal Khodorkovski en 1995 a eu pour effet de crer un

    monopole ptrolier priv dot d'une puissance conomique et d'une domination du

    march considrables113.

  • 26

    Contrairement la majorit de la population, il est rare que les quelques nantis qui

    sen arrogent les bnfices doivent supporter les cots conomiques, sociaux et

    environnementaux plus large chelle rsultant des activits dans ce secteur. Les

    activits extractives se rpercutent sur lhabitat et lenvironnement des populations.

    Au Brsil et au Mexique par exemple, la dforestation des fins dextraction

    minire ou dagriculture intensive grande chelle se fait au dtriment des

    populations autochtones qui voient leur lieu de vie rduit nant114. Les

    populations employes dans d'autres secteurs conomiques en subissent

    galement les cots : alors que l'apprciation des devises locales affecte la

    comptitivit des autres secteurs d'exportation, l'tat donne la priorit aux

    investissements et aux subventions dans ce secteur au dtriment des autres et

    l'offre de salaires consquents attire les travailleurs les plus qualifis. long terme,

    ce sont les gnrations futures, au-del de toutes frontires, qui subiront les

    consquences de l'extraction de ces ressources dont les rpercussions se feront

    sentir sous forme de changement climatique115.

    Les acteurs du secteur des industries extractives cherchent avant tout des

    rendements levs et utilisent leur puissance conomique et leur accs la classe

    politique pour conforter leur position et accroitre leurs avantages. Ainsi, l'tat

    accorde des subventions au secteur afin de garantir sa sant financire alors quil

    nen est rien pour les formes plus cologiques et durables de production d'nergie.

    Les gouvernements des pays du G20 consacrent eux seuls 452 millions de

    dollars sous forme de subventions chaque anne pour la production de

    combustibles fossiles116. Les contrats et les oprations financires relevant de ce

    secteur sont envelopps du plus grand secret. Les groupes dintrt de ces

    secteurs ont tout fait pour bloquer toute lgislation visant amliorer la

    transparence des revenus issus des industries extractives et renforcer leur

    responsabilit. L'American Petroleum Institute (API), lun des plus grands

    opposants de telles mesures, a consacr pas moins de 360 millions de dollars en

    lobbying auprs du Gouvernement des tats-Unis entre 2010 et 2014117. Bien quil

    soit dsormais prouv que les hydrocarbures jouent un rle dans l'acclration du

    changement climatique, les groupes dintrt du secteur continuent de financer des

    think-tanks qui rfutent la ralit de ce phnomne118. Cela fait plus de 30 ans

    quExxonMobil sattacherait nier dlibrment le lien qui existe entre les

    combustibles fossiles et le changement climatique119.

    Avec des revenus ptroliers reprsentant 70 % du total des recettes publiques en

    2011120 et 90 % des recettes d'exportation du pays, le Nigeria est le plus grand

    exportateur de ptrole en Afrique. Les compagnies ptrolires internationales

    dominent les activits de ce secteur, gnrant des milliards de dollars de

    bnfices, et les propritaires nigrians de concessions ptrolires en ont eux

    aussi largement profit, plusieurs particuliers tant devenus ainsi des

    milliardaires121122. Le secteur se caractrise par une relation troite et pernicieuse

    entre politique et conomie, qui a eu pour effet de nuire la distribution quitable

    de la manne ptrolire auprs de la population du Nigeria. Un rapport paru

    rcemment dans la presse nigriane a rvl la liste des particuliers devenus

    propritaires de concessions ptrolires grce leur aptitude user leur profit

    des rouages de l'tat123. Les lites politiques corrompues ont abus des conditions

    inscrites dans les contrats des compagnies ptrolires internationales les obligeant

    sassocier des entreprises locales en crant des socits-cran pour

    s'approprier leur part des retombes financires.

  • 27

    Pendant que ces dynamiques soprent entre les sommits de la classe

    conomique et politique, plus de la moiti de la population ne tire pas le moindre

    avantage de ce secteur et vit dans une extrme pauvret avec moins de 1,90 dollar

    par jour124. Le dtournement de la manne ptrolire et le lobbying exerc

    activement par les compagnies en vue de rduire leurs contributions au budget

    national (voir Encadr 2) ont pour effet de rduire les fonds allous aux services

    publics et aux infrastructures. Ces derniers font gravement dfaut et seraient

    pourtant mme dendiguer la pauvret. Les citoyens les plus pauvres sont

    galement contraints de supporter les dommages causs l'environnement, qui

    dans le delta du Niger mettront une trentaine danne sestomper125.

    Reconnaissant ces difficults et l'importance d'un meilleur contrle du secteur, le

    gouvernement arriv au pouvoir en mai 2015 a fait plusieurs dclarations politiques

    majeures et a pris des mesures pour remdier la situation. Lune dentre elles

    vise remettre en service les raffineries locales de petite chelle et obliger pour

    la premire fois de son histoire la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC)

    publier ses cots d'exploitation mensuels126.

    Encadr 2 : Les compagnies ptrolires au Nigeria se sont activement opposes

    des mesures fiscales qui seraient bnfiques pour les communauts

    Le projet de loi sur lindustrie ptrolire, le PIB (Petroleum Industry Bill) a t

    rdig pour la premire fois en 2007 et fait lobjet de dbats depuis plusieurs annes.

    Celui-ci prvoit une nouvelle taxe de 10 % sur les bnfices qui serait reverse aux

    communauts locales, ainsi que laugmentation des taux de redevances. Les

    compagnies ptrolires (principalement Shell, ExxonMobil, Chevron, Texaco et Total,

    qui sont toutes membres du groupe sectoriel OPTS (Oil Producers Trade Section))

    sopposent depuis longtemps ce projet de loi, comme en attestent diffrents

    rapports. Les compagnies ptrolires internationales ont exerc de fortes pressions

    pour diluer les conditions fiscales proposes dans le dsormais clbre projet de loi

    PIB , selon un rapport127.

    Linvestiture du nouveau prsident du Nigeria, Muhammadu Buhari, a eu lieu le 29 mai

    2015. Le 4 juin, la Chambre des Reprsentants entrinait le projet de loi PIB. Or le 9

    juillet, il a t annonc que le nouveau gouvernement avait l'intention de renvoyer le

    projet de loi la case dpart, et que plus particulirement il allait en revoir les

    conditions fiscales128

    selon des documents confidentiels obtenus au sein du parti au

    pouvoir 129

    . La campagne mene semble avoir port ses fruits. Le nouveau

    gouvernement na pas encore arrt les conditions qui seront inscrites dans le

    nouveau projet de loi, mais il affirme qu'il s'appuiera sur les consultations qui ont eu

    lieu avec les compagnies ptrolires internationales , a-t-il t indiqu130

    .

    Source : tude de cas compile par Mark Curtis de Curtis Research

    Le secteur financier

    Le secteur financier a connu une croissance rapide au cours des dernires

    dcennies, notamment sous limpulsion de la croissance de grandes banques et

    dautres tablissements financiers aux tats-Unis, au Canada et en Europe131. Ce

    secteur reprsente maintenant prs de 15 % du PIB mondial132. On lui doit aussi la

    cration de quelques-unes des entreprises les plus grandes et les plus rentables

    de la plante, dont 437 des 2 000 premires entreprises au monde en 2014, selon

    le classement Forbes Global 2000. Les actifs des socits financires qui

    appartiennent ce groupe sont en moyenne cinq fois suprieurs ceux des

    entreprises non financires133. Partout dans le monde, le secteur a permis plus

  • 28

    de gens que jamais davoir accs des services financiers : 62 % de la population

    adulte mondiale possdent maintenant un compte bancaire, soit une hausse par

    rapport 51 % en 2011134. Ce secteur a galement contribu enrichir

    considrablement des particuliers, 20 % des milliardaires en dollars dans le monde

    en 2014 tant lists comme ayant des intrts ou des activits lies aux secteurs

    de la finance et des assurances135.

    Depuis les annes 1980, les activits du secteur financier ont dpass la seule

    prestation de services financiers destination des particuliers et des entreprises.

    Ils comprennent dornavant un ensemble complexe d'outils et de mcanismes

    visant crer de la valeur partir doprations, dactivits de spculation et du prix

    des actifs, qui napportent aucune valeur ajoute, rendements ou productivit dans

    l'conomie relle, mais qui pour autant dominent aujourd'hui le secteur136. La

    drgulation du secteur financier au cours des 30 dernires annes y est pour

    beaucoup137. Le secteur bancaire parallle (cest--dire les intermdiaires

    financiers non bancaires qui ne sont pas soumis un contrle rglementaire)

    domine dsormais les activits du secteur financier, comme lillustre le Graphique

    7138. Aux tats-Unis, le secteur financier reprsente dornavant prs de 30 % de

    tous les bnfices d'exploitation, soit le double par rapport aux annes 1980139,

    bien quil soit responsable de moins de 10 % de la valeur ajoute dans

    l'conomie140. Au niveau individuel, on estime quune part comprise entre 30 % et

    50 % de la rmunration des employs du secteur de la finance excde la valeur

    ajoute quils apportent141. Le meilleur exemple de ce dcalage entre la valeur

    ajoute et les salaires se trouve sans doute parmi les rmunrations octroyes aux

    membres des quipes de direction de Bear Stearns et de Lehman Brothers, qui se

    chiffraient 650 millions de dollars pour la premire et 400 millions de dollars

    pour la deuxime entre 2003 et 2008, une priode o ces deux entreprises se

    dirigeaient vers les faillites les plus spectaculaires de toute l'histoire financ