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BIBEBOOK MONTESQUIEU VOYAGE À PAPHOS

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  • BIBEBOOK

    MONTESQUIEU

    VOYAGE PAPHOS

  • MONTESQUIEU

    VOYAGE PAPHOS1727

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1130-0

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

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    Sources : B.N.F. fl

    Ont contribu cette dition : Association de Promotion de lEcriture et de la

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  • PRFACE DE LDITEUR

    L V P t attribu Montesquieu. Ce-pendant on ne la jamais publi dans les uvres compltes delauteur. Il est vrai que cette petite pice ore peu dintrt. Onny trouve point, comme dans le Temple de Gnide,certaines rexions,certaines phrases o lon reconnat, parmi bien des fadeurs, la marque dumatre. Le Voyage Paphosa t peut-tre improvis pour amuser loisi-vet dune grande dame, mais ni linvention ni lexcution nont d causergrandpeine au pote; tout y est ple et sans relief. Nous lavons cepen-dant rimprim cause de sa raret et pour tre complet.

    Le Voyage Paphosa t publi pour la premire fois, dans leMercurede France,en dcembre 1727 .

    On lit en tte ce qui suit:Le petit ouvrage quon donne ici nous est tomb par hasard entre les

    mains. Le titre, la premire page et la n sont dchirs dumanuscrit; ainsinous ne savons pas ce qui peut manquer pour avoir louvrage complet.On peut juger par limagination de lauteur que la ction doit avoir tpousse plus loin. On espre que lapprobation du public lengagera nous donner la suite et le vritable titre; en attendant, nous le donnons

    1. Pages 2849-2886.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    sous le titre que voici: Voyage Paphos.En 1747, parut sous la rubrique Florence une dition spare, qui

    porte le titre de Voyage de lisle de Paphos .Luvre est complte, on artabli le commencement et la n du manuscrit. On la mme fait pr-cder dune prface insigniante, et on a insr, dans le corps du rcit,des vers qui sont plus que mdiocres. Montesquieu na jamais pass pourpote, mais dans ce quon connat de lui, il ny a rien daussi plat. Au reste,on en pourra juger. Nous navons pas voulu que les curieux eussent rien regretter; aussi donnons-nous le texte du Mercureavec les variantes etles additions de ldition de 1747.

    Voici la prface de cette dernire dition:Plaire tout le monde; cest limpossible. Plaire beaucoup de per-

    sonnes; il est dicile. Plaire un certain nombre; cela se peut. Je souhai-terais que cet ouvrage ft lu de toutes les nations. Toutes y prendraientplaisir. Beaucoup laimeraient; mais peu sen accommoderaient. On nyverra rien que de trs-agrable. Je mattacherai moins faire la descrip-tion de lle que celle des faits que jy ai vus. Chacun essaiera de sy recon-natre dans le caractre de Diphile; et je suis certain que peu limiteront,surtout en France; car on assure, et je nen doute nullement, que lincons-tance y prit naissance.

    Le Franais porte un cur facile a senammer.Avide de plaisir, il en est mercenaire,Et sans possder lart daimerIl sattache au moyen de plaire.

    Sans trop chercher me disculper, je sais quon pourrait trouver (etcela mme Paris) des amants dignes de faire le voyage de Paphos, quoi-quil ny ait que les plus parfaits qui puissent y arriver. Sil sen trouve sipeu, on ne doit lattribuer quaux murs du sicle; on se fait un devoirdtre inconstant, volage; cependant on aime; mais souvent tel sattacheet fait vu de bien aimer un objet indigne de lui; ainsi heureux mille foisceux que lamour sait assortir.

    2. Le caractre indique une impression faite a Paris.3. In-12 de 64 pages.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    n

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  • VOYAGE A PAPHOS

    (Que votre absence est dicile supporter! Pensez-vous, Mlite, quedepuis dix jours je ne vous vois point? Imaginez combien jai de chosesagrables vous dire. Jarrive de Paphos.

    Vnus a choisi cette le pour sy dlasser des fatigues de Cythre etdAmathonte, o elle reoit les hommages de tous les amants; on ne voit Paphos que les amants parfaits. Avais-je droit, Mlite, demy prsenter ?)

    Aprs une douce navigation que les Zphirs rendent plus promptepar lempressement quils ont daller voltiger autour de Vnus, jarrivai Paphos au moment que lAurore commenait sy montrer; elle me parutsi riante, en clairant cette le, que sans voir Cphale, je jugeai aismentquil tait ses cts.

    Je nessayerai point, Mlite, de vous dcrire les beauts du palais deVnus: vous le connaissez par lide que vous en a donn le pinceau delAlbane; il est si dle, quon distingue dicilement si les Grces lontbti sur ses dessins, ou sil a travaill daprs les Grces.

    Limagination la plus vive et le got le plus galant napprocherontjamais de lagrable assemblage qui compose ces jardins. Le Dieu qui les

    4. Tout ce qui est entre crochets est pris du Voyage de lle de Paphos.Nous indiqueronsles autres emprunts et les variantes par la lettre A.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    protge y xa son sejour, et tout sy ressent de sa favorable inuence.Lart ny parait que pour faire goter avec plus dadmiration les beau-

    ts de la nature, ou pour mieux dire, on ny reconnat point dart. Paphosenn plait aux Amours, et Vnus ne la jamais quitt sans regret, que pouraller la conqute dAdonis .

    Rempli de votre ide, que ne sentis-je pas Paphos ? Tchez de lecomprendre, Mlite (Melite), car je ne lexprimerais jamais.

    Jerrai quelques moments de bosquet en bosquet, et jcoutais avec at-tention les sons touchants de Philomle, quime paraissaient plus tendresen se mlant au murmure des fontaines de cette le, quand japerus unenymphe qui venait moi.

    Je ne doute pas, heureux Amant, dit-elle en mabordant, que vous nesoyez bien reu dans cette cour. Je suis Diphile, ai-je rpondu , jaimeM-lite. Lamant de Mlite, repart la nymphe, doit tre le modle des amants?Nous entendons sans cesse parler des charmes de Mlite la cour de V-nus, et vous venez sans doute rendre grces la desse de ses bienfaits;mais on nentre point encore dans son palais. Je vous y conduirai quandil en sera temps; et je veux, en attendant son rveil, vous entretenir souscet ombrage.

    Je voulus remercier la nymphe dun accueil si gracieux . Vous mavezmoins dobligation que vous ne pensez, rpondit-elle; le plus grand plaisirque je puisse avoir Paphos, cest dentretenir les mortels. Les nymphes,mes compagnes, se chargent de ce soin Cythre, mais Paphos, cest leseul soin de Zlide.

    Vnus permet ses nymphes de choisir leurs amants Gnide, Ama-thonte et Cythre Quand le sjour de la desse est Amathonte, lesamantes des autres les languissent dans les peines de labsence; vous metrouvez seule ici dans la rverie; jaime Cythre! Eh quoi! dis-je Z-lide, la reine des plaisirs permet que dans sa cour mme on connaisse des

    5. A. Dit simplement: Paphos enn plat Vnus.6. A. Toujours prsente mon ide, que ne sentis-je pas Paphos? Tchez de le com-

    prendre, Melite; je ne lexprimerai jamais!7. A. Avec soin.8. A. Lui rpondis-je.9. A. Si provenant.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    peines en aimant! Ne vous en tonnez pas, Diphile, ce sont ces peines quifont le bonheur des curs amoureux .

    Vnus, attentive tout ce qui peut augmenter les dlices de sou em-pire, ordonne quelquefois ses nymphes de passer un jour sans parler leurs amants; il nous est mme dfendu de les voir de certaines heures.Ces dfenses ne sont pas faites pour nous priver de leur prsence, maispour ajouter au plaisir de les voir, le plaisir de les voir en secret.

    Labsence que les vulgaires amants comptent pour une peine, aug-mente les douceurs quon gote en aimant. Vnus mme se soumet seslois, et la mre des Amours connait ce qui doit rendre un cur heureux.Elle tablit sa cour dans plusieurs les, et ce nest qu Paphos quelle jouitdu plaisir de voir Adonis.

    Adonis! mcriai-je, eh! les dieux ne lont-ils pas chang en eur?Votre tonnement ne me surprend point, dit Zlide, peu de mortelsconnaissent le bonheur dAdonis. Son courage layant emport sur lesprires que lui t Vnus de ne point chasser les btes froces, un sanglierlimmola la colre de Diane, et Venus, en versant du nectar sur son sang,obtint des dieux quil serait chang en eur.

    Ds que la desse fut exauce, elle traversa les airs pour se transporterdans lempire de Flore. Reine des eurs, lui dit-elle, dont lempire est aussibrillant que celui des Amours; vous vous plaignez tous les jours de lalgret de Zphire, vous ne vous en plaindrez plus: je viens vous orirde le rendre aussi constant que les colombes que vous voyez atteles mon char.

    A des ores si engageantes, Flore connut que la Desse attendaitquelques secours de sa puissance: car les Dieux, ainsi que les mortels,ne attent que pour obtenir ce quils dsirent.

    Quexigez-vous de moi, pour reconnatre une faveur si sensible, r-pond Flore Vnus? Il est vrai que Zphire minquite et malarme sanscesse, et quen massurant son cur, vous assurez ma tranquillit. Votrebonheur dpend de vous, reprit Vnus; le plus charmant desmortels, Ado-nis vient de perdre le jour; mais si Flore me seconde, la Parque nauratranch le l dune si belle vie que pour rendre son sort plus glorieux.10. A. ajoute:

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  • Voyage Paphos Chapitre

    Il est sous votre empire, transportez-le Paphos, aimable Desse, faitesque cette eur y conserve toujours sa fracheur et sa beaut; de sa duredpend la constance de Zphire. La constance de Zphire! scria Floreavec transport; allez Desse, Adonis est immortel. Ds ce jour Zphire napoint quitt Flore; Flore, intresse la eur dAdonis, ne quitte point Pa-phos; et le bonheur de ces amants rend ce sjour plus digne des Amours.

    Vnus, en obtenant quAdonis serait chang en eur, ne bornait passes vux ce seul changement. Cest ainsi que pour russir dans ce quonprojette, il faut aller par degr au bonheur quon attend.

    Assure du secours de Flore, elle t cette prire au matre des dieux.Puissant Dieu de lunivers, si pour punir laudace dun mortel, vous

    donntes autrefois Diane le pouvoir de changer Acton; refuserez-vous,pour faire le bonheur de Vnus de changer une eur? Cest ma prireque vous avez anim louvrage de Pygmalion; lamour dune Desse voustoucherait-il moins que lamour dunmortel? Non, non, vous allez animerla eur dAdonis; il a plu Vnus, il mrite votre secours.

    Jupiter doit trop de plaisirs lempire des Amours pour ne pas contri-buer au bonheur de la Desse; elle vole Paphos, matresse de rendre la eur qui lui est si chre, la gure et les charmes dAdonis; mais ellene le peut que dans cette le, et ses plaisirs seraient moins dignes de V-nus, si elle pouvait faire ce changement dans tous les lieux soumis sapuissance. Qui peut se plaindre de labsence, Vnus sloigne dAdonis?

    Il est vrai, ajouta Zlide, que dans labsence et les autres peines atta-ches lAmour, il faut connatre les douceurs quon peut en retirer. Jenen nglige aucune. A Gnide ou Paphos, je ne pense quaux plaisirsde Cythre. Je me rappelle les moments que jai passs avec Lycas Cesoupir vous apprend que cest Lycas que jaime: absent, son ide est sanscesse prsente mon esprit; je rpte en moi-mme tout ce que je lui aidit en parlant. Je le suis dans les bois o jaime le trouver; je le voisnonchalamment couch sentretenir dans une douce rverie; il maime,il pense moi, il me parle peut-tre. Quelques jours avant de rejoindreLycas, je prviens tout ce quil va me dire. Je juge du plaisir quil aura deme revoir par la tendresse de ses adieux. Je le vois qui court au-devant11. A. crit partout Palmire au lieu de Lycas.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    de moi; ses transports comblent ma joie; je vole dans ses bras; que decaresses !

    Ah! nymphe, que vous augmentez limpatience que jai de revoir M-lite . Elle connaitra dans vos embrassements, reprit-elle, que labsence,en les faisant souhaiter plus longtemps, leur donne encore un nouveauprix .

    Mais ne vois-je pas le palais de Vnus? Non; cest la demeure desGrces, dit Zlide; ce portique de feuillage quon aperoit dici, conduit un vestibule o sassemblent les gnies qui sont destins inspirer la ga-lanterie aux mortels. Chaque Grce les instruit selon le dpartement quilui est con. La premire leur enseigne parler le langage des Grces;cest elle qui dfend ces froides exagrations qui, loin dhonorer une ma-tresse , dshonorent le fade passionn qui les met sans cesse en usage.Cest elle qui leur dicte une dclaration, dans laquelle on reconnat plusdembarras que de raisonnement . Cest elle qui travaille bannir dessocits galantes les mauvaises plaisanteries et tout ce qui nest pas duchoix des Grces.

    Sa cadette a linspection des parures: elle ne donne point de rglepour les ajustements: elle veut seulement quil y rgne plus de got quede magnicence. Elle passe au beau sexe quelque caprice sans aectation,en faveur de la mode, mais elle condamne dans les hommes, tout ce quipeut approcher dun arrangement tudi.

    La troisime Grce est charge de maintenir, ou de faire natre cequon appelle belles manires ; et comme chaque nation a ses coutumesen galanterie, Carite donne aux Gnies direntes leons, selon les payso ils sont destins. Jentrai avec Zlide, au moment quon instruisait lesGnies de la galanterie franaise. Un Gnie aectait les mauvais airs denos petits matres, et Carite en faisait remarquer le ridicule aux autres.Il contrefaisait ce jour-l un jeune seigneur qui, dun air pench, aborde12. A. Ses transports se confondent dans les miens. Je meurs dans ses bras.13. A. ajoute:14. Cette phrase nest pas dans A.15. A. Lobjet aime.16. A. Plus dembarras que desprit.17. A. Ce quon appelle des bons airs.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    une dame en chantant, pour lui dire tout haut quil vient de chez Blize,proter de labsence de son mari, et, un moment aprs, lui demande quelle heure il est, ou lui apprend que la soire est belle.

    Carite stendit beaucoup sur les sentiments dont ou se pique aujour-dhui, et nit en exhortant ses Gnies ramener la galanterie de lancientemps.

    Zlide me prsenta Carite, elle me reut comme les Grces re-oivent les vrais amants. Je sais combien vous aimez Mlite, me dit-elle,mais vous croyez naimer quune mortelle, telles que sont toutes les mor-telles aimables; je vais vous apprendre quelle est Mlite.

    La mre des Grces prit naissance dans lempire de Neptune. Dsquelle y parut, tous les Dieux vinrent lui rendre hommage; les Amours,en naissant autour de la Desse, foltraient avec les plus grandes Divini-ts. Vnus fut bientt matresse du monde entier; tout reconnut sa puis-sance, et Neptune se gloriait davoir vu natre la souveraine de lunivers.

    Lenvie rgne partout, mme dans les cieux. La Desse de la Terre,jalouse de la gloire de Neptune, alla se plaindre au Destin. Arbitre desimmortels, lui dit-elle, pourquoi faut-il que Neptune lemporte sur la mredes Dieux? Sil tait arrt que Vnus ne natrait pas dans lOlympe, centait pas au Dieu des mers lui donner le jour; Cyble attendait cethonneur. Consolez-vous, rpondit le Destin la Desse. Il natra dansvotre empire une mortelle dont lOlympe son tour deviendra jaloux. Sabeaut ngalera pas celle de Vnus; mais sous des traits moins rgulierson verra briller plus de nesse et denjouement; sa vivacit lemporterasur la majest mme, et, sans tre divine, elle recevra les hommages desmortels.

    Trop heureux Diphile, reconnaissez Mlite, et ne vous tonnez pas sinous la suivons sans cesse. Vnus joint la beaut les charmes que luidonnent les Grces, et nous joignons nos charmes les agrments quenous donne Mlite; mais elle ignore elle-mme tous les avantages quellea reus des Dieux; faible mortelle, la vanit les diminuerait peut-tre.Quede belles seraient aimables, si elles savaient ignorer que la beaut sert se18. A. Lui demande loreille.19. A. La nymphe me prsenta Carite.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    faire aimer. Non, non, mcriai-je, japprendrai Mlite ce quelle ignore.Dabord elle ne me croira pas; je lui jurerai sur le nom dAmour que cestde Carite que je le sais; elle nen doutera plus, mais elle sera toujourssi modeste que si je pouvais oublier que cest Mlite, je douterais moi-mme quelle ait foi mon serment. Carite nous quitta pour aller joindreses surs au lever de Vnus, et Zlide me conduisit dans les direntsappartements du pavillon.

    Qui pourrait en dcrire les beauts? Non, Mlite, je ne lentreprendraipoint: votre imagination sut; elle ne vous laissera rien chapper de ceque lart peut avoir invent pour faire une demeure digne des Grces.

    Nous nous arrtmes quelques moments dans le salon des livres.Jtais curieux de connatre ceux qui ont la gloire damuser Paphos.

    Je ne vis que des titres galants. Ils sont rangs sur dirents gradins,selon la valeur que les Grces leur donnent. Ovide et Tibulle sont placssur le mme rang quAnacron et Sapho; mais entre les vers du sicledOvide et ceux de notre temps, les Grces judicieuses ont laiss lespacede bien des livres.

    Je mis dabord la main sur un volume de posies, o je reconnusquelques pices dun petit nombre dauteurs, qui se sont plus attachsaux sentiments qu lesprit.

    Je trouvai sur le mme gradin direntes historiettes. On ne lit Pa-phos que celles que le beau sexe a bien voulu crire; les autres ny sontpas connues.

    Un recueil de chansons, avec dfense, la marge, den chanter cer-taines, qui sont composes sur des airs dun mouvement si rapide quonne peut les rendre sans convulsions.

    Des extraits de plusieurs de nos romans. Les volumes sont petits; onen a retranch les histoires magiques et les conversations ennuyeuses.

    Je fus tonn dy rencontrer certains ouvrages qui devraient tre in-connus Paphos. Jappris quon stait content de lintention que leursauteurs ont eue dtre galants, mais que les Grces, qui ny ont rien misdu leur, ne les lisaient pas. Zlide me demanda si je frquentais les rivesdu Permesse. Oui, Nymphe, jy chante quelquefois ma tendresse et monbonheur; si lAmour pouvait inspirer comme Phbus, jaurais lavantagesur Ovide mme; il naimait que Corinne, et jaime Mlile.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    Je voulus minformer quels taient les livres de direntes langues quisuivaient; mais Zlide mavertit quil tait temps de se rendre auprs dela Desse.

    En traversant un bois qui conduit son palais, jentendis une voix en-trecoupe par de tendres soupirs, qui sortait de dessous un pais feuillage.Oui, Doris, je le promets, et tu verras... Mais quel discours? tu ver-ras!Ah! pardonnez, Doris, le respect doit linterdire. Non, non, rpondDoris, cet garement plat lAmour; et je vous dis mon tour: Hillas,je te le pardonne. loignons-nous: ces amants ne demandent point detmoins, dit Zlide. Vous tes peut-tre tonn de la dlicatesse dHillas:il craint doenser Doris par la plus lgre familiarit; les mortelles senoensent dicilement; mais quelles sont condamnables den trop per-mettre .

    Enn je vis Vnus. Je lavoue, Mlite! sa beaut a quelque chose au-dessus de la vtre; mais elle ne doit qu la Divinit le peu davantagequelle a sur vous.

    Elle reut mes hommages avec un sourire qui ne me permit pas dedouter de mon bonheur; et je sentis que sa prsence augmentait monardeur pour son culte.

    Un disciple dApollon, amoureux Paphos, se prsenta la Desse, etrcita un pome quil avait compos, disait-il, pour clbrer dignementles plaisirs de lAmour. Il employa avec un air de contentement tout ce quele Parnasse sait mettre en usage pour faire valoir ses productions. Vnus,sans tre touche de lemphase du disciple, lui rpondit dun ton qui ne leattait pas: Les Muses seront peut-tre contentes de votre ouvrage ;mais je connais des plaisirs quApollon mme nexprimera jamais.

    Les nymphes se retirrent pour laisser la desse avec Ariane et Bac-chus, qui parurent linstant. Adonis entra quelque temps aprs; pourlAmour, on le voit rarement la Cour de Vnus: il soccupe ailleurs 20. A. ajoute: Il est de certains noms, il est des expressions quon ne doit entendre que

    dans ces moments o la langue gare articule si dicilement, qu peine distingue-t-on cequelle prononce.21. A. Et chanta des vers quil avait composs, etc.22. A. Contentes de vos soins.

    11

  • Voyage Paphos Chapitre

    laugmenter; et dans ses moments de loisir , il va juger avec Psych dela douceur des plaisirs quil donne lunivers.

    Je suivis Zlide; elle me conduisit dans la galerie quon appelle leTriomphe des mortels.

    Les portraits que vous voyez, me dit-elle en entrant, sont autant detrophes la gloire de ceux quils reprsentent.

    Ceux qui remplissent le premier rang sont les amants qui ont fait hon-neur la galanterie de leur sicle; et ceux-ci ont mrit dtre placs prsdes autres pour avoir plu Vnus par quelque trait particulier.

    Ce guerrier est un illustre des Cantons, qui plusieurs fois dans savie refusa de se trouver damples sacrices Bacchus, pour sacrier lAmour .

    Prs de l une vieille coquette qui na jamais ressenti la moindre ja-lousie des charmes de sa lle.

    Suivez. Une belle de haut rang, qui mme, aprs linconstance dunperde amant, na point eu de nouvelle intrigue.

    Vis--vis: une musicienne rserve, qui a su convertir un discipledpicure, qui depuis longtemps stait dclar contre les femmes.

    Ne vous tonnez pas si parmi les portraits des rares amants vousvoyez si peu de draperies franaises. La nation fournit plus de perdesque damants, et vous conviendrez que vos hrones ne travaillent pas rtablir la bonne foi dans le commerce amoureux.

    Eh! pourquoi Vnus ne chasse-t-elle pas de son empire les amants quine craignent pas de le dshonorer?

    Dtrompez-vous, Diphile, ces amants ne sont point soumis laDesse; elle naccepte que les curs que son ls a blesss. Il connat lef-fet de ses coups: pour en mieux juger il a voulu les sentir; et lAmour nedonne Vnus que des curs pareils au cur de lAmour mme.

    Mais ses traits peuvent seuls rendre un cur sensible; dsavoue-t-ilceux quil a blesss?

    Il est vrai que les traits de lAmour peuvent seuls rendre un cursensible, rpondit Zlide; mais pour le rendre heureux, il faut que le trait23. A. Dans ses moments de repos.24. Ce paragraphe et les trois suivants ne sont pas dans A.25. A. Des amants.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    parte de ses mains, et je vais vous apprendre quil ne les lance pas tous.Peu de temps aprs la naissance de Vnus, une troupe dAmours

    scarta dans les bois de Cinthe. Diane navait pas encore ouvertementdclar la guerre la Desse des plaisirs, et la Desse, qui ne savait pasalors se mer des prudes, ne recommandait point aux Amours de fuirles forts consacres Diane.

    La troupe dAmours, dans les bras de Morphe, se dlassait de lexer-cice dune longue journe, o, lenvi lun de lautre, ils avaient essaysur les oiseaux des traits destins tre lancs dans les curs des hu-mains. Leurs carquois, ple-mle, taient couchs prs deux, et les arcssans force taient dtendus. Les oiseaux amoureux, sur les tons les plustendres, clbraient leurs plaisirs. Diane, attire par un concert si char-mant, t taire ses cors, et courut sous lombrage o le sommeil se plaisait dlasser les Amours.

    Que vois-je? dit-elle ses nymphes, quelle occasion doutrager laDesse de Paphos, diminuons sa puissance, dsarmons les Amours en-dormis.

    Chaque nymphe sempresse plaire sa Desse, et, vidant son car-quois, le remplit bientt des traits de lAmour. Sil en est quelquune quisente de la rpugnance se dclarer contre Vnus, cest celle qui pour lacacher en montre plus denvie. Diane sonne sa victoire; les Amours serveillent; honteux de leur dfaite, ils pleurent et volent Cythre.

    Les Silvains dalentour apprirent bientt que Diane avait chang sestraits. Saisissons-les notre tour, dirent-ils entre eux; ses nymphes af-fectent une rigueur dont nous triompherons avec les traits de lAmour.Tchons de les surprendre, leurs armes pendent toujours aux arbres quientourent la fontaine de Diane: quAmour et Mercure nous favorisentquand elles entreront dans le bain. Leurs carquois sont nous.

    Les Faunes, sans craindre le sort dActon, ne tardrent pas tenterla capture; ils approchent de la fontaine; les nymphes crient, mais lescarquois sont enlevs; la vanit, lavarice et tous les vices, tour tour, serendirent matres de ces armes, ds que les Amours sen furent dessaisis.Ce sont ces traits gars qui blessent la plupart des curs que vous croyezsoumis Vnus; abandonnez, Diphile, cette sacrilge erreur.Quand on estainsi bless, on na de lamour que ce quil en faut pour croire quon aime.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    Que je plains des curs sensibles sans laveu de lAmour! mcriai-je.Que dencens je dois ses autels, puisque je ne saurais douter que moncur ne lui doive tous ses feux.

    Ds que je sus me connatre, il minspira que jtais destin vivresous ses lois; je cherchais tous les jours me rendre, jattaquais pour melaisser vaincre; je jurais que jaimais; mais linconstance venait bienttmapprendre que je faisais des faux serments.

    Sont-ce l les plaisirs de lAmour? disais-je sans cesse. Jaime, aumoins je crois aimer, et je ne connais point les douceurs quil prometaux amants. Non, non, ses promesses sont vaines, et je veux abjurer sonculte. Enn, las de changer et de tromper des volages, je cours au templede lAmour.

    Insens, je demandai sortir de son empire, et je ne lavais jamaisconnu.

    Fils de Vnus, tu cachais ton dessein? Jexauce ta prire, me dit-il,mais il faut qu ta place un autre cur me soit soumis; choisis, et quejapprenne par qui tu veux tre remplac; donne-moi, sil se peut, de cescurs qui nont jamais aim, qui craignent mme de me connatre; cestdans ces curs que je me plais triompher.

    Triomphez de Mlite, Amour; son cur doit faire honneur votreempire, et sa beaut celui de Vnus.

    Suis-moi, rpond le dieu de Cythre, tu vas tre tmoin dema victoire.Ah! dit-il, en abordant Mlite, si lAmour pouvait tre inconstant, je bles-serais ce cur en faveur de lAmour mme. Mais le trait part linstant,et Mlite enamme ne se reconnait plus. Voil comme je blesse les cursque je veux rendre heureux, ajoute lAmour, en arrachant le trait du seindeMlite, et le plongeant dans lemien. Un sourire va tapprendre, Diphile,qui tu dois aimer, et sil est des douceurs dans mon empire; je devrais tepunir den avoir dout; mais joublie ton oense, et, pour te rcompenserdavoir souhait daimer tant dobjets divers, je te donne pour Mlite uneconstance ternelle.

    Mais, Mlite, pourquoi vous retracer une victoire, quAmour ne pou-vait remporter sans vous?

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  • Voyage Paphos Chapitre

    Votre sort est charmant, dit Zlide, je ne vois que Lycas et sanymphe qui puissent tre blesss plus heureusement que vous. Je vous ap-prendrai mon tour comment lAmour sest rendu matre de nos curs;mais le concert que jentends annonce que Vnus et Bacchus vont rece-voir leur table Ariane et Adonis.

    Les dieux viennent avec empressement sur la terre pour goter lesplaisirs des mortels; le changement les rend plus vifs que les plaisirs delOlympe mme .

    Bacchus abandonne les cieux pour jouir avec Ariane des faveurs delAmour, et Vnus quitte le nectar pour clbrer avec Adonis les dons deBacchus.

    Je vis ces mortels heureux assis la table de la Desse. Quel repas! leDieu du vin, pour faire sa cour Vnus, ne fut jamais si tendre; et Vnus,pour honorer le Dieu du vin, ne montra jamais plus denjouement.

    Les Nymphes formaient avec les Bacchantes un concert quApollonaurait pu dsavouer; mais Bacchus prre, dans ses chants, un dsordreenjou la contrainte de lexacte harmonie.

    Un Silvain de lle de Naxe seorait, par des sons langoureux, de c-lbrer les charmes de la tendresse. Vnus elle-mme le dsapprouva; elleprtend quo prside Bacchus , la gat lemporte surtout; mais Bac-chus amoureux ordonna sa suite de clbrer avec sa gloire, la gloire delAmour, et se mit lui-mme chanter .

    Si de lAmour vos chants ne clbrent les traits,Vos chants sont imparfaits,Et Bacchus les condamne;Buveurs, ne me chantez jamaisSans chanter Ariane.

    Les Nymphes se joignirent au concert des Silvains pour chanter Bac-chus, tandis quils chantaient lAmour. Le concert devint plus brillant, etses accords rappelant au vin, le vin conduisit bientt aux transports les26. A. Palmire.27. A. insre ici la chanson suivante:28. A. Elle veut quo prside Bacchus, etc.29. Cette phrase et les vers suivants manquent dans A.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    plus vifs. Ds que la suite ne douta plus du triomphe de Bacchus, elle seretira pour laisser triompher Vnus.

    Zlide morit un repas o les mortels sont admis Paphos. Nousnous entretnmes longtemps de Bacchus et de sa cour . Je lavoue, dis-je la Nymphe, je mtais fait une image de ce Dieu, qui dshonorait laDivinit. Je sais, rpondit-elle, ce que pensent les mortels sur le culte duDieu du vin. Chaque Dieu a ses autels, et chaque autel a ses faux prtres;la politique, lignorance et la corruption en forment tous les jours: peut-tre ne connatrait-on point de vices, sans le pernicieux exemple de ceuxque les Dieux choisissent pour les bannir .

    Les prtres de Bacchus font natre les erreurs qui dshonorent sonempire. Ils le dpeignent priv de raison, et soutenant peine les poids deson tyrse. Les Bacchantes, selon eux, montrent dans leurs transports plusde fureur que de gaiet. Silne, demimort, barbouill de lie, ninspire-t-ilpas plus dhorreur que de vnration pour le Dieu que Silne a form?

    Non, non, Diphile, ce nest point l Bacchus, ce nest point l sa cour.Bacchus conserve toujours lesmmes grces qui touchrent Ariane. Aussitendre que brillant, cest un Dieu suivre, et non craindre; toujoursagrable Vnus, il ne connat divresse que livresse de lAmour.

    Les Bacchantes enjoues raniment les Jeux et les Ris; mais elles neleur tent jamais leurs charmes.

    Silne est un vieillard, dont Bacchus reut des soins; il leva son en-fance, et ce Dieu reconnaissant accorde sa vieillesse toute la vivacitquil est capable dinspirer. Et peut-on refuser la plus grande vnration un Dieu qui met sa gloire paratre toujours dintelligence avec lAmour?

    Un buveur du mont Cythron, qui ne connaissait de culte que celuiquon rend au Dieu du vin, parlait un jour des feux de lAmour, commeles faux amants parlent des plaisirs de Bacchus; car ils croient honorerle ls de Vnus en mprisant le Dieu du vin. Cest ainsi, disait-il, en te-nant sa coupe pleine; cest ainsi que je brave les traits de Cythre. Amourvoltigeait entre Cphise et son cur. Tu crois me vaincre, Amour, disaitle buveur; apprends respecter un Dieu plus fort que toi; cette coupe30. Cette phrase manque dans A.31. A. Sans les pernicieux exemples des prtendus sages qui sont choisis pour les bannir.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    avale va dcider de ta honte et de sa gloire: il but, mais un regard deCphise prouva bientt au buveur que Bacchus aide souvent au triomphede lAmour.

    Et qui mieux que moi, ajouta Zlide, qui mieux que moi doit connatrele pouvoir et lintelligence de ces Dieux charmants? Ils partagent mesvux, et je mets mon bonheur partager les plaisirs quon gote sous leurempire. Cest de Bacchus que jai appris aimer, et cest de lAmour Onvint avertir Zlide que Mercure descendait, et que les nymphes allaient lerecevoir.

    Mercure tient le registre des Ombres qui se prsentent pour passerles sombres bords. Messager des dieux, il vient de la part de Minos et deRadamante demander Vnus quelles peines on donnera certainesOmbres dont la Desse sest rserv le jugement.

    Eh bien,Mercure, lui dit-elle, avons-nous beaucoup damants constants rcompenser? Ils sont trop rares aujourdhui, pour en voir souvent surles sombres bords, rpondMercure. Il se prsente au contraire un seigneurfranais qui a toujours trait les amants constants damants bourgeois.Ah! je corrigerai cet abus, reprit Vnus; les bourgeoises de ce pays-l onttant de disposition imiter les grands, que si de semblables discours res-taient impunis, on ne verrait plus en France damants constants.Quon as-sige cemauvais plaisant de douze Ombres provinciales que je vais rendreamoureuses de lui.

    A ces provinciales, dit Mercure, joignez encore une vieille coquettequi a pouss les beaux sentiments (sentimens) jusquau quatorzimelustre. Non, je la veux punir. Se piquer si longtemps de galanterie, cestdshonorer mon empire; quand les Jeux et les Ris se retirent, on doit quit-ter les Amours. Que toutes les Ombres galantes se contraignent pour luifaire des ores, et la tromper.

    Si vous punissez pour avoir voulu plaire trop longtemps, reprit Mer-cure, quelle peine allez-vous donner lOmbre dune beaut nonchalantequi a pass ses jours ajuster des charmes dont elle ne t jamais dusage?

    Cest mal reconnatre mes faveurs: quand je donne des charmes, jeles destine ma gloire; ce qui a fait les dlices de cette Ombre va faire32. A. De quelles peines on punira certaines ombres, etc.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    sa peine. Quon lui prsente sans cesse son miroir, pour le retirer au mo-ment quelle en approchera: son supplice surpassera celui de Tantale. Ehquoi! ajouta la Desse, en prenant la liste des mains de Mercure, je ver-rai toujours des envieuses qui nont dautres plaisirs que celui de mdiresur le chapitre de lAmour? Il nest point en mon pouvoir de donner de labeaut toutes les femmes; les Grces consolent quelquefois celles qui neme doivent rien; mais, quand on ne doit ni aux Grces ni moi, on veutsen venger en parlant mal de celles que je protge: je prtends quon res-pecte louvrage de Vnus, et pour punir cette envieuse, je la condamne entendre continuellement parler des charmes des belles Ombres, sans luidonner le temps de rpliquer par le contraire.

    Il faut charger de ce soin, dit Mercure, lOmbre que Caron va passeravec elle; cest un amant qui sest vant davoir eu des faveurs quon nelui accorda jamais.

    Voil le comble de la perdie, rpond Vnus. Je veux bien quil serveau supplice de cette envieuse; mais, pour le sien, quon lui montre sanscesse le portrait de sa Belle, entre les mains dune Ombre discrte.

    Mais quel est ce pote de mauvaise humeur, poursuivit la Desse?Cest un auteur qui sest puis faire une critique sur lArt dai-merdOvide. Ne reconnaissez-vous pas la jalousie potique, ajouta Mer-cure. On seorce imiter ceux qui ont su plaire; limitation ne russitpas, lamour-propre sen oense; jai de lesprit, dit-on, et je ne sauraisapprocher du modle que jai choisi; donc le modle nest pas bon, et,pour le prouver, jen vais faire la critique.

    Ce pote, reprit la Desse, mrite les supplices les plus cruels, pourstre dclar contre un auteur qui me doit plus quaux Muses. Quoninspire son Ombre la mme faon de penser que les gens de got, et,pour son tourment, on lui rcitera chaque jour une page de ses vers.

    Quel supplice vais-je donner ce guerrier des rives de la Seine, quia toujours mis sa gloire chanter des chansons contre lAmour? LEnfernen connait point dassez rudes pour venger mon ls. Jen invente unnouveau, interrompitMercure; quon lui fasse entendre deux fois par jourun concert dItalie .33. Ce paragraphe manque dans A.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    Mais joublie, ajouta-t-il, un disciple de Thmis, qui na jamais aimque la parure. Ah! scria Vnus, cest un mal qui gagne tous les environsde la France, il est trop funeste mon empire, jen dois arrter le cours.Et quelle Belle voudrait aimer, si tous les hommes pensaient comme cefade magistrat?Quon le frise tous les quarts dheure du jour; et ds quilparatra content de son ajustement, on le fera promener au grand vent.Le supplice est cruel, mais loense est trop forte.

    Vnus se lve, et Mercure porte aux Enfers les arrts de la Desse;mais ce Dieu a plusieurs emplois Paphos, et je le revis bientt sous unair plus riant.

    Ds que les Grces revinrent, Vnus reprit le maintien de la Reine desplaisirs, et les Nymphes eurent ordre de se prparer pour la chasse.

    La beaut la plus parfaite, lentretien le plus aimable, pour ne pas ces-ser de plaire, ont besoin de secours. La mre des Jeux et des Ris recherchelamusement que choisit le mortel quelle aime. Je la vis en habit de chas-seresse, et je maperus que sous cet habillement Adonis trouvait Vnusau-dessus de Vnus mme.

    Les Nymphes animent les chiens; on les entend appeler Melampe,Driope, Silvage; mais on connat leurs voix quelles sont plus propres parler le langage de Cythre qu faire retentir les forts; elles prennentles armes des chasseurs, et les chasseurs celles des Amours.

    Le son des cors inspire Paphos plus de tendresse que dardeur pourla chasse; il semble quelle ne soit quun prtexte pour se perdre dans lesbois.

    Les feux de Larque saugmentent en voyant Palmis arme commeVnus et comme lAmour. Je lentends dire prs de sa Nymphe qui chan-tait au son du cor:

    Du Dieu qui fait aimerVous avez tous les charmes;On dirait quen vos mains il a remis ses armes,Vos yeux comme ses feux sont faits pour enammer:Vous avez sur les curs un empire suprme.Quand on rit avec vous, on croit que cest un jeu,Mais on ressent bientt quon aime.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    Palmis, si vous aimiez un peu,Vous seriez lAmour mme.

    La Nymphe coute, et sourit; ses yeux disent assez Larque quil estaim, mais elle en dire laveu pour le rendre plus sensible.

    Diane sgare souvent dans les bois de Vnus; elle trouve Endymionplus tendre dans lisle de Paphos que dans celle dOrtigie; et cette Desse,plus rserve et plus sensible quune autre, voudrait sans cesse y voirson berger, mais quon ne ly vt jamais. Vnus, en suivant Adonis, lerencontra un jour Paphos . Diane esprait quEndymion ne paratraitpas: Eh quoi, dit-elle, en abordant la Desse dun air compos: Reine desAmours, vous ne ddaignez pas aujourdhui les amusements de la Dessedes bois .

    Quand Diane est Paphos, rpond Vnus, quel Dieu stonnera dyvoir chasser la mre des Amours? Adonis mapprend connaitre vos lois,et, pour lui plaire, je fais gloire de les suivre: mais vous, plus mystrieuse,vous apprtes dun Berger goter mes plaisirs, et vous aectez de lescondamner sans cesse. Adieu, grave Desse ; mais souvenez-vous queles prcautions quon prend pour cacher ses feux ne servent qu les faireplus tt connatre.

    Ceux qui aectent des dehors svres soensent aisment, et ne par-donnent jamais. Diane se crut outrage, et son hypocrisie dmasque nedemandait rien moins que du sang. Vnus est immortelle, et ds linstantla mort dAdonis fut rsolue; mais aujourdhui la Desse mprise son en-nemie; elle poursuivrait avec ce chasseur les btes les plus froces, sanscraindre leurs dfenses. Elle part, et Adonis la suit, et tout se prpare rapporter de la chasse moins de fatigue que de plaisirs.

    Quelle joie est peinte sur leur visage, me dit Zlide; le seul Antnorreste dans unmorne silence, et semblempriser toutes les Nymphes: maiselles savent quil aime Amathonte, elles ne soensent pas de la rveriequi loccupe .34. A. Rencontre le berger de Diane Paphos.35. A. De la desse des forts.36. A. Adieu, grave Desse; Endymion savance; imitez Vnus, et je vais imiter Diane;

    mais souvenez-vous, etc.37. Ce paragraphe et le suivant manquent dans A.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    Chez les mortels, sa distraction passerait peut-tre pour ert; carsouvent ceux quon accuse y sont les moins sujets. Ne vous y trompezpas, Diphile, tel ne vous parat mprisant que parce quil ne comprendpas quon puisse ltre; il sabandonne sa pense, ou sa nonchalancenaturelle; et sil croyait quon put souponner quelquun de ert, il sap-pliquerait dtromper ceux qui len souponnent. Ah! Nymphe, que nepense-t-on ailleurs comme on pense Paphos .

    Ds que nous emes perdu la troupe de vue, nous continumes len-tretien que larrive de Mercure avait interrompu. La Nymphe me tun discours charmant sur la vraie dlicatesse; elle menseignait lart deconserver les plaisirs quon connat, et de faire natre ceux quon neconnait pas, quand nous arrivmes au pavillon des songes.

    Ah! mcriai-je, voil un songe qui ne me quitte point; cest lui quirassemble tous les charmes de Mlite. Cette nuit encore mais pourquoiaimer ce trompeur? Mon rveil me le fait trouver si cruel?

    Japerois, dit Zlide, celui qui me touche le plus; il me reprsente Ly-cas tendrement couch auprs de moi ; toutes les nymphes ladmirent:quil est charmant, disent-elles! Il est digne de Vnus; quil est heureux!Oui, rpond Lycas, daimer Zlide et den tre aim.

    Mais dans tous ces songes, je nen vois aucun que la jalousie ait puformer. La jalousie, scrie Zlide, on ne la connat point Paphos; sessonges volent la suite de lHymen; et lAmour ne la connat que poursen dfendre. On vite ici ces soupons, ces plaintes, ces justications,dont tant damants se font une habitude. Vnus ne soense pas des re-proches de Vulcain; mais ceux de Mars ont dcid pour Adonis.

    Lamour-propre fait souvent natre les sentiments de jalousie quonattribue lAmour.

    On ne peut dguiser sa pense devant les Dieux; et, jentendis un jourdans le temple de Cythre une bergre qui sadressait ainsi la Desse:Je croyois aimer Nicandre, et Elismne quil aimait excitait dans moncur la plus cruelle jalousie. Grande Desse, je viens ces autels terendre grces de mavoir gurie. Jaime Mirtile, et je sens bien aujour-38. Est-ce une allusion la distraction bien connue de Montesquieu?39. A. Il me reprsente Palmire, tendrement couch sur mon sein.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    dhui quElismne neme rendait jalouse que parce quelle triomphait avecmoins de beaut que moi. Ainsi lon croit aimer, et lon nest que jaloux.

    On aime aussi quelquefois sans croire aimer, reprit Zlide. Une jeuneNymphe destine aux autels de Vnus, lui disait un jour dans ce mmetemple: Je naime rien; mais puisque je ne puis tre prtresse de la mredAmour sans sentir ses feux, faites, puissante Desse, quil me brle pourPalmire . Palmire aimait la nymphe; mais il nen avait pas fait laveu. Iltait au temple, il entendit sa prire, et sr de son bonheur, il courut touttransport dclarer son amour. Je croyais naimer rien, lui dit la Nymphe,mais ce que je sens laveu que vous me faites, mapprend, Palmire, quemon cur est vous depuis longtemps.

    Nous arrivmes, en nous entretenant ainsi, dans un bois de lauriers,o Zlide se plat venir rver. Le soleil y donne un jour si tendre, quondirait quil reconnait encore Daphn sous lcorce de cet arbre.

    Nous nous assmes prs dun ruisseau qui se plat embellir son ga-zon, pour attirer les Nymphes sur ses bords, et ds que Zlide commena parler, il adoucit son murmure pour couter ce quelle raconta ainsi:

    Vous devez tous vos feux au Dieu de Cythre, et je crois Diphile, quilnenamma jamais plus heureusement: mais entre Lycas et moi, nous ras-semblons les feux de Bacchus et de lAmour. Ces Dieux dont je vous ai faitconnatre laimable intelligence, sont sujets aux faiblesses que peuventavoir les autres Dieux.

    Quand il sagit de soutenir ses droits, la plus forte amiti nest pasexempte de froideur. Un berger des rives du Lignon, cueillait un jour unraisin pour lorir sa bergre. Un buveur jaloux de la gloire de Bacchus,rencontre le berger qui entrelaait ce raisin dans des guirlandes de eurs.

    Si vous cherchez plaire lAmour, en orant des prsents vos ber-gres, dit le buveur, contentez-vous des dons de Flore et de Pomone, etlaissez aux buveurs les dons de Bacchus. Il nest rien de rserv pour plaire lAmour, rpondit le berger, et Bacchus lui-mme ne pourrait memp-cher dorir ce prsent Lisis. Tmraire, repartit le buveur, tu ne connaispas Bacchus, mais tu connatras sa vengeance.

    LAmour protgeait le berger, et Bacchus se dclara contre lui. V-40. A. Pour Philne. Philne, etc.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    nus craignant que lintrt particulier de ces deux Dieux ne nuist sonempire, ne perdit point de temps pour rtablir leur intelligence.

    Elle leur t jurer par le Styx doublier cette querelle; je veux, leur dit-elle, pour que lunivers ne doute pas de votre union, que Bacchus porteaujourdhui les armes de mon ls, et que mon ls rgne sur lempire deBacchus.

    Ces dieux acceptent les conditions du raccommodement, et dans cettejourne Bacchus lana autant de traits que lAmour soumettait de bu-veurs.

    Lycas depuis longtemps soupirait pour moi, et jusqu ce jour jenavais rien senti pour lui; mais enn, Bacchus, matre des feux delAmour, menamma, et ds ce moment jaimai autant que jtais aime.Cependant Lycas prtentendait avoir lavantage, et jurait sans cesse quilaimait plus quemoi. Je suis bless des mains de lAmour, me disait-il, vousne devez vos feux qu Bacchus; avouez, Zlide, que lAmour Non, Ly-cas, lAmour mme, lAmour sent moins dardeur pour ce quil aime, queZlide en sent pour vous. Quand Bacchus ma blesse, il avait avec sonpouvoir tout le pouvoir de lAmour; et le Dieu qui vous blessa navait pasle pouvoir de Bacchus.

    Ainsi nous disputions toujours lavantage daimer plus tendrement;quand Lycas demandait la moindre des faveurs quAmour ordonne quonaccorde, jexigeais avant que de rien permettre, quil avout que jaimaisplus que lui. Il se contraignait quelquefois pour en convenir; mais souventjtais oblige de me contraindre aussi pour refuser ce que javais tantdenvie quil obtnt.

    Enn, je rsolus, pour ne pas lui cder lavantage, dimplorer le se-cours de lAmour.

    Je me prsentai son temple; mais Diphile, bien diremment devous; vous alltes lui demander de vous laisser sortir de son empire, et jedemandais daimer encore plus que je naimais.

    Les mortels sont gaux aux Dieux dans le temple de lAmour, et jenapprochai du sanctuaire quaprs les amants qui staient prsentsavant moi.

    Jaime gl, disait un berger; Dieu des curs, tu le sais; mais je suistrop jeune, pour oser avouer que je laime. Inspire-lui donc, Amour, que

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  • Voyage Paphos Chapitre

    des feux qui doivent durer toujours, ne sauraient trop tt paratre.Fils de Vnus, disait un disciple de Mars , jai toujours trait les

    amants dinsenss; leur soumission, leur contrainte, et leurs plaisirs, toutme paraissait incroyable: mais quand je pense Phnice, tout me paratpossible.

    Amour, disait un autre, jimplore ton secours auprs de Bacchus. Jaifait serment de passer mes jours dans ses plaisirs, et dans les tiens; il mereproche aujourdhui que prs deThmire, je ne pense qu toi, et prs delui je ne pense qu Thmire .

    Le Dieu me vit, il savait quel dessein mamenait son temple, il pr-vint ma prire, et me blessa du trait le plus ardent. Viens, mcriai-je linstant, viens, Lycas, me disputer prsent la gloire de mieux aimer.

    Lycas, me dit lAmour, aime autant que Zlide. Zlide fut bless parles mains de Bacchus, et lAmour vient encore de lenammer. Lycas futbless par lAmour; mais il sort du temple de Bacchus, et Bacchus a misdans son cur des feux quil emprunta de moi. Heureux amants, ajoutale Dieu de Cythre, vous aurez lavantage sur tous les curs amoureux;mais Zlide ne saurait lavoir sur Lycas, ni Lycas sur Zlide.

    Lycas, enn, sent pour moi tout ce quAdonis sent pour Vnus; maisjai pour lui, je crois, des transports que Vnus net jamais pour Adonis.

    Oui, Nymphe, javouerai que Vnus vous cde en tendresse, si vousconvenez que vous devez me cder aussi.

    Jallais disputer avec Zlide qui doit aimer plus tendrement des cursquAmour blessa du mme trait, ou de ceux que Bacchus et lAmour onttous deux enamms. Mais les cors que nous entendmes, annoncrent leretour de la chasse.

    Les jeunes Nymphes et les Amours prparaient un concert dans lepavillon des Grces. Vnus vint lentendre. Quels accords! quelle mlo-die! lharmonie de Paphos nest point celle quon entend chez les mortels.Dirente de ces sons quon admire, en demandant sils sont agrables;et bien loigne de cette langueur quon rencontre si souvent en voulantchercher ce qui touche. Chaque ton form Paphos pentre jusquau fond41. A. Disait un guerrier de la Thrace.42. Ce paragraphe nest pas dans A.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    du cur, et mls ensemble leur harmonie fait oublier quil y ait dautresplaisirs.

    Les Nayades attendaient Vnus pour la reconduire son palais. Un litde feuillage que les Grces ont soin dorner de concert avec Flore, semblenager sur le canal de Paphos; des cygnes en soutiennent le poids, et lesColombes atteles, en suivant les Zphirs qui caressent les Nayades, fontvoler la Desse sur la surface de londe.

    Toute la cour se rangea sur les bords du canal, (et Zlide me plaapour rendre encore mes hommages Vnus.

    Heureux amant, me dit la Desse, vous aimez Mlite; vous avez vuPaphos, et vous aimerez encore plus. Allez, ajouta-t-elle, ne cessez pointde mriter la tendresse de Mlite, vous plairez toujours Vnus.

    Eh bien! adorable Mlite, ntes-vous point satisfaite du rcit de monvoyage? Et, sil vous atte autant quil parat, je vous exhorte de mysuivre. Je veux y retourner et vous y conduire. Nous y verrons le lieu quinous est destin, comme parfaits amants, et comme amants qui saventdignement clbrer les mystres de lAmour. Il faut tcher, Mlite, denoccuper les premires places; allons jusquaux sources de la tendresse, etapprenons, sil se peut, Vnus, savourer dlicieusement les plaisirs ).

    Notre me est une partieQui toujours cherche a sunir;Est-elle une fois runie,Elle jouit des vrais plaisirs.Quand on aime, on veut jouir;Mais un peu de gne,Un instant de peineDonnent du sol au plaisir.Son absence mest cruelle.Toujours att dun doux espoir,Je ne peux vivre sans elle;Peut-elle vivre sans me voir?

    43. Toute cette n, place entre crochets, ne se trouve que dans A.

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  • Voyage Paphos Chapitre

    Quand dans les bras de la tendresseOn satisfait ses dsirs,Les sens se perdent dans livresse,On ne pousse que des soupirs,Et cest ainsi que parlent les plaisirs.Tous les plaisirs ont des attraits,Leur aspect, leur abord enchante!Mais ils ne sont pas tous parfaits,Cest savoir qui les enfante.Ceux qui naissent dun fol amourSont ptulants, guinds ou fades;Les a-t-on vus dans leur beau jour.Aprs ils deviennent maussades.Ceux que le vin tient ses loisOnt un appt des plus funestes;Les connat-on bien une fois,On sen dgote, on les dteste.Si lAmour sunit Bacchus,Il en nat des plaisirs aimables:Ils sont riants, vifs, assidus,Caressants et toujours aables.Un cur facile senammerEst plus heureux quon ne peut croire;Le dieu du vin nous fait aimer;Le dieu damour excite boire.

    n

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  • Une dition

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    Achev dimprimer en France le 11 juin 2015.