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22 méfierait quand même. Cependant… il y a un maillon faible dans son dispositif… — Quoi ? —Non, qui ! Sa copine. On va les offrir à Valérie Tiergarten. » Les yeux de la jeune fille brillaient. « Vous rêvez ! Elle va se méfier aussi. — Non, continua Marie. On a tout prévu ! —Vous allez lui dire : “Bonjour Valoche, voilà des mouffettes, c’est pour le parfum ! Chanel numéro six ! Séraphin va être séduit à jamais, et Ségolène Cardinal battue à plate couture…” — Non Papa, on va lui dire que ce sont des chats spéciaux du Québec. Des « chats-huards ». Très mignons. Et on va lui faire fondre son petit cœur. — Des chats-huards ? Vous voulez parler de chat-huant. Des espèces de chouettes. Et les huards sont une variété locale de canards. Mais les chats-huards, cela n’existe pas. — Elle n’y connaît rien, Papa, insista la jeune fille. Pour elle, ça va exister. Fais-nous confiance… En 2008, elle a fait un reportage avec son magazine sur le quatrième centenaire de la ville de Québec. Elle a collé une photo de Montréal pour illustrer l’article. Quand on connaît la rivalité entre les deux villes ! C’est un peu comme si, pour illustrer un millénaire de Lyon, on prenait une photo du Sacré-Cœur de Montmartre ou de Notre-Dame de la Garde. Les Québécois ont bien rigolé, on m’a raconté. Surtout quand ils ont su qu’elle allait devenir la Première Dame. On va l’embobiner Papa. J’en suis sûre. Elle est le maillon faible de Porcinet. On Henri Fortilly ONLR Editions Nouvelle France Les Mouffettes Pour Tous

Mouffettes pour tous-A5book-complet-v1 › 2015 › 02 › ... · 2015-02-24 · —Vous allez lui dire : “Bonjour Valoche, voilà des mouffettes, c’est pour le parfum ! Chanel

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méfierait quand même. Cependant… il y a un maillon faible dans son

dispositif…

— Quoi ?

—Non, qui ! Sa copine. On va les offrir à Valérie Tiergarten. »

Les yeux de la jeune fille brillaient.

« Vous rêvez ! Elle va se méfier aussi.

— Non, continua Marie. On a tout prévu !

—Vous allez lui dire : “Bonjour Valoche, voilà des mouffettes,

c’est pour le parfum ! Chanel numéro six ! Séraphin va être séduit à

jamais, et Ségolène Cardinal battue à plate couture…”

— Non Papa, on va lui dire que ce sont des chats spéciaux du

Québec. Des « chats-huards ». Très mignons. Et on va lui faire fondre son

petit cœur.

— Des chats-huards ? Vous voulez parler de chat-huant. Des

espèces de chouettes. Et les huards sont une variété locale de canards.

Mais les chats-huards, cela n’existe pas.

— Elle n’y connaît rien, Papa, insista la jeune fille. Pour elle, ça va

exister. Fais-nous confiance… En 2008, elle a fait un reportage avec son

magazine sur le quatrième centenaire de la ville de Québec. Elle a collé

une photo de Montréal pour illustrer l’article. Quand on connaît la rivalité

entre les deux villes ! C’est un peu comme si, pour illustrer un millénaire

de Lyon, on prenait une photo du Sacré-Cœur de Montmartre ou de

Notre-Dame de la Garde. Les Québécois ont bien rigolé, on m’a raconté.

Surtout quand ils ont su qu’elle allait devenir la Première Dame. On va

l’embobiner Papa. J’en suis sûre. Elle est le maillon faible de Porcinet. On

Henri Fortilly

ONLR Editions

Nouvelle France

Les Mouffettes Pour Tous

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Froidement, elle racontait son boniment ! La Manif pour Tous l’avait

vraiment transformée. Comme leur mère. Mais en bien !

Henri descendit du chalet avec deux lourdes valises et se dirigea

vers le SUV de location. Il resta bouche bée. Devant la porte du coffre, là,

dans une cage, six mouffettes étaient emprisonnées et attendaient,

résignées. Il y avait apparemment les deux parents et quatre jeunes.

Comme dans sa famille ! Il leva le nez. Assis sur la butte qui jouxtait le

chalet, bien alignés, ses quatre enfants le regardaient, quelque peu

interrogateurs.

« Qu’est-ce que c’est que ça, demanda-t-il ?

— Tu ne vois pas, Papa ? Ce sont des mouffettes, répondit Pierre

d’un air dégagé.

— J’ai vu, mais que font-elles là ?

— Elles sont à nous, annonça calmement sa fille aînée, Marie.

— A vous ? Et pourquoi faire ?

— Pour les apporter à Montréal, et les offrir à des coyotes,

continua Marie.

— A des coyotes ? Mais pas question de les livrer en pâture à des

prédateurs qui…

— A Porcinet, Papa. Et à ses sinistres ministres, précisa Victoire.

— Mais pas question de transporter ça…

— Il faut les offrir, reprit Marie. On a tout prévu. On ne peut sans

doute pas les proposer directement au Président, il est nul, mais il se

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aux abris ! Une véritable arme de guerre ! J’ai réussi à les piéger, et je vais

les reconduire dans la forêt tantôt.

— S’il vous plait, demanda alors Marie, arborant son sourire le

plus éclatant, vous pourriez nous rendre un petit service ?

— C’est correct. Je verrai si je peux.

— Et bien voilà, expliqua la jeune fille. Nous avons des amis à

Montréal, et nous aimerions leur faire une blague. Nous aimerions leur

offrir des mouffettes…

— Ce ne sont pas de bons amis alors. Vous vous êtes chicanés ?

— Ce sont de bons amis, mais nous faisons souvent des concours

de bonnes blagues. Vous les vendriez combien ?

— Je ne vais pas bargainer mes mouffettes ! Non, oubliez !

— Monsieur, ces amis sont des Français comme nous. Des

étudiants. Mais on trouve qu’ils se moquent un peu de l’accent des

Québécois. Et on aimerait bien leur faire cette blague.

— Notre accent ? Mais nous autres, nous n’en avons pas. C’est

vous les « maudits Français » qui avez un accent. Ils se moquent de nous,

vos amis ?

— Oui !

— Ils sont un peu croches. Et bien c’est correct, je vous les donne

mes sales bêtes, ils vont changer d’accent après avoir fait connaissance !

Non mais. Je vous apporte la cage. Où ça ? »

Marie expliqua, tandis que Pierre restait songeur. Sa sœur qui

avait toujours été incapable de mentir, et qui détestait le mensonge !

I

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II

19

— Non, mais on peut demander à Maman. Je suis sûre qu’elle

marcherait. Mais pas un mot à Papa. Trop légaliste.

— Et tu veux les donner à Porcinet, ces mouffettes ? Pauvres

bêtes…

— Oui, oui, elles peuvent être des “alliés objectifs”. Il faut les lui

donner, à ce brave homme…

— Comment faire ?

— J’ai ma petite idée, répondit Marie. Mais d’abord obtenir la

garde à vue de ces charmantes petites bêtes. »

Sur ces entrefaites, un homme sortit de la maison. Il sourit.

« Bon matin les jeunes.

— Bonjour Monsieur.

— Alors, elles vous plaisent mes bêtes puantes ?

— Elles sont mignonnes, Monsieur.

— Vous venez de France, vous… Vous n’avez jamais vu de

mouffette ?

— Rarement, mais… ne risquent-t-elles pas de vous arroser ?

— Non, la cage est basse. Elles ne peuvent pas lever la queue.

C’est mieux ainsi.

— Vous allez les vendre, Monsieur ? »

L’homme éclata de rire !

« Non, elles s’étaient installées dans le jardin, et elles ont chicané

mon chien. Le pauvre. Il pue comme pas possible, le jardin est présentement

infréquentable, et tout le voisinage a dû s’enfermer. Alerte générale ! Tous

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Les bêtes puantes

Deux jours plus tard, la famille d’Henri et Eglantine Vercors avait

rejoint son chalet, rendu les canoës au loueur, et s’apprêtait à retourner à

Montréal par la route. Puis ce serait la France, et la rentrée. Dommage !

Les trois grands, Pierre, Marie et Victoire se promenaient alors

dans le village. Un pick-up Toyota était garé devant eux sur une entrée de

garage. Soudain, Victoire s’écria : « Et vise ! Regardez ce qu’il y a dans la

cage, là, sur cette camionnette ! »

Tous les regards se braquèrent sur le plateau à l’arrière du

véhicule. Et que virent-ils ? Dans une cage plate, six petites bêtes noires,

recouvertes de deux larges rayures blanches de la tête à la queue, étaient

enfermées. Elles avaient l’air si triste…

« On pourrait leur trouver une distraction en or, suggéra alors

Marie. Vous pensez à ce que je pense ?

— Mouais, répondit Pierre. De plus, ça tomberait bien, l’avion de

Séraphin Porcinet, son Air Pork One, arrive de Toronto et se pose à

Montréal aujourd’hui avant de le ramener en France. Le Premier Ministre

Jean-Marc Héron, resté de quart à Matignon, doit commencer à

s’emmerder.

— Pauvre France, ajouta sa sœur cadette. Si on les achetait, ces

mouffettes ?

— Elles sont à vendre ?

— Sais pas. Faut essayer.

— T’as des dollars ?

III

Canoë-camping

Orignaux

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IV

Raton-laveur

Je veux être Président à la place du président !

Mouffettes – Sconses - Skunks

Moi ? Président ?

17

« Raison de plus pour les mouffettiser grommela son épouse en

serrant les dents. Salauds ! C’est peut-être une bonne idée, après tout, de

leur offrir des mouffettes, à Porcinet et son gang. Si elles pouvaient leur

pisser dessus !

— Mouffettes pour tous ! Et vous faites comment, demanda Pierre,

un peu sceptique ?

— Non, mais cessons de rêver, soupira Henri. Comment voulez-

vous capturer ces bêtes et les offrir au président. Ils se méfient tous de

tout. Seuls les militants porciniens peuvent le rencontrer. Quand il visite

une ville, on lui montre un vrai « village Potemkine » monté de toute pièce,

tandis que les flics encerclent et détiennent les manifestants supposés à

bonne distance. Et les caméras des télés sont très soumises. Elles ne

filment pas ce que le régime ne veut pas.

— Dites, on commence à se faire bouffer par les maringouins, fit

remarquer Victoire, tout en s’envoyant une claque sur le front, puis une

autre sur la cuisse gauche. La nuit arrive ! On bouffera du Porcinet

demain au p’tit déj!»

Toute la famille partit donc se réfugier sous les tentes. C’était vrai

que les escadrilles suceuses de sang étaient de sortie. On ferait la vaisselle

le lendemain, à la fraîche. Adieu Mouffettes et Porcinet…

Marie et Victoire, logeant sous la même tente, continuèrent

cependant à élaborer des plans de bataille pendant une partie de la nuit.

Pendant l’autre partie, elles en rêvèrent. Il fallait le faire !

On ne lâche rien ! Jamais ! Jamais ! Jamais !

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— Pauvre petite mouffette, gémit la petite Alix. Monsieur

Porcinet lui ferait du mal… Il va vouloir marier deux mouffettes sans

vérifier si elles sont capables de faire des bébés mouffettes.

— J’imagine bien une mouffette en robe de mariée et avec un

voile de dentelle, commenta Victoire.

— Surtout le mâle, précisa Pierre…

— A la guerre comme à la guerre coupa Marie. De toute façon,

ces coyotes traitent mieux les animaux que les humains. Moi, je ne vous

raconte pas comment les flics du commissariat m’ont fouillée. Pelotage et

compagnie !

— Marie ! »

Henri détestait cet épisode d’une des arrestations de sa fille, et

préférait l’oublier. Mais, elle, elle n’oubliait pas… Elle n’oubliait pas non

plus les vingt-cinq filles comme elles, enfermées pendant des heures dans

dix-huit mètres carrés, au milieu d’odeurs de vomi et d’urine. Mais elle

n’en avait été que plus convaincue de la justice de son combat. Pas de répit

pour eux, pas de repos pour nous, répétait-elle à l’instar de sa mère. Il fallait

pourtant reconnaître que tous les policiers n’avaient pas eu cette attitude,

et que certains étaient même très corrects et dignes d’une profession

indispensable et souvent si difficile lorsqu’il s’agit de protéger les citoyens

contre les malfrats. Mais il y avait quand même beaucoup d’entre eux qui

n’en étaient pas dignes, et se laissaient aller, lorsque les ordres d’en-haut

allaient dans ce sens afin de transformer la police en police politique…

Quand les gouvernants appellent à la bavure, sans entrave les flics

bavent…

Nouvelle France

Les Mouffettes Pour Tous

Henri Fortilly

© 2013

Trois Français sur quatre ne peuvent plus

« sentir » leur Président de la République. Avec

la fable politique satirique qui suit, nous lui

suggérons respectueusement une solution

écologique et durable…

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comprendre comment ce pays pouvait garder une croissance certaine,

équilibrer son budget, et maintenir une fonction publique, un système de

santé et un système éducatif de qualité sans matraquer les Canadiens

d’impôts. Une chose tout à fait incompréhensible pour nos dirigeants

porciniens. Au passage, quelques écolos allaient réclamer un nième

moratoire sur les phoques du Nunavut, l’amiante du Québec, les gaz de

schistes de l’Alberta, les O.G.M du Saskatchewan, les caribous du Yukon,

les épaulards du Pacifique, les harfangs des neiges du Labrador, les ours

blancs de la Baie d’Hudson, les morues de Terre-Neuve... Tout ce qui

rendait les relations franco-canadiennes si chaleureuses. Et le sinistre

ministre de la police, Manuel Iznogaz, dit Manu la Bavure, allait aussi,

discrètement, très discrètement, demander comment ils faisaient pour ne

pas avoir de « bousculades » et « d’incivilités » avec leurs « jeunes », et

pourquoi les quartiers nord de Montréal différaient tant des quartiers

nord de Marseille en matière de joie de vivre. Mais très discrètement, et

lorsque le Garde des Sots, Christiane Tobago tournerait le dos.

« Bon courage Porcinet, conclut Henri ! »

Après quelques courts instants de silence, Pierre décida de

poursuivre sur ce sujet et de faire le lien avec leur récente petite visite:

« Ce serait drôle si Porcinet, sa Valoche et ses sinistres ministres

tombaient sur des mouffettes pendant leur séjour à Montréal…

— Oui, appuya Marie, on se fait passer pour des admirateurs, et

on va au Consulat pour leur offrir une mouffette. Sans nos sweats, bien

sûr.

— Cela va être dur de se faire passer pour des admirateurs, fit

remarquer Victoire…

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« Hé, dit-il, ça capte. On va pouvoir envoyer notre photo au Salon

Beige ! Montrez bien vos sweats ! Victoire, aide-moi avec la banderole. Alix

va chercher les drapeaux.»

Nouveau branle-bas. Il était urgent de se préparer pour la photo.

Depuis le début de ses vacances au Québec, la famille Vercors se faisait un

point d’honneur d’envoyer régulièrement une photo hautement

subversive sur le blog d’information des Résistants de France.

Car après une année bien chargée en aventures, les Vercors

continuaient à militer photographiquement pendant leurs vacances.

Histoire de garder la forme pour pouvoir offrir une belle rentrée à

Porcinet. Henri et son fils portaient le sweat bleu marine de la fameuse

Manif pour tous, tandis qu’Eglantine et ses filles arboraient sa non moins

fameuse version rose. La banderole « On ne lâche rien, jamais », fut

déroulée. Chacun prit un drapeau rose, blanc ou bleu, représentant,

comme les sweats, la scène tout à fait obscène d’un papa, d’une maman et

de deux enfants. Une famille, quoi ! L’horreur pour le porcinien de base !

Calé sur une branche basse, mis sur retardateur, le téléphone de Pierre

accomplit son œuvre révolutionnaire, devant une famille resserrée,

souriante et faisant le V de la victoire. Tout le monde se pressa ensuite

autour de l’appareil pour contempler l’œuvre. Canoës, tentes, les six

membres de la famille, les drapeaux, et la banderole. Tout y était ! Parfait !

Deux secondes plus tard, le fichier partait en direction de la France. Même

au Canada, on ne lâche rien, jamais, jamais, jamais ! Que Porcinet se le

dise ! Cela fit disparaître ce qui restait de mauvaise humeur…

Pendant le repas autour du feu, la conversation dévia alors sur ce

qu’ils avaient appris à la radio. Séraphin Porcinet se rendait en visite

officielle au Canada avec toute une délégation de ministres. But :

3

Avant-propos

Ils voulaient nous faire pleurer ? Alors ils vont nous faire rire !

Notre France ressemble à un navire fou conduit par un équipage

incompétent. Toute l’énergie de ceux qui affirment nous gouverner

semble être déployée pour faire croire qu’ils gouvernent, tout en divisant

le peuple français comme il ne l’a plus été depuis longtemps. En fait, ils

nous laissent dériver droit vers le naufrage. Les aider, par altruisme ou

par naïveté, ne sert donc qu’à rendre la catastrophe plus certaine et plus

profonde. Pas d’Union Sacrée !

Revenons sur la question de leur compétence. Au-delà de

l’incompétence des personnes actuellement au pouvoir, largement

reconnue, en France comme à l’étranger, il y a celle liée aux fonctions.

Depuis des décennies, nos dirigeants ont renoncé à exercer un véritable

pouvoir d’Etat en vue de promouvoir le Bien Commun. Ils ont préféré

livrer leurs citoyens aux aléas des idéologies mondialistes et libertaires

sans chercher à les réguler, laissant imaginer qu’un ordre meilleur pouvait

surgir du chaos, au point d’y croire eux-mêmes. Le pouvoir est désormais

ailleurs, en matière économique, financière, monétaire, diplomatique,

militaire… Hors de portée de la démocratie, comme de nos entrepreneurs,

de nos dirigeants et de nos lois. Hors de France.

Ces dirigeants, n’ont plus pour fonction que de permettre à

l’oligarchie mondiale, qu’ils représentent, de continuer à nourrir sa

cupidité. Ils ne gouvernent plus. Ils se contentent de :

- Nourrir leur administration et leur clientèle par les taxes, la

dette, et l’ingestion inexorable de la rente des Français.

- A l’abri de la cloche de plomb des médias de l’oligarchie,

anesthésier et diviser le peuple par le pouvoir des mots de la propagande

et de la désinformation.

- Enfin, astuce suprême utilisée par l’équipe actuelle : faire croire

en leur pouvoir par des transgressions sans fin des « lois non écrites » qui

sont placées au-dessus d’eux (relisez l’Antigone de Sophocle). Ils ne

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peuvent changer ce qui aurait dû relever de leur compétence régalienne,

ils changent ce qui les dépasse. Ils prétendent changer la nature et la

dignité humaine, la définition du Bien et du Mal, changer la Civilisation,

ou régir le droit sur la vie et sur la mort. Trop fort !

Mais le peuple en colère n’est pas dupe. Il se soulève. A l’avant-

garde, des jeunes gens, issus de familles habituellement soucieuses

d’ordre et de légitimité, prennent désormais tous les risques et affrontent

la répression. Gratuitement. Au contraire de leurs aïeux de 1968, ils

renouent le lien rompu entre les générations, et se remettent à la vraie

politique, celle qui construit. Ils sont la Nouvelle France, notre fierté !

Et ils sont heureusement rejoints par les victimes de plus en plus

nombreuses d’une crise économique dont on cache les origines.

Au-delà de la répression, la réaction du régime, c’est la

diabolisation, l’insulte qui fait taire et interdit tout dialogue ou réflexion.

En riposte légitime, expérimentons la bouffonnisation.

Diaboliser, c’est « Ferme ta gueule ! » L’arme du fort au faible.

Bouffonniser, c’est « Cause toujours ! » L’arme du faible au fort.

Mise en pratique dans les pages qui suivent. Faute de « rois », il

nous reste les bouffons. Il s’agit de mettre en scène des personnages

rappelant nos dirigeants inutiles, dans le cadre d’une farce burlesque,

d’une histoire de pure fiction, mêlant le réalisme et le fantastique. Nous en

avons le droit, car la caricature politique est une tradition de la

démocratie, et la ligne de partage d’avec la dictature. Il paraît qu’on peut

rire de tout et qu’il est « interdit d’interdire ». Nous rions donc de nos

dirigeants, de leurs idées destructrices, et nous leur opposons le courage

et la générosité de cette Nouvelle France qui se lève. Car il est un devoir

civique de décrédibiliser cet équipage qui nous fait rougir de honte.

Et tout ceci, en instillant des messages sérieux permettant de bien

comprendre la perversité de leur idéologie et de prendre du recul. Et de

construire un argumentaire. Jusqu’à une annexe présentant la pensée

vivifiante du philosophe Henri Hude. Dans le cadre d’une lecture que

j’espère plaisante à tous, sauf à certains… Est-il possible de réfléchir et

d’imaginer une Nouvelle France ? Pour tous !

13

Eglantine s’était même fait interpeller en tant que Sentinelle (autre

nom des Veilleurs Debout), et les policiers l’avaient obligée à retirer son

sweat rose criard, phobie des CRS, et si connu des salles de garde à vue du

régime du Président Porcinet. A deux reprises. La deuxième fois, cela

avait été épique. Elle avait décidé de ne rien porter sous son sweat, et avait

écrit au feutre noir sur son buste et son ventre les numéros d’articles de

lois (C. Pénal 432-4…) punissant les arrestations arbitraires, ainsi que les

numéros de téléphone de deux avocats. Les policiers avaient été sidérés

lorsqu’ils s’étaient retrouvés en face de cette bonne catho se mettant torse

nu en leur souriant, et leur annonçant même qu’elle espérait être admise

chez les Femecs, cette secte d’activistes violentes, connues pour accomplir

leurs actions torse nu, couvertes de graffiti insultants, et si estimées par

l’oligarchie porcinienne. Du coup, ils lui avaient ordonné de remettre son

vêtement de toute urgence, puisqu’elle n’avait que ça, et l’avaient laissée

en paix. Personne n’a jamais su si c’était grâce aux articles de loi, aux

avocats, ou par pudeur. Bref, Eglantine était vraiment remontée, et Henri

préférait que ce soit Porcinet qui reçoive des coups de mouffette plutôt

que lui des coups de pagaie ! Parce que le canoë, c’était vraiment une

épreuve pour un couple…

« Hé ! Regardez, notre mouffette a disparu, clama soudain Alix,

tirant son père de ses rêveries de promeneur solitaire. »

Tout le monde se remit donc à sa tâche avec ardeur. Fin d’alerte.

Permission de bouger.

Tandis que le repas continuait à chauffer, Pierre jeta un coup

d’œil sur son cellulaire.

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sécurité publique, et en faire une police politique. Ce qui fut fait grâce à

l’action vigoureuse du ministre de toutes les Polices, le vil, infâme et

ignoble Manuel Iznogaz, le ministre qui ne rêvait que d’une chose :

devenir président à la place du président.

Alors le peuple était entré en Résistance.

Alors oui, depuis un an et le début de l’insurrection, Henri ne

reconnaissait plus sa femme. Ni ses enfants d’ailleurs. Eglantine était

toujours la première à décider de la participation aux manifs ou aux

pacifiques mais transgressives soirées des Veilleurs. Transgressives, parce

qu’on y pensait au lieu d’écouter la propagande du régime porcinien.

Depuis les gazages du printemps, elle était enragée ! On l’avait gazée, elle

et ses quatre enfants, et ses deux aînés étaient partis tous deux en garde-à-

vue. Marie en était à ce jour à sa sixième arrestation, Pierre qui courait

plus vite, à sa quatrième. Marie avait dernièrement échappé à une

septième en larguant tout le contenu d’un énorme sac de billes sur le

trottoir, juste sous les pas des deux sbires en civil munis de matraques

télescopiques, qui la coursaient de près. Les jurons qu’elle avait entendu

en semant ses poursuivants avant de s’engouffrer et de disparaître dans

une bouche de métro, ne sont évidemment pas répétables, et n’auraient

jamais dû être entendus par une jeune fille bien-élevée… Mais ni Pierre, ni

Marie n’avaient l’intention de céder. Des multirécidivistes ! Il faut dire que

les fonctionnaires de police n’avaient jamais pu les faire inculper de quoi

que ce soit. Leurs arrestations, toutes politiques, comme plus d’un millier

d’autres, étaient tout à fait illégales. Eglantine clamait qu’ils étaient

l’honneur de la famille. « On se bat pour les autres, rien pour nous ! Pas de

répit pour eux, pas de repos pour nous ! Porcinet, on ne lâchera jamais, jamais,

jamais, disait-elle fréquemment. ».

5

Un peu de vocabulaire

� La mouffette, également appelée sconse, (skunks en anglais), est un

animal carnivore de taille petite à moyenne, noir, avec une double

rayure blanche sur le dos. Cette espèce fait partie des méphitidés (une

famille d'animaux proches des mustélidés) et est surtout distinguée par

son habitude à sécréter des liquides toxiques, très nocifs pour l'odorat.

Elle est généralement répandue sur tout le continent américain (à

l'exception du nord-ouest canadien). Elle doit être distinguée du putois,

mustélidé. - source Wikipedia-

� L’orignal est le plus grand et le plus lourd des cervidés. Il est appelé

« orignal » en Amérique du Nord, « élan» en Europe, « moose » en

américain –source Wikipedia-

� Séraphin Porcinet serait, paraît-il, un président de la République

française. A chacun de vérifier s’il existe vraiment, mais s’il n’existait

pas, il ne faudrait surtout pas l’inventer.- source Nervipedia-

� GAV signifie « garde à vue » - GAV-bus : panier à salade. –source

Manupedia-

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Avertissement

Ce récit est une histoire de fiction. Néanmoins, toute ressemblance avec

des personnes existant, ayant existé ou devant exister n’est ni fortuite, ni

involontaire. Elles n’en sont par contre que des caricatures. De la même manière,

l’auteur de ces lignes certifie qu’aucun animal n’a été importuné ni maltraité

pendant l’écriture de ce récit. Il n’en a pas été de même des humains…

Cette histoire est dédiée :

� A tous les Français résistant contre la société libérale-libertaire, contre

ses idéologies, et contre le régime policier qui la maintient en survie. Ils

sont la Nouvelle France !

� A tous ceux qui adorent les histoires de Porcinet ou les histoires de

mouffettes.

� A tous mes amis canadiens.

Crédits photos : planche III, 7 et 115 - l’auteur

Autres images : Google images - montages de l’auteur

11

comme portant quelque chose de « sacré », même pour les personnes

éloignées de toute transcendance.

De plus, en vidant le mariage de son contenu, la procréation et la

filiation, cette politique avait pour première conséquence de priver

définitivement un certain nombre d’enfants du droit d’avoir un père et

une mère, et de trouver tout à fait normal que l’on puisse « fabriquer » et

même commercialiser des orphelins. La plus fondamentale des inégalités,

la plus grave des injustices infligées aux plus faibles ! Après celle de les

liquider, bien sûr, ce qui faisait également partie de cette politique.

Et enfin, le régime porcinien affirmait très nettement son choix de

rééduquer les enfants malgré et même contre la volonté de leurs parents.

On appelait cela « lutter contre les déterminismes familiaux» dans la langue

de bois si répandue à cette époque. En clair, confier l’éducation des

enfants à l’Etat, et non point aux familles, afin d’obtenir enfin cet « homme

nouveau », sans passé, ni identité, sans instruction, consommateur docile

et électeur soumis, tant rêvé par tous les dictateurs et toutes les utopies.

Alors, pour la première fois depuis des décennies, le peuple

français, anesthésié, décervelé, dépouillé de son identité et bercé de

promesses jamais tenues, s’était enfin insurgé. Le mouvement avait pris

d’abord l’ampleur de manifestations monstres. Ce soulèvement, le

président de la république, Séraphin Porcinet, ne l’avait ni vu venir, ni

surtout compris. Tellement peu compris, qu’il l’avait nié dans son

existence même. Cela ne pouvait pas arriver ! Et cela ne pouvait venir que

de personnes perverses, ennemies du progrès, de la démocratie, du « sens

de l’Histoire » et du genre humain. Il fallait donc nier, mentir, mépriser,

réprimer. Et passer en force. En dépit de toutes les règles de la démocratie,

et au-delà de toute légalité. Il fallait détourner la police de sa mission de

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— Sur le trottoir ? Ces pauvres CRS ne pourront alors même pas

aller se consoler chez les putes, ajouta Pierre. Ils recevraient des baffes pour

puanteur aggravée !

— Pierre ! Ton vocabulaire ! Pense à tes sœurs !

— C’est quoi un pute, demanda Alix ?

— Une fille qui n’aime pas les CRS, lui répondit Pierre.

— Alors je suis une pute affirma la petite fille.

— Alix ! Mais je rêve ! Tu vois, Pierre !

— Et c’est un outrage à agent, précisa doctement le papa.

— Oh ! Cela, on s’en fiche lâcha Eglantine, soudainement moins

soucieuse de son vocabulaire. Ils ont gazé mes enfants, ils méritent le

traitement mouffette ! Et Porcinet aussi, et son infâme ministre Manuel

Iznogaz, lui-aussi ! L’urine de mouffette, c’est tout ce qui leur faut ! »

Henri Vercors regarda son épouse avec étonnement. Il ne la

reconnaissait plus.

Car pendant l’année écoulée, ils s’étaient tous engagés dans la

quasi-insurrection des Français contre l’absurdité et l’injustice de la

politique du Président de la République Séraphin Porcinet et sa volonté

totalitaire de « changer de civilisation » en dénaturant l’institution familiale.

Cette politique constituait un nouveau spasme dans l’extension

du cancer qui rongeait la civilisation occidentale depuis des décennies : le

libertarisme-libéral hyper-individualiste et nihiliste, idéologie de la

jouissance sans entrave du pouvoir, de l’argent et du sexe au profit d’une

petite oligarchie. Mais là, ses métastases s’attaquaient au mariage, une

institution touchant de près à la nature humaine, venue du fond des âges,

et préexistant à toute société et à toute religion. Et de ce fait, considérée

7

Chapitre I - Les factieux

Le bivouac

« Encore quelques coups de pagaie ! Courage ! Et essaie de

pagayer droit, s’il te plait Eglantine, pour l’amour de Dieu ! N’oublie pas

qu’à l’arrière, tu diriges, et à l’avant, je propulse. Et je n’ai pas envie de me

faire humilier devant les enfants.

— Je t’en prie Henri, c’est toi qui tire comme un bœuf sur ta

pagaie et qui déséquilibre tout. Moi, je fais tout en finesse : des sweep, des

pry, et des J-strokes. Comme dans le cours. Et comme dans ton satané

bouquin en anglais. Et puis, j’en ai assez de t’entendre hurler toute la

journée sur l’eau. Nous ne sommes pas venus au Canada pour ça ! La

prochaine fois, on fera du pédalo dans le bassin d’Arcachon devant la

maison de Maman !»

Les derniers mètres avant l’accostage furent difficiles pour le

canoë où étaient embarqués les parents avec leur petite dernière de 8 ans,

Alix. Sur la grève boueuse, Pierre, 20 ans, Marie 18 ans et Victoire 14 ans

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les attendaient, l’air goguenard. Cela faisait bien dix minutes qu’ils

avaient tiré leur canoë de kevlar sur la petite île plantée au milieu du lac,

et qu’ils observaient avec intérêt papa et maman batailler en zigzag pour

traverser le rideau de roseaux. Un peu désabusé, Pierre s’avança dans

l’eau afin d’intercepter l’étrave du canoë de ses parents, et leur éviter la

dernière des humiliations : l’accostage à cent à l’heure en entamant le

rivage. Pas bon pour le kevlar ! Ni pour le moral.

Malgré l’épuisement dû à toute une journée de canoë-camping

sur ce lac perdu au milieu des immensités canadiennes, toute la famille se

mit en branle pour décharger les esquifs, planter les tentes et préparer le

feu. Ce qui fut fait avec efficacité, expérience du scoutisme oblige.

Soudain, il y eut un léger bruit de feuilles froissées en provenance

d’un buisson proche du petit groupe bien affairé. Tout le monde se

retourna.

« Un ours noir, glapit la petite Alix…

— Non ! gémit Eglantine, saisissant une pagaie, et prête à

s’interposer devant ses enfants.

— Chic, clama Marie, sortant son reflex numérique.

— Un gros orignal, tant que vous y êtes, soupira Pierre.

— Peut-être un petit tamia1, suggéra Henri. »

Un museau fin et timide, une petite tête noire traversée d’une

rayure blanche apparut.

« Un carcajou2, tenta la maman, horrifiée ?…

— Mais non, répondit son mari, une loutre, ou un castor.

1 Petit écureuil terrestre sans queue – en anglais « chipmunk ». 2 Glouton – gros mustélidé réputé pour sa férocité.

9

— Un putois alors, proposa Marie, regardez, il est maintenant

sorti de sa cachette, c’est noir avec une double rayure blanche et une belle

queue… Comme Pépé le Putois.

— Pourquoi pas un pingouin, ricana l’aîné ? Noir et blanc, ça

correspond.

— Vous n’y êtes pas, annonça triomphalement Victoire, qui

n’avait encore rien suggéré. Il s’agit d’une mouffette. Vous savez, Fleur,

l’amie de Bambi. C’est très gentil, ça mange des petits rongeurs, des

insectes, des fruits. Mais ça vous envoie un genre d’urine dans la figure si

vous la dérangez, et alors là, ça pue comme pas possible. Il faut du jus de

tomate pour se laver. C’est le seul produit qui marche ! Il y a des

mouffettes partout, y compris dans les jardins des villes du Canada.

— Je n’ai pas de jus de tomate, annonça la maman, ne dérangez

pas cet animal ignoble! Et ne bougez plus, il ne faut pas le provoquer !

— Elle n’a pas l’air de vouloir nous asperger, continua la jeune

fille. Tant qu’elle ne soulève pas sa queue, nous ne risquons rien.

— Ouais, en fait c’est ce qu’on appelle aussi un skunks, ou un

sconse, précisa Pierre. On en voit dans les westerns, ou dans les Lucky

Luke, et c’est toujours une mauvaise rencontre.

— Les méchants se font arroser rigola Marie. Ce serait super d’en

ramener toute une tribu en France. L’arme secrète contre les robocops de

Manu le Chimique pendant les manifs. On dépose une caisse de

mouffettes devant leur rangée de boucliers. Ils nous gazent, on les gaze.

Logique ! Et en garde-à-vue, au commissariat de la rue de l’Evangile, pas

un mot sur le jus de tomate, même sous la torture. Ils se feront dire par

leurs femmes qu’ils « puent comme pas possible » et seront jetés sur le

trottoir.

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pour Tous, proprement gazés par ses troupes sur sa demande exprès! Puis,

une affreuse odeur l’agressa brusquement. C’était épouvantable ! Manuel

se rappela alors le jour sinistre, où lors d’un camp d’adolescent, il était

tombé dans une fosse à purin. Il faut dire qu’il l’avait bien cherché, et

depuis ce jour, il avait toujours été infect…. Bref, l’odeur dégagée par ces

femmes était horrible ! Suffoquant, il hurla : « Mais vous puez comme pas

possible ! »

Face à lui Valérie Tiergarten se figea, et folle de rage, lui envoya

une énorme baffe au visage, sur la joue droite. Le ministre recula d’un pas.

« C’est comme ça que vous parlez à la Première Dame ? s’écria-t-

elle.»

Une deuxième baffe tomba sur sa joue gauche, encore plus

violente que la première. Celle-ci venait de la chef-hôtesse qui ne

manquait ni de muscle, ni de nerf…

« On ne m’a jamais parlé comme ça ! rugit Roselyne. »

Et furieuse, elle sortit une seringue de son sac à main, et la planta

dans le derrière du Ministre de l’Intérieur qui venait de tourner talon en

se tenant le visage.

« Cela vous calmera, goujat! hurla l’ancienne Ministre de la

Santé. »

Manuel hurla lui aussi, d’ailleurs, mais de douleur !

« HAAAAAAAAA ! »

« Euh ! Mais c’est vrai, avança alors le Préfet de Police avec

prudence, tout en se tenant lui-aussi le visage dans un mouchoir, et en

23

va lui fourguer les mouffettes! Et elle nous dira merci. Enfin, avant

d’ouvrir la cage !»

Sidéré, le père de famille plongea son regard dans celui de sa fille

ainée. Avec ses yeux bleus couleur de lac canadien, elle lui évoquait tant

sa femme. Et aussi la bouche serrée de quelqu’un qui ne lâche rien,

jamais, jamais, jamais. Marie était en guerre. Comme depuis plusieurs

mois. Malheur à l’ennemi, fut-il président de la République ! Mais là, il ne

voyait pas comment accepter.

« Ecoutez, c’est bien d’avoir de l’imagination et de rêver, mais là,

c’est trop compliqué. D’abord, il faut les transporter !

— Pas de problème, dit Pierre, il y a de la place dans notre gros

véhicule. Et puis arrivés à Montréal, nous avons un plan pour rencontrer

Valérie…

— A l’aéroport ?

— Non, nous avons lu qu’elle allait rencontrer des membres de la

communauté française à Montréal.

— Et, continua Marie, nous avons un contact. Une Franco-

québécoise engagée ici dans le scoutisme. Son père est Français, sa mère

Québécoise. Cela fait plusieurs mois que je corresponds avec elle sur

internet. Elle a beaucoup suivi nos actions contre la loi de Christiane

Tobago sur la dénaturation du mariage, et elle m’a dit que là, les Français

l’ont épatée. « Vous avez de l’allure, elle m’a écrit un jour ». Ses parents ont

reçu l’invitation du Consulat pour rencontrer Valérie. Ils ne sont pas

enthousiastes de s’y rendre, mais notre amie est prête à nous aider. L’idée

de gazer Manuel Iznogaz avec des mouffettes lui a plu. Elle va nous faire

entrer…

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— Avec vos mouffettes ?

— Avec ou sans. Si c’est sans, on aura des photos, et on fera

livrer…

— Je rêve !

— Non, mon chéri. Tu ne rêves pas, intervint Eglantine son

épouse, qui les avait rejoint devant le chalet. Nous avons une occasion, il

faut en profiter. Tu sais, beaucoup de nos amis se lamentent et disent :

« Encore quatre ans à tirer avec Porcinet… Cela va être long ! » Et moi, je

réponds souvent : « Ce n’est pas comme ça que ça marche. Il n’appartient

qu’à nous que ce soit Porcinet qui se lamente tous les jours en disant

« Encore quatre ans à tirer avec ces Résistants. Cela va être long ! ». Oui, il

n’appartient qu’à nous de lui rendre la vie impossible pendant son

mandat. Il nous a méprisés, il nous a trompés, il nous a ignorés, il nous a

frappés, gazés, GAVés. Il a laissé ses sbires nous insulter, et l’action de ses

flics n’a été qu’une longue bavure. Nous sommes des sous-citoyens. Il est

donc un sous-président. Le traiter à la mouffette, c’est de son niveau. Sa

politique pue, il faut qu’il pue lui aussi. Je soutiens les enfants. On va les

lui donner nos mouffettes à la miss Tiergarten ! Je le crois aussi, qu’elle est

la porte d’entrée à notre virus puant. On ne lâche rien ! Jamais ! Jamais !

Jamais !»

Il n’y avait plus rien à dire, et Henri, avec précaution, chargea la

caisse d’armes de puanteur massive dans son véhicule.

Dans la soirée, toute la famille se réunit autour de la caisse de

mouffettes. On leur apporta à boire, on leur donna de petits insectes, et

plein d’airelles.

« Il faut leur donner un nom clama Alix !

49

Paris était en train de préparer des dossiers, et d’examiner quelles photos

il faudrait falsifier.

Deux cris horribles se firent alors entendre. Des cris marquant

surprise et horreur. Et aussi douleur.

« Vous avez entendu, dit Manuel ?

— Oui, Monsieur le Ministre. Ce sont des voix de femmes. Et elles

viennent de la chambre du président.

— Excellent mon cher Watson. C’est une bonne déduction de chef

de la police, grommela Manuel Iznogaz. Que se passe-t-il ? Allons voir. »

Terreur sur l’A-330

Manuel Iznogaz, Ministre de la Police, et le Préfet de Police de

Paris empruntèrent donc le couloir latéral dont l’extrémité conduisait au

poste de pilotage de l’Airbus A330 présidentiel, et se dirigèrent vers la

porte de la chambre, alors que d’autres cris se faisaient entendre.

Ils allaient arriver vers la porte, lorsque celle-ci s’ouvrit

violemment et livra le passage à deux femmes en larmes et couvertes d’un

liquide visqueux de la tête aux genoux. Manuel eut tout d’abord un

sourire méchant, ce qui ne le changeait guère… Cela lui rappelait les

photos de gazage des familles de la Manif pour Tous. Un excellent

souvenir. Pour lui…

Puis il reconnut la Première Dame et Roselyne Camelot. Elles

étaient méconnaissables et semblaient au bord de la crise de nerfs. En

plus, elles plongeaient toutes deux leur nez dans un mouchoir. Cela lui

rappela à nouveau les photos représentant des participants de la Manif

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Fleur fronça les sourcils. Toute sa famille était alignée à ses côtés.

Toutes les queues étaient en position. Les cibles bien identifiées, bien en

deçà de la portée opérationnelle d’une mouffette qui peut « shooter »

jusqu’à six mètres, bien penchées vers eux et tout sourire. Et les cibles

continuaient à répéter leurs niaiseries. Parfait ! C’était comme à

l’entraînement. Elles allaient bientôt comprendre la différence entre une

mouffette et un matou. Non mais !

« Mes amis, l’heure est grave, déclara Fleur. C’est le moment.

Vous trois, cible de gauche, nous trois, cible de droite. Et vive le Québec

Libre ! »

Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !

Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !

Pendant que se déroulaient ces dramatiques événements, le vil,

l’infâme et ignoble ministre de toutes les Polices, Manuel Iznogaz,

tournait en rond dans la grande salle de réunion, proche de la chambre

présidentielle. Il répétait sans arrêt : « Je veux devenir Président à la place

du Président, je veux devenir Président à la place du Président. »

Son cerveau fertile et pervers imaginait mille et un plans destinés

à assouvir son insatiable ambition. Il pourrait diviser la Droite en disant

du mal de certains migrants, et en n’expulsant rien qu’une poignée d’entre

eux. Qu’il paierait pour qu’ils reviennent. Et il pourrait fabriquer des

électeurs porciniens en grande série en naturalisant les autres à la pelle.

Des gens qui voteraient pour lui en masse lorsque le Président serait trop

impopulaire, un peu grâce à lui. Oui, il pouvait faire tout ça. Déjà,

beaucoup de journalistes l’appelaient le vice-président. Pendant ce temps-

là, penché sur la grande table, son triste compère le préfet de police de

25

— Pas de problème répondit Pierre, on aura Séraphin, Valérie,

Manuel, Christiane, Vincent et Préfet de Police…

— Non, des noms sympas, pas des noms de coyote ! Comme dans

Bambi. La mouffette s’appelait Fleur. Là, le plus gros, ce doit être le papa.

Appelons le Fleur. Et donnons-leur à toutes des noms de fleurs. Qui

sentent bon.

— Ce doit être la théorie du gender pour les mouffettes, répliqua

Pierre. Appliquons les consignes de Vincent Paillard, le ministre de la

Déséducation… On ne leur donne pas des noms sexués, elles choisiront à

leur majorité, libres de « tout stéréotype de genre ».

— C’est un peu vache pour ces pauvres mouffettes, observa

Marie.

— Oui, mais nous n’avons pas le choix. Si le second adulte, un

peu moins gros, est sans doute la femelle, la maman, pour les quatre

petits, je ne me vois pas les sortir de la cage pour regarder s’ils ont un zizi

de mouffette ou pas. Cela pourrait leur donner envie de pisser…

— D’accord, dit Marie. Alors Alix, continue à leur donner des

noms « non genrés » qui ne les accablent pas d’un déterminisme de genre.

— Des quoi ?

— Des noms de fleur !

— Et bien la maman sera… Marguerite. Et les petits… Violette,

Coquelicot, Muguet et Rose.

— Parfait ! J’espère qu’ils apprécient leur cérémonie de baptême

et leur envoi en mission : gazer les coyotes ! »

La dernière soirée au chalet fut studieuse et ludique. D’abord, les

deux grands préparèrent un gros dossier de Wikipedia sur le « chat-

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huard ». Avec plein de photos. En fait, l’article sur les mouffettes, mais en

changeant le nom. Et en jetant un voile pudique sur certaines spécificités

de défense de ces mammifères craintifs... Plus, tout un paragraphe bidon

sur les particularités de ces petits chats, une espèce indigène du Québec,

trouvée surtout dans les régions reculées d’Abitibi et de Témiscamingue,

des régions tellement reculées que les habitants n’y mangeraient que du

foie de phoque, et que cela expliquerait que le chat-huard ne soit que très

très peu connu. Cela ferait chercher Valérie… Et cela devait surtout la

convaincre de les laisser courir dans l’avion, car ils ont besoin de liberté,

les chats-huards. Un avion, c’est idéal, on ne peut pas ouvrir les fenêtres

pour respirer ou chasser les intrus. Dossier et photos seraient imprimés

chez l’amie de Marie, à Montréal. Elle allait s’instruire, la Première

Dame…

Cela fut vite expédié. Comme tout le monde était assez excité, ils

décidèrent de se lancer ensuite dans une partie

de Manuelopolis… Une variante « Manif pour

Tous » du célèbre jeu.

Les jeunes avaient travaillé dessus

pendant l’année écoulée. D’abord, modifier le

plateau: presque toutes les cases sont

remplacées par la case « Allez en prison ». Cela rend le parcours périlleux.

Les rares cases à vendre sont en fait des monuments de Paris

symboliques : Elysée, Place Beauvau, Mairie, Assemblée, Sénat, Place

Vendôme, Champs-Elysées, Concorde, Palais de Justice… Le moins cher,

c’est le Conseil Economique et Social, le fameux CESE dont personne ne

veut, parce que personne ne sait à quoi ça sert. Un vrai Mistigri. Bradé !

47

Elle regarda en détail la porte, déplaça le loquet après avoir

déverrouillé le cran de sécurité. Et elle ouvrit la prison… Cela ferait plaisir

à Christiane Tobago, pensa Valérie… Libérer des prisonniers…

« Elles débarrent, couina Coquelicot. »

La petite mouffette était la plus près de la porte. Elle se faufila à la

sortie, mais une grosse main la saisit et la souleva. Roselyne Camelot était

ravie. Elle allait pouvoir câliner ce petit chat. Prestement, elle appliqua ses

lèvres sur le sommet de la tête du petit animal, et y déposa une grosse

empreinte rouge sur la fourrure blanche. Surprise, la petite mouffette

donna un tour de rein. La chef-hôtesse lâcha prise, et l’animal tomba au

sol avec souplesse. Cela ne sentait pas bon, ce que cette femme lui avait

collé sur la tête…

Ce fut la ruée à l’extérieur de la cage. En une seconde, six

mouffettes galopaient sur le lit présidentiel king-size, ivres de liberté. Elles

se rassemblèrent et firent face aux deux femmes qui continuaient à

chantonner « Minou, minou, minou… » Et même « Miaou, miaou,

miaou… » Horresco referens !

« Tiens, vous avez vu, ils lèvent la queue, dit alors Roselyne.

— Oui, répondit, Valérie, c’est joli, ces petites queues rayées. On

m’a dit que c’était une marque de contentement quand ils dressent leur

petit panache.

— Je comprends, ces petits chats sont libres, ils doivent être

heureux. Il va falloir que je leur apporte à manger.

— Minou, minou, minou…

— Minou, minou, minou…

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— Minou, minou, minou, mignons petits chats, chantonna

Valérie.

— Minou, minou, minou, répéta Roselyne, tout sourire cerclé de

rouge vif. »

Fleur essaya de lever le nez. Il était furieux.

« Tabarnak, elles commencent à m’les briser. Je déteste qu’on me

prenne pour un chat. Faut être niaiseux et un peu croche !

— Fleur, tais toi. Je ne veux plus entendre ce vilain mot. Tu

donnes un mauvais exemple aux enfants. Après on va nous dire que nos

grands ados ont un comportement puant ! Je ne supporte pas.

— Oui mon amour. Marguerite, je sais bien que tu as toujours

raison. Mais je veux sortir d’ici et je m’impatiente.

— C’est correct. Alors ayons l’air gentil. Elles nous débarreront la

porte. Mais tu as raison : “Minou, minou”, cela m’insupporte. »

« Minou, minou, minou, continuait Valérie Tiergarten.

— Minou, minou, minou, précisait Roselyne Camelot.

— Crétines, crétines, crétines, commentait Marguerite…

— Elles sont vraiment épaisses, compléta Fleur.

— Bon, on leur ouvre, et je leur apporte des canneberges ajouta

Roselyne. Mais vous êtes sûre que ce ne sont pas des mouffettes ?

— Non, non… »

Comme toujours, Valérie Tiergarten était très sûre d’elle. Lui

Président, elle était la Première Dame !

27

On peut aussi acheter des places de Veilleur Debout, Assis,

Couchés ou Marcheurs, ou les louer. Très recherché : l’achat du

commissariat de la rue de l’Evangile. Les cartes Chance ou Caisse de

Communauté sont modifiées. Leur dos est au logo de la Manif pour tous,

en rose ou en bleu. Et tirer une carte peut vous faire payer des frais

d’avocat, des amendes pour port illégal de T-shirt, acheter des bidons de

sérum physiologique en vue des prochains gazages. On peut aussi gagner

des coups de matraque télescopique, ou des jours de garde à vue. Et on

peut tirer la chance de rencontrer une ou deux patrouilles de CRS, ou une

horde d’Antifas aux cervelles de moules. Ou de se faire gazer grave !

L’argent permet aussi d’organiser de nouvelles manifs. Ce soir, ce fut

Victoire qui gagna en contrôlant tous les points clés de Paris, et avec de

quoi financer au moins deux manifs, tandis que le pauvre Henri

croupissait depuis longtemps dans les geôles du régime porcinien.

Dans cette famille-là :

On ne lâche rien, jamais, jamais, jamais !

Commando sur Montréal

Le lendemain, Henri Vercors gara le SUV non loin du consulat de

France, situé au dixième étage d’un énorme building moderne. Ce fut

laborieux. Trouver une place à Montréal avec des panneaux qui indiquent

« interdit de 8 heures à midi et de midi à 22 heures », ou quelque chose comme

ça, réclame des notions assez poussées de grammaire française dans sa

version québécoise. Avec sa femme et leur fils aîné, ils regardèrent leurs

trois filles marcher sagement sur le trottoir en portant chacune une

brassée de fleurs. Elles étaient accompagnées par une autre jeune fille de

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l’âge de Marie. Des nuées de policiers, français et québécois barraient les

accès au consulat, et elles durent présenter plusieurs fois leur invitation et

leur passeport. Puis ils les perdirent de vue.

Eglantine s’éloigna alors à son tour et s’avança vers le consulat,

tandis qu’Henri et Pierre retournaient à la voiture. Elle avait prévu une

manœuvre de diversion. Le plan convenu était le suivant : les enfants

devaient rencontrer Valérie Tiergarten après l’allocution principale. En

fait, lorsque la Première Dame quittait la salle de réception et traversait

une petite pièce annexe avant de sortir pour rejoindre l’aéroport. Ceci,

parce qu’elle et son mari s’étaient opposés à ce que leurs enfants se

retrouvent sous les caméras et les objectifs des journalistes. Il fallait donc

offrir les fleurs (et les mouffettes) hors du champ des caméras. Et donc

fixer l’intérêt des journalistes ailleurs. Par exemple, les maintenir quelques

minutes dans la grande salle.

Elle présenta donc son invitation (cédée par les parents de l’amie

québécoise de Marie), et pénétra dans le consulat. Elle se rendit alors dans

les toilettes et sortit une boîte de bière de son sac. Elle s’en aspergea sur la

tête et le chemisier. Ce qui était très méritoire car elle détestait la bière.

Mais il fallait être crédible. Et attrayante… On allait voir. Elle se rappelait

un épisode lorsqu’elle était petite fille, encore plus jeune qu’Alix. Lors

d’un déménagement, ses parents l’avaient laissée chez des amis. Et là, à la

fin du repas, tout le monde s’amusait bien, et elle avait joué à la fille

saoule. De façon extrêmement convaincante. A tel point que les amis de

ses parents s’étaient bien demandé si son père n’était pas un alcoolique

invétéré donnant le mauvais exemple à sa petite fille… Eglantine espérait,

maintenant qu’elle avait plus de quarante ans, avoir conservé les mêmes

capacités de comédie. Elle resta enfermée dans les toilettes pour y attendre

un SMS de sa fille aînée. Elle était énervée et sortit un chapelet. Dans

45

— J’ai faim Maman, pleura Coquelicot. Les petits humains nous

avaient apporté de la bouffe, mais là rien. Et j’ai peur. Il y a tant de bruit.

— Nous sommes présentement prisonniers dans une de leurs

cabanes, remarqua Fleur. Il faut absolument sortir d’ici. Tenez-vous prêts.

Dès qu’on nous ouvre, chargez et arrosez! Et pas de pitié ! »

Penchée sur les petits « chats-huards », Valérie Tiergarten essaya

d’en caresser un ou deux. Mais ils s’aplatissaient lorsque son doigt tentait

de toucher leur fourrure à travers les barreaux de la cage. Elle se dit qu’il

fallait leur ouvrir, et elle demanderait à Roselyne de leur apporter à

manger. Des fruits, on lui avait dit. Il y avait des paniers de canneberges

dans l’office. Cela irait très bien. C’était bizarre pour des chats, mais c’était

écrit comme cela dans le dossier Wikipédia que la petite fille lui avait

donné. Et elle n’avait ni insecte, ni souris. Heureusement ! Et une fois

lâchés dans la chambre, elle pourrait sans doute les apprivoiser, surtout si

elle leur donnait à manger. D’ailleurs, c’était sans doute le moment d’en

informer la chef-hôtesse. Elle sortit et fit signe à Roselyne Camelot. Les

deux femmes revinrent rapidement dans la chambre présidentielle.

« Oh, qu’ils sont mignons, clama Roselyne de sa voix chaude

d’alto. Mais on dirait des mouffettes !

— Non, ce sont des chats-huards, on m’a expliqué. C’est une

variété typique du Québec, dans la région de… Abi… je ne sais plus…

Abipourlesdingues... Quelque chose comme ça. Une région où il n’y a que

des eskimos et des phoques. Et des chats. Pour un chat sauvage, c’est très

gentil.

— Oui, mais ça ressemble quand même beaucoup aux

mouffettes, vous ne trouvez pas ?…

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Elle ferma soigneusement la porte de la chambre, puis souleva doucement

la bâche qui coiffait la prison des mouffettes.

Devant l’invasion brutale de lumière, Fleur cligna et ouvrit les

yeux. Malgré son prénom féminin de « fleur » qui lui avait été attribué par

la petite Alix, Fleur était un mâle, le père de famille mouffette. Marguerite,

sa femelle mouffette, ouvrit les yeux à son tour. Puis, Violette, Rose,

Coquelicot et Muguet, les quatre bébés mouffettes de leur portée. Deux

mâles, deux femelles. Libérés des stéréotypes de genre…

Fleur était assez irrité. Lui et sa famille avaient été capturés

maintenant depuis deux jours, ils avaient été entassés et secoués comme

pas possible, et maintenant il avait mal au cœur. Il ne savait pas où il était,

mais ses oreilles souffraient de ce bourdonnement permanent. Il avait

vraiment envie de s’échapper. Mais comment ? Et surtout, il souffrait de

se voir ainsi sans défense. Impossible de lever la queue et de projeter son

fluide nauséabond sur l’adversaire.

« Tabarnak de tabarnak, gronda Violette, le jeune mâle.

— Violette, protesta sa mère. Ne sois pas vulgaire ! Je t’ai déjà

interdit d’employer ce vocabulaire blasphématoire. Ça n’a pas d’allure ! Si

tu recommences, je vais te chicaner.

— Ouais, mais Maman, rester dans cette cage commence à me

briser les gosses5. Il y a bien une porte, mais elle est barrée6, on ne peut pas

sortir.

— Tais-toi et choisis mieux ton vocabulaire. Regarde cette dame,

elle va peut-être débarrer la porte.

5 En argot canadien : testicules 6 Verrouillé, fermé à clé (français canadien)

29

quelques minutes, la douce mère de quatre enfants qu’elle était, pilier de

paroisse et responsable d’association de bienfaisance, allait se transformer

en traînée et en ivrogne. Ivrogne pour tous !

La réception dans le grand salon fut plutôt archi-barbante. Le

Président n’était pas là, ce qui était prévu, il avait une réunion de travail

importante avec son staff et la Municipalité de Montréal, et les journalistes

n’étaient pas trop nombreux. Marie poussa un soupir de soulagement

lorsqu’elle vit Valérie Tiergarten se préparer à quitter. Ses jeunes sœurs

avaient anticipé le mouvement et s’étaient déjà glissées dans la salle

voisine. Elle lança alors un SMS à sa mère.

« Jolie bouteille » fut le signal. Eglantine sortit de son réduit.

« Phase un, se dit elle.»

Elle s’était sérieusement ébouriffé les cheveux, son chemisier,

trempé de bière, était un peu trop déboutonné, et elle passa hardiment

dans la grande salle au moment même où la Première Dame en sortait.

Elle avait bien étudié le sujet avec un croquis du consulat fourni par

l’amie québécoise de sa fille.

Elle s’avança au beau milieu de la pièce en titubant et en

beuglant : « Porcinet ! Dégage ! Hiiiips ! Porcinet ! Poils au nez ! Séraphin !

Poils aux… seins… Hic ! Démission ! Manuel ! Hic !... Poils aux

mamelles !»

Ce fut la stupéfaction. Tous les journalistes se détachèrent de

Valérie Tiergarten et restèrent dans la salle pendant que la Première Dame

allongeait le pas et disparaissait dans la pièce voisine. Eglantine continua

son numéro en parlant de « magouilles, fripouilles et autres

carabistouilles ». Elle évita néanmoins de faire rimer avec « poil aux… ».

Toujours hoquetant et franchement saoule. Et en déboutonnant un peu

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plus le chemisier, ce qui fascina les journalistes un cran de plus. Pas un

qui ne se crut obligé de couvrir l’événement coûte que coûte. Elle croisa

alors le regard ahuri de Marie, son aînée. Les yeux de sa fille brillaient

d’admiration. Cela la consola.

« Maman ! pensa Marie. Si on m’avait dit ça. Mais elle est super !

Quand je pense qu’elle nous donne des leçons de bonne tenue ! »

De la même façon, entre deux hoquets et deux phrases

incohérentes, Eglantine se mit à penser : « Si Monsieur le curé me

voyait… »

En fait, il y eut rapidement tout un attroupement pour s’assurer

du contrôle de cette virago.

« Madame, voyons, calmez-vous !

— Mais qui est cette folle ? »

Tout en titubant et zigzagant, Eglantine s’attacha à attirer le plus

de monde possible du côté opposé de la salle où était sortie la Première

Dame.

Elle hurlait : « Mahuzac, main dans le sac, hic… Iznogaz, guerre

des gaz… Valérie… hic ! Où est ton mari-hic ?... Hips ! »

Mais bientôt, plusieurs personnes du service d’ordre la

ceinturèrent pendant qu’elle hurlait :

« Lâchez-moi, faux-jetons, dictature porcinienne !

— Mais madame, du calme ! »

Là, cela devenait un peu dur pour Marie qui avait du mal à voir

sa mère ainsi agressée. Et surtout se comporter comme une harpie. A la

suite de Valérie Tiergarten, elle se glissa dans la pièce voisine, où pas un

43

plus, d’y ajouter les sous-titres en français ». Il éclata de rire, content de lui

et de sa trouvaille. Lui président, on n’avait pas fini de se marrer !

« Tu es méchant, lui répondit Valérie d’une voix caressante… et

amoureuse. » Au moins se dit-elle, elle ne risquait de voir une grosse

tâche de rouge vif et gras trôner au milieu du visage de son amant. Et elle

ajouta :

« Tu es un gros macho, Séraphin !

— Moi ? répondit le président. Mais jamais de la vie ! Et surtout

pas un mot à Vincent Paillard, il incriminerait mon éducation familiale et

ses déterminismes de genre. Ha ! Ha ! Ha ! »

Valérie sentit que l’appareil venait de virer légèrement sur la

droite. Elle regarda l’écran vidéo de son siège qui traçait l’itinéraire de

l’avion. Ils faisaient maintenant route au-dessus de l’état américain du

Maine, en direction du Golfe du Saint-Laurent. Le plan de vol prévoyait

de passer au-dessus du Nouveau-Brunswick, puis de la Nouvelle-Ecosse

et ensuite à quelque distance au sud de Terre-Neuve. La Première Dame

se leva alors et décida d’aller rendre visite à ses petits chats québécois. Elle

n’avait encore rien dit à Séraphin, de peur d’une grosse colère. Une

entorse à la réglementation des douanes ! Importation illégale

d’animaux… Non, il fallait la jouer finement, et le mettre devant le fait

accompli le plus tard possible. Là, il s’écraserait. Comme toujours.

Les chats-huards

Valérie Tiergarten progressa vers l’avant, et ouvrit la porte de la

chambre présidentielle. Là, posée dans la salle de bain, se trouvait la cage.

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destinées à injecter toutes sortes de drogues utiles. Mais le jus de tomate

ne faisait pas recette, tous ces braves messieurs carburaient au whisky et

pas n’importe lequel. Elle allait avoir des surplus de jus de tomate, et

avoir des stocks excédentaires, elle n’aimait pas ça. Quant aux seringues,

elle commençait à désespérer de les utiliser, lorsque le ministre de la

Rééducation Vincent Paillard lui demanda une petite injection de son

héroïne préférée. Un peu de blanche, c’était bien la meilleure façon de

passer quelques heures d’ennui transatlantique. Et il fallait donner

l’exemple. Assis côte à côte, les écolos invités par le président n’hésitèrent

pas, eux-aussi, à demander une petite seringue. Même deux, en ce qui

concerne la Ministre du Logement, Cécile Duvent, et trois, en ce qui

concerne le député de la Gironde, Noël Maparendeux. Vincent Paillard

sourit. Il allait peut-être réussir à transformer l’Airbus présidentiel en

salle de shoot volante. Une première. Elle lui servirait dans ses

démonstrations vis-à-vis de l’opposition réactionnaire, ennemie du

progrès et du sens de l’Histoire. Et il pourrait en faire une « planche »

pour ses Frères, en Loge…

Assise sur le siège voisin de « Monsieur Vincent », la Ministre

Cobra Vella-Belcarène refusa néanmoins la seringue qu’il lui proposait

gentiment. Elle avait lu que c’était mauvais pour le teint, et elle tenait tout

particulièrement à sa bonne mine. Elle regarda les femecs avec envie. Elle

rêvait de les rejoindre un jour. Même son slogan était prêt : « Fuck

families».

Le Président Séraphin Porcinet semblait très content de

l’ambiance à bord, et Valérie lui demanda un nouveau baiser sur la

bouche. Puis, Séraphin prit son air facétieux et lui murmura à l’oreille.

« Tu as vu Camelot ? Je ne désespère pas de la voir s’inscrire chez les

Femecs. Elle aurait non seulement la place d’écrire ses slogans, mais en

31

seul journaliste n’avait pénétré. Grâce à sa mère. Elle pensa alors à ce qui

se passe souvent dans la nature : la mère éloigne les prédateurs de sa

portée en les attirant sur elle. A ses risques et périls. Il ne fallait donc pas

louper la phase deux qui devait se dérouler toute en finesse…

Ce fut la petite Alix qui s’avança en direction de la Première

Dame dès qu’elle eut posé un pied dans la petite salle. L’enfant

disparaissait quasiment sous les fleurs. Elle s’approcha de la compagne du

Président, fit une révérence, et lui tendit sa brassée odorante et colorée.

Valérie Tiergarten, sincèrement touchée, se pencha et embrassa la petite

de huit ans. Celle-ci lui rendit son baiser, et lui chuchota à l’oreille :

« Madame, j’aurais un service à vous demander, s’il vous plait… »

La Première Dame la regarda en souriant, et toujours penchée

vers elle, lui demanda : « Un service ? Que puis-je faire ? Tu es trop

mignonne…

— Madame (voix douce et timide), mes parents vont déménager en

France, et il va falloir me séparer de mes petits animaux. C’est trop dur, et

ils vont pleurer eux-aussi… »

Des petites larmes bien sincères coulaient sur les joues de la petite

Alix.

« Des animaux, demanda Valérie Tiergarten, quels petits

animaux ?

— Mes petits chats-huards, ils sont trop mignons… Ma grande

sœur va vous expliquer Madame… »

Apparemment, les sanglots de la petite fille l’empêchaient de

continuer…

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La Première Dame leva le nez, et vit alors arriver une toute jeune

fille, d’environ 14 ans, tout aussi adorable. Victoire fit une révérence, puis

embrassa elle-aussi la Première Dame. Un vrai baiser de Judas…

« Alors, quel est votre problème avec vos petits chats ?

— Ce sont des chats-huards, madame, une espèce autochtone

mais facile à domestiquer.

— Je n’en ai jamais entendu parler… Des huards ? Ne sont-ce

point des canards canadiens ?

— Si Madame. Mais le chat-huard, c’est autre chose. On les

appelle « huard » en raison de la forme allongée de leur museau.

Regardez les photos. Et là, j’ai tout un dossier sur cette variété rare…»

Victoire montra plusieurs photos d’Alix et elle, posant devant la

caisse de mouffettes. Ainsi que de belles impressions couleur du dossier

Wikipedia sur le chat-huard qu’elle lui donna.

« Ce sont nos chats-huards. Ils sont très sensibles, et meurent s’ils

sont séparés longtemps de leurs maîtres. Et les douanes ne veulent rien

entendre. Vous êtes notre dernière chance. Vous pouvez passer ces

animaux dans vos bagages présidentiels. Vous, et vous seule pouvez !

Vous êtes la Première Dame de France. Vous avez le pouvoir…

— Je peux sans doute. Il faut que j’en parle à Séraphin…

— Non, éclata alors Alix, en larmes, il ne voudra jamais. Il n’a que

faire de quelques petits chats et de petites filles. Il est trop occupé…

— Mais non… Mais vous avez raison, je n’ai pas besoin de lui

demander. Où sont-ils, ces petits chats-huards ?

— Dehors ! Sur le trottoir. Les policiers n’ont pas voulu les laisser

passer. Ils sont pourtant si mignons…

41

le nouveau timbre-poste standard, un portrait de Marianne qui s’inspirait

directement de l’Ukrainienne qui avait fondé cette secte activiste et

« féministe ». Sans doute en reconnaissance du type de féminité délicate

que les femecs semblaient promouvoir, et du respect pour tous les

Français, dans leur diversité, qu’elles manifestaient. Lui Président, il serait

le président du consensus. Et il le montrait bien.

Une toute jeune femme blonde remplissait donc les verres à

profusion et balançait des glaçons à la pelle dans les verres en cristal, tout

en lâchant quelques commentaires en un français maladroit prononcé

avec un net accent slave. Elle arborait, comme leur chef-hôtesse, un

pantalon moulant bleu ciel et un élégant foulard de soie bleu ciel

négligemment noué autour de son cou délicat. Mais à la différence de

Madame Camelot, entre les deux, entre le foulard et le pantalon, rien ! Elle

était torse nu, seins nus. Comme toute femec respectable et respectée par le

gouvernement porcinien français. Et comme toute femec, son torse

découvert et ses petits seins étaient garnis de slogans délicats inscrits au

feutre noir et épais : « Fuck church, fuck pope, piss christ » était-il écrit…

Tout un programme. Ouvert, tolérant et du meilleur goût. Sa copine, une

brunette occupée à servir un jus d’orange à la Garde des Sots, Christiane

Tobago, plus à l’arrière de la cabine, portait sur sa poitrine également

dévoilée une autre inscription tout aussi sympa : « Fuck France, Fuck the

French ». Net, clair et précis. Oui, Séraphin était admirable d’avoir choisi

ces deux ravissantes hôtesses, pensa Valérie. C’était moderne et si

sociétalement avancé. La cause des femmes était enfin en marche.

En tout cas, la chef-hôtesse Roselyne Camelot avait quelque souci

pour écouler ses stocks de jus de tomate. En personne consciente de la

santé de tous, elle n’aimait pas proposer de boissons alcoolisées. Et elle

avait même, sur son plateau, une bonne cinquantaine de seringues

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belle casquette préfectorale. C’est dire que c’était drôle. Et même Pierre

Lebon-Berger, grand homme d’affaires, spécialiste financier de la

délégation, humaniste officiel, magnat de la presse, chargé de la

Surveillance du quotidien Le Monstre, et donateur majeur de la

campagne électorale de Séraphin Porcinet, même lui, esquissa une amorce

de début de semblant de sourire… Il ne trouva pas la blague homophobe.

Peut-être un peu castorophobe, mais ce n’était pas vraiment son problème.

Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine,

quelle différence ? avait-il dit un jour. Alors pourquoi ne pas sucer la queue

des castors ? C’est ça le relativisme bien-pensant et moderne de

l’oligarchie libérale-libertaire.

Un autre éclat de rire d’une voix grave et chaude fit retourner la

Première Dame : elle leva la tête et reconnut Roselyne Camelot, ex-

ministre de la Santé du prédécesseur et adversaire honni de Séraphin

Porcinet. Le président l’avait recrutée comme chef hôtesse de l’air, dans

un esprit d’ouverture politique au Centre, et dans le but de la remercier

pour les innombrables services qu’elle avait rendu depuis longtemps à la

Gauche porcinienne. Roselyne arborait son éternel sourire largement cerclé

de rouge à lèvres vif et gras. Le premier à qui elle faisait un bisou ne

pouvait guère le cacher longtemps, et c’était durable...

Suivie par une autre hôtesse, elle poussait un chariot de boissons

comme si elle avait fait ça toute sa vie. Valérie Tiergarten sourit

franchement. Encore une idée de Séraphin. Quel homme intelligent ! Et de

bon goût !

Pour aider Roselyne dans son rôle d’hôtesse, il avait recruté deux

ravissantes femecs. Car Séraphin, c’était incontestable, aimait beaucoup les

femecs, et il avait raison. Il venait même de choisir, comme graphisme pour

33

— Ils n’ont pas de cœur, ces policiers. Et bien je vais les faire

chercher, vos petits minous. Et ils iront direct dans notre gros avion

présidentiel. Je vais bien m’en occuper jusqu’à Paris.

— O Merci Madame, reprit Victoire, en sautant au cou de Valérie.

Et surtout, cachez les bien. Mais une fois en vol, laissez les sortir. C’est très

propre, et ils doivent vraiment souffrir de leur enfermement. Vous pouvez

les faire courir partout, et les présenter au Président, aux ministres… A

tous les gens importants. Ils trouveront ça mignon et ils voudront les

caresser. Ils ne seront pas déçus.

— D’accord, et à Paris, vous viendrez me contacter à l’Elysée

pour les récupérer.

— Vous pouvez compter sur nous, madame, affirma Victoire.

— Et encore merci madame, s’exclamèrent en cœur Victoire et

Alix.

— Et puis, ajouta Victoire, vous savez, ce qui est mignon avec ces

petits chats, c’est lorsqu’ils lèvent la queue. Cela signifie qu’ils sont

contents. Il ne faut surtout pas bouger, et même se pencher un peu vers

eux. Vous verrez, c’est adorable.

— Je vais envoyer un de mes majordomes chercher ces petites

bêtes tout de suite. Elles iront tout droit dans la chambre présidentielle à

l’avant de l’avion. »

En arrière, Marie approuva. Les petites avaient été géniales et

avaient parfaitement récité le texte qu’elle avait préparé et qu’elle leur

avaient fait apprendre. Elles n’avaient même pas utilisé le plan B, à savoir

appeler leur grande sœur à la rescousse pour les explications scientifiques.

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Elle stoppa l’enregistrement vidéo de la scène sur son cellulaire et envoya

un bref SMS à son frère.

«Parfum de femme. C’est le signal, clama Pierre. Phase trois !»

Aussitôt, Henri et son fils quittèrent leur stationnement,

tournèrent à l’angle de l’avenue McGill College, arrêtèrent leur voiture à

deux pas du consulat, enfilèrent des gants afin de ne pas laisser

d’empreintes sur la cage, et la déchargèrent sur le trottoir recouverte

d’une couverture légère.

Puis Henri continua sa marche, l’air de rien, tandis que Pierre

redémarrait et faisait le tour du quartier.

Henri Vercors vit bientôt arriver deux fonctionnaires conduits par

Victoire et Alix qui s’éclipsèrent rapidement. Les hommes se penchèrent,

attrapèrent la cage et l’emportèrent vers le consulat tandis qu’Henri les

filmait discrètement. Marie qui sortait à son tour les entendit dire : « Il

paraît que ce sont des chats. Des chats spéciaux. Mais ça ressemble quand

même à des mouffettes… Mais les ordres sont les ordres. Faut ranger ça

dans la chambre présidentielle de l’A330. Je ne sais pas si Pépère va

apprécier…»

Un sourire de triomphe parcourut le visage de Marie. Elle vit

alors sa mère sortir menottée et encadrée par deux policiers. Elle

continuait à tituber comme une authentique ivrogne. Elle se rappela la

scène de Saint Pierre rencontrant le Christ conduit au tribunal. Pauvre

Maman ! Et il fallait qu’elle l’ignore ! Qu’elle la renie ! Elle eut le cœur

chaviré.

Mais pas autant qu’Henri, lorsqu’il aperçut sa femme ainsi forcée

d’embarquer dans une voiture bicolore de la police. On lui appuya même

sur la tête ! Comme dans les films ! Il regretta de ne pas s’être dévoué à sa

39

Le Chef de l’Etat semblait même être d’humeur grivoise.

« Devinez pourquoi les castors ont la queue plate, lança-t-il à la

cantonade ?

— Je ne sais pas trop… Peut-être pour mieux s’appuyer lorsqu’ils

travaillent le bois, suggéra Valérie…

— Pour battre leur femme, avança Vincent Paillard, ministre de

l’Education et grand spécialiste du Gender… (il reçut un coup de coude

de sa voisine, Cobra Vella-Belcarène, porte-parole du gouvernement et

ministre du conditionnement des femmes).

— Pour servir d’éoliennes, proposèrent avec un bel ensemble,

Cécile Duvent et Noël Maparendeux, les deux écolos de service.

— Pour matraquer les voisins, suggéra alors Manuel Iznogaz, le

bien-aimé ministre de toutes les Polices.

— Vous n’y êtes pas, reprit Séraphin Porcinet, content de son

effet, ils ont la queue plate parce que ce sont les canards qui leur sucent la queue !

Elle est drôle, n’est-ce pas, mon bon Manuel ?

— Oui, Monsieur le Président normal de tous les Français, c’est

une blague normalement drôle », répondit le vil, l’infâme et ignoble

ministre de toutes les Polices, tout en serrant les dents de jalousie et de

rancœur. En fait, Manuel Iznogaz pensait que la blague était franchement

nulle, car il l’avait déjà entendue dix fois. Et que lorsqu’il serait président

à la place du président, lui président, il ferait des blagues bien meilleures.

Un jour, il serait président à la place du président.

N’empêche qu’un gros éclat de rire parcourut les sièges

avoisinants. Même le Préfet de Police de Paris, assis aux côtés de son

ministre de tutelle, se mit à glousser discrètement tout en caressant sa

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dessus de l’autoroute Côte de Liesse, puis s’inclina, effectua un virage sur

la droite, se stabilisa, et prit un cap est-nord-est. Longeant la rive sud du

Saint-Laurent, il offrit à ses passagers une vision panoramique sur la ville.

D’abord le centre des affaires et ses élégants buildings modernes, puis le

verdoyant Mont Royal, le dôme de l’Oratoire Saint-Joseph… Et les

immenses quartiers périphériques avec leurs petites maisons et leurs

nombreuses piscines. Prenant de l’altitude, l’A330 traversa une mince

couche nuageuse, puis le cours argenté du Saint-Laurent réapparut au

soleil éclatant de ce début d’après-midi. Car bien que la plupart des vols

transatlantiques vers l’Europe fussent des vols de nuit, il avait été décidé à

la dernière minute que le vol présidentiel serait avancé de plusieurs

heures. Il était en effet venu aux « grandes oreilles » de la DCRI4, qu’un

« comité d’accueil » de manifestants était prévu à Orly, au petit matin, à

l’heure officielle d’arrivée du Président. Ceci afin d’éviter à celui-ci le

traumatisant spectacle de manifestants réclamant qu’il « dégage », tout en

agitant les célèbres et fascisants petits drapeaux roses représentant un

papa, une maman, et deux enfants se donnant la main, et afin qu’il

continuât à être persuadé que tous les Français l’appelaient « Séraphin le

Bien-aimé ».

A bord régnait une ambiance plutôt détendue. La mission

d’étude était terminée, et tous étaient à peu près convaincus que la

politique appliquée au Canada ne devait surtout pas être appliquée en

France. Notre pays est tout de même un pays bien plus complexe… « On

ne va pas copier ce qui s’applique dans le Grand Nord, avait affirmé

péremptoirement le Président. Nous ne sommes pas des pingouins !»

(Éclat de rire, partagé par la plupart des ministres…)

4 Ex « Renseignements Généraux »

35

place, même s’il était sûr qu’il aurait été moins convainquant et surtout

moins attractif. Eglantine lui lança alors un clin d’œil, et cela le rassura.

Une fois la voiture de police partie, il demanda à un factionnaire :

« Qu’est-ce qu’elle a fait, cette… femme ?

— Un peu trop de breuvage… Et un peu trop de cirque au

consulat de France. Une vraie charrue3 qui a pris une bonne brosse. Elle va se

déniaiser au poste, puis on la relâchera. Son mari devrait un peu mieux la

surveiller… J’espère qu’elle n’a pas d’enfants ! Quel exemple !»

Le pauvre Henri en avait les larmes aux yeux.

Une fois tout le monde dans la voiture, les trois filles se jetèrent

dans les bras de leur père et de leur frère.

Un peu plus tard, dans la soirée, ils virent arriver Eglantine, tout

sourire. Elle fut couverte de baisers.

« Alors, clamèrent-ils tous ?

— Même pas une amende, dit-elle doucement. Pour cette fois

bien sûr. Ne recommencez pas ! Une bonne leçon de morale destinée à une

honorable mère de quatre enfants, un peu dévoyée et imbibée.

Vérification d’identité. Et plutôt un grand respect du… client. J’ai bien

mieux été traitée chez la Gendarmerie Royale du Canada, en fait, la

fameuse « Police Montée », que ma fille et mon fils dans les culs de basse-

fosse de Manuel Iznogaz et de ses flics à bavure. Pourtant, moi, je suis

vraiment coupable de quelque chose. Le plus dur a été de faire semblant

de dessaouler. Trop rapidement eut été louche. Et puis, il faut le dire, un

esclandre contre le président français est plutôt distrayant pour les

Québécois. Il y a une certaine arrogance bien « maudits français » qu’ils ne

3 En argot canadien : femme de mauvaise vie

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supportent pas. Et notre président n’est pas vraiment aimé dans ce pays.

Son incompétence est dure à cacher… La presse joue son rôle, ici. Les

Québécois aimeraient bien que la France puisse se redresser. Et ils ont

bien compris que c’est mal parti avec l’équipe actuelle au pouvoir.

En tout cas, poursuivit Eglantine, j’ai bénéficié de toutes les

attentions des journalistes. J’espère que ma mère ne regardera pas le

Journal télévisé ce soir.

— Pas de souci affirma Henri. En France, les JT ne diffusent

jamais les images qui peuvent laisser supposer que Séraphin Porcinet ne

soit pas le Bien-Aimé des Français. Tous des faux-jetons ! Tes images

seront censurées. Mais il n’y en a pas eu des enfants, et c’est bien.

— Mais racontez-moi les phases deux et trois, reprit alors son

épouse ! Valérie a pris nos bébés ? Racontez vite, car je voudrais vraiment

aller me changer et prendre une douche. Je ne supporte plus cette odeur

de bière.»

Les enfants lui firent donc un compte rendu détaillé et

circonstancié.

« Vous avez été extraordinaires, conclut Eglantine. Je suis fière de

vous.

— Pourvu que ça marche, émit Henri…

— Cela marchera, répondit Marie. A la famille Fleur de jouer !

— Ce qui est horrible, c’est ne pas savoir ce qui va se passer, se

plaignit Victoire.

— On le saura, affirma Marie, avec un air énigmatique. Je ne peux

rien vous dire pour le moment. Mais on le saura. Promis !»

Et tous les membres de la famille Vercors se levèrent d’un coup,

se serrèrent la main et s’écrièrent comme des mousquetaires :

« On ne lâche rien ! Jamais, Jamais, Jamais ! »

37

Chapitre II - Les bouffons

Un vol « normal »

« Pierre Eliott Trudeau à COTAM triple-zéro-un, autorisation de décoller… »

L’A330-200 présidentiel F-FARF commença à prendre son élan sur le

tarmac de l’Aéroport International P.E. Trudeau de Montréal. Le gros

fuseau aux grandes ailes souples de soixante mètres d’envergure souleva

bientôt son nez, puis presque avec élégance, s’arracha du sol canadien à

pleine puissance de ses deux gros moteurs General Electric.

Confortablement assise à côté de son présidentiel compagnon lui ayant

galamment cédé la place près du hublot, Valérie Tiergarten contemplait

distraitement le paysage avoisinant, tout en se demandant comment ses

petits chats-huards enfermés dans leur cage supporteraient le décollage. Un

léger choc marqua la rentrée des trains d’atterrissage. L’appareil passa au-

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Le commandant les rejoignit et se présenta devant le président de

la République. Il avait déjà constaté les dégâts et organisé la chasse aux

mouffettes afin de les isoler quelque part. Un certain nombre de gardes du

corps étaient en pleine activité, non sans difficulté d’ailleurs, car les

mouffettes ne semblaient pas enclines à baisser la queue… Mais il assura à

Cécile Duvent que l’intégrité corporelle des mouffettes ne serait pas

menacée.

« Commandant, dit alors le Président de la République, nous ne

pouvons rester dans cette ambiance infecte. Et nous n’avons plus de jus de

tomate. Retournons à Montréal.

— Nous sommes déjà loin, Monsieur le Président. Je vous

proposerais de prendre les masques à oxygène et cela vous permettra

d’attendre dans de meilleures conditions. Et vous pourrez vous nettoyer à

l’arrivée à Orly.

— Je ne le souhaite pas. Les journalistes nous attendent. Il faut

nous nettoyer avant. Retournons à Montréal. Moi président, je ne peux

pas arriver en France dans cet état. Sans parler de l’odeur insupportable.

Nous puons comme pas possible.

— J’ai peut-être une meilleure solution, proposa alors le

commandant. Nous passons actuellement au Sud de Terre-Neuve. Il est

possible d’arriver en une demi-heure à l’aéroport international de Gander.

Il n’y aura aucun problème pour poser un A330. Et c’est un endroit

discret, loin de tout. La dernière fois qu’on a parlé de cet aéroport, c’était

le 11 septembre 2001. Il servait d’escale d’urgence et de « quarantaine »

pour tous les avions encore en vol après l’interdiction de l’espace aérien

américain. Vous n’y rencontrerez personne.

51

gardant ses fesses le loin plus possible des dames… Vous ne sentez pas

bien bon…

— Vous en voulez, vous aussi ? Des mouffettes, ce sont des

mouffettes ! »

Et la malheureuse Roselyne se pencha alors pour vomir dans un

coin du couloir. Ce qui est très inhabituel pour une chef-hôtesse.

Manuel Iznogaz fit alors volte-face, toujours avec la seringue

plantée dans son pantalon.

« Préfet, il doit y avoir des terroristes dans cette chambre. Il faut

intervenir. Intervenez !

— Euh ! Monsieur le Ministre. Peut-être pourrions-nous appeler

un agent de sécurité ?

— Tout de suite !

— Oui, Monsieur le Ministre. »

La mort dans l’âme, et mu par un inexpiable sens du devoir, le

Préfet de Police de Paris ouvrit la porte de la chambre et entra. Devant lui,

six petites bêtes restaient alignées sur le grand lit présidentiel.

Il se retourna vers Manuel Iznogaz qui venait de retirer sa

seringue, et lui dit : « Il doit y avoir deux animaux… »

Manuel Iznogaz posa la seringue sur un guéridon, s’approcha et

entra à son tour. Il compta six animaux.

« Dites, Préfet, votre habitude de diviser les chiffres au moins par

trois, sinon plus, épargnez-moi ça, je vous prie. Pas à moi. Un peu de

discernement…

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— Je vous prie de m’excuser, Monsieur le Ministre. Je respecte

soigneusement vos consignes, et l’arrondi vers le bas, c’est devenu une

habitude.

— D’accord, donc, nous voilà face à quoi… ?

— Des mouffettes, Monsieur le Ministre. Ce doit être des

mouffettes.

— Et qu’est-ce qu’elles font là, ces mouffettes ?

— Je ne sais pas !

— Sont-elles de Droite ou de Gauche ?

— Je ne sais pas non plus !

— Alors que font vos services de Renseignement ? Pourquoi on

les paie ? Et pourquoi je vous paie ? Et ce sont des mouffettes qui font

trembler la République ? Bien alignées comme ça, elles me font d’ailleurs

penser à un barrage de vos CRS, Monsieur le Préfet. Mais ce ne sont pas

des CRS, donc vous m’en débarrassez tout de suite. Compris ?»

Fleur et sa famille restaient sur le pied de guerre. Les deux

femmes étaient parties en pleurant. Et voilà qu’apparaissaient deux

hommes qui n’avaient vraiment pas la mine sympathique, surtout le petit

maigrelet fort en gueule et aux gros sourcils bien noirs.

« Queues en l’air, siffla le chef de famille mouffette. Trois pour

un. Comme les autres. Même gisement, même hausse, même

portée. Charge maximum. En joue !»

Pssshhhhiiiitttt!Pssshhhhiiiitttt ! Pssshhhhiiiitttt !

Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !Pssshhhhiiiitttt !

77

C’est alors que Séraphin Porcinet demanda à la chef-hôtesse de

venir le voir.

« J’ai pris ma décision, dit-il…

— A la bonne heure, répondit Roselyne.

— Appelez-moi le Commandant de bord… »

Détournement

Roselyne Camelot appela le poste de pilotage par l’intercom et fit

part au Commandant de bord que le Président de la République

souhaitait le voir. Cependant, avant même que le commandant François

Léger ne puisse se présenter au président, quelqu’un frappa à la porte de

la chambre de celui-ci.

« Entrez, dit le président tout en faisant l’effort de se mettre

debout. » Question de dignité…

C’était la ministre écologiste Cécile Duvent. Elle affichait un air

scandalisée, enfin dans la mesure où il était possible de voir son air,

puisqu’elle gardait en permanence un mouchoir sur le nez.

« Monsieur le Président, dit la Ministre, je suis scandalisée par la

manière dont les hommes de votre service de sécurité traquent les

mouffettes. Les pauvres bêtes vont être stressées. Ce n’est pas bien.

— Ecoutez, Madame Duvent, on fait ce qu’on peut, les

mouffettes, elles commencent à m’ les briser menues, et j’ai plus important à

faire … »

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pas qui avait introduit les mouffettes dans l’Airbus présidentiel, mais

c’était vraiment une riche idée qu’elle se reprochait même de ne pas avoir

eue. Une récolte en or, ces vidéos ! Il fallait bien faire attention de ne rien

perdre. Les blogs qui se chargeraient de leur diffusion allaient tripler leur

audience. Elle remit la caméra en service, ajusta collier, enregistreur et

foulard, et sortit dans la cabine avec sa boîte de seringues. Toujours en

larmes…

Elle jeta encore un dernier regard sur les corps endormis de

Manuel Iznogaz et du Préfet de Police de Paris. Incroyable ! Ces types qui

s’étaient toujours ridiculisés en envoyant des centaines de CRS contre les

inoffensifs Veilleurs, alors que les banlieues étaient à feu et à sang, des

types qu’elle jugeait hystériques, elle les voyait là, calmés… Bien sages. Et

l’air bien bête, avec leurs seringues plantées comme des bougies

d’anniversaire dans le popotin. Non, c’était trop drôle.

Une fois son fou rire calmé, enfin presque, elle retourna près de

Roselyne prendre les ordres. Celle-ci lui demanda très sérieusement de

bien vouloir ôter les seringues des derrières du Ministère de l’Intérieur.

Jamais Caroline n’aurait imaginé se trouver un jour dans cette

position : poitrine dénudée, à genoux devant les fesses du Préfet de Police

de Paris et du Ministre de l’Intérieur, occupée à cueillir des seringues

comme l’on cueille des marguerites sur une plate-bande. Avec délicatesse.

Tout en retirant les aiguilles du premier, elle fredonna l’air de Maxime Le

Forestier : «Ce soir à la brune, Nous irons ma brune, Cueillir des serments… ».

Puis, elle passa à la Berceuse Cosaque pour le second…

Doucement s'endort la terre, Dans le soir tombant

Ferme vite tes paupières, Dors petit ministre…

53

L’épouvantable jet d’urine nauséabonde surprit les deux

hommes. Après quelques instants de stupeur humide, ils tournèrent les

talons et partirent en courant dans le couloir.

« Mais vous puez comme pas possible, Monsieur le Ministre !

— Je vous en prie, Préfet ! Il nous faut du renfort. »

« C’est le moment siffla Fleur la mouffette ! Ennemi en déroute !

On fonce et on quitte cette tabarnak de prison.

— Fleur, votre langage !

— Oui mon amour ! »

Et les six petits animaux noirs et blancs se ruèrent vers la sortie,

filèrent entre les jambes des deux hommes, puis entre celles des deux

femmes. Dans le couloir, ils tombèrent face à un autre homme. Il s’agissait

de Harem Plaisir, le sémillant Premier Secrétaire du Parti porcinien. Vous

savez, le brave homme qui affirme sans rire qu’il faut toujours écouter le

peuple. Plus précisément, ce que dit la moitié du peuple. L’autre moitié

est un sous-peuple, qu’il est indécent d’écouter. Ce grand négociateur n’eut

pas le temps de négocier, et il reçut au moins deux jets d’urine en pleine

poire. Il tourna casaque et entra en hurlant dans la cabine principale :

« Des nervis, des nervis, nous sommes attaqués par des nervis,

des fascistes, des racistes, des antisémites, des populistes, des

islamophobes et des homophobes. L’extrême-droite est parmi nous. Et ça

pue, ce sont donc aussi des catholiques !!!»

Il avait sans doute entendu parler que certains catholiques sont

dits « mourir en odeur de sainteté ». Ce qui explique sans doute cette

remarque venant d’une personne qui n’y connaît pas grand-chose…

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Il faillit trébucher et s’écrouler par terre, tandis que les six

mouffettes catholiques le dépassaient en bondissant. Celles-ci grimpèrent

sur les sièges et se mirent à sauter par-dessus les dossiers. Ce fut un

désordre indescriptible et un joli ballet de queues noires à rayures

blanches. Des catholiques en pleine forme, sans doute arrivés tout droit

des JMJ (Journées des Mouffettes Joueuses).

Le petit Rose atterrit tout droit sur le chariot des boissons en

renversant les bouteilles. La femec qui le poussait lâcha son verre en

émettant un cri de surprise. Cela fit peur à la petite mouffette qui souleva

la queue et vida son chargeur.

Pssssshhhhhiiiiiitttttt !

Hurlement de la malheureuse jeune femme. D’habitude, c’était

elle, Iouliana, qui aspergeait courageusement l’ennemi, en général les

catholiques, les orthodoxes, les poussettes, les landaus... Mais là, ça puait,

et elle en avait partout, et ça dégoulinait sur sa poitrine dépoitraillée…

« Mais vous puez comme pas possible, gémit Vincent Paillard, un peu

groggy… » Il avait du mal à émerger de l’univers narcotique de son

prototype de salle de shoot volante.

La bordée d’injures en ukrainien qu’il reçut est proprement

intraduisible… Même par un Ministre de la Rééducation Nationale fort

cultivé. Mais cela le réveilla.

L’eût-il voulu, il n’aurait d’ailleurs pas eu le temps de traduire.

Muguet venait d’arriver sur le sommet du dossier précédant son siège. Le

Ministre écarta les yeux à la vue de cette petite boule de fourrure noire et

blanche dont les petits yeux malicieux le fixaient à quelques centimètres

de son visage.

75

le dos. Ou plus précisément, sur les fesses, là où il appuya fermement sur

les pistons des seringues.

« HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! »

Cri de douleur du pauvre Préfet de Police de Paris, qui s’effondra

à son tour dans l’allée. Sa belle casquette aux liserés dorés roula sur vingt

centimètres. Pauvre République !

« Nous voilà bien ! constata Roselyne Camelot. Un ministre qui

administre une piqûre. Plus de Ministre de la Police, et plus de Préfet de

Police. Quel désordre ! Qu’allons-nous devenir ?

Bon, ils se réveilleront, continua l’indéfectible boute-en-train de

sa voix à la fois chaude et un peu perchée. Allez ! Qui prend la suite ? J’ai

encore des piqûres à l’infirmerie. Beaucoup de piqûres. Pas de jus de

tomate, mais des piqûres. Allez Caroline, pouvez-vous me trouver une

autre caisse ?»

La jeune femec ne se fit pas prier. Elle se sauva à l’infirmerie.

C’était trop dur de se retenir. Elle se mit à rire aux larmes. C’était

vraiment trop drôle ! Penser que les deux pitres qui avaient tant fait les

durs contre toute une partie du peuple français, étaient maintenant devant

ses yeux, allongés dans l’allée centrale de l’Airbus avec tout un bouquet

de seringues leur sortant des fesses. Surréaliste ! Sans parler des malheurs

du pauvre Porcinet. Elle ôta délicatement la micro-caméra logée dans son

gros collier fantaisie, débrancha l’enregistreur caché dans son foulard de

soie. Elle sortit son cellulaire, brancha un câble, et visionna rapidement

quelques vidéos. Super ! Cela lui arracha une nouvelle crise de fou rire.

Les rasades des mouffettes, les piqûres de Roselyne, tout y était. Les

hommes les plus puissants et les plus nuls de France étaient filmés dans le

ridicule le plus absolu. Ce qui ne les changeait pas tellement. Elle ne savait

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sur l’autre, la boîte de carton s’aplatit complètement. Les pistons

s’enfoncèrent donc également avec un bel ensemble.

« HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! »

Le hurlement du malheureux ministre de l’Intérieur s’entendit

jusqu’à la chambre présidentielle pourtant située tout à l’avant, où

Séraphin Porcinet comprit qu’il n’aurait sans doute pas à rester seul bien

longtemps en son lit de douleur.

Mais ce n’était pas fini. En s’écroulant, Manuel Iznogaz avait

essayé de se retenir à une main secourable tendue par le Préfet de Police,

toujours prêt à rendre service, car c’est dans sa nature, mais qu’il entraîna

fortuitement dans sa chute. Le malheureux Préfet de Police ne put donc

s’empêcher de s’effondrer lui-aussi sur le siège suivant. Là où Caroline

avait malencontreusement déposé l’autre carton de seringues. Aiguilles en

l’air. Hélas !

« HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! »

Lui-aussi se retrouva donc avec toutes les aiguilles plantées dans

le derrière. Mais il fut chanceux, car les pistons ne s’enfoncèrent pas, le

double fond de la boîte ayant résisté. Il hurla néanmoins, et se releva. Il

s’engagea en titubant dans l’allée pour rejoindre l’infirmerie.

Hélas ! Trois fois hélas ! La chance préfectorale ne dura pas

longtemps. Roselyne, toujours active, telle une jeannette, s’était relevée et

tentait de remettre Manuel debout. Mais une fois à peu près à la verticale

et oscillant au milieu de l’allée, le Ministre de l’Intérieur perdit

complètement connaissance, tomba à genoux, et s’effondra juste sur le

chariot des hôtesses. Ce mouvement imprima une brusque impulsion à

l’engin qui roula sur un mètre cinquante et heurta le Préfet de Police dans

55

Pssssshhhhhiiiiiitttttt !

Là, « Monsieur Vincent » fut complètement réveillé. Il en aura à

raconter à ses « Frères » de Loge !… Après un bon bain de jus de tomate…

Encore une bonne « planche » en perspective.

Pssssshhhhhiiiiiitttttt !

Sa complice Cobra Vella-Belcarène en reçut autant. Une longue

rasade bien appuyée qui coupa la parole à la porte-parole du

gouvernement. Mais là, c’était Marguerite en personne qui était l’auteur

du délit. C’était comme si la maman mouffette avait compris que si cette

femme représentait le Beau, elle ne représentait certainement pas le Bien,

ni le Bon. Surtout pas pour les familles. Or, selon la Loi Naturelle, Bon,

Beau et Bien doivent aller de pair. Et sa famille mouffette, Marguerite y

tenait plus que tout. Donc, pas de pitié pour cette humaine si peu

naturelle ! Pssssshhhhhiiiiiitttttt !

Ce que c’est, que l’intuition féminine ! Même chez les mouffettes.

Les deux écolos, Cécile Duvent et Noël Maparendeux levèrent le

nez afin de voir ce qui se passait. Grand mal leur en prit. Eux-aussi

avaient quelque difficulté à sortir de leurs brumes, et ils furent assez

surpris de se retrouver avec Coquelicot atterrissant sur leurs genoux…

Une Coquelicot qui n’avait rien de transgénique. A part peut-être le cercle

rouge sur le sommet de la tête.

Cécile émit un cri strident, tandis que Noël poussa un juron tout à

fait grossier, bien dans son genre. Il en poussa un autre lorsqu’il sentit le

jet d’urine corrosif lui inonder les moustaches.

Pssssshhhhhiiiiiitttttt !

Pssssshhhhhiiiiiitttttt !

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56

A son tour, Cécile en reçut une giclée en plein dans son célèbre

décolleté. Elle hurla et se précipita vers l’issue de secours.

« De l’air frais, de l’air frais ! Il faut de l’air frais ! Vite, les

fenêtres ! »

Elle était un peu à côté de la plaque. Elle se précipita vers une

issue de secours. Il fallut les efforts titubants de Noël Maparendeux, ainsi

que l’intervention énergique de Roselyne Camelot pour la dissuader

d’aérer l’Airbus en grand. Puis, elle alla se rasseoir, en pleurant et en

essayant de s’essuyer.

L’odeur était épouvantable et commençait à se répandre par

vagues dans la cabine de l’A330 COTAM triple-zéro-un présidentiel qui

survolait le Nouveau-Brunswick à 11000 mètres d’altitude.

Pendant ce temps-là, le Président de la République, Séraphin

Porcinet, dormait paisiblement. Le tintamarre réveilla cependant son

Excellence. A moins que ce ne soient les premiers effluves de parfum. A ce

moment-là, il sentit un frôlement et un petit choc sur les genoux.

Outrage

Le Président de la République Séraphin Porcinet ouvrit les yeux

et regarda avec étonnement le petit animal à la fourrure soyeuse noire et

blanche et à la belle queue en panache.

« Tiens, une mouffette, dit-il. Oui, ce doit être une mouffette7.

Qu’est-ce qu’elle fait là ? Dans mon avion ?» Puis, il réalisa… Une

7 C’est un homme cultivé, il connaît les mouffettes.

73

« Madame, je compte bien désinfecter un maximum d’entre nous,

mais vous êtes maintenant prioritaire. »

Christiane se laissa faire, tout en frémissant à la vue de l’énorme

seringue que brandissait l’ex-ministre de la Santé. « Vous y mettez la dose,

remarqua-t-elle en considérant la taille de la seringue, et en tremblant…

— Oui, oui, oui, répondit Roselyne sans se départir de son ton

enjoué et de sa voix chaleureuse. Toujours. Je fais le contraire de votre

Préfet de Police. Je multiplie tout par cinq, voire dix. Principe de

précaution. La santé vaut toutes les souffrances. »

Debout, appuyée des deux mains contre le hublot, résignée,

Christiane se mit en position, offrant son auguste postérieur ministériel

aux bienfaits de la médecine. Comment la Chancellerie allait-elle réagir?

Lorsque l’aiguille de dix centimètres lui pénétra la peau, et que le

quart-de-litre de solution envahit brusquement ses tissus, la pauvre

Christiane hurla de douleur, et donna un coup de pied désespéré en

arrière. Touchée au bassin par la ruade imprévue de la Garde des Sots,

Roselyne fut alors déséquilibrée et bascula vers l’allée.

L’ennui, c’est qu’après s’être faufilé entre le chariot et les sièges,

Manuel Iznogaz passait à ce moment précis juste derrière elle, suivi de

près par le Préfet de Police de Paris. Il se dépêchait, en effet, d’aller

prendre les ordres du Président de la République. Même s’il détestait.

Roselyne Camelot lui tomba dessus à la renverse et de tout son poids. Le

pauvre Manuel, bien plus frêle, bascula à son tour en arrière, et il s’écrasa

sur la boîte de seringues prêtes à l’emploi et aiguilles en l’air, que Caroline

avait déposée sur le siège en vis-à-vis, de l’autre côté de l’allée.

Les aiguilles de dix centimètres lui pénétrèrent dans les deux

fesses d’un seul coup. Et sous le poids des deux personnes affalées l’une

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72

« Monsieur le Président nous n’avons plus de jus de tomate,

annonça Roselyne d’un ton lugubre. Et tout le monde m’en réclame. Pour

une fois. Il va nous falloir attendre d’arriver à Paris pour pouvoir nous

nettoyer.

— Pas question, c’est trop pénible. De plus, ajouta le président,

avec vos satanées piqûres, je suis dans l’incapacité de m’asseoir. J’ai les

fesses en feu. Et il nous faut nous débarrasser d’urgence de cette puanteur.

— Oui, mais… la plus belle fille du monde, même moi, je ne peux

pas le pondre, le jus de tomate. Si ça ne vous ennuie pas, je dois m’occuper

de tous vos passagers.

— Bon, je vais réfléchir.

— C’est ça… Réfléchissez…»

Roselyne Camelot lui conseilla cependant d’aller s’installer à plat

ventre sur le grand lit de sa chambre présidentielle, puis continua à

prendre les choses en main à bord de l’Airbus.

« Bon, dit-elle d’un air enjoué aux différents passagers. Nous

n’avons plus de jus de tomate, mais j’ai de quoi vous prémunir contre tous

les mauvais virus et infections possibles. J’ai tout là-dedans : coqueluche,

grippes aviaires et porcines, hépatites A, B, C, D, E, F, variole, syphilis,

grippe normale, tuberculose, oreillons, rougeole, varicelle, tétanos, fièvre

jaune, j’en passe et des meilleures. Et bien entendu, les antibiotiques les

plus puissants du monde. Allez, allez, tout le monde à la queue leu leu.

Mamie Roselyne va s’occuper de vous. »

Devant le peu d’enthousiasme des passagers, elle s’adressa alors

au Garde des Sots, Christiane Tobago pour lui faire remarquer qu’il était

urgent de soigner sa petite morsure de mouffette à l’oreille.

57

mouffette ? Mais, mais… Ce n’est pas normal, ça. C’est dangereux, ça. Je

n’aime que ce qui est normal. Alors il hurla : « A moi la Gaaarde! »

Un des gardes du corps qui s’était déjà levé de son siège, et s’était

avancé en raison des hurlements, se trouva face à une autre mouffette

surgie dans l’allée centrale. Violette n’attendit pas et projeta son fluide

puant sur le factionnaire à cinq mètres de distance. Pssssshhhhiiiiiiitttt !

Quant à Fleur, qui se trouvait encore sur les genoux du président,

il sauta sur le dossier du siège et leva la queue.

« Non, supplia Séraphin Porcinet, qui avait compris ce qui allait

se passer. Non ! Moi, président, pas ça ! Non ! Gentille mouffette… Non !

Non ! Gentille ! Pas ça ! Non ! NON ! NOOOOOON !

HAAAAAAA ! »

Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !

Fleur ne manquait jamais sa cible, mais là, il se surpassa. Dans un

vaste mouvement de balayage de haut en bas, il aspergea le président des

yeux aux genoux, jusque dans la bouche. Copieusement. Le plus absolu

des outrages à Président. Celui-ci crut défaillir sous l’odeur épouvantable

et se mit aussitôt à vomir dans le petit sac « en cas de … ». Il hurla, tant

l’odeur le prenait à la gorge. Il s’interdisait de respirer. C’était affreux. Il

se leva en glapissant et marcha sur la queue de Marguerite. Erreur fatale !

La mouffette ne le loupa pas, et le Premier Magistrat de France reçut une

nouvelle rasade de liquide puant.

Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !

Après celle du papa, celle de la maman. Ce n’était que justice. Il

ne manquait plus que les enfants ! Sur fond de drapeau rose.

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Il avança en titubant dans la coursive. Il fallait trouver un moyen

de respirer… C’était trop horrible ! Même quand il n’était pas en France, il

ne lui arrivait que des tuiles… Le lendemain de son élection, son avion

avait été frappé par la foudre. Et maintenant, envahi par des mouffettes.

Mais qu’est qu’il avait fait au bon Dieu ?

Dire qu’il en était encore à se poser la question…

Valérie Tiergarten s’approcha de lui. Elle se tenait le nez dans un

mouchoir et n’avait pas l’air bien. Elle huma un peu l’arôme de son

compagnon, et lui dit doucement : « Séraphin, vous puez comme pas

possible…

— Vous aussi mon amie… »

Sur cet échange d’amabilités, il chercha à en savoir un peu plus

sur ce qui se passait.

Plusieurs rangées vers l’arrière, la seconde femec-hôtesse de l’air

contemplait la scène avec beaucoup d’attention et de calme. Non sans

commencer à se pincer le nez…

« Que se passe-t-il, lui demanda alors la ministre Christiane

Tobago alors qu’elle repassait devant son siège avec son chariot…

— Et bien… Je crois que je vais rapidement écouler mon jus de

tomate. Nous sommes envahis par des mouffettes.

— Des quoi ?

— Des mouffettes… Vous savez, des sconses. Ils vous envoient

un truc qui pue comme pas possible.

— Des mouffettes ? Mais pourquoi des mouffettes ? Que font des

mouffettes dans notre avion ?

71

Lui aussi, était passé par la case mouffette et enfouissait son nez

dans un grand mouchoir. Même sa valise puait.

« Dans un quart d’heure, estima la chef-hôtesse. Au pire une

demi-heure.

— C’est trop, dit l’attaché. Il faut disponibilité permanente.

N’importe qui peut menacer la France et à tout moment…

— Preuve qu’il faut sortir du nucléaire, commenta Cécile Duvent.

— Alors je vais le réveiller de suite, répondit Roselyne. Nous

avons des moyens… »

Et Roselyne, après avoir délicatement retiré les dix-huit seringues

du derrière présidentiel, prépara une nouvelle piqûre de sa composition.

Ce ne fut pas sans un nouveau grand hurlement de douleur, mais

le président fut effectivement réveillé sur le champ. Ce devait être un

remède de cheval que lui injecta Roselyne.

C’est à ce moment-là que l’humaniste Pierre Lebon-Berger sortit

de l’infirmerie. Son costume était toujours impeccable, son visage

impassible, et le parfum qui caractérisait tant les passagers de l’Airbus

présidentiel semblait s’être un peu dissipé. Il n’avait pas l’air, non plus,

d’avoir été incommodé par les turbulences. Il partit se rasseoir de son pas

minutieux. Il ne dit pas un mot, ne regarda personne. Au moins ne

réclama-t-il pas de nouvelles têtes, celle du pilote, par exemple. Ouf !

Caroline fila dans l’infirmerie et constata que toutes les boîtes de

jus de tomate prélevées dans le chariot et dans l’office avaient été utilisées.

Elle fit son rapport à Roselyne qui lui demanda alors de retourner

chercher deux autres boîtes de seringues.

Celle-ci s’adressa alors au président.

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70

— Pardon Monsieur le Président, pardon, répétait Roselyne qui

s’empressa de retirer le carton du siège. »

Troisième turbulence. Plus violente que les autres. Séraphin

Porcinet fut à nouveau projeté assis sur son siège. Les pistons des dix-huit

seringues intramusculaires s’enfoncèrent inexorablement, injectant une

quantité importante de liquide dans son présidentiel derrière.

« HAAAAAAAAAAAAAAAAA ! » Cela semblait douloureux…

Le cri de frayeur de Roselyne suivit le cri du président.

Séraphin Porcinet tourna alors de l’œil et glissa entre les sièges,

au grand dam de Valérie qui tenta de le retenir…

Heureusement, les turbulences cessèrent bientôt et le pilote

annonça la fin de l’alerte.

Mais tout le monde s’inquiéta quelque peu pour la santé du

président.

Valérie Tiergarten tapait frénétiquement sur les mains de son

ami. « Séraphinou, Séraphinou, réveille-toi, réveille-toi… »

Puis elle regarda Roselyne Camelot et lança :

« Vous l’avez tué, vous avez tué Séraphin…

— Normal, commenta intelligemment Noël Maparendeux, c’est

une femme de Droite…

— Mais non, répondit Roselyne toujours de sa voix chaude et

rassurante, et sans relever la remarque subtile de l’autre, ce n’est pas

grave. Il sera bien désinfecté et se réveillera vite.

— Vous êtes sûre ? », demanda alors l’attaché militaire chargé des

codes nucléaires.

59

— Je ne sais pas pourquoi, mais je sais ce qu’elles font. Elles

vaporisent, et elles parfument. Nous devrions faire attention et ne pas les

déranger. Le mieux serait peut-être de nous replier vers l’arrière. Ou aller

dans l’infirmerie. Filons vite.

— Dites, vous parlez le français sans accent pour une

Ukrainienne, remarqua Christiane en se levant.

— Je suis française. Je m’appelle Caroline. Attention, ne bougez

plus, en voilà une… »

Un petit animal arriva en sautillant. Il passa sous le chariot et se

trouva face à la ministre. Il leva la queue. Vivement, Caroline s’interposa

courageusement en se tournant, et reçut le jet à la place de Christiane

Tobago. Elle poussa un cri de dégoût. Puis la mouffette renifla un peu

autour d’elle, et s’élança dans un des cabinets de toilette, celui des

femmes. Sans doute quelque besoin urgent. Caroline bondit, et claqua la

porte.

« Une de moins, lança-t-elle. »

Puis elle chercha un mouchoir dans son sac. L’odeur avait

vraiment de quoi faire défaillir.

« Pourquoi avez-vous fait ça, demanda alors Christiane Tobago ?

— Enfermer la mouffette ?

— Non, prendre son jet à ma place… »

Caroline, de derrière son mouchoir, lui lança un regard appuyé.

« J’ai beau avoir les seins à l’air, j’ai des principes. Je respecte une

dame plus âgée que moi. Même si je n’approuve pas ce qu’elle fait… Je

vous dirai pourquoi. Mais vraiment, c’est horrible, ça pue…»

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Arriva sur ces entrefaites, le vil, l’ignoble, l’infâme Manuel

Iznogaz, plus furieux que jamais. Il était livide et dégageait une odeur à

disperser une manifestation d’un million de factieux. Il tomba en arrêt

devant Christiane Tobago qui se pinça le nez.

« Dites, vous êtes bien la seule à ne pas puer ici, lui dit-il sans

aménité. Vous ne seriez pas un peu de mèche avec les terroristes qui ont

introduit ces sconses dans cet avion ?

— Mais je vous en prie, ce n’est pas parce que vous puez comme pas

possible, qu’il faut me parler comme ça. Et je ne vous permets pas de tels

soupçons !

— Mouais… On connaît votre bienveillance avec les délinquants.

Avouez que vous ne m’aimez pas.

— Mais allez donc vous nettoyer, vous êtes inapprochable,

Monsieur Iznogaz. »

Ils n’ont pas l’air de s’aimer ces deux-là, pensa Caroline. L’un qui fait

semblant d’arrêter les malfrats, et l’autre qui fait semblant de les

condamner. Manuel Iznogaz lui paraissait de plus en plus antipathique,

d’autant qu’il continuait à matraquer tout le monde de propos

désagréables. Haussant les épaules, elle prit un peu de jus de tomate et

commença à se nettoyer avec. Elle tendit également un jus de tomate au

Ministre de l’Intérieur qui se dirigea vers les toilettes des hommes. Là, une

idée espiègle jaillit soudain dans le cerveau de la jeune femec.

« Monsieur le Ministre, cria-t-elle. Nous avons un problème

technique dans les toilettes hommes. Prenez donc celles des femmes… »

Christiane Tobago lui lança un regard incrédule, mais elle ne dit

rien…

69

Comme ils sentaient aussi mauvais l’un que l’autre, ils ne se gênaient pas

vraiment.

« Monsieur le Président, je commence par vous, annonça

Roselyne. Il faut vous désinfecter. Levez-vous je vous prie. »

Séraphin Porcinet se leva docilement. On ne refuse rien au corps

médical, surtout lorsque celui-ci est représenté par une hôtesse de l’air…

C’est à ce moment-là que le haut-parleur de la cabine se fit

entendre. Le pilote annonçait : « Attention, turbulences, tout le monde à vos

sièges. Attachez vos ceintures.»

Turbulences

Les témoins lumineux de ceintures de la cabine de l’Airbus A330

s’allumèrent. Aussitôt, il y eut un premier mouvement violent de

l’appareil. Déséquilibrée, Roselyne Camelot n’eut pas d’autre choix que de

poser son carton de piqûres prêtes à l’action, aiguilles en l’air, sur l’assise

du premier siège venu. Mais c’était précisément celui du Président de la

République… Elle se cramponna à un dossier, puis voulut reprendre la

boîte. Avant même que Séraphin Porcinet n’eut le temps de se glisser dans

l’allée, une autre turbulence de grande violence se fit sentir. Le président

retomba lourdement assis… sur les dix-huit aiguilles dressées en l’air.

« HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! » Il hurla et se

releva d’un coup. Les seringues restaient plantées dans son pantalon, et

pas seulement dans le pantalon…

« HAAAAAAAAA ! » Il avait l’air de souffrir quelque peu.

« Mais enlevez-moi ça, hurla-t-il.

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pour lui. Pendant toute une neuvaine pour commencer. Discrètement,

parce que s’il savait, il en aurait une attaque, et ce n’était pas le but. Il faut

lui donner le temps… Il aura sans doute besoin de pas mal de neuvaines.

Et en outre, il pourrait porter plainte ! Prier pour quelqu’un sans son

consentement, c’est grave ! Si ça marchait, on ne sait jamais…

On entendit alors des coups violents, suivis d’un cri bref. Puis

plus rien. Le milliardaire humaniste sortit bientôt de la cuisine en portant

tout un carton de boîtes, et se dirigea vers l’infirmerie. C’était évident qu’il

avait encore reçu une bonne giclée de mouffette, et c’est non sans dégager

certains effluves qu’il passa devant le groupe. Il n’avait pourtant pas l’air

incommodé. Il s’enferma dans l’infirmerie.

« Il a encore de l’odorat demanda timidement Caroline ?

— Bien sûr répondit Roselyne. Il fallait voir comme il humait mes

boissons tout à l’heure… »

Tout le monde resta silencieux.

Ce fut Roselyne Camelot, très boute-en-train, qui à nouveau,

rompit la glace, si on peut s’exprimer ainsi.

« Bon, les amis, il ne faut pas se laisser abattre. C’est bizarre,

maintenant tout le monde en veut de mon jus de tomate. Mais nous n’en

avons plus. Heureusement, j’ai mes piqûres. Il faut se désinfecter et se

prémunir contre toutes les misères qu’ont pu vous donner ces petites

bêtes. »

Suivie du petit groupe, elle remonta l’allée en portant un carton

de seringues toutes prêtes, aiguilles en l’air, et arriva vers le président

Séraphin Porcinet. Il était assis à côté de Valérie, en train de la consoler.

61

Manuel Iznogaz entra alors vivement dans la cabine qu’elle lui

désignait, tira la porte et ferma le verrou. Dans les avions, on est toujours

assez sensible aux « problèmes techniques », et on ne se pose pas de

question.

On entendit bientôt un bruit de verrou manœuvré en mode

panique, puis une voix étouffée : « Non, non, non, NON !

HAAAAAAAA ! Salope !»

Manuel Iznogaz sortit furieux. Il dégoulinait d’urine de

mouffette, mais bras tendus, il tenait son agresseur par le cou en prenant

bien soin de braquer le ventre de l’animal loin de lui.

Christiane Tobago ne put s’empêcher d’éclater de rire devant la

mine déconfite de son rival. Lourde erreur. On ne se moque impunément

du ministre de toutes les Polices, surtout lorsqu’il s’agit du vil, infâme et

ignoble Manuel Iznogaz.

Furieux, celui-ci lança donc la mouffette dans les bras de

Christiane Tobago. L’animal, affolé, s’agrippa au chemisier de la ministre,

lui mordit l’oreille droite, puis sauta sur le dossier du siège. Une longue

rasade transforma Christiane Tobago en cascade de jus de mouffette.

Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !

« Non, mais ça ne va pas, cria Caroline ? Vous n’allez pas vous

battre en duel à coup de mouffettes ?

— Oh ! Vous, la poule à poil, ne vous mêlez pas de ça, hurla

Manuel Iznogaz. »

Il recula sous le choc de la gifle que lui envoya Caroline.

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Mais le ministre en avait assez de se faire baffer par les femmes,

et hurla en pointant un doigt vengeur vers la jeune fille.

« Préfet ! Mettez cette femme en garde à vue. Tout de suite ! Je la

soupçonne d’avoir introduit les mouffettes dans notre avion. C’est une

terroriste.

— Mais pas question, intervint Christiane. C’est vous qui êtes un

malotru…

— Allons, allons, du calme, du calme… La situation est tendue,

chacun est un peu à cran, je vais vous arranger ça.»

C’était Roselyne Camelot qui arrivait et qui essayait de mettre un

peu d’ordre de sa voix chaude et grave. Non sans ruisseler d’une certaine

substance, ni dégager une certaine odeur…

« Vous avez été mordue par cet animal, dit-elle à Christiane. Une

petite piqûre, et tout ira mieux. Il faut éviter les infections. Et on se calme,

j’apporte du jus de tomate. Caroline, allez chercher les stocks dans l’office.

— Mais pas du tout, s’interposa Manuel Iznogaz. Je veux faire

arrêter cette… cette… cette militante d’extrême-droite. »

Un peu excédée, Roselyne saisit une seringue et la planta dans le

derrière du ministre de l’Intérieur. La fesse qui n’avait pas déjà été piquée.

Il poussa un cri atroce.

« Ça vous calmera, et vous avez touché un animal. Vous risquez

l’infection. »

« Attention, une autre mouffette », avertit alors le Préfet de

Police, qui s’essuyait le visage, on se demande pourquoi.

67

volonté de défendre l’humain contre l’idéologie. Plus rien ne serait

comme avant, et les petites insultes venues de l’adversaire, et destinées à

les diviser et les affaiblir, ne les touchaient plus. Cela Rigide Fardot, pas

plus que Manuel Iznogaz ne semblait l’avoir compris. Pour l’une, c’était

dommage, pour l’autre, c’était tant mieux.

La voix glacée du milliardaire ramena brusquement Caroline à la

réalité immédiate.

« Abattez-les, et arrêtez-la ! », répéta Lebon-Berger à plusieurs

reprises.

Il se tourna vers Roselyne et lui demanda tout en montrant ses

boîtes de jus de tomate :

« Y en a -t-il encore ?

— Oui, Monsieur Lebon-Berger. A l’office, mais il en faudrait

pour tout le monde…

— Pour un beau costume, il faut beaucoup de jus », répondit-il

dans un souffle.

Il se tut. Puis, toujours imperturbable, le vieil homme partit vers

l’office. Personne ne l’avertit…

Celui-là, pensa Caroline, s’il tombait dans la baie du Saint-

Laurent, ce n’est pas lui qui ferait fondre les icebergs… Et ce n’est pas moi

qui pleurerais, pour paraphraser ses propres tweets et retweets… Ils ne

doivent pas rigoler tous les jours, les pauvres journalistes du quotidien Le

Monstre… Ils sont bien surveillés…

Ensuite, elle regretta un peu sa pensée. Elle se dit qu’il faudrait

qu’elle prie pour cet homme, pour sa conversion. Elle réciterait le chapelet

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Et c’est alors, que pendant que l’on gazait ces personnes, Rigide

Fardot n’avait rien trouvé de mieux que de condamner au micro les

« débordements et la radicalisation » de certains. Elle avait même lâché

des compagnons et compagnes de la première heure. Prête à les livrer aux

hommes de Manuel Iznogaz.

Erreur fatale ! Peut-on suivre un général qui abandonne ses

troupes en rase campagne ? Dès cette heure, Caroline, à l’instar de

centaines de milliers de Français, n’avait plus écouté Rigide. Ce qui

n’empêchait pas qu’elle condamnait les attaques injustes dont elle pouvait

encore faire l’objet, car il y avait des rancunes tenaces contre celle qui avait

eu tant de bonnes idées pour contrarier les projets du président Porcinet.

Du coup, comprenant qu’elle ne pouvait plus diriger la Manif

pour Tous, Rigide Fardot s’en était éloignée. Mais contrairement à ce

qu’affirmait Iznogaz, elle continuait à faire partie des composantes qui

luttaient contre le régime porcinien.

Par contre, issue du monde du show-biz et des médias, elle restait

toujours archi-sensible aux méthodes éculées de diabolisation utilisées par

tous ceux qui ne savaient pas opposer de vrais arguments.

Or, si la Manif pour Tous avait changé quelque chose, c’était bien

ça. Les manifestants de toutes origines et de toutes opinions s’y étaient

enfin côtoyés pour se battre sur l’essentiel. Et ils avaient jeté aux orties

toute espèce d’étiquettes. Ce qui comptait, c’était l’union des cœurs et

l’objectif commun. Pris dans les nuées de gaz, sous les coups de

matraques, dans les mêmes paniers à salade, le GAV-bus, et dans les

mêmes salles de garde-à-vue, ils avaient appris à se connaître. Ils avaient

tous en commun le refus de casser, de porter atteinte aux biens et aux

personnes, mais aussi la même colère d’être méprisés et ignorés, et la

63

Il venait de recevoir une nouvelle rasade dans la tronche et

rajustait dignement sa casquette.

Assez contente d’elle, Marguerite passa en trombe et continua sa

course, dépassant le groupe d’humains. Elle sentit alors une odeur de

fruits, venant de l’office.

« Chic, se dit-elle, nous allons pouvoir magasiner un peu… Des

canneberges. » Elle dépassa également Caroline et fila droit vers le local en

question. Caroline jugea prudent de se contenter de distribuer les stocks

de son chariot, sans se rendre à l’office...

Souvenir qui passe

Arriva alors l’humaniste Pierre Lebon-Berger. Lui-aussi avait l’air

d’avoir reçu une bonne giclée, mais marchait avec raideur dans son

costume impeccable, comme si de rien n’était. Le visage totalement

inexpressif du vieux milliardaire ne permettait pas de savoir s’il était

incommodé ou non par l’odeur. Et pourtant, il dégageait le même parfum

subtil que les autres. Sans dire un mot et sans ménagement, il écarta

Caroline, se baissa devant le chariot et ramassa la totalité du stock de jus

de tomate. Il se releva, puis se dirigea vers Manuel Iznogaz. D’une voix

faible mais terriblement ferme, il lui lança :

« Abattez ces animaux !

— Mais dit Manuel, nous ne pouvons tirer dans cet avion.

— Abattez-les, c’est un ordre.

— C’est dangereux, on ne peut…

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— Ils m’ont visé. Un sconse, une balle. Une famille de sconses, une

rafale.

— Monsieur…

— ABATTEZ-LES ! Et une fois à Paris, faites arrêter Rigide

Fardot. C’est elle, la cause de tout ça. Arrêtez Rigide Fardot.»

Caroline frémit devant le regard de l’homme. Même Manuel

Iznogaz semblait décontenancé par cette haine persistante vis-à-vis de

l’ancienne porte-parole de la Manif pour Tous.

Puis il se reprit et ajouta :

« Mais, Monsieur Lebon-Berger, sachez que j’ai maintenant

d’assez bonnes relations avec cette personne, et… il n’est pas question de

l’arrêter. Elle a certes été notre adversaire, mais aujourd’hui, je l’ai bien

piégée, et malgré elle, elle est un allié objectif dans notre stratégie de

diabolisation et de fragmentation de l’ennemi. Je ne la ferai pas arrêter.»

Caroline secoua discrètement la tête. Le ministre de la Police se

vantait, c’était évident, mais ce n’était pas complètement faux. Elle avait

souvent noté combien Rigide Fardot, malgré son rôle important dans le

lancement du mouvement anti loi Tobago, et malgré son indéniable

courage personnel, semblait désormais surtout obnubilée par une

prétendue infiltration par « l’extrême-droite », ou par « l’homophobie » ou

par des « éléments violents », dès lors qu’il s’agissait de groupes qu’elle

ne contrôlait pas elle-même… Répétant en cela les incantations des amis

de Manuel Iznogaz. Cela faisait de la peine à Caroline, car Rigide s’était

vraiment engagée, et avait eu de très bonnes intuitions… Au début, elle

avait fort bien su brouiller les pistes et perturber les journalistes, en

mettant en avant ses allures fantasques et déjantées ainsi que ses amis

homos et gauchos. Les journalistes, habitués aux stéréotypes et dépourvus

65

d’imagination, n’avaient pas su comment la diaboliser avant que son

mouvement ne prenne de l’importance. Puis, elle s’était « pris les pieds

dans le tapis » de ses propres embrouilles, en jouant plus ou moins

consciemment le jeu de Manuel Iznogaz, qui n’était pas vil, ignoble et

infâme pour rien.

Par exemple, lors d’une des manifs du printemps, les Champs

Elysées avaient été interdits par la Préfecture de Police. Et le dispositif

policier prévu pour cent mille personnes. Le million de manifestants fut

largement dépassé. La foule ne savait où se mettre. Paniquées,

volontairement mal commandées, certaines unités de police avaient

commencé à gazer les têtes de cortèges dès le début de l’après-midi. Puis,

la manifestation s’approchant de son terme, coup monté ou pas, les

barrages s’étaient ouverts, et plusieurs milliers de personnes s’étaient

aventurées sur les Champs. C’étaient des familles qui ne cherchaient

qu’une issue pour quitter les lieux, ou alors des jeunes, indignés par tant

de mépris de la part du régime, et ravis de pouvoir rejoindre cette avenue

emblématique. Tous s’étaient retrouvés face aux robocops d’Iznogaz. Et la

nasse se referma. Ce fut le gazage général. Les jeunes, les vieux, les

enfants. Ceux qui criaient, et ceux qui ne criaient pas. Pas de détail.

Caroline y était. Elle avait pris plein les yeux et les bronches d’une sorte

de gel irritant qui colle aux muqueuses. Bien pire qu’un simple gaz

lacrymogène, un produit incapacitant dérivé des gaz de combats. Puis,

l’ignoble, vil et infâme ministre de l’Intérieur, Manuel Iznogaz, surnommé

depuis Manu le Chimique, Chemical Manu, ou tout simplement Manuel Gaz,

avait parlé de « débordements », de « violences » et « d’extrémistes ».

Relayé par les médias collaborationnistes du régime. C'est-à-dire presque

tous. C’était son jeu. Justifier la répression par le fantasme de « l’Extrême

Droite » qui menacerait les institutions.

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« Il faut remonter, de suite, vite, vite, vite !

— Pleins gaz ! »

Les deux hommes, tout en s’essuyant le visage se penchèrent vers

leurs commandes. Le pilote tira doucement le manche, tandis que le

commandant poussa à fond les manettes de puissance des deux moteurs.

Se redressant instantanément, après s’être approché à cinquante pieds

d’altitude du bout de piste, le gros appareil reprit un peu de vitesse à cent

quatre-vingt nœuds, puis accéléra et passa à deux cent dix nœuds dans le

grondement de ses moteurs crachant des tonnes de gaz de combustion.

« On refait un tour, dit le Commandant Léger à son compagnon.

Repère cette putain de bestiole et appelle un type du service de sécurité.

Elle était avec nous la sixième mouffette ! Je vais l’étrangler !

— Je m’en occupe. Tiens, je la vois, elle se cache sous la console

radar arrière. Garce ! Et ça pue comme pas possible ! »

« COTAM triple-zéro-un, nous avons eu un incident à bord. Nous

devons refaire une présentation pour atterrir.

— Stanfield Control. Compris. Attention aux bernaches. Vous volez

dans leur direction. Virez vers la gauche !

— Reçu Stanfield. »

Le pilote s’essuya le visage de la manche. Soudain, un bip répété

se fit entendre. Le radar de balayage. Déclenchement de l’anticollision !!!

« Merde les oies… »

Une formation serrée de ces gros oiseaux apparaissait maintenant

sur le radar et… là ! Devant le pare-brise !

79

— Terre-Neuve ? demanda le président Séraphin Porcinet. N’est-

ce pas un territoire d’Outre-Mer français ? »

Le commandant tiqua. Il savait que Séraphin Porcinet ne se

distinguait pas particulièrement par une aisance reconnue en

géographie… A la télévision, il avait déjà confondu Chine et Japon,

Tunisie et Egypte et avait parlé de la « Macédonie ». Il resta néanmoins poli

et professionnel.

« Non Monsieur le Président. Il y a tout juste les petites îles de

Saint-Pierre et de Miquelon qui sont un département d’Outre-mer. Mais

Terre-Neuve s’appelle Newfoundland, c’est une province canadienne

anglophone faiblement peuplée. Discrétion assurée.

— Bien, bien. Posons-nous donc à… Gender…

— Gander, monsieur le Président, Gander, répondit le

commandant. Je vais demander un atterrissage en urgence.

— En urgence ? Surtout ne prenez pas de risque…

— Non, Monsieur le Président. »

C’est alors qu’ils furent interrompus par Cécile Duvent qui était

restée dans un coin de la pièce.

« Monsieur le Président, vous ne pouvez pas faire ça, c’est trop

grave.

— Qu’est ce qui est grave ?

— Les mouffettes.

— Encore les mouffettes ? Vous commencez à me courir avec ces

mouffettes. On dirait que ce sont les mouffettes qui tiennent l’agenda de la

Présidence de la République.

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— Je sais Monsieur le Président. Mais vous ne pouvez faire cela,

car vous allez tout droit à un désastre écologique. Il n’y a pas de mouffette

à Terre-Neuve. Imaginez que l’une d’elle ne s’échappe !

— Et cela fera une mouffette à Terre-Neuve. Elle n’ira pas plus

loin !

— Mais c’est horrible ce que vous dites ! Vous allez avoir des

ennuis avec le gouvernement canadien. Apporter des mouffettes à Terre-

Neuve ! Vous n’y pensez-pas.

— Elles ne se sauveront pas. C’est une promesse de Président…

— Qu’en savez-vous ? Vous ne devez pas vous poser à Terre-

Neuve.

— Bon, bon, dit le président, qui n’avait qu’une envie, se

débarrasser de l’encombrante écologiste qu’il aurait bien volontiers

débarquée à Terre-Neuve au risque d’un désastre écologique sans

précédent. Après celle de se débarrasser des mouffettes, bien sûr. Vous

avez une idée Commandant ?

— Et bien, oui. Nous pouvons rebrousser partiellement chemin,

et nous poser à Halifax, la capitale de Nova-Scotia, la Nouvelle-Ecosse. Il y

a des mouffettes, et la province est anglophone. Discrétion assurée

également. C’est une possibilité.

— Et bien va pour la Nouvelle-Ecosse. Je viens au moins

d’apprendre qu’il y a une Nouvelle-Ecosse en plus de l’ancienne, et

qu’elle admet les mouffettes.»

On frappa alors à la porte. Des hommes du service de sécurité,

accompagnée d’une hôtesse, Caroline, transportaient le Ministre de

l’Intérieur et le Préfet de Police de Paris, toujours endormis. Ils les

105

— Merde ! », cria le commandant de bord.

La bête donna un coup de rein et bondit sur la console centrale.

« Quoi ? » éructa l’homme en tournant la tête.

La petite mouffette le fixait avec impertinence. Elle portait une

marque rouge de lèvres sur le sommet blanc de son crâne.

Coquelicot avait peur. Elle s’était fait tirer par la queue, et cela lui

était désagréable. Elle était repérée. Il fallait agir. Vite !

Cent pieds, afficha l’altimètre. La mouffette leva la queue et

envoya un jet sur le commandant de bord.

Psssssshhhhhiiiiiitttt !

« Salope ! »

Le Commandant Léger mit la main sur les yeux.

Le pilote tourna alors la tête. Juste pour recevoir, lui-aussi une

rasade en plein visage.

Psssssshhhhhiiiiiitttt !

« HAAAAAAAA ! Sale bête de sale bête ! »

Les deux pilotes étaient maintenant aveuglés. La mouffette sauta

vers l’arrière du poste de pilotage.

Soixante-dix pieds.

L’Airbus continuait à descendre vers la piste, mais sans relever

son nez.

Incapable de voir, le pilote comprit qu’ils ne pourraient pas se

poser. Et c’était trop tard pour actionner un quelconque système

automatique.

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« Stanfield à COTAM triple-zéro-un. Atterrissage autorisé. Vents dans

l’axe pour 8 nœuds. Attention, on signale quelques vols de bernaches se

rassemblant sur les lacs. Ils peuvent gêner votre approche. »

« Des bernaches ! Les oies sauvages du Canada. Après les

mouffettes, il ne manquait plus que ça, grommela le pilote.

— Je garde l’œil sur le radar météo, répondit le commandant de

bord, flegmatique. »

Les trains furent sortis. Le nez de l’Airbus piquait légèrement en

direction de la piste apparaissant loin devant le pare-brise, vers le nord-

nord-est. Bien que non prévu au programme, cet atterrissage était

complètement routinier. Les deux hommes s’affairaient en surveillant les

différents paramètres. Un vol de bernaches fut signalé venant de l’ouest,

mais il devait passer plus au nord que la piste. Le commandant de bord

nota néanmoins que l’écho laissait penser à un vol assez dense de ces

oiseaux.

La piste approchait. Le niveau des mille pieds fut franchi. La

vitesse passa en dessous des deux cents nœuds. Tout allait bien.

Le pilote déconnecta le pilote automatique et prit la main sur les

commandes. Le commandant de bord, tout à la surveillance de ses

instruments, se détendit et laissa pendre sa main gauche le long du siège.

Il sentit alors quelque chose de doux, et soyeux, et un peu chaud. Tout en

gardant le regard posé sur l’indicateur d’assiette de l’appareil, et un peu

distraitement, il referma ses doigts sur… Cela lui rappela son chat… Il

tira. Puis regarda. Il tenait dans sa main une queue. Une queue noire avec

deux rayures blanches.

« Trois cents pieds, dit le pilote. On y va…

81

déposèrent, à plat ventre, côte à côte, en travers du lit présidentiel.

Séraphin Porcinet n’eut pas l’air très content, d’autant que Manuel

Iznogaz ronflait comme deux turboréacteurs General Electric, et le Préfet

de Police tout autant. A eux deux, ils pouvaient motoriser un Airbus

A340 quadriréacteur! Néanmoins, il s’allongea lui-aussi dans la même

position. Entre gens qui puent, on se comprend…

Caroline apprécia : « Une belle brochette », se dit-elle.

« Dommage que la caméra cachée ne puisse capturer aussi les odeurs. »

Cécile Duvent, toujours le nez dans son mouchoir, sortit alors,

satisfaite des promesses présidentielles qui, comme chacun sait, sont

toujours tenues.

Le commandant de bord emprunta la coursive latérale et s’en

retourna dans le poste de pilotage.

Il appela aussitôt :

« Halifax Stanfield Control, Halifax Stanfield Control, de COTAM

triple-zéro-un. Mayday, Mayday, Mayday. Demandons autorisation

d’atterrissage en urgence.

— COTAM triple-zéro-un, de Halifax Stanfield Control, nous vous

écoutons.

— Halifax Stanfield Control, we’ve got a problem. We need

emergency landing at Halifax Stanfield Airport

— COTAM triple-zero-one, what’s your problem?

— Halifax Stanfield Control, terrorists on board. Skunks.

— COTAM triple- zero-one, skunks? You’re kidding?

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— No kidding Halifax Stanfield Control, our President needs

emergency landing. Many members of our government attacked by

skunks and are sick.

— COTAM triple-zéro-un, de Halifax Stanfield Control, Roger. Vous

êtes numéro 1 à l’atterrissage. Piste 05. Venez niveau 290. »

L’Airbus A330 s’inclina largement sur la droite et vira sud-ouest

en direction de la Nouvelle-Ecosse. Après quelques minutes, il piqua

doucement pour atteindre le niveau de vol demandé par Halifax Stanfield

Control.

« Ici le commandant. Veuillez prendre place dans vos sièges. Nous nous

rendons à l’aéroport d’Halifax en Nouvelle-Ecosse. Nous y serons dans trente-

cinq minutes. On vient de m’informer que cinq des mouffettes ont pu être

repoussées victorieusement par nos troupes, et enfermées dans la grande salle de

réunion. N’y allez surtout pas. Mais il en manque encore une qui reste

introuvable. Si vous la repérez, signalez-le immédiatement à l’équipage ou aux

hommes de sécurité.»

Hormis le ronronnement des moteurs, bien assourdi, et celui du

Ministère de l’Intérieur dans la pièce voisine, le silence régnait dans la

grande salle de réunion située juste à l’arrière de la chambre

présidentielle. Blottis sous la table, cinq petits animaux noirs et blancs

restaient serrés les uns contre les autres.

« Tabarnak de tabarnak, impossible de sortir de cette maudite

cabane. Pas de porte, pas de fenêtre…

— Fleur, votre langage !

— Oui mon amour. Mais reconnaissez, Marguerite, que je ne sais

plus quoi faire. Enfin, je suis content de vous tous. Vous vous êtes battus

comme des carcajous.

103

nous ne sommes pas si loin que ça, l’une de l’autre. Peut-être pourrions-

nous un jour travailler ensemble pour le Bien Commun. J’ai le droit de

faire un rêve ? Et si vous m’accompagniez un jour dans une soirée de

Veilleurs ? Incognito. Nous y préparons l’avenir. »

Tout en tirant une mine de trois kilomètres, la bouche crispée,

perturbée par l’audace de la jeune fille, mais aussi sa cohérence, la

ministre commença néanmoins la lecture du texte que venait de lui tendre

Caroline. Peu à peu, elle parut intéressée…

(Annexe : Et maintenant ? Dans le sillage de la grande

manifestation.).

A-330 en péril

« Ici le commandant. Nous approchons d’Halifax. Atterrissage dans

cinq minutes. Attachez vos ceintures. »

Les trois hôtesses firent un tour rapide afin de vérifier que tout

allait bien. Caroline ferma un ou deux placards, tandis que Roselyne se

rendit dans la chambre présidentielle pour y sangler ses « patients ».

La côte est de la Nouvelle-Ecosse, rocheuse et découpée apparut.

Puis le fjord profond le long duquel la ville portuaire d’Halifax était bâtie.

Par le hublot, Caroline aperçut la citadelle qui dominait la cité. L’avion

s’inclina doucement et vira vers la droite. Au-delà des zones d’habitation,

lacs et forêts se succédaient dans l’éclat du soleil de cette fin d’après-midi.

L’A330 présidentiel poursuivit sa descente dans l’axe de la piste

05 de Stanfield Airport. Les volets furent déployés.

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— La preuve que le système libéral-libertaire s’effondre, c’est que

vous êtes obligés de vous radicaliser et de pervertir la démocratie pour

tenter de le sauver. Vous ne le sauverez pas. On se charge de faire sauter

vos rustines.

— Et pourquoi dites-vous que c’est notre système ?

— Parce que le fond du problème n’est pas lié aux mœurs, mais à

l’économie, source de la richesse et du pouvoir. Je vous l’ai déjà dit. C’est

votre oligarchie qui a organisé ce système économique, dont vous, les

politiques, êtes les garants. Les mœurs ne sont que le lot de consolation

que vous jetez aux peuples opprimés pour les anesthésier.

— Je vous mets au défi de définir ce système, que vous appelez

libéral-libertaire.

— Joker ! Madame, plutôt que vous faire un long discours, je vais

vous faire lire un article du philosophe Henri Hude. Un article limpide

écrit après l’une des grandes manifestations du printemps. Indispensable

pour comprendre ce qui se passe, ce qu’est la société libérale-libertaire,

comment elle opprime, et pourquoi elle s’effondre. Tout y est. Lisez ! Et

notez bien que lorsqu’il parle d’un ancien régime, c’est le vôtre !»

Caroline, se leva et alla chercher une sacoche dans un des

placards. Elle en tira un mince document et le tendit à la ministre.

Celle-ci, le prit avec quelque réticence.

« Lisez Christiane. On n’en meure pas, et vous avez du temps à

tuer dans cet avion. Autant qu’il soit utile. Et moi, j’ai du boulot avant

l’atterrissage. Nourrissez votre intelligence, plutôt que votre idéologie ! Et

faites-moi confiance, il y a bien des chances que vous ne puissiez pas

désapprouver ce texte. Peut-être arriverez-vous, grâce à lui, à trouver que

83

— Tu as vu ce qu’on leur a mis, Papa, lança Rose.

— J’ai vu. Mais il nous faut reprendre nos forces, reconstituer nos

réserves de munitions, car il nous faut encore trouver un moyen de sortir

d’ici.

— On ne partira pas sans Coquelicot, interrompit Marguerite,

visiblement inquiète.

—Oui, mon amour. Mais rassurez-vous, elle n’est pas loin, je suis

certain de l’avoir vue se glisser dans une pièce tout à l’avant de la cabane,

là où brillent des tas de petites lumières de toutes les couleurs, et où deux

humains sont assis côte à côte sans regarder derrière eux. On ne l’oubliera

pas.

— J’ai faim, gémit Violette…

— Je sais mon chéri. Mais j’étais en train de magasiner des

canneberges à l’arrière, lorsque j’ai été agressée par un excité

mouffettophobe qui a cherché à me tuer avec un couteau de cuisine, lui

répondit Marguerite. J’ai dû procéder à une frappe… Mais je suis restée

cachée un moment avant de pouvoir revenir vers vous. Je suis désolée.

— En tout cas, tenez le coup et tenez-vous prêts, répéta Fleur.

On ne lâche rien, jamais, jamais, jamais !»

L’infiltrée

De retour dans la cabine principale, Caroline se dirigea vers

l’office, mouchoir sur le nez, comme tout le monde. Elle se sentait très

lasse, et n’avait pu se nettoyer que très partiellement. La puanteur

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environnante, comme la sienne, devenait pesante. De plus, elle en avait

plutôt assez de se promener poitrine à l’air à la mode Femec, et elle alla

donc chercher un sweat dans son petit placard personnel. Une fois

décente, elle se sentit mieux. Et le vêtement ne sentait pas, lui. Pour le

moment. Alors qu’elle passait devant le siège de la Garde des Sots

Christiane Tobago, elle vit que celle-ci était assise toute de travers…

« Vous avez un problème ? lui demanda-t-elle. »

Christiane Tobago fit une grimace, puis lâcha :

« Disons qu’après une piqûre comme celle que j’ai reçue, il n’est

pas très confortable de s’asseoir…

— C’est bien pour cela que le président, Manuel Iznogaz et le

Préfet de Police sont bien alignés à l’avant, à plat ventre sur le lit

présidentiel. Si vous pouviez voir ces trois popotins comme à la parade !

Heureusement, pour le moment, le président est le seul à souffrir, les deux

autres dorment encore… Et ils ronflent. On se croirait au Salon du

Bourget.»

Christiane Tobago lui fit une grimace peu amène.

« Voulez-vous un coussin, demanda alors Caroline ?

— Ça ira, mais je ne voudrais pas être de ces trois malheureux…

Dix-huit piqûres dans les fesses !

— Monsieur Iznogaz en avait aussi reçu préalablement deux

autres… Egalement dans les fesses. Il doit être très bien désinfecté.

— Ils en ont au moins pour quinze jours à ne pouvoir s’asseoir,

ajouta la ministre.

— Chic, nous aurons donc même deux Sentinelles au conseil des

Ministres, répondit Caroline, sans chercher à cacher son enthousiasme. Et

101

souvent des jeunes ayant fréquenté les Journées Mondiales de la Jeunesse,

ont été formés par les enseignements des papes, Jean-Paul II, Benoît XVI,

et François. Et de leurs prédécesseurs. Enseignements parfaitement

complémentaires. Et maintenant nous appliquons. A la prière, nous

ajoutons l’action. Nous défendons la Civilisation, et contestons votre

société consumériste et nihiliste héritée de mai 68. Vous voulez changer la

Civilisation, et empêcher la société libertaire de s’écrouler, nous voulons

sauver la Civilisation et reconstruire la société une fois que la vôtre se sera

effondrée sous ses contradictions.

— Donc, ce sont bien des cathos qui s’opposent à la majorité !

— Faux ! Car les derniers sondages, surtout ceux qui concernent

les conséquences de votre loi sur les enfants, montrent bien que nous

sommes une majorité, en dépit de votre propagande écrasante. Car à ces

pratiquants militants, les cathos, comme vous dites avec mépris, mais moi,

j’en suis fière, s’y sont adjoint un très grand nombre de chrétiens non

pratiquants qui, eux-aussi, sont descendus dans la rue. Je vous rappelle

qu’il y a au moins cinquante pour cent de baptisés dans notre pays. La foi,

c’est comme une boussole qui nous aide tous à y voir clair, à aimer la

Vérité plutôt qu’une fausse liberté qui oppresse les faibles. Avec votre loi

sur la dénaturation du mariage, vous avez touché à vif l’Intelligence et la

Vérité. Et nous avons enfin été rejoints par tous ceux qui vivent des

valeurs du bon sens. Ils n’avaient pas besoin d’être chrétiens pour

comprendre. Le peuple des familles s’est levé, car tous ont compris qu’on

touchait à l’humanité, et à la nature. Notre révolte, c’est la révolte du

Peuple Réel contre l’Utopie nihiliste d’une bande de bobos friqués. Une

révolte contre votre système qui est en train de s’effondrer.

— Mais bon sang, pourquoi prétendez-vous qu’il s’effondre ?

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le Réel. Lorsque l’Homme se prend pour un dieu, il devient le pire ennemi

de l’Homme.

— Vous pouvez raconter ce que vous voulez, nous ne voulons

pas qu’une religion nous impose des déterminismes de genre.

— Le problème n’est pas religieux, il tient à la nature humaine.

Avec l’idéologie du Gender, vous essayez de faire croire qu’on peut naître

avec un sexe, puis qu’on peut devenir homme ou femme par choix. Ce

peut être l’objet d’un débat universitaire ou d’une controverse

scientifique. Pas d’un enseignement que l’on ne peut contester. C’est vrai

que dans un homme ou une femme, il y a une donnée de base biologique,

puis des données sociales et éducatives. On naît homme ou femme, et

après, par l’éducation, on s’accomplit homme ou femme. Mais vous

pervertissez ces faits pour en faire une construction idéologique du

pouvoir de la Volonté. Et vous allez violer les cerveaux de jeunes enfants

en leur implantant votre idéologie.

— Ne niez pas que pour vous c’est un problème religieux ! Nous

refusons la loi des catholiques traditionnalistes ultra minoritaires. Nous

refusons votre religion…

— Qui a été la matrice de notre civilisation. Vous voulez imposer

une autre religion et une autre civilisation. Dont les dieux sont l’argent, le

pouvoir et le sexe. C’est votre trinité sainte. Alors, c’est vrai, le noyau

central des résistants est effectivement catholique. Des pratiquants.

Minoritaires certes. Comme est le sel dans la cuisine pour y donner du

goût. Le traditionalisme est parfaitement honorable, mais il n’a rien à voir

là-dedans. Je sais que pour vous, un chrétien qui croit en Dieu, c’est déjà

un traditionnaliste, et s’il prie, c’est un intégriste. S’il croit en la

Résurrection, c’est un fou. Je suis donc les trois à la fois ! Ces pratiquants,

85

pas des moindres. » Nouvelle grimace et regard glacé de Christiane

Tobago en direction de l’impertinente.

Puis, la ministre ajouta :

« Cette Roselyne Camelot, c’est une folle avec ses piqûres ! Une

vrai fétichiste de la seringue ! »

Sourire de Caroline. Mais malgré ses insolences, la ministre lui fit

signe de s’asseoir, et l’invita à prendre place à ses côtés. Caroline hésita,

puis accepta. Elle pourrait se reposer un peu. De toute façon, elle n’avait

plus du tout envie de s’occuper du bien-être de qui que ce soit à bord de

cet avion de fous, ni de faire ses preuves comme garce officielle. Plus à

l’avant, Roselyne Camelot continuait à s’agiter, avec au moins la vertu de

remonter le moral des troupes. Même si c’était à l’aide de seringues

longues comme le bras… Caroline trouvait l’action politique de cette

personne fondamentalement négative, mais appréciait le tonus positif et

inoxydable dont elle faisait preuve en toute circonstance. Encore une

femme bien dévoyée par l’idéologie ! Dommage !

Il n’y avait plus qu’une demi-heure de vol avant l’atterrissage à

Halifax Stanfield Airport. Néanmoins, elle se demandait bien ce que la

Garde des Sots avait à lui dire, d’autant qu’elle n’éprouvait pas de

sympathie particulière pour cette personne ambitieuse et sans scrupule…

Mais elle aussi, ne devait pas être si mauvaise que ça… Encore faudrait-il

pouvoir la désincarcérer de sa prison idéologique. Tout un programme !

La discussion risquait d’être chaude…

« Pourquoi cachez-vous vos slogans ? demanda Christiane

Tobago, en jetant un regard sur le sweat de la femec repentie.

— J’en ai assez…

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— Ils vous gênent ?

— Ce qui me gêne, c’est que ça n’a gêné personne chez les

personnes sensées diriger notre pays : « Fuck France ! Fuck the French !»

Personne ici n’a été non plus perturbé par les slogans antichrétiens de ma

copine.

Moi président, je serai le président de tous les Français ! Qu’il disait.

— Alors que faites-vous là, chez les Femecs ?

— Infiltration, mon Général. Agent spécial Caro Double Zéro

Sept. Une autre jeune fille, une Antigone, a déjà infiltré les Femecs, il y a

quelques mois, pour essayer de comprendre ce qu’elles voulaient, et

comment elles fonctionnaient. Elle a réussi à mettre à nu, c’est le cas de le

dire, leur conception dévoyée du féminisme. Moi, j’ai voulu aller plus

loin, et les combattre. Afin de dénoncer, et éventuellement, faire échouer

leurs actions.

— Et pourquoi êtes-vous là, dans cet avion ? Les Femecs n’y sont

que du décor…

— Je sais. Nous sommes les pots de fleurs du président. Mais

notre organisation a accepté en raison des excellentes relations qu’elle a

tissé avec lui et le gouvernement. Ce que je trouve honteux. Les slogans et

les méthodes des Femecs sont de la pure violence verbale et physique. Et

de la provocation pour beaucoup de citoyens. C’est inacceptable.

Et les Femecs ne sont pas les seules dans ce cas. Je pense aux

« Antifas ». Ils cassent tout, ils sont plus violents que les Femecs, et surtout,

ils ont l’intelligence moyenne d’un balai de chiottes. Mais vous les aimez

bien ! Pour vous ce sont les anticorps de la société. Ils attaquent vos

opposants, surtout s’ils sont non-violents, car c’est plus facile, par exemple

99

donc à l’altérité des sexes. Pour moi, il est clair qu’en transformant le

mariage en parodie de mariage, vous voulez affaiblir un peu plus cette

institution en la vidant de son contenu. Tout le monde va en être victime.

Les revendications homos ne sont qu’un prétexte. Vous instrumentalisez

ces gens dans votre projet de faire disparaître les corps intermédiaires.

Votre but, c’est de laisser l’individu seul face à l’Etat totalitaire. Pour en

faire ce que vous voulez. Car avec vous, tout est parodie : la démocratie,

l’Etat, la nation française, l’économie, la liberté, l’indépendance de la

Presse, le Conseil Constitutionnel, l’Ecole, la culture. Et pour couronner le

tout et faire paraître les autres parodies comme normales et sérieuses, la

parodie de mariage ! Bravo !

— Notre but est de libérer l’individu des déterminismes

familiaux, et religieux.

— On avait compris. Pour le mettre sous votre coupe. Alors que

dans sa famille, et dans sa foi, il reste libre. Votre idéologie refuse la

démarche traditionnelle de l’humanisme et de la Foi. Nous nous

appuyons sur l’Intelligence pour chercher la Vérité. C’est une démarche

qui accepte une Vérité, et que l’Homme ait des limites. Il se trouve

rassuré, précisément parce qu’il rencontre des bornes. Notre liberté vient

de ce que nous ne nous prenons pas pour des dieux. Lorsque l’on croit

qu’il existe quelqu’un ou quelque chose de supérieur, on a moins

tendance à se prendre pour Jupiter et à écraser ses semblables.

Vous, votre idéologie est devenue folle. Elle ne croit qu’à la

recherche de la Liberté absolue par le pur pouvoir de la Volonté. Et toutes

les bornes vous sont intolérables et doivent sauter. D’où votre recherche

sans limite de la jouissance maximum du pouvoir, de l’argent et du sexe.

Sans entrave. Et à chacun sa vérité, ce qui conduit au chaos. Vous refusez

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reprocher ce désir et cette générosité. Et nous ne contestons pas qu’ils

puissent apporter, comme parents, tout le meilleur d’eux-mêmes auprès

des enfants. Le problème vient d’une chose qu’ils ne peuvent pas

apporter à ces enfants: la complémentarité sexuelle, qui est la seule vraie

différence existant dans l’humanité.

— Les sexes ne seraient donc pas égaux ?

— Ils sont égaux en droits et en dignité, mais pas identiques. Ils

sont différents, et c’est cette différence qui enrichit l’humanité. Ces enfants

seront privés de cette richesse. Délibérément ! Par vous et par votre loi

inique !

— Il y a déjà des familles de parents du même sexe.

— Ce sont des accidents de la vie. Comme les familles

monoparentales. Ces gens font au mieux pour compenser. Car ils se

savent des limites. C’est toute la différence. Ils savent qu’ils sont hors des

clous. C’est bien de les aider, et de les encourager. C’est mal d’en faire une

norme. Un accident reste un accident.

— Et en quoi cela vous gêne-t-il de leur permettre de se marier ?

— Ce qui me gêne, c’est que depuis cinquante ans et plus, tous

vos copains passent leur temps à dire que le mariage est une institution

bourgeoise réactionnaire qui doit disparaître. Que l’essentiel, c’est de

s’aimer. Certains disent aussi que le mariage est nuisible, car il fonde la

famille, et que la famille gêne l’Etat dans sa relation directe Etat-Individu.

Depuis des décennies, tout a été fait pour affaiblir l’institution du mariage

et détruire les familles. Et brusquement, il faudrait l’offrir à tous ce

mariage ? Et en particulier à ceux qui par choix ou par contrainte, je ne

sais, ne peuvent engendrer des enfants. Alors que cette institution n’a de

sens que parce qu’elle est liée intimement à la procréation, à la filiation, et

87

les Veilleurs. Et ils vous dispensent donc d’utiliser la violence vous-

mêmes. Manuel Iznogaz fait des économies de gaz. Il sous-traite. Et vous

gardez les mains propres. L’ennui, c’est que cette notion d’anticorps de la

société, c’est exactement celle qu’utilisaient les dictatures fascistes des

années 60-70 pour se débarrasser des communistes. Regardez les films de

Costa-Gavras. On commence à y reconnaître le régime porcinien. Je

comprends pourquoi on n’enseigne plus l’Histoire…

Quant à ma présence dans cet avion, Madame, c’est tout

simplement le hasard. Comme ma collègue ukrainienne, j’ai déjà effectué

un stage de personnel de cabine sur une compagnie aérienne, pendant les

vacances d’été. Je n’ai pas eu le choix. Pour se faire admettre, il vaut

mieux obéir. De plus, être témoin de ce que j’ai vu, n’est pas inintéressant.

— Vous êtes donc une espionne. Je pourrais vous faire arrêter.

— J’espionne les Femecs. Vos secrets d’Etat ne m’intéressent pas.

Je ne travaille pas contre mon pays. Je n’ai pas réclamé cette mission. J’en

ai reçu l’ordre. Les Femecs sont très hiérarchisées.

— Etes-vous pour quelque chose dans l’introduction des

mouffettes à bord ?

— Absolument pas. J’ai été aussi surprise que vous. Vous pouvez

donc me faire arrêter, puisque vous faites de la place dans les prisons…

Une fois les pédophiles, les violeurs et les assassins dehors, elles vont

devenir très fréquentables. Presque bon chic bon genre. Et beaucoup plus

sûres que l’extérieur. Mais vous n’aurez aucun chef d’accusation contre

moi.

— On en trouvera. On fera du sur-mesure…

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— Vous devriez lire l’Archipel du Goulag : c’est le propre de

toute dictature d’être tolérante avec les vrais délinquants, les droits-

communs, et impitoyable avec les opposants politiques, traités comme des

délinquants. Le stade suivant, et ça commence, c’est d’utiliser les

délinquants contre les opposants politiques… Pour les utiliser comme

agents provocateurs, par exemple… Demandez au Préfet de Police, je suis

sûre qu’il est au courant.

— Vous êtes insultante et ridicule. Comparez aux vraies

dictatures !

— C’est comme ça qu’elles commencent, je vous l’ai dit. C’est un

bon début, vous me direz. Quand des policiers arrêtent illégalement des

Veilleurs, les conduisent au commissariat et les relâchent parce qu’on n’a

aucune charge contre eux, c’est quoi ? Lorsque des commissariats refusent

d’enregistrer les plaintes que les personnes arrêtées illégalement veulent

déposer, c’est quoi ?

Quand un bateau coule, on n’aurait pas le droit de dire « on

coule » parce qu’il n’est pas déjà par trois mille mètres de fond ? On est

pourtant bien sur le Titanic. Et pourtant il coule !

— Ces gens manifestent illégalement !

— Tellement illégalement qu’on ne peut pas les inculper. Vous

savez bien que participer à une manifestation non déclarée n’est pas

illégal. Seuls peuvent être poursuivis les organisateurs. Mais quid, lorsque

c’est spontané ? Vous les relâchez donc presque tous, parce que vous

n’avez aucune charge contre eux, et vous inculpez la poignée de ceux dont

les nerfs ont un peu craqué, et qui ont tiré la langue aux flics. Pauvre

choux ! Eux qui supportent les balles de kalachnikov dans les banlieues,

ils se plaignent de « rébellion ». Chochottes ! C’est ça que vous faites : de

97

que séparée radicalement de la pro-Création. Et à ce titre elle dit que c’est

un péché. Comme bien des actes que l’on accomplit dans notre société.

Comme bien des actes que j’accomplis moi-même chaque jour. Par

exemple, la relation à l’argent de beaucoup de personnes est aussi un

péché. Tout comme le sont mes colères…

— Vous voyez, c’est un péché, vous condamnez.

— Pour qui ne croit pas en Dieu, je ne vois pas où est le problème

d’offenser Quelqu’un qui est sensé ne pas exister. Pour qui ne sait pas que

c’est un péché, ce n’en est même pas un. Pour qu’il y ait péché, il faut être

conscient que l’on offense Dieu.

— Oui, mais ces gens sont exposés à votre regard. Qui les

condamne.

— C’est vous qui le dites et vous n’en savez rien. Le Christ nous a

montré qu’il aimait les pécheurs. Au point de leur sauver la vie. Ce n’est

qu’ensuite qu’il les encourageait à ne plus pécher. Lisez l’épisode de la

Femme Adultère8. Un chrétien cohérent avec sa foi ne condamne pas. Il

vient au secours.

— Alors que vous continuez à les discriminer.

— Les mots ont un sens. Discriminer signifie distinguer ce qui est

différent. On peut discriminer de façon juste ou de façon injuste.

La plupart d’entre nous pensons qu’il ne faut pas faire de

discrimination injuste à l’égard de ces personnes. Nous ne contestons pas

qu’ils puissent s’aimer sincèrement. Nous ne contestons pas que le désir

d’enfant de certains ne soit un désir sincère. A une époque où le désir

d’enfant est particulièrement atrophié, il serait de mauvais goût de leur

8 Evangile, Jean 8, 1-11

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— Le responsable de votre projet au Sénat a trouvé que ce n’était

pas utile. Circulez, rien à voir ! Suivi d’un vote à main levée ! Laissez-moi

rire !

Quant à l’audition des « responsables des religions » à

l’Assemblée, elle a été tout à fait emblématique. Le type chargé de votre

projet les a insultés pendant trois quarts d’heure. En fait il n’attaquait que

les catholiques, en épargnant soigneusement les autres… Un discours nul,

mal composé, idéologique, et prouvant qu’il ignorait tout de l’Histoire de

notre pays et de l’Eglise. Bourré d’anachronismes. Moi, lorsque j’ai lu ce

discours, je me suis rappelé que nos parents se plaignaient que lorsque la

Gauche était au Parlement dans les années quatre-vingt, presque tous ses

députés étaient des enseignants. Je me suis dit alors qu’ils avaient bien de

la chance. Nous restons toujours dans le contexte de l’école, mais là, ce ne

sont plus les enseignants qui remplissent les bancs de l’Assemblée, mais

les cancres ! Et les plus crasses ! Le pire, c’est que ce type affirme qu’il est

catholique ! Je l’invite respectueusement à bien vérifier s’il ne serait pas

aussi catholique que moi Femec ! On ne sait jamais !

En face de cela, l’Archevêque de Paris n’a eu que quatre minutes

pour sa défense. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait été écouté, il a

répondu : « Oh ! La sono était bonne… » Alors, s’il vous plait, ne parlez pas

d’insulte !

— Mais bon sang, Caroline, vous ne pouvez nier que l’Eglise

condamne les homosexuels ! Depuis toujours !

— Elle ne condamne pas les personnes, Christiane, tout comme

elle ne condamne pas les pécheurs. Elle ne condamne pas la personne qui

subit une tendance homosexuelle. Elle dit que l’homosexualité mise en

pratique est un désordre qui n’est pas conforme au plan de Dieu. Parce

89

l’intimidation. Et plus vous cherchez à intimidez, plus nombreux nous

sommes !

Quant aux insultes, parlons-en, j’ai déjà essuyé bien des insultes

de la part de votre camp. Et la plus grosse des insultes n’est-elle pas

lorsqu’on compare la répression dont nous faisons l’objet, à votre

mansuétude vis-à-vis d’authentiques délinquants coupables de

destructions, de violences et de vol. Cela est insultant.

— Les délinquants ont une raison pour leurs vols ou leur

violence. Ils ont besoin d’argent et sont révoltés par une société qui ne leur

donne pas de travail. Vous, vous êtes des jeunes des beaux quartiers. Vous

n’avez besoin de rien pour vivre agréablement. Vous n’avez pas le droit

de vous plaindre, pas le droit de faire ce que vous faites…

— En fait, vous insultez les pauvres qui restent honnêtes. Et vous

méprisez le don de soi et la gratuité. Avec des raisonnements comme ça,

Madame, vous justifiez ceux qui, pendant les heures les plus noires de notre

Histoire, faisaient du marché noir, ou vendaient leurs voisins. Pour vivre.

Tandis que ceux qui, par idéal, par amour de la Patrie, se soulevaient

contre l’ennemi sans avoir un besoin matériel de le faire, ne seraient,

d’après votre théorie, que de jeunes bourgeois qui auraient mieux fait de

rester chez eux, et méritaient bien leurs douze balles dans la peau ?

— Je ne vous permets pas !

— Si j’attendais les permissions, je ne dirais pas grand-chose. Ne

voyez-vous pas, Madame, que c’est précisément ce qui divise notre

société : d’un côté ceux qui ne reconnaissent que l’acte intéressé et

économiquement utile, de l’autre côté ceux qui estiment que l’acte

désintéressé est supérieur à l’acte intéressé ? Vous êtes pour la société

individualiste, ou chacun n’est qu’un consommateur-producteur. Cette

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société-là écrase les plus faibles, les enfants, les vieux, et finit en dictature

si on la conteste. Je milite pour une société solidaire ou chacun peut

aspirer à un idéal et se sacrifier pour les autres, surtout s’ils sont plus

faibles. Pour les plus faibles, je suis prête à renoncer au bonheur matériel.

C’est une bonne raison pour m’arrêter.

— Ce n’est pas l’envie qui m’en manque. Vous êtes d’un orgueil !

— J’aime votre genre d’humilité qui consiste à vouloir changer

l’homme et la civilisation. Mais je suppose que vous ne m’avez pas

demandé de m’asseoir ici pour en venir aux mains ou m’y mettre les

menottes… Que me voulez-vous ?

— J’ai bien compris que j’étais votre ennemie. Alors pourquoi

avez-vous essayé de me protéger du jet de la mouffette ?

— Une adversaire, pas une ennemie. Madame Tobago, vous ne

comprenez vraiment pas ! Tout le monde parle de pensée unique, or je

pense que c’est inexact. Ce qui règne, c’est la pensée binaire : ce qui n’est

pas noir serait forcément blanc et inversement. Je me bats contre votre

idéologie, et pour vous, je serais donc forcément homophobe et fasciste.

Donc, je n’aurais jamais dû vous protéger. Cela vous gêne presque. Je

respecte les gens, et cherche ce qu’il y a de bon en eux, parce que ce sont

des personnes. Voilà pourquoi, j’ai voulu vous protéger, parce que vous

êtes une personne et que j’étais là.

— Mais quand allez-vous cesser cette opposition délirante?

Combien de temps, les Manifs pour Tous, les Veilleurs, les Veilleurs

Debout ? Et le Printemps Français, et les Hommens, et les Antigones, et les

Salopardes, et tous les autres ?

— Vous êtes bien renseignée. C’est Manu qui vous tuyaute ?…

95

— Je ne dévie rien. Le libéralisme libertaire est au cœur du

problème. Parce que si on s’arroge le droit de fabriquer un orphelin parce

qu’on en a envie, a fortiori, si on a envie de gagner plus d’argent, on a le

droit de fabriquer un chômeur.

Mais pour revenir aux homos, ces gens ont bien évidemment la

même dignité que les autres. Parce que l’attirance sexuelle n’est pas un

critère de segmentation de l’humanité. C’est une donnée personnelle. Je

me refuse de savoir si quelqu’un est homo ou hétéro. La seule segmentation

anthropologique, c’est homme ou femme. Et pour moi, c’est un frère ou

une sœur. Aimés de Dieu de toute éternité.

—Mais ne voyez-vous pas qu’ils se sentent insultés par votre

opposition si passionnée à ce à quoi ils travaillent depuis tant d’années ?

Insultés par ces manifestations monstrueuses.

— Ils se sentent insultés, alors que moi, je suis insultée

lorsqu’on me traite d’homophobe et de fasciste. On passe de la sensation à

la réalité objective. Du virtuel et affectif au réel. Cela résume d’ailleurs

tout ce qui nous sépare. L’ennui, c’est que ces gens qui se « sentent »

insultés n’ont qu’une obsession, nous faire taire. On ne peut donc même

pas discuter et leur expliquer que non, on ne les insulte pas.

— Faire taire les insultes, n’est-ce pas normal ?

— Dire que l’on n’est pas d’accord n’est pas une insulte. Vous

savez, on gagnerait beaucoup à faire en sorte que les gens s’écoutent un

peu. Mais ce n’est pas ce que vous avez choisi. Les manifestations en

masses ne sont que la conséquence de votre refus de nous écouter.

Lorsqu’on n’est plus écouté, on saisit un porte-voix.

— Nous vous avons auditionnés.

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94

— Ils essaient de faire ce qu’ils peuvent au milieu de cette crise

économique.

— Dont ils sont coresponsables. Vous faites tous partie de

l’oligarchie mondiale qui a organisé le système politique et économique

libéral-libertaire.

— Je ne suis pas libérale. Je suis de Gauche, et je me bats pour

l’égalité.

—Vouloir que des choses différentes soient égales, c’est la pire des

injustices. Et comme on fait de la prose sans le savoir, on fait de

l’ultralibéralisme et du libertarisme sans le savoir aussi.

— Je ne vous savais pas si peu libérale… On peut être de Gauche

sans le savoir, apparemment…

— Je pense que le capitalisme industriel classique, avec la liberté

d’entreprendre et la place donnée à l’imagination, au risque et à l’épargne,

est un système économique excellent et parfaitement naturel. Il reste à la

puissance publique d’en éviter les abus. L’homme restant l’homme. Mais

je suis contre la perversion, à la fois du capitalisme et de l’Etat par l’esprit

libertaire. Cela a donné les abus de la mondialisation et de l’économie

financière à outrance. Contre lesquels vous ne faites rien. Parce que vous

n’avez plus aucun pouvoir. Il n’y a plus d’Etat indépendant pour veiller

au Bien commun.

— Ne déviez pas le problème sur le libéralisme et l’économie. Ma

question est pourquoi une telle opposition à l’égalité pour les

homosexuels ? Ces gens ne sont pas dignes ? Ils sont inférieurs aux

autres ?

91

— Combien de temps allez-vous vous opposer à une loi votée

démocratiquement ? Combien de temps allez-vous refuser le sens de

l’Histoire ?

— Cela vous travaille, hein ? Vous n’avez rien compris. Pour

vous, tout était déjà réglé. Mais l’Histoire n’a pas de sens, et avec des gens

comme vous, elle devient même insensée ! Dans les années Trente, le sens

de l’Histoire, c’était le fascisme. Dans les années Cinquante le

communisme. Puis vint le Libertarisme après mai 68, et l’ultra-libéralisme,

son comparse, après la chute de l’URSS. Maintenant vous avez failli

réussir à nous inoculer en douce l’idéologie du Gender. Prise la main dans

le sac ! L’Histoire s’écrit au rythme de ceux qui la font. Dès la première

Manif pour Tous, j’ai su que désormais c’étaient nous qui avions la plume.

Notre opposition va durer un certain temps. Nous sommes au

début de… disons… la Guerre de Cent Ans. Et ceux qui tiennent le rôle

des Anglais, c’est vous ! Vous et vos porciniens, vous allez être boutés,

soyez en sûre. D’autant que vous refusez de vous reproduire, alors que

nous, nous nous reproduisons.

— Vous êtes une minorité de cathos attardés et vous le resterez.

— Une minorité qui dépasse le million quand elle descend dans

la rue. A trois reprises ! Mais votre copain Vincent Paillard devrait vous

apprendre les mathématiques, au lieu d’enseigner le mode d’emploi du

zizi dès la maternelle, ou d’expliquer aux petits que les papas peuvent

désormais se mettre en robe. Les maths, c’est imparable. Si vous avez dix

pour cent de la population qui font quatre enfants, et quatre-vingt-dix

pour cent qui en font un seul, en quatre générations les proportions sont

inversées. Comme les seuls à faire des bébés sont les cathos et les

musulmans, dans moins d’un siècle, il n’y aura que des gens religieux

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dans notre pays. Point final ! La première loi du monde, c’est la

démographie. Ne le dites pas à Vincent Paillard ou au bon Monsieur

Lebon… Ils en feraient une maladie. Il faut leur faire la surprise.

Mais on ne lâchera rien, jamais, jamais, jamais ! »

Civilisation en péril

« Vous êtes terrifiante ! », répondit Christiane Tobago, pensive.

« Car vous refusez la loi de la majorité actuelle. Vous n’êtes pas

démocrate. »

— La démocratie se fonde sur la loi de la majorité, reprit aussitôt

Caroline. Et elle fait des lois pour que les minorités soient respectées par la

majorité. C’est un bon système pour établir une règle du jeu pacifique

entre citoyens. Cela ne signifie pas qu’une chose soit vraie et bonne

simplement parce que la majorité en a décidé ainsi. Mais c’est une règle

du jeu. Quand il s’agit de définir un budget et les grandes lois qui règlent

la vie en commun, on passe par le Parlement. Quand il s’agit de changer

les grandes règles du jeu contenues dans la Constitution, il faut un

référendum ou un vote du Congrès. A votre avis, pour un « changement

de civilisation », il faut quoi ? Au grand minimum, il faudrait le traiter

comme une modification de la Constitution. Avec une majorité des deux-

tiers. Et encore !

Mais pour vous, Madame Tobago, lorsqu’il s’agit de « changer la

civilisation », le sens de ce qu’est l’Homme ou la signification des mots,

vous pratiquez le vote à main levée, et vous levez main et matraque sur

les citoyens qui affirment que toute modification de tout cela n’est plus du

ressort du simple jeu de la majorité. Vous vous asseyez sur de grands

93

mouvements populaires de plus d’un million de citoyens, et sur des

pétitions d’ampleur historique. Et vous utilisez la propagande minable et

inculte de vos médias qui vous lèchent les bottes, pour effacer l’existence

de cette opposition. Vous truquez les chiffres, les films, et les photos. Vous

faites comme les staliniens, qui d’année en année, effaçaient des

photographies ceux qui étaient tombés en disgrâce. Et vous refusez le

droit à l’objection de conscience avec l’aide d’un Conseil Constitutionnel

qui n’est plus qu’une bande de caniches vous léchant les mains. J’appelle

ça une dictature et je ne reçois pas de leçon de démocratie des dictateurs.

Donc c’est la guerre ! De libération ! Nous irons jusqu’au bout.

— Donc vous finirez en prison.

— Comme prisonnière politique, j’y suis prête madame !

— Comme homophobe qui refuse l’égalité pour tous.

— Comme Résistante qui se bat pour les droits de tout enfant à

avoir un père et une mère. Et à ne pas être fabriqué comme orphelin

destiné à être commercialisé. Je n’ai pas de haine pour qui que ce soit,

mais je n’admets pas que certains groupes ultra-minoritaires imposent les

« changements de civilisation» au mépris des plus faibles.

— Vous voulez vraiment me faire regretter d’avoir utilisé cette

expression devant le Parlement ?

— Je voudrais surtout vous faire regretter de travailler pour le

Mal pour tous, alors que vous avez la capacité, l’énergie et l’intelligence

de travailler pour le Bien Commun. Je ne vous hais point ! Ouvrez les

yeux, Christiane ! Vous n’êtes pas à votre place au milieu de cette équipe

de sous-nullards porciniens ! Ils sont pathétiques !

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134

Le garde tira en l’air, dans l’espoir de faire dévier, soit le

président, soit l’orignal, soit l’attaché militaire. Cela ne changea rien. Puis

furieux, il courut en direction du lac, pour prendre un peu de champ et

pouvoir aligner la bête sans toucher personne. C’est alors que l’ineffable

Cécile Duvent, ministre écolo, lui tomba sur le paletot :

Non, il ne fallait pas tirer sur cet animal. Oui, les orignaux se

reproduisent plus difficilement que les présidents de la République. Non, le

DALO, ne veut pas dire “droit au logement des orignaux”. Oui, l’empreinte

carbone d’un président de la République est bien plus importante que celle d’un

orignal.

Bref, impossible d’ouvrir le feu.

Séraphin Porcinet était en train de revoir sa vie, car il était sûr de

mourir dans la minute. C’était une belle vie. Normale. Il était satisfait de

tout. Absolument tout. Surtout des moments les plus médiocres. Mais il

avait la trouille de recevoir l’orignal dans ses fesses. A l’extrême droite. La

plus douloureuse. Il sentait la bête s’approcher, là, juste derrière.

L’orignal le talonnait. Lui, le Grand Orignal allait rattraper le

mâle dominant des humains. Ce type fuyait, il ne faisait pas face. Ce

n’était pas un mâle digne de se reproduire. Il allait l’éliminer

définitivement pour le bien-être des biches et leur filiation.

Séraphin Porcinet sentit dans son dos le souffle du grand cervidé,

puis le frôlement de ses bois. Il était perdu.

107

Un choc violent se fit sentir sur la verrière. Une flaque rouge. Un

autre choc, plus léger, sur la droite. Un témoin s’alluma et une sirène se

mit à hurler.

« Oh ! On vient de … Mais c’est pas vrai…

Un autre choc, vers la gauche. Nouveau témoin, nouvelle sirène.

« Quoi ?

— C’est le moteur droit et… et merde ! Le gauche aussi. Extinction

moteurs ! »

En pleine phase d’ascension, l’Airbus A330 semblait comme

indécis…

L’indicateur de décrochage se mit à hurler. Nouvelle sirène.

« On rallume à gauche », cria le commandant.

D’inquiétantes vibrations venaient du gauche. Brusquement,

après un redémarrage poussif, il cessa tout fonctionnement.

« Hé ! Nous avons heurté les oies. Il faut revenir à la piste !

— Pas possible, répondit froidement le commandant. Trop bas et

trop lents pour revenir à la piste après virage. Il faut… il faut se poser où

on peut.

— Merde, merde, merde ! »

« MAYDAY, MAYDAY, COTAM Triple Zero Un, moteurs

stoppés, collision bernaches. Nous cherchons à nous poser droit

devant. Retour à la piste pas possible.

— Stanfield Control à COTAM Triple Zéro Un. Plusieurs lacs devant

vous. Il y en a un au cap 025 à 6 nautiques qui présente bonne longueur et

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108

profondeur suffisante sauf à l’extrémité. Le Bullshit Lake. Préparons secours.

Bonne chance. »

Rapidement, le Commandant évalua la situation : « Bon, six

nautiques, tous les éléments sortis, nous devrions tenir. Je rentre les

trains.

— Nous sommes passés sur la puissance électrique de secours,

répondit le pilote. »

Puis le commandant appela la cabine :

« Ici le commandant, nous avons heurté des oiseaux en vol. Nous

avons des problèmes avec les moteurs. Nous ne pouvons revenir nous

poser sur la piste. Nous allons donc nous poser sur un lac. Sur l’eau. Dans

deux minutes environ. Prenez tout de suite les gilets sous votre siège,

attachez-vous bien, et au moment de l’atterrissage, baissez-vous et

poussez avec vos bras sur le dossier qui vous précède. Le freinage va être

un peu brutal. Mais ne craignez rien, nous savons faire. On va s’en tirer. »

Les deux hommes surveillèrent le radar avant. Rapidement, ils

repérèrent une longue étendue d’eau. La carte électronique du Bullshit

Lake fit apparaître le profil. Suffisamment profond au début, puis

finissant dans la vase. Assez long. Un peu de relief sur la rive est, mais en

approche sud-ouest, tout était OK. Le tout était de ne pas heurter les

arbres en limite de lac. Mais aussi de bien profiter de toute la longueur du

plan d’eau. La forêt était omniprésente.

« Il faut larguer nos leurres, dit le commandant. Je ne me vois pas

aller au tapis avec ces trucs pyros. »

Et il actionna une commande.

133

droite. Alors Séraphin courait. Il courait avec un but unique : atteindre

l’arbre, là-bas. Loin, trop loin. Jamais il n’avait autant désiré un arbre.

L’Arbre de Vie. Ce n’était plus la course à la présidence, mais pour la vie.

Sa vie !

Le second garde arriva avec une carabine un peu plus musclée.

Mais ils se figèrent lorsqu’ils virent un type en uniforme militaire courir

devant eux en direction du président tout en portant un attaché-case.

L’attaché militaire chargé des codes nucléaires !

Celui-ci courait en hurlant : « Monsieur le Président, monsieur le

Président, attendez-moi, la sécurité de la France avant tout !

— L’imbécile, gronda le garde. On ne peut quand même pas

risquer de toucher la Force de Frappe. »

Et il hurla à l’adresse du militaire : « Mais dégagez de là, nous

allons tirer ! Vous nous gênez. »

En vain. N’écoutant que son devoir, l’attaché militaire du

président Porcinet, choisi par ce dernier pour sa fidélité et son intelligence,

le détail est important, continua à courir derrière l’orignal et son

président.

Pendant ce temps, installée à la lisière du bois, un genou à terre,

Jaimie Olson, la journaliste canadienne filmait et photographiait en rafale.

Elle ne comprenait pas trop la stratégie de fuite du président français. Il

devait sans doute y avoir une raison pleine de finesse 10. Les descendants

de Napoléon ne peuvent être que surprenants. Elle fut rapidement rejointe

par les trois fugitifs qui soufflaient comme des phoques de Gaspésie.

10 en français dans la pensée de Jaimie

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Le grand orignal chargeait en défonçant le sol herbeux de ses

longs sabots. Il lançait ses antérieurs le plus loin possible et poussait au

maximum sur ses postérieurs car il avait compris que le gros mâle

humain, sa biche, le petit mâle excité et teigneux, le petit mâle au genre

non défini, et le mâle soumis à casquette, voulaient se réfugier dans le

sous-bois. Soudain, il constata que le gros mâle humain adverse avait

changé de direction, et partait maintenant à découvert. Sans doute pour

faire face, et le charger à la loyale. Lui aussi changea de direction. C’est le

gros mâle qu’il allait embrocher !

Le garde leva son arme et tira au jugé. Trois fois. Le grand orignal

sentit une seule douleur dans sa cuisse arrière gauche. Mais ce fut tout. Le

pistolet n’était pas du calibre à inquiéter une bête de six cents kilos lancée

à pleine course. Et c’était déjà un peu hors de portée. Mais cela augmenta

la fureur de l’animal qui accéléra encore. Car ce n’était pas loyal ! Depuis

le début, ces gens n’étaient pas loyaux.

Séraphin Porcinet courait toujours. Lui aussi n’avait jamais autant

couru et si vite. Il allait perdre tous les kilos que Valérie lui reprochait

matin, midi et soir. Et même au milieu de la nuit. C’était toujours ça de

gagné, mais on lui avait toujours affirmé que les cures d’amaigrissement

pouvaient être dangereuses. En homme perspicace et près du terrain, il

savait avec certitude que la situation présente était vraiment dangereuse.

Il avait eu quelque espoir en entendant les coups de feu, mais

apparemment ça n’avait pas marché. L’ennui, c’est qu’il s’était retourné,

juste pour constater que l’orignal était vraiment très près, et qu’il avait

vraiment une sale gueule, un regard méchant, et surtout des bois

immenses, lourds, larges et positionnés bien bas. Ils allaient le toucher au

derrière, là où il avait encore mal. C’était un orignal proche de l’extrême-

droite, pour sûr. Plus précisément de plus en plus proche de sa fesse

109

Aussitôt, une gerbe de paillettes métalliques et de mini-torches

incandescentes se dispersa sous le fuselage de l’appareil. L’Airbus

présidentiel était en effet équipé d’un dispositif d’autoprotection à l’aide

de leurres anti-missiles. Il valait certainement mieux ne pas les conserver

en prévision du choc de l’atterrissage de fortune.

Dans la cabine plongée dans l’obscurité régnait un certain

désarroi. Les trois hôtesses galopaient dans tout l’avion afin d’aider à

passer les gilets de sauvetage et apaiser la détresse de certains. Caroline

dut élever la voix pour calmer Noël Maparendeux qui exigeait un

parachute. Valérie Tiergarten l’étonna un peu : elle vint soutenir Caroline

pour obliger l’énergumène à s’asseoir. Puis, elle alla prendre sa place à

son tour. Elle émit un bref sourire à l’adresse de Caroline.

Titubant, le Préfet de Police, apparemment réveillé mais pas très

vaillant, sortit de la coursive avant, et vint s’installer sur son siège. Avec

un gros coussin sous le derrière. Pour abandonner ainsi son patron, il

fallait qu’il soit très perturbé… Elle lui fit enfiler son gilet. Et elle rangea

soigneusement sa casquette dans un placard. Elle lui fit un petit sourire,

qu’il lui rendit. Le premier sourire du voyage !

La peur pouvait se lire dans tous les regards. Il y avait ceux qui

paniquaient, et ceux qui restaient calmes. Elle se dit que les êtres humains,

quels qu’ils soient, avaient des réactions bien différentes lorsqu’ils se

trouvent face à l’heure de vérité… Même s’ils ont refusé la vérité pendant

toute leur vie…

Constatant que Roselyne Camelot et Iouliana, l’autre hôtesse,

s’étaient déjà assises, Caroline fila vers son siège de personnel de cabine,

placé dos à la marche, donc mieux adapté pour gérer les chocs et les

freinages d’urgence. Elle passa devant le siège de sa meilleure ennemie,

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110

Christiane Tobago. Celle-ci n’avait plus vraiment l’allure d’un Garde des

Sots, ni manifestement l’envie de la mettre au trou. La ministre était livide

et de fines gouttelettes de transpiration lui descendaient le long des

tempes.

Caroline l’aida avec le gilet de sauvetage, puis, prise de pitié,

décida de s’asseoir à ses côtés. Elle lut un peu de reconnaissance dans le

regard de la ministre.

« Vous croyez qu’on va s’en sortir, souffla Christiane ?

— Je n’en sais strictement rien madame… Nos pilotes sont sans

doute parmi les meilleurs qui soient. Ils feront de leur mieux.

— Vous… vous avez peur de la mort ?

— Comme tout le monde. Mais je n’ai pas peur de ce qu’il y a

après. Je n’ai jamais vécu comme si la mort n’existait pas, ni comme si elle

n’était qu’un mur sans espérance dans lequel on se fracasse un jour.

J’espère bien rencontrer un jour la Lumière, l’Amour et la Vie. Si c’est

bientôt, j’accepte, et j’attends d’entrer dans la Vie.

— Vous croyez à tout ça ? Il n’y a plus rien…

— Nous serons peut-être bientôt fixées, madame. J’ai un avantage

sur vous. Si j’ai raison, je le saurai, car ce ne sera qu’un commencement, si

vous avez raison, vous n’en saurez rien, car tout sera fini. Si vous voulez

bien, je peux prier pour vous. »

La ministre garda le silence. Caroline se pencha légèrement pour

regarder à l’extérieur… On voyait très bien le sommet des arbres de la

forêt. Et ils étaient bien trop près… A l’ouest, le soleil commençait à

s’incliner et à allonger les ombres.

131

constituera une cible… ouf… plus… ouf… facile à abattre si c’est vous…

ouf… qu’elle suit. On se débrouillera… ouf… Vous voyez cet arbre…

ouf… isolé près de l’eau. Vous pourrez… ouf… ouf… y grimper.

— Tu as toujours raison… ouf… ouf… ouf…mon bon

Manuel. Merci de te sacrifier… ouf… pour moi… ouf… et ma

sécurité...ouf…»

Le président Porcinet fit un crochet vers la gauche, et se lança en

direction de l’ouest dans l’espace dégagé qui séparait le lac de la lisière de

la forêt, tandis que Manuel Iznogaz continua sa course de dératé en

direction des taillis, suivi de près par le Préfet de Police qui courait en

tenant sa belle casquette préfectorale, et le pauvre Vincent Paillard qui

n’avait jamais couru aussi vite de toute sa vie et qui était déjà tout rouge.

Car le malheureux ministre de la Déséducation Nationale n’aurait

jamais imaginé être talonné par un animal aussi gros, aussi lourd, et aussi

rapide pendant un voyage officiel. Et il était en train de constater sur le

terrain qu’il y a encore une grosse différence entre les genres, par

exemple, par la taille des bois, la longueur des pattes, et la masse

musculaire. Et encore, il était fort mal placé pour voir ce qui avait tant

attiré l’attention des biches, quelques dix minutes auparavant. Il en aurait

à raconter dans sa Loge, toute une « planche » sur l’application des

Gender Studies aux orignaux. Avec autant de planches aussi

passionnantes, il pourrait peut-être un jour devenir Grand-Maitre à la

place du Grand-Maitre. S’il survivait… En attendant, il courait comme un

malade! Ouf… ouf !

L’un des gardes avait sorti un pistolet, mais il hésitait. Il risquait

de toucher aussi le président, ses ministres, le préfet et la journaliste. C’est

alors qu’il vit le président partir sur la gauche.

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de surgir tout près d’eux et qui ne leur montrait que sa croupe, et

s’élancèrent à sa suite, dans la direction de l’appel du président.

Jaimie détala aussitôt en courant vers la forêt toute proche. Ses

baskets roses ne touchaient presque plus terre, et sa queue de cheval

battait l’air au rythme de ses longues et souples foulées. Elle ne regrettait

pas son jogging quotidien à six heures du matin. L’animal pourrait certes

s’engager au milieu des grands arbres, mais devrait ralentir, et ne pourrait

l’y poursuivre ni l’encorner au milieu des troncs serrés les uns contre les

autres.

Le président se lança derrière, immédiatement suivi par les deux

ministres, mais c’est alors qu’une abominable idée jaillit dans le cerveau

du vil, de l’ignoble, de l’infâme ministre de toutes les Polices, Manuel

Iznogaz. Ses yeux brillèrent, et un grand sourire gourmand apparut sur

son visage émacié, malgré l’urgence de la situation et la folle poursuite

dans laquelle il était engagé. Peut-être avait-il là une occasion de devenir

enfin président à la place du président. Tout en courant à ses côtés, il lui

cria :

« Monsieur le Président de tous les Français… Je crois que votre

sécurité serait mieux assurée… ouf… si nous nous dispersions… ouf... La

bête hésitera… ouf… les gardes auront le temps de l’abattre… ouf…

— Tu as raison… ouf… mon bon Manuel… dispersons

nous…ouf… Vous courez… sur la grève… ouf… et je continue…

ouf…ouf… vers le bois…

— Non, Monsieur le Président… ouf…, reprit le vil ministre, en

continuant ainsi vous êtes dans la ligne de tir… de… ouf… vos gardes. Ce

sont eux… ouf… qui hésiteront… ouf… à tirer. Partez vers le lac… ouf…

et courez sur la grève… ouf… vous irez plus vite, et la bête… ouf…

111

A part quelques sanglots, tout était silencieux dans la cabine. Il y

avait quelque chose de sinistre à ne plus entendre le bourdonnement des

moteurs, seulement le sifflement de l’air le long du fuselage.

Caroline dit alors à voix basse : « Mon Dieu ayez pitié de tous ces

gens : ils ne savent pas ce qu’ils font. Et pardonnez ce que j’ai fait de

mal… Mon Dieu, je vous aime. »

Elle sentit que Christiane Tobago venait de lui saisir le bras. Elle

serrait. Fort, très fort.

Dans le poste de pilotage, les pilotes n’avaient guère le loisir de

philosopher. Le lac se présentait bien devant eux. L’Airbus allait-il

l’atteindre ? Le commandant Léger transpirait fortement. Il y avait un

moment précis où il lui faudrait rentrer les volets et arrondir son vol. Trop

tôt et l’avion décrocherait et s’abîmerait au milieu des arbres, sans

rémission aucune. Trop tard, et il arriverait bien trop vite à l’autre

extrémité du lac…

500 pieds, afficha l’altimètre.

« On y va…, dit-il. Je prends les commandes. Surveille l’assiette

en roulis. Reste à zéro. Je m’occupe de l’arrondi… »

Dans la cabine, on entendit alors la voix claire de Caroline qui se

mit à chanter la prière entraînante qui avait si souvent rythmé ses pas lors

de son pèlerinage favori sur les chemins boueux de la Beauce :

— Je vous salue-Marie comblée de grâce, le Seigneur est a-avec vous,

400 pieds.

Le commandant actionna la rentrée de tous les volets.

Christiane serrait le bras de Caroline encore plus fort.

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— Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus - votre enfant est béni,

300 pieds.

« Faites la taire! » brailla une voix masculine vers l’avant.

« Prends ce pauvre homme en pitié », pensa Caroline.

Et elle chanta un peu plus fort.

— Sainte Marie, Mè-re de Dieu, priez pour nous, pauvres pêcheurs,

200 pieds.

Cela commençait vraiment à lui faire mal au bras.

— Maintenant et - à l’heure de notre mort, amen, amen, alleluia.

100 pieds.

« Ici le Commandant, on se pose sur l’eau. Tenez-vous bien. »

« Et à la grâce de Dieu », ajouta-il à l’adresse de son compagnon.

Tirant doucement le manche, il cabra légèrement l’Airbus afin de

ne pas trop enfourner les réacteurs dans l’eau. S’ils pouvaient ne pas

s’arracher…La lisière de la forêt était là. Le plan d’eau parfaitement calme.

L’indicateur de décrochage se mit à hurler.

50 pieds.

— Je vous salue - Marie comblée de grâce…

Un léger choc. Sans doute la pointe d’un arbre touchée par la

queue de l’appareil.

Le Commandant retint sa respiration.

— Le Seigneur est a-avec…

Rigoureusement maintenu à la bonne assiette, l’appareil venait de

s’aplatir dans l’eau. Les moteurs d’abord. Puis le fuselage et les ailes.

129

La charge

« Tiens un brame, fit remarquer le Préfet de Police de Paris en

levant le nez.

— Quel flair de détective, Préfet, il y a plus de chance d’en

entendre ici que sur les Champs-Elysées, rétorqua avec hauteur le vil,

l’infâme, l’ignoble Manuel Iznogaz, le ministre de toutes les polices.

— Et oui, mon bon Manuel, répondit le président Porcinet, nous

sommes dans la nature. Il nous faut apprécier. On pourrait peut-être aller

voir la brave biche qui vient d’émettre ce son mélodieux. »

Jaimie Olson, la journaliste canadienne, sentit alors des vibrations

sur le sol, puis entendit comme un bruit de sabot étouffé par l’herbe. Elle

tourna vivement la tête et aperçut l’orignal qui chargeait. Il venait de

passer en trombe à quelques mètres du groupe des naufragés, et ceux-ci

semblaient tout à fait médusés.

« O my God ! A moose9! A huge bull! Sirs ! Vite, écartons-nous, il a

l’air de charger. »

Séraphin Porcinet se tourna à son tour et aperçut l’animal furieux

dont les énormes bois grossissaient à vue d’œil. Son visage éternellement

réjoui se décomposa alors.

« A moi la gaaaaaaaaaaaaaaaarde ! », hurla-t-il, brusquement habité

par la terreur.

Les deux gardes, qui conservaient toujours bêtement un œil

attentif sur Caroline, tournèrent la tête, virent l’énorme orignal qui venait

9 Orignal en anglais d’Amérique.

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128

Il considéra alors longuement les divers groupes en présence.

Tous avaient un comportement pas très dominant. Ils avaient l’air gelés et

tourmentés par les maringoins. Tous sauf un groupe. Bien en évidence sur

une petite butte, un peu plus loin sur sa droite. Il y avait là sans doute le

mâle dominant, celui qu’il faudrait affronter.

Il regarda longuement. Cela ne pouvait pas être le gringalet

excité. Pas assez gros. Sans doute un jeune mâle rêvant de devenir le chef

de harde à la place du chef de harde. Ni le petit timide. Trop effacé. Et on

ne pouvait savoir s’il s’agissait d’un mâle ou d’une femelle. Quelle

confusion de genre ! Ce ne pouvait pas non plus être la personne à la voix

plus aiguë et au comportement de biche. Clairement, une femelle. Il y

avait bien l’humain qui restait derrière le petit excité et qui avait une

casquette. Sans doute quelque chose qui tient lieu de bois chez les

humains. Mais il paraissait aussi trop docile et effacé. Non, le mâle

dominant, c’était certainement le petit gros jouisseur qui avait l’air très

intéressé par la femelle et qui bramait tout le temps. Et qui sentait plus

mauvais que les autres. Et qui semblait jouir de la considération de tous.

C’était lui le gros mâle qu’il faudrait combattre. C’était lui qu’il faudrait

charger. Un duel à mort, bois contre bois, crâne contre crâne. Et comme le

grand orignal se trouvait désormais à la limite de la forêt, entre le groupe

principal des humains et son rival, il pourrait ainsi l’isoler du groupe.

C’était mieux ainsi. On ne sait jamais, avec les humains… Le duel pouvait

commencer.

Le grand orignal fit deux pas en avant, sortit du taillis, gratta le

sol avec ses énormes sabots de vingt centimètres, inclina la tête, brama,

puis s’élança, bois largement déployés en avant. A mort !

113

La carlingue vibra de toutes ses membrures dans un bruit

épouvantable. Caroline se sentit projetée en avant. Yeux fermés, elle était

certaine que l’avion venait de se disloquer, les ailes de se déchirer. Bien

qu’arc-boutée et penchée en avant, elle poussât de toutes ses forces sur ses

bras, elle sentit la ceinture lui pénétrer le ventre et l’étouffer. Cela lui

arracha un cri de douleur. Elle suffoqua. Elle allait mourir. « Jésus, gémit-

elle… »

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127

— Oui mon amour ! Il suffit de se laisser glisser comme des

loutres et de nager jusqu’à la rive. Facile ! Cette nuit, la Liberté !»

Donnant l’exemple, il franchit le seuil du hublot, et hop, en une

longue glissade museau en premier, il plongea dans l’eau. Sa petite tête

blanche et noire apparut bien vite à la surface, et les enfants-mouffettes

suivirent. La mère plongea en dernier.

Moins d’une minute plus tard, les six petits animaux grimpaient

sur la berge et filèrent en direction de la forêt en s’éloignant des naufragés.

A quelques centaines de mètres de là, à la lisière du bois, le grand

orignal contemplait les humains. Après sa fuite folle, ruminant sa

revanche, le gros mâle était revenu vers le lac, non sans avoir pris la

précaution d’effectuer un grand crochet par la rive ouest, afin de

s’approcher complètement sous le vent. Vieux réflexe d’orignal. Et ces

humains, on les sentait de loin ! Ils étaient vraiment des spécimens

exceptionnels. Ils puaient comme pas possible. C’était évident qu’ils avaient

été en contact avec des mouffettes.

Donc, ce monstre qui l’avait humilié devant ses biches et

interrompu pendant qu’il assurait sa descendance, ce monstre appartenait

aux humains. Une harde d’humains qui voulaient sans doute lui prendre

sa harde à lui. Il y avait sans doute là un mâle dominant. Lui, le Grand

Orignal ne pouvait supporter cela. Le duel était inévitable.

C’est à ce moment-là qu’il sentit le vent tourner. Il huma. La brise

de lac se levait et soufflait désormais vers le groupe d’humains. Mu par

l’instinct, le grand orignal s’enfonça dans la forêt et continua alors à

remonter en sous-bois vers la pointe nord-est du Bullshit Lake. Bientôt,

bien caché dans les broussailles, il se trouva tout près des naufragés.

L’odeur de mouffette était vraiment désagréable.

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126

Séraphin Porcinet, accompagné de deux ministres, Manuel

Iznogaz et Vincent Paillard, ainsi que du Préfet de Police qui ne se

séparait jamais de son patron, s’écarta sensiblement du groupe des

naufragés afin de répondre aux questions de la jeune journaliste.

Oui l’escale à Halifax était bien prévue. Non ce n’était pas un

atterrissage d’urgence. Oui l’avion redécollerait bientôt. Non les moustiques ne

les importunaient pas. Oui, il était très populaire en France. Non, il n’y avait pas

eu de manifestations en France pendant l’année. Oui, la courbe du chômage allait

s’inverser très vite. Non, il n’était pas le fou du roi d’Obama. Oui, le temps avait

été très agréable en France depuis son élection. Non, il ne sentait pas mauvais

comme pas possible…

Duel

La mouffette mâle Fleur pointa son museau au niveau du hublot

grand ouvert. Il huma l’air de la forêt. Des tas d’odeurs bien connues.

Sous son regard s’étalait le toboggan d’évacuation. Il s’était remis du

terrible choc de l’atterrissage sans trop comprendre ce qui arrivait, et la

seule chose qu’il comprenait, c’était que les portes s’étaient ouvertes à ce

moment, que la « cabane » était désormais vide, et que ce toboggan leur

permettrait de s’évader. Sa femelle Marguerite était ravie de retrouver

Coquelicot. La pauvre petite mouffette était un peu traumatisée, mais bien

calée sous la console électronique du poste de pilotage, elle n’avait pas été

blessée. Elle portait toujours la grosse trace de rouge à lèvre de Roselyne

Camelot sur le sommet du crâne.

« Tabarnak ! Quelle histoire !

— Fleur, votre langage, surtout devant les enfants !

115

Chapitre III - Un élan

patriotique

Bullshit Lake

Ciel et forêt se trouvaient réunis dans le miroir crépusculaire du

lac. Poètes à leur heure, les canards déclamaient leur prière du soir. Et du

côté de la pointe nord du plan d’eau, à quelques pas de l’onde calme, se

déroulait alors le plus antique des cérémoniaux de Dame Nature.

— Acharne-toi, acharne-toi ! brama la biche ployant sous l’assaut

des six cents kilos du grand orignal en rut qui venait de planter ses lourds

antérieurs sur le dos de sa femelle.

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116

— Mais j’m’acharne, brama à son tour l’énorme cervidé en

secouant de droite et de gauche ses superbes bois aplatis, larges comme

des battoirs. Et dans un nouveau bramement formidable, poussant sur ses

postérieurs plantés dans la boue, il obligea la femelle à se diriger vers

l’eau.

A quelques mètres de là, quatre autres biches au long museau

disgracieux admiraient le spectacle. Ce serait bientôt leur tour, et leur

descendance serait assurée. Il en était ainsi depuis des millénaires.

— L’an dernier, il m’a poussée au milieu du lac, dit l’une d’elle en son

patois…

— Moi, j’ai dû plonger dans les taillis pour m’en défaire. Ce qu’il est lourd, ce

type. Mais c’est un vrai mâle, notre grand orignal. Avec lui, nous avons de bien

beaux enfants…

—Et tu as vu ses bois ? Plus larges et plats que des queues de castor. J’en bave

d’envie. Moi-aussi je veux qu’il s’acharne…

— Jouisseuse !

— J’assume.

— Attends d’assumer ses kilos.

— Et ses énormes sabots. La dernière fois, mon dos était en sang.

— On ne peut lui demander d’être un beau mâle et d’être délicat.

— En tout cas c’est le plus fort. Il n’a jamais supporté d’autre mâle.

— Nous, nous le supportons…

— C’est le cas d’le dire.

— Il paraît qu’il y a des humains qui prétendent que les différences entre mâle et

biche, c’est culturel…

125

« On ne reste pas près de l’avion », ordonna le commandant,

obligeant tout le monde à grimper sur le rivage, un peu plus loin de la

carlingue. Les gardes saisirent la jeune fille par les bras, et l’entraînèrent

avec les autres.

C’est alors que l’hélicoptère qui tournoyait au-dessus d’eux

depuis une minute se posa à quelque distance. Jaimie Olson en sortit,

munie de son appareil à photos et de sa sacoche. Aussitôt, le Préfet de

Police, sur un coup d’œil de Manuel Iznogaz, donna l’ordre de relâcher

Caroline. Cela ferait mauvais effet… Christiane la rejoignit rapidement et

l’écarta du groupe.

Vincent Paillard secoua la tête avec tristesse : la jeune journaliste

portait des baskets roses, ce qui prouvait qu’elle avait été livrée beaucoup

trop longtemps à la mauvaise influence des déterminismes familiaux et

des stéréotypes de genre, lequel elle n’avait pas été libre de choisir.

Heureusement qu’il allait régler ça en France avec les petits enfants ! Il

faut s’y prendre très tôt !

Jaimie était bien sûr anglophone, mais avait effectué plusieurs

stages d’immersion en langue française à Québec et à Trois-Rivières. Elle

se dirigea donc vers celui qu’elle reconnut aussitôt comme le président, et

sans se laisser impressionner, elle l’aborda en français pour lui demander

de ses nouvelles. Elle tiqua à la vue d’Iouliana, seins nus. Dans cette

province un peu conservatrice de Nova-Scotia, les Français n’ont pas une

réputation d’être très puritains, mais à ce point ! Retrouver le Moulin-

Rouge au cœur de la forêt de Nouvelle-Ecosse ! Mais surtout, ce fut

l’odeur pestilentielle qui imprégnait tout le monde qui la choqua. On

aurait bien dit une odeur de mouffette…

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124

« Et arrêtez cette terroriste, reprit le vil et infâme Iznogaz,

pointant Caroline du doigt !

— Allons, mon bon Manuel, il ne faut pas le prendre comme ça,

intervint Séraphin Porcinet. Elle a sans doute raison, cette petite, car le

pilote a fait de son mieux. Mais Mademoiselle, pourriez-vous me faire un

petit plaisir ? J’ai recruté des femecs, pas des hôtesses normales, même si je

suis un président normal. Vous êtes bien davantage que du personnel de

cabine, mais du personnel de poitrine. Il faut vous remettre en tenue, et

m’ôter ce gilet disgracieux et ce sweat non réglementaire. Regardez votre

copine ukrainienne, elle s’est remise en uniforme de Femec. Allons, allons,

soyez gentille !»

De fait, Iouliana, l’autre hôtesse Femec, plus disciplinée, s’était de

nouveau dépoitraillée, mais elle n’arrêtait pas de chasser frénétiquement

les moustiques avec son gilet.

Caroline était sidérée. Mais pas question ! Elle secoua la tête. Ce

qu’elle pensa alors ne sera pas répété… Jamais, jamais, jamais !

Alors le visage du président s’assombrit, et il reprit :

« Bien, mon bon Manuel, vous aviez sans doute raison, il nous

faut savoir qui a laissé entrer ces terribles animaux dans notre avion. C’est

une très grosse responsabilité. Peut-être devriez-vous vous assurer de

cette personne, dit-il en désignant Caroline. »

Le vil, infâme et ignoble ministre de toutes les polices, Manuel

Iznogaz donna alors l’ordre au Préfet de Police d’arrêter Caroline.

Christiane Tobago protesta, mais en vain. Deux gardes s’approchèrent sur

les ordres du Préfet de Police.

117

— Ils devraient venir chez nous. Notre grand orignal les cultiverait.

— Ils assumeraient.

— Tu as vu ses beaux testicules ?

— Plus couillu que lui, tu meurs. Bon, mais là je trouve qu’il pousse un peu.

— C’est le cas d’le dire.

— Il va finir par lui faire mal à la copine.

— Il s’acharne. C’est ce qu’elle voulait.

— Elle a pris son élan…

— C’est le cas d’le dire.

— Ouf ! Mais qu’est-ce qu’il lui met ! Tu crois qu’elle va pou…

Un incroyable fracas se fit alors entendre à l’autre extrémité du

lac. Les biches se figèrent de terreur. Un monstre gigantesque venait de

s’abattre sur le plan d’eau. Un monstre semblable aux aigles à tête blanche

qu’elles connaissaient bien, mais grand comme une forêt entière, et qui

repoussait les flots en se précipitant vers elles pour les dévorer.

Les femelles n’attendirent pas une seconde de plus, et paniquant,

se livrèrent au plus élémentaire réflexe de fuite éperdue. En quelques

bonds, elles disparurent dans les fourrés.

Le grand orignal et sa biche s’étaient également figés. Le monstre

se ruait dans leur direction. Dans un tour de reins désespéré, la biche se

libéra, plaquant son mâle dans la vase de la berge, et elle détala dans une

folle échappée pour la survie. La monstrueuse vague d’eau, de boue et de

métal arrivait sur le grand orignal. A son tour, encore tout en érection, il

vainquit sa paralysie, bondit et fonça vers la forêt. Mais il ne put empêcher

les projections d’atteindre ses puissants postérieurs.

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118

L’Airbus A330 acheva sa folle glissade dans les eaux du lac dans

un grand craquement, et s’immobilisa brusquement en défonçant le rivage

boueux. Une puissante vague décapita trois huttes de castors disposées

non loin de là. Il y eut un grand silence. Les canards s’étaient tus. Un

héron bleuté filait au raz de la surface.

Fou de terreur et d’humiliation, l’orignal s’engouffra dans le

sous-bois dans une explosion de branches brisées. Il haletait et transpirait.

Et son orgueil blessé de mâle humilié devant ses femelles commença à le

dévorer. Après avoir galopé quelques minutes, cœur battant à rompre, il

s’arrêta, huma l’air et fit lentement demi-tour. Qui donc avait osé le défier

ainsi ?

Reportage

« Il paraît que l’avion du président français a eu des problèmes à

l’atterrissage, grésilla la voix du pilote de l’hélicoptère à travers

l’intercom. »

Assise à ses côtés, Jaimie Olson posa ses deux mains sur les

écouteurs. Le bruit du rotor était infernal et tout vibrait dans cette

carlingue. Elle hurla dans le micro :

« Des problèmes, quels problèmes ?

— Panne des moteurs.

— Quoi ?! Des moteurs ? Les deux ?

— Oui.

— Et alors ? »

123

barbotait encore, à moitié allongé dans l’eau. Le castor s’approcha de lui,

puis plongea brusquement, lui envoyant sa large queue dans la figure. Le

président cria sous l’effet inattendu de la claque. Un canard, lui-aussi

attiré par le remue-ménage, se mit à éclater de rire : « Coin ! Coin-coin-coin,

coin-coin, coin-coin, coin ! » C’était clair, il se payait la tête du malchanceux

président. Moi, président, je ne me ferai pas baffer par les castors et moquer par

les canards !

Pas volé, pensa Caroline. Cela lui apprendra à raconter des

blagues stupides. Un garde du corps s’approcha et redressa son président,

qui atteignit bientôt le rivage.

L’eau n’était pas très froide en cette période estivale, mais il y

avait des nuées de moustiques affamés.

Elle entendit alors la voix furieuse du vil, infâme et ignoble

ministre de la Police Manuel Iznogaz.

« Tiens, il est réveillé, celui-là, se dit-elle ! Rien de tel qu’un bon

crash suivi d’un bon bain… »

Le Préfet de Police de Paris le suivait en titubant dans la boue, et

en chassant les maringoins avec sa casquette préfectorale qu’il avait réussi

à sauver de la catastrophe.

« Mettez-moi le pilote en garde à vue, hurlait Manuel.

— Vous devriez penser qu’il vous a sauvé la vie, lui répondit

Caroline en colère.

— Vous êtes toujours aussi con, lâcha alors Christiane Tobago à

son rival. »

C’était son premier mot depuis le crash.

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122

la rive ouest, au contraire, il n’y avait pratiquement pas de grève, la forêt

tombant directement dans le lac. Du côté de l’avion, la pointe nord était

bordée par une longue plage de cinquante à deux cents mètres de

profondeur, séparant la forêt du bord de l’eau. Il y avait donc la place de

poser sans problème un ou plusieurs hélicoptères. Il y avait aussi une

route forestière venant du nord. L’accès serait aisé pour les sauveteurs.

Jaimie Olson se mit à filmer. Il ne semblait pas y avoir de victime

apparente. Elle pourrait peut-être avoir son interview.

Les naufragés

Caroline fit encore quelques pas dans la vase. Elle

n’avait maintenant de l’eau qu’à la taille. Tout en gémissant

et soufflant, elle soutenait Christiane Tobago un peu

groggy, et l’entraînait vers la rive. Son gilet gonflé la gênait,

mais surtout elle souffrait de son estomac écrasé au

moment du crash.

Elle se retourna et aperçut le président Porcinet glisser sur son

toboggan. Il avait l’air tout content. Il toucha la surface de l’eau, mais ne

s’enfonça pas. Il n’avait pas mis de gilet, mais il flottait. Sans doute dû à sa

constitution présidentielle. En toute circonstance, Séraphin Porcinet

flotte…

Soudain, il y eut comme un mouvement près de lui. Un animal

s’approchait au raz de l’eau. Caroline comprit vite qu’il s’agissait d’un

castor, sans doute l’une des pauvres bêtes dont les huttes avaient

manifestement fait les frais de l’atterrissage de fortune. Séraphin Porcinet

119

Il y eut un instant d’attente. Le pilote devait être en train de

demander des précisions à la tour de Stanfield.

Jaimie Olson balaya rapidement les tous derniers événements

dans sa tête. Jeune journaliste au Chronicle Herald de Halifax, un des

principaux journaux de Nova-Scotia, elle avait été prévenue par un ami

travaillant à la tour de contrôle de Stanfield Airport, que l’avion du

président français allait se poser à Halifax, ce qui n’était pas du tout

prévu. Elle en était alors à cavaler au volant de sa Honda Civic dans les

rues de la vieille ville, afin de rejoindre au plus vite son domicile de la côte

ouest du fjord, et s’occuper de son petit garçon de trois ans, Arthur,

qu’elle élevait seule.

Cette information, encore confidentielle, était pour elle une

occasion en or de réaliser un scoop la mettant en valeur. Elle avait repris

son cellulaire et appelé un autre copain – car Jaimie était une fille

séduisante, et ne manquait pas de ressources… Celui-ci était pilote

d’hélicoptère et travaillait pour Park Canada, l’administration fédérale des

parcs nationaux. Il effectuait de fréquentes navettes avec le Parc national

de Kejimkujik au sud-ouest de la province. Elle le persuada de l’emmener

en urgence à l’aéroport. Avec un peu de chance, elle pourrait avoir un

entretien avec le président Porcinet. Elle lui demanderait pourquoi son

voyage au Canada avait été jalonné de plusieurs escales, mais aucune

dans les Provinces Maritimes. Le pilote avait accepté. Rendez-vous sur la

plateforme près des quais du Bedford Basin. Elle avait alors appelé la

gardienne d’Arthur. La jeune Jamaïcaine avait l’habitude des horaires

fantaisistes de la maman journaliste. Jaimie s’était frotté les mains. Elle

était certaine d’arriver avant les équipes de Radio-Canada. Elle pourrait

même publier une vidéo et des photos sur le site du Chronicle. Très bon

dans le cadre de la bataille d’audience sur le Wordwide Web !

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« Ils vont essayer de se poser sur un lac ! annonça le copain pilote.

— Un crash? O my God! Peut-on aller sur les lieux ?

— On peut. Nous serons les premiers. »

Jaimie était impressionnée. Elle n’avait jamais vu de crash. Elle

espérait que le pilote arriverait à se poser sans trop de casse.

L’hélico passa donc en trombe au-dessus de l’aéroport et continua

vers le nord-est en suivant le cap donné par la tour.

« O my God ! », s’exclama alors le pilote. Il pointa son doigt droit

devant.

La jeune femme en eut le souffle coupé. Là-bas, sur l’horizon, une

multitude de petits éclats lumineux semblaient flotter au-dessus de la

forêt.

« Sont-ils… écrasés ? O my God ! Une explosion ?

— Je ne sais pas, répondit le pilote. On ne dirait pas. C’est étrange…

— Un début d’aurore boréale ? Ici ? Ce n’est pas possible…

— Non, répondit son voisin, cela semble… artificiel. On verra bien. »

Tous deux continuèrent à contempler les étranges lueurs qui ne

tardèrent pas à s’évanouir.

Jaimie prépara son appareil, un reflex numérique Canon 5D mk3

et monta un objectif à grande luminosité. Et elle passa la sensibilité sur

12800 ISO. Cela pourrait servir dans la pénombre. Avec ça, elle pourrait

aussi bien prendre des vues que des vidéos.

« La tour vient de me donner la clé de l’énigme, dit alors le pilote. Ce

sont des leurres anti-missiles dont l’appareil est équipé. Il les a largués par

sécurité.

121

— Ouf ! Je préfère. »

Le Bullshit Lake fut bientôt visible. De loin, malgré l’ombre

s’étendant sur la forêt tout paraissait normal. Pas de fumée, pas

d’incendie.

Ils dépassèrent les dernières cimes de feuillus et survolèrent le

lac. Là, près de l’extrémité nord-nord-est, l’Airbus !

L’appareil était enfoncé dans l’eau à mi-carlingue. L’empennage

bleu-blanc-rouge était bien visible. Ainsi que l’inscription « République

Française » sur le flanc. C’était bien l’avion du président français. Jaimie

avait de la peine à croire que ce fut réel. Une des ailes était au ras de l’eau,

l’autre dépassait nettement. On pouvait apercevoir le haut du moteur de

celle-ci. Difficile de dire si l’autre moteur s’était détaché de l’aile ou non. Il

ne semblait pas y avoir de dégâts apparents, à part un long panneau

métallique qui dérivait au milieu du lac. Sans doute un des volets. Pas de

trace de fuite d’hydrocarbure non plus. L’avant de l’appareil semblait

planté dans les hauts fonds du bord du lac.

« Ils ont sorti les toboggans, cria la jeune femme. »

L’hélico s’inclina et effectua un virage à basse altitude. On

pouvait voir des passagers courir sur l’aile ou patauger dans l’eau.

Certains avaient déjà rejoint la rive.

Le pilote reporta ces premières constatations à Stanfield Control,

et effectua encore un grand tour. Comme la plupart des lacs de la région,

le Bullshit Lake était formé d’une longue étendue d’eau orientée sud-

ouest, nord-est, et allongée entre deux chaînons de collines recouvertes de

forêt. A l’est, la grève laissait rapidement la place à un terrain vallonné et

dénudé, parsemé d’un chaos de souches, branchages et buissons. Il fallait

bien s’éloigner du lac d’au moins un kilomètre pour retrouver la forêt. Sur

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162

de type à qui je ne confierais pas mes enfants. Lorsque j’aurai rencontré la

ratonne de ma vie, bien sûr. Ce doit être un Frère Prêcheur chargé de tous

nous convertir au papisme ou de nous envoyer au bûcher. Au service de

l’Antéchrist. Quelle misère !

Je suis donc inquiet pour l’orignal, Brigadier. Les papistes vont

peut-être le convaincre de rentrer dans les ordres. Ou d’intégrer l’Opus

Dei ! Lui qui s’enfilait les poulettes en série. Quelle conversion ! Pauvres

petites bibiches ! Et pauvre orignal !»

Le Brigadier-General Pincushion eut très rapidement l’air de

vouloir reprendre les choses en main. Sa décision était arrêtée.

Intervention militaire immédiate. Il fallait rejeter les papistes à la mer.

« Major, faites venir les chefs d’unité du 22nd Battalion.

— Yessir ! »

Le Major aboya les ordres. Très rapidement, les capitaines se

présentèrent au rapport. Chacun salua queue dressée en l’air, selon le

cérémonial militaire des skunks.

« Captain Daisy, C squadron, à vos ordres.

— Captain Dogwood, E squadron, à vos ordres.

— Captain Anemone, M squadron, à vos ordres. »

L’agent spécial Raton Laveur Doublezézette se tenait dans un

coin du poste de commandement. L’air le plus négligé et désinvolte

possible. Et il s’enfilait des cranberries à pleines pattes. Le Major Lavender

lui lança un regard peu amène. Les trois capitaines n’avaient d’yeux que

pour le Brigadier-General Pincushion.

Celui-ci reprit : « Sirs, l’heure est grave. Un commando de

papistes d’outre-océan, des Froggies, alliés à l’Inquisition Espagnole, après

135

Le culbuto

Rattrapé par l’orignal, le président Séraphin Porcinet n’avait plus

que pour seul espoir le bel arbre qui lui tendait ses branches. Jamais,

jamais, il ne pourrait l’atteindre. Déjà il se sentait poussé par les énormes

bois de l’animal. Et jamais, il n’aurait le temps de grimper. Il allait se faire

écharper en une seconde. Il remarqua alors devant lui une longue branche

qui s’étalait à peu près à une hauteur de deux mètres cinquante. Mais

c’était beaucoup trop haut. Soudain, l’orignal souleva furieusement la tête,

happa le pauvre homme de ses larges bois et le souleva comme un fétu de

paille. Séraphin Porcinet hurla de terreur. Il allait se faire lancer en l’air,

projeter en avant et piétiner par cette masse énorme et ses sabots de vingt

centimètres. Il vit alors la grosse branche arriver vers lui. En un réflexe

désespéré, il lança ses bras en hauteur. Ses deux paumes heurtèrent

violemment la branche rugueuse, et bloquèrent une fraction de seconde

son vol plané. Il pivota sur sa lancée dans un grand balancement, puis

l’orignal passa juste au-dessous de lui non sans heurter ses mollets. Le

président lâcha aussitôt prise et retomba lourdement assis sur la croupe

de la bête. Emporté sur son dos, il hurla de douleur. Il voulut se mettre en

avant pour soulager ses fesses, mais cela lui fit encore plus mal dans le

bas-ventre. A plat ventre, jambes pendantes à droite comme à gauche de

l’animal, il rampa tant bien que mal pour se cramponner au crin rugueux

du garrot. Il chevauchait un orignal ! Si Valérie le voyait… Ne parlons pas

de Ségolène Cardinal !

Le Grand Orignal se trouva un peu désorienté… Son concurrent

sur son dos ! Ce n’était pas normal. Il pensa un instant se rouler sur le sol

pour faire tomber cet importun, d’autant qu’il puait la mouffette comme pas

possible. Mais, ce n’était pas admissible. Il n’allait quand même pas se

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coucher devant un autre mâle. Surtout son rival. Jamais ! Jamais ! Jamais !

Non, il fallait trouver un moyen de le faire tomber.

L’eau. On allait essayer ça. L’orignal tourna les sabots, puis se

précipita dans le lac. Les orignaux sont excellents nageurs. Les présidents

de la République beaucoup moins, même s’ils flottent. Séraphin Porcinet

se cramponna de son mieux. Entre deux apnées, il respira comme il put.

Et il but. Mais c’est un garçon accrocheur, c’est peut-être sa seule qualité,

si ce n’est qu’à un certain niveau d’incompétence, cela devient un

défaut… Mais il résista.

Après une petite croisière sur le lac, l’orignal remonta sur le

rivage. Passons à la phase deux, se dit-il en son langage de cervidé. Et il se

lança dans une série de cabrioles, ruades, cabrés, bonds, pirouettes,

piaffes, croupades, une sorte de synthèse sauvage entre le rodéo sur

taureau et la haute école de dressage équestre.

Jaimie Olson qui filmait toujours, n’en croyait pas ses yeux. Mais

il est vraiment excellent, ce Porcinet, pensa la jeune femme. Elle se dit

même qu’il pourrait gagner beaucoup de dollars dans les épreuves de

rodéo chez son oncle, dans l’Alberta.

Il y a certainement un ange-gardien spécialement dédié aux

hommes tels que Séraphin Porcinet. Ils en ont tant besoin ! Dommage

qu’ils ne l’écoutent pas souvent. En tout cas, ballotté comme un sac de riz

et soufflant comme une baleine à bosse du Saguenay, souffrant le martyre

dans tous ses membres, il tint bon.

A bonne distance de la scène, Caroline admirait aussi. Elle se dit

même qu’un de ses oncles, officier au Cadre Noir de Saumur accepterait

sans épreuve préalable un tel président de la République capable de tenir

ainsi sur le dos d’un orignal en rut. De la Haute Ecole !

161

chef. Ce doit être un archevêque. A Paris, les papistes ont un Monseigneur

Vingt-Trois ou Vingt-Quatre, je n’sais plus où en est le décompte. Le

rondouillard, c’est peut-être Monseigneur Six Cent Soixante Six,

l’Antéchrist !

Ensuite, sous une des cornes de la Bête, il y a un papiste

maigrelet, émacié, excité et au regard méchant. C’est sûrement un Grand

Inquisiteur. Au service de l’Antéchrist.

— Un Grand Inquisiteur ? Etes-vous sûr Agent Doublezézette ?

— Sûr et certain. D’autant que je suis très physionomiste, et je lui

trouve une tête d’Espagnol à ce papiste émacié aux sourcils épais et noirs.

— Comment connaissez-vous les Espagnols ?

— J’ai travaillé pendant quelques temps avec un type du service

action. Un renard de Californie. On faisait équipe. Il s’est inspiré de moi

pour ce qui est du masque. C’était un descendant d’Espagnols. Il n’avait

pas son pareil pour sauter sur un cheval depuis un balcon. Moi, j’ai essayé

un jour sur un caribou depuis un bouleau, je me suis cassé la gueule, et je

me suis retrouvé avec le museau dans une bouse. Donc, je m’y connais, ce

Grand Inquisiteur est certainement un Espagnol. Il n’y a d’ailleurs qu’à

voir son aisance devant les bêtes à cornes.

Maintenant, réfléchissez, un Espagnol et un Grand Inquisiteur.

Cela ne vous dit rien ?

— Le Retour de l’Inquisition Espagnole ! Alliée avec les Froggies !

O my God ! Que Dieu sauve la Reine et le Canada !

— Et enfin, continua l’agent Raton Laveur Doublezézette, sous

l’autre corne de la Bête, il y a un papiste tristounet, sans genre bien

déterminé. Ou alors, s’il a un genre, c’est un bien mauvais genre. Le genre

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— Oui, oui, un chapelet, le truc de Lourdes, et avec toutes les

billes qu’il faut faire circuler entre les orteils. J’ai essayé un jour, pour voir

bien sûr, j’n’ai réussi qu’à m’l’enrouler autour de la queue. J’ai dû vouloir

aller trop vite. Chuis pas papiste, me v’la rassuré.

Donc, pour revenir à mon rapport, j’en ai déduit qu’il s’agissait

d’une bonne sœur, c’est courant chez les papistes, sans doute une novice,

et que les deux types étaient chargés de la cloîtrer au plus profond d’un

couvent. Derrière des grilles, comme au zoo. Sauf qu’on ne lance pas des

cacahouètes aux bonnes sœurs. Mais des chapelets. C’est dommage, elle

est super bien roulée elle-aussi. Elle aurait pu faire des heureux. Je me

suis à nouveau fait mal à la queue quand je l’ai vue. Faut pas siffler les

bonnes sœurs papistes, même novices. J’avais plein de poils sur la langue

à force de mordre. Très ennuyeux. L’agent Doublezézette qui se mettrait à

zozoter ! Pas convenable ! Donc… Conclusion tout à fait incontestable,

nous sommes en présence de papistes, et de la pire espèce. Tous les

Froggies sont des papistes, mais ceux-là sont des durs entre les papistes. Ils

récitent le chapelet, et mettent leurs filles au couvent !

— Des papistes, hurla alors le Major Lavender en levant les pattes

avant ! Des papistes ! Envahis par des papistes ! Il faut les arrêter de suite !

— Du calme, du calme, Major, coupa le Brigadier-General. Ce

sont donc bien des Froggies, et en plus des papistes. Et les cavaliers ? Et

l’orignal qui nous a trahis avec des papistes ?

— Brigadier, répondit Raton Laveur, comment pouvez-vous

soupçonner ce pauvre orignal d’être papiste ? Polygame comme on n’en

fait plus ! En rut un jour sur deux ! En fait, il a été capturé par les trois

ignobles papistes. C’est pour cela qu’ils ne le lâchent pas. J’ai été les voir

de près. Sur le dos de l’orignal, il y a un petit papiste rondouillard. Leur

137

« Un journaliste l’a surnommé Culbuto, il y a quelques années »,

lui glissa alors Christiane Tobago avec un sourire de côté.

« Même dans les pires conditions, il se relève toujours », ajouta-t-

elle.

« Nous non plus, nous ne lâchons rien, jamais, jamais, jamais »,

répondit Caroline sur un ton léger.

La Garde des Sots lui lança alors un noir regard…

Quant aux gardes, même après avoir écarté l’importune Cécile

Duvent, ils rageaient de ne plus pouvoir tirer. Avec le président sur le dos,

inconcevable !

L’attaché militaire continuait à courir tout en trimbalant sa valise

de codes en direction du grand cervidé. Quel homme de devoir !

Phase trois, décida alors l’orignal. Cela lui éviterait d’avoir à

charger ce petit homme vociférant et puant qui arrivait vers lui.

Et il se précipita en direction de la forêt. Opération friction et

grattage !

C’est dans un grand hurlement, suivi d’un grand craquement de

branches basses que Séraphin Porcinet, président de la République

Française, accroché au pelage de son orignal, pénétra à grande vitesse

dans le sous-bois de la forêt canadienne. Et disparut aux yeux de tous !

L’attaché militaire semblait tout désorienté. Et courageusement, il

décida de partir derrière. Sans lâcher sa précieuse mallette. Il pénétra à

son tour dans la forêt, guidé par les cris et les craquements.

« C’est le moment dit alors Jaimie aux deux ministres et au Préfet

de Police. Rentrons vite vers les autres avant que cette bête ne revienne.

De toute façon les secours vont bientôt arriver de Stanfield. Je vais

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reprendre l’hélico et essayer de repérer l’orignal et voir si votre président

y est toujours. Vite, courons. »

Tout en longeant la lisière du bois, le petit groupe repartit au pas

de course en direction de l’avion et des passagers. Mais ils n’avaient pas

parcouru cent mètres que dans un grand fracas de branches brisées,

l’orignal réapparut, mais là, c’était entre eux et l’avion. Retraite coupée !

Séraphin Porcinet était toujours accroché sur son dos, mais son costume

semblait un peu en désordre. Il semblait même y avoir quelques accrocs.

Et sa cravate n’était pas d’aplomb. Ce qui ne le changeait pas vraiment. Et

il n’avait pas l’air d’en mener bien large. La preuve, il ne dit rien et

n’appela même pas au secours.

L’orignal aperçut les quatre fugitifs, pivota sur lui-même et fonça

vers eux. Ils n’eurent aucun besoin de se consulter et plongèrent dans la

forêt avec un bel ensemble. Nouveau craquement, nouvel hurlement

présidentiel, le cervidé venait à nouveau d’entrer sous les arbres. Blottis

contre un tronc ils virent passer en trombe animal et « cavalier » à deux

mètres d’eux, avant qu’ils ne disparaissent dans l’obscurité dans un

terrifiant roulement de sabots.

« Bon, expliqua Jaimie, nous n’allons pas jouer à ce petit jeu à

chaque passage. Rentrons à l’abri et retournons à l’avion à couvert.

— Cela va prendre beaucoup trop de temps de progresser dans ce

sous-bois, fit remarquer le préfet.

— Avant l’atterrissage de l’hélicoptère, j’ai repéré la configuration

des lieux, répondit la journaliste. Cette bande forestière au nord du lac

n’est pas très profonde. En la traversant, on aboutit à une large coupe

dans la forêt. Très dégagée. J’y ai même aperçu trois ou quatre biches

d’orignal. Traversons, puis tournons à droite et longeons la lisière. Au

159

— Un beau et bien roulé. J’ai dû mordre le bout de ma queue

jusqu’au sang, pour me retenir de ne pas siffler quand j’l’ai vue. Les

Froggies avaient une poulette avec les mamelles à l’air. Malgré les mosquitos.

Une endurcie ! Une adepte du plein vent ! Lido, Crazy Horse, ou Moulin

Rouge, j’sais pas où y zont été pêcher cette gueuse, mais ça n’peut être que

des Froggies qui viennent nous envahir avec ça. Ça va paralyser nos

troupes ! Elles vont viser puis siffler au lieu de tirer.

— Vous êtes dispensés de vos commentaires, Mr. Raton Laveur.

Avez-vous d’autres indices ?

— Oui mon Général ! Le pire ! Une autre fille !

— Encore ? Vous me poussez à bout, Agent Doublezézette! »

De fait, le Brigadier-General Pincushion semblait à bout de force.

Il tournait en rond et dressait la queue. Il était prêt à vaporiser l’insolent

agent du Military Raccoon. Car l’odeur du Brigadier-General Pincushion

était grandement redoutée. Quant au Major Lavender, on sentait qu’il

avait envie de creuser un trou pour s’y cacher.

« Mais non, écoutez-moi, Brigadier. L’autre fille, elle était dans un

coin, et il y avait deux types qui avaient l’air de la surveiller. Et elle n’avait

rien d’autre à faire. Et vous savez ce qu’elle faisait ?

— Vous allez me le dire agent Doublezézette.

—Je vous l’donne en mille. Vous ne me croirez pas !

—Dites vite Doublezézette. La patience n’est pas ma qualité

première.

— Vous l’aurez voulu. Figurez-vous qu’elle tuait le temps à

réciter… un chapelet.

— Un chapelet ? Un chapelet de papiste ? O my God !

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sont bien de chez nous. Y causent le francophone normal. Ils sont bien

canadiens. Mais les humains sont spéciaux.

— D’où viennent-ils, agent Raton Laveur Doublezézette ?

— C’est compliqué. J’sais pas si j’peux dire…

— C’est votre job. Parlez, please. »

— Leur machine est bien venue du Bas-Canada, mais en fait, ils

sont originaires d’une nation de l’autre côté du Grand Océan de l’Est. Une

nation où on cause le francophone avec un accent très fort, où on mange

du fromage moisi et puant dix fois plus qu’une patrouille de skunks, et où

on mange aussi des grenouilles à la pelle. Par contre, et pour relever le

tableau, une nation où les poulettes sont super bien roulées et plutôt faciles.

— Quoi ? Des Froggies ? Que font-ils là ? C’est vraiment une

invasion ! Mais comment êtes-vous sûr qu’il s’agit de Froggies ?

— Très simple. D’abord, ils puent comme pas possible !

— C’est bien normal, Special Agent Doublezézette. C’est une

bonne odeur bien de chez nous. Ils ont été copieusement traités par les

skunks du Bas-Canada.

— Oui, mais ne me faites pas l’insulte de ne pas savoir distinguer

les odeurs. J’ai du discernement. Car les Froggies ne se lavent jamais, et ils

donnent des leçons d’hygiène et de morale au monde entier. C’est connu.

Donc, sous-jacent à leur délicieuse odeur de mouffette qui ne leur est pas

propre, ils ont leur odeur propre de Froggies sales. Compris le Brigadier

des Qui-Puent ?

— Hum ! Hum ! Et avez-vous d’autres indices Special Agent

Doublezézette?

139

bout, nous trouverons une route forestière qui conduit vers l’extrémité du

lac. Là, nous rejoindrons les autres. Cela vaut mieux que faire ce cirque.

Ecoutez, on entend le passage de l’orignal dans la forêt. Il doit refaire un

tour. Allez, allons-y. »

Personne ne contesta. Jaimie sortit son cellulaire, et passa un

message au pilote de l’hélico. Puis, elle courut derrière les trois hommes.

Néanmoins, très vite, ce fut l’obscurité quasi-totale, et il devenait

impossible d’avancer sans se planter dans un tronc ou une branche. La

jeune femme chercha dans sa sacoche et sortit une petite torche. Le groupe

reprit sa progression dans l’étroit faisceau lumineux.

Ce n’était pas si facile. Même si les troncs étaient assez espacés, il

y avait beaucoup de branches basses, des ronces, et surtout le sol était

jonché de branches cassées qu’il fallait enjamber. Et par-dessus tout,

l’ambiance était particulièrement sinistre.

« Ne risque-t-on pas de faire de mauvaises rencontres demanda

Vincent Paillard, ministre de la Rééducation Nationale ?

— Pour sûr, c’est certain, répondit méchamment le ministre de la

Police, le vil, ignoble et infâme Manuel Iznogaz. Il y a des mouffettes, des

carcajous capables d’égorger un cerf, des loups affamés, des coyotes, des

lynx cruels, des ours noirs, et même des Peaux-Rouges qui vous

demanderont votre genre pour savoir s’ils vous font rôtir à petit feu ou

s’ils vous violent avant de vous scalper. Si vous hésitez, ils font les deux à

la fois. Ce sont des gens qui ont beaucoup étudié vos Gender Studies mon

cher Vincent.

— Mais ce n’est pas vrai, protesta Jaimie. Les autochtones sont très

gentils. Ce sont des Micmacs, c’est honteux de dire des choses pareilles… »

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Elle se dit que ce Manuel était vraiment désagréable. Cela lui fut

confirmé très vite…

Comme il trouvait qu’on n’allait pas assez vite, et que la torche

n’éclairait pas suffisamment devant ses pas à lui, le Ministre de la Police, il

s’avança, poussa la journaliste d’un coup d’épaule, lui arracha la torche

des mains, et partit en tête.

Soudain, ils entendirent un bruit. Cela approchait très

rapidement, et vers eux. Prudents, ils se rassemblèrent entre quatre troncs

rapprochés. Les cœurs battaient. Jaimie Olson conseilla d’éteindre la

lampe, mais Manuel Iznogaz refusa. Cela arrivait vraiment sur eux.

« Préfet, prenez un bâton, et faites écran de protection, glapit le

Ministre de la Police.

— Mais monsieur le Ministre, nous ne savons pas ce que c’est…

— Raison de plus mon cher Préfet. Le Préfet est celui qui va

devant.

— Mais Monsieur le Ministre…

— Préfet, votre boulot n’est-il pas de nous faire protéger par vos

CRS ?

— Oui, Monsieur le Ministre.

— Où sont vos CRS, Préfet ?

— Ils ne sont pas là, Monsieur le Ministre…

— Alors Préfet… Faites le robocop ! C’est compris ?

— Oui, Monsieur le Ministre. »

N’écoutant que son courage naturel, le Préfet de Police, après

avoir remis sa casquette préfectorale sur son crâne, saisit un bâton et se

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excellent espion. Mais avec sa dégaine de Yankee, il avait tout pour

déplaire à l’officier supérieur des skunks canadiens.

« Salut les Stinkies, z’allez bien Brigadier ? Z’appréciez notre bled

paumé ? Voir les “Maritimes” et s’emmerder à mort ! Heureusement que les

Frenchies nous apportent leurs poulettes par aéroplane !»

Silence glacé du Brigadier-General Pincushion, tandis que le

visage du Major Lavender commençait à se décomposer…

« Vous ne me connaissez pas, continua l’agent ? Je me

présente ! »

Il tendit la patte au Brigadier-Général et annonça d’un air

satisfait :

« Laveur, Raton Laveur… Pour vous servir Brigadier…

— Good evening Mr. Laveur. Vous êtes l’agent Raton Laveur

Doublezézette, je crois, répondit le Brigadier-General Pincushion. Un as

du Military Raccoon. Avez-vous un rapport à me faire ?

— Pour un rapport, c’est un rapport. Ce n’est pas souvent qu’on a

un bazar pareil dans le secteur. Figurez-vous que tous ces mecs y

rappliquent du Bas-Canada et qu’y causent le francophone.

— Je le savais Doublezézette. Je n’ai pas eu besoin du MRI pour

ça.

— Bon, bon, faut pas l’prendre comme ça. Les Stinkies sont

toujours un peu délicats et susceptibles…

J’ai dit qu’y rappliquaient, mais j’ai pas dit qu’y zétaient des

Frenchies de chez nous, au Canada. Y causent le francophone, mais y zont

un accent très prononcé. Pour ce qui est des humains. Les skunks Frenchies

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Mais où étaient donc les F-18 Hornet de la Royal Canadian Air

Force, dont un wing, présentement détaché de leur base principale de

Bagotville, était déployé à Goose Bay au Labrador ?

Il était encore plongé dans ses pensées, que le Major Lavender

arriva tout excité :

« Brigadier-General, j’ai le plaisir de vous annoncer l’arrivée de

notre masqué special agent du MRI. However, je dois vous aviser que cet

agent n’est pas vraiment un gentleman… Actually not !»

Le major avait l’air bien embêté… Le Brigadier-General secoua la

tête. Il connaissait bien les agents du Military Raccoon Intelligence. Ils

n’étaient pas spécialement recrutés pour fréquenter les salons d’Ottawa,

mais pour savoir s’infiltrer et grimper partout, faire les poubelles pour

récolter du renseignement, creuser dans les jardins pour espionner, et

percer les toitures pour installer leurs tables d’écoutes dans les greniers.

C’étaient d’excellents agents de renseignements, et de piètres gentlemen.

« Faites venir, Major, faites venir, je suis impatient. »

Au service secret de sa Majesté

C’est alors qu’apparut l’agent très spécial

du Military Raccoon. Les yeux cerclés d’un masque

noir, il pénétra en trombe dans la clairière faisant

office de poste de commandement, tout en laissant traîner sa large et

longue queue fourrée rayée d’anneaux noirs. Avec ses petites oreilles

mobiles, ses yeux moqueurs et son air futé, il avait tout pour être un

141

planta devant les autres. Caché derrière lui, Manuel Iznogaz braquait la

lampe en direction du bruit de galopade et de branches brisées. Une

silhouette se dégagea peu à peu de l’obscurité.

« Un Micmac ! » émit Vincent Paillard, d’une voix faible…

« Cognez, Préfet ! », rugit Manuel Iznogaz.

La cavalcade

Le Préfet de Police de Paris, même perdu au cœur de la forêt de

Nouvelle-Ecosse, fut fidèle à lui-même. Comme sur les Champs-Elysées, il

ne tergiversa pas et frappa. C’est un homme énergique, qui ne laisse rien

au hasard. L’habitude de la matraque ! Son bâton décrivit une vigoureuse

trajectoire semi-circulaire et vint s’abattre sur le visage de l’intrus. Celui-ci

poussa un cri guttural incompréhensible, ce qui était un indice de plus

qu’il pouvait bien s’agir d’un autochtone sur le Sentier de la Guerre, puis

il s’effondra.

Le mince faisceau de la torche découvrit le visage rouge et

maintenant tuméfié de l’attaché militaire chargé des codes nucléaires. Puis

l’individu en entier. Toujours avec sa valise, bien sûr, qu’il tenait d’une

main ferme.

« Alors, c’est quoi ce micmac ? » grinça la voix rageuse du

ministre de toutes les Polices, Manuel Iznogaz.

Puis, il ajouta à l’adresse du préfet : « Quoi ? Vous vous

permettez de frapper la Force de Frappe ? Préfet !

— Mais Monsieur le Ministre…

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— Ouf !... Où fuis-ve ? », dit alors l’attaché militaire, en ouvrant

les yeux.

Il se redressa à moitié, puis porta sa main à la bouche, et cracha

du sang. Et il avait l’air vraiment essoufflé.

« Ve crois que… ouf… v’ai perdu deux dents…, dit-il d’un air

désolé.

— Vous avez une assurance, demanda Manuel Iznogaz ?

— Voui… V’ai une affuranfe.

— Alors pas de souci !

— Pas de foufi !

« Vous n’avez… ouf… pas vu le… ouf… prévident ?

— Par ici, montra Manuel Iznogaz. »

Il pointa du doigt la partie la plus profonde de la forêt.

« Par ifi ? Merfi !

— Pas de souci.

— Pas de foufi ! »

L’attaché se releva alors, et s’enfonça sans hésiter.

« Il nous aurait retardé ! » dit l’horrible ministre.

Le groupe reprit sa course.

« Je crois que nous arrivons bientôt à la clairière, annonça Jaimie,

après avoir jeté un coup d’œil au GPS de son cellulaire. »

Ils accélérèrent.

Soudain, Manuel Iznogaz poussa un cri et s’arrêta brusquement.

Les autres le rejoignirent.

155

— No, Sir, sorry, Sir.

— Vous pouvez disposer, Warrant-Officer Sunflower. »

Assez insatisfait, le Brigadier-General Pincushion s’avança sur le

bord du petit promontoire, où il avait dressé son poste de

commandement. De là, son regard teigneux pouvait englober la totalité

du Bullshit Lake. Sur sa droite, il y avait l’horrible machine de

débarquement à moitié submergée, et les soldats de la tête de pont

fraîchement débarqués. Certains avaient même tiré des coups de feu, ce

qui en disait long sur leurs intentions belliqueuses.

Mais ce qui l’intriguait le plus, c’était cette nouvelle tactique de

combat. Trois cavaliers disposés sur un seul orignal, dont deux suspendus

à chacune des cornes. Une technique redoutable et très tout-terrain,

capable d’aller dans l’eau, de traverser les bois, et de charger furieusement

en terrain ouvert. Très inquiétant, d’autant que les cavaliers avaient l’air

particulièrement contents d’être là : ils criaient tout le temps. Et ils

faisaient vraiment corps avec leur monture. L’orignal fonçait dans les

ronces, faisait moult cabrioles, ruades et cabrés, plongeait dans le lac, et ils

restaient toujours accrochés. Excellent ! Des cavaliers d’élite ! S’ils étaient

canadiens, ils auraient pu être recrutés par la R.C.M.P., la Royal Canadian

Mounted Police 17. Par contre, leur plan d’attaque était encore imprécis, car

l’orignal changeait souvent de direction. Ne pas deviner les intentions de

l’ennemi était ce qui l’inquiétait le plus. D’autant qu’ils disposaient d’une

incontestable couverture aérienne avec leur petite machine volante qui ne

cessait de bourdonner là-haut, et contre laquelle son artillerie puante ne

pouvait pas grand-chose.

17 Police montée, RCMP en anglais, GRC en français.

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— Très difficilement Sir. Ils ne se nomment même pas skunks,

mais quelque chose comme « moofait ». Ce doit être du francophone.

— Mouffette, Warrant-Officer ! Mouffette. And then ?

— Nous avons dû passer par les jeunes skunks qui avaient reçu

quelques cours d’anglais. Thanks God ! Leurs parents sont des endurcis

francophones. Nous avons donc réussi à savoir a little bit de leur histoire.

Ils sont venus du Bas-Canada dans la volante machine. Mais c’est une

étrangère machine, et ils ont dû se battre comme des wolverines14 contre

l’équipage qui les retenait prisonniers. Ils n’ont pu m’en dire plus, ils

avaient l’air affamés, et je les ai confiés au Sergeant Daffodil afin de leur

donner quelques cranberries. Mais ils restent très indépendants, et ne

veulent pas s’enrôler dans notre glorieux bataillon.

— A mon avis, intervint le Major Lavender, il est probable que

ces Frenchies soient des militants indépendantistes encartés au P.S., le Parti

Sconse. Je serais bien étonné qu’ils soient des membres de l’U.M.P., l’Union

des Mouffettes Puantes, un parti fédéraliste allié aux Libéraux à la Chambre

des Communes d’Ottawa.

— De plus, Sir, reprit le Warrant-Officer Sunflower, un des jeunes

skunks portait une grosse trace de rouge à lèvres sur le sommet du crâne.

Un baiser. A son âge ! Shocking !

— Ce sont des Frenchies skunks, Warrant-Officer, répondit le

Brigadier-General, sur un ton quelque peu fataliste. Il faut faire avec. Et ce

n’est pas pour rien que le nick-name 15 de Montréal, c’est « Sin City 16». Pas

d’autre morceau d’information ?

14 Gloutons, carcajous 15 Surnom 16 « Ville du péché »

143

« Ce sont les… les … ne me dites pas pourquoi ni comment, mais

ce sont les mouffettes ! Nos mouffettes !»

De fait, il y avait bien six mouffettes en travers du chemin. Deux

plus grosses, et quatre plus petites. Et dans le faisceau de la lampe, on

distinguait bien une grosse marque rouge de bisou sur le sommet du

crâne d’un des jeunes. Et elles leur barraient la route.

« Ah ! Non, ça ne va pas recommencer, hurla Manuel Iznogaz ! »

Affolés par les cris, les animaux levèrent la queue.

C’est alors que Manuel Iznogaz attrapa le Préfet de Police par les

épaules, et d’une propulsion vigoureuse, il le jeta en avant en direction

des mouffettes. Instinctivement, celles-ci firent jaillir leur sécrétion avec

un bel ensemble sur le malheureux fonctionnaire qui fit réellement écran.

Psssssshhhhhhhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttt !

Le Préfet, c’est celui qui va devant ! Manuel donna à nouveau un

violent coup d’épaule à la jeune journaliste, puis passa à toute vitesse, et

s’éloigna, suivi de près par Vincent Paillard. La jeune femme perdit

l’équilibre et tomba sur le sol feuillu.

« Asshole ! », cria Jaimie à l’adresse du vil ministre. Mais elle fit

peur à une des petites mouffettes qui se trouvait à deux mètres de son

visage. Muguet envoya une petite giclée, puis se sauva avec toute sa

famille.

Pssshhhhiiiiitttt !

« Fleur, dit Marguerite, la maman mouffette, pourriez-vous nous

trouver présentement un endroit tranquille où on ne rencontre pas ces

affreux personnages. Je commence à en avoir assez. Cette forêt est

vraiment mal habitée…

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— Oui mon amour… Cependant la nouvelle dame avait l’air plus

sympathique.

— Muguet l’a aspergée avec beaucoup de retenue. Juste pour

qu’elle ne se sente pas oubliée. Pour la mettre au parfum. N’est-ce pas ma

chérie ?

— Oui Maman.

— Alors c’est correct.»

Le préfet de Police de Paris se releva, ramassa sa casquette avec

une certaine dignité et se boucha le nez. Puis sans attendre la jeune

femme, il partit au pas de course dans le sillage des deux ministres. Dans

l’obscurité totale.

« Attendez-moi, Patron, attendez-moi, Patron », criait-il.

Cette familiarité de langage était une preuve évidente qu’il était

bouleversé. Il eut aussi quelques craquements, quelques chocs, quelques

jurons, ce qui était une preuve évidente que dans le noir, il se payait tous

les obstacles.

Jaimie se leva aussi et pleura un peu. C’était trop horrible ! Et elle

ne savait pas ce qu’elle détestait le plus : l’odeur des mouffettes, ou le

ministre français Manuel Iznogaz. Qui lui aussi puait la mouffette de toute

façon. Elle se sentait si humiliée ! Au moins avec les mouffettes, on avait

l’odeur, mais pas le ministre.

Pendant ce temps, les deux goujats galopaient de toutes leurs

jambes, talonnés finalement d’assez près par le Préfet de Police.

« Vous avez vu, mon cher Vincent, dans la vie, il faut savoir

prendre des initiatives. C’est comme cela que l’on progresse dans la

153

« Warrant-officer Sunflower au rapport ! »

C’était la première fois qu’il rencontrait le Brigadier-General

Pincushion, et il était très impressionné par ses larges moustaches, son

long museau et sa grande queue à double bande blanche qui balayait les

broussailles lorsqu’il se retournait. Le Brigadier-General était très redouté

par tous, mais en même temps très estimé pour ses jugements et ses

stratégies.

Le Brigadier-General Pincushion leva le menton, lui intimant

l’ordre de parler.

« Sir, ma patrouille est entrée en contact avec une bande de

skunks étrangers au secteur.

— Que vous ont-ils appris, warrant-officer ?

— Nous avons eu quelques difficultés de compréhension, Sir…

Ce sont… ce sont des skunks du Bas-Canada.

— Quoi ? Des Frenchies ?

— Yessir, sorry sir ! »

Le Brigadier-General soupira. Il ne portait pas vraiment les

Frenchies dans son cœur, tradition familiale oblige, mais il comprenait que

le Canada était une grande confédération, et que tous les skunks devaient

apprendre à vivre ensemble et aimer leur patrie. Pour que tout le monde

puisse s’y sentir bien. Le Bien Commun. Mais que faisaient ces skunks du

Bas-Canada en Nova-Scotia ?

« Avez-vous pu les faire parler, Warrant-Officer ?

13 adjudant

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152

Canada12 ? Sont-ce des troupes d’une autre origine, par exemple venant

des nations d’au-delà du Grand Océan de l’Est?

— I’m so sorry Sir. J’attends le rapport de notre masqué special

agent du MRI aussi. Son retour de mission m’a été signalé par le sergeant

Daffodil.

— Qu’il se hâte, Major Lavender, qu’il se hâte. N’oubliez pas que

je dois me rendre au Headquarter de notre régiment à Ottawa. Il faut que

cette affaire soit réglée avant mon départ.

— Yessir ! »

Depuis le crash de l’A330, le Brigadier-General Pincushion ne

décolérait plus. En charge du Royal Canadian Skunks Infantry Regiment, il

était en visite d’inspection auprès du célèbre 22nd Royal Canadian Skunks

Battalion of Nova-Scotia, unité appelée familièrement « le Royal Skunks »

dans les milieux militaires, et très réputée pour son caractère offensif, son

dévouement sans borne à la Couronne, et ses traditions très highlanders.

Déployé en Nouvelle-Ecosse sur sa base du Bullshit Lake pour la

protection des Marges Atlantiques, le bataillon se trouvait là devant une

intrusion tout à fait inédite. Une attaque aéroportée et amphibie, avec

combinaison de l’aviation légère, de la cavalerie lourde et de l’infanterie.

Le passage à l’ennemi du Grand Orignal l’intriguait également. Qui

étaient donc ces intrus capables de susciter une telle trahison ? Que Dieu

sauve la Reine et le Canada !

C’est alors que le warrant-officer13 Sunflower se présenta devant le

Brigadier-General. Il salua et prit la position réglementaire, queue dressée

à la verticale. Garde à vous !

12 Colonie anglaise (1791-1841). Sud et Est de l’actuelle province

du Québec et du Labrador.

145

hiérarchie. La force va aux forts ! Et un préfet, c’est fort, mais c’est fait

pour servir les forts et écraser les faibles.

— Vous avez bien raison, mon cher Manuel, mais n’était-ce pas

un peu inélégant avec Ms Olson ?

— Allons, allons ! Vous êtes encore victime de stéréotypes de

genre d’un autre genre, mon cher Vincent. Ce n’est pas un spécialiste de

l’égalité entre hommes et femmes qui va me donner des leçons. La fille a

eu le même sort que le préfet. Il y en a pour tous les genres. Tous pareils !

Et nous, nous n’avons rien reçu dans la tronche, c’est ça qui compte. »

Ils débouchèrent enfin dans la clairière. Le soleil couchant

éclairait un chaos fantomatique de troncs renversés, de souches, de taillis,

de branches mortes et d’herbes folles.

Soudain, un grand craquement les fit se retourner. Deux énormes

bois d’orignal se précipitaient sur eux.

Ils poussèrent un cri de terreur, mais n’eurent pas le temps de

bouger.

— HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! dit l’un.

— HAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! dit l’autre.

Le long museau busqué de l’orignal était sur eux. Dans un ultime

réflexe de survie, ils levèrent les mains et saisirent les bois à la volée afin

de ne pas être écrasés par les terribles sabots. La bête donna un vigoureux

coup de collier vers le haut et ils furent tout deux soulevés avec un bel

ensemble, suspendus par les bras aux cornes monstrueuses de l’animal,

l’un à droite, l’autre à gauche.

Le Préfet de Police déboula de la forêt environ cinq mètres en

avant de l’orignal. Juste sur sa route. Il n’eut aucun loisir pour réagir. Il

reçut d’abord les jambes de son patron en pleine tronche, puis, bousculé

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par le puissant poitrail de l’orignal, il tomba en arrière. Sa casquette

voltigea, et atterrit juste sous un des énormes sabots du cervidé. En une

fraction de seconde, tout le prestige préfectoral d’une longue et vénérable

carrière au service de la République contenu par l’objet en question fut

écrasé, déchiré, aplati comme la plus lamentable des crêpes.

Ce fut un homme brisé qui se releva.

« Ma casquette, gémit-il, ma casquette ! »

Le coup violent de la godasse du ministre, l’humiliation d’avoir

été projeté par son vénéré patron sur les mouffettes, leur odeur

insupportable, tout cela ne comptait pas. Il avait perdu sa casquette, sa

dignité, son pouvoir.

Pendant ce temps, emporté dans la course furieuse de l’orignal,

Manuel Iznogaz, après quelques frétillements infructueux, réussit à lancer

vigoureusement ses jambes en l’air et coincer ses chevilles autour des

énormes plaques osseuses solidement ancrées dans le crâne massif du

cervidé. Vincent Paillard, gigota un peu plus longtemps, et il dut se dire

qu’il faudrait augmenter les heures de gymnastique à l’école, y compris

pour les ministres. Encore une réforme des rythmes scolaires en

perspective. Ecole le dimanche, par exemple. Puis, lui aussi, réussit à

accrocher ses chevilles aux bois de l’orignal. Manuel pendait au bois droit,

Vincent au bois gauche.

« F’est ventil mon bon Manuel d’avoir tenu à me revoindre. Fi tu

favais fe qui m’est arrivé. Mais comme tu vois, on f’habitue à tout. »

Manuel Iznogaz leva le nez, et aperçut le président Séraphin

Porcinet penché sur l’encolure de l’animal. Il était assez difficile à

reconnaître. Son costume était entièrement déchiré, son visage avait

manifestement reçu des coups, sa bouche saignait, et vraisemblablement,

151

Chapitre IV - La revanche des

sconses

Les Loyalistes

« By Jove, ceci est une shocking invasion, je dis…

— My goodness ! Une volante machine amphibie et tous ces

hystériques personnages. Et le disaster chez les castors. Très inconvenant

Sir, j’en frémis. Du jamais vu sur notre lake.

— Je sais, Major, je sais. Mais je vous serais très obligé de me dire

ce que je ne sais pas. Très. Je veux connaître l’origine de ces inconvenants

invaders avant de lancer l’offensive de nos loyalist troops. Sont-ce des

Insurgents de notre Grand Voisin du Sud11, sont-ce des Patriotes du Bas-

11 Etats-Unis d’Amérique

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plus difficile de voler à sa guise. Pour le moment, ils pouvaient suivre la

bête. La galopade continuait tout le long du lac à la lumière d’un soleil

finissant. Jaimie était plutôt satisfaite de sa position d’observation

d’événements aussi exceptionnels. D’autant que les équipes de Radio-

Canada n’étaient toujours pas arrivées.

Mais ce qu’elle ne savait pas, c’est que depuis une petite colline

plantée sur la rive est, d’autres observateurs, et des plus inquiétants,

considéraient la scène avec un intérêt fort différent…

147

le président était couvert d’égratignures. Mais il avait tenu bon. Ce qui ne

faisait pas vraiment l’affaire du vil, infâme et ignoble Manuel Iznogaz,

ministre de toutes les polices qui ne rêvait que d’une chose : devenir

président à la place du président.

Jaimie surgit à son tour dans la clairière. Au loin, sur sa gauche, la

silhouette de l’orignal au grand galop. Devant elle, le préfet, tête nue et

l’air triste. Il tenait entre les mains une sorte de disque informe. Il puait

comme pas possible, bien plus qu’elle. Elle eut envie de le consoler, mais se

garda bien de s’approcher. Il y a des degrés dans l’horreur des odeurs.

« Où sont les deux autres ? » demanda-t-elle.

— Ma casquette. Il a écrasé ma casquette…

— OK, mais où sont les deux autres butors ?

— Ils ont rejoint le président. Sur l’orignal… Sans moi.

— What ?

— Et il a écrasé ma casquette. »

La jeune femme ne répondit pas. Le pauvre homme avait l’air très

choqué. Il avait également l’air d’avoir très mal au visage et à un bras.

Mais c’était vraiment la destruction de sa casquette qui lui était la plus

douloureuse.

Un bruit d’hélicoptère se fit alors entendre.

« Chic, mon pilote est au rendez-vous, jubila Jaimie. »

Deux minutes plus tard, embarqués tous deux dans l’hélicoptère,

ils survolaient la clairière juste au-dessus de l’incroyable équipage formé

par l’orignal et ses passagers. Jaimie photographiait et filmait autant

qu’elle pouvait. Un Président de la République française à califourchon

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sur le dos d’un orignal, et deux ministres suspendus à ses cornes, ce

n’était pas banal. Le site du journal allait monter en fréquentation.

Certainly !

« Ils ne vont pas traverser tout le Canada comme ça jusqu’à

Vancouver, cria Jaimie au pilote dans l’intercom. Il faut les rabattre vers

l’avion. »

L’hélicoptère vira et approcha face à l’orignal à basse altitude.

Affolé, celui-ci décrivit un large demi-cercle, puis se précipita à

grandes foulées dans la forêt. Le bruit infernal de l’hélicoptère ne permit

pas à Jaimie de savoir si les deux nouveaux passagers de l’animal

poussaient des cris ou non.

L’hélicoptère poursuivit son vol plein sud, au-dessus de la bande

forestière.

Bientôt, ce fut l’attaché militaire, toujours portant sa valise, qui

surgit de la forêt de l’autre côté, près du lac. Il avait l’air pressé et tentait

d’atteindre le grand arbre aux branches hospitalières qui poussait près de

l’eau…

Dans une grande explosion de branches basses, l’orignal jaillit à

son tour du sous-bois. Le président et ses deux ministres y étaient toujours

accrochés. Il n’était guère possible de voir dans quel état. L’animal

allongea ses puissantes foulées, et gagnait inexorablement sur l’attaché

militaire. Pour une fois, ce n’était pas celui-ci qui suivait le président, mais

le président qui suivait l’attaché militaire. Et à quelle vitesse !

Jaimie fut néanmoins contente pour lui. Il avait trouvé le

président. Elle admira aussi la dextérité avec laquelle l’attaché militaire

réussit à escalader l’arbre en urgence, d’une seule main, sans lâcher sa

149

valise, avant que l’animal ne puisse l’encorner ou le piétiner. L’homme

n’aurait désormais pas à rougir devant des gibbons ou des bonobos.

Vraiment habile !

Sans freiner en aucune façon, après être passé sous l’arbre,

l’orignal se tourna alors vers l’est, et chargea les gardes et policiers qui

s’étaient avancés. Ce fut une belle débandade. Mais personne n’osa tirer

en raison des nombreux otages d’importance qu’il détenait. Puis il

continua à galoper en direction du groupe des passagers rassemblés vers

la pointe nord, non loin de l’épave de l’avion. Tout en provoquant une

belle panique. Il passa au milieu d’eux, puis, obliquant à droite en

direction du sud, il poursuivit sa course le long de la rive est du Bullshit

Lake.

Caroline, qui s’était réfugiée avec les autres en lisière de forêt,

apprécia le spectacle. Dans cette aventure, elle aurait vraiment tout vu.

Elle ne put s’empêcher de s’exclamer bien fort :

« Mais ils sont emportés par un véritable élan patriotique ! »

Il y eut un grand silence. Puis un énorme éclat de rire. Roselyne

Camelot riait, mais riait… « Un élan patriotique ! », répétait-elle sans cesse.

Quant à Christiane Tobago, elle faisait très nettement la gueule. Il y eut de

très nombreux commentaires. Harem Plaisir parla de nervis… Les

orignaux sont identitaires, pour sûr. L’humaniste Pierre Lebon-Berger

resta de marbre, ce qui est bon signe. Quant à Cécile Duvent, elle sembla

vraiment contente que l’orignal se portât comme un charme. Comme à

son habitude, Noël Maparendeux grommela n’importe quoi dans ses

moustaches défraichies.

En altitude, Jaimie Olson continuait à filmer. Elle en profitait, car

les hélicos de secours allaient bien évidemment arriver, et il serait bientôt

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spécial pour sentir l’odeur de Caroline au milieu de cette puanteur

absolue à donner la nausée.

La journaliste, intriguée, se saisit de l’animal. Celui-ci se mordit

violemment la queue, et se blottit dans les bras de Jaimie.

Les gardes passèrent les menottes à Caroline, et l’emmenèrent

dans un coin.

« Ces animaux ne sont pas propres », déclara alors Roselyne

Camelot, s’approchant. Il faudra se désinfecter au plus vite. Mais toutes

les piqûres sont dans l’avion. Je suis désolée. Puis, regardant la bonne

bouille du raton, elle s’écria : « Mais il est quand même mignon. Tu veux

un bisou, mon gros ?»

Les yeux du raton-laveur s’emplirent alors de terreur, il poussa

un cri strident, sauta des bras de Jaimie Olson, puis, tous poils hérissés,

surtout la queue qui avait doublé de volume, il se précipita dans un

fourré. Manifestement, il n’avait pas vraiment envie des bisous de

Roselyne. Peut-être craignait-il les piqûres.

Dès que celle-ci eut tourné le dos, le raton-laveur sortit

prudemment de son refuge, et revint se frotter contre Jaimie. Toujours en

se mordant le bout de la queue. La jeune femme se baissa, et détacha le

foulard de soie bleue. Elle sentit des choses dures, enveloppées dedans.

Discrètement, elle défit le tout, et découvrit une micro-caméra cachée dans

un collier, ainsi qu’un minuscule enregistreur.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? »

Elle fourra les deux appareils dans son sac de photographe. Puis

elle passa non loin de Caroline, coincée avec ses gardes. Les deux femmes

163

avoir capturé des skunks canadiens, Frenchies certes, mais canadiens, est

venu lancer une tête de pont sur notre lac. Ils ont pris le contrôle d’un

orignal de Nova-Scotia. Nous nous attendons à une invasion en masse. Il

est probable que les Froggies veuillent prendre leur revanche de la

Conquête18, et des Plaines d’Abraham19, et enlever le Canada à la Couronne

afin de nous convertir tous au papisme. Que Dieu sauve la Reine et le

Canada ! Les skunks Frenchies ont déjà accompli leur devoir envers la

Patrie. C’est maintenant l’honneur du 22nd Royal Canadian Skunks Battalion

of Nova-Scotia d’avoir à les rejeter à la mer.

“Canada expects that every skunk

will do his duty”

Mon plan est simple :

Premièrement l’offensive.

Secondement l’offensive.

Troisièmement l’offensive.

Le C squadron attaquera l’orignal sur la rive est, gazera ses

cavaliers et délivrera le Grand Orignal. Il faut faire des exemples. Ces trois

papistes doivent puer jusqu’à Vancouver !

Le E squadron encerclera et surprendra le gros des forces papistes

au nord du lac. Gazage général. Pas de quartier.

Le M squadron bloquera toute retraite au niveau de la route

forestière, à un demi-mile au nord et gazera les fuyards.

18 Conquête de la Nouvelle-France par l’Angleterre (1760) 19 Bataille décisive de Québec, l’armée française fut défaite par

l’armée anglaise (1759)

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Puis les trois squadrons convergent et refoulent l’ennemi à la

mer, ou les noient dans le lac. Compris ?

— Aye aye Sir ! », clamèrent les trois capitaines skunks.

— Rompez ! Major ! Rassemblement sur la place d’armes de tout

le 22nd.

— Yessir ! Aye aye Sir ! »

Avant que les officiers n’aient pu se séparer, l’horrible agent

spécial Raton Laveur Doublezézette intervint :

« Dites les Sirs, vous me laisserez quand même la Bonne Sir, euh,

Bonne Sœur, pas trop recouverte de votre délicieux parfum. Qu’elle soit

un peu attractive pour mes délicates narines. Cette belle espionne papiste,

elle est pour moi ! Elle m’a tapé dans l’œil, car elle m’a l’air plus classe que

l’autre poule blondasse toutes mamelles dehors. Une lady, c’est ce qu’il

faut à un gentleman comme moi. Elle m’apprendra les bonnes manières,

et à boire le thé sans laisser traîner ma queue dans la tasse. Mais faut

qu’elle soit approchable sans s’pincer la truffe. Grâce à moi, elle pourra

aussi échapper au couvent. Elle deviendra ma Raton Laveur’s girl, c’est

quand même mieux qu’une bonne sœur avec voile, coiffe, chapelet et tout

le gréement papiste!»

Regard noir du Major Lavender. Il avait une sacré envie

d’asperger ce raccoon insolent.

Les cent soixante mouffettes du 22nd Royal Skunks de Nova Scotia

furent rapidement disposées en un U impeccable autour de la Place

d’Armes de la base du Bullshit Lake. Toutes les queues à double bande

blanche étaient rigoureusement verticales. Une vigoureuse et haute

189

— Pas du tout. Je dis la vérité…

— Gardes ! Arrêtez-là. Menottes, et vous répondrez d’elle fi elle

f’éffappe.

— Ecoutez s’interposa Jaimie Olson, vous exagérez. Vous êtes sur

le sol canadien, vous n’avez pas le droit d’arrêter qui que ce soit. Vous

n’avez aucune preuve. Attendez l’arrivée de notre police.

Il y eut une courte dispute entre Jaimie et Manuel Iznogaz. Jaimie

avait beaucoup de mal à comprendre la prononfiafion du ministre édenté.

Christiane Tobago vint également tenter d’aider Caroline. Il n’y avait pas

de preuve.

Pendant ce temps, Caroline se baissa et attacha son foulard bleu-

ciel d’hôtesse au cou du raton-laveur.

« Vous me laissez dire au revoir à cet animal », demanda-t-elle,

alors que des gardes s’approchaient…

Puis, elle se releva, et le prit dans ses bras. Le raton-laveur

semblait très content.

« Il est très gentil dit-elle à la journaliste canadienne. Pouvez-vous

vous en occuper ?

— Un raton-laveur ? Ce sont des animaux familiers, mais

nuisibles. De vraies pestes…

— Celui-ci est particulier répondit Caroline. Il me semble très

attaché à moi. Je lui ai même laissé mon foulard, pour qu’il y ait mon

odeur. Ce serait gentil de me le rapporter quand ils auront compris que je

suis innocente. »

Elle fit un petit clin d’œil discret à Jaimie qui se dit qu’il se passait

quelque chose de bizarre. D’autant qu’en matière d’odeur, il fallait un flair

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« La terrorifte, la fauffe femec, l’infiltrée, où est-elle ? Le fauve f’est

fauvé. Vous deviez la garder. Elle est en fuite. Retrouvez là tout de

fuite ! »

Plusieurs gardes et policiers se mirent alors à courir dans tous les

sens.

Soudain une voix retentit : « C’est moi que vous cherchez ? Je suis

là. Je veux bien descendre. »

Jaimie leva le nez. Caroline était là, assise sur la branche d’un

gros érable et arborant un sourire moqueur. Et sur ses épaules, scène

incroyable : un raton-laveur !

Elle descendit souplement le long du tronc, et l’animal la suivit. A

peine à terre, il lui sauta dans les bras.

« Que faites-vous avec fette bête, hurla le ministre Manuel

Iznogaz ?

— Je n’en sais rien Monsieur le Ministre, au moment de l’attaque

des mouffettes, il s’est précipité vers moi, il s’est violemment mordu la

queue, puis il m’a attirée vers cet arbre tandis qu’il s’interposait face à

trois mouffettes. Puis il m’a poussée à grimper. Et il m’a rejoint. Il m’a

sauvée…

— Et vous voulez me faire croire fes fornettes, efpèfe de garfe… »

Le raton-laveur montra ses crocs, et le ministre dût reculer.

« Je vous jure que c’est vrai.

— Et comme par havard, vous vêtes la feule à ne pas vavoir été

vaporivée par les fconfes. Vous ne fentez pas mauvais. Prefque pas ! Et

f’est un raton-laveur qui vous vaurait protévé ? Vous vous foutez de ma

gueule ?

165

pousse d’érable occupait le centre de l’espace libre. Au sommet de la

pousse : une superbe mais unique feuille d’érable.

Tout d’abord, le Brigadier-General résuma les objectifs et son

plan à tous les skunks. Une fois la harangue achevée, il ordonna :

« Musique ! »

Alors une douzaine de skunks s’approchèrent en ordre serré, et

se disposèrent en cercle autour de la pousse d’érable.

« Ce n’est pas vrai, gémit Raton Laveur Doublezézette. Ils vont

encore faire jouer le Royal Canadian Fartpipe Skunks Band ! Après les

cornemuses, c’est ce qu’il y a d’pire. Faut que j’me tire, chuis pas

mélomane. J’ai pas d’oreille, mais j’ai du nez !»

Le Royal Canadian Fartpipe Skunks Band est un ensemble de

musique militaire traditionnelle extrêmement réputé de la Nouvelle-

Ecosse, recrutant les mouffettes les plus douées pour moduler

harmonieusement leurs flatulences. Leur répertoire est extrêmement

varié, mais surtout traditionnel, ce qui est très apprécié en cette province.

Très highlander style, comme le 22nd Battalion. Ces musiciens hors pair ne

se nourrissent que d’airelles, afin d’obtenir les tonalités les plus délicates.

On prétend même qu’ils ont l’anus absolu.

Ils ont même tenté de participer au festival de musique celtique

Festnoz de Douarnenez, en France, mais les écologistes de la région s’y

sont opposés en raison de l’impact répété des pets sur le réchauffement

climatique. Certains mauvais esprits ont même précisé que la ville

s’appelant Douarne-nez, et non pas Douarne-nezbouché… elle n’était pas

l’endroit le plus indiqué pour les recevoir. Par contre, les responsables du

Hell Fest les ont invités, espérant ainsi ajouter une composante tonifiante à

l’odeur douceâtre de cannabis qui imprègne l’atmosphère de ce

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rassemblement si prisé par l’intelligentsia porcinienne. Mais le Major

Lavender s’y était heureusement opposé. On a beau être des skunks, on a

sa moralité !

En opération, le Fartpipe Skunks Band accompagne les troupes

au combat. Il a été prouvé que cela encourage l’ardeur des soldats, et

perturbe sérieusement l’ennemi.

Ce soir-là, le Fartpipe Skunks Band accompagna l’hymne du

bataillon dont la traduction approximative de l’anglais est la suivante :

Souvenir qui pue,

Ma vieille clairière oubliée

Au camp, on nous conspue,

Nous les mouffettes aux queues rayées

Dans la forêt grise,

La mouffette vous arrose.

Oui, oui, oui…

La mouffette vous arrose.

— Prrrooot-proot-prooooot-proooot-prrrrroot-prrrrrrrrooooot !

—Prrrrooooot-proot-prooooooot-proooot-prrrrroot-prrroooot !

« Sauve qui pue, se dit l’agent Doublezézette. Les mouffettes

péteuses, très pue pour moi !»

Le Fartpipe Skunks Band exécuta ensuite Amazing Gaz.

— Proooooooot-proot-prooooooot-prooooooot-proot-prrrrrrrrooooot !

« Vous n’aimez pas, Mr. Laveur, do you ? » lui demanda alors le

Brigadier-General Pincushion, avec un petit sourire figé en coin?

187

— Nous n’en avons pas, répondit sèchement le ministre.

— Mon costume n’est plus impeccable. Il faut qu’il soit

impeccable. Et cette attaque est forcément commanditée par la Manif pour

Tous. Et par les catholiques. Il faut leur faire payer. Je suis pour la

suppression intégrale de toutes les fêtes chrétiennes, et c’est l’occasion de le

faire. Compris ?»

Manuel Iznogaz haussa les épaules et continua à inspecter le

camp. Il avait d’autres « foufis » que passer au Calendrier

Révolutionnaire ! Jaimie fut sidérée par la scène. Malgré toute l’antipathie

qu’elle avait pour le ministre de la police français, il était certainement le

dernier à qui parler de costume. Vu l’état de ses guenilles… Quant aux

catholiques, elle ne voyait pas le rapport avec les mouffettes. Ils sont fous,

ces Français, pensa-t-elle.

Puis, elle leva la tête, et aperçut Roselyne Camelot, à cheval sur

une branche basse. La branche ployait. Au moment où Harem Plaisir

passait dessous, la branche céda et Harem Plaisir se fit un plaisir d’amortir

le choc pour Roselyne qui ne se fit pas mal. Les deux se relevèrent

néanmoins péniblement, surtout Harem.

« Mais vous puez comme pas possible, dit-il. »

Il se prit une baffe, presque un coup de poing. Il laissa alors

échapper une dent. « Encore une mauraffienne, gémit-il. Ils font partout,

partout, partout. »

Pas de chance !

Soudain, le vil, ignoble et infâme ministre de toutes les Polices

hurla :

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— Pas une groffe perte, gronda Manuel Iznogaz. Ve n’ai vamais

compris pourquoi les vadminiftrés d’une obfcure petite ville du fud-oueft,

que personne ne fait fituer fur la carte, l’avaient élu comme maire. Fans

doute parfe qu’ils vétaient bourrés comme des tonneaux avec leurs grands

crus de Bordeaux. Et puis, ils l’ont envoyé à l’Affemblée Nafionale pour

f’en débarraffer. Depuis, il est touvours à Paris pour nous vemmerder

comme pas poffible ! »

Ils aperçurent alors Harem Plaisir. Il marchait de long en large.

Manifestement, lui-aussi n’avait plus toute sa conscience. Il ne cessait de

dire :

« Ce sont des maurassiens, il y avait des maurassiens, des

nervis… »

Au moins il avait toutes ses dents.

Peu à peu tous les passagers de l’avion firent leur apparition.

Valérie Tiergarten pleurait et réclamait son Séraphinou chéri. Le

commandant et le pilote s’étaient réfugiés dans l’avion. Ils revenaient à

terre tout en marchant sur l’aile et se bouchant les narines.

Christiane Tobago sortit d’un buisson. Elle dégoulinait de toute

part. La femec Iouliana émergea du lac. Elle grelottait. En fait, comme

plusieurs d’entre eux, elle s’était réfugiée dans l’eau. Là, ils avaient reçu

des coups de queue de castor. Après avoir été vaporisés par les

mouffettes.

Le magnat de la presse et humaniste, Pierre Lebon-Berger,

s’avança alors vers Manuel Iznogaz. Son costume paraissait un peu froissé

et surtout n’avait pas été épargné par les mouffettes. « Mon costume n’est

plus impeccable, annonça-t-il avec une extrême froideur. Il me faut du jus

de tomate tout de suite.

167

— Pas vraiment Sir. Je n’aime que la vraie musique.

— Mr. Laveur, sachez que ma définition du musicien, c’est le

sconse qui sait jouer du fartpipe.

— Brigadier, ma définition du gentleman, c’est le musicien qui

s’abstient d’en jouer… Sorry. Je ne supporte plus. J’me tire. Salut la

compagnie ! »

Et Raton Laveur disparut dans les bruyères.

« Brigadier-General, cet horrible Special Agent Raton Laveur

Doublezézette ne serait-il pas passible de Cour Martiale pour sa éhontée

conduite, demanda alors le Major Lavender ?

— Sure Major, sure, mais nous ne pouvons pas grand-chose. Il est

bien vu à l’état-major d’Ottawa, et il est protégé par M. Et il a du flair. La

preuve !»

— Prrrrooot-proooooooooooooot-prrrrooooooooooot-proot !

Puis, il ajouta d’une voix forte, une fois la dernière flatulence

émise et modulée au demi-ton près :

« Et maintenant ! A l’attaque ! March !»

L’embuscade

Une fois de plus, le grand orignal sortit de l’eau après avoir fait

un petit tour dans le lac, espérant se débarrasser de ses trois hôtes. Une

vraie misère ! Collants comme des tiques ! Pourtant, il ne les avait pas

ménagés, veillant à ce qu’ils se cognent souvent à des branches basses ou

à des troncs. Mais toujours, il se refusait à se rouler dans l’herbe afin de les

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écraser. On ne se couche pas devant l’adversaire ! Bon, on allait galoper

un peu, histoire de les secouer, puis, une fois de plus, opération râpe à

fromage dans le sous-bois. Dans les buissons, dans les ronces, au milieu

des troncs de résineux. Ils finiraient bien par céder ! Et puis, sous les

arbres, cela le débarrasserait enfin de cette épouvantable machine

bruyante qui ne cessait de le harceler comme un taon, là, au-dessus de sa

tête. Alors, il se lança à nouveau dans une grande galopade sur la côte est,

en direction du sud. Opération essoreuse !

Quelques dizaines de mètres au-dessus, l’hélicoptère ne lâchait

pas le joyeux quatuor d’une semelle, enfin… d’un sabot.

«Continuez à les suivre, cria la journaliste Jaimie Olson au pilote

de l’hélicoptère. Ils trouveront bien un moyen de descendre de l’orignal,

et nous ferons peur à l’animal, afin qu’il ne les encorne pas. Continuons.

— Vous croyez qu’ils survivront, hurla le Préfet de Police, blotti

au fond de l’hélico et visiblement inquiet pour ses patrons.

— Les mauvaises plantes sont les plus vivaces, répondit la jeune

femme en se penchant vers l’oreille du malheureux fonctionnaire. Par

contre, je ne pense pas que votre président ne puisse s’asseoir d’ici la fin

de son mandat… Je crois savoir que son arrière-train a été malmené

jusqu’à la toute dernière extrémité.»

C’était exactement ce que pensait le pauvre Séraphin Porcinet

ballotté comme un ballot sur le garrot du grand cervidé. Lui, président, il

ne pourra jamais plus poser son derrière sur un siège. Comment allait-il

présider le Conseil des Ministres ? Et comment allait-il faire ses discours

que tous les Français attendaient avec impatience, alors qu’il avait bien

l’impression d’avoir déjà craché toutes les dents de sa bouche tuméfiée.

185

Elle se pencha pour reprendre le bouche à bouche.

« Fe n’est pas la bonne méthode, rugit Manuel Iznogaz qui

passait par là. »

Il se pencha sur le vieil écolo et lui envoya plusieurs paires de

claques. Noel Maparendeux frémit.

« Il est vivant, s’écria Cécile !

—Pas de foufi ! »

Le député ouvrit alors les yeux, reconnut Cécile, fit une grimace

de déception, et divagua quelque peu :

« Vous ne pouviez pas me laiffer mourir dans la dignité ?

— Noël, ne dites pas des choses comme ça !

— Mais vous puez comme pas poffible ! ajouta-t-il.»

Là, c’était trop ! Alors elle-aussi lui envoya une bonne claque.

Cela réveilla franchement l’ami Noël qui s’écria :

« Le Prévident ! Où est le Prévident ! Il lui faut fes codes

nucléaires. Ve vais les lui apporter.

— Noël, s’écria Cécile, mais vous divaguez. Vous n’êtes pas…

— Fi, fi Féfile, ve fuis l’attaffé militaire du Prévident. Il lui faut fes

codes nucléaires. Pour la fécurité de la Franfe.

— Noël, vous êtes malade ? Et vous avez les dents cassées !

— M’en fous, fuis affuré ! »

Et il se leva d’un bond, et partit en courant en direction de la rive

est du lac.

« Il est fou, pleura Cécile Duvent. Il est devenu pro-nucléaire !

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Après avoir survolé et dépassé l’orignal, ainsi que l’attaché

militaire qui courait toujours à la poursuite de son président, l’hélicoptère

continua sa route en direction de l’avion et du groupe des passagers, puis

perdit de l’altitude et se posa.

Jaimie descendit la première. Le camp des naufragés semblait

désert. Une odeur de mouffette imprégnait jusqu’aux herbes. Où étaient

les gens ?

Les deux ministres mirent également pied à terre, puis

l’hélicoptère reprit son vol, histoire d’aller récupérer le Préfet et peut-être,

s’il voulait bien, l’attaché militaire. Et bien sûr de repérer où l’orignal

présidentiel pouvait bien se diriger.

Tous trois se mirent à la recherche des autres. Il était manifeste

qu’il y avait eu une attaque massive de mouffettes. Les deux premières

personnes qu’ils virent furent Cécile Duvent et Noel Maparendeux. Le

député écolo était allongé sur le dos, manifestement inconscient. A

genoux, à ses côtés, Cécile était en train de lui faire le bouche à bouche. La

moustache sale la gênait manifestement. Elle leva les yeux à l’arrivée de

Jaimie Olson. Et elle cracha deux dents.

« Vous vous êtes cassé des dents, demanda la jeune journaliste ?

— Non, ce sont les siennes, répondit Cécile. J’ai dû les aspirer. Il

est monté dans un arbre, il a eu une syncope à cause de l’odeur, et il est

tombé sur la tête, dit-elle en désignant l’homme qu’elle tentait de

réanimer. »

Elle était en larmes.

« Les mouffettes, dit-elle. Il y avait des mouffettes partout. Et elles

faisaient psshitt partout…»

169

Pour être honnête, il n’en pouvait plus, et était prêt à se laisser

tomber du dos de l’animal. Mais il craignait de se faire encore plus mal.

C’est haut un orignal. Et cela court vite. Il y avait dans la situation

présente beaucoup de choses comparables avec sa situation de président

de la République dans laquelle il s’était trouvé piégé. Il aurait bien voulu

démissionner, « dégager » comme tant de Français l’exigeaient. Mais là-

aussi, il n’osait pas. Il avait peur de se faire encore plus mal que de rester à

l’Elysée.

Et en plus, il ne voulait pas abandonner son bon Manuel, qui était

si fidèle et qui lui voulait toujours du bien, et qui le protégeait. Lui, qui

déployait des centaines de CRS ou gendarmes mobiles avec casques,

boucliers, gazeuses et tout et tout, dès qu’il y avait le risque qu’un seul

Veilleur ne puisse atteindre le trottoir en face de l’Elysée, portant un

recueil de poèmes de Prévert sous le bras. Trois jeunes filles en T-shirt

rose sur la rive gauche de la Seine, et c’était la mobilisation générale. Tous

les ponts de Paris étaient aussitôt bloqués par des barrages métalliques

opaques, des camions de gendarmes mobiles serrés à vingt centimètres les

uns des autres, et des centaines de robocops en grande armure et surarmés

derrière. Pour ces trois T-shirts roses, tous les policiers des « quartiers de

la joie-de-vivre », les banlieues, étaient rameutés au centre de Paris. Tant

pis pour le petit peuple abandonné aux « bousculades », aux

« échauffourées », aux « incidents », aux « jeunes », aux trafiquants, et aux

extrémistes barbus. Tout ça, Manuel le faisait pour lui. Pour le protéger.

Pour qu’il puisse rester tranquille à l’Elysée avec Valérie. Manuel le

protégeait du peuple. Toujours. Car Séraphin avait surtout peur du

peuple. Trois petits ballons du Printemps Français survolaient Paris

gaiement, et les quelques Rafales dont les commandes n’avaient pas été

annulées prenaient l’air avec toute la puissance de leur post-combustion.

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Et tout ça… tout ça… c’était son bon Manuel qui faisait ça pour lui. Lui

Président, il ne pouvait pas l’abandonner, maintenant que c’était lui dont

le sort était suspendu… à une corne d’orignal.

Suspendu très inconfortablement sous la corne de droite, le vil,

l’infâme et ignoble ministre de toutes les polices, Manuel Iznogaz ne tenait

bon qu’en se concentrant sur une seule et même pensée : « Je veux

devenir président à la place du président.» C’était ce qui le faisait vivre.

Il voulait tenir bon pour être bien sûr que le président finisse par lâcher

prise, se brise au sol, soit piétiné par le monstre, encorné, aplati. Et il

pourrait enfin devenir président à la place du président.

Suspendu très inconfortablement sous la corne de gauche,

Vincent Paillard, le pauvre ministre de la Déséducation Nationale se

demandait bien quand cet épouvantable calvaire allait enfin s’achever.

Pour être précis, il n’utilisait pas le mot « calvaire » car ce n’est pas un mot

suffisamment laïc. Surtout dans la bouche d’un brave homme qui a

exprimé un jour sa volonté « d’éradiquer le christianisme ». Oui, oui, oui !

Rien que ça ! Car c’est un réaliste, Vincent Paillard. Et c’est ce réalisme qui

faisait que sa préoccupation immédiate et permanente était surtout de ne

pas se faire éradiquer par le propriétaire des belles cornes sous lesquelles

il passait des moments inoubliables. Car rester aussi longtemps suspendu

aux bois d’un orignal était vraiment une expérience extraordinaire.

Surtout pour un Ministre. Il en aurait à raconter à ses Frères de Loge !

Quelle belle planche sur le G.O. il pourrait faire au G.O., en clair, discourir

du Grand Orignal devant l’assemblée du Grand Orient ! Mais il se

demandait aussi s’il aurait encore la force de faire des planches. Car il ne

se sentait même plus d’attaque pour essayer de devenir Grand-Maître à la

place du Grand-Maître.

183

polaires descendaient aussi au sud, c’était bien la preuve des méfaits du

réchauffement climatique. Cécile Duvent profita du drame pour réclamer en

conséquence un triplement des taxes « carbone-transition énergétique ». Le

gouvernement approuva chaudement.

Cependant, bien des années après cette extraordinaire aventure, un

groupe de chasseurs venus d’Halifax fut reçu dans une des rares tribus

d’autochtones Micmacs non encore sédentarisés dans un village. Ils furent

intrigués par un vieil Indien enveloppé d’une couverture grisâtre, et qui portait

une plume de dindon plantée dans ce qui paraissait être la base d’une casquette.

Cet Indien ne leur parla pas, mais des papooses leur expliquèrent que lorsqu’il

allait chasser, et qu’il tuait six lapins, il déclarait toujours qu’il n’en avait tué que

deux. Au début, cela passa pour de la modestie, puis cela devint franchement

désagréable, car tout le monde pensait que c’était pour pouvoir manger les quatre

autres tout seul. Une seule chose était sûre, il avait l’air heureux.

Le champ de bataille

A peine en vol, Manuel Iznogaz demanda avec véhémence au

pilote ce que faisaient les secours. Celui-ci, après avoir fait répéter trois

fois la question, lui répondit qu’il venait juste d’avoir un contact radio

avec Stanfield. Un wagon citerne avait pris feu dans la gare d’Halifax. Pas

de victimes de l’incendie, mais il fallait intervenir rapidement pour qu’il

n’y en ait pas. Tous les hélicos et les pompiers étaient mobilisés là-bas,

sachant que le crash n’avait pas fait de victime. Le sien était le seul

disponible. Les secours étaient de toute façon en route par voie terrestre.

Ils ne sauraient tarder. Et les hélicoptères arriveraient dès que possible.

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l’entourait. Et surtout, il ne voulait plus être persécuté par le vil, infâme et

ignoble ministre de l’Intérieur. Il voulait mourir. Il pensa alors à cette

petite jeune fille qui avait chanté dans l’avion un peu avant le crash. Une

fille idéaliste, prête à prendre tous les risques pour ce à quoi elle croyait.

Une fille du genre de celles qu’il avait ordonné d’envoyer en garde à vue.

Qu’est-ce qu’elle pouvait bien chanter ? Il avait déjà les jambes dans l’eau

à mi-cuisses, et tenait bien ferme sa décision d’en finir. Il continua à

avancer. Il pensa à nouveau à Caroline et à sa prière. Elle n’aurait pas

voulu qu’il meure. Quelque chose lui disait qu’elle n’aurait pas voulu.

Qu’elle l’aurait sauvé. Qu’il avait encore quelque valeur. Elle se battait

pour l’humain. Lui aussi était un homme…

Il entendit alors comme une musique… Une musique céleste ?

Non, une musique… avec une odeur… Les mouffettes. Elles revenaient.

« Pardon mon Dieu !»

Jamais personne ne revit le Préfet de Police de Paris. Dans les jours qui

ont suivi ces événements tragiques, des pompiers et plongeurs sondèrent le

Bullshit Lake. Des rangers patrouillèrent dans les bois avec des chiens. Rien. Puis

le terrible hiver canadien survint. Personne ne peut survivre dans la nature dans

ces conditions hivernales, surtout un Préfet de Police. On abandonna alors les

recherches. A Paris, il fut décoré de la Légion d’Honneur à titre posthume par le

plus hypocrite des ministres de l’Intérieur. Le Ministère se fendit même d’un

communiqué, comme quoi le Préfet aurait été dévoré par un ours polaire

préfetophobe lors de son escale à Halifax. Casquette comprise. Car on n’avait

jamais retrouvé la casquette non plus. Et tous les journaux répétèrent le

communiqué pendant plusieurs jours sans en changer une virgule, et surtout

sans se poser de question. Le quotidien du soir, Le Monstre émit même

l’hypothèse que l’ours en question fût un « proche de la Manif pour Tous » ou de

Rigide Fardot. Un autre chroniqueur du même journal affirma que si les ours

171

De leur poste de commandement sur la colline, le Brigadier-

General Pincushion et le Major Lavender admiraient le déploiement des

troupes du 22nd Royal Canadian Skunks Battalion of Nova-Scotia.

Musique des Fartpipes en tête, le C squadron avait progressé sur

trois colonnes, et atteint le bord du lac.

Prooooooooooooooot-proot-prooooooot.

Au loin, l’orignal arrivait au grand galop. Les skunks s’étaient

alors disposés en ligne de file sur trois rangs. Queues enroulées,

disciplinés comme savent l’être les skunks anglophones, ils attendaient les

ordres.

Egalement musique des Fartpipes en tête, le E squadron

s’avançait encore en direction du camp de base de l’ennemi, non loin de la

machine de débarquement.

Proot-proot-proot-proot-proooooooooooooooooot.

Toujours musique des Fartpipes en tête, le M squadron marchait

encore à la lisière du bois en vue de contourner l’ennemi par la droite et

de prendre position sur la route nord.

Proooo-prooooooooooot-proot-prrrooooot.

Une manœuvre en tenaille.

L’orignal se rapprochait encore. Beaucoup plus loin, le long du

lac, un petit homme courait derrière. Il portait une valise. Sans doute un

sacristain de l’Antéchrist. Portant un autel de campagne. On réglerait son

compte plus tard.

L’orignal parvint à une centaine de mètres du Captain Daisy, en

charge du C squadron.

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172

« Music ! » Les Fart-pipes jouèrent le Princess Charlotte Battle

Hymn !

Proooooot-proot-prooooooooooooooooot-proot-proot.

Le grand orignal huma l’air et sentit que quelque chose

d’anormal venait de se produire. Ses grandes oreilles s’agitèrent. Oui, il y

avait là un air connu… Mauvais signe. Cela sentait mauvais. Il

s’immobilisa brusquement. Il ne voyait encore rien. Mais pas plus que son

ouïe, son odorat ne pouvait le tromper. Skunks ! Skunks partout ! Il fallait

fuir, mais où ?

De son poste d’observation en hélicoptère, Jaimie Olson nota

immédiatement l’arrêt soudain de l’orignal. Elle suggéra au pilote de faire

demi-tour, mais de ne pas trop se rapprocher. Il fallait voir ce que l’orignal

voulait. Et elle espérait que les trois bouffons profitassent de l’occasion

pour se sauver. Elle n’arrivait pas à comprendre ce qui se passait.

L’orignal ne bougeait plus. Toujours en éveil, il tentait de deviner

où étaient les innombrables bêtes puantes dont il décelait la présence. Il

tenait à fuir, mais pas n’importe où… A sa droite, le lac. A sa gauche la

colline, et sans doute l’ennemi.

Les passagers de l’orignal en étaient aussi à se poser des

questions. Des questions vitales. Si nous descendions ?

Le premier à réagir fut le ministre Vincent Paillard. S’il mettait

pied à terre, il pourrait sans doute grimper sur un des arbres qui

poussaient par là. Et puis l’orignal semblait indécis. Peut-être qu’il ne les

chargerait pas. Et puis, cela commençait à sentir mauvais.

Pendu sous la corne de droite, le vil, infâme et ignoble ministre

de toutes les Polices, Manuel Iznogaz était par contre extrêmement

181

jamais ce qu’on peut vivre lorsqu’on devient ministre de Séraphin

Porcinet. A moins… à moins, qu’il n’amène une mouffette dans sa Loge.

Ce serait une « planche » parfumée et ses Frères apprécieraient. Après,

tout, les odeurs, c’est comme les idées, tout se vaut…

Pendant que l’hélico quittait le sol, Jaimie observa le malheureux

Préfet qu’ils abandonnaient au sol, et à son sort. Celui-ci avait l’air

complètement chaviré et de vraies larmes coulaient des yeux de cet

homme qui semblait brisé. Plus de casquette, plus de ministre, plein de

mouffettes et pas un seul gendarme mobile, ni CRS...

Il levait tristement le nez en regardant l’appareil l’abandonner. Il

se mit alors à marcher lentement en direction du nord. Il savait bien qu’il

n’y avait pas qu’une poignée de mouffettes. Il avait peur. Il était

abandonné de tous. Toute une carrière d’honneur pour se retrouver dans

ce pays de sauvages au milieu d’animaux cruels. Pourrait-il survivre ? Il

se laissa aller à un examen de sa conscience…

Alors il pleura. Lui, Préfet de Police de Paris, avait obéit aux

ordres jusqu’à la dernière turpitude. Il avait été tendre avec les vrais

voyous, pour ne pas « désespérer les quartiers… ». Il avait été dur avec ces

familles de la Manif pour Tous, ces jeunes gens honnêtes et pleins d’idéal

qui se battaient pour les plus faibles. Il les avait gazés, matraqués,

emprisonnés. Et il avait menti mille fois sur le nombre des manifestants. Il

avait truqué les vidéos qui auraient dû servir de preuves, au point d’avoir

effacé la foule sur une avenue, puis remis un passage piéton là où il était

quelques années avant, mais pas au moment de la prise de vue. Erreur

révélatrice. Il avait été malhonnête et menteur. Pour être aux ordres.

Désespéré, il se dirigea vers le bord du lac. Il ne voulait plus

revenir à Paris, et affronter le regard de cette société pourrie qui

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— Monsieur le Ministre. Peut-être pas des centaines. Mais au

moins des dizaines de mouffettes.

— Préfet, ne me défevez pas. Comptez mieux.

— Monsieur le Ministre, peut-être une poignée de mouffettes

seulement. Pas plus…

— Et bien voilà, Préfet ! Une poignée de mouffettes. Et vous

vallez m’empêffer de monter dans fet hélico pour une poignée de

mouffettes ? Moi ? Votre miniftre de tutelle. Felui qui vère votre carrière et

qui vous tient dans fa main. Deffendez tout de fuite !

— Oui, Monsieur le Ministre, bien Monsieur le Ministre, je

descends Monsieur le Ministre.

— Et qu’avez-vous fait de votre cafquette, Préfet !

— Elle a été écrasée par l’orignal, Monsieur le Ministre.

— Et en pluf, vous vêtes néglivent. Fortez donc et rentrez à pied !

Fela vous fera du bien ! »

Indépendamment de l’odeur, Jaimie était complètement écœurée.

Manuel Iznogaz tira le haut fonctionnaire par la chemise, et le jeta

littéralement hors de l’appareil. Puis il monta d’un bond, et s’assit

carrément sur les genoux du ministre de la Déséducation.

Jaimie claqua la porte du cockpit. L’odeur à l’intérieur était

épouvantable. Elle prit elle-aussi un masque à oxygène. Il n’y en avait que

deux à bord. Manuel essaya de le lui arracher, et il fallut le menacer à

nouveau avec la bombe à ours pour qu’il accepte de s’asseoir et de se

boucher le nez avec le chiffon de graisse.

Vincent Paillard se dit qu’il ne pourrait jamais traduire une telle

odeur dans ses planches, en Loge. Dommage, ses Frères n’imagineraient

173

hésitant. Comme à son collègue de la corne de gauche, les effluves

désagréables lui parvenaient également à son nez. Par contre, il était assez

charmé par la musique qui émanait si délicatement des petits anus des

mouffettes musiciennes. Précisons qu’il n’imaginait pas encore comment

cette musique était ainsi modulée. Car Manuel Iznogaz était très musicien.

On disait même qu’il avait « l’oreille absolue ». Ce qui explique ses

réactions violentes à l’audition des sifflets de la Manif pour Tous. La

musique était, en effet, la seule chose qui le rendait un peu moins vil,

ignoble et infâme. Ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était le violon. Il avait

une obsession, mettre tout le monde « au violon ». Il avait même

commencé par sa femme, devenue ainsi une violoniste talentueuse.

Lorsqu’on imagine que Manuel Iznogaz puisse avoir une épouse, tout le

monde doit penser qu’il doit s’agir d’une sainte femme gagnant haut la

main son purgatoire sur Terre. Et sans doute, le violon était la seule chose

qui lui permettait de rendre son vil, infâme et ignoble mari un peu

vivable. Donc Manuel aimait le violon, et bien que cela puisse être

surprenant, il semblait apprécier le timbre des mouffettes péteuses. Et il

n’osait bouger, de peur d’interrompre le concert.

Au sommet de son orignal, le président Séraphin Porcinet hésitait

aussi. Cela sentait mauvais, il aurait bien aimé descendre, mais sans doute

pourrait-il se faire aider par son bon Manuel. Il se pencha donc, et suggéra

la chose à l’étage du dessous.

Voyant cela, Vincent Paillard appuya la suggestion. « Fi nous

deffendions, Manuel ? La bête femble calmée, fa ne fent pas très bon, et fi

elle veut nous farver, on fe féparera. Il y a des varbres et le lac. F’est

l’occavion ou vamais. Ve me fens un peu fatigué… »

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Le vil, ignoble et infâme ministre de toutes les Polices, Manuel

Iznogaz y vit alors l’occasion de mettre en branle son plan : laisser le

président se faire emporter à jamais par l’orignal.

Aussitôt dit, aussitôt fait, les deux compères descendirent de

leurs cornes. L’orignal semblait indifférent. Ouf ! En fait, il était très

préoccupé par la présence des skunks et restait sur le qui-vive.

« Tu viens m’aider à deffendre, mon bon Manuel ?

— Nous vallons d’abord vérifier f’il n’y a pas de danver autour,

Monfieur le Prévident.

— Très bien mon bon Manuel. Mais tu n’entends pas ? On dirait

qu’il y a une volie muvique qui vient de quelque part. Par contre, fela fent

bien mauvais… »

Le président demeura à califourchon sur le garrot du grand

animal, tandis que les deux ministres s’avançaient tout en titubant en

direction des broussailles qui bordaient le chemin.

Depuis l’hélicoptère, Jaimie poussa un cri : « Regardez, il y a des

mouffettes partout, là, là, et là. Ils vont se faire asperger ! Faisons un tour

et revenons à plus basse altitude, il faudrait les disperser.

— Cela va aussi faire partir l’orignal, objecta le Préfet de Police.

— Peut-être, mais j’espère que votre président aura la présence

d’esprit de descendre. »

L’hélicoptère amorça un autre demi-tour au-dessus du lac.

Après quelques pas, Manuel Iznogaz et Vincent Paillard

s’immobilisèrent. Devant leurs regards éberlués, s’étalaient des

179

« Hé ! Je n’ai pas de place pour tout le monde. Il faut qu’une

personne se dévoue et reste dehors. On reviendra la prendre ensuite.

— Fela tombe bien répondit Manuel avec vivacité. La fille est

deffendue.

— Non, mais, ça ne va pas comme ça, reprit le pilote. Jaimie est

avec moi. Un de vous trois descend, de toute façon, vous n’avez plus rien

à perdre en matière de puanteur. »

Furieux Manuel, lui ordonna de décoller. Jaimie tenta de

remonter dans l’appareil, et de faire descendre le ministre, mais il lui

envoya un coup de pied dans les cuisses. Le pilote saisit alors une bombe

à poivre anti-ours qu’il avait toujours dans un appareil destiné à desservir

le Parc National, et bien calmement, méthodiquement, il en aspergea le

vil, ignoble et infâme personnage. Puis, d’une pression du pied, il l’éjecta

à son tour de l’appareil.

« Bien fait, se dit Jaimie, c’est sans doute ce qu’il doit faire subir

aux manifestants. » Elle se précipita sur le siège.

Mais Manuel Iznogaz, toussant, suffoquant, pleurant et crachant,

ne s’avouait pas vaincu.

« Préfet, ordonna-t-il. Laiffez-moi votre plafe. Tout de fuite !

— Mais, Monsieur le Ministre, il y a des mouffettes.

— Vustement, vous virez les compter !

— Il y a des centaines de mouffettes, répondit le malheureux

Préfet, au bord des larmes.

— Comptez bien Préfet. Des fentaines ? Vous êtes fûr ?

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pour son compagnon Vincent Paillard. Les deux hommes n’étaient plus

que l’ombre des ministres qu’ils avaient été. Leurs vêtements n’étaient

plus que charpie, lambeaux de tissu déchirés par les ronces, et par les

passages successifs dans les fourrés et au milieu des branches basses.

Leurs corps étaient couverts de bleus et d’égratignures. Leurs bouches

semblaient avoir durement souffert de chocs répétés. Ils avaient perdu

leurs chaussures. Et en plus, ils étaient trempés, à la fois d’eau et d’urine

de mouffette. L’odeur était humainement insupportable. Le tir des

dizaines de mouffettes s’était concentré sur les deux malheureux. Elle

porta d’abord devant son nez un chiffon couvert de graisse trouvé dans la

caisse à outils de l’appareil. Cela valait mieux que respirer cette infection.

Les deux victimes toussaient et crachaient sans cesse. Entre autres leurs

dents. Malgré sa répulsion, elle descendit du cockpit pour les aider.

Mais la méchanceté naturelle du vil, infâme et ignoble Manuel

Iznogaz prit vite le dessus. C’était sa force vitale. Il hurla :

« Il nous faut revenir de fuite à l’avion. Où font les fecours ? Il

faut exfterminer fes fauves ! »

Ils puaient tellement que le pilote décida de porter un masque à

oxygène.

Jaimie aida Vincent Paillard à monter. Il se coinça à l’arrière du

cockpit, tout contre le Préfet de Police qui fut à deux doigts de tourner de

l’œil. Pourtant, lui-même ne sentait pas bien bon…

Puis, la jeune femme voulut reprendre sa place, mais Manuel lui

agrippa la veste, tira dessus, et propulsa la jeune femme à l’extérieur du

cockpit, puis il bondit sur le siège à côté du pilote.

Celui-ci protesta :

175

mouffettes, des dizaines et des dizaines de mouffettes alignées en ordre

impeccable sur trois rangées. Ils n’avaient jamais autant vu de mouffettes.

Un cauchemar éveillé !

Le Captain Daisy, qui observait les papistes depuis un moment

s’écria :

« Le papiste Grand Inquisiteur, cible un.

Le papiste Frère prêcheur, cible deux.

Le papiste trônant sur l’orignal, l’Antéchrist, cible trois. «

Comme les deux papistes qui avaient mis pied à terre

s’avançaient encore, il ordonna :

— Target one, ten o’clock, range fifteen feet, elevation one third.

— Target two, eleven o’clock, range twelve feet, elevation one third.

—Target three, one o’clock, range eighteen feet, elevation two thirds.

—Prepare ! »

Toutes les mouffettes levèrent la queue.

Les deux hommes à terre comprirent alors ce qui allait leur

arriver. Le président, lui, n’avait comme d’habitude encore rien remarqué.

« Non ! Non ! NOOOOOOOOOOOOOOOOOON ! »

— First line ! Shoot !

Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !

Les trois cibles furent arrosées en même temps par une vingtaine

de mouffettes.

— First line ! One step right ! March!

Les mouffettes de la première ligne firent un pas de côté.

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— Second line ! One step march ! Shoot !

Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !

Les mouffettes de la seconde ligne s’étaient avancées et lancèrent

leur fluide.

— Second line ! One step right ! March!

Les mouffettes de la seconde ligne firent à leur tour un pas de

côté, laissant la place à la troisième ligne.

— Third line ! One step march ! Shoot !

Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !

L’orignal n’attendit pas la troisième ligne. A la différence de son

illustre cavalier, il n’est pas du genre à tergiverser. Dès la seconde giclée, il

avait effectué un bond en arrière et une brusque volte, manquant de

désarçonner le papiste-archevêque-antéchrist. Puis se propulsant sur ses

puissants postérieurs, il détala en direction du nord, accompagné par les

hurlements du président Porcinet.

Les deux autres papistes suffoquaient et dégoulinaient de fluide

parfumé… Ils se retrouvèrent à genoux pour vomir.

Le Captain Daisy fit avancer ses skunks de trois pas. Il fallait

rejeter les papistes au lac. Et donc lancer une nouvelle salve de parfum.

Prepare !

Les deux hommes ne réalisaient même pas ce qui leur arrivait. Ils

se voyaient face à la mort. Pétrifiés.

177

C’est alors que l’hélicoptère plongea en rase motte vers le petit

groupe. Terrorisées, les mouffettes se dispersèrent dans toutes les

directions, malgré les appels furieux du Captain Daisy.

De son poste de commandement, le Brigadier-General Pincushion

hurlait de rage. Sa queue battait furieusement à droite et à gauche. Elle

heurta le Major Lavender. Instinctivement, et pour se défouler, le

Brigadier-General lui envoya une rasade de fluide. Le Major resta stoïque

devant son supérieur, tandis que celui-ci beuglait :

« Mais que pouvons-nous faire, si l’ennemi papiste dispose

toujours d’une capacité de frappe aérienne ? Que font les F-18 de Goose

Bay ? C’est comme la cavalerie chez les Grands Voisins du Sud. Elle arrive

toujours en retard !»

Effectuant des cercles serrés autour des deux malheureux

ministres, l’hélicoptère se posa enfin, laissant toujours tourner ses rotors.

Les mouffettes se tenaient à distance, mais se regroupèrent. Les Fartpipes

jouèrent la sonnerie de la retraite. En bon ordre, le C Squadron se replia.

Ils n’avaient quand même pas démérité, l’ennemi avait été mis en déroute

et était manifestement en train d’évacuer. Et on devait déjà en sentir

l’odeur à Vancouver ! Sur son promontoire, le Brigadier-General se calma

un peu, tandis que le Major lui demanda respectueusement la permission

de rompre pour aller se nettoyer.

Disparition

Malgré sa profonde antipathie pour Manuel Iznogaz, Jaimie

Olson ne put s’empêcher d’éprouver une vive pitié pour l’homme, comme

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— Je préférerais trois pèlerinages de Chartres, en tongs, et sous la

pluie…

— Dans ce cas, si vous ne pouvez pas, vous pourriez offrir de

petits sacrifices. Comme laisser votre téléphone portable éteint, le

vendredi…

— Mais c’est inhumain, s’écria Marie, horrifiée ! Bon d’accord, je

prends Manuel. Qu’est-ce qu’il faut lui faire, à part lui coller une paire de

claques et une mouffette sur les genoux ?

— Rien, vous priez, et c’est pour lui… Un peu de temps pour sa

conversion. Et pour votre propre conversion. Cela vous aidera à choisir

des actes justes. J’y pense, prenez donc aussi Vincent Paillard. C’est

comme sur l’orignal, il fera pendant. »

Marie soupira et se renfrogna. Sa fureur était évidente.

« Et pouvez-vous également me rendre un petit service, Marie ?

— Humm ? Quel genre ?

— Pouvez-vous transmettre à votre mère mon désir de la

rencontrer ?

— Vous ne pouvez pas lui faire la commission vous-même, non ?

Le téléphone est arrivé au presbytère, me semble-t-il… Internet aussi,

peut-être… Bas-débit ?

— Elle se sentirait convoquée. J’aimerais bien qu’elle se sente

invitée.

— C’est pour lui dire quoi ?

— Je ne suis certainement pas obligé de vous le dire, ma chère

Marie. Mais comme cela vous concerne aussi, je vais le faire. Disons que

191

se regardèrent. Jaimie hocha doucement du chef, et Caroline sourit. Puis

Jaimie s’écarta, toujours avec le raton dans les jambes.

C’est à ce moment-là, qu’ils entendirent un bruit de sabot bien

connu. L’orignal. Et le président.

Le grand cervidé passa en trombe et s’engagea sur la route nord

semant de nouveaux effluves de puanteur. Le président poussait des

petits cris incohérents tout en se faisant secouer. Il se cramponnait comme

il pouvait. Plus de trois cents mètres en arrière, l’attaché militaire

continuait à courir. Il avait toujours sa valise.

« Il faut retrouver mon Séraphinou », pleurnicha Valérie

Tiergarten tout en gardant le nez soigneusement plongé dans son

mouchoir.

— Oui, appuya Christiane Tobago, il faut absolument retrouver le

président. »

L’hélicoptère arriva sur ces entrefaites et se posa.

« Le Préfet de Police a disparu, annonça le pilote, en sautant à

terre ! J’ai fait plusieurs tours, et je ne l’ai pas vu. Il y avait encore plein de

mouffettes, mais je n’ai pas vu votre Préfet de Police. Sorry ! Ah ! Mais ça

pue comme pas possible !

— Un de perdu, dif de retrouvés, gueula Manuel Iznogaz. Ils font

interffangeables. D’ailleurs ils n’ont pas de nom. On les vappelle « Préfet

de Polife. »

— Il faut demander des recherches tout de suite, intervint le

commandant de bord. On ne peut pas se permettre de perdre un Préfet de

Police.

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— Par contre, reprit le pilote de l’hélico, j’ai fait une trouvaille.

Lors d’un échange radio avec ma base, ils m’ont dit que les gardes du Parc

national de Kejimkujik laissent toujours un fusil à flèches hypodermiques

dans le coffre d’outillage de l’appareil pour endormir de grands animaux.

Comme les ours. Afin de les changer de territoire. On pourrait peut-être

essayer d’arrêter l’orignal.

— Et vous ne pouviez pas le dire plus tôt, hurla Manuel Iznogaz ?

— Ce matériel ne m’appartient pas, répondit le pilote,

froidement, il est à Park Canada. Ce n’est pas mon business.

— F’est le vôtre maintenant. Montrez ! »

Il ouvrit alors le coffre et examina le fusil.

« Bon, air comprimé. OK. Et là… une belle flèffe avec un flacon de

produit. »

Roselyne Camelot s’approcha, visiblement intéressée… Une

sacrée seringue !

Un garde du corps du président se présenta, et se déclara

volontaire pour tirer la flèche hypodermique. Il était tireur d’élite.

C’est alors qu’une nouvelle idée traversa le cerveau du vil, infâme

et ignoble ministre de toutes les Polices, Manuel Iznogaz. Il avait encore

une occasion de devenir président à la place du président.

L’étoffe des héros

Manuel Iznogaz, le vil, infâme et ignoble ministre de toutes les

Polices soupesa le fusil à air comprimé, puis la flèche et déclara :

217

rapporteur de la loi Tobago au Sénat, ce peut être drôle. Et même utile, je

veux bien. Mais dans votre avion, elles ont provoqué une quasi-

catastrophe, je le répète.

— Vous nous désavouez, dit Caroline ?

— Que je sache, ce n’est pas vous qui avez introduit les

mouffettes dans l’avion, Caroline.

—Donc, pour vous, je suis coupable, conclut Marie d’un air

sombre.

— Ce n’est pas un problème de culpabilité, continua l’abbé. Je

veux que vous soyez des Résistantes dont la première vertu que l’on

puisse reconnaître, c’est l’amour du prochain, et en particulier l’amour de

vos adversaires. C’est cet amour qui vous donnera le discernement sur

vos actions. Eviter la vengeance, ne pas s’attaquer aux personnes,

seulement aux fonctions qu’elles tiennent. C’est cet amour qui attirera vos

amis et désarmera les autres. Et pour nourrir cet amour, il vous faut prier.

Cela permettra de vous conforter dans l’intuition que vous avez déjà, à

savoir qu’à côté d’actions spectaculaires de harcèlement, comme celles

que vous conduisez, il vous faut donner toute sa place au travail à long

terme, du type Veilleurs. Pour que vos actes soient justes, je veux que

vous soyez capables de prier pour vos adversaires. Soyez des saintes !

Tout simplement !

— Je prie déjà pour plusieurs cas désespérés fit remarquer

Caroline. C’est d’ailleurs assez inhumain !

— Marie, reprit le Père Joseph, vous pourriez alors prendre en

charge Manuel Iznogaz, pour commencer. En priant pour lui, vous

apprendriez ainsi à l’aimer.

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— C’est juste ! Ils nous ont gazés, on les gaze, jeta Marie.

— J’appelle cela de la vengeance, Marie. Pas de la justice. Et

j’espère que vous êtes consciente que l’avion a échappé de peu à une vraie

catastrophe qui aurait pu coûter la vie de beaucoup de monde… Y

compris celle de votre cousine. Sans parler des suites du crash. Plusieurs

personnes ont été blessées par l’orignal.

— Porcinet, Manu le Chimique et Vincent Paillard, l’apôtre du

Gender, ce n’est pas une grosse perte…

— D’autres sont devenues foldingues, et un homme a même

disparu sans que cela ne dérange trop de monde…

— Le préfet de police, intervint Caroline ? Cela fait six semaines

que les rangers canadiens le recherchent. Je suis sûre qu’il est vivant et

qu’il s’est barré. Il n’en pouvait plus d’être persécuté par Manu la

Tendresse. A l’heure qu’il est, il doit être à Vancouver !

— Nous n’avions pas prévu, ni le crash, ni l’orignal, ni les

concentrations de mouffettes, mon Père, enchaîna Marie, un peu piquée.

C’était hautement improbable. De toute façon, cette action nous permet de

ridiculiser l’ennemi. Les films de Caro et de Jaimie Olson sont là pour cela.

Ce sont ces prises de vues qui nous font passer de la simple vengeance à

l’acte d’érosion politique. Et qui donnent du retentissement à des blogs

d’information résistante qui ne font que progresser pendant que les gros

médias régressent. C’est bien une guerre de communication, et elle n’est

pas violente. Des mouffettes, ce ne sont quand même pas des bombes !

— D’abord, vous êtes chrétiennes, corrigea le prêtre. Vous avez

donc des adversaires, pas des ennemis. Même si eux, vous considèrent

comme leurs ennemis. Ensuite, lâcher des mouffettes à l’Elysée, à

l’Assemblée, devant des gendarmes mobiles, ou dans le bureau du

193

« Ve crois que confier à un garde du corps ou un polifier le foin

d’endormir l’orignal, fe n’est pas une bonne idée. On peut être bon tireur,

bon ffaffeur, mais pas bon anefthéfifte. Il faut être dans le métier de la

fanté. F’est très différent. »

Et il regarda Roselyne Camelot avec intensité. Celle-ci recula,

d’autant que la vue du ministre vêtu de haillons et couvert d’écorchures

n’était pas une vue très réjouissante, et contribuait à le rendre encore plus

inquiétant que d’habitude.

« Que voulez-vous dire, demanda-t-elle ?

— Ve veux dire, répliqua Manuel, que vous vêtes une

profeffionnelle de la feringue, et que vous favez bien où planter votre

aiguille. N’est-fe-pas ? Et vous favez été miniftre de la Fanté, ve crois.

— De Droite…

—Perfonne n’est parfait. Mais pas de foufi !

— Je ne suis pas chasseur…

— Pas ffaffeur du tout ?

— Un peu de ball-trap entre amis… De Droite…

—F’est fuffivant, clama Manuel en frappant dans ses mains. Vous

vêtes la perfonne qui va fauver notre prévident. Puifque les fecours ne

viennent pas. Pilote, quelles font les doves ?

— Et bien, là, il y a la dose pour une biche, et là, pour un ours

noir. Et celle-ci, la grosse, c’est pour un orignal.

— Un peu vufte comme dovave, remarqua Manuel. Vous n’avez

pas plus mufclé ?

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— Vous savez, répondit le pilote, visiblement agacé, nous avons

eu des T-Rex au Canada, mais il y a quelques millions d’années. Le

produit a eu le temps de se dénaturer…

— Non, mais vous vavez des baleines, bleues, à boffe, franffes,

des vépaulards, des bélougas…

— Ce n’est pas la même méthode. Plus proche du harpon. Non,

c’est cette dose qui convient à un orignal. Six cents kilos, cela devrait faire,

croyez-moi ! Après quelques foulées, il titubera et se couchera.

— Bon, tant pis. Fix fents kilos, pas de foufi ! Au travail. Rovelyne

on monte dans l’hélico. Pilote, départ immédiat, on va récupérer le

prévident.

— Désolée, dit Jaimie, pas de truc comme ça sans moi. Je suis la

journaliste, et j’ai des photos à prendre. »

Elle sauta dans l’hélico, et le pilote prit place à son tour. Le raton-

laveur bondit alors sur les genoux de la journaliste.

« Ah ! Non, pas cette bête ici, protesta le pilote. »

Ils tentèrent de le chasser, mais le raton-laveur se blottit à l’arrière

entre les sièges, et refusa de bouger tout en montrant les crocs et les griffes

des pattes avant.

Alors Roselyne monta à bord. Cri strident, et le raton-laveur jaillit

hors du cockpit, hérissé comme un oursin, l’air complètement affolé. Et

fila dans les broussailles.

Le vil, ignoble et infâme Manuel Iznogaz monta en dernier. Il

voulait être sûr que son plan diabolique fonctionnât bien.

215

— Les actes de résistance, continua le Père, peuvent relever d’une

autre logique : s’opposer au pouvoir légal au nom du devoir d’assistance

aux personnes en danger. Et puis, lorsqu’on entend « guerre », on entend

violence et même mort d’homme. Vous êtes effectivement dans l’acte

politique de résistance. Mais pas dans la violence, enfin j’espère.

Vous vous opposez à l’intrusion en catimini de cette idéologie

mondiale du Gender, qui est un élément de subversion de la société et de

la vision que l’on a de la personne humaine. Et qui est une des

composantes parmi les plus dangereuses de l’idéologie hyper-

individualiste et consumériste qui ne peut qu’écraser les plus faibles. Par

ailleurs, vous ne vous limitez pas à la lutte contre le Gender, mais vous

avez bien compris que le combat porte aussi sur les conséquences

économiques, politiques et sociales de cette idéologie.

Et enfin, je sais que si vous combattez les personnes politiques,

vous respectez celles qui sont utilisées comme prétexte à cette subversion

en jouant sur la compassion. Je pense aux personnes homosexuelles.

De plus, si je prends les critères communément utilisés par

Augustin, l’agression entreprise par les tenants de cette idéologie est

certaine, durable, grave et aucune négociation n’a été possible.

Votre objectif me paraît donc juste. Votre résistance vise à

protéger des personnes et une société en danger. Vous êtes généreuses,

courageuses, vous prenez des risques. Je sais bien que ce n’est pas drôle

de se faire courser par les policiers et d’aller en prison. Ceux qui disent

que vous prenez cela pour un grand-jeu ont bien tort. Vous-mêmes, vous

êtes donc justes.

Mais ce qu’il faut considérer, ce sont les moyens. Sont-ils justes ?

Enfermer des mouffettes dans un avion…

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— Vous êtes redoutables, mesdemoiselles, dit le Père Joseph.

Vous allez sans doute rejoindre le club très apprécié des « femmes les plus

dangereuses de France », qui donnent des cauchemars au ministre de

l’Intérieur… Je suis soulagé de ne pas être du nombre de vos adversaires.

Et même, je suis bien content de vous voir toutes les deux. »

Il y eut un bref moment de silence. Puis, le Père Joseph reprit :

« J’ai simplement quelques remarques à vous faire,

mesdemoiselles. Je comprends tout à fait que le combat que vous livrez se

déroule sur le plan de la communication. A la censure bornée des médias,

vous opposez des actions répétées d’érosion de la crédibilité des

personnes qui ont le pouvoir. Sur le long terme cette érosion peut être

efficace. Surtout, si ces personnes sont elles-mêmes assises sur un système

qui vacille. Et surtout si elles sont peu compétentes. Ce n’est pas à moi,

prêtre, de juger de l’efficacité de ces actions.

Je voudrais, par contre, vous donner un éclairage sur votre

combat et sur vos actions. Sont-ils justes ?

— Parce que vous pensez que notre guerre pourrait ne pas être

juste, s’inquiéta Marie ?

— La guerre juste est une intéressante question de théologie.

Nous n’allons pas plonger ce soir dans Saint Augustin, ni Saint Thomas

d’Aquin. Pour qu’une guerre soit juste, il faut que l’objectif soit juste, et

que les moyens soient adaptés, proportionnés, que l’on ne soit pas

l’agresseur, et… qu’il s’agisse d’une guerre décidée par le pouvoir légal

pour prévenir un mal plus grand. Pas une guerre conduite par des

particuliers… Pas une guerre civile.

—Le mot guerre est donc abusif, fit remarquer Caroline. Il s’agit

d’une résistance.

195

Ils claquèrent les portes de l’appareil, le pilote lança le rotor.

L’hélicoptère frémit, et commença à se soulever, puis retomba. Le pilote

tenta un second décollage. Echec.

« Nous sommes trop chargés, constata-t-il.

— Et pourquoi ? Nous fommes quatre, il y a quatre plafes, rugit le

ministre.

— Oui, mais cette fois-ci, nous dépassons le devis de poids,

répondit le pilote tout en regardant Roselyne d’un air gêné.

— Je peux descendre, suggère-t-elle d’une voix douce…

— Pas queftion, répondit Manuel, vous vêtes notre fpéfialifte. La

vournalifte deffend, nous n’avons pas bevoin d’elle.

— Non mais quel culot, protesta Jaimie ! J’ai réservé cet appareil

pour MON reportage. Je reste.

— Vous deffendez !

— Elle reste, dit alors le pilote, calmement, en tapotant la bombe à

ours avec ses doigts.

— Ve m’en fouviendrai de la bombe à ourf !»

C’est en hurlant de rage et en accablant le pilote de menaces, que

Manuel Iznogaz descendit alors de l’hélicoptère. Il ne serait même pas là

pour vérifier que son plan fonctionne comme prévu ! Mais il en était sûr,

avec une maladroite comme Roselyne, et deux malchanceux comme la

même Roselyne et le président, il allait se dérouler pour le mieux ! Une

dose pour six cents kilos d’orignal !

Une fois en vol, le pilote, Roselyne et Jaimie repérèrent

rapidement le président et sa monture. Ils avaient quitté la route nord, et

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fonçaient dans la coupe à découvert de la forêt. On pouvait d’ailleurs

apercevoir quelques biches qui fuyaient la bruyante machine.

L’hélicoptère se lança à leur poursuite.

L’endroit déboisé convenait bien, car il y avait bien plus de place

pour voler bas que le long de la route bordée d’arbres. Plus on se

rapprocherait de l’animal, plus le tir pourrait être précis. L’hélicoptère

perdit de l’altitude. Plus près, toujours plus près.

La croupe de l’orignal grossissait à vue d’œil dans la verrière de

l’appareil. Jaimie fit descendre la vitre latérale, et prit de nouvelles photos.

Puis elle se retourna et fit signe à Roselyne. Elle pouvait caler le canon de

son fusil sur le rebord.

Roselyne était un peu angoissée. Elle engagea l’énorme flèche-

seringue dans le canon du fusil, et referma l’arme. Puis, elle actionna le

système de pompe à air comprimé. Le fusil était prêt.

L’hélico glissa légèrement sur la gauche de l’orignal tout en

descendant encore d’un mètre. Roselyne se pencha et appuya son canon

sur le rebord. Trop de vibrations. Elle plaça un vieux sweat sur le bord de

la fenêtre, et reposa son arme sur cet amortisseur improvisé. Cela allait. Le

grand cervidé continuait à détaler, et le président Porcinet à se faire

secouer. Roselyne se dit que ce n’était pas difficile, et que ce serait sa plus

grosse piqûre. Elle déverrouilla le cran de sécurité de l’arme, puis visa

soigneusement la croupe de l’orignal. Le président Porcinet était assis bien

sur l’avant, cramponné aux poils du cou.

Deux cents mètres au-delà de l’orignal, juste sur sa route, le

Captain Anemone attendait avec son M Squadron du Royal Canadian

Skunks Battalion of Nova Scotia.

213

Vendémiaire de l’an IV. Je ne crois pas aux propos innocents. C’est pour

cela qu’il ne faut pas chercher à renverser le régime, mais lui mettre la

pression, ce n’est pas la même chose. Le vrai changement, il est culturel et

dans les cœurs. Cela prend forcément du temps. On ne sème rien sur le

sang.

—C’est pour cela que notre guerre est d’abord culturelle précisa

Marie. Les Veilleurs nous offrent une piste. Culture, intelligence, non-

violence. Et il y a les élections. Les partis politiques sont mourants, ils sont

en train d’éclater, mais on peut regrouper tous les gens qui ont la même

idée de l’Homme. Il y en a dans tous les partis, de Droite, comme de

Gauche. Car on ne peut gagner les élections sans gagner la guerre

culturelle. Il ne faut pas que les électeurs votent « contre » quelque chose,

mais « pour » autre chose. On s’en charge !

— En fait, reprit Caroline, le régime s’effondre, victime de ses

contradictions et de l’incompétence qui a l’air d’être le processus de

sélection de ses élites. Mais il ne faut pas qu’il s’effondre n’importe

comment, trop vite, ou trop tard. Il ne faut pas qu’il écrase tout le monde

en tombant. Il faut donc impitoyablement éroder le pouvoir de ses

dirigeants, et accélérer leur chute en les décrédibilisant, et en les

ridiculisant. Et il nous faut contrôler cette chute. C’est comme pour abattre

un arbre pourri. Il ne faut pas qu’il tombe sur la maison d’habitation.

Alors on coupe ce qui doit être coupé, on élague, et en pratiquant les

bonnes entailles là où il le faut, le tronc tombe pile là où on le souhaite. J’ai

vu des bûcherons le faire, lors de notre visite au Canada. De vrais artistes.

J’ai immédiatement fait la transposition. Il nous faut être les bûcherons du

régime porcinien. Massacre à la tronçonneuse !

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— Et c’est pour cela, expliqua Marie, qu’il faut augmenter la

pression avant que cela ne soit trop tard. Il faut qu’au million de

manifestants des familles s’ajoute deux millions de travailleurs victimes

de la mondialisation et du capitalisme fou devenu uniquement financier.

Et qu’il y ait aussi un million de petits et moyens patrons, de cadres,

d’ingénieurs. Tous ceux qui bossent et font encore tourner l’économie

capitaliste, celle du réel, et se font exploiter par une Administration qui ne

pense qu’à plumer du pigeon, et par des grands groupes qui confondent

l’économie avec un casino. Ces grands groupes qui déménagent leurs

usines à tour de bras dans un sens, tout en déportant des populations de

malheureux dans l’autre, afin de faire crouler les salaires et exploser les

systèmes de protection sociale qu’ils en ont marre de financer. Avec la

complicité des gauchistes ravis de détruire la civilisation chrétienne qui

les a fait naître. Leur civilisation. C’est le meurtre du père. Une sorte de

complexe d’Œdipe à l’échelle d’une société. Et bien sûr, tous se fichent pas

mal des conditions d’accueil et d’assimilation de ces populations. C’est

alors que toutes ces manifs convergeront sur l’Elysée. Pour demander des

comptes à Séraphin le Bienheureux ! Et lui expliquer que le bien commun,

c’est le rôle de l’Etat.»

— Vous êtes révolutionnaire, Marie !

— Oui mon Père, répondit-elle.

— Moi-aussi, dit Caroline.

— Vous ne craignez pas la violence ?

— Si, reconnut Caroline. Je pense qu’au ministère de l’Intérieur, il

y a des gens tout à fait capables de faire tirer sur la foule s’ils estiment que

c’est nécessaire. Déjà, plusieurs hommes politiques porciniens de second

rang ont évoqué le fait que le général Bonaparte avait su le faire le 13

197

Les papistes fonçaient sur eux, et malgré leur appui tactique

aérien, il accomplirait sa mission. Tous ses skunks étaient parfaitement

placés en embuscade dans une zone couverte de buissons. Il n’y aurait

pas de prisonnier chez les papistes.

« Music, ordonna-t-il ! »

Les trois skunks musiciens modulèrent aussitôt l’air Nut Brown

Maiden.

Roselyne aligna la cuisse arrière gauche de l’orignal dans son

viseur. L’animal bondissait par-dessus les buissons. Un peu plus loin,

après trois ou quatre buissons, il y avait un espace dégagé, elle aurait alors

quelques secondes avant qu’une autre zone de buissons ne puisse la

gêner. La bête allait sans doute cesser de bondir dans cet espace libre. Elle

patienta un peu.

Le Captain Anemone attendit que l’orignal effectue son dernier

bond.

Prepare. Target twelve o’clock. Elevation one third. Range fifteen !

L’orignal ne pouvait entendre la musique des mouffettes

péteuses en raison de la présence assourdissante de l’hélicoptère. Mais

il sentit quelque chose…

Roselyne visa soigneusement. Jaimie filmait l’orignal et le

président qui se demandait bien ce que mijotait l’hélicoptère à voler si

près.

Skunks ! C’étaient des skunks ! L’orignal planta brusquement

ses quatre sabots dans le sol sablonneux et freina désespérément tout

en faisant un écart brutal sur la droite.

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198

Roselyne, après avoir avalé un peu de salive, venait d’appuyer

sur la détente. Un claquement sourd se fit entendre. La flèche jaillit du

canon à deux cents kilomètres heure en direction de la croupe de

l’orignal.

Séraphin Porcinet perçut le mouvement de freinage brutal de

sa monture. Pour éviter la chute, il poussa sur ses bras. En vain. Car

après avoir effectivement résisté une fraction de seconde, il se sentit

décoller du dos de l’animal. La flèche poursuivit sa course. Le

président partit alors tout droit en vol plané par-dessus le garrot du

grand cervidé au moment précis où celui-ci pivotait. Il fut satisfait de

ne pas heurter les bois. C’était toujours ça.

La flèche manqua l’orignal, continua sa course, passa à gauche.

Le président poussa un cri de frayeur. Il allait tomber, là, sur

les buissons. Et là, derrière les buissons, des dizaines et des dizaines

de mouffettes, queues dressées. Des mouffettes qui l’attendaient ! Lui,

Président, il n’avait vraiment pas de chance !

NOOOOOOOONNNNN !

AIE !

La flèche venait de se figer avec une grande violence dans la

fesse gauche du président de la République en pleine trajectoire

parabolique. Sous l’effet de l’inertie, le piston s’enfonça, injectant le

liquide dans la masse musculaire des fesses présidentielles.

Cri de douleur. Vraiment pas de chance, pensa-t-il en un

éclair. Dès qu’il s’envole, il a des ennuis : la foudre, les mouffettes, et

maintenant un missile !

211

— Les prises de vue de Jaimie Olson ont eu beaucoup de succès,

répondit Marie. A l’étranger. En France, censure complète. Silence de

plomb. Partout. Une presse et des médias totalement à la botte. C’est

effrayant ! Mais, comme les vidéos tournaient en boucle sur le web, il y a

eu les contre-mesures. Le quotidien du soir, le Monstre, a fait tout un

article pour expliquer que c’étaient des faux. Un technicien en infographie

a été interrogé à la télé pour montrer tout ce qu’on pouvait faire comme

trucage. Dommage qu’ils ne l’aient pas fait venir pour les photos truquées

de nos manifs. Et ils ont déniché un zoologiste, spécialiste des méphitidés,

pour expliquer que les mouffettes ne peuvent pas vivre en bande. Que

c’était impossible.

Quant au présentateur de télé bien connu, David Pataugas, il a

été jusqu’à interroger Monseigneur Donaldson, vous savez, l’évêque

controversé qui s’était distingué par des propos négationnistes, pour lui

faire dire qu’un tel comportement coordonné de mouffettes était tout à fait

plausible. La compétence d’un évêque au sujet de la vie sociale des

mouffettes est une chose évidente, vous êtes bien d’accord ? Et notre cher

présentateur, avec son regard habituel plein de franchise, en a conclu que

tous ceux qui pensaient que ces vidéos étaient vraies, étaient des « proches

des milieux intégristes» et peut-être même « négationnistes »…

— A mon avis, continua Caroline, les porciniens se préparent au

régime chinois : prisons remplies de prisonniers politiques, censure totale

du web transformé en intranet d’Etat, presse muselée. Sans oublier une

politique de l’enfant unique, réservée aux chrétiens bien sûr ! Tout ça avec

d’excellentes raisons humanistes, on peut compter sur les explications

enthousiastes de la porte-parole Cobra Vella-Belcarène. C’est leur seule

issue pour que le régime survive.

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210

« Par contre, demanda le prêtre, je n’ai pas trop compris si vous

étiez complices dans l’affaire des mouffettes, toutes les deux…

— Non, mon Père, répondit Marie. Moi, je savais que Caro était

chez les Femecs, et qu’elle volait sur l’avion présidentiel. Elle m’avait

envoyé un texto. Je savais donc qu’il y aurait un témoin de l’action des

mouffettes. Mais l’inverse n’était pas vrai. J’avais trouvé plus prudent de

ne rien lui dire par voie électronique. Trop risqué. Et il n’a pas été possible

de se rencontrer à Montréal.

— Donc, dit le Père Joseph, vous avez livré votre cousine aux

monstres puants.

— Collateral damage…

— Merci Marie ! Elles sont sympa les cousines, commenta

Caroline ! Mais je pense aussi qu’elle n’avait pas le temps de me prévenir

de façon sûre. Je me suis débrouillée au mieux. En fait, les mouffettes ont

surtout du bon sens. Elles n’attaquent que les méchants. Mais je regrette le

raton-laveur, il était trop sympa !

— La journaliste canadienne l’a-t-elle gardé, demanda Marie ?

— Oui, Jaimie me l’a dit. Elle a un raton-laveur superclasse. Il

adore le thé, et il est très bien élevé. Son petit garçon Arthur en est fou.

Rigolo, hein ? Et en plus, il paraît qu’il s’est trouvé une ratonne dans le

jardin, près des poubelles. Ils vont convoler en justes noces… Là, Jaimie

fait la grimace. Because les bébés ratons !

— Et, reprit le Père, les photos et les vidéos de cette journaliste ?

Avec l’incroyable cavalcade dont vous m’avez parlé… Sur un orignal. Et

les centaines de mouffettes.

199

— First line ! Shoot !

Le captain Anemone venait de donner l’ordre de tir à la

première ligne.

Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !

Séraphin Porcinet hurla de dégoût sous la puissance et

l’abondance de ce qu’il reçut sur tout le corps avant même de toucher

terre.

Il s’abattit alors dans les bruyères, ce qui amortit l’atterrissage.

« Allons bon, nous voilà bien, je n’ai pas piqué la bonne

personne, gémit Roselyne, constatant son erreur.

— OOOPS ! », commenta Jaimie. »

L’orignal filait vers la droite, enfin libéré de son présidentiel

fardeau. L’hélicoptère continua tout droit, puis s’inclina et amorça un

virage à gauche.

Jaimie se retourna et aperçut les mouffettes en ordre de

bataille.

Séraphin Porcinet reposait sur le ventre, flèche plantée dans

son derrière. Le liquide se répandait maintenant en grande quantité

dans son organisme. Un dosage prévu pour une brute de six cents

kilos. Un froid intense commençait à envahir ses membres postérieurs.

Les yeux hagards, il fixait les rangées de mouffettes. Sa vue se troubla.

Il murmura : « Moi, prévident… »

Puis ce fut la seconde ligne de tir.

— Second line ! Elevation zero! Shoot !

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200

Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !

Suffocation et paralysie du malheureux.

Puis la troisième.

— Third line ! Shoot !

Pssssshhhhhiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiitttttt !

Mais là, après un râle final, le président de la République était

déjà emporté dans un profond et miséricordieux sommeil de mort.

L’hélico revint en volant au ras des buissons, ce qui dispersa les

mouffettes. Puis, après un nouveau virage, il se posa dans l’espace libre à

quelques mètres du président immobile.

Jaimie n’arrêtait pas de filmer tout en portant un foulard sur le

nez.

« Mais ça pue comme pas possible ! »

C’est alors qu’elle aperçut les phares des véhicules de secours

arrivant sur la route du nord.

Non loin de là, le Brigadier-General Pincushion s’était déplacé sur

une petite élévation située nettement plus au nord que la base du

bataillon. Il avait rejoint le captain Dogwood et ses skunks de la E

squadron.

« Victoire totale, s’exclama-t-il. Nous avons eu l’Antéchrist. Et le

grand orignal est délivré. Ses biches seront heureuses. Quant à la tête de

pont, ils sont en bien mauvais état. Les papistes Froggies sont défaits.

C’est un grand jour pour le Canada et pour la Reine ! »

209

— Là, ma chère Caroline, cela fait beaucoup d’intentions de

prière, nota le prêtre. Il va vous falloir envisager sérieusement le Carmel.

— Pourquoi pas, mon Père ? J’ai bien commencé par Fleury-

Mérogis !

— Justement, et s’ils vous arrêtent à nouveau ?

— Ils m’arrêteront. Pas d’arme, pas de mouffette, pas d’orignal.

Ils peuvent venir me prendre. J’ai des copines à Fleury… Mais ce faisant,

ils lanceront une publicité gratuite comme pas possible à mes vidéos. Je

pense aussi qu’ils sont coincés. Ils ne peuvent que me faire des coups en

dessous de la ceinture. Ma chambre de bonne a été « visitée » et mise sens

dessus-dessous il y a deux jours. Ils avaient fait pareil avec Nicolas20. Mais

je suis libre, je n’ai pas d’argent, pas de situation, je n’ai rien à perdre.

Même ma liberté, je peux l’offrir. Il y a des choses à faire en prison.

D’autres chorales, par exemple ! »

Le Père Joseph sourit. De loin, Caroline avait été la plus casse-cou

de toute sa compagnie, chez les Guides. Elle n’avait pas changé…

Mais Marie ne demandait pas son reste. C’était la plus inventive.

Récemment, elle lui avait montré son fameux système d’autodéfense

« Stop-GAV». Un petit sac à dos rose Manif pour Tous contenant une grosse

bouteille en plastique sans fond remplie de billes, avec un gros trou percé

au fond du sac et fermé par un velcro. Tout en courant, on tire fort sur une

ficelle, le velcro s’arrache, toutes les billes s’échappent de la bouteille et

tombent d’un coup sous les pas des poursuivants... La Préfecture de Police

allait sûrement interdire la vente de billes !

20 Premier prisonnier politique du régime porcinien

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208

mouffettes. Pas de traces, pas d’empreintes. Et puis, ils sont super-

ennuyés. Comment avouer que c'est la compagne du Président qui a fait

entrer les mouffettes à bord de l'avion ? Ils sont coincés. J'ai un film qui le

prouve. Avec mes sœurs uniquement filmées de dos. J’ai viré les

séquences où on peut les reconnaître. Et papa a filmé les types qui

ramassaient la cage. Ces gens sont très identifiables. Donc, s’ils nous

ennuient, on lâche ça dans la nature. L’effet en sera pire que des

mouffettes.

— Bon, répondit Caroline, moi, je vais être embêtée. J'en suis

sûre, mais j'assume. Il ne peut y avoir de doute sur le fait que les vidéos

prises à bord de l'avion sont de moi. Ils vont enfin trouver des charges.

J'ai écrit à Christiane Tobago. J'aimerais bien qu'elle évolue. Je l'ai

à nouveau invitée à m’accompagner à une soirée de Veilleurs. Je lui ai

même suggéré de faire une intervention. Je lui ai promis qu’elle ne serait

pas lynchée par les nervis que nous sommes. Mais peut-être par les Antifas

aux neurones d’huîtres qui nous agressent parfois. En attendant, je lui ai

aussi promis que je ne diffuserai pas les vidéos la concernant. Surtout celle

où elle se fait piquer le derrière par Roselyne... Même si on m’arrête. Sauf,

si d’autres personnes que moi sont ennuyées. Par exemple, Marie et sa

famille. Je ne veux pas faire un chantage qui puisse me profiter, à moi. Et

j’ai décidé de « sauver » Christiane. Je prie pour elle, et j’essaie de la

délivrer de son idéologie.

— Bon courage !

— Je n’en manque pas ! Je l’ai rajoutée à mon « carnet de

commande », à la suite des neuvaines pour le cher Monsieur Lebon-

Berger, et Séraphin Porcinet.

201

Un assourdissant déchirement de l’atmosphère se fit alors

entendre. Dans le grondement strident de leurs réacteurs, deux F18-

Hornet plongèrent sur le Bullshit Lake, remontèrent en altitude puis

partirent en virage. Mission : assurer la sécurité de la zone, et par là, celle

d’un chef d’état en visite. La grosse feuille d’érable rouge qui frappait leur

empennage, brillait dans les tout derniers rayons du soleil couchant.

« Les F-18 de Goose Bay ! », jubila le Brigadier General

Pincushion.

« Ce n’est pas trop tôt ! Toujours en retard ! », ajouta-t-il, à

l’adresse des chasseurs-bombardiers.

Alors tous les skunks présents entonnèrent l’hymne national du

Canada, délicatement accompagnés par les fartpipes du Royal Skunks

Band.

O Canada! Our home and native land!

True patriot love in all thy sons command. With glowing hearts we see thee rise,

The True North strong and free! From far and wide,

O Canada, we stand on guard for thee. God keep our land glorious and free!

O Canada, we stand on guard for thee. O Canada, we stand on guard for thee.

A quelque distance de là, six petites mouffettes observaient

également la scène. Assis tout près d’eux, le Sergeant Daffodil sourit en

ses moustaches de sconse, et leur dit dans un français tout à fait

approximatif, mais méritoire :

« Vous aussi, Canadian Moofaits, vous avez contributed à la victory.

Welcome in New-Ecosse… »

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202

Une petite larme perla de l’œil de Marguerite. Elle s’appuya

contre le plus proche de ses enfants… Coquelicot avait enfin réussi à

nettoyer sa marque de bisou du sommet blanc de son petit crâne.

« Tabarnak, c’est émouvant, dit Fleur…

— Fleur, votre langage !

— Oui, mon amour. Vous voyez, mes amis, malgré nos

différences avec ces mouffettes anglophones, nous appartenons à la même

nation. Dont nous sommes fiers. Nous pouvons chanter le même

hymne. »

Alors Fleur, suivi par toute sa famille, se joignit au chant :

Ô Canada! Terre de nos aïeux,

Ton front est ceint de fleurons glorieux! Car ton bras sait porter l'épée,

Il sait porter la croix! Ton histoire est une épopée Des plus brillants exploits. Et ta valeur, de foi trempée,

Protégera nos foyers et nos droits. Protégera nos foyers et nos droits.

Un peu plus loin, au beau milieu d’une anse du lac, le grand

orignal trempait. Assis dans l’eau jusqu’au cou, il tentait de se laver de

l’horrible odeur de mouffette dont il était recouvert. Il savait qu’il y en

aurait pour un moment ! Et le pire, c’est qu’il n’avait aucune chance de

pouvoir approcher ses biches tant qu’il dégagerait cette odeur infecte.

Condamné à la chasteté parfumée ! Lui, le Grand Orignal ! Alors il faisait

encore plus la gueule que d’habitude ! Il n’était vraiment pas d’humeur à

bramer O Canada !

207

prêtre avait été leur aumônier lorsqu’elles étaient chez les Guides. Elles lui

en avaient fait voir, des vertes et des pas mûres ! Mais il savait bien que

c'étaient ces tempéraments trempés qui pouvaient un jour prendre à bras

le corps les problèmes de la société. Il avait suffi de bien les former

humainement, et chrétiennement. Il n'avait pas été déçu.

Le soleil incliné d’automne inondait la cuisine de son presbytère.

Quelques rayons frappaient le visage de Marie, qui sembla soudain un

peu gênée. Il se leva, tira un rideau et revint s’asseoir.

« Vous ne parlez pas trop de votre incarcération, Caroline, dit-il...

— Vous savez, mon Père, je n'en ai pas trop à dire... Ils n'avaient

rien contre moi. Un dossier parfaitement vide. Ils m'ont gardée un mois

dans le quartier des femmes à Fleury-Mérogis. Pour rien. Dont quinze

jours en isolement. Après, cela s’est beaucoup mieux passé. J'en ai profité

pour lancer une chorale de chant grégorien et de polyphonie sacrée avec

les détenues. On va leur pourrir la vie à ces porciniens! Mais ils ont été

obligés de me relâcher. Ils n'avaient aucune charge !

Il faut l'avouer, mon avocat, Maître Gagnant, est un bon. Je pense

que je vais surtout en avoir besoin maintenant. La semaine dernière, j’ai

mis en ligne mes vidéos prises à bord de l'avion présidentiel. Sur un site

russe. Cela évite la censure. Mais nos blogs préférés les relaient toutes.

Même chose pour les films pris par Jaimie Olson, la journaliste

canadienne. La bouffonnerie de nos dirigeants y est vraiment excellente.

— Mais n'avez-vous pas été embêtées, demanda le prêtre ?

— Si, ça commence, dit Marie. Il y a eu plainte contre X. Maman a

été interrogée. Sa ligne de défense est claire. Elle se saoule régulièrement

pour oublier que Porcinet est président de la République. Imparable ! Tout le

monde comprend. Et surtout, les flics n'arrivent pas à faire le lien avec les

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206

— Moi, j’ai bien aimé la discrétion sur les séjours chez le dentiste

de plusieurs personnalités. Ils ont même raconté qu’ils avaient mangé trop

de confiseries pendant le voyage au Canada. Et c’est répété par tous les

journaux. Mot à mot !

— Et Cécile Duvent a expliqué que les confiseries étaient un

fléau, et qu’il fallait les taxer.

— Cela a été applaudi au dernier des Conseil des Ministres.

Debout !

—De toute façon, quand on prend l’habitude de mentir, on ne

peut plus s’en passer.

— Chez, les porciniens, c’est congénital.

— Moi, je plains le pauvre Noël Maparendeux. Ils ont dû

l’interner. On l’a surnommé Docteur Folamour. Il veut la guerre

thermonucléaire totale. L’Armageddon ! Même si ça doit faire fondre la

banquise du Canada. Et noyer les ours, au grand dam de son amie Cécile !

— Le pire, c’est que malgré tout, il a l’air plus sensé qu’avant…

— Je plains aussi le pauvre Harem Plaisir. Il a ouvert un cabinet

de voyance. Il voit des fascistes partout. Ils ont dû le renvoyer de la tête

du Parti Porcinien. Il les traitait tous de maurrassiens !

— Il devrait faire un deal avec Docteur Folamour. Pour prédire la

fin du monde. Ou l’inversion de la courbe du chômage !»

Le Père Joseph restait bien calé dans sa chaise, et tout en sirotant

son café, il observait avec amusement les deux cousines empiler leurs

griefs les uns par-dessus les autres avec de plus en plus d’excitation. Il y

avait la blonde, Marie, et la brune, Caroline, de trois ans son aînée. Ces

cousines Vercors, cela faisait longtemps qu’il les connaissait. Le jeune

203

Autour de l’épave de l’Airbus présidentiel, c’était maintenant le

ballet sans fin des ambulances, bientôt rejointes par des hélicoptères.

Tous les pompiers étaient équipés de masques respiratoires. Le Président

Séraphin Porcinet reçut une injection massive de stimulants administrée

sur le lieu même de son vol plané moins de deux minutes après l’accident.

Ce qui lui sauva la vie. Puis, il fut évacué en urgence sur Halifax.

Le vil, infâme et ignoble Manuel Iznogaz continuait à hurler, ou

plus exactement siffler de colère, et sans doute de déception. D’autant

qu’il n’avait plus le Préfet de Police pour passer ses nerfs. Mais il avait

Caroline !

La malheureuse, poussée par ses deux gardes, et malgré les

protestations d’un capitaine de pompiers canadien, fut conduite menottée

en direction d’une camionnette. Elle persistait à clamer son innocence. Elle

n’avait rien à voir avec les mouffettes !

A ses côtés, Roselyne Camelot, menottée elle-aussi, et soupçonnée

d’outrage à président de la république et d’usage d’arme par destination,

fut elle-aussi conduite vers la détention. La malheureuse avait l’air

vraiment choquée par ce qui lui arrivait.

A quelques mètres de là, deux pompiers poussaient avec

délicatesse Noël Maparendeux revêtu d’une camisole de force. Le

malheureux politicien du sud-ouest n’avait manifestement pas toute sa

conscience, ce qui n’est pas un scoop, car il hurlait :

« Lâffez-moi, ve veux voir le prévident, la Franfe n’est plus ven

fécurité, il faut lanfer les miffiles atomiques des fous-marins fur le

Canada ! »

A ses côtés, la pauvre Cécile Duvent se lamentait :

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204

« Noël, ne dites pas des choses comme ça ! Pensez aux ours! »

A quelques mètres de là, deux autres pompiers portaient le vrai

attaché militaire allongé sur une civière et muni d’un masque à oxygène. Il

avait manifestement succombé à une overdose de parfum de mouffettes.

Mais aucun pronostic vital n’était engagé. La valise des codes nucléaires

était entre les mains d’un troisième pompier… canadien. Quelle

négligence !

C’est alors que Caroline, tout en continuant à se débattre de toute

son énergie, décida de chanter la Marseillaise à tue-tête :

Allons enfants de la Patrie Le jour de gloire est arrivé ! Contre nous de la tyrannie

L'étendard sanglant est levé L'étendard sanglant est levé

Entendez-vous dans nos campagnes Mugir ces féroces soldats?

Ils viennent jusque dans vos bras. Égorger vos fils, vos compagnes!

Aux armes, citoyens…

Un claquement sourd. La portière du véhicule fut refermée sur la

jeune fille. La suite du chant fut étouffée, et la camionnette l’emporta sans

attendre.

Jaimie Olson, un genou posé à terre, avait soigneusement filmé

toutes ces scènes et pris de nombreuses vues. Elle arrêta son appareil,

satisfaite de sa moisson d’images. Puis, tout en caressant le raton-laveur,

plus collant que jamais, elle pensa qu’il devait se passer de bien drôles de

choses en France, côté démocratie… On étouffe même la Marseillaise…

205

Epilogue - Confessions

« Mais vous vous rendez compte, dit la blonde ? L’Elysée a osé se

fendre d’un communiqué expliquant qu’ils avaient fait une escale

technique à Halifax. Et ils ont publié une photo montrant l’avion

présidentiel devant l’aérogare ! Ils ont réussi à annuler l’existence d’un

crash. Inouï !

— Ouais, enchaîna la brune, ils ont changé de Préfet de Police,

mais ils ont gardé le technicien chargé de faire des faux.

— Et ils ont ensuite raconté qu’ils avaient vendu l’avion au

Canada par souci d’économie et pour diminuer l’empreinte carbone du

président, poursuivit la blonde.

— Et ils ont expliqué, renchérit la brune, que le président avait été

hospitalisé des suites d’une tentative d'empoisonnement par Roselyne

Camelot ! La pauvre !

— Et presque tous les journaux, continua la blonde, ont répété ça

en boucle sans la moindre contre-enquête. Vous vous rendez-compte ?

— Le plus drôle, reprit la brune, c’est que pour cacher le fait que

deux ministres et le président ne puissent s’asseoir, ils ont décrété que le

Conseil des Ministres, dans un but d’efficacité, se tiendrait dorénavant

debout ! Il fallait voir la porte-parole du gouvernement Cobra Machin-

Chose nous raconter ses salades avec un grand sourire et son air de biche

perverse. Elle souriait moins lorsqu’elle était enduite de jus de mouffette !

— En tout cas, cela fait beaucoup de Sentinelles-Veilleurs Debout.

Même au Conseil des Ministres.

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Nouvelle France

Les Mouffettes Pour Tous

En vacances au Canada, une famille de Résistants contre le régime totalitaire du Président de la République française, Séraphin Porcinet, trouve le moyen d’introduire de terrifiants passagers clandestins dans « Air Pork One », l’Airbus présidentiel.

Le Président et ses comparses vont alors être emportés par une cascade impitoyable d’événements de plus en plus catastrophiques et improbables, illustrant assez bien la fameuse théorie du chaos.

Une histoire mêlant la farce, la tendresse et le choc des opinions.

Une histoire pour rendre hommage à ces nombreux jeunes et moins jeunes qui, pour défendre les plus faibles ainsi qu’une certaine idée de la Civilisation, affrontent une répression brutale, hystérique et stupide. Ils sont la Nouvelle France.

Une histoire fantastique, où même le règne animal prend la parole.

Une histoire de combat et de passion, avec des Résistants et des Puissants, mais aussi une histoire qui sait, comme les Veilleurs et les Sentinelles, nous parler de l’Espérance.

Une histoire impertinente et époustouflante destinée enfin à souligner la seule compétence reconnue des bouffons qui veulent faire croire qu’ils dirigent, mais qui surtout oppriment notre malheureuse patrie : la bouffonnerie.

219

c’est pour lui expliquer que ne rien lâcher, jamais, jamais, jamais,

n’implique pas de ne jamais desserrer les dents. Au contraire, cela

permettrait de faire revenir le sourire sur vos visages lumineux, à toutes

les deux… »

Silence boudeur de Marie, qui continua néanmoins à soutenir

avec aplomb le regard tranquille et un peu moqueur du prêtre…

« Bon, mesdemoiselles, poursuivit le Père, j’ai des confessions,

maintenant… Je dois à regret prendre congé de vous. Vous vois-je à la

messe demain ?

— Oui mon Père », répondirent en chœur les deux jeunes filles,

en lui lançant un sourire tout à fait angélique. Même Marie.

Après avoir rangé les tasses, elles s’éclipsèrent de la cuisine du

presbytère en papotant comme des guidouilles. Le jeune prêtre passa une

minute ou deux dans son bureau, prit son étole, descendit les escaliers, et

sortit dans la rue. Puis il traversa et entra dans son église par une porte de

derrière.

Il coupa devant le chœur, fit une génuflexion, et descendit le long

d’une allée latérale en zigzagant entre les flaques d’eau. Cela faisait des

mois qu’il demandait la réparation de la toiture à la mairie, propriétaire

des lieux.

« A moi, Père, deux mots ! »

Il se retourna. Caroline l’avait suivi. Elle gardait un petit air

énigmatique.

« Oui Caroline, mais rapidement…

— Mon Père, pourquoi votre allusion au Carmel tout à l’heure ?

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220

— Parce que, Caroline, du Carmel, vous m’en avez parlé il y a six

ans, lors d’un camp guide. Puis, il y a quatre ans. Et encore il y a deux ans.

Et vous m’aviez dit vous en être ouverte à votre cousine. Devant votre

zèle à prier pour les cas désespérés, je me suis donc permis cette petite

pointe. J’espère que je ne vous ai pas blessée.

Caroline sourit largement, et secoua la tête.

« Non, mon Père. J’étais heureuse de vous entendre. Mais, je me

demandais si vous me faisiez un signe… Car elle est bien toujours

présente, cette chère blessure au cœur, qui un jour, me poussera

certainement à dire : Je suis la servante du Seigneur. Qu’il me soit fait selon Sa

Parole21.

— Et pour vous, quelle est-elle donc, cette Parole ?

— Ce temps de guerre n’est pas toujours propice à ce type

d’écoute, mon Père. Surtout lorsque je jouais la flying bimbo de l’avion

présidentiel… Cependant, mes deux semaines de détention en isolement

ont pu faire un peu bouger les lignes. J’étais désœuvrée. J’ai eu le temps

de me retrouver face à moi-même. Et je suis remontée aux sources… Vous

souvenez-vous, mon Père, comment cette intuition du Carmel m’était

venue la première fois ?

— Très bien. Vous m’aviez confié que vous aviez été touchée par

le film « Dialogue des Carmélites22 »… Je vous avais même conseillé de faire

attention à vos emballements d’adolescente. A vos émotions. Une

vocation n’a rien à voir avec les émotions.

21 Réponse de la Vierge à l’ange lors de l’Annonciation. 22 Film de Pierre Cardinal, dialogues de Bernanos. 1984 La version du RP. Bruckberger (1960) est la plus connue.

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236

LA CHARGE .................................................................................. 129

LE CULBUTO ................................................................................. 135

LA CAVALCADE ............................................................................ 141

CHAPITRE IV - LA REVANCHE DES SCONSES ....................151

LES LOYALISTES ........................................................................... 151

AU SERVICE SECRET DE SA MAJESTE............................................. 156

L’EMBUSCADE .............................................................................. 167

DISPARITION ................................................................................ 177

LE CHAMP DE BATAILLE ............................................................... 183

L’ETOFFE DES HEROS .................................................................... 192

EPILOGUE - CONFESSIONS .......................................................205

ANNEXE : DANS LE SILLAGE DE LA TRES GRANDE

MANIFESTATION ........................................................................................227

221

— Tout à fait. Mais c’est comme dans tout amour humain. Il faut

une première fois. Un coup de foudre. Dans cette histoire de l’exécution

des Carmélites de Compiègne pendant la Révolution, j’avais tellement de

compassion pour la pauvre Blanche de la Force, ravagée par la peur et

prête à se mépriser ! Je me sentais si proche de la petite sœur Constance,

sa joie, sa fantaisie ! Son égalité d’humeur face à la vie comme à la mort !

Et j’avais été si bouleversée par le spectacle poignant de toutes ces

religieuses qui montaient à l’échafaud en chantant le Veni Creator !

Il n’y avait plus que le chant, les femmes filmées de dos, l’une

après l’autre gravissant dignement les marches, s’allongeant sur la

planche mortelle, puis le cognement sourd et rythmé de la lame sanglante

qui s’abattait sur chacune d’elle. A chaque coup, je sursautais et je

m’étranglais. Je ne respirais plus. Le chant s’éteignit avec la dernière. Et

moi, j’avais retenu mon souffle pendant toute l’exécution. Mais voilà le

Veni Creator qui ressuscite. Blanche bouscule le barrage de soldats, et tout

en tenant sa jupe de ses mains libres, c’est en chantant à son tour qu’elle

monte toute seule à l’échafaud pour y rejoindre les sœurs qu’elle avait

abandonnées. Pour la première fois, elle resplendissait. Elle mourait

comme elle n’avait jamais vécu. La caméra montrait son visage de face.

Elle levait les yeux, vers le Ciel et vers la lame. Sa voix resta ferme

jusqu’au bout. Son chant ne s’éteignit qu’avec le choc sourd du couteau.

Mais le Veni Creator Spiritu reprit ensuite. Là, c’était moi…

— C’est effectivement une histoire très forte, mais on ne devient

pas forcément carmélite après l’avoir regardée, ni lu le texte de Bernanos.

Cela se saurait…

— Mon Père. Ces femmes ont subi le martyre pour féconder la

France. Et ce martyre qui me parlait, adolescente, m’a une nouvelle fois

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222

interpellée. J’ai beaucoup réfléchi en prison. Je voyais des similitudes, ou

plutôt des homothéties. J’étais injustement emprisonnée par un régime

qui se veut héritier de ces Jacobins qui ont commis l’erreur tragique de

fonder la République sur un bain de sang, un régicide, la persécution

religieuse, et un génocide oublié, celui de la Vendée. C’est lourd comme

héritage. Et depuis, la France n’a jamais cessé de décliner lentement dans

tous les domaines essentiels. Elle s’est offert les millions de morts des

guerres nationalistes comme celles de l’Empire, et la Grande Guerre. Et la

honte de l’Occupation. Et la décomposition présente. Et pouvez-vous jurer

que nous ne connaîtrons pas une guerre civile, une vraie, avec du sang,

d’ici dix ou vingt ans ? Or, Vincent Paillard, ministre de nos écoles,

comme beaucoup de ses collègues porciniens, a la prétention d’achever ce

que ces glorieux ancêtres jacobins n’avaient pu accomplir. Il le dit très

explicitement. Nous n’en sommes pas encore aux échafauds, mais les

injustices policières de cette année sont tout à fait révélatrices de ce qui est

possible, en germe. Révélatrices de la perversité des hommes d’Etat, mais

aussi de la violence et de la haine contenue dans nos sociétés. Et même

dans notre police. Il suffit de lire le compte-rendu des conditions

d’arrestation et de détention de plus d’un millier de personnes qui

n’avaient commis aucun délit ni crime. Alors, dans mon cachot, je me

disais que nous n’étions pas sûrs du tout que nos actions politiques,

qu’elles soient spectaculaires ou de type Veilleurs, soient suffisantes. Elles

sont indispensables. Mais il faut quelque chose de plus. Certes, le régime

porcinien s’effondre en même temps que la société libérale-libertaire sur

laquelle il s’accroche, mais je pense qu’une dictature pourrait

malheureusement sauver l’un et l’autre. Parce que son régime s’effondre,

cette oligarchie devient méchante et bête. L’arbre pourri, ils peuvent le

fossiliser. Il y a des tas de formes possibles pour les dictatures.

235

Table des matières

AVANT-PROPOS ............................................................................... 3

CHAPITRE I - LES FACTIEUX ......................................................... 7

LE BIVOUAC ...................................................................................... 7

LES BETES PUANTES ......................................................................... 18

COMMANDO SUR MONTREAL ........................................................ 27

CHAPITRE II - LES BOUFFONS ................................................... 37

UN VOL « NORMAL » ...................................................................... 37

LES CHATS-HUARDS ........................................................................ 43

TERREUR SUR L’A-330 .................................................................... 49

OUTRAGE ........................................................................................ 56

SOUVENIR QUI PASSE ...................................................................... 63

TURBULENCES ................................................................................. 69

DETOURNEMENT ............................................................................ 77

L’INFILTREE..................................................................................... 83

CIVILISATION EN PERIL ................................................................... 92

A-330 EN PERIL ............................................................................. 103

CHAPITRE III - UN ELAN PATRIOTIQUE .............................. 115

BULLSHIT LAKE............................................................................. 115

REPORTAGE ................................................................................... 118

LES NAUFRAGES ............................................................................ 122

DUEL ............................................................................................. 126

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223

Je me disais alors qu’il fallait une âme à cette France qui l’a tant

perdue. Il faut que notre peuple se convertisse enfin. Et pour cela, il faut

des martyrs. Cela a toujours marché comme ça, depuis deux mille ans. Le

Carmel, comme tous les contemplatifs, c’est un peu un martyre de temps

de paix. Mais prolongé pendant toute une vie. Je risque cette comparaison

iconoclaste et pas vraiment poétique : une carmélite, c’est comme une

barre d’uranium. Tranchez lui la tête, c’est une bombe A. Une bombe

d’amour bien sûr, et une pluie de grâces du Seigneur. Laissez la vivre,

c’est la même barre d’uranium dégageant sa chaleur dans un réacteur.

Pendant toute une vie d’amour et de prière. Dans les deux cas, ça chauffe !

Je pense que la France a besoin de davantage de personnes acceptant de

vivre d’un amour intense et exclusif dans une vie de prière. Et il y a un

moment, où il n’est plus possible de se retourner pour voir si quelqu’un

d’autre y va. Il y a un moment, où il faut se dire : pourquoi pas moi ? Alors

oui, même si je ne suis pas au bout de mon cheminement, quelque chose a

changé. »

Il y eut un silence, puis le Père répondit en hochant lentement la

tête:

« Les lignes ont sans doute bougé. Je ne puis que prier pour vous

afin que la Parole soit vraiment audible. Mais mon rôle est aussi de vous

aider dans le discernement. N’oubliez pas, Caroline, que prier, même

souvent, et aussi se sacrifier pour les autres, c’est proposé à tout chrétien.

Quel que soit son état de vie. A une mère de famille nombreuse, comme à

une carmélite. Ce qui compte, c’est l’union intime avec celui qu’on a

choisi… Et qui vous a choisie. Et ne comptez pas trop sur les signes. Il

arrive un jour, où il faut prendre une décision. Ceci est vrai dans le

mariage, comme dans les vocations.

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224

— Je sais. C’est pourquoi je me sens toujours libre comme le vent.

Même lorsque je suis en prison. Peut-être qu’accompagner les Veilleurs

m’aidera. J’ai besoin de silence. De paix. On verra. J’ai le temps.

— Et moi, il faut vraiment que je vous laisse Caroline. J’ai mes

« clients » qui attendent… Mais on se revoit bien vite.

— Au revoir mon Père. Je vais à mon « Conseil » : passer une

heure devant l’autel du Saint-Sacrement… Une heure sans penser à

Séraphin Porcinet et à ses Jacobins ! Quel luxe !»

Après avoir salué Caroline, c’est en souriant que le Père Joseph se

dirigea vers le confessionnal. Il avait remis « l’instrument de torture » en

service. Il avait noté que beaucoup de nouveaux pénitents en appréciaient

l’anonymat. Et même des anciens. Quant aux familiers, il les recevait dans

son bureau. Au choix. Pêche au coup, ou au lancer sur rendez-vous. Et

depuis quelques temps, il prenait de plus en plus de poissons. Et pas du

menu fretin…

Il s’installa, passa son étole autour de son cou, et aperçut la

silhouette d’un homme de taille moyenne et un peu replet qui

s’approchait.

Le Père Joseph pria quelques instants, puis se pencha vers la

cloison. Derrière la grille, il devina le visage d’un homme d’âge mûr qui

venait de s’agenouiller. Il lui sembla l’avoir déjà vu, mais où ? En tout cas,

ce n’était pas un paroissien. Il le salua.

« Bonjour monsieur. Soyez le bienvenu.

— Mon Père… (L’homme resta alors silencieux)

— Oui ? Vous pouvez parler. Avez-vous l’habitude de vous

confesser ?

233

métier de faire quelque chose de sérieux, ou de savoir sérieusement quelque

chose, toute celle dont ce n’est pas le métier que de se faire plaisir en

racontant n’importe quoi dans des meetings politiques ou de vendre des

images à la télévision. Les libertaires révoltent et indignent tous ceux qui ne

se sont pas laissé arracher par son nihilisme tout sentiment, intuition et

mémoire de ce que sont science et vérité, art et beauté, dignité, liberté et

devoir civique, moralité, diversité des religions. Et tous s’écrient d’une seule

voix : le nihilisme totalitaire ne passera pas.

Premier pas dans la constitution d’un nouveau régime

Telle est sa démesure fatale, à l’origine du mouvement qui va causer

sa perte. Par ses excès choquants, l’oligarchie rompt avec l’élite non libertaire,

de même qu’elle a depuis longtemps rompu avec le peuple. A terme, c’est

l’alliance entre le peuple et les élites, tant entrepreneuriales, que non

libertaires, qui remplacera l’ancien régime. Ce à quoi nous assistons

aujourd’hui, c’est le passage de l’élite non libertaire dans l’opposition résolue

à l’ancien régime. Elle s’y retrouve avec les classes populaires et elle y attend

l’élite capitaliste entrepreneuriale. On voit déjà se structurer l’univers

politique du nouveau régime. »

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232

aujourd’hui obèses, inefficaces et archaïques. Elle meurt aussi d’hémorragie

par la gestion financière des grands groupes, uniquement orientée vers la

rentabilité financière à court terme, et qui regardent bien au-delà des régions

et des travailleurs français pour trouver des sources de profit.

La démesure idéologique

Dans l’ordre culturel, l’oligarchie libérale-libertaire n’offre d’autre

sens et d’autre but que l’exercice d’une liberté arbitraire dans le néant, par

l’amnésie et la transgression. Elle prétend faire de cette vacuité le seul

contenu de la culture du peuple. Elle prétend la lui rendre obligatoire et ne

pas tolérer qu’il puisse penser, parler, éduquer ou vivre selon d’autre règle

que celle de son nihilisme d’État. Au nom de ce nihilisme, elle prétend

détruire la famille, endoctriner la jeunesse, fabriquer des orphelins,

monopoliser et industrialiser la reproduction, comme si rien n’existait en

dehors de sa volonté arbitraire, mégalomane et totalitaire.

Une minorité de minorité de transgressifs nihilistes se radicalise et

prétend imposer une orthodoxie libertaire. Elle espère secrètement que le

peuple se trouvera déstructuré et désarmé à jamais devant le libertarisme de

la finance, à partir du moment où ils auront pu lui inoculer le libertarisme du

plaisir et de l’opinion arbitraire.

L’oligarchie se jette ainsi dans des absurdités dignes de celle des

terroristes de 1793. Le parlement vote des anthropologies absurdes et prévoit

de persécuter ceux qui n’y croient pas, c’est-à-dire à peu près tout le monde

sauf une secte d’idéologues, et ce au nom de la non-discrimination.

Par la démesure de son nihilisme, par sa dérive totalitaire, par le

ridicule, l’odieux et l’absurdité de ses ukases doctrinaux, le libertarisme

révolte la partie de l’élite qui n’est pas libertaire – toute celle dont c’est le

225

— Non !

— Cela fait longtemps ?

— De nombreuves defennies… Depuis mon enfanfe.

— Etes-vous croyant ?

— Pendant longtemps, v’ai penfé que l’idée de Dieu ne m’était

pas néfeffaire, puis, qu’elle m’était nuivible.

— Et maintenant ?

— Ve ne fais pas. Mais ve fuis ifi…

— Voulez-vous que je vous aide ? Vous verrez, ce n’est pas si

difficile.

— Fi, f’est diffifile ! Et en pluf, ve voudrais vous demander le

mariave.

— Le mariage ? Ce n’est pas le même sacrement. Ici, c’est la

Réconciliation. Afin de retrouver l’amour du Seigneur. Et son pardon. Et

remonter la pente lorsqu’on est tombé un peu trop bas.

— La réconfiliafion ?

— Oui, la confession, si vous voulez.

— La confeffion… Mais ve voudrais auffi me marier. On ne fe

confeffe pas quand on fe marie ?

— Si, mais ce n’est pas la même démarche. Disons que cela va

bien ensemble. C’est complémentaire. Si vous le voulez bien, vous

confessez vos péchés, je vais vous aider, puis je vous donne le pardon de

Dieu, puis nous prendrons rendez-vous pour parler de votre mariage.

Avec votre fiancée, bien sûr.

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226

— D’accord, furtout que v’ai ma fianfée ifi. Elle pourra fe

confeffer auffi?

— Votre fiancée ? Ce sera une joie pour moi. On commence ?

— Oui, mais n’êtes-vous pas vêné par ma prononfiafion ?

— Je vous comprends quand même. Ne vous en faites pas.

— V’ai trop manvé de confiveries. Mais v’aurai bientôt une

dentifion toute neuve.

— Péché de gourmandise. En voilà déjà un. Et un gros,

apparemment !

— F’est vrai. Ve manve trop. Parfe que ve ftreffe.

— On continue avec les sujets plus… compliqués ? Je suis sûr que

cela va vous aider à moins stresser.»

Une demi-heure après, l’homme sortit du confessionnal. Il avait

l’air épuisé, mais assez content. Il s’approcha d’une femme, également

d’âge mûr qui attendait, et qui n’en menait pas large sur sa chaise. Elle

leva ses grands yeux inquiets, et l’interrogea du regard. Du style « C’était

un peu long… ça s’est bien passé ? »

« Fa f’est bien paffé, lui dit-il avec un grand sourire. La confeffion,

fe n’est pas fi diffifile. Tu peux y aller. Pas de foufi. Perfonne ne nous

connaît ifi. V’ai bien fait de choivir fette paroiffe diftante. En t’attendant,

ve vais paffer un moment devant l’autel du Faint-Facrement. Allez

Fégolène ! Un peu de bravitude !»

FIN

Le 3 novembre 2013

231

sont les seuls à pouvoir s’y exercer effectivement. Elle a ainsi livré à ses

bureaucraties et à ses cartels l’émission de la monnaie, les taux d’intérêt, la

politique de change, la politique concurrentielle, la politique douanière, la

politique agricole, les normes dans tous les domaines, ainsi que l’imposition

des politiques de régression économique des peuples, qu’on appelle "austérité".

Ces politiques n’ont certainement pas pour but de rétablir la rentabilité des

économies, pour permettre le retour de la croissance, mais elles visent à

perpétuer les abus oligarchiques en faisant payer par la force aux peuples les

pertes de ce système.

Au piège démocratique, elle ajoute le « piège juridique ». Tout

pouvoir démocratique est a priori mis sous la tutelle d’un Droit et de Traités

qui garantissent à l’oligarchie la perpétuité de sa domination. Non seulement

le pouvoir démocratique est vidé de sa substance et manipulé, mais quand

bien même il prendrait les bonnes décisions, celles-ci seraient annulées par

l’action d’institutions internationales.

Heureusement tout cela est réversible : l’Union soviétique s’est

effondrée le jour où la république de Russie a déclaré que ses lois étaient

souveraines par rapport à celles de l’Union soviétique. Ainsi en sera-t-il de

cette domination oligarchique, qui est le dévoiement complet de toute espèce

de projet européen.

La démocratie est détruite également via la destruction du

capitalisme entrepreneurial, dont il a déjà été question plus haut. Ce dernier

est en effet l’une des assises les plus indispensables de la démocratie : sans la

prospérité, sans les classes moyennes et l’élite économique intermédiaire, on

oscille toujours entre la dictature socialiste de l’État et l’oligarchie libérale. Ce

sont là les deux maux qui sont en train de tuer l’économie française. Elle

meurt d’étouffement, sous le poids des taxes, des normes et de

l’Administration, d’un État et d’un système de solidarité sociale qui sont

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230

puisqu’elle refuse toute évolution à des peuples libres, qui veulent des

changements massifs dans la structure de leur élite et dans la gouvernance

économique.

Les libertaires sont donc forcés de manipuler la démocratie, de

subvertir l’ordre juridique, et d’affaiblir le peuple en le divisant.

Pour sauver son système en faillite, l’oligarchie libérale-libertaire se

retrouve forcée d’annuler le fonctionnement de la démocratie par ce que nous

appelons un «piège démocratique». En quoi consiste-t-il ?

Deux partis oligarchiques libéraux-libertaires, l’un un peu plus

libéral, l’autre un peu plus libertaire, vont donner l’illusion d’une alternance

démocratique tout en trahissant l’un après l’autre la volonté générale. Tous

ceux qui rejettent cette alternance trompeuse sont ainsi renvoyés vers des

partis extrémistes largement préfabriqués, qui font eux-mêmes partie du

système. C’est ainsi que rien ne peut changer et que l’intégralité du pouvoir

soi-disant démocratique se retrouve concentrée entre les mains d’une infime

minorité non représentative et profondément illégitime. Le tout sous la

domination du Léviathan médiatique.

En disant cela, nous ne nous sommes pas seuls contre tous, mais

avec l’immense majorité contre l’oligarchie. Il y a en effet une foule immense

de citoyens dignes et de gens de bonne volonté dans tous ces partis. Ils vont

comprendre petit à petit que leur action est vaine, qu’ils jouent en réalité le

jeu de l’oligarchie libertaire. Le piège cessera de fonctionner quand ils se

retrouveront ensemble dans le grand mouvement historique en train de naître.

Celui-ci transcende complètement les sophistications partisanes de « l’ancien

régime ».

Cette oligarchie libertaire, déjà démocratiquement illégitime au

niveau national, transfère pour plus de sécurité le maximum de pouvoir à des

niveaux si élevés qu’aucun peuple n’y a accès et que les lobbies et les cartels

227

Annexe : Dans le sillage de la

très grande manifestation

article de Henri Hude - 2013

http://www.henrihude.fr/

« Les Français ont l’intuition et le sentiment qu’un monde ancien

est en train de s’écrouler, et qu’un monde nouveau est en train de naître. Les

Français, comme de nombreux autres peuples européens, rentrent à nouveau

dans le temps de l’Histoire.

Ce qui vient de commencer est un mouvement historique de

contestation d’un système politico-économique libéral-libertaire. Celui-ci est

une version dégradée du grand libéralisme issu de la philosophie des Lumières,

qui n’existe plus aujourd’hui.

Ce système est en faillite démocratique, économique et spirituelle. La

légitimité de son élite est en train de s’effondrer. Le mouvement historique qui

commence aujourd’hui peut durer dix ou quinze ans. Il s’achèvera par le

remplacement de ce système, et de son élite, par quelque chose de nouveau,

qui n’est pas encore défini.

Le système qui s’effondre

La preuve que ce régime est en train de s’écrouler, c’est qu’il se

radicalise. Les deux premières victimes sont 1° la démocratie et la culture de

liberté ; 2° le bien commun économique de tous - ceci est essentiel et va être

expliqué.

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En même temps que le monde libéral-libertaire devient un chaos, il

tente de se sauver par une manipulation des institutions démocratiques et de

l’ordre juridique, qui prend de plus en plus l'aspect d’une dérive totalitaire.

Le principe fondamental de ce que nous pouvons commencer à

appeler «l’ancien régime», c’est la liberté arbitraire et libertaire dans la

gestion financière et économique du monde. Là est le cœur du problème. Là

est l’enjeu du pouvoir. Là est la base de l’oligarchie.

La philosophie libertaire n’a d’autre objet que de justifier cet égoïsme

de classe. Et les lois libertaires qui déstructurent le mariage et la famille, ainsi

que la culture et l’éducation, ont pour objet principal de tenter de solidariser

le peuple avec cette philosophie qui le ruine. A partir du moment où l’on peut

décider arbitrairement n’importe quoi en matière familiale, et qu’on peut

même fabriquer des orphelins pour son plaisir, comment n’aurait-on pas le

droit, à bien plus forte raison, de faire n’importe quoi de son argent dans la

seule vue de son intérêt égoïste à court terme et même de fabriquer des

chômeurs si on peut en tirer profit ?

L’économie oligarchique libertaire

En matière économique, l’individualisme libéral-libertaire brise le

cercle vertueux du capitalisme. Le capitalisme traditionnel, le seul qui ait une

valeur, c’est celui des ingénieurs et des entrepreneurs. Il devrait n’avoir rien

à voir avec le libéralisme économique libertaire et financier. Le capitalisme

traditionnel, par la liberté d’entreprise, par les investissements à long terme

dans l’éducation et la santé, les infrastructures, le capital des entreprises, la

science et l’innovation, produit du développement économique et du progrès

social dans le pays. La dernière fois qu’on a appliqué ce modèle en France, on

a appelé cela les « Trente Glorieuses».

229

Dans les pays d’Europe en crise, ce modèle a été abandonné depuis

trente ans (Thatcher, Mitterrand, etc.). Tout le bien qu’on dit du modèle

allemand, aujourd’hui, revient à observer que les Allemands ont moins

abandonné le capitalisme que nous. Ils continuent à investir dans le but de

développer leur économie et de donner du travail aux gens. Et, même s’ils ont

dû adopter des réformes de l’économie en grande partie libertaires, leur masse

de PME et de puissance économique intermédiaire leur permet de continuer à

avoir une vraie politique capitaliste. En revanche, chez nous, le capitalisme

entrepreneurial est écrasé par la coalition des grands groupes libéraux et

d’une Administration qui a gardé des réflexes archaïquement socialistes.

Cette Administration, impuissante à orienter les grands groupes vers le

développement économique du pays, persécute le tissu capitaliste. De là la fin

du développement et du progrès social. Le bien commun économique a été

abandonné au profit des intérêts financiers à court terme d’une minorité

infime.

La conséquence en est tout simplement la mort économique des

peuples. De là, face à cet égoïsme véritablement monstrueux, et à la complicité

de la classe politique dans son ensemble, une révolte populaire. Celle-ci est en

train de devenir une révolution, à mesure que le peuple désespéré, privé de

son système démocratique, et que les libertaires croyaient avoir réduit à

d’impuissantes jacqueries, n’est plus seul. Il se voit peu à peu rejoint et

encadré par des élites, en partie capitalistes et en partie non libertaires, qui

sont la classe dirigeante de demain.

Le « piège démocratique »

En matière politique, la classe dirigeante libertaire ne peut plus se

permettre de laisser fonctionner une démocratie effective digne. C’est évident,