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Certains artistes utilisaient l’art pour apporter du beau dans le quotidien, mais aussi pour exprimer leurs idées sur la vie de leur époque, sur la politique, sur les grands événements et les injustices de leur temps. Ils exprimaient ainsi publiquement leurs idées politiques et sociales. Il s’agissait d’artistes engagés. L’exposition présente un aspect peu connu mais important de l’histoire de l’École de Nancy : celui de l’engagement politique et social de certains de ses membres, notamment Émile Gallé et Victor Prouvé, deux des principaux artistes de l’Art nouveau nancéien. ÉMILE GALLÉ Émile Gallé naît à Nancy en 1846. Il est le fils unique de Charles Gallé et de Fanny Reinemer qui tiennent un commerce de cristaux et de porcelaine. Après une période d'apprentissage dans différentes villes d’Europe, Émile Gallé est associé à l’entreprise familiale dès 1867. Huit ans plus tard, il épouse Henriette Grimm avec laquelle il aura quatre filles. En 1889, il expose de nombreuses œuvres à l’Exposition universelle de Paris et obtient trois récompenses dans les domaines de la verrerie, du mobilier et de la céramique. Son œuvre est surtout inspirée par la nature. Mais Émile Gallé ne créait pas seul : il disposait de plusieurs ateliers de fabrication dans lesquels travaillaient de nombreux ouvriers et décorateurs. VICTOR PROUVÉ Victor Prouvé est né en 1858. Il grandit dans un milieu artistique et simple : son père dessine des modèles de broderies et travaille occasionnellement avec le père d’Émile Gallé. Sa mère confectionne de la lingerie. Prouvé étudie à l’école des Beaux-Arts de Paris et devient artiste : peintre, sculpteur, décorateur, graveur, il s’intéresse beaucoup à l’art décoratif (cuir, bijou, textile, etc) et collabore avec d’autres artistes nancéiens, comme Émile Gallé. Il épouse Marie Duhamel en 1898 avec laquelle il aura sept enfants. En plus de renouveler le cadre de vie, ces deux artistes souhaitaient participer à la création d’une société nouvelle, juste et équitable. Chaque partie de l’exposition développe une grande cause défendue par ces artistes. Ces questions de société sont reprises dans ce petit journal, commentées et illustrées par une œuvre. LE CONTEXTE LA GUERRE DE 1870-1871 En 1870, la guerre éclate entre la France et l’Allemagne (la Prusse, à cette époque). La défaite de la France, l’année suivante, est ratifiée par la signature du traité de Francfort. Ce traité prévoit notamment l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Moselle par l’Allemagne. Ces territoires sont alors occupés par les Allemands et font désormais partie de l’Empire allemand. ¬ Prouvé a réalisé en 1887, donc 17 ans après le début de la guerre, une peinture appelée Les Adieux d’un réserviste. Elle montre un soldat, marié et père de deux enfants, partant à la guerre et faisant ses adieux à sa famille. Il porte l’uniforme traditionnel de l’armée française à cette époque, aux couleurs rouge et bleue, ainsi qu’un fusil et un sac à dos qui contient son nécessaire de survie (couverture, tente, gamelle). Derrière lui, un autre soldat, clairon à la bouche, sonne le rassemblement pour le départ. 01 Victor Prouvé, vers 1888. J. Royer MEN, fonds Poiré. Victor Prouvé, Les Adieux d’un réserviste, 1887. Nancy, Musée lorrain, inv. D.2004.1.1 (dépôt du musée de l’Infanterie, Montpellier) Émile Gallé, 1889. Attribué à H. Dufey. MEN, inv. 2011.7.2 « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent » Victor Hugo au Musée des Beaux-Arts de Nancy L’Art nouveau est un mouvement artistique qui est né à la fin du XIX e siècle et qui s’est terminé en 1914 avec le début de la première guerre mondiale. Les artistes de ce mouvement souhaitaient embellir le quotidien de leurs contemporains : les objets, l’architecture et la décoration intérieure. À Nancy, l’Art nouveau s’appelle l’École de Nancy. Elle regroupe de nombreux artistes (peintres, sculpteurs, décorateurs), architectes, industriels d’art, journalistes, écrivains qui souhaitaient apporter de l’art partout et pour tout le monde.

Musée des Beaux-Arts de Nancy · une peinture appelée Les Adieux d’un réserviste. Elle montre un soldat, marié et père de deux enfants, partant à la guerre et faisant ses

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Certains artistes utilisaient l’art pour apporter du beau dans le quotidien, mais aussi pour exprimer leurs idées sur la vie de leur époque, sur la politique, sur les grands événements et les injustices de leur temps. Ils exprimaient ainsi publiquement leurs idées politiques et sociales. Il s’agissait d’artistes engagés.

L’exposition présente un aspect peu connu mais important de l’histoire de l’École de Nancy : celui de l’engagement politique et social de certains de ses membres, notamment Émile Gallé et Victor Prouvé, deux des principaux artistes de l’Art nouveau nancéien.

ÉMILE GALLÉ

Émile Gallé naît à Nancy en 1846. Il est le fils unique de Charles Gallé et de Fanny Reinemer qui tiennent un

commerce de cristaux et de porcelaine. Après une période d'apprentissage dans différentes villes d’Europe, Émile Gallé est associé à l’entreprise familiale dès 1867. Huit ans plus tard, il épouse Henriette Grimm avec laquelle il aura quatre filles. En 1889, il expose de nombreuses œuvres à l’Exposition universelle de Paris et obtient trois récompenses dans les domaines de la verrerie, du mobilier et de la céramique.Son œuvre est surtout inspirée par la nature. Mais Émile Gallé ne créait pas seul : il disposait de plusieurs ateliers de fabrication dans lesquels travaillaient de nombreux ouvriers et décorateurs.

VICTOR PROUVÉ

Victor Prouvé est né en 1858. Il grandit dans un milieu artistique et simple : son père dessine des

modèles de broderies et travaille occasionnellement avec le père d’Émile Gallé. Sa mère confectionne de la lingerie. Prouvé étudie à l’école des Beaux-Arts de Paris et devient artiste : peintre, sculpteur, décorateur, graveur, il s’intéresse beaucoup à l’art décoratif (cuir, bijou, textile, etc) et collabore avec d’autres artistes nancéiens, comme Émile Gallé. Il épouse Marie Duhamel en 1898 avec laquelle il aura sept enfants.

En plus de renouveler le cadre de vie, ces deux artistes souhaitaient participer à la création d’une société nouvelle, juste et équitable. Chaque partie de l’exposition développe une grande cause défendue par ces artistes. Ces questions de société sont reprises dans ce petit journal, commentées et illustrées par une œuvre.

LE CONTEXTE

LA GUERREDE 1870-1871

En 1870, la guerre éclate entre la France et l’Allemagne (la Prusse, à cette époque). La défaite de la France, l’année suivante, est ratifiée par la signature du traité de Francfort. Ce traité prévoit notamment l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Moselle

par l’Allemagne. Ces territoires sont alors occupés par les Allemands et font désormais partie de l’Empire allemand.

¬ Prouvé a réalisé en 1887, donc 17 ans après le début de la guerre, une peinture appelée Les Adieux d’un réserviste. Elle montre un soldat, marié et père de deux enfants, partant à la guerre et faisant ses adieux à sa famille. Il porte l’uniforme traditionnel de l’armée française à cette époque, aux couleurs rouge et bleue, ainsiqu’un fusil et un sac à dos qui contient son nécessaire de survie (couverture, tente, gamelle). Derrière lui, un autre soldat, clairon à la bouche, sonne le rassemblement pour le départ.

01

↦ Victor Prouvé, vers 1888. J. Royer MEN, fonds Poiré.

↦ Victor Prouvé, Les Adieux d’un réserviste, 1887. Nancy, Musée lorrain, inv. D.2004.1.1 (dépôt du musée de l’Infanterie,

Montpellier)

↦ Émile Gallé, 1889. Attribué à H. Dufey. MEN, inv. 2011.7.2

« Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent » Victor Hugo

au Musée des Beaux-Arts

de Nancy

L’Art nouveau est un mouvement artistique qui est né à la fin du xixe siècle et qui s’est terminé en 1914 avec le début de la première guerre mondiale. Les artistes de ce mouvement souhaitaient embellir le quotidien de leurs contemporains : les objets,

l’architecture et la décoration intérieure. À Nancy, l’Art nouveau s’appelle l’École de Nancy. Elle regroupe de nombreux artistes (peintres, sculpteurs, décorateurs), architectes, industriels d’art, journalistes, écrivains qui souhaitaient apporter de l’art partout et pour tout le monde.

LE REFUS DE L’ANNEXION À TRAVERS LES OBJETS ET LES MOTIFS DÉCORATIFS

Après le traité de Francfort, Nancy devient la dernière grande ville française à la frontière de l’Empire allemand (Metz et Strasbourg sont devenus allemands). De nombreux Alsaciens-Lorrains, qui se trouvaient dans les territoires annexés, quittent leurs villes et villages pour s’installer à Nancy. Mais la plupart des Alsaciens-Lorrains considèrent l’annexion comme une injustice. Certains artistes, comme Gallé, vont réaliser des œuvres pour dénoncer cette annexion.

¬ Même la vaisselle sert à véhiculer des messages et à revendiquer ! En 1871, Gallé crée des assiettes patriotiques pour dénoncer l’occupation allemande ou exprimer l’espoir de la réunification des territoires. Il s’agit d’assiettes « parlantes » car elles contiennent des phrases ou des messages. Ainsi, l’assiette portant l’inscription « Pigeon vole, pie vole, pendule vol » fait allusion aux réquisitions et indemnités de guerre que doit verser la France à l’Allemagne. Symbolisés par un aigle allemand volant une pendule, les Prussiens étaient alors décrits comme des pilleurs d’objets précieux.

L’INVOCATION DE LA GAULE

La référence à la Gaule et aux Gaulois est souvent utilisée par les artistes nancéiens et par Émile Gallé pour réaffirmer l’appartenance de l’Alsace-Lorraine à la France. Gallé joue également de la proximité de son nom de famille avec « Gallus » qui signifie en latin le coq et les habitants de la Gaule.

¬ En 1884, Gallé expose à Paris uneœuvre étonnante : le bassin Qui vive ?France. Au centre du bassin, on retrouve un buste modelé par Victor Prouvé intitulé « tête de la France casquée ». La tête est en effet casquéeet surmontée d’un coq, symbole de

la France. Pour des œuvres importantes et engagées, Gallé sollicite régulièrement Prouvé pour des décors représentant des humains.

LES ESPOIRS PLACÉS DANS LE

RAPPROCHEMENT FRANCO-RUSSE

En 1892, un rapprochement diplomatique et militaire se fait entre la France et la Russie. La signature de cette alliance apporte un nouvel espoir à la France : celle-ci n’est plus isolée en Europe, notamment face aux Empires allemand et austro-hongrois. L’année suivante, une escadre navale russe vient en visite officielle à Toulon. À cette occasion, de nombreux cadeaux sont offerts aux membres de l’escadre et au Tsar de Russie. La Lorraine et ses artistes y participent avec enthousiasme.

¬ Victor Prouvé et Camille Martin créent la reliure du Livre d’or de la Lorraine à la Russie offert au Tsar. Il s’agit de la couverture en cuir et en métal qui protège et décore le livre. La reliure est ornée des symbolesde la Lorraine, représentée par

une femme : le chardon, la croix de Lorraine, les alérions, le blasonde la Lorraine et les armoiries de ses principales villes. Le livre renferme les témoignages d’amitié de tous les villages et villes de Lorraine, ainsi que de nombreux dessins et dédicaces des plus importants artistes lorrains de l’époque. Il est toujours conservé en Russie, au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg.

ÉMILE GALLÉ En 1889, Gallé inscrit son principe sur un vase montrant un chevalier s’élançant, épée levée, et portant un bouclier : « Ma carrière est la justice ». Ce décor est traité dans un style très médiéval. La phrase fait aussi référence à la nécessité d’engagement de Gallé qui n’hésite pas à défendre les causes auxquelles il tient et attaquer les responsables des injustices.

LA CAUSE DES PEUPLES

Gallé s’engage aussi pour des causes extérieures à la France notamment pour la liberté des peuples opprimés et menacés, quelles que soient leurs origines et leurs religions. Au xixe siècle, l’Irlande est entièrement soumise à l’Angleterre et les Irlandais sont peu considérés par les Anglais. De nombreux Irlandais souhaitent l’indépendance de leur pays ainsi qu’une amélioration de leur cadre de vie et de travail. Parmi ceux-ci, l’homme politique et journaliste

William O’Brien est un farouche défenseur de la cause paysanne irlandaise. Il est condamné à la prison pour cette raison mais il n’était pas présent à son procès et a pu s’enfuir en Amérique.

¬ Le vase Pélican est offert par Gallé en 1890 à O’Brien lors d’un séjour à Paris. Le col de la verrerie est orné

du trèfle, symbole de l’Irlande. Le décor représente un pélican blanc aux ailes déployées. Un ptérodactyle griffutente de l’attirer dans les ténèbres. Une citation gravée « Je dis le chant plaintif des âmes prisonnières » estune référence à ce qui attend O’Brien à son retour en Angleterre : la prison. Celui-ci s’est en effet enfui d’Irlande et il sait qu’à son retour, il sera arrêté et emprisonné.

L’AFFAIRE DREYFUS

L’affaire Dreyfus est un moment important de l’histoire de la iiie

République, comme de la vie d’Émile Gallé. En 1894, le capitaine français Alfred Dreyfus, Alsacien de confession juive, est injustement condamné pour avoir livré à l’ennemi allemand des documents secrets. L’affaire rencontre peu d’écho jusqu’à l’acquittement le 10 janvier 1898 du véritable coupable. Trois jours plus tard, l’écrivain Émile Zola publie un long article dans le journal L’Aurore intitulé « J’accuse », dans lequel il s’en prend violemment à l’injuste condamnation de Dreyfus et à l’acquittement du coupable. S’ensuit alors une grande période de tension, sur fond d’antisémitisme, qui divise les Français en deux camps : les dreyfusards qui réclament la justice et la vérité et les antidreyfusards qui ne veulent pas remettre en cause les décisions de l’État et de l’armée. Gallé s’engage, dès 1898, dans le camp des dreyfusards. Décédé en 1904, il ne connaîtra pas la réhabilitation de Dreyfus deux ans plus tard, pour laquelle il s’était tant investi.

02

↦ Émile Gallé. En collaboration avec la manufacture de Saint-Clément, Pigeon vole, assiette patriotique, modèle créé en 1871. MEN, inv. 993.12.4

↦ Émile Gallé. En collaboration avec Victor Prouvé, Bassin Qui vive ? France, vers 1884. Collection particulière.

↦ Émile Gallé. Vase Dragon et Pélican, 1890. Dublin, National Museum of Ireland, inv. DC : 1937.20.

↦ Le Livre d’or tel qu’il a été reproduit à l’époque dans différentes revues. Phototypie J. Royer. MEN, album photographique Victor Prouvé.

↦ Émile Gallé. En collaboration avec Victor Prouvé. Fiole à encre La Calomnie ou Les Baies de sureau, 1900. Suwa, Kitazawa Museum of Art, inv. 1691.

¬ Les préparatifs de l’Exposition universelle de 1900 prennent pour Gallé une dimension politique. Ilreconstitue un four de verrier grandeurnature sur lequel il expose un ensemblede verreries en lien avec l’affaire Dreyfus, parmi lesquelles la fiole à encre Calomnie. Le décor est fourni par Victor Prouvé qui représente une vieille femme au visage de sorcière en train d’écrire le mot « calomnie » gravé sur le vase. Cette scène fait référence au rôle de la presse virulente antidreyfusarde qui véhiculait des messages haineux et antisémites.

LES SOUTIENS DREYFUSARDS

Bien sûr, Émile Gallé n’est pas seul pour défendre Dreyfus. Il tisse des relations avec d’autres artistes, avocats, journalistes, écrivains et musiciens dreyfusards et correspond avec eux. Gallé dédicace plusieurs de ses œuvres à ces personnalités engagées. Le compositeur Albéric Magnard, virulent dreyfusard, dédie à son tour à Gallé « L’Hymne à la justice », œuvre pour orchestre qui fut jouée pour la première fois à Nancy en janvier 1903.

¬ Partageant les mêmes engagementsque son mari, Henriette Gallé correspond avec certains milieux dreyfusards nancéiens et parisiens. Émile dédie un secrétaire – un meuble de bureau servant à écrire et à ranger le courrier – à sa « brave femme, Henriette Gallé, en mémoire des luttes patriotiques pour les principes d’humanité, de justice et de liberté ».Cette dédicace témoigne de l’implication politique d’Henriette qui œuvre pour la cause dreyfusarde en correspondant notamment avec certaines personnalités de premier plan impliquées dans l’Affaire.

VICTOR PROUVÉ

En 1896, Émile Gallé réalise le canthare Prouvé pour son ami Victor Prouvé. Le vase est gravé d’un extrait d’un poème de Victor Hugo, « Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent, ce sont ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front ». Il s’agit d’un hommage vibrant à l’artiste engagé par un autre artiste engagé.

LE CONSTAT SOCIALET L’INFLUENCE

ANARCHISTE

Les personnages des tableaux de Victor Prouvé sont des gens du peuple : paysans, ouvriers, mères et enfants… mais on y trouve aussi les oubliés et les victimes du progrès comme les chemineaux.

¬ Prouvé représente à plusieurs reprises des chemineaux. Il s’agit de vagabonds errant dans les campagnes à la recherche d’un travail ou d’un repas. Chez Prouvé, contrairement à d’autres artistes qui utilisent le même thème, le chemineau ne trouble pas la société ni ne la menace. Au contraire, il participe pleinement à sa construction et devient même le symbole de la liberté dans les peintures de Prouvé.

CHARLES KELLER

La peinture, la sculpture, l’art décoratif servent à véhiculer des messages politiques et sociaux, de même que la littérature, la poésie… Charles Keller utilise également la musique comme moyen d’exprimer ses convictions. Il a composé plusieurs chants poétiques et politiques très engagés. Parmi ceux-ci, la Jurassienne, véritable hymne révolutionnaire prolétarien connu également sous le nom de « La Marseillaise des travailleurs ». Charles Keller est un cousin d’Henriette Gallé. Les familles Keller, Gallé et Prouvé sont d’ailleurs très proches.

¬ Keller écrit et compose deux chants révolutionnaires dont la couverture des livrets est décorée par son ami Victor Prouvé. Les illustrations sont sensiblement proches : la solidarité et la fraternité transforment la Grève générale et L’Action directe en une farandole joyeuse. Ouvriers, femmes et enfants participent à cette action constructive qui leur permet de renouer avec la nature.

LA CITÉ FUTURE ET LES DÉCORS RÉPUBLICAINS

En plus de ses peintures, gravures et objets d’art, Prouvé s’adonne au décor mural. Il peint des grands décors pour l’Hôtel de Ville de Nancy, la Préfecture de Meurthe-et-Moselle et réalise des décors pour deux mairies parisiennes. Les grands décors de Prouvé reflètent le rêve et l’espoir de la cité future et idéale, dans laquelle les ouvriers, les paysans, les chemineaux et tous les déshérités vivraient harmonieusement dans une nature bienveillante et prospère.

¬ À propos de la mairie du 11e arron-dissement de Paris, Victor Prouvé décrit ainsi son décor, intitulé Séjour de Paix et de Joie : « Ceux qui ont peiné,les déshérités, viennent de la ville et, arrivant par bateaux, ils se dispersent dans le séjour de Paix et de Joie où ils se régénèrent, deviennent meilleurs, forment une nouvelle famille. La nouvelle jeunesse en gaie farandole devant les aïeux qui, assis sous le grand arbre, contemplent leurs ébats… puis ils méditent ».

L’AVENTURE DE L’UNIVERSITÉ POPULAIRE

ET LA MAISON DU PEUPLE

L’objectif de l’Université populaire est d’apporter aux adultes, et plus particulièrement aux ouvriers, l’enseignement dont ils ont besoin. Toutes les matières et techniques y sont enseignées : littérature, histoire, comptabilité, les sciences, mais aussi l’électricité, la couture, la cuisine, les langues, le dessin… On trouvait ces Universités populaires un peu partout en France. Celle de Nancy est créée en 1899 et s’installe trois ans plus tard dans la Maison du Peuple.

Le bâtiment est financé par Charles Keller, et conçu par l’architecte Paul Charbonnier, avec des décors d’Eugène Vallin et de Victor Prouvé. On y trouve une salle de conférence, des salles de cours, une bibliothèque... Le décor de la façade, sculpté par Prouvé, évoque le Travail, représenté par un forgeron, et la Pensée libre, une femme surgissant des nuages.

¬ L’image du forgeron est souvent utilisée par Victor Prouvé pour symboliser le travail ou l’industrie. Ici, le forgeron fort et musclé est représenté assis, se reposant sur le manche de son marteau. Il s’agit ici de l’étude préparatoire, réalisée en plâtre, pour la sculpture en pierre qui orne toujours le dessus de la porte d’entrée de la Maison du Peuple.

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↦ Émile Gallé. Bureau La Forêt lorraine, 1899. Collection particulière.

↦ Victor Prouvé, Les Chemineaux, 1907. Épinal, musée départemental d’Art ancien et contemporain, inv. C 846.

↦ Victor Prouvé, Le Forgeron. Maquette pour la sculpture du fronton de la Maison du Peuple, vers 1901-1902. MEN, inv. 128.

↦ Victor Prouvé, La Grêve générale, 1906. Nancy, Musée lorrain, inv. 2006.0.5723

↦ Victor Prouvé, Espoir. Étude pour la décoration de la mairie du xie arrondissement de Paris, 1902. MEN, inv. 50.

L’ANNEXION DE 1871 ET L’EXPOSITION

UNIVERSELLE DE 1889À l’Exposition universelle de 1889 à Paris, Émile Gallé expose pour la première fois des meubles dont plusieurs comportent des décors de Victor Prouvé. Deux notamment font directement référence à l’annexion de l’Alsace-Moselle de 1871. La table Le Rhin est imaginée par Gallé en collaboration avec Victor Prouvé, auteur de la grande frise centrale. Le thème choisi par Gallé est une phrase de l’auteur latin Tacite « Le Rhin sépare des Gaules toute la Germanie ». Le message de cette

table est clair : la frontière historique et naturelle entre la France et l’Allemagne est le fleuve Rhin. Pour illustrer cette idée, Victor Prouvé a représenté, sur la grande frise, des guerriers Gaulois et Germains (les ancêtres des Allemands) prêts à s’affronter. Mais, au centre, un homme barbu et une jeune femme les en empêchent. Il s’agit làencore d’un symbole utilisé par Prouvé pour représenter le Rhin sous les traits de l’homme, et la Moselle sous les traits de la femme.

Le décor symbolique se poursuit sur la partie basse de la table. Quatre alérions (les aigles du blason de la Lorraine) portent une croix de Lorraine au poitrail et supportent le plateau. Un immense chardon lorrain se déploie sous la table. Enfin, les deux inscriptions sculptées sous le chardon « Je tiens au cœur de France » d’un côté et « Plus me poignent plus j’y tiens », de l’autre, réaffirment le refus de l’annexion.

¬ Les dessins préparatoires de Prouvé témoignent également des recherches de composition des figures isolées ou des groupes avant leur transposition dans la marqueterie.

L’AFFAIRE DREYFUS ET L’EXPOSITION

UNIVERSELLE DE 1900À l’Exposition universelle de 1900 à Paris, Gallé a présenté de nombreuses œuvres en rapport avec l’affaire Dreyfus. Sur le four verrier qu’il reconstitue à cette occasion, se trouve la grande Amphore du Roi Salomon faite en verre soufflé et en fer forgé. En plus d’être une référence à l’affaire Dreyfus, le four de verrier racontait l’histoire de la jeune Marjolaine, tirée du conte La Rêveuse de l’écrivain Marcel Schwob.

Marjolaine avait grandi près de son père, potier, qui lui inventait des histoires et qui lui avait laissé à sa mort sept cruches mystérieuses, posées sur la cheminée et semblables à un arc-en-ciel. Mais « ce grouillement de merveilles, de rêves et de mystères » n’était visible que par Marjolaine ; les ignorants ne voyaient que de vieilles poteries insignifiantes. Chacun des vases avait sa propre histoire, et l’amphore emprisonnait un prince que seule une jeune fille sage pourrait libérer, en brisant l’enchantement un soir de pleine lune.

Pour la forme de ce vase, Gallé s’inspire d’une amphore antique qu’il avait en sa possession. Comme cette amphore reposait au fond des mers, d’après le conte, Gallé l’a recouverte d’algues travaillées en application

de verre et en fer forgé. Sur le col, le sceau de Salomon ou étoile de David, est également une allusion à la confession d’Alfred Dreyfus. Bien que spectaculaire – car la lumière électrique illuminait l’ensemble – le four de Gallé et son message dreyfusard ne semblent pas avoir été compris par les visiteurs et les commentateurs de l’exposition. Peu de critiques l’ont décrit, si ce n’est pour évoquer la qualité des verreries exposées et la beauté de la composition générale.

04

au Musée

de l’École de Nancy

Le musée de l’École de Nancy présente plusieurs œuvres majeures d’Émile Gallé,témoignant de son engagement politique et social.

INFORMATIONS PRATIQUES

L’exposition est présentée au :

Musée des Beaux-Arts / MBA 3, place Stanislas 54000 Nancydu mercredi au lundi, 10h-18h

et au

Musée de l’École de Nancy / MEN36-38, rue du sergent Blandan 54000 Nancy du mercredi au dimanche, 10h-18h

Les musées sont fermés les 1er novembre, 25 décembre et 1er janvier

TarifsPass Musées 10 jours : 10 €Entrée musée : 6 € / 4 € (réduit)Entrée gratuite : jusqu’à 12 ans – Carte Jeune Nancy – membres des associations d’amis des musées – Museum Pass – Carte Icom

AU MUSÉE DES BEAUX-ARTS Jeune Public

Ça se discute ! Pour les 12-15 ans, à 14h30 ↦ La presse : une liberté totale ou limitée ? Lundi 19 octobre↦ Droits du citoyen ou droits de l’Homme ? Lundi 26 octobreTarif 5 € / sur réservation

Atelier vacances de la ToussaintPour les 7–11 ans à 14h30 ↦ Atelier Signes et Symbolesstage 1 : jeudi 22 et vendredi 23 octobre stage 2 : jeudi 29 et vendredi 30 octobre Tarif 10 € la séance / sur réservation

Mini conf’À partir de 8 ans ↦ Qu’est ce que l’Art nouveau ? Samedi 7 novembre, de 14h30 à 15h30 ↦ L’engagement des artistes : où com-mence et où finit la liberté d’expression ?Samedi 21 novembre de 14h30 à 15h30Auditorium du musée des Beaux-Arts Gratuit / sans réservation

Visite en familleÀ partir de 6 ans ↦ Les symboles de la Lorraine Dimanche 20 décembre à 15h30 Tarif 5,50 € / 4 € (réduit) / gratuit pour les – de 12 ans /sur réservation

AU MUSÉE DE L’ÉCOLE DE NANCYPublic adulte

Visites guidées de l’exposition incluses dans la visite générale. À 15h le vendredi, samedi et dimancheTarif 4 € en plus du billet d’entrée

Jeune Public

Intrigues au musée Pour les 7-11 ans à 14h30 ↦ Spécial Lorraine 1 séance au choix : mercredi 21 et mercredi 28 octobreTarif 10 € la séance / sur réservation

Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication / Direction générale des patrimoines / Service des musées de France. Elle bénéficie à ce titre d’un soutien financier exceptionnel de l’État.

Photos : © Musée de l’École de Nancy, Nancy : Portraits Gallé et Prouvé / Livre d’or / Four verrier — © Musée de l’École de Nancy, Nancy / Michel Bourguet : Assiette patriotique / Séjour de Paix et de Joie — © Musée de l’École de Nancy, Nancy / Claude Philippot : Forgeron — © Musée lorrain, Nancy / Philippe Caron : Adieux d’un réserviste — © Musée lorrain, Nancy : La Grève Générale — © The National Museum of Ireland : Vase Pélican — © Kitazawa Museum of Art : Calomnie — © MDACC Épinal / Joëlle Laurençon : Les Chemineaux — © Collection particulière /Michel Bourguet : Bassin Qui vive? France / Bureau La Forêt lorraine — © Musée de l’École de Nancy, Nancy /Damien Boyer : étude pour le plateau de la table le Rhin.Graphisme : Frédéric Rey. Impression : l’Ormont

↦ Victor Prouvé. Étude pour le plateau de la table Le Rhin, 1889. MEN, inv. 998.35.11

↦ Photographie du Four verrier présenté à l’Exposition universelle, 1900. MEN, inv. MB86-1.