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Page 1 Les cahiers de IRDA N 001 janvier 2014 LES CAHIERS DE IRDA

Mythes et protection de l'environnement en Afrique

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LES CAHIERS DE IRDA

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Les cahiers de IRDA N 001 janvier 2014

LES CAHIERS DE IRDA

Revue semestrielle

LES CAHIERS DE IRDA

Revue Scientifique d’Études Africaines

01 BP 525 Bouaké 01 Côte d’Ivoire

Tel. (225) 07 43 48 96/56 48 11 84/

46 26 26 16/31 63 51 61

http://www.institutirda.org/les-cahiers-de-l-IRDA.html

Courriel : [email protected]

No 001

Numéro Libre janvier 2014

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Ligne éditoriale L’Afrique est traversée par des crises dont la nature complexe impose de conceptualiser un agir bien pensé, une

pensée qui a conscience de la structure labyrinthique des réalités africaines, qui l’ouvre au regard, qui en remanie le mouvement giratoire. Cette attitude n’est possible que parce que nous avons répondu au rendez-vous frontal et symptomal de la pensée par un questionnement lucide et informé, un questionnement auto-critique. Cette posture se veut l’élan d’une pensée qui résiste, conteste, proteste contre les incertitudes sans lendemain et les certitudes closes comme forme de savoir qui enferment et menacent la pensée. Alors, comment et pourquoi ne pas céder au pessimisme suicidaire encore moins à l’optimisme béat, telle est l’urgence que nous imposent les conditions de notre survie, par une reprise en charge impérative de soi par la pensée. Re-penser l’Afrique, c’est interroger son être et son devoir-être comme devenir, la comprendre de fond en comble, sans tabou ni totem, sans paresse ni précipitation en développant une pensée ferme et rigoureuse de la vigilance informée.

Pour ce faire, il lui faut une terre comme source et un territoire comme ressource de pensée, un lieu théorique pour questionner, intuitionner ses rapports intérieurs et extérieurs aux choses. C’est pour satisfaire à ces exigences que IRDA (Institut de Recherches pour le Développement en Afrique) a créé LesCahiers de IRDA. C’est une revue en ligne qui se veut un espace de recherches et de productions critiques et auto-critiques sur tous les sujets en rapports avec l’Afrique. Ouvert aux chercheur(e)s, enseignant(e)s et étudiant(e)s de toutes disciplines pouvant scruter tous les horizons intellectuels, culturels et scientifiques touchant directement ou indirectement l’Afrique dans sa complexité comme réalité rhizomatique, diversité des possibles épistémiques à buriner au concept. Comme écho à cette urgence du moment comme exigence épistémologique et méthodologique, LesCahiers de IRDA répondent par la présence érectile et féconde de la pensée, comme moyen de re-dynamiser l’espace africain dans son actualité passée et présente.

LesCahiers de IRDA ont une double mission : rétrospective et prospective comme inauguralité d’un jour nouveau pour l’Afrique. Le caractère frontal et inaugural deLesCahiers de IRDA qui le fait donc réfléchir sur des horizons épistémologiques et méthodologiques encore inexplorés dont l’originalité de l’éclat juvénile ramène les Africains à repenser leur trajectoire spirituelle, pour déconstruire les actes manqués et les trous de mémoire de leur agir théorique et pratique entre hier et aujourd’hui. Ce travail exige des remises en question pour valider et consolider les acquis mais aussi tourner à rebours les paradigmes dominants, pour faire advenir de nouvelles préoccupations comme inquiétudes.

LesCahiers de IRDA veulent donc re-penser ce qui a déjà été, tout comme ce qui n’a jamais été comme moyen de scruter l’avenir, de répondre à son appel comme rappel à l’ordre face aux défis et enjeux du développement. LesCahiers de IRDA ont des feuillets où peuvent séjourner des discours théoriques contradictoires et différenciés. Cette métaphore des feuilles donne à penser que l’on remet toujours sur le chantier de la discussion et de la recherche toute forme de savoirs ou de pensées, les amener à révéler les scansions de son indicible secret. Comme tels, LesCahiers de IRDA est espace de dialogue critique, de débats entre différentes postures épistémologiques et méthodologiques agonistiques.

La spécificité de LesCahiers de IRDA est de favoriser le développement de productions scientifiques de qualité en Études Africaines, d’une part. LesCahiers de IRDA est une revue ouverte à des travaux en Études Canadiennes et Québécoises en relation avec des situations épistémologiques, méthodologiques, culturelles et politiques avec l’Afrique, d’autre part. Telles sont les promesses que LesCahiers de IRDA veulent semer sur des terres africaines aussi bien arides que fécondes. Éclater les limites du pensable par une réflexion ferme, rigoureuse et profonde, explorer et retrouver le choc initial épistémique originel, originaire et original comme moment tensionnel d’émergence et de développement des choses, pour que viennent au jour quelques faisceaux lumineux des impensés que l’ombre de l’impensable peut produire, tel est le défi et l’enjeu que se donnent LesCahiers de IRDA pour re-configurer l’Afrique.

LA RÉDACTION

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CONSIGNES DE RÉDACTION

Pour que votre article soit publié, Il ne doit pas dépasser 15pages. (maximun) La police des caractères doit être du Times New Roman et le corps des caractères est de 12. , interligne simple, les marges sont haut : 3 cm, bas : 3cm; gauche 3cm; droite 3cm Les signes de ponctuation uniquement suivis d’un espace sont : , . Ceux précédés d’un espace et suivis d’un espace sont : ? ! ; : - « » Pour les guillemets de ce type " " “ ” et les parenthèses, il n’y a pas d’espace à l’intérieur.

• Quand la citation est comprise dans une phrase, le point final viendra en-dehors du guillemet : Phrase "institut".

• Quand la citation est une phrase complète, le point est dans le guillemet: "Institut de recherches."

• Quand la citation est introduite par deux points, les deux sont possibles : Quand la citation est longue et par exemple : comporte plusieurs phrases, il est nécessaire de mettre le point à l'intérieur du guillemet. Quand la citation est un mot ou très courte, on peut mettre le point à l'extérieur (il dit : "prends".).

• Pour une phrase en français les guillemets doivent être de ce type : « Institut de recherches »

• Pour une phrase en anglais : "institut de recherches" et en italique

• Accentuer les "À", les "É" et "Ê" majuscules. Par exemple : À ce propos, École, Être, etc.,

NOTES DE BAS DE PAGE Deux choix sont possibles (mais il faut choisir l’un ou l’autre pour tout le texte) :

• Les notes sont placées : En bas de page. Le corps à utiliser est de 10 points soit 2 points de moins que le corps du texte. Les appels de note placés dans le texte doivent avoir le même corps que les rappels et le texte des notes. À la fin du texte, elles seront dactylographiées à un interligne et demi, en respectant le protocole suivant (y compris la ponctuation) :

• Livre, nom de l’auteur, initiale du ou des prénoms, titre. Lieu d’édition, nom de l’éditeur, année de publication, nombre de pages.. SAMBA DIAKITÉ (dir.) , Dictionnaire des auteurs africains. Abidjan, Presses Universitaires de Côte d’Ivoire, 2013, 230 pages

• Article, nom de l’auteur, initiale du ou des prénoms, « titre de l’article », nom de la revue, volume, numéro, année de publication : première et dernière pages de l’article.

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• Vanier .C. « L’homme qui aime la femme », L’Homme, XVI, 2-3 : 103-128.

• Texte dans un ouvrage collectif, nom de l’auteur, initiale du ou des prénoms, année de publication, « titre du chapitre » : première et dernière pages du chapitre, in initiale du ou des prénoms et nom du ou des directeurs de publication, titre du livre. Lieu d’édition, nom de l’éditeur, année d’édition.

• DUFFRENES M., « Le bleu et le noir » : 79-123, in F. Héritier-Augé et É. Capen et Allenr (dir.), Les margouillats. Volume I : Les mangeurs de mil. Paris, Éditions des Margouillats, 2013.

• Document Internet, comme les rubriques ci-dessus et, à la place du lieu d’édition et du nom de l’éditeur, la mention : Consulté sur Internet (adresse du site), le (date). Conseil africain de Bamako, 2013, introductions de séance, 7, 8 et 9 décembre. Consulté sur Internet (http://africa.ua.int/nations/off/conclu/dec2013/dec2013/_fr.htm), le 15 juillet 2013.

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ORGANISATION

Directeur de Publication :Prof. Samba DIAKITÉ

Directeur de Rédaction :Dr KOUMA Youssouf

Secrétaire de Rédaction : Dr KONATÉ Mahamoudou

COMITÉ DE RÉDACTION

Dr KOUMA YOUSSOUF, Maître-Assistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké

Dr SORO DONISSONGUIMaître-Assistant Université Alassane Ouattara de Bouaké

DR KOUASSI KOUADIO LEONARD, Assistant, Institut National Supérieur d’Action Culturel Abidjan

DR SANGARÉ SOULEYMANEMaître-Assistant,Université Alassane Ouattara de Bouaké

DR KONATÉ MAHAMOUDAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké

Dr KOUAKOU HYANCINTHE, Chercheur, Lycée Moderne d’Adzopé Côte d’Ivoire

DR SOUMAHORO FALIKOUAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké

DR CHANTAL PALÉAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké

DR SANOGO AHMEDAssistant, Université Alassane Ouattara de Bouaké

JACKIE DIOMANDÉ Doctorante,Université Alassane Ouattara de Bouaké

KOUAKOU EDWIGEDoctorante, Université Alassane Ouattara de Bouaké

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CONSEIL SCIENTIFIQUE

PROF. ABOU KARAMOKO, Professeur des Universités,Université Houphouët-Boigny ,philosophie de la culture , théorie critique et philosophie africaine

PROF COULIBALY DAOUDA,Maître de Conférences,Université Alassane Ouattara , études américaines

PROF DANY RONDEAU,Professeure des Universités,Université du Québec à RIMOUSKI, éthique, philosophie de la culture et des religions

PROF. DAVID MUSA SORO,Professeur des Universités,Université Alassane Ouattara, , philosophie grecque et études anciennes

PROF. HOUNTONDJI PAULIN,Professeur des Universités,Université du Benin, , philosophie africaine et philosophie politique

PROF. KOUASSI YAO EDMOND,Maître de Conférences, Université Alassane Ouattara, philosophie politique et sociale

PROF. N'GUESSAN DEPRY ANTOINE, Maitre de conférences, Université F.Houphouet Boigny, philosophie des sciences

PROF. SAMBA DIAKITÉ, Professeur des Universités,Philosophie de la culture, de l’éducation, éthique et philosophie africaine

PROF. TRO DEHO, Maître de Conférences,Université Alassane Ouattara, littérature africaine

PROF. YACOUBA KONATÉ,Professeur des Universités,Université FÉLIX Houphouët-Boigny, esthétique, philosophie de l’art et philosophie politique

PROF. BINDEDOU JUSTINEMaître de Conférences, Université Alassane Ouattara, philosophie politique

PROF. GRÉGOIRE BIYOGO, Professeur des Universités,Université Paris VII; Per Ankh Université Panafricaine de la Renaissance; égyptologie, épistémologie, méthodologie, linguistique historique et comparée, histoire de la philosophie, musicologie, poétique

PROF. MARIE STOLL, Professeur des Universités,Université of Michigan, Science and arts

PROF. NORMAND BAILLARGEON, Professeur des Universités, Université du Québec à Montréal Philosophie de l’éducation

PROF. KOUASSI MARCEL, Maître de Conférences, Bioéthique, éthique des technologies, philosophie pratique

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MYTHES ET PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT EN AFRIQUE

Dr. TRAORE Grégoire ∗

Maitre-Assistant Mail:[email protected]

Résumé La difficulté à trouver une solution globale à la crise environnementale actuelle, oblige

à se tourner vers des solutions locales ou sectorielles. Dans ce contexte, le mythe peut être envisagé comme une voie à explorer dans les stratégies de protection de l’environnement naturel dans les sociétés africaines où il continue d’exercer une influence sur les consciences. Le mythe renferme des valeurs qui structurent et déterminent les choix existentiels des individus et même leurs rapports à l’univers physique et naturel.

Mots clés : Axiologie, Crise, Environnement, Mythe, Société, Symbolisme, Tradition,

Valeur. Abstract The difficulty in findinga comprehensive solution tothe currentenvironmental

crisisforces them toturn tolocal or sectoralsolutions.In this context,the mythcan be seen asaway toexplorethe strategiesofprotectionof the natural environmentin African societieswhereit continues toinfluencethe conscience.The mythcontainsvaluesthat shapeand determine thelife choicesofindividuals and eventheir relationshiptothe physical and naturalworld.

Keywords: Axiology, Crisis, Environment, Myth, Society, Symbolism, Tradition,

Value. Introduction Le recours au mythe comme fondement d’une action en faveur de la nature en Afrique

répond à deux exigences majeures : l’influence de sa vérité sur les consciences individuelles et collectives et la difficulté à trouver une solution globale à la crise écologique actuelle. La recherche d’une stratégie de protection de la nature qui rencontre une adhésion des communautés africaines conduit à déterminer une valeur culturelle dont la force incitative et mobilisatrice des consciences peut être utilisée comme un moyen d’action de protection de l’univers naturel. Le mythe semble répondre à cette attente parce qu’il occupe une place déterminante dans les rapports de l’Africain avec son

∗Université Alassane Ouattara de Bouaké

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univers social et naturel. L’importance du mythe dans un contexte africain dominé par la modernité procède non seulement de son caractère pragmatique, mais aussi de sa force psychologique sur les actions des individus.

Avec le processus de rationalisation et démythologisation suscité par le modernisme, les approches du monde fondées sur le mythe sont progressivement abandonnées au profit d’une approche scientifique et technique. Le mythe n’a aucun intérêt particulier puisque l’objectivité de sa vérité est remise en cause. Cette considération héritée de l’histoire gnoséologique occidentale avec Bernard le Bouyer de Fontenelle (1657-1757), Alexander Haggerty Krappe (1894- 1947), est en bute avec la réalité africaine où le mythe continue d’exercer une influence sur les consciences individuelle et collective. Le mythe est un puissant facteur de conditionnement psycho-social des populations. Il oriente les choix, les décisions et les modes d’action dans les divers domaines de la vie individuelle et communautaire. Toute la vie sociale des individus et leurs rapports à l’univers physique et naturel dans les sociétés traditionnelles africaines s’articulent autour de croyances et de considérations mythiques. Le mythe focalise l’intérêt du sujet humain sur sa relation avec la nature d’autant plus qu’il intègre les deux entités dans un même processus biocosmique.

En partant du principe que toute action de protection de l’environnement naturel, pour être efficace, doit prendre en compte tous les facteurs psycho-sociaux des hommes et les valeurs qui déterminent leurs rapports à l’environnement, la recherche de solution à la crise écologique actuelle, nous autorise à réexaminer le sens du mythe qui devient ainsi un problème d’éthique environnementale. Ce problème est de savoir ce qu’est le mythe, comment le comprendre et l’apprécier par rapport à la problématique de la protection de la nature.

Quel type de rapport établit-il entre l’homme et son environnement naturel ? Quel est son apport dans la recherche de solutions à la crise écologique ? Dans un contexte africain marqué par la modernité, peut-il encore servir de fondement à une action de protection de l’environnement ?

Cet article qui ambitionne de montrer que le mythe, malgré la pression des reformes des mentalités liées au progrès, demeure actuel et peut servir encore à protéger l’environnement, met, dans un premier temps, en évidence le sens (entendu comme signification et valeur) du mythe dans les sociétés traditionnelles africaines (I).Par la suite, l’influence du mythe sur les rapports de l’africain avec la nature (II). Enfin, il met l’accent sur le rôle déterminant qu’il peut jouer dans la protection de l’environnement dans l’Afrique moderne (III).

I-Le sens du mythe dans les sociétés traditionnelles africaines Le mythe est inhérent à toutes les civilisations humaines. Il apparait comme un récit

fabuleux qui représente des êtres impersonnels, ou des forces de la nature sous forme d’êtres personnels dont les actionsou les aventures ont un sens symbolique. Il vise aussi à rendre compte du sens des réalités présentes et à justifier une situation actuelle. C’est le cas du mythe de la caverne qui détermine le sens de la philosophie chez Platon. L’usage des figures mythiques dans la philosophie platonicienne sert à implanter une vision du monde, à orienter le choix d’une force collective et à insuffler une morale. En tant que représentation symbolique, le mythe dépasse la dimension du fantastique qui lui reste

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rattachée en faisant la place à des significations ayant une portée épistémique et existentielle.

Tout mythe, d’une manière générale, renferme une double dimension : historique et allégorique ou symbolique. En effet, il est le récit d’une histoire qui se veutréelle parce qu’il est censé enseigner une vérité transhistorique.Il a une dimension allégorique ou symbolique. Sous cet aspect, il est énigmatique et nécessite un travail d’interprétation. Il a ainsi une valeur pédagogique. En conséquence, il exerce une influence sur le comportement des hommes. Le rapport au mythe ne peut être considéré comme diachronique. Comme chez Platon, la rationalité peut être synchronisée avec les considérations mythiques en ce sens que « l’imagination, la fonction fabulatrice, ne sert en fait que de moyen d’expression. […]L’imagination dessine à tout moment l’horizon de l’activité. Elle nous insère dans le monde, bien plus qu’elle ne nous en détourne. Aussi la conscience mythique ne saurait être condamnée comme un ordre d’irrationnel. La force même de sa prise sur l’homme prouve qu’il doit impliquer avec lui sa preuve. […] La vérité du mythe nous intègre dans la totalité, en vertu d’une reconnaissance ontologique »1. L’existence humaine se structure encore et fonctionne suivant des considérations mythiques. Cela est d’autant plus vrai que de nouveaux mythes se sont substitués aux anciens mythes qui ont perdu de leur charme dans le monde occidental. C’est le cas du mythe de Frankenstein ou le Prométhée moderne2 de Mary Shelley.

Dans les sociétés africaines traditionnelles, la vie est articulée autour de considérations mythiques. Les structures sociales et leur fonctionnement sont rarement perçus comme des produits artificiels. Leur genèse est toujours liée à des êtres mythiques qui demeurent dans l’environnement immédiat de la communauté. Ils assurent l’harmonie dans les rapports intersubjectifs et ceux qui existent entre les hommes et leur environnement. Dans ce cas, les images mentales que le mythe diffuse sont essentiellement innervées dans la vie religieuse. Cependant, elles jouent des rôles diversifiés. L’histoire individuelle et collective a sa source et sa justification dans des représentations mythiques. Le mythe d’Abla Pokou3 est, par exemple, une représentation légendaire qui donne son sens à l’histoire du peuple baoulé dont il justifie le mode de vie politique et social.

Pour l’Africain, le mythe est un récit qui présente deux types de représentation. D’une part, il y a celle qui met en scène des êtres surnaturels imbriqués dans la configuration extraordinaire de la nature et, d’autre part, celle qui diffuse les représentations d’humains aux valeurs surnaturelles. Le premier cas se prouve à travers le mythe de "Sanin" et "Kontron"4 sur lequel repose la société des chasseurs mandingues. Le deuxième type de mythe est celui d’Abla Pokou qui justifie le mode de vie politique et social du peuple baoulé.

1 Gusdorf (Georges), Mythe et métaphysique. Introduction à la philosophie, Paris Flammarion, 1953, pp.248-249 ; 2 Shelley (Mary), Frankenstein ou le Prométhée moderne, trad. et introduction de Germain d'Hangest, Paris, La Renaissance du livre, 1922, 247 3 Après le sacrifice de son enfant, la reine aurait prononcé : « Ba ouli » signifiant « L'enfant est mort » en signe d’expression du devoir accompli et de la dignité dans la douleur. C’est de cette expression que viendrait le nom « Baoulé ». Le peuple baoulé se trouve présentement au centre de la Côte D’Ivoire. Ce mythe présente des valeurs humaines telles que la sagesse, l’humilité. 4 Cissé (Y.), « Notes sur les sociétés de chasseurs malinké », in: Journal de la Société des Africanistes. 1964, tome 34 fascicule 2. pp. 175-226.

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L’homme cherche son image, ses aspirations, les justifications de ses angoisses dans des images symboliques que seul le mythe est en mesure de lui offrir. Dans la conscience collective africaine, il n’est pas qu’une fable et encore moins un conte. Il est un récit du réel trans-historique qui conserve, toujours intact, sa signification. En tant que tel, il est à la source des structures sociales et de leurs modes de fonctionnement. Les pratiques religieuses, les activités économiques et sociales et le mode de vie quotidienne ne trouvent leur justification que dans des récits mythiques et toujours actuels. Par exemple, les fêtes des ignames et de génération en pays Akan (Côte d’Ivoire) sont bien souvent liées à des mythes qui retracent la genèse des pratiques et des rites.

On peut donc relever que le récit mythique se rattache directement à des principes qui sont accessibles à la conscience collective qui s’y identifie. De ce fait, le mythe influence ou domine l’ensemble des manières de penser, les sentiments et les états de conscience des peuples. La croyance au mythe se justifie d’autant plus que ses symboles sont porteurs de vérité.

Tout comme dans le monde grec, dans les sociétés africaines, le mythe a une fonction d’information, d’explication et de formation. Dans le pays mandingue, la genèse de la pluie s’explique par le mythe de la dispute entre le Dieu de la pluie "Montogari" et le Dieu de la sécheresse, "Amontong". De cela découle l’explication du mode de vie de ce peuple5 qui s’articule autour des activités alternatives que sont l’agriculture saisonnière et l’élevage dans les zones où la pluviométrie est discontinue.

Toute la société africaine fonctionne suivant des considérations énigmatiques dont l’oralité est porteuse. Le mythe apparait alors comme le moyen par lequel les raisons fondatrices des situations actuelles, des comportements ou des organisations sociales et politiques sont connues. Les mythes retranscrits par Hampaté Bâ dans son œuvre Kaydara6 expriment la profondeur métaphorique et la portée effective de l’usage du mythe dans les sociétés traditionnelles africaines.

Dans la grande majorité des mythes africains, les êtres mis en jeu sont essentiellement des êtres naturels dont l’image est enrichie de qualités et d’actes surnaturels justifiant le rapport que l’homme entretient avec eux. Les éléments de la nature sont essentiellement tenus pour des symboles de la présence de forces fondatrices. Certains animaux sont ainsi présentés comme les ancêtres de groupes sociaux et de clans. Ou encore, ils sont pris pour des êtres historiquement liés à ces groupes en raison d’un acte de bienfaisance de ceux-ci à leur égard. Ce genre de considération justifie l’existence du totémisme en Afrique. Le totémisme est le modèle de comportement qui montre que le mythe, dans le monde africain fait une large place à la nature.

II-Le mythe et la nature en Afrique

En Afrique, le mythe ne peut être séparé des représentations générales de la pensée collective puisqu’il en constitue le fond structurant. La réalité pensée et vécue met directement l’homme en rapport avec la nature. Le mythe donne un sens au comportement que l’homme adopte vis-à-vis de son environnement naturel. Elungu saisit cette étroite connexion entre la vie humaine et la profondeur du mythe dans son œuvre

5 Jacques Berque, L'Orient second , Paris, Gallimard, 1970. 6 Hampâté Bâ (A.), Kaydara, Abidjan, N.E.A., 1983.

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intitulée Tradition africaine et rationalité. Pour lui, la culture est solidaire du mythe. De la vie à la mort, le mythe établit une liaison significative et cohérente entre les différentes étapes de la vie. Dans les représentations mythologiques africaines, le regard sur le monde est holiste. Il inclut la dimension de la socialité à celle qui se rapporte à la nature extrahumaine puis au monde invisible des ancêtres et des puissances spirituelles. « Cet univers synthétique, où la vie n’est pas mise en question, est l’univers de la tradition dominé par le mythe »7. La nature est omniprésente dans les représentations mythologiques parce qu’elle occupe une place essentielle dans la vie des hommes. Non seulement elle sert de réserve de ressources utiles à la subsistance, mais aussi d’habitat pour des forces surnaturelles autour desquelles s’articule l’ensemble des pratiques religieuses.

Pour Gadou Dakouri Mathias, il y a une dépendance génétique entre l’homme et la nature. Le mythe de la cosmogénèse africaine accorde à la nature une position axiale.

« Quatre éléments entrent dans la formation [du] monde. L’élément premier, c’est le Feu, énergie céleste, manifeste dans le chaud et le sec, correspondant à la saison sèche ; le feu engendre le deuxième élément, l’Air, manifeste dans le chaud et l’humide ; c’est de l’air que vient, sous forme de pluie, le troisième élément, l’Eau, synthèse de l’humide, du chaud et du sec, l’eau élément essentiel à la vie, vie fœtale, vie avant la vie, vie avant la vie extérieure ; de l’eau sort le quatrième élément, la Terre, autre synthèse des trois éléments. Enfin, de la terre sont nés par ordre chronologique, le végétal, l’ainé ; l’animal, le cadet ; et l’homme, le benjamin parmi les êtres animés »8.

La symbolique noire traditionnelle9 dont parle Elungu Pene Elungu Alphonse, présuppose une unité ontologique entre l’individu et sa société, entre le clan et l’univers naturel. La nature se présente à l’homme africain comme un réservoir de signifiants, de signes porteurs de messages cosmiques. Et c’est le mythe qui ouvre à la compréhension de l’univers et du sens de la relation de l’homme avec son environnement. Cet environnement que le symbolisme mythologique offre à la culture africaine est peuplé de vies. Les vies à caractère biologique sont rattachées à celles qui ont un caractère transcendantal comme celles des êtres surnaturels.

Dans ses Notes sur les sociétés de chasseurs malinké10, Youssouf Cissé évoque le mythe justificateur de l’existence et du fonctionnement de la société des chasseurs mandingues. Ce mythe établit le respect absolu du chasseur vis-à-vis de la nature considérée comme la mère nourricière pure récusant le viol que ses enfants pourraient commettre à son encontre. Le rapport du chasseur au gibier est emprunt de rituels manifestant ce respect ontologique de l’homme à l’égard de la nature. Pour Cissé, faire périr un être naturel est le tort suprême qu'on puisse causer à un vivant. Le chasseur, de

7 Elungu (P.E.A.), tradition africaine et rationalité moderne, Paris, l’harmattan, 1987, p.33. 8 Gadou Dakouri (M.), « La préservation de la biodiversité : les réponses de la tradition religieuse africaine » in the afican anthropologist, vol. 8, N° 2, 2001, p.181. 9 Elungu (P.E.A.), op.cit, p.50. 10 Cissé (Y.), « Notes sur les sociétés de chasseurs malinké », in: Journal de la Société des Africanistes. 1964, tome 34 fascicule 2. pp. 175-226.

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par ses activités, s'attire donc constamment le "Nyama"11 du gibier à l’occasion de sa mise à mort en dehors d'un sacrifice. C’est pour cela que les chasses sont précédées de rituels dans le but de respecter le formalisme sacrificiel de la chasse.

Ce respect s’exprime généralement par l’acte de sacralisation des lieux et des êtres naturels qui sont censés participer à la vie de la communauté. En effet, la nature en général et certains espaces en particulier (forêt, eau, montagnes) sont considérés comme l’habitat de dieux ou de forces surnaturelles. Cela leur confère le statut de sanctuaire. Aussi, certaines espèces sont-ils pris pour sacrées. Leur coexistence avec le clan est justifiée par des rapports transversaux bénéfiques au groupe. L’adoration a pour signification la reconnaissance de la communauté à l’égard des êtres qui les protègent et veillent à leur prospérité. Le totémisme est l’émanation d’une conscience ayant intégrée l’unité vitale entre les êtres de l’univers. Les silures sacrés de Dafra (Bobo-Dioulasso) et les caïmans sacrés de Bazoulé au Burkina Faso, les singes sacrés de Soko chez les Abrons et Koulangos de Côte d’ivoire sont considérés comme des êtres qui participent de façon effective à la vie des communautés12. Les mythes fondateurs de cette sacralisation incitent à respecter l’interdépendance entre tous les êtres.

En définitive, les communautés africaines ont des particularités certes, mais elles ont en commun la culture de l’intégration de la biosphère dans leur vie. Le regard que ces communautés portent sur la biosphère va au-delà des êtres mus par le système métabolique. La majorité des mythes sont axés sur des représentations d’êtres appartenant de façon indifférenciées au monde de l’invisible, à la nature physique et à la société humaine. Ce qui signifie que la nature physique est incluse dans un ensemble cohérent et interactif. Cette position lui donne toute la valeur que traduisent les différents mythes fondateurs des rapports des hommes avec les êtres et les espaces naturels.

Pour la conscience collective africaine la protection de la nature ne se pose pas comme une exigence purement pratique. Elle est un devoir ontologique dont le mythe peut servir à établir le fondement. Dans le contexte actuel de la modernité, cette fonction du mythe est-elle valide ? Peut-elle inciter l’homme moderne à s’engager pour la protection de la nature ?

III-Le mythe et la protection de l’environnement dans l’Afrique moderne

L’influence des mythes sur les consciences collectives dans les sociétés africaines pourrait laisser penser que la question de la protection de la nature ne se pose plus en Afrique. Il est évident que les mythes renferment des modèles de vie qui élèvent la nature au rang de valeur en soi impliquant l’obligation de la respecter. Cependant, une telle appréciation est contredite par la situation actuelle de la crise écologique mondialisée. Il existe des causes universelles à cette crise. Mais, les solutions peuvent être locales ou contextuelles.

Pour l’Afrique, les mythes peuvent encore servir de fondement à des actions protectrices de l’environnement. 11 Le "nyama" est un maléfice lié à un acte qui déshonore ou agresse de façon inconsidéré des êtres de la nature. Il est extensible aux espaces et aux plantes. (Cissé (Y.), « Notes sur les sociétés de chasseurs malinké », in: Journal de la Société des Africanistes. 1964, tome 34 fascicule 2. pp. 175-226. ) 12 Gadou Dakouri (M.), « La préservation de la biodiversité : les réponses de la tradition religieuse africaine » in the afican anthropologist, vol. 8, N° 2, 2001, p.189.

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La philosophie occidentale, avec Hans Jonas par exemple, donne la preuve que le recours au mythe, dans le but de fonder une éthique environnementale, doit être exploité. Pour Christophe Carlier et Nathalie Gritton-Rotterdam, cela est d’autant plus envisageable que :

« le mythe est une donnée essentielle de notre culture [occidentale], de notre réflexion et de notre imagination. À travers les époques et les civilisations, et de première antiquité aux analyses sociologiques contemporaines, des variations littéraires aux analyses de diverses tendances, les auteurs envisagent le développement de la pensée : celle qui forge des héros ou bâtit un système de valeurs »13.

En tant que porteur de valeurs, le mythe joue un rôle incitateur et inspirateur des conduites sociales.

Le mythe jonassien14 justifie la responsabilité de l’homme vis-à-vis d’une nature devenue fragile par le fait de l’action humaine. Pour Jonas, cette responsabilité n’est pas circonstancielle. Elle est ontologique. En s’abandonnant totalement dans la créature, Dieu a confié toute la responsabilité de la gestion du monde à l’homme. La liberté humaine se présente comme l’expression de cette décision.

« Tout se passe comme si, en créant le monde, et en créant à son tour l’homme et sa liberté, Dieu avait en grande partie renoncé à exercer son omnipotence, souhaitant laisser la création décider somme toute de ce qu’elle voulait faire d’elle-même »15.

La responsabilité de la protection de la nature n’émane pas de circonstances strictement historiques, mais d’une source ontologique. En fondant la responsabilité humaine sur le mythe, Jonas associe au discours rationnel une dimension imagée qui renforce la conscience du devoir vis-à-vis de la continuité de la vie. Le rapport au mythe peut servir l’intérêt de la vie dans sa totalité.

Tout comme dans les sociétés traditionnelles, le mythe jonassien n’est dépourvu de vérité. Il est fondateur d’un sens qui justifie la responsabilité ontologique à l’égard de la nature. D’ailleurs, l’usage du mythe par un penseur ou philosophe occidental est la preuve que le mythe est en train de renaitre de ses propres cendres et qu’il continue d’influencer le monde. Cette valeur à laquelle se rattache la conscience collective africaine n’est pas caduque ou inopérante dans la gestion de la nature.

Il est vrai que les sociétés cosmopolites africaines subissent l’influence de la modernité qui a profondément modifié les rapports de l’homme avec son environnement. Cependant, les crises relatives aux conflits foncier, montrent que « le droit moderne, selon Gadou, par la rationalisation et la sécularisation dont il est porteur, est

13 Christophe Carlier et Nathalie Gritton-Rotterdam, Des mythes aux mythologies, Paris, Éd. Marketing, 1994, p. 8. 14 Jonas explique la source de la responsabilité par un choix volontaire et insondable du divin de laisser le champ de la responsabilité au sujet humain. Dieu en s’exilant s’ôte le droit d’intervenir dans le cours de l’histoire naturelle et sociale. L’homme donc censé être celui par qui la tension entre l’être et le non-être doit être géré. 15 Hans Jonas, « Le combat pour la possibilité de la foi, Souvenirs concernant Rudolf Bultmann et réflexions sur les aspects philosophiques de son œuvre » in Entre le néant et l’éternité, traduit par Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Éd. Belin, 1996, p.168.

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naturellement et profondément inadéquat au contexte africain »16. La raison est que la relation de l’homme africain avec la nature est fondamentalement symbolique et de religieux.

L’exploitation des mythes fondateurs de la relation homme-nature, peut servir de repère à un nouvel engagement responsable pour protéger la biosphère contre la destruction. Il s’agit de tourner le dos à la conception qui fait de la nature, uniquement un gisement de ressources naturelles et d’énergie destinée à l’exploitation. Si la question du sacré est bien abordée, elle peut apparaitre comme l’axe essentiel pouvant induire beaucoup de réserve dans le comportement humain devant la possibilité d’une exploitation abusive de ces ressources. Jonas en donne un aperçu dans son mythe consigné dans Le concept de Dieu après Auschwitz17. Ce mythe est un discours qui permet de concevoir le sens du sacré. Deux aspects de la sacralité sont à prendre en compte. D’une part, la vie est considérée par Jonas comme sacrée et d’autre part, l’attitude de l’homme à son égard doit être emprunte de sacralité. La vie est certes une valeur biologique, mais, elle émane d’une transcendance qui l’ouvre à la sacralité. Cela explique la fondation, par Jonas, de la responsabilité humaine sur une cause métaphysique. L’environnement naturel n’est pas un artefact. Cela doit induire le respect de l’homme à son égard par delà l’usage qu’il peut en faire.

Dans les mythes cosmogoniques africains, ce principe de respect est acquis. Les lieux sacrés et les animaux sacrés sont préservés par des dispositions socioreligieuses articulées autour des mythes qui les fondent. Des personnes sont dépositaires du droit communautaire de veiller sur les valeurs sacrées. Des amendes sont prévues pour toute situation d’atteinte à l’intégrité et à la dignité de la nature. Il en est de même des rites et des cérémonies pour maintenir l’harmonie dans le rapport avec une nature, une nature que l’on agresse tout de même pour satisfaire les besoins de la communauté. Selon Youssouf Cissé, même dans le cas d’une intervention légitime au cœur de la nature, le principe de l’harmonie vital exige des rites et des cérémonies à l’endroit des êtres qui peuplent le milieu naturel. Le chasseur dans sa fonction originelle doit se plier à ces exigences, au risque d’être frappé de "Nyama" cet épouvantail contre l’abus et la vengeance. Le rapport à la nature est donc rythmé par les pratiques et les cérémonies expiatoires ou de reconnaissance.

En définitive, le mythe, parce qu’il influence encore les consciences africaines, même dans le contexte de la modernité, doit être tenu pour un moyen de protection de notre milieu de vie.

La Conférence mondiale sur la biodiversité tenue à Nagoya au Japon du 28 au 29 octobre 2010, a établi vingt cinq (25) principes18 en vue de la protection de la biodiversité mondiale. Ces principes conviennent qu’il faut laisser s’exprimer les convictions

16 Gadou Dakouri (M.), op.cit, p.179. 17 Jonas (H.), Le concept de Dieu après Auschwitz, une voix juive, Paris, Éditions Payot & Rivages, 1994, 81p. 18 Le Japon a hébergé du 18 au 29 octobre 2010, à Nagoya, la dixième Conférence des Parties (COP10) de la Convention sur la diversité biologique. Cette conférence a regroupé 193 pays signataires à l’exception des USA. Les principes se rapportant au respect des valeurs sacrées sont présentés en annexe du projet de convention dans un chapitre intitulé « Éléments d’un code de conduite éthique propre à assurer le respect du patrimoine culturel et intellectuel des communautés autochtones et locales présentant un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique ».

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culturelles telles que celle de la sacralisation des espèces animales, végétales et de sites particuliers. Ainsi, la proposition d’exploiter les mythes fondateurs de la culture africaine en vue de conduire à une gestion rationnelle de notre environnement n’est pas surannée.

Conclusion L’organisation et le fonctionnement des sociétés traditionnelles africaines sont

tributaires de récits mythologiques. Ces mythes font partie du quotidien des populations. Ils constituent l’axe fondamental des pratiques politiques, économiques, juridiques, sociales et religieuses.

Le fait commun aux mythes fondateurs africains est l’inextricable relation qu’ils établissent entre l’homme, la nature physique et le monde des forces invisibles. Le principe de la sacralisation des êtres et des espaces naturels s’enracine dans des considérations mythologiques. A partir du moment où n être a servi l’intérêt d’une communauté, il devient objet d’adoration pour la conscience collective. La valeur opératoire du mythe est sans conteste pour les consciences qui y adhèrent. Il incite les comportements sociaux et les régule.

La crise environnementale est devenue une préoccupation universelle. Les solutions proposées sont diverses. L’une des approches actuelles de la nature peut être fondée sur les spiritualités traditionnelles. Pour Jean Marie Pelt, c’est ainsi qu’on devra « retrouver notre place dans la nature, contracter une nouvelle alliance avec elle, reconstruire en son sein un équilibre (…) »19. Dans la structure spirituelle des africains, le mythe peut conduire à cet engagement en faveur du milieu naturel dont le respect ou la protection conditionne notre existence. La question est de savoir s’il est possible de créerde nouvelles formes de mythe et de sacralitésusceptiblesde protéger le milieu naturel dans le contexte africain moderne.

Références bliographiques Amadou Hampâté Bâ, Kaydara, Abidjan, N.E.A., 1978, 111pages Christophe Carlier et Nathalie Gritton-Rotterdam, Des mythes aux mythologies, Paris,

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Flammarion, 1953, 248-249 pages Hans Jonas, « La production d’image et la liberté humaine » in : Le phénomène de la

vie, traduit de l’anglais par Daniel Lories, Paris, Éd. De Boeck Université, 2001, 167-182 pages

Hans Jonas, « Le combat pour la possibilité de la foi, Souvenirs concernant Rudolf Bultmann et réflexions sur les aspects philosophiques de son œuvre » in Entre le néant et l’éternité, traduit par Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Éd. Belin, 1996, 145-174 pages

Hans Jonas, Le concept de Dieu après Auschwitz, une voix juive, traduit de l’allemand par Philippe Ivernel, Paris, Éd. Payot et Rivages, 1994, 73 pages

Hans Jonas, Le Principe responsabilité, traduction Jean Greish, Paris, Éd. du cerf, 1990, 336 pages

19 Jean Marie PELT, Nature et Spiritualité, Paris, Fayard, 2008, p.19.

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Jacques Berque, L'Orient second , Paris, Gallimard, 1970. 436pages Jean-Marie Pelt.- Nature et spiritualité, Paris, Fayard, 2008, 306 pages

Jean Noël Loucou et Françoise Ligier, La Reine Pokou, Nouvelles éditions africaines, 1977, 134 pages

Jean Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, Librairie François Maspero, 1965, 230 pages

Jean-Pierre Vernant.- Mythe et pensées chez les Grecs, Paris, Éd. La découverte, 1994, 428p.

Marcien Towa, L’idée d’une philosophie négro-africaine, Yaoundé, Clé, 1979, 119 pages

Marie Géneviève Pinsart, Jonas et la liberté, dimensions théologiques, ontologiques éthiques et politiques, Paris, Éd. J. Vrin, 2002, 336 pages

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Mathias Dakouri Gadou, « La préservation de la biodiversité : les réponses de la tradition religieuse africaine », in The african anthropologist, vol. 8, N° 2, 2001, 178-199pages

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Société des Africanistes. 1964, tome 34, fascicule 2. 175-226pages Mohamed Larbi Bouguerra.- « Le rôle des croyances dans la protection de l'environnement » in

http://www.institut.veolia.org/nos-activites/archives/autres-etudes-avec publication/rapport-n5-symbolique-et-culture-de-leau/mythes-cosmogonies-symbolique-et-culture-de-leau/le-role-des-croyances-dans-la-protection-de-lenvironnement.html. Consulté le 26/09/2013 à 19h20