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N° 2016 -2 Fondateur Pr Robert NEMEDEU

N° 2016 - 2LE NEMRO REVUE TRIMESTRIELLE DE DROIT ECONOMIQUE 2016-2 FONDATEUR : Pr Robert NEMEDEU Agrégé des Facultés de Droit Diplômé de l’Ecole du Barreau de Paris (EFB) 1er

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N° 2016 - 2

Fondateur

Pr Robert NEMEDEU

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LE NEMROREVUE TRIMESTRIELLE DE DROIT ECONOMIQUE

2016-2

FONDATEUR :

Pr Robert NEMEDEU

Agrégé des Facultés de Droit

Diplômé de l’Ecole du Barreau de Paris (EFB)

1er Vice - Président du CTS Sciences juridiques et Politiques du CAMES

Université de Yaoundé II - Cameroun

REDACTEUR EN CHEF :

Pr Eloie SOUPGUI

Agrégé des Facultés de Droit

Université de Yaoundé II - Cameroun

REDACTEUR EN CHEF-ADJOINT :

Pr Serge Patrick LEVOA AWONA

Agrégé des Facultés de Droit

Université de Ngaoundéré – Cameroun

CONCEPTION

UGC Yaoundé

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LE NEMROREVUE TRIMESTRIELLE DE DROIT ECONOMIQUE

2016-2

COMITE D’HONNEUR

Pr GBAGUIDI A. Noël, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Université

d’Abomey-Calavi, Bénin

Pr BOKALLI Victor-Emmanuel, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Ancien

Doyen de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Yaoundé II

Pr JOGBENOU Joseph, Agrégé des Facultés de Droit, Université d’Abomey - Calavi, Ministre

de la Justice, Bénin

Pr MINKOA SHE Adolphe, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Vice-Recteur,

Université de Yaoundé II

Pr MODI KOKO Désiré, Agrégé des Facultés de Droit, Doyen de la Faculté des Sciences

Juridiques et Politiques, Université de Dschang, Cameroun

Pr NDIOUF Ndiaw, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Ancien Doyen de la

Faculté de Droit, Université Check Anta DIOP de Dakar, Sénégal

Pr RONTCHESKY Nicolas, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Université de

Strasbourg, France

Pr SAWADOGO Michel Filiga, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Université

OUAGA II, Ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de

l’innovation, Burkina Faso

Pr SOSSA Dorothé Cossi , Agrégé des Facultés de Droit, Université d’Abomey-Calavi, Bénin,

Secrétaire Permanent de l’OHADA

Pr STORCK Jean-Patrice, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Université de

Strasbourg, France

Pr STORCK Michel, Professeur Titulaire, Université de Strasbourg, France

Pr TSAFACK NANFOSSO Roger, Agrégé des Facultés des Sciences Economiques et de gestion,

Professeur Titulaire, Recteur de l’Université de Dschang, Cameroun

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LE NEMROREVUE TRIMESTRIELLE DE DROIT ECONOMIQUE

2016-2

COMITE SCIENTIFIQUE :

Dr ABA’A OYONO Jean - Calvin, Chargé de cours, Université de Yaoundé II, Cameroun

Dr MEBENGA Mathieu, Chargé de cours, Université de Yaoundé II, Cameroun

Pr AGBENOTO Koffi Mawunyo, Agrégé des Facultés de Droit, Université de Kara, Togo

Pr CAMARA Bakary, Agrégé des Facultés de Droit, Doyen de la Faculté de Droit, Université de

Bamako, Mali

Pr DECKON KUASSI François, Agrégé des Facultés de Droit, Doyen honoraire de la Faculté de

Droit, Université de Lomé, Togo

Pr DIFFO TCHUIKAM justine, Maître de conférences, Université de Yaoundé II, Cameroun

Pr FOMETEU Joseph, Professeur Titulaire, Université de Ngaoundéré, Cameroun

Pr GATSI Jean, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Université de Douala,

Cameroun

Pr GUIMDO Bernard-Raymond, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Université

de Yaoundé II, Cameroun

Pr JAMES Jean-Claude, Agrégé des Facultés de Droit, Doyen de la Faculté de Droit, Université

Omar Bongo, Libreville, Gabon

Pr JIOGUE Grégoire, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Université de

Yaoundé II, Cameroun

Pr KALIEU ELONGO Yvette Rachel, Agrégée des Facultés de Droit, Professeur Titulaire,

Université de Dschang, Cameroun

Pr KUATE Sylvain, Maître de conférences, Université de Yaoundé II, Cameroun

Pr LOKO-BALOSSA Elie Joseph, Maître de conférences, Université Marien Ngouabi,

Brazzaville, Congo

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LE NEMROREVUE TRIMESTRIELLE DE DROIT ECONOMIQUE

2016-2

Pr MBAYE Mayatta Ndiaye, Agrégé des Facultés de Droit, Université Check Anta Ndiop de

Dakar, Sénégal

Pr MEVOUNGOU TSANA Roger, Professeur Titulaire, Université de Yaoundé II, Cameroun

Pr MIENDJIEM Léopold, Agrégé des Facultés de Droit, Université de Dschang, Cameroun

Pr MONEYANG NANDJIP Sara, Maître de conférences, Université de Douala, Cameroun

Pr MOUTHIEU NJANDEU Monique-Aimée, Agrégée des Facultés de Droit, Université de

Yaoundé II, Cameroun

Pr NGNINTEDEM Jean-Claude, Maître de conférences, Université de Ngaoundéré, Cameroun

Pr NSIE Etienne, Agrégé des Facultés de Droit, Université Omar Bongo, Libreville, Gabon

Pr NTONO TSIMI Germain, Agrégé des Facultés de Droit, Université de Yaoundé II,

Cameroun

Pr PEKASSA NDAM Gérard, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Université de

Yaoundé II, Cameroun

Pr PODAR Adama, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Vice-Président,

Université de Kara, Togo

Pr TCHAKOUA Jean-Marie, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Université de

Yaoundé II, Cameroun

Pr TIMTCHUEMG Moïse, Agrégé des Facultés de Droit, Université de Dschang, Cameroun

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LE NEMROREVUE TRIMESTRIELLE DE DROIT ECONOMIQUE

2016-2

COMITE DE REDACTION :

Dr AMOUGUI Pulchérie Chantal, Chargée de cours, Université Catholique d’Afrique Centrale,

Yaoundé

Dr BATOUAN Joseph-Alain, Chargé de cours, Université de Yaoundé II

Dr BEM LISSOUK, Chargé de cours, Université de Yaoundé II

Dr ETOULA ESSOH Clotilde, Assistante, Université de Buéa

Dr GATCHOUP TCHINDA Désiré, Chargée de cours, Université de Yaoundé II

Dr GUEDEGBE Samson Igor Bidossessi, Maître assistant, Université d’Abomey- Calavi, Bénin

Dr KAGOU KENNA Patrice Hubert, Assistant, Université de Dschang

Dr OMGBA MBARGA Augustin, Chargé de cours, Université de Yaoundé II

Dr WANDJI Alain Douglas, Chargé de cours, Université de Yaoundé II

M. MAHOUAIN Salifou, Assistant, Université de Yaoundé II

RESPONSABLES RUBRIQUES :

I - Question d’actualité : Pr Robert NEMEDEU

II - Législation : Pr Eloie SOUPGUI

III - Doctrine : Pr Serge Patrick LEVOA AWONA

IV - Jurisprudence

o Jurisprudence annotée : Pr Robert NEMEDEU

o Chronique de jurisprudence

Droit commercial général : Pr Moïse TIMTCHUENG

Droit de l’arbitrage : Pr Robert NEMEDEU

Droit de la concurrence : Pr Grégoire JIOGUE

Droit de la consommation : Dr Chantal AMOUGUI

Droit des assurances : Pr BOKALLI Victor Emmanuel

Droit des contrats : Pr Yvette KALIEU ELONGO

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LE NEMROREVUE TRIMESTRIELLE DE DROIT ECONOMIQUE

2016-2

Droit des investissements : Pr DIFFO TCHUIKAM Justine

Droit des marchés financiers : Dr Désiré NGATCHOUP

TCHINDA

Droit des marchés publics : Dr Jean-Calvin ABA’A OYONO

Droit des procédures collectives : Pr Sara NANDJIP

MONEYANG

Droit des sociétés commerciales : Pr Monique Aimée

MONTHIEU

Droit des sûretés : Pr Eloie SOUPGUI

Droit des transports : Pr Jean-Claude NGNINTEDEM

Droit du travail et de la prévoyance sociale : Pr Isidor

MIENDJIEM

Droit fiscal : Pr Gérard PEKASSA NDAM

Procédures simplifiées de recouvrement des créances et

voies d’exécution : Pr Sylvain KUATE

Propriétés intellectuelles : Pr Joseph FOMETEU

V - Droit pratique : Me Hyppolite Bertin TIAKOUANG MELI, avocat

VI – « Ont soutenu » : Dr KAGOU KENNA Patrice Hubert

VII - « Lu pour vous » : M. MAHOUAIN Salifou

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LE NEMROREVUE TRIMESTRIELLE DE DROIT ECONOMIQUE

2016-2

CADRE DE PUBLICATION

Tout article soumis pour publication doit être rédigé en format Microsoft Word (2007minimum) et respecter la police de caractères suivante :

Nom de la police : calibri

Taille des caractères : 12

Interligne : 1,5

Tout article doit être accompagné d’un résumé en français et en anglais et envoyé àl’adresse suivante : [email protected]

La revue s’engage à publier les résumés des meilleures thèses soutenues dans le domaine dudroit économique. Elle entend contribuer ainsi à la vulgarisation des résultats des activitésscientifiques nombreuses que nous organisons dans nos universités.

L’auteur s’engage en retour à ne pas publier son article dans une autre revue, au moins,durant la période nécessaire à l’expertise, et définitivement, lors que son texte est retenu.

Le rédacteur en chef

Pr Eloie SOUPGUI

Agrégé des Facultés de Droit, Université de Yaoundé II

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LE NEMROREVUE TRIMESTRIELLE DE DROIT ECONOMIQUE

2016-2

SOMMAIRE

QUESTION D’ACTUALITE............................................................................................................................................................. 1

Les décisions rendues par la Commission des Marchés Financiers (CMF), irrégulièrement composée, sont-elles valides ?,Pr Robert NEMEDEU, Agrégé des Facultés de droit, FSJP/Université de Yaoundé II ............................................................. 1

LEGISLATION............................................................................................................................................................................... 5

DOCTRINE................................................................................................................................................................................... 6

De la faute de gestion au détournement de deniers publics : Réflexion sur la collusion des justices pénale etadministrative en droit camerounais, Dr Jean-Calvin ABA’A OYONO, Chargé de Cours à la Faculté des Sciences Juridiqueset Politiques de l’Université de Yaoundé II – SOA (Cameroun) ............................................................................................. 6

La réforme mort-née de la commission consultative en matière foncière et domaniale au Cameroun, ASSONTSA Robert,Docteur/Ph. D en droit privé des universités de Dschang et de Strasbourg, Chargé de Cours à la FSJP de l’Université deDschang, Maître-assistant du CAMES.................................................................................................................................. 28

LIBRES PROPOS SUR LA RÉALITÉ DE L’ATTRACTIVITÉ DU DROIT DES AFFAIRES DANS L’ESPACE OHADA, Dr. BILONG NKOHFrancis Riche, Chargé de Cours à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Maroua (Cameroun) 53

JURISPRUDENCE - MARCHES FINANCIERS ................................................................................................................................ 82

1°) DECISIONS DE SANCTIONS DE LA CMF A L’ENCONTRE D’OPERATEURS RESPONSABLES DE MANQUEMENTS ETIRREGULARITES DANS LE DEROULEMENT DE L’EMPRUNT DE L’ETAT DU CAMEROUN ‘’ECMR NET 5,6% 2010-2015’’ ...... 82

DECISION DE SANCTION DE LA COMMISSION DES MARCHES FINANCIERS A L’ENCONTRE DE BANQUE ATLANTIQUE S.A......................................................................................................................................................................................... 82

« La Commission des Marchés Financiers (CMF) dans un exercice de pédagogie discutable voire critiquable » (Apropos des décisions de sanction à l’encontre des opérateurs responsables de manquements et irrégularités dans ledéroulement de l’emprunt obligataire de l’Etat camerounais : le cas de la Banque Atlantique), observations Pr RobertNEMEDEU, Agrégé des Faculté de Droit, FSJP/Université de Yaoundé II........................................................................ 88

2°) DECISIONS DE SANCTIONS DE LA CMF A L’ENCONTRE D’OPERATEURS RESPONSABLES DE MANQUEMENTS ETIRREGULARITES DANS LE DEROULEMENT DE L’EMPRUNT DE L’ETAT DU CAMEROUN ‘’ECMR NET 5,6% 2010-2015’’ ...... 97

Commission des marchés Financiers. Décision de sanction de la Commission des Marchés Financiers à l’encontre deDouala Stock Exchange (DSX). ........................................................................................................................................ 97

Commission des Marchés Financiers. Décision de sanction de la Commission des Marchés Financiers à l’encontre de :Afriland First Bank SA ; Citibank SA et Société Générale de Banques au Cameroun SA (les membres du consortium) 107

«DECISIONS CMF c/ DSX ; CMF c/ CONSORTIUM AFRILAND FIRST BANK SA, CITI BANK SA et SGBC SA : une avancée dela CMF dans la maitrise des exigences du mécanisme du marché financier », observations Dr GATCHOUP TCHINDADésiré, chargée de cours, FSJP/Université de Yaoundé II ............................................................................................. 124

« ONT SOUTENU ».................................................................................................................................................................. 138

Lu pour vous........................................................................................................................................................................... 143

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LE NEMROREVUE TRIMESTRIELLE DE DROIT ECONOMIQUE

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1

QUESTION D’ACTUALITE

Les décisions rendues par la Commission des Marchés Financiers (CMF),irrégulièrement composée, sont-elles valides ?, Pr Robert NEMEDEU, Agrégé desFacultés de droit, FSJP/Université de Yaoundé II

Dans l’organisation du marché financier camerounais, le législateur camerounais a fait de la

Commission des Marchés Financiers (CMF) le gendarme. A ce titre, elle est dotée d’un large

pouvoir pour « veiller à la protection de l’épargne investie en valeurs mobilières et dans tous

les autres placements donnant lieu à l’appel public à l’épargne ».

Pour ce faire, elle cumule légalement plusieurs pouvoirs : édiction des normes applicables au

marché ; en cas de fautes commises sur le marché, elle enquête, juge et sanctionne. Ce

cumul de fonctions ne saurait être à l’abri de la critique. Cependant, la loi encadre l’exercice

de ces pouvoirs : d’une part, en instituant une soumission à la tutelle (Ministère des

Finances) et une collaboration avec l’entreprise de marché (le DSX) ; d’autre part, en

exigeant d’elle l’impartialité ; l’indépendance de ses membres et leur soumission ainsi que

les collaborateurs et mandataires au respect du secret professionnel.

Qui dit autorité de contrôle entrevoit un besoin d’indépendance et d’autonomie. A l’image

de la SEC aux Etats Unis et de l’AMF en France, les membres de la CMF sont nommés par

décret présidentiel pour un mandat de 5 ans renouvelable une fois1. Les premiers membres

ont été nommés en 2001 et ont vu leur mandat renouvelé en 20072. Par deux décrets

1 L’article 16 al.1 de la loi n°99/015 du 22 décembre 1999 portant création d’un marché financier

2 Décret n° 2007/150 du 31 mai 2007 portant renouvellement du mandat du Président de la Commission des

Marchés Financiers ; Décret n°2007/149 du 31 mai 2007 portant nomination des membres de la Commission

des Marchés Financiers.

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présidentiels datant du 29 juin 20163, la Commission vient d’être renouvelée. Cependant, il

faut relever que depuis 2012, la Commission a fonctionné dans l’irrégularité, avec des

membres aux mandats caducs. Il se pose la question de savoir si pendant ce temps, les

membres avaient encore qualité pour siéger, encore mieux, si les décisions prises depuis lors

sont-elles valides?

La question est d’importance pratique et d’un grand intérêt juridique. Dans la pratique

administrative au Cameroun, on devient coutumier du phénomène des hauts responsables

nommés par décret présidentiel, qui au terme de leur mandat, restent en fonction jusqu’au

décret les remplaçant. L’argument le plus prosaïquement avancé est que seul le décret peut

évincer un autre décret.

Juridiquement parlant, une autorité administrative indépendante, qui a reçu délégation de

pouvoir d’édiction des normes, d’enquête et de sanction, doit pourvoir jouir d’une légitimité

qui ne saurait souffrir d’un quelconque doute. Ceci pour inspirer de la sérénité et donner du

crédit aux décisions prises à l’encontre des acteurs du marché ; mais aussi, pour fonder la

validité desdits actes.

Dans le cas de la CMF, du fait de la caducité des mandats de ses membres entre juin 2012 et

le 28 juin 2016, ces derniers n’avaient plus qualité, par ricochet, la CMF devenait

irrégulièrement constituée. Les décisions prises pourraient être annulées par le juge

administratif pour composition irrégulière de la Commission. La chambre administrative de

la Cour suprême a rendu une abondante jurisprudence4 dans ce sens, précisément, lorsque

des personnes n’ayant pas qualité ont siégé dans l’organe disciplinaire ayant rendu la

33 Décret n°2016/269 portant nomination du président de la Commission des Marchés financiers du 29 juin2016 ; décret n°2016/270 portant nomination des membres de la Commission des Marchés Financiers du 29juin 2016.

4 CA/CS arrêt n°14, CFJ/AP, 18 mars 1969, Moukoko James Emmanuel c/ Etat du Cameroun Oriental : « Attenduque Moukoko conteste la régularité de la composition du conseil de discipline qui comprenait deux ingénieursau lieu de deux administrateurs civils, comme le prescrit l’article 4 du décret n°86 du 6 avril 1960, appartenantau cadre des administrateurs principaux qui auraient pu être désignés pour composer ce conseil » ; JugementADD n°49/94/95 CA/CS, 21 avril 1995, Nguenevit c/ Etat du Cameroun.

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décision contestée. Dans l’arrêt Monkam André c/ Etat du Cameroun5, un attendu principal

le confirme : « Considérant que certains membres du conseil tels MM. Balepa Martin,

Konguep Thomas et Ngwandoua Lionnel ne pouvaient valablement y siéger n’ayant été ni

élus, ni nommés conformément à l’article 27 (2) du décret de 1975 précité…Par ces motifs,

article 1 : le recours est recevable ; article 2 : il est fondé et par conséquent, l’arrêté

n°001794 du 20 avril 1992 est annulé ».

Dès lors que les décisions de la CMF peuvent être attaquées devant la chambre

administrative de la Cour suprême, on ne serait pas surpris par l’annulation desdites

décisions prises depuis l’expiration du mandat de ses membres.

Bien évidemment, il y a de forte chance que ce rendez-vous du droit soit manqué, et ce,

pour des raisons tirées de la jurisprudence et des considérations pratiques.

On peut envisager l’hypothèse dans laquelle la chambre administrative opposerait, à ceux

des demandeurs au pourvoi, le fait de n’avoir pas contesté devant la CMF la régularité de sa

constitution ou de n’avoir fait la moindre réserve6.

Par ailleurs, la CMF a exempté certains justiciables de sanction. Et aussi, ceux d’entre eux qui

auraient pu attaquer la décision sont, en quelque sorte, des démembrements de l’Etat. On

comprend que l’Etat s’auto-attaque difficilement, et encore moins, devant le juge

administratif camerounais.

Toutefois, dans une approche pragmatique, qu’aurait dû faire la CMF, consciente de la

caducité des mandats de tous ses membres ? Ne pas statuer sur les cas de malversations ; ne

pas continuer à jouer son rôle de gendarme du marché et laisser le marché faire avec des

5 CS. Chambre Administrative, Jugement ADD n°31/94/95 du 21 avril 1995.

6 CS/CA, arrêt n°14 du 10 mars 1969, Moukoko James Emmanuel c/ Etat du Cameroun Oriental, Arrêts del’Assemblée Plénière de la Cour Fédérale de Justice, p. 46 : « Le fonctionnaire qui comparaît devant le Conseilde discipline sans contester la régularité dudit Conseil, ni faire la moindre réserve, est non recevable à seprévaloir par la suite des vices de forme résultant de la composition irrégulière de ce conseil ou du défaut decommunication intégrale de son dossier personnel ».

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pratiques peu orthodoxes ? Oui sur le plan juridique, elle aurait dû surseoir à statuer en

attendant la nouvelle Commission, tout en gérant les affaires courantes. Bien évidemment,

la prise des décisions de sanction ne saurait relever des affaires courantes. Le pragmatisme

aurait inspiré l’option pédagogique de la CMF : s’il y a recours devant la chambre

administrative, la décision pourrait être annulée ; si le justiciable ne formule pas de recours,

le marché aurait gagné en sécurité.

En droit comparé des marchés financiers, pour éviter la survenance de tels scénarii, les

mandats des membres de l’autorité de contrôle du marché n’expirent pas au même

moment, ce qui fait que la Commission aurait pu légalement continuer à statuer avec ceux

des membres aux mandats encore valides. La raison est simple : le marché continue de

fonctionner. Espérons qu’une approche moins « administrative » de la part des autorités

camerounaises sera implémentée en ce qui concerne le marché financier !

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LEGISLATION

1°) Loi n°2016/010 du 12 juillet 2016 régissant les Organismes de Placement Collectif enValeurs Mobilières au Cameroun (OPCVM)

2°) Loi n°99/015 du 22 décembre 1999 portant création et organisation d’un marchéfinancier au Cameroun

3°) Règlement général de la bourse de valeurs mobilières d’Afrique Centrale (BVMAC)

4°) Règlement général relatif à l’organisation, au fonctionnement et au contrôle du marchéfinancier régional de l’UMOA

5°) Règlement intérieur de l’Association Professionnelle des Prestataires de Servicesd’Investissement (APPSI)

6°) Instruction n°45/2011 relative à l’organisation, au fonctionnement et la gestion desOrganismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières (OPCVM) sur le marché financierrégional de l’UMOA

7°) Instruction générale n°002/CMF/04 relative à la note d’information exigée des émetteursfaisant appel public à l’épargne

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DOCTRINE

De la faute de gestion au détournement de deniers publics : Réflexion sur lacollusion des justices pénale et administrative en droit camerounais, Dr Jean-CalvinABA’A OYONO, Chargé de Cours à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Universitéde Yaoundé II – SOA (Cameroun)

RESUME

Le mécanisme de contrôle, quelle qu’en soit la nature politique, administrative ou juridictionnelle, estconsubstantiel à la gestion de res publica. Il apparaît dès lors naturel que le service public fonctionne, en amont,en conformité avec l’ensemble des balises normatives qui, par ailleurs, instituent, en aval, des techniques degaranties d’implémentation de la juridicité administrative. Et la fortune publique, très peu connue sousl’expression de « l’argent du contribuable » dans le jargon public camerounais, doit prioritairement et sansconteste être soumise à pareille logique de contrôle, car il y va de la propriété collective et non pointindividuelle. Cependant, là où le bât blesse, c’est que le système national de gouvernance financière est obnubilépar la répression loufoque du gestionnaire des crédits publics au détriment de la garantie du droit à la justice.Les modalités par lesquelles s’opère le contrôle juridictionnel du maniement des fonds publics expriment cequ’il est loisible de qualifier d’hystérie institutionnelle.

Si la justice pénale, par le truchement du nouveau code de procédure pénale, se saisit déjà de l’actejuridique ou matériel de gestion des crédits publics sur la base de l’infraction présumée de détournement desdeniers publics, il en va concomitamment de la justice administrative qui, au moyen de la faute de gestioncontenue dans la décision de débet, permet parallèlement de déployer une autre procédure administrativecontentieuse pour un fait exclusif.

Un tel glissement de la faute de gestion à l’infraction de détournement de deniers publics estmanifestement liberticide dès lors qu’il met en péril la sécurité juridique. Le double contrôle juridictionnel quien résulte constitue un cliché à corriger, surtout qu’en la matière n’existe point un dialogue des juges quipermette au judiciaire d’interrompre des poursuites si son homologue administratif annule la décision de débetou alors que l’instance pénale tienne en l’état celle relevant de la procédure administrative contentieuse.

ABSTRACT

The control mechanism, whatever the political, administrative or judicial, is consubstantial with themanagement of respublica. It appears therefore natural that the public service operates upstream incompliance with all standards-tags, also establish downstream guarantees of technical implementation of theadministrative juridicity. And public wealth, very little known by the term "taxpayer money" in the Cameroonianpublic jargon must primarily and unquestionably be subject to such control logic, because it is in the collectiveproperty and not individual.

However, where the rub is that the national financial governance system is obsessed with crazyrepression manager of public funds to the detriment of guaranteeing the right to justice. The ways in which

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judicial review of the handling of public funds operates speak it is permissible to qualify for institutionalhysteria.

If Criminal Justice, through the new Code of Criminal Procedure, already seized of the legal act or publicfunds management hardware on the basis of the alleged offense of embezzlement of public funds, so does theconcomitantly administrative justice, through the fault of management in the decision of debit balance, allowsparallel to deploy another administrative procedure for exclusive makes.

Such a shift from mismanagement to the offense of embezzlement of public funds is obviouslydraconian when it endangers legal certainty. The dual judicial review resulting is a cliché to correct, especially inthe matter does not exist a dialogue that allows judges to court to stop proceedings if its administrativecounterpart aside the decision of debit balance or when the criminal proceeding takes in the state that underthe administrative procedure.

1- La règle de droit, quelle qu’en soit la présentation textuelle ou alors le versant deprincipe général du droit7, relève incontestablement de la chose juridique inanimée, d’une

7 Esquisser une dynamique de l’expression, en droit administratif français, notamment, est toujours utile à quiveut comprendre de quoi il retourne. Le juge administratif est un faiseur de la norme juridique. L’affirmationtient à ce que le droit administratif n’est pas contenu dans un code, au sens où l’est le droit civil. Un texte de loin’ayant pas fixé ses concepts de base ainsi que ses articulations fondamentales, il est progressivement revenuau juge du contentieux administratif d’endosser les attributs de jurislateur. Maurice Hauriou, dans un articleintitulé « La formation du droit administratif », publié en 1892 à la R.G.D.A, affirmait en effet : « Le Conseild’Etat s’est trouvé dans une situation exceptionnelle : le juge définitif de tout le contentieux administratif… ilétait en même temps juge prétorien grâce à l’absence de codification ».

Un principe général du droit est une « appellation contrôlée », pourrait-on faire observer par emprunt devocabulaire, car il est simplement voisin et ne s’identifie pas aux « principes fondamentaux » des matières dontl’énumération est réservée à la loi conformément à l’article 34 de la Constitution du 04 octobre 1958, ni avecles « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » qui sont d’essence textuelle et de valeurconstitutionnelle (La « reconnaissance » des principes généraux du droit par le Conseil Constitutionnel estcontenue dans un article de Georges Vedel intitulé « Réflexions sur quelques apports de la jurisprudence duConseil d’Etat à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel », Mélanges CHAPUS, publié en 1992, pp.662 et s.).

Dans un arrêt de section en date du 05 mai 1944, Dame veuve TROMPIER-GRAVIER (Rec. p. 133 ; D. 1945,p.110, Cl. Bernard CHENOT, note Jean de SOTO ; R.D.P, 1944, p.226, Concl., note Gaston JEZE), l’annulation duretrait par le préfet de la Seine, de l’autorisation en vertu de laquelle une marchande de journaux, soncommerce dans un des kiosques du Boulevard Saint-Denis à Paris, avait érigé « le respect des droits de ladéfense » en principe général sans être nommé comme tel. La toute première mention expresse « des principesgénéraux du droit » a remarquablement coïncidé avec le moment exact de l’acte de naissance du droitadministratif, le célèbre arrêt Blanco du 08 février 1873, Dugave et Bransiet (Rec., 1er suppl… p.70). Laconsolidation « des principes généraux du droit applicables même en l’absence des textes », tirés en l’espèce del’interdiction de prononcer une sanction disciplinaire sans que l’intéressé ait été mis en mesure de présenterutilement sa défense, interviendra avec l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat Aramu et Autres en date du 26octobre 1945 (Rec., 213 ; D. 1946, p.58, note G. Morange, E.D.C.E 1947, n°1, p.48, Concl. Raymond ODENT, S.1946, 3.1., Concl.).

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donnée n’ayant aucunement conscience de son existence. L’activité juridique du constituant,du législateur ou de l’administrateur n’a de valeur opérationnelle que dans la mesure où lesdestinataires de la production normative se résolvent à en donner un sens. De la mêmemanière, le droit jurisdit, opportunément appelé jurisprudence, parce qu’elle émerge du« silence des textes ou au titre de leur interprétation (permettant de fixer) dans certains casles principes généraux en la matière »8, survit, en transcendant la virtualité, par la volonté dujusticiable débouté à se détourner de la fuite devant l’obligation d’exécution.

2- Cette dépendance de la réalisation du droit à l’action de l’homo, qui constitue uneinversion de rapport de sujétion requis dans l’Etat de droit policé, a été clairement expriméepar le jurisconsulte et philosophe du droit Jean-Marie Etienne PORTALIS, de la façon la plussimple et limpide qui soit : « Les lois dès qu’elles sont faites, une fois qu’elles sont rédigées,demeurent telles qu’elles ont été écrites. Les hommes au contraire, ne se reposent jamais, ilsagissent toujours et ce mouvement produit à chaque instant quelques combinaisonsnouvelles, quelques faits, quelques résultats nouveaux »9 . Le débat mené sur « Le nouveaucode de procédure pénale à l’épreuve des faits », à l’occasion d’un colloque10, vient enrésonnance audible de la pensée illuminée d’actualité.

3- Au-delà de cette considération d’entame, un questionnement séquencé ethorizontal, afférent à la qualification du champ d’analyse puis de l’auteur, peut davantageservir à alimenter la rampe de lancement.

4- L’implémentation du Nouveau Code de Procédure Pénale intéresse-t-ilfondamentalement le juriste administrativiste ? L’intrusion d’un publiciste à l’outillageintellectuel forcément bourgeonnant et rudimentaire est-elle raisonnablement de nature àimpulser la dynamique scientifique du roc privatiste ? N’y apparaît-il pas comme un cheveu

L’ensemble des diverses éditions de ses « Cours de droit administratif » permet de convenir avec JacquelineMorand-Deviller, à titre de clarification conceptuelle, qu’ « il s’agit des principes non écrits, non expressémentformulés dans les textes mais qui, dégagés par le juge et consacrés par lui, s’imposent à l’administration dansses diverses activités » (Voir, par exemple, 11ème édition, Montchrestien, Paris, 2009, p.309). Patrick GOFFAUX,dans sa forme expressive de « Principe général de droit », restitue le même fond de définition en parlant de« règle de droit non écrite que le juge dégage, soit d’une ou plusieurs règles écrites qu’il perçoit comme étantautant d’expressions particulières de ce principe général, soit, en l’absence de telles règles, de l’économie dusystème juridique ou de la volonté implicite du constituant, du législateur ou de l’autorité réglementaire »(Dictionnaire Elémentaire de droit administratif, BRUYLANT, 2006).

8 Extrait de préface de Jean-François LACHAUME au « Mémento de la jurisprudence administrative duCameroun » de Salomon BILONG, Presses Universitaires de Dschang (P.U.D), Editions Les clés, 1ère édition,Septembre 2014, p. VII.

9 Cité par CARBASSE (J.M), Introduction historique au droit, PUF, Paris, 2001, 3ème édition, p.354.

10 Tenu à l’Université de Yaoundé II, les 13 et 14 novembre 2015 sous l’égide du Centre d’Etudes Judiciaires, laprésente contribution, apparemment dépourvue de tout lien direct avec le thème central, fut honorée de laprimeur des interventions scientifiques.

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dans la soupe ? D’emblée, on y répond par la négative relativement aux deux précédentesquestions. Cependant, en marge du clivage de la science juridique, en passant par lessubdivisions internes de chacune des partitions de la summa divisio droit public et droitprivé, la facilité avec laquelle le législateur et l’autorité règlementaire ont institué uneimbrication ou passerelle manifeste entre ce qu’il est convenu de nommer la faute degestion, relevant du droit administratif, et « l’infraction pénale » de détournement desdeniers publics11 permet de fédérer ces éléments du diptyque en unifiant la réflexion sur ledroit.

5- Telle une antienne captivante, on s’oblige à diriger sans détour le regard vers lasymphonie juridique tirée de la lettre des dispositions pertinentes combinées des loi n°74/18du 05 décembre 1974 relative au contrôle des ordonnateurs, gestionnaires et gérants descrédits publics et des entreprises d’Etat, modifiée par la loi n°76/4 du 08 juillet 1976 etdécret n°2008/028 du 17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil deDiscipline Budgétaire et Financière. Ici et là, à quelques banales nuances terminologiquesprès, les articles 11 (nouveau) paragraphe 3 et 17, alinéa 3 disposent : « si l’instruction fait(ou) laisse apparaître des faits susceptibles d’être qualifiés de délits ou crimes, le président duConseil transmet le dossier à l’autorité judiciaire. Cette transmission vaut plainte au nom del’Etat, de la collectivité publique ou de l’entreprise publique ou de l’organisme public ouparapublic concerné contre l’agent mis en cause ».

6- De quels « faits » punissables s’agit-il exactement et quels sont les « gens de justice »habilités à en connaître ? C’est du reste ce stade du questionnement qui convieinéluctablement l’administrativiste néophyte ou béotien à l’échange à très haute intensitépénaliste12.

7- Dans le premier cas, il s’agit, ab initio, de la faute de gestion qui, par la suite, opèreun glissement insidieux vers le détournement de deniers publics, et politiquement voulucomme tel au regard des développements ultérieurs. Et comme « les notions ou expressionsjuridiques que l’on utilise couramment sont intuitivement perçues alors même qu’ellesrestent rebelles à la conceptualisation », pour paraphraser Charles EISENMANN13, unepréalable clarification conceptuelle s’impose, fût-elle sommaire, à l’effet de baliser le sentierdu débat. La faute de gestion peut se définir comme l’acte juridique unilatéral par lequell’institution administrative compétente, qu’est le Contrôle Supérieur de l’Etat, constate la

11 MANACORDA (S.), « La théorie de l’infraction pénale en France : lacunes ou spécificités de la sciencepénale », R.D.P.C., 1999, pp.35 et s.; AMBASSA (L.C.), Droit pénal général, Collection Le Connu, 1ère Edition, lesEditions Saint Augustin S.A.R.L, Yaoundé, 2014, 251p. ; NIQUEGE (S.), L’infraction pénale en droit public,Bibliothèques de droit, L’Harmattan, Paris, 2010, 214 p.

12 AKONO ONGBA (S.), « La distinction entre faute de gestion et détournement de deniers publics en droitcamerounais », R.A.S.J., n°1, 2014, pp.249-287.

13 Cours de Droit Administratif, Tome I, L.G.D.J., Paris, 1982, p.17.

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violation du régime de bonne gouvernance administrative et financière, tant en ce quiconcerne la régularité de la dépense publique que pour ce qui est de l’absence deperformance, et inflige en conséquence des sanctions pécuniaires ou d’interdiction degestion future séquentielle à l’agent administratif mis en cause.

A l’opposé, le détournement de deniers publics14, quoiqu’étant aussi une expressionfonctionnelle qui met l’accent sur la Res Publica15, est le phénomène criminel né de l’actionjuridique et matérielle par laquelle l’agent sus indiqué manifeste, clairement ou de façonbiaisée, cette posture d’appropriation du bien appartenant à la collectivité toute entière aumoyen des efforts conjugués des contribuables.

8- Dans le second, c’est la Cour Suprême, laquelle intéresse indistinctement lespénalistes et administrativistes, qui est clairement visée. La raison en est que, selonl’expression heureuse de Maurice KAMTO, ladite Cour est l’image de « deux dans l’unjuridictionnel »16, au regard des articles 37, alinéa 23 et 38, alinéas 1 et 2 de la loi de révisionconstitutionnelle du 18 janvier 1996 qui intègre, en son sein, les instances contentieusesjudiciaire et administrative. C’est, en tout état de cause, une continuité de la traditionafricaine des juridictions faîtières multifonctionnelles ayant pris pied au RoyaumeChérifien17.

Si les formations administratives, inférieure et supérieure, de la Cour Suprême,statuant au contentieux administratif18, examinent la faute de gestion adossée sur unedécision administrative individuelle qu’est l’arrêté de débet, celles judiciaires, considérées àleurs différentes échelles d’instance de premier ressort, d’appel ou de cassation sont, pardétermination légale de la compétence ratione materiae, habilitées à juger les affaires dedétournement de deniers publics.

9- Et en considération de ce qu’il existe un trait d’union entre la faute de gestion et ledétournement de deniers publics par la volonté du législateur et de l’autorité

14 MAGNET (J.), « La notion de deniers publics en droit français », R.S.F., 1974, cité par MAGNET (J.), entrée :« Deniers publics », in PHILIP (L.), (Dir.), Dictionnaire encyclopédique des finances publiques, Paris, Economica,1991, pp.530-582.

15 KAMTO (M.), « La chose publique », R.A.S.J., Vol. 2, n°1, 2011, pp.1-18.

16 (Dir.) CONAC (G.) et DE GAUDUSSON (J.B.)), « La fonction administrative contentieuse de la Cour Suprêmedu Cameroun », in Les Cours Suprêmes en Afrique, Tome III, Economica, Paris, 1988, p.47.

17 RENARD-PAYEN (O.), L’expérience marocaine d’unité de juridiction et de séparation des contentieux, L.G.D.J.,Paris, 1964.

18 La combinaison des articles 37, alinéa 2, 38 et 40 de la Constitution indique que le Tribunal administratif,disséminé à l’échelle régionale de l’organisation administrative de l’Etat au regard de la loi d’application, ainsique la chambre administrative nationale, en sont celles-là.

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règlementaire19, l’agent mis en cause, en amont et en aval, s’apparente à une balle de ping-pong que cuisinent indistinctement les justices pénale et administrative. Pris ab initio parl’enclume qu’est le juge administratif et in fine par le marteau répressif, le gestionnaire,auréolé au moment de l’investiture, se mue en supplicié dès l’instant fatidique où il seretrouve tiraillé, écartelé, acculé et atomisé concomitamment par les procédures pénale etadministrative contentieuse, pour une seule et même cause juridique à la vérité20. Au-delàdes régimes respectifs, et autant le dire dans un style de liberté de la pensée qui vire auverbalisme iconoclaste, l’observation des faits émergeant des pratiques juridictionnelles, iciet là, incline à penser à une traque ou battue collusoire qui s’appréhende comme une« entente secrète entre deux (instances juridictionnelles) en vue d’en tromper (le justiciableet l’opinion publique) »21. Comment peut-on se priver de conclure à une collusion manifeste,dès lors que le juge administratif rejette systématiquement toutes les demandes de sursis àexécution à lui déférées depuis 2007, opère un gel implicite de l’examen des requêtes aufond depuis lors, et que son homologue judiciaire répressif y trouve, par cette attitudesuspecte qui confine à l’arrangement contentieux souterrain, un boulevard fertile à laguillotine du « criminel » programmé.

10- Afin d’éviter que l’on ne range le propos ainsi lâché dans le registre d’une affirmationde travail de bibliothèque, on se doit d’administrer l’adhésion puis la conviction par la dualedémarche analytique et programmatique, en s’interrogeant précisément ainsi qu’il suit :quelles sont les modalités par lesquelles les juridictions en question, dans l’exercice del’activité contentieuse qui leur échoit, pratiquent le péril subrepticement concerté sur lacondition juridique du justiciable intéressé ?22 Sous une autre formule sémantique, on peut

19 C’est en effet la loi susvisée du 05 décembre 1974 puis son décret subséquent du 17 janvier 2008 quiinstituent la latitude de qualification pénale de la faute administrative de gestion et l’obligation dedéclenchement des poursuites entre les mains de l’autorité administrative, le président du Conseil de DisciplineBudgétaire et Financière en l’occurrence.

20 N’y a-t-il pas là matière à réflexion en raison du principe Non bis in idem, consacré au plan des droits interneset même par les instruments normatifs internationaux, qui proscrit, par interprétation constructive en faveurdes garanties fondamentales des citoyens, le cumul de la sanction pénale et de celle administrative ?

21CORNU (G.), (Dir.), Vocabulaire juridique, P.U.F, 3ème Edition, Paris, 1987, p.149.

22 Et pourtant, à l’exception de la Constitution de la République fédérale du 1er septembre 1961 qui exprimeindirectement l’idée de protection juridictionnelle du citoyen, dès lors qu’ « elle affirme son attachement auxlibertés fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des droits de l’homme et de la charte desNations Unies », les préambules des Constitutions du Cameroun des 21 février 1960, promulguée le 04 mars1960, 02 juin 1972 et 18 janvier 1996 garantissent, ne varietur, la formule suivant laquelle « la loi assure à tousles hommes le droit de se faire rendre justice ». Lire GONIDEC (P.F) , « Constitutionnalismes africains », RADIC,1996-1, pp.29 et s ; KAMTO (M.)., « Le Bill of Rights dans le constitutionnalisme : sa genèse américaine et sondestin africain », RJA,1992/1993, pp.7-16, « Dynamique constitutionnelle du Cameroun indépendant », RJA,1995/1,2 et3, pp.7-49 ; OLINGA (A.D), « L’aménagement des droits et libertés dans la Constitution révisée »,

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se poser la question de savoir à quoi tient ou alors ce qui explique ces écarts dans laconduite des procès contre les gestionnaires de l’argent du contribuable.

11- Assurément, les indicateurs tenant, d’une part, au dévoiement systémique durégime processuel (I) et, d’autre part, à l’embastillement de l’indépendance de la justice (II)fondent ce regard alarmant de la pratique des contentieux.

I- Le dévoiement systémique du régime processuel12-Le contrôle contentieux du litige relatif au maniement de la fortune publique est

consubstantiel à la construction de l’Etat de droit23. A cet effet, les juridictions sont appeléesà dire le droit en réglant les litiges sur la base d’un ensemble de boussoles normatives quileur offrent explicitement la solution appropriée. Elles éclairent par contre le droit entranchant les contestations à l’usage d’une jurisprudence féconde commandée par le clair-obscur voire le silence des repères juridiques susvisés.

13- Il n’en est parfois rien de cette vision du fonctionnement normal des prétoiresadministratif et judiciaire24, davantage lorsqu’il est question du contrôle technique degestion de la fortune publique. Car si l’on souligne que les juges y font preuve d’unemauvaise foi, consistant notamment à détourner le regard de la solution textuellementgravée (A), on observe, parallèlement, qu’ils sont encore très loin d’un échange constructifpour le droit, alors même que la nécessité processuelle et sa justice impartiale et équitables’imposent (B).

A- La myopie volontaire des juges dans le contrôle technique de la détermination del’infraction et de la décision de débet

14-Le juge pénal défie manifestement aussi bien le code pénal que celui relatif à laprocédure pénale dans la détermination de l’infraction de détournement de deniers publics.

RUDH, vol.8, n°4-7, pp.116-126 ; DJILA ( R.), « Contribution à l’étude de la protection de la liberté individuelleau Cameroun depuis 1990 », Juridis-Périodique, avril-mai-juin 1996, n° 26, pp.84-96.

23 MBOUYOM (F-X), La répression des atteintes à la fortune publique au Cameroun, SOPECAM, Yaoundé, Août1970, 282 P. ; NNANGA (S-H), « La protection juridictionnelle des finances publiques africaines », R.A.S.J., n°1,2009, pp.211-228 ; NTONGA BOMBA (S-V.), « La protection de la fortune publique camerounaise : uneefficacité relative ? », R.A.S.J., n°1, 2010, pp.237-256. ; DJILA (R.), « La répression par le législateur camerounaisdes fautes de gestion des dirigeants des sociétés d’Etat », Miroir du droit, n°002, avril-mai-juin 2010, pp.59-77. ;MPESSA (A.), « Le conseil de discipline budgétaire et financière à l’épreuve de la protection de la fortunepublique au Cameroun », Juridis-Périodique, n°22, octobre-novembre-décembre 2012, pp.77-91.

24 Rappelons utilement que la justice des comptes, tout aussi institutionnellement rattachée à la Cour Suprêmeau regard des dispositions combinées des articles 38, 41 et 42 de la Constitution, et pour laquelle lacompétence ratione materiae réside dans l’examen des comptes publics, signe manifeste du maniement de lafortune publique par les comptables des personnes morales de droit public, échappe au champ d’analyse par-delà certaines allusions épisodiques.

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Les multiples protestations des « gens de justice » que sont les avocats, leurs déconstitutionssuivies de la rébellion des prévenus à boycotter les audiences futures en sont ces quelquesindicateurs des récriminations faisant entorse aux garanties du procès équitable et impartial,reflets évidents d’une justice officielle déliquescente25. L’illustration, parmi moult autres,peut être opérée à la lumière de la symbolique et symptomatique espèce Charles METOUCK,du patronyme de l’ex-Directeur Général de la SONARA26 lourdement condamné à 15(quinze) ans d’emprisonnement ferme, le 21 octobre 2015, par un Tribunal Criminel Spécial,polémiqué au titre de juridiction27. Cet élément de chronique judiciaire montre à quel pointle juge se départit de la grille juridique d’analyse. C’est une dynamique de contentieuxjudiciaire révélatrice d’un citoyen injustement privé de sa liberté puis de son droit àl’intégrité physique et morale. Alors même que le moyen tiré de l’incompétence matérielledu Contrôle Supérieur de l’Etat à assurer l’examen de la gestion financière de la SONARA et,subséquemment, l’absence d’habilitation du Tribunal Criminel Spécial à statuer sur les faitsde la cause, qui relèvent de la qualification d’abus de biens sociaux, et non point del’infraction de détournement de deniers publics, sont manifestement établis, la justiced’affichage, inféodée au pouvoir politique, choisit de tordre le coup au régime de lege lata.

15- Démêler l’écheveau suppose que l’on commence par dire que l’esprit et la lettre dela loi de 1974 sus relevée réside dans le contrôle de gestion de la fortune publique. Bienplus, l’analyse de la loi n° 99/016 du 22 décembre 1999 portant statut général desétablissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic permet de ranger laSONARA, non point dans la catégorie institutionnelle de service public administratif, tel quel’établissement public administratif gérant incontestablement des fonds publics, mais plutôtdans celle des entreprises parapubliques, c'est-à-dire aux côtés d’une personne publique, cequi en fait une société d’économie mixte28. La conclusion partielle qu’on en tire est la

25 NKOU MVONDO (P.), « La crise de la justice de l’Etat en Afrique noire francophone – Etude des causes du"Divorce" entre la justice et les justiciables », Penant, n° 824, 1997, pp.208-228.

26 Abréviation institutionnelle de la Société Nationale de Raffinage au statut légal de personne morale nonadministrative.

27 FOKO (A.), « Le Tribunal Criminel Spécial, un dernier né particulièrement controversé dans la carte judiciairedu Cameroun », Cahiers juridiques et politiques, Revue de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques-Université de Ngaoundéré, 2012, Pp.111-139 ; YAWAGA (S.), « Avancées et reculades dans la répression desinfractions de détournement de deniers publics au Cameroun : Regard critique sur la loi n°2011/028 du 11décembre 2011 portant création d’un Tribunal Criminel Spécial », Juridis-Périodique, avril-mai-juin 2012, Pp.42-64.

28 « Pour l’application de la présente loi et des textes réglementaires qui en découlent, les définitions ci-aprèssont admises (conformément à l’article 2) : société d’économie mixte - personne morale de droit privé, dotée del’autonomie financière et d’un capital – actions détenu partiellement d’une part, par l’Etat, les collectivitésterritoriales décentralisées, ou les sociétés à capital public et d’autre part, par les personnes morales ouphysiques de droit privé ».

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suivante : alors que la société d’économie mixte a pour but de réaliser des bénéfices, àl’image de la société commerciale régie par le droit privé, l’établissement publicadministratif, gérant un service public, n’en fait point, dès lors qu’il s’investit dans unemission d’intérêt général régie par le droit administratif.

16- Les articles 2 et suivants de la loi de 1999 configurent ce droit applicable à laSONARA au statut institutionnel de société d’économie mixte : c’est une personne morale dedroit privé dont les activités s’exercent conformément à la présente loi et à ses statuts,lesquels sont un acte juridique de droit commun. Dans un cas comme dans l’autre, loi etstatuts relèvent, en tout état de cause, du droit interne de l’Etat camerounais.

17- Or, depuis le 17 octobre 1993, il existe un traité international relatif àl’harmonisation en Afrique du droit des affaires. L’autre conclusion partielle qu’on en tire estque les sociétés de droit privé comme la SONARA se voient appliquer un droitcommunautaire coexistant avec le droit interne du Cameroun.

18- L’article 2 du traité procède déjà à l’énumération des matières qui entrent dans lechamp du droit des affaires en Afrique, à savoir, entre autres, le statut juridique, le droit dessociétés, le droit comptable … Et chacune des matières fait l’objet d’un acte uniforme « prispour adoption des règles communes prévues à l’article premier du présent traité ».

19- L’article 10 du traité stipule que « les actes uniformes sont directement applicables etobligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire interne, antérieureou postérieure ». La troisième conclusion partielle qu’on en tire est que l’article susvisétranche clairement en faveur de la primauté et de l’effet direct des actes uniformes,corroboré en cela par les jurisprudences nationales faisant obligation aux juges nationauxd’assurer le respect de cet article 10 : « Considérant qu’en vertu du principe de l’effetimmédiat des actes, les baux commerciaux en cours avant le premier janvier 1998 sontdésormais régis par les dispositions de l’acte uniforme relatif au droit commercial qui abrogela loi française de 1926 applicable au Gabon et ayant le même objet »29.

20- Au-delà de la nature juridique de la SONARA et du régime normatif y afférent, laquestion centrale du capital social, lequel s’entend des montants des apports à effectuer parles associés et les actionnaires à l’organisme pour tout ou partie au jour de sa constitution,est de 23 (vingt-trois) milliards de francs CFA répartis entre des sociétés étrangères (Totaloutre-mer et Elf Aquitaine), l’Etat du Cameroun par le ministère de l’économie et desfinances et des sociétés de droit camerounais (Société Nationale des Hydrocarbures, Caissede Stabilisation des Prix des Hydrocarbures et Société Nationale des Investissements).

21- C’est dire que la présence de l’Etat dans la constitution organique de la sociétén’affecte en rien la nature commerciale de la SONARA qui, pour cela, est régie par certains

29 C.A. Port-Gentil, 09 décembre 1999, société KOSSI, Penant 2001, P.345, OHADA.com/ohadata J-02-045 ; C.A.Douala, 15 mai 2000, société SOCCIA, Revue camerounaise de droit des affaires, janvier-février 2001, n°12.

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actes uniformes OHADA30. L’Etat a, délibérément, choisi de descendre de son piédestal depuissance publique, de se comporter comme un simple particulier, en se plaçant sousl’empire du droit communautaire des personnes privées, et doit en tirer toutes lesconséquences. La libre association au capital privé ne saurait, en aucun cas, permettre àl’administration étatique de prétendre demeurer sur ses hauteurs originaires alors qu’ellechute volontairement à l’échelle basse du particulier31, aucune alchimie juridique n’étant enmesure d’assurer l’addition des fonds public et privé, en raison de leur contrariétéconsubstantielle, et a fortiori garantir la conservation du caractère public des fonds dans uneopération de dessaisissement de l’imperium.

22- Le problème est ce faisant de savoir si, dans cette fusion contre-nature, le capital ennuméraire susvisé relève du bien social monétaire ou alors des fonds publics. La qualificationde bien social sied incontestablement aux divers apports accomplis par les actionnaires ouassociés non étatiques. Il en va assurément et autrement des fonds injectés par le ministèrede l’économie et des finances, démembrement de la puissance publique étatique,uniquement lors de la constitution du capital.

En amont Dans l’intervalle En aval

30 Les actes uniformes visés dans le cadre de l’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit desaffaires, en abrégé OHADA, sont respectivement ceux du 17 avril 1997 relatif au droit commercial général puisau droit des sociétés commerciales et groupement d’intérêt économique, du 10 avril 1998 organisant lesprocédures collectives d’apurement du passif et du 24 mars 2000 portant organisation et harmonisation descomptabilités des entreprises.

31 En exhumant la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour Suprême, la maxime nemo auditurpropriam suam turpitudinem alegans est de portée organique inclusive. Dans une affaire de responsabilitéentière de la puissance publique, excluant par conséquent la faute de la victime, le juge de l’espèce affirme« que la bonne foi de NOGO ne peut être contestée ;

Que pour édifier une maison sur ledit terrain, il a obtenu un permis de bâtir régulier de la municipalité deYaoundé qui aurait dû s’abstenir de lui délivrer cette pièce ; la municipalité étant censée connaître que le terrainen question fait partie du domaine privé de l’Etat ;

L’administration est donc mal fondée à se prévaloir de sa propre turpitude » (Cf. CS/CA, Jugement n°62 du 31mai 1979, NOGO Eugène contre Etat du Cameroun). Voir, dans le même sens, jugements numéros 24 du 25février 1982, NOMENY NGUISSY Emile, 60 du 28 avril 1983, MBOUS Jacques, 03 du 31 octobre 1996, UNDPcontre Etat du Cameroun (Commune rurale de Meiganga), et 42 du 30 mars 2000, WABO Rigobert : « Attenduque la règle nemo auditur signifie que nul, même l’autorité administrative, ne saurait se prévaloir de sa propreturpitude et faire supporter à autrui ses erreurs ou fautes ».

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Deniers publics avant laréalisation étatique del’apport en numéraire, laconservation de la partadministrative étantencore logée au trésorpublic.

Biens monétaires sociauxaprès reversement de lapart étatique et gestion deladite part en combinaisonavec les autres participationsprivées.

Deniers publics pour ce quiest des dividendes dues etreversées à l’associé ouactionnaire étatique.

23- Au regard du droit OHADA, la conclusion à retenir est que la SONARA ne gère pas desdeniers publics, mais plutôt des biens sociaux. Autant l’Etat peut choisir de se soumettre auxrègles du droit privé en concluant des contrats non administratifs32, autant l’Etat, enl’espèce, a délibérément opté de diluer sa personnalité publique à celle privée d’uncommerçant, ce qui entraîne, ipso facto, un transfert de jouissance de son anciennepropriété à la nouvelle entité privée. L’article 41 de l’acte uniforme du 17 avril 1997 relatifau droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique confirme dureste cette mutation du statut des fonds publics de l’Etat en propriété de la sociétéconstituée : « les apports en numéraire sont réalisés par le transfert à la société de lapropriété des sommes d’argent que l’associé s’est engagé à apporter ». Le « transfert depropriété à la société » est cette expression qui ne souffre d’aucun problèmed’interprétation aux yeux du puriste du droit : rédigée par une irréprochable clarté, elle apour effet de supprimer à l’apport étatique en numéraire sa qualification de deniers publics.D’ailleurs, l’article 42 de l’acte uniforme susvisé assure, de façon éclatante, une corrélationentre la réalisation de l’apport en numéraire et l’appropriation privée des fonds par lasociété commerciale33. D’où vient-il donc, pardi !, que la qualification d’infraction dedétournement de deniers publics intervienne dans le raisonnement du Tribunal CriminelSpécial qui n’a d’autre choix cartésien que de postuler, au besoin, de l’infraction d’abus debiens sociaux et déclarer son incompétence à statuer ? Cette manie visant à s’écartersciemment de la loi pénale conduit ladite juridiction à impulser une jurisprudence indigeste

32 C’est le cas des contrats de bail passés avec les propriétaires d’immeubles bâtis lorsque le patrimoineimmobilier de l’Etat ne permet pas de résorber la crise de logements des agents publics et même du cadreabritant les services publics. De la même manière, l’Etat conclut, avec ses agents non titularisés, des contratsprofessionnels régis par le code du travail, et non plus par les décrets réglementaires, général ou particulier, enmatière de fonction publique, lequel relève du droit privé selon une jurisprudence administrative constante :« Le juge administratif se déclare radicalement incompétent pour en connaître …, (invitant les justiciables) àmieux se pourvoir (devant le juge judiciaire civil) » (CS/CA, Jugements numéros 24 du 03 février 1977, NGANSOJean-Pierre, 08 du 27 octobre 1988, BIBI Joseph, 35 du 31 mars 1994, NOAH Norbert, 121 du 25 août 2004,Société Elf SEREPCA, 86 du 27 avril 2005, NGOUMOU Basile, 47 du 22 février 2010, EMBOLO BINA Benjamin et160 du 05 mai 2010, ABAMA Alexandre).

33 « Ne sont considérés comme libérés que les apports en numéraire correspondant à des sommes dont lasociété est devenue propriétaire et qu’elle a intégralement et définitivement encaissés ».

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et liberticide à l’égard de bon nombre de gestionnaires qu’il apparaît fastidieux de recenser,à l’exemple des espèces Jean-Baptiste NGUINI EFFA et IYA MOHAMMED, des patronymesrespectifs des ex-directeurs généraux de la SCDP34 et de la SODECOTON35…

24- Par ricochet, dès lors que le droit OHADA bénéficie de la supranationalité enécrasant le droit interne, on comprend que le statut de la SONARA et la nature privée desapports en numéraire qu’elle gère ne permettent guère au Contrôle Supérieur de l’Etat des’immiscer dans l’audit des comptes de l’institution commerciale. La décision de débet émisepar l’instance disciplinaire, à l’égard du gestionnaire, est visiblement frappéed’incompétence ratione materiae, conformément à la jurisprudence administrative relevantle caractère d’ordre public des règles attachées à l’exercice de la compétence36.

25- Au-delà même du cas particulier de la SONARA, capté par le droit communautaire,un tout autre raisonnement juridique, tiré principalement de la combinaison des normesinternes et accessoirement du droit international, permet toujours d’aboutir à « l’erreurmanifeste d’appréciation »37 du juge pénal dans la recherche de la qualificationinfractionnelle. L’extrême longueur de l’article 184 du code pénal, dans ses alinéas 1 à 6,dispense qu’on le reproduise in extenso. Il postule cependant qu’en substance, lorsque l’Etatest majoritaire dans le capital d’une société, l’infraction doit être qualifiée de détournementde deniers publics.

26- On en vient ce faisant à déduire que l’apport minoritaire en numéraires de l’associépublic obéit à une toute autre qualification infractionnelle, celle d’abus de biens sociaux. Ceà quoi s’attache du reste à fixer le législateur communautaire, à l’article 891 de l’acteuniforme du 17 avril 1997 relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement

34 Usuellement connu sous la dénomination de ‘’Société Camerounaise de Dépôts Pétroliers’’.

35 Il s’agit de la ‘’Société de Développement du Coton’’.

36 Dire que les règles de compétence sont « d’ordre public » signifie que le vice d’incompétence, qui entache ladécision administrative, doit être automatiquement relevé par le juge administratif à l’élaboration de la « chosejugée », quoique le justiciable en procès contre la puissance publique ne l’ai décelé pour l’invoquer au soutiende sa requête. Et le conseil du contentieux administratif, dans un arrêt n°678 du 27 décembre 1958, SieurNDJOCK Jean, reprend ce caractère « d’ordre public des règles de compétence » et considère que « l’irrégularitéd’un acte ne peut être couverte par l’approbation ou les instructions de l’autorité compétente ».

37 C’est, pourrait-on traduire autrement, l’évidence dans le traitement dévoyé du contentieux juridictionnel,signe d’un visage contrasté de la justice : rempart théorique contre l’arbitraire administratif et partisan del’arbitraire susvisé.

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d’intérêt économique38, et que récupère le législateur national, à l’article 9 de la loi n°2003 -008 du 10 juillet 2003 relative à la répression des infractions contenues dans certains actesuniformes OHADA, au double plan de la fixation de la peine puis de la reprise del’incrimination communautaire d’abus de biens sociaux par souci pédagogique : « Enapplication de l’article 891 de l’acte uniforme (susvisé), sont punis d’un emprisonnement deun (1) à cinq (5) ans et d’une amende de deux millions (2 000 000) à vingt millions(20 000 000) de FCFA, le gérant de la société à responsabilité limitée, les administrateurs, leprésident directeur général, le directeur général, l’administrateur général ou l’administrateurgénéral adjoint qui, de mauvaise foi, ont fait des biens ou des crédits de la société, un usagequ’ils savaient contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles, matérielles ou morales,ou pour favoriser une autre personne morale dans laquelle ils étaient intéressés, directementou indirectement ».

27- D’ailleurs, quatre (4) années auparavant, l’article 108, alinéa 1, de la loi n°99/016 du22 décembre 1999 avait déjà repris pareille qualification d’abus de biens sociaux39. Lescertitudes contentieuses du juge pénal n’apparaissent-elles pas sérieusement ébranlées auterme de la contradiction ? Vivement que tout juge, quel qu’en soit le domaine processuel,intègre dans son raisonnement quotidien l’aphorisme latin selon lequel « jus est ars boni etacqui »40.

28- Malheureusement, à l’image de son homologue judiciaire, particulièrement promptà bafouer la procédure contentieuse pénale, le juge administratif lui emboîte le pas aumoment de contrôler le sensible acte juridique de débet fondant la faute de gestion, et parsuite objet de transmission systémique et quasi-automatique à la justice pénale. L’espoirsuscité par l’émergence d’un nouveau juge administratif ou d’un précédent réformé, plus aufait de la nécessité de réécrire un droit administratif verrouillé par les pesante etoppressante prérogatives de puissance publique, s’estompe, au grand dam de la protectionde la partie faible, constituée par le conglomérat des administrés-sujets.

38 « Encourent une sanction pénale, le gérant de la société à responsabilité limitée, les administrateurs, leprésident directeur général, le directeur général, l’administrateur général ou l’administrateur général adjointqui, de mauvaise foi, font des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savaient contraire à l’intérêt decelle-ci, à des fins personnelles, matérielles ou morales, ou pour favoriser une autre personne morale danslaquelle ils étaient intéressés, directement ou indirectement ».

39 « Est puni des peines prévues à l’article 184 du code pénal, tout dirigeant d’une entreprise qui :

- Au moyen de bilan frauduleux, opère entre les actionnaires la répartition des dividendes fictives ;- Même en l’absence de toute distribution de dividendes, a sciemment publié ou présenté un bilan

inexact, en vue de dissimuler la véritable situation de l’entreprise ;- A fait de ses pouvoirs, des biens ou du crédit de l’entreprise, un usage contraire à l’intérêt de celle-ci

dans un but personnel ou pour favoriser une autre société dans laquelle il détient directement ouindirectement des intérêts ».

40 C’est la reprise d’une définition intellectuellement séduisante du droit donnée par Le Digest, qui signifie « ledroit est l’art du bien et du juste ».

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29- La traduction et la comparution devant le Conseil de Discipline Budgétaire etFinancière donne alternativement lieu à l’absence de sanctions, en cas de faits non avérés,ou à la décision de débet constatant et évaluant la faute de gestion puis l’infliction d’uneobligation de restitution financière assortie, le cas échéant, d’une interdiction d’exercerquelque responsabilité administrative que ce soit. Dans le second cas de l’édiction de l’acteadministratif faisant grief au gestionnaire de crédits publics, ce dernier a la latitude juridiquede saisir la juridiction administrative en annulation au fond de la mesure, s’il estime celle-cientachée d’excès de pouvoir41. L’habitué des prétoires administratifs connaît cependantl’élasticité des procédures qui durent et perdurent, permettant alors à la chose décidée deperpétuer les dégâts produits par l’effet juridique qui s’y rattache. Comment expliquer queles premiers juges de fond saisis en annulation, ceux de la chambre administrative enl’occurrence, puis ces nouveaux relevant du tribunal administratif, par l’effet de latransmission des dossiers pour examen en premier ressort, n’aient jamais, du moins à cejour, rendu de jugement ? La collégialité des juges administratifs apparaît clairement, en serefusant à vider les contentieux, en temps utile, comme des goulots de rétention de lafluidité de la justice, des alliés inavoués d’une administration publique peu soucieuse de lasécurité juridique des personnes physiques. L’extensibilité indéfinie de la procédureadministrative contentieuse de fond fait dès lors le lit nettement moins douillet des effetsjuridiques de la décision de débet. Il existe néanmoins, au plan institutionnel, une espèce depompe absorbante de pareil dysfonctionnement juridictionnel qui, à l’analyse, ramène à lacase départ, constitue un pas de Sisyphe parce qu’elle se révèle refoulante.

30- C’est un palliatif utile à la paralysie momentanée de l’acte, dans l’attenteinsoutenable de la chose jugée au fond, qui réside dans le procédé du sursis à exécution dela décision administrative. Technique aux enjeux contradictoires42, les lenteurs inhérentes àla juridiction administrative conduisent naturellement les destinataires des sanctionsinfligées par les arrêtés de débet, livrés aux ponctions amères sur leur patrimoine, d’assortirles requêtes au fond en annulation de demandes de sursis à exécution, en raison de l’effetnon suspensif du recours principal. Cette exigence de l’urgence dans le contentieux

41 Le préambule de la Constitution confère à tout citoyen « le droit de se faire rendre justice » qu’organisent lesarticles 40 et suivants puis qu’articulent, selon le degré juridictionnel concerné, les lois n°2006/016 etn°2006/022 du 29 décembre 2006 fixant respectivement le droit administratif processuel applicable à lachambre administrative de la Cour Suprême et aux tribunaux administratifs régionaux.

42 Lire notre note sous ordonnance du 07 décembre 2000, Sandrine MAMA BILOA C. / Université deNgaoundéré. Le juge unique y est convié à concilier ou d’assurer un équilibre entre l’autorité de « chosedécidée », la préservation des droits de l’administré, la survie même du contrôle juridictionnel de fond et lapression du temps. Difficile par conséquent de disposer en symphonie les sonorités éparses.

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administratif43« est une procédure juridictionnelle accessoire conférant au juge compétentpour régler le litige au fond la faculté de déroger, jusqu’à sa décision, à l’effet non suspensifdes recours. Par une décision juridictionnelle, il ôte provisoirement à la norme contestée soncaractère obligatoire, ce qui en interdit l’exécution. La dérogation permet de prévenir unpréjudice éventuel illégitime, c’est-à-dire causé par une décision illégale »44. Le sursis àexécution est octroyé par le juge administratif, et c’est la condition capitale de fond, sil’arrêté de débet, comme toute décision administrative au demeurant, est entaché d’uneirrégularité qui, si elle est appliquée en l’état, causerait au destinataire de l’acte « unpréjudice irréparable ». Malheureusement, et dans la pratique même du contentieuxadministratif de l’urgence, le juge administratif se refuse curieusement à tirer lesconséquences de la radioscopie des décisions du Contrôle Supérieur de l’Etat conformémentaux prescriptions pertinentes du droit administratif processuel. Alors même que desjusticiables présentent à la chambre administrative de la Cour Suprême, dans sa postureantérieure de juridiction de premier ressort, des moyens juridiques sérieux de nature àprésager l’annulation au fond des arrêtés de débet, cette instance initiale de l’urgencecontentieuse, depuis le deuxième semestre de l’an 2009 jusqu’à ce jour, oppose à chacund’eux une réponse de fond indistinctement stéréotypée, cousue par une forme deverbalisme variable. Dans une première séquence, tirée des ordonnances de rejet GervaisMENDO ZE, BIWOLE SIDA, pour ne citer que celles-ci, on peut lire : « Attendu cependant queleur exécution n’est pas de nature à causer un préjudice irréparable au requérant, lesconséquences de ladite exécution pouvant être effacées ou compensées, à titre indemnitaire,en cas d’issue heureuse de son recours en annulation »45. Dans une deuxième, la chambreaffirme : « que par contre son exécution n’est pas de nature à causer un préjudice irréparableau recourant, compte tenu de la solvabilité de l’Etat qui pourrait rembourser les sommesindûment perçues, en cas d’issue heureuse de son recours en annulation »46. Et dans unetroisième, ladite chambre réitère en ces termes : « que par contre son exécution n’est pas denature à causer un préjudice irréparable au recourant en ce que l’Etat est solvable pour

43 GUIMDO DONGMO (B-R.), Le juge administratif camerounais et l’urgence. Recherches sur la place del’urgence dans le contentieux administratif camerounais, thèse de Doctorat d’Etat en droit public, Université deYaoundé II, 2004.

44 FEVRIER (J-M.), Recherches sur le contentieux administratif du sursis à exécution, L’Harmattan, Paris, 2000,P.18.

45 Voir aussi les ordonnances numéros 65 du 03 Août 2010, Dame Genest ALIMA et 31 du 11 Juillet 2014,AMANG A BITEGNI.

46 Ordonnances n°s 104 du 27 Août 2013, Jean TABI MANGA, 105 du même 27 Août 2013, BOKALLI VictorEmmanuel et 13 du 17 Février 2014, NDOUDOUMOU Jean-Jacques.

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rembourser les sommes perçues au titre des condamnations prononcées par ladite décisionen cas d’annulation par le juge du fond »47.

31- Cette revue de jurisprudence est révélatrice de la catastrophe juridique. Sommes-nous encore dans un Etat de droit où il faut composer avec un juge suprême qui parle auconditionnel alors même que le règlement du contentieux impose une articulationjurisprudentielle d’ordre affirmatif ? Le juge administratif constitue-t-il toujours ce rempartcontre l’arbitraire administratif lorsqu’il cultive l’image d’une passoire juridictionnelle ? C’esten effet ce gardien institutionnel des libertés qui conforte l’exécution des mises en débetalors que le Contrôle Supérieur de l’Etat, en violation flagrante de la présomptiond’innocence, publie avec un mépris ostensible des décisions individuelles qui doiventpourtant faire l’objet de notification de nature à briser toute diffusion de ses errementsjuridiques. C’est encore le même juge administratif suprême qui laisse faire uneadministration techniquement incapable de motiver ses décisions alors qu’elle y estastreinte, ses formules simplement déclaratoires n’étant pas à mesure de restituer lamodalité par laquelle la faute de gestion est commise. Le comble de la bourde dejurisprudence est confortée par le ponce pilatisme du juge du provisoire, qui renvoie le sortdu supplicié entre les mains du juge de l’annulation au fond alors qu’il est saisi en urgence.Corrélativement, c’est l’acte de décès du sursis à exécution qui est dressé au mépris de la loiqui l’institue. Nul besoin de s’étonner que, dans ces conditions, celui qui est institué au titrede juge de l’urgence ne fasse pas grand cas de la protection du citoyen, se donnant la libertéd’ordonner le rejet de la demande de sursis plus d’une année post-saisine.

32- La critique émise à l’encontre du haut juge administratif n’épargne a fortiori pas celuiinférieur, emporté par la contagion liberticide pour l’administré et partisane en faveur del’Etat. L’ordonnance de sursis à exécution de l’espèce BEKOLO EBE Bruno C. / Etat duCameroun (Contrôle Supérieur de l’Etat), est cet échantillon dont le motif de rejet de lademande est systématiquement repris à l’ensemble du contentieux administratif del’urgence : « Considérant… que le requérant ne saurait redouter la survenance d’un préjudiceirréparable consécutif à une exécution pécuniaire d’un acte administratif, la restitution étanttoujours garantie par la solvabilité du trésor public »48. La sécurité juridique du citoyeninscrite dans le préambule constitutionnel, apparaît finalement comme un gadget normatifau regard du basculement contraire des faits. Peut-on encore raisonnablement se priver derelever cette espèce de conspiration des « gens de justice » lorsque les conclusions duProcureur Général près le Tribunal administratif de 2014 reprennent, in extenso, la penséedu juge de la chambre administrative de 2009 en ces termes : « l’exécution des décisions duconseil de discipline budgétaire et financière n’est pas de nature à causer un préjudice

47 Ordonnance n°08 du 17 Février 2014, KOBOU Georges.

48 Ordonnance n°20 du 26 Mai 2014 rendue par le Président du Tribunal Administratif du Centre, consécutive àl’examen de la première décision de débet.

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irréparable au requérant dans la mesure où leurs conséquences peuvent toujours êtreeffacées à titre indemnitaire en cas d’issue heureuse de son recours en annulation ».

33- L’obstination des juges à détourner sciemment le regard, dans les contentieux pénalet administratif, est un fait saillant qui met en mal les régimes processuels. Elle est d’autantplus regrettable qu’en raison de la connexité qui existe entre la faute de gestion etl’infraction de détournement présumé de deniers publics, ce déficit criant de perspicacitééloigne du dialogue des juges qui s’impose en pareille occurrence.B- L’éloignement d’un dialogue des juges

34- L’expression « dialogue des juges » fait une apparition moins remarquée avec lePrésident LECOURT49. Mais historiquement, la doctrine s’accorde à reconnaître que lapaternité de l’expression revient au Président GENEVOIS, qui en a donné la notoriété depuisses célèbres conclusions sur l’affaire COHEN-BENDIT, en déclarant, à propos des rapportsentre le juge communautaire et le juge national, qu’il ne devrait y avoir de place « ni pour legouvernement des juges, ni pour la guerre des juges, mais pour le dialogue des juges »50.Bien de discussions s’en sont alors suivies relativement à son contenu51.

35- Le mécanisme du renvoi préjudiciel est aujourd’hui couramment reconnu commeétant l’un des moyens privilégiés de dialogue entre les juges internes et les instancescontentieuses communautaires. Plusieurs facteurs rendent en effet indispensable cedialogue : la multiplicité et l’enchevêtrement des normes applicables, qui obligent à un« pluralisme ordonné », pour paraphraser Mireille DELMAS MARTY, et à un effortd’harmonisation jurisprudentielle dans l’application de ces normes ; la diversité desjuridictions nationales et africaines, entre lesquelles les échanges ne cessent de sedévelopper ; l’existence de sujets communs de plus en plus nombreux et la nécessité detrouver un terrain d’entente pour éviter des conflits ; l’obligation de barrer la voie à desjurisprudences discordantes ou contradictoires, dans un souci de bonne administration de lajustice et de cohérence jurisprudentielle.

49 LECOURT (R.), L’Europe des juges, Bruxelles, Bruylant, Collection droit de l’Europe, Grands Ecrits, 2008(Réédition de l’ouvrage publié en 1976), p. 266.

50 Cf. Arrêt d’Assemblée du Conseil d’Etat du 06 Décembre 1978, Ministère de l’intérieur C. / COHEN-BENDIT.

51 Journées d’Etudes de l’Université de Metz du 10 février 2003 sur le thème : « Le dialogue entre jugeseuropéens et nationaux : incantation ou réalité ? », Collection Droit et Justice dirigée par Pierre LAMBERT (53),Editions Bruylant, 2004 ; ALLARD (J.), « Le dialogue des juges », Actes du Colloque organisé le 28 avril 2006 àl’Université Libre de Bruxelles, Bruxelles, Bruylant, Les Cahiers de l’Institut d’Etudes de la Justice, n°9, 2007,P.77 ; PICOD (P.), La coopération juridictionnelle, in J. FINCK (Dir.), L’Union Européenne : carrefour descoopérations, Paris, L.G.D.J., 2002, P.199 ; L’application de la Constitution par les Cours Suprêmes, Actes duColloque organisé le 04 octobre 2006 par l’Université Panthéon-Assas-Paris et l’Ordre des avocats au Conseild’Etat et à la Cour de Cassation, Collection Actes, Dalloz, 2007 ; Colloque sur le Contrôle de constitutionalité etle contrôle de conventionalité, organisé au Conseil Constitutionnel les 5-6 juin 2008.

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36- Par sa finalité, le dialogue des juges permet un échange constructif pour le droit, aubénéfice des justiciables, dès lors qu’il crée une interaction ou un consensus sur les points dedroit discutés. Nécessité pratique, ce dialogue entre les juges les amène à se prononcer surune même question dans le cadre d’une même affaire. Le glissement qui s’opère aisément etautomatiquement entre la faute de gestion et l’infraction présumée de détournement dedeniers publics fonde et déclenche en droit la procédure du dialogue juridictionnel.

37- En effet, depuis 2007, le Contrôle Supérieur de l’Etat a intensifié un contrôleadministratif des finances publiques, lequel s’est soldé par des retentissants arrêtés dedébet, connus de l’opinion publique nationale et internationale. La chambre administrativede la Cour Suprême puis les nouveaux tribunaux administratifs ont été saisis des requêtes enurgence et de fond pour annulation. Systématiquement, les demandes de sursis à exécutionont été toutes rejetées, ici et là, tandis qu’aucune affaire n’a connu de dénouement auprincipal52.

38- Sur le fondement des fautes de gestion adossées sur les arrêtés de débet susvisés,l’opération pénale de qualification a pu assurer la mutation desdites fautes en infraction dedétournement de deniers publics. Deux juridictions distinctes, celles administrative etpénale en l’occurrence, doivent se prononcer, dans le cadre d’une même affaire, sur desquestions de droit identiques. En l’absence de toute concertation juridictionnelle, un mêmejusticiable est tiraillé entre la procédure pénale et celle administrative contentieuse,lesquelles se tiennent. Si la première aboutit avec une rapidité suspecte, conclue par delourdes peines d’emprisonnement, la deuxième pourtant initiée en premier lieu aurait purendre sans objet le procès pénal en cas de traitement diligent donnant lieu à l’annulation del’acte. Toutes ces manœuvres juridictionnelles de dilatoire et de surdité concomitantes surl’interpellation pressante de convoquer la mise en œuvre d’une collaboration intra-juridictionnelle éloigne les juges intéressés du dialogue. Et c’est le justiciable qui en paye letrès lourd tribut au détriment de la garantie d’un Etat de droit dévolue à tout juge. A quoicorrespond une justice judiciaire d’affichage si des manœuvres souterraines phagocytentl’avancée du juge administratif vers la protection des droits fondamentaux ? C’est en toutétat de cause les juges qui, par ce réflexe de distanciation plutôt que de synergie, se laissentvider de leur essence.

39- Et pourtant, sa jurisprudence féconde en la matière aurait pu donner un sens aussibien aux règles de procédure pénale qu’à celles administratives contentieuses aux relents desécurisation juridique des justiciables. Cet autre écart entre la norme contentieuse et letravail contentieux, développé par les juges, renforce l’idée d’un détournement systémique

52 Exception faite du jugement rendu par le Tribunal Administratif Régional du Centre, lors de l’audiencepublique en date du 11 Mai 2016, dans l’espèce Dame TCHINJI Régina c. / Etat du Cameroun. A l’image del’ensemble des ordonnances de rejet des sursis à exécution, le tout premier jugement de fond a consisté àdébouter la requérante, confortant ainsi la justice administrative à la remorque du pouvoir politique, la dictéedu droit étant relevée au rang de la subsidiarité.

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du régime processuel, déjà mis en évidence par leur myopie volontaire en matière decontrôle technique des actes juridiques de débet et de détermination des infractions pénalesde détournement de deniers publics. Le traitement juridictionnel de la faute de gestion et dudétournement de deniers publics révèle alors au grand jour cette collusion entre les justicespénale et administrative. A la question de savoir comment peut-on en arriver à la prédationjuridictionnelle des droits inhérents aux procès administratif et pénal, seul l’embastillementde l’indépendance de la justice, propice à nos régimes et système politiques, donne undébut d’explication au phénomène de mauvaise administration de la justice.

II- L’embastillement de l’indépendance de la justice40-L’article 37 de la Constitution traite de la question de l’indépendance de la justice en

quatre points. D’abord, le principe même de l’indépendance est formellement protégé.Ensuite, l’origine de la menace potentielle contre ladite indépendance y est expressémentvisée, à savoir les pouvoirs exécutif et législatif. Par ailleurs, les organes bénéficiaires del’indépendance au sein de l’institution judiciaire sont les magistrats du siège. Enfin,l’indépendance de la justice y est regardée comme l’exercice de la fonction contentieuse enréférence de la seule norme applicable et, le cas échéant, de la conscience du juge.

41- Nonobstant un tel aménagement protecteur de la marge de manœuvre des juges, laréalité du terrain finit par absorber le déroulement du procès équitablement fixé par le Codede Procédure Pénale et les règles de procédure administrative contentieuse. Se pose dès lorsla question de savoir ce qui explique la mise sous tutelle des justices pénale et administrativedans la connaissance des procès administratif de la faute de gestion et pénal de l’infractionde détournement de deniers publics. L’insidieuse pression de l’exécutif est un faitdévastateur (A). De nature à susciter la frilosité des juges, cette intrusion génère unepsychologie d’auto-limitation (B).

A- L’insidieuse pression exécutive42-Le magistrat est un simple fonctionnaire exposé à la crainte de la potentielle brimade

souterraine du pouvoir exécutif qui gère sa carrière par le truchement du Conseil Supérieurde la Magistrature, présidé par le Président de la République puis secondé par le ministre dela justice, garde des sceaux. Les soupçons de pressions exercées sur les faiseurs de justice nerelèvent plus de la fiction. L’exécutif gouvernemental en a administré la preuve à l’occasiond’un point de presse donné le 02 février 2010, solennellement au sein de l’hémicycle, par laperception controversée que le ministre de la communication se fait de l’indépendance dupouvoir judiciaire dans la conduite de l’opération « Epervier » : « s’il demeure indiscutablesur cette question que l’appréciation des faits portés à sa connaissance ou dont il se saisitd’autorité relève exclusivement du pouvoir du juge, il reste tout de même que cetteprérogative n’exclût pas l’avis modéré du politique au fait des attentes du peuple quiconstitue son interlocuteur direct, lequel privilégie pour des raisons concrètes se rapportantau relèvement de son niveau de vie, le remboursement prioritaire de sa fortune distraite,

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sans préjudice des complexités procédurales secondaires, susceptibles de conduire à dessanctions supplémentaires. Le peuple camerounais a essentiellement besoin que lui soitrestituée sa richesse détenue par des prévaricateurs sans vergogne »53.

43- Le contrôle politique de l’exécutif dans la conduite de l’activité judiciaire n’est-il pasincompatible avec l’indépendance des juges ? Jeter les prévenus concernés en pâture, en lesqualifiant de « prévaricateurs sans vergogne », ne heurte-t-il pas de fond l’indépendance dupouvoir judiciaire qui seul décide ou non de la culpabilité ? Prétendre que les considérationspoliticiennes priment sur les exigences procédurales de la justice ne contribue-t-il pas à enminer l’indépendance ?

44- En tout état de cause, l’altération de l’indépendance de la Cour Suprême est de plusen plus questionnée lors de la rentrée solennelle de la haute institution en date du 24 février2011 : le magistrat peut-il juger l’Etat comme c’est le cas pour une personne privée dès lorsque sa carrière est gérée par l’Etat ? Peut-il dans ces conditions de rattachement structureldemeurer impartial, détaché, serein ? Martin RISSOUK à MOULONG, ex-Procureur Généralprès ladite Cour, auteur de ce questionnement sur l’indépendance de la justice, concluaitalors que l’Etat de droit correspond à une magistrature responsable, avec des juges quimesurent toutes les conséquences des décisions qu’ils prennent54.

45- La menace de la redoutable pression faite par l’exécutif est d’autant plus réelle queMonsieur Alexis DIPANDA MOUELLE, ex-Premier Président de la Cour, parlait de « Soi-disantEtat de droit qui se plaise à instituer une justice aux ordres ». Et de poursuivre que « vouloirparaître juste sans l’être en effet, c’est le comble de l’injustice… Si nous sommes déterminés àériger notre pays au rang des pays émergents, il me semble qu’il conviendrait de changernotre manière de juger »55.

46- N’est-ce pas là l’évidence puis l’aveu explicite d’une justice embastillée par lepouvoir exécutif ? L’obstination de l’ex-ministre de la culture visant à plomber l’exécution del’ordonnance de sursis à exécution prise en faveur de la CMC56, courant 2009, n’est-il pas lesignal fort du ravalement de la justice ? L’exécutif ne prend-t-il pas le pas sur la justicelorsque la Constitution même, en son article 37, alinéa 3 prescrit que c’est le Président de laRépublique qui est le garant de l’indépendance de la justice ? Le boulevard qui mène àl’auto-limitation dans l’accomplissement de la fonction contentieuse émerge forcément deces considérations interrogatives.

53 Lire la pertinente réplique y relative de Alain Didier OLINGA, Mutations, n°2626 du jeudi 1er avril 2010, pp.14-15.

54 Lire le compte-rendu fait dans Cameroun Tribune du vendredi 25 février 2011, p.3.

55 Cf. Cameroun Tribune du 26 février 2010, p.3.

56 Elle est connue sous la formulation sémantique de « Cameroon Music Corporation ».

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B- L’auto-limitation dans l’exercice de la fonction contentieuse47-L’histoire n’est assurément pas l’actualité. Si les récents discours des plus hautes

hiérarchies de la Cour Suprême semblent engager une refonte du matériau humain dans lecorps de la magistrature, hier, le discours passéiste du tout Premier Président de ladite Cour,à l’occasion de la rentrée judiciaire de 1966, mérite d’être exhumé : « Le devoir de discrétionet de réserve du magistrat implique que le magistrat soit et demeure fidèle au régime ; quece loyalisme puisse se traduire dans tous les actes et comportements du magistrat, aussi biendans la fonction juridictionnelle que dans sa vie publique et privée ». Voici donc jetées lesbases d’une vassalisation des juges vis-à-vis d’un pouvoir dont ils ont la charge d’assurer lecontrôle contentieux. Dans ces conditions, l’indépendance de la Cour Suprême était unleurre.

48- De nos jours, le phénomène d’auto-inféodation a la peau dure au regard desdécisions juridictionnelles traitant du sensible contentieux électoral présidentiel. Le contexted’ouverture démocratique, dans les débuts des années 1990, avait donné lieu à l’arrêt deproclamation des résultats électoraux n°1/PE/92-93 du 23 octobre 1992. Cet arrêt « relèvediverses observations, constatations et réclamations relatives aux opérations préparatoireset celles du déroulement du scrutin ». Alors que l’article 93 de la loi électorale du 17septembre 1992 dispose que la « Cour peut faire droit à toute requête … à l’effet d’annulerles opérations électorales », l’arrêt de proclamation susvisé avait considéré « qu’aucunedisposition de la loi n°92/010 du 17 septembre 1992 n’habilite la Cour à apprécier lesobservations et réclamations ainsi relevées ni à les sanctionner le cas échéant ». On serappelle pourtant que l’arrêt n°4/E/1992 du 14 octobre 1992 avait déjà été rendu par lamême Cour Suprême pour cause de contentieux électoral. N’est-ce pas là une contradictionqui masque mal la volonté du juge suprême de ne point heurter l’exécutif dans ce domainerégalien de la gestion administrative de l’élection ?

49- Le contenu de désistement du candidat NI John FRU NDI dans l’instance, parl’entremise de son mandataire, donne en tout cas une indication claire sur la situationpathétique à laquelle adhère la Cour et qui menace l’indépendance de la magistrature :« Qu’au soutien de la requête, une kyrielle d’irrégularités a déjà été exposée. Que lesannonces continues du ministre de l’Administration territoriale, qui n’est pas visé comme uneautorité chargée de l’annonce des résultats par les textes applicables sans réaction ferme desinstitutions chargées de mettre fin à ces actes de provocation, le convainc (S.D.F) qu’il seraitinopportun de soumettre une haute instance comme la vôtre à une épreuve de force avec lerégime en place auquel elle est constitutionnellement subjuguée. Qu’il considère le problèmeposé comme étant essentiellement politique et qu’il faudrait l’aborder ainsi »57.

57 Lire notre Thèse de Doctorat sur « La compétence de la juridiction administrative en droit camerounais »,Université de Nantes, 1994, p. 246.

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50- L’ogre exécutif confine-t-il la magistrature assise à une indépendance de façade ?Tous les indicateurs pratiques le démontrent. Car comment en effet interpréter l’ultra-célérité avec laquelle le tribunal administratif régional du centre tranche au fond un litigedomanial initié par Monsieur Laurent ESSO, ministre de la justice, garde des sceaux, alorsmême que la tradition de gestion des contentieux accessoires de l’urgence s’étale sur plusd’une année58.

51- Il en résulte une justice à double vitesse, bienveillante et diligente lorsqu’elle jugel’Etat ou son organe, rigoureuse et passablement lourde au moment de plancher sur le casde simples justiciables. Toutes choses qui ruinent l’indépendance des juges par leur proprefait. C’est la raison pour laquelle l’ancien garde des sceaux, Monsieur DOUALLA MOUTOMEen l’occurrence, appelait « les acteurs de la chose judiciaire (à) se convertir aux contraintesd’un pouvoir judiciaire, enfin là … Le pouvoir judiciaire est incompatible, poursuivait-il, avec lerefus d’assumer ses responsabilités, de les assumer courageusement … (Et de conclure, àl’adresse des magistrats :) Cessez d’être à la solde de ceux qui n’ont rien à voir avec vous »59.La précision et la concision tirées de cette analyse sont-elles de nature à lui ôter toutepertinence ? Si la liberté que les juges se donnent dans le quotidien juridictionnel, créantainsi un écart entre la norme processuelle et la situation contentieuse, constitue un constat,la dictée à peine voilée du sens de la justice par des forces exogènes et endogènes n’endemeurent pas moins une explication qui vaut la chandelle.

52- Sous le bénéfice de l’ensemble des développements qui précèdent, il sied de faireobserver que le contrôle technique de l’infraction de détournement de deniers publics, adosséesur la faute de gestion par un acte juridique unilatéral de l’Administration, s’écarte visiblementaussi bien de la lettre que de l’esprit dictés par les régimes de procédures pénale etadministrative contentieuse. Et c’est la sécurité juridique du citoyen qui vacille inexorablement.Par conséquent, seuls un contexte politique d’émergence des gens de justice de très grandevaleur intellectuelle et psychologique et de réforme des textes fondamentaux garantissant lasérénité du travail contentieux sont les conditions sine qua non des procès administratif et pénaléquitables. Il y va de la légitimité de la magistrature puis des textes applicables et, bien au-delà,de l’édification d’un Etat de droit encore sujet à caution en République du Cameroun60.

58 Dans un compte-rendu d’audience fait par le journal spécialisé KALARA, en date du 26 octobre 2015 en page3, l’illustre requérant introduit un recours en début du mois de mai et obtient gain de cause contre l’Etat le 20octobre 2015.

59 Communication annuelle aux Procureurs Généraux, Lex-Lata, n°s 23-24, Février-Mars 1996, p.13.

60 OLANGUENA AWONO (U.), Mensonges d’Etat, Déserts de République au Cameroun, Les Editions du Schabel,Février 2016, 455 p.

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La réforme mort-née de la commission consultative en matière foncière etdomaniale au Cameroun, ASSONTSA Robert, Docteur/Ph. D en droit privé des universités deDschang et de Strasbourg, Chargé de Cours à la FSJP de l’Université de Dschang, Maître-assistant du CAMES

Résumé

Par décret no 2016/1430/PM du 27 mai 2016, le Premier Ministre de la République du Cameroun a revu les

modalités d’organisation et de fonctionnement de la commission consultative en matière foncière et domaniale.

De nouveaux membres y ont fait leur entrée. L’imprécision du rôle que certains d’entre eux étaient appelés à

jouer a fait penser à un alourdissement de la commission au détriment des demandeurs du titre foncier. En

outre, la déconsidération des autorités traditionnelles auparavant membres incontournables de la commission

présentait la marque d’une rupture malheureuse entre tradition et modernité. Bien que pour la première fois les

frais de fonctionnement de la commission aient été définis et ses missions davantage clarifiées, on ne pouvait

parier que les citoyens camerounais moyens demanderont et obtiendront plus facilement le titre foncier. C’est

entre autres raisons celle qui a probablement justifié que le Premier Ministre rapporte, par décret

no 2016/2538/PM du 28 juin 2016, celui du 27 mai 2016. Au moins, l’histoire retiendra cette éclipse juridique

d’un mois un jour dont les futurs demandeurs du titre foncier célèbreront sans doute le retrait de notre corpus

législatif.

1. De réformes en réformes, le droit foncier camerounais finira par trouver ses repères.Dans la suite des décrets adoptés depuis les indépendances en matière foncière61, un autre,le décret no 2016/1430/PM du 27 mai 2016 portant modalités d’organisation et defonctionnement de la commission consultative en matière foncière et domaniale62, a étésigné par le Premier Ministre chef du gouvernement de la République du Cameroun le 27mai 2016. Une rétrospective est nécessaire pour cerner les raisons de ce renouveau législatifavorté.

2. L’histoire de la législation foncière et domaniale au Cameroun, comme d’ailleurs dansde nombreux pays africains63, a pendant longtemps tournée le dos au droit traditionnel,marquant ainsi le triomphe du droit moderne64. Le décret du 21 juillet 1932 réaménagé en

* L’auteur tient à remercier le Professeur MIENDJIEM Isidore Léopold et le Docteur KEM CHEKEM pour avoiraccepté de relire cette contribution.61 V. infra, no 2 à 4.62 V. Cameroon Tribune du mercredi 1er juin 2016.63 Pour le Tchad, lire B. B. DJIKOLOUM, « La notion de propriété du Code civil et le système foncier tchadien »,Penant no 885, oct.-déc. 2013, p. 402 et s.64 A.-D. TJOUEN, Droits domaniaux et techniques foncières en droit camerounais, Economica, Paris, 1982, p. 1.

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1959 et les textes qui l’ont précédé65 en sont la preuve patente. À cette législation coloniale,les collectivités coutumières ont opposé de nombreuses résistances : refus de la notion deterres vacantes et sans maître, refus de la distribution et du contrôle de l’utilisation desterres par l’État, etc.

Au lendemain de l’accession à l’indépendance, le législateur camerounais a presqueconservé la philosophie du législateur colonial dans la grande réforme de 197466, bien queles populations aient été consultées avant son adoption. C’est ce qui explique que la sociététraditionnelle ait opposé de nouvelles résistances tant à la notion de domaine national et aurôle qu’il était appelé à jouer qu’à l’expropriation pour cause d’utilité publique. Cesrésistances étaient cependant moins farouches, car la réforme de 1974, sans abandonner ledroit moderne, a tout de même pris en compte quelques spécificités de la sociététraditionnelle67. Par exemple, l’article 16, alinéa 2 de l’ordonnance no 74/1 crée lescommissions consultatives68 encore appelée commissions de constat ou de règlement sousl’empire du décret du 07 juillet 196669. Elles sont présidées par les autorités administrativeset comprennent obligatoirement les autorités traditionnelles. Depuis lors, au travers demultiples interventions législatives, la considération des résistances de la sociététraditionnelle est devenue une préoccupation permanente.

3. En 1976, quatre textes70 ont été adoptés qui affichent, pour la plupart, la volonté dulégislateur camerounais d’assurer la coexistence entre le droit moderne et le droittraditionnel. Il s’agit du décret no 76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtentiondu titre foncier, mais surtout du décret no 76/166 du 27 avril 1976 fixant les modalités degestion du domaine national. En même temps qu’il institue à la faveur des populations laprocédure d’obtention du titre foncier, le premier texte clarifie certaines attributions de lacommission consultative. Le second, plus décisif, consacre à ladite commission son chapitreIV dans lequel sont traitées les questions relatives à sa composition et plus largementencore, celles se rapportant à ses attributions. Le 1er juillet 1976, dans sa note

65 On citera le décret du 05 juillet 1921 reproduisant, à quelques différences près, le texte foncier alors envigueur à Madagascar, l’arrêté du 15 septembre 1921 instituant au Cameroun le système de la transcription duCode civil français, le décret du 22 mai 1924 étendant au Cameroun, le régime de l’immatriculation des droitsfonciers en vigueur en Afrique Équatoriale Française (AEF).66 Deux ordonnances sont adoptées, les ordonnances no 74/01 et 74/02 du 06 juillet 1974 portantrespectivement régime foncier et régime domanial du Cameroun.67 L’ord. no 74/01 dispose en son article 17, alinéa 2, que « […] les collectivités coutumières, leurs membres outoute autre personne de nationalité camerounaise qui, au 05 août 1974, date d’entrée en vigueur de la présenteordonnance, occupent et exploitent paisiblement les dépendances de 1er catégorie prévues à l’article 15,continueront à les occuper ou à les exploiter et pourront y obtenir des titres de propriété conformément auxdispositions du décret prévu à l’article 7 ».68 Cette commission comprend le chef du village et deux notables.69 E. TEMGOUA, Le contentieux foncier en droit positif camerounais, Mémoire de maîtrise, Université deYaoundé, 1985-1986, p. 9.70 La loi no 76/25 du 14 décembre 1976 portant organisation cadastrale, le décret no 76/167 du 27 avril 1976fixant les modalités de gestion du domaine privé de l’État.

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no 27/MINFI/CAB, le ministre des finances avait d’ailleurs exhorté les gouverneurs à porterune attention toute particulière à la composition et au fonctionnement des commissionsconsultatives, eu égard à l’importance de celles-ci dans la réforme foncière et domaniale.

4. La mise en place de la commission consultative présentait et présente encorel’avantage de faire régner la justice sociale dans l’exploitation de l’espace rural et d’associerles collectivités coutumières à la gestion des terres, du moins celles du domaine national.Cette implication dans la gestion des terres n’a cependant pas comblé les attentes despopulations camerounaises qui en attendaient bien plus. Pendant des décennies justement,elles ont formulé des critiques au sujet des réformes intervenues : accaparement de leursterres par l’État, coûts exorbitants et décourageants, complexité et longueur de la procédured’obtention du titre foncier, etc. En 2005, le législateur a réagi précipitamment71 à travers ledécret no 2005/481 du 16 décembre 2005 modifiant et complétant certaines dispositions dudécret no 76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier. Le décretsuscité procède à la simplification de la procédure d’obtention du titre foncier en la limitantnon seulement au cadre régional72, mais également en réduisant les délais existants73 et eninstituant de nouveaux délais74 pour l’accélérer.

5. Sur un plan théorique, l’ensemble des correctifs ainsi apportés à la procédure lui ontdonné un visage nouveau et attractif. À l’aune de ces nouveautés, tout portait à penserqu’une demande de titre foncier pouvait connaître son aboutissement en six mois75.

Dans la pratique en revanche, les fruits ont très tôt trahi la promesse des fleurs.Semblablement à la période d’avant 2005, les procédures d’obtention du titre foncier sontdemeurées longues, le matériel technique insuffisant et anachronique, les frais de procédureprohibitifs et variables d’un département à l’autre76. L’affectation au ministère desdomaines, du cadastre et des affaires foncières d’une bonne frange des 25 000 jeunesrecrutés n’a pas comblé de manière satisfaisante les carences en personnel et surtout enpersonnel qualifié. Le titre foncier est resté un mystère77 et, de manière générale, les

71 V. infra, no 5.72 Suivant l’article 15 nouveau, un bulletin des avis domaniaux et fonciers est désormais publié dans chaquerégion et remplace le journal officiel qui était jusque-là publié par la direction des domaines au ministère desaffaires foncières à Yaoundé.73 Le délai de transmission du dossier à la délégation départementale des affaires foncières est désormais dehuit au lieu de quinze jours (art. 12 nouveau).74 V. art. 12 (délai de 72 heures imparti au sous-préfet pour délivrer le récépissé de dépôt du dossier), 13 (délaide publication d’un extrait de la demande par voie d’affichage).75 C’est la durée estimée par le ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières (MINDCAF), v. S.-P. KOUAM, « Les mirages de l’hypothèque conventionnelle en droit de l’OHADA », Penant no 895, avril-juin2016, p. 278.76 V. infra, note no 134.77 S.-P. KOUAM, « Les mirages de l’hypothèque conventionnelle en droit de l’OHADA », préc., p. 278.

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populations ont continué à se plaindre de la violation de leur droit à la terre78. Le législateura probablement éludé un aspect important qui aurait permis à la réforme de 2005 deproduire tous ses effets. Autrement dit, le décret no 76/166 du 27 avril 1976 fixant lesmodalités de gestion du domaine national aurait dû être modifié au même moment quecelui no 76/165 du 27 avril 1976 fixant les conditions d’obtention du titre foncier. Ces décretsseraient des vrais jumeaux, né l’un après l’autre le même jour et séparés prématurément en2005. L’histoire conforte notre raisonnement et un auteur est, lui aussi, du même avislorsqu’il affirme qu’« une réforme ne se mesure pas seulement à ses objectifs, à sonéconomie qui est, en matière foncière et domaniale au Cameroun, la rapidité et de la sécuritédans la procédure, la modicité des frais procéduraux. Elle se mesure aussi à l’organisation desadministrations compétentes, aux moyens humains, techniques, matériels et financiers misen œuvre pour son application concrète »79.

Effectivement, des travaux récents réalisés à l’Université de Dschang80 ont émis le vœude voir la commission consultative être dotée d’un personnel qualifié et des frais defonctionnement harmonisés sur tout le territoire de la République81.

6. Le législateur camerounais, probablement instruit de l’ensemble des maux dontsouffrait la commission consultative, a pris le décret no 2016/1430/PM du 27 mai 2016précité par lequel il a revu son organisation et son fonctionnement. Une révision d’ensembledu décret no 76/166 précité ne lui a pas paru nécessaire. Il en a simplement extrait unmorceau82. Mais totale ou partielle, cette révision était attendue. Le législateur en avait bienconscience. Pour une loi de fond, il lui a préféré la publication suivant la procédured’urgence et l’a soumis au principe d’application immédiate83. L’article 14 dudit décretdispose à cet effet que « les demandes d’immatriculation n’ayant pas encore fait l’objetd’une descente de la commission à la date de signature du présent décret, sont soumises à laprocédure prévue par la présente réglementation ». Cette même logique est poursuivie àl’article 16 où il est écrit que le décret de 2016 abroge toutes les dispositions antérieures quilui sont contraires. Ces dispositions de droit transitoire ne sont cependant pas les seules àattirer l’attention dans ce décret. Trois innovations majeures transparaissent en outre del’ensemble de ce corpus normatif de 17 articles.

78 K. L. MATCHUIN FOTSO, La protection des ressources des communautés rurales camerounaises à la terre etaux ressources naturelles : le cas des populations de Djoum, Mémoire de Master professionnel, Université deDschang, 2012-2013, p. 45 et s.79 C.-G. BATJE-BATJE, Les nouvelles administrations foncières et domaniales face au public, Mémoire de Licenceen droit privé, Université de Yaoundé, 1977-1978, p. 3.80 Au Laboratoire Droit-Terre et Développement (LATED). V. pour ces travaux, les notes no 81 et 135.81 NGOUFACK ép. DAOUDA, La commission consultative dans le département de la Menoua, Mémoire deMaster professionnel, Université de Dschang, 2015, p. 67 et s.82 Exactement le morceau dont la doctrine souhaitait la révision, lire M. PETSOKO, « Enjeux et défis de laréforme foncière au Cameroun », in Droit et politique de l’immobilier en Afrique, Exemple du Cameroun, Mél. A.TIENTCHEU NJIAKO, PUA, Yaoundé, 2015, p. 560.83 Les lois de fond sont normalement soumises au principe de la non-rétroactivité (art. 2 du Code civil).

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7. Pour la première fois, une définition est trouvée à l’expression commissionconsultative. Suivant les termes du décret de 2016 précité, elle est « un organe collégialchargé d’assister les autorités compétentes dans le cadre de la gestion du domainenational »84. Bien qu’elle pêche par sa généralité, cette acception est plus globalisantecomparée à celle que le ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières luiavait donnée dans Le Guide de l’usager85. Selon ce Guide, la commission consultative est« un organe présidé par le sous-préfet ou le chef de district chargé de constater la mise envaleur effective du terrain avant son immatriculation ou de formuler son avis sur unedemande de concession ». La deuxième innovation est relative à l’entrée de nouveauxmembres dans la commission. Enfin, pour la première fois encore, la prise en chargefinancière des membres de la commission est déterminée au plan national. Au regard de cesinnovations, pouvait-on espérer une procédure d’obtention du titre foncier plus efficacesous l’action de la nouvelle commission consultative ? La question mérite d’être posée àl’imparfait, car le décret aujourd’hui rapporté comportait en son sein une disposition quilaissait penser que l’œuvre était inachevée. L’article 15 en tenant lieu disposait que « destextes particuliers peuvent être pris, en tant que de besoin, par le ministre des affairesfoncières ».

En outre, la suppression de certains fragments de textes contenus dans l’anciennelégislation semblait plus perturbatrice que certaines nouveautés. L’étude n’est en définitivepas inopportune. C’est en effet une importante tâche de la recherche juridique et del’histoire du droit que celle qui consiste à explorer les difficultés d’application qui devaientêtre celles d’un texte retiré de l’ordonnancement juridique au lendemain de son entrée envigueur. On en percevait plusieurs à la seule lecture du texte. Celui-ci persistait par exempledans l’imprécision de la nature juridique de la commission consultative. Il laissait endéfinitive sans solution les difficultés qu’on pouvait lui reconnaître d’avoir résolu. Le décretdu 27 mai 2016 n’aura en effet jamais existé, car par décret no 2016/2538/PM du 28 juin2016, le premier ministre, sans en donner les raisons, l’a rapporté. Il est donc mort-né. Aumoment où il venait au monde, il y avait lieu de douter qu’il puisse permettre uneaccélération à moindre coût de la procédure d’obtention du titre foncier. Le doute étaitfondé d’une part sur le caractère mitigé de la reconsidération qu’il faisait de la compositionde la commission consultative (I), et d’autre part sur la clarification apparente, parcequ’inachevée, du fonctionnement de ladite commission (II).

I- La reconsidération mitigée de la composition de la commission consultative

8. Aux termes de l’article premier du décret no 2016/1430/PM du 27 mai 2016, « leprésent décret fixe les modalités d’organisation et de fonctionnement de la commission

84 Art. 2, al. 1er, du décret de 2016. Il restera à savoir en quoi consiste l’assistance.85 Lire Cameroon Tribune du lundi 19 avril 2010, no 9582/5783, pp. 20-23.

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consultative en matière foncière et domaniale ». Un chapitre entier était donc consacré àl’organisation de la commission consultative. Il énumérait les différents membres quidevaient en faire partie. Une comparaison d’avec l’ancien article 12 du décret no 76/166permettait de conclure à un alourdissement (A) et à une variabilité de la commissionconsultative (B).

A- L’alourdissement de la commission consultative

9. L’alourdissement s’expliquait par l’augmentation des autorités administratives (1), àcôté d’une autre catégorie que sont les autorités traditionnelles (2).

1- L’augmentation des autorités administratives10. Siégeant au niveau de l’arrondissement, la commission consultative devaitcomprendre un président, le sous-préfet et les membres. Cette nomenclature n’était pasdifférente de l’état antérieur. Les nouvelles autorités administratives ayant la qualité demembres étaient le délégué départemental chargé des domaines, du cadastre et des affairesfoncières (DDCAF), le Maire ou un de ses Adjoints, le chef service départemental desdomaines. Ils s’ajoutaient aux anciens membres que sont le chef service départemental ducadastre, le représentant du service de l’urbanisme, le représentant du ministre dont lacompétence a un rapport avec le projet. Plusieurs observations pouvaient être formulées ausujet de cette liste.

11. De l’énumération ainsi faite, le chef service départemental des affaires foncières,pilier important des procédures d’immatriculation tant directe qu’indirecte, n’apparaissaitnulle part. L’alinéa 2 de l’article 3 disposait pourtant que le secrétariat est assuré par lui. Ils’agissait là probablement d’une erreur rédactionnelle. Il était en effet difficilementcompréhensible qu’un non-membre puisse être un responsable de la commission. Avant ledécret de 2012 modifiant l’organigramme du ministère des domaines et des affairesfoncières (MINDAF), créant le MINDCAF et transférant la gestion du domaine national de laDirection des domaines à la Direction des affaires foncières, le rôle de secrétaire était jouépar le représentant du service des domaines d’ores et déjà membre. Il est vrai, on a constatéquelques résistances de la part de quelques chefs de service des domaines qui, ne voulantpas quitter la commission, arguaient de ce qu’ils attendaient une instruction du MINDCAFentérinant leur éviction. Cette cause n’a pas été entendue. Tout en confirmant le chefservice des affaires foncières comme secrétaire de la commission consultative, le décret du27 mai 2016 les avait ramenés dans la commission, non plus comme représentant, maiscomme membre es qualité.

12. La deuxième observation est un questionnement, celui de savoir si la nouvelleprésence du DDCAF ne faisait pas double emploi avec celle de ses subordonnéshiérarchiques que sont les chefs service du cadastre, des domaines et des affaires foncières.

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Le retour du chef service des domaines dans la commission consultative se justifiait dans lasituation qui est celle du Cameroun où, de manière régulière, les populations s’installent surle domaine privé de l’État, des collectivités publiques ou locales, l’exploitent ou l’occupent,et parfois initient avec succès des demandes d’immatriculation sur ces parcelles86. Le rôle duchef service des domaines aurait consisté à éviter ce genre de confusion. Toutefois, il nepouvait jouer efficacement son rôle que si le ministère mettait à sa disposition une mappefoncière. Elle est fondamentale en ce sens qu’elle délimite avec précision les diversdomaines que constitue le territoire national, permet la mise à jour des travauxtopographiques et évite les doubles bornages et le chevauchement des titres fonciers87. Àpartir du moment où le cadastre, les domaines et les affaires foncières étaient présents,chacun dans un rôle bien spécifique, la question se posait du rôle que devait jouer leDDCAF ? Un rôle de coordonnateur pouvait lui être reconnu, mais on ne voit pas ce qu’ilaurait coordonné, car il n’était pas le président de la commission. La présence du DDCAFrentrait malheureusement dans cette logique gestionnaire, cette politique typiquementcamerounaise destinée à satisfaire les réclamations des patrons qui vivent en spectateurl’aisance de leurs subordonnés. On en oubliait qu’elle avait pour conséquence d’alourdir nonseulement la commission, mais également, comme on va le voir88, la charge du requérantqui doit supporter les frais de procédure.

13. Une autre inquiétude était relative à la présence du maire ou d’un de ses adjointsdans la commission consultative. Avec l’adoption de la loi constitutionnelle du 18 janvier1996, le Cameroun s’est engagé dans un processus de décentralisation visant à conférer àdes groupements géographiquement localisés sur une portion déterminée du territoirenational, la personnalité juridique et le pouvoir de s’administrer par des autorités locales89.Depuis lors, des compétences ont été transférées aux Communes dans des domainestellement variés90, la plupart étant en rapport avec la terre, qu’il devenait inconcevable quele maire ne fût pas désigné membre de la commission qui décide de leur appropriation. Unauteur estimait encore récemment que la gestion foncière devrait constituer la compétencefondamentale des autorités locales pour l’aménagement de l’espace, la mise en place desvoiries et des équipements de base, les lotissements dans les zones urbaines91. En droit

86 NGOUFACK ép. DAOUDA, La commission consultative dans le département de la Menoua, op. cit., p. 77.87 Jusqu’en 2010, seul le département du Haut-Nkam en possédait une dans la région de l’Ouest au Cameroun.88 V. infra, no 40 et s.89 Lire art. 2 de la loi d’Orientation de la décentralisation no 2004/017 du 22 juillet 2004.90 La loi no 2004/018 du 22 juillet 2004 fixant les règles applicables aux communes cite parmi les compétencestransférées, « l’élaboration des plans d’occupation des sols, des documents d’urbanisme […] ». V. pourl’ensemble des compétences transférées, Juridis Périodique no 81, janv.-févr.-mars 2010, p. 6 et s. ; no 93, janv.-févr.-mars 2013, p. 8 et s. ; no 85, janv.-févr.-mars 2011, p. 21 et s. ; no 103, juill.-août-sept. 2015, p. 40 et s.91 S.-P. KOUAM, « Politique foncière et problématique de développement au Cameroun, question d’hier,réponses de demain », in Droit et politique de l’immobilier en Afrique, Exemple du Cameroun, Mél. A.TIENTCHEU NJIAKO, op. cit., p. 341 ; lire également, A. M. MASSAH, La gestion des incidents de la procédure

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étranger, précisément au Tchad, le secrétariat de la Commission d’Attribution des Terres enZone Urbaine (CATZU) est aujourd’hui assuré par le maire92.

En dépit de leur poids, ces arguments peinent cependant à se maintenir durablementdans la mesure où le service des domaines, désormais dans la commission, pouvaitrenseigner régulièrement les requérants sur la nature du domaine dans lequel se trouve laparcelle sur laquelle ils souhaitent avoir un titre de propriété privé. Un auteur a d’ailleurssoutenu que la politique de décentralisation ne permet pas une bonne implication descommunes dans la gestion foncière. Il note également un conflit entre la loi fixant les règlesapplicables aux communes et le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE)qui s’oriente vers les mêmes domaines que ceux dont le transfert est envisagé auxcommunes93. En outre, la commune a un domaine privé, titré en son nom, sur lequel lemaire peut procéder à des attributions. L’ensemble des opérations dans ce domaine nenécessite pas l’intervention de la commission consultative. Enfin, la présence du mairevenait alourdir les frais de procédure au détriment du requérant.

14. Le représentant du service de l’urbanisme était devenu un membre statutaire. Sonintervention ne devait plus, comme c’est la cas aujourd’hui, être conditionnée par la natureurbaine du projet, le représentant du ministère de l’agriculture étant convoqué lorsque leprojet est rural ou agricole. À l’aune du décret, que le projet soit urbain ou rural, lereprésentant du service de l’urbanisme était obligatoirement membre de la commission. Enplus de l’alourdissement de la commission qui en résultait, l’on assistait à un encombrementdu texte de loi, car la mention du représentant du ministre dont la compétence a un rapportavec le projet aurait pu suffire. Dans l’instruction des demandes de concession sans rapportavec le cadre urbain, le représentant du service de l’urbanisme devait être un membre detrop. Les analyses ne sont pas les mêmes en ce qui concerne les autorités traditionnelles quela réforme avait préféré maintenir comme membre de la commission consultative.

2. Le maintien des autorités traditionnelles15. Aux termes de l’alinéa 1er de l’article 3 du décret de 2016, comme du reste dansl’ancien texte toujours en vigueur, font partie de la commission consultative, le chef et deux

d’immatriculation directe dans le département de la Menoua, Mémoire de master professionnel, Université deDschang, avril 2015, p. 72.92 Il était anciennement assuré par le service du Cadastre, v. A. WASSOU, L’accès à la propriété foncière dans larégion du Mayo-Kebbi Est (Tchad), Mémoire de master professionnel, Université de Dschang, 2012-2013, p. 41.Il est tenu par le représentant régional du cadastre dans la Commission d’Attribution des Terrains en ZoneRurale (CATZU), Ibidem, p. 49.93 S.-P. KOUAM, « Politique foncière et problématique de développement au Cameroun, question d’hier,réponses de demain », in Droit et politique de l’immobilier en Afrique, Exemple du Cameroun, Mél. A.TIENTCHEU NJIAKO, op. cit., p. 341. Le DSCE indique qu’en matière de gestion foncière, « les principauxprogrammes seront basés autour des axes stratégiques suivants : (i) l’aménagement des lotissements selon lesdemandes des secteurs primaire et secondaire ; (ii) la réalisation du plan cadastral national assorti des planscadastraux des communes du Cameroun ; (iii) la constitution des réserves foncières destinées au développementdes projets d’intérêt général ; (iv) l’aménagement des lotissements à usage résidentiel ».

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notables du village ou de la collectivité où se trouve le terrain. Cette disposition qui nemodifiait pas le texte actuellement applicable excluait par conséquent les chefs degroupement ou chef supérieur malgré le mécontentement qu’ils ont souvent exprimé. Lajurisprudence a eu l’occasion de rappeler une telle exclusion pour invalider l’avis pris par lacommission en leur présence94. Il s’agit donc essentiellement des chefs de troisième degré.La logique d’ensemble, certes impropre à l’objectif d’efficacité95, aurait commandé que leschefs de groupement fussent aussi, comme le DDCAF, désignés membre de la commission.Dans la pratique, ils pourront intervenir lorsque la demande porte sur une parcelle situéedans les quartiers relevant de la compétence territoriale du chef de groupement parce quedépourvus de chef de village. Ces observations préliminaires étant faites, il faut soulignerqu’au lendemain de la réforme de 1974, la désignation des autorités traditionnelles commemembre de la commission consultative avait été vivement critiquée. Elle était jugée nonconforme aux objectifs économiques de la réforme foncière de 1974. La doctrine soutenaitque les autorités traditionnelles sont l’incarnation de la coutume qui est considérée enAfrique comme étant hostile à tout changement ou comme un frein au développementéconomique96. Un auteur a même préconisé, ce qui est difficile à mettre en œuvre, que leurprésence soit subordonnée à un certain niveau d’études, ou au moins à la condition qu’ellessachent lire et écrire97.

16. La réforme réincarnée de 1976 consacre pourtant au chef et ses notables une placede choix. Il est vrai que leur nombre minoritaire comparé à celui des autoritésadministratives ne leur permet pas d’influencer les propositions de la commission, mais aumoins peuvent-ils les bloquer en ne participant pas à la descente. L’article 15 du décretno 76/166 précité dispose que « les recommandations de la commission sont adoptées à lamajorité simple des membres présents, et valables si le chef du village ou de la collectivité etun notable ont participé aux travaux ». Cette disposition réalise un véritable compromisentre tradition et modernité. Rien n’explique l’exclusion des chefs de village de la gestiondes terres qui relève jusque-ici de leur compétence. Certes, ils tirent généralement avantagede cette qualité pour être particulièrement exigeants auprès des requérants au sujet de leurfrais de participation. En passant sous silence ces inquiétudes, La réforme de 2016 les avaitmaintenus dans la commission, mais les avait toutefois subtilement dépourvus de leurspouvoirs de blocage des décisions de la commission.

94 CS-CA, jug. no 29, 25 mars 1982, aff. BEYISSA Adolphe Mazarin c/ État du Cameroun, Lex Lata no 006, 30 déc.1994, p. 8, obs. R. B. GUIMDO.95 Une telle présence, comme d’ailleurs celle du DDCAF, ne ferait qu’alourdir les frais au grand détriment desrequérants.96 Ch. YOSSA, Les commissions dans le régime foncier camerounais, mémoire de licence, Université de Yaoundé,1978, p. 12.97 M. PETSOKO, « Enjeux et défis de la réforme foncière au Cameroun », préc., p. 561. Les chefs traditionnels nesont pas élus. L’exclusion des analphabètes est donc difficile.

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17. D’une part, l’article 5 du décret de 2016, ancien article 15 du décret no 76/166, necontenait plus la seconde branche relative à la présence incontournable du chef et d’unnotable. La commission pouvait désormais siéger en l’absence de ces derniers. Pourconfirmer cette orientation, l’adjectif présent avait également sauté du nouveau texte. À lafaveur de cette exclusion, on était en droit de remarquer que dans l’esprit du législateur,aucune absence ne devait plus faire obstacle à une procédure d’immatriculation ou à unedemande de concession. En ce qui concerne les autorités traditionnelles, l’évolution ainsinotée était régressive. Du moment où le chef et ses notables pouvaient ne pas être présentspour dire qui est l’auteur de la mise en valeur, il était prévisible que les citoyens fassentimmatriculer des terres qui ne sont pas les leurs. L’explosion démographique galopanteayant pour corollaire la conquête des espaces de logement était de nature à favoriser cetétat de chose. On pressentait là la naissance de nombreux conflits que la carte judiciaire nepermet pas pour l’instant de régler à temps98.

18. D’autre part, une difficulté demeurait qui était relative à la contradiction entrel’article 13 nouveau, alinéa 7, issu de la modification en 2005 du décret no 76/166 précité etl’article 3 du décret de 2016. Le premier article énonce que « lorsque le bornage ne peut êtreachevé en présence des membres de la commission consultative, le président de laditecommission désigne un comité ad hoc qui supervise les travaux de bornage jusqu’à leurachèvement. Le chef du village et un notable du lieu font obligatoirement partie de cecomité ». S’ils ne sont pas obligatoirement présents au comité ordinaire, a fortiori devraient-ils l’être dans le comité ad hoc. L’article 13 devait donc disparaître par application de l’article16 du décret de 2016 qui abrogeait toutes les dispositions antérieures contraires.

19. À côté des membres légalement prévus par la loi et malgré la lourdeur aujourd’huidécriée de la composition, un auteur avait souhaité, à l’image de ce qui se passe au Tchad99,qu’un magistrat fût désigné membre de la commission100. Il suivait en cela une autredoctrine qui, des décennies auparavant, avait soutenu que l’absence d’un magistrat au seinde la commission impactait négativement sur l’efficacité de celle-ci. Il estimait que laprocédure gagnerait en célérité, mais aussi en efficacité si le législateur avait prévu au seinde la commission un magistrat ou du moins un juriste privatiste101. En 2015, il a été ànouveau soutenu que la présence d’un magistrat dans la commission serait un gage de

98 Lire S. TALLYNG, « De l’esprit des réformes judiciaires : la recherche d’un rapprochement sans cesse croissantde l’institution judiciaire du justiciable », in Les réformes de droit privé en Afrique, Actes du colloque organisépar le laboratoire d’Études et de recherche sur le droit et les affaires en Afrique (LERDA), PUA, Yaoundé, 2016,p. 371 et s. ; J. FOMETEU, « La distance du juge : chronique d’humeur à propos d’un dilemme de magistrat », inCahiers juridiques et politiques, Annales de la FSJP de l’Université de N’Gaoundéré, Numéro spécial, le juge et ledroit, 2014, p. 103 et s.99 A. WASSOU, L’accès à la propriété foncière dans la région du Mayo-Kebbi Est (Tchad), op. cit., note no 160.100 I. L. MIENDJIEM, Le droit des occupants du domaine national, thèse d’État, Université de Yaoundé II, 2007, p.269.101 E. TEMGOUA, Le contentieux foncier en droit positif camerounais, op. cit., p. 12.

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sécurité, de transparence et de prévention des litiges102. Cette proposition peut êtrediversement appréciée.

L’admission d’un magistrat comme membre de la commission aurait eu pourconséquence de remettre d’une main ce que l’on a pris de l’autre. L’histoire nous renseignequ’avant 1974, le contentieux relatif aux immeubles non immatriculés était connu du jugejudiciaire103. Le législateur a souhaité rompre avec ce passé en confiant ces litiges à laconnaissance des autorités administratives et notamment des commissions consultatives. Ilne fallait pas y retourner par un stratagème, car la procédure d’obtention du titre foncierpour laquelle est instituée la commission consultative n’est pas une procédure contentieusepar nature. Or la présence d’un magistrat inspire toujours une situation contentieuse.

En revanche, l’idée d’un juriste privatiste non magistrat, membre de la commission,pourrait être favorablement accueillie dans une prochaine réforme. Comme le soutient ladoctrine précitée104, les litiges fonciers relevant de la compétence de la commission sont leplus souvent relatifs au droit des biens que les autorités administratives maîtrisent mal. Pourfaire d’une pierre deux coups, en évitant un alourdissement croissant de la commission,l’État sera inspiré de nommer au poste de chef service des affaires foncières uniquement lespersonnes ayant une formation de juriste privatiste.

20. En attendant une éventuelle prise en compte des propositions faites, il était difficile,au regard du droit tel que issu du décret de 2016, de dire combien de membres devaientsiéger obligatoirement dans la commission pour que ses recommandations soient validées.En effet, les variations dont pouvait subir sa composition étaient plurielles.

B. La variabilité de la composition de la commission consultative

21. Le décret de 2016 envisageait la variabilité de la composition de la commissionconsultative aussi bien dans la qualité (1) que dans le nombre de membres devant oupouvant y siéger (2).

1. La variabilité dans la qualité des membres de la commission22. Sous l’empire du décret no 76/166 du 27 avril 1976, la commission consultativefonctionnait comme un ministère public. La plupart des membres n’était que desreprésentants de leur service. D’une descente à une autre, les agents pouvaient se relayer :c’est le même service qui agissait en la personne de ses multiples agents. Les demandesd’immatriculation étant faites pour des parcelles situées dans divers villages, les chefs etnotables devaient, ainsi qu’il est encore le cas aujourd’hui, varier au gré du lieu de situation

102 A. M. MASSAH, La gestion des incidents de la procédure d’immatriculation directe dans le département de laMenoua, op. cit., p. 71.103 E. TEMGOUA, Le contentieux foncier en droit positif camerounais, op. cit., p. 9.104 Ibidem, p. 12.

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des immeubles à immatriculer. Le sous-préfet ou le chef de district était en définitive la seuleautorité irremplaçable de la commission. L’instruction no 000008/Y.18/MINDAF/D310 du 29décembre 2005 du ministre des affaires foncières les avait d’ailleurs obligés à présiderpersonnellement les travaux de la commission. S’ils avaient la possibilité de mettre sur piedun comité ad hoc en cours de travaux, au moins devraient-ils être présents au début destravaux de la commission.

Dans la réalité, l’exigence était excessive eu égard aux sollicitations du sous-préfet. Enviolation de la loi, il se faisait représenter par son adjoint et quelquefois par des agents de lasous-préfecture105. Il lui fallait simplement signer le procès-verbal après la descente.Lorsqu’il ne le signait pas ou lorsque l’agent le signait pas es qualité, la jurisprudencedéclarait le procès-verbal nul et de nul effet pour composition irrégulière de la commissionconsultative106. Lorsqu’il constatait l’irrégularité, le chef service régional des affairesfoncières refusait de viser le dossier d’immatriculation qui retournait à l’expéditeur pourcorrection. Pendant ce temps, la procédure s’allongeait au préjudice du requérant. Lelégislateur de 2016 avait tenu à mettre un terme à ces dysfonctionnements. En ce sens, elledisposait que la commission est présidée par le sous-préfet ou par son adjoint, maisexclusivement par l’un des deux107.

23. En dehors du service de l’urbanisme et du ministère ayant un rapport avec le projetpour lesquels le décret continuait de parler du représentant, le maire ou un de ses adjoints,les chefs des autres services avaient fait une entrée en force dans la commission. Très vite,on se serait risqué de conclure que la commission était désormais invariable en ce qui lesconcerne. Cette conclusion serait hâtive pour plusieurs raisons.

24. La première est fondée sur l’article 3, alinéa 3, du décret de 2016. Aux termes duditarticle, « au début de chaque année civile, le préfet prend un arrêté constatant lacomposition de la commission ». Cette disposition était lourde de conséquences. Elleinsinuait d’une part que la composition de la commission pouvait varier au fil des années.D’autre part, elle apportait un infléchissement aux pouvoirs du préfet. Dans le décretno 76/166 ressuscité, les membres de la commission sont nommés par ce dernier108. Il devaitdorénavant se borner à faire le constat des membres qui lui sont présentés, soit par le mairequi désigne un adjoint chargé des questions foncières, soit par le ministère de l’urbanisme

105 NGOUFACK ép. DAOUDA, La commission consultative dans le département de la Menoua, op. cit., p. 62.Cette auteure parle de l’absence chronique du président de la commission consultative ; M. MAOUMBENOUMBOU ép. GATSING, Le procès-verbal de la commission consultative dans le ressort de la délégationrégionale du ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières de l’Ouest, Mémoire de masterprofessionnel, Université de Dschang, 2013, p. 24.106 V. CS/CA, arrêt no 29 du 25 mars 1982, aff. BEYISSA Adolphe Mazarim c/ État du Cameroun, Lex Lata no 006,30 déc. 1984 ; arrêt no 60/99-2000, aff. dame POHOKAM Suzanne c/ État du Cameroun, inédit.107 Art. 4 du décret de 2016.108 Art. 12.

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ou le délégué départemental de l’agriculture qui désigne son représentant, etc. Il faudraencore attendre.

25. La seconde prend appui sur l’article 4, alinéa 2, du décret de 2016 précité. Ilénonçait qu’en cas d’indisponibilité d’un membre, un agent du service le représente. Cetagent était habilité à signer le procès-verbal. Le membre titulaire représenté conservaittoutefois un droit de regard sur les activités du représentant. Le même alinéa in fineprévoyait qu’il peut contresigner le procès-verbal. L’alinéa 3 in fine de l’article 3 prévoyait lavariation de la composition de manière plus générale. Il disposait que « la composition peut,en tant que de besoin, varier en fonction de la nature des projets ou de la disponibilité desmembres ». Avec cette disposition, on était à la lisière de la variation entre la qualité et lenombre de membres.

2. La variabilité dans le nombre des membres de la commission26. Combien de membres devaient être comptabilisés par un requérant qui entendaitengager une procédure d’immatriculation, directe ou indirecte ? La question paraissaitanodine pour qui n’avait pas songé par avance aux frais de procédure. Ceux-ci dépendaientet dépendent encore pour l’essentiel du nombre de membres de la commission109. Suivantune arithmétique simple à laquelle on peut s’hasarder, l’article 3 du décret permettait derecenser onze (11) membres, soit un président, un secrétaire et neuf membres, ce nombredevant s’alourdir dans le cas prévu à l’alinéa 5 de l’article 13 du décret no 2005/481 précitéoù l’immeuble à immatriculer intéresse plusieurs circonscriptions. Il est indiqué qu’en pareiloccurrence, les commissions concernées siègent ensemble, à l’initiative de celle qui détientle dossier. Le décret prévoyait que le nombre de membres peut varier en fonction de leurdisponibilité. Cette prévision légale était susceptible de plusieurs interprétations. Soit lemembre indisponible se fait remplacer comme on vient de le voir110, le nombre resteinchangé. Soit il ne se fait pas remplacer, le nombre de membres de la commission allaitvarier. Une telle variation était de nature à soulever quelques inquiétudes.

27. La première est une question, celle de savoir si le membre pouvait signer après-couple procès-verbal rédigé en son absence. D’évidence, la réponse était nécessairementnégative. Le requérant devait être inspiré, le jour de la descente de la commission, derecenser les membres présents à l’effet de se faire rembourser des frais qu’il aura déboursépour un membre qui aura finalement été absent. Il se devait d’insister pour que cetteabsence ou indisponibilité fût mentionnée au procès-verbal. L’article 5, alinéa 3, du décretde 2016 disposait à cet effet, on l’imagine, que « le procès-verbal doit contenir toutes lesinformations et objections reçues au cours de l’enquête ». L’alinéa 1er du même articlecontenait cependant un détail déjà relevé qui venait nuire à la compréhension. Il retenait

109 V. infra, no 44.110 V. supra, no 25.

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que les recommandations de la commission sont adoptées à la majorité simple desmembres. S’agissait-il des membres présents ou des membres statutaires, qu’ils soientprésents ou pas ? Il devait s’agir des membres présents sachant que tous, à l’exception duprésident et sans doute du secrétaire, n’ont pas l’obligation d’être présents.

28. La seconde est une difficulté technique demeurée d’actualité. Certains membres dela commission ont un rôle essentiel à jouer : le chef service du cadastre et le représentant duservice de l’urbanisme ou de la délégation de l’agriculture en fonction des cas. Le premierréalise les levées topographiques et le bornage111 tandis que les seconds déterminent del’âge des mises en valeur. Qu’adviendrait-il si un de ces membres était indisponible sansavoir pourvu de remplaçant ? La commission ne pouvait régulièrement siéger. Par filtration,il apparaissait qu’en contemplation du décret de 2016, la commission pouvait très biensiéger avec quatre membres : le président, le secrétaire (affaires foncières), le cadastre,l’urbanisme ou l’agriculture en fonction des cas. Les autres membres constituaient uncomité de vigilance dont la commission pouvait s’en passer. À peine entrée en action, lanouvelle commission consultative était déjà pressentie pour un toilettage nécessaire à sonbon fonctionnement. Victime de sa précipitation, de son introversion, voire de l’opacité112, ilétait certain que le législateur camerounais reviendrait sur sa copie. Radicalement, il apréféré la retirer pour se donner un nouveau temps de réflexion. Les règles defonctionnement de la commission y avaient pourtant bénéficié d’une clarification non moinsimportante. On continuera toutefois de donner raison au législateur pour l’option qui a étéla sienne, car il y a fort à parier qu’elles auraient fait l’unanimité.

II- La clarification inachevée du fonctionnement de la commission consultative

29. La réforme de 2016 avait procédé à la clarification du fonctionnement de lacommission consultative. Aux termes de son article 6, alinéa 1er, la commission devait seréunir, en tant que de besoin, sur convocation de son président. Cette disposition rompaitavec le passé, redevenu actuel, où elle se réunissait au moins une fois par semestre113. Lelégislateur avait compris que l’on ne pouvait faire obligation à la commission de se réunirlorsqu’aucune demande ne lui était soumise. Dans la perspective de ladite réunion, lesconvocations et l’ordre du jour devaient parvenir aux membres cinq (5) jours au moins avantla date de la réunion114. Pour la bonne information des membres, du requérant et touteautre personne intéressée à la procédure, par exemple les opposants, l’ordre du jour devait

111 Lire pour l’ensemble, C. E. NGANKAM MBOM, Le géomètre dans la procédure d’obtention du titre foncier :cas du cabinet géo-expert & associés à Yaoundé, Mémoire de Master professionnel, Université de Dschang,2016.112 S.-P. KOUAM, « Les mirages de l’hypothèque conventionnelle en droit de l’OHADA », préc., p. 277.113 Art. 13 du décret no 76/166 précité.114 Art. 6, al. 2, du décret de 2016. Le décret no 76/166 précité prévoyait dix (10) jours.

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être publié et affiché dans les locaux de la préfecture, de la sous-préfecture, de la mairie oude la chefferie du lieu de situation du terrain et indiquer la localisation du terrain, sasuperficie approximative et le projet envisagé s’il s’agissait d’une demande de concession.

Après avoir revu les modalités de convocation de la réunion de la commissionconsultative, le décret avait redéfini, certes avec des chevauchements et des imprécisions,ses attributions (A) et fixé pour la première fois ses frais de fonctionnement (B).

A- La redéfinition des attributions de la commission consultative30. Dans la réforme, le législateur distinguait entre les attributions consultatives (1) et lesattributions contentieuses (2).

1- Les attributions consultatives31. Les attributions consultatives de la commission s’inscrivaient dans la gestion dudomaine national et étaient contenues à l’alinéa 2 de l’article 2 du décret de 2016. Desdispositions de cet article, il ressortait que la commission propose à l’autoritécompétente115, la répartition de l’espace en zones agricoles et pastorales suivant les besoinsdes populations116. En ce sens, elle choisit les terrains indispensables aux collectivitésvillageoises, reçoit toutes les observations et informations en rapport avec la gestion dudomaine national et fait des recommandations au ministre chargé des affaires foncières.Enfin, la commission devait, ainsi qu’elle le fait encore aujourd’hui, intervenir dans lesprocédures d’immatriculation directe et indirecte.

32. Dans les procédures d’immatriculation directe, le même alinéa 2 de l’article 2 dudécret de 2016 disposait in fine que la commission constate la mise en valeur pourl’obtention du titre foncier. Cette mise en valeur consiste dans l’occupation ou l’exploitationdu terrain. L’immatriculation directe devait donc, comme par le passé, être demandée surdes terrains d’habitation, des terres de culture, de plantation, de pâturage et de parcoursdont l’occupation se traduit par une emprise évidente de l’homme sur la terre et une miseen valeur probante117. L’occupation ou l’exploitation devait toujours être antérieure au 05août 1974. Cette exigence impliquait et implique encore que la commission puisse vérifier ladate depuis laquelle les mises en valeur ont été faites, l’étendue et l’auteur de ladite mise envaleur pour proposer au délégué régional des affaires foncières la délivrance ou le refus dutitre foncier. À l’image de la législation antérieure à nouveau applicable, le représentant du

115 Le décret no 76/166 parlait de l’autorité préfectorale.116 Avant la réforme de 1974, suivant l’article 11 désormais abrogé du décret no 78/263 du 03 juillet 1978 fixantles modalités de règlement des litiges agro-pastoraux, ceux-ci étaient réglés par un arrêté conjoint du ministredes domaines, du ministre de l’agriculture et du ministre de l’élevage et des industries animales. Les missionsde la commission ont pour objectif de prévenir ces litiges.117 Art. 15 du décret no 74/01 précité.

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ministère de l’agriculture devait, lorsqu’il s’agit des terrains cultivés, évaluer l’âge descultures et le représentant du service de l’urbanisme, l’âge des constructions.

En pratique, la commission est tolérante lorsque la mise en valeur consiste dans desconstructions. Elle est en revanche sévère lorsqu’il s’agit des cultures, singulièrement lescultures saisonnières. Son avis est généralement le refus du titre foncier lorsque le terrain necomporte pas des arbres tels que des avocatiers, des kolatiers, bref, des plantes dont la viepeut s’étendre sur plusieurs décennies. Dans ces cas, elle conclut systématiquement à lamise en valeur insuffisante. Elle discrimine en définitive là où la loi n’a pas distingué. Elle amême souvent été plus loin pour décider du renvoi du dossier à la procédure de concession.Ces tares inclinent à penser que le législateur aurait gagné dans le décret rapporté àapporter plus de précision à la notion de mise en valeur.

33. Dans les procédures d’immatriculation indirecte, spécialement dans les concessions,le décret de 2016, conforme au droit antérieur, disposait que la commission émet des avispour leur attribution. Suivant le schéma traditionnel de la concession, elle intervient en deuxtemps, d’abord dans la concession provisoire et enfin dans la concession définitive.

34. Pour l’octroi de la concession provisoire, la commission, au cours de la descente,procède à l’identification et à la délimitation de l’espace à concéder. Dans cette veine, elledétermine le statut juridique du terrain, sa faisabilité, sa compatibilité avec le projetenvisagé et circonscrit sa superficie exacte. Des études récentes ont cependant démontréqu’il n’existait plus des terres libres de toute occupation en territoire camerounais118.Chaque terrain, aussi enclavé est-il, est toujours placé sous l’autorité d’un chef traditionnel.Des conflits naissent généralement entre les attributaires et les détenteurs coutumiers. Cespréoccupations instruisent sur l’urgence qu’il y a à redéfinir les terres devant faire l’objet dela concession.

À l’expiration du délai de cinq (5) ans ou avant, à la demande du requérant, lacommission consultative descend à nouveau sur le terrain pour constater et évaluer cettefois les mises en valeur. Le procès-verbal dressé à cette occasion doit donc faire ressortir lemontant des investissements réalisés. La commission doit s’assurer que les conditions ducahier des charges ont été respectées. À la fin de ses travaux, elle émet un avis motivé etadresse le dossier au préfet. Ce dernier peut proposer l’attribution définitive, la prorogationde la concession provisoire ou la déchéance. Les hypothèses sus-décrites sont celles oùaucun litige n’a été soulevé au cours des travaux de la commission. Dans ce cas, la réformede 2016 prévoyait comme ses devancières que celle-ci devait les régler.

118 NGOUFACK ép. DAOUDA, La commission consultative dans le département de la Menoua, op. cit., p. 36 ; J.M. NGOUFACK LEKEUFACK, La pratique de la concession dans le département du Mungo de 2005 à 2015,Mémoire de master professionnel, Université de Dschang, 2016, p. 61 ; Ch. B. TCHOUNFONG, Les concessionsfoncières au Cameroun : cas de la région de l’Ouest de 1982 à 2002, Mémoire de master professionnel,Université de Dschang, 2011-2012, p. 36 et s.

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2- Les attributions contentieuses35. Historiquement, plus précisément dans la période antérieure à la réforme de 1974,le conservateur foncier, en cas d’opposition, faisait saisir le tribunal du lieu de situation del’immeuble119. Cette intervention du juge judiciaire, doublée des manœuvres dilatoires decertains plaideurs, avait pour conséquence d’allonger anormalement une procédure déjàcomplexe. Le législateur de 1974 a trouvé nécessaire de le déposséder de cette compétencepour la confier aux commissions consultatives. L’article 5, alinéa 3 (a) de la loi no 83/19 du 26novembre 1983 modifiant l’ordonnance no 74/01 précitée dispose clairement : « Relève de lacompétence de la commission consultative le règlement (de) […] toutes les revendications oucontestations d’un droit de propriété sur les terrains non immatriculés, introduites par lescollectivités ou les individus devant les tribunaux ». Depuis lors, à maintes reprises, lajurisprudence s’est employée à le réaffirmer120.

36. La réforme de 2016 avait conservé à la commission consultative sa compétencecontentieuse. Aux termes de l’article 2, alinéa 2, de ladite réforme, elle examine et règle lecas échéant, tous les litiges qui lui sont soumis dans le cadre de la procédure d’obtention dutitre foncier sur les dépendances du domaine national occupées ou exploitées.Semblablement au texte qu’il abrogeait, l’article 16 nouveau du décret no 76/165 précitéenvisageait deux types de litiges pouvant être soumis : les oppositions et les demandesd’inscription de droits.

En dehors de toute procédure, elle devait comme elle le fait actuellement, examiner etrégler le cas échéant, tous les litiges fonciers se rapportant aux terrains non immatriculés dudomaine national. De même que son prédécesseur, le législateur de 2016 avait reconnu à lacommission une compétence suffisamment large. Faisant application de cette disposition, lajurisprudence en était venue à lui reconnaître la compétence en matière d’expulsion portantsur les immeubles non immatriculés121. La question demeure toutefois de savoir sil’expression « tous les litiges fonciers » n’est pas excessive ? Autrement dit, la commissionest-elle compétente à tout connaître comme le dit la loi ? La réponse affirmative estporteuse de dangers en ce sens qu’elle conduirait à retirer au juge judiciaire le maigre chef

119 Jusqu’en 1966, la procédure d’immatriculation était essentiellement judiciaire. De 1966 à 1974, le rôle destribunaux, sans disparaître, a considérablement baissé. EN 1974, la page a tourné au profit des commissionsconsultatives, v. P.-G. POUGOUE et M. BACHELET, « Les nouveaux régimes fonciers », in Encyclopédie juridiquede l’Afrique, Les Nouvelles Éditions Africaines, t. 5, (G. A. KOUASSIGAN (dir.), Droit des biens), pp. 259-260.120 CS, arrêt no 66/L du 19 juin 2003, aff. Lydia MAOUNDE NJUMA c/ NGALE Daniel ; arrêt no 140/CC du 30 mai2002, aff. NKAMENI SIEWE c/ CHEBU Claude ; arrêt no 133/CC du 14 juin 2001, aff. LESSONG Jacqueline c/ NDINJEIK Alexandre, in Les grandes décisions de la jurisprudence civile camerounaise, Coll. Les Grandes décisions,LERDA, Bamenda, 2008, p. 188 et s., obs. R. NJEUFACK TEMGWA ; CA-Littoral, arrêt no 099/CC du 04 avril 2011,aff. Sieur KUL MBOCK c/ Succession NDONGO Daniel, Juridis Périodique no 98, avril-mai-juin 2014, p. 44 et s.,obs. R. ASSONTSA.121 V. supra, note no 120. Lire également, CA-Littoral, arrêt no 166/CC du 07 déc. 2009, aff. ASSEN A NGONBernadette c/ TOM Françoise, Juridis Périodique no 86, avril-mai-juin 2011, p. 74 et s., obs. R. ASSONTSA.

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de compétence qui lui resterait en la matière, cela sans que les litigants puissent trouverentière satisfaction devant les commissions consultatives qui ne prononcent pas dedommages-intérêts. Les litiges fonciers sont, de l’avis de la doctrine, les différends quiopposeraient deux particuliers et auraient pour objet des droits réels122. Le champ estouvert, mais on reconnaîtra avec la doctrine qu’avant toute procédure d’immatriculation,toutes les actions possessoires sont soumises au juge judiciaire123. Il en est de même de toutlitige concernant le droit à immatriculer.

37. La commission consultative règle les litiges de sa compétence le jour de la descentesur le terrain, concomitamment ou postérieurement au constat de la mise en valeur, par desrecommandations adoptées à la majorité simple des membres. En cas de partage des voix,celle du président est prépondérante124. En plus du problème de la nature de la commissionconsultative que ces dispositions ont remis au goût du jour, s’est posée la question dumoment exact du règlement des litiges.

38. En ce qui concerne les terrains de plus d’un hectare, il s’induisait du décret de 2016que le règlement des litiges peut avoir lieu le second jour ou les jours suivants puisque ledécret prévoit une durée de plusieurs jours pour les travaux portant sur les terrains de cettedimension. S’agissant des terrains de moins d’un hectare, le règlement devait absolumentavoir lieu le même jour puisque la loi n’accordait qu’un seul jour à la commissionconsultative125. L’article 13, alinéa 2, du décret de 2016 semblait cependant infléchir cettemanière de penser. Il disposait que « la prise en charge des frais de fonctionnement de lacommission consultative dans le cadre des oppositions incombe à la personne qui faitopposition, lorsque celle-ci intervient après la première descente de la commissionconsultative ». La lecture de cet article donnait à penser que plusieurs descentes pouvaientêtre organisées pour la même parcelle. En espérant que le législateur n’avait pas confondu lenombre de jours d’une descente avec plusieurs descentes, une telle confusion n’auraitd’ailleurs pas été grave si elle ne heurtait pas frontalement la compétence du gouverneur enla matière. L’article 17 nouveau du décret no 76/165 précité dispose que « les oppositions et

122 A.-D. TJOUEN, Droits domaniaux et techniques foncières en droit camerounais, op. cit., p. 180.123 I. L. MIENDJIEM, Le droit des occupants du domaine national, thèse d’État, thèse préc., p. 268 et s.124 Art. 5 du décret de 2016.125 La durée des travaux de la commission est fixée ainsi qu’il suit :

Superficie Nombre de jours≤ 1 ha 1 jour> 1 ha ≤ 5 ha 2 jours> 5 ha ≤ 10 ha 3 jours>10 ha ≤ 50 ha 10 jours> 50 ha ≤ 100 ha 20 joursAu-delà de 100 ha, pour tous les 10 hasupplémentaires

Majorer d’un jour

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demandes d’inscription des droits réels non examinées le jour du constat d’occupation ouformulées ultérieurement sont adressées au conservateur foncier […] ». Elles sont « […]soumises au gouverneur territorialement compétent pour règlement après avis de lacommission consultative » suivant l’article 20 nouveau du même texte. Deux solutionsétaient envisageables à ce conflit.

Une application mécanique de la loi aurait consisté à dire que les dispositionsantérieures contraires sont désormais abrogées s’agissant de deux textes de même nature.Le gouverneur ne serait plus compétent pour régler les litiges présentés au lendemain de laréunion de la commission consultative. Ce qui signifierait, conformément aux vœux d’unauteur126, que jusqu’à l’expiration du délai de 30 jours à dater de la publication au bulletindes avis domaniaux et fonciers de l’avis de clôture de bornage, délai prévu pour élever lescontestations et courant depuis le jour du dépôt à la sous-préfecture de la demanded’immatriculation127, la commission peut toujours se réunir si elle est saisi.

Une autre solution reviendrait à dire que la commission redescendrait sur le terrain àl’effet d’avoir des éléments pour émettre son avis et transmettre le dossier au gouverneur.Cette solution, en plus d’assurer une cohérence entre les deux textes, aurait l’avantage de lacélérité. Le changement relevé ne concernerait que le moment où l’avis de la commissionintervient. Le dossier atterrirait chez le gouverneur accompagné de l’avis de la consultativedont il n’est pas tenu de considérer malgré l’obligation qu’il a de le solliciter. Il y aurait là ungain de temps et d’argent.

39. La question de la nature de la commission consultative n’est pas moinspréoccupante. La réforme de 2016, encore une fois, ne l’avait pas réglée. Elle invite à sedemander si elle est un organe administratif ou un organe juridictionnel. Pour unecommission chargée de régler les litiges, on pencherait pour sa nature juridictionnelle.Seulement, elle se prononce, non pas par une décision ayant autorité de chose jugée ainsique le ferait une juridiction, mais par des avis ou des recommandations contenus dans unprocès-verbal dépourvu de toute force juridique. Un avis est une opinion donnée à titreconsultatif en réponse à une question128. La recommandation quant à elle est une invitationà agir dans un sens déterminé, une suggestion dépourvue de caractère contraignant129. Cesavis ou recommandations donnés par la commission ne lie pas le gouverneur, encore moinsle ministre des domaines, du cadastre et des affaires foncière à qui ils sont adressés. C’est aucontraire la décision du gouverneur, et éventuellement celle du ministre, qui a forceexécutoire et peut être attaquée par la partie lésée devant le juge administratif. Pour toutesces raisons, on s’alignera derrière ces auteurs qui la traitent comme un organe

126 A. M. MASSAH, La gestion des incidents de la procédure d’immatriculation directe dans le département de laMenoua, op. cit., pp. 75-76.127 Art. 16 nouveau, al. 1er, du décret no 76/165 précité.128 G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Quadrige, Paris, 2011, p. 112.129 Ibidem, p. 853.

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conciliateur130, un organe administratif sui generis fonctionnant comme une juridiction131.Comment aurait-il pu en être autrement s’agissant d’une commission consultative qui, depar sa dénomination, n’est destinée qu’à donner des avis ? C’est probablement la raisonpour laquelle les textes ne se sont jamais penchés sur les règles de la procédure derèglement des litiges par la commission, pas davantage qu’ils n’ont renvoyé au Code deprocédure civile et commerciale (CPCC)132. Le décret de 2016 n’aurait été pas été rapportéqu’on ne devrait plus dire la même chose en ce qui concerne les frais de fonctionnement dela commission. Il s’y était en effet prononcé.

B. La fixation des frais de fonctionnement de la commission consultative40. La question des frais de fonctionnement de la commission consultative ne date pasd’aujourd’hui. Il ressort des études réalisées au lendemain de la réforme de 1974 qu’avantcelle-ci, toute demande de titre foncier par immatriculation nécessitait le paiementpréalable d’une provision de 15 000 Fcfa pour les terrains urbains et 5 000 Fcfa pour lesterrains ruraux. Les frais de bornage se chiffraient à 25 000 Fcfa et à 15 000 Fcfa environspour les frais de timbre133. Mais que ce soit avant ou après 1974, aucune base juridique nedéterminait ces frais qui variaient d’un département à un autre134. En plus de cetinconvénient, les populations manifestaient leur mécontentement par rapport à leurmontant généralement élevé et imprévisible. Plusieurs auteurs ont émis le vœu de voir lacommission bénéficier d’une dotation budgétaire à l’effet de la rendre plus indépendantedes requérants135.

41. Le législateur camerounais de 2016 avait prêté une oreille attentive à ces demandesen fixant pour la première fois les frais de fonctionnement de la commission tant dans leurmontant (1) que dans leur modalités de versement (2).

1. Le montant des frais de fonctionnement

130 A.-D. TJOUEN, Droits domaniaux et techniques foncières en droit camerounais, op. cit., p. 179 ; I. L.MIENDJIEM, Le droit des occupants du domaine national, thèse préc., p. 273.131 Ch. YOSSA, Les commissions dans le régime foncier camerounais, op. cit., p. 19 ; E. TEMGOUA, Le contentieuxfoncier en droit positif camerounais, op. cit., p. 13.132 Il est cependant arrivé à la jurisprudence de sanctionner le non-respect du principe du contradictoire, lire A.TIENTCHEU NJIAKO, Droits réels et domaine national du Cameroun, PUA, Yaoundé, 2004, p. 93.133 C.-G. BATJE-BATJE, Les nouvelles administrations foncières et domaniales face au public, op. cit., p. 13.134 Ils étaient par exemple de 100 000 Fcfa dans le département de la Mifi (lire PENKA, Les délais de délivrancedu titre foncier sur le domaine national de première catégorie : le cas de la délégation régionale des domaines,du cadastre et des affaires foncière de l’Ouest-Cameroun, Mémoire de master professionnel, Université deDschang, 2010-2011, p. 27) pour atteindre 259 000 Fcfa dans le département de la Menoua (lire NGOUFACKép. DAOUDA, La commission consultative dans le département de la Menoua, op. cit., p. 73).135 M. MAOUMBE NOUMBOU ép. GATSING, Le procès-verbal de la commission consultative dans le ressort de ladélégation régionale du ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières de l’Ouest, op. cit., p. 48 ;J. M. NGOUFACK LEKEUFACK, La pratique de la concession dans le département du Mungo de 2005 à 2015, op.cit, p. 72.

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42. L’article 8 du décret de 2016 rapporté énonçait que « les frais de fonctionnement descommissions consultatives sont fixés en fonction de la durée des travaux, de la distance àparcourir par les membres et de la superficie des terrains concernés ». Les dépensesexposées par le requérant devaient couvrir les frais de déplacement, de séjour, des travauxeffectués par les membres de la commission, dans le cadre des procédures de gestion desterrains du domaine national136. C’est dire que les mêmes montants devaient être acquittéspour les procédures d’immatriculation directe et les concessions. L’adverbe « notamment »qu’avait employé le législateur laissait penser que d’autres chefs de dépenses non envisagésdevaient être couverts par le requérant. L’idée renvoyait par exemple aux frais de locationdes appareils pour les départements qui n’en possèdent pas. Le législateur avait étésuffisamment précis pour éviter la confusion. Il énonçait à l’article 9, alinéa 1er de la réformeque pour les travaux effectués sur le terrain, les membres de la commission consultative ontdroit à une prise en charge financière déterminée ainsi qu’il suit par jour : président, 25.000Fcfa, secrétaire, 20.000 Fcfa et les membres, 15.000 Fcfa. Cette fixation des montants quiconstituait une avancée considérable laissait cependant place à plusieurs observations.

43. Ayant fixé les frais par jour de travail, le législateur avait eu à l’esprit que la tentationdevait être grande pour les membres de la commission d’allonger anormalement la duréedes travaux pour percevoir davantage de frais. Il s’était donc empressé de limiter celle-ci enfonction de la superficie des terrains à immatriculer ou à concéder. C’est ainsi que pour lesterrains de moins d’un hectare de superficie, la commission ne disposait que d’un jour137. Laseconde observation est qu’il ne visait que les frais des travaux effectués par les membres dela commission. Quid alors des frais de déplacement et de séjour ? Conscient du mauvais étatde nos routes départementales, le législateur n’avait pas souhaité se prononcer sur les fraisde déplacement. On pouvait imaginer que les requérants continueront de croupir sous lepoids de ces frais lorsque la commission en exige en numéraire ou mettront, comme il est decoutume dans plusieurs départements, un véhicule à la disposition de celle-ci. Pour les fraisde séjour, le requérant devait réserver l’hôtel de la commission. Il restait à espérer que lesmembres statutaires ne perçoivent pas les frais et s’abstiennent de participer à la descente,incitant ainsi leurs représentants à rançonner les requérants. Le législateur semblait avoirenvisagé la situation en exigeant que les états de paiement soient annexés au procès-verbaldes travaux de la commission consultative, lequel devait être signé séance tenante dès la findes travaux138. On pouvait en déduire que les paiements devaient être fait au mêmemoment.

44. Pour un terrain inférieur ou égal à un hectare, en envisageant que tous les membressoient présents à la descente, le requérant devait débourser la somme d’un montant de

136 Art. 7, al. 2, du décret de 2016.137 V. pour l’ensemble le tableau élaboré à la note no 125.138 Art. 11. al. 2 du décret de 2016.

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180.000 Fcfa en plus des frais de déplacement et de séjour. Cette somme devait doubler outripler si l’immeuble à immatriculer intéressait deux ou trois départements. En outre,l’article 10 du décret de 2016 disposait que les opérations foncières donnent lieu à laperception de droits dont les montants sont fixés par la législation ou la réglementation envigueur. La référence était faite par exemple aux droits de timbre. Ces frais étaient trèsélevés pour une population dont la principale activité est l’agriculture, et qui plus est, uneagriculture de subsistance139. Dans certains départements, les requérants devaient regrettercette intervention législative puisqu’elle les obligeait à payer des sommes plus élevéesqu’avant140, suivant les modalités que la réforme avait également définies.

2. Les modalités de versement de frais de fonctionnement45. La réforme déterminait les débiteurs de ces frais, le moment du versement etl’autorité dépositaire.

S’agissant des débiteurs, l’article 7, alinéa 1er, de la réforme disposait que les fraisoccasionnés au cours des travaux de la commission consultative sont à la charge durequérant. Cette formule rédactionnelle prêtait à équivoque. Entendu strictement,l’expression « au cours » qu’employait l’article 7 amène à s’interroger sur la personne quidevait supporter les frais exposés avant le début des travaux de la commission, par exempleles frais de déplacement. Le législateur aurait été plus inspiré de parler des frais occasionnéspar la procédure. Il avait à l’esprit de distinguer les frais des travaux des frais dedéplacement et de séjour. Une seule hypothèse existait où le requérant ne devait passupporter pas la charge des frais. Elle était prévue par l’article 13, alinéa 1er du décret de2016 aux termes duquel les frais de fonctionnement de la commission dans le cadre desoppositions incombent à l’opposant lorsque celles-ci sont formées au lendemain de lapremière descente. Il transparaissait là une application des règles du procès civil où des fraissupplémentaires sont supportés par celui qui les a engendrés141.

46. Relativement au moment, les frais devaient être versés avant la descente sur leterrain. Le législateur avait entendu mettre fin à cette pratique qui consistait à ne fixer lejour de la descente que lorsque le requérant avait versé les frais. Le vœu était de voirl’administration fonctionner dans le strict respect des délais en espérant que le requérants’acquitte lui aussi de ses obligations à temps. Les frais occasionnés par l’opposition devaientêtre versés dans les délais de recevabilité des oppositions, c’est-à-dire jusqu’à l’expiration dudélai de 30 jours à compter de la publication au bulletin des avis domaniaux et fonciers del’avis de clôture du bornage. Le défaut de paiement de ces frais à due date entraînait la

139 A. M. MASSAH, La gestion des incidents de la procédure d’immatriculation directe dans le département de laMenoua, op. cit., p. 53.140 V. supra, note no 134141 V. R. ASSONTSA, « Un virus en pleine expansion contre le droit d’accès à la justice civile au Cameroun : laconsignation », Juridis Périodique no 81, janv.-févr.-mars 2010, p. 111 et s.

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caducité de l’opposition. L’instauration de ces frais visait sans doute à décourager lesoppositions dilatoires, mais leur montant élevé pour une personne qui n’apprenaitl’existence de la procédure qu’à ce moment précis pouvait être injustifié. En droit de laprocédure, le montant de la consignation acquitté par celui qui intervient en cours de procèsest rarement égal au montant exposé par celui qui l’a initié142. La confiance devrait a prioriêtre faite à toute personne qui initie une contestation, quitte à ce qu’elle paie une sommed’un certain montant en termes de consignation. Il la perdra en cas d’échec de sonopposition ou alors c’est le demandeur initial qui aura dépensé pour rien en cas de succès deladite opposition. Il devra en outre supporter les frais de la seconde descente. Si cetteorientation n’est pas convaincante, au moins aurait-il été de bonne justice que le législateurrevît les frais à la baisse.

47. Dans le décret rapporté, le secrétaire de la commission en la personne du chefservice départemental des affaires foncières était l’autorité dépositaire des fonds. Il devaitles percevoir contre reçu pour redistribution aux membres contre décharge. Cette nouvellemission répondait au vœu de la doctrine qui souhaitait voir le sous-préfet être déchargé d’uncertain nombre de ses responsabilités143. En effet, les frais exigés étaient payés auprès deses services sans aucun reçu. L’informalité côtoyait alors les excès financiers et les lenteursdans une procédure pourtant rigoureusement encadrée en termes de délais144.

************************

48. En définitive, la réforme intervenue le 27 mai 2016 aurait été une évolutionnotable en droit foncier camerounais. Le point marquant aurait été la clarification des règlesde fonctionnement de la commission consultative, mais surtout la reconsidération de sacomposition. De nouveaux membres, le DDCAF, le maire et le chef service des domaines,seraient entrés dans la commission. Les autorités traditionnelles auraient été maintenues,avec cette nuance que leur présence ne serait plus obligatoire. De nombreux chefs serviceseraient devenus des membres titulaires et désignerait leur représentant en casd’indisponibilité. Le représentant du service de l’urbanisme serait devenu un membrepermanent dont la présence ne dépendrait plus du projet envisagé. Le préfet aurait perdu lepouvoir de nomination des membres de la commission. Il y aurait toutefois conservé undroit de regard, car en début de chaque année civile, il prendrait un arrêté aux fins deconstatation de sa composition.

142 L’article 24 du CPCC impose à la charge du défendeur le paiement d’un supplément de consignation lorsqueson insuffisance a pour origine le dépôt d’une demande reconventionnelle.143 NGOUFACK ép. DAOUDA, La commission consultative dans le département de la Menoua, op. cit., p. 81.144 Lire PENKA, Les délais de délivrance du titre foncier sur le domaine national de première catégorie : le cas dela délégation régionale des domaines, du cadastre et des affaires foncière de l’Ouest-Cameroun, op. cit.

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49. Les règles de fonctionnement de la commission auraient bénéficié d’une nouvellerédaction qui ne les aurait pas changées, mais aurait apporté un minimum de clarté sur lesdiverses compétences de la commission. Le plus remarquable aurait été l’institution des fraisde fonctionnement de la commission avec cette précision ancienne nouvelle qu’ils seraienttoujours à la charge du requérant. Les demandeurs à l’opposition tardive, parce queintervenue au lendemain de la première descente, devaient supporter désormais le coûtfinancier de leur action. S’il pouvait être regretté que ces frais fussent élevés, au moinsaurait-on eu l’avantage en termes de prévisibilité de connaître les montants. C’aurait étéune avancée considérable. Plus qu’une évolution, le tableau ainsi dressé aurait finalementdonné l’allure d’une révolution, mais une révolution régressive eu égard à certainsmanquements constatés dans la réforme.

50. La régression concernerait au premier chef les autorités traditionnelles dont le vœuaurait été qu’ils retrouvassent leur place dans la commission. Il aurait en effet étéinconcevable dans un univers africain marqué par le poids important de la tradition, que lesimmatriculations se déroulèrent en leur absence. Les fourchettes auraient pu être étenduesjusqu’à l’admission des chefs supérieurs lorsque l’immatriculation concerne des parcellessituées dans les quartiers dits quartiers du chef supérieur.

La régression concernerait en outre les autorités administratives. L’admission dumaire, certes discutable, s’intègrerait au mieux dans le processus de décentralisationenclenché depuis la Constitution du 18 janvier 1996. Mais l’omniprésence du représentantdu service de l’urbanisme aurait été un alourdissement supplémentaire de la commission, demême que la présence du DDCAF. La présence des chefs service des domaines, des affairesfoncières et du cadastre serait amplement suffisante, chacun avec un rôle fondamental àjouer dans la commission. À ces membres, on ajouterait les riverains qui, sans être membresde la commission, sont obligatoirement présents au moment du bornage145. Le toilettage dela commission devait être fait en ayant à l’esprit le nombre de ses hommes nécessaires à laprocédure que l’hospitalité africaine oblige le requérant à prendre en charge quand bienmême les textes ne l’auront pas prévu. L’allusion est ainsi faite aux frais de fonctionnementqui devaient être revus à la baisse pour tenir compte du niveau de vie de nos populations. Ilsdevaient davantage être revus à la baisse pour le demandeur à l’opposition tardive qui n’estpas toujours de mauvaise foi.

La régression concernerait enfin la nature de la commission consultative sur laquelleon attend toujours que le législateur se prononce. La force de ses avis, de sesrecommandations et du procès-verbal qu’il dresse en dépend. Quelle est cette commissionaussi importante, mais dont le rôle se limite à donner des recommandations ? La diminution

145 Art. 13 nouveau, al. 6, du décret no 76/165 précité. Lire sur la question, A. M. MASSAH, La gestion desincidents de la procédure d’immatriculation directe dans le département de la Menoua, op. cit., p. 58.

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des relais de pouvoirs contribuerait à accélérer la procédure d’obtention du titre foncierlorsqu’elle est contentieuse.

51. Autant de régressions doivent expliquer que le Premier Ministre ait décidé, pardécret no 2016/2538/PM du 28 juin 2016, c’est-à-dire à un mois un jour de son adoption,décret publié au journal radio de 13 h du 29 juin 2016, de rapporter le décret inspirateur decette étude146. L’histoire le retiendra !

146 Par décret no 2016/2537/PM du 28 juin 2016, a été également rapporté le décret no 2016/1431/PM du 27mai 2016 portant transactions immobilières privées. Dans sa suite, le Président de la République a demandé auParlement de relire la loi par laquelle il venait de réviser le Code pénal du Cameroun.

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LIBRES PROPOS SUR LA RÉALITÉ DE L’ATTRACTIVITÉ DU DROIT DES AFFAIRES DANSL’ESPACE OHADA, Dr. BILONG NKOH Francis Riche, Chargé de Cours à la Faculté des sciencesjuridiques et politiques de l’Université de Maroua (Cameroun)

« Chaque fois que l’on peut constater l’existence d’un ordre social organisé (societas), il existeun droit spécifique (jus) qui lui correspond » (P.G. POUGOUÉ, « Doctrine et théorie juridique

», Revue de l’ERSUMA, n° Spécial – nov.-déc.- 2011, p.12).

« Pratique sans théorie est aveugle» (Nkrumah, L’Afrique doit s’unir, tr. fr. L. Jospin, Paris,Présence africaine, 1994, p.119)

RésuméLe droit des affaires des États membres de l’espace OHADA semble élaboré dans le sens d’une

attractivité qui s’oriente d’avantage vers le souci d’amener les investisseurs à investir dans cet environnement.Ceci peut se vérifier dans la logique suivie par le législateur pour élaborer les règles du système qui doiventencadrer les affaires. Cette démarche s’appuyant davantage sur la volonté d’attirer l’investisseur étrangerconsiste pour l’essentiel à concevoir des règles qui s’appliqueront dans un vaste espace local, en se référant auxréalités et des fondements peu similaires à ceux du contexte local en question, mais considérablement prochede ceux des acteurs étrangers ou du moins de certains d’entre eux et de leurs attentes. Le choix du législateurne restera pas sans impact sur les différents acteurs du système qui doivent appliquer ou veiller au respect dudroit. Se pose ainsi la problématique de la conception d’un système dans un sens mieux protecteur del’environnement global des affaires.

Mots clés : Attractivité- Droit- Affaires- OHADA

La plupart des pays d’Afrique subsaharienne, dans lesquels il existait déjà un droitspécifique qui organisait la société, se sont trouvés par la suite, du fait du contact avecl’occident et de la volonté de se « développer » qui imposait de ce fait une certaine logique,dans une situation caractérisée par le transfert en leur sein de règles de droit et desinstitutions y relatives de leurs colonisateurs respectifs. Ce transfert de la norme juridiquecontenu dans cette règle pouvant difficilement s’accompagner du transfert du sens de celle-ci (dans la mesure où le sens d’une règle est fondé sur la culture -et le contexte- d’origine decette règle147), il serait difficile pour les personnes de la société destinataire du transfert des’y accommoder facilement en se livrant à des pratiques ou à un comportement dans le sensprescrit par le principe contenu dans la norme ou la règle transférée (surtout si des règles

147 C. PLANÇON « Culture juridique. Approches comparatistes Québec-Sénégal. Rapport avec la francophonie »,in BISANSWA Justin K. et TÉTU Michel (dir.), « Francophonie en Amérique » Quatre siècles d'échange. Europe-Afrique-Amérique". Actes du colloque « Francophonie en Amérique » organisé à Québec du 26 au 29 mai 2003,Québec, CIDEF-AFI, 2005, 288p, p. 225.

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différentes y existaient déjà)148. Cela se vérifierait d’ailleurs par une crise d’effectivité –etmême d’efficacité- du droit existant149 dans les pays sus-évoqués depuis les indépendancestant sur le plan social que sur le plan économique. Et dans ce dernier domaine qui fait deplus en plus l’objet d’une réglementation spécifique, il existe un secteur informelconsidérable dans lequel les individus se livrent à des pratiques dans leur activité ens’écartant des règles formelles ou officielles que la plupart d’entre eux ne maîtrisent150, etpar la suite, ne respectent véritablement pas151, parce qu’étant par exemple exclu dusystème152. Dans ce contexte marqué par la nécessité de faire reposer les pratiques dans la

148 Voir dans le même sens MEUNIER, Organisation et fonctionnement de la justice indigène en AOF, Th. doc,Bordeaux, 1913, pp. 10 et s. Un auteur affirme dans ce sens que les institutions juridiques d’un peuple sont enharmonie et en concordance étroite avec (…) son état social, son degré de civilisation, or vouloir transformercet état social et culturel des autochtones est difficile (L. ZOUBABELA, Les tribunaux de droit local au Congo etdans les autres pays d’Afrique centrale, Th. doc., Université de droit, d’économie et de sciences sociales deParis II, p.6).

149 Lire par exemple Léonard MATALA-TALA, « L'ineffectivité du droit positif en Afrique subsaharienne »,VIIIème Congrès français de droit constitutionnel Nancy, 16, 17, 18 juin 2011, Atelier n°4 Droit constitutionnelet droit comparé. Pour une thèse contraire dans certains aspects du droit des affaires au regard de l’existenced’un contentieux abondant en rapport avec le droit OHADA devant les juridictions, lire J. GATSI, l’effectivité dudroit OHADA, coll. Droit uniforme, PUA, Yaoundé, Cameroun, cf. Avant-propos, p.13 ; mais, l’existence d’uninformel considérable dans la réalité ou dans la pratique des affaires limite sérieusement ce constat del’effectivité par l’existence d’un « contentieux abondant » devant les juridictions.

150 K. HART (considéré par certains comme le premier utilisateur du mot « informel »), a relevé qu’il y a uninformel considéré comme une comme une extension du secteur traditionnel («Informal Income Opportunitiesand Urban Employement in Ghana», Journal of Modern African Studies, vol. 11, n° 1, 1973). La premièremission qui a eu lieu en Afrique (Kenya) en 1972 a relevé que ce secteur est constitué d’une « population activeindigente », tandis que parmi les sept critères retenus pour caractériser les activités de ce secteur, le BIT aprécisé que les qualifications y afférentes s'acquièrent en dehors du système scolaire officiel ; avant de dire parla suite dans le texte de la Conférence Internationale des Statisticiens du Travail en janvier 1993 que : (…)les activités exercées par les unités de production du secteur informel ne sont pas nécessairementréalisées avec l’intention délibérée (…) d’enfreindre la législation du travail, d’autres législations ou d’autresdispositions administratives. Sur ces questions, voir Yvon PESQUEUX « De l’économie informelle », le Cnam,école management & société, Département Management, Innovation, Prospective, p.6 et s. Documentconsultable sur http://www.transformare.adm.br/anais/Yvon-Pesqueux-Economieinformelle-19-mars.pdf.

151 Des auteurs évoqué au sujet de l’informel ainsi né, du « consensus muet autour du non-respect de la loi »(CISSE M., Confédération Internationale des Syndicats Libres (CISL) Besoins et Demande du Secteur Informel etdes Petites Entreprises en matière de compétences professionnelles et de savoir : Perspective dans un pays endéveloppement en Afrique Genève, 10-13 septembre 2001), ou d’une économie «qui ne fonctionne plus selonles normes contenues dans nos lois, et que c'est la violation de ces lois qui est devenue la norme régulatrice »(NYABIRUNGU M. SONGA, La criminalisation de l'économie Zaïroise, éd. DES, Kinshasa, 1996, p. 8).VoirLOMAMI SHOMBA, L'économie informelle, Université de Kinshasa - Licence en droit 2005, note 6 et 7.

152 Un auteur précise que l’une des raisons de son apparition et de son développement est sa non prise encompte par le législateur, ce qui entraîne l’inadaptation du cadre juridique aux entreprises qui relève de ce

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société et des expériences qui en résultent, sur des théories juridiques (c’est-à-dire desprincipes qui d’une part gouvernent l’application des règles juridiques et d’autre partrésultent d’une activité –doctrinale- fondamentale dont l’objectif est de contribuer àl’élaboration scientifique du droit153) garantissant à l’ensemble des acteurs du système lacompréhension ou l’application aisée des règles qui en sont issues154, certaines exigencesdont la réalité en OHADA mérite d’être abordée, sont apparues par la suite dans plusieursdomaines du droit, et notamment ce domaine économique précisément. Il s’agit entre autrede l’attractivité du droit ou du système encadrant les affaires (ou d’une manière générales lesactivités économiques) qui est prescrit aux États en général dans le contexte de compétitionéconomique mondiale155 avec une incitation à prendre des mesures concrètes ou des’appuyer sur des expériences afin d’y parvenir156. Il s’avère dès lors utile d’examinersérieusement ce que cette exigence d’attractivité du droit des affaires impose commelogique à suivre ainsi que la situation à laquelle elle exposerait la société toute entière etsurtout les différents acteurs concernés dans l’espace OHADA.

Au sujet de ce droit des affaires qui doit être attractif dans l’espace OHADA, il faut toutd’abord préciser qu’il se définit comme un ensemble de règles régissant ou encadrant les

secteur (E. M. KOUMBA « Les enjeux de l’extension des actes uniformes aux entreprises informellesafricaines », Revue congolaise de droit et des affaires, n°10, p.16).

153 G. CORNU, G. CORNU, Vocabulaire juridique, 9e éd., Paris, PUF, 2011, voir « Théorie juridique ».

154 J.L. BERGEL, précise à cet effet que pour l’élaboration, et plus souvent pour l’apparition concrète du droit, lesjuristes doivent impérativement avoir recours à la théorie générale pour découvrir, interpréter et mettre enœuvre les solutions possibles. (…). Cette nécessité est devenue plus impérieuse dans la plupart des systèmes dedroit au sein desquels l’intervention croissante des pouvoirs publics dans tous les secteurs d’activités au nomd’une tendance générale à plus de dirigisme, aboutit à multiplier les textes qui deviennent de plus en pluspointilleux, techniques, superposés ou contradictoires, sans avoir la possibilité ou la capacité réelle de prévoirce que la théorie générale peut abriter comme situation nouvelle et imprévue. (Méthode du droit. Théoriegénérale du droit. Dalloz, 2e éd., 1989, pp. 10-11, n°9) ou néfaste.

155 La mondialisation et surtout l’action des institutions qui sont issues de la gouvernance mondiale résultant dece processus de mondialisation à l’instar de la Banque Mondiale et du FMI à qui des pouvoirs de régulationinternationale ont été transférés par les États (BOLDUC et Antoine AYOUB GREEN, La mondialisation et seseffets pervers : la revue de littérature, Université de Laval, Québec, Canada, novembre 2000, p.91), sembleavoir influencé la nécessité de respecter cette exigence. Un auteur précise en effet que la popularisation de lanotion d’ « attractivité économique du droit » à la suite du premier rapport « DoingBussiness » de la BanqueMondiale (Bertrand Du MARAIS, « Attractivité économique du droit : le droit français peut-il survivre dans lacompétition internationale ? », Droit et Patrimoine, n°170, mai 2008, p.38).

156 Une conférence dans ce sens a été organisée au Cameroun les 17 et 18 mai 2016 (cf.http://www.conferenceinvestiraucameroun.com/confcameroun-content/uploads/2015/06/CONFERENCE-INVESTIR-AU-CAMEROUN-CLOTURE-FR_19052016-v2_CP.pdf).

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différentes composantes de la vie économique157. Ensuite, il apparaît comme unecomposante non négligeable du droit des investissements158. Enfin, il résulte, comme dansla plupart des régions du monde (en raison de la mondialisation qui impose desregroupements), d’un processus d’intégration159 par lequel plusieurs États décident detransférer certains pouvoirs à une organisation ou à ses organes compétents, et dans le casd’espèce, le pouvoir de légiférer ou d’élaborer des règles qui auront vocation soit à êtreintégrer dans le système juridique soit à s’appliquer dans les États concernés160. C’est ainsique le droit des affaires en vigueur dans l’espace OHADA est issu pour l’essentiel en lamatière, bien qu’il existe des dispositions internes ou propre à chaque États161, de plusieursmouvements d’intégration réalisés par certains États qui uni quasiment les États membresde l’OHADA162. Les organisations qui découlent de ces mouvements d’intégration sontnotamment : l’OHADA (comme organisation principale sécrétant le droit des affaires), laCIMA (dont les règles portant sur l’assurance relèvent également du droit des affaires163),l’OAPI (dont les règles portant sur la propriété intellectuelle et relevant des matières traitéesen annexe font également partie du droit des affaires164), dans une certaine mesure laCIPRES (dont les règles relatives à la sécurité sociale des travailleurs et portant sur desquestions qui touchent la situation du personnel d’une entreprise commerciale, peuvents’avérer, tout comme le droit du travail, importantes pour le juriste d’affaire, et, ne serait-ce

157 D’où sa qualification de droit économique. Voir H.A. BITSAMANA, Dictionnaire du droit OHADA, 1ère édition,Pointe-Noire, 29 mai 2003, voir « droit des affaires » ; G. CORNU, Vocabulaire juridique,op.cit, p. 40, voir« affaires (-Droit des) ».

158 Il fourni notamment à l’investisseur des règles utiles pour la constitution ou la restructuration de sonentreprise, ainsi que celles nécessaires pour l’exploitation de son investissement et pour la résolution de seslitiges d’ordre contractuelle. Voir à ce sujet S. MANCIAUX « Que disent les textes de l’OHADA en matièred’investissement ? », Revue de l’ERSUMA, n° 1, Juin 2012.

159 Sur quelques exemples dans le monde et en Afrique en particulier, lire, J. LOHOUES-OBLE « l’apparition d’undroit international des affaires en Afrique », R.I.D.C. 3-1999, pp. 545 et s.

160 Sur la définition du mot « intégration», voir G. CORNU, op.cit, p. 556.

161 Voir par exemple loi du 21 décembre 2015 régissant l’activité commerciale au Cameroun, loi du 21décembre 201 régissant le commerce électronique au Cameroun, loi n° 2016/004 du 18 Avril 2016 régissant lecommerce extérieur au Cameroun, loi du 23 avril 2014 régissant l’activité de l’affacturage au Cameroun, loi du14 juillet 1998 relative à la concurrence,…

162 B. MARTOR et S. THOUVENOT « L’uniformisation du droit des affaires en Afrique par l’OHADA», JCP-Cahiers de droit de l’entreprise, n°5, année 2004, p.11.

163 MAMADOU I. KONATE « L’OHADA et les autres législations communautaires UEMOA, CEMAC, CIMA, OAPI,CIPRES, etc. », Ohadata D-11-95, p.4.

164 MAMADOU I. KONATE, op.cit., p.5.

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que pour des considérations pratiques, pénétrer le droit des affaires165), ou enfin la CEMACet l’UEMOA (qui ont des règles qui concernent entre autre l’activité bancaire ou financière etle droit de la concurrence166 ou le droit relatif au transport maritime). Parmi ses objectifs, ilapparaît que la volonté du législateur en général et OHADA en particulier est d’établir uncourant de confiance en faveur de l’économie des pays concernés au moyen de l’élaborationde règles harmonisées et considérées entre autre comme modernes, ceci en vue d’y créer unnouveau pôle de développement pour répondre à la nécessité de rendre ce droit desaffaires attractif à l’égard de l’investissement167. Les autres législateurs dans le domaine dudroit des affaires de l’espace ne sont pas loin de cet objectif168. En effet, la notiond’ «attractivité d’un droit » peut s’apprécier soit en une force de conservation visant àconforter les entreprises locales et leur permettre de pérenniser leur activité à la fois dansl’environnement local et à l’étranger, soit en une force d’attraction des entreprisesétrangères, qui viendraient s’installer dans l’environnement ou l’espace local169. Il se trouveque le législateur de l’espace OHADA a porté son choix en orientant son action législativedavantage vers la seconde acception de l’attractivité, c’est-à-dire qu’il fait surtout preuved’une volonté d’attirer l’investissement ou l’investisseur étranger170, qu’il s’agisse de

165 Sur cette question, cf. H.D. MODY KOKO BEBEY, « L’harmonisation du droit des affaires en Afrique : regardsous l’angle de la théorie générale du droit », Rev. d’actualités juridiques, www.juriscope.org.

166 Pascal MUKUNDE MUSULAY, Droit des affaires en Afrique subsaharienne et économie planétaire,Globethics.net African Law No. 3, Genève, 2015, pp. 60 et s.

167 Sur la volonté du législateur OHADA de mettre nécessairement un droit attractif ou favorable àl’investissement, lire F. ONANA ÉTOUNDI « La sécurisation judiciaire de l’investissement en Afrique : à proposdu rôle joué par la CCJA de l’OHADA », Actualités juridiques n°53/2007, p.3.

168 Il serait aussi possible de relever que le fait pour l’OAPI de mettre sa législation en conformité avec lesconventions internationales notamment l’Accord sur les ADPIC (du 15 avril 1994 à Marrakech) ou la Conventionde Paris du 20 mars 1883 et pour la CEMAC de rappeler dans la Convention portant création de la COBAC (cecisur recommandation du Comité Monétaire institué par la Convention de Coopération du 22 novembre 1972),que les États parties sont « déterminés à asseoir le développement de leurs économies sur des bases saines »,sont des moyens de vouloir établir un courant de confiance en faveur des économies concernés pour les rendrede c fait attractif. Sur l’esprit du législateur de la CIMA dans le même sens, cf. article 1 (2) du Traité qui fixeentre autres objectifs aux États parties d’ encourager (…) la mise en place de facilités permettant auxorganismes d'assurances et/ou de réassurance opérant dans leur pays, d'effectuer des échanges d'affaires pardes techniques adéquates (…) ».

169 A. OUTIN-ADAM et F. ARNAUD-FARAUT (sous la coord.), Droit des affaires : enjeux d'attractivitéinternationale et de souveraineté, Étude réalisé par la Chambre de Commerce et d'Industrie de région Paris Ile-de-France-Paris, mai, 2015, p.13.

170 Au sujet du droit OHADA en particulier, cf. BABACAR GUEYE, S. NOUROU TALL et M. KAMTO, « commentairedu Traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, tel que révisé à Québecle 17 octobre 2008 », in J. ISSA-SAYEGH, P.G. POUGOUE., F.M. SAWADOGO (sous la coord.)OHADA, Traité et

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l’investisseur étranger intra OHADA (personne physique ou morale d’un pays membre del’OHADA qui acquiert un actif au titre de l’exercice de ses activités ou un pouvoir de contrôleimportant de la gestion d’une entité résident dans un autre pays membre de l’OHADA enprévision d’un rendement171) ou extra OHADA (investisseur ou personne morale ou physiqued’un pays non membre de l’OHADA).

L’importance considérable accordée dans l’esprit de la législation à la volontéd’amener les investisseurs et surtout ceux étrangers (définir investisseur étranger) dont lesinvestissements sont jugés plus rentables) à investir dans l’espace OHADA. Cette entreprise aconduit à mettre à la disposition de ces « investisseurs étrangers » des instruments auservice de leurs investissements, notamment un droit des affaires ou un environnementjuridique favorable afin de mieux les attirer. Ce qui amène à se demander qu’est-ce qui,relativement à l’environnement concerné et surtout aux différents acteurs qui y évoluent,se dégagerait véritablement de cette attractivité?

À la suite d’un examen du système encadrant les affaires tel que voulu et mis en placepar le législateur dans l’environnement OHADA, il serait possible de noter que le processusd’attractivité conduit progressivement dans l’environnement concerné, à la mise en placed’une attractivité à caractère multidimensionnelle (I). Ce qui laisse apparaître denombreuses implications à l’égard de certains acteurs du droit des affaires (II).

I- Les différentes dimensions caractérisant l’attractivité du droit des affaires dansl’espace OHADA

Le droit des affaires en vigueur dans l’espace OHADA, qui a théoriquement prévu degarantir aux investisseurs une certaine sécurité juridique afin de mieux les attirer, s’est ainsi

actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, juin 2014, p.24. P. EDOU EDOU voit même déjà dans lesréformes entreprises dans le domaine du droit des affaires dans cet espace un droit susceptible d’accroîtrel’investissement étranger (Le contentieux de la propriété intellectuelle dans l’espace OAPI. Le guide dumagistrat, 1ère édition, 2009, p.5- avant-propos sur l’ouvrage). La loi du 19 avril 2002 relative à la charte sur lesinvestissements en république du Cameroun défini l’investissement comme un actif détenu par un investisseur,en particulier (la liste étant donc non exhaustive): une entreprise, les actions, parts de capital ou autres formesde participation au capital d’une entreprise, les obligations et autres titres de créance, les créances monétaires,les droits de propriété intellectuelle, les droits au titre des contrats à moyen et long terme notamment lescontrats de gestion, de production, de commercialisation, les droits conférés par la loi et les règlementsnotamment les concessions, licences, autorisations ou permis, tout autre bien corporel ou incorporel, meuble ouimmeuble, tous les droits connexes de propriété (art.4) et l’investisseur comme toute personne physique oumorale camerounaise ou étrangère, résidente ou non-résidente, qui acquiert un actif au titre de l’exercice de sesactivités en prévision d’un rendement (art.3).

171 Voir définition de « l’investissement -direct -étranger » donné par la charte de l’OCDE.

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fixé par la même occasion comme objectif, d’être attractif. En effet, les éléments qui ontdavantage motivé ce souci d’attractivité et qui évoluent dans le temps en fonction ducontexte et de la conjoncture, peuvent premièrement être relatifs au fait que depuis lapériode coloniale, les pouvoirs publics ou les autorités coloniales avaient déjà entrepris unedémarche qui tendait à attirer ou à faire établir dans l’ensemble des pays dont ils avaient lemandat de gérer et par la suite dont ils assuraient la tutelle, les éléments de leur systèmejuridique. Ce qui permettait d’établir au sein des pays sous-mandat ou sous-tutelle, unsystème qui serait conforme au leur172, facilitant ainsi l’établissement, l’expansion et l’essordes activités de leur(s) ressortissant(s) dans la majeure partie des pays gérés. Une possibilitéétait ainsi offerte aux pays colonisateurs, ensuite mandataires, et enfin de tutelle deconquérir de nouveaux marchés 173 ou des espaces nouveaux, tout en accentuant lephénomène de mondialisation174 économique et même juridique qui pourrait se révélerdéfavorable aux pays qui n’ont pas de moyens de comprendre les contours et surtout

172 Un auteur relève à ce sujet que : « l’autorité coloniale — relayée d’ailleurs en cela par les autorités duCameroun indépendant — jugeant difficile le fait d’avoir à harmoniser toutes les coutumes existantes, ou alorsdécidant tout simplement d’aller à l’essentiel, a imposé sa loi », V.-E. BOKALLI « La coutume, source du droit auCameroun », R.G.D, 1997, 28, p.39. Voir dans le même ordre d’idées, L. ZOUBABELA, Les tribunaux de droitlocal au Congo et dans les autres pays d’Afrique centrale, op. cit., pp.5 et s.

173 Il s’agit en effet d’une logique qui semble existé depuis l’époque coloniale. En effet, selon un auteur (aprèsavoir repris les propos du ministre français Jules Ferry dans une séance de la Chambre des députés du 28 juillet1885 déclarant que « les colonies sont pour les pays riches un placement de capitaux plus avantageux (…) laquestion coloniale c’est pour les pays voué par la nature même de leur industrie à une grande exportation, laquestion même des débouchés »), la colonisation a été (entre autre) conçue à des fins économiques résultantde la nécessité imposant à chaque entreprise d'augmenter le volume de sa production pour maintenir les prixcompétitifs et donc de vendre de plus en plus ; Par conséquent, il fallait procurer aux usines de transformationde la matière première peu couteuse et en grande quantité; De plus, il fallait trouver un marché important auxproduits manufacturés du fait que le marché s'avérait insuffisant. Sur ces questions, voir A. ZAGRE, le systèmedes valeurs traditionnelles Moose face au changement et au développement, tome II, lesvaleurs traditionnellesMoose face aux facteurs de changement, Université de Nice, U.E.R. des lettres et sciences humaines, novembre1982, p.62.

174 Dans une logique qui semble n’épargner aucun pays de la planète. BAKENDJA Wa MPUNGU, Le droit ducommerce international. Les peurs justifiés de l’Afrique face à la mondialisation des marchés, Paris-Bruxelles-Kinshasa, De boeck et Larcier, Afrique éditions, 2001; « L’internationalisation des échanges et le droit OHADA »,Actes du colloque sur la sécurisation des investissements des entreprises en Afrique francophone, organisé parle centre de droit économique de l’Université Paul-Cézanne d’Aix-en-Provence le 20 mars 2009 ; Revue Lamy,droit civil, n°67, janvier 2010, p.84 ; Ohadata D-10-17, p. 2.

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d’influencer le système et ses règles175, au regard de l’affaiblissement de la souverainetéauquel ceux-ci seraient exposé de ce fait176.

Ensuite, après les indépendances, et ceci au moment de la mise sur pied desinstitutions propres aux pays de l’espace OHADA, les pouvoirs publics locaux ont poursuivil’entreprise entre autre pour des raisons de développement et de croissance économique,malgré quelques résistances observées dans certains points177. Enfin, il est possible derelever qu’ après la période de crise des années 1980 qui a conduit à la mise sur pied despolitiques d’ajustement structurel, des institutions internationales178 ou d’éventuels autrespartenaires dans le domaine économique peuvent exercer une certaine influence179 sur lespays de l’espace OHADA dans le besoin de se développer et d’être au même niveau que ceuxqui sont regardés comme plus développés. Cette influence apparaît par notamment dans lacontrainte à la mise sur pied, à travers des règles juridiques précises, d’un système libéral 180

(ceci entre acteur économiques n’ayant pas forcément les mêmes atouts et le même niveaude développement ou de compétitivité tant sur le plan national qu’international) favorable,

175 Selon certains, cela sera le cas lorsque l’attractivité consiste à attirer les étrangers. A. OUTIN-ADAM et F.ARNAUD-FARAUT, op.cit.

176 Dans ce sens J. ISSA-SAYEGH, J. LOHOUES-OBLE, l’harmonisation du droit des affaires, Bruxelles, Bruylant,coll. Droit uniforme africain, 2002.

177 V.E. BOKALLI, op.cit.

178 Il s’agit notamment d’institutions auprès desquels les pays de l’espace OHADA sollicitent une aide financièreou un financement quelconque au moyen d’un programme ou d’un mécanisme quelconque.

179 Cette influence peut par exemple s’exercer à travers l’exigence de règles pouvant garantir à l’investisseur-étranger notamment- la rentabilité de l’investissement Cf. dans ce sens la Conférence Internationale (desnations-unies) sur Financement au Développement (Consensus de Monterrey) du 22 mars 2002 qui fait lapromotion ou encourage l’investissement direct étranger duquel a résulté la déclaration de Rome surl’harmonisation de l’aide (2003) et la déclaration de Paris (2005).

180La libéralisation apparaissant d’ailleurs comme l’un des fondements majeurs des règles du système quigouverne actuellement le commerce international dans les pays du monde en général et africains enparticuliers, au regard par exemple de la plupart des accords qui ont été ratifiés par ces derniers dans ledomaine commercial sur la scène internationale. On cite par exemple : les règles issues de l’OMC (créé le 1er

janvier 1995 et issues des négociations dites du Cycle d’Uruguay, qui se sont déroulées de 1986 à 1994 et quireprennent d’ailleurs les solutions dégagées dans l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce –GATT- mise en place en 1947), la loi sur les opportunité de développement en Afrique (AGOA) promulgué enmai 2000 par le Congrès américain, l’accord de Cotonou du 13 juin 2000 (liant le groupe des États d´Afrique,des Caraïbes et du Pacifique -ACP- à l’Union européenne) en passant par les accords de Lomé dont le premierfut signé en 1975, et enfin les Accords de partenariat économique (APE) entre certains pays africains etnotamment le Cameroun et l’Union européenne (entrée en vigueur en août 2016) qui sont censés remplacerl’Accord de Cotonou.

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incitant ou encourageant davantage l’investissement- étranger- dans l’espace concerné, etdonc attractif.

Cette attractivité, au regard de la réglementation des affaires dans l’espace OHADA,prend déjà corps en se présentant sous divers aspects: d’une part subjective et processuelle(A) et d’autre part objective et même matérielle ou spatiale (B).

A) La dimension subjective et processuelle des règles

La dimension subjective ou organique de l’attractivité du droit des affaires en vigueurdans l’espace OHADA met en exergue l’aspect attractif, au moyen d’un droit portant sur desinstitutions qui leur sont familières. Il s’agira ainsi d’institutions considérées soit comme dessujets de droit d’un point de vue substantiel (1), soit comme des organes et surtout lesrègles qui leur sont relatifs d’un point de vue processuel (2).

1) Du point de vue des règles relatives aux sujets de droit

Les investisseurs étrangers qui doivent utiliser les règles de droit pour réaliser leurinvestissement dans l’espace OHADA empruntent en principe des formes institutionnellesqui se présentent sous la forme de sujets de droit. Il s’agit dans la plupart des cas des formesjuridiques étrangères dotées de la personnalité juridique (notamment la sociétéanonyme181, la société par actions simplifiées182) ou non (les bureaux de représentation etde liaison ou les succursales183 de sociétés ou personnes morales étrangères) que le systèmeen vigueur en OHADA a prévu184.

181 Certains auteurs emploient même l’expression « sociétés anonymes multinationales » pour les désigner (cf..WEEKLY, J.K. et AGGARWAL, international business : Operating in global economy, Holt, Rinehart& Winston,311, 1987, cite par A.L HARRISON; E. DALKIRAN; E. ELSEY, Business international et mondialisation : vers unenouvelle Europe, De Boeck, 2004, Bruxelles, p.62.). En droit OHADA, cf. art. 385 à 853 AUSCGIE.

182 Cette forme de société a été introduite en France par la loi du 03 janvier 1994. Lire à ce sujet C.-A. DONZEL,Les apports en industries dans les sociétés par actions simplifiées, mémoire de recherche en droit privé général,parcours droit des affaires 2008-2009, Université de droit et de sciences de Rennes I, n°8, p.13. Cf. en droitOHADA art. 853-1 à 853-23 AUSCGIE.

183 Sur l’origine de la succursale en Occident, lire KAMAL LAGTATI, La succursale en droit international eteuropéen, Th. de doc. en droit privé, Université d’Auvergne - Clermont-Ferrand I, 2011, p. 8 et s., n°3 et s. Cf.pour la succursale art. 116 à 120 AUSGIE et pour les bureaux de représentation et de liaison art. 120-1 à 120-5AUSCGIE.

184 L’Acte uniforme OHADA du 30 janvier 2014 reprend quasiment la classification des sociétés établie dans lesystème romano-germanique qui a des équivalents dans la classification opérée dans le système de Commonlaw (anglais et américain). Sur ces classifications, lire S. CHATILLON, Droit des affaires internationales, 3e éd.,Vuibert, nov. 2002, pp.77-18.

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C’est ainsi que la plupart des formes adoptées dans la législation qui régit les affairesdans l’espace OHADA diffèrent des formes collectivistes ou communautaristestraditionnelles africaines où tout le monde participe, est inclus ou est concerné par unegestion des intérêts de la communauté profitable quasiment à l’ensemble des individusconstituant la collectivité ou la communauté concernée185. Ce système apparaissant dès lorscomme l’opposé ou le contre poids du capitalisme libéral (s’inspirant de l’individualisme186

qui accompagne actuellement la mondialisation) et ses inconvénients ou dérivesindividualistes187. Il serait possible de l’observer dans ce contexte africain où l’accès parcertaines personnes ayant des responsabilités et des moyens importants à une informationprécieuse leur permet d’utiliser indirectement (par exemple par le prête-nom, ou au moyende titre leur permettant d’exercer une certaine influence) la société anonyme ou lesmultinationales comme un instrument pour placer, même illicitement les capitaux ets’enrichir ou sauvegarder leurs intérêts individuels au détriment des autres membres de lacommunauté. Il serait également possible de relever l’avancée de l’individualisme avec sonpendant libéral par le fait qu’une possibilité est désormais offerte à l’investisseur étrangerd’opter pour des formes telles que les bureaux de représentation et de liaison ou dessuccursales qui sont des excroissances (sans personnalité juridique propre par rapport à lasociété mère) du groupement étranger qui permettent à ce dernier de sauvegarder, plusfacilement (sans passer par une forme sociétaire à l’instar de la filiale dont la constitution estmoins aisée) ses intérêts individuels dans le pays hôte188. Surtout qu’un investisseur peutcommencer par implanter un bureau de représentation pour ensuite, si les activités serévèlent rentable après quelques mois, le transformer en succursale189. Enfin, la société paractions simplifiées qui est également institué permet de gérer plus librement et sanscontraintes d’ordre institutionnel les investissements tant sur le plan localqu’international190, au regard du libéralisme (malgré que les personnes au sein de la société

185 Voir à ce sujet, M.B. TRAORE, société initiatique et régulation sociale chez les Malinké et Bambara du Mali.Éssai d’interprétation sociologique d’un système juridique, Th. doc., Université de Paris I, pp. 60 et s.

186 MONEBOULOU MINADA H. M « La question de la définition du contrat en droit prive : essai d’une théorieinstitutionnelle », Revue de l’ERSUMA, n°6, janvier 2016, n°8, p.96

187 Sur les inconvénients du système capitaliste, lire RODRIQUE ALLARD « Les effets de la mondialisation surl’économie et la démocratie de la planète », document consultable en ligne surhttp://www.samizdat.qc.ca/cosmos.

188 En effet, La création d’une succursale s’inscrit dans le cadre de l’implantation-création qui consiste às’implanter dans un pays sans modifier son rattachement avec son pays d’origine. Lire à ce sujet J. BÉGUIN etautres, Droit du commerce international, Litec, 2005, n° 792, cité par KAMAL LAGTATI, op. cit., note 4.

189 KAMAL LAGTATI, op. cit., p.13, n°6.

190 C.-A. DONZEL, op.cit., n°10.

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peuvent ne pas avoir les mêmes avantages et prérogatives), versant économique del’individualisme191, qui caractérise cette forme sociétaire d’inspiration étrangère dont lerégime est dans certains aspects de son existence calqué sur celui de la société anonyme192.

Le droit des affaires de l’espace OHADA qui a mis sur pied des normes qui font partbelle aux sujets de droit étrangers [dans la mesure où il leur offre des règles qui leursemblent familières du point de vue de leur individualisation et de leur existence dansl’espace OHADA en tant qu’investisseur, ne s’est pas arrêté à ce niveau. Il a poursuivil’entreprise en mettant à la disposition de ces derniers des règles qui prévoient des organesou des structures, sur le plan des règles de forme, qui contribueront à assurer simplement etrapidement la sauvegarde de leur intérêt en cas de difficultés, ou à garantir leur sécurité ouleur pérennité et celle de leur investissement, à l’instar de celles encadrant la résolution desdifficultés des entreprises ou formes et groupements sus-évoquées, dans un sens favorable àune sauvegarde plus aisé de l’intérêt des acteurs concernés ici193.

2) Du point de vue des règles processuelles à emprunter par les sujets de droit

Concernant les règles touchant à l’aspect judiciaire auxquelles doivent faire recours lessujets de droit sus-évoqués dans toute procédure (contentieuse ou non) dans laquelle ilssont impliqués, des normes d’ordre processuel ainsi que plusieurs organes ou structures ontété mis en place par la réglementation des affaires pour trancher les litiges, pour autoriserou valider l’accomplissement de certaines formalités ou de certaines opérations…Ceci soitpour accompagner les investisseurs dans les démarches qu’ils devront effectuer dans lecadre de leur investissement, soit pour sécuriser leur rapport ou les transactions qu’ilsdevront réaliser, soit enfin pour résoudre un conflit ou pour l’éviter. Il en résulte que lesorganes ou structures mis en place par le droit processuel en la matière sont d’inspirationoccidentale194, qu’il s’agisse de la justice étatique195ou de la justice non étatique qui faitappel aux modes alternatifs de règlement des conflits comme l’arbitrage196.

191 MONEBOULOU MINADA H. M., op.cit.

192 A. DIÈYE, Régime juridique des sociétés commerciales et du GIE dans l’espace OHADA (acte uniforme sur ledroit des sociétés commerciales (AUSCGIE) révisé en 2014, 4e éd. 2014, p.221.

193 Sur les nouveaux objectifs du droit des entreprises en difficultés ou droit des procédures collectives enOHADA, lire, Y. KALIEU ELONGO, Le droit des procédures collectives en OHADA (À jour de la réforme du 24décembre 2015), PUA, Yaoundé, p. 8.

194 C’est ainsi par exemple qu’au Cameroun (comme dans la plupart des États membres de l’OHADA), le droitprocessuel des affaires s’inspirant du droit français (pour les procédures collectives d’apurement du passif, voirpar exemple F.M. SAWADOGO, Droit des entreprises en difficulté, Bruylant, Bruxelles, 2002, p.17, n°25 et pourles procédures simplifiées de recouvrement de créances et les voies d’exécution, voir A. NDZUENKEU« L’OHADA et la réforme des procédures civiles en droit africain : l’exemple du Cameroun », Ohadata D-06-36,p.2 in fine-3), ce sont les organes prévus par l’organisation judiciaire (issu de la loi du 29 décembre 2006 et

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Elles diffèrent donc considérablement des règles processuelles traditionnelles (quiprévoient des organes ou des structures différentes197. Ces dernières voyant leur champd’action se rétrécir considérablement depuis la période coloniale198, tout en étant d’ailleursconsidérées par le législateur de certains États membres de l’OHADA comme en sursis199, caren effet, son attitude peut amener à croire qu’elles sont appelées à disparaître avec le droit-coutumier ou traditionnel- qu’elles sont censées appliquer200.

Sur le plan subjectif ou organique, le droit des affaires en vigueur dans l’espace OHADAaffirme ainsi sa volonté d’attirer les investisseurs, et notamment ceux étrangers, dansl’environnement local. Et, puisque les opérations qui se font dans le cadre desinvestissements sont encadrées par une réglementation dont l’objet porte sur certainesmatières précises en rapport avec les investissements qui devront être réalisés dans un

modifiée et complétée par la loi du 03 décembre 2011) issu soit du Code de procédure civile et commercialefrançais (de 1806) rendu applicable au Cameroun francophone par l’Arrêté du 16 décembre 1954 (cf. G. KEREKERE, Droit civil processuel. La pratique judiciaire au Cameroun et devant la CCJA, 1ere éd., SOPECAM, 2006,p.7), soit des dispositions du Sheriffs and Civil Process Ordinance (applicable en vertu des articles 70(1) et 86(1)du Magistrate’s Courts Ordinance 1948, et 73(1) du Magistrates’ Courts Law 1955) applicable dans la partieanglophone du Cameroun et inspiré de la Common law. Et ces deux derniers groupes de lois, dans leursdispositions qui ne sont ni contraires, ni équivalentes, s’appliquent respectivement comme droit commun en lamatière dans la partie francophone et la partie anglophone du Cameroun (cf. Avis n°001/2001/EP rendu par laCCJA le 30 avril 2001, revue de droit et de science politique, n°48, pp.110 et s., cité par A. NDZUENKEU, op.cit.,note 3).

195 Il est d’ailleurs déjà prévu au Cameroun par exemple, que les juridictions de droit traditionnel (organisationet la procédure à suivre devant elles) sont provisoirement maintenues (article 31 de la loi n°2006/015 du 29décembre 2006 portant organisation judiciaire).

196 Sur l’origine occidentale de l’arbitrage, lire Th. E. CARBONNEAU « Étude historique et comparée del'arbitrage. Vers un droit matériel de l'arbitrage commercial international fondé sur la motivation dessentences », Revue internationale de droit comparé, 1984, Vol. 36, num. 4, pp. 727-781. Un auteur affirme ainsique le droit de l’arbitrage de l’OHADA s’inspire assez largement du droit français (O. CUPERLIER « Modernité etspécificités de l’arbitrage OHADA », Ohadata D-13-64).

197 M. D. MOULONGO, Les coutumes et le droit au Cameroun, éd. CLE, Yaoundé, 1972, pp.19 et s. ; - L.ZOUBABELA, op.cit., pp. 20 et s. D’ailleurs, la médiation (différent de l’arbitrage), hier comme aujourd’hui, resteun mode privilégié de résolution des conflits en Afrique (voir la conclusion de THIERNO BAH in « Lesmécanismes traditionnels de prévention et de résolution des conflits en Afrique noire»,http://www.unesco.org/cpp/publications/mecanismes/edbah.htm).198L. ZOUBABELA, op.cit, p.88 in fine-89.199 L’article 31 de la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire au Cameroun sus-évoqué précise en substance que : « L’organisation des juridictions de droit traditionnel et la procédure àsuivre devant elles sont, à l’exclusion de la compétence pénale des Customary et Alkali Courts, provisoirementmaintenues. ».

200 J.M. TCHAKOUA, op.cit. p.255, n°312

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espace précis, la dimension objective et matérielle ou spéciale de l’attractivité s’estprésentée comme un aspect important du caractère attractif du droit des affaires del’espace OHADA.

B) La dimension objective et matérielle ou spatiale

Comme il a été souligné201, il existe depuis fort longtemps soit une volonté d’expansion(qui accentue le processus de mondialisation) et de recherche de débouchés qui peut secaractériser par la volonté de conquérir de nouveaux marchés ou espaces propices à l’essord’activité économiques rentables (pour les pays exportateur d’investissement), soit d’unautre côté une envie de créer un espace ou un vaste marché ouvert aux activitéséconomiques attractif de l’investissement (pour les pays qui souhaitent attirerl’investissement). Ce qui pourrait aboutir à une démarche qui consisterait à la mise sur piedde règles juridiques (considéré ici comme l’objet ou l’instrument utilisé pour attirer) danscertaines matières (ou secteurs d’activités) en rapport avec les affaires qui répondent auxattentes ou aux besoins de celui qui veut investir ou que l’on veut attirer. D’où la dimensionobjective de l’attractivité (1) qui soutient la dimension matérielle ou spatiale de l’attractivité(2).

1) La dimension objective de l’attractivité

La dimension objective de l’attractivité est celle qui est liée au souci d’attraire dansl’espace OHADA soit les catégories, concepts et principes juridiques utilisés ou employésdans l’environnement étranger (a) en termes de normes ou de standard à respecter, soitd’une manière générale le régime des rapports ou des transactions relatif aux activitéséconomiques en vigueur en contexte étranger (b) à celui de l’OHADA.

a) Au regard des concepts, catégories et principes juridiques utilisés

Relativement aux concepts202 et aux catégories juridiques (qui constitue leprolongement de l’étude des concepts liés à travers leur possible catégorisation)203 , il seraitpar exemple possible d’affirmer que le droit des affaires de l’OHADA est conçu suivant unmodèle d’intégration normative descendante où le droit français serait la norme deréférence204. Les concepts de ce droit des affaires se distinguent considérablement de ceux

201 Voir supra p.7.

202 Sur les différents aspects des concepts juridiques, lire J.L. BERGEL, op.cit., pp.195 et s., n°182 et s.

203Ibid, pp.203 et s.,n°190 et s.

204 É. LEROY, Juridicités : approches du droit au Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris : témoignagesréunis a l'occasion de son quarantième anniversaire, le 16 octobre 2004, Karthala, Paris 2006, p.139. En parlantde la définition et des concepts relatifs à la propriété intellectuelle, un auteur relève que la propriété

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utilisés dans l’environnement local dans la mesure où non seulement la langue decommunication et d’usage de ces concepts juridiques du droit des affaires diffèrent de cellede certaines autres langues employées dans l’espace OHADA205, et des langues locales enparticulier 206 avec forcément leurs concepts, mais aussi parce que les rapports dans lesquelsces concepts d’inspiration romaine sont employés, sont parfois inconnus ou diffèrentsouvent de ceux de l’environnement traditionnel local207.

Enfin, en ce qui concerne les principes juridiques applicable en droit des affaires, ilconvient de préciser que la plupart des États de l’espace OHADA étant d’anciennes coloniesfrançaises, c’est donc au droit français208 et dans une certaine mesure aux droits anglo-saxons (qui mettent en avant les intérêts économiques) compte tenu de l’impératifd’attractivité, que le droit des affaires auxquels ils ont décidé de se soumettre dans le cadrede leur regroupement s’est largement inspiré au regard des principes ou des théoriesjuridiques qui le guident209.

intellectuelle s’insère dans un vaste ensemble dont le socle repose sur le droit de propriété tel que régi par lesdispositions du code napoléonien (in Le contentieux de la propriété intellectuelle dans l’espace OAPI. Le guide dumagistrat et des auxiliaires, op.cit., p.12).

205 Les concepts ayant un lien fort avec la langue de communication et d’interprétation du droit. Voir leproblème du conflit dans ce sens entre la Common law et le droit civil (dont le droit OHADA s’inspire-selonl’auteur-) C. M. DICKERSON « Le droit de l’OHADA dans les États anglophones et ses problématiqueslinguistiques », Revue internationale de droit comparé, vol.60, 1, 2008, pp.148 et s. Un autre estime d’ailleursque La Common law est vecteur de concepts de Common Law (cf. L. BENKEMOUN, « Sécurité juridique etinvestissement internationaux », Penant, 2006, n° 855, p.197.

206 B. DIALLO « Libres propos de l’usage du français comme la langue juridique en Afrique noire …», Jurifis,édition spéciale, n°12, octobre 2012, pp. 12 et s.

207 En effet, plusieurs catégories de rapports relevant du droit dit moderne ont soit une appellation différentede celle du droit considéré comme traditionnelle, soit n’existait pas dans le contexte. Sur ces questions, voirB.A. NGANDO « l’exécution forcée des obligations contractuelles entre indigènes et européens au Camerounsous mandat français (1922-1946) », in mélanges offerts au Professeur P.G. POUGOUE, Études sur l’obligation,l’Harmattan, Yaoundé, pp. 576-577 ; Voir aussi Notes sur les coutumes de la population de la circonscription deYaoundé, Mémoire soutenue à l’Université fédérale de Yaoundé et disponible à travers la référence 347.09611 N6.8.

208F. AHOYO « Droit des affaires et développement », Actes de la table ronde préparatoire n° 3 : la bonnegouvernance: objet et condition du financement, p.177 in fine-178. L’auteur précise que le droit des affaires del’OHADA reprend pour l’essentiel les principes de base des lois et de la jurisprudence françaises. (…)Et ? fauted’absence de publicité du droit local, les juristes se référaient volontiers aux sources françaises, plus accessibleset mieux connues.

209Voir notamment pour le droit des affaires de l’OHADA, P.G. POUGOUE « Mission et organisation del’OHADA », Ohadata D-13-01, pp.5 (in fine)-6. Au sujet de l’inspiration française de la propriété intellectuelle(industrielle et littéraire et artistique) voir par exemple, Le contentieux de la propriété intellectuelle dansl’espace OAPI. Le guide du magistrat et des auxiliaires, op.cit. note 44. Quant aux règles de la CEMAC et

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Dans le contexte local en effet, les règles considérées comme traditionnellespréexistant à l’arrivée des européens, et dans une certaine mesure survivant jusqu’ici,diffèrent considérablement de celui des affaires actuellement en vigueur dans l’espaceOHADA, étant entendu que le droit traditionnel offre ou s’appui des fondements différents.Ce qui aurait nécessairement conduit à une législation différente relativement àl’encadrement des activités économiques. L’exemple de la législation en matière foncièresemble être un exemple210 parmi tant d’autres qui tend de plus en plus à augmenter

notamment du secteur bancaire ou financier, elles s’inspirent largement, s’agissant par exemple des normesprudentielles (de gestion ou comptable) des principes élaborées par le Comité de Bâle (Cf. A. KENMOGNÉSIMO, La protection des établissements bancaires contre la défaillance dans les pays africains de la zone franc,Th. doc., 2003-2004, Université de Yaoundé II-Soa, P.96, l’auteur cite dans ce sens le Bulletin de la COBAC, n°2,août 1993, p.10), et, puisqu’il relève du domaine commercial (cf. article 3 AUDCG), les principes du droitfrançais, de droit international et de Common law (cf. PG. POUGOUE, op.cit.,) constituent aussi ses sources ; etmême d’une manière spécifique, cette législation s’est référée aux principes et règles encadrant les effets decommerce ou le droit cambiaire des conventions internationales de Genève du 7 juin 1930 pour la lettre dechange et le billet à ordre, et du 19 mars 1931 pour le chèque ; tout comme il s’est inspiré du droit français (loidu 14 juin 1865 sur le chèque, modifiée par une loi du 30 décembre 1911,et remplacée par un décret-loi du 30octobre 1935 mis en application au Cameroun par un Décret du 18 décembre 1936 (cf. P.A. PEPITE, La garantiedes créances des COOPEC: le cas du réseau CamCCUL, Mémoire de DESS de Gestion Bancaire et desEtablissements Financiers 2005, Université de Yaoundé II – Soa et Journal Officiel du territoire du Togo placésous le mandat de la France du 1er mars 1939, p.130). Sur cette question, C. MBA AWONO, Droitcommunautaire des affaires de la CEMAC, LGDJ, Coll. Droits africains, 19 avril 2016, cf. la note de présentationde l’ouvrage par l’éditeur.

210 Il est par exemple possible de relever que par certaines stratégies, les autorités (françaises) de l’époquecoloniale ont introduit des règes en vue d’un droit de propriété garant de l’exécution (de dettes impayées) surles biens, et notamment les biens immobiliers ou surtout fonciers (1°extension au Cameroun par Arrêté du 15septembre 1921 portant organisation de la conservation de la propriété foncière et des droits fonciers dans leterritoire du Cameroun-J.O.C. 1921, p.213- de l’application de la loi métropolitaine du 23 mars 1855 -étendueau colonie d’Afrique et adaptée aux conditions locales par Décret du 28 août 1862- sur la transcription enmatière hypothécaire au Sénégal dans l’Inde française et aux Îles Saint-Pierre et Miquelon pour régler lestransactions immobilières et la constitution de droits réels de toute nature ; 2°confirmation de l’Arrêté du 15septembre 1921 par le Décret du 31 octobre 1924, élaboration du Décret du 20 août 1924-J.O.C. 1925, p.4-déterminant le mode de constatation des droits fonciers indigènes pour les amener à affirmer leurs droits auregard de tous les tiers, lorsque les terres sont détenues suivant les règles du droit coutumier ou lorsque latenue du sol ne présente pas tous les caractères de la propriété privé du droit quiritaire ; 3°élaboration d’unpremier du Décret du 21 juillet 1932 organisant la constatation des droits fonciers des indigènes au Camerounprotégés sous mandat français -J.O.C.1932, p.618- qui permet aux indigènes détenteurs de terres d’après lesrègles de la coutume locale, d’accéder au droit de propriété avec toutes les prérogatives attachées à ce droitpar la législation française, sous les seules restrictions de la coutume, en ce qui concerne le droit de dispositionet les règles de dévolution; 4°et enfin, élaboration d’un second Décret du 21 juillet 1932 instituant un régimefoncier de l’immatriculation qui a pour effet de confirmer les droits individuels en les rendant sous le régime duCode civil français et, une fois le titre foncier obtenu, le bien immobilier jadis sous l’emprise des règlescoutumières peut rentrer dans le commerce), alors que traditionnellement le caractère collectiviste (de lapossession et de la jouissance) et inaliénable de la terre dominait le droit des obligations. Sur ces questions,

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considérablement l’individualisme (ainsi que les droits des individus sur les biens collectifsdont ils se sont finalement appropriés) sur l’esprit collectiviste qui caractérise et qui estnécessaire à l’environnement africain.

En plus des catégories, des concepts et des principes du droit des affaires importés desystèmes étrangers dans le but de rendre ce dernier attractif, le régime (ou l’ensemble desrègles) des rapports ou des transactions économiques empruntées à certains systèmesétrangers œuvre dans le même sens, à savoir, amener un nombre considérabled’investisseurs dont on importe les règles à venir investir dans l’environnement constituépar les États membres de l’OHADA.

b) Au regard du régime des rapports ou des transactions relatif aux activitéséconomiques

La plupart des matières sur lesquels portent les opérations à réaliser dans le cadre desinvestissements ou surtout des affaires s’inspire de règles qui proviennent d’un contexteétranger ou extérieur à celui de l’espace OHADA. En effet, les principes ou les théories etmême la méthode d’élaboration de ces règles étant d’inspiration étrangère, les normes quien résultent ont forcément suivi le même sort. D’ailleurs, dans certains pays de l’espaceconcerné, le droit commun en la matière auquel le droit spécial des affaires doit parfois seconformer en l’absence de dispositions contraires, restent encore soumis aux textes envigueur à l’époque coloniale, c’est-à-dire aux règles en vigueur dans les pays qu’ilsconsidéraient comme la métropole, c’est-à-dire les pays qui assuraient le mandat ou latutelle211. En plus du droit commun, le droit spécial de certains États, à l’instar du Cameroun,ont des législations spécifiques dans plusieurs domaines du droit des affaires qui sontcalqués sur un modèle étranger, et notamment français212 (commerce213, travail214, ...). Ce

voir B.A. NGANDO, op.cit., pp.571 et s. En Afrique de l’Ouest et pour le cas du Sénégal en particulier, lire S.TRAORÉ, les systèmes fonciers de la vallée du Sénégal: exemple de la zone Soninke de Bakel: canton du Goy-Gajaaga (Communauté rurale de Mouderl), Th. doc., histoire du droit, Université Cheikh Anta Diop, 20 juillet1991, pp.260 et s.

211 Sur l’exemple du maintien des textes coloniaux au Cameroun (Code civil français de 1804, version d’avant1960 dans le Cameroun francophone selon le décret du 16 avril 1924 fixant les modes de promulgation et depublication des textes réglementaires au Togo et au Cameroun ou du 22 mai au Cameroun 1924 ; la Commonlaw, l’Equity et les textes d’applications générales en Angleterre au 1er janvier 1900 dans le Camerounfrancophone), lire J.M. TCHAKOUA, Introduction générale au droit camerounais, PUCAC, Yaoundé, 2008, pp. 21et s., n°18 et s.

212 Voir dans ce sens J.M. TCHAKOUA qui estime que dans certaine matière, le système français a pris le pas surle model anglo-saxon. Introduction au droit camerounais, PUCAC, 2008, p. 19 – 20, n° 14-15.

213 La loi du 21 décembre 2015 régissant l’activité commerciale au Cameroun reprend bon nombre de règles, etsurtout de principe du droit français, notamment celui de la liberté de commerce et d’industrie (en son article5).

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qui contribue à bien montré que les règles du système sont bien conçues dans un sensfavorable à l’attractivité des investisseurs étrangers dans le contexte local.

Les règles de droit traditionnel semblent même sur le plan prospectif ne pas avoir dechance de survie dans cet environnement qui doit être propice ou répondre aux attentes desinvestisseurs, et en particuliers des investisseurs internationaux, ceci au regard desdifférents projets en cours215.

Il faut enfin préciser que les règles qui sont utilisés pour attirer l’investisseurcontribuent, lorsqu’elles sont mises sur pied dans un espace important, à faire apparaître ladimension matérielle ou spatiale de l’attractivité.

214 Sur l’origine française du droit du travail applicable au Cameroun à travers la colonisation, lire, P.-E.KENFACK, et V. TCHOKOMAKOUA, Droit du travail camerounais, PUA, Yaoundé, 2000, p. 7 et s. Cf.Introduction de l’ouvrage.

215 Dans le rapport du Projet de texte uniforme de la fondation pour le droit continental portant droit généraldes obligations dans l’espace OHADA du 15/04/2015, J. ISSA-SAYEGH, P.G.POUGOUE, et F. M. SAWADOGOprécisent que les Codifications, les projets, les modèles et conventions internationales exploités sont : le Codecivil mauricien (qui s’inspire largement du droit anglais et dans une certaine mesure du droit français- cf. R.P.GUNPUTH « Les limites d’adaptation-interprétation du Code civil français dans la synthèse du droit mixtemauricien - Coexistence et influence dans les Mascareignes », InRevue internationale de droit comparé, vol. 60,n°4, 2008. pp. 885-925-), les fragments relatifs au droit des obligations des réformes allemandes, suisse,espagnole, le projet CATALA et de la Chancellerie en France, le projet LANDO et GANDOLFI en Europe, surtoutle projet Fontaine en Afrique d’Acte uniforme sur le droit des contrats, les principes d’UNIDROIT, les modèles-types de la CNUDCI, la convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises, lesprincipes contractuels communs européens (cf. Projet préc. p.5). Quant au projet Fontaine en Afrique d’Acteuniforme sur le droit des contrats (dont s’inspire le projet précit.), l’auteur de ce projet (M. FONTAINE) estimeque « le choix des principes d’Unidroit comme modèle d’élaboration du futur Acte uniforme OHADA sur le droitdes contrats » a reçu des avis « très largement positifs » de la part de ceux à qui il a « posé la question du choixdes Principes d’UNIDROIT comme modèle d’élaboration du futur Acte uniforme OHADA sur le droit descontrats ». Il ajoute que cela permettra aux pays de la région d’accéder directement à un système juridiquemoderne, consacré sur le plan international, déjà doté d’un important corps de doctrine et de jurisprudence etattrayant pour les investisseurs-notamment étranger-. Mais, à la question de savoir s’il faut tenir compte desspécificités africaines, afin d’apporter les adaptations nécessaires, l’auteur précise que chacun en aévidemment convenu. Mais, il relève par la suite que ceux à qui il s’est adressé « ont éprouvé bien desdifficultés à identifier des spécificités propres au droit des contrats, qui seraient communes à la région, si cen’est le degré généralement élevé d’illettrisme » (cf. M. FONTAINE, « L’avant-projet d’Acte uniforme OHADA surle droit des contrats : vue d’ensemble », Rev. dr. unif., 2008, p.204), ceci bien qu’un fond commun peut êtrerecueilli ou se dégager dans les coutumes africaines à cet effet (voir à cet effet MOUSSA T. qui évoque l’espritou « l’air de famille » pour parler des traits communs du droit africain- « Part respective de la tradition et de lamodernité dans les Droits de la famille des pays d’Afrique noire francophone », Revue Internationale de droitcomparé 2-2005, n°57, p.360 et L. ZOUBABELA, Les tribunaux de droit local au Congo et dans les autres paysd’Afrique central, op.cit., p. 50). Ce qui ne présage pas un bel avenir aux règles traditionnels africaines danscette législation prospective traitant des obligations (socle commun de la législation encadrant des activitéséconomiques).

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2) La dimension matérielle ou spatiale de l’attractivité

Qu’il s’agisse de l’investisseur étranger intra OHADA ou extra OHADA216, il estdésormais possible pour les investisseurs d’être soumis ou d’utiliser des règles communes ouharmonisées au sein de l’espace OHADA dans le cadre de l’acquisition, de la réalisation ou dela protection de leurs investissements217. La croissante et le possible développement peutsuivre le flux d’investissement qu’il serait possible d’attirer au moyen d’un droit(institutionnalisé par les États) au service de l’intégration économique qui se veuttransnational, ainsi que des avantages qui pourraient éventuellement en découler218.

Les pays membres de l’OHADA verraient ainsi une possibilité d’avoir pour chacun deleurs investisseurs locaux qui a des capacités d’investir dans un autre pays membre de serendre plus compétitif sur la scène international au regard du vaste marché qui s’ouvre et desbarrières ou obstacles juridiques qui s’amenuisent. L’investisseur étranger sera plus motivé àvenir investir au regard de l’aplanissement des obstacles que constitue la diversité delégislations nationales219.

C’est ainsi que le caractère harmonisé des règles du système apparaît comme un atoutmajeur pour l’investisseur qui pourrait désormais tirer profit des avantages matériellesréalisées dans un espace apparaissant comme un vaste marché dépourvu de règlesdifférentes.

Les différentes dimensions qui caractérisent l’attractivité du droit des affairesapplicable dans l’espace OHADA met ainsi en évidence un ensemble de règles qui ontvéritablement pour principal objectif d’attirer les investisseurs. Toutefois, ce choix ad’importantes implications à l’égard des acteurs intervenant dans les activités économiques(les investisseurs étrangers y compris).

II- Les implications perceptibles de l’attractivité du droit des affaires de l’OHADA

Le caractère attractif du droit des affaires en vigueur dans l’espace OHADA, laisseapparaître ne serait-ce que théoriquement, que tous les acteurs du système ne ressentirontpas ou ne vivront pas de la même manière l’orientation d’attractivité du système, et

216 Voir supra, p.5 in fine.

217 M. KAMTO « Mondialisation et droit », in l’Afrique face aux défis de la mondialisation, Actes du colloquepréparatoire à la Conférences des Chefs d’État et de Gouvernement d’Afrique et de France, Yaoundé, Vol.6, p.94.

218 Lire à ce sujet K. MBAYE, cité sur la plaquette de l’Association pour l’unification du droit en Afrique (UNIDA),décembre 2005 ; lire aussi H.-M. NOAH, « L’espace dual du système OHADA », in L’effectivité du droit OHADA,op.cit., p.40.

219M. KAMTO, op.cit..

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notamment vers le désir considérable d’amener les investisseurs étrangers à investir danscet espace220. C’est la raison pour laquelle il convient de relever que le choix fait en faveurde l’attractivité comme objectif ou finalité du droit des affaires de l’OHADA aura desimplications vis-à-vis des investisseurs étrangers (A) différentes de celles que ce choix peutavoir à l’égard des autres acteurs (B) du système.

A) Les implications de l’attractivité vis-à-vis des investisseurs étrangers

Une définition de l’investissement (direct) étranger est donnée par l’OCDE qui estimequ’il s’agit d’une activité (à la suite notamment de la création d’une entreprise nouvelle oude la modification du statut de propriété des entreprises existantes) par laquelle uninvestisseur résident dans un pays obtient un intérêt durable et une influence significativedans la gestion d’une entité résident dans un autre pays221. L’investisseur étranger sera doncune personne physique ou morale étrangère et résident dans un pays qui acquiert, dans lecadre de l’exercice de ses activités, un intérêt ou un actif durable et un pouvoir de contrôleimportant de la gestion d’une entité résident dans un autre pays222. Après s’être posé laquestion de savoir à quoi sert l’OHADA, L. BENKEMOUN affirme sans ambages : qu’« il ne faitde doute pour personne, même s’il n’est pas forcément politiquement correct de le dire, quel’OHADA répond d’abord aux attentes des investisseurs internationaux »223 et donc,étrangers224. Ce dernier bénéficiera ainsi d’importantes opportunités d’affaires et deréalisation d’investissements rentables et bénéfiques (environnement concurrentielfavorable en raison de la possession des moyens techniques et technologiques sollicité dansl’environnement local225 et de la maîtrise des normes applicables qui lui seront désormaisplus prévisible). Au regard de cela, il serait possible de relever que certaines implicationssont communes à tous les investisseurs étrangers (1), tandis que d’autres sont spécifiques àcertains investisseurs (2).

220 A. OUTIN-ADAM ET F. ARNAUD-FARAUT, op.cit. (Cf. le tableau sur l’impact de l’attractivité à l’égard desentreprises –investisseurs- nationaux et à l’égard des entreprises –investisseurs- étrangères. Suivant qu’on seréfère à la loi nationale –plus de souveraineté- ou non –moins de souveraineté-).

221 Cf. S. MENETREY, « La place de l’investissement dans l’OHADA », article publié in Questions de droitséconomiques : Les défis des États africains, Larcier, 2011, Ohadata D-13-37, n°1, note 8.

222 Cette définition résulte de la combinaison de la définition d’ « investisseur » offerte par la Chartecamerounaise des investissements (voir supra, note 24) et de la définition de l’ « investissement directétranger » donnée par l’OCDE (voir note précédente).

223 L. BENKEMOUN, op.cit., p.193.

224 BAKENDJA Wa MPUNGU, « L’internationalisation des échanges et le droit OHADA », op.cit.; S. MENETREY,op.cit.,p.2.

225 P. EDOU EDOU, op. cit., p.5.

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1) Les implications communes à tous les investisseurs étrangers

L’investisseur pourra bénéficier ici du libéralisme qui est promu par les règles mises enplace. Ceci pour ainsi le convaincre de ce qu’il sera libre non seulement d’exercer l’activitécommerciale dans un contexte où les contraintes liées à la réglementation sont de plus enplus réduites (libéralisme dans l’activité commerciale, dans la vie de l’entreprise ou de lasociété commerciale en rapport avec des formes juridique telles que la société par actionssimplifiées…), mais aussi, d’opter pour la forme de justice sur le plan formel (étatique ou nonétatique) de son choix ou enfin de bénéficier de facilités mises en place pour la sauvegardede son entreprise lorsque celle-ci rencontrerait des difficultés.

Cependant, il convient d’observer que même lorsque les règles arrangent l’investisseurétranger, il se trouve que ses rapports avec les investisseurs locaux se trouvent parfoismenacés, notamment du fait de la non-maîtrise des normes par de nombreux acteurs locauxpartenaires (qui appartiennent à un informel important et considérable) ou en rapport aveceux226. Enfin, il s’avère important de relever que la stratégie commune d’harmonie aumoyen de l’intégration qui impose de ce fait un modèle unique juridique de référence227

pour éviter une pluralité de règles et même de solutions dans l’environnement (ce qui seraitmoins attractif des étrangers), oblige aussi les acteurs à mieux s’imprégner de ce modèle deréférence qui est du reste le droit français en OHADA, en lieu et place de leur modèle localerespectif qui peut très bien être différent du modèle français. Cette remarque permet doncde relever qu’il est possible qu’il existe des implications spécifiques à l’égard de certainsinvestisseurs étrangers.

2) Les implications spécifiques vis-à-vis de certains investisseurs étrangers

À l’égard des investisseurs étrangers extra OHADA228, il serait difficile de dire que lasituation sera la même, dans la mesure où c’est le droit français qui est influent dans le droitdes affaires relevant de cet espace en raison du fait qu’il s’agit d’anciennes coloniesfrançaises, et donc, c’est le droit français en vigueur avant les indépendances qui a étéconservé tel quel après les indépendances, malgré qu’il a été adapté par la suite à l’évolution

226 Voir BAKENDJA Wa MPUNGU, op.cit., pp.4 et s. L’auteur considère d’ailleurs le droit OHADA comme « undroit menacé dans ses principaux fondements par ses acteurs », ceci en faisant allusion à l’importance dusecteur informel qui a été négligé dans ce droit.

227 M. KAMTO évoque dans ce sens « l’uniformisation de la pensée juridique » qui domine dans le contexte demndialisation. Op. cit., p. 95.

228 Voir supra, p. 5 et 6..

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économique internationale229. Et donc, l’investisseur français est supposé être plus à l’aisedans cet espace africain230. Or, le droit des affaires qui est considéré comme le bon élève del’attractivité, selon un rapport périodique ou annuel de la Banque mondiale (bien quecritiqué et notamment par une réaction de colère ou de blessure d’amour propre de la partde la France231), à savoir le fameux rapport Doing Bussiness (qui mesure la réglementationdes affaires et son application effective dans 189 économies tout en fournissant à travers unclassement précis des données sur la facilité de faire des affaires dans chacun de ses pays),est la Common law232. Il serait donc en partie possible de comprendre dans une certainemesure pourquoi, comme le pense un auteur, il existe encore quelques difficultés pour cettezone à être (ou à avoir un droit véritablement) attractif à l’égard de certains grandsinvestisseurs étrangers présents dans cet espace, dans la mesure où ils sont attachés à desrègles différentes de celles de l’espace OHADA233.

229 J. PAILLUSSEAU, « Le droit OHADA, un droit très important et original », JCP, Cahiers de Droit de l’Entreprise,n°5, 2004, p.1, n°2 et p.4, n°8.

230 A. OUTIN-ADAM et F. ARNAUD-FARAUT « Les enjeux d’un droit français attractif et compétitif àl’international », La semaine de la doctrine. La vie des idées. Le mot de la semaine : Attractivité, La semainejuridique, édition générale, n°25, 22 juin 2015, p.1246. Les auteurs évoquent à ce sujet « l’influence de laFrance auprès d’autres États au corpus juridique proche, notamment les États africains, dans une perspective derayonnement culturel mais aussi de développement des affaires et des investissements ».

231 Cf. la réaction de l’Association Henri Capitant in « L'analyse économique du droit et la compétition desdroits. À propos des Rapports Doing business de la Banque Mondiale (Extraits)», Extraits de la réponse del'Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française aux Rapports Doing Business de laBanque mondiale, Revue de droit Henri CAPITANT, n°1, 30 décembre 2010 (p. 78 à 95); B. DUMARAIS « Mesurerle droit ? Ou plutôt l’évaluer ? Quelques réflexions sur les limites méthodologiques des rapports Doingbusiness », RDAI/IBLJ, n°5, 2006 ; « Les limites méthodologiques des rapports Doing Business », Programme derecherche Attractivité Économique du Droit, Document de travail AED 2006-1, Nanterre, le 20 juillet 2006 (aveccontribution de C. MENARD). Ce dernier formule des critiques d’ordre méthodologiques.

232 Pour plus d’informations sur ce rapport, voir http://francais.doingbusiness.org/.

233 L’auteur relève l’indifférence de certains gros investisseurs étrangers à l’égard du droit OHADA. Ceux-ciconcluent directement des accords d’investissement avec l’État d’accueil soit sous la forme de loi de projetd’investissement, soit sous la forme de contrat d’État. Ce qui leur permet de tirer leur épingle du jeu encombinant dans leur convention des instruments nationaux et internationaux de protection desinvestissements -qui leur sont favorable-, tout ceci dans l’aspect substantiel de leur activité. Ensuite, dansl’aspect processuel ou judiciaire, en cas de conflit, c’est auprès d’un tribunal arbitral (arbitrage institutionnel)ou ad hoc (arbitrage ad hoc) siégeant sous l’égide d’une institution différente de celle prévue par l’OHADA, enparticulier le CIRDI (dont de nombreux pays de l’OHADA sont membres à l’instar du Cameroun) ou la CCI, qu’ilsporteront leur affaire (cf. S. MENETREY, op.cit., pp.4-5).

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En dehors des investisseurs étrangers, d’autres acteurs sont également concernés parle caractère attractif du droit des affaires de l’espace OHADA. Il s’agira en l’occurrence desacteurs qui ne sont pas considérés comme étrangers au système.

B) Les implications de l’attractivité à l’égard d’autres acteurs

Les acteurs dont il s’agit ici ne sont pas considérés comme étrangers au système dansla mesure où ils évoluent en principe à l’intérieur de l’environnement ou du contexte local. Ils’agira par exemple d’une part des pouvoirs publics qui ont joué un rôle majeur dans lamatérialisation du choix fait dans le sens d’attirer les investisseurs étrangers et d’autre partdes investisseurs locaux qui sont sous l’administration ou le contrôle des pouvoirs publics.Ainsi, la situation dans laquelle l’attractivité du droit des affaires de l’OHADA place lespouvoirs publics à l’égard desquels des implications existeront (1), ne laissera pas lesinvestisseurs locaux indemnes, car, à leur égard aussi, il y a d’ailleurs d’importantesimplications (2).

1) Les implications à l’égard des pouvoirs publics

Les pouvoirs publics en place dans l’espace OHADA ont un souci majeur, c’est de créerun pôle de développement économique favorable à l’essor d’une économie considéréecomme moderne et vecteur de croissance et d’emplois importants, ou de transfert derichesses, de savoir-faire, de technologie234 tout en éliminant les obstacles audéveloppement résultant de la différence judiciaire entre les Etats africains235.

Mais, il faut souligner que le fait de porter son choix sur l’aspect de l’attractivité quiconsiste à attirer les investisseurs étrangers est en général porteur d’inconvénients pourl’État hôte qui doit d’une certaine manière se montrer protecteur des intérêts del’investisseur étranger. Le premier problème concerne l’affaiblissement de la souveraineté(pouvant résulter soit d’un regroupement du fait de l’intégration qui ouvre un marché ou unespace de conquête plus vaste à l’investisseur du fait de la soumission à ses règles et donc àcelles qu’il maîtrise, soit d’une nécessité de protéger l’investisseur étranger qui a besoin d’unminimum de prévisibilité236 pour assurer la durabilité et la rentabilité de ses investissements.Ce qui aboutira certainement à renforcer et assurer considérablement les droits éventuels

234 S. CUENDET « accords d’investissement et développement durable. Comment concilier la protection desinvestissements étrangers avec la promotion du développement durable ? », La note de conventions. Régulerla mondialisation, n°14, 2014, p.2.

235 Voir S. MANCUSO, « Le nouveau droit africain : au-delà des différences entre la Common law et le droitcivil », 31eme Congrès 2008 de Lomé sur Le rôle du droit dans le développement.

236A.OUTIN-ADAM ET F. ARNAUD-FARAUT « Les enjeux d’un droit français attractif et compétitif àl’international », op.cit.

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de l’investisseur concerné sur des biens mobiliers et surtout immobiliers dans leurl’acquisition aisée et dans les procédures y relatives. Ceci se fera bien souvent dans lanégligence des droits des acteurs locaux et le sort de ceux-ci au regard de l’enrichissementgaranti à l’investisseur étranger. Le second est relatif à l’amenuisement de la puissancerégalienne du fait de la nécessité pour cet État de se montrer moins interventionniste afinde ne pas dissuader l’investisseur étranger de s’installer237. Ce risque semble même encoreplus important lorsque l’on peut relever que le vaste contentieux arbitral -entre uninvestisseur étranger et un État hôte-(…) résulte, bien souvent, de plaintes des investisseurscherchant à remettre en cause, en invoquant l’existence d’une expropriation indirecte, d’untraitement discriminatoire ou encore d’un traitement injuste et inéquitable, les mesures deréglementation adoptées par l’État d’accueil dans un but de protection de la santé, del’environnement, des droits sociaux ou culturels des populations238. D’où la difficulté relevéepar un auteur au sujet de la conciliation entre la protection des intérêts de l’État et laprotection des intérêts des investisseurs étrangers239. Et, dès lors qu’il deviendrait faciled’exécuter les décisions de justice ou les sentences arbitrales dans un contexte où d’une partla majorité des acteurs et partenaires locaux des investisseurs sont dans l’informel (en raisondu fait que le droit n’est point adapté à leur réalité ou qu’il ne maîtrisent pas les règles etleurs contours), et d’autre part l’arbitrage est en général utilisé par les investisseurs commeune arme offensive contre les États, les difficultés pour les États d’accueil dans leurensemble seraient manifestement considérables.

Par la suite, il arrive parfois que les pouvoirs publics et surtout juridictions aient dumal à appliquer sans difficultés le droit ou à faire circuler aisément leurs décisions240, cessituations résultant entre autre d’une inflation considérable (subite et dans un certainintervalle de temps), de réformes ou de textes241 que l’on a conçus, aux fins d’attractivité,

237 . OUTIN-ADAM et F. ARNAUD-FARAUT (sous la coord.), Droit des affaires : enjeux d'attractivitéinternationale et de souveraineté, op.cit., pp.12-13.

238 S. CUENDET, op.cit., p.2.

239 Ibid.

240 Voir par exemple sur la question d’ « une réforme des voies d’exécution pratiquement loin du défi del’effectivité des décisions de justice », voir M. MAÏDAGI « Le défi de l’exécution des décision de justice en droitOHADA », Penant, n°855, pp. 180 et s.

241 Depuis plusieurs années, ce sont les pays d’Afrique subsaharienne (dont les États membres de l’OHADA) ontprocédé au plus grand nombre de réformes- par exemple : commerce en générale, droit des sociétéscommerciales, droit des sociétés coopératives, sûretés, droit des procédures collectives d’apurement du passifou commerce extérieur au Cameroun…- tout en reconnaissant qu’il faut du temps pour changer les pratiquesou surtout les habitudes.

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avec l’évolution et les réalités sociologiques d’un contexte étranger d’origine242. Et de ce fait,il devient difficile de les intégrer et de les appliquer efficacement en un laps de temps ou enl’absence parfois d’institution compétente déjà en place ou surtout dotée d’une expérienceavérée comme c’est le cas des milieux regardés comme plus attractifs, du moins sur le planjudiciaire (CIRDI, CCI…)243. C’est sans doute ce qui justifie la mise en place, par les pouvoirspublics, de toute sorte de mesures plus ou moins coûteuses, visant instaurer à tout prix uncadre plus sécurisé d’affaires et in fine, plus attractif pour les investisseurs : mise sur piedd’école spécialisée dans le domaine des affaires (le cas de l’ERSUMA notamment) - pour laformation des professionnels du droit (la formation continue des magistrats, notaires,avocats, greffiers, huissiers de justice et autres agents du secteur de la justice de l’espace del’OHADA) et la vulgarisation du droit des affaires de l’espace OHADA pour mieux le faireconnaître244-, l’organisation de séminaires au profit des acteurs ou professionnelsconcernés245, ou même de conférences ou des cadres de concertation afin d’avoir de la partdes certains acteurs (pouvoirs publics nationaux et internationaux, acteurs locaux ouétrangers) des recommandations ou des solutions considérés comme concrètes246 visant àl’améliorer, ou encore de centres spécialisées (avec des unités de formation come c’est lecas en France notamment) de formation de praticien du droit OHADA247, ou même la miseen place de moyens de promotion du droit des affaires de l’OHADA248, etc., tout ceci dans le

242 Or, il est bien précisé dans le rapport Doing business que s’il est certes important de mettre en œuvre desréformes dans les domaines évalués par Doing Business, cela ne suffit pas pour garantir l’adoption de politiqueséconomiques judicieuses ni d’assurer la croissance économique ou le développement (Cf. Rapport DoingBusiness 2016, 13e édition, p.17). Ainsi il semble clairement établi que ce n’est pas le nombre considérable deréforme qui fait la bonne qualité d’un système, car, plusieurs facteurs peuvent influencer le non-respect desrègles tel que préciser dans le rapport précité.

243 S. MENETREY, op.cit. L’auteur estime en effet que l’arbitrage OHADA n’a pas encore acquis la cote auprès degros investisseur internationaux.

244 F. ONANA ÉTOUNDI « L’OHADA et la sécurité juridique et judiciaire, vecteur de développement », 22e

Congrès international des huissiers de justice, Madrid, 2-5 juin 2015, p.5.

245 F.AHOYO, op.cit.,p.178.

246 Cf. notamment la Conférence organisée au Cameroun dans ce sens (voir supra, note 10) ou même leCameroon business Forum (au Cameroun) qui a été créé depuis 2006 et qui est opérationnel depuis 2009 (cf.http://www.cbfcameroun.org/).

247 Cas du Diplôme inter-universitaire (DIU) Juriste OHADA de l’Université de Paris 13 en partenariat avecl’Université de Panthéon-Assas (Paris II).

248 Voir sur ces questions J. ISSA-SAYEGH et P.G. POUGOUE « L’OHADA : défis, problèmes et tentatives desolution », rev. dr. unif., 2008, pp.455 et s.

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but de rendre ce droit véritablement vivant249. La question de l’efficacité de ces mesures àterme peut surgir face au contexte de compétition (en présence des innovations toujoursplus importantes et incontrôlables à l’étranger) du fait de la mondialisation, de libéralisme(qui permet de faire jouer de faire jouer le libre jeu des forces du marché parfois entreacteurs qui n’ont pas les mêmes atouts) et à l’inflation de réformes sans cesse croissantesqui s’imposeront continuellement dès lors pour satisfaire au souci d’attractivité del’étranger. Celui-ci ne cessera d’ailleurs d’innover en exigeant en outre que l’on arrime lesnormes à sa manière de penser l’environnement, à ses techniques, à sa technologie, à sesinnovations (d’où la complexité grandissante des règles qui nécessitera alors sur le planpratique un coût surtout aux pouvoirs publics locaux et dans une certaine mesure aux autresacteurs locaux250 pour leur maîtrise, leur transposition, pour leur adaptation dans lecontexte…) ou à ses attentes. Ces locaux s’exposent donc à recevoir continuellement deséléments (normes ou autres objets) provenant du contexte étranger qu’il faut suivre, mêmepéniblement.

L’une des solutions est que la protection des opérateurs étrangers ne devrait pas êtreconsidérée comme l’objectif unique ou majeur251, car l’intérêt de l’investisseur local tant eninterne qu’à l’extérieur ne devrait pas être négligé. C’est ainsi qu’à la suite de l’analyse del’importance des implications du caractère attractif du droit des affaires de l’OHADA pour lespouvoirs publics, il convient de voir ce qu’il en est des investisseurs locaux.

2) Les implications de l’attractivité à l’égard des investisseurs locaux

La situation dans laquelle les acteurs locaux se trouvent en raison du choix del’attractivité du système peut s’exprimer tant vis-à-vis de l’environnement local (a) que vis-à-vis de l’extérieur (b).

a) Les implications à l’égard des investisseurs locaux vis-à-vis de l’environnement local

Le souci du législateur de l’espace OHADA d’attirer l’investisseur étranger sembles’être révélé moins préoccupé des certains investisseurs locaux largement plus nombreux etconsidérés comme petits commerçants, industriels, artisans… ou d’une manière générale

249 L’effectivité étant pour l’heure un problème que tout le monde a présent à l’esprit (cf. S. MENETREY, op.cit.p.11).

250 En effet, selon un auteur, la transformation de l’état social et surtout des institutions juridiques originel etcadrant avec la culture et l’état social traditionnel a un coût sur le plan pratique qui fait défaut généralementaux États victime de la transformation -comme ce fut le cas des États africains depuis l’époque coloniale- (Cf.L.ZOUBABELA, op.cit., p.6.).251 S. CUENDET, op.cit., p.12.

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relevant de l’informel. Plusieurs auteurs l’ont clairement souligné252. Toutefois, il faut direque certaines réformes notamment celle portant sur le droit commercial général endécembre 2010 –au sujet de l’entreprenant-253, ou encore des procédures collectives enseptembre 2015254) ont été opérées pour l’opérateur de l’informel, mais, cela semblen’être pour certains, en ce qui concerne la réforme du droit commercial par exemple, qu’uneapparence255. En effet, le statut de l’entreprenant consacré par l’article 30 de l’AUDCGn’apparaît que comme un statut à la fois intermédiaire (entre entreprise individuelle etentreprise créée sous la forme sociétaire) non consacré par le législateur et précaire (quel’entreprenant concerné peut en effet perdre si le chiffre d’affaires annuel généré par sonactivité professionnelle pendant deux exercices successifs n’excède pas les seuils fixés dansl’acte uniforme organisant la comptabilité des entreprises au titre du système minimal detrésorerie)256, pourtant, l’élément qui fonde cette précarité, à savoir l’importance du chiffred’affaires, ne semble pas être un critère objectif du mode de fonctionnement desentreprises de l’informel au regard de la réalité sur le terrain257. En effet, les problèmes de lacomplexité des normes qui ne sont point inspirées de leur réalité culturelle sur le planjuridique258, de la langue du droit259, et du formalisme, de l’éloignement de la justice ou ducoût des procédures judiciaires260… les maintiennent dans une situation concurrentielle

252 L. BENKEMOUN, op.cit., BAKENDJA Wa MPUNGU, « L’internationalisation des échanges et le droitOHADA », op.cit, p. 4-5 ; S. MENETREY, op.cit. E.M KOUMBA, op.cit., pp.15 et s.

253 Voir P.G.POUGOUE et S.S. KUATÉ TAMEGHE, l’entreprenant OHADA, PUA, 2013, n°6, p.17 ; J. DIFFOTCHUNKAM, Droit des activités économiques et du commerce électronique. L’esprit du droit commercial généralissu de la réforme du 15 décembre 2010, l’Harmattan, 2011, n°37, p.40.

254 Cf. article 1-2 alinéa 2 qui évoque la possibilité pour les petites entreprises de demander à bénéficier d’uneprocédure simplifiée de règlement préventif, de redressement judiciaire ou de liquidation des biens.

255 E.M KOUMBA, op.cit., pp.18 et s.

256 Ce qui a conduit un auteur à le qualifier de « monstre juridique » pour le petit entrepreneur local (.MKOUMBA, op.cit) qui peut ne pas supporter les charges qui doivent le maintenir dans le formel dont les règlesne lui sont pas toujours familière ou favorable, même s’il est accompagné jusqu’au formel.

257 Ibid.

258 BAKENDJA Wa MPUNGU, « L’internationalisation des échanges et le droit OHADA », op.cit, voir égalementdans ce sens V. KANGULUMBA MBABI, « Les droits originellement africains dans les récents mouvements decodification : le cas des pays d’Afrique francophone subsaharienne », Les Cahiers de droit, vol. 46, n° 1-2, 2005.Pp. 315-338.

259 B. DIALLO, op.cit., pp. 12 et s. D’ailleurs, la plupart des grands puissances dans le monde s’inspirent deséléments de leur culture pour réguler le système et notamment la langue.

260 P.-É. KENFACK, « La gestion de la pluralité par les États de l’Afrique noire : les enseignements de l’expériencecamerounaise », CRDF, n°7, 2009, p.156.

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défavorable sur le plan interne au profit de l’investisseur étranger dont les intérêts sontmieux pris en compte par les règles du système261. D’ailleurs, certains acteurs locaux, dansune démarche individualiste, chercheraient sans doute à utiliser tous les moyens possible(s)(leur statut, l’importance de leurs capitaux ou avoirs financiers, ou encore leur accès àl’information dont ils disposent) pour, soit profiter des opportunités offertes à l’investisseur-étranger-, soit s’associer simplement à ce dernier et bénéficier directement ou surtoutindirectementdes faveurs offertes par un environnement ou un climat qui ne semble pasaisément favorable au petit investisseur local relevant d’ailleurs de ce qui est considérécomme l’informel car, écarté du système.

C’est ainsi que le fait de ne pas se référer davantage à la conception de l’attractivitéqui s’apprécie comme une force de conservation visant à conforter les entreprises locales etleur permettre de pérenniser leur activité à la fois dans l’environnement local et à l’étranger,aurait également des répercussions sur la situation des investisseurs locaux vis-à-vis del’extérieur.

b) Les implications à l’égard des investisseurs locaux vis-à-vis de l’extérieur

Le fait d’orienter la conception de l’attractivité dans un sens permettant de l’appréciercomme une force d’attraction des entreprises étrangères qui viendraient s’installer dansl’environnement ou l’espace local, aurait comme principal impact sur l’investisseur local dele mettre en concurrence ou en compétition avec l’investisseur étranger. Cette situationconduira à lui imposer notamment l’obligation de se rendre compétitif en s’arrimant à ce quiva intéresser l’étranger investisseur pour avoir les moyens de collaborer avec lui ou de leconcurrencer sur le plan local. Tout ceci avec un avantage pour l’étranger qui est nonnégligeable (bénéfice de règles ou de normes favorables qui sont censées l’attirer oupossibilité de recourir à l’arbitrage et partant de faire sauter l’immunité d’exécution qui estopposé à l’investisseur local262, lui qui doit très souvent dans la pratique attendre de

261 Ce qui semble ne pas être le cas pour certains pays étrangers qui demeurent attaché aux règles maîtriséespar leur investisseur dont la promotion à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale profite auxinvestisseurs originaires de leur pays (cf. A. OUTIN-ADAM et F. ARNAUD-FARAUT « Les enjeux d’un droitfrançais attractif et compétitif à l’international », op.cit.).

262 Sur cette question, voir G. KENFACK DOUAJNI, « Les États parties de l’OHADA et la Convention des Nations-Unies sur les immunités juridictionnelles des États et leurs biens », Revue camerounaise de droit de l’arbitrage,n°32, janvier-février-mars 2006, p.6-7 ; « Les États parties à l’OHADA et la Convention des Nations-Unies sur lesimmunités juridictionnelles des États et leurs biens », Ohadata D-06-02 ; « Propos sur l’immunité d’exécution etles émanations des États », Revue camerounaise de l’arbitrage, n°30, juillet-août-septembre 2005 ;« L’immunité d’exécution des personnes morales de droit public », Revue camerounaise de droit de l’arbitrage,n°18, juillet-août-septembre 2002 ; F.M. SAWADOGO « L’immunité des personnes morales de droit public dansl’espace OHADA (à propos de l’arrêt de la CCJA du 7 juillet 2005, affaire Aziabléviyovo et autres c/ TOGOTélécom) », Revue camerounaise de l’arbitrage, numéro spécial 2010.

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nombreux mois ou années recevoir soit le montant de la créance pour les prestations qu’il aréalisées au profit de l’État ou ses démembrements, soit son salaire263, soit dans certains cascertains accessoires de ce salaire-primes, indemnités-264…), puisque l’État OHADA se soucisurtout de son attraction dans l’espace local. En outre, l’investisseur local doit trouver desmoyens de se rendre compétitif sur le plan international avec de faibles moyens decompétitivité, puisque les règles ne s’appuie pas sur ses réalités ou sa tradition en raison dusens de l’attractivité adopté par celui qui doit lui garantir un meilleur cadre d’affaires265.

Conclusion

Bien qu’il puisse paraître important voire nécessaire d’étendre le droit des affaires envigueur dans l’espace OHADA aux réalités locales ou de les prendre suffisamment en comptedans l’élaboration du droit des affaires afin d’inciter ceux qui opèrent dans le secteur qualifiéd’ « informel » à s’intégrer dans le cadre officiel ou légal266, la réalité et les perspectives nesont pas prometteuses pour la majorité des africains267. D’ailleurs, bien au-delà, desdéclarations fermes de nature à supprimer ou à anéantir toute volonté contraire sont faitesde manière claire afin d’utiliser une démarche plus « conquérante » pour rendre certainsdroits étrangers (dont les États africains ou ceux de l’OHADA en particulier s’inspirent) plusattractifs des étrangers, et non pour que les entreprises locales soient attirées par tout droit

263 Une pratique que les pouvoirs publics veulent notamment réduire consiste pour le jeune travailleur en coursd’intégration à attendre plusieurs mois ou années avant de recevoir le rappel des salaires du travail effectuédepuis sa prise de service jusqu’au moment de l’octroi de ce rappel (en général après la réception par cetravailleur du premier salaire). Dans le secteur privé, il est courant que l’acteur ne perçoive pas son salaire àtemps.

264 Pourtant lui- même doit satisfaire ses propres créances (contre le bailleur, le banquier qui peut ne pas fairecesser le cours des intérêts…) pour lesquels ne bénéficie d’aucune immunité.

265 D’où la réaction d’auteurs français de la CCI Paris Ile-de-France qui ont affirmé dans ce sens qu’ : « unmessage fort s’adresse à notre représentation nationale qu’il faut sensibiliser sur les enjeux de compétitivité etd’attractivité pour chaque projet de texte au niveau national et européen. La trop faible présence au sein desinstances européennes de nos représentants est regrettable, alors qu’on attend d’eux, bien au contraire, unedémarche plus conquérante » (A. OUTIN-ADAM et F. ARNAUD-FARAUT in « Les enjeux d’un droit françaisattractif et compétitif à l’international », op.cit., in fine.).

266 Cf. C TOHON « Le Traité de l’OHADA : l’anthropologue du droit et le monde des affaires en Afrique et enFrance », in Juridicités. Cahiers d’anthropologie du droit, Paris, Karthala, 2006, p.134, cité par S. MENETREY,op.cit.

267 Un auteur affirme dans ce sens que le « nouveau droit des affaires est inadéquat à la réalité économique etsociale de la majorité des Africains » (A.A. DE SABA « Un nouveau droit des affaires pour attirer les investisseursen Afrique. Est-ce suffisant ? », Finance & Bien Commun, 2007/3, n° 28-29)

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étranger268. Les moyens limités de compétitivité dont les locaux disposent sur le plan localou international les astreint à faire en permanence des efforts pour maîtriser et contrôlerl’application des règles d’un système qui se voudrait attractif des étrangers. Il en sera demême pour les pouvoirs publics qui devront en plus dépenser et multiplier continuellementdes stratégies pour transposer ou adapter ce droit aux locaux, ou pour les accompagnerjusqu’à un formel difficilement supportable pour eux au regard des normes et des chargesqui en découlent pour leur maîtrise et pour leur respect scrupuleux. L’évolution du droit desaffaires dans le monde qui tend de plus en plus à se globaliser (bien qu’une tendance inversene soit pas exclu), laisse apparaître que le contexte de compétition dominant actuellementla scène internationale en l’influençant, ne facilitera pas de sitôt l’amélioration du sort desacteurs non étrangers (pouvoirs publics locaux et en particulier des acteurs locaux) aucontexte OHADA. Ceci en raison notamment d’une part du fait que les normes du droit desaffaires ne cesseront jamais d’évoluer ou d’être modifiées par l’action des acteurs étrangers(unis ou non) qui doivent sincèrement sauvegarder leurs intérêts dans un environnementmondial concurrentiel où des stratégies doivent dès lors être trouvées et amélioréesrégulièrement, et d’autre part parce qu’elles ne semblent surtout pas très proches desréalités de ces acteurs non étrangers, car, leur conception s’appuie considérablement sur desréalités d’un contexte étranger. Or, il serait important de ne négliger aucun acteur del’environnement global des affaires, et notamment l’acteur local qui, même en l’absenced’étranger, doit faire des affaires et les réussir pour rendre son cadre plus attractif, dans lamesure où il serait désormais prouvé que l’on peut y faire de bonnes affaires.

268A. OUTIN-ADAM et F. ARNAUD-FARAUT « Les enjeux d’un droit français attractif et compétitif àl’international », op.cit..

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JURISPRUDENCE

MARCHES FINANCIERS

1°) DECISIONS DE SANCTIONS DE LA CMF A L’ENCONTRE D’OPERATEURSRESPONSABLES DE MANQUEMENTS ET IRREGULARITES DANS LE DEROULEMENTDE L’EMPRUNT DE L’ETAT DU CAMEROUN ‘’ECMR NET 5,6% 2010-2015’’

COMMISSION DES MARCHES FINANCIERS.

DECISION DE SANCTION DE LA COMMISSION DES MARCHES FINANCIERS A L’ENCONTRE DEBANQUE ATLANTIQUE S.A.

Vu la constitution ;

Vu la Loi n°99/015 du 22 décembre 1999 portant création d’un marché financiers ;

Vu le décret n°2001/213 du 31 juillet 2001 précisant l’organisation et le fonctionnement dela Commission des Marchés Financiers ;

Vu le décret n° 2007/150 du 31 mai 2007 portant renouvellement du mandat du Présidentde la Commission des Marchés Financiers ;

Vu le décret n°2007/149 du 31 mai 2007 portant nomination des membres de la Commissiondes Marchés Financiers ;

Vu le Règlement Général de la Commission des Marchés Financiers ;

Vu la décision n°09/030/CMF/11 portant contrôle du déroulement de l’emprunt obligataireECMR 5,6% net 2010-2015 ;

Vu le rapport du 21 juin 2012 dudit contrôle ;

Vu la décision n°09/040/CMF/12 du 14 septembre 2012 portant ouverture d’une procéduredisciplinaire à l’encontre des auteurs des manquements et irrégularités relevés dans leditrapport ;

Vu la décision n°09/041/CMF/12 du 14 septembre 2012 nommant M. Olivier BEHLE,membre de la Commission des Marchés Financiers, rapporteur dans ladite procédure ;

Vu la notification des griefs TKE/AD/2012/135/09/CMF du 03 octobre 2012 adressée àBANQUE ATLANTIQUE Cameroun SA ;

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Vu la réponse écrite du 23 octobre 2012 de BANQUE ATLANTIQUE à ladite notification ;

Vu l’audition par le rapporteur le 31 octobre 2012, de Mme May-Daphné NGALLE MIANO,représentant du Directeur Général de BANQUE ATLANTIQUE Cameroun SA, empêché ;

Vu la lettre du 12 décembre 2012 convoquant le mis en cause devant le collège de laCommission des marchés financiers réuni en session disciplinaire le 21 décembre 2012 ;

Vu les délibérations du collège de la Commission des marchés financiers en ses sessions des21 décembre 2012, 09 janvier 2013, 08 et 11115 février 2013 ;

Vu ensemble les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance du 21 décembre BANQUE ATLANTIQUE CamerounSA en la personne de M. TOKPANOU François-Xavier, Directeur Général, ce dernierintervenant en dernier ;

I- LES FAITS ET LA PROCEDURE

1- Autorisé par la Loi de finances n°2009/018 du 15 décembre 2009, un empruntobligataire de FCFA 200 milliards a été émis au titre de l’exercice budgétaire 2010 parl’Etat du Cameroun qui a opté de recourir au marché de capitaux local en faisantappel public à l’épargne ;

2- Par correspondance du 26 mai 2010, le Ministre des finances représentant l’Etat duCameroun a transmis aux Prestataires des Services d’Investissement (PSI) agréés parla Commission des Marchés Financiers du Cameroun (CMF) les termes de référenced’un appel d’offres lancé pour recruter celui qui devait l’accompagner dans cetteopération ;

3- Par lettre du 17 juin 2010 le Ministre des Finances a sollicité du Premier Ministre Chefdu Gouvernement, l’autorisation de signer une convention de mandat d’arrangeuravec un consortium constitué par Afriland First Bank SA, Citibank Cameroon SA etSociété Générale des Banques au Cameroun SA, les trois PSI retenus au terme duditappel d’offres ;

4- Par lettre du 28 juin 2010, le Premier Ministre Chef du Gouvernement, a marqué sanon objection de principe à ce choix, mais a subordonné son autorisation designature de la convention « à la transmission préalable dudit document à sa hauteapprobation, assorti d’une note de présentation détaillée sur les caractéristiquesindicatives de cet emprunt obligataire notamment les différentes commissions àpayées par l’Etat du Cameroun dans le cadre de cette opération » ;

5- Par lettre du 30 juin 2010, le Ministre des Finances a notifié son choix au consortiumsusmentionné qu’il a invité à l’élaboration et la négociation d’une convention parlaquelle devait lui être confié un mandat pour la réalisation de l’opération ;

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6- La CMF n’a pas pu connaitre du processus de sélection ni des critères utilisés pour lechoix opéré par le Ministre des Finances. Les termes de référence étaient néanmoinssuffisamment précis quant à la nature et l’étendue des prestations attendues des PSIcandidats, notamment en ce qui concerne la prise de risque et l’expertise dont l’Etatvoulait bénéficier de l’arrangeur dans le domaine des émissions souveraines sur lesmarchés de capitaux ;

7- Par décret n°2010/278 du 06 septembre 2010, le Ministre des Finances a été habilitépar le Président de la République à conduire au nom du gouvernement, l’émissiond’un emprunt obligataire pour le financement des projets de développement ;

8- Le 15 octobre 2010 l’Etat du Cameroun représenté par le Ministre des Finances et leconsortium représenté par les Administrateurs Directeurs Généraux ou DirecteursGénéraux de Afriland First Bank SA, Citibank Cameroun SA, Société Générale desBanques au Cameroun SA ont signé une convention de mandat d’arrangeur ;

9- Le 12 novembre 2010 l’Etat du Cameroun par son mandataire, le consortiumreprésenté par le Directeur Général de Citibank SA, a soumis à l’enregistrement de laCMF une note d’information dûment élaborée pour cette émission, renonçant ainsiau privilège que lui reconnait la loi n° 99/015 du 22 décembre 1999 qui l’exonère del’établissement d’un tel document ;

10- Par décision 11/052/CMF/10 du 30 novembre 2010, le collège de la CMF, réuni ensession d’urgence, a procédé à l’enregistrement de l’emprunt « ECMR 5,6% net 2010-2015 » sous le n° OTP-10/001 ;

11- Le 3 décembre 2010 le consortium, fort de son statut d’arrangeur chef de file, a signéavec huit PSI dont BANQUE ATLANTIQUE Cameroun SA (BANQUE ATLANTIQUE), uneconvention de syndication faisant de cette dernière un membre du syndicat deplacement constitué pour la vente du titre « ECMR 5,6% net 2010-2015 ». cedocument n’a pas été non plus joint comme il se devait à la note d’informationsoumise à la CMF ;

12- Du rapport du consortium présentant le résultat des souscriptions et des allocationsdes titres « ECMR 5,6% net 2010-2015 », il ressort que BANQUE ATLANTIQUE aacheté 409 686 obligations d’une valeur totale de 4 096 860 000 dont 303 686 eninvestissement pour compte propre et 106 000 pour placement dans le public ;

13- En rémunération de ses services, BANQUE ATLANTIQUE a perçu des commissionsd’un montant de FCFA 10 242 150 soit un taux de commission de placement de0,25% ;

14- Dans le cadre d’une mission de contrôle sur le déroulement de l’emprunt obligataireECMR 5,6% net 2010-2015, le secrétariat général a par courrier du 18 avril 2012communiqué à la Direction générale de BANQUE ATLANTIQUE le passage dans sesservices d’une équipe d’inspection qui s’y est effectivement rendue durant lapremière semaine d’août 2012 ;

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15- La direction du PSI s’étant montrée indisponible, la mission n’a pas pu effectuer lecontrôle sur pièce et sur place prévu par la loi. Les personnes rencontrées ont plutôtpromis de faire parvenir au siège de la CMF des documents dont une liste leur avaitété indiquée. Lesdits documents n’ont jamais été adressés à la CMF ;

16- Le 28 mai 2012, la mission d’inspection a déposé à la CMF son rapport qui aégalement été adressé à BANQUE ATLANTIQUE conformément aux dispositionsréglementaires en la matière. Ledit rapport n’a suscité aucune réaction de la part deBANQUE ATLANTIQUE, nonobstant une lettre de rappel envoyée par le Président dela CMF en guise de clarification quant à l’objet et au sens dudit envoi au PSIconcerné ;

17- Le rapport d’inspection a été examiné par le collège de la CMF qui, par résolution166/CMF/12 prise en sa session du 14 septembre 2012 à la lumière du rôle deBANQUE ATLANTIQUE dans l’émission « ECMR 5,6% net 2010-2015 », et en raison del’attitude du PSI vis-à-vis de la mission, a décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire àson encontre ;

18- Par Décision n°09/04/CMF/12 du 14 septembre 2012, le Président de la CMF adésigné M. Olivier BEHLE, membre de la Commission, en qualité de Rapporteur pourinstruire l’affaire ;

19- Par courrier EMS du 04 octobre 2012 tenant lieu de lettre recommandée avec accuséde réception, la CMF a notifié à BANQUE ATLANTIQUE les griefs qui lui étaient faits,et qui concernent :

19-1- La facturation et la perception du consortium d’une commission de placement deFCFA 7 592 150 pour un investissement réalisé pour son propre compte, enviolation de l’article 32 qui sanctionne toute personne qui se procure un avantageinjustifié qu’il n’aurait pas obtenu dans le cadre normal du marché, et qui porteatteinte à l’égalité de traitement des investisseurs.

19-2- L’obstacle érigé à la mission de la CMF par l’indisponibilité de ses dirigeants,doublée de leur promesse non tenue de faire parvenir au Régulateur, desdocuments qui ne lui ont finalement jamais été fournis, en violation de l’un desengagements auxquels elle a souscrit à l’occasion de son agrément en qualité dePSI « de respecter le Règlement Général de la Commission des MarchésFinanciers et ses principes et pratiques professionnelles » ;

20- Par correspondance du 23 octobre 2012, BANQUE ATLANTIQUE a adressé à la CMF sesobservations écrites et moyens de défense sur les griefs qui lui ont été faits, d’où ilressort ;

21- En application de l’article 111 du Règlement Général de la CMF, le Rapporteur a parcourrier du 23 octobre 2012, convoqué BANQUE ATLANTIQUE pour une audition dontla date a été fixée au 31 octobre 2012 ;

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22- En l’absence du Directeur Général, le rapporteur a eu à auditionner son représentanten la personne de Mme May-Daphné NGALLE MIANO qui, en dehors des excusesprésentées à la CMF pour l’indisponibilité des dirigeants de BANQUE ATLANTIQUE lorsde la mission d’inspection, n’a pas apporté d’élément nouveau ou supplémentaire à saréponse écrite.

II-TEXTES APPLICABLES

Les faits relevés à l’encontre de BANQUE ATLANTIQUE sont susceptibles de donnerlieu à des sanctions en application des articles 21, 32 et 35 de la loi n°°99/015 du 22décembre 1999 portant création et organisation d’un marché financier, et des dispositionsdu Règlement Général de la CMF en matière d’obligations de tout opérateur agréé vis-à-visde la CMF.

III-MOTIFS DE LA DECSISION

23- Considérant que BANQUE ATLANTIQUE attribue l’indisponibilité de ses dirigeants et lanon transmission des documents promis lors de la mission de la CMF à une omissioninvolontaire de sa part plutôt qu’à une volonté délibérée de faire obstacle à la missiondu Régulateur ;

24- Considérant que l’achat pour compte propre par un prestataire de servicesd’investissement de titres résultant d’une émission ne constitue pas un placement,mais plutôt un investissement pour lequel il ne saurait percevoir de l’émetteur, unecommission de placement en rémunération d’un quelconque effort de distribution ;

25- Considérant, contrairement à l’avis du Directeur Général de BANQUE ATLANTIQUE SAagréée par la CMF en qualité de PSI, que celui-ci ne s’est pas constitué en entitéjuridique distincte de BANQUE ATLANTIQUE SA banque commerciale pour établir quecelui-là aurait placé des titres auprès de celle-ci ;

26- Considérant par conséquent que la facturation et la perception par BANQUEATLANTIQUE d’une commission de placement de FCFA 7 592 150 sur des titres d’unevaleur de FCFA 3 036 860 000 achetés pour son propre compte est donc irrégulière etconstitue un enrichissement injustifié au détriment de l’Etat-Emetteur ;

27- Considérant toutefois, que la majorité des membres de la CMF estime comme leDirecteur Général de BANQUE ATLANTIQUE, que l’activité de PSI en elle-même n’estpas rentable en l’état actuel de l’activité du marché financier camerounais pour justifierla création, prescrite par la CMF, des filiales distinctes et autonomes vis-à-vis desentités de banque commerciale ;

28- Considérant par ailleurs que le Directeur Général de BANQUE ATLANTIQUE a prié laCommission des Marchés Financiers de faire preuve d’indulgence dans une procédure

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relative à une opération qui constituait la toute première sur le marché financiercamerounais et ne pouvait être exempté d’erreurs d’apprentissage.

PAR CES MOTIFS

Après en avoir délibéré en ses sessions des 21 décembre 2012, du 09 janvier 2013, du08 février 2013 et du 15 février 2013, sous la présidence du Chief T.K. EJANGUE, Président dela Commission, en présence de :

MM. ELUNG Paul CHE, membre

SIAKA André, membre

BEHLE Olivier, membre

NJANGA NJOH Martin Luther, membre

BANGA NTOLO Louis, membre, ce dernier ne participant pas au vote et

BAH OUMAROU SANDA, membre représenté par NJANGA NJOH Martin Luther

DECIDE

Tout en jugeant irrégulière la perception des commissions de placement sur desinvestissements réalisés pour compte propre, de tenir compte du faible niveau d’activitéssur le marché financier camerounais

A l’unanimité des membres :

1- De ne prononcer aucune sanction à l’encontre de BANQUE ATLANTIQUE ;2- D’adresser une lettre de mise en garde à BANQUE ATLANTIQUE pour avoir fait

preuve de légèreté dans l’accueil d’une mission d’inspection de la Commission desMarchés Financiers ;

A la majorité des membres :

3- De ne pas prononcer à l’encontre de BANQUE ATLANTIQUE la restitution à l’Etat dessommes indûment perçues au titre des commissions de placement sur desinvestissements réalisés pour compte propre, du fait du faible niveau d’activités surle marché financier camerounais.

A l’unanimité des membres :

4- De publier la présente décision au Bulletin officiel de la Commission des MarchésFinanciers.

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Le secrétaire général Le Président

M. Alphonsus NJIA ACHOMUNA Chief T.K. EJANGUE

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par devant la Chambre Administrativede la Cour Suprême conformément à l’article 32 de la Loi de 1999.

« La Commission des Marchés Financiers (CMF) dans un exercice de pédagogie discutablevoire critiquable » (A propos des décisions de sanction à l’encontre des opérateursresponsables de manquements et irrégularités dans le déroulement de l’emprunt

obligataire de l’Etat camerounais : le cas de la Banque Atlantique), observations Pr RobertNEMEDEU, Agrégé des Faculté de Droit, FSJP/Université de Yaoundé II

Nous l’avions déjà rappelé269, la CMF, en tant que « gendarme » du marchéfinancier camerounais, ne saurait être distraite dans l’exercice de ses missionsfondamentales. Elle est chargée de « veiller à la protection de l’épargne investie en valeursmobilières et dans tous les autres placements donnant lieu à l’appel public à l’épargne »,« d’informer les investisseurs », « de contrôler les prestations de services d’investissement(…) »270. L’exécution de cette mission de service public l’a amené, des mois après le succès« tous azimuts » de l’emprunt obligataire de l’Etat camerounais sur le DSX, à revenir sur sondéroulement pour se rendre compte que tout ne s’était pas bien passé, notamment que lesdifférents acteurs n’avaient pas toujours joué clair jeu.

Un parallèle peut être établi entre la mission de contrôle de la CMF et celle de lacertification des comptes par le commissaire aux comptes. C’est lorsque ce dernier statue,qu’on découvre des erreurs de passation d’écritures, d’absence de pièces comptables (voirede fausses), des opérations hors bilan non comptabilisées. Lors du contrôle effectué par laCMF, elle va réaliser que certains acteurs du processus, les PSI notamment, avaient manquéà leurs obligations professionnelles. Il va aussi de soi que si l’information financière diffusée

269 « Affaire CMF c/ MM. Edouard ETONDE EKOTO et LAMINE MBASSA (ou l’urgente maîtrise des exigences du

mécanisme du marché financier), Juridis Périodique n°85, janvier-février-mars 2011, p. 39, obs. R. Nemedeu.270 Article 14 de la loi camerounaise du 22 décembre 1999 qui crée et organise le marché financier.

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se révèle fausse, tronquée, elle va certainement porter atteinte aux intérêts de tous lesdestinataires (l’entreprise elle-même, ses partenaires et surtout l’Etat à travers le fisc). Enconséquence, on ne saurait tolérer cette falsification de l’information comptable. De même,le marché financier camerounais, dans ses débuts, doit se donner les gages d’intégrité, detransparence. Son succès passerait par là et on ne peut que saluer cette vigilance de la CMF.

Mais cette vigilance serait au goût de la pédagogie au regard des décisions prisespar le Collège de la CMF. Elle n’a pas hésité, après constat avéré de la faute commise, às’abstenir de prendre de sanctions à l’encontre de la Banque Atlantique, et ce dans unedécision prise à l’unanimité des membres du Collège. Espérons que ce message touchera lasensibilité des opérateurs du marché financier camerounais, et qu’ils se montreront àl’avenir plus vigilants, au point que tout autre manquement constaté sera suivi des sanctionseffectives.

Les fautes commises par la Banque Atlantique méritent d’être analyséesdistinctement dans un double but : attirer l’attention des PSI sur les exigencesprofessionnelles et mettre en relief les subtilités du contrôle qu’effectue la CMF.

Dans l’opération de l’emprunt obligataire de l’Etat du Cameroun, le Ministre desfinances avait reçu l’autorisation du Premier ministre de signer avec le Consortium constituéde 3 PSI (Afriland First Bank S.A., Citibank Cameroon S.A., SGBC S.A.) une convention demandat d’arrangeur. L’arrangeur est un chef de file d’une facilité d’émission garantie ou d’unéchange financier mettant en jeu un syndicat de banques ou d’organismes financiers.

Dans le dossier transmis à la CMF, aucune information n’était portée à l’attentiondu Premier Ministre sur les critères du choix des PSI. Toujours est-il que ce dernier avaitconditionné son accord à ce que les commissions à payer par l’Etat du Cameroun dans lecadre de cette opération lui soient transmises préalablement. Malheureusement, cettedemande ne recevra pas de réponse.

Le grand manitou dans cette affaire a été le Ministre des finances. Le 15 octobre2010, l’Etat du Cameroun, représenté par lui, va signer avec le Consortium une conventionde mandat d’arrangeur.

A cette date, la Banque Atlantique n’est pas encore présente dans l’opération. Elleva intégrer le processus le 3 décembre 2010, à la faveur d’une convention de syndicationsignée par le Consortium, chef de file (représenté par le directeur général de la Citibank S.A.)avec 8 autres PSI, dont la Banque Atlantique. Cette convention fera d’eux les membres dusyndicat de placement constitué pour la vente du titre « ECMR 5,6% net 2010-2015 ». Il fautpréciser que le syndicat de placement est un ensemble d’établissements financiers chargéspar la société émettrice de placer ses titres dans le public. Très souvent, les barèmes de

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syndication sont prévus à cette occasion, mais les faits de l’espèce ne nous renseignent passur ce point.

A cette étape du processus, on ne relève pas encore de problème particulier. Aprèsle succès de l’opération sur le marché, le Consortium déposera son rapport auprès de laCMF. Dans le cadre de la mission de contrôle sur le déroulement de l’emprunt obligataire, laCMF constate que la Banque Atlantique a acheté 409. 686 obligations d’une valeur de4.096.860.000 fcfa dont 303.686 en investissement pour compte propre et 106.000 pourplacement dans le public.

En principe, l’achat pour compte propre rentre dans la catégorie de servicesd’investissement que peut fournir un PSI et n’est donc pas une opération illégale. Par contre,ce qui est condamnable, c’est le fait pour le PSI Banque Atlantique, d’avoir perçu descommissions sur lesdits titres de la part du Consortium (représentant l’Etat du Cameroun) àhauteur de 10.242.150 fcfa (soit un taux de commission de 0,2%)271. On doit rappeler quelorsqu’un PSI achète pour compte propre, il ne s’agit pas d’un placement, mais d’uninvestissement. Dès lors, le PSI est rémunéré, non pas d’une commission versée parl’émetteur, mais du risque pris par lui qui escompte des plus-values sur les opérations qu’iltraite. Autrement dit, cette rémunération résulte de l’écart de cours entre le prix d’achatou de vente que le PSI propose à ses clients et le prix auquel ce PSI achète ou vend sestitres. Le PSI ne perçoit les commissions que lorsqu’il agit pour le compte d’un tiers(activités d’exécution d’ordres, de placement, de prise ferme, etc…). Or dans notrehypothèse, il a agi en son nom propre et pour son propre compte en vue de conclure unetransaction avec un tiers.

Devant ce constat, la CMF va ouvrir une procédure d’enquête. Ses enquêteurs vontse rendre à la Banque Atlantique pour un contrôle sur place et sur pièces. On va noter uneabsence de collaboration de la part de la Banque Atlantique (non communication des piècesexigées par les enquêteurs, absence de réaction après communication du rapport desenquêteurs par la CMF). Au vu de toutes ces données, la CMF va ouvrir à son encontre uneprocédure disciplinaire. Après débat, la CMF conclut que le PSI a manqué à ses obligationsprofessionnelles. Elle se montrera aussi très sensible à la bonne foi du PSI, raison pourlaquelle, à l’unanimité, le Collège va décider de ne prendre aucune sanction à son égard.

271271 On peut rapprocher de ce cas, les condamnations par la Commission de la banque de la BICEC qui a perçuirrégulièrement 92.033.900 fcfa dont une partie (non déterminée dans la décision de la Commission) enrémunération d’un investissement réalisé pour compte propre ; le cas de la SCB qui a perçu une commissioninjustifiée de placement de 76.836.750 fcfa sur les titres achetés pour son propre compte ; le cas de UBA qui aperçu irrégulièrement une commission de placement de 41.144.285 fcfa sur les titres achetés pour son comptepropre.

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Si l’on doit saluer le respect de la procédure par la CMF, il n’en demeure pas moinsque la décision rendue est critiquable.

I – Une procédure conforme aux exigences légales

On ne peut qu’apprécier la CMF dans le suivi de la procédure qui a abouti à ladécision rendue. Elle a, à la fois, respecté les exigences procédurales, procédé à un contrôleeffectif, et surtout, on constate que le Collège de la CMF a joué son rôle.

A – L’effectivité du contrôle de la part de la CMF

Dès lors que la CMF s’est rendue compte qu’il y aurait eu des actes répréhensibles àla lecture du rapport du Consortium, son Secrétariat a, par courrier du 18 avril 2012,communiqué à la Direction générale de la Banque Atlantique le passage dans ses servicesd’une équipe d’inspection. La descente de ladite équipe durant la semaine d’août 2012 seraeffective, ce que ne conteste d’ailleurs pas la Banque Atlantique lors des débats.

La descente des inspecteurs de la CMF procédait d’un contrôle sur pièce et sur place(art.105 al.1 RGCMF). On est sans ignorer que l’ineffectivité de ce contrôle sur pièce et surplace par les régulateurs est souvent relevée. Pour preuve, on peut rappeler les critiquesformulées à l’endroit de la COBAC par les établissements de crédit et micro finance duCameroun272. Curieusement, la direction générale de la Banque Atlantique ne s’est pasmontrée disponible à recevoir les enquêteurs. Néanmoins, et ce conformément à l’art.21 L.1999, les enquêteurs ont entendu autant que possible des employés de la BanqueAtlantique, et exigé la communication d’une liste de documents à la CMF. D’après les faits,lesdits documents ne seront pas communiqués à la CMF.

Sans doute, le PSI Banque Atlantique méconnaissait les contraintes de son statut aupoint de ne pas se rendre compte que l’enquête de la CMF est le point de départ d’uneprocédure disciplinaire. C’est une étape importante qui nécessite la collaboration du PSIpour éviter que la CMF ne passe en force, usant de larges pouvoirs d’enquête que la loi lui aréservés.

Le 28 mai 2012, la mission d’enquête dépose son rapport à la CMF et une copie estenvoyée à la Banque Atlantique, conformément aux exigences de l’art.107 al.1 RGCMF. Leditrapport ne suscitera aucune réaction de la part de la Banque Atlantique, malgré une lettrede rappel envoyée par le Président de la CMF, dans laquelle il précise l’objet et le sens duditenvoi au PSI concerné.

272 Robert NEMEDEU, « L’administrateur provisoire dans les établissements de micro-finance (EMF) en 10

questions », Juridis Périodique, n°91, juillet-Août-Septembre 2012, p.113 ;

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On doit approuver cette démarche prudente et conforme aux exigences légales dela part de la CMF. Par contre, l’attitude de la Banque Atlantique est plus que troublante etsaurait difficilement être justifiée par l’ignorance de la procédure, encore moins parl’absence d’expérience dans le domaine des marchés financiers.

Comme suite logique, le Collège de la CMF, saisi du rapport des enquêteurs, parrésolution 166/CMF/12 prise en sa session du 14 septembre 2012, va décider d’ouvrir uneprocédure disciplinaire à l’encontre de la Banque Atlantique. Egalement, à ce niveau, lerespect par la CMF des exigences procédurales est de mise.

B - Respect des exigences procédurales à l’instance disciplinaire

L’intérêt de s’assurer du respect du formalisme procédural vient du fait que lesdécisions de la Commission sont susceptibles de recours devant la Chambre administrative(art.32 al.2 L. 1999). Un opérateur pourrait fonder son recours sur la non-désignation à titrepréalable d’un Rapporteur pour instruire l’affaire ; sur l’utilisation d’un moyen d’informationillégal par la Commission pour son information ; sur le non-respect de la communication despièces ; sur le non-respect du contradictoire, etc….

Dès le 14 septembre 2012, le Président de la CMF, par une décision, désignera MrOlivier BEHLE (membre de la Commission) Rapporteur pour instruire l’affaire (art.111 al.1RGCMF).

Ce dernier serait le « Rapporteur maison » de la CMF puisqu’il a été nommé, à 7reprises par le Président de la CMF, pour instruire les 7 affaires soumises à la CMF. C’estcertainement une preuve de compétence avérée de sa part. Cependant, la CMF ou du moinsson Président, gagnerait en crédibilité s’il portait aussi son choix sur d’autres membres de laCMF, dès lors que cette mission n’est pas gratuite.

Cette instruction s’effectuera avec le concours des services de la Commission.L’instruction doit s’entendre ici de manière large car elle engloberait, non seulement laphase préparatoire (comprenant la communication des pièces, l’exécution des mesuresd’instruction, l’échange des conclusions), mais aussi les plaidoiries et les débats quiconcourent à éclairer la CMF. On ne saurait la limiter à la phase qui expire lorsque l’affaireest en état d’être jugée et qui est déclarée close par une décision du juge, compte tenu dece que le Rapporteur procède à la présentation de l’affaire lors des délibérations.

Dans tous les cas, le rapport d’instruction permet au Collège de la CMF de mieuxstatuer sur le cas, puisqu’un exemplaire lui est remis ainsi qu’à l’opérateur incriminé, pourmieux préparer sa défense lors des plaidoiries devant la Commission. Il s’agit d’un début decommunication des pièces qui participe d’une certaine manière de la manifestation ducontradictoire.

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En ce qui concerne l’information de l’opérateur en cas de manquement sur lemarché, l’art. 109 RGCMF précise qu’il est informé par LRAC de l’ouverture à son encontred’une procédure disciplinaire. Dans le cas d’espèce, la Banque Atlantique sera informée parcourrier EMS du 04 octobre 2012, tenant lieu de LRAR. Il est vrai que la Banque Atlantiquene va pas contester le moyen employé comme dans un cas similaire. Tout simplement, cequi est recherché à travers la LRAR, c’est la preuve que le destinataire de la lettre l’a reçue. Iln’y aurait pas de problème si le même résultat était atteint au moyen d’un courrier EMS.C’est dire que l’esprit de cet article a bien été respecté.

Les deux griefs sont donc communiqués à la Banque Atlantique le 04 octobre2012 : la facturation et la perception de la part du Consortium d’une commission deplacement de 7.592.150 fcfa pour un investissement réalisé pour son propre compte enviolation de l’art.32 L.1999 ; manquement aux engagements auxquels elle a souscrit àl’occasion de son agrément en qualité de PSI (art.68 RGCMF al.1K).

La Banque Atlantique va répondre dans le délai de 15 jours imparti par l’art. 110RGCMF en communiquant ses observations écrites et moyens de défense sur les griefs quilui ont été faites.

Au dépôt de ces observations, le Rapporteur va convoquer la Banque Atlantiquepour une audition à la date du 31 octobre 2012, au cours de laquelle, il va auditionner, enl’absence du directeur général, sa représentante. Cette dernière présentera les excuses deson employeur pour l’indisponibilité de ses dirigeants lors de la descente de l’équipe desenquêteurs. Le respect du contradictoire est ainsi vérifié.

Le Rapporteur devra déposer son rapport pour permettre au Collège de la CMF destatuer.

C’est à l’issue de cette procédure bien menée que la CMF va rendre sa décision, quinous semble très critiquable.

II - Une solution discutable !

Les manquements de la Banque Atlantique aux obligations professionnelles sontconstatés sans grande difficulté par le Collège de la CMF. Mais pour prononcer la sanction, laCommission va se montrer très sensible aux arguments de la Banque Atlantique : « larestriction du marché financier qui n’obligerait pas encore les banques agréées PSI à pouvoircréer des entités autonomes ; et surtout la demande d’indulgence de son directeur général,qui reconnait que des erreurs étaient inévitables pour une première opération ».

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La CMF va juger irrégulière la perception des commissions de placement desinvestissements réalisés pour compte propre et décider de tenir compte du faible niveaud’activités sur le marché financier camerounais.

C’est ainsi qu’à l’unanimité de ses membres, la Commission décide, d’une part, dene prononcer aucune sanction à l’encontre de la Banque Atlantique ; d’autre part, d’adresserune lettre de mise en garde à cette dernière pour avoir fait preuve de légèreté dans l’accueild’une mission d’inspection de la CMF.

A la majorité de ses membres, la Commission décide de ne prononcer à l’encontrede la Banque Atlantique la restitution à l’Etat des sommes indûment perçues au titre descommissions de placement sur des investissements réalisés pour compte propre, du fait dufaible niveau d’activités sur le marché financier camerounais.

La lettre de mise en garde adressée à la Banque Atlantique ne saurait être remiseen cause. Cependant, la contestation porte sur les deux autres branches de la décision tantsous l’angle de la légalité que de l’efficacité.

A – La légalité de la sanction

D’après l’article 1er al.2 du décret du 31 juillet 2001 précisant l’organisation et lefonctionnement de la CMF, « la Commission est un organisme public indépendant doté de lapersonnalité juridique et de l’autonomie financière ». A ce titre, elle est en charge d’unemission de service public de protection de l’épargne investie en valeurs mobilières, plusspécifiquement, du contrôle du bon fonctionnement du marché financier. C’est au vu del’importance de cette mission que le législateur camerounais lui a concédé des pouvoirsd’enquêtes larges, d’instruction et de sanction.

Les infractions auxquelles s’exposent les PSI sont prévues au chapitre VI de la loi du22 décembre 1999, conformément au principe de la légalité des délits et des peines. Ellessont de deux sortes : les manquements aux obligations professionnelles et les délits.

La faute commise par la Banque Atlantique est qualifiée par la CMF, à juste titre, demanquement aux obligations professionnelles, qui a consisté à procurer un avantageinjustifié aux personnes qui ne l’auraient pas obtenu dans le cadre normal du marché.Effectivement, il y a violation de l’art.32 L.1999.

Les sanctions encourues sont administratives (mise en garde, avertissement, blâme,suspension, retrait d’agrément) et pénales (amende de 500.000 à 5.000.000nfcfa).

La Commission va adresser une lettre de mise en garde à la Banque Atlantiquepour avoir fait preuve de légèreté dans l’accueil d’une mission d’inspection de la CMF.

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Mais surtout, elle va décider à l’unanimité de ne prononcer aucune sanction àl’encontre de la Banque Atlantique, ni d’exiger la restitution à l’Etat des sommes indûmentperçues, au titre des commissions de placement sur des investissements réalisés pourcompte propre, du fait du faible niveau d’activités sur le marché financier camerounais.

Restons sur le plan de la technique juridique. A partir du moment où la Commissiona constaté le manquement, était-elle en droit de ne prononcer aucune sanction, ne serait-ce une peine d’amende ?

Lorsque le juge est convaincu de la culpabilité du justiciable, le prononcé de la peines’impose à lui sauf cas d’existence d’un fait justificatif exonératoire de responsabilité. Le jugene peut que moduler la peine, encore faut-il que la loi le permette.

Or en statuant ainsi, la Commission fait office de juge ; elle exerce la jurisdictio. Enapplication de la loi, elle doit sanctionner tout manquement aux obligationsprofessionnelles des PSI. Le prononcé de la sanction se déduit de l’esprit de la loi. On n’estpas dans le domaine du pouvoir discrétionnaire de l’autorité administrative. LaCommission est dans l’exercice du pouvoir juridictionnel, lequel est encadré par desprincipes fondamentaux.

C’est dire que la Commission n’avait pas à hésiter dans le prononcé d’une sanctionadministrative et puis d’une peine d’amende à l’encontre de la Banque Atlantique. La seulelatitude qui lui était reconnue résidait dans la possible modulation de la peine d’amendeentre 500.000 à 5.000.000 fcfa. L’absence de sanction n’est justifiée que par l’absence de lafaute ou d’un doute sur celle-ci. Et dans ce cas, le doute profiterait à l’accusé !

B – L’efficacité de la sanction

Le prononcé d’une sanction permet d’atteindre des objectifs donnés : soit laréparation du préjudice occasionné ; soit servir d’exemplarité devant dissuader autantl’auteur que les autres citoyens à commettre la même faute.

Cette sanction rendue est-elle efficace, poursuit-elle l’un des objectifs donnés ?Nous pensons que non et ce pour deux raisons :

- d’une part, on relève à l’égard de la Commission une tendance à vouloir tenircompte des sentiments personnels des membres dans la recherche de la sécurité du marchéfinancier camerounais. Dans l’affaire «CMF c/ MM. E. ETONDE EKOTO et L. MBASSA »273, sedessinait déjà cette tendance de sa part ;

273 Op. cit.

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- d’autre part, l’argument avancé par la Banque Atlantique revient aussi comme uncouperet : « Le faible niveau d’activités sur le marché financier camerounais qui ne permetpas de respecter les prescriptions légales voire les obligations professionnelles ». On peutadmettre que fort de cet argument, la Banque Atlantique n’ait pas jugé nécessaire de créerune structure autonome et différente de celle qui mène les activités de banquecommerciale. Mais, il est difficile de comprendre que la Commission se base sur leditargument pour se refuser d’exiger la restitution au Trésor public des deniers publicsindûment perçus par des opérateurs privés ?

La CMF n’est-elle pas en charge de la protection de l’intérêt public ? Ne s’agissait-ilpas de deniers publics ? Le montant des sommes indues était-il si insignifiant (7.592.150 fcfapour la Banque Atlantique, soit plus de 125 millions dans les différents cas) ? Certainement,en toute naïveté, la Commission a cru bien faire. Mais n’est-ce pas une manière surprenantede protéger l’intérêt public ?

-En plus, quel niveau d’activité devrait atteindre le marché financier camerounaispour amener ses acteurs à se conformer aux exigences du mécanisme du marché et son« gendarme » à être plus rigoureux dans la détermination des sanctions effectives en casde manquements constatés ?

En plus de sa jurisprudence antérieure, la Commission semble lancer un message detolérance devant l’ignorance des mécanismes du marché.

Même comme l’art.32 L.1999 alinéa 1 prévoit que sans préjudice des sanctionspénales prévues à l’article 35 ci-dessous, les PSI sont passibles de sanctions administrativesen raison des manquements à leurs obligations professionnelles, il n’y aurait aucun espoirque la justice rattrape le coup dès lors que c’est la CMF qui a « gracié » les délinquantsopérateurs et a délaissé les deniers publics au profit de considérations discutables voirecritiquables ! Il n’y a aucun risque que le parquet soit saisi même sur dénonciation !

On doit tout de même relever que la sanction de la mise en garde a été prise àl’unanimité pour exiger le respect à réserver aux enquêteurs de la CMF, alors que c’est unemajorité qui a voté pour le refus d’exiger la restitution à l’Etat des sommes indûmentperçues. Cela suppose que la minorité des membres de la Commission était pour larestitution.

Peut-on espérer, dans le cadre d’une prochaine procédure de sanction, que laCommission soit moins sensible à ces arguments ? J’en doute car, la rigueur présage d’unbon fonctionnement du marché et est surtout un facteur d’attraction des investisseurs, alorsqu’un ton de tolérance frise plutôt l’indolence. Le marché financier ne s’embarrasse pas detelles considérations. L’avenir nous le dira.

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2°) DECISIONS DE SANCTIONS DE LA CMF A L’ENCONTRE D’OPERATEURSRESPONSABLES DE MANQUEMENTS ET IRREGULARITES DANS LE DEROULEMENTDE L’EMPRUNT DE L’ETAT DU CAMEROUN ‘’ECMR NET 5,6% 2010-2015’’

Commission des marchés Financiers. Décision de sanction de la Commission des MarchésFinanciers à l’encontre de Douala Stock Exchange (DSX).

Vu la constitution ;

Vu la Loi n°99/015 du 22 décembre 1999 portant création d’un marché financiers ;

Vu le décret n°2001/213 du 31 juillet 2001 précisant l’organisation et le fonctionnement dela Commission des Marchés Financiers ;

Vu le décret n° 2007/150 du 31 mai 2007 portant renouvellement du mandat du Présidentde la Commission des Marchés Financiers ;

Vu le décret n°2007/149 du 31 mai 2007 portant nomination des membres de la Commissiondes Marchés Financiers ;

Vu le Règlement Général de la Commission des Marchés Financiers ;

Vu la décision n°09/030/CMF/11 portant contrôle du déroulement de l’emprunt obligataireECMR 5,6% net 2010-2015 ;

Vu le rapport du 21 juin 2012 dudit contrôle ;

Vu la décision n°09/040/CMF/12 du 14 septembre 2012 portant ouverture d’une procéduredisciplinaire à l’encontre des auteurs des manquements et irrégularités relevés dans leditrapport ;

Vu la décision n°09/041/CMF/12 du 14 septembre 2012 nommant M. Olivier BEHLE,membre de la Commission des Marchés Financiers, rapporteur dans ladite procédure ;

Vu la notification des griefs TKE/AD/2012/135/09/CMF du 03 octobre 2012 adressée à leDSX ;

Vu la réponse écrite du 17 octobre 2012 de DSX à ladite notification ;

Vu l’audition par le rapporteur le 05 novembre 2012, de M. EKOULE MOUANGUE Pierre,Directeur Général de ladite institution accompagné dans les circonstances par le conseiljuridique du DSX, Maître Sylvain SOUOP, Mme ADIABA Jacqueline, Directrice des marchés etMme BATOUM Pascaline, cadre à la Direction des marchés ;

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Vu la lettre du 12 décembre 2012 convoquant le mis en cause devant le collège de laCommission des marchés financiers réuni en session disciplinaire le 21 décembre 2012 ;

Vu les délibérations du collège de la Commission des marchés financiers en ses sessions des21 décembre 2012, 09 janvier 2013, 08 et 15 février 2013 ;

Vu ensemble les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance du 21 décembre 2012 le DSX en la personne deM. EKOULE MOUANGUE Pierre, Directeur Général de ladite institution accompagné dans lescirconstances par le Conseil Juridique du DSX, Maître Sylvain SOUOP (Avocat au barreau duCameroun), ces derniers intervenant en dernier ;

I- FAITS ET PROCEDURE1- Autorisé par la Loi de finances n°2009/018 du 15 décembre 2009, un emprunt

obligataire de FCFA 200 milliards a été émis au titre de l’exercice budgétaire 2010 parl’Etat du Cameroun qui a opté de recourir au marché de capitaux local en faisantappel public à l’épargne ;

2- Par correspondance du 26 mai 2010, le Ministre des finances représentant l’Etat duCameroun a transmis aux Prestataires des Services d’Investissement (PSI) agréés parla Commission des Marchés Financiers du Cameroun (CMF) les termes de référenced’un appel d’offres lancé pour recruter celui qui devait l’accompagner dans cetteopération ;

3- Par lettre du 17 juin 2010 le Ministre des Finances a sollicité du Premier Ministre Chefdu Gouvernement, l’autorisation de signer une convention de mandat d’arrangeuravec un consortium constitué par Afriland First Bank SA, Citibank Cameroon SA etSociété Générale des Banques au Cameroun SA, les trois PSI retenus au terme duditappel d’offres ;

4- Par lettre du 28 juin 2010, le Premier Ministre Chef du Gouvernement, a marqué sanon objection de principe à ce choix, mais a subordonné son autorisation designature de la convention « à la transmission préalable dudit document à sa hauteapprobation, assorti d’une note de présentation détaillée sur les caractéristiquesindicatives de cet emprunt obligataire notamment les différentes commissions àpayées par l’Etat du Cameroun dans le cadre de cette opération » ;

5- Par lettre du 30 juin 2010, le Ministre des Finances a notifié son choix au consortiumsusmentionné qu’il a invité à l’élaboration et la négociation d’une convention parlaquelle devait lui être confié un mandat pour la réalisation de l’opération ;

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6- Par décret n°2010/278 du 06 septembre 2010, le Ministre des Finances a été habilitépar le Président de la République à conduire au nom du gouvernement, l’émissiond’un emprunt obligataire pour le financement des projets de développement ;

7- Le 15 octobre 2010 l’Etat du Cameroun représenté par le Ministre des Finances et leconsortium représenté par les Administrateurs Directeurs Généraux ou DirecteursGénéraux de Afriland First Bank SA, Citibank Cameroun SA, Société Générale desBanques au Cameroun SA ont signé une convention de mandat d’arrangeur ;

8- Le 12 novembre 2010 l’Etat du Cameroun par son mandataire, le consortiumreprésenté par le Directeur Général de Citibank SA, a soumis à l’enregistrement de laCMF une note d’information dûment élaborée pour cette émission, renonçant ainsiau privilège que lui reconnait la loi n° 99/015 du 22 décembre 1999 qui l’exonère del’établissement d’un tel document ;

9- Par lettre du 16 novembre 2010 la CMF a adressé au consortium ses observations etcommentaires par ladite note, assortis des suggestions quant aux corrections,amendements et complément d’informations à y apporter et les documents à yannexer pour la conformer aux dispositions légales et aux bonnes pratiques desmarchés financiers. Parmi les corrections, amendements prescrits par la CMFfiguraient notamment ceux relatifs à l’implication mentionnée du DSX dans leprocessus de l’émission obligataire ;

10- Le 19 novembre 2010, la CMF a reçu du Directeur Général de Citibank SA, au nom duconsortium, suite à sa précédente correspondance, une note d’informationpartiellement amendée, une note qui tenait compte de certaines des observations etsuggestions faites par le Régulateur tout en rejetant d’autres ;

11- Ce même 19 novembre 2010 le Consortium procédait à la signature de deux contratsde Co-arrangement avec la société commerciale des banques Cameroun et UnitedBank of Africa Cameroun, respectivement;

12- Par courrier du 23 novembre 2010, la CMF a fait suite à la démarcha inattendue deCitibank de ne pas tenir compte de l’intégralité de ses recommandations, enconvoquant le 24 novembre 2010 une séance de travail qui devait regrouper autourdu régulateur, les trois membres du consortium assistés de leur conseil juridique. Ils’agissait de clarifier les rôles des uns et des autres et de rappeler aux mandataires del’Etat leurs devoirs et obligations tant vis-à-vis de leur client que vis-à-vis de la CMF,notamment en matière de transparence. Il fallait ainsi assurer la mise en conformitéde la note d’information en y intégrant tous les éléments et informations qu’exigentles lois et règlements en vigueur ;

13- Ces précisions et clarifications ayant été apportées, suivies des assurances donnéespar le consortium de les intégrer et les respecter, le collège de la CMF, réuni ensession d’urgence, a par décision 11/052/CMF/10 du 30 novembre 2010 procédé àl’enregistrement de l’emprunt « ECMR 5,6% 2010-2015 » sous le n°OTP-10/001 ;

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14- Cette décision, notifiée au consortium et à l’émetteur par courrier du même jour etpubliée le 02 décembre 2010 dans une page du quotidien « Cameroon Tribune »tenant lieu pour la circonstance d Bulletin Officiel de la CMF, a néanmoins énoncé lesinformations et documents complémentaires qu’il fallait absolument faire parvenirau Régulateur dans des délais bien précis. Parmi ceux-ci figurait notamment laconvention de mandat d’arrangeur Chef de file signée avec l’Etat, ainsi que touteautre convention faisant partie intégrante de la note d’information et dont l’absencepouvait justifier le rejet par la CMF du dossier;

15- Le 3 décembre 2010 le consortium, fort de son statut d’Arrangeur chef de file, a signéavec huit PSI qui devaient constituer avec lui le syndicat de placement des titres issusde l’emprunt, une convention de syndication. Ce document n’a pas été non plussoumis à la CMF comme il se devait ;

16- Par courrier du 14 décembre 2010, la CMF n’a reçu de l’émetteur l’informant de laprorogation de la fin de la période de souscription du 15 au 20 décembre, et dureport de la date de clôture de l’opération du 23 au 28 décembre 2010 ;

17- Dans son édition du 23 décembre 2010, et sans que la CMF n’ait reçu le rapportréglementaire préalable à la validation du résultat de l’émission, le quotidien« Cameroon Tribune » a publié un article illustré par des images du Ministre desFinances, entouré de ses principaux collaborateurs et des hauts responsables del’opérateur de la Bourse de Douala (DSX), célébrant par un toast, le succès del’emprunt. Cette célébration s’est poursuivie par une interview du Président du DSXqui annonçait la parution du 27 décembre du même quotidien un emprunt de ‘’tousles records’’ ;

18- Entretemps les 24 et 28 décembre 2010, les responsables de l’émission procédaient,bien après la date révisée de la période de souscription, et au lendemain del’annonce des résultats, à la signature avec deux prestataires de servicesd’investissement, de deux avenants à la convention de syndication signée le 3décembre 2010 avec l’ensemble des établissements placeurs de l’émission. Malgréses demandes incessantes lors du déroulement de l’enquête et durant la présenteprocédure, ces avenants n’ont pas été présentés à la CMF qui a pu néanmoinsobtenir de l’un des signataires une copie de l’un des deux avenants ;

19- Le 28 décembre 2010, la CMF a reçu en guise de rapport, une correspondanced’Afriland Land SA qui lui communiquait le résultat des souscriptions et desallocations issus des titres de l’emprunt. A ce rapport était annexé un procès-verbalde dépouillement dressé le 24 décembre 2010 par le DSX, opérateur de la Bourse deDouala ;

20- A cette même date du 28 décembre 2010, le Président du Conseil d’Administrationdu DSX a adressé au Ministre des Finances représentant l’Etat-Emetteur, une facturede FCFA 700 millions en guise de « commission de centralisation des souscriptions ».

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la CMF a été informée de cette facture par une source qui n’en était ni l’auteur ni ledestinataire

21- Réagissant à ces différents événements et communications de la CMF, dans son souciconstant d’assurer le bon fonctionnement du marché financier engagera un certainnombre d’actions et de décisions dont :

21 1 - Le rejet, dans une correspondance du 29 décembre 2010 du rapport transmis parAfriland First Bank, jugé irrégulier et non-conforme non seulement aux règles etpratiques en la matière, mais aussi aux prescriptions préalables adressées auxresponsables de l’opération,

21 2- la convocation le mardi 4 janvier 2011 du représentant de l’Etat-Emetteur et desmembres du consortium, à une séance de travail destinée à mettre fin aux errementsconstatés, pour faire aboutir l’opération dans des conditions régulières conformes auxlois, règlements et pratiques du marché. C’est lors de cette réunion que l’AdministrateurDirecteur Général de la SGBC au nom du consortium interpellé par la CMF, exhibera unecorrespondance du Ministre des Finances qui demandait au consortium de confier « lacentralisation des souscriptions » à le DSX, en précisant que les frais afférents à cetteprestation seront payés par l’Etat-Emetteur, nonobstant la perception par le consortiumd’une rémunération au titre de la même prestation. A l’issue de cette séance de travail,la CMF exigera la reprise du processus par le consortium qui lui soumettra le 07 janvier2011, un projet amendé du communiqué relatif au résultat de l’émission obligataire« ECMR 5,6% 2010-2015 ». Ce communiqué, validé par la CMF, sera publié dans laCameroon Tribune du 24 janvier 2011,

21 3- une demande d’explications et une lettre d’observations adressées respectivementau Directeur Général et au Président du Conseil d’Administration du DSX qui, au méprisde l’autorité et des prescriptions de la CMF, tentaient de justifier leurs actes soit par lesinstructions du Ministre des Finances soit par une référence constante à de prétendus‘’accords de place’’, accords pourtant rejetés depuis 2004 par la CMF qui leur a toujoursdemandé de soumettre à son approbation, une version révisée desdits accords, qui seraitmoins couteuse pour le marché et plus conforme aux pratiques du secteur,

21 4- une correspondance adressée à Monsieur le Ministre des Finances le 10 janvier2011, pour d’une part attirer son attention sur le caractère irrégulier et illégal d’unedémarche dans laquelle il a dû être induit en erreur, et d’autre part lui préciserl’inopportunité et l’irrégularité de la facture de FCFA 700 millions qu’il s’apprêtait à payerà le DSX ;

22- L’opiniâtreté des dirigeants du DSX conduira le Ministre des Finances à convoquer le22 février 2011 une réunion sur les « frais de centralisation des souscriptions »

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réclamés par le DSX dont les prétentions ne se dissiperont qu’au vu de la constancede la position de la CMF, une position suivie par le nouveau Ministre des Finances quidécidera de ne régler ni la facture de centralisation de FCFA 700 millions, ni lesfactures subséquentes établies en règlement de frais d’admission et de cotation enbourse du titre « ECMR 5,6% net 2010-2015 » ;

23- La comptabilisation de ces différentes factures irrégulières et non justifiées amènerapourtant le DSX à publier des résultats bénéficiaires durant deux exercicesconsécutifs, malgré la réticence exprimée par son commissaire aux comptes ;

24- Le 24 février 2011 la SGBC adresse au dépositaire central, la Caisse Autonomed’Amortissement (CAA) une demande de prise en charge de l’emprunt « ECMR 5,6%net 2010-2015 », une prise en charge qui sera effective à partir du 07 mars 2011,après l’adhésion du Ministre des Finances en qualité d’émetteur notifiée le 04 mars2011 ;

25- C’est le 09 mars 2011, deux mois après la clôture de l’émission, que DSX soumettra àla validation de la CMF l’avis de cotation du titre « ECMR 5,6% net 2010-2015 ». Rienne permet de dire qui de l’émetteur ou du consortium a introduit une demanded’introduction en bourse du titre ;

26- Par courrier du 11 mars 2011 la CMF répondra à cette demande en proposant à leDSX quelques modifications destinées à conformer ledit avis aux normes et usages enla matière ;

27- Pour mémoire, la stricte logique et procédure boursière pour une émission de ce typeaurait voulu que l’introduction en bourse et la première cotation du titre « ECMR5,6% net 2010-2015 » coïncident avec la clôture de l’opération le 28 décembre 2010,les transactions subséquentes à cette date devaient dès lors intervenir sur laplateforme du DSX (marché secondaire) entre les premiers investisseurs ayant acquisles titres durant la période des souscriptions (qualifiée marché gris), et les nouveauxinvestisseurs ;

28- Le 22 mars 2011, le décret présidentiel n° 2011/080 a déterminé les utilisations duproduit de l’emprunt obligataire « ECMR 5,6% net 2010-2015 ». la CMF notera que laliste publiée et les montants alloués à certains des projets énumérés necorrespondent pas au contenu de la note d’information ;

29- Entre mars 2011 et avril 2012, le DSX et la CAA ont adressé au Ministre des Financesdes factures relatives à la cotation du titre « ECMR 5,6% net 2010-2015 » au titre deson introduction en bourse un montant total de FCFA 827 161 524, soit 735 961 524pour le DSX et FCFA 91 200 000 pour la CAA ;

30- Par lettre du 31 mars 2011 adressée au Directeur Général du DSX, l’ancien Ministredes Finances avait déjà marqué sa réserve au paiement de ces factures au vu ducaractère très élevé des frais d’introduction et de cotation, et sollicité l’interventionde la CMF en vue de trouver un accord sur une tarification applicable ;

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31- La CMF avait répondu à cette correspondance par lettre du 13 avril 2011 danslaquelle elle rappelait, e faisant référence à des correspondances antérieures, nonseulement que les tarifs prohibitifs contenus dans les fameux de place proposés parle DSX constituaient le motif majeur de leur rejet par la CMF, mais également que ladémarche suggérée par le Ministre des Finances pour la résolution de ce litige avaiteffectivement été engagée depuis plus de sept ans en 2005 lorsque le Régulateurdemandait à le DSX et à ses membres de lui faire des propositions sur lesquelles elledevait se prononcer. Cette autre exigence de la CMF qui ne connaitra comme lesautres, aucune suite jusqu’à ce jour ;

32- C’est dans un tel contexte que le nouveau et actuel Ministre des Finances, par lettredu 27 décembre 2011, se basant aussi bien sur des pratiques universellementreconnues des marchés financiers que sur le règlement général du DSX, opposeraégalement aux dirigeants du DSX un refus catégorique au paiement de leursfactures ;

33- Le Secrétariat Général a effectué une mission de contrôle sur le déroulement del’emprunt obligataire « ECMR 5,6% net 2010-2015 » du 08 avril au 07 mai 2012, et adéposé son rapport le 28 mai 2012. Ledit rapport a été examiné par le collège de laCMF qui en sa session du 14 septembre, à la lumière des irrégularités et desmanquements y relevés, a par résolution 166/CMF/12, décidé d’ouvrir uneprocédure disciplinaire à l’encontre des auteurs desdits irrégularités etmanquements ;

34- Par décision n°09/04/CMF/12 du 14 septembre 2012, le Président de la CMF adésigné M. Olivier BEHLE, membre de la Commission en qualité de Rapporteur pourinstruire l’affaire ;

35- Par courrier EMS du 30 octobre 2012 tenant lieu de lettre recommandée avec accuséde réception, la CMF a notifié à le DSX les griefs qui lui étaient faits, à savoir :35 1- l’acceptation d’effectuer sans être un prestataire de services d’investissement,la centralisation des opérations liées à l’émission, au placement et à la souscriptionde l’emprunt,

35 2- la facturation de montants respectifs de FCFA 700 000 000 et 735 961 524, soitun total de FCFA 435 961 524 représentant de prétendues commissions decentralisation, d’admission et de cotation du titre ECMR,

35 3- la production d’états financiers qui comptabilisent les montants ci-dessus dansle chapitre de ses revenus, malgré les avertissements, l’opposition du Ministre desFinances, et les réserves émises par vos commissaires aux comptes,

36- Par correspondance du 17 octobre 2012, DSX a adressé ses observations écrites etmoyens de défense à la CMF ;

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37- En application de l’article 111 du Règlement Général de la CMF, le Rapporteur a parcourrier du 23 octobre 2012, convoqué le mis en cause pour une audition dont ladate a été fixée au 05 novembre 2012 ;

38- Ladite audition s’est tenue en présence de : M. EKOULE MOUANGUE Pierre, DirecteurGénéral et Me SOUOP Sylvain, Avocat ; les mis en cause n’ont pas apporté d’élémentnouveau ou supplémentaire en dehors de leur réponse écrite.

II-TEXTES APPLICABLES

Les faits relevés à l’encontre du mis en cause sont susceptibles de donner lieu à dessanctions en application des articles 21, 32 et 35 de la loi n°°99/015 du 22 décembre 1999portant création et organisation d’un marché financier, et des dispositions du RèglementGénéral de la CMF.

III-MOTIFS DE LA DECSISION

39- Considérant que l’émission des titres de quelque nature que ce soit constitue uneopération de marché primaire mettant en action l’émetteur, les prestataires deservices d’investissement et les investisseurs ;

40- Considérant que le gestionnaire d’une bourse n’y intervient éventuellement que si letitre y est simultanément introduit en vue d’une localisation directe à l’issue dessouscriptions, dans quel cas ce sont les ordres de bourse qui sont adresséesdirectement à la plate-forme de transactions dont l’opérateur effectue lacentralisation ;

41- Considérant que dans le cas d’espèce aucune demande d’introduction n’a été faite àle DSX dans ce sens, la demande d’admission à la cote n’étant intervenue que plus detrois mois après la clôture des souscriptions ;

42- Considérant dans ces circonstances que la demande par le Ministre des Finances auconsortium de faire assurer la centralisation des souscriptions par le DSX estdéplacée et sans fondement aucun ni sur le plan technique ni sur le plan légal niencore sur le plan contractuel ;

43- Considérant que la centralisation des souscriptions constitue l’une des missions etobligations naturelles de tout PSI chef de file d’une opération de marché financier,qu’en l’occurrence de celle-ci a été explicitement inscrite dans le mandat duconsortium et sa rémunération prévue concomitamment ;

44- Considérant que la connaissance par la CMF du déroulement de cette centralisationpar le DSX ne saurait être prise pour une approbation, la CMF ayant explicitementdemandé lors de sa réponse à la note d’information de retirer le DSX de ce processusqui ne la concernait ;

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45- Considérant que la centralisation des souscriptions lors d’une émission de titres nesaurait être assimilée à la centralisation des ordres lors d’une opérationd’introduction en bourse ;

46- Considérant que ni le DSX ni le consortium n’auraient eu besoin d’une lettre del’émetteur s’il était vrai que la centralisation querelle constituait réellement uneactivité basique reconnue à l’entreprise de marché ;

47- Considérant en définitive qu’en acceptant d’effectuer la centralisation des opérationsliées à l’émission, au placement et à la souscription de l’emprunt et d’avoir facturé àl’Etat une commission de FCFA 700 000 000 représentant de prétenduescommissions de centralisation, le DSX a exercé une activité de PSI sans y êtreautorisée au sens des dispositions combinées de l’article 9 et 35 de la Loi n° 99/015du 22 décembre 1999 ;

48- Considérant que si l’article 32 (1) vise les PSI en matière de sanctions administratives,l’article 35 (1) vise bien toute personne physique ou morale qui commet l’une despratiques en cause ;

49- Considérant que le DSX fait preuve de mauvaise foi manifeste en prétendant que sescommissions sont basées sur des « accords de place signés par tous les acteurs dumarché et connus de la CMF ». la CMF a rejeté lesdits accords depuis 2004 etdemandé aux parties prenantes de les revoir et de lui en proposer d’autres, ce qui n’apas été fait jusqu’à présent ;

50- Considérant que la facturation par le DSX d’une commission de centralisation de 700millions CFA, en paiement d’une prestation dont la réalisation incombe à une autrepersonne qui en a d’ailleurs touché une rémunération d’un montant nettement plusfaible, constitue suivant l’article 32 de la loi n° 99/015 du 22 décembre 1999 unetentative de vous procurer un avantage que vous n’auriez pas obtenu dans le cadrenormal du marché ;

51- Considérant que la qualification donnée par le DSX de tentative de détournement dedeniers publics résultant de cette facturation abusive, disproportionnée etinopportune relève exclusivement du juge pénal ;

52- Considérant que la comptabilisation des revenus hypothétiques qui ont permis laproduction de résultats bénéficiaires par le DSX est intervenue alors que la CMF avaitdéjà averti les parties prenantes sur l’irrégularité de la facturation des élémentsconstitutifs de ces revenus ;

53- Considérant que la publication des résultats qui ne reflètent pas la réalité de lasituation de la société constitue au terme de la loi n°99/015 du 22 décembre 1999portant création d’un marché financier un manquement passible de sanctionsadministratives autant que pécuniaires, sans préjudices de sanctions pénalesconséquentes.

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PAR CES MOTIFS

Après en avoir délibéré en ses sessions des 21 décembre 2012, du 09 janvier 2013, du08 février 2013 et du 15 février 2013, sous la présidence du Chief T.K. EJANGUE, Président dela Commission, en présence de :

MM. ELUNG Paul CHE, membre

SIAKA André, membre

BEHLE Olivier, membre

NJANGA NJOH Martin Luther, membre

BANGA NTOLO Louis, membre, ce dernier ne participant pas au vote et

BAH OUMAROU SANDA, membre représenté par NJANGA NJOH Martin Luther

DECIDE

A l’unanimité des membres :

1- D’adresser aux dirigeants de Douala Stock Exchange au sens des articles 121 etsuivants code OHADA, un avertissement pour leurs multiples manquements à leursobligations professionnelles, notamment leur entêtement à ignorer ou à passeroutre dans leur gestion de l’institution et des opérations boursières, lesprescriptions et recommandations de la CMF à l’instar de leur référence constanteà des accords de place non entérinés par le Régulateur;

A la majorité des membres :

2- De prononcer à l’encontre de Douala stock Exchange personne morale une amendede FCFA 500 000 (cinq cent mille) pour avoir, sans être prestataire de servicesd’investissement, fourni un service d’investissement consistant en la tenue du livred’ordres dans une émission (centralisation des souscriptions), une fonctioninterdite à toute personne non prestataire de service d’investissement ;

3- De se montrer indulgente pour les manquements passibles de sanctions pénales, àl’instar d’une facturation irrégulière, abusive, disproportionnée et inopportune deservices à l’adresse de l’Etat-Emetteur, ou de la comptabilisation irrégulière dansles états financiers de recettes douteuses faisant paraître dans les états financiers,des résultats sans rapport avec la situation réelle de la Douala Stock Exchange.

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A l’unanimité des membres :

4- De publier la présente décision au Bulletin officiel de la Commission des MarchésFinanciers.

Le secrétaire général Le Président

M. Alphonsus NJIA ACHOMUNA Chief T.K. EJANGUE

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par devant la Chambre Administrativede la Cour Suprême conformément à l’article 32 de la Loi de 1999.

Commission des Marchés Financiers. Décision de sanction de la Commission des MarchésFinanciers à l’encontre de : Afriland First Bank SA ; Citibank SA et Société Générale de

Banques au Cameroun SA (les membres du consortium)

Vu la constitution ;

Vu la Loi n°99/015 du 22 décembre 1999 portant création d’un marché financiers ;

Vu le décret n°2001/213 du 31 juillet 2001 précisant l’organisation et le fonctionnement dela Commission des Marchés Financiers ;

Vu le décret n° 2007/150 du 31 mai 2007 portant renouvellement du mandat du Présidentde la Commission des Marchés Financiers ;

Vu le décret n°2007/149 du 31 mai 2007 portant nomination des membres de la Commissiondes Marchés Financiers ;

Vu le Règlement Général de la Commission des Marchés Financiers ;

Vu la décision n°09/030/CMF/11 portant contrôle du déroulement de l’emprunt obligataireECMR 5,6% net 2010-2015 ;

Vu le rapport du 21 juin 2012 dudit contrôle ;

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Vu la décision n°09/040/CMF/12 du 14 septembre 2012 portant ouverture d’une procéduredisciplinaire à l’encontre des auteurs des manquements et irrégularités relevés dans leditrapport ;

Vu la décision n°09/041/CMF/12 du 14 septembre 2012 nommant M. Olivier BEHLE,membre de la Commission des Marchés Financiers, rapporteur dans ladite procédure ;

Vu la notification des griefs TKE/AD/2012/135/09/CMF du 03 octobre 2012 adressée auxmembres du consortium ;

Vu la réponse écrite du 18 octobre 2012 des membres du consortium Cameroun à laditenotification ;

Vu l’audition par le rapporteur le 02 novembre 2012,

Pour AFRILAND FIRST BANK de MM. NAFACK Alphonse, WABO Roger et KAMMOGNEPierre, respectivement Directeur Général, Chef du département juridique et Chef dudépartement marchés financiers ;

Pour la SGBC M. GUILLAUME Jean Philippe, BANGA NTOLO Louis et NKOMGA Tertiorespectivement Administrateur Directeur Général, Directeur Général Adjoint etResponsable juridique de la SGBC ;

Pour CITIBANK de MM. DADA AKINTAYO, PASSAM Ezéchiel et MOUAFO Alain-Thierryrespectivement Chief Executive Officer, Directeur Juridique et Directeur de laTrésorerie de la CITIBANK, accompagnés de leurs conseils Me DOGMO Laurent etMe NJOUNKEU MBAPE du cabinet JNG et Partners ;

Vu les lettres du 12 décembre 2012 et 02 janvier 2013 convoquant AFRILAND FIRST BANK,CITIBANK et SGBC Cameroun S.A. devant le collège de la Commission des marchés financiersréuni en session disciplinaire les 21 décembre 2012 et 09 janvier 2013 ;

Vu les délibérations du collège de la Commission des marchés financiers en ses sessions des21 décembre 2012, 09 janvier 2013, 08 et 15 février 2013 ;

Vu ensemble les autres pièces du dossier ;

Après avoir entendu au cours de la séance du 09 janvier 2013

Pour AFRILAND FIRST BANK de MM. NAFACK Alphonse, WABO Roger et KAMMOGNEPierre, ceux-ci intervenant en dernier ;

Pour CITIBANK de MM. DADA AKINTAYO, PASSAM Ezéchiel et MOUAFO Alain-Thierry,accompagnés de leur conseil Me DOGMO Laurent, ceux-ci intervenant en dernier;

Pour la SGBC M. GUILLAUME Jean Philippe, BANGA NTOLO Louis et NKOMGA Tertio,ceux-ci intervenant en dernier ;

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I- FAITS ET PROCEDURE1- Autorisé par la Loi de finances n°2009/018 du 15 décembre 2009, un emprunt

obligataire de FCFA 200 milliards a été émis au titre de l’exercice budgétaire 2010par l’Etat du Cameroun qui a opté de recourir au marché de capitaux local enfaisant appel public à l’épargne ;

2- Par correspondance du 26 mai 2010, le Ministre des finances représentant l’Etatdu Cameroun a transmis aux Prestataires des Services d’Investissement (PSI)agréés par la Commission des Marchés Financiers du Cameroun (CMF) les termesde référence d’un appel d’offres lancé pour recruter celui qui devaitl’accompagner dans cette opération ;

3- Par lettre du 17 juin 2010 le Ministre des Finances a sollicité du Premier MinistreChef du Gouvernement, l’autorisation de signer une convention de mandatd’arrangeur avec un consortium constitué par Afriland First Bank SA, CitibankCameroon SA et Société Générale des Banques au Cameroun SA, les trois PSIretenus au terme dudit appel d’offres ;

4- Par lettre du 28 juin 2010, le Premier Ministre Chef du Gouvernement, a marquésa non objection de principe à ce choix, mais a subordonné son autorisation designature de la convention « à la transmission préalable dudit document à sahaute approbation, assorti d’une note de présentation détaillée sur lescaractéristiques indicatives de cet emprunt obligataire notamment les différentescommissions à payées par l’Etat du Cameroun dans le cadre de cette opération » ;

5- Par lettre du 30 juin 2010, le Ministre des Finances a notifié son choix auconsortium susmentionné qu’il a invité à l’élaboration et la négociation d’uneconvention par laquelle devait lui être confié un mandat pour la réalisation del’opération ;

6- La CMF n’a pas pu connaitre du processus de sélection ni des critères utilisés pourle choix opéré par le Ministre des Finances. Les termes de référence étaientnéanmoins suffisamment précis quant à la nature et l’étendue des prestationsattendues des PSI candidats, notamment en ce qui concerne la prise de risque etl’expertise dont l’Etat voulait bénéficier de l’arrangeur dans le domaine desémissions souveraines sur les marchés de capitaux ;

7- Par décret n°2010/278 du 06 septembre 2010, le Ministre des Finances a étéhabilité par le Président de la République à conduire au nom du gouvernement,l’émission d’un emprunt obligataire pour le financement des projets dedéveloppement ;

8- Le 15 octobre 2010 l’Etat du Cameroun représenté par le Ministre des Finances etle consortium représenté par les Administrateurs Directeurs Généraux ouDirecteurs Généraux de Afriland First Bank SA, Citibank Cameroun SA, Société

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Générale des Banques au Cameroun SA ont signé une convention de mandatd’arrangeur ;

9- Ladite convention qui prévoit des commissions et frais pour plus de 2 700 000(deux milliards sept cent millions FCFA), a été signée sans que l’approbation duPremier Ministre, Chef du gouvernement, approbation requise selon lesinstructions contenues dans sa lettre du 28 juin susmentionnée, n’ait étéobtenue ;

10- Le 12 novembre 2010 l’Etat du Cameroun renonçant au privilège que luireconnait la loi n° 99/015 du 22 décembre 1999 qui l’exonère de l’établissementd’un document d’information, a par son mandataire, représenté par le DirecteurGénéral de Citibank SA, soumis à l’enregistrement de la CMF une noted’information dûment élaborée pour cette émission ;

11- En couverture de la note d’information ainsi mise à la disposition du publicapparaissait en dehors des membres du consortium, ceux de SCB Cameroun etUBA en qualité de Co-arrangeurs ;

12- Par lettre du 16 novembre 2010 la CMF a adressé au consortium ses observationset commentaires par ladite note, assortis de prescriptions sur les corrections,amendements et complément d’informations à y apporter et les documents à yannexer pour la conformer aux dispositions légales et aux bonnes pratiques desmarchés financiers.

13- En réponse, la CMF a reçu le 19 novembre 2010 du Directeur Général de CitibankSA, au nom du consortium, une note d’information partiellement amendée,tenant compte de certaines des prescriptions du Régulateur et en rejetantd’autres ; Ce même jour le Consortium a procédé à la signature de deux contratsde Co-arrangement avec la société commerciale des banques Cameroun etUnited Bank of Africa Cameroun, respectivement;

14- Par courrier du 23 novembre 2010, la CMF a fait suite à la démarcha inattenduede Citibank de ne pas tenir compte de l’intégralité de ses recommandations, enconvoquant le 24 novembre 2010 une séance de travail qui devait regrouperautour du régulateur, les trois membres du consortium assistés de leur conseiljuridique. Il s’agissait de clarifier les rôles des uns et des autres et de rappeler auxmandataires de l’Etat leurs devoirs et obligations tant vis-à-vis de leur client quevis-à-vis de la CMF, notamment en matière de transparence. Il fallait ainsi assurerla mise en conformité de la note d’information en y intégrant tous les éléments etinformations qu’exigent les lois et règlements en vigueur ;

15- Ces précisions et clarifications ayant été apportées, suivies des assurancesdonnées par le consortium de les intégrer et les respecter, le collège de la CMF,réuni en session d’urgence, a par décision 11/052/CMF/10 du 30 novembre 2010

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procédé à l’enregistrement de l’emprunt « ECMR 5,6% 2010-2015 » sous len°OTP-10/001 ;

16- Cette décision, notifiée au consortium et à l’émetteur par courrier du même jouret publiée le 02 décembre 2010 dans une page du quotidien « CameroonTribune » tenant lieu pour la circonstance d Bulletin Officiel de la CMF, anéanmoins énoncé les informations et documents complémentaires qu’il fallaitabsolument faire parvenir au Régulateur dans des délais bien précis. Parmi ceux-ci figurait notamment la convention de mandat d’arrangeur Chef de file signéeavec l’Etat, ainsi que toute autre convention faisant partie intégrante de la noted’information et dont l’absence pouvait justifier le rejet par la CMF du dossier;

17- Le 3 décembre 2010 le consortium, fort de son statut d’Arrangeur chef de file, asigné avec huit PSI qui devaient constituer avec lui le syndicat de placement destitres issus de l’emprunt, une convention de syndication. Ce document n’a pas éténon plus soumis à la CMF;

18- Par courrier du 14 décembre 2010, la CMF n’a reçu de l’émetteur l’informant dela prorogation de la fin de la période de souscription du 15 au 20 décembre, et dureport de la date de clôture de l’opération du 23 au 28 décembre 2010 ;

19- Dans son édition du 23 décembre 2010, et sans que la CMF n’ait reçu le rapportréglementaire préalable à la validation du résultat de l’émission, le quotidien« Cameroon Tribune » a publié un article illustré par des images du Ministre desFinances, entouré de ses principaux collaborateurs et des hauts responsables del’opérateur de la Bourse de Douala (DSX), célébrant par un toast, le succès del’emprunt. Cette célébration s’est poursuivie par une interview du Président duDSX qui annonçait la parution du 27 décembre du même quotidien un empruntde ‘’tous les records’’ ;

20- Les 24 et 28 décembre 2010, bien après la date révisée de la période desouscription, et au lendemain de l’annonce des résultats, les responsables del’émission procédaient, à la signature avec deux prestataires de servicesd’investissement, de deux avenants à la convention de syndication signée le 3décembre 2010 avec l’ensemble des établissements placeurs de l’émission.

21- Malgré ses demandes incessantes lors du déroulement de l’enquête et durant laprésente procédure, ces avenants n’ont pas été présentés à la CMF qui a punéanmoins obtenir de l’un des signataires une copie de l’un des deux avenants ;

22- Le 28 décembre 2010, la CMF a reçu en guise de rapport, une correspondanced’Afriland Land SA qui lui communiquait le résultat des souscriptions et desallocations issus des titres de l’emprunt. A ce rapport était annexé un procès-verbal de dépouillement dressé le 24 décembre 2010 par le DSX, opérateur de laBourse de Douala ;

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23- A cette même date du 28 décembre 2010, le Président du Conseild’Administration du DSX a adressé au Ministre des Finances représentant l’Etat-Emetteur, une facture de FCFA 700 millions en guise de « commission decentralisation des souscriptions ». (la CMF a obtenu copie de cette facture parune source qui n’en était ni l’auteur ni le destinataire…)

24- En réponse à ces divers événements et communications de la CMF, dans sonsouci constant d’assurer le bon fonctionnement du marché financier engagera uncertain nombre d’actions et de décisions dont :

- Le rejet, dans une correspondance du 29 décembre 2010 du rapport transmis parAfriland First Bank, jugé irrégulier et non-conforme non seulement aux règles etpratiques en la matière, mais aussi aux prescriptions préalables adressées auxresponsables de l’opération,

- la convocation le mardi 4 janvier 2011 du représentant de l’Etat-Emetteur et desmembres du consortium, à une séance de travail destinée à mettre fin aux errementsconstatés, pour faire aboutir l’opération dans des conditions régulières conformes auxlois, règlements et pratiques du marché. C’est lors de cette réunion que l’AdministrateurDirecteur Général de la SGBC au nom du consortium interpellé par la CMF, exhibera unecorrespondance du Ministre des Finances qui demandait au consortium de confier « lacentralisation des souscriptions » à le DSX, en précisant que les frais afférents à cetteprestation seront payés par l’Etat-Emetteur, nonobstant la perception par le consortiumd’une rémunération au titre de la même prestation.

- la reprise par le consortium du processus de publication du résultat de l’émissionobligataire, reprise à l’issue de laquelle un projet amendé du communiqué sera soumis àla CMF le 07 janvier 2011. Ce projet validé par la CMF, sera publié dans le CameroonTribune du 24 janvier 2011 ;

25- Du rapport sus-évoqué, il ressort que AFRILAND FIRST BANK a acheté 3 504 678obligations « ECMR 5,6% net 2010-2015 » dont 1 349 578 pour placement auprès desinvestisseurs et 2 155 100 comme investissement pour son propre compte ;

26- Suivant le même rapport, les membres du consortium ont perçu chacun FCFA132 264 163 de commissions de placement soit un montant total de FCFA396 792 489 à raison de FCFA 139 338 866 pour les titres placés auprès desinvestisseurs, et FCFA 257 453 623 pour des investissements réalisés en comptepropre ;

27- Le 24 février 2011 la SGBC adresse au dépositaire central, la Caisse Autonomed’Amortissement (CAA) une demande de prise en charge de l’emprunt « ECMR5,6% net 2010-2015 », une prise en charge qui sera effective à partir du 07 mars

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2011, après l’adhésion du Ministre des Finances en qualité d’émetteur notifiée le04 mars 2011 ;

28- Il importe de relever que jusqu’à cette date aucune demande d’admission dutitre « ECMR 5,6% net 2010-2015 » n’a été introduite par le consortium auprèsde DSX qui n’avait par conséquent pas encore prononcé son introduction enbourse pour cotation sur sa plateforme ;

29- Le 09 mars 2011, deux mois après la clôture de l’émission, que DSX soumettra àla validation de la CMF l’avis de cotation du titre « ECMR 5,6% net 2010-2015 ».

30- Par courrier du 11 mars 2011 la CMF répondra favorablement à cette demandeen proposant néanmoins à le DSX un ensemble de modifications destinées àmettre ledit avis en conformité par rapport aux normes et usages en la matière ;

31- Pour mémoire, il convient de rappeler que suivant la stricte logique et procédureboursière pour une émission de ce type l’introduction en bourse devait se fairepar le consortium et la première cotation du titre « ECMR 5,60 % net 2010-2013 » devait coïncider avec la date de clôture de l’opération le 28 décembre2010. Toutes les transactions subséquentes à cette date devaient alorsintervenir, par PSI interposés, entre les premiers investisseurs durant ce que l’onqualifie de marché gris, et les nouveaux investisseurs sur le marché secondaireque constituent les échanges se déroulant sur la plateforme du DSX;

32- Le 22 mars 2011, le décret présidentiel n° 2011/080 a déterminé les utilisationsdu produit de l’emprunt obligataire « ECMR 5,6% net 2010-2015 ». la CMF noteraque la liste publiée et les montants alloués à certains des projets necorrespondent pas à ceux de la note d’information enregistrée;

33- Du 08 avril au 07 mai 2012, le Secrétariat Général de la CMF a effectué uncontrôle du déroulement de l’emprunt obligataire « ECMR 5,6% net 2010-2015 »,et a déposé son rapport le 28 mai 2012 ;

34- Ledit rapport a été examiné par le collège de la CMF qui, en sa session du 14septembre 2012, à la lumière des irrégularités et des manquements y relevés, apar résolution 166/CMF/12, décidé d’ouvrir une procédure disciplinaire àl’encontre des auteurs desdits irrégularités et manquements ;

35- Par décision n° 09/041/CMF/12 du 14 septembre 2012, le Président de la CMF adésigné M. Olivier BEHLE, membre de la commission, en qualité de Rapporteurpour instruire l’affaire ;

36- Par courrier EMS du 04 octobre 2012 tenant lieu de lettre recommandée avecaccusé de réception, la CMF a notifié aux membres du consortium les griefssuivants :36 1- un manque de transparence caractérisé par : l’omission de définir et depréciser dans le cadre d’un accord interne prévu par la convention de mandatd’arrangeur signée avec l’Etat du Cameroun, les attributions, responsabilités, et

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fonctions de chaque membre du consortium, sachant que sa rémunérationdevait dépendre des prestations effectivement rendues ; l’omission de préciseret de distinguer dans la fixation de ses commissions, la part correspondant à larémunération de chacune des trois fonctions que comporte la missiond’arrangeur, à savoir la gestion opérationnelle et administrative de l’émission, laprise de risque pour sa réussite, et le placement de titres, trois prestationscomplémentaires mais distinctes ; le refus de produire le budget, les documentset les justificatifs du compte des dépenses liées à l’opération, tel que prévu par lecontrat ;36 2- des déclarations frauduleuses et la diffusion d’informations trompeuses oumensongères par : l’inscription en page de couverture comme Co-arrangeurs dedeux prestataires de services d’investissement qui n’ont reçu aucun mandat del’émetteur ; la mention dans les contrats signés avec ces prétendus Co-arrangeurs d’informations contraires à celles figurant dans la convention demandat d’arrangeur ; l’inclusion dans la note d’information déposée le 12novembre 201à d’une déclaration de conformité et de régularité d’un ConseilJuridique autre que celui figurant dans l’attestation de conformité et derégularité effectivement signée par un autre conseil juridique ; la mention dans lanote d’information du 12 novembre 2010 d’une convention de prélèvemententre l’Etat et la BEAC portant un numéro de compte différent de celui qui figuredans les conventions effectivement signées le 27 avril 2011 ;36 3- la délégation à un tiers non prestataire de service d’investissement (DSX)d’une mission ou et une fonction qui relèvent de vos attributions d’arrangeur, enviolation de la convention de mandat d’arrangeur et de l’article 9 de la Loi de1999 qui stipule qu’ « il est interdit à toute personne et à toute entreprise autrequ’un prestataire de service d’investissement de fournir des servicesd’investissement… » ;36 4- le dérèglement du fonctionnement du marché, en violation de la Loi de1999 par : une discrimination dans l’octroi des commissions dans le cadre despseudo-contrats de Co-arrangement ; la perception d’une commission deplacement pour un investissement réalisé pour propre compte, en violation del’article 32 qui sanctionne toute personne qui se procure un avantage injustifiéqu’il n’aurait pas obtenu dans le cadre normal du marché, et qui porte atteinte àl’égalité de traitement des investisseurs ;36 5- la manipulation des résultats de l’émission par la signature les 24 et 28décembre 2010, soit bien après la date de clôture de la période de souscription le20 décembre 2010, et la publication desdits résultats, de deux avenantsdiscriminatoires à la convention de syndication du 03 décembre 2012, enviolation de la loi de 1999 qui sanctionne tout manquement susceptible de

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« porter atteinte à l’égalité de traitement des investisseurs » ou « tendant àprocurer un avantage aux personnes qui ne l’auraient pas obtenu dans le cadrenormal du marché », ainsi que « toute personne qui diffuse sciemment dans lepublic des informations fausses ou trompeuses…ou qui entrave ou tented’entraver par manœuvre de toute nature, le bon fonctionnement du marché » ;36 6- la défaillance à remplir toutes les obligations découlant de votre mandatd’arrangeur, notamment d’éviter toute prise de risque dans le déroulement del’émission, tout en percevant toute la rémunération y afférente ;36 7- l’omission à faire bénéficier à votre client de vos conseils pour la bonneprogrammation de l’emprunt et de l’utilisation de son produit, ainsi que laprimauté de vos intérêts propres sur ceux du client, l’Etat-Emetteur, par la failliteà l’une de vos missions d’arrangeur, conseiller financier de l’Etat-Emetteur,appelé à ce titre là conseiller sur la programmation de l’utilisation du produit del’emprunt ;36 8- la dissimulation des éléments susceptibles de constituer des infractions plusgraves par : votre refus de produire les avenants à la convention de syndicationdu 03 décembre 2010 ; votre refus de produire le relevé et les justificatifs ducompte des débours prévu dans la convention de mandat pour couvrir lesdépenses liées à l’opération, entretenant ainsi une opacité dans la gestion duditcompte ; le dépassement de l’enveloppe contractuel de FCFA 200 millions, alorsque le budget prévisionnel relatif à ces dépenses n’a pas été présenté ;

37- Par correspondance du 18 octobre 2012, les membres du consortium ont adresséleurs observations écrites et moyens de défense à la CMF ;

38- En application de l’article 111 du Règlement général de la CMF, le Rapporteur apar courrier du 23 octobre 2012 convoqué les membres du consortium pour uneaudition dont la date a été fixée au 31 octobre 2012, audience au cours laquelleles mis en cause ont confirmé le contenu de leur réponse écrite en précisant eten le complétant sur certains aspects.

II-TEXTES APPLICABLES

Les faits relevés à l’encontre des membres du consortium sont susceptibles dedonner lieu à des sanctions en application des articles 21, 32 et 35 et 37 de la loi n°°99/015du 22 décembre 1999 portant création et organisation d’un marché financier, et desdispositions du Règlement Général de la CMF.

III-MOTIFS DE LA DECSISION

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39- Considérant que les membres du consortium soulèvent l’irrégularité de laprocédure de la CMF aux motifs que le Régulateur n’est pas partie au contrat quiserait l’affaire des seules parties dont il serait la loi ;

40- Considérant que contrairement à ce qui est soutenu par les membres duconsortium, la Loi n° 99/015 du 22 décembre 1999 portant création d’un marchéfinancier donne compétence à la CMF de connaitre toute opération d’appelpublic à l’épargne ainsi que des activités de tout opérateur qu’elle agrée, dans laperspective de veiller à l’épargne investie en valeurs mobilières et de contrôlerles prestataires de service d’investissement ;

41- Considérant que conformément à l’article 13 de la Loi de 1999 la CMF est fondéeà demander toute information ou justification dans le cadre d’une opérationd’appel public à l’épargne ;

42- Considérant que contrairement à ce qui est soutenu par les membres duconsortium, le fait de déclarer qu’en date du 05 octobre 2010, l’Emetteur et leconsortium ont signé un mandat d’Arrangeur-Chef de file prévoyant la facultépour le consortium de recruter un Co-arrangeur, alors la convention de mandatd’arrangeur stipule plutôt en son article 3 que «… dans la conduite de sesmissions, et en dehors de la constitution d’un syndicat de placement, leconsortium peut s’adjoindre, sous sa seule responsabilité, les services d’autresintervenants non PSI dans le but d’assurer le bon déroulement de l’opération. Leconsortium est dans ce cas tenu d’informer l’Emetteur » constitue bel et bienune information mensongère et une déclaration frauduleuse destinée à fairecroire au public que le consortium est le leader d’une opération crédible quibénéficie de l’adhésion et du support d’autres institutions également crédibles etde référence ;

43- Considérant par ailleurs que la mention dans la note d’information de l’existenced’une convention de prélèvement entre l’Etat et la BEAC alors que laditeconvention ne sera signée que plus de trois mois plus tard constitue égalementune information mensongère et une déclaration frauduleuse destinéeintentionnellement à faire croire au public que le consortium avait déjà pristoutes les dispositions devant assurer ledit public qu’il sera remboursé sansaucune défaillance du fait des garanties déjà prises;

44- Considérant que les membres du consortium ne sauraient valablement soutenirque les informations demandées par la CMF n’étaient pas destinées au publicpour lequel elles seraient sans intérêt, la CMF constituant justement l’institutiondédiée et la mieux qualifiée pour assurer la protection de ce public ;

45- Considérant que le chef de file d’une opération est celui qui tient le livred’ordres, c’est-à-dire celui qui centralise les souscriptions dans une émission ouune introduction en bourse ;

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46- Considérant que la tenue du livre d’ordres fait partie intégrante des obligationstechniques et professionnelles de tout prestataire de service d’investissementdésigné chef de file d’une émission, une fonction dont la rémunération estcomprise dans les commissions perçues de l’émetteur sans qu’il soit pour autantnécessaire d’en spécifier et distinguer le montant ;

47- Considérant qu’en dehors du caractère « professionnel » de l’obligation de tenuede livre ou de centralisation du chef de file, la convention entre l’émetteur et leconsortium a explicitement relevé la centralisation des souscriptions parmi lesobligations du consortium ;

48- Considérant au vu de ces précisions qu’un chef de file ne saurait par conséquentdéléguer la réalisation d’une telle prestation à un tiers qualifié que sous sa seuleresponsabilité et dans un cadre contractuel le cas échéant, en prévoyant larémunération de son délégateur ;

49- Considérant par conséquent que le consortium ne pouvait en aucunecirconstance déléguer la tenue du livre d’ordres et l’allocation de titres(centralisation) à un tiers n’ayant pas qualité de PSI fût-il opérateur d’uneplateforme boursière comme le DSX.

50- Considérant dans ces conditions que le consortium ne peut valablementprétendre qu’il aurait confié la tenue d’ordres ou centralisation à le DSX parceque le Ministre des Finances a expressément demander en indiquant qu’ilsupporterait le coût financier ;

51- Considérant qu’un prestataire de services d’investissement qui, dans son activiténormale de placement de titres non garanti, vend des titres à des tiersinvestisseurs en même temps qu’il en achète pour son propre compte, ne sauraitpercevoir de l’émetteur, une quelconque commission de placement sur les titresachetés par lui-même en qualité d’investisseur, l’achat pour compte propre nepouvant constituer un placement, il ne saurait percevoir de l’émetteur, unecommission de placement en rémunération d’un quelconque effort dedistribution ;

52- Considérant contrairement à l’avis des membres du consortium, agréés par laCMF en qualité de PSI, que ceux-ci n’ont pas constitué des entités juridiquesdistinctes des établissements de crédit pour établir que ceux-là auraient placésdes titres auprès de ceux-ci ;

53- Considérant par conséquent que la perception par les membres du consortiumd’une commission de placement pour des titres achetés pour compte propre estirrégulière et constitue un enrichissement injustifié au détriment de l’EtatEmetteur ;

54- Considérant toutefois que l’activité des PSI en elle-même n’est pas rentable enl’état actuel de l’activité du marché financier camerounais pour justifier de la

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création, prescrite par la CMF, de filiales distinctes et autonomes vis-à-vis desentités de banque commerciale ;

55- Considérant que la signature intervenue bien après la date de clôture de lapériode de souscription, de deux avenants à la convention de syndication nesaurait être justifiée par de prétendus accords, du reste inexistants intervenuspendant la période de souscription, les dits avenants n’ayant par ailleurs pu êtreproduits dans leur intégralité ;

56- Considérant que l’annonce et la célébration des résultats des résultatsintervenues le 23 décembre 2010, suivies de la signature les 24 et 28 décembre,d’avenants destinés à accroitre le volume des souscriptions en contrepartie d’unecommission additionnelle amène à déduire qu’au moment de cette annonce lerésultat escompté n’était pas encore atteint ;

57- Considérant les déclarations de l’un des opérateurs selon lesquels il seraitintervenu « pour sauver l’opération qui battait de l’aile » ;

58- Considérant que la mission d’un arrangeur dans sa définition et dans la pratique,que ce soit dans la terminologie économique française ou anglo-saxonne,comporte l’activité de prise de risque sans laquelle elle se limiterait alors à lasimple fonction de chef de file d’une émission, cette dernière comportant lesseules prestations de gestion-coordination d’une opération et de placement detitres émis ;

59- Considérant que les prescriptions faites par la CMF au consortium d’éviterd’utiliser le terme ‘’arrangeur’’ pour s’en tenir à celui de ‘’chef de file’’ dont lamission n’englobe aucune prise de risque comme le laisse penser la présentationde l’opération ;

60- Considérant que le consortium a superbement ignoré cette prescription de laCMF de la CMF en maintenant le terme et la rémunération prévue, alors que sesseules prestations se sont limitées à la gestion-coordination et au placement desobligations sans aucune prise de risque ;

61- Considérant que le taux de prise de commission de 1,25% prévu dans le contratentre l’émetteur et le consortium rémunérait l’ensemble des prestations sus-énumérées ;

62- Considérant que le consortium explique cette non prise de risque par l’absenced’un contrat de prise ferme ou de garantie par la non signature duquell’émetteur aurait dispensé de la prise de risque sans pour autant supprimerconcomitamment la rémunération y relative ;

63- Considérant que le rapport du consortium distingue dans la répartition descommissions d’une part la rémunération du placement versée à tous lesmembres du syndicat de placement et d’autre part celle de « l’arrangeur »réservée aux membres du consortium et à un prétendu « Co-arrangeur » ;

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64- Considérant que le placement constitue l’une des trois prestations comprisesdans la mission d’un arrangeur et que la distinction de sa rémunération dans lerapport du consortium signifie tout simplement qu’elle a été rémunérée deuxfois dont :64 1-une première fois en tant que prestataire distincte pour un montant deFCFA 396 792 489 réparti de façon égale entre les trois membres du consortiumindépendamment du montant placé par chacun ;64 2-une seconde fois en tant que composante de la commission d’arrangeur,pour un montant de FCFA 515 000 000 également répartie entre les troismembres sans pour autant qu’aucun d’eux n’ait assumé un risque quelconquedans l’opération ;

65- Considérant au vu des faits et précisions ci-dessus que la somme de FCFA1 515 000 000 ne représente par conséquent que la rémunération de la seuleprestation de gestion/coordination de l’émission ainsi que le conseil à l’Emetteur,le placement ayant été rémunéré par ailleurs, sans aucune prise de risque de lapart des membres du consortium ;

66- Considérant que la prestation relative à la gestion/coordination de l’émission etla le conseil à l’émetteur est, selon les usages en vigueur sur les marchésfinanciers, rémunérée par des honoraires fixes, ou à un taux qui représentetypiquement 10% à 15% maximum du taux de commission global servi àl’arrangeur d’une émission ;

67- Considérant qu’en tout état de cause cette rémunération de l’arrangeur en saqualité de coordonnateur d’une émission (managing underwriter) ne saurait êtresupérieure à celle liée à la prise de risque, ni à celle relative à l’effort deplacement, ces deux dernières devant représenter respectivement, dans unschéma type 30% à 40% et 40% à 60% de la commission d’arrangeur ;

68- Considérant que seule la fixité de la partie de la rémunération liée à lagestion/coordination d’une émission et indépendante de son montant peutvalablement justifier que ladite rémunération soit répartie de façon égale entreles membres d’un consortium ;

69- Considérant par conséquent qu’un montant de FCFA 1 515 000 000, soit 61% dutaux global de commission, pour rémunérer la seule gestion/coordination del’émission (contre 39% pour l’effort de placement), parait démesuré et excessif ;

70- Considérant par ailleurs que le montant ci-dessus a été perçu par les membres duconsortium sans que ceux-ci n’aient pour autant effectué la totalité desprestations dévolues à l’arrangeur, certaines de leurs obligations à l’instar de latenue du livre d’ordres (centralisation) ou l’introduction en bourse, ayant étéindûment confiées à des tiers ou tout simplement non exécutées ;

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71- Considérant que les taux de commissions appliqués dans des pays qualifiés decomparables au Cameroun ne sauraient constituer une référence pour qualifierd’acceptable le taux appliqué au titre de l’emprunt « ECMR 5,6% net 2010-2015 » ;

72- Considérant que la répartition de la commission de placement liée à l’effort dedistribution du titre auprès des investisseurs ne saurait se faire qu’en fonction dumontant placé par chaque membre du placement comme il a été le cas pour lesPSI non-membres du consortium ;

73- Considérant par conséquent que la décision du consortium de rémunérer sesmembres indépendamment de l’effort de placement de chacun, alors que lesautres PSI placeurs ont été compensés en fonction de leurs efforts constitue uneanomalie et une iniquité sérieuses qui ne sauraient être admises et tolérées dansle fonctionnement d’un marché financier ;

74- Considérant qu’en dehors des commissions perçues par le consortium dans lecadre de la gestion de l’emprunt, l’Etat a aussi mis à sa disposition des fonds quine pouvaient être perçus qu’en remboursement des dépenses engagées par leconsortium dans le cadre de cette gestion ;

75- Considérant que lesdites dépenses devaient être préalablement approuvées parl’émetteur pour un montant plafonné à 200 millions suivant la convention entrel’Etat et le consortium ;

76- Considérant que l’Etat a en définitive versé au consortium un montant de FCFA454 millions pour les dépenses qui n’auront finalement pas été approuvées etdont l’essentiel des justificatifs n’ont pas pu être produits ni pour les dépenseseffectuées dans les limites contractuelles, ni pour le dépassement relevé ;

77- Considérant que le fonctionnement du compte des débours ouvert à la SGBCpour l’objet susmentionné s’est prolongé plus d’un an après la clôture del’émission, et qu’il affichait un solde créditeur de FCFA 166 millions à fin août2012 ;

78- Considérant que sous la pression de la CMF qui n’a cessé de réclamer lesjustificatifs des dépenses effectuées sur ledit compte, le consortium a fini parreverser, en date du 03 septembre 2012, ledit solde de FCFA 166 millions autrésor public ;

79- Considérant également que le consortium, sous prétexte qu’il n’arrivait pas à leretrouver dans sa documentation, n’a pas pu présenter à la CMF des avenants aucontra de syndication qu’il reconnait pourtant avoir signé avec un PSI ;

80- Considérant qu’une telle attitude de la part des membres du consortium ne peutqu’engendrer un doute profond quant à leur bonne foi et leur sincérité dans lagestion du processus de l’émission ;

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81- Considérant que ce doute se trouve renforcé par les menaces du consortium àl’endroit de la CMF et selon laquelle une sanction quelconque qui leur seraitinfligée compromettrait leur future participation au développement du marchéfinancier ;

82- Considérant que le simple fait d’avoir pu lever le montant visé de FCFA 200milliards en faveur de l’Etat ne saurait constituer un objectif moral qui devait êtreatteint par tous les moyens et au mépris des règles et pratiques caractéristiquesd’un marché fonctionnant dans les meilleurs conditions d’efficacité, d’intégrité etde bonne gouvernance ;

83- Considérant par ailleurs que les conditions dans lesquelles cette émission a étégérée a résulté dans un taux effectif global de l’emprunt de 8,40% environ, deloin supérieur à son taux effectif de 5,60%, soit une perte considérable subie parl’Etat Emetteur ;

84- Considérant également que le calendrier d’utilisation effective subséquente duproduit de l’emprunt n’a pu qu’accentuer les pertes de l’Etat, plus de la moitiédes fonds levés étant immobilisés dans les comptes de l’Etat auprès de la BEACqui les rémunère à un taux d’intérêt maximum de 1% alors que l’Etat sert un tauxde 5,6% aux investisseurs ;

85- Considérant que quand bien même l’Etat est souverain responsable del’utilisation des ressources qu’il lève sur le marché comme l’a estimé unemajorité des membres de la CMF, la mission d’un chef de file arrangeur comportenéanmoins un volet de conseiller de l’Emetteur que le consortium avaitl’obligation de remplir, une mission consubstantielle à la fonction d’arrangeur etqui n’a pas besoin de s’inscrire dans un mandat spécifique ;

PAR CES MOTIFS

Après en avoir délibéré en ses sessions des 21 décembre 2012, du 09 janvier 2013, du 08février 2013 et du 15 février 2013, sous la présidence du Chief T.K. EJANGUE, Président de laCommission, en présence de :

MM. ELUNG Paul CHE, membre

SIAKA André, membre

BEHLE Olivier, membre

NJANGA NJOH Martin Luther, membre

BANGA NTOLO Louis, membre, (ce dernier ne participant pas au vote) et

BAH OUMAROU SANDA, membre représenté par NJANGA NJOH Martin Luther

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Après avoir entendu :

A- Pour AFRILAND FIRST BANK MM. NAFACK Alphonse Directeur Général WABORoger et KAMMOGNE Pierre, respectivement Chefs des départements Juridiqueet des marchés Financiers ;

B- Du côté de CITIBANK de MM. DADA AKINTAYO, PASSAM Ezéchiel et MOUAFOAlain-Thierry, respectivement Chief Executive Officer, Directeur Juridique etDirecteur de la trésorerie de CITIBANK, accompagnés de leur Conseil MeDOGMO Laurent ;

C- Du côté de la SGBC MM. GUILLAUME Jean Philippe, Administrateur DirecteurGénéral, BANGA NTOLO Louis, Directeur Général Adjoint et NKOMGA Tertio,Responsable Juridique ;

DECIDE

A l’unanimité,

I-D’adresser un avertissement aux dirigeants de :- AFRILAND FIRST BANK- CITIBANK- LA SOCIETE GENERALE DES BANQUES AU CAMEROUN

Pour différents manquements à leurs obligations professionnelles ;

A la majorité des voix,

II-De prononcer à l’encontre de :

- AFRILAND FIRST BANK- CITIBANK- LA SOCIETE GENERALE DES BANQUES AU CAMEROUN

1- Une amende de FCFA 1 000 000 chacun, pour avoir manqué à leurs obligations detransparence dans la communication des informations destinées au public et à laCMF ;

2- Une amende de FCFA 1 000 000 chacun, pour avoir publié des informationserronées en couverture de la note d’information en ce qui concerne lesresponsables de l’opération (Co-arrangeurs), et fait état d’une conventioninexistante de prélèvement entre l’Etat et la BEAC ;

3- Une amende de FCFA 500 000 chacun, pour avoir délégué à un tiers nonprestataire de services d’investissement, une fonction (la tenue du livre d’ordres)interdite à toute personne non prestataire de services d’investissement, et pourlaquelle il a été rémunéré par l’émetteur.

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A la majorité des voixTout en jugeant irrégulière la perception des commissions de placement sur desinvestissements réalisés pour compte propre,Tout en jugeant disproportionnées et déséquilibrées par rapport aux prestationsfournies, les commissions d’Arrangeur perçues par les membres du consortium,

III-De ne pas prononcer à l’encontre de :- AFRILAND FIRST BANK- CITIBANK- LA SOCIETE GENERALE DES BANQUES AU CAMEROUN,

1- La restitution à l’Etat des sommes indûment perçues au titre des commissions deplacement sur des investissements réalisés pour compte propre, du fait du faibleniveau d’activités sur le marché financier camerounais ;

2- La restitution à l’Etat d’une partie des sommes perçues au titre de la commissiond’arrangeur, sommes jugées disproportionnées et sans contrepartie par rapport auxprestations effectives des membres du consortium qui n’ont pas assumé la prise derisque inhérente à ladite mission, une prise de risque qui aurait pu justifier un telniveau de rémunération.

A l’unanimité,

IV- De publier la présente décision au Bulletin officiel de la Commission desMarchés Financiers.

Le secrétaire général Le Président

M. Alphonsus NJIA ACHOMUNA Chief T.K. EJANGUE

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par devant la Chambre Administrative dela Cour Suprême conformément à l’article 32 de la Loi de 1999.

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«DECISIONS CMF c/ DSX ; CMF c/ CONSORTIUM AFRILAND FIRST BANK SA, CITI BANK SA etSGBC SA : une avancée de la CMF dans la maitrise des exigences du mécanisme du marchéfinancier », observations Dr GATCHOUP TCHINDA Désiré, chargée de cours, FSJP/Université

de Yaoundé II

L’économie d’un pays repose sur un ensemble de flux entre agents économiques. Lesentreprises proposent des biens et services à destination des ménages et autres agents. Cesderniers reçoivent des revenus en rémunération du travail fourni, qu’ils utilisent pour leursbesoins courants ou à des fins d’investissement. Le résiduel est placé en vue de besoinsfuturs. L’Etat finance également une partie de l’économie, rémunère ses agents et combleses déficits.

Les institutions financières interviennent au sein de ce circuit économique pourcollecter l’épargne et offrir des moyens de financement. Ces moyens de financement offertspar les établissements de crédit peuvent s’avérer insuffisants, et les marchés de capitauxdoivent venir combler ce manque. Ainsi, sont nées les places financières, lieux d’échangesorganisés de capitaux entre agents économiques. On peut ici émettre des actions274 et desobligations275. Pour financer ses projets de développement, l’Etat du Cameroun a recouru àl’emprunt obligataire.

Le lancement des emprunts obligataires se fait aux moyens de plusieurs techniques,notamment le placement privé276, l’adjudication277 et la syndication278. C’est cette dernière

274 Les actions sont des titres de capital.

275 Les obligations sont des titres de créance.

276 Pour le placement privé, l’émetteur vend ses titres sur le marché primaire auprès d’investisseurs qu’il trouvelui-même.

277 Cette technique est utilisée en France pour les valeurs du trésor. Les participants aux adjudicationsprésentent des soumissions anonymes comportant les quantités et prix des titres qu’ils veulent acheter. L’Etatsynthétise toutes les soumissions et sert aux plus offrants. Le prix payé est le prix demandé, c’est l’adjudication‘’à la hollandaise’’.

278 Un emprunt est dit syndiqué lorsque l’émetteur sollicite un pool bancaire pour mener à bien le placementde l’emprunt. Les banques menées par un chef de file se constituent en syndicats d’émission, de garantie ou deplacement.

Le syndicat d’émission se charge du montage de l’opération et de la fixation des modalités.

Le syndicat de garantie garantit l’emprunt de bonne fin ; l’émetteur est alors certain que son emprunt seraintégralement souscrit.

Le syndicat de placement s’engage à replacer les titres dans sa clientèle.

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technique que le Cameroun a utilisée dans l’emprunt ECMR 5,6% net 2010-2015. En effet,suivant l’autorisation de la loi de finances n° 2009/018 du 15 décembre 2009 et celle duPremier Ministre, un appel d’offres a été lancé par le MINFI pour le recrutement desprestataires de services d’investissement (PSI) qui devaient accompagner la Commission desMarchés Financiers dans une opération d’appel public à l’épargne279 pour l’Etatcamerounais. C’est ainsi que le mandat de PSI a été donné au consortium constituéd’AFRILAND FIRST BANK S.A., CITIBANK S.A. et SGBC S.A. L’autorisation de signature de laconvention donnée par le PM était subordonnée « à la transmission préalable duditdocument à sa haute approbation, assorti d’une note de présentation détaillée sur lescaractéristiques indicatives de cet emprunt notamment les différentes commissions à payerpar l’Etat du Cameroun dans le cadre de cette opération ». La convention de mandatd’arrangeur sera signée entre l’Etat et le consortium le 15 octobre 2010. Le 12 novembre2010, l’Etat du Cameroun va soumettre à l’enregistrement de la Commission des MarchésFinanciers (CMF) une note d’information280 élaborée pour cette émission en renonçant ainsià un privilège que lui reconnait la loi. Ce document a fait l’objet des observations par la CMFassorties des suggestions, amendements et complément d’informations à apporter auxdocuments. Malheureusement, le consortium, via le Directeur Général de CITIBANK aenvoyé à la CMF une note d’information partiellement amendée et rejeté d’autressuggestions. La dispense de l’établissement de la note d’information donne-t-elle à l’Etat ledroit de choisir les informations à communiquer ? Il ne nous semble pas, ce d’autant plus quela CMF est en charge de la protection de l’épargne qui est une mission d’intérêt général. Pourcela, elle peut requérir des informations complémentaires et même des amendements de lanote d’information. Les missions à elles confiées lui confèrent de larges pouvoirs281 etsurtout celui de contrôle.

Par la suite, le consortium va signer une convention de Co-arrangeur avec la SCB etl’UBA. La CMF va convoquer une réunion au cours de laquelle elle va tenter de ramener leconsortium à l’ordre, notamment en lui rappelant les obligations de transparence qui pèsentsur lui ; ce qui a amené le consortium à donner l’assurance de suivre les instructions de laCMF et de les respecter. Cet engagement que la CMF a cru ferme l’a conduit à enregistrerl’emprunt et la décision a été rapidement publiée dans « Cameroon Tribune » du 2 décembre2010, tenant lieu de Bulletin Officiel de la Cote. Cette précipitation de la CMF à enregistrer

279 Sur la notion d’appel publique à l’épargne, lire les articles 81 à 96 de l’Acte Uniforme portant Droit dessociétés commerciales et GIE.

280 Toute personne qui fait appel publique à l’épargne est tenue de fournir des informations sur sa personne etsur son activité de manière que ceux qui sont appelés à traiter avec elle le fassent en connaissance de cause.

281 La CMF dispose des pouvoirs d’investigation, règlementaire, d’injonction, de sanction.

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l’emprunt est condamnable, dans la mesure où elle avait commis la même erreur avecl’emprunt de la « CUD Finance SA »282 qui a été à la source d’un contentieux sérieux283.

D’ailleurs, les instructions de la CMF ne seront pas suivies par le consortium. Bienplus, sans que la CMF n’ait reçu le rapport réglementaire préalable à la validation desrésultats de l’émission, le quotidien « Cameroon Tribune » a vite fait de publier un articlecélébrant le succès de l’emprunt, baptisé l’emprunt de ‘’tous les records’’. Il s’agit ici de fairecroire à un engouement public pour le titre, un scénario qui avait déjà été utilisé dansl’emprunt « CUD Finance SA ».

Le 28 décembre 2010, AFRILAND a adressé une correspondance à la CMF luicommuniquant les résultats des souscriptions et des allocations de titres issus de l’emprunt.En annexe de ce rapport, se trouve un procès-verbal de dépouillement dressé le 24décembre 2010 par le Douala Stock Exchange (DSX). Ce même jour, le PCA du DSX vaadresser au Minfi une facture de FCFA 700 millions pour les commissions de centralisationdes souscriptions. Il se présente que la centralisation des souscriptions est un serviced’investissement. Or le DSX n’est pas habilité à devenir PSI, par conséquent ne peut pasfournir des services d’investissement. C’est donc à tort que le DSX a fait la centralisation dessouscriptions. Ce problème est récurrent dans le marché financier camerounais ; dansl’emprunt de la « CUD Finance SA », le mandat de PSI avait également été confié à unesociété, la société IROKO qui n’avait pourtant pas l’habilitation à devenir PSI.

La CMF va donc se réveiller rapidement par certaines décisions :

- Le rejet de la correspondance d’AFRILAND pour irrégularité ;- La convocation le 04 janvier 2011 d’une séance de travail avec le représentant de

l’Etat émetteur (le consortium) en vue de constater les errements et les corriger.Au cours de cette séance de travail, l’Administrateur Directeur Général de la SGBC

brandira une correspondance du Minfi confiant la centralisation des souscriptions au DSX etprécisant que les frais de commissions seront payés par l’Etat émetteur et le consortium unerémunération au titre de la prestation.

A l’issue de cette séance de travail, la CMF exigera la reprise du processus par leconsortium, PSI agréé284 pour l’opération. Par la suite, le consortium va soumettre à la CMF

282 Le premier emprunt obligataire lancé sur le marché camerounais était celui de la communauté urbaine deDouala qui à cette occasion avait créé une société anonyme dite Communauté Urbaine de Douala Finance S.A.

283 Sur la question, lire R. NEMEDEU, Observations sur l’« Affaire CMF c/ Edouard ETONDE EKOTO et LamineMBASSA », Juridis Périodique, janvier-février-mars 2011, pp. 39-57.

284 L’exercice de l’activité de prestataires de services d’investissement sur le marché financier camerounaissuppose l’obtention d’un agrément de la CMF.

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un projet amendé de communiqué relatif aux résultats, communiqué qui sera validé etpublié dans « Cameroon Tribune » du 24 janvier 2011. Du même coup, une demanded’explication sera adressée au DSX qui se cachait derrière de prétendues instructions duMinfi pour violer la loi, en refusant de se soumettre à la CMF, qui est pourtant l’autoritésupérieure du marché.

A son tour, le Minfi convoquera une réunion le 22 février 2011 relative aux 700 millionsde FCFA réclamés par le DSX. A ce sujet, il s’alignera derrière la CMF en refusant de payer,non seulement cette commission, mais aussi tout autre frais d’admission ou de cotation enbourse. A la demande de la SGBC le 24 février 2011, la Caisse Autonome d’Amortissement(CAA), en sa qualité de dépositaire central, entrera en jeu par la prise en charge de l’empruntqui sera effective le 07 mars 2011. Deux mois après la clôture de l’émission, c’est-à-dire le 09mars 2011, le DSX soumettra à la validation de la CMF l’avis de cotation de l’emprunt enviolation de la procédure boursière285. En réponse à ceci, la CMF proposera quelquesmodifications destinées à conformer ledit avis aux normes et usages en la matière. Ladestination de l’emprunt précisée dans un Décret Présidentiel286 n’empêchera pas que laliste publie des montants alloués à certains projets ne correspondant pas au contenu de lanote d’information. Qu’à cela ne tienne, le DSX et la CAA adresseront au Minfi des facturesrelatives à la cotation du titre ECMR 5,6% net 2010-2015 au titre de son introduction287. LeMinfi s’est opposé au paiement de cette grosse somme, tout en sollicitant l’expertise de laCMF pour la tarification applicable.

Le secrétariat général effectuera une mission de contrôle sur le déroulement del’emprunt et constatera un ensemble de manquements et d’irrégularités commis et par larésolution 166/CMF/12, une procédure disciplinaire sera ouverte à l’encontre desditsauteurs. Plusieurs griefs ont été retenus à leur endroit, notamment le fait de se livrer à desactivités de PSI sans habilitation, les manquements aux obligations professionnelles, latentative de se procurer un avantage injustifié, les fausses informations. Ces faits constituentdes violations des articles 21, 32, 35, 37 de la loi de 1999. Plusieurs questions juridiques sedégagent des faits de l’espèce : la place de la CMF par rapport aux autres acteurs dumarché ; de l’habilitation et de l’exercice des services d’investissement ; de la protection de

285 Cette procédure veut que pour toute émission d’emprunt obligataire, l’introduction en bourse et lapremière cotation coïncident avec la clôture de l’opération. Dès lors, les transactions devraient intervenir sur laplateforme du DSX entre les premiers investisseurs ayant acquis les titres durant la période des souscriptions etles nouveaux investisseurs.

286 Décret n° 2011/080

287 Montant total : FCFA 827 161 524, soit 735 961 524 pour le DSX et 91 200 000 pour la CAA.

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l’intégrité du marché. Malgré le caractère vague du texte OHADA évoqué288, il ressort ainside ces décisions un souci permanent pour la CMF de protéger l’intégrité du marché (III),preuve de sa supériorité et de son pouvoir de contrôle sur les autres acteurs du marché (I) etsymbole de l’existence des domaines de compétence réservés de ces acteurs (II).

I- L’affirmation de la suprématie de la CMF sur les autres acteurs du marché

La CMF veille à la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers et tousautres placements donnant lieu à appel public à l’épargne, à l’information des investisseurset au bon fonctionnement des marchés financiers. Dans le cadre de cette mission, et ce,conformément à l’article 21 de la loi du 22 décembre 1999 portant création et organisationd’un marché financier, elle peut :

- ordonner et instruire toute enquête relative au déroulement des négociations, auxpersonnes faisant appel public à l’épargne et aux prestataires de servicesd’investissement ;

- suggérer à l’autorité de tutelle, toute modification des textes concernant l’appelpublic à l‘épargne, les prestataires de services d’investissement et l’entreprise demarché ;

- se faire communiquer tout document et en obtenir copie ;- convoquer et entendre toute personne susceptible de lui fournir des informations ;- demander aux commissaires aux comptes des sociétés faisant appel public à

l’épargne et à ceux des prestataires de services ou à tout autre expert comptable deprocéder à toute analyse complémentaire ou vérification qu’elle juge nécessaire àl’exécution de sa mission. Les frais, les honoraires, et débours sont à la charge de lasociété émettrice ou du prestataire de services d’investissements.

La Commission est donc habilitée à recevoir de toute personne les réclamations et plaintesqui entrent par leur objet dans sa compétence et à leur donner la suite qu’elles requièrent.Elle est habilitée, pour l’exercice de sa compétence, à prendre des décisions de portéegénérale ou individuelle. Elle se place par là au dessus des autres acteurs du marché qu’elleest censée contrôler.

On peut donc regretter dans ces décisions que cette hiérarchisation ne soit pasrespectée. On voit à cet effet que les injonctions de la CMF adressées au consortium de seconformer à la réglementation, notamment en respectant ses obligations de transparencevis-à-vis d’elle et des clients sont restées lettres mortes. Même s’il est vrai que notre marché

288 Les « articles 121 et suivants code OHADA » ont été visés sans aucune précision. Or il faut ici préciser lestextes OHADA dont il est question.

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est naissant, cela ne va pas justifier la violation de la réglementation. La CMF occupe uneplace de choix sur le marché au regard de sa mission de protection de l’épargne. Leconsortium est alors tenu de communiquer les informations exigées et les documentscomplémentaires289 dans le délai requis par le régulateur. C’est donc à tort qu’il pense que lecontrat est l’affaire des parties pour exclure le régulateur qui a compétence de connaitretoute opération d’appel public à l’épargne ainsi que les activités des opérateurs qu’elleagréé.

Certes, l’émetteur est l’Etat et conformément à l’article 12 al. 3 de la Loi du 22décembre 1999, il n’est pas soumis à l’obligation d’établir un document d’informationlorsqu’il fait appel public à l’épargne. Si le consortium se fonde sur cette disposition pour nepas se soumettre aux instructions de la CMF, ce serait ignorer que le Règlement Général de laCMF290 soumet les emprunts de l’Etat à l’exigence de publication d’une note d’information291.Ce n’est que cette note d’information qui est dispensée du visa. D’ailleurs, cette dispense devisa est compensée par l’exigence d’une garantie de l’Etat. C’est dire finalement que lacommunication de l’information est une exigence fondamentale du fonctionnement desmarchés financiers au regard des enjeux sécuritaires présents.

En restant au plan de la hiérarchisation entre les acteurs du marché financier, il estimportant de s’interroger sur la place du Minfi. Est-il supérieur à la CMF ? Certainesdécisions y font penser. C’était déjà le cas dans l’emprunt obligataire de la CUD Finance SAqui avait été voué à l’échec. L’autorité de la CMF était ainsi sapée. Parmi les causes, on peutévoquer notamment le vice de procédure dans la mise en place des institutions du marché.

En effet, dans la procédure normale, la mise en place de l’autorité de contrôle doitprécéder celle des structures centrales du marché. Or, il s’est avéré que la mise en place duDSX a précédé celle de la CMF qui est chargée du contrôle de la régularité des opérations dumarché.

Qu’en est-il vraiment au plan de la loi ?

289 Il s’agit ici notamment de la convention d’arrangeur chef de file signée avec l’Etat et toute autre conventionfaisant partie intégrante de la note d’information et dont l’absence pourrait justifier le rejet du dossier par laCMF

290 Voir son article 31

291 Cette note d’information doit renseigner sur la référence explicite de la garantie de l’Etat, une descriptiondes titres offerts et leurs conditionnalités, le prix unitaire de chaque titre, le but et la destination des fondscollectés, le plan de distribution des titres dans le public, les modalités de rémunération de l’emprunt contractépar ces titres.

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Le Minfi assure la tutelle du marché financier camerounais et donc a une certaineautorité sur la CMF. Mais elle ne doit pas, sous prétexte de cette tutelle, porter atteinte àl’indépendance de la CMF qui est garantie par la loi du 22 décembre 1999. En effet, la fortedélégation de pouvoirs de l’Etat à la CMF a pour contrepartie la présence du Minfi. Cedernier ne doit, pour autant pas, atteindre l’indépendance de la CMF qui a le pouvoir decontrôle. Le consortium ne semble pas le comprendre, dès lors qu’il tente de justifiercertains de ses manquements par les instructions du Minfi, notamment l’inopportunité etl’irrégularité de la facture de FCFA 700 millions qu’il s’apprêtait à payer au DSX au titre descommissions de centralisation des souscriptions. Le Minfi prend ainsi conscience des largespouvoirs dévolus à la CMF, car dans l’affaire CMF/CUD Finance SA, il semblait compromettrecette indépendance. En effet, dans cette affaire, les multiples injonctions de la CMF à la CUDFinance SA pour la réparation des différents manquements constatés étaient restées lettremorte. Le Minfi de cette époque avait soutenu le dirigeant des sociétés IROKO, PSI nonagréé, ni habilité par la CMF, qui était responsable du montage des opérations enpromettant « d’instruire la CMF d’infléchir sa position en leur faveur ». C’était ignoré que laCMF est au centre de la sécurité des marchés. La sanction de la CMF permet ici de montreraux yeux du marché qu’elle est supérieure aux autres acteurs du marché. C’est d’ailleurs à cetitre qu’elle assure le contrôle de l’exercice des activités des PSI.

II- La condamnation de la violation du monopole des PSI par le DSX

Si les PSI s’intègrent dans la catégorie des acteurs du marché financier, lesentreprises de marché en constituent plutôt le personnel. Ce qui de prime abord supposel’existence d’un domaine de compétence propre pour chacun. En effet, les entreprises demarché (DSX dans le marché financier camerounais) sont des sociétés commerciales, qui ontpour activités principales, d’assurer le fonctionnement d’un marché réglementéd’instruments financiers. Elles servent un intérêt collectif, l’intérêt du marché dont ellesassurent le bon fonctionnement. Elles sont chargées d’élaborer les règles du marché.L’exercice de ce pouvoir n’est pas sans contrôle puisque les règles de marché doivent êtreapprouvées par la CMF. Ce contrôle intervient tant au moment de leur édiction initiale quede leurs modifications, étant donné qu’elles doivent permettre de garantir unfonctionnement régulier des négociations. Bien plus, l’admission et le maintien commemembre d’un marché réglementé relèvent de la compétence des entreprises de marché.Elles prennent toutes décisions en matière d’admission des instruments financiers auxnégociations et de radiation. Ces pouvoirs ne sont pas sans limites car ces dernièresdécisions sont prises sous réserve du droit d’opposition du gendarme de la bourse. Lesentreprises de marché sont chargées également d’assurer le suivi des activités desintermédiaires financiers, de gérer et de surveiller le marché.

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Par ailleurs, la fourniture des services d’investissements292 est réservée à desprofessionnels des marchés. Il s’agit des PSI. Ces derniers composent avec les autorités derégulation qui régissent ces activités et en contrôle l’exercice pour constituer les acteurs dumarché financier. Les autorités de marché ont donc compétence pour définir les règles debonne conduite et autres obligations professionnelles que doivent respecter tous lesprofessionnels du marché. Il existe une pluralité de services d’investissement :l’intermédiation aux fins de négociation d’instruments financiers, aux fins de placementd’instruments financiers et aux fins de gestion de portefeuille ; les activités de négociationpour compte propre.

Il apparait ainsi qu’il existe une ligne de démarcation du champ de compétence dechacun. Alors comment comprendre que la violation du monopole des PSI ait été possiblepar le DSX qui a son domaine de compétence propre ? Y a-t-il des interférences entre lesdeux champs ?

A notre avis, nous ne le pensons pas. Tout part d’une confusion de la part du DSX,confusion heureusement soulevée par la décision de la CMF entre la centralisation des ordreset la centralisation des souscriptions. En effet, si la première est de la compétence du DSX, laseconde ne l’est pas.

La centralisation des ordres consiste en la convergence des ordres du marché en unmême lieu et procure à tous les intervenants la garantie d’une information égalitaire et ladétermination d’un prix unique sur le marché. Elle suppose une concentration des ordres etune unicité de la cotation ceci afin de dégager le juste prix293. L’organisation centralisée dumarché rend donc possible la naissance d’un « juste prix ». Elle permet de traiter de manièreégalitaire tous les investisseurs et bénéficie principalement à la partie faible, dans la mesureoù, le prix de la transaction est le même pour toutes les catégories d’investisseurs294. Parexemple, sur le DSX, les ordres doivent être transmis du donneur d’ordres à l’intermédiairePSI ; ces ordres doivent indiquer le sens de la négociation (achat ou vente) et bien d’autresexigences. Ils doivent ensuite être présentés sur le marché central situé sur le DSX par le PSI ;

292 Les services d’investissements consistent, pour l’essentiel, en des activités d’intermédiation financière, leprestataire intervenant pour le compte d’un tiers investisseur ou émetteur, plus rarement sont les activitéspour compte propre.

293 Sur les marchés centralisés conditionnés par le principe d’égalité devant les prix, le juste prix esttraditionnellement le prix unique, applicable à tous les intervenants quel que soit leur statut et le montant del’opération. Au plan économique, le juste prix est le prix résultant de la confrontation des ordres sur lesmarchés centralisés.

294 Les investisseurs sont informés sans asymétrie d’information.

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c’est ici que va se faire la cotation, c’est-à-dire la confrontation de l’offre et de la demandede titres afin de déterminer un cours de référence.

La centralisation des souscriptions, quant à elle, est un service d’investissement quiconsiste à rechercher des souscripteurs ou des acquéreurs pour le compte d’un émetteur oud’un cédant d’instruments financiers. Il s’agit plus concrètement de l’intermédiation au titrede placement. C’est une activité qui entre dans le domaine réservé des PSI. On ne peut, pardes accords de place non entérinés par le régulateur, violer le monopole des PSI, et demanière globale, la réglementation boursière. Nous pensons d’ailleurs que des accords deplace entérinés par le régulateur ne pourraient être admis, ce d’autant plus il y a un ordrepublic en jeu sur lequel on ne saurait transiger. Le DSX n’est même pas habilitée à faire lesservices d’investissement.

Cette décision soulève donc à juste titre la violation du monopole des PSI parl’entreprise de marché. Cette atteinte au monopole des PSI punit le fait :

- de fournir des prestations d’intermédiation financière à des tiers à titre deprofession sans y être autorisé ;

- d’effectuer des négociations ou des cessions portant sur des valeurs mobilièresadmises aux négociations sur un marché sans recourir à un PSI.

Dans le cas précisément de cette affaire, le DSX a fourni des services d’investissementssans y être autorisée. L’autorisation s’obtient par la voie de l’agrément de la CMF295. Cettedernière fait bien de tracer ici une ligne de démarcation entre la centralisation des ordresqui est de la compétence du DSX, et la centralisation des souscriptions, qui est une activitéde placement dévolue aux PSI. La connaissance par la CMF du déroulement de lacentralisation des souscriptions par le DSX ne constitue pas un acquiescement ou uneapprobation, ce d’autant plus qu’elle a explicitement demandé au DSX de se retirer d’unprocessus qui ne la concerne pas. La CMF a ainsi prononcé à l’encontre du DSX une amendede 500 000 fcfa qui correspond au minimum prévu par la loi296. Elle tient probablementcompte ici du caractère embryonnaire de notre marché et se refuse de sanctionner trèsrigoureusement. Le consortium a donc eu tort de faire du DSX un PSI.

295 L’agrément du PSI sur le marché financier Cameroun obéit à une procédure bien organisée. La sociétécandidate fournit un dossier qui doit faire montre de garanties suffisantes en termes financiers (fonds propresminimum 100 millions), en termes de moralité (les dirigeants doivent faire preuve de bonne moralité etd’intégrité ; pour cela, ils doivent produire leur casier judiciaire et s’engager à respecter la réglementation).

296 L’article 35 de la Loi du 22 décembre 1999 prévoit comme sanction pour atteinte au monopole des PSI uneamende de 500 000 f à 5 000 000 de fcfa

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Cette infraction avait également été commise dans l’affaire de l’emprunt obligataire dela CUD Finance SA. Cette dernière avait attribué volontairement et délibérément un mandatde PSI aux sociétés IROKO FINANCIAL PRODUCT, IROKO FINANCIAL SECURITIES LTD et leurdirigeant M. François EKAM-DICK, personnes non agréées, ni habilitées par la CMF pour lemontage d’une opération d’appel public à l’épargne au Cameroun, en l’occurrence,l’émission et l’introduction en bourse de titres représentant un emprunt obligataire de 16milliards en sa faveur. Heureusement que ces faits avaient été sanctionnés par la CMF quiavait globalement, au regard des différentes irrégularités constatées pris l’option de retirerle visa octroyé à la CUD Finance S.A. Elle a, par là, contribué à préserver l’intégrité du marchéfinancier camerounais.

III - Le souci de la CMF de construire un marché intègre

L’intégrité des marchés dépend naturellement de la qualité de l’information. Ellesuppose la régularité des opérations qui postule que des personnes ne tirent pas avantaged’une information dont elles connaissent la fausseté ou dont elles sont les seules à disposer.L’instauration d’une morale des affaires passe par la sanction297 de ceux qui ne respectentpas les règles du jeu et tentent de fausser le marché. C’est ce que fait la CMF dans le cadrede ces affaires en sanctionnant les infractions et les manquements commis dans le cadre decet emprunt.

A- La sanction des dirigeants pour manquements professionnels : Manquements duDSX à ses obligations professionnelles

La communication d’informations est l’une des exigences fondamentales desmarchés financiers. L’importance de l’information se situe dans le fait que chacun devraitinvestir ou désinvestir en connaissance de cause. L’information va donc permettre d’opérerdes choix judicieux. Il faut bien noter qu’il s’agit d’une information qui satisfait aux exigencesde qualité, notamment elle doit être exacte, actuelle, sincère.

Or le fait pour le DSX de comptabiliser les revenus hypothétiques dans la productionde ses résultats est un manquement, car l’information comptable ici n’est pas exacte etsincère. Les résultats bénéficiaires qu’elle présente sont irréguliers, car ils ne reflètent pas laréalité de la situation de l’entreprise de marché.

Nous nous opposons ainsi à la décision de la CMF qui a été indulgente à l’égard de cesfaits. Sur quoi fonde-t-elle cette indulgence ? Ne s’agit-il pas d’infractions graves ? Au regard

297 Le pouvoir de sanction du régulateur du marché est à n’en point douter un élément majeur de la crédibilitéde la place financière : DARIOSECQ (S), « Le pouvoir de sanction de l’AMF : évolutions importantes », Bull ; Jolybourse, fév. 2011, p. 115.

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des missions de la CMF, a-t-elle estimé que ces infractions n’entravent-elles pas le bonfonctionnement du marché ?

Il nous semble qu’il faille mieux sanctionner si nous voulons faire régner l’ordre surnotre marché. Certes, son indulgence est justifiée par le faible dynamisme de notre marché,mais on peut penser que la régularité des opérations sur le marché est également un facteurde dynamisme. Il vaut mieux normaliser les choses dès le départ sans complaisance aucuneafin d’assainir l’environnement. Il y va du bon fonctionnement de notre marché financier.

B - La sanction des manquements des PSI à leurs obligations de transparence

Les PSI sont assujettis à des obligations dont l’irrespect constitue un manquement. Ilconsiste à :

- fausser le fonctionnement du marché ;- procurer un avantage injustifié aux personnes qui ne l’auraient pas obtenu dans le

cadre normal du marché ;- porter atteinte à l’égalité d’information et de traitement des investisseurs ou à leurs

intérêts ;- faire bénéficier les émetteurs et les investisseurs de pratiques contraires à leurs

obligations298.Les sanctions encourues sont les suivantes 299: la mise en garde, l’avertissement, le

blâme, la suspension pour une durée ne pouvant excéder un an, de tout ou partie desservices d’investissement, à l’exception des opérations strictement nécessaires à lapréservation des intérêts de la clientèle et le retrait de l’agrément.

Il nous semble que ces faits peuvent bel et bien être reprochés au consortium. En effet,après la présentation de la note d’information relative à l’émission de l’emprunt obligatairede l’Etat Camerounais, la CMF a requis des informations et documents complémentaires àlui faire parvenir absolument dans des délais précis. Parmi ceux-ci figurait notamment laconvention de mandat d’Arrangeur-Chef de file signée avec l’Etat ainsi que toute conventionfaisant partie intégrante de la note d’information. Malgré les instructions de la CMF, la noted’information requise n’a pas été amendée dans le sens voulu par celle-ci. De plus, la CMFn’a pas été informée de la signature d’une convention de syndication entre le consortium etles huit PSI, de même que les avenants à la convention de syndication signés avec l’ensembledes établissements placeurs de l’émission n’ont pas été présentés à la CMF. Ces faits duconsortium faussent bien évidemment le fonctionnement du marché. De plus, ils font

298 Art. 32 al. 1er, loi camerounaise du 22 décembre 1999 portant création et organisation d’un marchéfinancier.

299 Art. 32 al. 2, loi op. cit.

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bénéficier les émetteurs de pratiques contraires à leurs obligations, celles de latransparence.

Le fait pour la CMF d’adresser au consortium des avertissements et de prononcer àleur encontre une amende de 1 000 000 FCFA est justifiée par le fait qu’en matièreboursière, les sanctions administratives peuvent se cumuler avec les sanctions pénales sanspréjudice de la violation de la règle ‘’non bis in idem’’.

Bien plus, le droit des marchés financiers punit, sous le couvert de manquement desPSI à leurs obligations professionnelles, le fait pour ceux-ci de procurer un avantage injustifiéaux personnes qui ne l’auraient pas obtenu, dans le cadre normal du marché. Dans le cadrede cette affaire, ces faits peuvent être reprochés au consortium. Ici des missions quirelèvent des attributions d’arrangeur ont été attribuées à tort à un tiers non-PSI en violationde la convention de mandat d’arrangeur. Il s’agit du DSX qui, d’ailleurs, revendique à ce titrele paiement d’une commission de 700 millions. Le consortium a ainsi, par ces actes, tenté300

de procurer au DSX non-PSI un avantage qu’elle n’aurait pas obtenu dans le cadre normal dumarché. La demande par le DSX d’une commission de 700 millions constitue une tentativede se procurer un avantage qu’elle n’aurait pas obtenu dans le cadre normal du marché. Y-a-t-il une tentative de détournement de deniers publics comme le prétend le DSX ? Il ne noussemble pas car nous sommes dans le champ du droit pénal boursier et ces faits sontconstitutifs d’infractions sur les marchés. C’est donc à raison que la CMF a sanctionné leconsortium pour ce délit.

B - La sanction de la diffusion des fausses informations

Le délit de diffusion de fausses informations se définit comme « le fait pour toutepersonne qui diffuse sciemment dans le public des informations fausses ou trompeuses sur lasituation ou les perspectives d’un émetteur dont les valeurs mobilières sont négociées sur lemarché, de nature à agir sur les cours, ou qui entrave ou tente d’entraver, par manœuvre detoute nature, le bon fonctionnement du marché »301.

La définition globale du délit commande de retenir deux notions : les informationsfausses, c’est-à-dire mensongères et les informations trompeuses, c’est-à-dire dolosives.Elles englobent les informations non totalement fausses, mais, également celles qui peuventêtre présentées de façon à fausser l’appréciation de l’investisseur. Une informationformellement exacte mais donnant une perception trompeuse de l’évolution des courspermet la répression de ses auteurs302. Ainsi, constate-t-on que le domaine de l’information

300 Au plan pénal et conformément à l’article 94 du code pénal, la tentative est punissable.

301 Art. 37, loi Camerounaise du 22 décembre 1999.

302 CA Paris, 26 sept. 2003, Soulier c / SA Flammarion, D. 2004, p. 1802 et s., obs. Y. REINHARD.

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trompeuse excède celui de l’information inexacte. Au plan matériel, le délit est constituéd’une part, par la nature des informations et d’autre part, par la diffusion de cesinformations.

L’information appréhendée est définie de par son objet et son caractère. Il doit s’agird’une information portant sur les perspectives ou sur la situation d’un émetteur dont lestitres sont négociés sur le marché ou sur les perspectives d’évolution d’un instrumentfinancier admis sur un marché.

Cette information diffusée doit être fausse, c’est-à-dire inexacte ou trompeuse, cequi permet d’incriminer la diffusion d’informations qui, sans être inexactes, sont présentéesde telle manière qu’elles sont susceptibles d’induire en erreur leurs destinataires. Aucunrésultat tangible n’est donc requis.

La diffusion de l’information se fait par tout moyen permettant d’atteindre le public :publication d’articles de presse, distribution des tracts, propos tenus à l’occasion d’uneémission de radio ou de télévision, Internet etc. Deux précisions sont ici importantes tant surla diffusion que sur les destinataires de l’information diffusée.

Sur la diffusion, il faut relever que seul le fait de ‘’répandre’’ l’information estappréhendé. Il s’agit d’un acte de commission. De ce fait, on peut penser que le fait delaisser répandre une information fausse sans la démentir n’est pas saisi, dans la mesure où ilne pèse pas sur les émetteurs l’obligation de contrôler les informations que la presse choisitde communiquer en dehors de leurs communiqués.

Relativement aux destinataires, il faut relever que la notion de ‘’public’’ est difficile àinterpréter. Plusieurs interrogations se font pressantes. L’information diffusée dans le publicest-elle opposée à celle diffusée dans un cercle restreint au sens de la définition de l’appelpublic à l’épargne ? Un seuil quantitatif doit-il être posé ?

La question ne peut être résolue qu’au regard de la finalité de l’interdiction. Etantdonné qu’il s’agit d’une disposition répressive, on peut penser que le législateur a vouluprotéger l’intérêt général, donc le fonctionnement normal du marché et non lesdestinataires de l’information. D’ailleurs, ces derniers peuvent en cas de besoin agir plutôtsur le terrain de la responsabilité civile délictuelle. Ainsi, ne doit être appréhendé qu’unediffusion pouvant avoir un impact sur les cours des titres, soit en raison de la qualité desdestinataires, soit en raison de leur quantité. A cet effet, la diffusion auprès d’une seulepersonne, dont la surface financière pourrait, en intervenant sur le marché, faire évoluer lecours des titres, devrait être sanctionnée303.

303 Th. BONNEAU et F. DRUMMOND, Droit des marchés financiers, Economica, 2005, p.469.

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La fausse information peut se matérialiser ici notamment par le fait que leconsortium ait mentionné dans la note d’information l’existence d’une convention deprélèvement entre l’Etat et la BEAC alors qu’en ce moment là, celle-là n’était pas encoresignée. Elle ne le sera que plus de trois mois après. Le consortium a ainsi trompé la CMF etmême le public, l’enjeu étant de faire croire à la crédibilité de l’opération. Cette informationmensongère est sanctionnée à juste titre par la CMF, ce qui montre l’attention et le contrôlevéritable qu’elle assure sur le fonctionnement du marché.

Cette infraction a déjà été mise en œuvre dans le droit camerounais. Dans l’affaire del’emprunt obligataire de la CUD Finance, la CMF soutient qu’en violation de l’article 37 de laloi du 22 décembre 1999, la société IROKO et ses dirigeants avaient diffusé des informationstrompeuses sur le résultat de placement des titres en déclarant une sursouscription fictivedans le but de faire croire à un engouement public vis-à-vis de l’opération et ainsi manipulerle marché304.

En fin compte, il faut relever que la première initiative de l’emprunt obligataire sur lemarché financier camerounais, celui de la « CUD Finance SA », était malheureuse et devraitplutôt servir d’avertissement pour les prochaines opérations d’emprunt. Il est donc curieuxde savoir que par la suite, les mêmes erreurs sensiblement sont commises dans l’empruntobligataire de l’Etat Camerounais. Or, nous savons que l’emprunt obligataire est unmécanisme bien réglementé par les textes régissant les marchés qui placent la CMF aucentre du bon fonctionnement de l’opération. On comprend du coup l’intérêt de cesdécisions. La CMF semble avoir pris décidément les choses en main et n’entend pas laisserpasser des comportements qui entraveraient le bon fonctionnement du marché. Il y a doncurgence pour tous les acteurs, le personnel et les opérateurs du marché de se ranger du côtéde la loi, en respectant chacun ses obligations. L’intégrité et le dynamisme du marché sont àce prix.

304 La Lettre de la Bourse n° 062 du 20 juillet 2009, p.8.

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« ONT SOUTENU »

1 - Le 24 mars 2016 à 10 heures à l’Université de Yaoundé II, Madame GUILIWAL ABIGBONG épse ATEBA Georgette Suzanne a soutenu sa thèse de Doctorat / Ph. D en Droitprivé intitulée : « Les principes de la responsabilité du transporteur dans l’espace CEMAC ».

COMPOSITION DU JURY:

Président :- Pr Adolphe MINKOA SHE, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire à

l’Université de Yaoundé II

Rapporteurs :- Pr Jean GATSI, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire, Université de

Douala- Pr Eloie SOUPGUI, Maître de Conférences-Agrégé, Université de Yaoundé II

Membres :- Pr Robert NEMEDEU, Maître de Conférences-Agrégé, Université de Yaoundé II- Pr Victor-Emmanuel BOKALLI, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur Titulaire,

Université de Yaoundé II, Directeur de thèse.

La candidate a obtenu la mention «Très honorable »

RESUME

La responsabilité du transporteur maritime, terrestre ou aérien naît de plein droit en casd’inexécution de son obligation de déplacer les biens ou les personnes d’un lieu à un autre,conformément au contrat de transport.

Cette étude vise à identifier les principes qui régissent les deux types de responsabilitédu transporteur et à contribuer à la réflexion sur l’uniformisation de leurs divers régimesdans la zone CEMAC. Dans cette optique, il a été donné de constater qu’il existe une cloisonentre les deux régimes: ils reposent sur des fondements différents à savoir la faute et lerisque. À cet effet, d’après l’analyse des textes en vigueur dans la CEMAC, aussi bien lesconventions internationales, communautaires que les législations nationales, laresponsabilité du transporteur des marchandises est fondée sur la preuve de sa faute. Lafaute contractuelle y apparaît comme la violation d’une norme de comportement autonomede l’inexécution. Elle est le moyen de modulation de son obligation à la réparation. Ainsi, le

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transporteur fautif a le droit à la limitation de responsabilité lorsque sa faute n’est pas grave.Cependant pour un équilibre des intérêts des parties, il parait nécessaire de rehausser lesplafonds de réparation.

En revanche, la responsabilité du transporteur des passagers, à l’issue des interventionsdoctrinales jurisprudentielles et législatives au début XXe siècle, est fondée sur le risque.Tenu d’une obligation de sécurité de résultat envers le passager, le transporteur grâce àl’assurance répond du risque qu’il crée ou du profit qu’il tire de son activité,indépendamment de sa faute. Cependant, le risque ne fait pas l’unanimité dans les diversmodes de transport ; alors que les transports routiers et aériens à la pointe le consacrentcomme fondement, les transports ferroviaires et maritimes en sont encore à la traîne. Ildevient nécessaire, au mépris des causes d’exonération, de répandre la prise en compte durisque dans tous les modes. L’uniformisation du régime de responsabilité du transporteurdes passagers est à ce prix.

2 - Monsieur TSAGMOTAMEKO Emmanuel a soutenu à l’Université de DSCHANG une thèsede Doctorat/Ph.D en droit privé, le 25 Juin 2016, sur le thème : « Le raisonnable dans lecontrat de vente commerciale en Droit OHADA : essai d’une théorie ».

Il a obtenu la mention « Très Honorable, avec les félicitations du jury » à l’unanimité,devant un jury composé ainsi qu’il suit :

Président :- Doyen MODI KOKO BEBEY Henri Désiré, Agrégé des facultés de Droit, Professeur

Titulaire, Université de Dschang

Rapporteurs :- Pr MIENDJIEM Isidore Léopold, Maître de Conférences-Agrégé, Université de

Dschang ;- Pr KENFACK Pierre-Etienne, Maître de conférences-Agrégé, Université de Yaoundé II- Pr NTONO TSIMI Germain, Maître de Conférences-Agrégé, Université de Yaoundé II

Membres :- Pr JIOGUE Grégoire, Agrégé des facultés de Droit, Professeur Titulaire, Université de

Yaoundé II, Codirecteur de thèse- Pr NGUIHE KANTE Pascal, Maître de Conférences, Université de Dschang,

Codirecteur de thèse

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Résumé de la thèse

Si en droit certaines notions représentent des concepts clairs et à contenu immuable,d’autres évoquent des phénomènes aux contours plus flous et au contenu variable. Au rangde ces derniers, le « raisonnable » occupe une place de choix.

Soucieux de créer un environnement juridique propice au développement de sesÉtats membres par la modernisation de son droit des affaires, le législateur de l’OHADA s’estpermis de s’approprier le standard du « raisonnable », règle de droit économique,instrument valorisé comme propre au commerce international. En s’inspirant de laConvention de Vienne sur la vente internationale des marchandises, il n’a pas manquéd’innover pour permettre au raisonnable de présenter des fonctions singulières en droitOHADA de la vente commerciale.

En effet, si l’incitation au contrat raisonnable est l’objectif que vise le droit ducommerce international, l’élaboration de la vente commerciale raisonnable et son exécutionraisonnable constituent pour le droit de l’OHADA des objectifs à atteindre, pour lapropulsion du développement en Afrique. C’est ainsi qu’en scrutant le Livre VIII de l’Acteuniforme portant sur le droit commercial général, on note que, loin d’être une lubied’internationaliste, le raisonnable est un standard opérationnel. Il est un modèle deréférence tant des commerçants contractants que de gestion de la vente commerciale. Il estégalement un critère qui permet au mieux de déterminer les obligations convenues etimposées des parties au contrat de vente commerciale OHADA.

Ainsi, à l’aide de la personne raisonnable est apprécié, non seulement le modèle decommerçant, mais également, la volonté des parties à la vente commerciale. Passentégalement au crible du raisonnable l’appréciation des délais de formation et d’exécution ducontrat de vente en droit commercial de l’OHADA, l’appréciation de l’inexécution nonfautive et l’évaluation des conséquences financières de l’inexécution fautive. Dans cettelogique, sont évaluées à l’aune du raisonnable, les mesures relatives à la limitation despertes ou à la préservation des gains et les mesures visant à minimiser le risque de perte oude détérioration des marchandises.

3 - Monsieur NGUIFFEUTAJOUO Eddy a soutenu une thèse de Doctorat/Ph.D préparéeen cotutelle internationale entre les Universités de Dschang et Paris I Sorbonne, le 22Octobre 2015 à l’Université de Paris I Sorbonne sur le thème « Les intermédiaires decommerce en droit de l’OHADA, essai d’une théorie générale de la représentationcommerciale ».

Il a obtenu la mention « Très Honorable avec les félicitations du jury » à l’unanimité.

Le jury était composé ainsi qu’il suit :

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Président : M. GHOZI Alain, Professeur émérite, Université Paris 2 Panthéon-Assas(France)

Rapporteurs : M. MODI KOKO BEYBEY Henri Désiré, Professeur Agrégé, Université deDschang (Cameroun)

M. TCHENDJOU Marius, Maître de Conférences, Université de Reims (France)

Membres : Mme KALIEU ELONGO Yvette Rachel, Professeur Agrégée, Université deDschang, (Cameroun)

M. DELEBECQUE Philippe, Professeur Agrégé, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne,(France)

RÉSUMÉNée dans un contexte de mondialisation et d’ouverture des économies nationales à la

concurrence, l’OHADA a pour principal objectif d’instaurer un climat de confiance propiceaux investissements tant nationaux qu’internationaux. Pour atteindre cet objectif, lelégislateur s’est engagé dans un vaste chantier de modernisation et d’harmonisation du droitdes affaires au sein des États membres. L’un des choix les plus complexes était celui desacteurs et professionnels chargés d’implémenter cette dynamique. Les intermédiaires decommerce ont ainsi été retenus, en lieu et place des auxiliaires de commerce, pour déployerla représentation commerciale au sein des États membres et en dehors des frontières del’espace de l’OHADA.

La présente réflexion, au regard de ce qui précède, a eu pour objectif de rechercher lacohérence entre le statut professionnel des acteurs et le régime juridique de l’activité dereprésentation commerciale en droit de l’OHADA. Il s’agissait également d’évaluer le degréde pertinence du dispositif juridique mis en place pour encadrer la professiond’intermédiaire de commerce. La diversité qui caractérise cette catégorie professionnelledans la pratique imposait une démarche globale et prudente pour parvenir à lareconnaissance juridique de la catégorie professionnelle d’intermédiaire de commerce endroit de l’OHADA. Le contrat d’intermédiaire de commerce, bien que simplement annoncé,préconise d’importantes solutions théoriques et pratiques pour y parvenir.

Dans ce contexte, la profession d’intermédiaire de commerce en droit de l’OHADAmérite d’être repensée. En effet, le foisonnement des statuts particuliers autour de la notiond’intermédiaire a contribué au renforcement de l’opacité de cette catégorie professionnelle.Il n’est pas toujours aisé de faire la distinction entre mandat, représentation, courtage,commission ou même agence commerciale. Ces notions renvoient à des réalités diverses,chacune se défendant une spécificité que la doctrine et la jurisprudence ont parfois

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contribué à renforcer. Et c’est pour démêler l’écheveau que nous avons suggéré quelquespropositions.

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Lu pour vous

Le Droit des procédures collectives de l'OHADA

L’entreprise est constamment soumise aux divers changements que subitl'environnement dans lequel elle évolue. En conséquence, le droit des procédures collectivesest en recherche constante d'adaptation pour en tenir compte. La poursuite de cet objectifd'adaptation rend souvent nécessaire une modification de ses règles.

Le droit des procédures collectives de l'OHADA, en dépit de sa relative jeunesse - lepremier Acte uniforme date seulement de 1998 - n'a pas échappé à ces contraintes. C'est

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dans ce contexte qu'il faut placer la réforme du droit des procédures collectives intervenuele 10 septembre 2015 et entrée en vigueur le 24 décembre 2015.

L'Acte uniforme révisé s'est donné des nouveaux objectifs : la préservation desactivités économiques et des niveaux d'emplois des entreprises en difficultés ; leredressement rapide des entreprises encore viables ; l'accélération et la simplification desprocédures applicables aux petites entreprises, la professionnalisation des professionnelsintervenant dans les différentes procédures, etc….

La traduction de ces objectifs a abouti à la modification profonde de certainesdispositions légales anciennes, d’une part ; d’autre part, à la confection des nouvelles autres.Ces modifications et innovations touchent aussi bien au niveau des règles de fond que desrègles de procédure.

En introduisant une nouvelle procédure (la conciliation) et en simplifiant pourcertaines catégories d'entreprises les procédures de règlement préventif, de redressementet de liquidation, le nouvel Acte uniforme recherche assurément une plus grande efficacitédans le traitement des difficultés des entreprises, et une plus grande maîtrise dans le tempsdu déroulement des procédures. Cette recherche d'efficacité se prolonge dans le nouveaurégime applicable aux mandataires judiciaires.

La nouvelle définition de la cessation des paiements, pour sa part, s'explique, nonseulement, par le souci de s'arrimer aux autres législations, mais aussi, celui d'appréhenderavec plus de justesse les situations qui méritent le recours au régime des procédurescollectives.

Le nouvel Acte uniforme s'et aussi préoccupé du sort de certains créanciers auquel ila apporté une attention particulière, sans remettre totalement en cause le principe d'égalitédes créanciers, condition nécessaire à l'efficacité de toute procédure collective.

Tout en mettant en exergue ces nouvelles règles et bien d'autres, l'ouvrage relève,pour en apprécier la pertinence ou en critiquer le maintien, les solutions qui restentinchangées dans le nouvel Acte uniforme.