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Bimestriel du Réseau Anact pour l’amélioration des conditions de travail ARGUMENTS (P. 4 À 7) Jean-Marie Bailly (CFE-CGC), Andrée Perreau (CFDT), Christophe Treger (CGPME), Marie Saint-Vincent et Georges Toulouse (IRSST-Québec), Nicole Vézina (université du Québec), Jean-Claude Sagot (UTBM) et Karine Chassaing (IPB) CÔTÉ ENTREPRISES (P. 8 À 13) Services TMS : une entreprise bien affranchie Artisanat Muska, planche de salut pour l’artisanat du surf Sanitaire et social Laver plus blanc prévient les douleurs du dos Agroalimentaire Pas de coulant dans la bataille ergonomique Automobile Une pédagogie très Net au service du geste Industrie La santé au travail comme ligne de conduite du 17 au 25 juin 2010 Travail & Revue de la qualité de vie au travail N° 331 MAI/JUIN 2010 CHANGEMENT Prévention des troubles musculosquelettiques : comment innover? • conception • organisation • management

N° 331 MAI/JUIN 2010 Revue de la qualité de vie au travail

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Page 1: N° 331 MAI/JUIN 2010 Revue de la qualité de vie au travail

Bimestriel du Réseau Anact pour l’amélioration des conditions de travail

ARGUMENTS (P. 4 À 7)

Jean-Marie Bailly (CFE-CGC), Andrée Perreau (CFDT), Christophe Treger (CGPME), Marie Saint-Vincent et Georges Toulouse (IRSST-Québec), Nicole Vézina(université du Québec), Jean-Claude Sagot (UTBM) et Karine Chassaing (IPB)

CÔTÉ ENTREPRISES (P. 8 À 13)

ServicesTMS : une entreprise bien affranchieArtisanatMuska, planche de salut pour l’artisanat du surfSanitaire et socialLaver plus blanc prévient les douleurs du dosAgroalimentairePas de coulant dans la bataille ergonomiqueAutomobileUne pédagogie très Net au service du gesteIndustrieLa santé au travail comme ligne de conduite

du 17 au

25 juin 2010

Travail&

Revue de la qualité de vie au travailN° 331 MAI/JUIN 2010

CHANGEMENT

Prévention des troublesmusculosquelettiques :comment innover?• conception• organisation• management

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2 TRAVAIL ET CHANGEMENT N°331 • mai/juin 2010

ENJEUX ENJEUX

vail, des équipements… sont des oppor-tunités majeures pour traiter et prévenirles TMS. Mais lorsque l’entreprise lesconduit uniquement comme des projetsd’investissements techniques, elle passeà côté d’occasions d’innover en matièred’organisation. Or, nous plaidons pour uneinnovation pleine et entière, qui prend encompte les dimensions organisationnelle,humaine, managériale et sociale d’un pro-jet. Effets d’une évolution de cadence, d’unchangement de produit, d’une nouvellerépartition des tâches… : tout cela doitêtre anticipé et organisé le plus en amontpossible du projet. »

> Salariés mieuximpliqués, entreprisedécloisonnéeL’innovation va parfois se cacher dans denombreux détails des pratiques quoti-diennes de travail. Il est donc fondamentalque le salarié soit associé à la démarche.« La maîtrise d’ouvrage sous-estime sou-vent l’importance des connaissancesdétenues par les salariés, insiste RomainChevallet. Elle ne sait pas non plus tou-jours comment les mobiliser. Pourtant, il

au cours de la 7e Semaine pour la qualitéde vie au travail, du 17 au 25 juin, partouten France. Mais aussi avec ce numéro deTravail et changement. Il s’agit ici de por-ter un regard neuf selon trois axes qui appa-raissent comme fondamentaux dans lalutte contre les TMS, et sur leur articula-tion : la conception du travail, l’organisa-tion de la prévention et le management.« L’innovation, ça s’organise! », clament

en effet les experts en la matière (voir encadré ci-contre).

> Meilleure des solutions: l’anticipation« L’innovation est une notion toute rela-tive, prévient Évelyne Escriva, chargée demission du département Santé et travailde l’Anact : cela dépend des entreprises.Il y a celles qui réagissent tardivement, àla survenue des TMS, celles qui ontconscience qu’elles évoluent dans un sec-teur à risques, et celles qui ont comprisqu’il fallait intégrer la santé et la sécuritédès la conception de leur système de tra-vail. Soit l’objet TMS est nouveau, soit c’estla méthode de prévention qui l’est.» Àchaqueentreprise son cheminement, donc. Certaines ont choisi l’anticipation dès laconception, en complément de leurs actionsde correction. Romain Chevallet, chargéde mission du département Changementstechnologiques et organisationnels del’Anact, milite pour cette position très enamont, dès qu’un changement intervientdans l’entreprise : « Les projets de trans-formation du process, des espaces de tra-

Trente ans de recherches et de pré-vention n’ont pas permis d’enrayerun phénomène qui continue à pro-

gresser, constituant ainsi la première mala-die professionnelle en France : celui destroubles musculosquelettiques (TMS). Tropvite, trop souvent, trop longtemps… Gestesrépétitifs, mauvaise conception des postes,organisation du travail mal adaptée auxbesoins de l’entreprise… : les causes de

l’apparition des TMS sont diverses et désor-mais sériées par les spécialistes. Du côtédes entreprises – lorsqu’elles ont comprisque des atteintes individuelles trouventleur source dans un système collectif –,des actions sont engagées pour rétablir lasituation. Souvent constatés, rarementanticipés, presque toujours subis, les TMSne sont pas faciles à voir venir et, moinsencore, à contrer (voir infographies).Le Réseau Anact plaide donc pour allierl’innovation et la prévention. Il le fera encore

« La véritable nouveauté peut se trouver dans la formed’animation choisie… Elle doit permettre aux salariés de participer à la prévention pour que celle-ci colle au mieux à la réalité de leur travail. » Évelyne Escriva, coordinatrice de ce dossier (département Santé et travail de l’Anact)

En constante progression, les TMS sont souvent pris en compte lorsque le mal est déjà fait. Luttercontre leur méfaits nécessite de bousculer les habitudes en prenant le mal à la racine, très en amont,et en décloisonnant les entreprises pour aller à l’écoute des premiers concernés, les salariés.

Prévention des troubles musccomment innover?• conception • organisation • management

Source : Cnamts, derniers chiffres connus (2008).

Source : Cnamts, derniers chiffres connus (2008).

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tions des ressources humaines : popula-tions fragilisées, vieillissement démogra-phique… Il semble paradoxal que la ges-tion des ressources humaines reste souventabsente des actions de prévention. Exper-tise métier, compétences, parcours pro-

fessionnels… : il conviendrait de dévelop-per la qualité des ressources humaines àun niveau plus collectif et prospectif. »Concevoir une approche dynamique de laprévention, redonner de la latitude aux sala-riés, mieux coopérer pour mieux mobiliserles acteurs… quelques bases pour «donnerle la » à des démarches innovantes.

Béatrice Sarazin (rédactrice en chef)

Et si prévenir les troublesmusculosquelettiques était

l’occasion d’innover et de gagner des parts de marché? Beaucoupd’entreprises exposées aux TMSconsidèrent le problème comme un sujet de second ordre, plutôtaustère, réservé aux experts en santéau travail. Pourtant, au regard de leurs enjeux économiques, au regard des questionsorganisationnelles qu’ils portent, les moyens de se préserver des TMSconstituent un levier de performance.L’expérience du Réseau Anact en matière d’organisation du travail

le montre : chaque fois qu’une entreprise se lance avecméthode dans la prévention des TMS,en la transformant même parfois en un élément de sa stratégie, elle gagne sur tous les tableaux. De meilleures conditions de travailpour ses salariés, une amélioration de sa performance économique, des innovations dans ses modes de production de biens et de services…Dans l’entreprise, l’ensemble des acteurs, et pas seulement les préventeurs, ont tout intérêt à s’appuyer sur un dispositif de prévention et à en faire une opportunité de développement. Il serait dommage de s’en priver :prévention rime désormais bien avec gains de production et efficacité d’organisation.

« Chaque fois qu’uneentreprise se lance avec

méthode dans la préventiondes TMS, elle gagne sur tous

les tableaux. »

Jean-Baptiste Obéniche,directeur général de l’Anact

ÉDITORIAL

existe des méthodes éprouvées et simplespour simuler le travail futur à partir deplans, de maquettes en bois, en carton ouplus technologiques, avec les logiciel 3D,la réalité virtuelle... On peut y scénariserdes aléas, des modes dégradés… Bref,tout ce qui constitue la réalité du travail.L’important est que les concepteurs et lesutilisateurs soient présents et qu’un dia-logue s’instaure entre eux. »« La véritable nouveauté peut se trouverdans la forme d’animation choisie, com-plète Évelyne Escriva. Elle doit permettreaux salariés de participer à la préven-tion pour que celle-ci colle au mieux à laréalité de leur travail. Pas question departicipation “alibi”, mais bien d’uneréelle organisation de la remontée desbesoins, des plaintes, d’une réflexion surles gestes professionnels, de la construc-tion d’un langage commun, pour être enphase sur le pourquoi et le commentd’une action de prévention. »

Enfin, les chargés de mission de l’Anactfont un constat commun : la nécessité dedécloisonner les approches. Car l’une desprincipales difficultés reste l’articulationdes niveaux de prévention et l’organisa-tion des coopérations entre les différentsservices. « Il ne faut pas laisser les ser-vices spécialisés en prévention ou dans latechnique œuvrer seuls, poursuit ÉvelyneEscriva, mais aussi impliquer les direc-

« Il existe des méthodes éprouvées et simples de simulation du travail… L’important est que concepteurset utilisateurs soient présents et qu’un dialogue s’instaureentre eux. » Romain Chevalet, coordinateur de ce dossier (département

Changements technologiques et organisationnels de l’Anact)

sculosquelettiques :

Source : bulletin épidémiologique de l’INVS, février 2010.

L’innovation, un processus complexe et collectifToutes les innovations ne sont pas demême nature, ni de même ampleur. L’in-novation est devenue un processus deplus en plus complexe, qui implique néces-sairement un nombre important d’ac-teurs. Un processus qui est aussi de plusen plus souvent, sinon totalement orga-nisé, au moins efficacement stimulé. Parexemple, l’innovation produit consiste àmieux faire prendre en compte par lestechniciens les exigences des clients pour

gagner en efficacité commerciale à tra-vers des démarches d’innovation trans-versale. Celles-ci consistent à faire col-laborer, dès le départ, les équipes desdifférents services de l’entreprise enintroduisant coopération et transdisci-plinarité entre celles-ci. Une démarcheà suivre pour prévenir les TMS ?Sources : Alternatives économiques, article« L’innovation, ça s’organise! », d’Éric Seulliet,président de l’association La F@brique du futuret directeur d’e-mergences.

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TRAVAIL ET CHANGEMENT N°330 • mars/avril 2010

ARGUMENTS

Les partenaires sociaux sont d’accord sur bon nombre des points qui doivent retenir l’attentionlorsqu’on parle TMS : fin du tabou, construction du dialogue, action à mener le plus enamont possible, bénéfice tant pour le salarié que pour l’entreprise… Beaucoup reste à faire,mais la voie est ouverte.

Les TMS ne sont plus tabous

E

E

Existe-t-il suffisamment de lieux de dialogue social et d’échange surles conditions de travail et les TMS ?Lorsqu’on parle de dialogue social, il fautse fixer des objectifs et une mise en œuvredes actions discutées. Sans quoi, on enreste au stade de la sensibilisation, pre-mière étape, certes nécessaire, maisinsuffisante. L’Observatoire des pratiquessociales de Haute-Normandie a été l’undes premiers lieux de dialogue. C’estdonc un dispositif très important, et quia constitué une innovation en la matière.Mais je pense qu’il ne faut pas multiplierces lieux, le risque étant de s’éparpilleret de se dissoudre dans le discours, sansactions concrètes.

Où en est-on du point de vue des TMS ? À la sensibilisation ou à l’action ?La Journée de l’Observatoire, dédiée à cesujet, a montré une concordance de tousles points de vue sur la prévention. Mais,effectivement, cela relève du niveau de lasensibilisation. Ce qui est normal, car l’his-toire de la santé et de la prévention desrisques au travail est émaillée de longuespériodes de réflexion et de prise deconscience des problèmes. Concernantles TMS, le constat est partagé par lesorganisations patronales et syndicales :il n’y a plus de tabou, il n’est plus anormalde rencontrer un problème de TMS dansson entreprise. Ce n’était pas le cas, il y aseulement trois ou quatre ans.

Va-t-on alors pouvoir passer à l’action ?Oui, mais c’est sur la méthode que l’on vajustement retrouver des divergences ! Lepatronat craint toujours qu’il y ait des abus,des surdéclarations, de l’absentéisme tropimportant… Pourtant, il y a urgence à agir.

Il doit comprendre que ne rien faire coû-tera plus cher à l’entreprise que menerdes démarches d’anticipation pour pré-venir le mieux possible le phénomène. Laqualité du travail est aussi un élément deperformance économique; beaucoup d’em-ployeurs s’en rendent compte.

Concrètement, à quoi s’attaquer ?Je constate que le niveau DRH ne pose pastrop de problème. Mais lorsque l’on des-cend dans la hiérarchie, vers l’encadre-ment intermédiaire, les choses sont moinsévidentes. Il faut y insuffler un compor-tement préventif, un esprit d’anticipationpar des formations et de la communica-tion. Car, si les DRH possèdent la notionsociologique et statistique du problème,il n’en est pas de même sur le terrain,dans les lieux où l’on exécute le travail.

Une nouvelle génération de managers et de DRH arrive. Ne sont-ils pas plus sensibilisés que leurs aînés ?En effet, le renouvellement génération-nel ne peut qu’être positif. Je ne pense pasque cette nouvelle génération soit forcé-ment plus ouverte mais, là aussi, l’histoirea fait son œuvre : après la vague des acci-dents du travail dans les années 1970,après les affaires de harcèlement et de

JEAN-MARIE BAILLY, représentant de l’union locale CFE-CGC ( Confédérationfrançaise de l’encadrement -Confédération générale des cadres) du Havre

Existe-t-il suffisamment de lieux de dialogue social et d’échange sur les conditions de travail et les TMS ?Les partenaires sociaux ont pu en débattredans le cadre d’une journée sur les TMS,organisée par l’Observatoire des pra-tiques sociales de Haute-Normandie.Ce que nous en avons tiré est essentiel :un dialogue possible et un constat com-mun des organisations patronales etsyndicales sur la situation. Une choseest certaine: les TMS ne sont plus tabous.Cela peut expliquer en partie leur aug-mentation : les salariés en parlent. Pluspersonne n’a honte de dire qu’il y a desTMS dans l’entreprise. Cela nous per-met de gérer le sujet, de dédramatiseret de créer un climat de confiance afinque tous les membres de l’entreprisepuissent travailler ensemble pour essayerde trouver des solutions.

suicides, on met enfin à jour le problèmeTMS. C’est un cheminement qui participed’une même logique.

Quel serait, selon vous, le moyen le plus innovant pour en sortir ? Il faudrait créer des normes et s’inspirerdes méthodes ISO, pour obliger les entre-prises, au moins les moyennes et lesgrandes, à les respecter. Ces obligationsbaliseraient le chemin vers une préven-tion efficace et durable, en donnant desrepères pour agir, y compris au niveaudu dialogue social. Car lorsque les TMSsont trop importants, on touche du doigtl’échec d’une politique sociale et de ges-tion des ressources humaines.

ARGUMENTS

4 TRAVAIL ET CHANGEMENT N°331 • mai/juin 2010

Le point de vue des partenaires sociaux Propos recueillis par Béatrice Sarazin

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E ANDRÉE PERREAU, représentante de l’union régionale CFDT (Confédération française démocratique du travail) de Haute-Normandie

CHRISTOPHE TREGER, représentant de la CGPME (Confédération générale dupatronat des petites et moyennesentreprises) de Haute-Normandie

Qui dit « GPEC » dit « anticipation » :un positionnement en amont à défendre ?Absolument. On commence souvent à par-ler des TMS quand il est trop tard. Alorsqu’il faut s’y attaquer et gérer le problèmeavant que les difficultés n’apparaissent.C’est ensemble que nous fonctionnonspour le bien de l’entreprise. C’est un pointessentiel et il me semble que la nouvellegénération de patrons l’a compris.

Pensez-vous qu’ils vont mieux gérerle problème ?Ils vont y être aidés. Des outils comme ledocument unique leur permet d’évoquerce sujet plus facilement, et ils sont de mieuxen mieux informés donc sensibilisés auproblème des TMS. Ils ont aussi un modede management plus participatif, doncpeut-être mieux adapté à la gestion de cettemaladie. Autre argument à leur opposer :

Concrètement, quelles pistes de prévention peut-on proposer ?Nous avons des outils à notre disposition.D’abord, le document unique pour parlerdes risques de l’entreprise. Il constitue unbon moyen de communication pour amor-cer le dialogue avec les salariés. La CGPMEtravaille sur un dispositif d’aide pour lamise en place de la GPEC (gestion prévi-sionnelle des emplois et des compétences).Cela relève du même esprit : permettreaux salariés de parler de leur travail et deréfléchir à une organisation adéquate, auxformations, aux évolutions de métiers etde compétences… Ce type de démarchepeut aider à prévenir les TMS.

Existe-t-il suffisamment de lieux de dialogue social et d’échange surles conditions de travail et les TMS ?L’Observatoire des pratiques sociales deHaute-Normandie, qui existe depuis main-tenant une dizaine d’année, en est un. Asso-cié à la Semaine pour la qualité de vie autravail, cela forme un dispositif complé-mentaire, très utile à la discussion et à lasensibilisation sur ce sujet et d’autresthèmes liés à la santé au travail. Deux tempsforts dans l’année permettent de relancerl’attention de tous autour des conditionsde travail. Organisations patronales et syn-dicales jouent le jeu et transmettent lesinformations à leurs réseaux respectifs.Les étudiants viennent aussi de plus enplus nombreux, ce qui me semble intéres-sant : ils sont de futurs salariés, futurschefs d’entreprise, futurs ingénieurs…

Cela signifie-t-il que vous situez la prévention des TMS encore plusen amont de l’entreprise ?C’est un aspect à développer. Par exemple,la branche professionnelle de la coiffurea travaillé avec ses salariés et apprentissur la prévention et l’ergonomie des postes.Il devrait y avoir une attention soutenueportée sur les aspects de prévention, dematériel à préférer, de gestes à avoir, depostures à adopter… et ce, de manière sys-tématique, dans les écoles de formationsprofessionnelles et d’apprentissage. D’au-

tant plus que, dans certains secteurs commela boulangerie ou l’aide à domicile, les sala-riés se retrouvent seuls ou dans de trèspetites structures, sans moyens ni repères.

Et une fois que les salariés sont dans l’entreprise ? La CFDT mûrit l’idée d’un passeport oud’un carnet de santé de prévention tout aulong de la vie professionnelle. Car une for-mation sur les TMS ne doit pas être seu-lement proposée au salarié au moment deson embauche. La question doit aussi êtreabordée sur le lieu de travail, en envisa-geant le matériel utilisé au quotidien. Ilexiste également des situations qui néces-sitent formation et acquis : dans le secteurhospitalier, par exemple, qui a investi dansl’achat de lève-malades pour éviter cer-taines manipulations et le port de chargeslourdes. Mais, par manque de formation,de temps et d’espace, beaucoup de per-sonnels ne les utilisent pas… Il y a aussicertains secteurs préoccupants, commecelui de l’enseignement : beaucoup de pro-fesseurs sont stressés. Cela se manifeste

par des douleurs articulaires et dorsales.Peu en parlent, mais l’épidémie de TMSles atteint sérieusement.

Et qu’en est-il des élus du personnel ?Nous avons quelques moyens qu’il nousfaut peut-être davantage mobiliser, maiscela passe au préalable par la volonté desdirections. Si elles ne sont pas persua-dées que, en faisant de la prévention, il yaura moins de coûts humains et financierspour l’entreprise, cela restera difficile pournous. Nous devons mobiliser nos membresau sein des CHSCT et les former. Cela peutpasser par leur spécialisation. Nous devonsaussi nous appuyer sur le document uniqueet sa mise à jour, faire émerger des solu-tions en analysant les données des bilanssociaux et des bilans annuels de la méde-cine du travail.

L’information passe-t-ellesuffisamment ?C’est en effet l’un des enjeux majeurs : faireconnaître le plus possible ce que sont lesTMS. La campagne nationale est un bonmoyen d’alerte, mais devrait être com-plétée dans les entreprises par une com-munication interne forte. Dans les petitesstructures, il faut songer à mutualiser lesmoyens et à mieux coordonner les actionsentre les acteurs de la prévention avec, parexemple, les services de santé au travailétoffés d’équipes pluridisciplinaires.

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se placer sur le versant économique desTMS, qui peuvent coûter très cher aux entre-prises. Prendre conscience que, lorsqu’ontravaille sur les modes opératoires ou surles conditions de travail, cela peut aussiêtre très rentable. Il existe encore beau-coup d’a priori : il suffit parfois de peu dechoses pour rétablir la situation, sansentraîner de coûts importants.

Quel serait, selon vous, le moyen le plus innovant pour en sortir ? Je crois beaucoup aux vertus des métierset des compétences. La transmission dessavoir-faire, les formations sur sites, letransfert des connaissances… Tout celafonctionne lorsqu’on permet au salariéd’échanger sur son travail avec ses pairset ses supérieurs. Il est aussi importantde valoriser les bonnes pratiques : prendreses responsabilités en prévenant les TMSpeut être valorisant pour une entreprise.

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TRAVAIL ET CHANGEMENT N°327 • septembre/octobre 2009

C et de la sécurité du travail (CSST), quidépend du ministère du Travail, a en chargela prévention, l’indemnisation et la réadap-tation. Ensuite, le réseau de santé au tra-vail, financé par la CSST, dépend, quant àlui, du ministère de la Santé et intervientauprès des entreprises pour l’élaborationde programmes de santé au travail. Enfin,les associations sectorielles paritairesassurent l’information, la formation et lesupport technique auprès des entreprisesde leur secteur. À ces trois maillons de lachaîne, on travaille du mieux que l’on peut.À la CSST, les inspecteurs du travail agis-sent au regard de la réglementation, à par-tir d’un outil de dépistage, le QEC (QuickExposure Check). Le réseau de santé autravail dispose également d’outils de dépis-tage. Mais le relais, en termes d’interven-tion, relève, de facto, de la responsabilité

Travail sur l’ergonomie ou le geste : en France, la lutte contre les TMS relève de plus en plus de l’an-ticipation. Car, lorsque le mal est déjà fait, il est bien plus difficile de lutter. Un état de fait qui se retrouveailleurs, comme au Québec, où la recherche est active.

De la correction à la prévention : l’a n

Comment caractériseriez-vous l’approchequébécoise en matière de TMS ?En 2000, au Québec, les TMS représen-taient 40 % des coûts d’indemnisation liésà la santé au travail, ce qui est très impor-tant. Pour le reste, la manière dont onaborde les TMS au Québec n’est sans doutepas radicalement différente de celle envigueur dans les pays anglo-saxons ou enFrance. Ici, comme partout, les TMS res-tent difficiles à appréhender et, encoreplus, à éradiquer. Il s’agit d’un problèmecomplexe, avec des risques diffus et dessymptômes invisibles.

Comment la prévention et l’intervention s’organisent-elles ?En matière de santé au travail, il existetrois grands acteurs institutionnels auxQuébec. D’abord, la Commission de la santé

MARIE SAINT-VINCENT, chercheuse, responsable du champ TMS, et GEORGE TOULOUSE, professionnelscientifique, de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail (IRSST) à Québec (Canada)

des entreprises. Par conséquent, il fau-drait trouver les façons de stimuler davan-tage celles-ci et mieux comprendre lespratiques naturelles déjà en cours. Quantaux associations paritaires, elles inter-viennent avec des moyens qui varient d’unsecteur à l’autre.

Comment qualifieriez-vous la politique de prévention ?Il manque des préventionnistes, notam-ment des ergonomes, mais les difficultésproviennent également de la complexitédu phénomène. Celle-ci est liée à l’étiolo-gie des TMS dont l’origine est multifacto-rielle, impliquant des risques physiqueset psychosociaux. C’est pourquoi, pour lesacteurs dans l’entreprise, la préventiondes TMS est un défi plus difficile à relever.Il s’agit d’un problème moins visible, pré-sent au cœur même de l’activité de travail,qui se démarque des problématiques plusclassiques de sécurité. De plus, les pro-blèmes de santé sont rarement pris encompte lors des nombreux changementsqui transforment le monde du travail. Ilreste beaucoup d’efforts à fournir pouraméliorer la culture de prévention.

les plus efficaces sont probablement cellesqui fonctionnent par secteur, via les asso-ciations sectorielles paritaires (ASP). Mal-heureusement, il n’y a pas d’ASP dans tousles secteurs – par exemple, dans celui dela transformation de la viande.

Sur quels leviers les entreprisesportent-elles leurs efforts :conception des systèmes de travail,organisation de la prévention,management ?Il est difficile d’aborder cette question defaçon générale, mais il semble se dessi-ner une tendance depuis quelques années :alors que les questions d’organisation dutravail étaient difficiles à aborder lors d’in-terventions ergonomiques, on constatemaintenant une plus grande ouverture.

NICOLE VÉZINA, professeure, département de kinanthropologie, université du Québec à Montréal (Canada)

On limite de moins en moins les interven-tions à des questions d’aménagement depostes de travail. Cette ouverture se mani-feste aussi du côté des questions de for-mation au poste et d’accueil des nouveaux.Mais les entreprises qui cherchent à déve-lopper la prévention sont peu aidées, carles ressources disponibles dans le réseaude la santé au travail au Québec est déses-pérant.

ARGUMENTS

Le point de vue des invités du réseau Anact Propos recueillis par Muriel Jaouën (journaliste)

6 TRAVAIL ET CHANGEMENT N°331 • mai/juin 2010

CComment et à quels niveaux les TMSsont-ils pris en compte au Québec ?La question des TMS est très présente auQuébec. Ce qui ne veut pas dire que tousles moyens sont mis en œuvre pour les pré-venir. La mobilisation est très inégale. Parexemple, plusieurs équipes de santé autravail du réseau de la santé publique ontun engagement ferme, depuis plusieursannées, dans la sensibilisation des entre-prises de leur région à la prévention desTMS. Mais ce n’est pas le cas partout. Unvirage très important a cependant été prisen 2007 avec l’obligation de formation detous les intervenants de santé au travail,qui doivent être en mesure d’identifier lesrisques de TMS et d’intégrer la préventiondans les programmes de santé spécifiquesà chaque établissement. Les dynamiques

S

Page 7: N° 331 MAI/JUIN 2010 Revue de la qualité de vie au travail

a nalyse du travail en première ligne

LSur quelles techniques ce travailde sensibilisation repose-t-il ?Les technologies numériques sont icitrès précieuses. Nous avons, par exemple,développé, via un logiciel de conceptionassistée par ordinateur, des manne-quins numériques 3D capables d’éva-luer les contraintes articulaires et mus-culaires découlant de l’usage d’un produit.Ces mannequins étant paramétrables– grands, petits, valides, handicapés…–, les étudiants sont ainsi capables deconnaître les conséquences de leurschoix de conception et de définir unconcept numérique acceptable en termestechnique, économique et ergonomique.Ce concept numérique est ensuite opti-misé grâce à une plate-forme de réa-lité numérique immersive, unique enmilieu universitaire.

JEAN-CLAUDE SAGOT, directeur du département Ergonomie,design et ingénierie mécanique de l’université de Technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM)

De quoi s’agit-il ?C’est un outil de projection doté de troisécrans géants qui permet non seulementde représenter des prototypes à l’échelle,mais de les éprouver en termes d’utilisa-tion. En chaussant des lunettes spéciales,on visualise le concept et interagit avec luiau stade numérique. S’il s’agit d’une auto-mobile, on peut entrer à l’intérieur et inter-agir avec les systèmes de commande. Cesystème bouleverse assez radicalement l’in-génierie mécanique, dans la mesure où ilautorise, avant même la fabrication, un dia-logue entre l’utilisateur et des profession-nels, dont les acteurs de la santé. Ainsi, avantde créer un poste de travail, on pourra faireconverser opérateurs et médecins autourd’une expérience de situation de travail. Onimagine aisément les vertus d’une telleapproche en termes de santé…

Les TMS sont-elles prises en comptedans la formation des ingénieurs ?Depuis 2007, l’UTBM dispense un cursusde formation, unique en France, d’ingé-nieurs mécaniciens capables d’intégrerle facteur humain dans la conception deproduits-process. L’objectif de cette for-mation est de sensibiliser ces futurs ingé-nieurs concepteurs à la dimension ergo-nomique, de prendre en compte très tôtdans le processus de conception les carac-téristiques, les attentes et les besoinsdes futurs utilisateurs à des fins de sécu-rité, de santé et d’efficacité. Il faut croireque cette approche est venue combler unréel vide puisque, depuis septembre2007,deux cent trente élèves ingénieurs venusde toute la France, dont 26% de filles, tra-ditionnellement étrangères aux forma-tions en mécanique, ont rejoint l’UTBM.

Avec cette formation, intégrez-vous la fonction d’usagecomme un paramètre essentiel de l’ingénierie ?Nous apprenons aux élèves à imaginerles effets qu’un objet, un produit, un postede travail peuvent avoir sur le corps et lemental des utilisateurs.

son expérience. En fait, un geste, c’est d’abordun compromis entre plusieurs dimensions.Il est orienté par la situation de travail (envi-ronnement, espace, procédures, moyens detravail, objectifs quantitatifs et qualitatifs…),mais également par des intentions, des butspersonnels que se fixent les opérateurs (faireun travail de qualité, réaliser un beau geste,se préserver d’une contrainte physique, rusercontre la monotonie…).

Cela signifie-t-il qu’il est dangereuxde chercher à calibrer les gestes ?Il n’y a pas de « bon geste » dans l’absolu.C’est d’ailleurs pourquoi je suis assez réser-vée sur la pertinence des formations «gesteset postures » ou sur les prescriptions fon-dées sur le postulat du « bon geste », carelles ne tiennent pas compte de l’expérienceindividuelle. Bien sûr, il n’est pas questionde dire qu’il ne faut pas prescrire. Mais ils’agit de prescrire l’organisation des postesde travail de manière intelligente, en lais-sant aux opérateurs des marges de manœuvredans leur gestuelle, dans le temps de pro-duction, pour que les opérateurs restentmaîtres de leurs gestes face aux variabili-tés de production. Mais aussi dans le tempsde formation. Je recommande notammentla mise en place de dispositifs d’apprentis-sage gestuel à la diversité et à la variabilitédes façons de faire dans des contextes divers,afin de permettre à chacun de développersa propre technique et d’élargir sa paletted’options gestuelles.

Si vous deviez comparer les dispositifs de prévention aux Québec et en France ?En France, le système de surveillancede l’évolution des TMS dans certainesrégions (par exemple le Maine-et-Loire)est remarquable. Ensuite, le réseau desmédecins du travail représente une capa-cité d’intervention très enviable. Je trouveaussi très productif la présence des ques-tions d’ergonomie dans les organismesde première ligne comme les Aract.Cependant, lorsqu’on compare avec leQuébec, les disciplines et les domainesd’intervention semblent plus cloison-nés. Le travail interdisciplinaire, tant enrecherche que dans les milieux d’inter-vention, est pourtant essentiel au déve-loppement d’actions concertées.

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KARINE CHASSAING, ergonome, enseignante à l’École nationale des sciences cognitives (ENSC) de l’Institut polytechnique de Bordeaux(IPB), département Ergonomie

QQuel lien existe-t-il entre le geste et les TMS ?Les TMS peuvent être perçus comme le résul-tat d’une altération des gestes. Ils apparais-sent très généralement lorsque les organi-sations du travail appellent une répétition degestes contraints, c’est-à-dire de gestes queles opérateurs n’auraient pas faits d’eux-mêmes, de gestes qui n’ont plus de sens poureux. C’est pourquoi le travail sur l’expressiondes gestes de métier des salariés est une pisteintéressante dans la prévention des TMS.

Cette expression des gestes, quelles en sont les composantes ?Il faut d’abord accepter de considérer la com-plexité du geste. Même les gestes apparem-ment les plus banals et les plus répétitifs nerelèvent pas de la stricte biomécanique, d’unesimple succession de mouvements. Ils pro-cèdent de ressorts divers : physiologique,psychologique, psychique, social… Il y a notam-ment dans le geste une importante dimen-sion cognitive: l’opérateur choisit, à un momentdonné, le geste le mieux adapté au diagnos-tic qu’il fait de la situation de travail et de sespropres compétences, en tenant compte de

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CÔTÉ ENTREPRISES

TRAVAIL ET CHANGEMENT N°331 • mai/juin 2010

L’ergonomie participativeà travers la simulation :telle est la solution queNeopost, entreprise des

Pays-Bas, a choisi de mettre en place.Pour cela, elle a reçu l’appui du TNO,l’organisation hollandaise pour larecherche scientifique appliquée etnotamment de Michiel de Looze quia mis au point le système Ergomix(voir encadré).

Implication forte des opérateurs

TNO est partie d’un constat : le tra-vail des opérateurs, qui consiste àsoulever des machines de prémon-tage pour les acheminer vers le mon-tage, est très sollicitant sur le planarticulaire, impliquant des posturespénibles, avec les bras en l’air, le couet le dos penchés : le TMS est avéré,d’autant que les hauteurs de postesne sont pas modulables.Principal point fort de la démarche :

NEOPOSTSecteur : servicesActivité : fournisseur de machines à affranchir, mise souspli, imprimantes d’adresses et solutions informatiquesEffectifs : 5 500 salariés dans le mondeRégion : Hollande

@CONTACTMichiel de Looze, [email protected]

Très en amont de la conception des postes, l’outil Ergomix simule le travail, d’abord au moyen de dessins numériques de conception, puis avec des enregistrements vidéo des ouvriers en poste. L’esquisse du poste de travail est retravaillée avec l’ouvrier, qui s’y retrouve projeté : il est alors en mesure de s’observer lui-même sur le poste virtuel, en position assise, debout ou mixte. Il effectue ensuite ses activités de travail habituelles sur le poste virtuel, en utilisant ses propres outils et matériels. Il teste ainsi sa nouvelle situation de travail et peut donc juger de son efficacité et de son confort.

système de racks (étagères organi-sées en rangement) : la hauteur desétagères ainsi que l’emplacementdes produits ont été revus, tout ayantété calculé au plus juste.

Large consensusautour des nouvellesdispositions« La nouvelle configuration a permisd’augmenter la productivité de 20 à25 %, explique Michiel de Looze. L’amélioration du cadre de travail etde l’organisation s’est traduite parl’installation de postes de montageintermédiaires. De plus, le transportmanuel des machines a été éradi-qué grâce à de nouveaux convoyeurs…Plus de 85 % des ouvriers estimentque la disposition des espaces de tra-vail s’est améliorée. Et environ 75 %jugent que les nouveaux racks ontamélioré leur situation de travail. » Dernier intérêt de la démarche : lessupports vidéos étant conservés,l’entreprise peut s’y référer si lebesoin de retravailler les postess’avére nécessaire… Limite de l’ou-til : dans la durée, il ne mesure pasla fatigue mentale et physique liéeà l’organisation, aux cadences… Il s’agit donc bien d’accompagner unmoment particulier de réorganisa-tion, du point de vue de l’aménage-ment physique. ■

Béatrice Sarazin (d’après une synthèsede Michiel de Looze)

une participation active de différentsreprésentants de l’entreprise et consultants en ergonomie. La simu-lation, mixant dessins, vidéos et recommandations ergonomiques aservi à l’analyse des risques et à l’éva-luation d’une organisation du travailselon différents critères (flux de maté-riaux, logistique, charge de travail…).Une fois le choix arrêté sur un sys-tème et une organisation, ceux-ci ontété précisément simulés par Ergo-mix. Au vu des résultats, la chaîne demontage et des postes de travail ontété mis en place et un nouveau pro-cess mis au point. L’optimisation asurtout porté sur la conception des

TMS : une entreprise bien affranchie

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Postures pénibles, bras en l’air et courbure du cou… les opérateurs de Neopost semblaient vouésaux TMS. Ils ont heureusement bénéficié d’une intervention du TNO, qui a mis au point la démarcheglobale de simulation du travail Ergomix.

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EUROSIMA CLUSTER GLISSESecteur : artisanatActivité : fabrication de planches de surf Effectifs : 3 200 salariésRégion : Aquitaine

Muska, la simulation au servicedes conditions de travail

C’est pour l’entreprise automobile Ford que Jean-FrançoisThibault, directeur de l’Aract Aquitaine, une équipe plu-ridisciplinaire de Ford et l’université de Bordeaux ontdéveloppé une première version du logiciel Muska. En sefondant sur des analyses vidéo des situations de travail,et en leur attribuant des cotations, celui-ci permet desimuler l’impact de solutions à la fois techniques et orga-nisationnelles pour prévenir les TMS. « La particularitéde ce logiciel, adapté tant aux grandes entreprises manu-facturières qu’aux plus petites de type artisanal, est qu’iltient compte de l’exposition réelle aux risques, indiqueXavier Merlin, chargé de mission à l’Aract. Le risque deTMS n’est pas le même dans le cas d’une gestuelle hyper-solicitante pendant cinq secondes que pendant septheures. » Une nouvelle version gratuite de Muska estdéveloppée sous l’égide de l’Aract Aquitaine depuis 2009.Elle sera diffusée par l’Anact sur un site Internet dédiéet des services associés à l’horizon de septembre 2010.

@CONTACTXavier Merlin, Aract [email protected]

savaient que la manière de travaillerétait nuisible à la santé, mais personnen’était capable de dire précisémentquelle étape était dangereuse. » Forte de cette expérience pilote,

EuroSIMA met au point une nouvelleversion de son guide Ecoshape,d i s p o n i b le s u r s o n s i t e ,www.eurosima.com. ■

Caroline Delabroy (journaliste)

pertinentes. « C’est ainsi que nousavons, par exemple, reporté l’achatde ciseaux électriques, un investis-sement qui atteignait tout de même800 euros, explique Xavier Merlin,

chargé de mission de l’Aract Aqui-taine. Car si le geste de découpe dupourtour du tissu de verre à déposersur la planche présente un risque deTMS, cette solution ne permettait pasde le réduire de manière significativesur l’ensemble de l’opération. » L’in-vestissement s’est donc plutôt orientésur des racks permettant de varierla hauteur de la planche en fonctionde son étape de fabrication.

Des risques mieuxidentifiés

« Mais, concernant l’étape de stratifi-cation, il restait toujours un risque rési-duel pour le bras droit, poursuit XavierMerlin. Nous avons donc commencéà travailler sur la rotation des arti-sans.» Une nouvelle organisation s’estainsi mise en place, où chaque plancheest fabriquée de A à Z par la même per-sonne et non plusieurs à la chaîne –afin de limiter l’exposition aux risques.« Sans Muska, nous n’aurions pas pucerner les zones et pratiques à risque,donc y remédier, estime ChristopheSeiller. Jusqu’à présent, les shapers

En Aquitaine, ils sont une qua-rantaine encore à exercerleur métier d’artisans sha-pers, autrement dit de fabri-

cants de planches de surf. Alors quecelles-ci sont pour la plupart réali-sées à l’international sur des lignesde production, eux maintiennent unsavoir-faire local. « Leur développe-ment est vital à l’ensemble de la filièreglisse », déclare Christophe Seiller,directeur d’EuroSIMA Cluster, unestructure qui, au sein de la fédéra-tion professionnelle européenne,mène différents projets dans le butde défendre et promouvoir tous lesacteurs du secteur. L’un des axes défi-nis concerne justement les shapers :«Nous avons souhaité mettre en placeun diagnostic sécurité-environne-ment afin d’améliorer les conditionsde travail dans ces ateliers, qui dépas-sent rarement trois personnes »,détaille Christophe Seiller. Cette étude a décelé plusieurs situa-tions de travail à risque, notammentde TMS. Différentes étapes sontnécessaires pour la fabrication d’uneplanche, et certaines sollicitent par-ticulièrement les membres supé-rieurs, comme la stratification, quirigidifie la planche à partir de tis-sus de verre et de résines, et le pon-çage, qui lui donne son aspect final.

Muska à la rescousse

EuroSIMA Cluster s’est rapprochéede l’Aract Aquitaine pour mener uneaction collective de prévention desTMS. L’enjeu consistait à trouver dessolutions techniques et organisa-tionnelles – avec l’appui du Fact –adaptées à ces petites structures sansgrands moyens financiers. L’outilMuska (lire encadré) a été testé dansquatre ateliers pilotes pour simulerdifférentes options et retenir les plus

« Les shapers savaient que la manière de travailler était nuisible pour la santé, maispersonne ne savait dire quelle étape étaitdangereuse. » Christophe Seiller, directeur d’EuroSIMA

Muska, planche de salutpour l’artisanat du surf

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L’outil Muska a permis de simuler différentes options techniques et organisationnelles pour pré-venir les risques de troubles musculosquelettiques chez les fabricants de planche de surf, ens’adaptant au modèle économique de cet artisanat.

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10 TRAVAIL ET CHANGEMENT N°331 • mai/juin 2010

CÔTÉ ENTREPRISES

Lorsqu’elle a pris la direction dela maison de retraite Sainte-Mariede Siradan, qui accueille soixante-

dix résidents, Béatrice Gourdou a vouluappliquer sa « vision très marketing-management de la santé». «Les nou-velles réglementations liées aux éta-blissements d’hébergement pourpersonnes âgées dépendantes onttout changé pour nous, précise-t-elle.Cette démarche de gouvernance de

qualité que j’entends mener est aussiimportante pour l’établissement quepour le personnel. Travailler sur l’amé-lioration des conditions de travail nepeut que générer un résultat positifpour tous. » En 2009, la maison deretraite Sainte-Marie de Siradan s’estdonc attelée à faire évoluer son orga-nisation en s’appuyant sur le Fact(Fonds d’amélioration des conditionsde travail) qui a financé en partie sadémarche (voir encadré).Ces changements ont conduit l’éta-blissement à revaloriser les fonctionslogistiques et, en particulier, celle dulinge. Alors que son traitement se fai-sait jusque-là essentiellement la nuit,un poste de lingère a été créé. « Noustraitons le linge personnel de nos rési-dents uniquement en interne, expliqueBéatrice Gourdou. Professionnalisercette activité a valorisé le poste de lin-gère et fait prendre conscience qu’ilétait important d’étudier l’ensembledes circuits afin de prendre en comptela prévention des risques de TMS, d’hy-giène…» L’environnement thermiqueet sonore, les différents matériels deconditionnement et de transport ontété observés. Il s’est avéré que le cha-riot, trop petit pour collecter le linge

Confrontée à de nombreuses évolutions, la maison de retraite Sainte-Marie de Siradan a été amenéeà revaloriser la fonction du linge, avec la création d’un poste dédié et d’une laverie. Dans cettenouvelle organisation, la réflexion sur la prévention des TMS a été menée en amont.

Laver plus blanc prévientles douleurs de dos

personnel concerné. Tout ceci concourtà une meilleure ambiance de travail,à l’évolution des métiers et, par consé-

quent, au maintien de l’em-ploi. » Les pistes doiventà présent être validées encomité de pilotage. En parallèle de ce travailsur le volet laverie, une

réflexion sur l’encadrement a étémenée. « Des réunions sont orga-nisées chaque semaine, indique Béatrice Gourdou. Tout le monde estconsidéré, quel que soit son métier.Il en ressort une cohésion de groupe,une collaboration des gestes au quo-tidien… » Après la prévention desTMS, la direction de l’établissemententend s’atteler au stress et auxrisques psychosociaux. ■

Caroline Delabroy

de toute une aile d’un bâtiment – lamaison en compte quatre – nécessi-tait plusieurs déplacements. En outre,

peu adapté pour le tri avec son seulsac, ce matériel nécessitait une opération supplémentaire, donc plusde manipulation. « Ce n’était pas uneméthode efficace, relève Béatrice Gourdou. L’analyse des situations de travail a mené à investir dans des chariots adaptés, qui améliorentles postures et l’hygiène et réduisent les problèmes de dos, ce qui a per-mis d’accorder plus de temps aux résidents. »

Des réflexions axéessur la concertation

Dernière étape : la conception d’unenouvelle laverie. Là encore, un tra-vail a été mené en amont pour trou-ver la solution la plus pertinente pourprévenir les TMS. « Je n’aurais paspu le faire seule, souligne la direc-trice de l’établissement. Si j’avais priscontact avec un fabricant prestatairede gros matériel, seul l’aspect tech-nique aurait été privilégié. Or, nousavons choisi une nouvelle organisa-tion avec un matériel adapté (tablede tri à hauteur, produit, sac, filet…)et, surtout, nous avons élaboré lesprotocoles en concertation avec le

Le Fact finance des innovations sociales Depuis 2008, l’Anact a pris en charge la gestion du Fondsd’amélioration des conditions de travail (Fact). Les sub-ventions sont accordées aux entreprises qui souhaitentfinancer des projets visant à améliorer des situations detravail insatisfaisantes pouvant mettre en cause la santédes salariés (à l’image des TMS), la qualité de vie au tra-vail ou la performance. L’objectif n’est pas une remise àniveau réglementaire, mais bien une aide financière pourmener des projets d’innovation sociale autour de l’orga-nisation du travail. En 2009, le Fact a financé près d’unequarantaine de projets de prévention des TMS. Plus d’informations sur le site www.anact.fr, et contactpar mail : [email protected].

MAISON DE RETRAITE SAINTE-MARIE DE SIRADANSecteur : sanitaire et socialActivité : maison de retraite Effectifs : 40 salariésRégion : Midi-Pyrénées

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« Travailler sur l’amélioration des conditions de travailne peut que générer un résultat positif pour tous. »Béatrice Gourdou, directrice de la maison de retraite Sainte-Marie de Siradan

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Sur l’écran de l’ordinateur, défi-lent des images en noir et blanc.Elles ont été filmées avant que

l’entreprise de découpe et d’embal-lage de fromages hollandais Fries-land Foods n’opère sa mue et réor-ganise entièrement son site. Lesateliers semblent désordonnés, lesrotations de buste nombreuses etles cartons disposés un peu partout.« C’est vrai que l’on faisait commeça… On oublie vite! », disent en chœurplusieurs salariées en voyant cettevidéo. Fondée en 1975 pour accom-pagner le développement de la grandedistribution et lui proposer des fro-mages étrangers, l’entreprise a fina-lement été rachetée début 2000 parun groupe hollandais. Un projet, bap-tisé BFT – pour « Building futuretogether » (construire l’avenirensemble) – a vu le jour dans le butde moderniser le site. C’est dans cecadre que, avec l’Act Méditerranée,une action de prévention des TMS aété menée. Elle a porté sur les postesde mise en carton, où les cas men-tionnés de douleurs au dos ou auxbras étaient les plus nombreux.

Une calibreuse-testvenue des Pays-Bas

Menée en étroite collaboration avecle CHSCT et les salariés, l’action aconduit à réorganiser les lignes detravail; avec succès, puisque de nou-velles façons de travailler ont étémises au point et le flux dans l’ate-lier totalement repensé. Lorsqu’ils’est agi d’investir dans une cali-breuse – machine capable d’asso-cier les portions de fromages embal-lés pour toujours avoir le même poidsfinal dans le carton de livraison –l’entreprise a de nouveau souhaitéassocier les opérateurs aux diffé-rentes simulations de matériel. «Nous

Dans le cadre de la réorganisation complète de son site, l’entreprise de découpe et d’emballage defromages hollandais Friesland Foods a mis en place une nouvelle organisation du travail et testé,grandeur nature, une calibreuse auprès des salariés afin d’adapter son cahier des charges.

conséquence pour travailler sur lesdifférents postes. « Cela a forcémentun coût pour l’entreprise, puisque lessalariés ont monté en échelon, maisnous nous y retrouvons au final, affirmeFrédéric Baeza. Et c’est beaucoupplus simple au niveau de la planifi-cation. » D’ailleurs, même si elle nemesure pas seulement l’impact des

TMS, l’évolution de la courbe des acci-dents de travail illustre toutefois unenette amélioration de l’environne-ment de travail. ■

Caroline Delabroy

avons fait venir des Pays-Bas unemachine-test que nous avons gar-dée pendant un mois, indique Fré-déric Baeza, directeur du site. Chaquesalarié a travaillé dessus, et nousavons recueilli ses impressions. »Le cahier des charges de ces nou-velles calibreuses, qui équipent quatredes six lignes de l’atelier, a été modi-

fié en conséquence. Ainsi, le boutonà actionner pour passer au cartonsuivant se situe désormais à la bonnehauteur, alors qu’il fallait jusque-làlever le bras pour l’atteindre. Cettecalibreuse a, en outre, permis dediviser presque par deux le nombrede gestes à accomplir pour remplirun carton. « La phase de simulationa joué un rôle positif dans l’accep-tation de ce nouvel outil de travail »,note Frédéric Baeza.

Un changement radical de l’organisationdu travailUn autre levier de prévention des TMSa consisté à instaurer un double sys-tème de rotation : «Un premier chan-gement s’effectue toutes les heuresentre les quatre personnes travaillantsur une même ligne, et un secondtoutes les semaines entre les diffé-rentes lignes», indique Frédéric Baeza.Cette nouvelle organisation induit lapolyvalence des salariés, formés en

Pas de coulant dans la bataille ergonomique

SYLVAIN GUARD,chargé de mission à Act Méditerranée

« On ne fait plus du tout les mêmes mouvements. »Dans le documentaire qu’il a réalisé, Sylvain Guard,chargé de mission à Act Méditerranée, a recueilli letémoignage de plusieurs salariées travaillant à la miseen carton… « Pendant toute cette action, nous nousréunissions tous les quinze jours, y entend-on dire NaïmaKhallef, membre du CHSCT. Il y a des recommandationsau niveau des bras et des gestes à faire, que l’on ne res-pectait pas, car on veut toujours aller vite. » Chef deligne, Solange Minodier se rappelle que « les bacs étaientplus hauts que nous : il fallait que l’on soulève beau-coup plus les bras ». « On ne fait plus du tout les mêmesmouvements, on se tourne moins, poursuit StéphanieUgletto, chef de ligne. Le bac est à présent devant nouset on envoie les fromages emballés dedans. » »

«

« Cela a forcément un coût pour l’entreprise, puisque les salariés ont monté en échelon, mais nous nous y retrouvons au final. » Frédéric Baeza, directeur du site

@CONTACTSylvain Guard, Act Méditerranée,[email protected]

FRIESLAND FOODS Secteur : agroalimentaireActivité : découpage et emballage de fromages hollandais Effectifs : 95 salariésRégion : Provence-Alpes-Côte d’Azur

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CÔTÉ ENTREPRISES

Une salle réservée et préser-vée vient d’être inaugurée ausein des ateliers de l’équipe-

mentier automobile Société des poly-mères Barre-Thomas, installé à Rennes.Ce tout nouvel espace proposé auxsalariés est dédié à la prévention et àl’amélioration des conditions de tra-vail. « L’ensemble des mille salariés,y compris le directeur, vont passerdans ce lieu de mars à décembre2010,indique Damien Baudry, directeurgénéral adjoint en charge des res-sources humaines. Pendant une heureet demie, ils vont aborder de façonludique et active les thèmes de la sécu-rité, l’environnement, la santé au tra-vail et l’ergonomie. » Sur ce derniersujet, l’entreprise a souhaité s’appuyersur le module d’e-learning de l’AractPicardie (voir encadré).

Un outil pédagogique à la portée de tous

« J’ai découvert ce module sur Inter-net, précise Marie-Haude Guerry, infir-mière ergonome. Sa forme “cas concretinteractif” nous a intéressés, car il placele salarié dans une dynamique de ques-tionnement et de recherche de solu-tions.» Des trois cas que développe cetoutil pédagogique, l’entreprise a choisicelui de Claire, qui travaille sur une

et, plus encore, qu’il est acteur de sapropre prévention.» Ces questionnairesseront aussi l’occasion de mesurer l’ef-ficacité de l’e-learning. «La seule limiteà cet exercice, c’est notre capacité à

développer un langage adapté à tousles niveaux socioculturels », déclarele médecin du travail.

De l’apprentissage à la mise en application

Pour Damien Baudry, directeur géné-ral adjoint, la vertu d’un tel outil consistesurtout en ce qu’il peut permettre« l’appropriation par l’ensemble dessalariés de sujets qui, aujourd’huiencore, sont considérés par beaucoupcomme une affaire de spécialistes ».Il souligne le chemin parcouru parl’entreprise depuis dix ans dans la pré-vention des TMS qui, selon lui, n’estplus un sujet tabou. L’approche ergo-nomique est désormais entrée dansl’entreprise, sur laquelle un groupetransversal et pluridisciplinaire tra-vaille. Après une longue réflexionmenée sur l’ergonomie de correction,l’entreprise entend maintenant mettrel’accent sur l’ergonomie de concep-tion: «À l’avenir, toute nouvelle machinedevra avoir reçu notre approbation surle plan de l’ergonomie avant d’être uti-lisée », indique Damien Baudry. ■

Caroline Delabroy

ligne de conditionnement dans l’agroa-limentaire. Il illustre l’importance dumultifactoriel (la combinaison de dif-férentes contraintes) dans la compré-hension des TMS. « Bien que nous

n’ayons pas de chaînes de montagemais des postes de travail individuels,cette situation industrielle est la plusproche de nos problématiques, qui ontsurtout trait à la répétitivité et aux sol-licitations ostéoarticulaires», poursuitMarie-Haude Guerry. À la fin du passage dans la salle, unedemi-heure est consacrée à une res-titution sous forme de questionnaire :«Il s’agit de vérifier que l’usage de baseen ergonomie et son application à l’en-treprise ont bien été compris, préciseJulien Molders, médecin du travail. Lafinalité de l’exercice est que chacunprenne conscience qu’il a un rôle à jouer

SOCIÉTÉ DES POLYMÈRES BARRE-THOMASSecteur : automobileActivité : équipementier Effectifs : 1 000 salariés Région : Bretagne

Une pédagogie très Net au service du geste

Du directeur aux opérateurs, l’ensemble des salariés de l’équipementier automobile Barre-Thomas vapasser devant un module d’e-learning destiné à approfondir leurs connaissances sur les TMS. Une démarcheoriginale, qui s’accompagne d’une sensibilisation plus générale sur la prévention des risques.

TRAVAIL ET CHANGEMENT N°331 • mai/juin 2010

« Le salarié est placé dans une dynamiquede questionnement et de recherche de solutions. » Marie-Haude Guerry, infirmière ergonome

Les modules d’e-learning sontconsultables enligne sur le sitewww.cestp.aract.fr.

>@CONTACTCESTP Aract [email protected]

ANNE-CLAIRE PRÉVOST, chargée de mission au CESTP Aract Picardie

« Toucher un large public »L’outil d’e-learning conçu par l’Aract Picardiepour comprendre les TMS se donne un tripleobjectif : identifier les causes d’apparition desTMS au travail, découvrir les différentes dimen-sions du geste professionnel et repérer les inter-locuteurs de la prévention des TMS. Il faut trenteminutes pour parcourir les trois cas concretsscénarisés. «En comité de pilotage, nous avionsdéfini la cible de cet outil, assez large pour tou-

cher tous les acteurs de l’entreprise, préciseAnne-Claire Prévost, de l’Aract Picardie. Facileà utiliser, le module peut s’intégrer dans un dis-positif de formation déjà existant, animé par desexperts des TMS. » Des modules sont aussi enpréparation sur les risques psychosociaux, laGPEC et la gestion des âges, avec la volonté desensibiliser sur ces questions et d’apporter desexemples de pratiques. »

«

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Chez ACS, fournisseur de l’in-dustrie automobile, l’ergono-mie et la prévention des TMS

et, plus globalement, la prise en comptede la santé au travail sont devenuesun objectif commun de l’ensembledu personnel. L’entreprise estconsciente de faire partie d’un sec-teur à risques TMS fort et, en 2006,s’interroge sur les moyens de les pal-lier : « Nous n’avons pas quantifié lephénomène, mais des plaintes remon-taient fréquemment vers moi, explique

Isabelle Burvingt, infirmière d’ACS.Le comité de direction a surtout étéalerté par le coût que pouvait géné-rer le phénomène. Il a donc donnéson feu vert pour une démarche deprévention avec un plan d’actions plu-riannuel, déployé entre 2008 et 2011,dont je suis responsable. »

Un déclic salvateur

Commence alors une période qui, surplusieurs années, va voir mener untravail de sensibilisation et de mobi-lisation de l’ensemble des salariésautour de cette problématique. L’AractPoitou-Charentes, qui accompagnel’entreprise pendant trois ans dans lecadre d’un dispositif régional de pré-vention des TMS, mène d’abord, avecla Cram, la première étape, celle dela sensibilisation. Isabelle Burvingt etThomas Chamereau, son assistantsur le projet, animateur sécurité etenvironnement, suivent une forma-tion sur l’ergonomie sur le lieu de tra-vail et sur les postes. Ce sont ensuiteles pilotes industriels du bureau d’étudesinterne à l’entreprise et concepteursdu travail qui sont formés. Un véritable

réalité du travail est devenue un élé-ment bénéfique à la performance del’entreprise. Nous travaillons à sen-sibiliser aux TMS d’autres salariésqui ne sont pas forcément en pro-duction: un commercial, par exemple,doit avoir conscience que ses déci-sions pourront avoir un impact surles autres salariés…», souligne encoreIsabelle Burvingt.Enfin, le projet a été inscrit dans lapolitique de l’entreprise, déclinée enaxes prioritaires, l’environnement etla sécurité y apparaissant. Désor-mais la santé au travail les côtoie aumême niveau stratégique. ■

Béatrice Sarazin

déclic s’opère dans l’entreprise: «Celaa été très révélateur, explique Jean-Paul Papon, l’un des pilotes. Pour êtrefranc, jusqu’alors, une démarche ergo-nomique se résumait à positionner

une pièce par rapport à une distance.Aujourd’hui, nous intégrons dès l’amontcertaines consignes, que nous pas-sons également à nos fournisseurs,afin que les salariés soient contraintsà moins de manipulations et à moinsde charges importantes à soulever.Cela s’applique, par exemple, auxformes des conditionnements. »« On peut aujourd’hui considérerque la démarche est bien intégrée.Le plan d’action sera reconduit après2011, sans doute sous une formedifférente. Notre préoccupation res-tera néanmoins la même. Nousvenons d’intégrer la prise en comptedu stress et des risques psychoso-ciaux, causes importantes dans lasurvenue des TMS. Même si nousavons convaincu beaucoup de per-sonnes, le combat reste quotidien »,complète Thomas Chamereau«La démarche est désormais presquenaturellement inscrite dans l’en-semble des projets de l’entreprise,dans les nouveaux produits, dans lesmoyens de production, dans notredémarche lean*… Nous avons retrouvédes marges de manœuvre sur noslignes, et la prise en compte de la

ACSSecteur : industrieActivité : fournisseur de constructeurs automobiles(baies, occultants de galerie, systèmes d’arrimage) Effectifs : 280 salariés Région : Poitou-Charentes

La santé au travailcomme ligne de conduiteChez ACS, la prévention des TMS est une préoccupation de tous les instants. C’est pourquoi l’en-treprise a lancé une démarche globale de sensibilisation et de prise en compte de ces troublesdans tous ces projets et secteurs.

« La démarche est désormais naturellementinscrite dans l’ensemble des projets de l’entreprise » Isabelle Burvingt, infirmière d’ACS

*Démarche lean : recherche de la performance par l’améliorationcontinue et l’élimination des gaspillages.

ARIEL GOMPARD, DRH d’ACS

La santé : objectif dans l’évaluation annuelle du management« La santé au travail, en général, et le problème des TMS,en particulier, ne sont pas qu’une affaire de préventeursou de médecins. Nous avons constitué une équipe pluri-disciplinaire qui suit de très près toute cette démarche.Je suis le président d’un CHSCT très actif : il échange régu-lièrement avec les salariés, fait remonter les difficultéset propose des solutions. Le climat social est donc bon,ce qui est très favorable à ce type d’actions. Enfin – actetrès important en termes de gestion des ressourceshumaines –, l’objectif de santé et de sécurité au travaildes équipes fait partie des critères d’évaluation du mana-gement intermédiaire. C’est un nouvel engagement denotre part qui rassure les équipes. »

«

>

@CONTACTFabrice Raspotnik,Aract [email protected]

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ALLER PLUS LOIN Une méthode du réseau Anact

• FAIRE DU PROJET DE TRANSFORMATION UNE OPPORTUNITÉ DE PRÉVENTION

– Amélioration d’une situation d’exposition existante?– Questionnement sur de nouveaux risques

d’exposition?– Une recherche de solutions qui s’appuie

sur les enseignements tirés de l’activité de travail des salariés

• SIMULER LE TRAVAIL FUTUR – Analyser l’activité de travail et les risques TMS

existants avant transformation – Identifier les situations de travail qui seront

présentes dans le futur, avec la transformation– Simuler des scénarios de situations de travail

sur un plan, une maquette, un logiciel – Animer les simulations pour permettre des échanges

entre opérateurs, concepteurs, chefs d’équipe, RH…

E L’évaluation a priori des risques, objetdu document unique, permet une démarchepluridisciplinaire incluant tous les acteurs de l’entreprise.Plus qu’une obligation légale, c’est une rampe delancement des actions de prévention.

• ARTICULER PRÉVENTION INTERNE/APPORTS EXTERNES

– S’appuyer sur le document unique– Échanger dans des clubs d’entreprise – S’inscrire dans une action de branches– Solliciter des conseillers (organismes de prévention,

consultants, IPRP…)

• DÉFINIR UN VRAI PROJET DE PRÉVENTION

– Définir une démarche et des ressources dans le temps– Faire de la prévention un projet stratégique de l’entreprise

comme d’autres – Accompagner l’évolution de l’entreprise– Continuer à adapter l’organisation et les conditions de travail à la vie de l’entreprise

• CONDUIRE UNE DÉMARCHE PARTICIPATIVE AVEC :– Un chef de projet– Les salariés– La direction et le management intermédiaire– Les organisations syndicales et les représentants

des salariés– Le CHSCT– Le médecin du travail, l’infirmière…

• MAILLER LES NIVEAUX DE PRÉVENTION – Sensibilisation– Correction – Intégration de la santé en amont des projets

d’entreprise

ALLER PLUS LOIN

EUne action de prévention ne s’inscrit pas dans un instant T mais, pour être efficace, dans la durée. En réunissantles conditions énoncées ci-dessus, l’entreprise peut se donner les moyens d’une amélioration continue des conditionsde travail en faisant vivre sa prévention.

OBJECTIF PRÉVENTION DURABLE

INTÉGRER LA PRÉVENTION TMS EN CONCEPTION

3 points de vigilance

CONCLUSION

CONCLUSION

14 TRAVAIL ET CHANGEMENT N°331 • mai/juin 2010

• S’ADAPTER AU CONTEXTE DE L’ENTREPRISE

– Détecter comment l’entreprise est confrontée à un problème de survenue des TMS

– Voir s’il y a déjà eu des actions engagées– Analyser ce que l’entreprise a pu en retirer

• IMPLIQUER LES SALARIÉS DANS UNE DÉMARCHE PARTICIPATIVE

– Choisir une forme d’animation de la prévention qui leur permette de s’exprimer

– Utiliser les connaissances qu’ils ont de leur travail– Mener une réflexion sur leurs gestes professionnels

et les compétences

• DÉCLOISONNER LES APPROCHES

– Prendre en compte toutes les dimensions du travail :technique, organisationnelle, humaine, sociale,managériale…

– Jouer la transversalité entre les différents services :production RH, services médicaux…

– Monter un groupe de travail pluridisciplinaire

E C’est en concevant une approchedynamique de la prévention, qui implique les salariés,qui décloisonne le fonctionnement habituel de l’entreprise,qui reparte des situations de travail réelles, que l’on peutinnover et porter un regard différent sur les actions deprévention, en en articulant les différents niveaux.

CONCLUSION

NOUVEAUX REGARDS SUR LES TMS

Page 15: N° 331 MAI/JUIN 2010 Revue de la qualité de vie au travail

ALLER PLUS LOIN

La Prévention durable des TMS :quels freins? Quels leviers d’action?Recherche-action 2004-2007,Sandrine Caroly, Fabrice Coutarel,Évelyne Escriva, Yves Roquelaure,Jean-Michel Schweitzer et FrançoisDaniellou, éd. de l’Anact, 2008, 180 p.

Deuxième congrès francophonesur les troubles musculosquelettiques:de la recherche à l’action, 18 et 19 juin, Montréal, Canada,INRS, septembre 2008.

Management de l’innovation,Richard Soparnot, éd. Dunod, 2007,122 p.

L’Innovation dans les services :perspectives et stratégies, HervéMathe, éd. l’Harmattan, 2008, 277 p.

Troubles musculosquelettiques et travail : quand la santé interrogel’organisation, nouvelle éditionrevue et augmentée, FabriceBourgeois, Claude Lemarchand,François Hubault, Catherine Brun,Alexis Polin, Jean-Marie Faucheux,Philippe Douillet et Emmanuel Albert,éd. de l’Anact, 2006, 308 p.

Un bâtiment à construire, une machine àinstaller, un logiciel à déployer… Commentanticiper au plus tôt les effets possibles de cestransformations et corriger d’éventuelles erreurs? En simulant le travail futur grâceà différents outils. Ce nouveau dossier consultable sur www.anact.fr expliquecomment simuler l’organisation du travail, anticiper les besoins de compétences,identifier les risques TMS… à l’aide de différents outils. Du plus artisanal, comme lamaquette en bois ou en carton, au plus technologique comme la plate-forme de réalitévirtuelle, les outils de simulation sont présentés à travers des démarches et exemplesconcrets (monographies français/anglais et vidéos d’entreprises), descriptionscomplètes et illustrées, résumés avec avantages et limites.

TRAVAIL ET CHANGEMENT, le bimestriel du Réseau Anact pour l’amélioration des conditions de travail.Directeur de la publication : Jean-Baptiste Obéniche – directeurs de la rédaction : Gilles Heude – Dominique Vandroz – directrice technique et scientifique : Pascale Levet – rédactrice en chef : Béatrice Sarazin, [email protected]. Contributeurs au dossier : Romain Chevallet, Évelyne Escriva, Sylvain Guard, Xavier Merlin, Anne-Claire Prévost, Fabrice Raspotnik.

Réalisation Reed Publishing – chef de projet : B. Lacraberie ; journalistes : C. Delabroy, M. Jaouën ; secrétaire de rédaction : G. Hochet ; directrice artistique : A. Ladevie ; illustratrice : S. Allard ;fabrication : M-N Faroux – 2, rue Maurice-Hartmann, 92133 Issy-Les-Moulineaux – impression : imprimerie Chirat, 744, rue Sainte-Colombe, 42540 Saint-Just-La-Pendue. Dépôt légal : 2e trimestre 2010. Une publication de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, 4, quai des Étroits, 69321 Lyon Cedex 05, tél. : 04 72 56 13 13.

Sur le site de l’Institut national de veille sanitaire, les bulletinsépidémiologiques de surveillancedes TMS, chiffres et analyses surwww.invs.fr

Prise en compte des situations de travail dans les projets de conception, TMS et retour au travail, priorités de recherche…le site de l’IRSST (Institut de recherche en santé et sécuritéau travail) du Québec livre de nombreuses informations surl’approche de la prévention des TMSau Canada sur www.irsst.qc.ca

Consultez le dossier sur lestroubles musculosquelettiques :de quoi s’agit-il? Des chiffres,des exemples d’entreprises,des études, des guides et toutel’actualité sur le sujet sur

www.anact.fr

à li

reARTICLES« Les activités de conception :créativité, coopération, assistance(dossier) », Aline Chevalier, Le Travail humain, n° 72, janvier 2009,102 p.

« Réalité virtuelle : simuler pour mieux prévoir », L’Usinenouvelle, n° 3160, septembre 2009.

« Savoirs professionnels et prévention des TMS : portrait deleur transmission durant la formationet perspectives d’intervention »,Sylvie Ouellet et Nicole Vézina, Pistes,n° 2, novembre 2009, 38 p.

« Troubles musculosquelettiques : à quand une prévention durable? »,Santé et Travail, n° 62, avril 2008, pp. 25-41.

« Il faut coupler aménagement et organisation du travail »,Entreprises et carrières, n° 935-936,16 décembre 2008, pp. 32-33.

« L’innovation, ça s’organise », Éric Seulliet, Alternatives économiques,n° 259, juin 2007, pp. 66-67.

« Prévention des troubles musculosquelettiques : retourd’expériences croisées », Travail et changement, n° 315,septembre 2007, 16 p.

OUVRAGES ET RAPPORTSInnovation sociale et performanceéconomique : emploi, emplois?Association nationale des DRH, 2009, 29 p.

La Prévention des risquesprofessionnels chez les artisansshaper : démarche d’intervention et outils de simulationorganisationnel, Xavier Merlin et Jean-François Thibault, éd. de l’Anact, Société d’ergonomie etde la langue française, 2009, pp. 39-46.

Ergonomie et management : optimisez vos produits et vos processus, Sacha Kocovski,Édipro, coll. « Ressources humaines »,2009, 174 p.

sur

anac

t.fr

sur

le w

eb

DOSSIER SPÉCIAL« SIMULER LE TRAVAILFUTUR » SUR ANACT.FR

Élaborer une stratégie de prévention des TMS : les 27 et 28 mai 2010 et 6 et 7 octobre 2010, à Lyon. Encore des places disponibles pour cette formationdestinée aux DRH et préventeurs. Renseignements : [email protected].

FORMATIONS DU RÉSEAU ANACT

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www.qualitedevieautravail.org Réseau ANACT pour l’amélioration des conditions de travail

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Forum

Prévention des troubles

musculosquelettiques :

osons l’innovation

jeudi 17 juin 2010 au CNIT à Paris La Défense.

Venez découvrir en avant-première les résultats

du sondage national sur les TMS, les stands

de nos partenaires, de nouveaux ouvrages

à l’espace librairie... et participer à des ateliers

associant témoignages d’entreprises et

analyses d’experts.

SEMAINEpour

la QUALITÉde

TRAVAILVIEau