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— 279 — N° 7087 LA RÉGLEMENTATION DES AGENCES DE NOTATION EN EUROPE : QUAND L’INUTILE AFFAIBLIT LE NÉCESSAIRE « Que peuvent les lois, là où seul l’argent est roi ? ». PÉTRONE SATYRICON Introduction 1. — Le 18 juin 2013, la Commission européenne annonçait l’entrée en vigueur de « règles plus strictes pour les agences de notation de crédit » (1). Ces règles nouvelles qui ont fait l’objet d’intenses discussions au sein des institutions européennes sont contenues dans deux textes : une directive ayant vocation à modifier le droit applicable à certains acteurs du monde finan- cier (2) (ci-après la « directive ») et un règlement modifiant le règlement de base en matière d’agences de notation (3) (ci-après le « règlement ANC III »). 2. — À suivre M. Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, ces nouveaux textes permettront de réaliser de nombreux buts que la Commission s’était assig- nés au lendemain des crises financière et souveraine. Directive et règlement nouveaux permettraient d’augmenter la transpa- rence en matière de notes d’État, renforceraient la concurrence, réduiraient la dépendance excessive à l’égard des notations et ouvriraient la porte à possible réparation en justice en cas de (1) Commission européenne, communiqué de presse : « Des règles plus strictes pour les agences de notation vont entrer en vigueur », 18 juin 2013, doc. IP/13/555. (2) Directive 2013/14/UE du Parlement européen et du Conseil, modifiant la directive 2003/41/CE concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle, la directive 2009/65/CE portant coordination des disposi- tions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organis- mes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et la directive 2011/61/ UE sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs en ce qui concerne la dépendance excessive à l’égard des notations de crédit, 21 mai 2013, J.O. L 145 du 31 mai 2013. (3) Règlement (UE) n o  462/2013 du Parlement européen et du Conseil, modifi- ant le règlement (CE) n o  1060/2009 sur les agences de notation de crédit, texte présentant de l’intérêt pour l’EEE, 21 mai 2013, J.O. L 146 du 31 mai 2013. Rev. prat. Soc. 3/2013 Bruylant - © Groupe Larcier [email protected] / Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick / [email protected]

N° 7087...pour les agences de notation vont entrer en vigueur », 18 juin 2013, doc. IP/13/555. (2) Directive 2013/14/UE du Parlement européen et du Conseil, modifi ant la directive

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N° 7087

LA RÉGLEMENTATION DES AGENCES DE NOTATION EN EUROPE :

QUAND L’INUTILE AFFAIBLIT LE NÉCESSAIRE

« Que peuvent les lois, là où seul l’argent est roi ? ».PÉTRONE SATYRICON

Introduction

1. —  Le 18  juin 2013, la Commission européenne annonçait l’entrée en vigueur de « règles plus strictes pour les agences de notation de crédit » (1). Ces règles nouvelles qui ont fait l’objet d’intenses discussions au sein des institutions européennes sont contenues dans deux textes  : une directive ayant vocation à modifi er le droit applicable à certains acteurs du monde fi nan-cier (2) (ci- après la « directive ») et un règlement modifi ant le règlement de base en matière d’agences de notation (3) (ci- après le « règlement ANC  III »).

2. —  À suivre M.  Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur et des services, ces nouveaux textes permettront de réaliser de nombreux buts que la Commission s’était assig-nés au lendemain des crises fi nancière et souveraine. Directive et règlement nouveaux permettraient d’augmenter la transpa-rence en matière de notes d’État, renforceraient la concurrence, réduiraient la dépendance excessive à l’égard des notations et ouvriraient la porte à possible réparation en justice en cas de

(1) Commission européenne, communiqué de presse  : « Des règles plus strictes pour les agences de notation vont entrer en vigueur », 18 juin 2013, doc. IP/13/555.

(2) Directive  2013/14/UE du Parlement européen et du Conseil, modifi ant la directive 2003/41/CE concernant les activités et la surveillance des institutions de retraite professionnelle, la directive 2009/65/CE portant coordination des disposi-tions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organis-mes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et la directive 2011/61/UE sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs en ce qui concerne la dépendance excessive à l’égard des notations de crédit, 21 mai 2013, J.O. L 145 du 31  mai 2013.

(3) Règlement (UE) no 462/2013 du Parlement européen et du Conseil, modifi -ant le règlement (CE) no  1060/2009 sur les agences de notation de crédit, texte présentant de l’intérêt pour l’EEE, 21  mai 2013, J.O. L  146 du 31  mai 2013.

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faute commise par les agences de notation (4). Pour réaliser ces objectifs, les nouveaux textes étoffent et complètent les règles existantes contenues dans le règlement (CE) n°  1060/2009 sur les agences de notation (5) et modifi ent le droit applicable aux OPCVM, fonds d’investissement alternatifs et instituts de retraite professionnels.

3. — Dans le cadre du présent article, nous nous efforcerons de présenter aussi synthétiquement que possible le cadre réglemen-taire touffu qui résulte des dernières modifi cations législatives. En matière d’agences de notation, comme dans de nombreux autres domaines du droit fi nancier, c’est à un véritable jeu de pistes entre les textes (6) auquel il convient de se livrer afi n d’appréhender et de comprendre les règles qui s’appliquent. Comme nous le verrons, il est en effet impossible de prendre toute la mesure de la régle-mentation en se contentant de lire le règlement (CE) n° 1060/2009 sur les agences de notation tel que par deux fois amendé (7). Pour ce faire, il faut se plonger dans les annexes (souvent présentées comme techniques) et les règlements délégués adoptés par la Com-mission sur la base de propositions de l’Autorité européenne des marchés fi nanciers (ci- après, l’« AEMF »).

4. —  Dans un premier titre, nous présenterons les agences de notation et les notations de crédit (I). Nous profi terons de ce premier chapitre pour introduire les rôles de référent de fait, en raison de l’attention portée aux notes qu’elles émettent et de réfé-rent de droit, leurs « opinions » conditionnant la possibilité pour certains investisseurs institutionnels d’acquérir l’une ou l’autre créance ou déclenchant des clauses de remboursement anticipé introduites dans certains contrats de prêt, qu’endossent les agen-ces de notation.

(4) Commission européenne, communiqué de presse  : « Des règles plus strictes pour les agences de notation vont entrer en vigueur », 18 juin 2013, doc. IP/13/555.

(5) Règlement (CE) no  1060/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16  septembre 2009 sur les agences de notation de crédit (ci- après « règlement ANC  I » ou « règlement »), J.O. L  302 du 17  novembre 2009.

(6) En l’espèce, trois règlements, une directive, six règlements délégués et de nombreux documents établis par l’Autorité européenne des marchés fi nanciers (ci- après, l’« AEMF »), le tout ayant été adopté en à peine plus de quatre ans.

(7) En premier lieu par le règlement (UE) no°513/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 11  mai 2011 modifi ant le règlement (CE) n  °060/2009 sur les agences de notation de crédit (J.O. L  145 du 31  mai 2011), par le règlement ANC  III ensuite.

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Dans un second titre, nous verrons comment d’un néant légis-latif total l’Union européenne a élaboré en l’espace de quelques années un cadre réglementaire complet et complexe (II). Dans une troisième section, nous entrerons dans le vif du sujet et ana-lyserons les règles applicables aux agences de notation de crédit (III). Ces règles tendent à organiser l’enregistrement obligatoire des agences auprès de l’AEMF (III, A), leur organisation interne et externe (III, B), l’activité de notation (III, C), le marché de la notation (III, D) ainsi que la responsabilité des agences, tant vis- à- vis de leur autorité de contrôle (III, E, § 1) que de l’investisseur ou l’émetteur préjudicié (III, E, §  2). En guise de conclusions, nous nous proposons de donner un avis nuancé sur l’opportunité et l’applicabilité de ces règles.

I.  — Les notations et les agences de notation

A.  —  LES NOTATIONS (RATINGS)

5. —  Une notation fi nancière (ou note) est l’opinion indépen-dante d’une agence de notation sur la capacité d’un émetteur, privé ou public, à rembourser sa dette (8). Une note permet aux investisseurs d’évaluer le risque de défaut de l’émetteur de la dette, soit le risque potentiel que celui- ci ne rembourse jamais. Les agences livrent leurs notes sous forme de groupe de trois lettres,

(8) Voy. la défi nition de la notation dans le règlement  1060/2009, art.  3, §  1, (a), tel qu’amendé par le règlement ANC III : « un avis, émis par application d’un système de classifi cation bien défi ni et bien établi prévoyant différentes catégories de notation, concernant la qualité de crédit d’une entité, d’une dette ou obligation fi nan-cière, d’un titre de créance, d’actions privilégiées ou autres instruments fi nanciers, ou d’un émetteur d’une telle dette ou obligation fi nancière, d’un tel titre de créance, de telles actions privilégiées ou d’un tel instrument fi nancier ». Voy., en doctrine, BCE, « Market dynamics associated with credit ratings », Occasional Paper Series, no  16, juin  2004, p.  7 ; U.  BLAUROCK, op.  cit., p.  1 ; K.  CHARLES, « Regulatory Imperialism  : The Worldwide Export of European Regulatory Principles on Cre-dit Rating Agencies », Minnesota Journal of International Law, 19, 2, 2010, p. 399 ; G.  HUSISIAN, « What Standard of Care Should Govern the World’s Shortest Edi-torials? An Analysis of Bond Rating Agency Liability », Cornell Law Review, 410, 1989-1990, pp.  412-413 ; T.  LYNCH, « Deeply and Persistently Confl icted: Credit Rating Agencies in the Current Regulatory Environment », Legal Studies Research Paper Series —  Indiana University Maurer School of Law, Research Paper no  133, avril  2009, p.  11 ; F.  PARTNOY, « How and Why Credit Rating Agencies Are Not Like Other Gatekeepers », op.  cit., p.  61  ; E.  WYMEERSCH et M.  KRUITHOF, op.  cit., p.  1.

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parfois accompagnées d’un symbole positif ou négatif (9). Cette représentation permet aux investisseurs de savoir immédiatement le degré de risque attribué, les lettres se présentant sur une échelle de défaut potentiel, allant de AAA (le fameux triple A, degré le plus sûr) à D (plus de remboursement envisageable, l’émetteur est en situation de faillite). Si tous utilisent des lettres, notons que les agences se différencient en utilisant des combinaisons de majuscules et de minuscules, en ayant des échelles différentes, et surtout en se revendiquant de méthodes propres pour aboutir à ces notes (10). Par ailleurs, les agences ont adopté des méthodes de notation différentes en fonction des titres de créance qu’elles sont amenées à noter (obligations, dettes souveraines, etc.). Le point commun des ratings de toute agence tient en la distinction entre les notes d’investissement (Investment grade) et les notes de spéculation (Speculative grade, plus communément, junk bonds). Relever de la première catégorie de notes implique pour les émet-teurs une confi ance du marché qui facilite le fi nancement grâce à l’obtention de meilleurs conditions d’emprunt (11). Appartenir à la seconde catégorie implique des difficultés d’autant plus grandes pour les entreprises que de nombreux contrats comprennent des clauses de seuils (dites rating triggers) (12). Si la note de la dette

(9) Et ce sans parler des indicateurs que sont les watch et les outlooks. BCE, « Market dynamics associated with credit ratings », op.  cit., p.  7 ; D.  KERWER, « Rating Agencies: Setting a Standard for Global Financial Markets », Economic Sociology, 3, 3,  juin  2002, p.  42.

(10) S&P, Corporate Ratings Criteria, 2006, pp.  19-42  ; S&P, Guide to Credit Ratings Essentials, version  1.3, 2010, p.  3. Moody’s, Ratings Policy and approach (page du site internet de Moody’s, https://www.moodys.com/Pages/amr002003.aspx), consultation le 16  février 2014. Voy. « L’agence de notation Fitch défend son modèle —  Interview de M.  Ladreit de Lacharrière, président de Fitch », Le Figaro, 9  juillet 2010 ; U.  BLAUROCK, op.  cit., p.  3 ; J  SACK et S.  JURIS, « Rating agencies  : Civil Liability Past and Future », New York Law Journal, 88, 2007, pp.  238 et sq.

(11) AFP, Rating Agencies Survey: Accuracy, Timeliness, and Regulation, novembre  2002, p.  5 ; U.  BLAUROCK, op.  cit., p.  7 ; T.  BRUYNINCKX, « Rating Agencies : inhoud, reglementering en aansprakelijkheid », Jura Falconis, 44e année, 2007-2008, no 1, p. 76 ; P.- H. CONAC, op.  cit., p. 69 ; G. HUSISIAN, op.  cit., p. 418 ; Y. LISTOKIN et B. TAIBLESON, « If You Misrate, then You Lose: Improving Credit Rating Accuracy Through Incentive Compensation », Yale Journal on Regula-tion,  janvier  2010, p.  92.

(12) AFP, Rating Agencies Survey: Accuracy, Timeliness, and Regulation, op.  cit., p.  6 ; BCE, Market dynamics associated with credit ratings, op.  cit., pp.  12-15 ; U.  BLAUROCK, op.  cit., p.  8 ; Committee on governmental affairs —  United States Senate, Testimony of John Diaz, Managing Director, Moody’s Investors Service, 20  mars 2002, p.  3 ; T.  LYNCH, op.  cit., p.  20.

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passe sous le seuil de la notation d’investissement, ces clauses déclenchent une obligation de remboursement anticipé dans le chef de l’emprunteur, au minimum, et peuvent prévoir le pai-ement d’intérêts supplémentaires, de pénalités, etc. Ces clauses ont été considérées comme un des éléments ayant alimenté la crise en créant des problèmes supplémentaires de liquidité chez les sociétés emprunteuses.

6. —  Nombre d’investisseurs institutionnels importants (comme les fonds de pension) sont interdits d’acheter des obli-gations notées en grades spéculatifs. Il est dès lors crucial pour tout émetteur de dette d’être bien noté ou de voir ses produits bien notés par les agences de notation que nous allons à présent nous attacher à présenter.

B.  —  LES AGENCES DE NOTATION (RATING AGENCIES)

7. —  Jusqu’à l’explosion de la crise fi nancière, les agences s’étaient toujours gardées de révéler leur présence autrement que par l’apparition régulière de quelques lettres accolées les unes aux autres (13). Personne dans le « public » ne connaissait les noms de Fitch, Moody’s ou de Standard & Poor’s.

8. —  Les premières notations furent émises au sujet de titres des chemins de fer américains par Moody’s Analyses of Railroad Investments en 1909 (14). Un peu plus d’un siècle plus tard, parler

(13) U.  BLAUROCK, « Control and Responsibility of Credit Rating Agencies », E.J.C.L., décembre  2007, p.  14 ; P.- H.  CONAC, « Les analystes et les agences de notation en droit américain », in J. MONEGER (dir.), La sécurité fi nancière, Société de législation comparée, Paris, 2006, p. 66 ; Y. LISTOKIN et B. TAIBLESON, « If You Misrate, then You Lose: Improving Credit Rating Accuracy Through Incentive Compensation », Yale Journal on Regulation, janvier  2010, p.  94 ; E.  WYMEERSCH et M. KRUITHOF, « Regulation and Liability of Credit Rating Agencies under Bel-gian Law », Ghent University Financial Law Institute Working Paper, no  2006-05, 2006, disponible sur la bibliothèque scientifi que en ligne SSRN (http://ssrn.com/abstract=894820), p.  51, publié dans E.  DIRIX et Y.  LELEU (dir.), The Belgian reports at the Congress of Utrecht of the International Academy of Comparative Law, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 351-420 ; E. BENMELECH, et J. DLUGOSZ, « The Cre-dit Rating Crisis », NBER Working Paper no w15045, juin 2009, pp. 1-5 ; J. COF-FEE, « Ratings Reform  : The Good, The Bad and The Ugly », Harvard Business Law Review, 2011/1, pp.  236-246.

(14) AFP, Rating Agencies Survey: Accuracy, Timeliness, and Regulation, op.  cit., p.  19 ; N.  GAILLARD, op.  cit., p.  7  ; F.  PARTNOY, « How and Why Credit Rating Agencies… », op.  cit., p.  62 ; S.  ROUSSEAU, « Enhancing the Accountabi-lity… », op.  cit., p.  621.

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des agences de notation c’est parler de trois sociétés  : Moody’s (États- Unis), Standard & Poor’s (États- Unis) et Fitch (États- Unis, mais détenue en majorité par le groupe français Fima-lac). Issues de différentes concentrations, ces trois entreprises détiennent, depuis les années 1940, le contrôle du marché de la notation, ayant absorbé petit à petit l’ensemble de leurs concur-rents (15). En 2008, il était estimé que les « trois grandes » agen-ces (Big Three) réalisaient 94 % du chiffre d’affaires mondial de l’industrie de la notation (16). Des chercheurs ont estimé à 30 tril-lions, soit milliards de milliards, le volume de dette noté par les agences américaines (17). Avant la crise, en 2006, le seul marché de la titrisation européen représentait un volume d’émission de 450  milliards d’euros (18). La notation des produits structurés aurait représenté à elle seule pour certaines années la moitié de leur chiffre d’affaires (19). S’il est aujourd’hui difficile de se faire une idée précise du chiffre d’affaires global engendré par l’activité de notation, on remarquera néanmoins que la répar-tition des rôles n’a guère été affectée par les crises et les nom-breuses législations adoptées pour tenter de juguler le rôle des agences dans les marchés. Dans son rapport de décembre  2013, l’AEMF constatait qu’en Europe, la part de marché de Fitch était de 17,66 %, celle de Standard & Poor’s de 34,61 % et celle de Moody’s de 34,75 % (20).

(15) N.  GAILLARD, op.  cit., p.  10. À titre d’information belgo- centrée, Fermat International, agence de notation belge, a été rachetée en 2008 par Moody’s  : http://fermat.fr/news/2009/fermat- acquired- by- moodys.asp.

(16) Comm. EU, Commission Staff Working Document —  Impact assessment accompanying document to the Proposal for a Regulation of the European Parlia-ment and the Council amending Regulation no 1060/2009 on Credit Rating Agencies, 2  juin 2010, SEC (2010) 678, p.  6 ; U.  BLAUROCK, op.  cit., p.  5 ; N.  GAILLARD, op.  cit., p.  11 ; A.  PIQUEMAL, « Les agences de notation en question », Euredia, 1, 2009, p.  144 ; E.  WYMEERSCH et M.  KRUITHOF, op.  cit., n°  18.

(17) Y.  LISTOKIN et B.  TAIBLESON, op.  cit., p.  92. (18) AMF, La notation est- elle une réponse efficace aux défi s du marché des

fi nancements structurés ?, mars  2007, p.  7. (19) B.  DU MARAIS et Ph.  FROUTE, op.  cit., p.  4. (20) AEMF, CRA’s Market share calculation according to article  8d of the CRA

Regulation, 16  décembre 2013, ESMA/2013/1933, p.  6. Ce document résume éga-lement dans un tableau les secteurs dans lesquels les agences de notation enre-gistrées auprès de l’AEMF sont actives. Seules 4 sont full service (c’est- à- dire peuvent noter les dettes d’entreprises, d’institutions fi nancières, d’entreprises d’assurances, d’État ainsi que les produits fi nanciers structurés et les obligations garanties)  : DBRS, Fitch, Moody’s et Standard and Poor’s.

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9. —  S’il ne nous paraît pas utile dans le cadre de la présente contribution d’entrer dans le détail de l’histoire des agences, les questions de leur rémunération et de l’acquisition de leur rôle réglementaire ont suscité de nombreuses questions et, comme nous le verrons aux chapitres suivants, l’intervention des auto-rités européennes.

10. —  Pendant les premières décennies de leur existence, les agences de notation se rémunéraient en vendant leurs analyses aux investisseurs. Ce faisant, leur travail se rapprochait forte-ment de celui des analystes fi nanciers qui conseillent leurs clients dans leurs achats d’actions ou autres parts sociales, les agences donnant quant à elles des opinions sur des titres de créances, sur de la dette. Puis, au milieu des années 1970, les agences changè-rent de modèle et passèrent au modèle dit de l’« émetteur- payeur » (issuer- pays model) qui a fait et fait toujours couler beaucoup d’encre (21). Dans ce système, ce n’est plus l’investisseur en quête d’informations qui paie l’agence pour connaître son opinion sur la probabilité de remboursement d’une dette, mais l’émetteur de cette dette qui rémunère l’agence afi n qu’elle note le titre de créance émis ou à émettre. Parmi les principales raisons de ce changement de paradigme, deux sont fréquemment invoquées  :

(21) Le préambule du prochain règlement européen a été modifi é par le Parle-ment pour affirmer expressément que « La sélection et la rémunération de l’agence de notation par l’entité notée (modèle de l’émetteur- payeur) engendrent en soi des confl its d’intérêts » (nous soulignons) (résolution législative du Parlement européen du 16 janvier 2013, p. 36). Voy. également les critiques : Comm. EU, Commission Staff Working Document accompanying document to the Proposal for a Regulation of the European Parliament and the Council on Credit Rating Agencies, op.  cit., p.  15 ; N.  GAILLARD, op.  cit., p.  12 ; T.  LYNCH, op.  cit., pp.  20-22 ; F.  PART-NOY, « How and Why Credit Rating Agencies… », op.  cit., p.  69 ; S.  ROUSSEAU, « Enhancing the Accountability of Credit Rating Agencies… », op.  cit., p.  625 ; S.  ROUSSEAU, « Regulating Credit Rating Agencies after the Financial Crisis  : The Long and Winding Road toward Accountability », Capital Markets Institute Research Paper —  Rotman School of Management (University of Toronto), juil-let  2009, pp.  45-46 ; J.  SACK et S.  JURIS, « Rating agencies  : Civil Liability Past and Future », New York Law Journal, 238, 2007, pp.  88 et sq. ; U.S. SEC, Sum-mary Report of Issues Identifi ed in the Commission Staff’s Examinations of Select Credit Rating Agencies, juillet 2008, pp. 23-27 et pp. 31-32. Voy. les réactions des agences  : MOODY’S, Moody’s Investors Service Response to the European Commis-sion Public Consultation on Credit Rating Agencies, 7  janvier 2011, pp.  17-21 ; MOODY’S, pp. 7-9 ; S&P, Guide to Credit Ratings Essentials, version 1.3, 2010, p. 9 ; « Preserve “issuer pays” model —  Existing system lets us distribute our ratings for free at all investors », USA Today, Position de Deven Sharma, président de Standard & Poor’s, 22  mars 2010.

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d’une part, les agences ont par ce changement de modèle remédié au problème du « passager clandestin », soit la diffusion de leur travail à des personnes ne l’ayant pas payé grâce à l’apparition des photocopies. D’autre part, et plus fondamentalement, cette modifi cation du système de rémunération des agences répond à un besoin des sociétés de voir leur dette notée afi n de pouvoir se fi nancer de manière désintermédiée. Une entreprise très mal notée ou pas notée aura beaucoup de difficultés à se fi nancer à un taux correct sur les marchés (22). Les taux d’emprunt sont en effet fonction de la crédibilité dont jouissent les sociétés, de leur capacité évaluée à rembourser intégralement endéans les délais leurs dettes. Ce mouvement s’est prolongé avec l’accroissement du nombre de produits titrisés et l’intervention des agences en amont de la notation, au moment de la structuration de ces produits. Là où les titres de créance classiques (obligations, bons d’État) n’étaient et ne sont notés par les agences qu’après avoir été con-çus, les produits issus de la titrisation étaient, selon l’expression, « structurés pour être notés » (23). On aperçoit sans mal les confl its d’intérêts qui peuvent être la conséquence de cette pratique (24).

11. — Un deuxième phénomène a contribué à faire des agences de notation des acteurs incontournables des marchés fi nanciers. Il s’agit de l’acquisition par les agences d’une place d’arbitre régle-mentaire (25). Ce phénomène est accentué dans le chef des Big

(22) N.  GAILLARD, op.  cit., p.  40. (23) Comme le soulevait M.  Prada, alors président de l’Autorité française des

marchés fi nanciers, « la notation n’est plus le constat ex post d’une situation don-née, mais l’objectif fi xé ex ante d’une entité à créer. En outre et compte tenu de la complexité des produits, un grand nombre d’investisseurs se sont reposés largement sur l’analyse réalisée par les agences au- delà, sans doute, de ce qui aurait été raisonnable […] », cité par A.  PIQUEMAL, op.  cit., pp.  140-141.

(24) U.  BLAUROCK, op.  cit., pp.  30-32 ; K.  CHARLES, op.  cit., pp.  427-434 ; B.  DU MARAIS et Ph.  FROUTE, « Le droit, les agences de notation et la crise du crédit », Revue d’économie fi nancière, hors série, 2008, disponible sur le site de l’Université de Paris X Nanterre : www.u- paris10.fr/servlet/com.univ.collaboratif.utils.LectureFichiergw?CODE_FICHIER=1216255034225&ID_FICHE=165630, p.  4 ; Y. LISTOKIN et B.  TAIBLESON, op.  cit., p.  99 ; F.  PARTNOY, « How and Why Credit Rating Agencies… », op.  cit., pp.  68-73 ; S.  ROUSSEAU, « Enhancing the Accountability of Credit Rating Agencies  : The Case for a Disclosure- Based Approach », McGill Law Journal, 2006, 51, pp.  634-635.

(25) Pour une présentation de ce rôle en droit européen, voy. le résumé qui en est fait par la Commission  : Comm. EU, Public consultation on Credit Rating Agencies (Consultation paper), 5  novembre 2010, pp.  29-32. Voy. en droit belge  : art.  1er de l’arrêté royal modifi ant les règles relatives au placement des dispo-nibilités de l’Office national des pensions du 12  août 1993 ; art.  6, 22 et 56 en

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Three. Bien souvent en effet, ce fut la réputation internationale de ces agences qui était recherchée, voire mentionnée en toutes lettres dans les normes (26). Une fois n’est pas coutume, le mou-vement est d’origine américaine. À la suite de la crise de 1929, une réglementation fut adoptée afi n que les banques américai-nes ne puissent désormais plus acheter de titres spéculatifs ou en défaut (27). Cette mesure fut imitée par de nombreux États et adaptée au gré des évolutions du marché comme le démontre la mise en place de l’interdiction pour certains investisseurs institu-

particulier de l’arrêté royal relatif aux organismes de placement en créances du 29  novembre 1993 ; point  II. 11 de la circulaire relative au budget pour 2005 des communes de la Région wallonne à l’exception des communes de la Com-munauté germanophone du 7  octobre 2004 ; art.  23, §  2, de l’arrêté royal relatif à certains organismes de placement collectif publics du 4  mars 2005 ; chapitre  6 de l’arrêté de la Commission bancaire, fi nancière et des Assurances concernant le règlement relatif aux fonds propres des établissements de crédit et des entreprises d’investissement du 17  octobre 2006 ; art.  63, in fi ne, de l’arrêté royal portant les règles et modalités visant à transposer la directive  concernant les marchés d’instruments fi nanciers du 3  juin 2007 ; AFP, Rating Agencies Survey: Accuracy, Timeliness, and Regulation, op.  cit., p.  19 ; Comm. EU, Public consultation on Credit Rating Agencies, 5 novembre 2010, p. 5 ; IOSCO, Comments of the Zentraler Kreditausschuss on the Code of Conduct Fundamentals for Credit Rating Agencies of the International Organization of Securities Commissions (IOSCO), 8  novem-bre 2004, p.  2 ; U.  BLAUROCK, op.  cit., pp.  8-9 ; T.  LYNCH, op.  cit., pp.  18-19 ; F.  PARTNOY, « How and Why Credit Rating Agencies… », op.  cit., pp.  81-83 ; A.  PIQUEMAL, op.  cit., pp.  154-160 ; A.  PINTO, « Control and Responsibility of Credit Rating Agencies in the United States », Brooklyn Law School Legal Studies Research Papers, Research Paper no  119, octobre  2008, pp.  7-13 ; E.  WYMEERSCH et M.  KRUITHOF, op.  cit., pp.  7-8.

(26) Notamment en Belgique, voy. annexe  II du règlement technique pour la gestion du réseau de distribution d’électricité en Région de Bruxelles- Capitale et l’accès à celui- ci, pris en exécution de l’article  11 de l’ordonnance du 19  juillet 2001 relative à l’organisation du marché de l’électricité en Région de Bruxelles- Capitale qui dispose pour avoir accès au réseau bruxellois, il faut être crédité « d’un […] rating officiel accordé par un bureau de rating reconnu et officiel cor-respondant au moins à A3 selon la défi nition au Standard & Poors, Moody’s ou Fitch telle que défi nie par Moody’s. Ce rating minimum doit être maintenu pendant toute la durée du contrat conclu avec le gestionnaire de réseau de distribution » (nous soulignons) ; art.  14, §  2, de la loi sur les provisions constituées pour le démantè-lement des centrales nucléaires et pour la gestion des matières fi ssiles irradiées dans ces centrales du 11 avril 2003 qui subordonne la perte d’un privilège général sur meubles à l’absence de garantie accordée par une « société mère de l’exploitant nucléaire ou [par] une institution de crédit […] à condition que le garant concerné dispose auprès d’une agence de notation de réputation internationale d’un credit rating égal au credit rating qui correspond à une quotité de prêt maximale de 75 %  […]  »  (nous soulignons). Voy. également la directive  2006/48, « Exigences de fonds propres », dont référence infra, qui, en son annexe  VI, partie  2, §  2.1, objectivise les critères de la réputation d’une agence.

(27) N. GAILLARD, op.  cit., p.  103.

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tionnels, en particulier les fonds de pension américains, d’acquérir des titres de créance classés en notes de spéculation (28). L’apogée de ce mouvement a été la consécration du rôle des agences de notation dans la détermination du capital réglementaire que les banques doivent détenir lors de la conclusion des accords de Bâle  II ; accords qui concernent la plupart des États actifs sur les marchés fi nanciers (29).

II.  —  Le cheminement européen vers l’adoption en 2009 du premier règlement

en matière d’agences de notation

12. —  Avant l’entrée en vigueur du règlement (CE) n°  1060/2009 (30), aucun texte ne réglementait l’activité de la notation en Europe. Seul un texte de soft law, un code de con-duite (31), avait été adopté en 2004 par l’Organisation internatio-nale des commissions de valeurs (OICV). Ce code de conduite (plus communément appelé Code IOSCO (32) du nom de l’abréviation anglaise de l’OICV) était considéré en Europe et dans le monde comme la référence en matière de régulation des agences de nota-tion et son infl uence est restée non négligeable (33).

(28) E. WYMEERSCH et M.  KRUITHOF, op.  cit., pp.  8-9 et en page  13 où les auteurs citent le cas de l’Office national des pensions.

(29) Les États membres du Comité de Bâle sont, à la date du 4  avril 2014  : l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Arabie Saoudite, l’Argentine, l’Australie, la Belgi-que, le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée, l’Espagne, les États- Unis, la France, Hong Kong SAR, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, le Japon, le Luxembourg, le Mexi-que, les Pays- Bas, le Royaume- Uni, la Russie, Singapour, la Suède, la Suisse et la Turquie  : http://www.bis.org/bcbs/index.htm.

(30) Pour plus de détails sur ce cheminement, voy. E. WEEMAELS, « La respon-sabilité des agences de notation — Des sociétés responsables comme les autres ? », R.P.S., 2012/2, pp.  123-230.

(31) Le texte du code est disponible (uniquement en anglais) sur le site de l’OICV à l’adresse suivante  : http://www.iosco.org/library/pubdocs/pdf/IOSCOPD271.pdf.

(32) Le nom et l’acronyme français sont peu utilisés dans la pratique. Cette organisation rassemble les organes chargés de la surveillance des marchés d’une grande majorité des États ce qui explique l’infl uence de ces recommandations sur les acteurs du monde fi nancier, et ce même si elles sont formellement dépourvues de toute force contraignante. Voy. la liste des membres de l’organisation  : http://www.iosco.org/lists/display_members.cfm?memID=1&orderBy=none.

(33) Le règlement européen de décembre  2009 s’y réfère expressément  : règle-ment sur les agences de notation, op.  cit., considérant no  8. Voy. également la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les agences de

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13. —  Si le Code IOSCO constituait une première forme d’encadrement de l’activité de la notation, celle- ci pouvait large-ment être vue comme une émanation du marché. L’OICV qui a présidé à sa rédaction s’était en effet engagée dans la voie de l’autorégulation. Dans son premier règlement, l’Union euro-péenne semblait avoir opté pour une solution intermédiaire entre l’absence de régulation étatique et l’établissement de lourdes nor-mes prudentielles (34). En réalité, il apparaît que c’est la volonté de réagir rapidement qui a poussé l’Union à adopter dans un premier temps un encadrement des agences relativement léger. L’Union se devait de réagir au lendemain de la crise fi nancière et voulait lancer des signes forts de sa volonté de réguler les marchés. L’adoption du règlement (CE) n° 1060/2009 n’était que la première étape de la régulation des agences par l’Europe.

14. —  Le déclenchement de la crise fi nancière à l’été 2007 a provoqué une forme de remise à zéro des comptes. Les États ont dû très lourdement investir dans leurs économies et ont en conséquence souhaité prendre des mesures rapides pour prévenir de nouveaux séismes fi nanciers d’une telle magnitude (35). À cet

notation, COM (2008) 704 fi nal, 12 novembre 2008, pp. 2-3  : « (…) la Commission considère le code de conduite révisé de l’OICV- IOSCO comme la référence mondiale » (nous soulignons). Voy. également CERVM- CESR, CESR favours Self- Regulation of Credit Rating Agencies established around an Internationally agreed code for the time being, 30  mars 2005 ; Comm. EU, Commission Staff Working Document accompanying document to the Proposal for a Regulation of the European Parlia-ment and the Council on Credit Rating Agencies, op.  cit., pp.  43-45 ; G20, Declara-tion on Strengthening the Financial System, London, 2  avril 2009, p.  6 ; Moody’s, Public Comment on Consultation Report on Unregulated Financial Markets and Products (IOSCO Report), 15  juin 2009, p.  5 ; MOODY’S, 2012 Report on the Code of Professional Conduct, mars 2013 ; OICV- IOSCO, Credit Rating Agencies: Internal Controls Designed to ensure the Integrity of Credit Rating Process and Procedures to manage confl ict of interest, mai  2012, doc. CR380/2012 ; U.  BLAUROCK, op.  cit., p. 26 ; K. CHARLES, op. cit., p. 408 ; S. ROUSSEAU, « Enhancing the Accountability of Credit Rating Agencies: The Case for a Disclosure- Based Approach », op.  cit., pp. 647-651 ; S. UTZIG, « The Financial Crisis and the Regulation of Credit Rating Agencies: A European Banking Perspective », ADBI Working Paper Series, no 188, janvier  2010, p.  7. Avant l’adoption de normes de nature législative, d’autres textes existaient, mais aucun n’a eu l’infl uence du code IOSCO. Voy. entre autres ACT- AFP- AFTE, Code of Standard Practices for Participants in the Credit Rating Process, 1er  mars 2005 ; SIFMA, Recommendations of the Securities Industry and Financial Markets Association —  Credit Rating Agency Task Force, juillet  2008.

(34) B.  COLMANT, « Réfl exions sur les crises », Euredia, 1, 2011, p.  104. (35) Particulièrement rapides, si on compare la situation des agences à celle

des analystes fi nanciers. La responsabilité de ceux- ci a été envisagée à la suite d’une série de déboires fi nanciers semblables à ceux engendrés par l’activité de

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égard, il était devenu inconcevable que les agences de notation demeurent dans un néant législatif alors même que l’Union s’est attachée au cours des dernières années à réguler l’activité des banques, des organismes de placement collectif, des entreprises d’investissement, etc.

15. —  La rédaction d’un texte contraignant réglementant l’activité des agences n’a pourtant pas toujours été une évidence. Entre la « demande d’avis technique au Comité européen des régu-lateurs des marchés de valeurs mobilières (CERVM —  CESR) sur d’éventuelles mesures concernant les agences de notation de crédit » (36) de 2004 et l’adoption du règlement en 2009, il est manifeste que les mentalités du législateur et des membres du Conseil européens ont évolué au vu des conséquences dramatiques de la crise sur les marchés d’abord, sur l’économie réelle ensuite et enfi n sur les dettes des États.

16. — En 2004, la Commission demande un avis au CERVM (37) pour savoir s’il est nécessaire de prendre des mesures et, le cas échéant, lesquelles, pour prévenir à l’avenir en Europe des débâ-cles similaires à la faillite de Parmalat ou à celle vécue aux États- Unis à la suite de la faillite biblique d’Enron (38). Les sujets sur lesquels le Comité s’est interrogé se rencontreront dans l’ensemble des documents européens subséquents consacrés aux agences de notation. Il s’agit des problématiques relatives aux confl its d’intérêts nés du modèle dit « émetteur- payeur » (39), à la transpa-rence des méthodes de notation, au traitement par les agences des informations confi dentielles et au manque de compétitivité sur le

notation. Pourtant à l’heure actuelle, l’activité d’analyse fi nancière n’est pas spé-cifi quement réglementée. Si la directive MiFID s’applique, le régime des analystes n’est régi que par la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen « Recherche en investissements et analystes fi nanciers », 12 décembre 2006, COM(2006) 789 fi nal.

(36) Comm. EU, Call to CESR for technical advice on possible measures con-cerning Credit Rating Agencies, 27  juillet 2004.

(37) Notez que le CERVM a été remplacé en date du 1er  janvier 2011 par l’Autorité européenne des marchés fi nanciers (AEMF, ou ESMA, European Secu-rities and Markets Authority) par le règlement no  1095/2010 du Parlement euro-péen et du Conseil, du 24  novembre 2010 instituant une Autorité européenne de surveillance (Autorité européenne des marchés fi nanciers), modifi ant la décision no  716/2009/CE et abrogeant la décision 2009/77/CE de la Commission.

(38) Comm. EU, Call to CESR for technical advice on possible measures con-cerning Credit Rating Agencies, 27  juillet 2004, p.  2 ; K.  CHARLES, op.  cit., p.  403.

(39) Voy. supra.

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marché des ratings. À l’époque, le CERVM se prononçait franche-ment en défaveur d’une réglementation d’émanation législative pour privilégier une autorégulation basée sur le Code IOSCO (40).

17. —  Si l’Union européenne est une machine complexe dont l’efficacité est fortement tributaire d’accords politiques parfois difficiles à dégager, dans le domaine de la régulation des agen-ces de notation, le consensus fut rapidement atteint. Au len-demain du début de la crise fi nancière, lors de sa 2882e  réunion, le 8 juillet 2008, le Conseil des affaires économiques et fi nancières de l’Union décide de soutenir les propositions de la Commission quant à la mise en place d’un système d’enregistrement des agen-ces (41). Trois ans après, l’organe- conseil de l’Union européenne en matière fi nancière, le CERVM, a aussi changé d’avis et pré-conise la création d’une instance de contrôle proprement euro-péenne en l’absence d’une telle instance au niveau international et incite l’Union à prendre des mesures afi n d’assurer l’intégrité et la qualité du processus de notation (42). Les choses iront ensuite très vite  : entre la proposition de règlement et le règlement lui- même (43), il s’écoulera à peine plus d’un an. Adopté le 16  sep-tembre 2009, l’ensemble de ses dispositions étant d’application dès son entrée en vigueur, le règlement l’est intégralement depuis le 7  juin 2011 (44).

18. — Le règlement (CE) n° 1060/2009 a été par la suite modi-fi é par deux règlements (les règlements nos  513/2011 et 462/2013, respectivement désignés comme règlements ANC II et ANC III), lesquels forment ensemble le droit applicable aux agences de notation en Europe.

(40) CERVM- CESR, CESR favours Self- Regulation of Credit Rating Agencies established around an internationally agreed code for the time being, 30  mars 2005, Ref.: CESR/05-198.

(41) Conseil de l’Union europénne, Council conclusions on Transparency and Rating Agencies, 2882nd Economic and Financial affairs Council meeting, Brus-sels, 8  juillet 2008.

(42) CERVM- CESR, CESR advises the European Commission to take steps and offers its proposal to enhance the integrity and quality of the rating process, 19  mai 2008, réf.  : CESR/08-404.

(43) La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil, sur les agences de notation, COM (2008) 704 fi nal date du 12  novembre 2008 et le règlement lui- même a été adopté le 17  novembre 2009.

(44) Art.  41 du règlement (CE) n°  1060/2009.

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III.  — Le droit applicable aux agences de notation de crédit en Europe

19. —  En guise de préliminaire, le champ d’application du règlement (CE) n°  1060/2009. Le règlement s’applique aux notations émises par des agences de notation enregistrées dans l’Union qui revêtent un caractère public. Sont en conséquence exclues du champ du règlement (45) les notations personnalisées de nature privée (qui relèveraient alors du conseil et tomberaient dans le champ d’application de la directive MiFID), les scores de crédit (46), les notations établies par les organismes de crédit à l’exportation ainsi que les notations établies par une banque centrale pour autant qu’elles soient émises gratuitement, qu’elles ne soient pas publiques et qu’elles ne concernent pas la dette souveraine de l’État auquel est attaché la banque centrale et soient établies dans le respect de stricts principes d’indépendance et d’intégrité (47).

20. —  Le règlement s’applique donc aux seules notations émises par des agences enregistrées dans l’Union (48). Si aucune obligation n’est faite aux agences de s’établir en Europe et de s’enregistrer auprès des autorités de contrôle, le règlement impose par contre aux banques, compagnies d’assurance, institutions de retraite professionnelles, sociétés de gestion et consorts de

(45) Art.  2 du règlement (CE) n°  1060/2009. (46) Les scores de crédit sont principalement utilisés par les établissements

de crédit en interne pour évaluer le risque encouru lorsqu’ils octroient un prêt à la consommation (M.- C.  BARRET BARNAY, « Le contrôle de l’octroi de crédit dans les États membres de l’Union européenne », R.E.D.C., 3/2002, p. 179, n° 21) ou pour évaluer le risque des portefeuilles obligataires qu’ils détiennent (T.  VAN GESTEL et al., « A Support Vector Machine Approach to Credit Scoring », R.B.F., 2/2003, pp.  73-82).

(47) Pour l’heure, seule la Banque de France a reçu une dispense en bonne et due forme de la part de la Commission pour ses activités de notation d’entreprises  : décision de la Commission du 18  juin 2010 exemptant la Banque de France de l’application du règlement (CE) no  1060/2009 du Parlement euro-péen et du Conseil sur les agences de notation de crédit [notifi ée sous le numéro C(2010) 3853, disponible sur http://eur- lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2010:154:0029:0030:FR:PDF.

(48) L’article  2, §  1, du règlement (CE) n°  1060/009 tel que consolidé au 20  juin 2013 se lit comme suit  : « Le présent règlement s’applique aux notations de crédit qui sont émises par des agences de notation de crédit enregistrées dans l’Union et qui sont communiquées au public ou diffusées sur abonnement ». Le centre de gravité est clairement placé sur les notes et non sur les agences dont l’Union cherche à réduire l’infl uence par tous les moyens à sa disposition.

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n’utiliser à des fi ns réglementaires que des notations émises par des agences établies dans l’Union et enregistrées conformément au règlement.

La boucle est donc bouclée  : au risque de perdre leur clientèle, les agences de notation n’ont d’autre choix que de se soumettre à ce nouvel encadrement de leurs activités, et ce d’autant plus que l’Union a instauré un système de contrôle des notes venant d’États non- membres (procédures dites d’aval et de certifi cation, voy. ci- dessous).

La question se pose toutefois de l’avenir d’une telle obliga-tion. On verra en effet ci- dessous qu’un des chevaux de bataille du G20 (49), et de l’Union à sa suite, est la disparition de toute référence réglementaire aux notations d’agence. Le chemin est encore long avant de parvenir à cet objectif, mais il est intéres-sant de constater que l’Europe essaye aujourd’hui d’inverser une tendance qu’elle a elle- même développée. Bien avant les crises, et à la suite des États- Unis, quand les notations apparaissaient encore comme des indicateurs neutres, elles ont été insérées dans de très nombreuses réglementations.

Cette multiplication de l’usage des notations à des fi ns régle-mentaires a placé l’Union dans une situation délicate. Aujour-d’hui, il s’agit pour les 28 de se livrer à un numéro d’équilibriste consistant à chercher de nouveaux référents tout en s’abstenant d’exiger l’abolition du jour au lendemain des agences de notation, au risque de scier la branche sur laquelle nombre de textes sont assis. La nécessité d’avoir des notations fi ables est impérieuse, d’où le développement d’une législation contraignante. La ques-tion que l’on est en droit de se poser est naturellement celle de savoir pourquoi l’Union ne s’est pas intéressée aux agences quand elle a décidé d’utiliser les notations en tant que référent de droit des marchés européens.

21. —  Un large champ d’application. Au cours de la crise de la zone euro, plusieurs institutions financières et États ont été confrontés à une augmentation brutale de leurs taux d’emprunt, non pas à la suite de l’abaissement de leur note de

(49) Voy. à cet égard le récent rapport intermédiaire diffusé par le Financial Stability Board  : Thematic Review on FSB Principles for Reducing Reliance on Credit Rating Agency Ratings, 29  août 2013, disponible à l’adresse http://www.fi nancialstabilityboard.org/publications/r_130829e.pdf.

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crédit, mais à la suite du placement de celle- ci sous perspective négative.

Avec l’entrée en vigueur du règlement ANC  III, ces perspec-tives de notation (ou outlooks) qui n’étaient pas encore régle-mentées tombent désormais dans le champ du règlement (CE) n° 1060/2009. L’ensemble des règles substantielles qui s’appliquent aux notations elles- mêmes devront être respectées en matière de publication des perspectives. Les agences de notation devront en outre indiquer à quel horizon la perspective risque d’entraîner une modifi cation de la note. Le risque évident est de provoquer la disparition de ces indicateurs avec pour conséquence que les modifi cations des notations seront ressenties de manière plus abrupte encore par les marchés.

A.  —  L’OBLIGATION D’ENREGISTREMENT AUPRÈS DE L’AEMF

22. —  Cette obligation d’enregistrement s’impose à toute agence établie dans l’Union dont les notes sont communiquées au public ou diffusées sur abonnement. Nous avons déjà vu que si rien n’empêchait les agences de se délocaliser massivement hors de l’Union pour échapper à la réglementation européenne, le règlement avait anticipé cette réaction et imposé aux utilisa-teurs de notes à des fi ns réglementaires de ne consulter que celles produites par des agences enregistrées auprès de l’AEMF.

23. —  Une triple possibilité d’enregistrement. L’Union euro-péenne a mis en place un système d’enregistrement des agences de notation en fonction de leur nationalité. Les agences situées dans un des 28  États membres de l’Union seront amenées à se faire enregistrer au sens strict, alors que les agences étrangères ne disposant pas d’entités juridiques sur le sol européen passeront par les procédures d’aval ou de certifi cation (50).

(50) Pour les agences qui n’obtiendraient pas le précieux sésame, il existe par ailleurs une procédure d’appel des décisions de l’AEMF. Pour un exemple  : Deci-sion given by the Board of Appeal of the European Supervisory Authorities under Article  60.4 Regulation (EU) n°  1095/2010 —  Appeal by Global Private Rating Company « Standard Rating » Ltd against a decision of the European Securities ans Market Authority, 10  janvier 2014. Ce document ainsi que les règles de pro-cédure et les guidelines de cette procédure d’appel sont disponibles sur le site de l’AEMF : http://www.esma.europa.eu/news/Board- Appeal- European- Supervisory- Authorities- dismisses- appeal- made- refused- CRA- applicant- again?t=326&o=home.

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24. — L’enregistrement. Pour les agences de notation installées dans l’Union européenne, afi n de pouvoir continuer ou entamer des activités de notation en Europe, la seule procédure disponible est celle de l’enregistrement auprès de l’Autorité européenne des marchés fi nanciers (ci- après « AEMF ») (51). Les informations à fournir aux autorités de contrôle pour obtenir le sésame européen tenaient dans le premier règlement en une page, en quelque dix- sept points (52), lesquels impliquaient pour les agences de décrire l’ensemble de leur structure sociale, de leur actionnariat, leurs méthodes, leurs politiques internes, leurs régimes de rémunéra-tion, etc. Des règles particulières ont par ailleurs été adoptées pour s’adapter à la réalité des groupes d’agences de notation comme à celle des petites agences de notation (comptant moins de 50  employés (53)).

Malgré l’adoption d’une première circulaire par le CESR (54), les difficultés rencontrées par les agences pour compléter leurs dossiers ont été nombreuses, comme en témoigne le rapport produit par l’AEMF publié en 2012 (55). Pour les seules trois prin-cipales agences que sont Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s, on

(51) Jusqu’au 1er juillet 2011, la procédure d’enregistrement était déléguée aux Autorités nationales de contrôle ayant été désignées par les États membres comme compétentes pour cette procédure, articles  15 et  22 du règlement  1060/2009.

(52) Voy. l’annexe  II au règlement (CE) n°  1060/2009. (53) AEMF, Draft RTS on the content and format of ratings data periodic

reporting to be requested from credit ratings agencies for the purpose of on- going supervision by ESMA (Final report), 22  décembre 2011, ESMA/2011/464, p.  6, 15-16 ; AEMF, Draft RTS on the assessment of compliance of credit rating metho-dologies with CRA Regulation (Final report), 22 décembre 2011, ESMA/2011/462, pp.  8-9, 17 ; règlement délégué (UE) no  272/2012 de la Commission complétant le règlement (CE) no  1060/2009 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les frais à payer par les agences de notation de crédit à l’Autorité européenne des marchés fi nanciers, 7  février 2012, J.O. L  90/6 du 28  mars 2012, art.  5, §§  3-5.

(54) CESR, Guidance on Registration Process, Functioning of Colleges, Medi-ation Protocol, Information set out in Annex II, Information set for the applica-tion for Certifi cation and for the assessment of CRAs systemic importance, 4  juin 2010, CESR/10-347. Voy. également le rapport accompagnant la proposition de règlement délégué  : AEMF, Regulatory technical standards on the informa-tion for registration and certifi cation of credit rating agencies, 22  décembre 2011, ESMA/2011/563.

(55) AEMF, Annual report on the application Regulation on credit rating agencies as provided by Article  21(5) and Article  39a of the Regulation (EU) n°  1060/2009 as amended by Regulation n°  1095/2010, 12  janvier 2012, doc. ESMA/2012/3, pp.  5-6.

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parle de près de 30.000  pages de documents qui ont été déposés auprès de l’AEMF.

Le 21  mars 2012, la Commission adoptait le règlement délégué no  449/2012 (56), préparé par l’AEMF, lequel détaille de manière concise les informations à fournir par les agences pour les besoins de leur enregistrement ou de leur certifi cation. Si ce règlement délégué a le mérite d’exister, rendant désormais juridiquement plus sûre la procédure d’enregistrement auprès de l’AEMF, on peut néanmoins regretter qu’il ait été adopté et publié aussi tar-divement. À l’heure où nous écrivons ces lignes, 37  agences de notation avaient été enregistrées auprès de l’AEMF (57) (dont 6 entités de Moody’s, 7 entités de Fitch et 3 entités de S&P). Sans doute ce règlement ne fait- il que formaliser des solutions ayant été dégagées en pratique par l’AEMF lors de l’enregistrement des premières agences ayant présenté leurs dossiers. Le règlement délégué a en effet tous les aspects d’un inventaire d’informations à fournir, fort de douze annexes que les agences soumissionnaires se devront de compléter scrupuleusement.

Mise à part la procédure d’enregistrement, deux autres procédu-res existent afi n de permettre l’importation et surtout l’utilisation de notes produites en dehors des 27  États membres de l’Union. Il s’agit des procédures d’aval et de certifi cation.

25. — L’aval (en anglais, endorsement). Par la procédure d’aval, une agence de notation enregistrée en Europe peut utiliser des notes produites par une autre agence située en dehors de l’Europe à condition que ces notes aient été produites dans le respect d’« exigences au moins aussi strictes » (58) que celles du règlement européen (59). L’AEMF considère à ce jour que les législations des

(56) Règlement délégué (UE) no  449/2012 de la Commission du 21  mars 2012 complétant le règlement (CE) no  1060/2009 du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation concernant les informations à four-nir par les agences de notation de crédit en vue de leur enregistrement et de leur certifi cation, J.O. L  140, publié le 30  mai 2012.

(57) La dernière mise à jour de cette liste date du 1er  juillet 2013, voy. la page internet de l’AEMF  : http://www.esma.europa.eu/page/List- registered- and- certifi ed- CRAs. À titre de comparaison, la US Securities and Exchange Commis-sion comptait sur la liste des agences de notation agrées, les NRSRO, seulement une dizaine d’agences  : www.sec.gov/answers/nrsro.htm.

(58) Art.  4, §  3, 5, §  6, du règlement (CE) n°  1060/2009. (59) Pour l’interprétation de ces notions et leurs modalités d’application,

voy. CESR, Guidance on Registration Process, Functioning of Colleges, Mediation Protocol, Information set out in Annex II, Information set for the application for

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États- Unis, du Canada, de Hong Kong, Singapour, du Mexique, de l’Australie, d’Argentine et du Brésil (60) remplissent les exi-gences fi gurant au titre  II du règlement en matière d’émission de notations de crédit et peuvent être dès lors être considérées comme équivalentes à la réglementation européenne. D’autres pays ont posé leur « candidature » afi n de permettre l’exportation des notes produites sur leur sol (61).

26. —  La certifi cation. Cette dernière procédure autorise l’usage au sein de l’Union européenne de notes produites par une agence n’ayant pas de présence physique en Europe. Les agences potentiellement concernées par cette procédure sont les « petites agences de notation de crédit de pays tiers non présentes ou non affiliées à une agence dans la Communauté [et ce] pour autant qu’elles ne présentent pas une importance systémique pour la stabilité fi nancière ou l’intégrité des marchés fi nanciers d’un ou de plusieurs États membres » (62). À l’heure actuelle, seules deux agences ont fait l’objet de cette procédure soit l’agence japonaise, Japan Credit Rating Agency (63), et l’agence améri-caine Kroll Bond Rating Agency, les législations japonaise et

Certifi cation and for the assessment of CRAs systemic importance, 4  juin 2010, CESR/10-347 ; et AEMF, Guidelines on the application on the endorsement regime under article  4  (3) of the Credit Rating Agencies Regulation no  1060/2009, 18  mai 2011, ESMA/2011/139.

(60) Communiqués de presse de l’AEMF : « ESMA extends transitional period for use of non- EU credit ratings, Australian CRA regime endorsed », 22  décem-bre 201, doc. ESMA/2011/460 ; « ESMA allows EU- registered CRAs to endorse credit ratings issued in the US, Canada, Hong Kong and Singapore », 15  mars 2012, doc. 2012/158, http://www.esma.europa.eu/node/57482 ; « ESMA approves credit ratings from Argentina and Mexico for use in the EU », 18 avril 2012, doc. 2012/256, http://www.esma.europa.eu/system/fi les/2012-256.pdf ; « ESMA appro-ves credit ratings from Brazil for use in the EU », 27  avril 2012, doc. 2012/274, http://www.esma.europa.eu/system/fi les/2012-274.pdf.

(61) Soit le Chili, la Chine, le Costa Rica, Dubaï, l’Inde, l’Indonésie, Israël, le Panama, la Russie, l’Afrique du Sud, le Sri Lanka, Taiwan, la Thaïlande, la Tunisie, la Turquie et le Venezuela. Compte tenu du fait que l’AEMF a déjà conclu un Memorandum of Understanding visant à la coopération avec les autorités de contrôle de Dubaï, il y a fort à parier que ce pays fera très prochainement l’objet d’une décision officielle de reconnaissance de sa législation comme étant équivalent à celle de l’Union européenne.

(62) Préambule, considérant  14, règlement (CE) n°  1060/2009. (63) AEMF, ESMA and the Japanese FSA exchanged letters establishing the

cooperation framework between the EU and Japan for credit rating agencies, 6  juin 2011, ESMA/2011/170.

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américaine ayant été considérées comme satisfaisant aux critères d’exigences contenus dans le règlement européen (64).

27. —  Sans que ce soit à proprement parler l’objet de la pré-sente contribution, on remarquera que l’AEMF a conclu avec six régulateurs étrangers (65) des Memorandum of Understanding (66) (ci- après « MOU ») visant à organiser la collaboration entre auto-rités de contrôle pour la mise en œuvre des procédures d’aval et de certifi cation en Europe. Ces MOU organisent la communi-cation d’informations entre autorités ainsi que l’assistance et la coopération dans le cadre de procédure de sanctions. On obser-vera que l’objectif de ces MOU est somme toute peu dissimulé et consiste en un contrôle rapproché des « grosses » agences de notation (S&P, Moody’s et Fitch). Ne sont en effet concernées que les cross border CRA’s, soit les agences de notations inter-nationales. En termes de non- discrimination et d’égalité face aux autorités, et quoique ces textes proclament leur caractère non contraignant et le respect de toutes règles de confi dentialité applicables, si une des agences de ces grands groupes devait faire l’objet d’une procédure sur la base d’informations récoltées par des régulateurs collaborant, il nous semble qu’il faudrait exa-

(64) Décision de la Commission sur la reconnaissance du cadre juridique et du dispositif de surveillance du Japon comme étant équivalents aux exigences du règlement (CE) no  1060/2009 du Parlement européen et du Conseil sur les agences de notation de crédit, 28  septembre 2010, doc. C(2010) 6418 fi nal ; déci-sion d’exécution 2012/628/UE de la Commission sur la reconnaissance du cadre juridique et du dispositif de surveillance des États- Unis d’Amérique comme étant équivalents aux exigences du règlement (CE) no 1060/2009 du Parlement européen et du Conseil, sur les agences de notation de crédit, 5  octobre 2012, J.O. L  274.

(65) Soit les régulateurs des États- Unis, de l’Australie, de l’Argentine, de Dubaï, de Singapour et du Canada.

(66) L’ensemble des textes est disponible sur le site Internet de l’AEMF  : AEMF- ASIC, Memorandum of Understanding on the cooperation of competent aut-horities for the supervision of the CRAs, 20  décembre 2011, doc. ESMA/2011/BS/238 Annex  3  : AEMF- Canadian Authorities, Memorandum of Understanding on the cooperation of competent authorities for the supervision of the Credit Rating Agencies, 2 mars 2012 ; AEMF- MAS, Memorandum of Understanding on the coope-ration of ESMA and the Monetary Authority of Singapore for the Supervision of the Credit Rating Agencies, 13 mars 2012, doc. ESMA/2012/124 ; AEMF- SEC, Memo-randum of Understanding concerning consultation, cooperation and the exchange of information related to the supervision of cross- border regulated entities, mars 2012 ; AEMF- CNV, Memorandum of Understanding for the cooperation on the supervision of credit rating agencies between the national securities commission of Argentina and European Securities and Market Authority, 17  avril 2012 ; AEMF- DFSA, Memorandum of Understanding on the cooperation of the Dubai Financial Services Authority for the supervision of Credit Rating Agencies, 7  février 2013.

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miner avec toute l’attention nécessaire la légalité fondamentale de ces textes.

B.  —  LES RÈGLES APPLICABLES À L’ORGANISATION INTERNE ET EXTERNE

DES AGENCES DE NOTATION

28. —  La lutte contre les confl its d’intérêts. L’existence de confl its d’intérêts dans le chef des agences de notation a été à de nombreuses reprises pointée du doigt. Ces confl its découlent principalement du modèle de l’émetteur- payeur que nous avons décrit ci- dessus, mais ces confl its tiennent aussi au fait que le marché des agences est fortement atomisé et qu’il est fréquent de voir des relations de très longue durée s’établir entre émetteurs et agences. En outre, il a été constaté à l’occasion de la crise fi nancière de 2008 que les agences de notation avaient fréquem-ment contribué à la structuration de produits fi nanciers qu’elles avaient ensuite notés.

Plusieurs mesures ont été adoptées pour tenter de limiter les confl its d’intérêts dans le chef des agences. Les premières mesures visent directement la structure des agences. Le règlement impose aux agences de se conformer à certaines « exigences opérationnel-les » (67). Les agences de notation doivent ainsi disposer d’un conseil d’administration ou de surveillance dont au moins un tiers des membres (sans que ce chiffre puisse être inférieur à deux) ne doit pas être impliqué dans l’activité de notation elle- même. Ces membres indépendants se voient assigner diverses tâches spé-cifi ques en termes d’élaboration des politiques de notation, de contrôle des notations, de contrôle des confl its d’intérêts, etc. En plus de réguler la composition même des instances dirigeantes des agences de notation, le règlement leur impose aussi d’adopter et de publier des politiques et des procédures qui assurent l’indépendance de l’activité de notation, ce qui implique notam-ment une distinction claire de ces activités de celles accessoires. Ces dernières ne peuvent en aucun cas mettre en péril l’intégrité du processus de notation (68). Plus encore, il est désormais clai-

(67) Annexe  I, section  A, règlement (CE) n°  1060/2009. (68) Voy. l’article  22 de la proposition de l’AEMF de règlement délégué  :

AEMF, Regulatory technical standards on the information for registration and certifi cation of credit rating agencies, 22  décembre 2011, ESMA/2011/463, p.  29.

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rement interdit aux agences de conseiller une entité qu’elle note sur la structure de sa dette ou de ses activités (69).

29. —  Le deuxième type de mesures touche aux analystes de notation. Leur rémunération et leur activité sont désormais régulées par l’Union. Il avait en effet été observé que les analys-tes négociaient parfois, et dans une certaine mesure, leur rému-nération directement avec le client et que cette rémunération pouvait être liée aux revenus engendrés par le produit qu’ils notaient. D’évidence, cette pratique était de nature à faire naître des dérives et l’Union est donc intervenue pour interdire toute négociation directe des salaires avec le client par les analystes, et pour proscrire tout lien entre rémunération des analystes et chiffre d’affaires de l’agence qui emploie ou de l’émetteur.

En outre, pour prévenir tout développement de relations per-sonnelles entre émetteurs et analystes, la Commission a déve-loppé un système de rotation des analystes. Cette rotation est individuelle et ne peut s’appliquer aux équipes. L’article  7, §  4, du règlement prévoit que c’est aux agences qu’il revient de met-tre en place ce système de rotation, mais les limites temporelles sont fi xées par l’Union. Les analystes en chef ne peuvent être affectés à la même entité notée pendant plus de quatre ans, et les analystes de notation pendant plus de cinq ans. Ces périodes ne sont pas renouvelables. Ces règles s’appliquent de manière stric-tement personnelle. Ainsi, un analyste qui changerait d’agence de notation, qui changerait donc d’employeur, ne remettrait pas les comptes à zéro vis- à- vis de l’émetteur noté. Il est en outre fait interdiction aux analystes et salariés des agences de nota-tion d’accepter une position de direction clé au sein d’une entité notée dans les six mois qui suivent l’émission d’une notation ou perspective de notation. Enfi n, mais sans que cette règle ne soit particulière aux agences de notation, il est requis des analystes qu’ils ne notent pas de produits dont ils détiennent des titres.

30. —  L’instauration de règles de transparence. En plus des règles relatives à la qualité des notes et de celles touchant à l’organisation interne des agences, l’Union a instauré de lourdes obligations de transparence aux agences. Ces informations qui doivent être fournies à l’AEMF sont principalement décrites à la

(69) Art.  4, section  B « Exigences opérationnelles », annexe  I, règlement (CE) n°  1060/2009.

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section  E de l’annexe  I du règlement (CE) n°  1060/2009 et dans les règlements délégués de la Commission.

De manière générale, les agences doivent s’assurer en per-manence du caractère public de leur enregistrement auprès de l’AEMF, publier une liste de confl its d’intérêts réels et poten-tiels, une liste de leurs services accessoires, de leurs politiques en matière de publication des notes, de rémunération, leur code de conduite si elles en disposent, une description des méthodes qu’elles appliquent et des principales hypothèses sur lesquelles elles se fondent ainsi que toute modifi cation à l’une ou l’autre de ces informations. Les agences doivent aussi publier leur politique en matière de publication des notations, la liste des commissions facturées et sa politique tarifaire.

31. —  De manière périodique, les agences doivent informer le marché des taux de défaut historiques (bisannuellement) et indiquer qui sont ses clients les plus importants (annuelle-ment). Se basant sur les articles  11, §  2 (qui impose la publi-cation d’informations périodiques aux agences) et 21, §  2, (c), (qui requiert de l’AEMF l’établissement de normes techniques sur la présentation de ces informations p ar les agences), l’AEMF a développé un répertoire centralisé, le CEREP (70), mis en ligne et opérationnel depuis janvier  2012, comprenant dix années de notes publiées par les agences de notation enregistrées au sein de l’Union. En plus de supporter une obligation d’information pour l’avenir, les agences ont dû s’engager à fournir des informations sur leurs taux historiques de défaut et sur les modifi cations de notations à la hausse et à la baisse pour les dix années précédant l’entrée en vigueur du règlement.

32. —  En date du 21  mars 2012, la Commission a adopté un règlement délégué, le règlement (UE) n°  448/2012, déjà évoqué ci- dessus, défi nissant les normes techniques de réglementation concernant la présentation des informations que les agences de notation de crédit sont tenues de communiquer à un regis-tre central établi par l’Autorité européenne des marchés fi nan-ciers. Parmi les règlements délégués adoptés par la Co mmission,

(70) Pour « Central Repositary », accessible via le site de l’AEMF  : http://cerep.esma.europa.eu/cerep- web/statistics/ratingActivity.xhtml. Voy. également CESR, Guidelines —  Implementation of the Central Repository (CEREP), 4  juin 2010, CESR/10-331.

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le règlement (UE) n°  448/2012 est de loin le plus consistant. Il requiert des agences de fournir à l’AEMF une somme importante d’informations. Mais plus encore que l’aspect quantitatif, c’est la qualité des informations que les agences vont devoir fournir qui pose question. Sous couvert de procéder à une simple collecte d’informations, l’AEMF s’immisce en réalité au cœur même de l’activité des agences. En s’arrogeant un droit de regard large-ment et discrétionnairement défi ni sur les informations que les agences doivent lui fournir, l’AEMF s’octroie un pouvoir de contrôle et d’acceptation des méthodes utilisées par les agences, pouvoir qu’aucun texte normatif ne lui donne.

Le but de la mise en place de ce répertoire centralisé est d’améliorer la transparence, tant pour le passé que pour les nota-tions à venir. L’intention est louable, mais l’on peut craindre qu’elle ne trouve que peu d’écho. L’accès au site n’est pas évident et son fonctionnement l’est encore moins. Sans doute l’AEMF a- t-elle publié deux documents présentant le CEREP (71) et expliquant comment interpréter les statistiques produites (72), mais l’outil n’est pas d’usage aisé.

33. —  Les agences doivent en outre se plier chaque année à la rédaction d’un rapport de transparence (73) dont les chapitres sont défi nis dans le règlement (CE) n°  1060/2009 (74). L’exercice est classique en matière d’institutions fi nancières (75). Les agences

(71) AEMF, About the CEREP, 1er  décembre 2011, ESMA/2011/408. (72) AEMF, About the CEREP  : How to interpret the statistics, 1er  décembre

2011, ESMA/2011/409. (73) Art.  12 du règlement (CE) n°  1060/2009. (74) Annexe I, Section E « Publications », titre III « Rapport de transparence »,

du règlement (CE) n°  1060/2009. (75) Entre autres, voy. directive  2004/109/CE du 15  décembre 2004 sur

l’harmonisation des obligations de transparence concernant l’information sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé et modifi ant la directive  2001/34/CE (dite « directive  Trans-parence ») ; O.  CAPRASSE (éd.), Preuve et information dans la vie des sociétés, Bruxelles, Larcier, 2010 ; M.  DUPLAT, « Crise, produits fi nanciers et informa-tion  : quelques réfl exions », J.T., 2009, pp.  478-479 ; B.  FERON et M.  BERLIN-GIN, « Les nouvelles obligations en matière de publicité des participations impor-tantes », C.J., 3, 2008, pp.  62-76 ; I.  LOPEZ MARTINEZ et J.- C.  SNOY, « Sociétés cotées sur Euronext Brussels, alternext et le marché libre  : obligations légales et réglementaires d’information —  Ressemblances et dissemblances », C.J., 2, 2009, pp.  37-47 ; J.  MALHERBE et al., Droit des sociétés  — Précis, 4e  édition, Bruxelles, Bruylant, 2011, pp. 1373-1413 ; G. NEJMAN, « Les nouvelles obligations en matière d’information incombant aux sociétés cotées sur un marché réglementé — Arrêté royal du 14  novembre 2007 », D.B.F., 4, 2008, pp.  191-213.

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de notation doivent fournir dans ce rapport des informations sur leur structure organisationnelle et leur actionnariat, décrire leurs politiques internes de contrôle et de surveillance, présenter la répartition de leur personnel entre les activités de notation et les autres activités, décrire leur politique d’archivage des données (76) et leur système de rotation des analystes, reproduire les conclu-sions du contrôle interne annuel et une déclaration de corporate governance, et enfi n détailler le chiffre d’affaires entre activités de notation et autres activités. À l’heure actuelle, l’AEMF n’a pas encore été sollicitée d’éditer des guidelines pour la rédaction de ces rapports de transparence, alors qu’elle a dû le faire, nous l’avons vu au point ci- dessus, en matière d’informations pério-diques (77). On peut toutefois raisonnablement pronostiquer que le régulateur européen sera prochainement amené à publier des normes harmonisatrices pour ces rapports. Leurs premières mou-tures ont été publiées et le constat que l’on peut en tirer est celui d’une grande disparité. Si l’on ne s’attarde qu’à ceux produits par les trois grandes agences que sont Fitch (78), Moody’s (79) et S&P (80), on constate que le rapport produit par Fitch compte plus d’une centaine de pages quand ceux de Moody’s et S&P tiennent en une trentaine de pages. En outre, la présentation des informations fi nancières par les agences dans leur rapport n’ayant pas fait l’objet de règles particulières, on ne peut que constater qu’elle n’est pas des plus lisibles. Ainsi, les agences se

(76) Le règlement impose en effet aux agences de notation de conserver l’ensemble des données ayant servi à une notation pendant cinq ans  : annexe  I, section  B, art.  8, du règlement  1060/2009.

(77) AEMF, Regulatory Technical Standards on the presentation of the infor-mation that credit rating agencies shall disclose in accordance with Article  11(2) and point 1 of Part  II of Section E of Annex  I to Regulation (EC) No. 1060/2009, 22  décembre 2011, ESMA/2011/461.

(78) Fitch Ratings, EU Transparency Report, publié en janvier  2012, dispo-nible à l’adresse internet suivante  : http://www.fi tchratings.com/web_content/compliance/eu_transparency_report_jan2012.pdf, et mars  2013, disponible à l’adresse Internet suivante  : http://www.fi tchratings.com/web_content/compli-ance/eu_transparency_report_fi scal_year_2012.pdf.

(79) Moody’s, EU Transparency Report, publiés en mars  2011, mars  2012 et mars  2013, disponibles à l’adresse Internet suivante  : https://www.moodys.com/Pages/reg001007.aspx.

(80) Standard & Poor’s, EU Transparency Report, publiés en mars  2011,  mars  2012 et mars  2013, disponibles à l’adresse Internet suivante  : http://www.standardandpoors.com/ratings/european- union- regulatory- disclosures/en/us (sous l’onglet « Transparency Report »).

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sont- elles bien gardées d’établir le montant total de leur chif-fre d’affaires, chacune fournissant une présentation ventilée par entité du groupe. Chaque groupe dispose d’entités situées dans et hors de la zone euro et aucun n’a pris la peine de présenter l’ensemble des résultats dans une seule monnaie. Pour celui qui voudrait se faire une idée des données fi nancières de ces groupes en Europe, une seule solution  : empoigner sa calculatrice ! Les informations sont certes publiées, mais l’objectif de transparence n’est donc pas parfaitement atteint.

34. —  Enfi n, l’obligation de transparence a connu un dévelop-pement substantiel avec l’entrée en vigueur du dernier règlement.

Depuis l’entrée en vigueur du règlement  ANC  III, les agen-ces sont en effet obligée de publier sur leur site internet leur intention de modifi er de façon substantielle leurs méthodes de notation, modèles ou hypothèses de notation ou d’en employer de nouveaux en invitant les parties intéressées à faire part de leurs observations dans un délai d’un mois. Les agences doivent accompagner cette annonce d’une explication détaillée des motifs qui justifi ent ces propositions de modifi cations substantielles ou ces propositions de nouvelles méthodes de notation, ainsi que de leurs implications. La suite à réserver aux observations qui auraient été formulées n’apparaît malheureusement pas claire-ment. Les agences doivent- elles expliquer de manière publique pour quel motif elle a décidé, ou pas, de tenir compte des com-mentaires reçus ?

En dehors de devoir publier toute « intention » de modifi cation, les agences sont également tenues de réagir publiquement si elles devaient découvrir des erreurs dans les méthodes de notation employées ou leur mise en œuvre (81). Dans un tel cas de fi gure, elles doivent immédiatement notifi er l’AEMF et l’ensemble des émetteurs concernés en expliquant les conséquences de l’erreur sur les notes. Les agences doivent en plus publier sur leur site internet les erreurs qu’elles auront découvertes, leurs incidences, les mesures correctrices et conformément à la procédure décrite au paragraphe ci- dessus publier avec appel observations toute nouvelle méthode.

(81) AEMF, Questions and Answers — Implementation of the Regulation (EU) No.  462/2013 on Credit Rating Agencies, 17  décembre 2013, ESMA/2013/1935, p.  10.

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En dehors de poser des problèmes importants en termes de faisabilité, on observera par ailleurs que ces publications vont avoir pour conséquence d’élever encore un peu plus le standard de faute que les préjudiciés doivent démontrer en cas de dom-mage causé par une notation. Si tout est public et accessible et que chacun est invité à collaborer à la qualité des notes, il semble compliqué par la suite de démontrer la faute intentionnelle ou la négligence grave de l’agence de notation, standards mis en place par le règlement ANC  III. Nous y reviendrons ci- dessous.

35. — Le contrôle de la structure externe après celui de la struc-ture interne. Nous l’avons vu au chapitre précédent, des règles avaient déjà été instaurées visant à assurer la présence d’un nom-bre minimal d’administrateurs indépendants au sein des conseils d’administration des agences de notation. Pour renforcer encore cette indépendance, l’Union propose d’interdire à tout détenteur d’une participation de 5 % au moins du capital de détenir plus de 5 % du capital d’une autre agence (sauf l’hypothèse où elles feraient partie du même groupe).

Cette interdiction s’accompagne d’une exception relative aux participations détenues par des organismes de placement collec-tif diversifi é pour autant que les participations dans ces orga-nismes ne permettent pas d’exercer une infl uence signifi cative sur l’activité professionnelle des agences. Cette exception serait la classique disposition « holding » que l’on trouve dans d’autres législations, comme dans la législation OPA par exemple, s’il n’était pas en plus précisé que le seuil de 5 % ne peut être dépassé dans le cas où ces participations exerceraient une « infl uence sig-nifi cative » sur l’activité professionnelle des entités détentrices de participation.

36. —  L’extension des règles de rotation…peut- être ! Dans la proposition initiale de la Commission, la rotation changeait d’échelle. Après avoir concerné les analystes de notation, la rotation devait s’appliquer aux agences elles- mêmes. En vertu du système originellement proposé, les agences n’auraient plus été autorisées à noter un émetteur pendant plus de trois ans. Cette période aurait été raccourcie à un an si au cours de cette première année l’agence avait procédé à la notation de plus de dix instruments de créance de l’émetteur. Si sur une base volon-taire ou en raison d’une obligation légale (cf. infra, ci- dessous,

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l’obligation de procéder à une double notation des instruments fi nanciers structurés), un émetteur requérait de deux agences de notation d’émettre une note sur une de ses créances, la rotation obligatoire après trois ans ne se serait appliquée qu’à une des agences de notation sollicitées sans qu’aucun contrat ne puisse dépasser six ans. En outre, un délai d’attente de quatre ans entre les rotations aurait dû être respecté. Enfi n, au terme de leur man-dat, les agences auraient été tenues de communiquer à l’agence leur succédant un « dossier de transmission » devant contenir « les informations pertinentes sur l’entité notée ou les instruments de créance notés qui peuvent être raisonnablement nécessaires pour assurer la comparabilité des notations avec celles de l’agence sor-tante » (82). Il avait été demandé à l’AEMF de soumettre pour le 1er  janvier 2013 au plus tard des projets de normes techniques de réglementation précisant les exigences techniques relatives à ce dossier de transmission.

Tant de contraintes rendaient la proposition initiale de la Commission parfaitement inapplicable. La rotation ne pouvait s’effectuer entre sociétés d’un même groupe et compte tenu du nombre d’agences de notation en Europe, les possibilités de trans-mission de dossier étaient limitées, d’autant plus qu’il fallait que les concurrents soient aptes à traiter ces dossiers. Pour les pro-duits structurés en particulier, seules les agences ayant atteint une certaine taille critique sont à même de les analyser. Au vu du système proposé par la Commission, il fallait encore s’interroger sur l’atteinte à la liberté de l’émetteur qui, de facto, allait être confronté à un choix limité d’agences pour procéder à la notation de sa ou de ses dettes. Autant de questions qui interrogeaient le bien- fondé de ce système de rotation.

L’accord intervenu au Parlement européen en  janvier  2013 a profondément modifi é le projet de la Commission. L’étude de la mise en œuvre d’un système de rotation entre agences est repor-tée. L’AEMF est chargée de préparer, d’ici au 1er  juillet 2016, un avis technique quant à la faisabilité d’une rotation entre agences, celle- ci n’étant plus envisagée pour tout produit de dettes, mais uniquement pour les instruments fi nanciers structurés et plus spé-

(82) Proposition de nouvel article  6ter, §  6, al.  1er, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifi ant le règlement (CE) no  1060/2009 sur les agences de notation de crédit, 15  novembre 2011 COM (2011) 747 fi nal.

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cifi quement pour les retitrisations (83). Sur la base des travaux de l’AEMF, la Commission devra faire rapport au Parlement et au Conseil quant à l’existence d’un choix suffisant d’agences pour permettre la rotation et quant à la période maximale pen-dant laquelle les agences peuvent entretenir des relations con-tractuelles avec les émetteurs, cette période étant actuellement fi xée à quatre ans. La Commission devra également se prononcer quant à l’opportunité d’inclure dans le système de rotation des produits fi nanciers autres que les retitrisations et devra, entre autres, examiner s’il est nécessaire de prendre d’autres mesu-res en matière de rémunération, de concurrence et de confl its d’intérêts. Pour l’heure, sans organiser à proprement parler un système de rotation, le règlement limite toutefois la durée de la relation contractuelle avec les agences de crédit à quatre ans en cas de contrat de notation relatif à des retitrisations. Cette res-triction s’étend également à de nouvelles retitrisations (qui sont donc formellement des produits différents) adossées à des actifs sous- jacents du même initiateur. Par ailleurs la période de cool- off prévue initialement de manière uniforme, correspond désormais à la durée du contrat sans pouvoir être supérieure à quatre ans. Ces restrictions, comme beaucoup d’autres prévues au règlement, ne s’appliquent pas aux « petites agences de notation », soit celles comptant moins de 50  employés affectés à l’activité de notation de crédit ou ayant un chiffre d’affaires annuel dégagé par les activités de notation inférieur à dix millions d’euros.

C.  —  LES RÈGLES APPLICABLES À L’ACTIVITÉ DE NOTATION (SECTION  IV.3)

37. — Sur les quarante et un articles que comptait initialement le règlement, huit seulement touchaient à l’émission de notation de crédit proprement dite. Il ne fallait toutefois pas se méprendre sur cette apparente disproportion. Le législateur européen n’avait pas été avare en réglementation de l’activité de notation, mais, sans doute en raison de la technicité de la matière, en avait délé-gué l’édiction à la Commission et à son organe spécialisé en la matière, l’AEMF.

(83) Les retitrisations sont défi nies par référence à la directive  2006/48/CE concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et y correspondent à une position sur titrisation (soit « une exposition sur une opération de titrisation »).

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Selon une technique de plus en plus usitée (84), les obligati-ons des agences relativement aux notations et aux méthodes utilisées ne se trouvent pas dans le corps de texte du règle-ment, mais figurent, d’une part, en annexes au règlement, annexes que la Commission est habilitée à modifier « afin de tenir compte de l’évolution des marchés financiers » (85), d’autre part, dans les règlements délégués préparés par l’AEMF et approuvés par la suite par la Commission. L’AEMF a ainsi été chargée de la rédaction de normes standard dites « techniques » dont nous aborderons le contenu dans les pages qui suivent. Pour comprendre les obligations qui pèsent sur les agences il est en effet impossible de s’en tenir au seul règlement et de se dispenser de la lecture de ces règlements délégués de la Com-mission.

38. —  La recherche de notes de qualité. Des notes de qualité passent nécessairement par des méthodes de qualité, qualifi ées par le règlement de « rigoureuses, systématiques, sans discontinui-tés et pouvant être validées sur la base de données historiques, y compris des contrôles a posteriori » (86).

L’importance que le législateur européen et l’AEMF accor-dent aux méthodes de notation répond à un constat selon lequel il semble que pendant des années, les agences ont utilisé des modèles dépassés ou non adaptés (87). Pour remédier à ce pro-blème, l’AEMF a été chargée de développer des standards per-mettant d’évaluer le respect par les agences de ne disposer que de méthodes adaptées aux produits à noter et basés sur des données actualisées.

(84) E.  WEEMAELS, « Technicisation  : l’évolution de la régulation européenne concernant les agences de notation », J.D.E., 2013/8, p.  312.

(85) Art.  37 du règlement (CE) no  1060/2009. (86) Art.  8, §  3, du règlement (CE) n°  1060/2009. (87) M.  BUSSANI, « Credit Rating Agencies’Accountability. Short Notes on a

Global Issue », Global Jurist, 10, 1, 2010, p.  1 ; K.  CHARLES, op.  cit., p.  406 ; B.  DU MARAIS et Ph.  FROUTE, op.  cit., p.  1 ; J.  FRIEDMAN, « A  Crisis of Politics, not Econmics  : Complexity, Ignorance and Policy Failure », Critical Review, 21, 2009, pp.  127-183, spécialement p.  134 ; D.  KERWER, op.  cit., p.  40 ; P.  PRAET, op.  cit., p.  92 ; S.  UTZIG, op.  cit., pp.  1-4 ; U.S. SEC, Summary Report of Issues Identifi ed in the Commission Staff’s Examinations of Select Credit Rating Agen-cies,  juillet  2008, pp.  23-27 et pp.  31-32 ; H.  HAU, S.  LANGFIELD et D.  MARQUES- IBANEZ, Bank Ratings —  What determines their quality?, ECB Working Paper Series no  1484,  octobre  2012, disponible sur le site de la Banque centrale euro-péenne  : www.ecb.europa.eu.

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Le CERVM puis l’AEMF ont successivement publié une guidance (88) et un règlement délégué (89) défi nissant ce qu’il faut entendre par rigoureux, systématique, sans discontinuités et pouvant être validées sur la base de données historiques, y compris des contrôles a posteriori. Sans doute le critère le plus important aux yeux du régulateur européen est- il celui de la rigueur. Le régulateur attend des agences que leurs méthodes de notation soient adaptées aux produits notés, prennent en compte les facteurs macroéconomiques (90), fassent l’objet de contrôles et de mises à jour réguliers et que ces méthodes prennent en compte « l’ensemble des facteurs pertinents ». Nul besoin n’est de dire que cette notion de « facteurs pertinents » ne reçoit pas de défi nition précise dans les textes du régulateur. Reste qu’à « tout moment », les agences doivent être en mesure d’« inventorier et de justifi er » (91) tout facteur qualitatif et quantitatif qui sous- tend ses méthodes de notation.

L’AEMF a eu l’occasion d’adopter plusieurs règlements délé-gués en matière d’agences de notation et, étonnamment, le moins consistant est le règlement délégué no  447/2012 relatif à l’évaluation de la conformité des méthodes de notation. La con-

(88) CERVM, Guidance on common standards for assessment of compliance of credit rating methodologies with the requirements set out in Article  8.3, 30  août 2010, CESR/10-945.

(89) AEMF, Regulatory technical standards on the assessment of compliance of credit rating methodologies with the requirements set out in Article  8(3) of Regula-tion (EC) No. 1060/2009 (Consultation paper), septembre 2011, ESMA/2011/303 ; AEMF, Draft RTS on the assessment of compliance of credit rating methodologies with CRA Regulation (Final Report), 22  décembre 2011, ESMA/2011/462.

(90) Une des critiques qui avaient été faites aux agences lors de la crise de 2008 étant justement que leurs méthodes étaient particulièrement abstraites des réalités économiques. Voy. les références ci- dessus, no  74.

(91) L’AEMF a légèrement changé ses termes entre le document consultatif et la proposition fi nale de règlement délégué. Dans le premier, l’article relatif à l’évaluation par les agences du caractère rigoureux de leurs méthodes exigeait d’elles qu’elle soit à tout moment en mesure de list and justify l’ensemble des éléments de leurs méthodes. La proposition de règlement délégué dans sa version fi nale adopte un langage moins direct, requérant des agences qu’elles soient à tout moment en mesure de « list and provide a detailed explanation ». Langage diffé-rent sans doute, mais les impératifs restent les mêmes. Voy. AEMF, Regulatory technical standards on the assessment of compliance of credit rating methodologies with the requirements set out in Article  8(3) of Regulation (EC) No.  1060/2009 (Consultation paper), septembre 2011, p. 10, ESMA/2011/303 ; AEMF, Draft RTS on the assessment of compliance of credit rating methodologies with CRA Regulation (Final Report), 22  décembre 2011, ESMA/2011/462, p.  23.

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clusion que nous craignons devoir en tirer est celle d’une grande insécurité juridique pour les agences de notation dont le contrôle des méthodes se fera sur des critères discrétionnairement éta-blis par l’AEMF. Le règlement (CE) n°  1060/2009 est pourtant encore à ce jour assez clair dans la mesure où s’il prévoit un contrôle des méthodes appliquées par les agences au traitement des données, le préambule énonce que « Toutefois, cette exigence [N.D.L.R.  : celle d’utiliser des méthodes de notation rigoureu-ses, systématiques, sans discontinuité et pouvant être validées, y compris sur la base de données historiques appropriées et de contrôles a posteriori] ne saurait justifi er une ingérence des autorités compétentes et des États membres dans le contenu des notations de crédit et les méthodes » (92). Que penser dès lors du pouvoir octroyé à l’AEMF, non pas sur la base du règlement délégué n°  447/2012 relatif aux méthodes de notation,  mais bien sur la base du règlement délégué n°  448/2012 relatif à la manière de présenter les données à introduire dans le registre central tenu par l’AEMF, de pouvoir accepter de nouvelles échel-les de notation qui lui seraient notifi ées par les agences (93) ? L’AEMF n’est en principe pas autorisée à s’immiscer dans la manière dont les agences établissent leurs méthodes de travail. Pourtant, en contrôlant les informations que les agences doivent lui notifi er, l’autorité européenne s’est arrogé un droit de regard, et même un début de contrôle sur celles- ci. Ce contrôle s’est encore alourdi à la suite de l’entrée en vigueur du règlement ANC  III qui impose aux agences de notifi er et de publier toute volonté de modifi er ses méthodes ainsi que toute erreur ayant été détectée.

39. —  En plus de devoir s’assurer que leurs méthodes sont en permanence adaptées et mises à jour, les agences doivent égale-ment respecter des règles en termes de publication de la note. La section  D de l’annexe  I du règlement reprend les principa-les dispositions relatives à la présentation des notes. Certaines règles s’appliquent à toutes les notes (94) quand d’autres con-cernent plus spécifi quement les notes d’instruments fi nanciers

(92) Considérant no  23 du règlement (CE) n°  1060/2009. (93) Voy. l’article 9, § 4, du règlement délégué n° 448/2012 relatif aux « Modi-

fi cation et annulation de données qualitatives ». (94) Annexe  I, section  D, chap.  I, « Obligations générales », §§  2-5, du règle-

ment (CE) n°  1060/2009.

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structurés (95) ou les notes souveraines (96). L’addition de normes supplémentaires pour ces produits découle directement du fait que leur complexité a été considérée comme une des racines de la crise fi nancière de 2008.

40. —  Quand elles publient des notes, les agences de nota-tion doivent en toutes hypothèses indiquer clairement le nom et la fonction de l’analyste en chef ainsi que de la personne ayant approuvé la note avant sa publication. Les agences doivent éga-lement veiller à présenter les sources principales utilisées dans la confection de la note, la méthode utilisée ainsi que sa version, présenter de manière systématique chaque catégorie de notation (note souveraine, dette d’entreprise, produits structurés, etc.), mentionner la date de première notation ainsi que celle de son ou ses actualisations, respecter un code couleur dans le cas de non- participation des entités notées sur une base non sollicitée et enfi n indiquer très clairement si la créance notée est un produit structuré.

41. —  Des obligations particulières s’imposent également en termes de timing de publication. Celles- ci sont un stigmate immédiat des crises dont on se souviendra des scènes terribles provoquées par l’annonce de dégradation de notes quelques minutes avant l’ouverture des marchés. L’Union ne veut mani-festement plus voir ces scénarios se reproduire. Le règlement prévoit en conséquence que l’agence de notation informe l’entité notée durant les heures ouvrées de cette dernière et au moins un jour ouvré complet avant publication et précise simultané-ment les motifs essentiels sur lesquels se fondent la notation de crédit ou les perspectives de notation, afi n que l’entité notée ait la possibilité de signaler à l’agence de notation de crédit toute erreur matérielle. La Commission veut que les entités notées soient effectivement à même de répondre et de procéder à des vérifi cations si nécessaires, ce qui ne peut se faire si la commu-nication préalable des agences intervient de nuit ou le week- end, à un moment où la plupart des employés des émetteurs ne sont pas présents.

(95) Annexe  I, section  D, chap.  II, « Obligations supplémentaires pour les notations de crédit relatives aux instruments fi nanciers structurés », du règle-ment (CE) n°  1060/2009.

(96) Annexe  I, section  D, chap.  III, « Obligations supplémentaires relatives aux notations souveraines », du règlement (CE) n°  1060/2009.

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42. — En outre, parce que jusqu’à leur publication les perspec-tives de notation et les notations sont des informations privilégi-ées au sens de la directive sur les abus de marché, les émetteurs doivent établir des listes de personnes, lesquelles seront seules habilitées à prendre connaissance de ces futures notes. Nous le verrons, en ce qui concerne les notations souveraines, les restric-tions horaires imposées aux agences vont plus loin encore et tou-chent au moment de publication du rating.

43. — Les règles relatives aux notations des produits structurés. Les obligations qui pèsent sur les agences sont accentuées relati-vement à deux types de notes, soit les produits structurés et les notes souveraines. Ces deux types de notations étaient, respecti-vement, au cœur des crises fi nancière et souveraine, il n’est dès lors pas surprenant que l’Union ait décidé de la mise en œuvre de règles particulières quant à leur émission.

44. —  En matière de produits structurés, les agences de nota-tion doivent publier en même temps que la note l’analyse des pertes et des fl ux de trésorerie qu’elle a effectuée (ou l’analyse sur laquelle elle se fonde) ainsi qu’une indication de tout change-ment attendu de la notation de crédit. À dire vrai, on n’aperçoit guère l’utilité de cette indication des changements à intervenir, dans la mesure où la plupart des produits structurés notés font aussi l’objet d’un suivi grâce aux perspectives de notation qui, rappelons- le, sont soumises au même régime que les notations elles- mêmes. L’agence doit également indiquer jusqu’à quel niveau de structuration elle a évalué l’instrument. Plus délicat pour les émetteurs, les agences sont aussi tenues de publier des informations sur les sous- jacents des instruments structurés. Enfi n, pour ces instruments structurés, les agences de notation doivent, selon la terminologie du règlement, veiller à ce que « des explications […] claires et facilement compréhensibles » soi-ent fournies. Selon une technique usuelle en matière de notation, le règlement pose la règle, l’AEMF fait la règle  : l’agence s’est vu confi er la tâche de rédiger, d’ici au 21  juin 2014, des nor-mes techniques de réglementation visant à préciser la manière dont les agences doivent mettre en œuvre leurs obligations en matière de diffusion d’informations sur les produits structurés. À l’heure où nous clôturons la rédaction du présent article, l’AEMF annonçait une nouvelle consultation en matière de transparence

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applicable aux agences de notation (97). Parmi les thèmes sou-mis à consultation fi gure l’analyse des informations relatives aux produits structurés que les agences seront amenées à divulguer de manière obligatoire. Compte tenu de l’importance de ce sec-teur d’activités pour les agences de notation, il sera intéressant quelles contributions celles- ci déposeront à titre de réponse à la consultation de l’AEMF.

45. — La volonté de l’Union de rendre le processus de notation le plus transparent possible pour le grand public est évidente, mais laisse quelque peu sceptique quant à sa mise en œuvre con-crète. Cette volonté semble notamment peu cohérente avec une règle introduite par le dernier règlement consistant à exiger des émetteurs de produits structurés qu’ils fassent obligatoirement noter leur produit par deux agences. En dehors du coût que peut représenter la notation pour les émetteurs, la diffusion de deux notes distinctes avec leurs rapports et leurs explications risquent plus d’opacifi er que de clarifi er la qualité des produits structurés. À l’analyse, la complexifi cation des obligations relatives à ces produits semble bien être une manière de lutter contre leur mul-tiplication en rendant leur diffusion plus difficile.

46. —  Les règles relatives aux notations souveraines (98). Le législateur européen a une idée claire quant aux notations sou-

(97) AEMF, ESMA consults on new CRA transparency requirements, Press release, ESMA/2014/165, 11  février 2014 ; AEMF, Consultation paper on CRA3 Implementation, ESMA/2014/150, 11 février 2014. Ce document de 227 pages porte en annexes les projets de trois nouvelles réglementations techniques relatives à l’information en matière de produits fi nanciers structurés, à la plate- forme euro-péenne de notation (European Rating Platform) et à la structure des frais deman-dés par les agences à leurs clients (texte consultable à cette adresse  : http://www.esma.europa.eu/system/fi les/2014-150_consultation_paper_on_cra3_imple-mentation_0.pdf).

(98) Cette défi nition se lit comme suit  : « notation souveraine  : (i)  la notation d’une entité qui est un État ou une autorité régionale ou locale d’un État ; (ii)  la notation de crédit d’une dette ou obligation fi nancière, d’un titre de créance ou d’un autre instrument fi nancier dont l’émetteur est un État ou une autorité régionale ou locale d’un État, ou une entité ad hoc pour un État ou une autorité régionale ou locale d’un État ; (iii)  la notation de crédit lorsque l’émetteur est une institution fi nancière internationale créée par deux ou plusieurs États en vue de mobiliser des fonds et d’accorder une aide fi nancière aux membres de cette institution fi nancière internationale, qui connaissent ou risquent de connaître de graves problèmes de fi nancement ». Ce dernier point a été ajouté par le Parlement en janvier  2013. Il ne fait pas de doute que cet alinéa a été taillé sur mesure pour le Fonds monétaire européen et le Fonds européen de stabilité fi nancière compte tenu de l’actualité fi nancière de la Grèce en particulier, mais également des sombres per-

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veraines  : ce sont des notations d’une autre nature que celles des entreprises et des instruments fi nanciers structurés (99). Non seulement le dernier règlement a- t-il introduit une défi nition de la « notation souveraine » dans la réglementation applicable, mais encore a- t-il introduit la majorité des règles que nous décrirons ci- dessous, singularisant les notations souveraines des autres notes.

47. —  On peut s’en douter, les agences de notation ont une opinion très différente de celle de la Commission. Selon elles, les notations de dette souveraine n’ont rien de particulier et ne doi-vent pas être traitées de manière privilégiée au risque de susciter des atteintes à la concurrence (100). À cet égard, Moody’s expli-que dans une étude publiée le 15  avril 2013 que si l’on se penche sur les conséquences des annonces des agences de notation sur le taux d’emprunt des États, l’infl uence est limitée, surtout si l’on tient compte du contexte. Moody’s explique par exemple que l’on a blâmé les agences pour avoir dégradé la note de la Grèce, mais que personne ne s’est réellement préoccupé de l’impression des marchés quant au fait que chaque jour des dizaines de mil-liers de personnes descendaient dans les rues d’Athènes pour manifester ou quant au fait que l’Union européenne ait dans un premier temps annoncé qu’elle n’aiderait pas fi nancièrement la Grèce (101).

spectives d’autres États européens (résolution législative du Parlement européen du 16  janvier 2013, pp.  72-73).

(99) Comm. EU Public Consultation on Credit Rating Agencies (Consultation paper), 5 novembre 2010, p. 14 ; voy. aussi l’analyse d’impact publiée par la Com-mission : Impact Assessment accompanying the document Proposal for a Regulation amending Regulation (EC) No. 1060/2009 on credit rating agencies and a Proposal for a Directive amending Directive 2009/65/EC on coordination on laws, regulations and administrative provisions relating to undertakings for collective investment in transferable securities (UCITS) and Directive 2011/61/EU on Alternative Investment Fund Managers, 8  juin 2011, SEC(2011) 1354, pp. 4-5. Pour une opinion sur cette question  : B.  PLESSIX, « À propos de la notation souveraine », Revue juridique de l’économie publique, janvier  2014, p.  3.

(100) Fitch Ratings, Response to Public Consultation on Credit Rating Agencies dated 5  November 2010, 6  janvier 2011 ; Moody’s, Moody’s Investor Service Res-ponse to the European Commission Public Consultation on Credit Rating Agencies, 7  janvier 2011 ; Standard & Poor’s, Standard & Poor’s Ratings Services Response to the European Commission Public Consultation on Credit Rating Agencies dated 5  November 2010, 12  janvier 2011.

(101) Moody’s, Sovereign Ratings and Regulation : The problem of intervention, 15  avril 2013, texte disponible sur le site Internet  : www.moodys.com/research-documentcontentpage.aspx?docid=PBC_152173.

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48. —  Faisant fi des menaces des agences de notation de ne plus publier de notes souveraines du tout, l’Union européenne a introduit un cadre visant à encadrer strictement les modalités de notations des États.

Les notations souveraines devront être revues systématique-ment et au minimum deux fois par an (et non plus annuellement comme le prévoyait la mouture initiale du règlement ANC  III). L’idée qui sous- tend cette nouvelle règle est que si des adaptati-ons des notes se font de manière plus fréquente, le marché pourra les anticiper et sera moins surpris et donc moins volatil.

Et les règles sont précises. Les agences devront publier à la fi n du mois de  décembre de chaque année un calendrier pour l’année à venir indiquant les dates de publication des notations et des perspectives. Ces publications devront se faire les vendre-dis. En outre, le nombre de notations non sollicitées portant sur des entités publiques ou parapubliques est limité à trois par an.

La publication des notes souveraines devra en outre s’accompagner de la publication d’un rapport de recherche com-plet, « garantissant que l’État membre concerné a été analysé dans sa spécifi cité ». Il est également interdit aux agences d’annoncer la révision de la situation d’un groupe de pays si cette révision ne s’accompagne pas de rapports individuels par pays. Dans des versions antérieures du règlement ANC III, cette obligation nou-velle s’imposait à titre gratuit. La version du règlement qui est entrée en vigueur en juin  2013 ne le précisant plus, il faut sup-poser que les agences de notation peuvent soumettre à paiement la fourniture du rapport de notation.

En outre, il est « recommandé » aux agences dans le préambule du règlement ANC  III de « s’abstenir de toute recommandation directe ou explicite au sujet des politiques des entités souveraines notées » (102). On se souviendra que par le passé les agences de notation se sont à de multiples reprises attiré les foudres des

(102) La question se pose évidemment de la défi nition d’une « recommanda-tion », pour un sujet de réfl exion, voy. l’article publié dans le journal belge néer-landophone De Standaard le 14  février 2013 intitulé « Ratingsbureaus niet van plan Vlaanderen te erkennen ». Plus spécifi quement, ce que l’Europe semble à chercher à éviter sont des rapports du type de celui publié le 3  juillet 2012 par Standard & Poor’s dans lequel l’agence amalgame tous les pays européens et s’interroge sur l’utilité des mesures adoptées par l’Union pour sauver l’Eurozone (voy.  S & P, The tide may be turning for Eurozone Sovereigns following the June

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chefs d’État et de gouvernement pour avoir formulé des recom-mandations très directes aux États quant à leur manière de gérer leurs budgets. La liberté d’expression des agences de notation semble bien avoir été sacrifi ée sur l’autel des fi nances publiques européennes.

49. —  Les agences de notation ont déjà averti les États euro-péens du danger que représente cette idée (103). Les États mem-bres se sont engagés, politiquement, à ne plus faire appel aux agences de notation pour évaluer leur dette, à ne plus les rému-nérer pour ce service. Les agences n’ont bien entendu aucune obligation de procéder à la notation de ces dettes.

50. —  Enfi n, une règle avait été proposée par la Commission et n’a fi nalement pas été retenue vu la levée de boucliers des agences de notation. Il avait été envisagé d’instaurer une règle obligeant les agences à prévenir les États trois jours ouvrables à l’avance de toute modifi cation de la note attribuée à leur dette. Les agences de notation ont vilipendé cette proposition, la con-sidérant comme discriminatoire par rapport aux autres entités notées et susceptible de pousser les agences à cesser toute nota-tion des dettes souveraines. Manifestement, le lobbying a porté ses fruits et sur ce point, un des rares, la Commission a fait machine arrière.

51. —  En plus de se voir imposer des règles de plus en plus contraignantes, les agences de notation doivent faire face à des contrôles rapprochés en matière de notations souveraines. Ainsi, et avant même l’entrée en vigueur des nouvelles règles portées par l’ANC  III, l’AEMF avait effectué des contrôles et enquêtes sur place dans les locaux de Fitch, Moody’s et Standard and Poor’s. Le résultat des contrôles effectués a été résumé dans un document publié en  décembre  2013 (104). L’AEMF y pointe une

29 Summit, 3  juillet 2012, disponible sur le site de Standard & Poor’s  : www.standardandpoors.com/ratingsdirect).

(103) Fitch Ratings, Response to Public Consultation on Credit Rating Agencies dated 5  November 2010, 6  janvier 2011 ; Moody’s, Moody’s Investor Service Res-ponse to the European Commission Public Consultation on Credit Rating Agencies, 7  janvier 2011; Standard & Poor’s, Standard & Poor’s Ratings Services Response to the European Commission Public Consultation on Credit Rating Agencies dated 5  November 2010, 12  janvier 2011.

(104) AEMF, Credit Rating Agencies: Sovereign ratings investigation — ESMA’s assessment of governance, confl ict of interest, ressourcing adequacy and confi dentia-lity controls, ESMA/2013/1775, 2  décembre 2013. Ce rapport d’une quinzaine de

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série de manquements allant de l’implication de membres du senior management dans l’activité de notation souveraine au non- respect du timing de publication en passant par des lacunes en termes de confi dentialité. Les conclusions de l’AEMF sont pour le moins sévères. Elles sont en outre sans préjudice de la faculté pour l’AEMF d’engager des procédures de sanction à l’encontre des agences. À notre connaissance, l’exercice d’un contrôle a pri-ori aussi lourd est inédit dans l’Union européenne. Il faut en effet rappeler que si les agences ont été politiquement pointées du doigt à diverses reprises, les « fautes » prétendument commi-ses l’ont été à une époque où les agences n’étaient soumises à aucune réglementation particulière. Les agences font pourtant aujourd’hui l’objet d’une surveillance qui s’étend jusque dans l’organisation de leurs réunions, la vérifi cation de l’âge de leur collaborateur et des mouvements de chaque membre du person-nel. Les acteurs des marchés fi nanciers ayant participé d’une manière ou d’une autre aux crises récentes ne se sont guère inté-ressés au sort des agences de notation, trop satisfaits de voir que l’Union européenne s’était trouvée un autre bouc émissaire qu’eux- mêmes. Reste qu’une telle évolution du contrôle devrait faire l’objet par tous d’un suivi attentif. Nous avons déjà évoqué notre avis selon lequel les agences de notation servent à l’Union de cobaye, et nous ne serions nullement surpris de constater une évolution du contrôle similaire à d’autres acteurs qu’aux agences de notation.

D.  —  LES RÈGLES RELATIVES AU MARCHÉ DE LA NOTATION

52. — À la suite des grandes institutions fi nancières mondiales, la Commission s’attaque à la dépendance qualifi ée d’excessive aux notations des agences. L’Union s’est ainsi lancée dans un processus de « désintoxication » (105) des marchés qui passe par la suppression du rôle réglementaire des notations, par le déve-

pages a suscité un certain émoi dans la presse  : « Les quatre péchés des agences de notation », article de Jennifer NILLE, L’Écho, 3  décembre 2013 ; « Les agen-ces prises en défaut », article de Nathalie DUBOIS, Libération, 3  décembre 2013 ; « L’Europe accuse les agences de notation d’insuffisances graves », article de Jean- Baptiste JACQUIN, Le Monde —  Blog Pertes et Profi ts, 3  décembre 2013.

(105) Autorité des marchés fi nanciers (France), Rapport 2010 de l’AMF sur les agences de notation, 19  août 2011, p.  7. Voy. aussi ci- dessus, en note de bas de page no  48.

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loppement de la concurrence sur le marché de la notation et par la recherche de nouveaux référents communs. L’Union a, par contre, rejeté temporairement l’idée défendue politiquement par certains de mise en place d’une agence européenne publique de notation (106).

53. —  La suppression de l’usage des notations des agences de notation à des fi ns réglementaires. Les notations externes, celles publiées par les agences de notation, reçoivent de nombreuses utilisations réglementaires en vertu de différents textes de droit européen (107). Dans un certain nombre de domaines, l’usage des notations externes est facultatif, celles- ci n’étant mentionnées que comme un élément d’appréciation parmi d’autres (c’est le cas en matière bancaire pour l’application de la directive rela-tive aux fonds propres réglementaires (108), mais aussi en mati-ère d’investissements des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (109)). Pour d’autres, l’usage des notations

(106) Les Échos, « Michel Barnier  : Je réfl échis à l’idée d’une agence de notation supplémentaire, qui serait européenne », 30  avril 2010 ; Le Monde, « Angela Merkel plaide pour une agence de notation européenne », 3  mai 2010 ; position de M.  Jouyet (président de l’AMF)  : Reuters, « Jouyet (AMF) ne veut pas d’une agence de notation européenne », 4  mai 2010 ; Les Échos, « La BCE refuse de devenir une agence de notation », 24  février 2011. Cette proposition fi gure au jour où nous écrivons ces lignes encore dans de nombreux programmes et débats politiques, voy. par exemple le programme de François Hollande à l’élection présidentielle française de 2012 : http://francoishollande.fr/actualites/agence- publique- de- notation- europeenne/. Voy. encore le projet de rapport du Parlement européen sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifi ant le règlement (CE) no  1060/2009 sur les agences de notation de crédit daté du 15  février 2012 qui invite la Commission à rédiger un « rapport relatif à la création d’une agence publique européenne de notation de crédit qui évaluerait en totale indépendance le crédit de la dette publique des États membres. Il y serait étudié si une institution existante peut remplir la mission de noter les dettes souveraines. Ce rapport contiendrait, au besoin, une proposition législative » (projet de rapport de la commission, PE480.852, 15  février 2012, p.  15).

(107) Pour un répertoire de celles- ci dans les règlements européens de droit fi nancier, voy. Comm. EU, Public Consultation on Credit Rating Agencies (Con-sultation paper), 5  novembre 2010, pp.  29-32.

(108) Directive  2006/48/CE du Parlement européen et du Conseil concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice, 14  juin 2006, J.O. L  177, annexe  VII, partie  2, art.  7, (d).

(109) Directive  2007/16/CE de la Commission portant application de la direc-tive  85/611/CEE du Conseil portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), en ce qui concerne la clarifi cation de certaines défi nitions, 19  mars 2007, J.O. L  79, art.  6, §  3.

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externes revêt en revanche un caractère indispensable (110), voire légalement contraignant (111). Il est intéressant de constater à cet égard que les acteurs publics, particulièrement européens, comme la Banque centrale européenne (112) ou les autorités européennes bancaires, des assurances et des pensions professionnelles et des marchés fi nanciers, font une consommation massive des notations d’agence. La Commission elle- même n’est pas en reste, utilisant les notations afi n d’évaluer les aides d’États octroyées par ses membres (113).

54. —  Une directive avait déjà été adoptée en juin  2011 (114) afin d’imposer aux établissements de crédit, aux entrepri-ses d’investissement, aux entreprises d’assurance non- vie, aux entreprises d’assurance vie, aux entreprises de réassurance, aux OPCVM, aux institutions de retraite professionnelle et aux fonds

(110) Ainsi, en matière d’assurance et de réassurance, si le cadre européen formé des directives Solvabilité n’impose pas l’usage de notations externes, la Commission a remarqué que de nombreux États membres ont transposé les direc-tives en faisant référence aux notations des agences. Le constat est le même pour la transposition de la directive  2003/41/CE du Parlement européen et du Conseil du 3  juin 2003 concernant les activités et la surveillance des instituti-ons de retraite professionnelle. Comm. EU, Public Consultation on Credit Rating Agencies (Consultation paper), op.  cit., pp.  29-32.

(111) Pour ce qui des entreprises d’investissement, la directive  2006/73 du 10  août 2006 portant mesures d’exécution de la directive  MiFID en ce qui con-cerne les exigences organisationnelles et les conditions d’exercice applicables à ces entreprises défi nit en son article  18, §  2, la « haute qualité » d’un instrument du marché monétaire comme celui qui a reçu de toutes les agences la meilleure note possible. Concrètement, cela signifi e que les fonds du marché monétaire qualifi é, qui sont un type d’organisme de placement collectif, ne puissent investir que dans cela des instruments ayant reçu les notes les plus élevées. En matière de prospectus d’offre publique ou d’admission sur un marché réglementé, les prospec-tus relatifs à des produits de dettes doivent mentionner le rating attribué à cette créance si un rating a été attribué (annexe  V, art.  7, §  5, du règlement  809/2004 mettant en œuvre la directive 2003/71/CE en ce qui concerne les informations con-tenues dans les prospectus, la structure des prospectus, l’inclusion d’informations par référence, la publication des prospectus et la diffusion des communications à caractère promotionnel, 29  avril 2004, J.O. L  149).

(112) Pour une description détaillée des usages des notations d’agences par la BCE, voy. F. COPPENS, F. GONZALEZ et G. WINKLER, « The performance of Credit Rating Systems in the Assessment of Collateral used in Eurosystem monetary policy operations », Occasional Paper Series of the ECB, 65, juillet 2007, disponible à l’adresse internet suivante  : http://www.ecb.int/pub/pdf/scpops/ecbocp65.pdf.

(113) Proposition de règlement, p.  32. (114) Directive  2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8  juin

2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs et modifi ant les directives  2003/41/CE et 2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) no  1060/2009 et (UE) no  1095/2010, J.O. L  174, pp.  1-73.

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d’investissement alternatifs de n’utiliser à des fi ns réglementaires que des notations de crédit émises par des agences de notation de crédit établies et enregistrées dans l’Union (115). Cette directive n’était qu’une première étape, la directive  2013/14 (116) adoptée en même temps que le règlement ANC  III, poursuivant la même logique. Avec l’entrée en vigueur de ces textes, les institutions de retraite professionnelles, certains OPCVM et les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs ne peuvent plus s’appuyer de manière mécanique et uniforme sur les notations des agences, mais ne peuvent plus considérer celles- ci que comme « un facteur d’appréciation parmi d’autres » (117).

55. —  L’Union en quête de nouveaux référents. Initialement, l’horizon de la Commission était la fi n de l’année 2013. L’accord politique intervenu au Parlement européen a été moins optimiste, prévoyant de supprimer toutes références « d’ici à 2020 » (118). Toutes les références aux agences de notations devront être sup-primées des normes européennes sous une réserve de taille, celle « d’avoir identifi é et mis en œuvre en alternative des solutions appropriées à l’évaluation du risque de défaut » (119).

56. — Au 1er janvier 2020, tous les acteurs européens, et en par-ticulier les principaux régulateurs fi nanciers de l’Union que sont l’AEMF, l’Autorité bancaire européenne (ABE) et l’Autorité euro-péenne des assurances et des pensions professionnelles (AEAPP), devront avoir modifi é l’ensemble de leurs orientations, commu-nications et autres normes techniques pour que les participants des marchés fi nanciers et ces autorités elles- mêmes ne se reposent

(115) Art.  4, §  1, du règlement (CE) n°  1060/2009. (116) Directive  2013/14/UE du Parlement européen et du Conseil, modifi ant

la directive  2003/41/CE concernant les activités et la surveillance des instituti-ons de retraite professionnelle, la directive  2009/65/CE portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et la direc-tive  2011/61/UE sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs en ce qui concerne la dépendance excessive à l’égard des notations de crédit, 21  mai 2013, J.O. L  145 du 31  mai 2013.

(117) Proposition de directive  du Parlement européen et du Conseil modi-fi ant la directive  2009/65/CE portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) et la directive 2011/61/UE sur les gestion-naires de fonds d’investissement alternatifs en ce qui concerne le recours excessif aux notations de crédit, 15  novembre 2011, COM (2011) 746 fi nal, pp.  5-6.

(118) Résolution législative du Parlement européen du 16  janvier 2013, p. 33. (119) Ibidem.

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plus de manière mécanique sur les notations des agences. Ce que ne dit pas le règlement, c’est par quoi les références, nombreuses, dans les textes européens aux notations des agences vont être remplacées, et le Parlement européen semble bien être conscient de la difficulté de l’exercice.

Il sera intéressant de consulter le rapport intermédiaire que la Commission doit rendre sur le sujet au plus tard le 31  décembre 2015, car à l’heure où nous écrivons ces lignes, les pistes semblent peu développées sur cette question pourtant cruciale aux yeux de l’Union.

57. —  La concurrence sur le marché de la notation et le développement d’une échelle européenne harmonisée de nota-tion. La concurrence limitée sur le marché de la notation n’est pas un constat nouveau. En 2009, la Commission avait ouvert une enquête pour abus de position dominante à l’encontre de Standard & Poor’s (120). Plusieurs mesures devraient être mises en place pour assurer une plus grande concurrence sur le marché de la notation en Europe. Les règles de rotation entre agences susdécrites y participeront largement, mais ce n’est pas tout. L’Union incite également les émetteurs faisant noter leurs titres de dettes par deux agences de notation d’« envisager » de tra-vailler avec une agence ne détenant pas 10 % du marché de la notation.

S’il décide de ne pas faire appel à une agence de notation de crédit ne détenant pas une part de marché supérieure à 10 %, l’émetteur devra le déclarer et le documenter. Cette nouvelle obli-gation pesant sur les émetteurs correspond à la règle « comply or explain », bien connue en matière de gouvernance d’entreprise. Pour « faciliter la tâche » des émetteurs, l’AEMF publiera chaque année sur son site web une liste d’agences de notation de crédit agréées en indiquant leur part de marché (calculée sur la base du chiffre d’affaires annuel des activités de notation et des services accessoires, au niveau du groupe) et les catégories de notation qu’elles effectuent.

(120) Comm. EU, Abus de position dominante  : la Commission ouvre une pro-cédure formelle à l’encontre de Standard & Poor’s en ce qui concerne les numéros d’identifi cation de valeurs mobilières, 12  janvier 2009, MEMO/09/6 ; Comm. EU, Antitrust  : Commission confi rms sending of Statement of Objections to Standard & Poor’s, 19  novembre 2009, MEMO/09/508.

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On peut s’interroger sur la portée d’une telle règle. Comment les agences vont- elles prouver aux régulateurs qu’elles ont « envisagé » de travailler avec une petite agence ? Si elles ne peuvent le prou-ver ou si elles s’en sont abstenues quelle sera la sanction ?

À dire vrai, si cette nouvelle disposition a tous les aspects d’un vœu pieux, elle pave le chemin à l’avenir du marché de la nota-tion en Europe. En effet, la Commission a été chargée de pré-parer un rapport sur la possibilité de créer un réseau d’agences de notation de crédit de plus petite taille afi n de renforcer la concurrence sur le marché, rapport qu’elle devra présenter au Parlement européen et au Conseil pour le 31  décembre 2013 au plus tard (121). La Commission devra y évaluer les aides fi nan-cières et non fi nancières en faveur de la création d’un tel réseau, compte tenu des confl its d’intérêts potentiels qu’un fi nancement public de ce type risque d’engendrer. Nul doute qu’un tel rap-port, s’il envisage l’octroi d’aides publiques, déclenchera égale-ment un débat sur la licéité et la pertinence d’octroyer des aides publiques à la création d’agences de notation.

58. —  Dans son projet initial de règlement, l’Union avait éga-lement prévu de s’atteler à l’établissement d’une échelle harmo-nisée de notation.

Un des problèmes identifi és par la Commission était en effet celui de la faible et difficile comparabilité des notes émises par les agences, celles- ci se targuant en permanence d’utiliser des métho-des différentes, que leurs notations ne sont que le refl et de ces méthodes, ne sont que leur propre opinion et ne sont dès lors

(121) Si à ce jour —  soit le 16  février 2014, date à laquelle nous clôturons cet article  — la Commission n’a pas encore remis son rapport, l’avis technique pré-paré par l’AEMF au sujet de la faisabilité d’un tel réseau présente quelques don-nées intéressantes (AEMF, Technical Advice on the feasibility of a network of small and medium- sized CRAs, ESMA/2013/1703, 21  novembre 2013). Ainsi l’AEMF constate qu’aucune des agences petites ou moyennes n’est active dans chacun des cinq grands secteurs de notation (dettes d’entreprises, d’État, d’institutions fi nancières, d’entreprises d’assurances et produits fi nanciers structurés). En outre seules six agences petites ou moyennes proposent des notes souveraines (ce qui est cohérent avec le fait que ces notes sont le plus souvent non sollicitées et donc non rémunérées) et qu’une seule propose la notation de produits fi nanciers structurés (97 % de cette activité restant donc entre les mains des Big Three). Il ressort également de cet avis technique que Fitch, Moody’s et Standard and Poor’s représentent environ 88 % du chiffre d’affaires de la notation en Europe, les dix- neuf agences petites ou moyennes identifi ées par l’AEMF se partageant les 12 % restant.

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pas strictement comparables avec celles des autres agences. Pour assurer cette comparabilité, la Commission prônait la mise en place de normes communes pour les échelles de notation et sur-tout la création d’un indice de notation européen qui s’appellerait EURIX (122). De l’avis de la Commission, ce nouvel indice aurait permis d’augmenter le choix sur le marché de la notation et « opti-miser la structure du secteur des notations ». Ce projet a toutefois disparu du règlement ANC  III tel qu’il a été adopté. Sans doute la Commission a- t-elle renoncé devant la charge de travail et le risque d’erreur que cet indice aurait représenté pour l’AEMF, laquelle a déjà un programme fort chargé en matière d’agences de notation pour les prochaines années.

Si ce projet d’indice global a disparu, le CEREP dont il a déjà été question aux paragraphes  31 et  32 ci- dessus se voit adjoint d’une Plate- forme européenne de la notation (European Rating Platform) dont le cadre est développé dans le projet de réglemen-tation technique publié le 11  février 2014. L’AEMF ambitionne de mettre à disposition du public un outil de consultation des notations mis à jour quotidiennement, outil qui lui servira éga-lement dans sa tâche de surveillance prudentielle des agences de notation (123).

59. —  L’abandon temporaire de la piste d’une agence euro-péenne publique de notation (124). Parmi les mesures envisagées, celle de la création d’une agence européenne de notation est une de celles qui a fait couler le plus d’encre.

La Commission y avait renoncé pour plusieurs raisons. En particulier, elle ne voulait pas risquer de perturber la concur-rence sur le marché de la notation, freiner l’entrée de nouveaux acteurs sur ce marché ou encore susciter de nouveaux confl its d’intérêts en notant les dettes souveraines (125). En guise de

(122) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifi ant le règlement (CE) no 1060/2009 sur les agences de notation de crédit, 15 novembre 2011 COM (2011) 747 fi nal, p.  5.

(123) AEMF, Consultation paper on CRA3 Implementation, ESMA/2014/150, 11  février 2014, en particulier pp.  134 et  s.

(124) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifi ant le règlement (CE) no 1060/2009 sur les agences de notation de crédit, 15 novembre 2011 COM (2011) 747 fi nal, pp.  13-14.

(125) Ibidem. Voy. aussi l’analyse d’impact publiée par la Commission : Impact Assessment accompanying the document Proposal for a Regulation amending Regu-lation (EC) No. 1060/2009 on credit rating agencies and a Proposal for a Directive

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substitut, l’établissement d’une échelle standardisée de notation par l’autorité européenne des marchés fi nanciers remplit dans une large mesure l’objectif qui présidait à la création d’une agence européenne, soit celui de voir les autorités publiques prendre pied sur le marché de la notation. Cette mesure, on l’a vu, semble toutefois avoir été également abandonnée.

À ce stade, la Commission a été invitée à retourner à sa table de travail. En guise de préalable, celle- ci devra présenter d’ici au 31  décembre 2014 un rapport sur l’opportunité de dévelop-per une évaluation européenne de la qualité de crédit des det-tes souveraines. En fonction des conclusions que la Commission tirera dans ce rapport, elle sera amenée à présenter aux Parle-ment et Conseil européen, d’ici au 31  décembre 2016, un rapport sur l’opportunité et la possibilité de mettre en place une agence européenne de notation de crédit, qui se chargerait d’évaluer la qualité de crédit de la dette souveraine des États membres ou une fondation européenne de notation de crédit, qui se chargerait de toutes les autres notations de crédit. D’un projet politique d’agence publique européenne libérée des contraintes de marchés, le consensus auquel ont pu parvenir les partenaires européens est celui d’une étude de faisabilité à moyen terme. Sans doute le projet d’agence européenne n’est- il pas encore défi nitivement enterré, mais il semble bien avoir disparu des priorités.

E.  —  LA RESPONSABILITÉ DES AGENCES DE NOTATION EN CAS D’INFRACTION AU RÈGLEMENT (CE) N°  1060/2009

§  1. —  La mise en cause des agences de notation par l’AEMF

60. — De l’avis des agences de notation elles- mêmes, les règles contenues dans le règlement (CE) n°  1060/2009 sont substantiel-les (126). Pour s’assurer de leur respect et de leur effectivité,

amending Directive  2009/65/EC on coordination on laws, regulations and adminis-trative provisions relating to undertakings for collective investment in transferable securities (UCITS) and Directive  2011/61/EU on Alternative Investment Fund Managers, SEC(2011) 1354, 8  juin 2011, pp.  41-42.

(126) Voy. Fitch Ratings, Response to Public Consultation on Credit Rating Agencies dated 5 November 2010, 6 janvier 2011, disponible à l’adresse Internet sui-vante : https://circabc.europa.eu/d/d/workspace/SpacesStore/4e30762e- 1958-449d- 9480- ea59839713b0/Fitch_EN.pdf ; Moody’s, Moody’s Investor Service Response to

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l’Union a adopté le 11  mai 2011 un règlement (127) instaurant le volet répressif de la réglementation applicable en matière d’agences de notation.

61. —  La répression des violations du règlement n°  1060/2009. L’annexe  III du règlement (CE) n°  1060/2009 ayant été insérée par le règlement ANC  II énumère pas moins de 73  infractions, modulables selon une liste de « coefficients d’adaptation liés à des circonstances aggravantes ou atténuantes ».

À l’origine, la Commission avait délégué l’ensemble de la pro-cédure de sanction aux États membres (128). Avec l’entrée en vigueur du deuxième règlement, les États membres ne conservent plus de pouvoir que pour sanctionner l’usage de notations dans l’application des législations sectorielles. L’article 4, § 1, du règle-ment (CE) n°  1060/2009 impose que seules des notations émises par des agences établies et enregistrées dans l’Union puissent être utilisées par les « institutionnels » à des fi ns réglementaires. Si tel ne devait pas être le cas, ce ne serait pas à l’AEMF de procéder à sanction, mais bien aux autorités nationales sectorielles com-pétentes.

62. —  Les pouvoirs du régulateur. L’AEMF a été dotée par le règlement (UE) n°  513/2011 d’un puissant arsenal répressif afi n d’assurer l’efficacité de sa mission de surveillance, arsenal dont la composition est largement inspirée de celui déjà mis en œuvre en matière de répression des comportements anticoncurrentiels.

the European Commission Public Consultation on Credit Rating Agencies, 7  jan-vier 2011, https://circabc.europa.eu/d/d/workspace/SpacesStore/eeabbaab- dfdf- 4468-8801-7b39a50d2356/Moody__s%20Investors%20Service_EN.pdf ; Standard & Poor’s, Standard & Poor’s Ratings Services Response to the European Com-mission Public Consultation on Credit Rating Agencies dated 5  November 2010, 12  janvier 2011, disponible à l’adresse suivante  : https://circabc.europa.eu/d/d/workspace/SpacesStore/09eccbec- 1162-4a8a- 9e97-115ab5e50924/S%26P_EN.pdf.

(127) Règlement (UE) no  513/2011 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2011 modifi ant le règlement (CE) no 1060/2009 sur les agences de notation de crédit, J.O. L  145, pp.  30-56.

(128) Voy. le libellé de l’article  36 du règlement (CE) n°  1060/2009 dans sa mouture avant amendement : « Les États membres déterminent le régime des sancti-ons applicables aux violations des dispositions du présent règlement et prennent toute mesure nécessaire pour assurer la mise en œuvre de celles- ci. Les sanctions ainsi prévues sont effectives, proportionnées et dissuasives. Les États membres veillent à ce que l’autorité compétente rende publiques les sanctions qui ont été appliquées pour non- respect du présent règlement, sauf dans les cas où cette publication perturberait gravement les marchés fi nanciers ou causerait un préjudice disproportionné aux parties en cause (…) ».

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Parmi les pouvoirs que le règlement (UE) n°  513/2011 confère à l’AEMF, on trouve pêle- mêle celui de procéder à des examens a posteriori de la conformité au règlement (CE) n°  1060/2009 (129), de réaliser des enquêtes (130) et dans ce cadre d’examiner tous documents, de prendre copies, de convoquer toute personne pour interrogatoire, ainsi que d’accomplir des inspections sur site (131). L’AEMF peut également demander, puis exiger des renseigne-ments (132) avec pour seule limite celle de la confi dentialité, sujet dont on connaît la sensibilité en matière de droit de la concur-rence (133) et dont l’interprétation ne sera pas plus aisée en mati-ère d’agences de notation.

63. —  Des sanctions dissuasives. Les risques encourus par les agences sont doubles. D’une part, si l’AEMF découvre qu’une agence a « délibérément ou par négligence » commis une des 73  infractions listées en annexe au règlement, elle pourra lui imposer une amende (134), voire une astreinte (135). Les mon-tants ne sont pas négligeables. Le non- respect des règles liées aux confl its d’intérêts et aux exigences organisationnelles ou opé-rationnelles sont le plus lourdement réprimées (entre 500.000  € et 750.000  € par infraction).

En outre, l’ensemble des montants des sanctions sont des mon-tants de base. Ils peuvent être adaptés à la hausse comme à la baisse en fonction de coefficients liés au constat de circons-tances aggravantes ou atténuantes (136). Sont considérés comme des facteurs aggravants la répétition de l’infraction, une période infractionnelle de plus de six mois, la découverte de faiblesses systémiques dans l’organisation de l’agence, le caractère délibéré de l’infraction, l’absence de correction de l’infraction qui aurait

(129) Art.  22bis du règlement (CE) n°  1060/2009. (130) Art.  23quater du règlement (CE) n°  1060/2009. (131) Art.  23quinquies du règlement (CE) n°  1060/2009. (132) Art.  23ter du règlement (CE) n°  1060/2009. (133) N. FORWOOD, « European Court of Justice case law on legal professional

privilege », in G.- A.  DAL, Le secret professionnel de l’avocat et la jurisprudence européenne, Larcier, Bruxelles, 2010, pp.  45-63 ; Ph.  MARCHANDISE, « Arrêt Akzo Nobel  : la confi dentialité des avis juridiques internes à une entreprise —  Ana-lyse d’un juriste d’entreprise », J.D.E., no  10, 2010, pp.  300-302 ; N.  STAESSENS, « Procedurele bescherming van de vertrouwelijkheid van de communicatie tussen advocaat en cliënt », Ad Rem, 5, 2007, p.  12.

(134) Art.  36bis du règlement (CE) n°  1060/2009. (135) Art.  36ter du règlement (CE) n°  1060/2009. (136) Voy. l’annexe  IV du règlement (CE) n°  1060/2009.

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été constatée, le constat que l’infraction a eu un impact négatif sur la qualité des notations émises ou encore l’absence de coopé-ration avec l’AEMF. Les coefficients de circonstances atténuantes sont moins nombreux. Ils s’appliqueront en réduction du mon-tant de base de l’infraction si l’agence peut démontrer que tou-tes les mesures nécessaires à la prévention de l’infraction ont été adoptées, si la période infractionnelle est inférieure à dix jours, si l’agence a volontairement, « rapidement, efficacement et complète-ment » (137) dénoncé son infraction à l’AEMF ou encore si l’agence a de son propre chef pris des mesures pour que l’infraction ne puisse plus se reproduire. Plus encore, si plusieurs coefficients devaient pouvoir être appliqués, ils s’appliquent, nous enseigne le règlement, « l’un après l’autre » (138). Enfi n, si l’agence a tiré un avantage fi nancier de l’infraction, l’amende devra être au moins égale au montant de cet avantage. Cette escalade d’amendes con-naît tout de même une limite, elle ne peut dépasser 20 % du chiffre d’affaires annuel de l’agence concernée (139).

En plus de pouvoir imposer sanction et amende, l’AEMF dis-pose d’une arme plus redoutable encore, celle de pouvoir retirer aux agences leur enregistrement, temporairement ou défi nitive-ment, ainsi que celui de suspendre l’utilisation des notes d’une agence reconnue comme coupable jusqu’au moment où il aura été mis à l’infraction (140). Dans la première mouture de cette contribution, nous avions écrit que nous étions quelque peu inquiète quant au fait que la Commission confère à l’AEMF de très larges pouvoirs d’investigation et de sanction sans prévoir une manière pour les agences de pouvoir se défendre décem-ment. La question fondamentale sous- jacente tenait au respect des droits de la défense. Cette réfl exion, la Commission l’a aussi tenue, adoptant le 12 juillet 2012 (141) un règlement délégué oct-royant aux agences de notation et aux « autres personnes faisant

(137) Section  II.3, annexe  IV, du règlement (CE) n°  1060/2009. (138) Art.  36bis, §  3, al.  2, du règlement (CE) n°  1060/2009. (139) Art.  36bis, §  4, al.  1er, du règlement (CE) n°  1060/2009. (140) Art.  24 du règlement (CE) n°  1060/2009. (141) Règlement délégué (UE) no  946/2012 de la Commission du 12  juillet

2012 complétant le règlement (CE) no  1060/2009 du Parlement européen et du Conseil par des règles de procédure relatives aux amendes infl igées aux agences de notation de crédit par l’Autorité européenne des marchés fi nanciers, y compris des règles relatives aux droits de la défense et des dispositions temporelles, J.O. L 282 du 16  octobre 2012.

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l’objet d’une mesure d’exécution de l’AEMF » une série de droits dont celui d’être entendu par les enquêteurs de l’AEMF et celui d’accéder au dossier.

Le règlement délégué no  946/2012 prévoit en outre les délais de prescription lesquels sont de trois ou de cinq ans selon l’infraction.

§  2. —  La responsabilité des agences de notation à l’égard de l’investisseur ou l’émetteur préjudicié

64. — Si le premier Règlement excluait de son champ la respon-sabilité des agences, abandonnant cette charge aux États (142), la volonté de l’Union d’instaurer un régime de responsabilité spéci-fi que aux agences s’est fait jour rapidement. Dès mars  2011, la commission des affaires juridiques du Parlement européen avait suggéré à la Commission « d’introduire des règles communes en matière de responsabilité en cas de violation intentionnelle et par négligence par les agences de notation, des dispositions du règlement (CE) no  1060/2009, particulièrement dans le cas où une notation erronée a entraîné des dommages pour les investis-seurs qui ont fondé leur décision d’investir sur cette notation erronée » (143).

Le document consultatif de la Commission publié en novem-bre  2010 qui accompagnait la consultation publique sur l’opportunité de diverses règles devant former le troisième Règle-ment relatif aux agences de notation (144) développait plusieurs

(142) Règlement no  1060/2009, considérant no  69  : « tout recours visant des agences de notation de crédit en relation avec une violation des dispositions du présent règlement devrait être effectué conformément au droit national applicable en matière de responsabilité civile » ; Comm. EU, Public consultation on Credit Rating Agencies, op.  cit., p.  24. Pour l’heure et à notre connaissance, seule la France a modifi é sa législation afi n d’y intégrer le règlement et organiser la mise en œuvre de la responsabilité des agences de notation devant les juridictions françaises, Code monétaire et fi nancier, France, art.  L544-5, introduit par la loi du 22  octobre 2010.

(143) Parlement européen, Commission des affaires juridiques, Avis de la com-mission des affaires juridiques à l’intention de la commission des affaires économi-ques et monétaires sur les « agences de notation de crédit  : perspectives d’avenir », 1er  mars 2011, 2010/2302(INI).

(144) Comm. EU, Public Consultation on Credit Rating Agencies (Consultation paper), 5  novembre 2010.

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arguments (145) justifi ant la mise en place d’un système européen de responsabilité. Les réactions des agences à cette proposition ont été des plus tranchées. Unanimement Fitch (146), Moody’s (147) et S&P (148) ont répondu à la Commission qu’elles considéraient la proposition d’instaurer un standard commun de responsabilité non seulement inutile,  mais en plus susceptible d’engendrer de nombreux effets pervers. La Commission est restée sourde à ces complaintes.

65. —  Les arguments des agences contre l’instauration d’un standard commun de responsabilité. Les arguments développés par les agences méritaient pourtant de recevoir quelques égards. En particulier, la Commission s’appuyait pour justifi er l’insertion de règles européennes en matière de responsabilité des agen-ces de notation sur l’adoption aux États- Unis du Dodd- Frank Act (149) qui, selon son interprétation, instaurait la responsa-bilité civile des agences pour « rating incorrect ». Cet argument a été rejeté en bloc par les agences de notation Fitch, Moody’s et S&P  : la Commission a mal compris l’application de cette loi américaine qui ne concerne pas les ratings incorrects, mais

(145) Comm. EU, Impact Assessment accompanying the document Proposal for a Regulation amending Regulation (EC) No.  1060/2009 on credit rating agencies and a Proposal for a Directive amending Directive  2009/65/EC on coordination on laws, regulations and administrative provisions relating to undertakings for col-lective investment in transferable securities (UCITS) and Directive  2011/61/EU on Alternative Investment Fund Managers, 8  juin 2011, SEC(2011) 1354, pp.  18-19.

(146) Fitch Ratings, Response to Public Consultation on Credit Rating Agencies dated 5  November 2010, 6  janvier 2011, disponible à l’adresse Internet suivante  : https://circabc.europa.eu/d/d/workspace/SpacesStore/4e30762e- 1958-449d- 9480- ea59839713b0/Fitch_EN.pdf.

(147) Moody’s, Moody’s Investor Service Response to the European Commission Public Consultation on Credit Rating Agencies, 7  janvier 2011, https://circabc.europa.eu/d/d/workspace/SpacesStore/eeabbaab- dfdf- 4468-8801-7b39a50d2356/Moody__s%20Investors%20Service_EN.pdf.

(148) Standard & Poor’s, Standard & Poor’s Ratings Services Response to the European Commission Public Consultation on Credit Rating Agencies dated 5 November 2010, 12 janvier 2011, disponible à l’adresse suivante : https://circabc.europa.eu/d/d/workspace/SpacesStore/09eccbec- 1162-4a8a- 9e97-115ab5e50924/S%26P_EN.pdf.

(149) D.  CLUCHEY, « The Financial Crisis and the response of the United States  : Will Dodd Frank Protect us From the Next Crisis », in M.  ROGOFF, M.  DIXON et E.  BITHER, (ed.), The Financial Crisis of 2008  : French and Ame-rican Responses- Proceedings of the 2010 Franco- American Legal Seminar, séminaire organisé par l’Université du Maine en 2011, texte disponible à l’adresse Internet suivante : http://mainelaw.maine.edu/academics/french- law/2010- franco- american- seminar.html.

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modifi e en réalité les standards de plaidoirie américains ainsi que le statut des ratings incorporés dans les prospectus pour les qualifi er d’opinion d’experts. Ce changement de qualifi cation implique que la responsabilité des agences peut être plus aisé-ment recherchée quand leurs notes sont intégrées dans des pros-pectus. La réaction des agences de notation outre- Atlantique ne s’est d’ailleurs pas fait attendre  : elles refusent désormais que les émetteurs fassent mention des notations attribuées à tout produit fi nancier structuré dans les prospectus, mettant de ce fait leur responsabilité à l’abri.

66. —  L’argument de la Commission fondé sur l’adoption d’une loi américaine instaurant une responsabilité civile pour rating incorrect battu en brèche, les agences se sont également attachées à démontrer qu’une responsabilité uniformisée au niveau européen risquerait fortement de pousser les agences à noter les dettes à elles soumises non pas en fonction de leur risque réel, mais de telle manière à ne pas mettre leur res-ponsabilité en jeu, soit en attribuant à tout produit une note moyenne. Les agences de notation expliquent encore qu’elles hésiteront sans doute à l’avenir à noter les produits les plus risqués afi n d’éviter les mises en œuvre de leur propre respon-sabilité, et ce au détriment des marchés, ces produits étant ceux pour lesquels un rating est le plus utile. En somme, la position des agences consiste à dire que l’instauration d’une responsa-bilité pour ratings incorrects attentera à l’activité de notation elle- même en provoquant un lissage des notes entre les agences et les dettes notées.

67. —  La responsabilité des agences à la suite de l’entrée en vigueur du règlement ANC III. Si l’on peut comprendre la crainte des agences et les arguments avancés en termes d’atteinte à leur activité, le texte adopté n’a que peu de chances d’avoir effectivement ces effets (150). L’article  35bis du règlement (CE) n° 1060/2009 qui comprend désormais le droit applicable en mati-ère d’agences de notation développe en effet des standards de responsabilité particulièrement élevés.

(150) Voy. une première analyse des règles à adopter par B.  HAAR, « Civil liability of Credit Rating Agencies —  Regulation All- or- Nothing Approaches between Immunity and Over- Deterrence », University of Oslo Faculty of Law Legal Studies  — Research Paper Series No.  2013-02, disponible à l’adresse suivante  : http://ssrn.com/abstract=2198293.

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68. — D’après cet article, une agence de notation est respon-sable si elle a intentionnellement ou par négligence grave (151) violé le règlement et que cette infraction a eu une incidence sur une notation à laquelle s’est fi é un investisseur lors de l’achat de l’instrument noté. Dans cette hypothèse, l’investisseur peut introduire un recours contre l’agence. Cette règle n’a à notre sens d’autre valeur ajoutée que d’énoncer une évidence  : une agence qui commettrait une faute grave engendrant un dom-mage à un investisseur peut être responsable si cette faute est liée au dommage de l’investisseur. Sans doute, la disposition proposée ne parle- t-elle que d’« incidence » et non de dommage, mais un investisseur réalisant quelques gains à la suite de l’erreur d’une agence n’aurait vraisemblablement pas d’intérêt à agir.

Le Parlement a veillé à étendre le champ d’application de cette « responsabilité » en prévoyant que les émetteurs pourront aussi tenir responsables les agences en cas de préjudice. En con-séquence, l’émetteur peut demander réparation s’il établit que l’infraction commise par l’agence de notation ayant affecté son produit n’a pas été causée par des informations trompeuses et inexactes qu’il aurait lui- même fournies, directement ou par l’intermédiaire d’informations accessibles au public. En prévoy-ant que les émetteurs puissent demander réparation pour autant qu’ils démontrent qu’ils n’aient pas eux- mêmes commis de faute, le règlement écarte la possibilité d’un concours de faute et dès lors d’un partage de responsabilité civile. Sans doute l’agence pourrait- elle encore faire l’objet d’une procédure lancée par l’AEMF, mais l’émetteur serait privé de son action, ayant lui- même commis une faute en fournissant, même involontairement, des informations incorrectes.

On remarquera qu’une des conséquences de l’entrée en vigueur du règlement ANC III est de fermer la porte à toute action contre les agences qui auraient commis une faute qui ne soit ni grave

(151) De manière quelque peu circulaire, la proposition de règlement défi nis-sait la négligence grave comme l’omission sérieuse à s’acquitter de ses obligations en vertu du règlement, art.  35bis, §  3, proposition de règlement, 15  novembre 2011. Le règlement ANC  III adopte une approche plus pragmatique, ne défi -nissant pas une série de termes dont celui de la négligence grave. Ces termes devront être interprétés et appliqués conformément au droit national applicable (art.  35bis, §  5bis, du règlement).

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ni intentionnelle, et ce peu importe l’éventuelle énormité du pré-judice causé.

69. —  Dans la première mouture du règlement ANC  III, la charge de la preuve était inversée. Il était en prévu que « dès lors qu’un investisseur établit des faits dont on peut inférer qu’une agence de notation de crédit a commis l’une des infractions énu-mérées à l’annexe  III, il revient à l’agence de notation de crédit de prouver qu’elle n’a pas commis l’infraction ou que celle- ci n’a pas eu d’incidence sur la notation de crédit émise » (152). La ques-tion de savoir comment l’investisseur en question allait établir et recueillir ces indices n’était pas traitée et il ne restait dès lors qu’à espérer que l’AEMF établisse elle- même une infraction dans le chef d’une agence. Le constat déjà établi par d’autres de la difficulté pratique pour des consommateurs fi naux d’engager des procès en matière de concurrence (153) pouvait être reproduit par avance pour les agences de notation.

La proposition de la Commission avait sans doute ses lacunes, mais le consensus auquel est parvenu le Parlement européen a pour conséquence qu’en pratique on ne voit guère comment des investisseurs ou émetteurs préjudiciés pourront démontrer la faute commise par l’agence. Le Parlement européen a en effet modifi é le texte de l’article  35bis qui prévoit désormais qu’« il incombe à l’investisseur ou à l’émetteur d’apporter des informations précises et circonstanciées indiquant que l’agence de notation de crédit a commis une infraction au présent règle-ment, et que cette infraction a eu une incidence sur la notation de crédit émise. Il appartient à la juridiction nationale compé-tente d’apprécier le caractère précis et circonstancié des informa-tions, compte tenu du fait que l’investisseur ou l’émetteur peuvent n’avoir pas accès à des informations, qui demeurent purement

(152) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifi ant le règlement (CE) no 1060/2009 sur les agences de notation de crédit, COM (2011) 0747 fi nal, doc. 2011/0361 (COD), art.  35bis, §  4.

(153) Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen, Stratégie communautaire en mati-ère de politique des consommateurs pour la période 2007-2013  : responsabiliser le consommateur, améliorer son bien- être et le protéger efficacement, COM(2007) 99 fi nal, 13  mars 2007, pp.  12-13 ; V.- G.  PEYRONNEL, « La protection des consom-mateurs par le droit de la concurrence  : bilan jurisprudentiel », R.E.D.C., 3-4, 2010, pp. 465-483 ; P.- E. PARTSCH, Droit bancaire et fi nancier européen, Bruxelles, Larcier, 2009, p.  864 et p.  867.

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dans la sphère de l’agence de notation de crédit » (art.  35bis, §  2, nous soulignons).

Non seulement les agences ne sont responsables que de leur faute grave ou intentionnelle, mais en plus il appartient aux préjudiciés de rapporter des informations d’une qualité particu-lière (« précises et circonstanciées »). Et le Parlement de rejeter la patate chaude aux États et à leurs systèmes judiciaires, ceux- ci étant tenu d’apprécier que les informations apportées revêtent ces caractéristiques. En termes de simplifi cation et d’accès à la justice, il est difficile de considérer que les ajouts du Parlement soient des avancées…

70. —  L’investisseur doit donc non seulement rapporter des preuves quant à l’infraction commise par l’agence, mais doit éga-lement établir que dans sa décision d’investir, de détenir ou de céder un instrument de dette, il a lui- même fait preuve de raison et agi avec toute la diligence requise (art.  35bis, §  1).

71. —  La proposition du Règlement ANC  III qui nous sem-blait la plus convaincante consistait à interdire aux agences de s’exonérer de leur responsabilité. L’ancienne mouture de l’article  35bis prévoyait que « toute clause d’un accord [visant à] exclure ou limiter a priori la responsabilité civile [est] nulle et non avenue » (154).

Si les effets en matière de responsabilité extracontractuelle de cette nouvelle disposition avaient été limités, les conséquences en termes contractuels auraient été autrement plus importantes. Tous les contrats de notation comprennent en effet des clauses exonératoires et limitatives de responsabilité au bénéfi ce des agences. Ces clauses allaient devoir disparaître et si l’on considère les probabilités de voir des procès menés à l’encontre des agences de notation, les émetteurs sont les mieux placés pour détecter une erreur potentiellement commise par une agence et d’en subir un préjudice. Mais tout cela n’est désormais plus que conditionnel. En effet, le nouveau paragraphe  5 de l’article  35bis prévoit que les agences peuvent limiter leur responsabilité si la limitation est « raisonnable et proportionnée » et si cette limitation est autorisée par la législation nationale applicable. Une fois de plus, le Par-lement européen a transformé le projet simple de la Commission

(154) Art.  35bis, §  5, proposition de règlement, 15  novembre 2011.

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en un texte inapplicable de par les interprétations qu’il requiert. La Commission avait proposé une interdiction pure et simple des clauses exonératoires et limitatives de responsabilité, peu importe le droit applicable au contrat. Le Parlement réintroduit la pos-sibilité pour les agences de limiter leur responsabilité et compte tenu du fait que dans la dernière version de la proposition de règlement le préambule reconnaît expressément la difficulté de l’exercice de notation (155), il sera difficile de juger qu’une clause exonératoire est déraisonnable ou disproportionnée.

72. —  Tous ces développements nous semblent être une suite d’obstacles au lancement d’une action en justice à l’encontre des agences de notation. Encore faut- il remarquer que si le règlement rejette largement la charge sur les tribunaux nationaux, aucune restriction n’a été prévue en termes de clauses de juridiction ou de clauses de droit applicable. On ne voit dès lors pas ce qui empêcherait les agences de choisir soigneusement leur forum.

73. —  Un cas d’espèce  : la jurisprudence australienne Bathurst (156) et sa transposition dans le système européen. Le 5  novembre 2012, la Federal Court of Australia rendait un jugement- fl euve (1.459 pages !) au terme duquel l’agence de nota-tion Standard & Poor’s était condamnée aux côtés d’ABN Amro pour le préjudice causé à divers investisseurs ayant perdu des sommes conséquentes en raison d’une perte de valeur soudaine et inattendue d’un produit titrisé, qualifi é par la juge de « gro-tesquement compliqué ».

(155) Le point  25 du préambule a été modifi é par la résolution législative du Parlement européen du 16  janvier 2013 pour préciser qu’« Il devrait être possible de tenir les agences de notation pour responsables si elles ont enfreint intention-nellement, ou par suite d’une négligence grave, les obligations que leur impose le règlement (CE) n°  1060/2009. Ce degré de faute est approprié, parce que l’activité de notation de crédit repose toujours dans une certaine mesure sur l’évaluation de facteurs économiques complexes et que des méthodes différentes peuvent donner des résultats différents sans qu’aucun puisse être qualifi é d’inexact. Il n’est appro-prié d’exposer les agences de notation de crédit à une responsabilité potentiellement illimitée que lorsqu’elles enfreignent le règlement de manière intentionnelle ou par négligence grave » (nous soulignons).

(156) Federal Court of Australia, Bathurst Regional Council v. Local Government Financial Services Pty Ltd (No 5) [2012] FCA 1200, 5 novembre 2012. Voy. pour une présentation sommaire de cette décision : R. ROMMEL HARDING- FARRENBERG et K.  DONOVAN, « Case note  : Duty of Care, Rating Agencies and the “Grotes-quely Complicated” Rembrandt  : Bathurst Regional Council v. Local Government Financial Services Pty Ltd (No 5) », Business Law International, mai 2013, vol. 14, no  2, pp.  185-194.

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74. —  Sans entrer dans le détail de cette décision, la raison principale pour laquelle Standard & Poor’s a été condamnée est que l’agence n’avait pas pris la peine de vérifi er les informations fournies par ABN Amro, alors même que le produit soumis à notation était nouveau et que dès lors, d’après la Cour, il aurait dû faire l’objet d’un examen plus attentif. En somme, c’est sa négligence qui est reprochée à Standard & Poor’s.

Une action sur de telles bases est- il envisageable en Europe ? On peut en douter.

Tout d’abord, nous avons vu que si l’émetteur a fourni des informations trompeuses et inexactes, il ne peut se retourner con-tre l’agence. Transposée en Europe, ABN Amro n’aurait pu se retourner contre Standard & Poor’s. Sans doute cela n’empêche- t-il pas les investisseurs de se porter contre l’agence, mais force est de constater que s’il apparaît clairement que la faute est à chercher du côté de l’émetteur, cela immunise à tout le moins partiellement l’agence concernée.

Ensuite, quant aux investisseurs, nous avons vu qu’ils doivent rapporter des preuves précises et détaillées de la faute commise par l’agence, faute qui doit correspondre à une infraction au règlement (CE) n°  1060/2009, et établir que c’est avec raison et diligence qu’ils se sont appuyés sur la notation. En l’espèce, parmi les plaignants fi guraient une série d’investisseurs institu-tionnels auxquels il était fait interdiction de par la loi d’acheter des produits dérivés, objet de l’action Bathurst. Un juge amené à appliquer l’article  35bis du règlement et les règles qu’il com-prend en matière de responsabilité aurait immanquablement été amené à considérer que le comportement de ces plaignants était lui- même emprunt de négligence avec à la clé un possible rejet de l’action.

Enfi n, compte tenu de la multitude de règles décrites ci- dessus, on n’aperçoit guère comment une situation aussi grossière que celle décrite dans le jugement Bathurst pourrait encore se produire en Europe sans que qui que ce soit ne s’alerte en temps utile. Si un investisseur subissait malgré tout un préjudice, l’agence aurait beau jeu de dire qu’elle a rempli l’ensemble de ses obligations en termes de qualité de ses méthodes, d’analyse des informations, de diffusion des informations, de calendrier de publications de la note, etc., et d’en tirer comme conséquence que celui qui connaît

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un préjudice doit au moins partiellement en assumer les consé-quences pour ne pas avoir procédé par lui- même aux analyses nécessaires.

75. — Le titre IIIbis comprend des règles uniformes en matière de responsabilité civile des agences de notation qui sont inutiles et qui, dans notre opinion, déforcent singulièrement l’équilibre global du texte. L’Union veut que les agences respectent les nom-breuses règles qu’elle a édictées. Elle a confi é un rôle de gardien à l’AEMF, mais en appelle également à la vigilance de tous en instaurant des standards de responsabilité civile. L’exercice sem-ble malheureusement voué à l’échec  : ces standards sont si hauts que si des procès en responsabilité civile contre les agences étai-ent auparavant peu probables (157), ils relèvent aujourd’hui du fantasme juridique (158).

Conclusions

« Je ne connais pas de meilleure méthode pour faire annuler les mauvaises lois que

de les mettre rigoureusement à exécution ».Ulysse S.  GRANT

76. —  La position de l’Union européenne vis- à- vis des agences de notation est schizophrène. L’Europe en crise a dans un premier temps voulu sanctionner ces acteurs méconnus qui, tels des dia-bles sortis d’une boîte, semblaient être l’origine de tous les maux des marchés fi nanciers et de leurs répercussions dans l’économie réelle. Avec l’adoption du dernier règlement, l’Union semble opé-rer une courbe rentrante, rappelant en préambule l’importance

(157) E.  WEEMAELS, « La responsabilité des agences de notation —  Des soci-étés responsables comme les autres ? », R.P.S., 2012/2, pp.  123-230.

(158) Il s’agira néanmoins de suivre le sort de l’action que la Cour des comptes italienne annonçait début février  2014. Celle- ci considère que la dégradation de la note de l’Italie était injustifi ée, les agences n’ayant apparemment pas pris en considération le patrimoine culturel italien (Colisée, Pompéi, œuvres entreposées dans les musées de Venise ou Florence, etc.) Comme l’indique le journal écono-mique français Les Échos, l’argumentation semble pour le moins baroque (Les Échos, « L’Italie réclame 234 milliards d’euros aux agences de notation », article de Laurence BOISSEAU, 6 février 2014). Voy. sur le même sujet  : Le Temps, « L’Italie s’attaque aux agences de notation », 6  février 2014 ; La Tribune, « Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch visés par une enquête en Italie », 5  février 2014.

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des agences de notation sur les marchés (159) et arpentant le che-min de l’encadrement plutôt que celui de l’affrontement brutal.

Les règles nouvelles vont dans le sens d’un renforcement de la position de référent de fait des agences de notation moyennant la suppression, où à ce stade l’amenuisement, de leur rôle de réfé-rent de droit sur les marchés. Les agences de notation sont désor-mais réglementées au même titre que les autres acteurs du monde fi nancier, mais leur existence n’est pas remise en question (160).

Les objectifs fi xés par l’Union sont ambitieux et il ne peut être que difficilement discuté qu’une réglementation de l’activité de notation était nécessaire. Nous craignons toutefois que les effets soient limités en termes de protection de l’investisseur et trans-parence des marchés.

Le règlement (CE) n° 1060/2009 est aujourd’hui un texte dense, prévoyant nombre de règles. L’effet le plus direct est de con-traindre les agences à tout dire, à tout divulguer. Au vu de la masse de travail des agences, le fl ux d’informations sera extrê-mement conséquent. Qui prendra la peine et le temps de tout analyser ? Le tout à la transparence n’a de sens que pour autant qu’il apporte une plus- value aux marchés et ses acteurs. Face au torrent d’informations que les agences vont être contraintes de déverser, les notes, ce petit paquet de quelques lettres immédi-atement préhensible, ne font que gagner en valeur.

La création et la mise en œuvre du contrôle prudentiel d’une activité aussi intense et spécialisée que celle de la notation requi-èrent du temps et de l’expertise. Sur ce plan, les agences ont l’avantage. Existant depuis plus d’une centaine d’années, ayant réussi à se protéger de toute incursion réglementaire pendant des dizaines d’années, évoluant dans la haute technicité, les agences ont acquis une expérience des marchés et une pratique que la

(159) Règlement ANC  III, préambule, §  8. (160) En atteste, l’attribution en janvier  2012 du prix du régulateur de

l’année  2011 au trio d’agences de notation formé de Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s par le journal économique français Le Nouvel Économiste. Article acces-sible sur le site du journal Le Nouvel Économiste à l’adresse Internet suivante  : http://www.lenouveleconomiste.fr/journal- numerique/consultation- 1592- politique_economie- manager.html. Voy. également la réaction du directeur général de Moo-dy’s France, M.  Éric de Bodard, à cette annonce, intitulée « L’importance de reconstruire la confi ance dans les marchés de crédit et la régulation des agences de notation », disponible à l’adresse Internet suivante  : http://www.moodys.com/researchdocumentcontentpage.aspx?docid=PBC_138437.

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jeune et extrêmement chargée AEMF aura bien du mal à con-trebalancer.

L’Union voulait détourner les marchés des notes et responsa-biliser les agences  : elle rend les notations encore plus utiles de par leur simplicité et immunise les agences de tout sauf des affres de l’administratif.

EDITH WEEMAELS

AVOCATE AU BARREAU DE BRUXELLES

ASSISTANTE À L’UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES

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