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La logique, ou Les premiers développements de l'art de penser : ouvrage élémentaire... / par M. l'abbé de Condillac Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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La logique, ou Lespremiers

développements de l'artde penser : ouvrage

élémentaire... / par M.l'abbé de Condillac

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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Condillac, Étienne Bonnot de (1714-1780). La logique, ou Les premiers développements de l'art de penser : ouvrage élémentaire... / par M. l'abbé de Condillac. 1780.

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~r~r+2.

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COLLECTIONCO MF LETTE

DES ŒUVRESD E 1

M. L'ABBÉ DE CONDILLAC.

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~1 ~.L~RTISSE.l~l.1~LE Coa~rs d'cud~ fera la derniere partiede cette Colleaion. Les autres Ouvragesde l'Auteur commenceront à paroître cetteannée avec des changemens effentiels

ymais fans augmentation.

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LÀ LOGIQUE,ou

LES PREMIERS DÉVELOPPEMENS

DE L'ART DE PENSER

Ouvrage élémentaire que le Confeilprépofé aux Ecoles Palatines avoit de-mandé, & qu'il a honoré de fon appro-,bation.

Par M. l'Abbé DE Condillac.

A PARIS,9

Chezf L' £ s p R i t Libraire au Palais Royal.(. D E B u R E l'ainé Libr air e Quai des Auguftins.;

.¡J

M. D C C. L X X X.Avec Approbation, ET Priv i lege DU Roi,

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TABLEDES CHAPITRES CONTENUS DANS

CET- OUVRAGE.%^P3JET

de cet Ouvrages page i

PREMIERE PARTIE.Comment la nature même nous enfeigne Vanalyfci

& comment, d'après cette méthode on expliquel'origine & la génération foit des idées foitdes facultés de l'ame 5

CHAP. I. Comment la nature, nous donne les pre-mieres leçons de l'art de penfer ibid.

CHAP. II. Que Vanalyfe ejl l 'uniqueméthode pouracquérir des connoijfances. Comment nous l'ap-prenons de la nature même 14

CHAP. III. Que l'analyfe fait les efprits jujles 21ICHAP. IV. Comment la nature nous fait obferver

les objets fenftbles pour nous donner des idéesde différentes efpeces 16

CHAP. V. Des idées des chofes qui ne tombent pasfous lesfens 3 a

CHAP. VI. Continuation du même fujet 44CHAP. VII. Analyfe des facultés de Came, 47CHAP. VIII. Continuation du même fujet 54CHAP. IX. Des caufes de la fenfibilité & de la

mémoire“ «7

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SECONDE P A'R T I E.

L'anatyfi confédérée dans fes moyens & dans fiseffets ou l'art de raifonner réduit à une languebien faite

5JJ

Chap. I. Comment les connoijfances que nous de-

vons à la nature forment un fyflême oit toutcjl parfaitementlié & comment nous nous éga-

rons lorfque nous oublions fes leçons ibid.CHAP. Il. Comment le langage • d' action analyfe

la penfée 88CHAP. III. Commentles langues font des méthodes

analytiques. Imperfection de ces méthodes 9CHAP. IV. De l'influence des langues loizCHAP. V. Confidérations fur les idées abjîraites &

générales ou comment l'art de raifonner feréduit à une langue bien faite. 10 5̂

ClIAP. VI. Combien fe trompent ceux qui regar~dent les définitions comme l'unique moyen de

remédier aux abus du langage 1 r3Chap. VIL Combien le raifonnement efi filmple

quand la langue efl fiimple -elle-même 122Chap. VIII. En quoi confzfie tout l'artifice du

raifonnement}

136CHAP. IX. Des différens degrés de certitude ou

de l'évidence des conjectures & de l'analogie141-• Fin de la Table.

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LA LOGIQUE,O V

LES PREMIERS DÉVELOPPEMENS

DE L'ART DE PENSER.

Objet de CET Ouvrage*

jj$ps&=:4~&5L étoit naturel aux hommes de fup*îf I ir 1|f pléer à la foibleffe de leurs bras parH 1^^ J |f les moyens que la nature avoit mis$^t=^M leur portée &c ils ont été méca-

niciens avant de chercher à l'être. C'eft ainfiqu'ils ont été logiciens ils ont penfé avant dechercher.comment on penfe. Il falloit même qu'ils'écoulât des fiecles pour faire foupçonner quela penfée peut être affujettie à des loix &aujourd'hui le plus grand nombre penfe encorefans former de pareils foupçons.

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Cependant un heureux inftinû, qu'on nom-moit talent c'eft-à-dire, une maniere de voirplus fûre & mieux fentie, guidoit à leur inlçi*les meilleurs efprits. Leurs écrits devenoient desmodèles & on chercha dans ces écrits par quelartifice inconnu même à eux, ils produifoientle plaifir & la lumiere. Plus ils étonnoient plus

on imagina qu'ils avoient des moyens extraor-dinaires & l'on chercha ces moyens extraordi-naires quand on auroit du n'en chercher quede fimples. On crut donc bientôt avoir devinéles hommes de génie. Mais on ne les devine pasfacilement leur fecret eft d'autant mieux gardé,qu'il n'eft pas toujours en leur pouvoir de lerévéler.

On a donc cherché les loix de l'art de pen-fer où elles n'étoient pas & c'efl: la vraifem-blablement que nous les chercherions nous-mêmes, fi nous avions à commencer cette re-cherche. Mais en les cherchant ou elles ne fontpas on nous a montré où elles font & nouspouvons nous flatter de les trouver fi nousfçavons mieux obferver qu'on n'a fait.

Or comme l'art de mouvoir de grandesmaffes a fes loix dans les facultés du corps &

Cefi unedans lés leviers dont nos bras ont appris à fe

comparaifon /• • i> i r ide Bacon. fervir, 1 art de penfer a les fiennes dans les facul-tés de l'ame & dans les leviers dont notre

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efprit a également appris à fe fervir. Il faut doncobferver ces facultés & ces leviers.

Certainement un homme n'imagineroit pasd'établir des définitions des axiomes des prin-cipes, s'il vouloit pour la premiere fois fairequelque ufage des facultés de fon corps. Il nele peut pas. Il eft forcé de commencer par fefervir de fes bras il lui eft naturel de s'en fer-vir. Il lui efl également naturel de s'aider de toutce qu'il fent pouvoir lui être de quelque fe-

cours, & il fe fait bientôt un levier d'un bâton.L'ufage augmente fes forces l'expérience quilui fait remarquer pourquoi il a mal fait, com-ment il peut mieux faire développe peu à

peu toutes les facultés de fon corps & ils'iriftruit.

C'eft ainfi que la nature nous force de com-mencer, lorfque pour la premiere fois nousfaifbnsquelqueufage des facultés de notre efprit.C'eft elle qui les regle feule comme elle a d'abordréglé feule les facultés du corps Se fi dans lafuite nous fommes capables de les conduirenous-mêmes, ce n'eft qu'autant que nous con-tinuons comme elle nous a fait commencer,& nous devons nos progrès aux premieresle-

çons qu'elle nous a données. Nous ne commen-cerons donc, pas cette Logique par des défini-tions, des axiomes des principes nous com-

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mencerons par obferver les leçons que 1a naturenous donne.

Dans la premiere Partie nous verrons quel'analyfeeft une méthode que nous avons apprifede la nature même & nous expliquerons, d'a-près cette méthode, l'origine & la génération,foit des idées foit des facultés de l'ame. Dansla féconde nous confidérerons l'analyfe dansfes moyens & dans fes effets & l'art de rai-fonner fera réduit à une langue bien faite.

CetteLogique ne reffemble à aucune de cellesqu'on a faites jufqu'à préfent. Mais la maniereneuve dont elle eft traitée, ne doit pas être fonfeul avantage il faut encore qu'elle foit la plusfimple la plus facile & la plus lumineufe.

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PREMIERE PARTIEComment la nature même nous enfeigne

l'analyfe & comritent ~'C7~P/ cetteméthode, on explique l'origine & la,

génération [oit des idées foit desfacultés de l'ame.

CHAPITRE PREMIER.Comment la nature nous donne les premieresleçons

de l'aT;t de penfer,

i O fens font les-premieres facultés que nous La facultéremarquons. C'eft par eux feuls que les impref- de feirir eft

f ii-•• p la premièrefions des objets viennent jufqu l'ame. Si nous des facultésavions été priv&î de la vue nous ne connoî- de l'ame.

trions ni la lurfifere, ni les couleurs fi nousavions été privés de l'ouïe, nous n'aurions au-cune connoiflance des fons en un mot, fi nousn'avions jamais eu aucun fens nous ne connoî-trions aucun des objets de la nature.

Mais, pour connoître ces objets fuffit ild'avoir des fens ? Non fans doute; car les mêmesfens nous font communs à tous, & cependant

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nous n'avons pas tous les mêmes connoiffances.Cette inégalité ne peut provenir que de ce quenous ne fçavons pas tous faire également de

nos fëns l'ufage pour lequel ils nous ont étédonnés. Si je n'apprends pas à les régler, j'ac-querrai moins de connoiffances qu'un autre parla même raison qu'on ne danfe bien, qu'autantqu'on apprend à régler fes pas. Tout s'apprend& il y a un art pour conduire les facultés de l'ef-prit, comme il y en a un pour conduire les fa-cultés du corps. Mais on n'apprend à conduirecelles ci que parce qu'on les connoît il fautdonc connoître celles là pour apprendreà les

conduire.

Les fens ne font que la caufe occafionnelle desimpreffions que les objets font fur nous. C'en;l'ame qui fent c'eft à elle feule que les fenfa-tions appartiennent & fentir eft la premièrefaculté que nous remarquons en elle. Cette fa-culté fe distingue en cinq efpeces, parce quenous avons cinq efpeces de Éfofations. L'amefent par la vue par l'ouïe par l'odorat, parle goût, & principalementpar le toucher.

NousUfçau- Dès que l'ame ne fent que par les organes duqu"r.d egnous corps il e^ évident que nous apprendrons à~a ~;ot,s 1ferons ré- conduire avec règles la faculté de fentir de notreg!er nos fens.

âme, fi nousapprenons

à conduire avec règles nosorganes fur les objets que nous voulons étudier.

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Mais comment apprendre à bien conduire fes Nous fçao.£ réglerfens ? En faifant ce que nous avons fait lorfque ceux -"f

nous tes avons bien conduits. Il n'y a perfonne quand nousnous les avons len COI.GllltS. J aaurons re-à qui il ne foit arrivé de les bien conduire, quel- "'arqué co-,i-

H 'J~L.J IC~quefois au moins. C'eft une chofe fur laquelleavons"

bien1 b r' & l, il- '¡: condl1ltsles befoins& l'expérience nous, inïlruifent pronip- quelquefois,

tement les enfans en font la preuve. Ils acquie-rent des connoiffances fans notre fccours ils enacquierent malgré les obftacles que nous met-tons au développementde leurs facultés. Ils ontdonc un art pour en acquérir. Il eft vrai qu'ilsen fuivent les règles à leur infçu mais ils les fui-vent. Il ne faut donc que leur faire remarquerce qu'ils font quelquefois pour leur apprendreà le faire toujours & il fe trouvera que nousne leur apprendrons que ce qu'ils fçavoientfaire.Comme ils ont commencé feuls à développerleurs facultés, ils fentiront qu'ils les peuvent de-velopper encore s'ils font pour achever cedéveloppement, ce qu'ils ont fait pour le com-mencer. Ils <fe fentiront d'autant plus, qu'ayantcommencé avant d'avoir rien appris ils ont biencommencé, parce que c'eft la nature qui corn*mençoit pour eux.

C'efl la nature c'eft-à-dire nos facultés dé- C'eft la na.terminées par nos befoins car les befoins &les fc,' « fJnt

facultés font proprement ce que nous nommons S^^efdéterminéesla nature de chaque animal &c par-là nous ne Pa.r nos be.

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commencentvoulons dire autre chofe, finon qu'un animal eu

truîre!" né avec te*s befoins Se telles facultés. Mais parcetruire,que ces befoins' & ces facultés dépendent del'organilàtion & varient comme elle c'efi uneconféquence que par la nature nous entendionsla conformationdes organes & en effet c'eft là

ce qu'elle eft dans fon principe.Les animaux qui s'élevent dans les airs ceux

qui ne vont que terre à terre, ceux qui viventdans les eaux font autant d'efpeees qui, étantconformées différemment ont chacune des be-foins & des facultés qui ne font qu'à elles, ou,ce qui eft la même chofe ont chacune leurnature.

C'eft cette nature qui commence; Se ellecommence toujours bien parce qu'elle com-mence feule. L'Intelligence qui l'a créée l'a voulu;9elle lui a tout donné pour bien commencer. Il'

falloit que chaque animal pût veiller de bonneheure à fa confervation il ne pouvoit doncs'iiifiruire trop promptement & tes leçons dela nature devoient être aufli promptes que fûres.

Comment Un enfant n'apprend que parce qu'il fent leun enfant ac- i yun enfant ac- b in d,' Il Il a par1.quiert des befoin de s înitriure. Il a par exemple un inté-ceSnXiffa"' rê- à connoître fa nourrice, & il la connoît

bientôt il la démêle entre plufieurs perfonnesil ne la confond avec aucune & connoître n'eftque cela. En effet, nous n'acquérons des connoif-

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fances qu'à proportion que nous démêlons uneplus grande quantité de chofes & que nous re-marquons mieux les qualités qui les diflinguentnos connoiffances commencentau premier objet

que nous avons appris à démêler.Celles qu'un enfarlt a ~de fa nourrice

ou deCelles qu'un enfant a de a nourrice ou de

toute autre chofe ne font encore pour lui quedes qualités fenfibles. Il ne les a donc acquifes

que par la maniere dont il a conduit fes fens. Un `befoin preffant peut lui faire porter un fauxjugement, parce qu'il le fait juger à la hâtemais l'erreur ne peut ê;re que momentanée.Trompé dans fon attente il fent bientôt la né-ceffité de juger une feconde fois & il jugemieux l'expérience, qui veille fur lui corrigefes méprifes. Croit-il voir fa nourrice, parcequ'ilapperçoit dans l'éloignementune perfonnequi lui reffemble ? Son erreur ne dure pas. Si

un premier coup d'œil l'a trompé un fecond ledétrompe & il la cherche des yeux.

Ainfi les fens détruifent fouvent eux-mêmes “Comment Tales erreurs ou ils nous ont fait tomber c'eft nature l'aver-

1tit de Ces m'que fi-une première obfervation ne répond pas prifes.™"

au befoin pour lequel nous l'avons faite nousfommes avertis par-là que nous avons mal ob-fervé, & nous fentons la néceffité d'obferverde nouveau. Ces avertiffemens ne nous man-quent jamais lorfque les chofes fur lefquelles

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nous nous trompons nous font abfolumentne-ceffaires car, dans la jouiffance, la douleurvient à la fuite d'un jugement faux comme le

plaifir vient à la fuite d'un jugement vrai. Leplaifir & la douleur voilà donc nos premiersi maîtres ils nous éclairent parce qu'ils nousavertiffent fi nous jugeons bien, ou fi nous ju-geons mal & c'eft pourquoi, dans l'enfance,nous faifons fans fecours des progrès qui paroif-fent aufli rapides qu'étonnans.

PourquoiUn art de raifonner nous feroit donc tout-à-

ravertiP de fait inutile s'il ne nous falloit jamais juger que1 avertir. des chofes qui le rapportent aux befoins de pre-amiere néceiîlté. Nous raifonnerions naturelle-

ment bien, parce que nous réglerions nos juge-mens fur les avertiffemens de la nature. Maisàpeine nous commençons à fortir de l'enfance,

1 que nous portons déjà une multitude de juge-i mens fur lefquels la nature ne nous avertit plus.

Au contraire il femble que le plaifiraccompagneles jugemens faux comme les jugemens vrais &nous nous trompons avec confiance c'eft quedans ces occafions la curiefité eft notre uniquebefoin &que la curiofité ignorantefe contentede tout. Elle jouit de fes-erreursavec une fortede plaifir elle s'y attache fouvent avec opiniâ-treté, prenant un mot qui ne fignifie rien pourune réponfe & n'étant pas capable de recon-

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noître que cette réponfe n'eft qu'un mot. Alors

nos erreurs font durables. Si comme il n'efi quetrop ordinaire, nous avons jugé des chofes qui

ne font pas à notre portée, l'expériencene fçau-roit nous détromper & fi nous avons jugé des

autres avec précipitation elle ne nous détrompe

pas davantage parce que notre prévention nenous permet pas de la confulter.

Les erreurs commencent donc lorfque la na-ture ceffe de nous avertir de nos méprifes c'eft-à-dire, lorfque jugeant des chofes qui ont peude rapport aux befoins de premiere néceffité,nous ne fçavons pas éprouver nos jugemens

pour reconnoître s'ils font vrais ou s'ils fontfaux ( Cours d'Etudi Hifi. anc. L. 3 c. 3. ) [a].

Mais enfin, puifqu'il y a des chofes dont nous

[a] Pour apprendreun art mécanique, il ne fuffit pasd'en concevoir la théorie, il en faut acquérirla pratiquecar la théorie n'eft que la connoiffancedes regles & l'onn'eft pas mécanicien par cette feule connoiffance on nel'eft que par l'habitude d'opérer. Cette habitude une foisacquife les regles deviennent inutiles on n'a plus befoind'y penfer &. on fait bien, en quelque forte, naturel-lement.

C'eft ainfi qu'il faut apprendre l'art de raifonner. Il nefuffiroitpas de concevoir cette Logique fi l'on ne fe faitpas une habitude de la méthode qu'elle enfeigne & H

cette habitude n'eft pas telle qu'on puiffe raifonner bienfans avoir befoin de penfer aux regles on n'aura pas la

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Unique jugeons bien même dès l'enfance, il n'y a qu'àmoyen d'ac- ° rquérir des obferver comment nous nous fommes conduitsconuailian- & f'ces. pour en juger & nous içaurons comment nous

devons nous conduire pour juger des autres. Ilftiffira de continuer comme la nature nous a fait

commencer c'eft-à-dire,d'obferver,& de mettrenos jugemens à l'épreuve de l'obfervation & del'expérience.

C'eft ce que nous avons tous fait dans notrepremiere enfance & fi nous pouvions nousrappeller cet âge nos premieres études nousmettroiènt fur la voie pour en faire d'autres avecfruit. Alors chacun de nous faifoit des décou-vertes qu'il ne devoit qu'à fes obfervations & à

pratique de l'art de raifonner on n'en aura que la théorie.Cette habitude comme toutes les autres, ne peut fe

contracterque par un long exercice. Il faut donc s'exercerfur beaucoupd'objets.J'indique ici les leâuresqu'il faudrafaire à cet effet & je les indiquerai ailleurs de la mêmemaniere. Mais parce qu'on acquiert la pratique d'un artd'autant plus facilement qu'on en conçoit mieux la théo-rie, on fera bien de ne faire les leâuresauxquelles je ren-voie, que lorfqu'on aura faifi l'efprit de cette Logique ce-qui demande qu'on la life au moins une fois..

Quand on aura faifi l'efprit de cette Logique on larecommencera & à mefure qu'on avancera on fera leslectures que j'indique. J'ofe promettre à ceux qui l'étudie-ront ainfi qu'ils acquerront pour toutes leurs étudesune facilité dont ils ferontétonnés j'en ai l'expérience.

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Fôn expérience & nous en ferions encore au-jourd'hui, fi nous fçavions cuivre le chemin quela nature nous avoit ouvert.

Il ne s'agit donc pas d'imaginer nous -mêmesun fyjïême., pour fçavoir commentnous devonsacquérir des connoiffances gardonsnous enbien. La nature a fait ce fyiftême elle mêmeelle pouvoit feule le faire elle l'a bien fait, &il ne nous refle qu'à obferver ce qu'elle nousapprend.

Il femble que pour étudier la nature, il fau-droit obferver dans les enfans les premiers déve-loppemens de nos facultés ou fe rappeller cequi nous eu. arrivé à nous-mêmes. L'un & l'au-tre font difficiles. Nous ferions fouvent réduitsà la nécefîité de faire des fuppofitions. Maisdes fuppofitions auroient l'inconvénient de pa-roître quelquefois gratuites,, & d'autrefoisd'exi-ger qu'on fe mît dans des fituations oit tout lemonde ne fçauroit pas fe placer. Il fuffit d'avoirremarqué que les enfans n'acqueirent de vraiesconnoiffances, que parce que n'obfervantque deschofes relatives aux befoins les plus urgens ilsne fe trompent pas ou que s'ils fe trompentils font auffi-tôt avertis de leurs méprifes. Bor-nons nous à rechercher comment aujourd'huinous nous conduifons nous mêmes lorfquenous acquérons des connoiffances. Si nous pou-

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vons nous affurer des quelques unes & de h.manieredont nous les avons acquifes nous fcau-

rons comment nous en pouvons acquérir d'au-tres.

CHAPITRE I I.

Que Canalyfe ejl l'unique méthode pour acquérirdes connoijfances. Comment nous l'apprenonsde la nature même.

Un premier •? E fappofe un château qui domine fur une cam-coupd'œiine pagne vafte abondante, où la nature s'eft pluedonne point r °

1d'idée des à répandre la variété & 011 l'art a fcu profitervoit." qu°" des fituations pour les varier & embellir en-

core. Nous arrivons dans ce château pendant lanuit. Le lendemain les fenêtres s'ouvrent au mo-ment où le foleil commence à dorer l'horizon,& elles fe referment auffi-tôt.

Quoique cette campagne ne fe foit montrée à

nous qu'un inflant il eft certain que nous avonsvu tout ce qu'elle renferme. Dans un fécond inf-tant nous n'aurions fait que recevoir les mêmesimpreffions que les objets ont faites fur nousdans le premier. Il en feroit de même dans untroifieme. Par conféquent fi l'on n'avoit pas re-fermé les fenêtres nous n'aurions continué devoir que ce que nous avions d'abord vu.

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Mais ce premier inftant ne fuffit pas pour nousfaire connoître cette campagne c'eft-à-dire pournous faire démêler les objets qu'elle renferme

c'efi pourquoi, lorfque les fenêtres fe font refer-mées aucun de nous n'auroit pu rendre comptede ce qu'il a vu. Voilà comment on peut voirbeaucoup de chofes, & ne rien apprendre.

Enfin les fenêtres fe rouvrent pour ne plus fe Pour s'enrefermer tant que le foleil fera fur l'horizon, f°™" desq leeS,1 il les& nous revoyons long-temps tout ce que nous fautobferver

,,1 i 1

»?•1 1 1 1 i

''une aprèsavons d abord vu. Mais fi femblables a des l'autre.

apres

hommes en extafe nous continuons comme aupremier inftant de voir à-la-fois cette multituded'objets différens nous n'en fçaurons pas pluslorfque la nuit furviendra que nous n'en fça-vions lorfque les fenêtres qui venoient de s'ou-vrir, fe font tout-à-coup refermées.

Pour avoir une connoiffance de cette campa-gne, il ne fuffit donc pas de la voir toute à-la-fois il en faut voir chaque partie l'une aprèsl'autre & au lieu de tout embraffer d'un coupd'œil il faut arrêter fes regards fucceffivementd'un objet fur un objet. Voilà ce que la naturenous apprend à tous. Si elle nous a donné la fa-culté de voir une multitude de chofes à-la-fois,elle nous a donné aufli la faculté de n'en regar-der qu'une c'eft-à-dire de diriger nos yeuxfur une feule & c'eft à cette faculté qui eft

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une fuite de notre organifation que nous devonstoutes les connoiffances que nous acquéronsparla vue.

Cette faculté nous eft commune à tous. Cepen-dant, fi dans la fuite nous voulons parler de cettecampagne, on remarquera que nous ne la con-noiffons pas tous également bien, Quelques-unsferont des tableaux plus ou moins vrais, ou l'onretrouvera beaucoup de chofes comme elles fonten effet; tandis que d'autres, brouillant tout fe-ront des tableaux ou il ne fera pas pôffible derien reconnoître. Chacun de nous néanmoinsavu les mêmes objets mais les regards des unsétoient conduits comme au hafard & ceux desautres fe dirigeoient avec un certain. ordre. I

Et pour les Or quel eft cet ordre ? La nature l'indique I

concevoir 1f A§

telles qu'el- elle-même ceft celui dans lequel elle offre lesfaut que l'or-°bjets. Il y en a qui .appellent plus particulière- gfaut queor- -1:are "l ment les regards ils font plus frappans; ils do- Idans lequel

cniesobCer- minent & tous les autres femblent s'arranger Ive les raf- .1! TT '<\ <

°femble dans autour d'euxpour eux. Voila ceux qu'on obfervetlnf equ™ft d'abord & quand on a remarqué leur fitua- (tané qui elt 9

q ~I

entre elles, tion refpeftive les autres fe mettent dans les gintervalles, chacun à leur placé. S

On commence donc par les objets principaux1

S

on les obferve fucceffivement, .& on les corn-*I

pare, pour juger des rapports où ils font. Quand; 1par ce moyen on a leur fituation refpeûive

1

I

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ton obferve fucceffivement tous ceux qui rem,plirent les intervalleson les compare chacun

avec l'objet principal le plus prochain, & ort.

en détermine la pofition.Alors on démêle tous les objets dont on a

faifi la forme & la Situation, & on les embraffe

d'un feul regard-. L'ordre qui eft entre eux dans

notre efprit, n'eft donc plus fticcefff il eftfimultané. C'eft celui-là même dans lequel ilsexiftent, & nous les voyons fous à-la-fois d'unemanière diftin&e»

Ce font là des connoifrances que nous devons Par cei> i i i- moyen l'ef-uniquement à 1 art avec lequel nous avons di-, prit peut em-

rigé nos regards» Nous ne les avons acquifes que grande "an.grandequan·.l'une après l'autre mais une fois acquifes elles tité d'idées.

font toutes eh même temps préfentes àl'efprit,comme les objets qu'elles nous retracent fonttous préfens à l'oeil qui les voit.

Il en èft donc de l'efprit comme de l'œil it

voit à'ia-fois une multitude de chofes & il nefaut pas s'en étonner,i puifque c'eft à l'amequ'appartiennent toutes les fenfations de la vue.

Cette vue de l'efprit s'étend comme la vuedu corps fi l'on eft bien organifé il ne faut àl'une & à l'autre que de l'exercice, & on nefçauroit en quelque forte circonfcrire l'efpacequ'elles embraffent. En effet, un efprit exercé.voit. dans. un fujet qu'il médite une multitude.

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de rapports que nous n'appercevons pas côimmîB

îes yeux exercés d'un grand peintre démêlent enun moment dans un payfage une multitude dechofes que nous voyons avec lui, & qui cepen-dant nous échappent.

Nous pouvons en nous tranfportant de châ-teau en château, étudier de nouvelles campa-gnes, & nous les retracer comme la premiere.Alors il nous arrivera, ou de donner la préfé-rence- à quelqu'une, ou de trouver qu'elles ontchacune leur agrément. Mais nous n'en jugeonsque parée que nous les comparons nous ne lescomparons que parce que nous nous les retra-çons toutes en même temps. L'efprit voit doncplus que l'oeil ne peut voir.

Parce qu'en Si maintenantnous réfléchiffons fur la manièreXifiTu^é- dont nous acquérons des eonnoifïances par laainfi il dé-compke les vue nous remarquerons qu*un objet fort cOm-~h:!e~fepo~; vue nous remarquerons qn.Ittl objet fort côm~-chofes pour c, 1 iles recorapo-

pôle tel qu une vâlte campagne fè decompofefait des' idée" & quelque forte j ptiifqttè nous ne le eonnbif-fait des idées

quelque forte ptiifqtïe: tîôtis iie~ le connoif-tnfe!S&d'f fons que lo^%lé fe* parties font venues luneIIn"es. l'à' âv'ee ordre dans

fefprit:aprèsl'autre, s?àrranger avec ordre dans l'efprit.Nous avons vu dans quel ordre fe fait cette

déeompofition. Les principaux objets viennentd'abordée placet dans l'efprit les autresy vien-nent enfuite & s'y arrangent fuivânt les rap-ports où ils font avec les premiers. Nous ne fai-•^î^ cette dëcompofitionque parce qu'un inftant

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tïè nous fuffit pas pour étudier tous ces objets.Mais nous ne décômpôfôhsque pour recompo-fer; & lorfque lés conrioiflaricesfont acquifes

!es chofes au lieu d'être fiicceffives ont dansl'efprit le même ordre fimuîtarié qu'elles ont audehors. Ceft dans cet ordre fimtiltahé que con-ïifte la GOnnoiffance que nbiîs eh avons car finous ne pouvions nous les retracer enfemblenous ne pourrions jamais juger des rapports oitelles font entre elles & nous les connoîtrionsïnal..

Analyfer n'eft donc autre chofe qu'ôbferver Cetre dé-

< <- <v i t--t n<' compoMonLdans un ordre îuccëmr les qualités a un objet & recompo- ?afin de leur donner dans ftfpfiï l'ordre fîfnuîtané ^Z e*ocJ.

dans lequel elles' exiftérit. C'èfl ce que la nature me "^aiy/c. |

nous fait ïkirë à tous. L'ànalyfe qu'où croit f

n'être connue que des ph'ilbfbphes eu donc |connue de tout le rnohdé > & je n'ai rien appris |au léâëù'f je lui ai feulement fait remarquer ce j

qu'il fait continuellement. |Quoique d'un coup d'oeil je démêle une mul- L'anaiyfbda j

.1 1la peniée fetitudé d'objets dans une campagne que j'ai étu-^ fait^iTmê"

diée cependant la vue n'eft jamais plus diffihaë ™ ,"“que lorfqu'elle fe circonfcrit elle-même, & que £es. objet.nous1

ne regardons qu'un petit nombre d'objets fendbles.

â-la-fois nous eh difeernons toujours moins

que nous n'en voyons.il en eft de même de la vue de l'efprit. J'ai à-

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la-fois préfentes un grand nombre de connoï&fances qui me font devenues familieres je lesvois toutes, mais je ne les démêle pas égale-ment. Pour voir d'une manière diftinâe tout cequi s'offre à-la-fois dans mon efprit, il faut queje décompofe comme j'ai décompofé ce qui s'o£froit à mes yeux il faut que j'analyfe mapenfée..

Cette analyfe ne fe fait pas autrement quecelle des objets extérieurs. On décompofe demême on fe retrace les parties de fa penféedans un ordre fucceffif pour les rétablir dansun ordre fimultané on fait cette compofition&cette dérompofitilon en fe conformant aux rap-ports qui font entre les chofes comme prin-cipales & comme fubordonnées & parce qu'onn'analyferoit.pas une campagne fi la vue nel'embraflbit pas toute entiere on n'analyferoitpas fa penfée fi l'efprit ne l'embraffoitpas touteentiere également. Dans l'un & l'autre cas ilfaut tout voir à-la-fois autrement on ne pour-roit pas s'affurer d'avoir vu l'une après l'autretoutes les parties.

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CHAPITRE III.Que Canalyfe fait les efprits jufles.

%^j H A eu N de nous peut remarquer qu'il ne Les {e"&~ioi s confidé-connôît les objets fenfibles que par les ténia- rées comme

"1'" fo 1 1'. f'. qUï reprefentanttions qu'il en reçoit ce font les fenfations qui' [esPobje"sfèn-

nous les repréfentent. fibles font

t'1 proprement

Si nous fommes affurés que lorfqu'iîs font ce qu'on

préfens,nous ne les voyons que dans les if ien- cnomme idées*.

fations qu'ils font aâuellement fur nous, nousne le fommes- pas moins que lorfqu'ils font ab-fens, nous ne'les voyons que dans le fouvenirdes fenfations qu'ils ont faites. Toutes les con--noiffances que nous pouvons avoir dés objetsfenfibles ne font donc dans le principe & nepeuvent être que des fenfations.

Les fenfations confidérées comme reprefen-tant les objets fenfibles fe nomment idées ex»prefîîon figurée qui au propre fignifie la mêmechofe c^jl images:

Autant nous diffinguons de fenfations diffé-

rentes, autantnous distinguons d'efpeces d'idées;& ces idées font ou des fenfations aâuelîes ouelles ne font qu'un fouvenir des fenfations queijous avons eues,

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Cefti'ana- Quand nous les acquérons par la méthodedonneetsqui analytique découverte dans le Chapitre précé-donne desidées exaftes dent elles s'arrangent avec ordre dans l'efpritou de vraiesconnoiffan- elles y confervent 1 ordre que nous leur avonsces, donné & nous pouvons facilement nous les re-

tracer avec la même netteté avec laquelle nousles avons acquifes. Si au lieu de les acquérir parcette méthode nous les accumulonsau hafard s

elles feront dans une grande confufion & elles |

y reftéront. Cette confufion ne permettra plus àl'efprit de fe les rappeller d'une maniere diftinfte {

& fi nous voulons parler des connoiffances que t

nous croyons avoir acquifes on ne comprendrarien à nos difcours parce que nous n'y com- j

prendrons rien nous-mêmes. Pour parler d'unemaniere à fe faire entendre il faut concevoir& rendre fes idées dans l'ordre analytique, quidécompofe & recompofe chaque penfée. Cetordre efl le feul qui puiffe leur donner toute laclarté & toute la précifion dont elles font fuf- j [

ceptibles & comme nous n'avons pas d'autre I

moyen pour nous inftruire nous mêmes nousn'en avons pas d'autre pour communiquer nosconnoiffances. Je l'ai déja prouvé mais j'y re- ,kviens & j'y reviendrai encore car cette vérité &sn'eft pas affez connue; elle efi même combattue, |lquoique fimple évidente & fondamentale. P$

En effet, que je veuille connoître une ma-

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fc"hme je la décompoferai pour en étudier fépa- f

rément chaque partie. Quand j'aurai de chacune

une idée exaâe & que je pourrai les remettredans le même ordre ou elles étoient, alors jeconcevrai parfaitement cette machine parce queje l'aurai décompofée & recompoiec

Qu'êfl-ce donc que concevoir cette machine ?C'eft avoir une penfée qui eil compoféed'autant

i | fl'idées qu'il y a de parties dans cette machine-même d'idéesqui les repréfentent chacune exac-

I tement & qui font difpofées dans le même I

u «rdre.Lorfque je l'ai- étudiée avec cette méthode {:

qui eft la feule alors ma penfée ne m'offrequedes idées diftinâes èç elle s'analyfe d'elle mê- |me foit que je veuille m'en rendre compte,, foitque je veuille en rendre compte aux autres.

Chacun peut fe convaincre de cette véritécette- mé-

(

par fa propre expérience il n'y a pas même tn1J°etIedee11"nue de toutjufqu'aux plus petites couturières qui n'en foient le monde, l

convaincues car fi leur donnantpour modele ••

une robe d'une forme Singulière vous leur pro-pofez d'en faire une femblable elles imagi-neront naturellementde défaire & de refaire cemodèle pour apprendreà faire la robe que vousdemandez. Elles fçavent donc l'analyfeauflî-bieaque les philofophes & elles en conuoiffent l'uti-lité beaucoup mieux que ceux qui s'obstinent h

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ifoutenir qu'il y a une autre méthode pour s'iniP

truire.Croyons avec elles qu'aucune autre méthode

ne peut fuppléer à l'analyfe. Aucune autre nepeut répandre la même lumiere nous en auronsla preuve toutes les fois que nous voudrons étu-dier un objet un peu compofé. Cette méthode,

nous ne l'avons pas imaginée nous ne l'avons

que trouvée, & nous ne devons pas craindrequ'elle nous égaré. Nous aurions pu, avec les

philofophes en inventer d'autres, & mettre unordre quelconqueentre nos idées mais cet or-dre, qui n'auroit pas été celui de l'analyfe au-roit mis dans nos penfées la même confufion

qu'il a mife dans leurs écrits car il femble queplus ils affichent l'ordre, plus ils s'embarraffent,& moins on les entend. Ils ne fçavent pas quel'analyfe peut feule nous inftruire vérité pra-tique connue des artifans les plus greffiers.

C'en par el-Il y a des efprits juftes qui paroiffentn'avoir

le qeue?™ef- rien étudié, parce qu'ils ne paroizent pas avoirprits juftes fe méditépour s'inftruire cependant ils ont faitfont formés. me rpour s l1111rtllre i en ant 1 s ont laIt

des études, & ils les ont bien faites. Comme ilsles faifoient fans deffein prémédité ils ne fon-geoient pas à prendre des leçons d'aucun maî-

tre, & ils ont eu le meilleur de tous la nature.C'eft elle qui leur a fait faire l'analyfe des chofesqu'ils étudioient j & le peu qu'ils fçavent s ils Iq

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îçavent bien. L'inftinâ qui eft un guide fi fïirle goîit qui juge fi bien & qui cependant juge

au moment même qu'il fent; îes talens, qui nefont eux-mêmes que le goût, lorfqu'il produit cedont il efi le juge toutes ces facultés font l'ou-

vrage de la nature qui, en nous faifant analyferànotreinfçu, femble vouloir nous cacher toutce que nous lui devons. C'eft elle qui infpirel!bjamme^de_génie elle eft la Mufe qu'il invo-

que, lorfqu'il ne fçaiit pas d'où lui viennent fespenfées.

Il y a des efprits faux qui ont fait de grandes Lesmauvaî-

d. Il fc. d b dl h d fes méthodesétudes. Ils fe piquent de beaucoup de méthode font^ies"^

& iis n'en raisonnent que plus mal c'eft que prits faux.. |

lorfqu'une méthode n'eft pas la bonne plus on 1

la fuit, plus on s'égare. On prend pour principes j

des notions vagues, des mots vuides de fens; onfe fait un jargon fcientifique dans lequel on croitvoir l'évidence"; & cependant on ne fçait dansle vrai ni ce qu'on voit, ni ce qu'on penfe, ni

ce qu'on dit. On ne fera capable d'analyfer fes S

penfées qu'autant qu'elles feront elles mêmes S

l'ouvrage de l'analyfe. I

C'eft donc encore une fois, par l'analyfe & ?

parl'analyfe feule, que nous devonsnous inftrui- |

re. C'eft la voie la plus fimple parce qu'elle efi la {

plus naturelle & nous verrons qu'elle efl encoreh plus courte. C'eft elle qui a fait toutes les dé,

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couvertes; c'eft par elle que nous retrouveronstout ce qui a été trouvé; & ce qu'on nommeméthode d'invention n'eft autre chofe que l'ana-lyfe. ( Cours £ EtudeArt de penfer

3 part, z schap. 4. )

CHAPITRE IV.Comment la nature nous fait obferver les objets

fenjibles pour nous donner des idées de diffé-rentes efpeces.

On ne peutJ.VOUS ne pouvons aller que 'du connu àVin>-

Mftruireconnu .il' b' 1 d 1qu'encondiii- connu > elt un principe bien trivial dans la théo-

murînconl rie & prefque ignoré dans la pratique. Il fem-nu. a j ble qu'il

ne foit fenti que par les hommes quin'ont point étudié. Quand ils veulent vous fairecomprendre une chofe que vous ne connoiffezpas ils prennent une comparaifondans une au-tre que vous connoiffez & s'ils ne font pas-toujoursheureux dans le choix des comparaifons

»ils font voir au moins qu'ils fentent ce qu'il fautfaire pour être entendus.

Il n'en eft pas de même des fçavans. Quoi-t[u'î.ls veuillent inftruire ils oublient volontiers,d'aller du connu à l'inconnu. Cependant fi vousvoulez me faire concevoir des idées que je n'aipas il fout me prendreaux idées que j'ai. C'eil

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à ce que je fçais que commence tout ce quej'ignore, tout ce qu'il efl: pofllble d'apprendre

& s'il y a une méthode pour me donner de nou-velles connoiffances elle ne peut être que laméthode même qui m'en a déjà donné.

En effet, toutes nos connoiffances viennentdes fens celles que je n'ai pas comme celles quej'ai & ceux qui font plus fçavans que moi

ont été auffi ignorans que je le fuis aujourd'hui.Or, s'ils fe font inibuits en allant du connu àl'inconnu, pourquoi ne m'inftruirois-je pas enallant comme eux du connu à l'inconnu ? Et fichaque connoiffance que j'acquiers me préparer,à une connoiffance nouvelle pourquoi ne 1

pourrois-je pas aller par une fuite d'analyfes,de connoiffance en connoiffance ? En un mot

épourquoi ne trouveraisje pas ce que j'ignoredans des fenfations oit ils l'ont trouvé & quinous font communes ?

Sans doute ils me feroient facilement décou-vrir tout ce qu'ils ont découvert, s'ils fçavoienttoujours eux mêmes comment ils fe font inf-truits. Mais ils l'ignorent, parce que c'efl: unechofe qu'ils ont mal obfervée, ou à laquelle laplupart n'ont pas même penfé. Certainement ilsne fe font inftruits qu'autant qu'ils ont fait desanalyfes & qu'ils les ont bien faites. Mais ilsne le remarquoient pas la nature les feifoit en

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quelque forte en eux fans eux & ils aîmoîenfà croire que l'avantage d'acquérir des connoif-jfances eft un don, un talent qui ne fe communi-

que pas facilement. Il ne faut donc pas s'étonnerfi nous avons de la peine à les entendre dèsqu'on fe pique de talens privilégiés, on n'eft pasfait pour fe mettre à la portée des autres.

Quoi qu'il en foit, tout le monde eft forcédereconnoître que nous ne pouvons aller que duconnu à l'inconnu. Voyons l'ufage que nouspouvons faire de cette vérité.

Quiconque Encore enfans, nous avons acquis des connoif-conSan" fances par une fuite d'obfervations & d'analy-connotifan-ces peut en fes. C'eft donc à ces connoifrances que nous de-acquerir en- 1

core. vons recommencerpour continuer nosétudes. Iffaut les obferver, les analyfer & découvrir,s'il eft poffible tout ce qu'elles renferment.

Ces connoiffances font une collection d'idées& cette colleâion eft un fyftême =bien d lonné,c'eft-à-dire une fuite d'idées exaâes, oii l'ana-lyfe a mis l'ordre qui eft entre les chofes mêmes.Si les idées étoient peu exactes & fans ordre

1,nous n'aurions que'des connoiffances imparfai-tes, qui même ne feroient pas proprement desconnoiffances. Mais il n'y a perfonne qui n'airquelque fyftême d'idées exactes bien ordonnéesfi ce n'eft pas fur des matieres de fpécuîation cefera du moins fur des chofes d'ufage relatives £

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JïOS befoins. Il n'en faut pas davantage. C'eft àces idées qu'il faut prendre ceux qu'on veut inf-truire & il eft évident qu'il faut leur en faire

remarquer l'origine & la génération fi de cesidées on veut les conduire à d'autres.

Or, fi nous obfervons l'origine !& la génération Les idéesA /• rr naiffent fuc-des idées, nous les verrons naître fucceffivement ceffivement

les unes des autres; & fi cette fucceffioneft con- autres""

forme à la maniere dont nous les acquérons,

nous en aurons bien fait Panalyfe. L'ordré del'analyfeeft donc ici l'ordre même de la généra-tion des idées.

Nous avons dit que les idées des objets fenfi- Nos, Pre™e-residées fontbles ne font, dans leur origine, que les fenfations des idées m-

J". <-b'.M..1 '/i.fid d¡v¡dLlc,les.qui repréfentent ces objets. Mais il n'exifledans m "e' es'l

la nature que des individus donc nos premieres»

idées ne font que des idées individuelles, des f

idées de tel ou tel objet. |Nous n'avons pas imaginé des noms pour cha- En ciaiîant I

d..d 1". 1 d'fi les idées 011que individu nous avons feulement distribué forme des jles individus dans différentes claffes, que nous '`'

diftinguons par des noms particuliers '& ces |claffes font ce. qu'on nomme genres èc efpeces. |Nous avons par exemple, mis dans la claffe |d'arbre, les plantes dont la tige s'élève à une cer- 1

taine hauteur, pour fe divifer en une multitudede branches & formèr de tous fes rameaux unepouffe plus ou moins grande. Voilà une claffe gé-

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iiéraîë qu'on nomme genre. Lorfqu'enfuîte Ôfï|©bfervé que les arbres différent par la grandeur,par la fîru&ure j par les fruits; &c. on a diflin-gué d'autres claffes fubordonnées à la premièrequi les comprend toutes te ces claffes fuboi>données font ce qtt'on nomme éjpetësi.

C'eft ainfi que nous diffribuons dans différen»tes claffes toutes les choies qui peuvent venir ànotre connoiffance par ce moyen, nous leurdonnons à chacune une place marquée & nousfçavons toujours où les reprendre. Oublions cesclaffes pour un moment, & imaginons qu'oheût donné à chaque individu tift no'riï différent

nous fenîons aufli-tôt que la multitude des nomseût fatigué notre mémoire pour tout confondre& qu'il nous eût été impoffiblé d'étudier les ob-jets qui fe multiplient fous riosr yeux & denous en faire des idées difïiïicTies.

Rien n'efl donc plus raifonnisble que cette dif.tributrori & quand on confidere combien ellénous eftutile, ou même néceffairë,oii ferôitportéà croire que nous ravons faite à' deffeiri. Mais

on fe tromperoit ce déffein appartient unique-ment à la1 nature c'efï elïe'qui a commencé à

Les idéesnotre infçu.

Les idées in- Un erifamt nô'rnniexa arbre d'apréslledividùeifes"1";Un enfant nommera arbre, d'après nous, le

^t-Tcoup premier arbre quenous lui montrerons, &cétOllt-a-COl1pgtoscaiss. nom fera pour lui le nom d'un individu. Cepen-;

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efant fi on lui montre un autre arbre il n'imagi-

nera pas d'en demander le nom il le nommeraarbre & il rendra ce nom commun à deux indi-vidus. Il le rendra de même communà trois à

quatre & enfin à toutes les plantes qui lui pa-roîtrontavoir quelque reflemblancê avec les pre-miers arbres qu'il a vus. Ce nom deviendramêmefi général, qu'il nommera arbre tout ce que nomnommonsplante. Il eft naturellementporté à gé-néralifer parce qu'il lui eft _plus commode defe fervir d'un nom qu'il fçait que d'en appren-dre un nouveau. Il généralife donc fans avoirformé le deflein de généralifer, & fans même

remarquer qu'il généralife. C'eft ainfi qu'une idée jindividuelle devient tout-à-coup générale fou- |vent même elle le devient trop &c cela arrivefoutes les fois que nous confondons des chofes j

qu'il eût été utile de diftinguer. i?

Cet enfant le fentira bientôt lui-même. U ne Les idées Iv t»• i.v / ,-r générales fe sdira pas J eu trop generatije il faut que je dij- fous-divifem (a

fingue différentes efpeces d'arbres il fo* mera Zfans deflein & fans le remarquer, dé* claffes )

fubordonnées comme il a formé fans deflein &fans le remarquer, une claffe générale. ïl ne feraqu'obéir à fes befoiris. G'efl pourquoi je dis qu'il ïfera ces diftributionsnaturellement& à fon infçu. |En effet fi on le mené dans un jardin & qu'onlui fafle cueillir & manger différentes fortes de

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fruits nous verrons qu'il apprendra bientôt ïei»

noms de cerifier pêcher, poirier, pommier,t& qu'il diftinguera différentes efpeces d'arbres.

Nos idées commencent donc par être indivi-duelles, pour devenir tout-à^coup auffi généra-les qu'il eft poffible & nous ne les diftribuonsenfuite dans différentes claffes qu'autant que^îous fentons le.J>eibiii de les diftinguer. Voilàl'ordre de leur génération,

Nos idées Puifque nos befoins font le motif de cette dif-forment unfyftême con- tribution c.elt pour eux qu elle fe fait. Lesforme au f y[.

1 Ir r. l, l, 1 'fctêmTdenos claffes qui fe multiplient plus ou moins t for-^efoms. ment donc un fyftême dont toutes les parties fe

I lient naturellement, parce que tous nos befoinstiennent les uns aux autres & ce fyftême, plusou moins étendu eft. conforme à l'ufage quenousvoulons faire des chofes. Le befoin, qui nouséclaire nous donne peu à peu le difcernement,qui noiis fait voir dans un temps des différencesoii peu auparavant nous n'en appercevions pas;& fi nous étendons Ôç perfectionnons ce fyf-tême, c'eft parce que nous continuons commela nature nous a fait commencer.

Les philofophes ne l'ont donc pas imaginé ïils l'ont trouvé en obfervant la nature &: s'ilsavoient mieux obfervé, ils l'auroient expliquébeaucoup mieux qu'ils n'ont fait. Mais ils ont cruqu'il étoit à eux ? & ils Font traité comme s'il

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êtoit à eux en effet. Ils y ont mi6 de l'arbitraire,de l'abfurde & ils ont fait un étrange abus desidées générales»

Malheureusement nous avons cru apprendred'eux ce fyflême que nous avions appris d'unmeilleur maître. Mais, parce que la nature nenous faifoit pas remarquer qu'elle nous l'enfei-gnoit, nous avons cru en devoir la connoiffanceà ceux qui ne manquoient pas de nous faire re-marquer qu'ils étoient nos maîtres. Nous avonsdonc confondu les leçons des philofophes avecïes leçons de la nature & nous avons mal rai-fonné.

D'après tout ce que nous avons dit formerAvec m!

une claffe de certains objets ce n'eft autre chofe artifice fe foi-

que donner unmême a/ nom à tous ceux que nous

me.me ce fyftê-1

jugeons femblabïes;& quandde cette claffe nousen formons deux, ou davantage nous ne faifonsencore autre chofe que choifir de nouveauxnoms pour diflinguer des objets que nous ju-geons différens. C'eft uniquementpar cet artificeque nous mettons de l'ordre dans nos idéesmais cet artifice ne fait que cela & il faut bienremarquer qu'il ne peut rien faire de plus. Eneffet, nous nous tromperionsgroffiérement, fi nousnous imaginions qu'il y a dans la nature des ef-peces & des genres parce qu'il y a des efpeces6c des genres dans notre maniere de concevoir,

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Les noms-générauxne font proprement les noflîâd'aucune chofe exiflante ils n'expriment queles vues de l'efprit, lorfque nous confidéronsles«hofes fous des rapports de reffemblance ou de-différence. Il n'y a point d'arbre en général depommier en général de poirier en général il«n'y a que des individus. Donc il n'y a dans lanature ni genres ni efpeces. Cela eft fi fimple%u'on croiroit inutile de le remarquer mais fou-vent les chofes les plus fimples échappent,préci-fément parce qu'elles font fimples nous dédai-

gnons de les obferver; & c'eft là une des prin-cipalescaufes de nos mauvais raifonnemens & denos erreurs.

il ne ce fait Ce n'eft pas d'après la nature des chofes quepas ma il'après la inous diftinguons des claffes c'eft d'après notreJ1atl1re desghsfes. manière de concevoir. Dans les commencemens,

nous fommes frappés des reffemblances & nous 1

fommes comme un enfant qui prend toutes les I

plantes pour des arbres. Dans la fuite le befoin I«Tobferver développe notre difcernement & I

parce qu'alors nous remarquons des différences“

Inous faifons de nouvelles claffes. I

Plus notre difcernement fe perfeâionne plus I

les claffes peuvent fe multiplier & parce qu'il gn'y a pas deux individus qui ne different par

S

.quelque endroit il eft évident qu'il y auroit 1

autant de claies que d'individus fi à chaque dif. I

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ference on vouloit faire une claffe nouvelle.Alors il n'y auroit plus d'ordre dans nos idées,& la confufion fuccéderoit à la lumiere qui fefépandoit fur elles lorfque nous généralifionsavec méthode*

Il y a donc un terme après lequel il faut s'ar- jufqu.j qaelrêter car s'il importe de faire des diminuions > Poînt no.us.devons c?ivi-il importe plus encore de n'en pas trop faire. f^T fous-

d:vife:° nosQuand on n'en fait pas allez, s'il y a des cho- E|r n0Sfes qu'on ne diftingue pas & qu'on devroit dif-tinguer, il en refte au moins qu'on diftingue.Quand on en fait trop on brouille tout, parceque l'efprit s'égare dans un grand nombre dediftinftions dont il ne fent pas la néceffité. De-mandera -t~ on jufqu'à quel point les genres &C

>les efpeces peuvent fe multiplier ? Je répondsou. plutôt la nature répond elle-même jufqu'à

f ce que nous ayons affez de claffes pour nousXégler dans l'ufage des chofes relativesà nos be-foijTs: & la jufteffe de cette réponfe efl fenfibïe

puifque ce font nos befoins feuls qui nous dé-terminent à diflinguer des claffes puifque nousn'imaginons pas de donner des noms à des cho-fes dont nous ne voulons rien faire. Au moinseft-ce ainfi que les hommes fe conduifent natu-rellement. Il eft vrai que lorfqu'ils s'écartentdela nature pour devenir mauvais philofophes ils«roient qu'à force de diftinûions auffi fubtiles

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qu'inutiles ils expliqueront tout & ils broiâl-»ïent tout.

Pourquoi les Tout eft diftinâ dans la nature mais notreefpeces doi- *• • n i i • 1 i •< »vent fe con-

«prit eit trop borne pour la voir en détail d unefondre. manière diftin&e. En vain nous analyfons; il refte

toujours des chofes que nous ne pouvons ana-lyfer, & que par cette raifon nous ne voyonsque confufément. L'art de claffer, fi néceffaire

pour fe faire des idées exa&es n'éclaire queles points principaux les intervalles relentdans l'obfcurité, & dans ces intervalles les claf-fes mitoyennes fe confondent. Un arbre, parexemple & un arbriffeau font deux efpecesbien diftinâes. Mais un arbre peut être plus pe-tit, un arbriffeau peut être plus grand; &l'onarrive à une plante qui n'eft ni arbre ni arbrif-feau ou qui eft tout à-la-fois l'un & l'autrec'eft-à-dire qu'on ne fçait plus à quelle efpecela rapporter.

Pourquoiei-Ce n'e^ pas là un inconvénient car deman-

lesfeconfon- der fi cette plante eft un arbre ou un arbrif-dent fans in-cenvàiiêin.feau, ce n eft pas dans le vrai, demander ce

qu'elle eft c'eft feulement demander fi nousdevons lui donner le nom d'arbre ou celui d'ar-brifTeau. Or il importe peu qu'on lui donne l'unplutôt que l'autre fi elle eft .utile nous nousen fèrvirons & nous la nommerons plante. Onà'agiteroit jamais de pareilles queftions fi l'on

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he fuppofoit pas qu'il y" a dans la nature commedans notre efprit des genres &c des efpeces.Voilà l'abus qu'on fait des claffesil le falloitconnoître. Il nous refte à obferver jufqu'oiîs'étendent nos connoiffances lorfque nous cîaf-fons les chofes que nous étudions,

Dès que nos fenfations font les feules idées Noffif71

i i ,-ti rons leffen-que nous ayons des objets fenfibles nous ne ce des corps,

voyons en eux que ce qu'elles repréfententau-delà nous n'appercevons rien & par con-fequent nous ne pouvons rien connoître.

Il n'y a donc point de réponfe à faire à ceuxqui demandent, Quel ejl le fujet des qualités du

corps? quelle ejlfa nature? quelle ejî fon ejfence?Nous ne voyons pas ces fujets ces naturesces effences en vain même on voudroit nousles montrer; ce feroit entreprendre de faire voirdes couleurs à des aveugles. Ce font là des motsdont nous n'avons point d'idées; ils fignifientfeulement qu'il y a fous les qualités quelque chofe.

que nous ne connoitrons pas,L'analyse ne nous donne des idées exafles Nonsn'avons

9 5 ii /v• i i 1 des idées exa-^qu autantqu'elle ne nous fait voir dans les choies &es 4U'ail.

que ce qu'on y voit &. il faut nous accoutumer tint qtie nousnaffi~æ

à ne voir que ce que nous voyons. Cela-n'eft pas- iue ce que,“ nous avonS"tacue au commun des hommes,.ni même au com- obferw..

mun dea philofophes. Plus on efl ignorant,plus.

pn efl impatientée juger on croit tout fçavoir;

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avant d'avoir rien obfervé & l'on diroit que laconnoiffance de la nature eft une efpece de divi-nation qui fe fait avec des mots.

tes idées, Les idées exa&es que l'on acquiert par l'ana«pour être l, r r d 'd 1 1Ses^ne lyfe, ne font pas toujours des idées completteseST'0"1' elles ne peuvent même jamais l'être lorfque¡Zl.Yttes..

nous nous occupons des objets fenfibles. Alorsnous ne découvrons que quelques qualités &C

nous ne pouvons connoitre qu'en partie.

Toutes nosNous ferons l'étude de chaque objet de la

éti des refont même manière que nous faifions celle de cetteavec la même

«méthode, & campagne quon voyoit des fenêtres de notreITlcTunZ château car il y a dans chaque objet, commede eft 1 anawtyfe, dans cette campagne, des chofes principalesaux-

quelles toutes les autres doivent fe rapporter.C'efldans cet ordre qu'il les faut faifir, fi l'on veutfe faire des idées diftinfîes & bien ordonnées.Par exemple tous les phénomenes de la naturefuppofent l'étendue & le mouvement toutes lesfois donc que nous voudrons en étudier quel-ques-uns, nous regarderons l'étendue & le mou-vement comme les principales qualités des corps.

'Nous avons vu comment Panalyfe nous faitconnoître les objets fenfibles & comment lesidées qu'elle nous en donne font diftinftes ôcConformes à l'ordre des chofes. Il faut fe fouve-nir que cette méthode eft l'unique, & qu'elledoit être absolument la même dans toutes nos

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études car étudier des fciences différentes cen'efi pas changer de méthode, c'eft feulementappliquer la même méthode à des objets difS–rens c'efl: refaire ce qu'on a déja fait & le;grand point eft de le bien faire une fois, pourle fçavoir faire toujours. Voilà, dans le vrai you nous en étions lorfque nous avons com-mencé. Dès notre enfance nous avons tous ac-quis des connoiffances nous avions. donc fuivià notre infçu une bonne méthode. Il ne nousreftoit qu'à le remarquer c'efl: ce que nous avons.fait & nous pouvons déformais appliquescetteméthode à de nouveauxobjets. ( Cours d'Etude p.Leçons prélim. art, i. 4rt de penfer part.chap. 8. Traité des Senfadons part. 4, ckap. S. }fc

–sCHAPITRE V,

Des idées des chofes qui ne tombent pas fou&les fens,

JC,Nobfervant les objets fenfibres, nous nous Comment

élevons naturellementà des objets qui ne tom- îeseff<nouset_ fonc ju5er d~bent pas fous les fens parce que d'après les l'esiftence

fI( d'une cauCe·effets qu'on voit, on juge des caufes qu'on ne dont ils neVOit pas. nousdonnciiC1 •J*e v mouvement

d'un corps eft un effet il aucune jiés*

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donc une caufe. Il efl hors de doute que c&ttii jcaufe exifle quoiqu'aucun de mes fens ne mela faffe appercevoir, & je la nomme force. Cenom ne me la fait pas mieux connoître je ne ej

fçais que ce que je fçavois auparavant, c'eft quele mouvementa une caufe que je ne connois pas.Mais j'en puis parler je la juge plus grande ouplus foible, fuivant que le mouvement eu. plusgrand ou plus foible lui-même & je la mefure,en quelque forte en mefurant le mouvement.

Le mouvement fe fait dans Pefpace & dans letemps. J'apperçois l'efpàce en voyant les objets {

fenfibles qui l'occupent & j'apperçois la duréedans la fucceffion de mes idées ou de mes fen-fations mais je ne vois rien d'abfolu ni dansl'efpàce, ni dans le temps. Les fens ne fçauroientme dévoiler ce que les chofes font en elles-mê-mes ils ne me montrent que quelques-uns des jrapports qu'elles ont entre elles & quelques-uns de ceux qu'elles ont à moi. Si je mefure l'ef- "î

pace, le temps, le mouvement, & la force qui V

le produit, c'efl que les réfultats de mes indurésne font que des rapports car chercher des rap-

'iports ou mefurer c'eft la même choie. \î

Parce que nous donnons des noms à des chofes f"^

dont nous avons une idée on fiippofe que nousi*

avons une idée de toutes celles auxquelles nous'.à

donnons des noms. Voilà une erreur dont il faut ;.f

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garantir. Il fe peut qu'un nom ne foit donnéà une chofe que parce que nous fommes affurésde fon exigence le mot force en eft la preuve.

Le mouvement, que j'ai confidéré comme uneffet, devient une caufe à mes yeux, auflî-tôt

que j'obferve qu'il eft par-tout & qu'il pro-duit, ou concourt à produire tous les phénome-

nes de la nature. Alors je puis, en obfervant lesloix du mouvement, étudier l'univers commed'une fenêtre j'étudie une campagne la méthodeeft la même.

Mais quoique dans l'univers tout foit fen-fible, nous ne voyons pas tout; & quoique l'artvienne au fecours des fens ils font toujourstrop fbibles. Cependant, fi nous-obfervonsbien, f

nous découvrons des phénomènes nous les [

voyons, comme une fuite de caufes & d'effets, |former différens fyflêmes & nous nous faifons |des idées exaftes de quelques parties du grand |tout. C'eft ainfi que les philofophes modernes |ont fait des découvertes qu'on n'auroit pas jugé Ipofïibles quelques fiecles auparavant, & qui font Ipréfumer qu'on en peut faire d'autres. ( Coursd'Etude, Art de raifonner. Hijî. mod. liv. der-nier chap. 5 <S* fuivans. )

Mais comme nous avons jugé que le mou- CommeotiiiIl{' '"1 11. 11:' nous font JU-vement a une caufe, parce qu'il eft un effet ger de l'exif-

sous jugerons que l'univers a égalçment une ^Hb ,,¡¡uCe quà ne

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tombe pascaufe, parce qu'il eft un effet lui-même & cette

ft^co^ënt caufe nous la nommeronsDieu.8t commentiis nous en n'en eft pas de ce mot comme de celui dedonnent une ridée. force, dont nous n'avons point d'idée. Dieu,

il eft vrai ne tombe pas fous les fens mais ila imprimé fon caraâeredans les chofes fenfibles

nous l'y voyons, & les fens nous élevent juf-qu'à lui.

En effet, lorsque je remarque que les phéno-menes naiffent les uns des autres, comme unefuite d'effets & de caufes, je vois nécéffairementune premiere caufe & c'eft à l'idée de caufepremière que commence l'idée que je me faisde Dieu.

Dès que cette caufe efl première elle eft in-dépendante, néceffaire elle eft toujours, &elle embraffe dans fon immenfité & dans fonéternité tout ce qui exiftë.

Je vois de l'ordre dans l'univers j'obfervefur-tout cet ordre dans les parties que je con-nois le mieux. Si j'ai de l'intelligence moi-même

9je ne l'ai acquife qu'autant que les idées dansmon efprit, font conformes à l'ordre des chofeshors de moi; & mon intelligence xi'eft qu'unecopie, & une copie bien foible de l'intelligenceavec laquelle ont été ordonnées les chofes queje conçois, & celles que je ne conçois pas. Lapremière caufe eft donc intelligente elle a tout

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ordonné par-tout & de tout temps; & fon in-telligence, comme fon immenfité & fon éter».nité embraffe tous les temps & tous les lieux.

Puifque la premiere càufe eft indépendanteielle peut ce qu'elle veut; & puisqu'elle eft in-telligente, elle veut avec connoiffance & parconféquent avec choix elle eft libre.

Comme intelligente,elle apprécietout; commelibre elle agit en conféquence. Ainfi d'aprèsles idées que nous nous fommes faites de fonintelligence & de fa liberté, nous nous formonsune idée de fa bonté, de fa juftice, de fa mifé-ricorde, de fa providence, en un mot. Voilàune idée imparfaite de la Divinité. Elle ne vient& ne peut venir que des fens mais elle fe dé-veloppera d'autantplus que nous approfondironsmieux l'ordre que Dieu a mis dans fes ouvrages.( Cours d'Etude Leçons prélim. art. S. Traité de,~

Anim. chap, Ç.

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CHAPITRE VIContinuation du même fujet.

« AAîons &Jt-rE mouvement confidéré comme caufe de

fcïbitudes. quelque effet fe nomme action. Un corps quife meut, agit fur l'air qu'il divife & fur lescorps qu'il choque mais ce n'eft là que l'aftiond'un corps inanimé.

L'aflioh d'un corps animé eft également dansle mouvement.Capable de différens mouvemensfuivant la différence des organes dont il a étédoué, il a différentes manieres d'agir & chaqueefpece a dans fon aftion comme dans fon or-ganifation, quelque chofe qui lui eu propre.

Toutes ces aftions tombent fous les fens Se11 fuffit de les; obferver pour s'en faire une idée.Il n'eft pas plus difficile de remarquer commentle corps prend ou perd des habitudes car cha-

cun fçait par fa propre expérience, que ce qu'ona fouvent répété on le fait fans avoir befoind'y penfer & qu'au contraire on ne fait plus

avec la même facilité ce qu'on a cefle de fairependant quelque temps. Pour contracter une ha-bitude, il fuffit donc de faire &c de refaire à plu-fieurs reprifes &: pour la perdre, il fuffit dç

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he pïus faire. ( Coursd'Etude Leç. prélim, art. j.Traité des Anim. part. z chap. i. )

Ce font les actions de l'ame qui déterminent D'après lescelles du corps; & d'après celles-ci, qu'onvoit, `~°i's du

on juge de celles-là, qu'on -ne voit pas. Il fuffit gedesaâioœsd .< r.' < r d fide ame.d'avoir remarque ce qu on fait loriqu on defire de l'ame.

ou qu'on craint pour appercevoir dans les

mouvemens des autres leurs defirs ou leurs crain-tes. Oeil ainfi que les avions du corps repré-fentent les a&ions de l'ame & dévoilent quel-quefois jufqu'aux plus fecretes penfées. Ce lan-gage eft celui de la nature il eft le premier, leplus expreffif, le plus vrai & nous verrons quec'eft d'après ce modèle que nous avons apprisà faire des langues.

Les idées morales paroiffent échapper aux ic^es fie j^fens elles échappent du moins à ceux de ces vertu & du

philofophes qui nient que nos connoiffances vice.

viennent des fenfations. Ils demanderoient vo-lontiers de quelle couleur eft la vertu de quellecouleur eft le vice. Je réponds que la vertu con-Me dans l'habitude des bonnes aftions commele vice confifte dans l'habitude des mauvaifes.Or ces habitudes & ces actions font vifibles.

Mais la moralité des avions eft-elle une chofe Idée de lab r. Ir P d ,moralité desqui tombe fous les fens ? Pourquoi donc n'y X«f deS

tomberoit-elle pas ? Cette moralité confifle uni-quement dans la conformité de nos avions avec

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les loix or ces avions font vifibles & les loixle font également puifqu'ellesfont des convenutions que les hommes ont faites.

Si les loix dira-t-on îont des conventions;elles font donc arbitraires. Il peut y en avoird'arbitraires il n'y en a même que trop maiscelles qui déterminent fi nos allons font bonnesou mauvaifes, ne le font pas, & ne peuvent pasl'être. Elles font notre ouvrage, parce que cefont des conventions que nous avons faites ce-pendant nous ne les avons pas faites feuls lanature les faifoit avec nous, elle nous les dic-toit, & il n'étoit pas en notre pouvoir d'en faired'autres. Les befoins & les facultés de l'hommeétant donnés, les loix font données elles-mêmes;& quoique nous les faŒons, Dieu, qui nousa créés avec tels befoins & telles facultés, eft,dans le vrai, notre feul légiflateur. En fuivantces loix conformes à notre nature c'eSt doncà lui que nous oLéiffons; & voilà ce qui achevéla moralité des actions.

Si, de ce que l'hommeeft libre, on juge qu'ily a fouvent de l'arbitraire dans ce qu'il fait, laconféquence îera jufle mais fi l'on juge qu'il n'ya jamais que de l'arbitraire, on fe trompera.Comme il ne dépend pas de nous de ne pasavoir les befoins qui font une fuite de notrejconfbrmation~ il ne dépend pas de nous de n'être,

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bas portés à faire ce à quoi nous fommes déter-minés par ces befoins & fi nous ne le faifons

pas, nous en fommes punis. ( Traité des Anirr~

p~rt. x chap. 7. )

CHAPITRE VII.~Inal,~fe des facultés de l'ame~

Nousavons vu comment la nature nous ap- c'ea à fa-

d à r.' 1, 1 1". d b. 1". fibl na!yfe à nousprend à faire 1 analyfe des objets fenfibles &: ~Xnous donne, par cette voie, des idées de toutes ~"°~ e~.

efpeces. Nous ne pouvons donc pas douter queprit,

toutes nos connoiffances ne viennent des fens.Mais il s'agit d'étendre la fphere de nos con-

noiffances. Or fi pour Pétendre nous avonsbefoin de fçavoir conduire notre efprit, on con-çoit que pour apprendre à le conduire il lefaut connoître parfaitement. Il s'agit donc de dé-mêler toutes les facultés qui font enveloppéesdans la faculté de penfer. Pour remplir cet objet,& d'autres encore quels qu'ils puiffent êtrenous n'aurons pas à chercher, comme on a faitjusqu'à préfent, une nouvelle méthode à chaqueétude nouvelle l'analyfe doit fuffire à toutes,fi nous fçavons l'employer.

C'eft l'ame feule qui connaîtparce que c'eft

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&«ia"S ^ame. feule qui fent & il n'appartient qu'à elfc~ans lafacul.té de fentir, de taire l'analyfe de tout ce qui lui eft connutoutes les fa-cuites de l'a- par fenfation. Cependant comment apprendra-me' t-elle à fe conduire fi elle ne fe connoît pas elle-

même, fi elle ignore tes facultés ? Il faut donc,,comme nous venons de le remarquer qu'elles'étudie il faut que nous découvrions toutes lesfacultés dont elle eft capable. Mais où les dé-couvrirons-nous, finon dans la faculté de fentir?aCertainementcette faculté enveloppetoutes cellesqui peuvent venir à notre connoiffance. Si cen'eft que parce que l'ame fent, que nous con-noiffons les objets qui font hors d'elle connoî-trons-nous ce qui fe paffe en elle autrementque parce qu'elle font ? Tout nous invite doncà faire l'analyfe de la faculté de fentir effayons.

Une réflexion rendra cette analyfe bien facilec'efl que, pour décompofer la faculté de fentir,il fuffit d'obferver fucceffivement tout ce qui s'y,

paffe lorfque nous acquérons une connoiffancequelconque. Je dis une connoiffance quelconqueparce que ce qui s'y paffe pour en acquérirplu-fieurs, ne peut être qu'une répétition de ce quis'y eft paffé pour en acquérirune feule.

attention. Lorfqu'une campagne s'offre à ma vue, je voistout d'un premier coup d'oeil & je ne difcernerien encore. Pour démêler différens objets &me faire une idée diftinae de leur forme & de

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leur htuation, il taut que j'arrête mes regardsfur chacun d'eux c'ell ce que nous avons déjàobservé. Mais quand j'en regarde un les autresquoique je les voie encore, font cependant, parrapport à moi comme fi je ne les voyois plus& parmi tant de fenfations qui fe font à-la-foisil femble que je n'en éprouve qu'une, celle del'objet iur lequel je fixe mes regards.

Ce regard eft une.sl.Ç.tL<lli.,par laquelle mon œ'Itend à l'objet fur lequel il fe dirige par cetteraifon je lui donne le nom d'~tte~ztior~ & ilm'éft évident que cette diredion de l'organeefttoute la part que le corps peut avoir à l'atten-tion. Quelle eft donc la part de l'ame ? Une fen-fation que nous éprouvons comme fi elle étoitfeule parce que toutes les autres font commefi nous ne les éprouvions pas.

L'attention que nous donnons à un objet, n'effdoncde la part de. l'ame que la îenfation quecet objet fait fur nous; Íèn1àtion qui devient enquelque forte excltifive; & cette faculté eft lapremiere que nous remarquons dans la acuité deientir.

Comme nous donnons notre attention à un r compa-objet, nous pouvons la donner à el euxà- 1 a. f". OIS. ""°"'Alors au lieu d'une feule {enfatiÕi1-exc!lIfive,

>nous en éprouvons deux &: nous dirons que..nous les comparons, parce que nous ne les

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éprouvons exclufivement que pour les obferverl'une à côté de l'autre, fans être diftraits pard'autres fenfations or c'eft proprement ce quefignifie le mot comparer.

La comparaifon n'eft donc qu'une double at-tention elle confifte dans deux fenfations qu'onéprouve comme fi on les éprouvoit feules &qui excluent toutes les autres.

Un objet efl préfent ou abfent. S'il eft pré-fent, l'attention efl la fenfation qu'il fait aûuel-lement fur nous s'il eft abfent, l'attention eftle fouvenir de la fenfation qu'il a faite. C'eft àce fouvenir que nous devons le pouvoir d'exer-cer la faculté de comparer des objets abfenscomme des objets préfens. Nous traiterons bien-tôt de la mémoire.

le juge- Nous ne pouvons comparer deux objets, ou'mej& éprouver comme l'une à côté de l'autre les

deux fenfations 'qu'ils font exclufivement furnous, qu'auffi-tôt nous n'appercevions qu'ils fereffeniblent ou qu'ils different. Or, appercevoirdes reffemblancesou des différences, c'eft juger.Le jugement n'efl donc encore que fenfations.( Grammaire, part, i ch. 4. )

La réfle-Si, par un premier jugement, je connois un

XIon- rapport pour en connoître un autre j'ai be-.foin d'un fecond jugement. Que je veuille parexemple fçavoir en quoi deux arbres différent

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j'en observerai tuccefïivement la forme, la tige,les branches les feuilles, les fruits &c. jecomparerai fucceffivement toutes ces chofes jeferai une fuite de jugemens & parce qu'alors

mon attention réfléchit., en quelque forte d'unobjet fur un objet,' je dirai que je réfléchis. Laréflexion n'eft donc qu'une fuite de jugemensqui fe font par une fuite de comparaifons; 6epuifque dans les comparaifons & dans les juge-

mens il n'y a que des fenfations, il n'y a doncaufiï que des fenfations dans la réflexion.

Lorfque par la réflexion on a remarqué les ~B'M"qualités par eu les objets différent, on peut,par la mcme réflexion, raffembler dans un feulles qualités qui font féparees dans plufieurs. C'cftainfi qu'un poëte fe fait, par exemple l'idée d'unhéros qui n'a jamais Alors les idées qu'onfe fait font des images qui n'ont de réalité quedans l'efprit & la réflexion qui fait ces images,prend le nom d'M~'o/2.

Un. jugement que je prononce peut en renfer- Le raifonne'

mer implicitement un autre que je ne prononce ment.

pas. Si je dis qu'un corps eft pefant je dis im-plicitement que 1Î on ne le foutier.t pas il tom-bera. Or, lorfqu'un fecond jugementefl ainfi ren-fermé dans un autre on le peut prononcer com-me une fuite du premier & par cette raifon ondit qu'il en eft la conféquence. On dira, par

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exemple Cette voûte ejl bien pefante donc Jielle neft pas ajèç foutenue elle tombera. Voilàce qu'on entend par faire un raifonnement cen'eft autre chofe que prononcer deux jugemensde cette efpece. Il n'y a donc que des fenfationsdans nos raifonnemens comme dans nos juge-mens.

Le fecond jugement du raiionnementque nousvenons de faire eft fénfiblement renfermédansle premier & c'eft une conféquence qu'on n'apas befoin de chercher. Il faudroit au contrairechercher fi le fecond jugement ne fe montroitpas dans le premier d'une maniere auffi fenfible;c'eft-à-dire qu'il faudroit en allant du connu àl'inronnu, paffer, par une fuite de jugemens in-termédiaires, du premier jufqu'au dernier, &les voir tous fucceffivement renfermés les unsdans les autres. Ce jugement, par exemple Lemercure fefoutientà une certaine hauteur dans letube d'un barometre eft renfermé implicitementdans celui-ci L'air ejlpefant. Mais parce qu'onne le voit pas tout-à-coup il faut, en allant duconnu à l'inconnu découvrir, par une fuite dejugemens intermédiaires que le premier eft uneconféquence 'du fecond. Nous avons déjà faitde pareils raifonnemens nous en ferons encore& quand nous aurons contrafté l'habitude d'enfaire il ne nous fera pas difficile d'en démêler

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tout l'artifice. On explique toujours les chofesqu'on fçait faire commençons donc par raifon-

ner [a].Vous voyez que toutes les facultés que nous L'entende-ment.

venons d'observer, font renfermées dans la fa-culté de fentir. L'ame acquiert par elles toutesfes connoitfarices par elles elle entend les cho-fes [qu'elle étudie en quelque forte comme parl'oreille elle entend les fons c'eft pourquoi laréunion de toutes ces facultés fe nomme enten-dement. L'entendement comprend donc l'atten-tion, la comparaifon, le jugement, la réflexion,l'imagination& le raifonnement. On ne fçauroits'en faire une idée plus exafte. ( Cours d'Etude,Leçonsprél. art. 2. Traité des Anim.part.z ch. 3.)

[a] Je me fouviens qu'on enfeignoit au College que l'an'de raifonner conjtfle à comparer enfemble deux idées par le

moyen d'une troifieme. Pour juger, difoit-on fi l'idée Arenferme ou exclut l'idée B prene^ une troifieme idéeC, àlaquelle vous les comparerez fuccejfivementl'une & l'autre.Si l'idée A .eft renfermée dans l'idée C & l'idée C dansl'idée B conclue^ que l'idée A ejl renfermée dans l'idée B.Si l'idée A efl renfermée dans l'idée C & que l'idée C ex-clue l'idée B conclue^ que l'idéeA exclut l'idée B. Nous neferons aucun uiage de tout cela.

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CHAPITRE VIII.Continuation dat MC/7.!e~

ENéonfidérant nos Tentations comme repré-

fentativés nous en avons vit naître toutes nosidées & toutes les opérations de l'entendementil nous les confidérons COJl1!!le agréables ou dé-

agt4éàble~ nous en verrons naître toutes lesopérations qu'on rapporte à la volonté.

te befom. Quoique jpar fotiffrir, on entende proprementéprouver une fenfâtiori désagréable il cil cer-tain que la privation d'une fen-fation agréable eftune foüffranceplus ou moins grande. Mais l fautremarquer qtt'é'tr~ privé & manquer, ne iigni-.pas la même cliofe. Oii peut n'avoir jamaisjoui des choses dont on manque on peut mêmene les pas connaître. Il en ell tout autrement deschoies dont nous fommes privés non-feulementnous les connoifions, mais encore nous hommesclàns l'habitade d'en jouir, ou du moins d'ima-giner le plaifirqüe la jouiuance peut promettre.Or une pareille privation eft une fotieancequ'on nomme plus particulièrementyefoirz. Avoirbefoin d'une chofe c'efl fbuffrir parce qu'onen efl privé.

~mai- Cette fouffrance, dans fon plus faible degré,

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eft moins une douleur qu'un état ou nous nenous trouvons pas bien, ou nous ne fommes pasà notre aife je nomme cet état mal-aïfe,

Le mal-aifenous porte à nous donner des mou- L'mquieM.

vemens pour nous procurer ,la chofe dont nousde.

avons befoin. Nous ne pouvons donc pas refierdans un parfait repos & par cette raifon lemal-aife prend le nomd'inquiétude. Plus nous trou-vons d'obflacles à jouir plus notre inquiétudecroît; & cet état peut devenir un tourment.

Le befoin ne trouble notre repos ou ne pro- Le delir,duit l'inquiétude que parce qu'il détermine lesfacultés du corps & rie Famé fur les objets dontla privation nous fait fouffrir. Nous nous retra-çons le plaifir qu'ils nous ont fait la réflexion

nous fait juger de celui qu'ils peuvent nous faire

encore l'imagination l'exagere & pour jouir

nous nous donnons tous les mouvemens dontnous fommes capables. Toutes nos facultés fedirigent donc fur les objets dont nous fentonsle befoin & cette direction eft proprement ceque nous entendonspar <

Comme il eft naturel de fe faire une habitude Les pâmonsjouir des chofes agréables il efl naturel auffide fe faire une habitude de les defirer & lesdefirs tournés en habitudes, fe nomment pa~ons.De pareils defirs font en quelque forte perms-nens ou du moins, s'ils fe iufpendent par mter-

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valles ils fe renouvellent à la plus légere occa-fion: Plus ils font vifs, plus les payions fontviolentes.

t'sfp<<rance. Si lorfque nous defirons une chofe nousjugeons que nous l'obtiendrons alors ce juge-ment joint au defir, produit l'espérance. Un

1." < c!onte. autre jugement produira la volonté c'eft celuique nous portons, lorfque l'expérience nous afait une habitude de juger que nous ne devonstrouver aucun obstacle à nos defirs. Je veux~gnifie je defire, & rien ne peut s'oppofer â tnond fr; totit y doit concourir.

Autt-caccep- Telle eft au propre l'acceptiondu mot volonce'.tion (t,' -Mais on eft dans l'usage de lui donner une figni-

fication plus étendue & l'on entendpar volonré:J

une faculté qui comprend toutes les habitudesqui naiitent du befoin, les defirs les paflionsl'efpérance, Je défefpoir, la crainte, la cOW1ance

a~Ufi

la préfomption, & plufieurs autres, dont il eft6: cite de fe faire des idées.

~penfee. ,Enfin le rncat penfée,plus général encore, com-prend dans fon acception toutes les facultés del'entendement& toutes celles de la volonté. Carpenfer, c'eft fentir, donner fon attention, com-parer juger, réfléchir, imaginer, raifonner, de-firer, avoir des panions, efpérer, craindre, &c.

Ti.aité des ~lrzirn. part. 2 clzap. 8, <S' ro.Nous avons expliqué comment les facultés de

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1"ame naiffent fucceffivement de la tentation &on voit qu'elles ne font que la fenfation qui fetransforme, pour devenir chacune d'elles.

Dans la feconde Partie de cet Ouvrage nousnous propofons de découvrir-tout l'artifice duraifonnement. Il s'agit donc de nous préparer àcette recherche & nous nous y préparerons eneffayant de raifonner fur une matière qui eflfimple & facile quoiqu'on foit porté à en jugerautrement quand on penfe aux efforts qu'on afaits jusqu'à préfent pour l'expliquer toujoursfort mal. Ce fera le fujet du Chapitre fuivant.

CHAPITRE I X.

Des eai f s de lafenfibilité & de la mémoire.IL

n'eft pas poffible d'expliquer en détail toutesles caufes phyfiques de la fenfibilité & de lamémoire. Mais, au lieu de raifonner d'après defauffes hypothefes, on pourroit confulter l'ex-périence & l'analogie. Expliquonsce qu'on peutexpliquer, &: ne nous piquons pas de rendre rai-fon de tout.

Les uns fe repréfentent les nerfs comme des Fames hy:

cordes tendues capables d'ébranlemens & de pothefes.

vibrations & ils croient avoir deviné la caufedes fenfations & de la mémoire. Il eft évident

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que cette fuppofition eft tout-à-fait imaginaire.D'autres difent que le cerveau eft une ftibf-

tance molle dans laquelle les esprits animauxfont des traces. Ces traces fe confervent lesefprits animaux paffent & repaffent l'animal eftdoué de fentiment & de mémoire. Ils n'ont pasfait attention que fi la fubftance du cerveau eft

N affez molle pour recevoir des traces, elle n'aurapas affez de confiftance pour les conferver; &ils n'ont pas conlidéré combien il eft impoffiblequ'une infinité de traces fubfiftent dans une fubf-tance ou il y a une aftion, une circulation con- I

tinuelles. I

C'eft en jugeant des nerfs par les cordes d'un |initrument, qu'on a imaginé la première hypo- Ithefe & l'on a imaginé la féconde en fe re- 1

préfentant les impreffions qui fe font dans le 1

cerveau par des empreintes fur une furface dont 1

toutes les parties font en repos. Certainement Ice n'eft pas là raifonner d'après l'obfervation Ini d'après l'analogie c'eft comparer des chofes Iqui n'ont point de rapport. 1

ïi y a dans J'ignore s'il y a des efprits animaux j'ignore Imoiveien? même fi les nerfs font l'organe du fentiment. Je Imnuvementqui eft le ne connois ni le tiffu des fibres ni la nature Iprmcipedela

'1 d 11 .d mvégétation. des ioiides ni ceile des fluides je n ai en un I

mot de tout ce mécanifme qu'une idée fort Iimparfaite & fort vague. Je fçais feulement qu'il 1

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y a un mouvement qui elt le principe de lavégétation & de la fenfibilité que l'animal vittant que ce mouvement fubfifte qu'il meurt dès

que ce mouvement cefle.L'expériencem'apprend que l'animal peut être

réduit à un état de végétation il y eft natu-rellement par un fommeil profond il y èifi: ac-cidentellement par une attaque d'apoplexie.

Je ne forme point de conjectures fur le mou-vement qui fe fait alors en lui. Tout ce que nousfçavôns c'e'ft que le fârig circule, que les vif-ceres & les glandes font les fondions néceflarrespour entretenir & réparer les forces mais nousignorons par quelles loix le mouvement operetous ces effëts. Cependant ces loix exiftent, &elles font prendre ail mouvement lès détermi-nations qui font végéter l'animal.

Mais quand l'animal fort de l'état de végé-Les déter-tation pour devenirfenfîble, le mouvement obéit minations

à d'autres loix & fuit de nouvelles détermina- Î2eZ™T~a autres OlX, IUlt e ;.louve es etè'rir.i1na- vement e!1:tidns. 'Si l'œil, par exemple, s'ouvre à la lu- f"fcePtible

»tiôns. ~1 f0é11, par exëmple s'ouvre à la lu- fufceptible.

r font les cau-rmére, lès rayons qui le frappent, font prendre fesdeiafen-

au mouvement qui ïe'fàifoit végéter, lès déter- fib¡hte.

minations qui le rendent férifible. il en eft demême des autres fens. 'Chaque éfpéce de fenti-ment a donc pour caufe une ëfpece particulièrede détermination dans le mouvement qui eft leprincipe de la vie.

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On voit par-là que le mouvement qui rendl'animal fenfible ne peut être qu'une modifica-tion du mouvement qui le fait végéter modi-fication occafionnée par l'aûion des objets furles fens.

Cesdétermî- Mais le mouvement qui rend fenfible, ne fenations paf- r.' 1". 1 d l, 1" l'feotdeîorga- fait pas feulement dans l'organe expofé à lac-nes au cer- tion des objets extérieurs il fe tranfmet encoreveau.jufqu'au cerveau, c'eft-à-dire jufqu'à l'organe

que l'obfervation démontre être le premier &le principal reffort du fenti-ment. La fenfibilité

a donc pour caufe la communicationqui efl entreles organes & le cerveau.

En effet, que le cerveau, comprimépar quel-que caufe, ne puiffe pas obéir aux impreffionsenvoyées par les organes auiïi-tôt l'animal de-vient infenfible. La liberté eft-elle rendue à cepremier reffort ? alors les organes agiffent fur I

lui il réagit fur eux, & le f èntiment fe re-I

produit. °

Quoique libre, il pourroit arriver que le cer-veau eût peu, ou que même il n'eût point decommunicationavec quelque autre partie. Uneobftruâion, par exemple, ou une forte ligatureau bras, diminueroitou fufpendroitle commercedu cerveau avec la main. Le fentiment de la f

main s'affoibliroit donc, ou cefferoit entièrement.Toutes ces propofitions font constatées par

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les obfervations je n'ai fàitjque les' dégager detoute hypothefe arbitraire c'étoit le feul moyende les mettre dans leur vrai jour.

Dès que les différentes déterminations don- Nousnefen<1 tons qu'au-

nées au mouvement qui fait végéter, font l'uni- tant que nosorganes tou-que caufe phyfique & occafionnelle de la fen- chfntoufont

fibilité il s'enfuit que nous ne fentons qu'au- t?uchés-

tant que nos organes touchent ou font touchés& c'eft par le contaft que les objets en agif-fant fur les organes communiquent au mouve-ment qui fait végéter, les déterminations quirendent fenfible. Ainfi l'on peut confidérer l'odo-rat, l'ouïe la vue & le goût, comme des ex-tenfions du taft. L'œil ne verra point, fi des corpsd'une certaine forme ne viennent heurter contrela rétine l'oreillen'entendrapas, fi d'autres corpsd'une forme différente ne viennent frapper letympan. En un mot, le principede la variété desfenfations eu. dans les différentes déterminationsque les objets produifent dans le mouvement,fuivant l'organifationdes parties expofées à leura&ion.

Mais comment le contacl: de certains corpuf- Nous ne fça.cules occafionnera-t.il les fenfations de fon de ment ce con-

lumière, de couleur ? On en pourroit peut-être £* f^litrendre raifon fi l'on connoiifoit l'effence de tio"s.

feiifa-

l'ame le mécanifme de l'œil de l'oreille, ducerveau la nature des rayons qui fe répandent

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fur la rétine, & de l'air qui frappe le tympan.Mais c'efl ce que nous ignorons & l'on peutabandonner l'explication de ces phénomenes àceux qui aiment à faire des hypothefes fur leschofes ou l'expérience n'eu d'aucun fecours.

De nou-Si Dieu formoit dans notre corps un nouvel

nesoXcc,°fifnI organe propre à faire prendre au mouvementmes occ~ifion- Oganeroient en de nouvelles déterminations, nous éprouverionsnous de nou-velles fenfa- des fenfations différentes de celles que noustion$

1". Clions,avons eues juiqu r a préfent. Cet organe nousferoit découvrir dans les objets des propriétésdont aujourd'hui nous ne fçaurions nous faire I

aucune idée. Il feroit une fource de nouveauxplaifirs, de nouvelles peines, & par conféquent I

de nouveaux befoins. I

Il en faut dire autant d'un feptieme fens, d'un ihuitième, Se de tous ceux qu'on voudra fup-1pofer, quel qu'en foit le nombre. Il efl certain Iqu'un nouvel organe dans notre corps rendroit Ile mouvement qui le fait végéter fufceptible Ide bien des modifications que, nous ne fçaurions Iimaginer. B

Ces fens feroient remués par des corpufcules Id'une certaine forme ils s'inftruiroient, comme §jles autres, d'après le toucher, &c ils appren-

Edrpient de lui à rapporter leurs fenfations fur Iles objets. Ef

Mais les fens que nous avons fuffifent à notreI

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;Confervation ils font même un tréfôr de con- Ceux quejnoiflances pour ceux qui fçavent en faire ufage; nous avons

nous u& fi les autres n'y puifent pas les mêmes richef- fent.

fes ils ne fe doutent pas de leur indigence.Commentimagineroient-ils qu'on voit dans desfenfations qui leur font communes, ce qu'ils n'yvoient pas eux-mêmes ?

L'a£Hon des fens fur le cerveau rend donc Commentl'animal ap-l'animal fenfible. Mais cela ne fuffit pas pour prend à fe

donner au corps tous les mouvemens dont il "oTônté!volonté.

enV capable; il faut encore que le cerveau agiffefur tous les mufcles & fur tous les organes in-térieurs deftinés à mouvoir chacun des mem-bres. Or l'obfervation démontre cette aâion ducerveau.

Par conféquent lorfque ce principal reffortreçoit certaines déterminationsde la part des fens

sil en communique d'autres à quelques-unes desparties du corps & l'animal fe meut.

L'animal n'auroit que des mouvemens incer-tains, fi l'action des fens fur le cerveau, & du

cerveau fur les membres, n'eût été accompagnéd'aucun fentiment. Mvi fans éprouver ni peinem plaifir il n'eût pris aucun intérêt aux mou-vemens de fon corps il ne les eût donc pasobièrvés il n'eût donc pas appris à les réglerîiâ-même.

Maisdèsqu'il efl invité par la peine ou par

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le plaifir, à éviter ou à faire certains mouve-mens, c'eft une conféquence qu'il fe fafle uneétude de les éviter ou de les faire. Il compareles fentimens qu'il éprouve il remarque les mou-vemens qui les précédent, & ceux qui les ac-compagnent il tâtonne, en un mot; & aprèsbien des tâtonnemens il contracte enfin l'habi-tude de fe mouvoir à fa volonté. C'eft alors qu'ila des mouvemensréglés. Tel eft le principe detoutes les habitudes du corps.

Comment Ces habitudes font des mouvemens réglésfon corps fi r. r..ÆfUbtafe de fC- font en nous fanS que nous P3roiffionsi habitude de )o., “]' Acemîwmou! *es difiger nous-mêmes; parce qu'à force de lescertains mou.vemens. avoir répétés, nous les faifons fans avo.r befoin

I

d'ypenfer.Ce font ces habitudes qu'on nomme1

mouvemens naturels, actions mécaniques inftincl I& qu'on fuppofe fauffement être nées avec nous.

IOn évitera ce préjugé, fi l'on juge de ces habi- 1tudes par d'autres qui nous font devenues tout

§auffi naturelles, quoique nous nous fouvenions 1de les avoir acquifes. H

La premier* fois, par exemple, que je porte1

les doigts fur un claveffin, ils ne peuvent avoirff

que des mouvemens incertains mais à mettre §jque j'apprendsà jouer de cet infiniment je me

Ifais infenfiblementune habitude de mouvoir mes

Idoigts fur le clavier. D'abord ils obéiflent avec

Ipeine aux déterminations que je veux leur faire

1

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prendre peu à peu ils furmontent les ôbflaèlesenfin ils fe meuvent d'eux-mêmes à ma volonté,ils la préviennentmême, & ils exécutent un moi-ceau de mufique pendant que ma réflexion feporte, fur toute autre chofe~

Ils contradent donc l'habitude de fe mouvoirfuivant un certain nombre de déterminations;& comme il n'efl point de touche par où unair nepuiffe commencer il n'eft point de déter-mination qui ne puiue être la première d'unecertaine fuite. L'exercice combine tous les joursdifféremment ces déterminations les doigts ac-quierent tous les jours plus de facilité :.enfin.ils obéiuent, comme d'eux-mêmes à une fuitede mouvemens déterminés & ils y obéirentfans effort" fans qu'il foit néceffaire que j'y Meattention. C'efl ainfi que les organes des fensayant contradé ~différentPs habitudes, ~e meuventd'eux-mêmes& que l'ame 'n'a plus befoin deveiller continuellement fur eux pour en réglerles mouvemens.

Mais le cerveau eft le premier organe c'e:G: Le Mr~~t

1coutraé"c aétin centre commun ou tous fe reumffent, & d ou pircii4e5 lia-

même, tous paroiirént naître. En jugeant doncfont la coure

du cerveau par les autres fens nous ferons en ~~1~;1(~netj occahonnei-droit de'concluire que toutes les habitudes du Je de la a~~

corps paffent jufqu'à lui & que par conséquent mOIre.

les fibres qui le compofent propres, par leuf

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flexibilité à des mouvemens de toute eïpéceacquierent, comme les doigts, l'habitude d'obéir*à différentes fuites de mouvemens déterminés*Cela étant le pouvoir qu'a mon cerveau deme rappeller un objet ne peut être que la faci-lité qu'il a acquife de fe mouvoir par lui-mêmede la même maniete -qu'il étoit mû lorfque cetobjet frappoit mes fens.

La caufe phyfique & occafionnelîe qui con*ferve ou qui rappelle les idées, eft donc dans lesdéterminations dont le cerveau ce principalorgane du fentiment, s'eft fait une habitude, &qui fubfiftent encore ou fe reproduifent, lorsmême que les: fens ceflfentd'y concourir. Car nousne nous retracerions pas les objets que nousavons vus, entendus, touchés fi le mouvementne prenoit pas les mêmes déterminationsque lors-que nous voyons, entendons touchons. En unmot, Pa&ion mécanique fuit les mêmes loix,

9foit qu'on éprouve une légation foit qu'on fefouvienne feulement de l'avoir éprouvée, Se lamémoire-n'eft qu'une maniere de fentin

tes idées J'ai fouvent ouï demander Que deviennent lesauxquelles • it i rr i *w n non ne penfe ldees dont on ceJje de s occuper r Ou Je eonferventpoint, ne font dks} &'°" tiennent-elles, lorfqu'elles fè reprê-nnlle Paft, fentent à nous ? EJi^ce dans l'ame qu'elles exijlent

pendant ces longs intervalles où nous n'y penfonspoint ? Ejl-ce dans le corps ?

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A ces queftions, & aux réponfes que fontles métaphyiiciens on croiroit que les idéesfont comme toutes les chôfes dont nous faifonsdes provifions & que là mémoire n'efi qu'unvafte magafin. Il feroit tout auffi raifônnable dedonner de l'exiflence aux différentes figures qu'un

corps a eues fucceflrvemënt & de demander tQue devitnt la rondéur de ce corps lorfqu'ilprend

une autre figure ? Où fe cohferve-t-elle ? Et lorf-

que ce corps redevient rond, d'où lui vient lârondeur ?a

Les idées font comme les fenfatîôns des nia*flieres d'être de l'âme. Elles exigent tant qu'ellesla modifient elles n'éxiftent plus dès qu'ellesceffent de la modifier. Chercher dans l'âme' cellesauxquelles je ne penfe point du tout c'efl leschercher ou elles ne fôht plus les chercherdans le corps, c'eft les chercher ou elles n'ontjamais ëtë* Où font-elles donc ? Nulle part.

Ne feroit^il pas abfurde de demander ou font Comment eî<les fe repc9~les fôhs d'un claveffin lorfque cet infirument duifent.

ceffe de réfonner? Et ne répondroit-on pas: Ilsne Johi nulle part mais Jî les doigts frappent leclavier & fi meuvent comme ils fe font mus ilsreproduiront les mêmes fohs.

Je répondrai dont que mes idée-8 ne fontnulle part, lorfque mon ame ceffe d'y penfermais qu'elles fe retraceront à moi auffi-tôt quç

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les mouvemens propres à les reproduire fe re«snouvelleront.

Quoique je ne connoifie pas le mécanifinedu cerveau je puis donc juger que fes diffé-rentes parties ont acquis la facilité de fe mou-voir d'elles-mêmes de la même maniere dontelles ont été mues par l'action des fens que leshabitudes de cet organe fe confervent quetoutes les fois qu'il leur obéit, il retrace lesmêmes idées parce que les mêmes mouvemensfe renouvellent en lui; qu'en un mot, on a desidées dans la mémoire comme on a dans lesdoigts des pieces de claveffin c'eft-à-dire quele cerveau a comme tous les autres fens lafacilité de fe mouvoir fuivant les déterminationsdont il s'eft fait une habitude. Nous éprouvonsdes fenfations, à peu près comme un claveffinrend des fons. Les organes extérieurs du corpshumain font comme les touches, les objets quiles frappent font comme les doigts fur le cla-vier, les organes intérieurs font comme le corpsdu claveffin les fenfations ou les idées fontcomme les fons & la mémoire a lieu lorfqueles idées qui ont été produites par l'action desobjets fur les fens font reproduites par les mou-vemens dont le cerveau a contracté l'habitude.

Tc-s t« Si la mémoire, lente ou rapide,retraceles cho-phénomènes r 0"-1- *o_t.. Ha,. nr. fideUmémoi- *es taïuot avec ordre, tantôt avec confufion»

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c'éft que la multitude des idées fuppofe dans le 1 s'expli-

cerveau des mouvemens en fi grand nombre, & hql1be~tt Pdar lesg habitudes dufi variés qu'il n'eft pas poffible qu'ils fe repro- cerveau.duifent toujours avec la même facilité & la mêmeexactitude.

Tous les phénomenes de la mémoire dépen-dent des habitudes contractées par les partiesmobiles & flexibles du cerveau; & tous les mou-vemens dont ces parties font Susceptibles, fontliés les uns aux autres comme toutes les idéesqu'ils rappellent font liées entre elles.

C'eft ainfi que les mouvemens des doigts furle clavier font liés entre eux, comme les fonsdu chant qu'on fait entendre que le chant eSt

trop lent, fi les doigts fe meuvent trop lente-ment & qu'il eft confus fi les mouvemens desdoigts fe confondent. Or comme la multitudedes pièces qu'on apprend fur le c1aveffin, nepermet pas toujours aux doigts de conferver leshabitudes propres à les exécuter avec facilité 6cnetteté de même la multitude des chofes donton veut Se relfouvenir,ne permet pas toujoursau cerveau de conferver les habitudes propresà retracer les idées avec facilité & préeiuon.

Qu'un habile organifte porté fans deffein lesmains fur le clavier lès premiers fons qu'il faitentendre déterminentfes doigts à continuer de femouvoir, & à obéiraune fuite de mouvemens qui

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produifent une fuite de fons dont la mélodie& l'harmonie l'étonnent quelquefois lui-même.Cependant il conduit fes doigts fans effort, fansparoître y faire attention,

C'eû. de la forte qu'un premier mouvementoccafionné dans le cerveau par l'aâion d'un objetfur nos fens, détermineune fuite de mouvemensqui retracent une fuite d'idées & parce quependant tout le temps que nous veillons, nosfens toujours expofés aux impreffions des ob-jets, ne ceffent point d'agir fur le cerveau ilarrive que notre mémoireeu toujours en a£ripn.Le cerveau,continuellementébranlé par les or-ganes, n'obéit pas feulement à l'impreffionqu'ilen reçoit immédiatement il qbéit encore à tousles mouvemens que cettepremièreimpreffipn doitreproduire. Il va par habitude de mouvementen mouvement, il devance l'a&ion des fens ilretrace de longues fuites d'idées il fait plus en-core; il réagit fur les fens avec vivacité, illeu»renvoie, les fènfatipns qu'ils lui, ont auparavantenvoyées & il nous perfuade que nous voyonsce. que nous ne voyons pas.

Ainfi donc que le.5. doigts confervent l'habi-tude d'une fuite, de mouvemens., & peuvent, àla plus légère oçcafion, fe mouvoir comme ilsfe font mus., le cerveau, conferve également feshabitudes ,j ayant vine. fois été .excité par l'ac«

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tion des fens il pafre de lui-même par les moiiyvemens qui lui font familiers., & il rappelle,des idées.

Mais comment s'exécutent ces mouvemens ?Commentfuivent-ils différentes déterminations ?>C'efi ce qu'il eft impoffible- d'approfondir. Simême on faifoit ces queftions fur les habitudes

que prennent les doigts je n'y pourrois pasrépondre. Je ne tenterai donc pas de me perdreà ce fujet en conjeftures. Il me fuffit de. jugerdes habitudes du cerveau par les habitudes de

chaque fens il faut fe contenter de connoître

que le même mécanifroe quel qu'il foit donneconferve 8c reproduit les idées.

Nous venons de voir que la mémoire a prin- La mémoire

dpalement fon fiege dans le cerveau il me pa- dansée fiegedans e ezr~

toit qu'elle l'a encore dams tous les organes de ^efof °fq- gtous les orga.

nos fenfations car rfle doit l'avoir par-tout où nesquitranf..

11. fc Il d dl mettent lçseft la caufe occafionnelle des idées que nous idées.nt les

nous rappellons. Or fi pour nous donner lapremiere fois une idée il a fallu que les fensaient agi fur le cerveau, il paroît que le fouvenirde cette idée ne fera jamais plus diftinft; quelorfqu?à fon tour le cerveau agira fur les fens.Ce commerce d'aélion eft donc néceflaire pourfiifciter Fidée d'une fenfation paffée comme ileft néceffaire; pour produire une fenfation ac-tuelle, En effet nous ne nous repréfentons par

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exemple, jamais mieux une figure, que lorfque

nos mains reprennent la même forme que le tactleur avoit fait prendre. En pareil cas la mémoirenous parle en quelque forte un langage d'avion.

La mémoire d'un air qu'on exécute fur uninflrument, a fon fiege dans les doigts, dansl'oreille & dans le cerveau dans les doigts,qui fe font fait une habitude d'une Milite de mou-vemens dans l'oreille qui ne juge les doigts,& qui, au befoin, ne les dirige que parce qu'elles'en: fait de fon côté une habitude d'une autrefuite de mouvemens & dans le cerveau, quis'etl- fait une habitude de paffer par les for mes

qui répondent exaftement aux habitudes desdoigts & à celles des oreilles.

On remarque facilement les habitudes queles doigts ont contractées on ne peut pas éga-lement obferver celles des oreilles moins en-core celles du cerveau mais l'analogie prouvequ'elles exigent.

Pourroit-onfçavoir une langue, fi le cerveaune prenoit pas des habitudes qui répondent àcelles des. oreilles pour l'entendre-, à celles dela, bouche pour la parler, à celles des yeux pourla lire Le fouvenir d'une langue n'eft donc pasuniquementdans les habitudes du cerveau il eft

encore dans les habitudes des organes de l'ouïe,d.9 la parole de la vue,

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D'après les principes que je viens d'établir, Explication

il feroit facile d'expliquer les fonges carles des Conges.

idées que nous avons dans le fommeil reffem-blent affez à ce qu'exécute un organifte lorf-que, dans des momens de diftraâion il laifTe

aller fes doigts comme au hafard. Certainementfes doigts ne font que ,ce qu'ils ont appris àfaire mais Ils ne le font pas dans le même or-dre ils coufent enfemble divers paffages tirésdes différens morceaux qu'ils ont étudiés.

Jugeons donc par analogie de ce qui fe paffedans le cerveau, d'après ce que nous obfervonsdans les habitudes d'une main exercée fur uninfiniment; & nous conclurons que les fonges I

font l'effet de l'aftion de ce principal organe furles fens lorfqu'au milieu du repos de toutes lesparties du corps, il conferveaffez d'aâivité pourobéir à quelques-unes de fes habitudes. Or, dès |qu'il fe meut comme il a été mû lorfque nous I¡

avions des fenfations, alors il agit fur les fens, 5

& auffi-tôt nous entendons & nous voyons 'c'efl ainfi qu'un manchot croit fentir la main ;f

qu'il n'a plus. Mais, en pareil cas, le cerveauretrace d'ordinaire les cîiofes avec beaucoup dedéfordre parce que les habitudes, dont l'aéionefl arrêtée par le fommeil, interceptentun grandnombre d'idées. • l

Puifque nous ayons expliqué comment fe j

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f,«»<t*aot*e contra&ent les habitudes qui font la mémoire~`~p~ ~~r° il fera facil~ de comprendre comment elles feeeffte $ &ra faciledecomprendre comment elles fe

vêwptfdfe perdent.E~ïcisde3.

Premièrement fi elles ne font pas continuel-lement entretenues, ou du moins renouvelléesfréquemment. Ce fera le fort de toutes cellesauxquelles les fens. cefferontde donner occafion.

En fecond lieu, fi elles fe multiplient à unçertain point car alors il y en aura que nousnégligerons. Auiïï nous échappe-t-il des connoif»fances à mefure que nous en acquérons.

En tcoifieme lieu une indifpofitioa dans le,

cerveau affoibliroit ou troubleroit la mémoirefi elle étoit un obftacle à quelques-unsdes mou-vemeni dont iL s'efl: fait une habitude. Alors il,

y auroit des chofes dont on ne conferveroitpoint de fouvenir il n'en refteroit même d'au-eune fi l'indifpofîtionempêchoit toutes les habi*tudes du cerveau,

Em quatrième lieu, une paralyfie dans, les or-»

ganes produiroit le même effet les habitudes du

cerveau ne m^nqueroient pas de fe perdre peuà, peu lorfquîelles, ne feraient plus entretenuespar l'aâiondes fens,

#Enfin la vieilleffe porte coup à la, mémoire,

Alofs les parties du cerveau font comme desdoigts qui ne font plus affez flexibles.pour feEievivoiri fwiyaftt toutes les déterminations, qui

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I leur ont été familières. Lés habitudes fe perdentS peu à peu il ne refte que des fenfations foiblesI qui vont bientôt échapper le mouvement qui

paroît les entretenir, eu, prêt à finir lui-même.Le principe phyfique 8ç. occasionnel, de la fea- Condafiais;

fibilité, eft do.nc uniquement dansr certaines dé-terminationsdont le mouvementqui fait végéterl'animal efl fufceptible &ç celui, de 1.3, mémoireell dans ces déterminations, lorfqu'ell.es,font de-venues autant d'habitudes. C'eft 'l'analogie quinous autorife à fuppofer que dans les organesque nous' ne pouvons pas obferver, il fe paflequelque chofe de fëmMable à ce que nous obfer-vons dans les autres. J'ignore par quel méca-nifme ma main a affez de flexibilité & de mo-bilité pour cbn#ac)er l'habitude de certaines dé-terminations de. niQuvernensimaJis je fçais qu'ily a en elle flexibilité mobilité, exercice ha-bitudes, & je fuppofe que tout cela fe retrouvedans le cerveau & dans les organes qui fontavec lui le fiege de la mémoire.

Par -là je n'ai fans doute qu'une idée très-imparfaite des caufes phyfiques & occafionnellesde la fenfibilité & de la mémoire j'en ignoretout-â-fait les premiers principes. Je connois qu'ily a en nous un mouvement, & je ne puis com-prendre par quelle force il efl produit. Je connoisque ce mouvement efl capable de différentes dé-

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terminations & je ne puis découvrir le méca-nifme qui les regle. Je n'ai donc que l'avantaged'avoir dégagé de toute hypothefe arbitraire cepeu de connoiffance que nous avons fur unematiere des plus obfcures. C'eft, je penfe àquoi les phyficiens doivent fe borner toutesles fois qu'ils veulent faire des fyftêmes fur deschofes dont il n'eft pas poffible d'obferver lespremières caufes.

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SECONDE PAETIE.L'analyfe confédérée 'dans fes moyens &

dans fes effets ou l'art de raifonnerréduit à une langue bien faite»

131 o usconnoiflbns l'origine & la générationde toutes nos idées nAxs connoiffons égale-ment l'origine & la génération de toutes les fa-cultés de l'ame; & nous fçavons que l'analyfequi nous a conduits à ces connoiflances eft l'uni-

que méthode qui peut nous conduire à d'au-tres. Elle eft proprement le levier de l'efprit.Il la faut étudier & nous allons la confidérerdans fes moyens & dans fes effets.

CHAPITRE PREMIER.Comment les connoiffances que. nous devons à la

nature formentun fyjlême ou toutejl parfaite-ment lié; & commentnous nous égarons lorfaue

nous oublions fis leçons.

.Nousavons vu que par le mot dejir on ne Comment la

peut entendre que la direction de nos facultés nauire nous/• i i rî

apprend àiur les chofes dont nous avons befoin. Nous n'a- raifonner,en

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tëstaat elle- vons donc des denrs que parce que nous avon~âe no lt'ac ie des befoins à fatisfaire. Ainfi, befoins defirs,

e façui-tés. voilà le mobile de toutes nos recherches.

Nos befoins, & les moyens d'y fatisfaire, ontléur raison dans h conformation de nos orga-nes, & dans les rapports des chofes à cette con-formation. Par exemple, la màtiiere dont je fuisconformédétermine ies efpeces d'alimens dontj'ai befoin 8Z la maniere dont lés ptodü8:ionsfont confdrthées elles-mêmes,détermine cellesqui peuvent me fervit d'alimens.

Je ne puis avoir de toiitës ces diœétentes con~formations qu'une connoinanee bien imparfaite;je les ignore proprement mais l'expériencem'ap-prend 1'ufage des chofes qui me font abfolumentnéceuan-ës j'en fuis inilruit par le plaifirou parla douleur jé le fuis promptemeht il me feroitinutile d'en fçavoir davantage, 8e la nature bornelà fes leçons.

Nous voyons dans fes leçons un ~y~ême donttoutes les parties font parfaitementbien ordoir-nées. S'il y a en moi des befoins & des defirsil y a hors de moi des objets propres à les fatif-faire i5~ j'ai la faculté de les connaître & d'enjouir.Ce fyttê'me ré~"erre naturellement mes con~nôiffâiicès dans la fphere d'un petit nombre débesoins j 8t d'un petit nombre de chofes à mon

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fifage. Mais fi mes connoittances ne font pas nom»breufes elles font bien Ordonnées parce queje les ai acquifes dans l'ordre même de mes be-foins, & dans celui des rapports où les chofesfont à moi.

Je vois donc dans la fphêré de mes doflnoif-fances un fyftême qui correfpond à celui quel'Autetir de ma nature a fuivi en me formant î& cela n'eft pas étonnant car mes befoins &mes facultés étant donnés mes recherches tkmes connoiffances font données elles'-mêmeSé

Tout eft lié également dans l'un & l'autre fyf-tême. Mes organes, les fenfations que j'éprouve

$les jugemens que je porte, l'expérience qui lesconfirme ou qui les corrige forment l'un &tl'autre fyftême pour ma confervation; & il fem-ble que celui qui m*a fait, n*ait tout difpof^avec tant d'ordre, que pôitr veiller lui-mêmefur moi. Voilà le fyftêttle qu'il fàudfdi* étudier"

pour apprendre à raifonner.On ne fçauroit trop obfërvêf les facultés que

notre conformationnous donne 1'ufàge qu'ellenous en fait faire; en un mot on :'rie < fçàutoit

trop obferver ce que nous faifons Uniquementd'après elle. Ses levons, il nous fçav'iorts en pro-fiter, feroientla meilleure de toutes les logiques.

En effet, que nous apprend-elle ? A éviterce qui peut nous nuire, Se à rechercher ce qui

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peut nous être utile. Mais faudra-t-il pour -ceïâ

,que nous jugions de l'effence des êtres ? L'Au-teur de notre nature ne l'exige pas. Il fçait qu'iln'a pas mis ces effences à notre portée il veutfeulement que nous jugions des rapports que leschofes ont à nous, & de ceux qu'elles ont entreelles lorfque la connoiffance de ces dernierspeutnous être de quelque utilité.

Nous avons un moyen pour^uger de ces rap«*ports, & il eft unique; c'eft d'obferver les fen-fations que les objets font fur nous. Autant nosfenfations peuvent s'étendre, autant la fphere denos connoiirances peut s'étendre elle-même au*,delà, toute découverte nous eft interdite.

Dans l'ordre, que notre nature ou notre con-formation met entre nos befoins & les chofeselle nous indique celui dans lequel nous devonstudier les rapports qu'il nous eft effentiel detonnoître. D'autantplus dociles à fes leçons quenos befoins font plus preffans nous faifons ce,qu'elle nous indique de faire &. nous obfervonsavec ordre. Elle nous fait donc analyfer de bienbonne heure.

Comme nos recherches fe bornent aux moyensde fatisfaire au petit nombre de befoins qu'ellenous a donnés û nos premières obfervations ontété bien faites l'ufage que nous faifons des cho-fes les confirme auffi-tôt û elles ont été mal

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faites, ce même ufage les détruit tout auffi promp-tement, & nous indique d'autres obfervations àfaire. Ainfi nous pouvons tomber dans des mé-prifes, parce qu'elles fe trouvent fur notre che-min mais ce chemin eit celui de la vérité &il nous y conduit.

Obferver des rapports,confirmer fes jugemenspar de nouvelles obfervations ou les corriger

en obfervant de nouveau voilà donc ce quela nature nous fait faire & nous ne faifons quele faire & le refaire à chaque nouvelle connoif-fance que nous acquérons. Tel eft l'art de rai-sonner il efl fimple comme la nature qui nousl'apprend.

Il femble donc que nous connoiffions déjà cet Commentart autant qu'il eft pofrible de le connoître. Cela °"blii"" lesr leçons de laferoit vrai en effet, fi nous avions toujours été nature, nous

bl d 11. 1raiformonscapables de remarquer que c'eft la nature qui l'en- d'après" de

feigne & qui peut feule l'enfeigner car alors SeSifeha"

nous aurions continué comme elle nous a fait

commencer.Mais nous avons fait cette remarque trop tard

difons mieux nous la faifons aujourd'hui pourla premiere fois. C'eft pour la premiere fois quenous voyons dans les leçons de la nature toutl'artifice de cette analyfe, qui a donné aux hom-mes de génie le pouvoir de créer les fciences

3ou d'en reculer les bornes.

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Nous avons donc oublié ces leçons & c'effpourquoi,au lieu d'obferver les chofes que nousvoulions connoître nous avons voulu les ima-giner. De fuippofitions fauffes en ftippofitions fauf-fes nous nous fommes égarés parmi une mul-titude d'erreurs & ces erreurs étant devenuesdes préjugés, nous les avons prifes, par cetteraifon pour des principes nous nous hommes

donc égarés de plus en plus. Alors nous n'avonsfçu raifon,ner que d'après les mauvaifes habitudes

que nous avions contractées. L'art d'abufer desmots a été pour nous l'art de raifonner arbi-traire, frivole ridicule abfurde il a eu tousles vices des imaginations déréglées.

Pour apprendre à raifonner, il s'agit donc denous corriger de toutes ces mauvaifes habitudes& voilà ce qui rend aujourd'hui fi difficile cetart, qui feroit facile par lui-même. Car nous obéif-fons à ces habitudes bien plus volontiers qu'àla nature. Nous les appellons une feconde nature,pour excufer notre foibleffe ou notre aveugle-ment mais c'efi une nature altérée & cor-rompue.

Nous avons remarqué que pour contracterune habitude, il n'y a qu'à faire; & que pourla perdre il n'y a qu'à ceffer de faire. Il fembledonc que l'un foit auffi facile que l'autre &cependant cela n'eft pas. C'efi que, lorfque nous

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voulons prendre une habitude nous penfons

avant de faire & que lorfqtte nous la voulonsperdre nous avons fait avant d'avoir penfé.D'ailleurs, quand les habitudes font devenues ceque nous appelions une Seconde nature il nousefl prefque impoffible de remarquer qu'elles fontmauvaifes. Les découvertes de cette-efpece fontles plus difficiles auffi échappent-elles au plusgrand nombre.

Je n'entends parler que des habitudesde l'ef-prit car lorfqu'il s'agit de celles du-corps, toutle monde efl fait pour en juger. -L'expériencefuffit pour nous apprendre fi elles font utiles ounuifibles; & lorfqu'elles ne font ni l'un ni l'autre

“l'ufage en fait ce qu'il veut, & nous en jugeonsd'après lui.

Malheureufement les habitudes de l'ame fontégalement foumifes aux caprices de l'ufage quifemble ne permettre ni doute, ni examer. &elles font d'autant plus contagieufes,que l'efprit

a autant de répugnance à voir fes défauts quede pareffe à réfléchir fur lui-même. Les uns fe-roient honteux de ne pas penfer comme tout lemonde les autres trouveroient trop de fatigueà ne penfer que d'après eux; & fi quelques-uns

ont l'ambition de fe fingularifer, ce fera fouvent

pour penfer plus mal encore. En contradiction

avec eux-mêmes ils ne voudront pas penfer

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comme les autres, & cependant ils ne tolérerontpas qu'on penfe autrement qu'eux.

Erreurs où Si vous voulez connoître les mauvaifes nabi-ces J;i~t tudes de l'eiprit humain, obfcrvez les différentesdes nous font tudes de l'efprit humain obfervez les différentestomtcr. opinions des peuples. Voyez les idées faufles

contradictoires, abfurdes1 que la fuperftition a ré-pandues de toutes parts & jugez de la forcedes habitudes, à la paflîon qui fait refpefter l'er-reur bien plus que la vérité.

Confidérez les nations depuis leur commence-ment jufqu'à leur décadence, & vous verrez lespréjugés fe multiplier avec les défordres vousferez étonné du peu de lumière que vous trou-verez dans les ficelés même qu'on nomme éclai-rés. En général, quelles législations quels gou-vernemens quelle jurifprudence Combienpeude peuples ont eu de bonnes loix & combienpeu les bonnes loix durent-elles 1

Enfin fi vous obfervez l'efprit philofophiquechez les Grecs, chez les Romains, & chez lespeuples qui leur ont fuccédé vous verrez, auxopinions qui fe tranfmettentd'âge en âge com-bien l'art de régler la penfée a été peu connu danstous les fiecles & vous ferez furpris de l'igno-rance où nous fommes encore à cet égard fi vousconfidérez que nous venons après des hommes degénie qui ont reculé les bornes de nos connoif-fances. Tel efl en général le cara&ere des feues

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ambitieuses de dominerexclusivement, il eft rarequ'elles ne cherchentque4a vérité elles veulentfur-tout fe fingularifer. Elles agitent des queftionsfrivoles,elles parlent des jargons inintelligibles,elles obfervent peu, elles donnent leurs rêves

pour des interprétations de 'la nature enfinoccupées à fe nuire les unes aux autres & àfe faire chacune de nouveaux partifans ellesemploient à cet effet toutes fortes de moyens& facrifient tout aux opinions qu'elles veulentrépandre.

0La vérité eft bien difficile à reconnoître parmitant de fyftêmes monftrueux, qui font entretenuspar les caufes qui les ont produits; c'eft-à-dire

par les fuperftitions, par les gouvernemens, &par la manvaife philofophie. Les erreurs tropliées les unes aux autres, fe défendent mutuel-lement. Envain on en combattrait quelques-unes:il faudroit les détruire toutes à-la-fois c'eft-à-direqu'il faudroit tout-à-coup changer toutes les ha-bitudes de l'efprit humain. Mais ces habitudesfont trop invétérées les paflions qui nous aveu-glent, les entretiennent; & fi par hafard il eftquelques hommes capables d'ouvrir les yeux ?ils font trop foibles pour rien corriger les puif-fans veulent que les abtis & les préjugés durent.

Toutes ces erreurs paroiffentfuppoferen nous Uniqueautant de mauvaifes habitudes que de jugemens ™tuz

mettre de

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t'ordre rtans faux reçus pour vrais. Cependant toutes ont lapenfer. de même origine, & viennent également de l'habi-l'enfer.

tude de nous fervir des mots avant d'en avoirdéterminé la fignification & même fans avoirfenti le befoin de la déterminer. Nous n'obfer-

vons rien nous ne fçavons pas combien il fautobferver nous jugeons à la hâte fans nous ren-dre compte des jugemens que nous portons Se

nous croyons acquérir des connoiffances enapprenant des mots qui ne font que des mots.Parce que, dans notre enfance nous penfonsd'après les autres, nous en adoptons tous les pré-jugés Se lorfque nous parvenons à un âge oit

nous-croyons penfer d'après nous-mêmes, nouscontinuons de penfer encore d'après les autres;parce que nous penfons d'après les préjugés qu'ils

nous ont donnés. Alors, plus l'esprit femble fairede progrès, plus il s'égare, & les erreurs s'ac-cumulent de générations en générations. Quandles chofes font parvenues à ce point il n'y aqu'un moyen de remettre l'ordre dans la facultéde penfer; c'efl d'oublier tout ce que nous avonsappris de reprendre nos idées à leur origine

yd'en fuivre la génération, & de refaire, commedit Bacon l'entendementhumain.

Ce moyen eft d'autant plus difficile à prati-quer, qu'on fé croit plus inÍ1:ruit. Allai des ou-vrages ou les fciences feroient traitées avec une

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grande netteté, une grande précifion, un grandordre ne fcroient-ils pas également à la portéede tout le monde. Ceux qui n'auroient rien étu-dié, les entendroient bien mieux que ceux quiont fait de grandes études, & fur-tout que ceuxqui ont beaucoup écrit fur les fciences. Il feroitmême prefque impoffible que ceux-ci luffent depareils ouvrages comme ils demandent à êtrelus. Une bonne Logique feroit dans les efprits

une révolution bien lente, & le temps pourroitfeul en faire connoître un jour l'utilité.

VÔilà donc les effets d'une mauvaife éduca-tion ^jpèette éducation n'eft mauvaife queparce qu§ÉUe contrarie la nature. Les enfans fontdéterminés par leurs befoins à être obfervateurs& analyses & ils ont, dans leurs facultés naif-fantes, de quoi être l'un & l'autre ils le fontmême en quelque forte forcément tant que lanature les conduit feule. Mais auffi-tôt que nouscommençons à les conduire nous-mêmes nousleur interdifons toute obfervation & toute ana-lyfe. Nous fuppofons qu'ils ne raifonnent pasparce que nous ne fçavons pas raifonner aveceux; & en attendant un âge de raifon, qui com-inençoit fans nous & que nous retardons detout notre pouvoir nous les condamnons à nejuger que d'après nos opinions,nos préjugés &nos erreurs. Il faut donc qu'ils foient fans efprit

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ou qu'ils n aient qu'un efprit faux. Si quelques-uns fe distinguent c'efl qu'ils ont dans leur con-formation affez d'énergie pour vaincre tôt outard. les oMacles que nous avons mis au déve-loppement de leurs talens les autres font desplantes que nous avons mutilées jufques dans laracine &c qui meurent ftériles.

CHAPITRE Il.Comment le langage d'action anafyfe Upenfée.

Nous ne PkT r ,JPNous ne

™ ousne pouvons raifonrftrqu avec 1® moyensPOUV01"s aaa-lefem^en ^ui nous font donnés ou indiqués par la nature.le moyen'

Ad'un langage. Il faut donc obferver ces moyens, & tâcher dedécouvrir comment ils font fûrs quelquefois, &pourquoi ils ne le font pas toujours.

Nous venons de voir que la caufe de nos er-reurs eft dans l'habitude de juger d'après desmots dont nous n'avons pas déterminé le fens

nous avons vu dans la première Partie queles mots nous font absolument néceflaires pournous faire des idées de toutes efpeces & nousverrons bientôt que les idées abflraites Se gé-nérales ne font que des dénominations. Tout con-firmera donc que nous ne penfons qu'avec le iè-cours des mots. C'en eft affez pour faire com-

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prendre que l'art de raifonner a commencé avecles langues; qu'il n'a pu faire des progrès qu'au-

tant qu'elles en ont fait elles-mêmes & que parconféquent elles doivent renfermer tous les

moyens que nous pouvons avoir pour analyfer

bien ou mal. Il faut donc obferver les langues

il faut même, fi nous voulons connoître ce qu'el-

les ont été à leur naiifance, obferver le langage

d'aûlon d'après lequel elles ont été faites. C'eft

par où nous allons commencer.Les élémetisL '1'

du 1 ]< r*' font né8 Les élémensLes élémens du langage d adion font nés avec du langage

l'homme, & ces élémens font les organes que d'aaion fontinné5.l'Auteur de notre nature nous a donnés. Ainfi il

innés.

y a un langage inné, quoiqu'il n'y ait pointd'idées qui le foient. En effet il falloit que les

élémens d'un langage quelconque préparés d'a-

vance, précédaientnos idées parce que fans

des fignes de quelque efpece, il nous feroit im-

pofrible d'analyfer nos penfées pour nous ren-dre compte de ce que nous penfons, c'eft-à-dire,

pour le voir d'une maniere diftinde.Auffi notre conformation extérieure elt-elle

devinée à fepréfenter tout ce qui fe paire dans

l'ame elle eft l'expremon de nos fentimens &de nos jugemens & quand elle parle, rien nepeut être caché.

Le propre de l'adion n'eft pas d'analyfer. a,abor~âq~o~,q

C Il r Ir' d abord tOl1~Comme elle ne reprefente les fentimens que eft confus

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dans ce tm. parce qu'elle en eft l'effet elle repréfënte à-Ia-

ga§e' fois tous ceux que nous éprouvons au mêmeinfant, & les idées fimultanées dans notre pen-fée, font naturellement litnultanées dans celangage.

Mais une multituded'idées fimultanées ne fçau-roient être diftinftes qu'autant que nous nousfommes fait une habitude de les obferver les unesaprès les autres. C'eft à cette habitude que nousdevonsl'avantage de les démêler avec une promp-titude & une facilité qui étonnent ceux qui n'ontpas contrafté la même habitude. Pourquoi, parexemple, un muficien difHngue-t-il dans l'harmo-nie toutes les parties qui fe fônt entendre à-la-fois ? C'eft que fon oreille s'eft exercée à obfer-ver les fons & à les apprécier.

Les hommes commencent à parler le langaged'aâion aufli-tôt qu'ils fentent & ils le parlentalors fans avoir le projet de communiquer leurspenfées. Ils ne formeront le projet de le parlerpour fe faire entendre que lorfqu'ils auront re-marqué qu'on les a entendus mais dans lescommencemens ils ne projettent rien encoreparce qu'ils n'ont rien obfervé.

Tout alors efl donc confus pour eux dans leurlangage & ils n'y démêleront rien tant qu'ilsn'auront pas appris à faire l'analyfe de leurspenfées.

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Mais quoique tout foit confus dans leur lan-

gage, il renferme cependant tout ce qu'ils fen-

tent il renferme tout ce qu'ils y démêlerontlorsqu'ilsfçauront faire l'analyfe de leurs penfées,c'eft-à-dire, des defirs, des craintes, des juge-mens, des raifonnemens, en un mot, toutes lesopérations dont l'ame eft capable. Car enfin fi

tout cela n'y étoit pas; l'analyfe ne l'y fçauroittrouver. Voyons comment ces hommes appren-dront de la nature à faire l'analyfe de toutesces chofes.

Ils ont befoin de fe donner des i'ecours. Donc Commentenfuite il de.chacun d'eux à befoin de fe faire entendre, 8e v:eMuneme-

par conféquent de s'entendre lui-même. analy-,

D'abordils obéiffentà la nature & fans projet, tique.

comme nous venons de le remarquer, ils difentà-la-fois tout ce qu'ils fentent, parce qu'il eftnaturel à leur action de le dire ainfi. Cependantcelui qui écoute des yeux n'entendra pas s'il

ne décompofe pas cette aaion, pour en obferverl'un après l'autre les mouvemens.Mais il lui eitnaturel de la décompofer, & par conféquent illa décompofe avant d'en avoir formé le projet.Car, s'il en voit à-la-fois tous les mouvemens,il ne regarde au premier coup d'œil que ceux quile frappent davantage au fecond il en regarded'autres au troisième, d'autres encore. Il lesobferve donc jtucceuivementj & l'analyfe eneft faite,

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Chacun de ces hommes remarquera donc tôtou tard qu'il n'entend jamais mieux les autresque lorsqu'il a décompofé leur adion; & parconféquent il pourra remarquer qu'il a befoin

pour fe faire entendre, de décompoferla fienne.Alors il fe fera peu à peu une habitude de ré-péter, l'un après l'autre les mouvemens que lanature lui fait faire à-la-fois & le langage d'ac-tion deviendra naturellement pour lui une mé-thode analytique. Je dis une méthode parce quela ficcelioli des mouvemens ne fe fera pas ar-bitrairement & fans regles car l'avion étantl'effet des befoins & des-circonftances ou l'on fetrouve, il eft naturel qu'elle fe décompofe dansl'ordre donné par les befoins & par les circonf-tances & quoique cet ordre puiffe varier &varie, il ne peut jamais être arbitraire. C'eft ainfique, dans un tableau, la place de chaque per-fonnage, fon adion & fon caractère font déter-minés, lorfque le fujet eft donné avec toutes fescirconfiances.

En décompofant fon a8:ion, cet homme dé-compofe fa penfée pour lui comme pour lesautres; il l'analyfe, & il fe fait entendre,parcequ'il s'entend lui-même.

Comme l'action totale eft le tableau de toutela penfée les aûions partielles font autant detableaux des idées qui en font partie. Donc, s'il

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décompofe encore ces a&ions partielles, il dé-compofera également les idées partielles dontelles font les fignes, & ,il fe fera continuellementde nouvelles idées diftinâes.

Ce moyen l'unique qu'il ait pour analyferfa penfée pourra la développer jufques dansles moindres détails car les premiers fignes d'unlangage étant donnés on n'a plus qu'à confulterl'analogie elle donnera tous les autres.

Il n'y aura donc point d'idées que le langaged'aftion ne puiffe rendre & il les rendra avecd'autant plus de clarté & de précifion que l'ana-logie fe montrera plus fenfiblement dans la fuitedes fignes qu'on aura choifis. Des fignes abfo-lument arbitrairesne feroient pas entendus parceque, n'étant pas analogues, l'acceptiond'un figne

connu ne conduiroit pas à l'acception d'un figneinconnu. Auffi eSt-ce l'analogie qui fait tout l'ar-tifice des langues elles font faciles, claires Stprécifes à proportion que l'analogie s'y montred'une maniere plus fenfible.

Je viens de dire qu'il y a un langage .inné,quoiqu'il n'y ait point d'idées qui le Joient. Cettevérité, qui pourroit n'avoir pas été \faifie eftdémontrée par les obfervationsqui la fuivent &qui l'expliquent.

Le langage que je nomme inné efl un lan-

gage que nous n'avons point appris, parce qu'il

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eft l'effet naturel & immédiat de notre con-formation. Il dit à-la-fois tout ce que nous fen-

tons il n'eft donc pas une méthode analytique;il ne décompofe donc pas nos fenfations il nefait donc pas remarquer ce qu'elles renferment;il ne donne donc point d'idées.

Lorfqu'il eft devenu une méthode analytiquealors il décompofe les fenfations', & il donnedes idées mais comme méthode, il s'apprend& par conféquent, fous ce point de vue, il n'eftpas inné.p as inné..

Au contraire, fous quelque point de vue quel'on confidere les idées, aucune ne fçauroit êtreinnée. S'il eft vrai qu'elles font toutes dans nosfenfations il n'efl pas moins vrai qu'elles n'yfont pas pour nous encore, lorfque nous n'avonspas fçu les obferver & voilà ce qui fait que lefçavant & l'ignorant ne fe reffemblent pas parles idées, quoiqu'ayant la même organisation,ils fe reffemblent par la maniere de fentir. Ils fontnés tous deux avec les mêmes fenfations, commeavec la même ignorance mais. l'un a plus analyféque l'autre. Or, fi c'eft l'analyfe qui donne lesidées elles font acquifes puifque l'analyse s'ap-prend elle-même. Il n'y a donc point d'idéesinnées.

On. raifonne donc mal quand on dit Cetteidée eft dans nos fenfations; donc nous avons cette

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'idée & cependant on ne fe laffe pas de répéter

ce raifonnement. Parce que perfonne n'avoit en-

core remarqué que nos langues font autant deméthodes analytiques, on ne remarquoit pas quenous n'analyfons que par elles, & l'on ignoroit

que nous leur devons toutes nos connoifTances*.

Auffi la métaphyfique de bien des écrivains n'eft-elle qu'un jargon inintelligible pour eux commepour les autres.

CHAPITRE III.Comment les langues font des méthodes analytiques.

Imperfection de ces méthodes.

V/ n concevra facilement comment les lan- Les languesr d, h d 1. fi font autantgués font autant de méthodes analytiques, fi J"^$

l'on a conçu comment le langage d'aftion en eft analytiques.

une lui-même & fi l'on a compris que fans

ce dernier langage, les hommes auroient été dansl'impuiffance d'analyfer leurs penfées, on recon-noîtra qu'ayant ceffé de le parler ils ne les ana-lyferoient pas, s'ils n'y avoient fuppléé par lelangage des fons articulés. L'analyfe ne fe fait& ne peut fe faire qu'avec des fignes.

Il faut même remarquer que fi elle ne s'étoitpas d'abord faite avec les fignes du langage d'ac-tion, elle ne fe feroit jamais faite avec les fons

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articulés de nos langues. En effet commentun mot feroit-il devenu le figne d'une idée fi

cette idée n'avoit pas pu être montrée dans lelangage d'aâion ? Et comment ce langage l'au-roit-il montrée, s'il ne l'avoit pas fait obferverféparément de toute autre ?a

Elles ont Les hommes ignorent ce qu'ils peuvent, tantcommencé, <ïue l'expérience ne leur a pas fait remarquer cecomme ton que etiolT des6"" qu'ils font d'après la nature feule. C'eft pourquoitions deshommes ils n'ont jamais fait avec deffein que des chofesavant qu'oneût le projet qu ils avoient déja faites fans avoir eiue projetd'eniaire. de les faire. Je crois que cette obfervation fe

confirmera toujours & je crois encore que fielle n'avoit pas échappé, on raifonneroit mieux,qu'on ne fait.

Ils n'ont penfé à faire des analyfes qu'aprèsavoir obfervé qu'ils en avoient fait ils n'ontpenfé à parler le langage d'aûion pour fe faireentendre, qu'après avoir obfervé qu'on les avoitentendus. De même ils n'auront penfé à parleravec des fons articulés qu'après avoir obfervéqu'ils avoient parlé avec de pareils fons & leslangues ont commencé avant qu'on eût le projetd'en faire. C'eft ainiî qu'ils ont été poëtes ora-teurs avant de fonger à l'être. En un mot, toutce qu'ils font devenus ils l'ont d'abord été par

I

la nature feule; & ils n'ont étudié pour l'être 1que iorfqu'ils ont eu obfervé ce que la nature I

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leur avoit fait faire. Elle a tout commencé &toujours bien c'eft une vérité qu'on ne fçauroit

trop répéter.Les languesont été des méthodesexa&es tant Comment

qu'on n'a parlé que des chofes relatives aux be- ^.fthodls<lU on n a par e que es c oles re atlyes aux e-

{l'èSm":ÍlOdes

foins de premiere néceffité. Car, s'il arrivoitalors «aa«.de fuppofer dans une ânalyfe ce qui n'y devoit

pas être l'expérience ne pouvoit manquer de

le faire appercevoir. On corrigeôit donc fes er-reurs, & on parloit mieux.

A la vérité les langues étoient alors très-bor-nées mais il ne faut pas croire que, pour êtrebornées elles en fuffentplus mal faites il fe

pourroit que les nôtres le ftiffent moins bien. Eneffet, les langues ne font pas exaâes parce qu'el-les parlent de beaucoup de chofes avec beaucoupde confufion, mais parce qu'elles parlent avecclarté quoique d'un petit nombre.

Si, en voulant les perfeftionner,on avoit pucontinuer comme on avoit commencé on n'au-roit cherché de nouveaux mots dans l'analogie

que lorfqu'une analyfe bien faite auroit en effetdonné de nouvelles idées & les langues tou-jours exaftës auroient été plus étendues.

Mais cela ne fe pouvoit pas. Comme les hom- Comment

mes analyfoient fans le fçavoir ils ne remar- vëm.e^'deiTvetittes cles

emoient pas que, s'ils avoient des idées exactes, «Rhodes d«-

ils les devoient uniquement à l'analyfe. Ils nefeélllCL¡Ce..

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connoiffoientdonc pas toute l'importance de cetteméthode, & ils analyfoientmoins, à mefure quele befoin d'analyfer fe faifoit moins fentir.

Or, quand on fe fut affuré de fatisfaire aux

befoins de première néceffité on s'en fit de moinsnéceffaires de ceux là on pafla à de moinsnéceflaires encore & l'on vint par degrés à fefaire des befoins de pure curiofité des befoinsd'opinion enfin des befoins inutiles, & tousplus frivoles les uns que les autres.

Alors on fentit tous les jours moins la nécef-fité d'analyfer bientôt on ne fentit plus que ledefir de parler, & on parla avant d'avoir desidées de ce qu'on vouloit dire. Ce n'étoit plus letemps où les jugemens fe mettoient naturellementà l'épreuve de l'expérience. On n'avoit pas lemême intérêt à s'affurer fi les chofes dont onjugeoit, étoient telles qu'on l'avoit fuppofé. Onaimoit à le croire fans examen & un jugementdont on s'étoit fait une habitude devenoit uneopinion dont on ne doutoit plus. Ces méprifesdevoient être fréquentes parce que les chofesdont on jugeoit, n'avoient pas été obfervées& que fouvent elles ne pouvoient pas l'être.

Alors un premier jugement faux en fit porterun fecond & bientôt on en fit fans nombre:L'analogie conduifit d'erreurs en erreurs, parcequ'on étoit coriféquent.

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Voilà ce qui eu arrivé auxphilofophesmêmes.Il n'y a pas bien long-temps qu'ils ont apprisl'analyfe encore n'en fçavent-ils faire ufage quedans les mathématiques, dans la phyfique & dansla chymie. Au moins n'en connois-je pas quiaient fçu l'appliquer aux idées de toutes efpeces.Auffi aucun d'eux n'a-t-il imaginé de conlidérerles langues comme autant de méthodes ana-lytiques.

Les langues étoient donc devenues des mé-thodes bien défeâueufes.Cependantle commercerapprochoit les peuples qui échangeoienî enquelque forte, leurs opinions & leurs préjugés

comme les productions de leur fol & de leurinduftrie. Les langues fe confondoient & l'ana-logie ne pouvoit plus guider l'efprit dans l'ac-ception des mots. L'art de raifonnerparut doncignoré on eût dit qu'il n'étoit plus poffible del'apprendre.

Cependant, fi les hommes avoient d'abord étéplacés par leur nature dans le chemin des décou-vertes, ils pouvoient par hafard s'y retrouverencore quelquefois mais ils s'y retrouvoientfans le reconnoître parce qu'ils ne l'avoient ja*tnais étudié & ils s'égaroient de nouveau.

Auffi a-t-on fait, pendant des jtiecles de vains Si 1>O1»avo'tir 1 i t i .» t remarquéefforts pour découvrir les regles de 1 art de rai- que les 1™,

r Or' 1 d l Igues fon- au.fonner. On ne fçavoit ou les prendre Se on les tant r™££

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thodes analy- cherchoit dans le mécanifme du difcours mé-ro!î Ç.r canif rne qui laiffoit fubfifter tous les vices des<ii£('k f langues.£j*uaver les oregiesdci'art Pour les trouver il n'y avoit qu'un moyen;dsraifojm&r. c etoit d'obferver notre maniere de concevoir

& de l'étudier dans les facultés dont notre naturenous a doués. Il falloit remarquer que les lan-gues ne font dans le vrai, que des méthodesanalytiques méthodes fort défeâueufes aujour-d'hui, mais qui ont été exaâes & qui pourroientl'être encore. On ne l'a pas vu, parce que n'ayantpas remarqué combien les mots nous font nécef-fairespour nous faire des idées de toutes efpeces,on a cru qu'ils n'avoient d'autre avantage qued'être un moyen de nous communiquernos pen-fées. D'ailleurs, comme, à bien des égards leslangues ont paru arbitraires aux grammairiens &aux philofophes, il eft arrivé qu'on a fuppoféqu'elles n'ont pour règles que le caprice de l'u-fage c'eft-à-dire,que fouvent elles n'en ont point.Or toute méthode en a toujours & doit enavoir. Il ne faut donc pas s'étonner fi jufqu'àpréfentperfonne n'a foupçonné les langues d'êtreautant de méthodes analytiques. ( Cours d'Etude,Gramm. les. huit premiers Chapitres de la premiersPartie. )

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CHAPITRE IV.

De F influence des langues,

Puisque leslangues formées àmefure que Les languesIr f d d, h font nos con-nous analyfons, font devenues autant de métho- l°£j£°l™n~

des analytiques, on conçoit qu'il nous eft naturel nosopinions,i /• u i il- t « ii nos préjugés..de penfer d'après les habitudes qu'elles nous ont

nospréjugés,

fait prendre. Nous penfons par elles règles denos jugemens, elles font nos connoiffances nosopinions, nos préjugés en un mot, elles fonten ce genre tout le bien & tout le mal. Telleeft leur influence, & la chofe ne pouvoit pas ar-river autrement.

Elles nous égarent, parce que ce font des mé-thodes imparfaites mais puifque ce font des mé-thodes,ellesne font pas imparfaites à tous égards,& elles nous conduifent bien quelquefois. Il n'eftperfonne qui, avec le feul fecours des habitudescontractées dans fa langue, ne foit capable de fairequelques bons raifonnemens.C'eftmême ainfi quenous avons tous commencé1, & l'on voit fouventdes hommes .fans étude raifonner mieuxque d'au-,tres qui ont beaucoup étudié.

On defireroit que les philofopheseuffent pré- Les tanguesr.d' 1 fc des fciencesfidé a la formation des langues & on croit ne' fonfp"qu'elles auroient été mieux faites. Il faudroit donc ll\ mieuxfai-

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que ce fuffent d'autres philofophes que ceux quenous connoiffons. Il eft vrai qu'en mathémati-

ques on parle avec précifion parce que l'algèbre$

ouvrage du génie, eft une langue qu'on ne pou-voit pas mal faire. Il eft vrai encore que quel-ques parties de la phyfique & de la chymie ontété traitées avec la même précifion par un petitnombre d'excellens efprits faits pour bien obfer-ver. D'ailleurs je ne vois pas que les langues desïciences aient aucun avantage. Elles ont lesmêmes défauts que les autres & de plus grands

encore. On les parle tout auffi fouvent fans riendire fouvent encore on ne les parle que pourdire des abfurdités & en général, il ne paroîtpas qu'on les parle avec le deffein de fe faireentendre.

Les jjreitiie-Je eonjeâuf que les premières langues vul-

rês langues gaifes ont été les plus propres au raifonnementvulgairesont °été les plus car la nature, qui préfidoit à leur formationpropres au L'raifonne- avoit au moins bien commence. La générationment. des j^fes g^ des facultés de Pâme devoit être

fenfible dans ces langues où la première ac-ception d'un mot étoit connue, & où l'analogiedonnoit toutes les autres. On retrouvoit dansles noms des idées qui échappoient aux fensles noms même des idées fenfibles d'où ellesviennent; & au lieu de les voir comme des nomspropres de ces idées on les voyoit comme des

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exprefïîons figurées qui en montroient l'origine.Alor s par exemple on ne demandoit pas fi le

mot fubjlance fignifie autre chofe que ce qui ejldejfous fi le mot penfée fignifie autre chofe quepefer balancer, comparer. En un mot, on n'ima-ginoit pas de faire les queftio.ns que font aujour-d'hui les métaphyficiens les langues qui répon-doient d'avance à toutes, ne permettoient pasde les faire, & l'on n'avoit point encorede mau-vaife métaphyfique.

La bonne métaphyfiquea commencé avant leslangues & c'eft à elle qu'elles doivent tout cequ'elles ont de mieux. Mais cette métaphyfiqueétoit alors moins une fcience qu'un inftinâr.C'étoit la nature qui conduifoit les hommes àleur infçu & la métaphyfique n'eft devenuefcience que lorsqu'elle a ceffé d'être bonne.

Une langue feroit bien fupérieure fi le peuple Ce font fur-

l J: l.. 1 & If' r tout les phi-qui la fait, cultivoit les arts & les fciences fans iofophesPc|'iïd, l, 1. ont mis le dé-rien emprunter d'aucun autre car l'analogie °{"T;™*l^f

dans cette langue montreroit fenfiblement le lelangage.

progrès des connoiflances & l'on n'auroit pasbefoin d'en chercher l'hifloire ailleurs. Ce feroitlà une langue vraiment fçavante & elle le feroitfeule. Mais quand elles font des ramas de plufieurslangues étrangeres les unes aux autres, elles con-fondent tout l'analogie ne peut plus faire apper-cevoir dans les différentes acceptions des mots,

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l'origine & la génération des connoiffànces nousne fçavons plus mettre de la précifion dans nosclifcours nous n'y fongeons pas nous faifonsdes quefiions au hafard nous y répondons demême nous abufons continuellementdes mots,& il n'y a point d'opinionsextravagantesqui netrouvent des partifans.

Ce font les philofophes qui ont amené leschofes à ce point de défordre. Ils ont d'autantplus mal parlé qu'ils ont voulu parler de toutils ont d'autantplus mal parlé, que lorfqu'il leurarrivoit de penfér comme tout le monde, chacund'eux vouloit paroître avoir une façon de penferqui ne fut qu''à lui. Subtils, finguliers, vifion-ttaires inintelligibles fouvent ils fembloientcraindrede n'être pas affez obfcurs & ils affec-toient de couvrir d'un voile leurs connoiffâncesvraies ou prétendues. Auffi la langue de la phi-lofophien'a-t-elle été qu'un jargon pendant plu-fieurs fiecles.

Enfin co jargon a été banni des fciences. Il aété banni, dis-je mais il ne s'eft pas banni lui-même il y cherche toujours un afyle en fe dé-guifant fous de nouvellesformes, & les meilleursefprits ont bien de la peine à lui fermer touteentrée. Mais enfin les fciences ont fait des pro-grès, parce que les philofophes ont mieux ob-fervé, & qu'ils ont mis dans leur langagela préci-

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Son & l'exaftitudequ'ils avoient mifes dans leursohfervations. Ils ont donc corrigé la langue àbien des égards & l'on a mieux raifonné. C'eftahfi que l'art de raifonnera fuivi toutes les va-riations du langage & c'eft ce qui devoit arri-

ver. ( Cours d'Etude, Hift. arc. liv. 3 chap. 2(T.

Hifi. mod. liv. 8 & g chap. 8 ç>& fuiv. enfin

liv. dernier. )

CHAPITRE V.

Confdérations fur les idées abflraites & générales;

ou comment l'art de raifonner fe réduit à unelangue bien faite.

JUE s idées générales dont nous avons expliquéLes idées

1 r r • 1 ». 1 111 h' abftraites &la formation, font partie de ridée totale de cha- générales necun des individus auxquels elles conviennent ^noiS-63ÔC on les confidere par cette raifon, comme tions.

autant d'idées partielles. Celle d'homme parexemple, fait partie des idées totales de Pierre &de Paul puifque nous la trouvons égalementdans Pierre & dans Paul.

Il n'y a point d'homme en généraî. Cette idéepartielle n'a donc point de réalité hors de nousmais elle en a une dans notre efprit oit elleexifte féparément des idées totales ou individuel-les dont elle fait partie.

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Elle n'a une réalité dans notre efprit queparce que nous la confidérons comme féparéede chaque idée individuelle & par cette raifonnous la nommonsabfiraite car abjlra'u ne fignifieautre chofe que féparé.

Toutes les idées générales font donc autantd'idées abflraites & vous voyez que nous neles formons qu'en prenant dans chaque idée indi-viduelle ce qui eft commun à toutes.

Mais qu'eft ce au fond que la réalité qu'uneidée générale & abftraitea dans notre efprit ? Cen'eft qu'un nom ou fi elle eft quelque autrechofe elle ceffe néceffairement d'être abftraite& générale.

Quand, par exemple, je penfe à hornme, jepuis ne confidérer dans ce mot qu'une dénomi-nation commune auquel cas il eft bien évidentque mon idée eft en quelque forte circonfcritedans ce nom qu'elle ne s'étend à rien au-delà& que par conféquentelle n'eft que ce nom même.

Si au contraire en penfant à homme je con-sidère dans ce mot quelque autre chofe qu'unedénomination e*eft qu'en effet je me repréfenteun homme & un homme, dans mon efpritcomme dans la nature ne fçauroit être l'hommeabftrait & général.

Les idées abftraites ne font donc que des dé-nominations.Si nous voulions abfolumenty fup-

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pôfer autre chofe nous reffemblerions à unpeintrequi s'obfiineroit à vouloirpeindre l'hom-me en général, & qui cependant ne peindroitjamais que des individus.

Cette obfervation fur les idées abftraites & Par confé-l 'l' & 1 1

quentl'artdegénérales, démontre que leur clarté & leur pré- SfoLefde

cifion dépendent uniquement de l'ordre dans le- réduit à uneCHIon epenccnt umquement e or re ans langue bienquel nous avons fait les dénominationsdes claf- faife-bien

fes & que par conféquent, pour déterminercesfortes d'idées, il n'y a qu'un moyen c'eft debien faire la langue.

Elle confirme ce que nous avons déja démon-tré, combien les mots nous font néceflairescar fi nous n'avions point de dénominations,nous n'aurions point d'idées abftraites fi nousn'avions point d'idées abftraites nous n'aurionsni genres ni efpeces & fi nous n'avîons ni gen-res ni efpeces nous ne pourrions raifonner furrien. Or, fi nous ne raifonnons qu'avec le fe- •cours de ces dénominations c'e:ft une nouvellepreuve que nous ne raifonnonsbien ou mal queparce que notre langue eft bien ou mal faite.L'analyfe ne nous apprendra donc à raifonnerqu'autantqu'en nous apprenant à déterminer lesidées abftraites & générales elle nous appren-dra à bien faire notre langue & tout l'art deraifonner fe réduit à l'art de bien parler.

Parler raifonner, fe faire des idées générales

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ou abstraites c'eft donc au fond la même chofe& cette vérité toute fimple qu'elle efl: pour-roit pafîer pour une découverte. Certainement

on ne s'en eft pas douté il le paroît à la ma-niere dont on parle & dont on raifonne il le pa-roît à l'abus qu'on fait des idées générales illeparoît enfin aux difficultés que croient trou-ver à concevoir des idées abftraites ceux qui entrouvent fi peu à parler.

L'art de raifonner ne fe réduit à une languebien faite que parce que l'ordre dans nos idéesn'efl lui-même que la ftibordination qui efl: entreles noms donnés aux genres & aux efpeces &puifque nous n'avons de nouvelles idées queparce que nous formons de nouvelles claies, ilefl évident que nous ne détermineronsles idéesqu'autant que nous déterminerons les claffes mê-

mes. Alors nous raifonnerons bien parce quel'analogie nous conduiradans nos jugemens com-me dans l'intelligencedes mots.

Cette véri- Convaincus que les clafles ne font que deste bien con- i rnue nous ga-

dénominations nous n'imaginerons pas de iup-be"ucoude pofer qu'il exifte dans la nature des genres &beaucoupd'erreurs. des efpeces, & nous ne verrons dans ces mots,

genres & efpeces qu'une manière de clafler leschoies fuivant les rapports qu'elles ont à nous& entre elles. Nous reconnoîtrons que nous ne

fpouvons découvrir que ces rapports, & nous

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ne croirons pas pouvoir dire ce qu'elles font.Nous éviterons par conféquentbien des erreurs.

Si nous remarquons que toutes ces claffes ne

nous font néceffaires que parce que nous avonsbefoin pour nous faire des idées diftinftes dedécompofer les objets que nous voulons étudier

nous reconnoîtrons non-feulement la limitationde notre efprit nous verrons encore oii en fontles bornes, & nous ne fongerons point à les fran-chir. Nous ne nous perdrons pas dans de vainesqueftions au lieu de chercher ce que nous nepouvons pas trouver nous trouverons ce quifera à notre portée. Il ne faudra pour cela quefe faire des idées exaâes ce que nous fçauronstoujours quand nous fçaurons nous fervir des

mots.Or nous fçaurons nous fervir des mots, lorf-

qu'au lieu d'y chercher des effences que nousn'avons pas pu.y mettre nous n'y chercherons

que ce que nous y avons mis les rapports deschofes à nous & ceux qu'elles ont entre elles.

Nous fçaurons nous en fervir lorfque les con-fidérant relativement à la limitation de notre ef-

prit, nous ne les regarderons que comme unmoyendont nous avons befoin pour penfer.Alors nous fentirions que la plus grande analo-gie en doit déterminer le choix qu'elle en doitdéterminer toutes les acceptions & nous bor-

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nerions neceffairement le nombre des, mots aunombre dont nous aurions befoin. Nous ne nouségarerions plus parmi des diftindions frivolesdes divifions des fous-divifions fans fin & desmots étrangers qui deviennent barbares dans no-tre langue.

Enfin nous fçaurons nous fervir des motslorfque l'analyfe nous aura fait contra&er l'ha-bitude d'en chercher la premiere acception dansleur premier emploi & toutes les autres dansl'analogie.

fe^uffa^t ^'eft à cette analyfe feule que nous devonslyfe qui fait le ouvoird, bJ1 & de énéralifer. Elle faitles langues

ïe pouvoir d'abftraire & de généralifer. Elle fait& qui crée d les langues elle nous donne donc des idéesles arts & les

donc les langues elle nous donne donc des idéesfciences, exaftes de toutes efpeces. En un mot c'eft par

elle que nous devenons capables de créer les

arts & les fciènces. Difons mieux c'eft elle quiles a créés. Elle a fait toutes les découvertes j& nous n'avons eu qu'à la fuivre. L'imagina- I

tion à laquelle on attribue tous les talens neI

feroit rien fans l'analyfe. IElle ne feroit rien Je me trompe elle feroit I

une fource d'opinions de préjugés, d'erreurs I& nous ne ferions que des rêves extravagans, fi Iï'analyfe ne la régloit pas quelquefois. En effet Iles écrivains qui n'ont que de l'imagination Ifont-ils autre chofe? I

La route que l'analyfenous trace eft marquée I

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par une fuite d'obfervations bien faites & nousy marchons d'un pas affuré, parce que nousfçavons toujours oit nous fommes & quenousvoyons toujours ou nous allons. D'ailleurs l'ana-îyfe nous aide de tout ce qui peut nous être dequelque fecours. Notre efprit, fi foible par lui-même, trouve en elle des leviers de toutes efpe-

ces & il obferve les phénomenesde la nature,en quelque forte, avec la même facilité que s'illes régloit lui-même.

Mais pour bien juger de ce que nous lui de- c<eftd>Près

•ifr i 'Aa “elle qu'u faut

vons, il la faut bien connoitre autrement fon chercher laA 1 d l, vérité,&nonouvrage nous paraîtra celui de l'imagination. pasdïPtè"°".

Parce que les idées que nous nommons abftrai- magination.

tes ceffent de tomber fous les fens nous croi-rons qu'elles n'en viennent pas; & parce qu'a-lors, nous ne verrons pas ce qu'elles peuventavoir de commun avec nos fenfations nous nousimaginerons qu'elles font quelque autre chofe.Préoccupés de cette erreur, nous nous aveu-glerons fur leur origine & leur génération ilnous fera impoffible de voir ce qu'elles font &cependant nous croirons le voir: nous n'auronsque des vifions. Tantôt les idées feront des êtresqui ont par eux mêmes une exiftence dansl'ame des êtres innés ou des êtres ajoutés fiio»ceffivement au fien d'autres fois ce feront desêtres qui n'exiftent qu'en Dieu & que nous ne

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voyons qu'en lui. De pareils rêves nous écarte-ront néceffairement du chemin des découvertes,& nous n'irons plus que d'erreur en erreur. Voilàcependant les fyftêmes que fait l'imaginationquand une fois nous les avons adoptés, il nenous eft plus poffible d'avoir une langue bienfaite & nous fommes condamnés à raifonnerprefque toujours mal, parce que nous raifonnonsmal fur les facultés de notre efprit.

Ce n'eft pas ainfi que les hommes, commenous l'avons remarqué, fe condttifoientau fortirdes mains de l'Auteur de la nature. Quoiqu'alorsils cherchaffent fans fçavoirce qu'ils cherchoient,ils cherchoientbien & ils trou voient fouveht,yfans s'appercevoir qu'ils avoient cherché. C'eftque les befoins que l'Auteur de la nature leuravoit donnés, & les circonstances où il les avoitplacés, les forçoient à obferver, & les avertif-foient fouvent de ne pas imaginer. L'analyfe quifâifoit la langue, la faifoit bien, parce qu'elle dé-terminoit toujours le fens des mots; & la langue,quin'étoit pas étendue, mais qui étoit bien faiteconduifoit aux découvertes les plus néceflaires.Malheureufement les hommes ne fçavoient pasobferver comment ils s'inftruifoient. On diroitqu'ils ne font capables de bien faire que ce qu'ilsfont à leur infçu; & les philofophes, qui auroientdû chercher avec plus de lumiere ont cherché

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fonvent pour ne rien trouver, ou pour s'égarer.( Cours d'Etude, Art de penfer,part. 2. ch. S. )

CHAPITRE VI.Combien fe trompent ceux qui regardentles défini-

tions comme l'unique moyen de remédier auxabus du langage.

jues vices des langues font fenfibles, fur-tout Les df-n'1-c' tions ta bor-dans les mots dont l'acceptionn'efl pas détermi- ««« à mon-

r trer les cho-nee, ou qui n ont pas de fens. On a voulu y feS;&i'onr.eremédier & parce qu'il y a des mots qu'on peut 'o/veuteP q. Y q l. du'on veutdéfinir, on a dit, Il les faut définir tous. En con- dire iu,and

f< 1 ,,r on les donneféquence, les définitions ont été regardées comme pourdesprin-la bafe de l'art de raifonner. C1"es'

Un triangle ejl une furface terminée par troislignes. Voilà une définition. Si elle donne dutriangle une idée fans laquelle il feroit impoffibled'en déterminer les propriétés c'eit que pourdécouvrir les propriétés d'une chofe, il la fautanalyfer, & que pour l'analyfer il la faut voir.De pareilles définitions montrent donc les cho-fes qu'on fe propofe d'anaiyfer, & c'eft toutce qu'elles font. Nos fens nous montrent égale-ment les objets fenfibles &c nous les analyfons

'1quoique nous ne piaffions pas les définir. La né-ceffité de définir n'eft donc que la nécelïlté de

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voir les chofes fur lefquelles on veut raifonner^& fi l'on peut voir fans définir les définitionsdeviennent inutiles. C'eft le cas le plus ordinaire.

Sans doute que, pour étudier une chofe ilfaut que je la voie mais quand je la vois, je n'aiqu'à l'analyfer. Lors donc que je découvre lespropriétés d'une furface terminée par trois lignes,c'efl l'analyfe feule qui eft le principe de mes dé-couvertes, fi l'on veut des principes;& cette dé-finition ne fait que me montrer le triangle quieft l'objet de mes recherches comme mes fensme montrent les objets fenfiblés. Que fignifiedonc ce- langage, Les définitions font des prin-cipes ? Il fignifie qu'il faut commencer par voirles chofes pour les étudier, & qu'il les faut voirtelles qu'elles font. Il ne fignifie que cela, & ce-pendant on croit dire quelque chofe de plus.

Principe eft fynonyme de commencement &c'eft dans cette fignification qu'on l'a d'abord em-ployé mais enfuite, à force d'en faire ufage,on s'en eft fervi par habitude, machinalement,fans y attacher d'idées & l'on a eu des principesqui ne font le commencement de rien.

Je dirai que nos fens font le principe de nosconnoiflances, parce que c'eft aux fens qu'ellescommencent,& je dirai une chofe qui s'entend. Iln'en fera pas de même fi je dis qu'une furfaceterminée par trois lignes eft le principe de toutes les

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propriétés du triangle, parce que toutes les pro-priétés du trianglel commencent à une furface ter-*

minée par trois lignes. Car j'aimerois autant dire

que toutes les propriétés d'une furface terminéepartrois lignes, commencent à une furface terminéepartrois lignes. En un mot, cette définition ne m'ap-prend rien elle neiait que me montrerune chofe

que je connois, & dont l'analyfe peut feule medécouvrir les propriétés.

Les définitions fe bornent donc à montrer leschofes mais elles ne les éclairent pas toujourssd'une lumière égale. L'ame efl une fubjlance quifent, eft une définition qui montre l'ame bienimparfaitement à tous ceux à qui l'analyse n'a

pas appris que toutes fes facultés ne font dansle principe ou dans le commencement, que lafaculté de fentir. Ce n'eft donc pas par une pa-reille définition qu'il faudroit commencer à traiterde l'ame car quoique toutes fes facultés nefoient, dans le principe, que fentir cette véritén'eft pas un principeou un commencement pournous fi, au lieu d'être une première connoiftan-

ce, elle eft une derniere. Or elle eft une dernière,puifqu'elle efi un réfultat donné par l'analyfe.

Prévenus qu'il faut tout définir les géome-Il eft rare

tres font fouvent de vains efforts & cherchent ^jjjfaire des clé-

des définitions qu'ils ne trouvent pas. Telle eft, initions.

par exemple celle de la ligne droite car dire

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avec eux qu'elle eft la plus courte d'un point à

un autre ce n'eft pas la faire connoître c'eftfuppofer qu'on la connoît. Or, dans leur lan-

gage, une définition étant un principe, elle nedoit pas ftippofer que la chofe foit connue. Voilà

un écueil ou échouent tous les faifeurs d'élé-

mens, au grand fcandale de quelques géornetres,qui fe plaignentqu'on n'ait pas encore donné unebonne définition de la ligne droite, & qui fem-blent ignorer qu'on ne doit pas définir ce qui eft:

indéfiniffable. Mais fi les définitions fe bornentà nous montrer les chofes, qu'importeque ce foitavant que nous les connoiffions ou feulementaprès ? Il me femble que le point effentiel effc

de les connoître.Or on feroit convaincu que l'unique moyen

de les connoître eft de les analyfer fi on avoitremarqué que les meilleures définitions ne fontque des analyfes. Celle du triangle, par exemple,

aen eft une car certainement, pour dire qu'il eftune furface terminée par trois lignes, il a falluobferver, l'un après l'autre les côtés de cettefigure, & les compter. Il eft vrai que cette ana-lyfe fe fait en quelque forte du premier coup tparce que nous comptons promptement jufqu'àtrois. Mais un enfant ne compteroit pas auffi vîte,& cependant il analyferoit le triangle auffi bienque nous, Il l'analyferoit lentement, comme nous-

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œemes après avoir compté lentement, nousferions la définition ou l'analyse d'une figure d'ungrand nombre de côtés.

Ne difons pas qu'il faut, dans nos recherches;avoir pour principes des définitions difons plusfimplement qu'il faut bien commencer, c'eft-à-dire, voir les chofes telles qu'elles font; & ajou-tons que pour les voir ainfi, il faut toujourscommencer par des analyfes.

En nous exprimant de la forte, nous parleronsavec plus de précilion, & nous n'aurons pas lapeine de chercherdes définitions qu'on ne trouvepas. Nous fçaurons par exemple que pourconnoître la ligne droite il n'eft point du toutnéceffaire de la définir à la manière des géome-tres, & qu'il fuffit d'obferver comment nous enavons acquis l'idée.

Parce que la géométrieelt une fcience qu'on Vains effortsfi b' de ceux qliinomme exaâe on a cru que, pour bien traiter

ont""manie

toutes les autres fciences il n'y avoit qu'à con- d? tout d^'trefaire les géomètres & la manie de définir à mr«

leur manière eft devenue la manie de tous lesphilofophes ou de ceux qui fe donnent pourtels. Ouvrez un dictionnaire de langue vousverrez qu'à chaque article on veut faire des dé-finitions, & qu'on y réuffit mal. Les meilleu-res fuppofent, comme celle de la ligne droite,que la fignification des mots eft connue ou fi

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elles ne fuppoient rien on ne les entend pas;

Les défini-^u nos idées font fimples, ou elles font com-

tîons font pofées. Si elles font {impies, on ne les définirainutiles par-ce que c'ett à pas un geometre le tenteroit inutilement il yde't^miner échouerait comme à la ligne droite. Mais, quoi-déterminernos idées, qu'elles ne puiffent pas être définies l'analyfe

nous montrera toujours commentnous les avonsacquifes parce qu'elle montrera d'où elles vien-nent, & comment elles nous viennent.

Si une idée eft compofée, c'eft encore à l'ana-lyfe feule à la faire connoître parce qu'elle peutfeule, en la décomposant,nous en montrer toutesles idées partielles. Ainfi, quelles que foient nosidées il n'appartient qu'à l'analyfe de les déter-miner d'une maniere claire & précife.

Cependant il reflera toujours des idées qu'onne déterminera point ou qu'au moins on nepourra pas déterminerau gré de tout le monde.C'eft que les hommes n'ayant pu s'accorder àles éompofer chacun de là même maniere ellesfont nécessairement indéterminées.Telle eft, parexemple, celle que nous défignons par le motefprit. Mais quoique l'analyfe ne puiffe pas dé-terminer ce que nous entendons par un mot quenous n'entendons pas tous de la même maniere,elle déterminera cependant tout ce qu'il eft pof-fible d'entendre par ce mot, fans empêcher néan-moins que chacun n'entendece qu'il veut, comme

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Cela arrive c'eft-à-dire qu'il lui fera plus facilede corriger la langue, que de nous corriger nous-

Amêmes.Mais enfin c'efl: elle feule qui corrigera tout

ce qui peut être corrigé parce que c'efï ellefeule qui peut faire connoître la génération de

toutes nos idées. Auffi les philofophes fe font-ilsprodigieufementégarés, lorfqu'ils ont abandonnél'analyfe, & qu'ils ont cru y fuppléer par desdéfinitions. Ils fe font d'autant plus égarés, qu'ilsn'ontpas fçu donner encore une bonne définitionde l'analyfe même. Aux efforts qu'ils font pourexpliquer cette méthode, on diroit qu'il y a biendu myftere à décompoferun tout en fes parties,& à le recompofer cependant il fuffit d'obferverfucceffivement & avec ordre. Voyez, dans l'En-cyclopédie le mot Analyfe..

C'l' 11. l f, h r"" l ci La [ynthe=Ceft la fynthefe qui a amené la manie des fc^Jffiydéfinitions cette méthode ténébreufe qui com- ténébreufê.

mence toujours par où il faut finir, & que cepen-dant on appelle méthode de doctrine.

Je n'en- donnerai pas une notion plus précife,foit parce que je ne la comprends pas, foit parcequ'il n'eft pas poffible de la comprendre. Elleéchappe d'autant plus, qu'elleprend tous les carac-teres des efprits qui veulent l'employer, & fur-tout ceux des efprits faux. Voici comment unécrivain célèbre s'explique à ce fujet. Enfin

3

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dit-il, ces deux méthodes (l'anaîyfe& la fynthefe Jne diffèrent que comme le chemin qu'on fait en mon-tant d'une vallée en une montagne & celui qu'onfait en defcendant de lamgmagne dans la vallée [a],A ce langage je voislifïïlernent que ce font làdeux méthodes contraires & que fi l'une eftbonne, l'autre eft mauvaife. En effet, on ne peutaller que du connu à l'inconnu. Or, fi l'inconnueft fur la montagne, ce ne fera pas en defcendantqu'on y arrivera & s'il eft dans la vallée, cene fera pas en montant. Il rie peut donc pas yavoir deux chemins contraires pour y arriver.De pareilles opinions ne méritent pas une criti-que plus férieufe. Cours d'Etude, Art de penfer,part. i chap. g. )

On fuppofe que le propre de la fynthefe eftde compofer nos idées, & que le proprede l'ana-lyfe eft de les décompofer. Voilà pourquoi l'au-teur de la Logique croit les faire connoître, lorf-qu'il dit que l'une conduit de la vallée fur la mon-tagne, & l'autre de la montagne dans la vallée.Mais qu'on raifonne bien ou mal, il faut nécef-fairement que l'efprit monte & 'defeende tourà tour ou, pour parler plus fimplement, il luieft effentiel de compofer, comme de décompo-fer, parce qu'une fuite de raifonnemens n'eft &

[a] La Logique, ou l'An de penfer, pan. 4 chap. 2,

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lïe peut être qu'une fuite de compofitions& dedécompofitions. Il appartient donc à la fynthefede décompofer comme de compofer & il ap-partient à l'analyfe de compofer comme de dé-compofer. Il feroit abfurde d'imaginer que cesdeux chofes s'excluent, & qu'on pourroit rai-fonner en s'interdifant à fon choix toute com-pofition ou toute décompofition.En quoi doncdifferent ces deux méthodes ? En ce que l'analyfe

commence toujours bien, & que la fynthefecom-mence toujours mal. Celle-là fans affeâer l'or-dre, en a naturellement, parce qu'elle eft la mé-thode de la nature celle-ci qui ne connoît pasl'ordre naturel, parce qu'elle eft la méthode desphilofophes, en affeâe beaucoup, pour fatiguerl'efprit fans l'éclairer.Enun mot, la vraieanalyfe,l'analyfe qui doit être préférée eft celle qui

commençant par le commencement,montre dansl'analogie la formation de la langue & dans laformationde la langue, les progrès des fciences.

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CHAPITRE VII.Comhien le raifonnementefîjïmpk quandla langue

efl Jîmple elle-même.crô

Frreur de V/uoique l'analyfe foit l'unique méthode:ceux qui pré- <»• h êfirent u fyn- les mathématiciensmêmes,toujoursprêts à l'aban-

13lil a a"a" donner paroiffentn'en faire ufage qu'autant qu'ilsS

y font forcés. Ils donnent la préférence à la fyn-thefe, qu'ils croient plus fimple & plus courte,& leurs écrits en font plus embarrafles & pluslongs [«].

Nous venons, de voir que cette fynthefe eftprécifément le contraire de l'analyfe. Elle nousmet hors du chemin des découvertes & cepen-dant le grand nombre des mathématicienss'ima-ginent que cette méthode eft la plus propre àî'inftruftion. Ils le croient fi bien, qu'ils ne veu-

[<*] Ce reproche fondé en général n'eft pas fans excep-tion. MM. Euler & La Grange par exemple portés parleur génie à la plus grande clarté & à la plus grande élé-gance, ont préféré l'analyfe qu'ils ont perfectionnée.Dans leurs écrits pleins d'invention cette méthode prendun nouvel effor & ils font grands mathématiciens parcequ'ils font grands analyftes. Ils écrivent fupérieurementl'algebre de toutes les langues celle où les bons écrivainsfont plus rares parce qu'elle efl la mieux faite.

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'ïent pas qu'on en fuive d'autre dans leurs livresélémentaires.

Clairaut a penfé autrement. Je ne fçais pas fiMM. Euler & La Grange ont dit ce qu'ils pen-fent à ce fujet mais ils ont fait comme s'ilsl'avoient dit car dans leurs Élémens d'Algèbreils ne fuivent que la méthode analytique [a].

Le fuffrage de ces mathématiciens peut êtrecompté pour quelque chofe. Il faut donc que lesautres foient llnguiiéremenî prévenus en faveurde la fynthefe pour fe perfuader que l'analyse,qui eft la méthode d'invention, n'eft pas encorela méthode de doârine & qu'il y ait pour

[a] Les Élémens de M. Euler ne reffemblent aucundeceux qu'on a faits avant lui. Dans la premiere Partie, l'ana-lyfe déterminée eft traitée avec une méthode fimpleclaire qui eft toute à l'auteur. Seulement la théorie deséquations eft quelquefois trop fommaire. Sans douteM. Euler a dédaigné d'entrer dans des détails qui ont ététant rebattus par d'autres mais il laiffe des regrets aulefteur qui veut s'inftruire.

L'analyfeindéterminée qui eft fi peuconnue en France§1 aux progrèsde laquelle MM. Euler & La Grangeont tantcontribué efl l'objet de la feconde Partie, qui eft un chef-d'œuvre, & qui comprend les additions de M. de laGrange. L'excellence de cet Ouvrage vient de la méthodeanalytique que ces deux grands géomètres connoiffentparfaitement. Ceux qui ne la connoîtrontpas, tenterontinutilement d'écrire fur les élémens des fciences.

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apprendre les découvertes des autres, un moyen1*préférable à celui qui nous les feroit faire.

Si l'analyfe eft en général bannie des mathé-matiques toutes les fois qu'on y peut faire ufagede la fynthefe, il femble qu'on lui ait fermé toutaccès dans les autres fciences & qu'elle ne s'yintroduife qu'à l'infçu de ceux qui les traitent.Voilà pourquoi de tant d'ouvrages des philo-fophes anciens ou modernes il y en a fi peuqui foient faits pour inftruire. La vérité eft rare-ment reconnoiffable,quand l'analyfe ne la mon-tre pas & qu'au contraire la fynthefe l'enve-loppe dans un ramas de notions vagues d'opi-nions, d'erreurs, & fe fait un jargon qu'on prendpour la langue des arts & des fciences.

Toutes les Pour peu qu'on réfléchiffe fur l'analyfe onroTenTexac- reconnoîtra qu'elle doit répandre plus de lumièrepttïôientMu- à proportion qu'elle eft plus fimple & plus pré-parloienttoti-tes une Un- cife & fi l'on fe rappelle que l'art de raifonnergue fort fim- r i j i..1gie,

fort le réduit a une langue bien faite, on jugera quela plus grande fimplicité & la plus grande pré-cifion de l'analyfe ne peuvent être que l'effet de laplus grande fimplicité & de la plus grande pré-cifion du langage. Il faut donc nous faire une idéede cette fimplicité & de cette précifion, afin d'enapprocher dans toutes nos études autant qu'il ferapoffible.

On nomme fciences exactes celles oit l'on dér

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montre rigoureufement.Pourquoi donc toutes lesfciences ne font-elles pas exades? Et s'ileneftou.l'on ne démontre pas rigoureusement, commenty démontre-t-on ? Sçait-on bien ce qu'on veutdire, quand on fuppofe des démonstrations qui,à la rigueur, ne font pas des- démonstrations ?

Une démonstration n'efl pas une démons-tration, ou elle en eft une rigoureufement.Mais il faut convenir que fi elle ne parle pas lalangue qu'elle doit parler, elle ne paroîtra pasce qu'elle eft. Ainfi ce n'efl pas la faute desfciences fi elles ne démontrent pas rigoureufe-ment c'eft la faute des fçavans qui parlent mal.

La langue des mathématiques, l'algebre eftla plus fimple de toutes les langues. N'y aura-t-ildonc des démonftrations qu'en mathématiques ?Et parce que les autres fciences ne peuvent pasatteindre à la même fimplicité, feront-elles con-damnées à ne pouvoir pas être affez fimples pourconvaincre qu'elles démontrent ce qu'elles dé-,montrent ?i'

C'eft l'analyfe, qui démontre dans toutes; &elle y démontre rigoureufement toutes les foisqu'elle parle la langue qu'elle doit parler. Je fçaisbien qu'on diftingue différentes efpeces d'analyfe;analyfe logique analyfe mêtaphyjique analyfemathématique mais il n'y en a qu'une & elleeft la même dans toutes les fciences parce que

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dans toutes elle conduit du connu à Fmconmï

par le raifonnement c'efl-à-dire par une fuitede jugemens qui font renfermés les uns dans les4autres. Nous nous ferons une idée du langagequ'elle doit tenir fi nous effayons de réfoudreun des problêmes qu'on ne réfout d'ordinairequ'avec le fecours de l'algèbre. Nous choifirons-un des plus faciles, parce qu'il fera plus à notreportée d'ailleurs il fuffira pour développer toutl'artifice du raisonnement.

Problème -Ayant des jetons dans mes deux mains,Jî j'enqui le prou- j-al$ papr un de la main droite dans la gauche

j'en aurai autant dans l'une que dans l'autre &fij'enfais pajfer un de la gauche dans la droite,j'en aurai le double dans celle-ci. Je vous demandequel efl le nombrede jetons que j'ai dans chacune.

Il ne s'agit pas de deviner ce nombre en faifantdes fuppofitions il le faut trouver en raifon-nant, en allant du connu à l'inconnu par unefuite de jugemens.

Il y a ici deux conditionsdonnées ou, pourparler comme les mathématiciens il v a deuxdonnées l'une, que fi je fais paffer un jeton dela main droite dans la gauche, j'en aurai le mêmenombre dans chacune; l'autre, que fi je fais pafferun jeton de la gauche dans la droite j'en auraile double dans celle-ci. Or vous voyez que s'il•eft poffible de trouver le nombre que je vous

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-Sonne à chercher ce ne peut être qu'en obfer-

vant les rapports où ces deux données font l'uneà l'autre & vous concevez que ces rapports fe-ront plus ou moins fenfibles Suivant que lesdonnées feront exprimées d'une maniere plus oumoins finiple.

Si vous difiez Le nombre que vous avez dansla main droite, lorfqiion en retranche un jeton,eji égal à celui que vous avez dans la main gauche

lorfquà celui-ci on en ajoute un vous exprime-riez la premiere donnée avec beaucoup de mots.Dites donc plus brièvement Le nombre de votremain droite diminué d'une unité ejl égal à celuide votre gauche augmenté d'une unité ou, Le nom-bre de votre droite moins une' unité eji égal vz

celui de votre gaucheplus une unité ou enfin plusbriévement encore La droite moins un égale à

la gauche plus un.C'eft ainfi que de traduction en traduction

nous arrivons à l'exprefîîon la plus fimple de lapremiere donnée. Or, plus vous abrégerez votredifcours plus vos idées fe rapprocheront &c

plus elles feront rapprochées plus il vous ferafacile de les faifir fous tous leurs rapports. Il

nous refle donc à traiter la feconde donnéecomme la premiere; il la faut traduire dans l'ex-preffion la plus fimple.

Par la feconde condition du problême, fi je

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fais pafrer un jeton de la gauche dans la droitej'en aurai le double dans celle-ci. Donc le nom-bre de ma main gauche diminué d'une unité, eftla moitié de celui de ma main droite augmentéd'une unité; & par conféquent vous exprimerezla féconde donnée en difant Le nombre de votremain droite augmentéd'une unité, efi égal à deuxfois celui de votre gauche diminué d'une unité.

Vous traduirez cette expreffion en une autreplus fimple fi vous dites La droite augmentéed'une unité, efi. égale à deux gauches diminuées cha-cune d'une unité & vous arriverez à cette ex-preffion, la plus fimple de toutes La droite plusun égale à deux gauches moins deux. Voici doncles expreffions dans lefquelles nous avons traduitles données

La droite moins un égale à la gaucheplus un

La droite plus un égale à deux gauchesmoins deux.

Ces fortes d'exprefïïons fe nomment en ma-thématiques équations. Elles font compofées dedeux membres égaux La droite moins un eft lepremier membre de la premiere équation La gau-chc plus un eft le fecond. I

Les quantités inconnuesfont mêlées dans cha-j

cun de ces membres, avec les quantités connues.I

Les connues font moinsun plus un3 moins deuxI

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ïés inconnues font la droite & la gauche paroit vous exprimez les deux nombres que vouscherchez.

Tant que les connues & les inconnues fontainfi mêlées dans chaque membre des équationsil n'eft pas poffible de réfoudre un problême.Mais il ne faut pas un grand effort de réflexion

pour remarquer que s'il y a un moyen de tranf-

porter les quantités d'un membre dans l'autrefans altérer l'égalité qui eft entre eux, nous pou-vons, en ne laiffant dans un membre qu'une des

deux inconnues, la dégager des connues aveclefquelles elle eft mêlée.

Ce moyen s'offre de lui-même car fi la droitemoins un efi égale à la gauche plus un doncla droite entiere fera égale à la gauche plus deux

& fi la droite plus un eft égale à deux gauchesmoins deux, donc la droite feule fera égale àdeux gauchesmoins trois. Vous fubftituerezdoncaux deux premieres équationsles deux fui vantes;

La droite égale à la gauche plus deux.

La droite égale à deux gaudies moins trois.

Le premier membre de ces deux équations eftla même quantité, la droite &c vous voyez quevous connoîtrez cette quantité lorfque vousconnoîtrez la valeur du fecond membre de l'une

çu l'autre équation. Mais le fécond membre de

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la premiere efl égal au fecond membre de 1$féconde puifqii'ils font égaux l'un & l'autre à lamême quantité expriméepar la droite. Vous pou-vez par conféquentfaire cette troifieme équation:

La gauche plus deux, égale à deux gauchesmoins trois.

Alors il ne vous refle qu'une inconnue, lagauche 6c vous en connoîtrez la valeur lorf-que vous l'aurez dégagée, c'efl-à-dire lorfquevous aurez fait paffer toutes les connues du mêmecôtéi Vous direz donc

Deux plus trois, égal à deux gauchesmoins une gauche.

Deux plus trois égal à une gauche.Cinq égal à une gauche.

Le problême eft réfolu. Vous avez découvertque le nombre de jetons que j'ai dans la maingauche efl cinq. Dans les équations La droiteégale à la gaucheplus deux La droite égale à deuxgauches moins trois, vous trouverez que fept eftle nombre que j'ai dans la main droite. Or cesdeux nombres, cinq & fept, fatisfont aux condi-tions du problême.

Solution deVous voyez fenfiblement dans cet exemple

"ef dïfi! comment la fimplicité des expreffions facilite leavec des fi-gnes aigébw- raifonnement;& vous comprenez que fi l'analyfe(lues. a befoin d'un pareil langage, lorfqu'un problême

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«eft auffi facile que celui que nous venons deréfoudre elle en a plus befoin encore lorfqueles problêmes fe compliquent. Auffi l'avantagede l'analyfe en mathématiques vient-il unique-

ment de ce qu'elle y parle la langue la plus fimple.Une légere idée de l'algebre fuffira pour le fairecomprendre.

Dans cette langue on n'a pas befoin de mots.On exprime plus par +, moins par égal par= & on défigne les quantités par des lettres& par des chiffres. x par exemple, fera le nom,bre de jetons que j'ai dans la main droite &y celui que j'ai dans la main gauche. Àinll

x i ~y + 1 fignifie que le nombre de jetons

que j'ai dans la main droite, diminué d'une unité,eft égal à celui que j'ai dans la main gaucheaugmenté d'une unité ;ècx-{-i = zy – 2 figni-fie que le nombre de ma main droite augmentéd'une unité efi égal à deux fois celui de mamain gauche diminué d'une unité. Les- deuxdonnées de notre problêmefont donc renferméesdans ces deux équations

x – 1 ==y -|- 1

x+izzzy – x,qui deviennent en dégageant l'inconnue du pre~.mier membre

x–y+z,~==~-3.

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Des deux derniers membres de ces deux équa«tions nous faifons

y + z = iy~- 3,qui deviennent fuccefîivement

2 = 1^ -.y- 32.+3=~2 + 3 =y,5=J-

Enfin de x–y 4- 2 nous tirons x = 5 + 2=7;& de* = 2jK– 3, nous tirons également

^=10–3 = 7..L'évidence

Ce langage algébrique fàit appercevoir d'uned'un raifort- manière fenfible comment les jugemens fontnement con- > ofifte unique- les les uns aux autres dans un raifonnement.ment dans l'i-

y-% ndentitéquife Un voit que le dernier neft renferme dansjugeL'/à" le Pénultième le pénultieme dans celui qui leJugement à ql'autre, précède & ainfi de fuite en remontant, que

parce que le dernier eft identique avec le pénul-tieme, le pénultième avec celui qui le préce-de, &c. & l'on reconnoît que cette identité faittoute l'évidence du raifonnement.

Lorsqu'un raifonnement fe développe avecdes mots l'évidence confifte également dansl'identité qui eft fenfible d'un jugementà l'autre.En effet, la fuite des jugemens eft la même, &il n'y a que fexpreffion qui change. Il faut feu-lement remarquer que l'identité s'apperçoit plusfacilement lorsqu'on s'énonce avec des fignes al-gébriques.

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Mais que l'identité s'apperçoiveplus ou moinsfacilement ilfuffit qu'elle fe montre, pour êtreaffuré qu'un raifonnement efi une démonftrationrigoureufe & il ne faut pas s'imaginer que lesSciences ne font exades, & qu'on n'y démon-tre à la rigueur que lorsqu'on y parle avec des

x des a & des b. Si quelques unes ne pa-roiflent pas fufceptibles de démonftration c'eftqu'on jeft dans l'ufage de les parler avant d'enavoir fait la langue & fans fe douter même qu'ilfoit néceffaire de la faire car toutes auroientla même exa&itude fi on les parloit toutes avecdes langues bien faites. C'eft ainfi que nous avonstraité la métaphyfique dans la premiere Partiede cet Ouvrage. Nous n'avons, par exemple,expliqué la génération des facultés de l'ame queparce que nous avons vu qu'elles font toutesidentiques avec la faculté de fentir & nos rai-fonnemens faits avec des mots, font auffi rigou-reufement démontrés que pourroient l'être desraifonnemens faits avec des lettres.

S'il y a donc des fciences peu exaétes ce n'eft Les fder.-pas parce qu'on n'y parle pas algèbre c'eft tceess£"[:P b tes font cet-parce que les langues en font mal faites qu'on les dont les

° langues fontne s en apperçoit pas ou que fi 1 on s en doute, mal faites.

on les refait plus mal encore. Faut-il s'étonnerqu'on ne fçache pas raifonner quand la languedes Sciences n'eft qu'un jargon compofé de beau-.

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coup trop de mots dont les uns font des motsvulgaires qui n'ont pas de fens déterminé Seles autres des mots étrangers ou barbares qu'onentend mal ? Toutes les fciences feroient exac-tes, fi nous fçavions parler la langue de chacune.

Tout confirme donc ce que nous avons déjàprouvé, que les langues font autant de méthodesanalytiques que le raifonnement ne fe perfec-tionne qu'autant qu'elles fe perfectionnent elles-mêmes & que l'art de raifonner, réduit à fa plusgrande fimplicité ne peut être qu'une languebien faite.

L'algebre Je ne dirai pas avec des mathématiciens, quementPqX; lîalgebre eftune efoe« de langue: je dis qu'ellement qu unelangue. eft une langue, & qu'elle ne peut pas être autre

chofe. Vous voyez dans le problême que nousvenons de réfoudre qu'elle eft une langue, danslaquelle nous avons traduit le raifonnement quenous avions fait avec des mots. Or, fi les lettres& les mots expriment le même raifonnement ileft évident que, puifqu'avec les mots on ne faitque parler une langue, on ne fait auffi que parlerune langue avec les lettres.

On feroit la même obfervation fur les pro-blèmes les plus compliqués car toutes les foîu*tions algébriques offrent le même langage c'eft-à-dire, des raifonnemens ou des jugemens fuc-cefïï vement identiques, exprimés avec des lettres.

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Mais parce que l'algebre eft la plus méthodiquedes langues, & qu'elle développe des raifonne-mens qu'on ne pourroit traduire dans aucuneautre, on s'eft imaginé qu'elle n'eft pas une lan-

gue à proprement parler qu'elle n'en eft unequ'à certains égards, & qu'elle doit être quelqueautre chofe encore.

L'algebre eft en effet une méthode analytiquemais elle n'en eft pas moins une langue, fi toutesles langues iont elles-mêmes des méthodes ana-lytiques. Or c'eft, encore un coup, ce qu'ellesfonten effet. Mais l'algebre eft une preuve bien frap-pante que les progrès des fciencesdépendentuni-quement des progrès des langues & que deslangues bien faites pourroient feules donner àl'analyfe le degré de fimplicité & de précifiondont elle eft fufceptible fuivant le genre de nosétudes.

Elles le pourroient, dis-je car, dans l'artde raifonner,comme dans l'art de calculer, toutfe réduit à des compofitions & à des décompo-fitions & il ne faut pas croire que ce foit làdeux arts différens.

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CHAPITRE VII L

Én quoi conjîjle tout l'artifice du raifonnement.

Vil y à deux J^a méthode que nous avons fuivie dans lechofes dans

tx 1,ime queftion Chapitre précédent a pour règle qu'on ne peut

WnciKé les découvrirune véritéqu'on ne connoîtpas,qu'au-l' noiicé desrSfae'ia11 tant qu'elle fe trouve dans des vérités qui fontl'état de laqueftion &, connues & que par conféquent toute queftionle déùaùe- à ci 1'. r d d 1taent

des in à réfoudre fuppofe des données, ou les connuesiCe°rXne°-U & les inconnues font mêlées comme elles lele raifonne- fta«nt« font en effet dans les données du problème que

nous avons réfolu.Si les données ne renfermerit pas toutes les

connues néceffaires pour découvrir la vérité leproblême eft infoluble. Cette confidération éftla premierequ'il faudroit faire & on ne la faitprefque jamais. On raifonne donc mal parcequ'on ne fçait pas qu'on n'a pas affez de connuespour bien raifonner.

Cependant fi l'on remarquoit que lorfqu'ona toutes les connues, on eft conduit,par un lan-gage clair & précis, à la folution qu'on cherche,on fe douteroit qu'on ne les a pas toutes, lorf-qu'on tient un langage obfctir & confus qui neconduit à rien. On chercherait à mieux parler,

3afin de mieux raifonner, & l'on apprendroit corn-

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bien ces deux chofes dépendent l'une de l'autre.Rien n'eft plus fimple que le raifonnement

lorsque les données renferment toutes les con-nues néceflaires à la découverte de la vérité

nous venons de le voir. Il ne faudroit pas dire

que la quefiion que nous nous fommes propofée,étoit facile à réfoudre car la maniere de raifon-ner eft une elle ne change point elle ne peutchanger, & l'objet du raifonnement change feulà chaque nouvelle question qu'on fe propofe.Dans les plus difficiles il faut, comme dans lesplus faciles aller du connu à l'inconnu. Il fautdonc que les données renfermenttoutes les con-nues néceflaires à la folution & quand elles lesrenferment, il ne refte plus qu'à énoncer cesdonnées d'une maniere aflez fimple pour dégagerles inconnues avec la plus grande facilité pofible.

Il y a donc deux chofes dans une queftionl'énoncé des données & le dégagement des in-connues.

L'énoncé des données efl proprement ce qu'onentend par l'état de la queftion & le dégage-ment des inconnues eft le raifonnement qui laréfout.

Lorfque je vous ai propofé de* découvrir le Ce qu'onnombre de jetons que j 'avoisdans chaquemain, j'ai *™ \t%lénoncé toutes les données dontvous aviez befoin; laqueftion.

Se il femble par conféquent que j'aie établi moi-

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même l'étatde la queftion. Mais mon langage nepréparoit pas la Solution du problême. C'eil pour-quoi, au lieu de vous en tenir à répéter monénoncé mot pour mot, vous l'avez fait pafferpar différentes traductions, jufqu'à ce que vousfoyez arrivé à l'expreffion la plus fimple. Alorsle raifonnement s'eft fait en quelque forte toutfeul, parce que les inconnues fe font dégagéescomme d'elles-mêmes. Etablir l'état d'une quef-tion, c'eft donc proprement traduire les donnéesdans l'expreffion la plus fimple, parce que c'eftl'expreffion la plus fimple qui facilite le raifon-nement, en facilitant le dégagement des in-connues.

Mais, dira-t-on, c'eft ainfi qu'on raifonne enmathématiques où le raifonnement fe fait avecdes équations. En fera-t-il de même dans les au-tres fciences où le raifonnement fe fait avecdes proportions ? Je réponds qu'équations, pro-pofîtions jugemens, font au fond la même chofe,& que par conféquent on raifonne de la mêmemanière dans toutes les fciences.

L'artifice du En mathématiques, celui qui propofe uneraifonnement r neft le même queition la propole d'ordinaire avec toutes fesSciences données & il ne s'agit pour la réfoudre, queIes fciencesïpîoPuvJu: de la traduire en algebre. Dans les autres fcien-le prOllve. ces, au contraire il femble qu'une queftion ne

fe propofe jamais avec toutes fes données. On

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Vous demandera, par exemple quelle eft l'ori-gine & la génération des facultés de l'entende-ment humain & on vous laiffera les donnéesà chercher, parce que celui qui fait la quefïion,ne les connoît pas lui-même.

Mais quoique nous ayons"à chercher les don-nées, il n'en faudroit pas conclure1 qu'elles nefont pas renfermées au moins implicitementdansla queftion qu'on propoiè. Si elles n'y étoientpas nous ne les trouverions pas & cependantelles doivent fe trouver dans toute queftion qu'onpeut réfoudre. Il faut feulement remarquer qu'el-les n'y font pas toujours d'une manière à êtrefacilementreconnues.Parconféquent les trouver,c'eft les démêler dans une expreffion ou elles nefont qu'implicitement; & pour réfoudre la quef-tion, il faut traduire cette expreffion dans uneautre ou toutes les données fe montrent d'unemaniere explicite & diftinfte.

Or, demander quelle eft l'origine & la géné-ration des facultés de l'entendementhumain, c'eftdemander quelle efl l'origine & la génération desfacultés par lefquelles l'homme capable de fen-fations conçoit les chofes en s'en formant desidées & on voit aufîî-tôt que l'attention lacomparaifon le jugement, la réflexion l'ima-gination & le raifonnement font avec les fen-»

fations les connues du problême à réfoudre

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èc que l'origine & la génération font les incon-nues. Voilà les données, dans lefquelles les con-nues font mêlées avec les inconnues.

Mais comment dégager l'origine & la géné-ration, qui font ici les inconnues ? Rien n'eft plusfimple. Par l'origine, nous entendons la connuequi eft le principe ou le commencementde toutesles autres & par la génération,nous entendonsla maniere dont toutes les connues viennent d'unepremiere. Cette première qui m'eft connuecomme faculté ne m'eft pas connue encorecomme premiere. Elle eft donc proprement l'in-connue qui eft mêlée avec toutes les connues,y& qu'il s'agit de dégager. Or la plus légere ob-fervation me fait remarquer que la faculté defentir eft mêlée avec toutes les autres. La fen-fation eft donc l'inconnue que nous avons à dé-gager, pour découvrir comment elle devientfucceffivement attention comparaifon juge-ment, &c. C'eft ce que nous avons fait &nous avons vu que comme les équationsx–i –y+ 1 & xrf i = zy – x paflentpar différentes transformations pour deveniry~ 5 ? & x – y; la fenfation paffe égalementpar différentestransformations pour devenir l'en-tendement.

L'artifice du raifonnement eft donc le mêmedans toutes les Sciences. Comme, en mathéma-

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tiques on établit la queftion en la traduifant enalgebre; dans les autres fciences on l'établit enla traduisant dans l'expreffion la plus fimple

&C qtiand la queflioneft établie, le raifonnementqui la réfout n'eft encore lui-même qu'une fuitede traductions où une prbpofition qui traduitcelle qui la précède eft traduite par celle quila fuit. C'eftainfi que l'évidencepafle avec l'iden-tité depuis l'énoncé de la queftion jufqu'à la

conclufion du raifonnement.

CHAPITRE IX.Des différens degrés de certitude ou de l'évidence

des conjectures & de l'analogie.

JEne ferai qu'indiquer les différens degrés de

certitude, & je renvois à l'Art de raifonner, quieft proprement le développement de tout ceChapitre.

L'évidence dont nous venons de parler, &Au défaut

que je nomme évidence de raifon, confifte uni- de l'éviden-

i iv t • i nce ralfon»

quementdans 1 identité c eft ce que nous avons nous avonst i ri r /••!• l'évidencededémontre. Il iaut que cette vérité foit bien fa;t & l'évi-

fimple, pour avoir échappé à tous les philofo- ^e"tdefen"tlment.

phes, quoiqu'ils euffent tant d'intérêt à s'aflurerde l'évidence dont ils avoient continuellementle mot dans la bouche.

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Je fçais qu'un triangle efi évidemment unefurface terminée par trois lignes parce que

pour quiconque entend la valeur des termesfurface terminéepar trois lignes, eft lamême chofe

que triallgle. Or, dès que je fçais évidemment

ce que c'eft qu'un triangle j'en connoisPeffence

& je puis dans cette eifence découvrir toutes lespropriétés de cette figure.

Je verrois également toutes les propriétés del'or dans fon effence, fi je la connoiffois. Sa pe-fènteur fa ductilité fa malléabilité &c. ne fe-roient que fon eifence même qui fe transforme-roit, & qui, dans fes transformations, m'offri-roit différens phénomènes & j'en pourroisdécouvrir toutes les propriétés par un raifonne-ment qui ne feroit qu'une fuite de propofitionsidentiques. Mais ce n'eil pas ainfi que je le con-nois. A la vérité chaque proportion que je faisfur ce métal, fi elle eft vraie, eft identique.Telleeft celle-ci L'or ejl malléable car elle fignifie

Un corps que j'ai obfervè être malléable & queje nomme or ejl malléable propofition où lamême idée eft affirmée d'elle-même.

Lorfque je fais fur un corps plufieurs propo-fitions également vraies, j'affirme donc dans cha-

cune le même du même mais je n'apperçoispointd'identité d'une proportion à l'autre. Quoi-

que la pefanteur la dudilité la malléabilité ne

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foient vraifemblablement qu'une même chofe quife transforme différemment je ne le vois pas.Je ne fçaurois donc arriver à la connoiffance de

ces phénomènes par l'évidence de raifon je neles connois qu'après les avoir obfervés &C

j'appelle évidence de fait la certitude que j'en ai.Je pourrois également appeller évidence de

fait la connoigancecertaine des phénomenesquej'obferve en moi mais je la nomme évidence de

fendaient parce que c'eft par le fentiment queces fortes de faits me font connus.

Puifque les qualités abfolues des corps font L'évidence

t 1 1 r o sde raifon de-hors de la portée de nos fens, que nous n en montre i'exiQ

pouvons connoître que des qualités relatives il dess'enfuit que tout fait que nous découvrons n'eft corps.;

autre chofe qu'un rapport connu. Cependantdire

que les corps ont des qualités relatives, c'eftdire qu'ils font quelque choie les uns par rapportaux autres; & dire qu'ils l'ont quelque chofe les

uns par rapport aux autres c'eft dire qu'ils fontchacun quelque chofe indépendamment de toutrapport, quelque choie d'abfolu. L'évidence deraifon nous apprend donc qu'il y a des qualitésabfoîues, & par cooféquent des corps mais elle

ne nous apprend que leur exiftenee.Par phénomènes, on entend proprement les Ce qu'on en-

c" ¡,r r tend par ~Lé-faits qui font une fuite des loix de la nature & nomcms, ob-

ces loix font elles-mêmes autant de faits. L'objet {-xpérUnuL

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de la phyfique eft de connoître ces phénomè-

nes, ces loix & d'en iàifir s'il eft polîiblele fyftême.

A cet effet, on donne une attention particu-liere aux phénomènes on les confidere dans tousleurs rapports, on ne laiffe échapper aucune cir-conftance & lorfqu'on s'en eft affuré par desobfervations bien faites, on leur donne encorele nom d'obfervations..

Mais, pour les découvrir, il ne fuffit pas tou-jours d'obferyer il faut encore par différens

moyens, les dégager de tout ce qui les cacheles rapprocher de nous & les mettre à la portéede notre vue c'eft ce qu'on nomme des expé-riences. Telle eft la différence qu'il faut mettreentre phénomènes obfervations expériences.

Viage des II eft rare qu'on arrive tout à coup à l'évi-çonjeûures. jence dans toutes les fciences & dans tous les

arts on a commencé par une efpece de tâton-nement.

D'après des vérités connues, on en foupçonnedont on ne s'aflure pas encore. Ces foupçons fontfondés fur des circonftances qui indiquent moinsle vrai que le vraifemblable mais ils nous met-tent fouvent dans .le chemin des découvertes

parce qu'ils nous apprennent ce que nous avonsà obferver. C'eft là ce qu'on entend par con-jecturer.

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Les conjecturesfont dans le plus foible degré

lorsqu'on n'affure une chofe que parce qu'onne voit pas pourquoi elle ne feroit pas. Si l'onpeut s'en permettre de cette efpece, ce ne doitêtre que comme des fuppofîtions qui ont befoind'être confirmées. Il relie donc à faire des obfer-vations ou des expériences.

Nous paroiffons fondés à croire que la natureagit parles voies les plus fimples. En conféquenceles philofophes font portés à juger que, de plu-fieurs moyens dont une chofe peut être produite,la nature doit avoir choifi ceux qu'ils imaginentles plus fimples. Il eft évident qu'une pareilleconjeâure n'aura de la force qu'autant que nousferons capables de connoître tous les moyens& de juger de leur ïimplicité ce qui ne peutêtre que fort rare [a\.

Les conjeâures font entre l'évidence & l'ana- L'anaiogîeadifferens de-logie, qui n'eft fouvent elle-même qu'une foible g'résde" «rît

conjecture.Il faut donc diftinguer dans l'analogie tutie<

difFérens degrés fuivant qu'elle eft fondée furdes rapports de reffemblance fur des rapportsà la fin, ou fur des rapports des caufes aux effets& des effets aux caufes.

La terre eft habitée donc les planètes le font.

[a] Quant à l'ufage des conjectures dans l'étude del'Hiftoire voyez Cours d'Etude Hift. anc. l, 1 ch. 3. 8.

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Voilà la plus foible des analogies, parce qu'elle)n'eft fondée que fur un rapport de reffemblance.

Mais fi on remarque que les planetes ont desrévolutions diurnes & annuelles, & que par con-féquent leurs parties font fuccefïîvement éclai-rées & échauffées ces précautions ne paroiffent-elles pas avoir été prifes pour la confervationde quelques habitans ? Cette analogie qui eftfondée fur le rapport des moyens à la fin, adonc plus de force que la premiere. Cependantû elle prouve que la terre ri'eft pas feule habitée,elle ne prouve pas que toutes les planetes lefoient car ce que l'Auteur de la nature répetedans plusieurs parties de l'univers pour une mêmefin il fe peut qu'il ne le permette quelquefois

que comme une fuite du fyftême général il fe

peut encore qu'une révolution faffe un défertd'une planete habitée.

L'analogie qui eft fondée fur le rapport deseffets à la cauie, ou de la caufe aux effets eftcelle qui a le plus de force elle devient même

une démonstration lorfqu'elle eft confirmée parle concours de toutes les circonftances.

C'efl une évidence de fait qu'il y a fur la terredes révolutions diurnes & annuelles & c'eft

une évidence de raifon que ces révolutions peu-vent être produites par le mouvement de la terre,par celui du foleil ou par tous les deux.

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Mais nous obfervons que les planetes décri-

vent des orbites autour du foleil, & nous nousafllirons également par l'évidence de fait quequelques-unes ont un mouvementde rotation furleur axe plus ou moins incliné. Or il efl d'évi-dence de raifon que cette double révolution doitnéceffairement produire des jours des faifons& des années donc la terre a une double révo-lution, puisqu'elle a des jours des faifons., desannées.

Cette analogie fuppofe que les mêmes effets

ont les mêmes caufes fuppofition qui étantconfirmée par de nouvelles analogies, & par denouvelles obfervations,ne pourra plus être ré-voquée en doute. C'eft ainfi que les bons phi-lofophes fe font conduits. Si l'on veut apprendreà raifonner comme eux, le meilleur moyen eftd'étudier les découvertes qui ont été faites depuisGalilée jusqu'à Newton. ( Cours d'Etude Artde raifonner. Hijloire moderne llv. dernier, y ch. S

& Juivans. )C'eft encore ainfi que nous avons effayé de

raifonner dans cet Ouvrage. Nous avons ôbfervéla nature & nous avons appris d'elle l'anaîyfe.Avec cette méthode nous nous fommes étudiésnous-mêmes &C ayant découvert, par une fuitede propofitions identiques, que nos idées 8fi nosfacultés ne font que la fènfation qui prend diffé-

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rentes formes nous nous fommes afurés del'origine & de la génération des unes & desautres.

Nous avons remarqué que le développement,de nos idées & de nos facultés ne fe fait quepar le moyen des figr-es., & ne fe feroit pointfans eux que par conféquent notre maniere deraifonner ne peut fe corriger qu'en corrigeant lelangage & que tout l'art fe réduit à bien fairela langue de chaque fcience.

Enfin nous avons prouvé que les premiereslangues à leurorigine, ont été bien faites, parceque la métaphyfique qui préfidoit à leur forma-tion, n'étoit pas une fcience comme aujourd'hui,mais un inflinâ: donné par la nature.

C'eft donc de la nature que nous devons ap-prendre la vraie logique. Voilà quel a été monobjet, & cet Ouvrage en efl? devenu plus neuf,plus fimple & plus court. La nature ne man-quera jamais d'induire quiconque fçaura l'étu-dier elle inftruit d'autant mieux, qu'elle parletoujours le langage le plus précis. Nous ferionsbien habiles, fi nous fçavions parler avec la mêmeprécifion mais nous verbiageons trop pour rai-fonner toujours bien.

Je crois devoir ajouter ici quelques avisaux jeunes perfonnes qui voudront étudier cetteLogique.

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Puifque tout l'art de raifonner fe réduit à bien Avis aux jeu-

r 11 h r• m n. 1 •j nes perfon-faire la langue de chaque fcience, il eit évident nes qui vou-que l'étude d'une fcience bien traitée fe réduit dront étudierque etu. e une Clence len traltee e re cette Logi-.à l'étude d'une langue bien faite. que.

Mais apprendre une langue c'eft fe la rendrefamilière ce qui ne peut être que l'effet d'unlong ufage. Il faut donc lire avec réflexion, àplufieurs reprifes, parler fur ce qu'on a lu, &relire encore pour s'aflurer d'avoir bien parlé.

On entendra facilement les premiers Chapi-tres de cette Logique mais fi parce qu'on lesentend, on croit pouvoir aller tout-à-coup àd'autres, on ira trop vîte. On ne doit paffer àun nouveau Chapitre qu'après s'être approprié& les idées & le langage de ceux qui le pré-cedent. Si l'on tient une autre conduite on n'en-tendra plus avec la même facilité, & quelquefois

on n'entendra point du tout.Un plus grand inconvénient c'efl qu'on en-

tendramal, parce qu'on fera de fon langage donton confervera quelque chofe, & du mien, qu'oncroira prendre, un jargon inintelligible. Voilàfur-tout ce qui arrivera à ceux qui fe croientinflruits, ou parce qu'ils ont fait une étude de cequ'on nommefouvent bien mal-à-propos philo-fophie, ou parce qu'ils l'ont enfeigné. De quel-

que maniere qu'ils me lifent, il leur fera biendifficile d'oublier ce qu'ils ont appris,pour n'ap-

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prendre que ce que j'enfeigne. Ils dédaignerontde recommenceravec moi ils feront peu de casde mon Ouvrage s'ils s'apperçoivent qu'ils nel'entendent pas & s'ils s'imaginent l'entendre

>il en feront peu de cas encore, parce qu'ils l'en-tendront à leur maniere & qu'ils croiront n'a-voir rien appris. Il eft fort commun parmi ceuxqui fe jugent fçavans, de ne voir dans, les meil-leurs livres que ce qu'ils fçavent & par con-féquent de les lire fans rien apprendre ils nevoient rien de neufdans un ouvrage où tout eftneuf pour eux.

Aufïï n'écris-je que pour les ignorans. Commeils ne parlent les langues d'aucune fcience illeur fera plus facile d'apprendre la mienne elleeft plus à leur portée qu'aucune autre parce queje l'ai apprife de la nature qui leur parleracomme à moi.

Mais s'ils trouvent des endroits qui les arrê-tent, qu'ils fe gardent bien d'interroger des fça-vans tels que ceux dont je viens de parler ilsferont mieux d'interroger d'autres ignorans quim'auront lu avec intelligence.

Qu'ils fe difent Dans cet Ouvrage, on neva que du connu à l'inconnu donc la difficultéd'entendre un Chapitre vient uniquementde ce queles Chapitres précéderis ne me font pas ajfe^ fami~tiers. Alors ils jugeront qu'ils doivent revenir

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fur leurs pas & s'ils ont la patiencede le faire)>

ils m'entendront fans avoir befoin de consulterperfonne. On .entendjamais mieuxque lorfqu'onentend fans fecours étrangers.

Cette Logique eu. courte, & par conféquentelle n'efl pas effrayante. Pour la lire avec la ré-flexion qu'elle demande il n'y faudra mettreque le temps qu'on perdroit à lire une autreLogique.

Quand une fois on la fçaura & par la fça-voir, j'entends qu'on foit en état de la parlerfacilement & de pouvoir au befoin la refairequand on la fçaura dis-je, on pourra lire avecmoins de lenteur les livres ou les fciences fontbien traitées & quelquefois on s'iriilriiira pardes lectures rapides. Car, pour aller rapidementde connoifîance en connoiffance,il fuffit de s'êtreapproprié la méthode qui eu l'unique bonne, &qui par conséquent eft la même dans toutesles fciences.

La facilité que donnera cette Logique onl'acquerra également en étudiant les leçons pré-liminaires de mon Cours d'Etude fi l'on y jointla première partie de la Grammaire. Ces étudesayant été bien faites, on entendra facilement tousmes autres Ouvrages.

Mais je veux encore prévenir les jeunes genscontre un préjugé qui doit être naturel à ceux

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qui commencent. Parce qu'une méthode pourraifonner doit nous apprendre à raifonner, nousfommes portés à croire qu'à chaque raifonne-ment, la première chofe devroit être de penferaux règles d'après lefquelles il doit fe faire &nous nous trompons. Ce n'efl pas à nous à penferaux règles, c'eftà elles à nous conduire fans quenous y pensions. On ne parleroit pas, fi, avantde commencerchaque phrafe, il falloit s'occuperde la grammaire. Or l'art de raifonner, comme

toutes les langues ne fe parle bien qu'autantqu'il fe parle naturellement.Méditez la méthode& méditez-la beaucoup mais n'y penfez plus,quand vous voudrez penfer à autre chofe. Quel-que jour elle vous deviendra familiere alors,toujoursavec vous, elle obfervera vospenféesjqui iront feules, & elle veillera fur elles pourleur empêcher tout écart c'eft tout ce que vousdevez attendre de la méthode. Les garde-fousne fe mettent pas le long des précipices pourfaire marcher le voyageur, mais pour empêcherqu'il ne fe précipite.

Si, dans les commencemens,vous avez quel-que peine à vous rendre familière la méthodeque j'enfeigne, ce n'eft pas qu'elle foit difficile:elle ne fçauroit l'être, puifqu'elle eft naturelle.Mais elle l'elt devenuepour vous, dont les mau-vaifes habitudes ont corrompu la nature. Dé-

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faites-vous donc de ces habitudes, & vous rai-fonnerez naturellement bien.

Il femble que j'aurois du donner Ces avis avantle commencement de cette Logique mais on neles auroit pas entendus. D'ailleurs pour ceuxqui l'auront fçu lire dès la premiere fois, ils fontauflî bien à la fin & ils y font bien auflî pourles autres, qui en fentiront mieux le befoin qu'ils

en ont.

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APPROBATION.J 'ai lu par ordre de M%\ le Garde des Sceauxles Œuvres complettes dû M. l' Abbé de CO ND i ll ac.Je n'y ai rien trouvé qui m'ait paru devoir en empê-cher i'impreffion. A Paris, ce 7 Décembre 1777.

DE S ANC Y.

PRIVILEGE D U ROI.XjOUIS

PAR LA GRACE DE DIEU Roi DE FRANCE ETi?E NAVARRE A nos amés & féaux Confeillers les Gens tenansnos- Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notreHôta.1 Grand-Confeil Prévôt de Paris Baillis Sénéchaux leursLieuteuans Civils & autres nos Jufticiers qu'il appartiendraSalut. Notre amé le Sieur Abbé D Condillac Nous afait expoier qu'il defireroit faire imprimer &donner au Public fesŒuvres convîntes s'il Nous plaifoit lui accorder nos Lettres dePrivilège pour ce néceflaires. A CES CAUSES, voulant favora-blement traiter l'Expofant Nous lui avons permis & permettonsde faire imprimer ledit Ouvrage autant de fois que bon lui fem-blera, & de le vendre faire vendre par tout notre Royaume.Voulonsqu'il jouiffe de l'effet du préfent Privilege pour lui & feshoirs à perpétuité pourvu qu'il ne. le rétrocède à perfonne &fi cependant il jugeoità propos d'en faire une ceffion I'afte quila contiendrafera enregiftré en la Chambre Syndicale de Paris àpeine de nullité tant du Privilège que de la ceffion & alors parle fait feul de la ceffion enregiftrée la durée du préfent Privilègefera réduite à celle de la vie de l'Expofant ou à celle de dix an-nées à compter de ce jour fi l'Expofant décede avant l'expira-tion defdites dix années le tout conformément aux Articles IV &V de l'Arrêt du Confeil du 3o Août 1777, portant Règlementfutla durée des Privilèges en Librairie. FAISONS défenfe; à tousImprimeurs Libraires & autres perfonnes, de quelque qualité &condition qu'elles foient d'en introduire d'impreffion étrangèredans aucun lieu de notre obéiflance comme auffi d'imprimeroufaire imprimer vendre, faire vendre, débiter ni contrefaireleditOuvrage fous quelque prétexte que ce puiffe être fans la permiffîon expreffe & par écrit dudit Expofant ou de celui qui le re-préTentera à peine de faifie & de coiifitcation des exemplaires con-trefaits, de fix mille livres d'amende qui ne pourra être modéréepour la première fpis; de pareille amende Se de déchéance d'état en

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«as de récidive, & de tous dépens, dommages & intérêts confor-mément à l'Arrêt du Confeildu 3 Août 1777, concernant les Con-trefaçons A la charge que ces préfentesferont enregistréestout aulong fur le Regiftrede la Communauté des Imprimeurs & Librai-res de Paris, dans trois mois de la date d'icelles que l'imprefllondudit Ouvrage fera faite dans notre Royaume, & non ailleurs, enbeau papierEc beaux caractères conformémentaux Régl'emensdela Librairie, à peine de déchéance du préfent Privilege; qu'avantde l'expofer en vente le manufcrit qui aura fervi de copie àl'impreiïion dudit Ouvrage fera remis, dans le même état où l'Ap-probationy aura été donnée, ès mains de notre très- cher & féalChevalier Garde des Sceaux de France le fieur Hue de EMiroménil; qu'il en fera enfufte remis deux exemplairesdans notre Bibliotheque publique un dans celle de notre Château'du Louvre, un dans celle de notre très-cher & féal Chevalier,Chancelier de France, le fieur DE MAUPEOU, & un dans celledudit fleur HUE DE Miroménil le tout à peine de nullité despréfentes du contenu defquelles vous mandons & enjoignonsdefaire jouir ledit Expofant & fes hoirs pleinement& paifiblement,fans fouffrir qu'il leur foit fait aucun trouble ou empêchement.Voulons que la copie des préfentes qui fera imprimée tout aulong au commencement ou à la fin dudit Ouvrage foit tenuepour duement fignifîée & qu'aux copies collationnées par l'un denos amés & féaux Confeillers -Secrétaires, foi foit ajourée commeà l'original. COMMANDONS au premier notre Huiffierou Sergentfur ce requis, de faire pour l'exécution d'icelles tous aftes requis& néceflaires fans demander autre permiflion & nonobftantclameur de Haro charte Normande & Lettres à ce contrairesCar tel eft notre plaifir. D o nnÉ à Paris le treizieme jour du moisde Mai l'an de grace mil fept cent foixajite- dix-huit & de notrenotre regne le cinquième.

Par LE ROI EN SON ConseilSigné LE BEGUE.

Regifiré fur le Regiflrc XX de la Chambre Royale & Syndicaledes Libraires & Imprimeurs de Paris, N°. 1301 fol. 541 confor-mément aux difpofuions énoncées dans le préfent Privilege & à lacharge de remettre à ladite Chambre les huit Exemplaires preferits parl'Article CVÎ11 du Réglemcntde. i-rzf. A Paris, ce 16 Mai ijjS.

Signé A. M. LOTTIN l'ainé, Syndic.

~––––––––~A ORLEANS, de l'Imprimerie de la Veuve Rouze a u-Moht a ut,

Imprimeur du Roi de l'Evêché & de la Ville.