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EHESS Négociations autour du cimetière musulman en Suisse: Un exemple de recomposition religieuse en situation d'immigration Author(s): Sarah Burkhalter Source: Archives de sciences sociales des religions, 46e Année, No. 113 (Jan. - Mar., 2001), pp. 133-148 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30116478 . Accessed: 12/06/2014 14:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sciences sociales des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.79.78 on Thu, 12 Jun 2014 14:11:00 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Négociations autour du cimetière musulman en Suisse: Un exemple de recomposition religieuse en situation d'immigration

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Négociations autour du cimetière musulman en Suisse: Un exemple de recomposition religieuseen situation d'immigrationAuthor(s): Sarah BurkhalterSource: Archives de sciences sociales des religions, 46e Année, No. 113 (Jan. - Mar., 2001), pp.133-148Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30116478 .

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Arch. de Sc. soc. des Rel., 2001, 113, (janvier-mars 2001) 133-148 Sarah BURKHALTER

NEGOCIATIONS AUTOUR DU CIMETIERE MUSULMAN EN SUISSE :

UN EXEMPLE DE RECOMPOSITION RELIGIEUSE EN SITUATION D'IMMIGRATION

Depuis 1992, date de fermeture du << carr6 >> musulman i Genbve par les autori- t6s, les musulmans de Suisse n'ont plus de lieu d'inhumation oii ils puissent respec- ter les rites fundraires islamiques. Des ndgociations ont 6t6 entamdes dans plusieurs cantons du pays pour tenter de rem6dier a cette situation. Quelles informations ces ndgociations nous donnent-elles sur l'attitude religieuse d'une communaut& en situation d'immigration ?

Dbs 1992, on peut constater que l'activit6 d6ploy6e par la communaut6 musul- mane pour trouver une solution permettant I'inhumation islamique en Suisse est considerable. D'autant plus que cette inergie est tout A fait nouvelle, si l'on consi- dbre que la question du cimetibre musulman ne s'est posde pour la premiere fois qu'en 1978 a Genbve, alors que le premier centre islamique datait ddja de 1961. Pourquoi ce regain d'intdr&t pour organiser l'inhumation rituelle en Suisse et com- ment cette revendication s'exprime-t-elle ?

Developpement d'une revendication

A l'image des autres pays d'Europe, la communaut6 musulmane de Suisse s'est considdrablement ddvelopp6e. Dans les ann6es soixante, la plupart des immigr6s 6taient des chefs de famille venus travailler quelques annies et amasser un peu d'argent avant de rentrer chez eux. Les immigrds, encore faibles en nombre, expri- maient peu de revendications vis-a-vis de la socidtd d'accueil. La seule ndcessit6 de l'dpoque 6tait alors d'organiser des lieux de pribre, sans structure socioculturelle particulibre. Un cimetibre musulman ne reprdsentait done pas une prdoccupation majeure. La plupart des immigr6s n'avaient pas l'intention de s'installer. Ils avaient

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maintenu la plus grande part de leurs liens avec le pays d'origine et prdfdraient etre enterrds dans la terre des anc&tres. Ce n'est qu'avec le regroupement familial que la communautd a commenc6 a organiser plus largement sa vie dans le pays d'accueil, et a exprimer davantage de revendications quant a la place qu'elle voulait prendre dans cette socidtd (1).

D'autre part, cette population, a l'instar des autres populations 6trangbres, tend a se stabiliser. D'immigrds, de plus en plus d'entre eux deviennent rdsidents perma- nents. Dbs lors, la motivation d'organiser sa vie dans la socidtd d'accueil sur tous les plans, aussi bien culturels, sociaux que religieux, va en s'accroissant.

C'est ainsi que la question du cimetiere est rapidement apparue comme cen- trale, a partir du moment oil la population n'a plus pu profiter du < carrd ) musul- man du Petit-Saconnex a Genive. A Neuchatel par exemple, un rapport du d616gu6 aux dtrangers affirme que ( l'inexistence d'un cimetibre musulman semble etre le probli~me le plus important auquel la population musulmane est confrontde. > Cette inqui6tude semble &tre largement partagde a Zurich, puisque les responsables musulmans ont cherchd a entrer en ndgociations avec la Ville a peine une annde apris la fermeture du cimetibre du Petit-Saconnex. D'autre part, on peut remarquer que l'ensemble des centres islamiques de la ville se sont rassemblds derribre ce pro- jet, ce qui suppose une certaine unite quant aux revendications formuldes. Le porte-parole de la Fondation culturelle islamique et mosqude du Petit-Saconnex, H. Ouardiri, porte-parole de la Fondation et mosqu6e du Petit-Saconnex a Genive, affirme que les deux prioritds actuelles de la Fondation sont un espace pour une dcole islamique et un cimetiire ou < carr6 > musulman. Enfin, les Suisses convertis a l'islam ont trts vite exprim6 leur volont6 d'avoir des cimetibres islamiques puisqu'une Fondation des cimetibres islamiques suisses (F.C.I.S.) existe ddja depuis 1987, soit avant m~me la fermeture du cimetibre du Petit-Saconnex. On constate done une certaine unitd dans la volontd de r6gler la question de l'inhuma- tion rituelle en territoire suisse.

Hitbrogneitt~ de I'islam en Suisse

Selon quels termes s'exprime la revendication actuelle du droit au cimetibre musulman ? L'unit6 constatde quant a la volont6 de r6gler la question du cimetibre musulman se retrouve-t-elle dans les propositions faites pour rdaliser ce projet ? Quels renseignements ces attitudes nous donnent-elles quant a la recomposition du corpus religieux en situation d'dmigration ?

La population musulmane de notre pays se caractdrise par une tris grande h6td- rog6n6itd, que ce soit sur les plans linguistique (arabe, turc, yougoslave, etc.),

(1) De 1970 8 1990, le nombre total des musulmans en Suisse a presque d6cupl6. On est pass6 d'une population de 16 353 en 1970 B 152 217 en 1990. Lors du dernier recensement, la population musulmane repr6sentait done 2,2 % de la population totale, et 12 % de la population 6trangbre.

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national ou confessionnel (2). D'autres parami&tres entrent en jeu, notamment le niveau socio-6conomique et le niveau d'instruction. L'anciennet6 de l'immigration et le regime politique et dconomique du pays d'origine peuvent 6galement nous renseigner, par exemple pour comprendre l'attitude face au pays d'accueil et le niveau d' << engagement identitaire >>. Ainsi, plus que le credo islamique, c'est la rdfrrence faite t la religion qui diffbre beaucoup d'une frange de la population t

l'autre. Malgr6 cette diversiti, on se rend compte que la population musulmane de Suisse, toute appartenance nationale confondue, choisit massivement de rapatrier le corps dans le pays d'origine plut6t que de le faire enterrer sur le territoire suisse (3). Nous avons choisi, dans cette 6tude, de nous int6resser sp6cialement aux responsables religieux, ou chefs de centres islamiques. Nous aurons done l'occa- sion de voir comment ils interpritent ce recours au rapatriement, et quelle valeur religieuse ils y voient. Cela nous renseignera d'une part sur le discours et la posi- tion ddfendue par les responsables, et d'autre part sur l'dcart qui reside entre cette position et la pratique de la majorit6.

Un discours unitaire

Notre 6chantillon comprend une vingtaine de responsables de centres ou d'associations islamiques et d'imams de toute la Suisse, de nationalit6s et de niveaux d'instruction divers. Nous avons choisi de nous concentrer sur des respon- sables sunnites uniquement, ce qui en fait un 6chantillon relativement homoghne. En effet, bien que le sunnisme comprenne quatre icoles de droit, cette diversit6 entre peu en ligne de compte dans le sujet qui nous intdresse (4). Le choix de ne prendre en compte que des imams sunnites est 16gitime, dans la mesure oi ce sont eux qui participent aux dialogues mends avec les autoritis. Les shi'ites (trbs mino- ritaires) et les sufis, par exemple, s'ils n'ont pas les m~mes prdoccupations vis-h-vis de la mort, ne le font pas savoir officiellement. L'homog6ndit6 formelle de notre 6chantillon en fait son intir&t, puisque c'est justement cette homogan6it6 << de principe >> que nous cherchons t v6rifier. L'appartenance au sunnisme, et t une m~me corporation, suffit-elle pour prdsenter une unit6 de vues ? C'est ce que nous verrons. Le bagage personnel, le niveau d'6ducation - qui diffrre d'un imam t

l'autre (5) - et le pays de provenance, avec toutes les variantes socio-culturelles qui

(2) Les ressortissants musulmans proviennent d'une quarantaine de pays diff6rents; les commu- nautis les plus importantes sont celles de Turquie (45,1 % de la population musulmane 6trangbre), relati- vement ancienne, et de Yougoslavie (38,4 %), plus r6cente. La communaut6 turque connait elle-mime une forte hit6rog6n6it6, confessionnelle (sunnites, shi'ites, alawites), politique (socialistes, nationalis- tes...), ou ethnique (Turcs, Kurdes).

(3) Les chiffres sont difficiles i obtenir, puisque les centres eux-mimes ne tiennent pas de registres indiquant qui se fait rapatrier et qui enterrer en Suisse. Mais diff6rents regroupements d'informations nous permettent d'affirmer que le rapatriement est largement prdffr6.

(4) Les quatre 6coles (shafa'ite, malikite, hanafite et hanbalite) ne diffbrent pratiquement pas quant au rituel fun6raire. Les diff6rents imams et cheikhs interrog6s nous ont certifid que seule la manibre d'accomplir la pribre sur le mort variait d'une 6cole i l'autre.

(5) Il n'est en effet pas n6cessaire d'avoir suivi toute la filibre universitaire islamique pour &tre chef de centre en Suisse. Certains de nos interlocuteurs 6taient done docteurs, alors que d'autres n'avaient suivi que l'6cole coranique.

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en d6coulent, entrainent des positions iddologiques varides et crdent des divergen- ces dans l'interprdtation des textes religieux. I1 se peut aussi qu'une certaine com- pdtition existe entre diffdrents centres religieux, ou que certains revendiquent une filiation spirituelle d'un cheikh particulier, lid au pays d'origine, ce qui pousserait les responsables i prdsenter des discours opposds. Or, h travers tous nos entretiens, on constate une singulibre unitd dans le discours vis-a-vis de la question du cime- tibre musulman en Suisse.

De manibre quasi g6ndrale, ce discours tend t prdsenter la revendication du droit au cimetibre comme 6tant de caractbre purement religieux. Ainsi, I'dvolution de la communautd musulmane en Suisse, sa progression numdrique, et son intdgra- tion socio-dconomique dans notre socidtd n'auraient aucune part dans l'explication de la revendication actuelle. H. Ramadan, directeur du Centre islamique des Eaux-Vives i Genbve, parle du droit i l'inhumation comme d'un droit religieux, faisant partie de la libertd de culte pr6nde par la Constitution suisse. Dans le mime sens, il compare le cimetibre a la mosqude, par la teneur religieuse de cet espace. A son avis, il faut considdrer le cimetibre comme un prolongement du lieu de culte, c'est-a-dire comme un espace sacrd. Il nous semble que cette idde est partagde par la plupart de nos interlocuteurs, qui n'ont cessd de nous rappeler le caractbre sacrd du corps mort et l'impdratif de respecter absolument son repos (interdiction d'exhu- mation ou de changement d'affectation du terrain). Cette soudaine distinction du sacrd et du profane, peu prdsente dans l'islam, est-elle dictde par la situation de vie en immigration ? On peut se poser la question. Toujours est-il que l'ensemble de l'argumentaire d'une majoritd de nos interlocuteurs vise a ddmontrer le caractbre strictement religieux du cimetibre et de l'inhumation, sans considdration aucune pour les aspects social, culturel ou dconomique. Seules trois personnes ont insistd sur l'importance sociale et culturelle du cimetibre: un reprdsentant de musulmans et musulmanes de Suisse (M.M.S.), organisation largement prdoccupde par l'intd- gration de la deuxibme g6ndration des musulmans de Suisse, la fondatrice de l'Association culturelle des femmes musulmanes de Suisse, N. Karmous, et enfin un Suisse converti a l'islam et fondateur de la F.C.I.S., A. Meyers.

II faut dbs lors nous demander d'oi vient cette homogdnditd du discours. Pour- quoi cette insistance sur le caractbre religieux de la revendication? Que r6vble-t-elle du rapport des responsables religieux avec le corpus ?

Avant de traiter ces diffdrentes questions, nous examinerons les motivations possibles de la revendication du droit au cimetibre musulman. Ces motivations sont-elles d'ordre strictement religieux, comme l'affirment les responsables reli- gieux ?

Les motivations de la revendication

Quelles sont les motivations rdelles des personnes interrog6es dans leur reven- dication du droit au cimetibre ? Sur un plan thdorique, les motivations que nous avons isoldes sont d'ordre religieux, culturel ou socio-politique. Selon nos propres ddfinitions, la motivation religieuse est la volontd stricte de respecter une foi et un

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rituel; la motivation culturelle est celle qui s'attache de manibre plus affective et plus large h des pratiques traditionnelles, moins par souci religieux que par ddsir de respecter la coutume et de perpdtuer des traditions; la motivation socio-politique est la volontd de reconnaissance et d'intigration sociale et politique. Cette distinc- tion a surtout une valeur mdthodologique, puisque la rdalitd est plus complexe (6). Voyons maintenant si les points revendiquds par les responsables musulmans sont tous ( religieux > comme ils le disent.

Si la demande de cimetibres musulmans est vraiment de type religieux, c'est done qu'il y a une impossibilit6 h respecter le rite fundraire islamique dans l'inhu- mation <B la ligne >> des cimetibres communaux. Voyons ce qu'il en est. Le princi- pal problbme de l'inhumation sur sol suisse est qu'elle ne permet pas de respecter le repos perpdtuel des ddfunts. C'est lt le seul obstacle majeur h l'application du rituel, puisque si nous nous en tenons aux obligations de base, nous pouvons admettre qu'il est possible de les respecter. Les Hadiths parlent en effet de trois obligations dans le rituel fundraire : la toilette du mort, la mise en terre, le visage tournd vers la Mecque, et les pribres sur le mort. Pour ce qui est de la toilette du corps, il est de la libertd de chacun de l'effectuer selon son rite; elle est done faite par l'imam ou un proche du ddfunt, conformdment au rituel islamique. Quant h la mise en terre, en direction de la Mecque, plusieurs informateurs, que ce soit du c8t6 musulman ou de celui des Pompes funTbres, nous ont assurd que les fossoyeurs acceptaient volontiers de ddcaler le corps par rapport t l'arrangement extdrieur de la tombe pour respecter la direction voulue. Enfin, les pribres sur le mort ne posent aucun problbme quant h leur application, et peuvent avoir lieu soit a la mosqude, soit au cimetibre.

Le plus g6nant serait done l'impossibilit6 d'avoir des tombes perpdtuelles, et la peur de l'exhumation. En ce qui concerne l'exhumation, il ne semble pas que ce soit la question qui motive la communaut6 de Zurich dans sa revendication, puisque P. Wittwer nous a assurd que les corps chrdtiens n'y dtaient pas non plus exhumds. Le systime des tombes h dtages est pratiqud. Aprbs le quatribme ou cinquibme 6tage, on s'arrete et on laisse les ossements en terre. Or, que ce soit a Zurich ou a Neuchatel, les reprisentants des communautis musulmanes ont admis la solution des tombes a dtages dans les cimetibres musulmans, ce qui veut dire qu'ils accep- tent de rouvrir une fosse pour y ddposer un nouveau corps apris un certain temps, ou du moins de superposer plusieurs tombes dans un espace relativement res- treint (7). Le problbme peut survenir au moment oii le cimetibre est ddsaffectd pour 8tre transformd par exemple en parc public, sans que les corps soient diterrds et seulement aprbs une durde de 150 ou 200 ans. Nos interlocuteurs musulmans ont bien insistd sur le fait que le cimetibre ne devait pas servir de lieu de promenade et qu'il dtait impensable de marcher sur une tombe. Cette idde est aussi prdsente dans les Hadiths. En voici un exemple rapportd par A. D. Al-Djazairi (8): ( I1 vaut

(6) Par exemple, une rifdrence au corpus religieux peut Stre faite dans un esprit d'appartenance culturelle et vice versa.

(7) Ceci reprisente une marque d'ouverture de la part des responsables musulmans, quand on sait que les Hadiths interdisent gindralement d'ouvrir une tombe pour y placer un deuxibme corps ou d'enter- rer deux corps dans la m0me tombe, sauf en cas de nicessit6 (h~catombe, guerre). Toutefois, les pays arabo-musulmans utilisent les tombeaux de famille, ce qui signifie une accumulation de corps dans le meme espace.

(8) AL-DJAZAIRI, 1986, p. 301.

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mieux pour l'un de vous de s'asseoir sur une braise ardente qui brfile ses habits jusqu'd atteindre sa peau, que de s'asseoir sur un tombeau (Moslim) >>. A. D. Al-Djazairi en conclut: ( Le musulman ne dolt pas s'asseoir sur un tombeau, nile fouler des pieds. >>

Outre la peur de l'exhumation, la dispersion des tombes musulmanes dans les cimetiares communaux nous a dt6 prdsentde par l'ensemble des personnes interro-

g~es comme le principal problbme << religieux >> de l'inhumation en Suisse. La volontd de sdparation des morts musulmans d'avec les autres est prdsentde comme un impdratif majeur par la F.C.I.S.

Nos diffdrents interlocuteurs ont igalement beaucoup insistd sur ce fait comme 6tant une obligation religieuse. Cette volontd de sdparation peut etre comprise comme religieuse dans le sens oii les docteurs de la loi prescrivent la separation des tombes. Examinons maintenant quelles sont les raisons donndes pour rassembler les tombes musulmanes. Nos interlocuteurs ont tous mentionnd l'existence d'une rela- tion spirituelle entre les vivants et les morts. Y. Basalamah nous a pricisd que cette relation n'existait pas seulement au niveau de la famille, et c'est cela qui est impor- tant, mais de la communautd tout entibre. H. Ouardiri explique : ( un musulman ne visite pas seulement la tombe de sa famille, mais aussi celles des autres >>. Relation qui, plus qu'un culte du souvenir, semble prendre la forme d'une sorte de transmis- sion spirituelle d'une gindration ' l'autre. Idde qui rappelle les diffdrents cultes populaires de saints qui s'organisent dans nombre de pays arabo-musulmans, et qui sont rigulibrement combattus par les tenants de l'orthodoxie (9).

Nous pensons que cette motivation relive davantage du domaine culturel ou affectif que du domaine purement religieux. Nos interlocuteurs, tout en rdpdtant par ailleurs que cette sdparation des corps dtait obligatoire, ont davantage utilis6 un vocabulaire de type affectif que religieux. II nous a, par exemple, souvent 6td

rdpit6 qu'il 6tait ( normal d'avoir envie >> d'&tre enterrd au sein de la communautd avec laquelle on avait vdcu toute sa vie durant. H. Ramadan nous a affirm : ( Nous sommes une communautd jusque dans l'au-del >>. Les tombes musulmanes n'ont d'ailleurs pas besoin d'&tre absolument isoldes des tombes chrdtiennes. Aux dires de nos interlocuteurs, il semble que l'idde de rassemblement des tombes musulmanes prime sur le fait d'etre sdpard des chritiens. A Zurich comme t Neuchftel, les dll6guds musulmans chargis de ndgocier avec l'Etat sur la question du cime- tibre ont admis, voire montrd une nette prdfirence pour la solution du partage des cimetibres communaux (10).

D'oii vient cette affirmation ? A premiere vue, la notion d'Umma, la Commu-

nautd des croyants, occupe une place centrale dans l'islam qui s'est ddveloppd au cours des sidcles, et non forcdment a la pdriode proph~tique. Les islamologues rdphtent souvent que l'islam est din wa dawla, religion et cit6. C'est dire que la vie communautaire constituerait a elle seule un des deux principes de base de l'islam. L. Gardet (11) dcrit: < l'islam est a la fois religion et communaut6 temporelle; mieux encore: une communaut6 qui prend en charge en un seul et indissociable

(9) En effet, l'islam coranique interdit le culte des morts, mime celui du Prophtte lui-m~me, et limite de fagon trbs prdcise les durdes de deuil, au-del desquelles le souvenir du mort ne dolt en aucun cas envahir le quotidien des survivants ni les empecher de continuer B vivre.

(10) Partage d'un meme cimetibre en plusieurs < carrds > ou zones. (11) GARDET, 1970, p. 273.

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dlan les relations de chaque croyant avec Dieu, et les relations des croyants les uns avec les autres sur le plan moral, social, politique. >> D'autre part, si la sdparation des tombes ne fait l'objet d'aucune prescription coranique ou sunnique (de la Sunna), les dcoles juridiques ont admis par la suite, et selon les rbgles de l'interprd- tation coranique, que cette sdparation devait avoir lieu. La question est de savoir quelle ddfinition nous donnons A la religion. Une religion n'est-elle formde que des Textes sacrds, ou inclut-elle 6galement les divers commentaires 6labords selon des rigles thdologiques pr6cises et vdhiculant un certain nombre de valeurs et de princi- pes ddveloppds dans l'esprit de ces Textes ?

L'union des croyants serait done au coeur de l'islam, mais non en tant que pres- cription coranique. Elle l'est davantage au titre de coutume, de volont6 de << former corps >> autour d'une meme croyance. Cette exigence relive en effet moins du rite (prescrit par un texte) que de la pratique (geste ddcoulant d'une croyance ou d'une valeur religieuse). Reste que lorsque nos interlocuteurs utilisent le mot << reli- gieux >>, ils se r6firent avant tout i l'ensemble formd par le Coran et la Sunna (Hadiths). En prdsentant alors l'exigence de sdparation des corps comme une obli- gation religieuse, ils 6tendent le champ du religieux i un domaine qu'eux-memes ne considbrent pas comme tel dans leur discours. Nous reviendrons plus loin sur les raisons et la signification de cette attitude. L'insistance mise sur le lien entre les croyants devant la mort est d'autant plus frappante que celle-ci revet un caractbre individuel dans l'islam coranique (le musulman est seul devant la mort, jug6 pour ses propres actes). Ainsi, le prolongement de l'existence de la communautd au-dela de la mort est artificiel, construit. Il semble done que ce souci d'assurer une unitd i

la communaut6 est surtout motiv6 par des impdratifs d'ordre culturel (prdservation d'une culture) et socio-politique (n6cessitd de survie ou volontd de perp6tuation). Cette volontd de distinction existe naturellement dans toute nouvelle religion, au moment oii il lui faut se distinguer de celles qui existent ddj~. Il est impressionnant de voir que ce besoin de Idgitimitd perdure au-dela des sibcles. Comme si le contexte d'immigration reprdsentait une nouvelle menace, justifiant une telle volontd de d6marcation, ou de visibilitd.

Notre interprdtation culturelle ou socio-politique des motivations r6elles de nos interlocuteurs est encore renforcde par un autre 616ment. Le fait qu'une part gran- dissante de la population musulmane - relayde par les responsables religieux - 6mette le voeu d'8tre enterrde sur territoire suisse, serait rdvdlateur, sinon d'un ddbut d'intdgration socioculturelle rdelle dans la socidtd d'adoption, du moins du ddsir de cette intdgration.

Le recours actuel au rapatriement des corps dans le pays d'origine exprime en effet un attachement affectif ou culturel au pays d'origine. Le fait d'etre enterrd avec sa famille, dans la terre des ancitres, ne constitue pas une obligation reli- gieuse, ni meme une solution prdf6rde par l'islam. C. Yassine (12) parle de la peur de rompre la filiation avec le phre par le choix d'un autre lieu d'inhumation que la terre des ancetres. C'est alors par souci de respecter l'ordre g6ndalogique qu'on se fait enterrer dans le caveau familial. L'appartenance est ici culturelle, et le senti- ment d'identitd plus national ou culturel que religieux. Ainsi, le fait mime qu'on accepte d'etre enterrd dans le pays d'accueil est la marque d'une meilleure intdgra-

(12) YASSINE, 1988, p. 338.

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tion culturelle et sociale dans la socidtd d'adoption. Cette volonti d'insertion est trbs forte chez les jeunes arabophones de Suisse romande. P. Haenni (13) l'a v6ri- fi&. ( Nombre de jeunes ont optd pour une insertion individuelle dans la socidt6 d'accueil en parallble, ou i titre de substitut, aux liens de parent6 au sein de la famille nucldaire ou dlargie (soit parce qu'ils sont en position de ddmarcation a l'dgard de leurs parents, soit parce qu'ils sont venus seuls, pour les 6tudes ou i la recherche de travail).

De plus en plus, et a mesure que la population se sddentarise, les rdfdrences culturelles prd-migratoires sont abandonndes pour faire place i une recomposition identitaire, m~me si celle-ci ne se fait pas selon un seul schema. Par exemple, le porte-parole de M.M.S. a insist6 sur le fait que les musulmans de deuxi~me g6ndra- tion ne se considbrent pas comme une communautd 6trangbre mais participant a la socidt6 suisse. I1 a pr6cis6 que la deuxibme g6ndration avait davantage de racines en Suisse que dans son pays d'origine.

La revendication du droit au cimetibre s'inscrit dans cette perspective d'int&- gration socio-politique de la communautd musulmane. T. Facchinetti, d616gud aux 6trangers du canton de Neuchitel, observe d'ailleurs une certaine ( cristallisation de ce problbme de la reconnaissance sociale et politique sur la question du cime- tibre >, qui lui apparait surtout comme un enjeu symbolique, bien que 16gitime. Ce souci d'int6gration, nous l'avons ressenti fortement tout au long de nos entretiens. Non comme une volontd de se fondre complktement dans la soci6t6, au sens d'assi- milation, mais plutat comme le ddsir d'8tre reconnu avec son identitd propre. A cet 6gard, nombre de plaintes nous ont 6t6 formuldes, traduisant cette pr6occupation. Plusieurs interlocuteurs ont ddplor6: ( Ils ne veulent pas de nous, m~me morts >>. Ou encore: ( Si on trouve de la place pour les vivants, on doit aussi en trouver pour les morts >. Mme N. Karmous, fondatrice de 1'Association culturelle des fem- mes musulmanes de Suisse, lie essentiellement la question du cimetiare a celle de l'intdgration sociale: ( C'est un problbme pour l'intdgration de ne pas avoir de cimetibre. Les musulmans le sentent comme un rejet. M~me morts, ils ne se sentent pas acceptds. La rdexpddition du corps est souvent une souffrance, car on se s6pare du ddfunt d'une manibre artificielle >>. Une manibre de dire que si la Suisse 6tait vraiment prate a intdgrer les vivants, alors elle montrerait plus de souplesse pour accepter les morts. H. Ouardiri, ne parle meme plus d'intdgration mais de citoyen- net6 : ( La situation des musulmans n'est plus temporaire ici. I1 faut penser cela en termes de citoyennetd, et non plus d'intdgration >. Un discours qui exprime bien une volontd sociale et politique d'intdgration et de reconnaissance d'une commu- nautd musulmane 6tablie, citoyenne de la Suisse.

(13) HAENNI, 1995, p. 29.

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RECOMPOSITION RELIGIEUSE EN SITUATION D'IMMIGRATION

R~firences au religieux et r~aminagements du corpus

L'analyse des enjeux de la revendication du droit au cimetibre pour la commu- naut6 musulmane de Suisse nous donne l'occasion d'observer un cas rdel de r6am6- nagement du corpus religieux en situation d'dmigration. B. Lewis (14) explique que la situation d'dmigration volontaire actuelle est tout i fait nouvelle dans l'histoire musulmane. << A aucun moment, on a imagin6 une situation oii un musulman quitte- rait volontairement une terre musulmane pour se mettre dans une situation aussi d6licate >>. Jusqu'ici, les docteurs avaient discutd des cas de s6jours provisoires des voyageurs ou ambassadeurs, ou ceux des prisonniers de guerre capturds par les incroyants. Or la catdgorie des migrants volontaires est aujourd'hui nouvelle, et les attitudes i adopter envers les soci6tds non-musulmanes sont peu discutdes. La ques- tion du rdaminagement du corpus est done laissde la plupart du temps aux soins des responsables des centres islamiques, qui vont devoir gdrer leur rapport au religieux et ndgocier eux-memes avec les autoritds la place qu'ils vont occuper dans la socidtd d'accueil. A notre connaissance, les ouvrages 6crits par des musulmans et traitant de la vie musulmane dans les socidt6s europ6ennes sont tris peu nombreux. Celui de T. Ramadan (15), personnalit6 musulmane engagde dans la socidtd helv6- tique, Les musulmans dans la la'citd, est davantage qu'un manuel de conduite, c'est un code moral gdn6ral, discutant des principes plus que de probl~mes concrets. La question de l'inhumation n'y est par exemple pas traitie. Certains ouvrages traitent plus sp6cifiquement de la mort, mais sans prendre en compte du tout la question de la fagon de vivre cet 6v6nement en situation d'immigration. I1 semble done que ce soit le r81e des intellectuels musulmans d'aujourd'hui de formuler les termes des compromis n6cessaires entre application de la foi et participation aux principes laics des socidt6s occidentales. Plusieurs auteurs affirment ces r6amdnagements possibles. D. Schnapper (16) rappelle par exemple qu'en cas de n6cessit6 (darura), il est pr6vu par le Coran qu'une obligation soit abandonn6e ou un interdit enfreint. Reste i savoir si les conditions de vie en terre non-musulmane sont considdr6es comme des cas de n6cessit6. J.-P. Charnay (17) le dit 6galement : << l'islam admet la variabilit6 de ses prescriptions en fonction de la contingence au moins en certaines limites et sous certaines conditions. > Rappelons que ces rdamdnagements du rituel sont prdvus ddji dans les Hadiths. En ce qui concerne le rituel fundraire, il y est dit, par exemple, qu'en cas de guerre ou d'h6catombe, il est possible d'enterrer les corps deux a deux, chose que l'on prdfbre 6viter en temps normal. La juridiction islamique comporte plusieurs outils d'interprdtation de la loi. La consultation ou concertation (shura), le consensus (ijma') et l'effort d'interpr6tation personnelle (ijtihad) donnent cette possibilitd de former des Conseils de sages pouvant d6libd- rer a tout moment lorsqu'un problime d'application de la loi se pose. Reste a savoir s'ils sont utilisds, comment ils le sont et par qui. Si l'islam admet une lecture dyna- mique de la loi, cela ne veut pas dire que la communautd sache en profiter. D'autre

(14) LEWIS, SCHNAPPER, 1992, p. 32. (15) RAMADAN, 1994.

(16) LEWIS, SCHNAPPER, op. Cit., p. 182. (17) CHARNAY, 1994, p. 312.

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part, il faudrait 6galement pouvoir 6tablir dans quelle mesure l'interprdtation per- sonnelle est possible. Selon M. Arkoun (18), elle ne peut se faire qu'a partir d'un certain nombre de postulats de base qu'elle doit respecter.

Que pouvons-nous dire de ces rdam6nagements dans le cas du cimetibre musul- man en Suisse ? Constate-t-on une rdlaboration du rituel ? En quoi cette r661labora- tion consiste-t-elle ? Nous reprendrons ces questions plus loin en rapport avec notre terrain, lorsque nous virifierons si les diff6rentes attitudes observ6es vis-a-vis du corpus religieux sont motivdes par la situation de vie en immigration ou non.

Rdaminagements au niveau du rite

Les trois obligations de base (toilette, inhumation, pribres), bien qu'elles soient prdsentdes dans le discours comme 6tant les trois seules obligatoires, n'apparaissent pas suffisantes ni i la majoritd des croyants, ni aux responsables musulmans, pour que ceux-ci aient l'impression de respecter le rituel fundraire. Dit plus simplement, I'importance rdelle n'est pas seulement attribude aux principaux points du rite fund- raire. La popularit6 de certains rites ne correspond pas i l'importance dont ils font I'objet dans les textes religieux. Par exemple, le caractare imp6ratif donnd i la sdparation des corps musulmans d'avec les morts d'autres confessions reprdsente selon nous une surdvaluation de cet 616ment du rituel. Certes, c'est 1t le point nodal de la revendication du droit au cimetibre, puisque la sdparation des cimetiares est fond6e principalement sur la sdparation des corps. Mais ce n'est pas non plus le seul argument existant pour exiger des espaces distincts. D'autres points du rite, comme la direction de la Mecque ou l'6ternitd du repos des morts devraient consti- tuer des impdratifs tout aussi importants. D'ailleurs, nos interlocuteurs ne les ont pas 6vacu6s. L'importance donnde i la ndcessit6 de regrouper les tombes musulma- nes n'apparait disproportionnde que lorsqu'on la compare avec son degrd d'obliga- tion (l< 16gal >>. Non seulement cette pratique ne fait l'objet d'aucune obligation coranique ou traditionnelle (Hadiths), mais elle n'est m~me pas conseill6e ou sug- g6rde dans les Textes. Elle n'apparait qu'au niveau des d6veloppements juridiques des siicles post6rieurs A la Sunna.

Cela reprdsente-t-il une r6interprdtation abusive du rituel fundraire ? Non, dans le sens oii l'esprit de la loi suggbre que la communaut6 des croyants est unie et que cette union est un reflet de celle que la communautd entretient avec Dieu; pas non plus, dans le sens oi la tradition (Hadiths) affirme nettement un lien vdritable entre les vivants et les morts, et que ce lien ne peut mieux s'exprimer que par des pribres sur les tombes rassembl6es des d6funts de la communautd. Par 1l, nous voyons que le rituel entretient un rapport complexe avec les Textes, et cela vaut de manibre g6ndrale. Par exemple, les Hadiths ou le Coran ne disent pas non plus express6ment que le repos du mort doit &tre dternel, mais cette idde d6coule logiquement des enseignemerits que le Coran ou les Hadiths donnent sur l'au-delh. C'est l'affirma- tion coranique de la r6surrection des corps qui justifie la n6cessit6 du repos perpd-

(18) ARKOUN, GARDET, 1978, p. 169.

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RECOMPOSITION RELIGIEUSE EN SITUATION D'IMMIGRATION

tuel du d6funt. De meme, c'est l'affirmation de l'union des croyants de l'Umma et la rdalitd du lien entre les vivants et les morts qui justifient le regroupement des tombes musulmanes. Certains commentateurs ont certainement encouragd cette idde selon laquelle l'islam invite a une sdparation des corps par confession. Al-Ghazali (19), par exemple, dans son traitd d'eschatologie La Perle precieuse, rapporte une histoire qui devait vraisemblablement se transmettre a son dpoque: ( On raconte encore d'un Arabe du ddsert qu'il dit a son fils : ( Qu'est-ce que Dieu t'a fait [une fois mort] ? >> Son fils rdpondit: < Il ne m'a pas fait de mal, mais je suis enterrd dans le voisinage d'un certain homme qui fut un impie, et je suis tout effrayd de voir quels chatiments il doit subir. >> >> S'il ne s'agit ni d'un ajout dans le rituel ni d'une interprdtation abusive, on peut pourtant parler d'un rapport particu- lier au religieux, qui tend a dlargir son champ au maximum. Nous reviendrons plus loin sur cette idde.

Qu'est-ce qui motive ce rdajustement du rituel ? Nous pensons que l'insistance mise sur la sdparation des corps reprdsente typiquement une attitude dictde par une situation particulibre : l'immigration. Nous ne voulons pas dire par 1h que la sdpara- tion des corps musulmans ne se fait pas dans les cimetibres des pays musulmans, mais que l'importance donnde a cet lh6ment du rite est caractdristique d'une situa- tion d'immigration. Nous pensons en effet que c'est le besoin de regroupement d'une communautd minoritaire, et la ndcessit6 de l'unitd des diff6rents membres de cette communautd (mame morts) qui sont a l'origine de cette insistance. Alors qu'on comprend facilement que le besoin de s'unifier soit caractdristique d'une communautd qui vit en situation minoritaire dans un pays dtranger, le besoin de rdaffirmer le lien entre les vivants et les morts semble moins dvident. II prochde pourtant, selon nous, du mime phdnombne. Rappelons rapidement que les visites sur les tombes ne se font pas a la seule famille mais a la communautd tout entibre, de m0me que les pribres d'intercession sont adressdes a tous les morts du cimetibre. On comprend dbs lors que rassembler les morts signifie rdaffirmer une solidaritd intracommunautaire. La peur de disperser ses morts signifie done aussi une crainte de voir les membres de la communautd tomber dans un individualisme dgoiUste qui les dloignerait les uns des autres. Il nous semble que ce besoin de solidarit6 et d'identitd collective est dictd en grande partie par la situation d'immigration que vit la communautd musulmane. Ces rdajustements du religieux sont done aussi stratd- gies de survie en terre non-musulmane. Nous comprenons done a quel point l'atta- chement a ce rite n'est pas seulement religieux mais aussi culturel ou social.

L'inaddquation entre les niveaux de popularitd de certains rites et leur place dans le canon reprdsente-t-elle une incohdrence de la part des chefs religieux ? Si ceux-ci accordent la plus grande importance au respect de la forme la plus officielle du rituel, le fait qu'ils insistent sur des points a premiere vue mineurs du rituel signifie-t-il une incohdrence ou un manque de sincdritd dans leur discours ? Nous pensons que l'attitude consistant a dlargir le champ religieux ou a insister davan- tage sur un dlment du rituel ddnote une certaine difficultd de la part des responsa- bles religieux a ddlimiter le champ de leur religion. Cette attitude peut dgalement &tre comprise comme le fait de ne pas aborder la religion d'un point de vue unique- ment littdral ou textuel. La signification ou l'esprit du rite comporte autant, voire davantage, d'importance aux yeux des hommes de religion.

(19) AL-GHAZALI, 1878, p. 25.

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Rapport au corpus religieux

A partir du regard portd sur le rituel fundraire, nous avons cru pouvoir ddgager une attitude g6ndrale de nos interlocuteurs vis-a-vis du corpus religieux. Nous avons en effet constatd une attitude qui favorise, du moins dans le discours, un islam ddbarrassd des ajouts ou des scories prd-islamiques relevant de la coutume. Cette attitude est-elle vraiment suivie d'applications ? Plusieurs responsables nous ont fait part de leur choix de renoncer aux coutumes des fiddles qui frdquentent leurs centres. A. Bihi, responsable d'un centre islamique i Lausanne, nous a par exemple appris que beaucoup de ses membres venaient de pays noirs-africains, dont les traditions populaires 6taient particulibrement fortes, et n'avaient souvent rien

. voir avec l'islam lui-mOme. II avait prdfdrd interdire ces pratiques coutumi&-

res. I1 ne faut pas y voir forcdment une preuve de fondamentalisme ou la manifesta- tion d'une orthodoxie exag6rde, mais peut-&tre simplement le souci de pr6server une religion dans sa forme originale, pr6occupation qui peut encore &tre renforc6e dans un contexte d'immigration. La prdservation d'un islam coranique reprdsente done peut-etre aussi une strat6gie de survie. Par cons6quent, ces rdamdnagements de la foi peuvent

.tre aussi compris comme des r6actions face t l'environnement.

Rdactions n6cessaires . la prdservation de la religion, ou a la protection d'une iden-

titd. Quand l'exil se prolonge, le risque d'assimilation augmente, ce qui pousse a la reconstruction d'une identitd collective forte, fondde si possible sur une vision commune de sa tradition et non sur une disparitd de points de vue. D'oi peut-&tre ce souci d'assurer un islam le plus cohdrent et unitaire possible de la part des diri- geants musulmans. Nous ne disons pas que cette vision unitaire existe, mais qu'elle est recherchde par les responsables musulmans. En effet, face a ce souci de mainte- nir l'islam a un niveau purement religieux, nous constatons certaines incohdrences dans l'attitude de nos interlocuteurs. Par exemple, I'insistance mise sur l'unitd de la communautd

au-del, de la mort, et qui justifie a leurs yeux la n6cessitd de rassem-

bler les tombes musulmanes, ne s'appuie pas directement sur le corpus religieux. Cette insistance relive autant de la culture ou d'une stratdgie de survie sociale que du respect de la religion. Et pourtant, elle est prdsentde dans le discours comme une exigence purement religieuse par la plupart des personnes interrogdes. De meme, l'attitude consistant a d6finir l'espace du cimetiare comme sacrd alors que l'islam coranique ne distingue pas le sacrd du profane prdsente elle aussi une contradiction. A quoi sont dues ces incohdrences ? N'oublions pas que si le fait de se rdfdrer a un islam coranique est g6ndralement partag6 par tous les imams et responsables de centres que nous avons rencontrds, cela ne signifie pas forcdment qu'ils soient d'accord sur le contenu de cet islam. On peut alors se demander si le corpus reli- gieux existe vraiment sous une forme unique. Les Hadiths

eux-m.mes ne donnent

pas une version unique du m0me rituel et beaucoup de points de ddtail sont eux aussi soumis a des variations. Cette polymorphie du rituel islamique donne done lieu a une multitude d'interprdtations possibles. Il est normal, ds lors, que les imams aient des visions diff6rentes sur la manibre de respecter au mieux la forme officielle d'un rite. D'autre part, le corpus religieux est 6galement caractdrisd par un certain flou. Oii s'arrete et oi commence le religieux ? Comment d6terminer un rituel qui serait purement religieux ? Faut-il considdrer comme faisant partie du

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REC('OMPOSITION RELIGIEUSE EN SITUATION D'IMMIGRATION

corpus les rituels dicoulant des interprdtations juridiques des sidcles postproph6ti- ques ?

Cette recherche d'un islam coranique est-il uniquement dictd par la situation d'immigration ? Ne relkve-t-il pas aussi d'un choix ddlibdrd ? IL est certain que la diversitd d'origine des membres de chaque centre (nous parlons ici surtout des cen- tres arabophones, et non des turcophones) rend impossible l'application des prati- ques coutumibres. Y. Ibram, directeur d'un centre islamique h Zurich, nous a, lui aussi, expliqu6 que les pays d'origine des membres de son centre 6taient trop nom- breux pour qu'il soit imaginable de prendre en compte les traditions de chacun. IL a done choisi d'appliquer un islam coranique, parce que commun

. tous. I1 est clair

que le meilleur moyen d'unir une communaut6 autour d'une identit6 est d'assurer une certaine unit6 de ce bagage identitaire. On a done bien, de la part des responsa- bles religieux eux-memes, une volontd d'assurer cofite que cofite une unit6 de la communaut6, un rassemblement des membres autour d'une mime pratique, d'une meme comprdhension des textes religieux. Cette volont6 d'unitd et de solidarit6, si elle existe naturellement dans toute confession, est certainement exacerbde par les conditions de vie en immigration et par la peur de voir la communaut6 se dissoudre au sein de la socidtd dominante.

Attachement a un islam purement religieux

Cette insistance sur un islam purement religieux et ddbarrass6 de ses dlments culturels peut &tre mise en rapport avec la prdsentation avant tout religieuse de la question du cimetibre musulman en Suisse. En effet, on peut comprendre cette insistance comme une volont6 de marginalisation des autres arguments, non islami- ques et done non 16gitimes. Ce qui expliquerait pourquoi les responsables musul- mans sous-estiment volontairement les motivations culturelles ou socio-politiques de leur revendication. Laissons un moment de c8tt la question des causes (situation d'immigration ou autre) de cette attitude. Ce qui nous semble intdressant pour l'ins- tant c'est de mettre en parallble l'attitude consistant A ne prendre en considdration que l'argument religieux et la volont6 de l'isoler. L'un et l'autre prochderaient d'un m0me mouvement, h savoir, la volont6 de placer le religieux au centre du cadre identitaire. Voici un texte qui confirme notre analyse. Parlant des socidtis musul- manes, A. Sayad (20) montre qu'une longue histoire de domination ( a imprim6

. la religion et .

la relation au religieux, aussi bien de la part des non-musulmans (i.e. des dominants) que de la part des musulmans eux-mimes (i.e. des dominds), un profil de religion dominde parce que religion de socidtts domindes, et a fait que partout, dans toutes ces socidtis, I'identitd qu'on dirait sociale, culturelle, voire politique est devenue, en rdaction h la domination des autres, inseparable de l'iden- tit6 religieuse, celle-ci n'dtant alors, et souvent, que l'expression la plus autorisde de celle-li; la plus autorisde parce qu'elle se couvre de l'autoritd de la religion et s'autorise de la sacralisation qu'elle s'est elle-mame confdrie. >>

(20) SAYAD, 1992, p. 148.

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Cette insistance sur le religieux peut 6galement donner lieu i un phinomine d'empiktement du religieux sur les autres spheres de la pens6e. Nous en avons eu une illustration avec l'exigence de separation des tombes. Cette attitude consiste a 6tendre au maximum le champ du religieux, pour englober l'ensemble des com- mentaires juridiques d6veloppds dans les sidcles post-proph6tiques. Ainsi, dans cer- tains cas, les responsables musulmans insistent sur l'importance de limiter le religieux au Coran (islam coranique), alors qu'a d'autres moments ils insistent sur le caractbre religieux d'un ldment qui n'est prdsent que dans la jurisprudence (fiqh) et non dans la Loi elle-m~me (charia). Cette attitude, a premiere vue para- doxale, s'explique par la volonti de placer le religieux au centre de l'argumenta- tion. Dans le premier cas, nous avons une definition 6troite du religieux; dans le deuxibme cas, une ddfinition la plus large possible.

Cette volontd d'insister sur le religieux est certainement dictde par les condi- tions de vie en immigration, et les besoins de prdsenter une revendication la plus I6gitime possible. Or, qu'est-ce qui I6gitime une revendication issue de la commu- nautd musulmane, si ce n'est des impdratifs islamiques ? Seules des obligations religieuses peuvent justifier des privileges accordis a un groupe se revendiquant comme communaut6 religieuse.

Conclusion

L'dtude de la revendication du droit au cimetibre musulman en Suisse nous a permis d'observer un exemple de rdajustement religieux en contexte d'immigration. L'in6vitable dialogue avec les autorit6s du pays d'accueil, la confrontation avec les lois existantes, entrainent forc6ment une relecture de ses traditions et de ses croyances. Dans le cas pr6sent, nous avons constat6 une certaine surdvaluation de l'argument religieux de la revendication du droit au cimetibre. A l'intdrieur de cette attitude, nous avons cru trouver un paradoxe, puisque parallblement a la volont6 de d6pouiller le religieux de ses 6l6ments extdrieurs, nous avons observ6 une tendance a 61largir le plus possible le champ du religieux. Cette attitude se rdv&le moins para- doxale si nous considdrons le but ultime de nos interlocuteurs, qui serait de placer le religieux au centre de l'identit6 de la communautd et de l'argumentation afin de I6gitimer la revendication.

La demande de cimetibres sdpards n'est pas une volont6 d'isolement par rap- port a la socidtd d'accueil, mais un disir d'y

,tre int6gr6, avec son identiti propre. Le mouvement de visibilit6 religieuse actuel r6vble une volont6 d'organiser sa vie ici, en refusant de s'y sentir 6ternellement 6tranger. Nous partageons en cela la con- clusion de P. Haenni (21): Ni la demande, ni l'offre d'islam qui se dessine en Suisse francophone ne se destine fondamentalement au < d6veloppement s6pard ) (mme si, certes, des tendances dans ce sens existent), mais insistent sur la ndces- sitd d'intervenir sur la scene publique et sur le terrain social ). D'ailleurs, la r6ap- parition de revendications de type religieux ne signifie pas forc6ment une

(21) HAENNI, op. cit., p. 32.

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crispation sur une identit6 passdiste. Au contraire, la volont6 d'insertion s'accom- pagne, nous l'avons vu, d'une reaffirmation d'une identitd propre. Bien que ce double mouvement puisse paraitre paradoxal, il ne l'est pas forc6ment: c'est au moment oih l'on se rend compte qu'on est en train de s'intdgrer que des vellditds d'affirmation identitaire r6apparaissent, comme si, maintenant qu'on 6tait suffisam- ment intigr6 pour 6tre acceptd et se d6fendre, on pouvait enfin se permettre de rdaf- firmer ce qu'on avait prdf6rd cacher au moment oii l'on se sentait si diff6rent. Cette rdaffirmation n'est d'ailleurs la plupart du temps pas un simple retour aux sources, mais recomposition. Nous concluons avec T. Ramadan (22) : << Quand des individus ou des associations de << la communaut6 musulmane > interpellent les pouvoirs publics en vue de trouver des solutions aux divers problkmes qui sont les leurs, ils ne traduisent pas une volont6 d'8tre trait6s diff6remment; bien plut8t - puisqu'ils vont vivre ici - ils demandent t ce qu'on prenne en considdration leur pr6sence et leur identiti dans le cadre d'une Idgislation qui a 6t 61labor6e en leur absence. Pouvoir vivre selon sa foi, c'est 1 la libertd recherchde.

Sarah BURKHALTER

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(22) RAMADAN, op. cit., p. 97.

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Rdsumd

La communaut6 musulmane de Suisse est privie de cimetiire musulman depuis 1992, date de fermeture du carrd musulman au cimetitre du Petit-Saconnex i Genrve. Des ndgociations ont alors rapidement vu le jour entre les diffirentes autoritis canto- nales et les responsables religieux musulmans. Cette itude se penche sur le discours

prdsentd par les chefs de centres islamiques et responsables religieux qui participent de pros ou de loin e ces ddbats. Alors que les entretiens montrent une itonnante unite dans le discours, qui tend t prdsenter cette revendication du droit au cimetihre comme principalement religieuse, une etude plus approfondie des exigences posies par les responsables au cours des ndgociations mettent en lumikre des prioccupations cultu- relles et socio-politiques, qui viennent se greffer sur les arguments religieux de la revendication. Cette tendance

t centrer le dialogue sur l'dllment religieux reflhte une

recherche de lMgitimitd de la part des responsables musulmans. Seuls des impiratifs religieux peuvent en effet lMgitimer une telle revendication aupr~s des autoritis de la socidtd d'accueil.

Abstract

The muslim community of Switzerland is deprived from cemetery since 1992, when the muslim patch in Geneva's cemetery has been closed. Therefore, several negocia- tions has been initiated by the religious leaders with the different local authorities. This study tries to analyse the position presented by the religious leaders who take part in these negociations with the government. Though the interviews show a surprising unity in the discourse of the leaders, who present the claim like a purely religious one, a more acute analyse of the points required by them in the negociations lighten cultu- ral and socio-political motivations, which come to complete the religious ones. This tendency to centre the dialogue on the religious motivation denote a quest of legitimity from the religious leaders. As a matter of fact, only religious obligations can give legi- timation to such a claim within the negocations with the hostsociety's authorities.

Resumen

La comunidad musulmana de Suiza ha sido privada de cementerio desde el aiio 1992; aiio en el que la parte musulmana del cementerio de Ginebra fue cerrada. A consecuencia de esto los lideres religiosos iniciaron distintas negociaciones con dife- rentes autoridades locales. Este estudio intenta analizar las propuestas de los lideres religiosos que toman parte en estas negociaciones con el gobierno. Las entrevistas muestran una sorprendente unidad en el discurso de estos lideres, quienes presentan sus reivindicaciones como puramente religiosas. A pesar de esto, un andlisis mds agudo de los puntos tratados, requiere, por parte de ellos, un esclarecimiento de las motivaciones culturales y sociopoliticas que aclare la base religiosa de su discurso en las negociaciones. Esta tendencia a centrar el didlogo en los motivos religiosos denota una basqueda de legitimidad por parte de los lideres religiosos. Y es que, a decir ver- dad, sdlo las obligaciones religiosas pueden legitimar estas reivindicaciones en el marco de las negociaciones con las autoridades de la sociedad de acogida.

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