negri hardt « La production biopolitique »

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  • 8/9/2019 negri hardt La production biopolitique

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    Multitudes Web http://multitudes.samizdat.net/La production biopolitique

    La production biopolitiquemars 2000Negri, Toni / Hardt, Michael

    Nous avons pu apprhender dun point de vue juridique certains des lments de la gense idale de lEmpire,mais il serait difficile sinon impossible, en restant dans cette perspective, de comprendre comment la machine

    impriale est effectivement mise en uvre. Les thories et les systmes juridiques renvoient toujours autre

    chose qu eux-mmes. travers lvolution et lexercice du droit, ils indiquent les conditions matrielles qui

    dfinissent leur projet sur la ralit sociale. Notre analyse doit donc descendre au niveau du concret et explorer ici

    la transformation matrielle du paradigme du pouvoir. Il nous faut dcouvrir les moyens et les forces de

    production de la ralit sociale, ainsi que les subjectivits qui laniment.

    Le biopouvoir dans la socit de contrle

    plus dun titre, les travaux de Michel Foucault ont prpar le terrain pour un examen des mcanismes du

    pouvoir imprial. En tout premier lieu, ces travaux nous permettent de reconnatre un passage historique et

    dcisif, dans les formes sociales, de la socit disciplinaire la socit de contrle. La socit disciplinaire est la

    socit dans laquelle la matrise sociale est construite travers un rseau ramifi de dispositifs ou dappareils qui

    produisent et rgissent coutumes, habitudes et pratiques productives. Mettre cette socit au travail et assurer

    lobissance son pouvoir et ses mcanismes dintgration et/ou dexclusion se fait par le biais dinstitutions

    disciplinaires - la prison, lusine, lasile, lhpital, luniversit, lcole, etc. - qui structurent le terrain social et

    offrent une logique propre la raison de la discipline. Le pouvoir disciplinaire gouverne, en effet, en

    structurant les paramtres et les limites de pense et de pratique, en sanctionnant et/ou en prescrivant les

    comportements dviants et/ou normaux. Foucault se rfre habituellement lAncien Rgime et la priode

    classique de la civilisation franaise pour illustrer lapparition de la disciplinarit, mais lon pourrait dire, plus

    gnralement, que la premire phase daccumulation capitaliste dans son entier (en Europe comme ailleurs) sest

    faite sous ce modle de pouvoir. On doit comprendre au contraire la socit de contrle comme la socit qui se

    dveloppe lextrme fin de la modernit et ouvre sur le post-moderne, et dans laquelle les mcanismes de

    matrise se font toujours plus dmocratiques , toujours plus immanents au champ social, diffuss dans le

    cerveau et le corps des citoyens. Les comportements dintgration et dexclusion sociale propres au pouvoir sont

    ainsi de plus en plus intrioriss dans les sujets eux-mmes. Le pouvoir sexerce maintenant par des machines qui

    organisent directement les cerveaux (par des systmes de communication, des rseaux dinformations, etc.) et les

    corps (par des systmes davantages sociaux, des activits encadres, etc.) vers un tat dalination autonome,

    en partant du sens de la vie et du dsir de crativit. La socit de contrle pourrait ainsi tre caractrise par

    une intensification et une gnralisation des appareils normalisants de la disciplinarit qui animent de lintrieurnos pratiques communes et quotidiennes ; mais au contraire de la discipline, ce contrle stend bien au-del des

    sites structurs des institutions sociales, par le biais de rseaux souples, modulables et fluctuants.

    En second lieu, le travail de Foucault nous permet de reconnatre la nature biopolitique de ce nouveau paradigme

    du pouvoir. Le biopouvoir est une forme de pouvoir qui rgit et rglemente la vie sociale de lintrieur, en la

    suivant, en linterprtant, en lassimilant et en la reformulant. Le pouvoir ne peut obtenir une matrise effective sur

    la vie entire de la population quen devenant une fonction intgrante et vitale que tout individu embrasse et

    ractive de son plein gr. Comme le dit Foucault, la vie est devenue maintenant [...] un objet de pouvoir. La

    plus haute fonction de ce pouvoir est dinvestir la vie de part en part, et sa premire tche est de ladministrer. Le

    biopouvoir se rfre ainsi une situation dans laquelle ce qui est directement en jeu dans le pouvoir est la

    production et la reproduction de la vie elle-mme.

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    Ces deux lments du travail de Foucault se raccordent lun lautre en ce sens que seule la socit de contrle

    est en mesure dadopter le contexte biopolitique comme son terrain exclusifde rfrence. Dans le passage de la

    socit disciplinaire la socit de contrle, un nouveau paradigme de pouvoir se ralise, qui est dfini par les

    technologies reconnaissant la socit comme le domaine du biopouvoir. Dans la socit disciplinaire, les effets des

    technologies biopolitiques taient encore partiels au sens o la mise aux normes se faisait selon une logique

    relativement ferme, gomtrique et quantitative. La disciplinarit fixait les individus dans le cadre des

    institutions, mais ne russissait pas les consommer/consumer entirement au rythme des pratiques et de la

    socialisation productrices ; elle ne parvenait pas au point de pntrer entirement les consciences et les corps des

    individus, au point de les traiter et de les organiser dans la totalit de leurs activits. Dans la socit disciplinaire,

    donc, la relation entre le pouvoir et lindividu restait une relation statique : linvasion disciplinaire du pouvoir

    contrebalanait la rsistance de lindividu. En revanche, lorsque le pouvoir devient entirement biopolitique,

    lensemble du corps social est embrass par la machine du pouvoir et dvelopp dans sa virtualit. Cette relation

    est ouverte, qualitative et affective. La socit, subsume sous un pouvoir qui descend jusquaux centres vitaux

    de la structure sociale et de ses processus de dveloppement, ragit comme un corps unique. Le pouvoir

    sexprime ainsi comme un contrle qui envahit les profondeurs des consciences et des corps de la population - et

    qui stend, dans le mme temps, travers lintgralit des relations sociales.

    Dans ce passage de la socit disciplinaire la socit de contrle, on peut donc avancer que la relation - de plusen plus intense - dimplication mutuelle de toutes les forces sociales, que le capitalisme a recherche travers

    son dveloppement, sest maintenant totalement ralise. Marx reconnaissait quelque chose de similaire dans ce

    quil appelait le passage de la subsomption formelle la subsomption relle du travail sous le capital, et plus tard,

    les philosophes de lcole de Francfort ont analys le passage (trs voisin) de la subsomption de la culture (et des

    relations sociales) sous la figure totalitaire de ltat, ou rellement dans la dialectique perverse des Lumires.

    Toutefois, le passage auquel nous nous rfrons est fondamentalement diffrent : au lieu de se focaliser sur le

    caractre unidimensionnel du processus dcrit par Marx, puis reformul et tendu par lcole de Francfort, le

    passage voqu par Foucault traite fondamentalement du paradoxe de la pluralit et de la multiplicit -

    perspective que Deleuze et Guattari dveloppent encore plus clairement. Lanalyse de la subsomption relle,

    lorsque celle-ci est comprise comme un investissement non seulement de la dimension conomique ou culturellede la socit, mais aussi - et mme plutt - du bios social lui-mme, et lorsquelle est attentive aux modalits de

    la disciplinarit et/ou du contrle, perturbe limage linaire et totalitaire du dveloppement capitaliste. La socit

    civile est absorbe dans ltat, mais la consquence de ceci est un clatement des lments qui taient

    auparavant coordonns et mdiatiss dans la socit civile, Les rsistances ne sont plus marginales mais actives

    au cur dune socit qui spanouit en rseaux ; les points individuels sont singulariss en mille plateaux. Ce

    que Foucault construisait implicitement - et que Deleuze et Guattari ont rendu explicite - est, par consquent, le

    paradoxe dun pouvoir qui, tout en unifiant et englobant en lui-mme tous les lments de la vie sociale (et en

    perdant du mme coup sa capacit de mdiatiser effectivement les diffrentes forces sociales), rvle ce

    moment mme un nouveau contexte, un nouveau milieu de pluralit et de singularisation non matrisable - un

    milieu de lvnement.

    Ces thories de la socit de contrle et du biopouvoir dcrivent toutes deux les aspects fondamentaux du

    concept dEmpire. Ce concept est le cadre dans lequel la nouvelle universalit des sujets doit tre comprise et

    cest la finalit vers laquelle tend le nouveau paradigme du pouvoir. Un vritable abme souvre ici entre les

    anciens cadres thoriques de la loi internationale (sous sa forme contractuelle ou sous la forme des Nations Unies)

    et la nouvelle ralit de la loi impriale. Tous les lments intermdiaires du processus ont disparu de facto, si

    bien que la lgitimit de lordre international ne peut plus se construire par mdiations, mais doit plutt tre

    apprhende demble et immdiatement dans toute sa diversit. Nous avons dj reconnu ce fait dun point de

    vue juridique. Nous avons vu, en effet, que lorsque la nouvelle notion de droit merge dans le contexte de la

    mondialisation et se prsente comme capable de traiter la totalit de la sphre plantaire comme un ensemblesystmique unique, il faut supposer un pralable immdiat (faction dans un tat dexception) et une technologie

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    approprie, souple et formative (les techniques de police).

    Mme si ltat dexception et les techniques de police constituent le noyau dur et llment central du nouveau

    droit imprial, ce nouveau rgime na toutefois rien voir avec les artifices juridiques de la dictature ou du

    totalitarisme qui ont t dcrits en dautres temps et grands sons de trompe par beaucoup (et mme trop, en

    fait) dauteurs. Au contraire, le pouvoir de la loi continue de jouer un rle central dans le contexte de lvolution

    contemporaine : le droit reste en vigueur et - prcisment par le biais de ltat dexception et des techniques

    policires - devient procdure. Cest une transformation radicale qui rvle la relation non-mdiatise entre lepouvoir et les subjectivits, et dmontre du mme coup la fois limpossibilit de mdiations antrieures et la

    diversit temporelle non matrisable de lvnement. Dominer les espaces illimits du globe, pntrer les

    profondeurs du monde biopolitique et affronter une temporalit imprvisible : telles sont les dterminations sur

    lesquelles le nouveau droit supranational doit tre dfini. Cest l que le concept dEmpire doit lutter pour stablir,

    l o il doit prouver son efficacit - partant, l que la machine doit tre mise en route.

    De ce point de vue, le contexte biopolitique du nouveau paradigme est parfaitement central notre analyse. Cest

    ce qui offre au pouvoir un choix, non seulement entre obissance et dsobissance ou entre participation politique

    formelle ou refus, mais aussi pour toutes les alternatives de vie et de mort, de richesse et de pauvret, de

    production et de reproduction sociale, etc. tant donn les grandes difficults que la nouvelle notion du droitrencontre pour reprsenter cette dimension du pouvoir de lEmpire, et compte tenu de son incapacit toucher le

    biopouvoir concrtement dans tous ses aspects matriels, le droit imprial ne peut reprsenter (au mieux) que

    partiellement le schma sous-jacent de la nouvelle constitution dun ordre mondial, et ne saurait rellement

    concevoir le moteur qui le met en mouvement. Notre analyse doit donc se concentrer plutt sur la dimension

    productrice du biopouvoir.

    La production de la vie

    La question de la production, en relation avec le biopouvoir et la socit de contrle, rvle toutefois une relle

    faiblesse du travail des auteurs auxquels nous avons emprunt ces notions. Il nous faut ainsi clarifier les

    dimensions vitales ou biopolitiques de luvre de Foucault, en relation avec la dynamique de production. Dansplusieurs ouvrages du milieu des annes soixante-dix, le philosophe a avanc que lon ne saurait comprendre le

    passage de ltat souverain de lAncien rgime ltat disciplinaire sans prendre en compte la faon dont

    le contexte biopolitique a t progressivement mis au service de laccumulation capitaliste : Le contrle de la

    socit sur les individus ne seffectue pas seulement travers la conscience ou lidologie, mais aussi dans le

    corps et avec le corps. Pour la socit capitaliste, cest la biopolitique qui compte le plus, le biologique, le

    somatique, le corporel.

    Lun des objectifs centraux de sa stratgie denqute, cette priode, tait daller au-del des versions du

    matrialisme historique - y compris des nombreuses variantes de la thorie marxiste - qui considraient le

    problme du pouvoir et de la reproduction sociale sur un plan suprastructurel, distinct du plan rel et fondamentalde la production. Foucault tentait ainsi de ramener le problme de la reproduction sociale et tous les lments de

    la superstructure dans les limites de la structure matrielle fondamentale, et de dfinir ce terrain non

    seulement en termes conomiques, mais aussi en termes culturels, corporels et subjectifs. On peut ainsi

    comprendre comment la conception quavait Foucault de lensemble social se ralisa et se parfit lorsque, dans une

    phase subsquente de son travail, il dcouvrit les lignes mergentes de la socit de contrle comme image du

    pouvoir actif travers la biopolitique globale de la socit. Il ne semble pas, toutefois, que Foucault - bien quil

    et puissamment saisi lhorizon biopolitique de la socit et quil let dfini comme un champ dimmanence - ait

    jamais russi librer sa pense de cette pistmologie structuraliste qui guidait sa recherche depuis le dbut.

    Par pistmologie structuraliste , nous entendons ici la rinvention dune analyse fonctionnaliste dans le

    domaine des sciences humaines, mthode qui sacrifie effectivement la dynamique du systme, la temporalitcratrice de son mouvement et la substance ontologique de la reproduction culturelle et sociale. En fait, si,

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    parvenus ce point, nous avions demand Foucault, qui (ou ce qui) dirige le systme, ou plutt ce quest le

    bios , sa rponse et t inaudible ou inexistante. En fin de compte, ce que Foucault ne russit pas

    apprhender, cest bien la dynamique relle de la production dans la socit biopolitique.

    Au contraire, Deleuze et Guattari nous offrent une comprhension proprement poststructuraliste du biopouvoir,

    qui renouvelle la pense matrialiste et sancre solidement dans la question de la production de ltre social. Leur

    travail dmystifie le structuralisme et toutes les conceptions philosophiques, sociologiques et politiques qui font de

    la fixit du cadre pistmologique un point de rfrence incontournable. Ils concentrent leur attention sur lasubstance ontologique de la production sociale. Des machines produisent : le fonctionnement constant des

    machines sociales, dans leurs divers appareils et assemblages, produit le monde avec les sujets et les objets qui

    le constituent. Deleuze et Guattari, toutefois, ne semblent tre capables de concevoir positivement que les

    tendances au mouvement continu et les flux absolus ; ainsi, dans leur pense aussi, les lments crateurs et

    lontologie radicale de la production du social restent sans substance ni pouvoir. Deleuze et Guattari dcouvrent la

    productivit de la reproduction sociale - production novatrice, production de valeurs, relations sociales, affects,

    devenirs, etc. - mais russissent ne larticuler que superficiellement et phmrement, comme un horizon

    chaotique indtermin, marqu par lvnement insaisissable.

    On peut concevoir plus aisment la relation entre production sociale et biopouvoir dans luvre dun groupe demarxistes italiens contemporains ils reconnaissent en effet la dimension biopolitique en fonction de la nouvelle

    nature du travail productif et de son volution vivante en socit, et utilisent pour ce faire des expressions telles

    que intellectualit de masse et travail immatriel , ainsi que le concept marxiste d intelligence

    gnrale . Ces analyses partent de deux projets de recherche coordonns. Le premier consiste en lanalyse des

    transformations rcentes du travail productif et de sa tendance devenir de plus en plus immatriel. Le rle

    central prcdemment occup par la force de travail des ouvriers dusine dans la production de plus-values est

    aujourdhui assum de faon croissante par une force de travail intellectuel, immatrielle et fonde sur la

    communication. Il est ainsi ncessaire de dvelopper une nouvelle thorie politique de la plus-value, capable de

    poser le problme de cette nouvelle accumulation capitaliste au centre du mcanisme dexploitation (et donc -

    peut-tre - au centre de la rvolte potentielle). Le second projet (suite logique du premier) dvelopp par cettecole consiste en lanalyse de la dimension sociale et immdiatement communicante du travail vivant dans la

    socit capitaliste contemporaine ; il pose ainsi avec insistance le problme des nouvelles figures de la

    subjectivit, la fois dans leur exploitation et dans leur potentiel rvolutionnaire. La dimension immdiatement

    sociale de lexploitation du travail vivant immatriel noie le travail dans tous les lments relationnels qui

    dfinissent le social, mais active aussi, dans le mme temps, les lments critiques qui dveloppent le potentiel

    dinsubordination et de rvolte travers lensemble des pratiques laborieuses. Aprs une nouvelle thorie de la

    plus-value, donc, une nouvelle thorie de la subjectivit doit tre formule, qui passe et fonctionne

    fondamentalement par la connaissance, la communication et le langage.

    Ces analyses ont ainsi rtabli limportance de la production dans le cadre du processus biopolitique de la

    constitution sociale, mais elles font galement isole sous certains aspects, en la saisissant sous sa forme pure et

    en laffinant sur le plan idal. Elles ont travaill comme si redcouvrir les nouvelles formes des forces productrices

    - travail immatriel, travail intellectuel massifi, travail de lintelligence gnrale - tait suffisant pour saisir

    concrtement la relation dynamique et cratrice entre production matrielle et reproduction sociale. En rinsrant

    la production dans le contexte biopolitique, elles la prsentent presque exclusivement sur lhorizon du langage et

    de la communication. Lun des dfauts les plus srieux a donc t, chez ces auteurs, la tendance ne traiter les

    nouvelles pratiques laborieuses dans la socit biopolitique que sous leurs aspects intellectuels et non matriels.

    Or la productivit des corps et la valeur des affects sont, au contraire, absolument centraux dans ce contexte.

    Nous aborderons donc les trois aspects principaux du travail immatriel dans lconomie contemporaine : le travail

    de communication de la production industrielle, rcemment connect lintrieur de rseaux dinformations ; letravail dinteraction de lanalyse symbolique et de la rsolution des problmes ; le travail de production et de

    manipulation des affects (cf. Section 3.4). Ce troisime aspect, avec sa focalisation sur la productivit du corporel

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    et du somatique, est un lment extrmement important dans les rseaux contemporains de la production

    biopolitique. Le travail de cette cole et son analyse de lintelligence gnrale marquent donc un progrs certain,

    mais son cadre conceptuel reste trop pur, presque anglique. En dernire analyse, ces nouvelles thories ne font,

    elles aussi, que gratter la surface de la dynamique productrice du nouveau cadre thorique du biopouvoir.

    Notre propos est donc de travailler partir de ces essais partiellement russis pour reconnatre le potentiel de la

    production biopolitique. Cest prcisment en rapprochant de faon cohrente les diffrentes caractristiques

    dfinissant le contexte biopolitique que nous avons dcrites jusquici, et en les ramenant lontologie de laproduction, que nous serons en mesure didentifier la nouvelle figure du corps biopolitique collectif - qui pourrait

    toutefois rester aussi contradictoire quil est paradoxal. Cest que ce corps devient structure non pas en niant la

    force productrice originaire qui lanime, mais en la reconnaissant ; il devient langage - la fois scientifique et

    social - parce quil sagit dune multitude de corps singuliers et dtermins en qute dune relation. Il est ainsi

    tout la fois production et reproduction, structure et superstructure, parce quil est vie au sens le plus plein et

    politique au sens propre. Notre analyse doit descendre dans la jungle des dterminations productrices et

    conflictuelles que nous offre le corps biopolitique collectif. Le contexte de notre analyse doit donc tre le

    dveloppement de la vie mme, le processus de la constitution du monde et de lhistoire. Lanalyse devra tre

    propose non par le biais de formes idales, mais dans le cadre de la complexit dense de lexprience.

    Socits et communication

    En nous demandant comment les lments politiques et souverains de la machine impriale viennent se

    constituer, nous dcouvrons quil nest nullement ncessaire de limiter notre analyse aux institutions rgulatrices

    supranationales tablies, ni mme de la concentrer sur elles. Les organisations des Nations Unies, avec leurs

    grandes agences multinationales et transnationales pour la finance et le commerce (le FMI, la Banque mondiale,

    le GATT, etc.), ne deviennent importantes dans la perspective dune constitution juridique supranationale que

    lorsquon les considre dans le cadre de la dynamique de la production biopolitique de lordre mondial. La fonction

    quelles occupaient dans lancien ordre international - aimerions-nous souligner - nest pas ce qui donne

    maintenant une lgitimit ces organisations. Ce qui les lgitime prsent est bien plutt leur fonctionnouvellement possible dans la symbolique de lordre imprial. En dehors de ce nouveau cadre, ces institutions sont

    inefficaces. Au mieux, lancien cadre institutionnel contribue la formation et lducation du personnel

    administratif de la machine impriale, au dressage de la nouvelle lite impriale.

    Les normes socits transnationales et multinationales construisent le tissu conjonctif fondamental du monde

    biopolitique, sous certains aspects essentiels. Le capital, en effet, a toujours t organis dans une perspective

    embrassant le monde entier, mais cest seulement dans la seconde moiti du XXe sicle que les socits

    industrielles et financires multinationales et transnationales ont vraiment commenc de structurer

    biopolitiquement les territoires lchelle mondiale. Certains avancent que ces socits sont simplement venues

    occuper la place qui tait tenue par les systmes colonialistes et imprialistes des diffrentes nations dans les

    phases antrieures du dveloppement capitaliste, depuis limprialisme europen du XIXe sicle jusqu la phase

    fordiste de lvolution au XXe sicle. Cela est en partie vrai, mais cette place elle-mme a t substantiellement

    transforme par la nouvelle ralit du capitalisme. Les activits des socits ne sont plus dfinies par limposition

    dun commandement abstrait et par lorganisation de pillage pur et simple et dchanges ingaux. Elles structurent

    et articulent plutt directement territoires et populations, et tendent faire des tats-nations de simples

    instruments pour enregistrer les flux des marchandises, des monnaies et des populations quelles mettent en

    branle. Les socits transnationales rpartissent directement la force de travail sur les diffrents marchs,

    attribuent fonctionnellement les ressources et organisent hirarchiquement les divers secteurs de la production

    mondiale. Lappareil complexe qui slectionne les investissements et dirige les manuvres financires et

    montaires dtermine la nouvelle gographie du march mondial, cest--dire rellement la nouvelle structuration

    biopolitique du monde.

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    Limage la plus complte de ce monde est offerte dans une perspective financire. De ce point de vue, on peut

    distinguer un horizon de valeurs et une machine de distribution, un mcanisme daccumulation et un moyen de

    communication, un pouvoir et un langage. Rien nexiste, ni vie brute ni point de vue extrieur, qui puisse tre

    plac lextrieur du champ contrl par largent ; rien nchappe largent. Production et reproduction sont

    revtus dhabits financiers et de fait, sur la scne du monde, chaque figure biopolitique se prsente pare de ses

    oripeaux montaires : Accumulez, accumulez ! Cest la Loi et les Prophtes !

    Les grandes puissances industrielles et financires produisent ainsi non seulement des marchandises, mais aussides subjectivits. Elles produisent des subjectivits agentiques dans le cadre du contexte biopolitique besoins,

    relations sociales, corps et esprits - ce qui revient dire quelles produisent des producteurs. Dans la sphre

    biopolitique, la vie est destine travailler pour la production, et la production travailler pour la vie. Cest une

    grande ruche dans laquelle la reine surveille en permanence production et reproduction. Plus lanalyse pntre

    profondment, plus elle dcouvre, des niveaux croissants dintensit, les assemblages communicants de

    relations interactives. Le dveloppement des rseaux de communication possde un lien organique avec

    lapparition du nouvel ordre mondial : il sagit, en dautres termes, de leffet et de la cause, du produit et du

    producteur. La communication non seulement exprime mais aussi organise le mouvement de mondialisation. Elle

    lorganise en multipliant et en structurant les interconnexions par le biais de rseaux ; elle lexprime et elle

    contrle le sens et la direction de limaginaire qui parcourt ces connexions communicantes. En dautres termes,limaginaire est guid et canalis dans le cadre de la machine communicatrice. Ce que les thories du pouvoir de

    la modernit ont t forces de considrer comme transcendant, cest--dire extrieur aux relations productrices

    et sociales, est ici form lintrieur, immanent ces mmes relations. La mdiation est absorbe dans la

    machine de production. La synthse politique de lespace social est fixe dans lespace de communication. Cest la

    raison pour laquelle les industries de communication ont pris une position aussi centrale : non seulement elles

    organisent la production une nouvelle chelle et imposent une nouvelle structure approprie lespace mondial,

    mais elles en rendent aussi la justification immanente. Le pouvoir organise en tant que producteur ; organisateur,

    il parle et sexprime en tant quautorit. Le langage, en tant que communicateur, produit des marchandises mais il

    cre de surcrot des subjectivits quil met en relation et quil hirarchise. Les industries de communication

    intgrent limaginaire et le symbolique dans la structure biopolitique, non seulement en les mettant au service dupouvoir, mais en les intgrant rellement et de fait dans son fonctionnement mme.

    Parvenus ce point, nous pouvons commencer de traiter la question de la lgitimation du nouvel ordre mondial.

    Celle-ci nest pas ne des accords internationaux existant antrieurement ni du fonctionnement des premires

    organisations supranationales embryonnaires, elles-mmes cres par des traits fonds sur la loi internationale.

    La lgitimation de la machine impriale est ne - au moins en partie - des industries de communication, cest--

    dire de la transformation du nouveau mode de production en une machine. Cest un sujet qui produit sa propre

    image dautorit. Cest une forme de lgitimation qui ne repose sur rien dextrieur elle-mme et qui est

    reformule sans cesse par dveloppement de son propre langage dauto-validation.

    Une autre consquence doit tre aborde partir de ces prmisses. Si la communication est lun des secteurs

    hgmoniques de la production et influe sur la totalit du champ biopolitique, alors nous devons considrer la

    communication et le contexte biopolitique comme coexistants et coextensifs. Cela nous emmne bien loin de

    lancien terrain tel que Jrgen Habermas la dcrit, par exemple. En fait, lorsque Habermas a dvelopp le

    concept daction communicatrice, dmontrant si fortement sa forme productrice et les consquences ontologiques

    qui en dcoulent, il partait toujours dun point de vue extrieur ces effets de la mondialisation, dune perspective

    de vie et de vrit qui pouvait contrecarrer la colonisation de lindividu par linformation. La machine impriale,

    toutefois, dmontr que ce point de vue extrieur nexiste plus. Au contraire, la production communicatrice et la

    construction de la lgitimation impriale marchent de conserve et ne peuvent plus tre spares. La machine est

    auto-validante et auto-potique - cest--dire systmique. Elle construit des structures sociales qui vacuent ourendent ineffective toute contradiction ; elle cre des situations dans lesquelles, avant mme de neutraliser la

    diffrence par la coercition, elle semble labsorber dans un jeu dquilibres auto-gnrateurs et auto-rgulateurs.

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    Comme nous lavons dit ailleurs, toute thorie juridique qui traite des conditions de la postmodernit doit prendre

    en compte cette dfinition spcifiquement communicatrice de la production sociale. La machine impriale vit en

    produisant un contexte dquilibres et/ou en rduisant les complexits ; elle prtend proposer un projet de

    citoyennet universelle et intensifie cette fin lefficacit de son intervention sur tout lment de la relation de

    communication, tout en dissolvant identit et histoire sur un mode entirement postmoderne. Mais contrairement

    la faon dont beaucoup de prises en compte postmodernes (auraient fait, la machine impriale, au lieu

    dliminer les rcits fondateurs, les produit et les reproduit rellement (les principaux rcits idologiques, en

    particulier), afin de valider et de clbrer son propre pouvoir. Cest dans cette concidence de production par le

    langage, de production linguistique de la ralit et de langage dauto-validation que rside une clef fondamentale

    pour comprendre lefficacit, la validit et la lgitimation du droit imprial.