14

Click here to load reader

Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

  • Upload
    valerie

  • View
    214

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

NEUF THÈSES POUR SORTIR DE L'ENFER ÉCONOMIQUE Valérie Charolles Gallimard | Le Débat 2014/1 - n° 178pages 101 à 113

ISSN 0246-2346

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-le-debat-2014-1-page-101.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Charolles Valérie, « Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique »,

Le Débat, 2014/1 n° 178, p. 101-113. DOI : 10.3917/deba.178.0101

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Gallimard.

© Gallimard. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

1 / 1

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 2: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

Valérie Charolles est philosophe. Elle est notamment l’auteur de Le Libéralisme contre le capitalisme, Et si les chiffres ne disaient pas toute la vérité? et Philosophie de l’écran. Dans le monde de la caverne (Fayard, 2006, 2008 et 2013). Dans Le Débat: «Le capitalisme est-il libéral?» (n° 161, septembre-octobre 2010).

Valérie Charolles

Neuf thèses pour sortir

de l’enfer économique

Depuis la crise pétrolière de 1973, les poli-tiques n’embrayent pas dans le domaine écono-mique et les tentatives de New Deal se succèdent sans produire les effets escomptés. Cela renvoie à des problèmes de fond sur le rapport entre économie et politique, et à des problèmes encore plus profonds sur le rapport entre le politique et le réel en économie.

L’impression qui domine est en effet que les politiques publiques ne remontent pas suffisam-ment en amont vers le diagnostic qui les justi-fierait et s’en tiennent à des perspectives de court terme. De fait, l’intervention sur la conjoncture tient largement lieu de politique dans le domaine économique avec, dans le cas de la France depuis l’élection de François Hollande, une note sociale revendiquée.

L’économie connaît aujourd’hui une muta-tion, du fait notamment des capacités offertes par l’informatique et les réseaux. Elles modifient

en profondeur le rapport à l’espace dans l’échange marchand et les positions de force qui l’ani-ment, faisant advenir une économie-monde et mettant en avant la finance, compartiment de l’économie qui a su, jusqu’à présent, s’appro-prier le mieux ces technologies. Dans le même temps, le monde a changé: sa population a presque doublé depuis 1973, le niveau de vie très fortement augmenté mais sans plein-emploi, et les questions environnementales sont désor-mais un sujet majeur pour le devenir de la pla-nète. C’est dire combien une analyse héritée d’une situation révolue risque de ne pas atteindre ses objectifs, tout comme une vision du réel insuffisamment articulée avec des principes éthiques.

Et c’est tout le problème sur lequel les poli-tiques butent aujourd’hui. Une politique se pense et se matérialise dans un certain contexte. Ce faisant, le risque est de perdre de vue ce qui,

RP-Charolles.indd 101 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 3: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

102

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

que la course à la baisse des salaires n’engendre pas les effets bénéfiques escomptés.

Un autre regard sur la mondialisation est possible, qui mobilise d’autres armes. Cet autre regard se fonde sur un principe que nous avons souvent tendance à oublier: il est souhaitable que les pays émergents et les moins avancés se développent, qu’on cesse d’y avoir faim, qu’on y accède à l’éducation et au bien-être. C’est sou-haitable sur un plan éthique et humain – c’est un prolongement qui devrait nous paraître naturel des valeurs humanistes dont nous nous sentons universellement porteurs. Et c’est également sou- haitable sur un plan économique, car le mouve-ment qui s’ensuivra dans ces pays conduira à faire pression à la hausse sur les salaires, rédui-sant nos handicaps de compétitivité. Il ouvrira aussi des marchés pour nos produits, en particu-lier ceux pour lesquels nous disposons d’une solide image de marque ou d’une avance tech-nologique, bref d’une compétitivité en termes de qualité.

Dès lors, le problème qui se pose à nous n’est pas la mondialisation en général, mais la réussite de la transition vers un modèle dans lequel l’essentiel de l’humanité accédera au déve-loppement économique. C’est non pas de stopper la croissance des pays émergents, mais de savoir gérer la période durant laquelle cette croissance ne leur a pas encore permis d’atteindre un niveau de développement suffisant et provoque un transport massif des activités productives vers ces pays, ce qui est tout autre chose. Certes, cette transition peut être longue, mais il ne faut pas se tromper sur la perspective qu’elle dessine et penser nos politiques sur cette base 1.

dans ce contexte, pourrait être justement trans-formé par la politique et de s’en remettre à des recettes qui ne sont pas adaptées. Faute d’un diagnostic partagé et d’une vision commune, rien n’est possible face à la puissance d’une machine économique très largement mondia-lisée, aucun cap n’apparaît. Crise après crise, les politiques tentent de colmater les problèmes d’un navire dont tout le monde sent bien qu’il ne prend pas la bonne direction mais dont per-sonne ne s’accorde sur la route à suivre. Il nous manque à la fois la carte du monde et les instru-ments de navigation pour pouvoir tracer un cap.

Pour un nouveau modèle de développement

1. Avoir une vision partagée de la mondialisa-tion.

La réponse à la mondialisation qui se dessine aujourd’hui dans les pays développés est celle d’une politique de compétitivité par les prix. Une telle réponse qui passe par la baisse du coût du travail n’a aucune chance réelle de succès à long terme. En effet, les pays développés ne par-viendront pas à se mettre au niveau des salaires des pays en développement et continueront donc à souffrir sur ce plan d’un handicap com-paratif. Et, à force de faire pression sur les rému-nérations, ils pourront également y perdre ce qui est leur principal atout dans la mondialisa-tion, à savoir la profondeur de leur marché inté-rieur, celui-ci fonctionnant grâce au niveau de vie atteint par les salariés. Une telle politique n’est en outre pas dans l’intérêt des populations des pays émergents ou en développement, où elle viendra faire pression sur des niveaux de salaires pourtant fort bas. Il est ainsi à craindre

1. Le fait, d’ailleurs, que la Chine, l’Inde ou le Maghreb se développent, tout comme le Japon l’a fait à partir des années 1950, n’est qu’un juste retour à une situation millé-naire, dans laquelle ces pays constituaient des zones de

RP-Charolles.indd 102 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 4: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

103

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

lieu de production et lieu de consommation net-tement moins compétitive à l’avenir. La ques-tion de savoir si les États doivent contrebalancer ces évolutions, comme c’est le cas jusqu’à pré-sent, en limitant les taxes sur le transport de marchandise ou au contraire en accélérer l’oc-currence, en faisant porter notamment sur le fret maritime des taxes liées aux problématiques environnementales, mérite d’être posée.

D’une manière générale, les pays développés seront d’autant mieux à même de défendre la mise en place de normes environnementales et sociales exigeantes de par le monde que leurs propres politiques seront exemplaires et non en phase de démantèlement progressif.

De telles évolutions ne peuvent se décréter. Elles doivent être portées par des parties pre-nantes venant de tous horizons. Aujourd’hui, au travers de la course à la compétitivité, nous sommes engagés dans un chemin dont le risque est qu’il ne soit que perdant-perdant entre les pays développés et les pays émergents et en développement. Une des responsabilités du poli-tique serait de proposer au contraire un paquet gagnant-gagnant, fondé non pas sur la course à la baisse salariale, mais sur le développement du marché intérieur des pays émergents et les moins avancés et sur un meilleur partage de la richesse des pays développés.

2. Cesser d’attendre du retour d’une croissance forte la solution de nos problèmes.

En la matière, notre vision de la croissance obstrue notre regard. La façon dont s’est sédi-

Or, les États disposent d’armes pour résoudre ce genre de problèmes, dont on comprend mal pourquoi elles ne sont pas utilisées et restent très peu présentes dans le débat public. La plus traditionnelle est celle des politiques monétaires ou de change: elles ont été l’outil qui a servi à faciliter de telles transitions dans le passé, y compris jusqu’au milieu des années 1990 lorsque le débat portait sur les taux de change de la monnaie japonaise. La vulgate néo-libérale a fait depuis son œuvre, rendant suspecte de non- respect des règles économiques de base toute revendication d’ajustement compétitif dans ce domaine.

Et pourtant, si l’on s’en remet aux fonda-mentaux économiques, qui sont le cœur de la pensée économique libérale, tous les ingré-dients sont aujourd’hui réunis pour considérer que les monnaies des pays émergents d’Asie ne sont pas suffisamment fortes par rapport à l’euro, les déséquilibres des balances des paie-ments et du commerce extérieur en sont le témoin le plus évident. C’est là une arme très puissante qui ne doit être employée qu’avec doigté, mais dont il est pour le moins regrettable que son usage potentiel ne constitue pas un des ingrédients essentiels du menu des décideurs mondiaux lors des sommets internationaux, ou plutôt qu’il ne débouche pas sur des orienta-tions claires.

Dans un autre spectre, la transition dans laquelle nous sommes engagés fait que, pour l’heure, les produits fabriqués en Asie sont lar-gement consommés en Europe et en Amérique du Nord. Le transport massif de marchandises qui en résulte pose problème au plan environne-mental. L’évolution du prix des carburants a d’ores et déjà renchéri le coût de ce transport et la raréfaction attendue du pétrole devrait logi-quement aboutir à rendre la dissociation entre

rayonnement économique et intellectuel, éloignés de l’Eu-rope, mais qui n’en étaient pas moins, à certaines époques, tout aussi, voire plus florissantes. Par rapport à ce temps long, la période coloniale a marqué une parenthèse (celle de la soumission), qui fausse notre jugement.

RP-Charolles.indd 103 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 5: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

104

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

porter. Les questions environnementales consti-tuent une invite urgente à réviser notre point de vue dans ce domaine.

L’absence de croissance forte est un horizon pour les pays développés qui est cohérent à la fois avec leur niveau de vie et avec l’évolution modérée de leur population. Refuser d’en faire le diagnostic, c’est se mettre en situation d’être perpétuellement déçu par nos résultats 3.

La référence aux Trente Glorieuses est à cet égard source de confusion. La situation écono-mique y était en effet marquée par les suites de la Seconde Guerre mondiale avec la nécessité de procéder à un important effort de reconstruc-tion et de reconstitution des niveaux de vie. En outre, une part des performances enregistrées était liée au transfert d’activités non marchandes vers le secteur marchand: c’est le travail des femmes en particulier qui est, à l’époque, venu gonfler les statistiques de croissance. Il n’y a plus aujourd’hui les mêmes justifications pour une croissance forte dans les pays développés.

Pour être plus précis, l’absence de croissance serait un très mauvais signal si elle signifiait l’atonie, le perpétuel renouvellement du même et, en l’occurrence, d’une situation marquée par un chômage massif. En l’espèce, les économistes ont réussi le tour de force de nous faire accroire que ce n’était que sur le surplus procuré par la croissance que pouvait porter le partage de la richesse et, notamment, le retour au plein-

menté le débat public sur la croissance nous a en effet convaincus que, si nous n’avons pas l’année prochaine plus que cette année, nous n’aurons rien à partager. C’est bien évidemment faux: nous aurons juste produit l’équivalent en termes de richesses, c’est-à-dire, pour la France, plus de 2 000 milliards d’euros pour 65 millions de personnes 2.

Cette focalisation du regard sur le taux de croissance annuel est un effet du fondement retenu par la science économique, à savoir le marginalisme, le raisonnement en priorité sur les différences. Il a un double effet pervers.

Il masque en premier lieu les inégalités de départ: l’écart de PIB par habitant entre la Chine et des pays comme la France et les États-Unis est en effet tel qu’une croissance de 9 % en Chine représente l’équivalent, en termes de richesses nouvelles par habitant, d’une croissance de 2 % en France.

Nous sommes en second lieu coupables de ne pas projeter sur un temps suffisamment long les résultats qu’on nous présente comme sou-haitables. De fait, une croissance de 5 %, qui est la référence à laquelle nous continuons à vouloir nous mesurer, conduirait à doubler la richesse des pays développés dans les quinze ans qui viennent et à la tripler sept ans plus tard. Sauf à doter chacun de nous de dix écrans de télévision ou d’ordinateur, on ne voit pas bien à quels besoins viendrait répondre une telle perfor-mance. Elle aurait en outre pour effet de creuser l’écart avec le niveau de vie des pays émergents et en développement, quand bien même leur croissance serait très dynamique.

Si nous voulons construire une cohérence entre les principes universels que nous défen-dons en matière de droits de l’homme et nos pratiques, c’est ainsi un autre regard sur notre propre développement que le politique devrait

2. Et près de 13 000 milliards d’euros pour l’Union européenne et ses 503 millions d’habitants, 12 000 milliards d’euros pour les États-Unis et ses 314 millions d’habitants et 5 200 milliards d’euros pour la Chine et son 1,35 milliard d’habitants.

3. Sans parler des problèmes de mesure que pose aujour-d’hui le décompte du PIB et de sa croissance: insuffisante prise en compte des richesses créées par la sphère publique, traitement à rebours des questions environnementales, diffi-cultés à inscrire les évolutions technologiques dans la valeur ajoutée.

RP-Charolles.indd 104 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 6: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

105

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

et du gaz, la limitation attendue du recours au nucléaire signent à terme l’arrêt d’un mode de production hautement centralisé et dont l’usage massif de l’énergie qui l’a accompagné s’est traduit par des dégâts de plus en plus patents sur la nature. Pour autant que les États n’en freinent pas l’advenue, la hausse du prix des transports qui en découlera rebattra les cartes de la compétition internationale: elle rendra la production dans des pays à faible coût de main-d’œuvre mais lointains moins avantageuse par rapport à une production localisée près des centres de consommation.

De même, dans le cadre de l’évolution de l’habitat vers la haute qualité environnementale sont en jeu des emplois nécessairement localisés sur le territoire national et qui peuvent repré-senter l’équivalent d’un effort de reconstruction. L’évolution de la société, notamment le vieillis-sement de la population, le développement de la dépendance et celui des soins médicaux néces-sitent également des emplois qui ne sont pas délocalisables.

Ce sont autant de mutations qui doivent prendre corps dans le cadre de référence des politiques publiques.

La vie économique est faite de transforma-tions: certains secteurs disparaissent car les tech nologies qu’ils utilisent sont obsolètes, les besoins auxquels ils répondent mieux assurés ailleurs; d’autres apparaissent, comme c’est le cas des technologies de l’information et de la communication, des services à la personne ou du développement durable. L’action publique se doit d’embrasser ces deux mouvements dans le même temps. Elle le doit d’autant plus que les flux médiatiques font largement écho aux faits négatifs.

emploi. C’est une façon particulièrement réduc-trice de poser le problème et dont on ne peut que constater qu’elle n’a pas rempli ses pro-messes depuis quarante ans.

Bref, les huit euros par personne et par mois que représente la perspective d’une croissance de 0,3 % annoncée à l’été 2013 ne permettront pas de dénouer la situation de l’emploi: nous serons d’autant mieux à même de poser la question du partage de la richesse que nous ces-serons d’en espérer la résolution par un hypo-thétique retour d’une croissance élevée. Dans un processus économique qui doit être vu comme en perpétuelle transformation, la question qui se pose n’est pas celle du partage du surplus, mais de la part qui revient à chacun dans l’ensemble. Cette question permet de placer le débat sur un spectre beaucoup plus large.

3. Faire du développement durable l’assise du plein-emploi.

Le niveau de vie que nous avons atteint, couplé avec les problématiques environnemen-tales et les développements technologiques, permet de concevoir que l’on puisse à l’avenir produire mieux et consommer moins pour un bien-être comparable. Ces évolutions supposent des transformations physiques, en particulier en matière d’énergie et de transport. Elles passent par le développement d’emplois à la fois qualifiés et non qualifiés nécessairement localisés sur le territoire national. Les ingrédients existent donc pour qu’à l’avenir, avec de moindres perfor-mances en termes de croissance, le niveau de l’emploi s’améliore.

Ces emplois ne sont pas chimériques. Les capacités qu’offrent les réseaux numériques ren-contrent les problématiques énergétiques et envi-ronnementales. La fin programmée du pétrole

RP-Charolles.indd 105 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 7: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

106

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

serait le moyen d’amener les comptes sociaux à l’équilibre sans pénaliser encore plus le travail.

La retraite est la sphère vers laquelle convergent des mutations majeures: nous vivons bien plus longtemps, nous soignons beaucoup plus de maladies qu’auparavant; ces évolutions sont amenées à se poursuivre. Face à cette situa-tion, les réformes techniques se succèdent les unes aux autres, toujours présentées comme les dernières, avec un désarroi de plus en plus grand des populations face à ce qui leur apparaît sur le mode du démantèlement: ceux qui le peuvent se pressent de prendre leurs trimestres, persuadés que demain sera moins avantageux qu’aujour-d’hui, et les jeunes générations se font peu d’il-lusions sur ce qui leur restera quand leur tour viendra.

Là encore, ce qui est nécessaire, c’est une perspective et une méthode 4. Le système de retraite a été pensé pour payer à chacun quelques années de repos en fin de vie et il est normal que ce système ait du mal à fonctionner quand ces années se transforment en décennies. Il n’y a donc pas de faillite du système de répartition, mais un allongement de l’espérance de vie qui constitue une donnée nouvelle. Il a fallu attendre très longtemps pour que ce sujet apparaisse dans le débat et débouche sur l’idée que ce temps de vie supplémentaire pouvait être partagé entre une période d’activité et une période de repos. Cette question n’a jamais été directement posée à la population, à savoir quelle part de l’allonge-ment de l’espérance de vie doit être consacrée au travail et quelle part consacrée au repos: la moitié, un tiers, deux tiers? C’est pourtant la seule question cruciale et elle est cette fois posi-tive, permettant en outre de justifier un traite-ment plus favorable pour les catégories sociales

4. Faire évoluer la protection sociale dans la perspective d’une société de bien-être.

À cet égard, la question qui nous taraude depuis maintenant vingt ans est celle de savoir si nous avons les moyens de conserver un niveau de protection sociale élevé. Dans l’esprit des créateurs de la Sécurité sociale et, en toute rigueur intellectuelle, les comptes de la Sécurité sociale devraient être équilibrés: on ne devrait pas fournir plus que ce que l’on est prêt à financer. Or, c’est bien là que se joue le sort de l’endettement public en France. À défaut de réponse, l’idée s’instille que le secteur privé serait mieux à même d’assurer ces dépenses. Pour éviter ce risque, deux séries de solutions sont possibles: faire passer les ressources de la protection sociale au niveau des besoins qu’elle couvre, et interroger nos besoins.

La Sécurité sociale est largement financée en France par des cotisations assises sur les salaires et dégressives. Ce choix handicape le coût du travail par rapport à d’autres pays et ne place pas salariés et employeurs dans des conditions de dialogue satisfaisantes: les salariés raisonnent en salaire net et les employeurs en tenant compte des cotisations sociales. On a dès lors un double effet négatif et paradoxal: du fait du mode de financement de la Sécurité sociale, les salaires sont pour les employeurs plus élevés qu’ailleurs et, comme ce sont les entreprises qui acquittent les cotisations, les salariés ne sont que très peu conscients de ce fait qui les pénalise pourtant fortement. Ce modèle mérite d’être interrogé, comme le gouvernement de Michel Rocard l’avait engagé avec la CSG: faut-il maintenir un système dégressif, qui fait que plus un salaire est élevé, plus son taux de cotisation est faible? Ne faut-il pas surtout élargir l’assiette sur laquelle repose ce financement largement au-delà des salaires et la faire porter sur l’ensemble des revenus? Ce 4. Que la réforme de 2013 ne fait qu’esquisser.

RP-Charolles.indd 106 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 8: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

107

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

Pour une réorientation de la machine économique

5. Désigner clairement le problème de la finance: la concentration des pouvoirs.

À cet égard, le traitement réservé aux marchés financiers est décisif.

Les États sont aujourd’hui en position de faiblesse par rapport aux marchés financiers. Cette situation est explicable: en 2008, ils sont venus au secours de la sphère financière dans des conditions qui les ont rendus garants des risques qu’elle porte. Ne supportant pas le risque systémique que son action induit, la finance internationale a également pour caractéristique d’être concentrée autour d’un très petit nombre d’acteurs, qui sont ainsi à même d’orienter le marché à leur profit.

Si la réponse des États à la crise financière de 2008 a été rapide et massive, la mise en œuvre des mesures correctrices que cette crise appelait dans la finance est beaucoup trop lente et trop timide. Du menu des grands sommets qui ont scandé la fin de 2008 et le début de 2009, peu est en effet accompli aujourd’hui: les diverses lois adoptées au Royaume-Uni, aux États-Unis, en France ou en gestation au plan européen ont un champ d’application très restreint au regard de la régulation de la sphère financière qui avait été annoncée.

La position de pouvoir des marchés finan-ciers au regard d’États en perpétuelle situation d’emprunt sur ces mêmes marchés permet d’ex-pliquer pourquoi la réponse publique est aussi faible. Mais cette situation est incompréhensible au regard des canons de l’économie classique: il est en effet contraire aux principes même de l’économie de marché qu’un de ces marchés

les moins favorisées, tout simplement parce que leur espérance de vie est plus faible.

D’autres questionnements sont possibles sur les dépenses de protection sociale: que penser des multiples exemptions de charges collectives dont bénéficient les retraités, dont la situation relative dans la société est bien meilleure que celle qu’elle était quand ces exemptions ont été décidées? Que penser également du coût de la médicalisation de la fin de vie, sujet majeur en termes financiers pour l’assurance maladie, et dont on peut débattre pour savoir si elle repré-sente la meilleure des solutions pour assurer le passage vers la mort?

Ce sont là des sujets lourds qui engagent une conception de l’existence, une ontologie. Ils ne peuvent être traités au coup par coup, en négli-geant cette dimension. L’acceptation sociale de leur résolution ne pourra se gagner que si elle se projette au-delà d’une vision technicienne et s’accompagne d’un projet de société.

Ce qui est aujourd’hui en jeu, c’est le type de modèle économique que nous souhaitons pro-mouvoir. Nous avons jusqu’à présent mis tous nos espoirs dans la croissance. Il nous faut clai-rement aujourd’hui changer de registre face à ce qu’est devenu le monde et nous situer dans une perspective qui est celle du développement, bref passer d’une société de l’abondance à une société du bien-être. C’est une idée simple, que l’état du monde commande et sur laquelle nous devrions tous pouvoir nous retrouver.

Elle ne fait toutefois que tracer une perspec-tive et non donner tous les moyens de l’atteindre. Car, pour la mettre en œuvre, encore faudrait-il se donner la capacité d’orienter différemment la machine économique.

RP-Charolles.indd 107 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 9: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

108

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

tional Accounting Standard Board, fondation internationale de droit privé, le soin de préparer les référentiels comptables des entreprises qui présentent des comptes consolidés et qui ont des titres cotés, soit toutes les entreprises euro-péennes d’une activité significative. En vertu de ces normes, appliquées depuis 2005, les résul-tats des entreprises sont maintenant arrêtés en fonction des besoins des investisseurs sur les marchés financiers.

Depuis dix ans ainsi, l’Europe a accepté un cadre conceptuel selon lequel les comptes sont établis pour les besoins des investisseurs sur les marchés financiers. C’est là une option radicale qui se décline au plan technique dans toutes les règles comptables. Elle mérite d’être interrogée, le choix de présenter les comptes en fonction de l’intérêt social de l’entreprise – sa raison sociale au plan juridique – étant tout aussi justifié.

Pour que de telles options soient mises en débat, encore faudrait-il que les instances en charge de la normalisation comptable soient le reflet de toutes les parties prenantes de l’entre-prise, ses actionnaires sur les marchés financiers certes, mais aussi ses autres parties prenantes, la puissance publique 5 et les salariés.

Il ne s’agit pas là de vouloir revenir sur l’idée de juste valeur 6 mais de savoir au nom de quoi et par qui les contours de cette juste valeur doivent être établis. C’est en effet un enjeu fon-damental pour déterminer le cadre dans lequel

puisse être aux mains d’acteurs très concentrés et qui ont de fait le pouvoir d’orienter le marché à leur profit sans être responsables de leur action.

Sur ce terrain, les États seraient parfaitement légitimes à adopter des réglementations beau-coup plus fortes pour mettre un terme à la situa-tion oligopolistique qui caractérise les marchés financiers. La réintroduction de ces thématiques au cœur des débats entre les puissances écono-miques mondiales est le seul moyen d’éviter de nouvelles crises.

Il faut donc bien situer l’ennemi dans la finance: l’ennemi, c’est le fonctionnement oli-gopolistique des marchés financiers, et ce qui en découle, l’organisation de l’entreprise en fonc-tion de leurs besoins, sans que la valeur apportée par le travail y soit justement reconnue; mais ce n’est pas la finance en général dès lors qu’elle sait se mettre au service de l’ensemble de projets économiques qui existent de par le monde.

6. Reprendre la main sur les normes comptables appliquées par les entreprises.

Les normes comptables font partie des sujets que le débat entre grandes puissances ne devrait pas laisser de côté et dont on avait cru qu’ils allaient être enfin pris en charge au plan poli-tique. Le communiqué du G 8 organisé à Londres fin 2008 en pleine crise financière le prévoyait en tout cas clairement. Ces normes donnent en effet sa grammaire à l’économie. Ce sont elles que les entreprises appliquent au quotidien pour savoir ce qui a une valeur et comment calculer cette valeur.

Or, depuis 2002, les règles utilisées en Europe ont considérablement renforcé le poids de la sphère financière. Depuis cette date, en effet, l’Union européenne a délégué à l’Interna-

5. L’Union européenne conserve juridiquement le pouvoir d’adopter ou non les normes préparées par l’IASB (l’intervention d’un Président de la République française en 2003 a d’ailleurs abouti au rejet de deux des normes propo-sées); mais, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, l’Union européenne ne s’est pas dotée de la capacité de demander que certains sujets soient traités.

6. La juste valeur mise en avant par les normes IAS/IFRS se différencie de l’ancien référentiel comptable en valeur his-torique qui était effectivement peu adapté à une économie marquée par de rapides changements.

RP-Charolles.indd 108 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 10: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

109

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

très particulier et révolu qu’a été arrêté le choix de présenter la valeur des entreprises en fonc-tion des capitaux apportés et de traiter le salariat sous forme de charge.

Ce choix aurait pu être revisité au moment de la première révolution industrielle, en cohé-rence avec les fondements posés par Adam Smith qui rapporte principalement la richesse des nations à «l’habileté, la dextérité et l’intelli-gence qu’on y apporte dans l’application au travail 8». Il mériterait de toute évidence de l’être aujourd’hui dans le cadre du développement de ce que nous appelons «l’économie de la connais-sance».

Dans certains cas très particuliers (les contrats des joueurs de football), les normes ont été adaptées pour refléter la valeur que les sala-riés apportent à leur entreprise, mais il s’agit là d’exceptions, consenties au vu des sommes en jeu. Dans tous les autres cas, la comptabilité pose le principe d’une impossibilité à donner une valeur au travail apporté par le salarié. Nous serions pourtant légitimes à nous deman- der ce qui dans le contrat de travail constitue une valeur sur laquelle repose la richesse de l’entreprise.

Intégrer le travail comme une valeur dans les comptes des entreprises serait le moyen de justifier la place des salariés dans les conseils

les entreprises prennent au jour le jour leurs décisions, notamment en termes d’emploi: les normes comptables sont aujourd’hui l’outil qui organise la soumission de la sphère de produc-tion à la sphère financière, reléguant le marché du travail au rang de marché d’ajustement. C’est un présupposé qu’il faut savoir mettre en question.

7. Intégrer la valeur du travail dans les comptes d’entreprises.

Nous pourrions alors interroger la manière dont le travail est traité dans les entreprises.

On met en France beaucoup en avant le modèle allemand en matière économique. Mais il fait intervenir un pilier, la Mitbestimmung, la «codétermination» avec les syndicats dans les grandes entreprises. Il n’est pas sans rapport avec la capacité de l’Allemagne à régler les difficultés des entreprises en leur sein, sans faire continûment appel à l’État. En l’occurrence, ce dernier s’est «contenté» à un moment de l’his-toire, il est vrai propice, d’instaurer une règle, celle de la présence des salariés dans les conseils d’administration, et il en résulte des formes dif-férentes de comportement 7.

Mais c’est plus loin encore qu’il faudrait reprendre le questionnement. Dans les normes comptables, en effet, le travail est considéré comme une charge qui appauvrit l’entreprise et non comme une richesse qui alimente sa valeur. Cette situation est un héritage de la Renais-sance, époque où les grands principes comp-tables se sont sédimentés. Elle pouvait alors se comprendre, les activités économiques dont il s’agissait de rendre compte, la banque et le négoce, ne faisant que rarement appel au travail salarié et reposant pour une part déterminante sur les capitaux apportés. C’est dans ce contexte

7. À cet égard, la mesure du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi français, incluse dans l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2013 et maintenant dans la loi, représente une avancée mais elle n’a pas la même portée que le régime qui prévaut en Allemagne. Elle prévoit, dans les entreprises de plus de 5 000 salariés en France ou plus de 10 000 salariés dans le monde, la présence d’un salarié votant dans les conseils d’administration de moins de douze membres et de deux salariés au-delà. En Allemagne, les salariés occupent la moitié des postes des conseils de sur-veillance dans les entreprises de plus de 2 000 salariés et un tiers dès que l’entreprise franchit la barre des 500 salariés.

8. Introduction de Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776.

RP-Charolles.indd 109 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 11: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

110

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

pointé sur la situation de ses finances publiques en étant le témoin le plus évident.

8. Arrêter d’accepter des comparaisons interna-tionales biaisées sur la place de l’État en France et en Europe.

À défaut d’avoir su, juste après avoir consenti un soutien massif aux marchés financiers en 2008, leur en faire payer le prix, la crise finan-cière s’est logiquement muée en crise de l’État: cette crise s’est portée prioritairement sur l’Eu-rope, maillon le plus faible en termes d’inté-gration économique. Et une réponse s’y est très rapidement dessinée: la rigueur. Partant d’une situation dans laquelle les comptes publics étaient déjà déséquilibrés, ayant à supporter dans le même temps les coûts sociaux de la crise, les États européens se trouvent aujourd’hui devant une situation inextricable, pour laquelle il n’y a aucune solution satisfaisante. On peut au moins tenter de poser quelques termes d’un diagnostic.

Sur un plan général, il est bien évidemment sain que les finances publiques soient les plus proches possibles de l’équilibre et la situation actuelle est un aiguillon puissant pour renforcer l’efficacité de l’action publique: limiter la proli-fération législative et se concentrer sur l’applica-tion de la loi, mettre un terme aux doublons qui existent du fait, entre autres, de l’intrication des échelons territoriaux, ou encore simplifier la structure des impôts font partie des sujets sur lesquels il existe d’importantes marges de pro-

d’administration mais aussi de limiter les biais qu’introduisent actuellement les normes comp-tables au détriment du travail. Ce serait l’occa-sion de donner corps à ce «capital humain» largement mis en avant dans la littérature éco-nomique et pourtant absent des comptes des entreprises 9. Nous pourrions alors cesser d’avoir un fonctionnement à rebours de ce que l’éco-nomie théorique classique met en avant, à savoir une économie dont la sphère de production occupe le centre, alimentée par deux facteurs de production d’égale importance, le capital et le travail.

Autour de ces débats – sur la concentration du pouvoir dans la finance, l’orientation des normes comptables et la place qu’elles accordent au travail –, la politique pourrait trouver des moyens concrets pour mettre en œuvre un nou-veau modèle économique. Ce modèle serait celui de la dissémination du pouvoir entre une multi-plicité d’acteurs dont aucun ne détient une posi-tion dominante. Si ces idées vont à l’encontre des pouvoirs établis et de certaines de nos habi-tudes de pensée, elles n’en sont pas moins cohé-rentes avec les principes de l’économie de marché et ne peuvent que susciter l’intérêt des popula-tions mais aussi, si elles sont clairement expli-quées, des entrepreneurs. Le cadre dans lequel ils prennent leurs décisions en serait en effet transformé et pourrait laisser place à des préoc-cupations de moyen et long terme.

Pour peser au niveau européen et mondial

En l’état, il n’est toutefois pas certain que la France dispose du rapport de force international pour faire advenir de telles évolutions, le doigt

9. L’absence de valeur donnée au travail est rapportée par les normes comptables au fait que les entreprises ont en général un contrôle insuffisant des bénéfices économiques futurs attendus de leurs collaborateurs (norme IAS 38). Mais, par exemple, le préavis que doit le salarié en cas de démission est un élément sur lequel l’entreprise a un contrôle. Il pourrait constituer, au plan technique, le soubassement d’une valorisation du travail.

RP-Charolles.indd 110 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 12: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

111

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

des dépenses de santé ainsi que l’essentiel des dépenses de retraite. Dans d’autres pays, ces dépenses, indispensables et au coût croissant, ont été confiées à des acteurs privés: elles n’y sont pas d’un niveau moins élevé qu’en France mais, à la différence de la France, elles n’appa-raissent pas dans les statistiques de l’action publique et des prélèvements obligatoires 11.

C’est une différence qu’il faut savoir afficher, c’est-à-dire rendre claire, notamment dans l’ap-pareillage statistique que nous utilisons. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas porter le débat sur les dépenses publiques, mais que celui-ci doive reposer sur un diagnostic équitablement établi et présenté. À défaut, en effet, de distinguer clairement, d’une part, la Sécurité sociale et, d’autre part, les activités assurées par l’État et les collectivités locales, toutes les comparaisons internationales sont biaisées, et ne peuvent que biaiser le regard. La voix de la France dans le concert international ne pourra être audible sur le plan économique qu’une fois ce préalable levé.

gression. En matière fiscale notamment, la complexité du système d’imposition nuit à la compétitivité: la France affiche au niveau inter-national des taux élevés d’imposition, alors même que les taux effectifs sont bien inférieurs, en particulier pour les grandes multinationales, du fait de multiples réductions et exemptions 10. Si les modalités de l’action publique méritent ainsi d’être améliorées, le risque est que l’on aille aujourd’hui au-delà et que l’on aboutisse, sur la base d’un diagnostic simplificateur, à une remise en question bien plus générale des fonc-tions assurées par la sphère publique.

Or, au regard des comparaisons internatio-nales, les dépenses publiques de la France en matière d’éducation, de recherche ou encore de police et de justice ne se situent pas à des niveaux particulièrement élevés. Il faut bien sûr chercher à en renforcer l’efficacité, mais vouloir en réduire le champ au nom de la rigueur budgétaire ne serait tout simplement pas de bonne politique: ce serait nous placer en deçà de ce que font nos partenaires et nous mettre en difficulté pour assurer la sécurité et préparer l’avenir.

En réalité, si la France, comme certains autres pays d’Europe, a un niveau de dépenses publiques bien plus important que la moyenne internationale, ce n’est pas en raison de la place qu’occupent les charges assurées par l’État et les collectivités locales, charges régaliennes et d’édu cation. C’est en raison du choix, fait à la fin de la Seconde Guerre mondiale, de prendre en charge la protection sociale au sein de la sphère publique, en l’occurrence par la «sécurité sociale». Le niveau des prélèvements obliga-toires est élevé en France par rapport à d’autres pays parce que la gamme des activités qu’ils financent est beaucoup plus large: outre une politique de la famille qui singularise la France, l’indemnisation du chômage, une large partie

10. C’est sur les taux d’imposition affichés et non sur les taux effectifs pratiqués que se fondent le plus souvent les comparaisons internationales et les débats dans la presse, donnant une image très négative de la situation française. Ainsi, pour un taux d’imposition sur les bénéfices affiché à 33,33 %, le taux d’imposition implicite est en réalité de 27,5 %, avec de forts écarts selon la taille de l’entreprise: taux implicite à 37,4 % pour les micro-entreprises et à 18,6 % pour les grandes entreprises (données issues de Trésor-Eco, n° 88).

11. Les dépenses publiques représentent 57,1 % du PIB en France contre 48,4 % au Royaume-Uni, 45,5 % en Allemagne et 39,1 % aux États-Unis; mais les dépenses sociales publiques y sont d’un poids très différent: respecti-vement 33 %, 23,8 %, 26,2 % et 20 % du PIB (données OCDE 2013). Au total, la part des dépenses publiques hors dépenses sociales est de 24,1 % du PIB en France, soit un niveau très légèrement inférieur à celui du Royaume-Uni (24,6 %); et la différence de 12 ou 18 points de PIB avec l’Allemagne ou les États-Unis en termes de dépenses publiques globales se transforme en un écart de moins de 5 points de PIB quand on met de côté les dépenses sociales.

RP-Charolles.indd 111 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 13: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

112

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

dans l’après-pétrole peut constituer une poli-tique susceptible d’être cons truite, incarnée et réalisée.

Pour ce faire, l’ordre des priorités serait de proposer d’abord aux pays d’Asie et émergents un partenariat, fondé sur une vision de la mon-dialisation qui soit gagnante pour les deux parties: faciliter l’atteinte d’un niveau de vie satisfaisant pour les populations de ces pays autour d’un modèle énergétique qui ne soit pas celui des énergies fossiles et qui soit ainsi sou-tenable au plan environnemental. Cela suppose de mettre en place les instruments de mesure adéquats, mais aussi de développer les techno-logies, industries et services adaptés. Ce serait renverser les termes du débat actuel sur la mon-dialisation.

La France serait d’autant mieux placée pour mettre sur la table des institutions internatio-nales les sujets qui fâchent (la réglementation des marchés financiers, la politique monétaire et de change, la fiscalité des entreprises multinatio-nales, les parties prenantes dans la normalisa-tion comptable) qu’elle serait identifiée comme porteuse d’une vision économique mobilisatrice pour les populations, faisant le lien entre les règles de l’économie de marché, les préoccupa-tions de bien-être et les enjeux environne-mentaux.

G

Pays de taille moyenne à l’échelle de la planète, la France réussit à entraîner lorsqu’elle sait mobiliser sur un projet qui n’est pas celui de l’avant-hier mais du lendemain: la création de la Société des nations dans les années 1920 ou encore l’unification de l’Europe dans les années 1950 et 1980 en sont des témoignages dans l’histoire du XXe siècle.

9. Faire émerger un intérêt général interna-tional.

La France sait placer des hommes à la tête des institutions internationales, mais bien plus difficilement orienter le cours de leur politique, dans le champ économique tout du moins. Elle est en effet soupçonnée d’avoir une vision éta-tiste, de défendre des avantages acquis plus que de tenir aux principes de l’économie de marché. Sur ces difficultés, il n’est que de voir l’évolution de la construction européenne: elle est devenue pour ses pays membres ce qu’était le FMI pour les pays en voie de développement dans les années 1980, à savoir l’architecte de leurs programmes d’ajustement structurels. Certes, l’action de l’Union ne se résume pas à cela: les programmes-cadres pour la recherche et le développement technologique, la stratégie 2020 ou le rôle du Parlement européen dans le développement du droit communautaire font intervenir des ressorts bien plus larges. Mais ces ressorts sont aujourd’hui masqués derrière les questions de stabilité des finances publiques.

François Hollande a obtenu que le pacte de stabilité soit rebaptisé «Pacte de stabilité et de croissance». Il aurait surtout pu insister pour qu’il devienne un pacte de stabilité et d’emploi, mettant en avant l’objectif final de la politique économique et non le moyen uti-lisé pour l’atteindre, d’autant que ce moyen n’est plus le seul indiqué dans des sociétés d’abondance. Pour peser dans le concert écono-mique des nations, la France aurait tout intérêt à se situer sur ce terrain: ni la rigueur ni le laxisme budgétaire ne sont une politique; en revanche, un modèle de développement fondé sur une économie de marché qui cesserait d’être orientée en fonction des besoins des marchés financiers et qui se situerait clairement

RP-Charolles.indd 112 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard

Page 14: Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique

113

Valérie Charolles Neuf thèses pour sortir de l’enfer économique

du logiciel de l’économie, aujourd’hui orienté en fonction des besoins de la finance, pour pro-mouvoir, sous l’impulsion du politique, une révolution douce mais irrémédiable des rapports entre employeurs et salariés et une société du bien-être plutôt que de l’abondance, pleines de conséquences sur l’avenir de la planète. Une telle évolution n’est pas chimérique, dès lors qu’elle reposerait sur une juste vision de la légi-timité dont dispose le politique pour trans-former le réel en économie.

Valérie Charolles.

Incarner une vision en Europe, proposer un partenariat à l’Asie et aux pays émergents, s’affirmer comme une société qui sait quelle place réserver à l’économie: même si personne ne peut prétendre détenir toutes les clés des défis actuels, telles sont quelques orientations qui pourraient permettre de sortir par le haut d’un présent que nous vivons pour l’instant essentiellement sur le mode de la crise.

Et pour cela, il faut certes un diagnostic lucide et une capacité de mobilisation, mais aussi du temps. Il est urgent que ce temps soit mis à profit pour une nécessaire réinitialisation

RP-Charolles.indd 113 13/01/14 12:06

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Nat

iona

l Chu

ng H

sing

Uni

vers

ity -

-

140.

120.

135.

222

- 27

/03/

2014

17h

48. ©

Gal

limar

d D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - National C

hung Hsing U

niversity - - 140.120.135.222 - 27/03/2014 17h48. © G

allimard