Lehaut. L'éternité des peines de l'enfer dans saint Augustin. 1912

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    University of Toronto

    http://www.archive.org/details/lternitdespeOOIeha

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    L'ternit des Peines de l'EnferDANS SAINT AUGUSTIN

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    Ton

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    tudes de Thologie HistoriquePUBLIKES SOUS LA DIKECTIOX DES PROFESSEURS DE THOLOGIE

    A l'iXSTITUT C\TH0LIQUE DE PARIS

    L'ternitdes Peines de l'EnferDANS SAINT AUGUSTIN

    PARAchille LEHAUT

    Docteur en Thologie,kAumnier des Surs de Saint -Andr, Paris.

    /X I ^

    PARISGabriel BEAUCHESNE & Cis Editeurs

    AN'CIENNE LIBRAIRIE DtLHOMME Jt BRIGUETRue de Rennes, 117

    1912

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    563Gx\7n7 obstat :

    Parisiis, die 19a Julii 191 1,

    P. ROUSSELOT.

    IMPRIMATUR

    Parisiis, die iga Julii 191 1.

    Alfred BAUDRILLARTVie gen., Rector.

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    PREMIERE PARTIE

    Erreurs contre Tternit des peinesde rSnfer,

    au temps de saint Augustin.

    LEHAUT. L ETERNITE DES PEINES DE L'ENFER.

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    PREMIERE PARTIE

    Erreurs contre l'ternit des peines de l'Enfer,au temps de saint Augustin.

    Au temps de saint Augustin, on s'en prend Tternit despeines de l'Enfer, de diffrents cts et avec vivacit. Uncaractre particulier de ces attaques, c'est ce qu'on pourraitappeler leur anonymat. Nous sommes loin du cas de lagrce. Nous n'apercevons plus d'illustres adversaires dontles ngations, en dpit de tous les artifices pour les masquer,meuvent profondment l'Eglise, et provoquent des conciles,des confrences contradictoires, de retentissantes polmi-ques, o, en fin de compte, s'enrichit la pense chrtienne.Non ; mais seulement des groupes, d'ailleurs nombreux, etqui propagent avec zle leurs thories. C'est l'un d'euxque pense le prtre espagnol Orose encore qu'il vise enmme temps d'autres hrtiques lorsque, vers 415, etpar consquent en pleine invasion barbare, il crit saintAugustin : a Dilacerati gravius a doctoribus pravis, quama cruentissimis hostibus sumus ^.

    Ces groupes, il nous faut les connatre. Si saint Augustin,comme nous le verrons plus tard, dcouvre des horizonsnouveaux dans l'tude du dogme qu'ils veulent ruiner,il leur en est redevable pour une certaine part. D'un autrect, c'est lui qui nous communique, leur sujet, le plus dedtails.

    1. Consultati , aeu Commonitorium Oroaii ad Atigtistinum, de enrorePricillianistarwn et Origenistarum, l (P. L., xlh, 666).

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    4 l'ternit des peines de l'enferQuel est le nombre de ces groupes ? Il semble qu'on puisse

    le ramener trois :1 Les orignistes ;2 Les misricordieux ;3 Les incroyants.Passons-les en revue successivement.

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    CHAPITRE PREMIER

    lies Origuiisitetsi.

    Le mouvement part de la Palestine.L, deux ans tout au plus aprs l'ordination sacerdotale

    de saint Augustin, c'est--dire, vers 393, une pre contro-verse dont il serait peut-tre tmraire d'affirmer qu'elleest, de nos jours, compltement teinte ^ clate autourd'un nom trs grand, trs admir dans l'antiquit ecclsias-tique : celui d'Origne. Prcisment l'un des reprochesadresss aux thories du clbre docteur alexandrin, c'estla difficult, pour l'ternit des peines de l'Enfer, d'y trouverplace ^

    Saint Augustin n'intervint pas dans la mle. En eut-ildu moins connaissance ?Ne ft-ce que par les deux messagers de saint Jrme :le sous-diacre Astrius et le diacre Prsidius ^, dont il reutla visite dans les commencements de son piscopat, il dutcertainement en tre inform. Mme, on a des raisons desupposer qu'il le fut avant leur passage. On ne voit pas biensans cela comment il aurait dj pri saint Jrme de luidire quoi s'en tenir sur la doctrine d'Origne *.

    Cette dmarche, sur laquelle on n'a d'ailleurs aucun1. En preuve, l'ouvrage de Vinoenzi, in S, Oreg. Nyaa. et Origenia

    Bcripta... Rome (1864-1868).2. Adveraus errorea Joannia Hieroaol., ad Pammachium^ 16 (P. L., xxm,

    368). Epit. Epiphanii ad Joannem Hieroaol, 5 (P. L., xxn, 522). Epit. Hieronymi ad Avitum, 3 (P. L., xxii, 1062).

    3. Epit. XXXIX, 1 (P. L., xxxiii, 154).4. Epit. XL, 9 (P. L., xxxm, 157).

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    O L'ETERNITE DES PEINES DE L E>FERdtail, ne devait pas apaiser la curiosit qui Pavait inspire.Peut-tre la question ne fut-elle transmise saint Jrmequ'en termes insuffisamment clairs. Ce qui est sr, c'est quelafrponse, aujourd'hui perdue, ne satisfit pas le jeunevque d'Hippone. Une deuxime fois, sur le ton de quel-qu'un dont la pense n'a pas d'abord t saisie comme ilfaut, il rclame du solitaire de Bethlem l'numrationprcise des erreurs d'Origne ^

    Malheureusement, c'tait dans la lettre o il se permettaitde critiquer le Commentaire de l'Eptre aux Galates, etd'inviter l'auteur chanter la palinodie 'K II n'en fallaitpas tant pour mouvoir saint Jrme. D'autre part, cettelettre ne devait lui tomber sous les yeux qu'aprs des aven-tures peu faites pour le disposer favorablement. Encore n'eneut-il que des copies sans signature ^ Pour briser le silencedans lequel il s'enferma, une nouvelle lettre de saint Augus-tin fut ncessaire. Elle le trouva au plus fort de sa disputeavec Rufin *. Une polmique assez vive s'ensuivit entrel'vque d'Hippone et le moine de Palestine, au cours delaquelle celui-ci oublia compltement les proccupations queplus de cinq annes auparavant, son provocateur, commeil l'appelle ^, lui avait manifestes au sujet d'Origne.

    Sur ce point pariiculier,le ((provocateur ne revint pas lacharge. A vrai dire, il n'en eut pas besoin non plus. Sans yprendre garde, le vieillard qui se posait un peu en victimede ses harcellements, contentait sa curiosit d'une autremanire. A la veille de lui demander des explications sur lalettre qui avait pass par tant de vicissitudes, il lui faisaitparvenir un opuscule, rponse brve et seulement partielle,disait-il, aux Invectives de Rufm, et prlude d'un travailplus considrable dont il lui promettait l'hommage *.Qu'tait-ce que ce libelle ? La premire Apologie contreRufm ou bien la deuxime ? Trs probablement, la

    1. Epist. XL, 9 (P. L., XXXIII, 157).2. Epist. XL, 7 (P. L. xxxiii, 157).3. EpiL LXVIII, 1 (P. L., xxxiii, 237).4. Epist. LXVITI, 3 (P. L., xxxiii, 238).6. Epist. LXXII, 5 (P. L., xxxiii, 245).6. Epiet. LXVIII, 3 (P. L., xxxtii, 238).

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    DANS SAINT AUGUSTIN 7deuxime. D'ailleurs peu importe, puisque saint Augustinles eut toutes deux entre les mains : plus tard, en effet,il cite leur auteur lui-mme un passage de la deuxime ^ ;et la deuxime nous difie sur le soin de saint Jrme envoyer la premire dans toutes les contres o Rufin s'estcru oblig de faire distribuer ses Invectives ^ L'Afrique taitsrement du nombre. I

    Grce la lecture des Apologies, l'vque d'Hipponecommence entrevoir la raison des attaques si vigoureusesdont l'orthodoxie d'Origne est l'objet, depuis une douzained'annes ^ En vain affecte-t-il de n'prouver qu'un seulsentiment : celui d'une grande douleur, la vue d'une rup-ture entre deux hommes unis nagure par une amiti quisemblait si solide *. Il n'en laisse pas moins paratre, lapremire occasion, combien il a t frapp de la gravit descritiques formules contre le Docteur d'Alexandrie.

    Ses observations sur le Commentaire de l'Eptre auxGalates, n'avaient pas convaincu celui qui elles s'adres-saient. La conversation est peine renoue entre les deuxillustres Docteurs que saint Jrme dfend son opinion deplus belle. Il invoque pour elle plusieurs auteurs. J'avouen'en avoir pas lu un seul, rplique saint Augustin ; maissur les six ou sept que vous citez, il y en a quatre dont vousdmolissez vous-mme l'autorit. Origenem vero ac Didy-mum, reprehensos abs te,lego in recentioribus opusculis tuis,et non mediocriter, nec de mediocribus qustionibus,quamvis Origenem mirabiliter antea laudaveris ^. '"^(-^

    Origne et Didyme : il sufft de voir ces deux nomsassocis sous la plume de saint Augustin pour en conclureque le saint Docteur a lu les Apologies qui, en effet, les con-fondent plus d'une fois dans une mme rprobation . Et propos de quoi encourent-ils ainsi les svrits de saint

    1. Epist. CLXVI, 15 (P. L., xxxm, 727).2. ApoL, III, 3, 8 (P. L., xxm, 459, 463).3. ApoL, I, 6, 14, 20 (P. L. xxm, 401, 408, 414) ; II, 11 12 (P. L.,xxm, 433) ; III, 5 (P. L., xxm, 460).4. Epist. LXXIII, 6 (P. L., xxxm, 248).5. Epist. LXXXII, 23 (P. L., xxxm, 286).r>. Apol, I, 16 (P. L., xxm, 409); II, 11, 16 (P. L., xxm, 434,

    438) ; III, 27 (P. L., xxm, 477).

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    8 l'ternit des peines de l'enferJrme ? Probo ego, inter multa Origenis mala, haecmaxime hretica... in restitutione omnium, quando indul-gentia principalis venerit, Cherubim ac Seraphim, thronos,principatus, dominationes, virtutes, potestates, Archan-gelos, Angelo, diabolum, dmones, animas omniumhominum, tam Christianorum quam Judseorum et Genti-lium, unius conditionis et mensurse fore ^ C'est l'univer-selle restauration finale.Une telle solution du problme de la vie future est mani-

    \ festement incompatible avec Fternit des peines del'Enfer. C'est ce que saint Augustin voulait dire quand,plus tard, au vingt et unime livre de la Cit de Dieu, ilaccusait d'indulgen-ce excessive Origne, parce que celui-cidlivrait le dmon lui-mme et ses anges des supplices del'Enfer, et les runissait aux esprits demeurs fermes dansla saintet ^.

    Cette impression avait d tre la sienne ds le premierjour, c'est--dire, d'aprs ce qui prcde, ds le jour o lesApdogies l'avaient initi l'eschatologie origniste. Et ilavait d apercevoir, galement ds le premier jour, lamanire spciale dont un pareil systme ruine la doctrinecatholique sur les chtiments de l'autre vie. Ce qui ne peutabsolument pas s'y insrer, ce n'est pas seulement l'ternitmalheureuse, c'est toute ternit, autre que l'ternit duchangement, si on peut dire que celle-ci en soit vraimentune.

    Pourquoi, en effet, ce fantastique retour de toutes lessubstances raisonnables : hirarchies clestes, armes diabo-liques, mes humaines, l'unit de condition et de perfec-tion ? Est-il, au moins, dfinitif ? Nullement. Allons jus-qu'au bout de la liste des hrsies d'Origne, dresse parsaint Jrme : tune, rursus, ex alio principio fieri mundumalium, et alia corpora, quibus labentes de clo animvestiuntur. ^ Ainsi donc tout doit recommencer. Perspec-tive rassurante pour les mchants, dsesprante pour les

    1. ApoL, II, 12 (P. L., xxiii , 435).2. De Civitate Dei, 1. XXI, xvir (P. L., xli, 731).y. ApoL, II, 12 (P. L., XXIII, 435).

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    DANS SAINT AUGUSTIN 9bons, et qui choque violemment saint Augustin, comme lemontre l'nergie avec laquelle, au vinglet uuime livr 3 de laCit de Dieu, il rei^ousse ces alternances continuelles de dliceset de misres, ces interminables oscillations, priodesdfinies, de celles-ci celles-l, et de celles-l celles-ci !

    L'incompatibilit des thories d'Origne avec l'ternitdes peines de l'Enfer allait lui apparatre plus clairementencore dix ans plus tard, en 415.A cette poque, accourt Hippone un jeune prtred'Espagne, du nom d'Orose, anim du plus grand zle pourla foi. Il cherche lumire et conseil prs de l'vque contredeux prils doctrinaux, particulirement menaants danssa patrie : le Priscillianisme et l'Orignisme ^ Pendant sonsjour, il lui rdige un mmoire sur ce sujet. C'est ce docu-ment, mis par saint Augustin en tte de sa propre rponse Squi nous renseigne sur les progrs de l'Orignisme enEspagne.

    Il n'y a pas trs longtemps que cette doctrine s'y estintroduite. Un compatriote d'Orose, nomm Avitus, estall Jrusalem et en a rapport un Origne^ Un Origne :cette dsignation est assez vague. Le texte d'Orose n'enpermet pas d'autre. Faut-il entendre par l toute l'immensecollection que Rufm fhcitait saint Epiphane, non sans quel-que ironie, d'avoir lue d'un bout l'autre * ? Ce n'est gureprobable. Orose doit plutt viser le U-z\ pywv, qui a jouun rle si considrable dans la querelle de saint Jrmeet de Rufm. Nous ne pouvons cependant pas l'affirmer d'unefaon certaine. Il existe bien un Ayitus, qui, vers 409, apri saint Jrme de lui envoyer un exemplaire du clbreouvrage. Et saint Jrme a dfr sa demande, en pre-nant soin de lui indiquer contre quelles opinions tmrairesil importe d'tre en garde, dans une lecture comme celle-l *.Mais ce correspondant occasionnel de saint Jrme n'estpeut-tre pas le mme personnage dont Orose fait mention.

    1. Epist. CLXVI, 2 (P. L., xxxm, 720).2. Retract., II, 44 (P. L., xxxii, 648).3. Consultati , 3 (P. L., xlii, 667).4. ApoL, II, 21 (P. L., XXIII, 445) ; III, 23 (P. L., xxm, 474).5. Epist. Hieronymi ad Avitum, 2 (P. L., xxii, 1060).

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    10 l'eter>ite des pei:(es de l enferEn tout cas, il et trahi la confiance du solitaire de

    Bethlem. En effet, peine de retour chez lui, le plerinde Terre Sainte, du rcit d'Orose, met en circulation, sousle nom d'Origne, une srie de doctrines, de valeur trsingale au point de vue de l'orthodoxie. Les unes neutrali-sent trs heureusement l'influence des Priscillianistes ^D'autres, au contraire, se trouvent justement parmi cellesdont saint Jrme, dans une circonstance rapporte tout l'heure, dnonait le venin. Le succs fut rapide. Orose enattribue une part deux autres admirateurs d'Origne. Del'un, il ne nous livre gure que le nom et le pays d'origine :Basilius Grsecus. Il le qualifie de saint, ce qui prouve com-bien on le vnre et aussi que la vertu ne protge pas infail-liblement contre tous les fcheux engouements d'ides.L'autre tait un troisime Avitus ou un second, si l'onidentifie ensemble les deux premiers. Il avait fait le voyagede Rome, pendant que son homonyme faisait celui deJrusalem. Lui aussi tait revenu en Espagne avec unauteur dont il s'tait pris et qui s'appelait Victorin : c'estle rhteur et philosophe, dont la conversion exera sur lejeune Augustin une impression si vive ^ Mais Origneavait grandement nui Victorin. Bientt personne nes'occupait plus de ce dernier, mme pas son introducteuren Espagne, qui se donnait Origne ^.Nous connaissons maintenant trois des promoteurs de l'ori-gnisme en Espagne : les deux Avitus, dont parle Orose, etBasilius Graecus *. Ce sont eux qui, tort ou raison,s'autorisrent de l'enseignement du Docteur alexandrinpour combattre trs directement, trs explicitement, l'ter-nit des peines de l'Enfer: Ignem sane ternum, quo pec-catorespuniantur... neque ternum, prdicaverunt )) ^.Leur argument tait d'ordre philologique : le mot grec,traduit en latin par ternum ne signifiait pas, disaient-ils : qui dure toujours. Et la version latine tait de cet aAds.

    1. Consultatif XLIT, 3 (P. L., xlh, 008).2. Confess., VIII, 2, 5 (P. L., xxxii, 749 et 751).3. Consultati , 3 (P. L., xlii, 668).4. Ibid.5. Ibid.

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    DANS SAINT AUGUSTIN IILa preuve, c'tait, en maints endroits, l'addition : internum, de et in sseciilum sculi ^ ; videmment, cesdeux expressions correspondaient deux priodes cons-cutives, dont la premire au moins celle qui tait repr-sente prcisment par in ternum ne pouvait treillimite. Bref, les mes coupables devaient, aprs une expia-tion suffisante, rentrer dans l'unit du corps du Christ *.

    Toutes les ides, que les nouveaux disciples d'Origneempruntaient leur matre, prirent trs vite autour d'eux.Sauf une seule, cependant : celle qui tendait le salut audmon : Voluerunt etiam de diabolo asserere ; sed nonpraevaluerunt ^.

    Cette exception n'tait pas capable d'attnuer un dangerqui se manifestait aussi par d'autres courants de pense,non moins dfavorables l'ternit des peines de l'Enfer,et sur lesquels il faut prsent porter notre attention.

    1. Consultati , 3 (P. L., xlii, 668).2. Ibid.3. luid.

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    CHAPITRE II

    Les Misricordieux.

    Saint Augustin n'est encore que coadjuteur de TvqueValre S lorsqu'il lui arrive, en parlant au peuple, de viserincidemment une forme de ngation qui s'attaque l'ter-nit des peines de l'Enfer, comme une fausse menace ^.L'objection tait-elle rellement courante ? ou simple-ment possible, et envisage comme telle, par le saintDocteur, soucieux de prmunir les fidles contre toute alt-ration du dogme chrtien ?La premire hypothse parait la plus naturelle. Le con-texte ne dment pas la seconde.

    Saint Augustin commente les dernires paroles duPsaume XCIV, c'est--dire, le terrible serment de la colredivine contre l'garement de cur du peuple choisi. Ce qu'ilessaie de montrer, c'est qu'elles sont impitoyables touteillusion sur la ralit du chtiment qu'elles prdisent : Per semetipsum confirmt promissa sua : per semetipsumconfirmt minas suas. Nemo dicat in corde suo : verum estquod promittit ; falsum est quod minatur ^. L'avertisse-ment est trs net ; toutefois, il ne sa prsente pas avec lesindices d'une particulire actualit. Aussi demeure-t-ilsimplement probable et c'est tout ce qu'on peut dire que, vers le temps o saint Augustin fut promu au sige

    1. In P8. XCIV, 1 (P. L., xxxvn, 1216).2. In Pa. XCIV, 15 (P. L., xxxvn. 1226).3. Ibid.

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    i4 l'eterxite des peines de l enferd'Hippone, une tendance ne pas prendre au srieux lesmenaces de Jsus-Christ contre les mchants rgnait dansun certain nombre de cercles.Il est regrettable qu'on ne sache pas la date du Ser-mon LXXV. S'il n'avait t prononc que peu de tempsaprs l'allocution dont nous venons de parler, le scrupule quinous empchait tout l'heure d'tre plus affrmatif dispa-ratrait compltement. En effet, saint Augustin y rpri-mande svrement des partisans bel et bien authen-tiques, ceux-l de l'opinion que le Commentaire duPsaume XCIV rprouve avec tant d'nergie. Il les compareaux Aptres qui crient au fantme, lorsque le Christs'avance vers eux sur les flots : Significat ista res, quodputaverunt discipuli, quia phantasma est,... etiam illos,qui Dominum putant in aliquo fuisse mentitum, et ea quaeminatus est impiis, eventura esse non credunt ^. .^ En tout cas, le Sermon LXXV atteste qu' une poquequi ne saurait tre trs loigne de l'an 400, quelquesesprits acceptent difTicilement l'ternit des peines del'Enfer.Et il n'est pas certain qu'ils connaissent Origne. D'abord,

    nous n'en sommes peut-tre pas encore l'anne o sesuvres pntrent en Espagne. Et surtout, leurs rpu-gnances procdent de motifs trangers au noplatonisme : Ista opinio qua putant homines Christum non verafuisse iniquis et perditis comminatum, ex hoc nata est,quia vident populos multos et innumerabiles turbas no-mini ejus esse subjectas ^ Le Christ laisserait-il doncse perdre tant de nations soumises son nom ? Ils nepeuvent pas admettre une semblable ventualit. C'est lun raisonnement qui porte croire que la vertu n'occu-pait pas encore tout le terrain conquis par la foi. Du moins,n'a-t-il rien d'origniste. Il trahit mnip une poque nota-blement postrieure l'apparition du Yli^X ^p*/wv.En un passage clbre, VEnchiridion qui est une exposi-tion de la doctrine cathohque, rdige vers l'an 421, s'en

    1. Serm. LXXV, 9 (P. L., xsxvin, 478).2. Ibid.

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    DANS SAINT AUGUSTINprend des ides toutes voisines. Arriv au dernier articledu Symbole, saint Augustin affirme avec force l'ternit dusort qui attend, aprs le jugement dernier, et les bons et lesmchants. Puis il continue : Frustra itaque nonnulli, imoquam plurimi, aeternam damnatorum pnam, et crucia-tus sine intermissione perpetuos humano misoranturaiectu, atque ita futurum esse non credunt, non quidemdivinis Scripturis adversando, sed pro suo motu duraquaeque molliendo, et in leniorem flectendo sententiam,qu9e putant in eis terribilius esse dicta quam verius ^. Nous sommes donc tmoins, au commencement duV sicle, d'un conflit trs vif entre la sensibilit humaineet l'ternit des peines de l'Enfer. Celle-l ne peut passouffrir celle-ci. Elle rencontre bien dans les saintes Ecritu-res quelques textes de nature l'embarrasser. N'importe,elle les tournera, tout en faisant sonner trs haut son respectpour les livres sacrs. Non, ils n'ont pas voulu dire cela. Lesens littral ne s'impose pas dans la circonstance. Tellervlation trs claire des Psaumes l'en empche : Nonenim obliviscetur, inquiunt, misereri Deus, aut continebitin ira sua misericordias suas -.

    Ainsi parle la sensibilit humaine par des interprtes quesaint Augustin, un peu plus tard, au vingt-et-unime livrede la Cit de Dieu, appelle nos misricordieux *. Leurnombre est trs grand : nonnulli, imo quam plurimi .Y a-t-il moyen de prciser davantage? Quamplurimi, estun superlatif, tantt absolu : une foule de gens, tanttrelatif : la plupart, la grosse majorit. Nous ne demande-rions pas mieux que de le regarder comme relatif. Mais ilfaudrait nous dire quoi. Est-ce au diocse d'Hippone, l'Eglise d'Afrique, ou la chrtient d'Occident ? Lecontexte n'aide gure rpondre. Il nous fournit quandmme une indication prcieuse. Si rellement saint Augustinavait dans l'esprit l'ide d'une clatante majorit, com-mencerait-il sa phrase par nonnulli ? Plus on suppose

    1. Enchiridion, 29 {P. L., xl, 284).2. Pa. LXXVI, 10.3. De Civitate Dei, 1. XXI, xvii (P. L., xli, 731).

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    i6 l'ternit des peines de l'enfervaste le champ de sa pense, plus la question devient pres-sante. En revanche, il n'y a pas la moindre difficult voirdans quamplurimi un superlatif absolu. Gela s'accorded'ailleurs beaucoup mieux avec le mouvement de la pensedu saintDocteur.il est si naturel qu'elle passe d'une nergiqueaffirmation du dogme la rpudiation expresse de l'erreuroppose, et cela, sans se proccuper, pour le moment, duchiffre des partisans de celle-ci. Lorsqu'il hsite de la sortedans le choix d'un pronom indfini qui corresponde vrai-ment bien leur nombre, le saint Docteur donne la preuveque ce point de vue n'a jamais spcialement attir sesregards. La traduction la plus exacte de quamplurimiparat donc tre : beaucoup de monde, des gens en aussigrand nombre qu'on voudra.

    Entrons maintenant dans le dtail des doctrines que pro-fessent les misricordieux.

    D'abord ils s'entendent tous pour laisser les mauvaisanges en dehors de leurs thses et ne s'occuper absolumentque des hommes \ Mais leur accord ne va pas plus loin. Lesuns ne veulent de l'ternit des peines de l'Enfer pourpersonne. Les autres la rejettent seulement pour une classequ'ils largissent plus ou moins, ce qui engendre unenouvelle varit de systmes. On en peut compter trois,suivant que le prtendu privilge est attach :

    1^ A la foi, indpendamment des uvres, ou 1^ la man-ducation de la chair du Christ, ou enfin, 3 l'aumne tantmatrielle que morale, celle-ci entendue au sens de pardondes injures.Tous les trois se rclament des saintes Ecritures. Ondevine sur quoi le deuxime, par exemple, cherche s'ap-puyer. Saint Augustin nous le dit du reste, formellement ^ :c'est sur les paroles de Notre-Seigneur dans l'annonce de lasainte Eucharistie : Hic est panis qui de clo descenditut si quis ex ipso manducaverit, non monatur. Ego sum

    1. De Civitate Dei, 1. XXI, xvii (P. L., xli, 732).

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    DANS SAINT AUGUSTIN I7panis vivus, qui de clo descendit : si quis manducaverit exhoc pane,vivet in seterniim-. Cette promesse est soumise une interprtation d'un littralisme, troit au-del de toutevraisemblance, et comportant, d'ailleurs, plusieurs degrs.

    Le plus bas consiste enseigner que ceux qui ont mangla chair du Christ sont assurs de sortir un jour de l'Enfer, quomodolibet vixerint, in quacumque hseresi vel impie-tare fuerint )> ^.

    Non, protestent quelques voix. Celui-l seul mange rel-lement le corps du Christ, qui se trouve dans le corps duChrist, c'est--dire dans l'Eglise. Les autres ne font queconsommer le signe sensible. Il faut donc tre catholique. Lencore, les esprits se partagent. Les uns n'exigent cette con-dition qu'au moment de la participation au corps du Christ.On peut ensuite tomber dans l'hrsie ou mme l'idoltrie,comme on voudra *. Cela ne sufft pas d'autres, qu'uneparole du divin Matre a vivement frapps : Qui perseve-raverit usque in fmem, hic salvus erit ))^ Eux, demandentla fidlit au lien de l'unit catholique, jusqu' la mort **.Quant la bonne vie, elle n'est toujours pas ncessaire.Ceux qui compltent ainsi le deuxime systme rejoignent

    les partisans du premier. De fait, c'est le mme sufragequ'invoquent les uns et les autres, celui de saint Paul, dansla premire Epitre aux Corinthiens, quand il garantit lesalut des mes, qui demeurent fondes sur le Christ. SaintAugustin cite l'Aptre de la manire suivante ' : . De Civitate Dti, 1. XXI, xxi (P. L., xli, 734).7. De Civitate Dei, 1. XXI, xxi (P. L., xli, 734). De Fide et c% ribus,24 (P. L., XL, 212).IXUAUT. L'TERNIT DES PEINES DE L'ENFEF, 2

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    i8 l'ternit des peines de l'enferpermanserit, quod supersedificavit, mercedem accipiet. Sicujus opus autem arserit, damnum patietur : ipse autemsalvus erit, sic tamen quasi per ignem ^ Ce long passageparait saint Augustin trs difficile ^. Les misricordieuxdont il s'agit, l'expliquent trs simplement, et trs commo-dment. Avoir le Christ pour fondement, c'est faire partiede l'Eglise catholique ^. On peut encore dire que c'est croireau Christ *. L'or, l'argent, et les pierres prcieuses symbo-lisent les actions vertueuses; le bois, le foin et la paille, lescrimes de toutes sortes , dont l'expiation doit s'accomplirpar le moyen d'un feu qui est bien celui de l'Enfer. quoign in ultimo judicio punientur mali ^. Mais la puissancedu fondement, rest intact sous l'accumulation des souil-lures, oblige bientt ce feu lcher sa proie : Recta fides,per quam Christus est fundamentum, quamvis cumdamno, quoniam illa quse superdificata sunt, exurentur,tamen poterit eos quandoque ab illius ignis perpetuitatesalvare ^ Objecte-t-on aux auteurs de ces raisonnementsque la sentence du jugement dernier ne fait allusion qu'auxuvres, et nullement la foi ? Ils croient se tirer d'affaire,en distinguant entre le feu et son action. Oui, rpliquent-ils,le feu est ternel ; mais, quand il s'agit de catholiques,il n'en est pas de mme de son action *.

    C'est prcisment aux considrants de la sentence dujugement dernier que le troisime systme veut emprunterun argument. Sur quoi roulent-ils, en effet ? Uniquementsur les aumnes donnes ou refuses , Mais il y a surtoutune parole de saint Jacques : Judicium sine misericordiailli qui non fecit misericordiam w^**. D'o cette conclusion :

    1. /Cor., III, 11, 15.2. De Fide et operibua, 27 (P. L., xl, 215). Enchiridion, 18 (P. L.,XL, 264).3. De Givitate Dei, 1. XXI, xxi (P, L., xli, 734) ; xxvi, 1 (P. L.,XLi, 743).4. De Fide et operihus, 24 (P. L., xl, 213).5. De Fide et operibus, 24. De Civitate Dei, 1. XXI, xxi ; xxvi, 1.6. De Civitate Dei, 1. XXI, xxr.7. De Givitate Dei, 1. XXI, xxvi, 1 (P. ., xli, 743).8. De Fide et operibus, 25 (P. L., xl, 214),9. De Givitate Dei, 1. XXI, xxii (P. L., xli, 735).10. Jac, II, 13.

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    DANS SAINT AUGUSTIN IQ Qui ergo fecerit, quamvis mores in melius non mutaverit,sed inter ipsas suas eleemosynas nefarie ac nequiter vixerit,judicium illi cum misericordia futurum est, ut aut nulladamnatione plectatur, aut post aliquod tempus sive'par-vum, sive prolixum, ab illa damnatione liberetur ^ Bref,pratiquez l'aumne srieusement ; et, quel que soit parailleurs votre genre de vie, vous ne resterez pas longtemps,ou en tout cas, vous ne resterez pas toujours dans lesflammes de l'Enfer : peut-tre mme y chapperez-voustout fait.Quand on entend parler d'aumne, on ne pense d'ordi-naire qu' l'assistance matrielle. Et pourtant le pardondes offenses est une aumne aussi, et qui autorise les mmesesprances que l'autre. Le Christ n'a-t-il pas dit : Si dimi-seritis peccata hominibus, dimittet vobis et Pater vesterpeccata vestra : si autem non dimiseritis hominibus, nequePater vester qui in clis est, dimittet vobis ^ ? Voilun loquent commentaire du texte de saint Jacques. Largle nonce par cet Aptre s'applique donc tout aussi bienau pardon des offenses qu' l'aumne proprement dite. Etqu'on ne distingue pas entre pchs mortels et pchsvniels : Nec dixit Dominus, inquiunt, magna vel parva ;sed, Dimittet vobis Pater vester peccata vestra, si et vosdimiseritis hominibus ^ Un autre tmoignage, favorable la mme thorie, c'estl'Oraison dominicale : dimitte nobis dbita nostra, sicutet nos dimittimus debitoribus nostris *. Par consquent,pardonnons ; et, quelle que soit la gravit de nos pchs,la rcitation de l'Oraison dominicale nous en vaudra sre-ment le pardon, sans que nous ayons d'ailleurs changerde vie ^.Ce troisime systme requiert-il la qualit de chrtien ?

    Nulle part, explicitement ; et mme, la plupart des raisonsqu'il met en avant gardent leur force dans le cas des infi-

    1 . De Civitate Dei, 1. XXT, xxii (P. L., sxi, 735).2. Matth., VI, 14, 15.3. De Civitate Dei, 1. XXI, xxii [P. L., xu, 735).4. Matth., VI, 12.". De Civitate Dei, 1. XXI, xxii ; xxvn, 1 (P. L., xli, 730 ; 746) .

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    20 L ETER>'ITE DES PEI>ES DE L ENFERdles. Remarquons toutefois qu'il en appelle constammentaux saintes Ecritures, et en particulier aux paroles de Notre-Seigneur. Surtout, on dirait que, dans la rmission despchs, ou plutt, des peines qui leur sont dues, il fait jouer l'Oraison dominicale un rle ncessaire, encore qu'tran-gement rabaiss : '.( Sicut nullus est, inquiunt, dies quo aChristianis haec oratio non dicatur : ita nullum est quoti-dianum qualecumque peccatum, quod per illam non dimit-tatur, cum dicimus, Dimitte nobis dbita nostra, si quodsequitur facere curemus, sicut et nos dimittimus debitori-bus nostris \ D'aprs ces indices et ils sont vraimentsrieux le troisime systme, d'accord en cela avec lesdeux premiers, ne s'occupe que des seuls chrtiens.En ce cas, il semble que tous les trois tendent se fondreen un seul qui est beaucoup plus simple, et d'aprs lequelle Baptme, par lui-mme, prserve de la damnation ter-nelle. Effectivement, c'est tout ce qu'en retiennent quelquescontemporains de saint Augustin, que la question intressevivement, mais qui les moyens manquent de l'approfon-dir eux-mmes. Tel, le tribun Dulcitius qui la conoit de lamanire suivante : Utrum aliquando, qui sunt post Bap-tismum peccatores, exeant de gehenna - ? Or, au momento il la pose saint Augustin, les systmes misricordieuxviennent d'atteindre tout leur dveloppement, puisqueVEnchiridion a paru et que la Cit de Dieu s'achve. Onsaisit donc sur le vif leur influence sur un esprit sincre-ment attach la foi catholique saint Augustin traiteDulcitius comme tel mais dont l'instruction religieuseprsente de graves lacunes. Pour Dulcitius, en efet, Tter-nit des peines de l'Enfer n'est gure qu'une opinion libre.Cela ressort des commentaires dont il accompagne son inter-rogation: Aliquantorum namque super hoc, inquis,(Dulciti),diversa sententia est, respondentium, sicut justorum pr-mium, ita peccatorum fmem non habere tormenta ^ )>Un chrtien form suivant les mthodes du de Catechi-

    1. De Civitate Dei, 1. XXI, xxvn, 1 (P. L., xli, 746).2. De Octo Dulcitii Qustionihus, Qust., I, 1 (P. L., xl, 149),3. Iii:l.

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    DANS SAIM AUGUSTIN aizandis rudibus ne parle pas ainsi. Il n'y a donc rien d'ton-nant, ce que Dulcitiiis se soit laiss impressionner parquelques-uns des arguments que les misricordieux s'ima-ginent avoir dcouverts dans les saintes Ecritures. Il encite deux, en ayant l'air de les prendre son compte ; mais,au fond, c'est pour savoir ce que le saint Docteur en pense.Nous avons dj rencontr l'un : c'est la parole de saintPaul : ipse autem salvus erit, sic tamen quasi per ignem *.L'autre ne nous est connu que par Dulcitius, prcisment.Il est dit, dans l'Evangile : Non inde exies, donec reddasnovissimum quadrantem ^. Et Dulcitius ou plutt lesmisricordieux, dont il n'est alors que l'cho de pour-suivre : Superest ergo ut, hoc reddito, possit exire ^ Conclusion assez imprvue, assez piquante mme. Ajoutons,pour tre justes envers Dulcitius, qu'il entrevoit lui-mmela fragiht du raisonnement qui la supporte. De cette parolede l'Evangile, il ne peut se dfendre d'en rapprocher uneautre, de structure identique, mais qu'on ne saurait sanssacrilge plier un raisonnement analogue. C'est du restesaint Augustin lui-mme qui l'a signale son attention,dans une circonstance antrieure : Et non cognovit eam,donec peperit ^ Elle ne sufft pas pour calmer sa perplexit.On voit dans quel trouble il a t jet par les doctrines mis-ricordieuses.

    Tel est, peu prs, l'ensemble de celles que nous pouvonsappeler restreintes, puisqu'en effet elles ne supprimentTternit des peines de l'Enfer que pour une catgorielimite de pcheurs. Un mot, maintenant, sur la doctrinemisricordieuse large, qui promet la dlivrance des peines del'Enfer tous les pcheurs sans distinction.

    Elle ne se prte pas des divergences aussi nombreuses,ni aussi profondes. Nous n'avons gure en relever qu'une

    1. /Cor., III, 15.2. Matth., V, 26.3. De Octo Dulcitii Qustinbus, Qusf., I, 1 (P. L. XL, 140).4. Matth ,1, 25.

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    2P L*TER?JIT DES PEI>ES DE L'E>FERseule, d'importance plutt secondaire. C'est propos dela bienheureuse chance. Les uns la laissent indtermine,et d'ailleurs variable selon les individus ^. Mais d'autresveulent qu'aprs le jugement dernier il n'y ait plus d'Enferdu tout : cum ad judicium ventum fuerit, misericordiamesse superaturam 2. Saint Augustin s'occupe trs spciale-ment de cette thse radicale. '"..^

    Il nous explique comment elle se croit d'accord avecles prophties de l'Evangile sur le sort des mchants.C'est trs simple. Les pcheurs mritent-ils rellement leschtiments que le divin Matre leur annonce ? Oui. Ehbien ! cela sufft. Notre Seigneur ne s'est pas tromp ^.Vous ne vous rappelez donc pas l'histoire de Ninive.Dieu n'avait pas dit : Ninive sera dtruite, si elle ne faitpnitence; mais tout simplement : Ninive sera dtruite.Et cependant, Ninive ne fut pas dtruite. La parole deDieu tait-elle en dfaut pour cela ? Vous allez peut-trerpondre que la condition existait dans la pense de Dieu.Evidemment, Dieu prvoyait la conversion des Ninivites.N'empche qu'il a prophtis leur ruine, absolument etpositivement. Vous ne devez pas perdre cela de vue. Et samenace tait vraie non pas, parce qu'implicitementconditionnelle mais parce que rigoureusement juste.Seulement sa misricorde ne lui en permit pas l'excu-tion *.Une intervention du mme genre se produira au juge-ment dernier. Ce qui fait principalement l'originalit dusystme, c'est que la misricorde divine entrera en jeu, pro-voque par les supplications qui s'lveront alors des cursdes saints, a Donabit enim eos (scilicet, impios), inquiunt,misericors Deus precibus et intercessionibus sanctorumsuorum ^. D'o cette curieuse ide peut-elle bien venir ?Nous inclinerions voir l une rminiscence de Ninive,

    1. De Civitate Dei, 1. XXI, xvii (P. L., sxi, 731).2. De Civitate Dei, 1. XXI, xviii, 1 (P. L., xli, 732).'3. De Civitate Dei, 1. XXI, xviii, 1 (P. L., xli, 732).' xxiv, 1 (P. L.,

    XLI, 736).4.' De Civitate Dei, 1. XXI, xvni, 2 (P. L., xu, 733).5. De Civitate Dei, 1. XXI, xviii, 1. (P. L., xu, 732).

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    - DANS SAIM^AUGUSTIN 23pargne cause des prires de ses habitants. Quoi qu'il ensoit, on cherche dans le rcit biblique un argument pourprouver, non pas que les saints intercderont, cela est sup-pos acquis mais que leur intercession sera infailliblementcouronne de succs. Voici ce que l'on dit : Quand Dieu aexauc les Ninivites, Jonas, son saint Prophte, s'tait miscontre eux ; ds lors, comment les saints qui, au dernier jour,s'uniront tous, sans exception, pour implorer la grce despcheurs, ne l'obtiendraient-ils pas ^ ?i. Trs bien, si les saints parlent, ils seront couts ; maisparleront-ils ? Sur la terre, nous rplique-t-on, ils priaientdj pour les pcheurs. Ceux-ci les faisaient pourtantsouffrir, et, d'autre part, la nature n'tait pas encore, audedans d'eux-mmes, compltement dompte. Dgags detoute imperfection, seront-ils moins puissants sur le curde Dieu, ou moins charitables l'gard d'ennemis terrassset suppliants ^ ?On ne se contente d'ailleurs pas de ces raisonnements.Que la misricorde divine doive s'exercer au jour du juge-ment, n'est-ce pas prdit dans les saintes Ecritures ? Num-quid obliviscetur misereri Deus, aut continebit in ira suamiserationes suas ^ ? )> La colre de Dieu, c'est prcis-ment la sentence qui condamne les pcheurs un suppliceternel. Tous les misricordieux de la thse large s'abritentderrire ce verset du Psaume LXXVI. Mais c'est surtoutdans le groupe auquel nous avons affaire en ce momentqu'on essaie d'en tirer parti. A ceux qui admettent encoredes peines plus ou moins longues, on reproche de restreindrearbitrairement la porte du texte inspir, dont le sens esttout simplement que Dieu ne retiendra pas ses misri-cordes. Ds lors, en effet, pourquoi lui faire dire : Dieu neretiendra pas toujours, ou : Dieu ne retiendra pas long-temps ses misricordes ^ ?

    Il faut tout de mme convenir que les saintes Ecrituressont plutt muettes sur une telle issue du jugement dernier.

    1. De Civitate Dei, I. XXI, xvin, 2 {P.L., xli, 733;.2. De Civitate Dei, 1. XXT, xvm 1. {P.L.. xli, 732).3. Ps. XXVI, 10.4. De Civitate Dei. 1. XXI, xviit, 1.

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    34 l'termt des peines de l'enfer Oui ; mais leur silence a pour but de favoriser les conver-sions et de multiplier ainsi, pour le dernier jour, les inter-cesseurs ^. Du reste, il n'est pas si absolu. Et pour nous enconvaincre, on nous met sous les yeux cette autre parole duPsalmiste : Quam multa multitudodulcedinis tuae, Domine,quam abscondisti metuentibus te M L'interprtation enest un peu trange : Dieu cache les desseins de sa misri-corde, afin de tenir les curs sous l'empire d'une craintesalutaire ^. Mais il ne le fait pas avec autant de soin qu'onpourrait le croire. Ainsi, quand saint Paul crit : Conclu-sit enim Deus omnes in infidelitate, ut omnium misereatur*,les deux derniers mots trahissent, au moins pour les regardsperspicaces, le secret divin. Ils signifient, en effet, que Dieune voudra damner personne ^. Vraiment, il tait difficiled'aller plus loin.Dans leur ensemble, par la multiplicit de leurs formes,

    la subtilit de leurs arguments, et le grand nombre de leurspartisans, les doctrines des misricordieux produisentl'impression d'un vigoureux effort contre l'ternit despeines de l'Enfer.

    O avaient-elles pris naissance ?On ne les rattachera pas au mouvement orignisted'Espagne. Saint Augustin n'avait pas encore reu la visited'Orose, lorsqu'il en prenait quelques-unes partie, dans le de Fide et operibus . Cet ouvrage est d'ailleurs le pre-mier o il en parle. Si nous russissions savoir quelleoccasion il l'a compos, la question de leur origine se trou-verait grandement claire.

    Par malheur, nos renseignements l-dessus manquentabsolument de prcision. Les voici, du reste, tels que lesaint Docteur lui-mme nous les donne dans ses Rtrac-

    1. De Civitate Dei, 1 XXr, xviii, 2 (P. I, xli. 733).2. Ps. XXX, 20.3. De Civitate Dei, 1. XX T, xviii, 2.4. i?om., XI, 32.5. De Civitate Dei, 1. XXI, xviii, 2.

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    DANS SAINT AUGUSTIN 25lions : Interca, il fait allusion aux dbuts de la contro-verse plagienne, missa sunt milii a quihusdam fratribuslaicis quidem, sed divinorum cloquiorum siudiosis, scriptanonnulla, quae ita distingurent a bonis operibus christianamfidem, ut sine hac non posse, sine illis autein posse perve-niri suaderetur ad seternam vitam. Quibus respondenslibrum scripsi, cujus nomen est, de Fide et operibus ^ De quels crits s'agit-il ? Tout dpend de l. Or il est pro-

    bable que nous n'en connatrons jamais ni le titre, ni l'au-teur, ni mme la patrie. Et ce n'est pas le sort de la seulehypothse qu'on ait hasarde ce sujet, qui peut infirmernoire opinion.Dans le mystrieux adversaire de saint Augustin, on a

    voulu voir saint Jrme en personne ^ Le nom de frresdsignerait de fervents lecteurs du moine de Bethlem,tels que le tribun Marcellin ou certains membres de lanoblesse romaine que l'approche des bandes d'Alaricavait dcids fuir en Palestine. Effectivement, il arriveaux uns ou aux autres, de recourir aux lumires tholo-giques de l'vque d'Hippone '. Or, il s'en serait trouv,parmi eux, l'orthodoxie de qui les Commentaires sur VEpi-tre aux Ephsiens et sur Isae auraient caus de srieusesalarmes.

    Ce qu'on ne peut pas contester, c'est qu'en un ou deuxendroits, ces ouvrages ont terriblement l'air de professerla doctrine du salut de tous les chrtiens. Mais, en ft-ilainsi le plus clairement du monde, les rares textes o elleserait affirme ne suffiraient pas confrer aux livres entiersIv^ caractre de thses en sa faveur. Et justement, il semblebien que ce caractre soit celui des crits auxquels le deFide et operibus se propose de rpondre. D'une faongnrale, d'ailleurs, ce ne sont pas des traces d'erreur, dansun long ouvrage, qui par elles-mmes provoquent toutun volume de discussion fond et sur les arguments dela doctrine htrodoxe et sur les consquences que d'aucuns

    1. Retract. II, 3*. [P. L., xxxTi, 646).2. Gaunier, m App. I ad I part. Op. M. Mercaior (P. L., xlviti,

    244).: . Epwt. CXXXVIII ; CXXXIX ; CXLIII ; CLXXX.

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    26 l'termt des peines de l'enferveulent en dduire au point de vue de teile rgle particulirede discipline. Non ; du moment que l'ouvrage incriminparait compltement ignorer arguments et consquences,il a bien fallu les recueillir autre part, moins de ne lesenvisager que comme purement possibles. Ce n'est sre-ment pas le cas de saint Augustin dans le de Fide etoperibus .Et puis, pourquoi saint Augustin n'et-il pas nomm

    saint Jrme ? Prse reverentia tanti viri, dclare Garnier,le savant auteur de l'hypothse en question. Il est permisde ne pas regarder cette explication comme dfinitive ettotale. L'voque d'Hippone, dans une circonstance clbre,s'tait montr capable de concilier avec la dfense des droitsde la vrit le respect trs profond que lui inspirait, par savertu et sa science, le solitaire de Bethlem. Et pourtant,alors, la foi n'tait pas en jeu. Il est vrai que son attention mnager la susceptibilit du vieil athlte n'obtint pas toutle succs dsirable. Mais l'intressant incident aurait-ildonc laiss en son me une sorte de crainte rvrentielle pourl'adversaire dont il avait prouv la vigueur ? Nous croyonsplus volontiers que, si c'avait t rellement contre saintJrme qu'il et pris la plume, il aurait procd d'une autrefaon plus conforme son amour pour la doctrine catho-lique, l'estime en laquelle il tenait la foi du saint prtre,et aussi aux exigences d'une absolue droiture. En tout cas,dans VEiichiridion et au vingt-et-unime livre de la Citde Dieu, crits aprs la mort de celui qu'il n'et pas voulublesser, rien ne l'empchait plus de signaler et de rfuter,avec tous les gards dus une si sainte mmoire, l'erreurinsinue dans des passages isols, mais saillants, d'uvresdont la haute autorit et risqu de la couvrir.

    Il n'est pas tonnant qu'une hypothse aux bases sitroites ait ralli trs peu de suffrages et suscit de vivesprotestations. Nous voulons parler de celles des Bndic-tins qui ont dit les ouvrages des deux saints Docteurs \

    1. Admoniti) in ibrum de Fide et operibus (P. L., XL, 195). Notinl Dia. Hicronymi advcrsus Pelag., 28 (P. L., xxiii. 522). (t in Com-ment, in la., LXVI, 24 (P. L., xxiv, 677).

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    DANS SAINT AUGUSTIN ^ 27Si nous n'avons pas le droit de prter au solitaire de

    Bethlem le rle de reprsentant des thories misricor-dieuses, au degr que prtend Garnier, du moins pouvons-nous lui reconnatre celui d'informateur sur les doctrinesqu'il est accus de partager. C'est ainsi qu' lui seul sontmoignage nous apprendrait que la thse misricordieuselarge jouissait, son poque, d'une certaine vogue. Il nousapprend, dans tous les cas, qu'elle comptait des partisansen Orient ; et c'est un dtail qui a sa valeur. Saint Jrmene la suit pas dans la diversit de ses nuances. Il est entrain de commenter le dernier verset du livre d'Isae. Pourlui, c'est une prdiction de l'ternit des peines de l'Enfer.Tout le monde incontestablement n'est pas de cet avis-l : Qui volunt supplicia aliquando finiri, et licet post multatempora, tamen terminum habere tormenta, bis utunturtestimoniis... ^ ). Vient une liste de textes des saintes Ecri-tures : Rojn. XI, 25 ; Gai. m, 22 ; Mich. vu, 9 ; Is. xii, 1 ;Ps. XXX, 20. Saint Augustin, nous nous en souvenons, necite que le dernier et un autre, tout pareil au second : Rom.XI, 32.

    L'ternit des peines de l'Enfer, croyance trompeuse,mais salutaire : voil encore un aspect de la thse misri-cordieuse large, que saint Jrme avait remarqu avantsaint Augustin : Ques omnia (testimonia) replicant,asseverantes post cruciatus atque tormenta, futura refri-geria, qu nunc abscondenda sunt ab his quibus timorutilis est : ut dum supplicia reformidant, peccare dsis-tant -. )) Toutefois, on est un peu surpris de voir qu'en-suite il se borne dclarer la raison humaine impuissanteen face de la question, sans la moindre allusion aux donnesde la foi, qui pourtant, ne font pas dfaut l-dessus : Quod nos Dei solius debemus scientiae derelinquere... On se demande si, par refrigeria , il n'entend pas pluttl'adoucissement que la cessation des peines de l'Enfer.Alors il aurait peut-tre embrouill deux thories trsdiffrentes. Quoi qu'il en soit, on ne saturait lui imputer les

    1. In Is., LXVI, 24 (P. L , xxiv, 677).2. In la., LXVI, 24 (P. L., xxiv, 678).

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    28 l'ternit des peines de l'enferopinions qu'il a tout l'heure mentionnes dans son'Com-mentaire. Il n'admet pas la thse misricordieuse large ;il ne fait que la signaler.Pour la thse misricordieuse restreinte, ne serait-ce

    pas, en quelque sorte, l'inverse ? Nulle part, il ne la signale, proprement parler ; nous voulons dire, formellement,explicitement, comme une doctrine ayant cours. Mais, cequi, en fait de tmoignage, n'aurait pas moins de porte,le saint Docteur laisserait-il paratre qu'il l'admet ? Il nes'ensuivrait d'ailleurs nullement que ce ft lui l'auteur descrits viss par le de Fide et operibus)-.A la question qui vient d'tre pose, il n'y a pas queGarnier rpondre oui. Sur ce point, d'autres savants,tels que Huet \ Petau ^ s'accordentavec Garnier. Il est vraiqu'ils ont contre eux les diteurs bndictins de saint Jrmeet de saint Augustin ^ et plusieurs thologiens: Sixte deSienne*, Suarez ^.. etc. Nous ne pouvons pas suivre la con-troverse dans tous ses dtails. Essayons seulement de nousformer une ide nous, au moyen des textes eux-mmes.Le dbat porte principalement sur deux, et d'abord sur

    les toutes dernires lignes du Commentaire d'Isae que nouscitons de manire montrer comment elles se relient aupassage prcdent. Nous mettons entre crochets deux motsqui manquent dans l'un des plus vieux manuscrits et pas-sent pour interpols : Quod nos Dei solius debemusscientiae derelinquere, cujus non solum misericordise sedet tormenta in pondre sunt, et novit quem, quomodo autquamdiu debeat judicare. Solumque dicamus, quod huma-nse convenit fragilitati : Domine, ne in furore tuo arguasme, neque in ira tua corripias me ^. Et sicut diaboli etomnium negatorum atque impiorum qui dixerunt. Non estDeus ', credimus terna tormenta ; sic peccatorum [atqueimpiorum] et tamen Christianorum, quorum opra in ign

    1. Origeniana, II, cap. n, q. xi, 2' (P. G., xvii, 1040).2. De Angelis, l. III, c. vn, 9 10 (Fdition Vive.-, t. IV, p, 110).3. Locis supra citatis.4. L. V, Biblioth^ca Sancta, 1. VI niot. 29 \6. De Angelis, 1. VIII, cap. vn, n" 2 (Edition Vives, t. n, p. 983).6. Ps. VI, 1 ; XXXVII, 1.7. Pa. XIII, 1.

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    DANS SAINT AUGUSTIN 29probanda atque purganda sunt, moderatam arbitramiir etmixtam clementiae sententiam judicis.

    C'est autour de la phrase finale qu'on a tant discut.Rellement, elle n'est pas trs claire. Qu'elle soit susceptibled'une interprtation misricordieuse , oui ; mais c'esttout ce qu'on peut dire. Pour aller plus loin, il faudraittre exactement fix sur la nature de la proposition inci-dente : quorum opra in ign probanda atque purgandasunt. Est-elle dterminative ou simplement explicative ?Dans les deux cas, la clmence divine n'est assure qu'auxChrtiens. Mais, dans le premier, elle ne l'est qu' un cer-tain nombre, tandis que, dans le second, elle l'est toussans exception. Lequel est le plus probable ? La structurede la phrase nous semble indiquer que c'est le premier. Lesmots : et tamen Christianorum, font l'effet d'une de cesparenthses que l'on ouvre pour spcifier avec nettet unecondition essentielle qui risque d'tre oublie. SaintJrme aurait trs bien pu ne pas les crire. Il et tfacile de les suppler. Ne sont-ils pas impliqus dans l'in-cidente qui vient tout de suite aprs : quorum opra... ?Le texte de saint Paul, dont elle porte la marque, ne con-cerne que les mes qui btissent sur le Christ )>, c'est--dire, professent la foi chrtienne. En somme, saint Jrmeopposerait aux pcheurs, chrtiens ou non, dont la vie estune ngation pratique de Dieu, parce que remplie d'ini-quits graves, les pcheurs qui n'ont commis que des fauteslgres, ceux-ci n'tant passibles que de peines temporaires.Seulement, parmi eux, il ne considrerait que les Chrtiens,comme s'il n'y avait pas moyen de savoir ce que les autresdeviennent.

    L'allure embarrasse de cette explication ne prvientgure en sa faveur. En outre, est-il bien sr que, dans l'es-prit de saint Jrme, le bois, le foin, la paille dont parlesaint Paul, ne servent de symboles qu'aux fautes lgres ?On a le droit d'en douter, aprs avoir rencontr sous laplume du saint Docteur toujours, propos du dernierverset du livre d'isae une phrase comme la suivante : Omnium Sanctorum oculis eorum supplicia monstra-

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    3o l'ternit des peines de l'enferbuntur, qui pro auro et argento, et lapide pretioso difi-caverunt super fundamentum Domini, fenum, ligna, sti-pulam, ignis pabulum sempiterni. f ^. Mais supposons que l'incidente quorum opra... soitpurement explicative, et par l m.m.e, qu'on puisse, sansnuire au sens de ce qui reste, la supprimer et lire tout sim-plement : sic peccatorum, et tamen Ghristianorum, mode-ratam arbitramur et mixtam clementise sententiam judicis .Y a-t-il l une affirmation catgorique de ce que nous avonsappel la doctrine misricordieuse restreinte ? Le prten-dre, ce serait peut-tre outrepasser la signification duverbe arbitrari . Surtout, ce serait trancher bien pr-cipitamment, et dans un sens fort contestable, une ques-tion assez dlicate : si saint Jrme sauve tous les chrtiens,est-ce en droit ou rien qu'en fait ? Croit-il que tous leschrtiens doivent, tt ou tard, entrer au Ciel, ncessaire-ment, parce que revtus d'un caractre sacr, quel que soitleur genre de vie ? ou bien ne fait-il que partager une esp-rance, laquelle, d'ailleurs, beaucoup de catholiques denotre temps semblent prts s'ouvrir, savoir, que, pra-tiquement, les chrtiens finissent toujours, sauf peut-trede ngligeables exceptions, par raliser les conditionsstrictement requises pour le salut ? Le texte, tel que nousl'avons rduit, supporte ces deux interprtations. A ceuxqui pencheraient vers la premire, il y aurait lieu derappeler qu'en d'autres endroits saint Jrme ne distinguepas entre les pcheurs ^ Parfois mme, loin de mettre endehors de la rprobation ternelle les chrtiens qui meurentdans leurs crimes, il les y enclt nommment -. N'au-rait-il pas chang d'avis ? a-t-on insinu. C'est possible.Mais n'attendons pas d'une telle hypothse qu'elle com-munique notre texte une nettet qu'il ne possde pas lui-mme.On n'arrive pas des conclusions beaucoup plus fermes,en partant d'un autre texte qui a t. lui aussi, largement

    1. In Maith., l. I, x, 28 (P. L., xxvi, 66).' In Ezcch., 1. VII, xxiii,2 (P. L., xxv, 21 ;) In Is., LXV, 20 (P. L., xxiv, 646).

    2. In GaL, 1. HT, v, 21 (P. L., xxvi, 415 41-).

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    DANS SAINT AUGUSTIN 3lexploit contre Torthodoxie de saint Jrme en la mmematire : Si Origenes omnes rationabiles creaturas dicitnon esse perdendas, et diabolo tribuit pnitentiam, quidad nos qui et diabolum et satellites ejus omnesqiie impioset praevaricatores dicimus perire perpetuo et Christianos,si in peccato prseventi fuerint, salvandos esse post p-nas ^ ? En elles-mmes, les appellations d'impie et deprvaricateur conviennent tout aussi exactement auxpcheurs qui sont chrtiens qu' ceux qui ne le sont pas.Il est vrai que le saint Docteur, quelques lignes auparavant,donne de l'impit une dfinition spciale : Impietasproprie ad eos pertinet, qui notitiam Dei non habent, velcognitam transgressione mutarunt. Mais il n'est pasdmontr que les Chrtiens, coupables de fautes mortelles,ne rentrent dans aucune de ces deux catgories.La difficult la plus srieuse, c'est le partage que le textefait des pcheurs : d'un ct, ceux qu'il dsigne sous lesnoms d'impies et de prvaricateurs ; de l'autre, les chr-tiens surpris par la mort en tat de pch : Christianossi in peccato prseventi fuerint . En vrit, on dirait que,pour le saint Docteur, il ne peut pas y avoir de chrtiensdans le premier groupe.Ne nous fions pas trop, cependant, aune telle impression.D'abord, lorsque saint Jrme parle ici de chrtiens, nousne savons pas au juste qui il pense. Ce n'est srement pas tous les baptiss, car, dans le contexte, il menace de ch-timents ternels, les hrtiques et en particulier Pelage. Lesaint Docteur ne promettrait donc en toute hypothse lesalut final qu' l'intgrit de la foi. Exige-t-il davantage ?Il serait peut-tre tmraire de se prononcer dans un sensou dans l'autre. Le mot peccatum n'a, dans tout leparagraphe, qu'une signification trop flottante pour servirde base une affirmation quelconque. Saint Jrme l'yemploie en opposition avec impietas )>, sans d'ailleursexpliquer trs clairement ni l'un ni l'autre. On a essayde ramener impietas au pch mortel, peccatum w aupch vniel. Correspondance sans doute plus prcise

    1. Dialog. adv. Pelag., I, 28 (P. L., xxiii, 522).

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    32 l'ter^^it des peines de l'enferqu'exacte. Impietas se rapporte certainement desfautes d'une extrme gravit. Nous n'oserions pas soutenirqu'ici peccatum )> ne doive s'entendre que de lgres in-fractions la loi divine. \ :

    Mais voyons comment saint Jrme a pu tre conduit cette distinction un peu dconcertante. Nous sommes dansson premier Dialogue contre les Plagiens, compos en 415.Le catholique Atticus critique, une une, les propositionssuspectes que son interlocuteur Critobule autrementdit. Pelage enseigne dans ses crits. En ce moment, ilattaque la suivante, In die judicii iniquis et peccatoribusnon parcendum, sed ternis eos ignibus exurendos. Cet nonc rvolte Atticus par son absolue gnralit quilui parait imposer une limite la misricorde divine. Vousmlez tous les pcheurs ensemble, objecte-t-il Critobule.Pourtant, il y a des degrs Cujus est temeritatis iniquoset peccatores impiis jungere ! )> Et Atticus de s'vertuer sparer les uns des autres.La discussion laquelle il se livre donne lieu deuxremarques :

    1 Le nom de chrtien n'y figure pas, sauf dans laphrase finale o, parce que c'est la premire fois, on esttonn de le trouver.

    2^ A tel endroit, il est clair que peccator exprimeun trait qui convient tout homme, ft-il aussi saint queles Patriarches, les Prophtes et les Aptres.

    D'o les deux consquences suivantes :1^ Saint Jrme reconnatrait que des Chrtiens peuventappartenir au groupe des impii )).

    2 Par le terme de peccatum )>, il aurait l'air, ici, decaractriser un tat de l'me, trs dplorable assurment,mais qui ne serait pas toujours incompatible avec unelgitime esprance de la batitude ternelle.

    D'aprs cela, si nous revenons au passage incrimin, ilserait possible, pour ne pas dire vraisemblable, que le saintDocteur n'y et en vue que les chrtiens qui mritentrellement ce nom, parce qu'en dpit d'invitables fautes,ils s'efforcent de conformer leur vie leur crovance. Voil,

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    DA^S SAINT ALMiUSTlN 33pensons-nous, jusqu'o il est permis de s'avancer. Gelanous suffit, du reste, pour refuser de voir dans ce deuximetexte ce que le premier ne nous a pas paru contenir, savoir,une preuve irrfutable de la sympathie de saint Jrme pourles thories que combattent ensemble le de Fide et ope-ribus, VEnchiridion et le Adngt-ct-unime livre de la Citde Dieu.

    Chose curieuse ! telle est prcisment la position que saintAugustin nous invite lui-mme prfrer ; oui, saint Augus-tin aux yeux de qui saint Jrme passerait, s'il fallait encroire certains rudits, pour l'un des promoteurs de la doc-trine misricordieuse restreinte. En tout cas, si l'vqued'Hippone avait effectivement une telle opinion de sonillustre ami, le premier Dialogue contre les Plagiens n'yserait pour rien. Il parle de cet ouvrage sur un ton troplogieux \ A vrai dire, tout seul, pareil argument seraitplutt faible. Mais il y en a un autre, et celui-l, on l'ap-prciera davantage.

    Cette formule de Pelage, l'occasion de laquelle saintJrme a crit des lignes qui ont t si vivement discutes,voil qu' son tour saint Augustin la rencontre. C'est enparcourant les actes du concile de Diospolis. L'hrsiarquea eu la dfendre, ainsi que plusieurs autres, devant cetteassemble. Si elle avait t dnonce aux voques de Pales-tine, c'tait pour les raisons qui avaient mu saint Jrme :trop absolue et ne tenant aucun compte de l'enseignementde saint Paul sur les pcheurs qui ont le Christ pour fonde-ment. Ajoutons que ce point ne nous est connu que parsaint Augustin -. Les membres du synode paraissent bienn'avoir ni demand ^ ni donn * d'explications d'aucunesorte Pelage. Ils l'ont laiss se retrancher derrire laparole terrible par o Notre-Seigneur termine la pro-phtie relative au jugement dernier. Il se sont dclarssatisfaits de sa rponse.

    Cela montre notons-le en passant combien il serait1. Evist. CLXXX, 5 (P. L., xxxiii, 779).2. De Gestis Pclagii, 9 (P. L., xliv, 825).3. De Gestis Pelagii, 9 (P. L., xliv, 320).4. De Gestis Pelagii, 10 (P. L., xuv, 325).lEHAUT. l'TEKNIT i E PEINES DE L.'EMER 3

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    34 l'termt des peines de l'enferinjuste de les accuser de complaisance pour les misricor-dieux. Leur collgue d'Hippone n'y songe pas non plus. Lesinquitudes veilles par le svre langage du novateur luisemblent trs fondes. On s'en aperoit en plusieurs endroits:

    1 Quand il regrette car tel est bien le sentimentqui anime son rcit quand il regrette la brivet de cettepartie de l'interrogatoire.

    Les rapporteurs, Hros, voque d'Aix, et Lazare, vqued'Arles, n'avaient pu assister aucune sance, et personnene s'tait trouv l pour faire comprendre l'assembleleur dfiance l'gard de la thse de Pelage. Les jugesn'avaient pas voulu pousser plus loin un dbat dont ils nediscernaient pas trs bien la raison d'tre : ... nuUus urge-bat, ut peccatores per ignem salvandos a peccatoribusseterno supplicio puniendis aliqua exceptione distingueret,et eo modo intelligentibus judicibus cur fuerit illud objec-tum, si nollet distinguere, merito culparetur \ SaintAugustin est donc du mme avis que saint Jrme sur lancessit d'tablir une distinction entre les pcheurs aupoint de vue des chtiments de l'au-del.

    2 Cet accord se manifeste galement, lorsque l'vqued'Hippone indique sous quelle rserve on peut, l'exemplede Pelage, taxer d'orignisme le fidle qui ne croirait pas l'ternit du chtiment des pcheurs : a rursus, qui nullumpeccatorem in Dei judicio misericordia dignum existimat,quod vult ei nomen imponat (Pelagius), dum tamen et huneerrorem ecclesiastica veritate non recipi intelligat KAinsi le saint Docteur ne prte pas la formule de Pelagele sens absolu, comme saint Jrme, Hros et Lazare ; maisil le condamne avec autant d'nergie. Et plus bas, il faitvaloir contre, un argument dj prsent par saint Jrme : si dixisset Pelagius, omnes omnino peccatores cBterno ignet aeterno supplicio puniendos, quisquis id judicium appro-bsset, in se ipsum primitus sententiam protulisset. Quisenim gloriabitur se mundum esse a peccatis ^ ? )

    1. De Gestis Pdagii, 9.2. De Oestis Pclagii, 10 (P. L., xliv, 325).3. De Oest Pelagii, 11 (P. L., xliv, 326).

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    DANS SAINT AUGUSTIN 35Et quels pcheurs saint Augustin met-il de la sorte

    l'abri d'une ternit de supplices ? Lui aussi ne pense qu'ceux dont il est question dans le clbre texte de la premireEpitre aux Corinthiens. Mais il est beaucoup moins expliciteque saint Jrme. Voici, en effet, o il l'est le plus : Nondixerat (Pelagius) omnes peccatores ad aeternum pertineresupplicium, ut merito contra Apostolum dixisso videretur,qui quosdam salvos ait futuros, sic tamen quasi perignem ^ C'est bien peu, semble-t-il ; assez, cependant,pour permettre de supposer, avec une certaine vraisem-blance, que saint Augustin n'a pas t le moins du mondechoqu de la page du premier Dialogue contre les Plagiensqui a nui la rputation d'orthodoxie de son auteur. Cesmes, que leurs fautes n'empchent pas d'arriver au salut,il ne les cherche que l oii saint Paul les lui montre, eto saint Jrme les aperoit lui-mme, c'est--dire, au seinde l'Eglise chrtienne. La rserve de son langage s'expliquepar son dessein spcial : il veut disculper les Pres deDiospolis. Il n'a pas besoin pour cela d'insister sur le pointde la doctrine de l'Aptre auquel il fait allusion. SaintJrme, lui, se propose de ragir contre le rigorisme dont la,formule de Pelage lui parat fortement teinte. Ds lors,quand, cette occasion, il rappelle qu'il y aura des pcheursde sauvs, ne soyons pas surpris si son zle pour cette vritlui donne un peu l'air d'exagrer le nombre de ceux en quielle doit se raliser. Il ne prtend pas du tout descendredans les complications du dlicat problme qu'il toucheainsi. Pourquoi donc prendrions-nous, pour une solutionparfaitement nette qu'on ne songe en aucune faon nousoffrir, le terme de chrtiens qui ne figure ici qu'une seule foiset avec une porte difficile prciser ?En revanche, il n'y aurait pas trop de tmrit soup-onner les misricordieux d'avoir voulu tirer eux-mmesles textes du saint Docteur sur lesquels nous nous sommesarrts si longuement. De mme, ils ont trs bien pu solli-citer tel passage de saint Ambroise, sans plus de succs, en

    1. De Oeatia Pelagii, 62 (P. L., xliv, 356).

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    36 l'termt des peines de l'e^fehtout cas. Considrons, par exemple, celui qui sert Garnier ^pour attribuer l'vque de Milan l'opinion d'aprs laquelletous les Chrtiens sont srs de leur salut : Hoc caput(scilicet, Christum), humani, servate, serpentes. Hoc cus-todito, vita intgra, salus tuta est... Nemo enim perirepotest, oui non sublatus est Christus... Ubi fides est, etinitium et fmem habemus. Ubi perfidia, neque initium nequefinis est... ^ j). Si Garnier a raison, ces lignes signifient quepour conserver le Christ, que, pour demeurer uni au Christ,il n'est pas ncessaire de vivre en honnte homme, maisseulement d'adhrer par l'intelligence aux vrits de la foi.Or une pareille interprtation ne trouve d'appui srieux nidans le texte ni dans le contexte. Ce n'est mme pas la peined'invoquer contre elle maint autre texte o le saint Doc-teur exclut du repos cleste tous les grands pcheurs, sansdistinguer entre Chrtiens et non Chrtiens ^. En gnral,les Pres n'envisagent la foi que telle qu'elle existe norma-lement, c'est--dire, vivifie par la charit. Pour soutenir,dans un cas dtermin, qu'il en est autrement, il faut desindices positifs que nous chercherions vainement ici. Con-cluons "donc que, si saint Ambroise favorise la doctrinemisricordieuses restreinte, ce ne peut tre que malgr lui.O l'on dcouvre de celle-ci une trace un peu moins qui-voque, c'est dans un recueil d'anathmatismes, insrparmi les uvres de Marins Mercator, sous le titre de FidesRufmi Aquileiensis . Les plus anciens manuscrits n'ont pas Aquileiensis , et on ne sait vraiment pas de quel Rufnil s'agit. Garnier opine * pour le prtre de ce nom que saintJrme envoya, vers l'an 399, Rome et Milan ^. D'aprsle mme savant, le document daterait aussi de cette poque.En tout cas, il est antrieur la controverse plagienne.Or, on y lit ceci : Qui dicunt diabolo et dsemonibus etimpiis, hoc est, Gentilibns, Judaeis, Samaritanis omni-

    1. Ad I part, operum Marii Mcrcatoris, Appendix I (P. L., xlviii,245).

    2. In Ps. CXVIII. Scnn. XX, 2, 3 (P. L., xv, 1484).3. In Ps. XXXVII, 2 (P. L., xiv, 1010).4. Ad I part, operum Marii Mercatoris, Appendix I. (P. L., XL^^II,

    242).T). Epist. ad Rufinum, LXXXI, 2 (P. L., xxii, 780).

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    DANS SAfM' AUGUSTIN .)7busqu hreticis (cxceplis Christianis qui reclam fidemsequuntur et peccatores sunt) aliquando parcendum etpnas eorum non esse perptuas anathema sint ^ Cequi, premire vue, parat ressortir de ces lignes, c'est que,pour leur auteur, il n'y a pas ombre d'hrsie regarderl'orthodoxie toute seule comme une garantie certaine desalut. Mme il a bien l'air de partager une telle faon depenser. Ce qu'il entend par impics est trs net, du moinsen apparence. Tout chrtien qui persvre dans la foichappe la fltrissure de ce vocable. Oui ; mais que signi-fient ici les expressions : rectam fidem sequi; peccatoremesse ? Il manque cet anathmatisme la lumire d'uncontexte. Ce ne doit pas tre lui qui a rvl saint Augus-tin le pril misricordieux.

    Il n'est pas jusqu' deux fervents disciples de l'vqued'Hippone, chez qui on n'ait cru apercevoir la mme ten-dance doctrinale : Orose, en son Apologie compose entreles synodes de Jrusalem et de Diospolis, et par consquentdans la seconde moiti de l'anne 415 ; Marins Mercator,dont l'ouvrage vis ici, le Commonitorium super nomineClestii, a paru plus tard encore, peut-tre mme, rienqu'en 429. Il serait difficile, ne ft-ce qu' cause de ces dates,de leur imputer une part quelconque dans le mouvementcontre lequel a t crit le de Fide et operibus . Et cause des textes, aussi. Orose reproche Pelage d'engloberavec les impies, dans l'ternelle damnation, tous lespcheurs, omnes peccatores simul cum impiis ^. Dis-tinction visiblement emprunte saint Jrme, prs dequi le jeune prtre d'Espagne se trouve en ce moment,et pour qui il professe un vritable culte *. Le terme deChrtien ne vient d'ailleurs pas la compliquer fcheuse-ment, comme dans le premier Dialogue contre les Plagiens.Ce qui serait peut-tre une preuve qu'il n'a pas pour saintJrme dont Orose reflte puremont et simplement la

    1. Fides Rufini Aquileiensis, 1 (P. />.. xlviii, 244).2. Liber apologeticus contra Peki'jium, de arhitril Ubertutc, l(> {F. L.,

    XXXI, 1185).3. Liber apologcticus contra Pelar/ium, de arbitrii libcrtate, 3 (P. L., xxxr,1176).

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    38 l'terniti': des peines de l'eni erpense le sens trs tendu que veulent les adversaires del'orthodoxie du moine palestinien. Quoi qu'il en soit, ladoctrine contre laquelle proteste Orose est justement cellequi a suscit Diospolis un moi si bien compris de saintAugustin. Quant Marins Mercator, ses paroles ^ sont troppeu prcises pour qu'on en tire autre chose qu'un dsaveude la svrit de Pelage.En somme, nous ne connaissons rellement les misri-cordieux que par saint Augustin. Les pages qu'il leurconsacre donnent naturellement l'ide de chercher dans lesdocuments contemporains d'autres tmoignages sur eux.Cependant, on aurait grand tort de vouloir en dcouvrir toute force. Il y a l une tentation, laquelle tout le mondene parat pas avoir suffisamment rsist. Evidemment lestextes allgus peuvent tre pris dans un sens misricor-dieux. Mais la question n'est pas l. Doivent-ils l'tre ?C'est ce que nous ne pensons pas.

    Il plane donc sur les dbuts du mouvement misricor-dieux une certaine obscurit. A-t-il subi l'influence del'orignisme, si puissant en Orient la fin du IV^ sicle ?Ce n'est pas invraisemblable ; mais on serait assez embar-rass pour dmontrer que oui, et, plus forte raison, pourdterminer dans quelle mesure. Les deux thories, orig-niste et misricordieuse, contrastent nettement : l'lmentrationnel prdomine chez la premire, l'lment sentimentalchez la seconde. La premire, comme saint Jrme ^ etsaint Augustin ^ le laissent entendre, est ne du dsir deconcilier, dans la mesure du possible, vrits rvles etsystmes philosophiques. De tout autres mobiles intervien-nent dans la formation de la seconde. Nous avons dj vuque saint Augustin met la doctrine misricordieuse largeau compte de la sensibilit humaine *. Il en fait autant pourla croyance qui regarde la foi comme l'unique condition dusalut, indpendamment des uvres : Sed qui hoc crodunt,

    1. Cammonitoiium super nomine Ccclestii, IV. 5 (P. L., xlviit, 105).2. Apol, III. 40 {P. L., xxiii, 487).3. De Hnsibus, XLIII (P. L., xlii, 34).4. Enchiridion, 20 (P. L., xl, 284). De Civitate Dci\ I. XXT. xvii ;xviTT, 2 (P. /.., xij. i:\\, 733).

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    DANS SAINT AUGUSTIN Sqet tamen oaiholicisunljiiimana ([uadaiii f)enevolentia niihifalli videnlur ^ S'il y a une hypothse pour laquelle il semontre svre, c'est celle de l'intercession des saints, aujour du jugement dernier. 11 lui attribue une origine hon-teuse : on ne l'a imagine, nous dit-il, que pour calmer desinquitudes trop lgitimes, causes par une vie morale dontla note principale n'est pas l'austrit ^ Peut-tre une raisonde ce genre n'est-elle pas compltement trangre l'clo-sionet surtout la propagation des thses misricordieusesrestreintes. Ce qui n'empcherait d'ailleurs pas des consi-drations d'un ordre un peu plus noble d'y avoir ga-lement contribu, par exemple, la bont du Christ, ou encorece que saint Augustin appelle le mrite du fondement .^))c'est--dire la puissance du Christ pour le salut. C'est sousl'empire d'ides comme celles-l que, de nos jours, tant defidles veulent que le plus grand nombre des Catholiquessoient sauvs. Seulement, l'poque de saint Augustin, onallait beaucoup plus loin. D'abord, il s'agissait de tous lesCatholiques, sinon mme, de tous les baptiss. Ensuite etsurtout, on prtendait en venir par l jusqu' de gravesinnovations disciplinaires, comme d'admettre au Baptmen'importe qui, ft-il pcheur public et dcid continuer devivre dans le pch *. C'tait donner une proposition, djtrs difficile accepter en qualit de simple opinion, l'allured'un dogme.

    Dtail qui vaut la peine d'tre not : la premire fois quel'attention de saint Augustin est attire sur la thse du salutde tous les Catholiques, c'est prcisment par les consquen-ces pratiques que l'on essaie d'en dduire. Cela ressort clai-rement du prambule du de Fide et operibus , o celles-ciouvrent la liste des erreurs que le livre est destin com-battre. C'est elles que le saint Docteur parat en vouloirspcialement. Il en indique plus loin le principe ; il va lerfuter longuement ; mais c'est toujours elles qu'il a l'air

    1. Enchiridion, 18 (P. L., xl, 263).2. De Civitate Dei, 1. XXI, xvni, J, 2.3. De Fide et operibus, 24 (P. L., xl, 213). Enchiridion, IS. De

    Civitate Dei, 1, XXI, xxi (P. L., xlt, 734).4. De Fide et operibus, 1, 2 (P. L., xl, 107, 198).

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    4o l'ternit des peines de l'enferde poursuivre travers lui. On a l un nouveau et srieuxmotif de ne pas imputer saint Jrme les ouvrages dnon-cs l'voque d'Hippone comme contenant la doctrinedu salut par la foi toute seule. Ils devaient aussi en formulerles conclusions qui alarmaient si fort saint Augustin. Or ilne s'en trouve pas de tels, parmi ceux du moine de Palestine.

    Le mouvement misricordieux ne se rattache donc d'unemanire certaine aucun nom connu. Il nous apparatentre l'orignisme et le plagianisme, sans que nous puis-sions savoir exactement ce qu'il doit l'un et l'autre. Sil'on ne craignait pas de se laisser entraner au-del deslimites de la vrit par le got des systmatisations simpleset qui font bien, trs volontiers on prendrait la forme largede l'erreur misricordieuse pour un succdan de l'orig-nisme, tandis qu'on verrait dans l'ensemble des formesrestreintes une raction contre le plagianisme, si rigoureux,on l'a remarqu, au point de vue des conditions du salut.Ce n'est pas cela, bien sr ; mais il ne faudrait peut-tre pasdire non plus qu'il n'y a rien de cela. De mme, on nesaurait nier absolument toute complicit des passions.Bref, il semble que nous soyons ici en prsence d'une alt-ration de la vrit religieuse,qui offre un caractre tout parti-culier : au commencement, simple conjecture sur le pro-blme ternellement proccupant du nombre des damns, trs tmraire, si l'on veut, mais, en raison mme de saqualit de conjecture, n'excitant aucune dfiance lathorie misricordieuse se serait peu peu convertie, sousles influences prcites, en doctrine ferme, qui ambitionnel'adhsion des fidles et le gouvernement de leur vie en serclamant des saintes Ecritures, et peut-tre aussi, de quel-ques Docteurs. Il est clair qu'en acqurant cette rigidit,elle perdait tous les droits qu'elle pouvait avoir la libert.

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    CHAPITRE mLes liici*oyaiit.9i.

    Pendant que s'organise, Pintrieur de PEglise, cetteforte pousse contre Pternit des peines de PEnfer, lesmilieux paens assaillent le mme dogme avec violence, etne lui pargnent pas les railleries. Saint Augustin nousdpeint les auteurs de ces attaques comme infatus d'eux-mmes et pleins de ddain pour les enseignements de la foi ^Ils invoquent les lois, tantt de l'ordre physique, tanttde l'ordre moral.

    Est-ce possible, demandent les ans -, que des corpsvivants subsistent dans des flammes ternelles ? Nonadmittit, inquiunt, ulla ratio, ut caro ardeat, nec absu-matur ; doleat, neque moriatur ^ . La toute-puissance divinene leur suffit pas ; ils rclament des exemples, quitte ennier la valeur *. Pour eux, tout ce qui n'a pas encore sonexplication, est faux ^. Les saintes Ecritures, remplies dedtails si extraordinaires, ne viennent pas de Dieu ^.

    D'autres crient l'injustice : voil quelqu'un qui a com-mis une faute pendant un temps ncessairement limit,et vous le condamnez une peine ternelle ' ! La dispropor-tion est choquante. Et puis, que faites-vous de la parolede votre Christ: La mesure dont vous vous serez servis

    1. De Civitate Del 1. XX, XXX, 6 (P. L., xLi, 708).2. De Civitate Dei, 1. XXI, ii (P. L., xli, 709).3. De Civitate Dei, 1. XXI, v, 2 (P. L., xlt, 715).4. De Civitate Dei, 1. XXI, n (P. L., xli, 709).5. De Civitate Dei, 1. XXI, v, 1 (P. L., xli, 714).6. De Civitate Dei, 1. XXI, v, 2 (P. L., xli, 715).7. De Cii-itate Dei, 1. XXI, xi (P L., xlt, 725).

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    42 l'ternit des peines de l'i^nteiivous sera applique vous-mmes ^ ? L'objection prendparfois la forme d'un blasphme : Minatur Christus sibinon credentibus seterna supplicia : et alibi ait : In qua men-sura mensi fueritis, remetietur vobis. Satis ridicule atquecontrarie. Nam, si ad mensuram redditurus est pnam, etomnis mensura circumscripta est fine temporis, quid sibivolunt min infmiti supplicii ^ ?

    Nous avons l deux appels l'ide de justice, d'une naturetrs dirente. Dans un cas, elle est envisage en elle-mme,d'une faon absolue. Dans l'autre, au contraire, on s'em-pare de la formule que Jsus-Christ en donne, et on tend crer l'impression, non pas prcisment que l'ternit despeines de l'Enfer contredit la justice, mais que le divinMatre, en enseignant l'ternit des peines de l'Enfer, secontredit lui-mme.A l'poque de saint Augustin, c'est le premier point devue qui parat le plus familier aux paens. Du moins, l'v-que d'Hippone ne s'inquite-t-il que de celui-l, lorsqu'auvingt et unime livre de la Cit de Dieu, il enregistre leursobjections contre l'ternit des peines de l'Enfer. Quantau raisonnement, si injurieux pour Notre-Seigneur, quenous venons de transcrire, voici quelques dtails sur sonhistoire. C'est un paen de Carthage qui, vers l'an 408, lepropose un prtre de la mme ville, Deogratias, en luidisant qu'il l'a trouv dans le philosophe Porphyre ^. Ason tour, Deogratias le communique saint Augustin, pourque celui-ci veuille bien y rpondre sa place. Il ne resteplus qu' identifier ce Porphyre qui l'a nonc le premier.On pense d'autant plus naturellement au clbre nopia-tonicien du mme nom, qu'on le sait auteur d'un gros traiten quinze livres contre les chrtiens. Toutefois saint Augus-tin penche vers un autre avis : non eum esse arbitror Por-phyrium Siculum illum, cujus celeberrima est fama *.Pourtant, il connat le disciple de Plotin comme un ennemi

    1. Matth., VII, 2.2. Epist. Cil, 22 (P. L. xxxiii, 879).3. Retract. II, 1 [P. L., xxxri. G43). Epist. Cil, S, 28 (P. L.,xxxm, 373, 382).4. Retract. II 1

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    DANS SAINT AUGUSTIN /|3de la doctrine du Sauveur ^ Il faut remarquer qu'il n'apporte pas de raisons de son sentiment. Il n'a d'ailleurspas l'air de possder fond les lments du problme.Aussi ne voyons-nous aucune ncessit de partager sondoute. Et ce n'est pas saint Jrme qui nous y pousserait.Les quelques objections qu'il nous a conserves de Poiphyresur d'autres points de la foi chrtienne, rappellent trop bienpar leur genre et par leur ton celle dont l'ami incroyant duprtre Dogratias voulait avoir la solution 2.En somme, il demeure extrmement probable que nousavons affaire un fragment de l'ouvrage, aujourd'hui perdu,

    o l'illustre Alexandrin combattait si prement nos dog-mes. De plus, cet pisode des relations d'un paen cultivavec un prtre catholique, plus de cent ans aprs la mortde Porphyre, accuse la persistance de l'influence exercepar celui-ci. Peut-tre mme la lecture de ses uvres n'est-elle pas pour rien dans le mouvement indign avec lequel,en dehors de l'Eglise, tant d'esprits contemporains de saintAugustin repoussent un dogme qui, leurs yeux, blesse lanotion de la justice. La transition est si facile du point devue de Porph^Te au leur.

    L'ide d'opposer l'ternit des peines de l'Enfer la condi-tion naturelle des corps vivants mane-t-elle de la mmesource ?On ne voit pas, en tout cas, de quelle autre. Saint Jrme,ayant l'occasion de nommer les crivains qui se sont distin-gus par leur acharnement contre la vrit chrtienne, seborne aux trois suivants : Celse, Porphyre et Julien ^.Ce sont videmment les plus importants. Y en a-t-il un qui l'objection tire des lois physiques puisse tre attribueavec quelque vraisemblance ?

    Il ne semble pas que ce soit Celse. L'ternit des peinesde l'Enfer, on en sera peut-tre surpris, trouve grce devant

    1. De Civitate Dei, 1. XIX, xxii, xxiii, 3 (P. L., xli. 650, 653).2. Episi. CXII. 11 ; CXXXIII, 9 (P. L., xxii, 923, 1157). Dialadv. Pel., III, 17 (P. L., xxiii, 553). Liber Hebr. Qust. in Gen., I, 10

    (P. L., xxTii, 939). Comm. in Episi. ad Gai. Prologiis. (P. L., xxvi,310).3. Epist. LXX, 3 {P. L., xxii, 606).

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    44 l'ternit des peines de l'enferl'auteur du Discours vritable : Merito isti (scilicet Chris-tiani) persuasum habent eos qui recte vixerunt felicitatedonandos : iniquos autem ternis suppliciis cruciatumiri. Ab hoc dogmate nec isti nec quivis alius discederedebeat ^ )> Il est vrai que le mme philosophe se moque tout son aise de la Rsurrection de la chair et de l'embrasementgnral prdit pour la fm du monde ^. Par consquent, le feuo brlent ternellement des corps ressuscites a trs bien pului dplaire aussi. Seulement, c'et t alors la nature, etnon l'ternit des peines de l'Enfer, qu'il s'en ft pris,tandis que les dfenseurs de l'objection rapporte par saintAugustin visent la seconde autant et plus que la premire.Et puis, avec cela, il faut tenir compte d'un renseigne-

    ment de saint Augustin sur eux, qui est d'ailleurs le seulque nous ayons. Il s'agit de leur Thologie. Le saintDocteur la rsume en trois articles : un Dieu, artisan dumonde ; des divinits, galement cres par lui, et dont ilse sert pour le gouvernement du monde ; enfin, dissminesdans le monde, des forces capables d'oprer des prodiges *.On reconnat l des thories communes aux sectes nopla-toniciennes. Or Gelse est venu plus tt. Nous voil doncrejets sur Porphyre, Julien, Hirocls, etc.. La pnurie detextes nous rduit de simples conjectures. La mieuxfonde nous ne prtendons nullement qu'elle le soit beau-coup serait peut-tre celle d'aprs laquelle le conflitentre l'ternit des peines de l'Enfer et les lois de la natureaurait t imagin par le mme esprit qui a essay de mon-trer dans le terrible dogme un rel outrage la justice,c'est--dire, par Porphyre.

    Ce philosophe est le seul qui ait srement attaqu unefois l'ternit des peines de l'Enfer. Cela constitue uneprsomption en sa faveur, si une telle expression n'est pasici hors de mise. Ensuite, il est antrieur aux autres, et sesouvrages ont largemeiit inspir les leurs. De plus, noussavons positivement par Arnobo. dont le trait Adversus

    1. Origne, Contra Celsum, VIII, 49 (F. G., xi, 1500).2. Orione, Contra Ccisum, V, 14, 15 (P. G., xu 1202)..3. De Civitate Dei, 1. XX I, vit, 1 (P. L.. xli, 718).

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    DANS SAINT AUGUSTIN /|5nationes n'a pas t crit trs longtem])s aprs celui dePorphyre contre les chrtiens, qu' la fin du troisimesicle, on tournait en drision, dans certains cercles paenso Platon tait en honneur, les flammes inextinguibles del'Enfer ^ Que Porphyre y ait sa part de responsabilit, celane peut pas, aprs les remarques prcdentes, paratreinvraisemblable.En somme, au commencement du V^ sicle, il circule, dansles milieux paens, contre l'ternit des peines de l'Enfer,deux principaux arguments appuys, l'un, sur une loi phy-sique, l'autre, sur une notion morale. Et cette essentiellediffrence s'en fier aux indices aperus tout l'heure coexisterait avec une communaut d'origine. L'un etl'autre auraient t labors au sein du noplatonisme.Puis, des matres de cette cole les auraient lancs dans lepublic. C'est Porphyre qui, ce point de vue, est le plus for-tement souponn.En tout cas, un autre trait les rapproche l'un de l'autre,incontestable, celui-l. C'est que, quand l'vque d'Hipponeen constate l'action sur la socit paenne de son temps,ils sont dj vieux, puisqu'ils remontent plus d'un sicle.On peut ajouter aussi que, depuis, ils n'ont jamais cess deremporter un grand succs prs d'une foule d'intelligences,mme chrtiennes. Et, selon toute probabilit, ils ne cesse-ront pas de si tt. En un mot, ils appartiennent aux l-ments permanents de la protestation que la raison humainefait entendre, travers le cours des sicles, contre un dogmequi lui inspire tant d'efTroi. Rien qu' ce titre, ils offrentbeaucoup d'intrt. Il est heureux qu'un matre commesaint Augustin ait eu l'occasion de les discuter.On aura remarqu que, s'ils ont frapp son attention, cen'est pas tant par la place qu'ils pouvaient tenir dans tel

    ouvrage, contemporain ou ancien, que par leur diffusiondans le monde qui rsistait encore l'Evangile. A vrai dire,le second celui qui mettait en cause la justice divine semble n'avoir t trs got que dans certaines clans intel-lectuels : quidam eorum. contra quos defendimus civita-

    I. Adversns Nationes, II, 14 {P. L., v, 831).

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    l\6 l'teiimt des peines de l'enfertem Dei... , ainsi saint Augustin en dsigne-t-il les parti-sans ^ Mais le premier jouissait d'une vogue extraordiniare.Il reprsente bien la manire dont, l'poque du saintDocteur, la libre-pense accueille l'ternit des peines del'Enfer. Il est une des armes les plus la mode, parmi lesincrdules, contre la Cit de Dieu.

    Signalons enfin un troisime raisonnement, non moinshostile que les deux prcdents l'ternit des peines del'Enfer, mais qui se prsente au lecteur de saint Augustindans des conditions toutes diffrentes. Il n'est pas donnde faon explicite. C'est se demander si le saint Docteurl'a vritablement en vue. Au moins y fait-il srementpenser. Et voici de quelle manire. Il y a une thorie quiveut que toute peine soit destine l'amlioration du cou-pable. On voit tout de suite combien elle s'accorde peu avecl'ide de chtiments ternels dans une vie future. Or ilarrive saint Augustin de la mentionner propos, pr-cisment, de l'ternit des peines de l'Enfer Il vientd'insister longuement sur les deux objections de tout l'heure. Alors, il continue : Platonici quidem, quamvisimpunita nulla velint esse peccata, tamen omnes pnasemendationi adhiberi putant, vel humanis inflictas legibus,vel divinis, sive in hac vita, sive post mortem, si aut parca-tur hic cuique, aut ita plectatur, ut hic non corrigatur -. Ces lignes contiennent le point de dpart d'une nouvelleobjection, dont le saint Docteur a l'air de vouloir nousentretenir. Lorsqu'un peu plus bas, il crit : Qui hoc opi-nantur, nullas pnas nisi purgatorias volunt esse postmortem... , on est port croire qu'il en commence l'exposMais non. Il tourne court, se lanant dans des considra-tions o l'histoire du dogme du Purgatoire a un tmoignageprcieux recueillir, mais qui restent trangres au sujetde notre tiide.

    1. De Civitate Dei, 1. XXI, xi (P. L., xm, 725).. 2. De Civitate Dei, 1. XXI, xm (P. L., xli, 727).

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