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I La Croix I JEUDI 17 AVRIL 2008 I 9 I MONDE I Le Paraguay pourrait échapper à la férule du parti Colorado Au pouvoir depuis soixante et un ans, le parti Colorado pourrait perdre l’élection présidentielle de dimanche ASUNCION De notre envoyé spécial « Q uinze dollars, c’est ce que des membres du parti Colorado sont venus me proposer afin que je vote pour leur candidat ou que je m’abstienne de voter. Tous mes voisins ont été ap- prochés. Certains ont accepté parce que cette somme, c’est un mois de salaire. » Ramon Varon vit d’un maigre lopin de terre à 250 kilomètres au nord d’Asuncion. Dans cette région pauvre du département de San Pedro, les paysans sont des proies faciles pour le parti Colorado. Au pouvoir depuis 1947, cette formation tente le tout pour le tout pour ne pas perdre l’élec- tion présidentielle de dimanche. Ce scrutin pourrait en effet donner la victoire à l’opposition de gau- che en la personne de Fernando Lugo, un ancien évêque entré en politique. Jamais, depuis le retour de la démocratie au Paraguay en 1989, le vent du changement n’a soufflé aussi fort. Mais, après soixante et un ans à la tête du pays, les « Co- lorados » ne veulent pas lâcher prise. L’actuel chef d’État, Nicanor Duarte, élu en 2003 et contraint par la Constitution de laisser sa place après un mandat, incarne une classe politique incapable de régler les graves problèmes du pays : 20 % des six millions de Paraguayens vivent sous le seuil de pauvreté, le blanchiment d’ar- gent sale est un sport national, le trafic international de drogues est endémique et la corruption galopante. Hier soutien du dictateur Alfredo Stroessner, lequel aura, de 1954 à 1989, maintenu le pays sous une chape de plomb, le parti se con- fond aujourd’hui avec l’État dont il se sert pour garantir sa survie. « Ce n’est pas un parti démocratique, ex- plique Luis Fretes, professeur de sciences politiques à l’Université catholique d’Asuncion. Il s’agit plutôt d’une organisation politique qui fonctionne comme un filet au- dessus des individus et qui utilise la fraude et le bourrage des urnes comme arme électorale. L’État est à son service pour consolider son emprise sur la société. » À l’achat de votes, il faut ajouter l’intimidation des candidats de l’opposition, le détournement massif de médicaments des dis- pensaires publics pour récolter de l’argent frais, ou l’obligation faite aux 200 000 fonctionnaires (dont 70 % sont encartés au parti) de voter pour Blanca Ovelar, la candidate Colorado. Des agents de l’État qui ont reçu un message clair : en cas de défaite, tous seront licenciés. « Corruption, paternalisme et fanatisme » « En 1989 est tombée la dicta- ture, mais pas le stroessnérisme, argumente Margarita Duran, professeur d’histoire à l’Université catholique. L’idéologie, les métho- des d’enrichissement, les prébendes, la corruption, le paternalisme, le fanatisme, tout ce qui existait alors perdure sous le parti Colorado. La Cour de justice, le Tribunal supé- rieur de justice électoral sont dirigés et manœuvrés par le pouvoir. » À l’approche du scrutin, le pou- voir devient nerveux. Le président Nicanor Duarte a récemment ex- horté les Paraguayens à cesser de lire les journaux, à ne plus écou- ter la radio ni la télévision pour se prémunir de médias « vénaux, médiocres et menteurs ». STEVE CARPENTIER Le président du Paraguay, Nicanor Duarte Frutos (à d.), et Blanca Ovelar, candidate à la présidentielle de di- manche prochain, à Asuncion. Après soixante et un ans au pouvoir, les « Colorado » ne veulent pas le quitter. JORGE ADORNO/REUTERS L’Irlande se prépare à un référendum difficile À deux mois du référendum de ratification du traité de Lisbonne, le gouvernement de Dublin tente d’écarter les chausse-trappes DUBLIN De notre envoyé spécial D ick Roche ne décolère pas. Le ministre irlandais des af- faires européennes s’agace des interventions récentes de deux ministres français dans son pays, qui se prépare à voter sur le traité de Lisbonne, ce projet de réforme des institutions européennes qui a remplacé le traité constitution- nel rejeté en 2005 par la France et les Pays-Bas. Deux déclarations dans la presse locale en faveur de l’Europe de la défense et d’une har- monisation fiscale européenne ont touché deux « lignes rouges » pour Dublin. « Franchement, ils pour- raient faire attention au timing de leurs interventions. Laissez-nous nous occuper de nos propres affai- res », peste le ministre. Le 12 juin, l’Irlande aura l’avenir du traité de Lisbonne entre ses mains, étant le seul des 27 pays membres à le ratifier par référen- dum. Les grands partis soutiennent le « oui », à l’exception du Sinn Féin. Actuellement, les sondages sont positifs, indiquant environ 45 % de soutien au « oui » et 25 % au « non ». Mais il reste beaucoup d’indécis. Or, les Irlandais avaient surpris tout le monde en 2001 en votant « non » au traité de Nice. Il avait fallu un second référendum pour arracher un vote positif. « En cas de victoire du “non”, l’Europe serait en crise, il n’y a pas de plan de rechange », avertit Dick Roche. La démission récente du premier ministre, Bertie Ahern, embourbé dans une histoire de corruption, a permis de retirer l’ar- gument d’un vote sanction contre le gouvernement. Mais, alors que toutes les précautions sont pri- ses, les interventions françaises agacent. Fin mars, c’est Hervé Morin, ministre de la défense, qui a publié dans l’ Irish Times un vibrant plaidoyer pour l’Europe de la défense. Or, l’Irlande se voit comme un pays « neutre ». « Nous avons été colonisés par le passé », rappelle Dick Roche. La semaine dernière, c’est Christine Lagarde, ministre de l’économie, qui a estimé que l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés était un des projets les « plus urgents » . Or, l’Irlande a cons- truit sa croissance économique sur un taux très faible. Il n’y a pas que la France. Les 26 autres pays européens regar- dent avec anxiété le référendum irlandais, craignant un renouvel- lement de la crise qu’avait provo- qué le rejet de la Constitution par la France et les Pays-Bas. Angela Merkel s’est rendue lundi à Dublin. José Manuel Barroso, président de la Commission, doit aussi faire le voyage prochainement. « La pres- sion extérieure risque d’être con- tre-productive, prévient Maurice Hayes, président de Forum on Europe, organisme d’État chargé d’expliquer l’Union aux Irlandais. Les votants ont tendance à réagir en disant : je refuse d’être menacé par les autres. » Enfin, la grande inconnue est le taux de participation. En 2001, seuls 34 % des votants s’étaient déplacés, favorisant la victoire du « non ». Créé après cet échec, Forum on Europe a mis en place un plan de communication jusqu’au 12 juin. « L’objectif est d’avoir 50 % de participation », précise Maurice Hayes. Sinon, une catastrophe ne peut être écartée. ÉRIC ALBERT (Publicité)

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I MONDE I Le Paraguay pourrait échapper à la férule du parti Colorado À deux mois du référendum de ratification du traité de Lisbonne, le gouvernement de Dublin tente d’écarter les chausse-trappes Au pouvoir depuis soixante et un ans, le parti Colorado pourrait perdre l’élection présidentielle de dimanche

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I La Croix I JEUDI 17 AVRIL 2008 I 9I MONDE ILe Paraguay pourrait échapper à la férule du parti ColoradoAu pouvoir depuis soixante et un ans,le parti Coloradopourrait perdrel’élection présidentiellede dimanche

ASUNCIONDe notre envoyé spécial

«Quinze dollars, c’est ce que des membres du parti Colorado sont venus me

proposer afin que je vote pour leur candidat ou que je m’abstienne de voter. Tous mes voisins ont été ap-prochés. Certains ont accepté parce que cette somme, c’est un mois de salaire. »

Ramon Varon vit d’un maigre lopin de terre à 250 kilomètres au nord d’Asuncion. Dans cette région pauvre du département de San Pedro, les paysans sont des proies faciles pour le parti Colorado. Au pouvoir depuis 1947, cette formation tente le tout pour le tout pour ne pas perdre l’élec-tion présidentielle de dimanche. Ce scrutin pourrait en effet donner la victoire à l’opposition de gau-che en la personne de Fernando Lugo, un ancien évêque entré en politique.

Jamais, depuis le retour de la démocratie au Paraguay en 1989, le vent du changement n’a soufflé aussi fort. Mais, après soixante et un ans à la tête du pays, les « Co-lorados » ne veulent pas lâcher prise. L’actuel chef d’État, Nicanor

Duarte, élu en 2003 et contraint par la Constitution de laisser sa place après un mandat, incarne une classe politique incapable de régler les graves problèmes du pays : 20 % des six millions de Paraguayens vivent sous le seuil de pauvreté, le blanchiment d’ar-

gent sale est un sport national, le trafic international de drogues est endémique et la corruption galopante.

Hier soutien du dictateur Alfredo Stroessner, lequel aura, de 1954 à 1989, maintenu le pays sous une chape de plomb, le parti se con-

fond aujourd’hui avec l’État dont il se sert pour garantir sa survie. « Ce n’est pas un parti démocratique, ex-plique Luis Fretes, professeur de sciences politiques à l’Université catholique d’Asuncion. Il s’agit plutôt d’une organisation politique qui fonctionne comme un filet au-

dessus des individus et qui utilise la fraude et le bourrage des urnes comme arme électorale. L’État est à son service pour consolider son emprise sur la société. »

À l’achat de votes, il faut ajouter l’intimidation des candidats de l’opposition, le détournement massif de médicaments des dis-pensaires publics pour récolter de l’argent frais, ou l’obligation faite aux 200 000 fonctionnaires (dont 70 % sont encartés au parti) de voter pour Blanca Ovelar, la candidate Colorado. Des agents de l’État qui ont reçu un message clair : en cas de défaite, tous seront licenciés.

« Corruption, paternalisme et fanatisme »« En 1989 est tombée la dicta-

ture, mais pas le stroessnérisme, argumente Margarita Duran, professeur d’histoire à l’Université catholique. L’idéologie, les métho-des d’enrichissement, les prébendes, la corruption, le paternalisme, le fanatisme, tout ce qui existait alors perdure sous le parti Colorado. La Cour de justice, le Tribunal supé-rieur de justice électoral sont dirigés et manœuvrés par le pouvoir. »

À l’approche du scrutin, le pou-voir devient nerveux. Le président Nicanor Duarte a récemment ex-horté les Paraguayens à cesser de lire les journaux, à ne plus écou-ter la radio ni la télévision pour se prémunir de médias « vénaux, médiocres et menteurs ».

STEVE CARPENTIER

Le président du Paraguay, Nicanor Duarte Frutos (à d.), et Blanca Ovelar, candidate à la présidentielle de di-manche prochain, à Asuncion. Après soixante et un ans au pouvoir, les « Colorado » ne veulent pas le quitter.

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L’Irlande se prépare à un référendum difficileÀ deux moisdu référendumde ratificationdu traité de Lisbonne,le gouvernementde Dublin tente d’écarter les chausse-trappes

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Dick Roche ne décolère pas. Le ministre irlandais des af-faires européennes s’agace

des interventions récentes de deux ministres français dans son pays, qui se prépare à voter sur le traité de Lisbonne, ce projet de réforme des institutions européennes qui a remplacé le traité constitution-

nel rejeté en 2005 par la France et les Pays-Bas. Deux déclarations dans la presse locale en faveur de l’Europe de la défense et d’une har-monisation fiscale européenne ont touché deux « lignes rouges » pour Dublin. « Franchement, ils pour-raient faire attention au timing de leurs interventions. Laissez-nous nous occuper de nos propres affai-res », peste le ministre.

Le 12 juin, l’Irlande aura l’avenir du traité de Lisbonne entre ses mains, étant le seul des 27 pays membres à le ratifier par référen-dum. Les grands partis soutiennent le « oui », à l’exception du Sinn Féin. Actuellement, les sondages sont positifs, indiquant environ 45 % de soutien au « oui » et 25 % au « non ». Mais il reste beaucoup

d’indécis. Or, les Irlandais avaient surpris tout le monde en 2001 en votant « non » au traité de Nice. Il avait fallu un second référendum pour arracher un vote positif.

« En cas de victoire du “non”, l’Europe serait en crise, il n’y a pas de plan de rechange », avertit Dick Roche. La démission récente du premier ministre, Bertie Ahern, embourbé dans une histoire de corruption, a permis de retirer l’ar-gument d’un vote sanction contre le gouvernement. Mais, alors que toutes les précautions sont pri-ses, les interventions françaises agacent. Fin mars, c’est Hervé Morin, ministre de la défense, qui a publié dans l’Irish Times un vibrant plaidoyer pour l’Europe de la défense. Or, l’Irlande se voit

comme un pays « neutre ». « Nous avons été colonisés par le passé », rappelle Dick Roche.

La semaine dernière, c’est Christine Lagarde, ministre de l’économie, qui a estimé que l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés était un des projets les « plus urgents ». Or, l’Irlande a cons-truit sa croissance économique sur un taux très faible.

Il n’y a pas que la France. Les 26 autres pays européens regar-dent avec anxiété le référendum irlandais, craignant un renouvel-lement de la crise qu’avait provo-qué le rejet de la Constitution par la France et les Pays-Bas. Angela Merkel s’est rendue lundi à Dublin. José Manuel Barroso, président de la Commission, doit aussi faire le

voyage prochainement. « La pres-sion extérieure risque d’être con-tre-productive, prévient Maurice Hayes, président de Forum on Europe, organisme d’État chargé d’expliquer l’Union aux Irlandais. Les votants ont tendance à réagir en disant : je refuse d’être menacé par les autres. »

Enfin, la grande inconnue est le taux de participation. En 2001, seuls 34 % des votants s’étaient déplacés, favorisant la victoire du « non ». Créé après cet échec, Forum on Europe a mis en place un plan de communication jusqu’au 12 juin. « L’objectif est d’avoir 50 % de participation », précise Maurice Hayes. Sinon, une catastrophe ne peut être écartée.

ÉRIC ALBERT

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