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Nº 293 Vendredi 28 octobre 2011 9 Un service professionnel à petit prix C’est dans le courant de cette année que quatre jeunes juristes, tous titulaires du Bachelor en droit de l’Université de Lausanne, et qui continuent tous leurs études en vue de passer le Master, puis d’embrasser la profession d’avocat, ont décidé de réunir leurs forces pour créer un site internet d’un genre parti- culier et nouveau. Et c’est notamment à Vallorbe que cette idée est née, puisque l’un des concepteurs n’est autre que Michaël Geiger, un enfant de la Cité du fer qui y vit depuis son plus jeune âge. L’Omnibus l’a rencontré pour qu’il précise un peu l’origine de l’idée et son fonctionnement. Un service en plus à un prix très bas «Il nous a semblé évident que désor- mais rien ne serait plus possible sans Internet. Les gens souhaitent aller très vite, avoir immédiatement une réponse à une question, en bref ils veulent pro- fiter de cette formidable connectivité. Pourquoi pas donc dans le domaine juridique, avec ce que cela comporte de difficultés. Nous avons décidé de permettre à chacun, sans problème de distance ou de déplacement, de poser une question détaillée en ligne de façon simple : il suffit de remplir le formulaire qui se trouve en page de garde du site et d’envoyer les rensei- gnements. Si la question est complète et bien rédigée, nous pouvons en gé- néral y répondre sans autre précision. Si en revanche des questions doivent encore être éclaircies, soit nous télé- phonons au client, soit nous lui posons les compléments de question par le net. Pour nous l’avantage principal du site internet est que cette façon de procéder ne nécessite aucun investissement en locaux et maintient des frais généraux très bas.» La question au prix unique de 30 francs Ce prix doit permettre un accès démo- cratique au service. Le modèle gratuit n’a pas semblé opportun au quatuor d’animateurs que sont Tiffany Smith, Giuliano Scuderi, Jean-Lou Maury, et Michaël Geiger, qui travaillent en groupe et ne dispensent pas de réponse sans qu’au moins deux de ses membres aient planché sur une question. «Nous connaissons nos limites et surtout nous ne voulons pas les dépasser», ajoute Michaël Geiger. «Et nous ne voulons répondre qu’aux seules questions qui restent dans nos cordes. C’est pour cela que nous avons passé un accord avec une importante étude d’avocats, à qui nous transmettons les questions plus complexes nécessitant soit une réponse plus fouillée soit une intervention que nous ne pouvons effectuer nous-mêmes». Le service qui a débuté en août semble prendre son envol de façon tout à fait satisfaisante. Les demandes augmentent régulièrement et donnent déjà pas mal de travail aux quatre juristes. Qui ont ainsi mis en place une excellente façon de se faire la main sur des problèmes en phase avec la vie quotidienne et qu’ils retrou- veront tôt ou tard lorsqu’ils seront avocats. Tout en satisfaisant une demande croissante de façon simple et rapide. L’équipe ne se restreint en principe à aucun domaine du droit et ne demande qu’à être testée. Une façon aussi, pour des habitants d’une région décentrée comme le Nord vaudois d’avoir accès au savoir juridique de façon simple. Adresse du site. www.qjuris.ch VALLORBE – SITE JURIDIQUE Le site QuidJuris est né Texte et photo : Olivier Gfeller Une image du site internet lui-même. O n appelle langues romanes les idiomes issus d’une lente évolu- tion du latin au cours des dix pre- miers siècles de notre ère. Cet ensemble regroupe le roumain, l’italien, le proven- çal, le catalan, l’espagnol, le portugais et le français. Tous ces parlers ont évolué dans un sens et un degré variables. Ainsi le sarde est resté le plus proche du latin originel à cause de la qualité insulaire de la Sardaigne qui s’est maintenue à l’écart des bouleversements politiques de la fin de l’empire romain. Le groupe d’idiomes qui a le plus évolué est l’ensemble des langues dites d’oïl parlées au nord de la Loire, dont faisait partie le francien qui deviendra le français. Si le francien s’est imposé, ce n’est pas qu’il était meilleur que les autres langues régionales, mais bien suite à une décision du roi, en l’oc- currence François 1er qui a édicté que les documents officiels devaient être rédigés dans le parler de l’Ile de France, domaine royal. L’ensemble de la francophonie euro- péenne se subdivise en trois grands groupes: les langues d’oïl au nord, les par- lers d’oc au sud et un ensemble d’idiomes situés à l’Est de la zone et que le linguiste italien Ascoli baptisera francoprovençal. Ce dernier groupe de langues recouvre la vallée d’Aoste, le Piémont, la Savoie, une partie du Dauphiné, le Lyonnais, le Morvan, la Bresse et l’Ain, ainsi que toute la Suisse romande à l’exception du Jura (canton du Jura et Jura bernois). Ainsi notre langage vaudois est un des fleurons du francoprovençal. Cet amal- game de linguiste ne signifie nullement que nous sommes en présence d’un conglomérat hybride ou inachevé, mais simplement que nos parlers se situent à mi-chemin de l’évolution du langage. Prenons un exemple, le mot latin «capra» la chèvre. Le provençal dit «cabra», très légère évolution du «p» qui s’adoucit en «b». Le français voit une série de change- ment: le son «k» du début se transforme en «tch», le «a» évolue vers «e» et le «p» devient «v» après avoir transité par «b». Notre francoprovençal dit «tsîvre» montrant que l’évolution du «k» initial s’arrête à «ts». Prenons maintenant quelques termes vaudois pour étudier leur origine et mon- trer que notre langue plonge ses racines dans l’antiquité greco-latine. Un mot de saison pour débuter : trabet- zet, parfois prononcé trabichet. Le tra- betzet est une table basse à claire-voie sur laquelle on étend le corps du cochon fraîchement tué puis échaudé, pour racler les soies avant dépeçage. Son étymologie remonte au grec ancien «trapeza» qui signifie «table» et subsiste en français dans le vocable géométrique «trapèze». Le terme «bélosse» qualifie une prunelle sauvage qui se récolte après la première gelée pour qu’elle perde son acidité astringente. Ce mot était usité dans le français médiéval et vient d’un terme préceltique repris par les parlers du Nord et de l’Est : «bulluca». Littré donne «beloce» en Normandie, prunelle ou fruit du prunellier. Quant à prunelle, il apparaît au XIIe siècle. Le terme «voir» est usité dans plusieurs expressions et provoque la perplexité du locuteur francophone. «Regarde voir» semble pléonas- tique, quant à «écoute voir» il met en scène deux sens fort différents. En vérité, ce «voir» n’a rien à voir (c’est le cas de le dire) avec la vision. Il est issu du latin «vero», adverbe signifiant «vraiment». Ces locu- tions expriment une invite à regarder ou écouter «attentivement». Citons encore «viens voir» et «attends voir». J’ai récemment trouvé « dézaquer » avec ses corollaires «azaquer» et «rezaquer» qui signifient dévêtir, habiller, vêtir à nouveau. Dézaquer, c’est enlever sa casaque, d’un terme patois «zacca» qui signifie habit d’homme. Il perdure en français dans le terme «jaquette» qui fournit l’origine. Autrefois le paysan était appelé «jacques» d’où la révolte paysanne, comme celle des bourla-papeys, qualifiée de jacquerie. La zacca patoise ou la jaquette sont donc des qualificatifs d’un vêtement paysan. Pour conclure, un toponyme cher aux Urbigènes : «chassagne». Alors que le latin dit «quercus» pour le chêne, ce qui a notamment donné le nom du Quercy en France, la langue vulgaire a adopté un terme gaulois latinisé «cassanus» pour qualifier le chêne, d’où notre forêt de Chassagne. La prochaine fois nous évoquerons notamment l’expression : «caise- té, batoille» qui sera le mot de la fin pour aujourd’hui. MOTS ET EXPRESSIONS VAUDOIS Derrière les mots… la langue Texte: Bernard Gloor

Nº 293 Vendredi 28 octobre 2011 9 J Le site QuidJuris … · des problèmes en phase avec la vie ... Le terme «bélosse» qualifie une prunelle sauvage qui se récolte après la

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Nº 293 Vendredi 28 octobre 2011 9

Un service professionnel à petit prix

C’est dans le courant de cette année que quatre jeunes juristes, tous titulaires du Bachelor en droit de l’Université de Lausanne, et qui continuent tous leurs études en vue de passer le Master, puis d’embrasser la profession d’avocat, ont décidé de réunir leurs forces pour créer un site internet d’un genre parti-culier et nouveau. Et c’est notamment à Vallorbe que cette idée est née, puisque l’un des concepteurs n’est autre que Michaël Geiger, un enfant de la Cité du fer qui y vit depuis son plus jeune âge. L’Omnibus l’a rencontré pour qu’il précise un peu l’origine de l’idée et son fonctionnement.

Un service en plus à un prix très bas

«Il nous a semblé évident que désor-mais rien ne serait plus possible sans Internet. Les gens souhaitent aller très vite, avoir immédiatement une réponse à une question, en bref ils veulent pro-fiter de cette formidable connectivité. Pourquoi pas donc dans le domaine juridique, avec ce que cela comporte de difficultés. Nous avons décidé de permettre à chacun, sans problème de distance ou de déplacement, de poser une question détaillée en ligne de façon simple : il suffit de remplir

le formulaire qui se trouve en page de garde du site et d’envoyer les rensei-gnements. Si la question est complète et bien rédigée, nous pouvons en gé-néral y répondre sans autre précision. Si en revanche des questions doivent encore être éclaircies, soit nous télé-phonons au client, soit nous lui posons les compléments de question par le net. Pour nous l’avantage principal du site internet est que cette façon de procéder ne nécessite aucun investissement en locaux et maintient des frais généraux très bas.»

La question au prix unique de 30 francs

Ce prix doit permettre un accès démo-cratique au service. Le modèle gratuit n’a pas semblé opportun au quatuor d’animateurs que sont Tiffany Smith, Giuliano Scuderi, Jean-Lou Maury, et Michaël Geiger, qui travaillent en groupe et ne dispensent pas de réponse sans qu’au moins deux de ses membres aient planché sur une question. «Nous connaissons nos limites et surtout nous ne voulons pas les dépasser», ajoute Michaël Geiger. «Et nous ne voulons répondre qu’aux seules questions qui restent dans nos cordes. C’est pour cela que nous avons passé un accord avec une importante étude d’avocats, à qui nous transmettons les questions plus complexes nécessitant soit une réponse

plus fouillée soit une intervention que nous ne pouvons effectuer nous-mêmes».Le service qui a débuté en août semble prendre son envol de façon tout à fait satisfaisante. Les demandes augmentent régulièrement et donnent déjà pas mal de travail aux quatre juristes. Qui ont ainsi mis en place une excellente façon de se faire la main sur des problèmes en phase avec la vie quotidienne et qu’ils retrou-veront tôt ou tard lorsqu’ils seront avocats. Tout en satisfaisant une demande croissante de façon simple et rapide. L’équipe ne se restreint en principe à aucun domaine du droit et ne demande qu’à être testée. Une façon aussi, pour des habitants d’une région décentrée comme le Nord vaudois d’avoir accès au savoir juridique de façon simple.Adresse du site. www.qjuris.ch

Vallorbe – Site Juridique

Le site QuidJuris est néTexte et photo : Olivier Gfeller

Une image du site internet lui-même.

On appelle langues romanes les idiomes issus d’une lente évolu-tion du latin au cours des dix pre-

miers siècles de notre ère. Cet ensemble regroupe le roumain, l’italien, le proven-çal, le catalan, l’espagnol, le portugais et le français. Tous ces parlers ont évolué dans un sens et un degré variables. Ainsi le sarde est resté le plus proche du latin originel à cause de la qualité insulaire de la Sardaigne qui s’est maintenue à l’écart des bouleversements politiques de la fin de l’empire romain. Le groupe d’idiomes qui a le plus évolué est l’ensemble des langues dites d’oïl parlées au nord de la Loire, dont faisait partie le francien qui deviendra le français. Si le francien s’est imposé, ce n’est pas qu’il était meilleur que les autres langues régionales, mais bien suite à une décision du roi, en l’oc-currence François 1er qui a édicté que les documents officiels devaient être rédigés dans le parler de l’Ile de France, domaine royal.L’ensemble de la francophonie euro-péenne se subdivise en trois grands groupes: les langues d’oïl au nord, les par-lers d’oc au sud et un ensemble d’idiomes situés à l’Est de la zone et que le linguiste italien Ascoli baptisera francoprovençal. Ce dernier groupe de langues recouvre

la vallée d’Aoste, le Piémont, la Savoie, une partie du Dauphiné, le Lyonnais, le Morvan, la Bresse et l’Ain, ainsi que toute la Suisse romande à l’exception du Jura (canton du Jura et Jura bernois).Ainsi notre langage vaudois est un des fleurons du francoprovençal. Cet amal-game de linguiste ne signifie nullement que nous sommes en présence d’un conglomérat hybride ou inachevé, mais simplement que nos parlers se situent à mi-chemin de l’évolution du langage. Prenons un exemple, le mot latin «capra» la chèvre. Le provençal dit «cabra», très légère évolution du «p» qui s’adoucit en «b».Le français voit une série de change-ment: le son «k» du début se transforme en «tch», le «a» évolue vers «e» et le «p» devient «v» après avoir transité par «b». Notre francoprovençal dit «tsîvre» montrant que l’évolution du «k» initial s’arrête à «ts».Prenons maintenant quelques termes vaudois pour étudier leur origine et mon-trer que notre langue plonge ses racines dans l’antiquité greco-latine.Un mot de saison pour débuter : trabet-zet, parfois prononcé trabichet. Le tra-betzet est une table basse à claire-voie sur laquelle on étend le corps du cochon

fraîchement tué puis échaudé, pour racler les soies avant dépeçage. Son étymologie remonte au grec ancien «trapeza» qui signifie «table» et subsiste en français dans le vocable géométrique «trapèze».Le terme «bélosse» qualifie une prunelle sauvage qui se récolte après la première gelée pour qu’elle perde son acidité astringente. Ce mot était usité dans le français médiéval et vient d’un terme préceltique repris par les parlers du Nord et de l’Est : «bulluca». Littré donne «beloce» en Normandie, prunelle ou fruit du prunellier. Quant à prunelle, il apparaît au XIIe siècle.Le terme «voir» est usité dans plusieurs expressions et provoque la perplexité du locuteur francophone. «Regarde voir» semble pléonas-tique, quant à «écoute voir» il met en scène deux sens fort différents. En vérité, ce «voir» n’a rien à voir (c’est le cas de le dire) avec la vision. Il est issu du latin «vero», adverbe signifiant «vraiment». Ces locu-tions expriment une invite à regarder ou écouter «attentivement». Citons encore «viens voir» et «attends voir».J’ai récemment trouvé « dézaquer » avec ses corollaires «azaquer» et «rezaquer» qui signifient dévêtir, habiller, vêtir à nouveau. Dézaquer, c’est enlever sa casaque, d’un terme patois «zacca» qui signifie habit d’homme. Il perdure en français dans le terme «jaquette» qui fournit l’origine. Autrefois le paysan était appelé «jacques» d’où la révolte paysanne, comme celle des bourla-papeys, qualifiée de jacquerie. La zacca patoise ou la jaquette sont donc des qualificatifs d’un vêtement paysan.Pour conclure, un toponyme cher aux Urbigènes : «chassagne». Alors que le latin dit «quercus» pour le chêne, ce qui a notamment donné le nom du Quercy en France, la langue vulgaire a adopté un terme gaulois latinisé «cassanus» pour qualifier le chêne, d’où notre forêt de Chassagne.La prochaine fois nous évoquerons notamment l’expression : «caise-té, batoille» qui sera le mot de la fin pour aujourd’hui.

MotS et expreSSionS VaudoiS

Derrière les mots… la langueTexte: Bernard Gloor