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Nota Bene - [Education et Devenir] · Il est nourri par l’émotion encore vive provoquée par les élections municipales ... cience d'un vieux pays toujours ... l'école était

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Ce n° 48 de 1999 a été très rapidement épuisé. La mise en œuvre avait été pilotée par le groupe de liaison, de réflexion et de propositions d’Aix-Marseille. Il est nourri par l’émotion encore vive provoquée par les élections municipales de 1997 qui avait vu Orange, Marignane, Toulon, Vitrolles tomber aux mains de l’ex-trême droite xénophobe. Le lycée Jean Monnet de Vitrolles, ville dirigée par le sinistre couple Mégret, en a donc pris une large part. Dépasser l’émotion n’est pas facile : Toni Prima, vice-président d’une fédération des « Amis de l’instruction Laïque 13 », se livre à l’exercice délicat d’une mise en perspective ; mais même si on ne partageait pas toutes ses analyses, elles ont le mérite de pointer les dangers du communautarisme (ce que fait aussi Georges Roche) et des dérives irrationnelles du New age. Dans le meilleur de la tradition de nos cahiers, les deux témoignages de Martine Tauszig et d’Yves Rollin. Et surtout, ce texte admirable, qui, aujourd’hui, alors que vient de se célébrer le soixantième anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz et Birkenau, of-

Nota Bene : La mise en page a été revue, quelques notes ont été rajoutées. Mais les textes sont ceux parus en 1999 (sauf erreur dans la reconnaissance du texte lors du « scan », non corrigée)

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Racisme

Et

xénophobie

ÉDUCATION & DEVENIR Groupe de liaison, de réflexion et de propositions

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SOMMAIRE

INTRODUCTION

La mission d’une école laïque _ Georges Roche 6

Les couleurs unies de la République _ G. O. F. 11

La science outil de compréhension du monde _

Albert Jacquard 12

RACISME ET HISTOIRE

Racisme et enseignement, quelle mission pour l’enseignant _ J. Poussel 1

RACISME ET RELIGION

« L’étranger qui est dans tes murs » _ M. Rondet 20

RACISME ET ÉDUCATION

Éduquer contre le racisme _ J. Costa-Lacoux 23

Éduquer contre le racisme Éduquer pour l’égalité _ Gérard Perrier 25 SEMAINE D’ÉDUCATION CONTRE LE RACISME

Mot d’introduction _ M. Raux-Remillieux 27

La Shoah, une catastrophe pour les hommes du XXe siècle 29

50 ans après une réponse 31

Le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage 32

Les lycéens se penchent sur la mémoire des déportés 34

De jeunes collégiens et lycéens à la découverte des peuples du monde 35

RACISME ET SOCIÉTÉ

Racisme et xénophobie : une société malade Toni Prima 39

Flashs de vie ensemble dans un collège de banlieue « à fleur de peau » _ M. Tauszig 49

Chronique de la terre d’accueil _ Y. Rollin 53

L’étranger et le droit 56

Je me souviens 58

6

INTRODUCTION

LA MISSION D’UNE ECOLE LAÏQUE

Il est sans aucun doute indis-pensable en cette fin de siècle de définir et de souligner la mis-sion d'une école laïque. Il faut sortir du discours incantatoire ancré sur l'histoire récente. Moins d'un siècle nous sépare de la loi de séparation de

l'Eglise et de l'Etat, la laïcité de ce dernier est inscrite dans la constitution de la République depuis 1958. Le

principe de laïcité de l'école est antérieur, mais ces années por-tent l'évolution spectaculaire des mentalités, des prises de cons-cience d'un vieux pays toujours ancré dans ses croyances, ses traditions et son conservatisme. UNE ÉCOLE CONTRAINTE AU CHANGEMENT L'école n'est plus celle de Jules Ferry, elle appartient à la socié-té, à la nation de son temps. Elle doit adapter son héritage aux nécessités de son époque. Une économie modernisée, la ruralité déliquescente, les concentra-tions urbaines enrichies d'ap-ports humains venus de l'exté-

rieur, des classes sociales diffé-rentes et ne correspondant plus à celles du passé, tout rappelle à l'éducateur que son public n'est plus celui d'une nation homo-gène "instituée" en grande par-tie par l'Ecole de la République. La philosophie du système édu-catif a reposé dès sa naissance sur une certaine idée d'un être humain toujours perfectible. "Construire des écoles, c'est abattre les murs des prisons" disait Jaurès. L'école a proposé des savoirs à acquérir afin de participer à l'aventure du progrès scientifi-que et technologique, elle a inci-té à la création culturelle et es-thétique : vision optimiste d'une marche vers le bonheur indivi-duel grâce à un effort collectif, à une participation citoyenne. Il faut vivre ensemble. Suivant Aristote : "vivre ensemble c'est vivre heureux ; sans ce mini-mum de bonheur il n'y a pas de cité, pas de citoyenneté". L'Ecole de la République a ras-semblé les "petites patries" dé-crites par J.F Chanet. Elle a en-tretenu cet idéal de perfectibili-

Georges ROCHE

2005 : centième anniver-saire de la loi de sépara-tion de l’Église et de l’État.

7

INTRODUCTION

té, magnifié l'effort individuel, formé les cadres moteurs de la société par la promotion des éli-tes républicaines venues du peu-ple. Les limites de cet objectif appa-raissent au grand jour : la pro-motion sociale est fragile et su-jet d'angoisse dans le tourbillon d'une économie libérale et mon-dialisée, devant les repères na-tionaux qui s'effacent. En effet, au-delà de cet aspect économique, au-delà de cet ob-jectif d'insertion sociale, l'école était aussi le lien d'apprentis-sage de la citoyenneté : la cons-cience d'une appartenance forte à une patrie identifiée et magni-fiée par son histoire et ses sym-boles entretenue par les maî-tres. Mais ces derniers, se sont aussi donné pour mission d'accompa-gner l'individu en devenir. de lui donner le sens critique inspiré

par la rationalité, d'entre-tenir chez lui les vertus morales, intellectuelles et esthétiques nécessaires à un être humain complet, équilibré, épanoui. L'ambition de l'école laï-

que ne pouvait se satisfaire d'une transmission de connais-sances reposant sur des certitu-des :

- le libre examen conduit à forger une pensée libre, dé-barrassée d'à priori, de dogmatismes et de préven-tions de tous ordres, - la laïcité de l'école, pour les républicains, conduit à protéger chacun des attein-tes, à la liberté de cons-

cience. Aujourd'hui, cette vision idéale reste en l'état, mais il convient de réfléchir sur une définition renouvelée de la laïcité à l'école, les idéologies, les croyances et les peurs sont toujours asser-vissantes. L'éducateur a en charge de préparer enfants et adolescents sur les chemins de la citoyenneté et de la liberté de conscience. Nous ne nous attarderons pas ici sur le phénomène de la mondia-lisation de l'économie, de l'éco-logie planétaire, de l'information instantanée, des moyens univer-sels de la communication et de mise à disposition de la docu-mentation, non plus que sur les conséquences de la prééminence de l'image et du virtuel. Ces as-pects du monde sont évidem-ment importants pour une école qui doit les prendre en compte et les adapter à sa démarche d'apprentissage pour une forma-tion nécessaire à l'esprit criti-que. Il faut s'inquiéter bien davan-tage des dangers très réels d'un communautarisme qui conduit à une société tribale divisée en chapelles, en sectes opposées à une société républicaine et ci-toyenne. L'établissement sco-laire identifié a sa personnalité, elle correspond à celle de son environnement immédiat : c'est le collège de centre-ville, c'est le lycée de banlieue, c'est l'école de quartier. Les uns et les au-tres rassemblent une population scolaire de moins en moins di-versifiée, et le politique recon-naît par sa pratique de discrimi-

Georges ROCHE

Le communautarisme conduit à une société tribale divisée en chapelles, en sectes opposées à une société répu-blicaine et citoyenne.

8

INTRODUCTION

nation positive (création des Zo-nes d'Education Prioritaires ZEP) cet état de regroupement géo-graphique des populations urbai-nes. Ce communautarisme social sous-entend déjà communauta-risme, culturel et religieux ! la nation est cependant encore vi-vante et maintient une politique scolaire et éducative bien défi-nie. La mission de l'école répu-blicaine et laïque reste : elle re-pose sur des savoirs, fruits d'une pensée et d'un travail uni-versitaire et universel, et sur une recherche pédagogique et didactique foisonnante s'ap-puyant sur des innovations agis-

santes. La menace du communau-tarisme des croyances reste pesante. Les reli-gions du livre entre les mains d'églises portent chacune leur véri-

té dogmatique et donc absolue. La laïcité à la française a été le principe combattu par une Église du début du siècle monarchique et hiérarchisée, prééminente dans le domaine social et en éducation, toujours présente dans celui de la politique. L'Ecole de la République s'est voulue neutre, éminemment res-pectueuse des idées et des va-leurs portées par les familles. Elle s'est développée à une épo-que où le consensus était réel entre le père et le prêtre, l'insti-tuteur agnostique : les mêmes règles morales conduisaient aux mêmes discours prescriptifs et imposés. Aujourd'hui le maître doit être

l'initiateur, le provocateur du dé-bat. Il est seul à promouvoir par ce moyen la rencontre, va-leur en soi selon Olivier Reboul. Les lycéens des C.A.V.L (Comités d'action de la Vie Ly-céenne) rencontrés lors de la journée organisée dans le cadre de la consultation nationale sur les lycées, ne s'y sont point trompés ; ils ont insisté sur la nécessité d'aménager dans le temps scolaire, une ou deux heures hebdomadaires, consa-crées au débat traitant de ques-tions socio-culturelles, politiques ou religieuses (un enseignement d'histoire des religions étant à leurs yeux indispensable à la compréhension du monde). Cette demande va à l'encontre du principe de laïcité d'absten-tion qui a longtemps prévalu. La laïcité aujourd'hui est de confrontation. Le débat est né-cessaire dès l'école primaire, il est d'ailleurs instauré par bien des maîtres inspirés de métho-des actives marquées par des praticiens pionniers comme Cé-lestin Freinet. Organiser la ren-contre, c'est provoquer le débat structuré, ritualisé où sont distri-bués les rôles d'animateur, de rapporteur, d'observateur, où sont imaginées des méthodes de participation, où sont explicités les objectifs de ces échanges, organisées les prises de parole. Le débat doit conduire à des pri-ses de décision, car il est ap-prentissage de la démocratie di-recte. Quel étonnement que celui de l'adulte, même averti, devant les capacités des jeunes

Georges ROCHE

À une laïcité d’abstention qui a longtemps prévalu, doit se substituer une laïcité de confrontation : le débat est nécessaire.

9

INTRODUCTION

"défavorisés", de leur ardeur quand ils sont placés dans les conditions de participation ! Cette situation politique, sociale et culturelle n'est plus. La France n'est plus la fille aînée d'une Église en déclin qui cherche aussi sa voie. (Quelle démocratie dans l'Eglise ? est la question posée par le jésuite Paul Valadier1). Car la nation est ici et maintenant un lieu qui rassemble des individus très différents, beaucoup venus d'ailleurs. Le paysage national est un man-teau d'Arlequin. Cette diversité et ces regroupe-ments peuvent conduire à la faci-lité, au repliement sur soi, au communautarisme, à l'entretien et au renforcement des différen-ces et fatalement au rejet de l'autre, à l'exclusion, au fana-tisme, au racisme xénophobe. UNE ÉCOLE LAÏQUE AUJOUR-D'HUI Elle est la seule institution qui rassemble. "J'ai honte de voir

nos hommes enivrés de cette sotte humeur, de s'effaroucher des formes contraires aux leurs. Où qu'ils aillent, ils se tien-

nent à leurs façons et abominent les étrangères". Ce constat de Montaigne ne reste-t-il pas très actuel ? La condition laïque de l'école est la condition mise à ne pas "se tenir à ses façons" à promouvoir la rencontre, faire que le "côte à

côte" devienne rassemblement des différences car le rejet, l'ex-clusion, naissent de la non-rencontre, de l'ignorance et du mutisme des uns et des autres. "Notre point de départ sera le simple fait que les individus si divers soient-ils, peuvent (sauf l'obstacle de la langue) engager la conversation" nous dit Marcel Conche. Tel fût le cas récemment pour l'auteur de l'article dans une classe de 4ème d'un collège du quartier des Minguettes à Venis-sieux. Ces garçons et ces filles pour beaucoup issus de l'immi-gration, vivaient un moment où, chargés d'un projet de journal de classe, ils oubliaient leur condition d'humiliés, prenaient conscience de leurs difficultés d'expression et de réalisation, mutualisant leurs pauvres moyens pour mener à bien leur modeste entreprise. L'École de la République leur ve-nait en aide et faisait d'eux des personnes, des êtres humains à part entière quelle que soit leur origine familiale ethnique ou reli-gieuse. La méthode est la démocratie, l'idéal est la République, le prin-cipe est la laïcité. Les pratiques démocratiques peuvent et doivent trouver leur place dans l'espace scolaire si l'adulte, le maître, est conscient que sa place n'est pas dans l'or-dre hiérarchique, qu'il est la réfé-rence et l'exemple. La société est

1 Revue Études Février 1998

La méthode est la démocra-tie, l’idéal est la République, le principe est la laïcité.

Georges ROCHE

10

INTRODUCTION

cloisonnée, soumise aux tradi-tions, aux croyances, aux artifices de l'irrationnel qui répond aux an-goisses. L'esprit de soumission subsiste, alors que la voie qu'il est urgent d'emprunter, est celle

d'une croyance en l'être humain et d'une référence à son caractère sacré. L'école laïque est faite pour tous, elle est le creu-

set de la société pour l'avenir. Elle peut offrir une cohérence éducative pour chaque individu dans le respect des valeurs qui lui sont propres. La laïcité de l'école est une éthi-que de la pensée, elle détermine une attitude, un comportement. Elle permet aux courants de pen-

sées, de trouver leur chemin, de s'épanouir dans nos sociétés com-plexes et multiples. Elle fait que des vérités se rencontrent et s'interrogent et que peuvent se forger des convictions plus éclai-rées et plus conscientes. L'école laïque est "a-dogmatique", elle prépare à la citoyenneté, "résultat de l'adhésion cons-ciente" nous le rappelle Renan. Elle prépare la République "elle ne délivre pas de message, mais elle délivre tout court" comme l'écrit Régis Debray. Georges ROCHE

Georges ROCHE

L’école laïque est faite pour tous, elle est le creuset de la société pour l’avenir.

11

INTRODUCTION

LES COULEURS UNIES DE LA RÉPUBLIQUE

Les Enfants de la République sont de toutes les couleurs et l'Ecole de la République est la palette qui les unit.

Elle les unit parce qu'elle les respecte.

D'enfants de toutes les couleurs elle fait des citoyens aux cou-leurs unies. Des Femmes et des Hommes libres et égaux en droits, maîtres d'eux-mêmes, solidaires et fraternels entre eux.

Tous les enfants de la République ont, ici, le droit d'apprendre à acquérir et à maîtriser les outils de la connaissance, penser par eux-mêmes.

Librement.

L'École de la République, c'est pour tous la chance de s'émanci-per. C'est l'École de la Liberté, de l'Égalité, de la Fraternité.

C'est cette Ecole qui est en danger.

Réduite à n'être plus qu'une École parmi d'autres... ...la République n'aime pas qu'on enferme les Enfants dans les conflits des parents. Elle ne veut pas d'École pour chaque cou-leur.

Elle est la même École pour les enfants de toutes les couleurs.

Extrait de l'Appel du 3.01.94

Grand Orient de France

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ENJEUX INTRODUCTION

LA SCIENCE

OUTIL DE COMPRÉHENSION DU MONDE

LA NOTION DE RACE HUMAINE N'A AUCUN FONDEMENT SCIENTIFIQUE Le racisme est fondé sur deux af-firmations présentées comme des évidences. D'une part, l'espèce humaine est composée de groupes bien distincts, aux caractéristiques biologiques différentes, les "races". D'autre part, ces races peuvent être hiérarchisées selon une échelle de "valeur". Ces deux propositions sont asse-nées comme des vérités intangi-bles dans un livre que tous les éco-liers français ont lu pendant la pre-mière moitié de ce siècle, Le Tour de la France par deux enfants.

Lorsqu'ils visitent Marseille, les deux enfants sont étonnés par la diversité des hommes de toutes couleurs qu'ils y rencontrent. C'est l'occasion de leur faire une leçon sur les quatre races humaines — la blanche, la rouge, la jaune et la noire — dont la description s'ac-compagne de ce constat : "la race blanche est la plus parfaite". L'auteur a pris soin de représenter chaque race par un personnage très digne ; il a admis que chacune était "parfaite" ; mis il n'a pu s'em-pêcher de hiérarchiser cette per-fection, au profit de la race blan-che.

Albert JACQUARD, Directeur de l'INED Né à Lyon le 23 décembre 1925 Albert Jacquard entra en 1945 à l' École polytechnique, décrocha un diplôme d'Ingé-nieur des Manufactures de l'État en 1948 et intégra l' Insti-tut de Statistiques dont il fut également diplômé, et devînt ingénieur d'Organisation et Méthode. Il entra à la SEITA dont il fut secrétaire général adjoint de 1951 à 1961. Rapporteur auprès la Cour des Comptes de 1959 à 1970 et directeur adjoint au service de l'équipement du Ministère de la Santé Publique de 1962 à 1964, il entra à l'Institut de Démogra-phie de Paris en 1965. C’est alors qu’il s’oriente vers la Génétique : il partit aux États-Unis pour étudier la génétique des populations à l'Uni-versité de Stanford. De retour en France en 1968, il intégra l'Institut National d’Etudes Démographiques (INED). Parmi ses nombreux ouvrages, on peut noter : Éloge de la différence, Éditions du Seuil, 1981 ; Moi et les autres, Édi-tions du Seuil, 1983 ; Cinq milliards d'hommes dans un vais-seau, Éditions du Seuil, 1987 ; Tous différents, tous pareils, Éditions Nathan, 1991.

13

INTRODUCTION

Face à ces deux affirmations, le rôle de la science est d'apporter rigueur et lucidité pour faire le dé-part entre les fantasmes et la réali-té. La variété des êtres vivants est à la fois émerveillante et troublante. Dans ce chaos, la démarche scien-tifique tente d'abord de mettre un peu d'ordre en proposant une classification. La plus célèbre est celle de Linné, un naturaliste sué-dois. Il a conçu un arbre dont les ramifications successives permet-tent de distinguer deux "règnes" (animal et végétal) ; puis dans chaque règne, plusieurs "classes" (ainsi les mammifères au sein du règne animal) ; dans cha-que classe, plusieurs "ordres" (ainsi les carnivores) ; dans chaque ordre, plusieurs "genres" (ainsi le genre Canis) ; enfin, dans chaque genre, plu-sieurs "espèces". Dans cette succession de catégo-ries, les frontières sont souvent floues ou arbitraires, sauf pour les espèces. Un critère objectif per-met, en effet, d'affirmer l'apparte-nance à une même espèce. C'est l'interfécondité : des individus ap-partiennent à une même espèce lorsqu'ils sont capables de procréer entre eux et d'obtenir une progé-niture féconde. DEFINIR LES RACES Mais une espèce comporte, le plus souvent, un si grand nombre de membres qu'il est tentant et scientifiquement logique, de pour-suivre la classification en définis-sant des groupes relativement ho-mogènes à l'intérieur de ladite es-pèce. Il reste à définir des critères

pour tracer les frontières entre ces groupes, qualifiés généralement de "races". Ce n'est guère qu'à partir du 18ème siècle que les scientifiques ont cherché à mettre un peu d'or-dre dans les idées véhiculées à ce propos. Il leur fallait d'abord pré-ciser les caractéristiques à considé-rer pour comparer les individus. Tout naturellement, il s'est agi des caractères apparents : tailles, cou-leurs, formes. Durant tout le 19ème siècle, les anthropologues se sont querellés au sujet du nom-bre de races dans l'espèce hu-maine. Les quatre races classi-ques, fondées sur la couleur de la peau, étaient évidemment insuffi-santes pour rendre compte de la dispersion constatée. Fallait-il ana-lyser notre humanité en dix, cent ou mille races ? La dispute aurait pu s'éterniser si un changement complet de la pro-blématique n'était intervenu avec l'irruption d'une nouvelle discipline, la génétique. A partir de 1900, la redécouverte des concepts introduits par G. Mendel a fait comprendre que les apparences, les "phénotypes", [ne] permettent [pas]de tenir compte de la réalité stable d'une popula-tion, l’étude doit donc porter sur ce qu'elle transmet par génération, son patrimoine génétique, et non sur l'apparence qui n'en est que la manifestation. SUIVEZ LE GÈNE La première démarche a consisté à chercher des gènes "marqueurs" dont la possession signerait l'ap-partenance à une race. Si tous les membres d'une population donnée

Albert Jacquard

Le rôle de la science est

d'apporter ri-gueur et lucidi-té pour faire le départ entre les fantasmes et la réalité.

14

INTRODUCTION

possédaient un certain gène qui ne se rencontre pas ailleurs, les cho-ses seraient simples. Mais de tels gènes n'ont pu être trouvés. La plupart des gènes sont présents dans la quasi-totalité des popula-tions humaines. Certains, résul-tant sans doute de mutations ré-centes, ne se trouvent que dans quelques populations, mais, même dans celles-ci, ils sont rares et ne constituent donc pas un mar-queur. Ce qui distingue les groupes n'est donc pas la présence ou l'absence d'un gène, mais sa fréquence. Le gène B du système sanguin repré-sente 25 % du patrimoine généti-que de la population de la pénin-sule indienne, mais cette propor-tion diminue à mesure que l'on s'éloigne vers l'Ouest ; 15 à 20 % en Russie, 10 à 15 % en Europe Centrale ; 5 % en France ou en Grande Bretagne, 0 % au Pays Basque. La définition des races ne peut donc résulter que d'un chemine-ment logique qui t tienne compte de ces différences de fréquence. Le point de départ en est un tableau qui indique pour toutes les popula-tions les fréquences d'un nombre aussi élevé que possible de gènes. Les données actuellement disponi-bles permettent d'avancer dans cette voie en tenant compte d'un grand nombre d'observations. On considère alors comme apparte-nant à une même "race" les popu-lations qui ont des fréquences voi-sines pour la plupart des gènes. Un traitement rigoureux de ce pro-blème implique la définition d'une

distance génétique entre les diffé-rentes populations. Une fois qu'on a calculé l'ensemble des distances entre toutes les populations, il est de bonne méthode d'attribuer à une même race les populations qui ont entre elles de faibles dis-tances, et à des races différentes celles dont la distance est élevée. Si l'on représente ces populations par des points dont les distances sur le papier sont proportionnelles aux distances génétiques, on ob-tient, pour l'espèce canine, une fi-gure où chaque nuage de points peut être considéré comme une race. En revanche, si l'on repré-sente l'ensemble des populations humaines, on obtient, non pas des nuages bien distincts, mais un brouillard de points qu'il est impos-sible de regrouper sans arbitraire. Certes, les populations X et Y sont génétiquement plus proches l'une de l'autre qu'elles ne le sont de la population Z, mais on ne sait où tracer la frontière. Le constat s'impose ; le concept de race est non opérationnel pour les populations humaines. Les diffé-rences sont évidentes entre les La-pons et les Pygmées par exemple, mais le passage des uns aux au-tres est réalisé, sans saut brusque, par les populations intermédiaires. La cause de cette impossibilité est connue. Pour que le patrimoine gé-nétique acquière une certaine ori-ginalité, pour qu'il se distingue si-gnificativement de celui des grou-pes voisins, il faut qu'il reste rigou-reusement isolé pendant une pé-riode très longue, soit un nombre de générations sensiblement égal

Albert Jacquard

Le concept de race est non opérationnel

pour les popu-lations

humaines.

15

INTRODUCTION

au nombre des individus en âge de procréer. Un tel isolement peut se produire pour les animaux ; il n'est guère concevable pour une espèce aussi nomade et aussi dé-vorée de curiosité que la nôtre. Capables de traverser les monta-gnes et les océans, nous avons homogénéisé nos patrimoines gé-nétiques. Quelques chiffres permettent de caractériser ce constat. La diversi-té génétique totale de notre es-pace s'explique pour seulement 7 à 8 % par les écarts entre les qua-tre grandes "races" classiques, 7 à 8 % par les écarts entre nations à l'intérieur de ces races, et pour 85 % par ces écarts entre groupes ap-partenant à une même nation. Autrement dit, les différen-ces essentielles se situent au sein des groupes et non entre eux. Du coup, le concept de race a si peu de contenu que le mot perd tout son sens, et devrait être éliminé de notre vocabulaire. DU CLASSEMENT À LA HIÉRAR-CHIE Si arbitraire soit-elle, une classifi-cation est nécessaire. Mais, tout au moins dans la culture occidentale, on a souvent le réflexe de considé-rer un classement comme le fon-dement d'une hiérarchie : deux ob-jets n'étant pas identiques, ils ne sont pas "égaux", donc l'un est supérieur à l'autre. Ce réflexe vient de l'école primaire où l'on a appris que lorsque deux nombres sont inégaux, l'un est plus grand que l'autre.

Ce qui est vrai pour les nombres est faux lorsqu'il s'agit d'ensem-bles de mesures. Pour ceux-ci, le contraire d'égal n'est pas "supérieur" mais "différent". Il ne peut y avoir de hiérarchie qu'entre des objets caractérisés par une seule mesure. Une pierre est plus lourde, ou plus dense, ou plus vo-lumineuse qu'une autre ; elle ne peut lui être globalement "supérieure" que si l'on synthétise l'ensemble de toutes les mesures en une seule. C'est le chemin pris par certains psychologues lorsqu'ils veulent comparer les potentiels intellec-tuels. Certains individus raisonnent plus rapidement, d'autres ont une mémoire plus large, d'autres po-sent des questions plus pertinen-tes : ils ont des profils psychiques différents. Mais la question : "lequel est le plus intelligent ?" ne peut avoir de réponse que si cette intelligence est mesurée par un seul nombre. D'où le succès du trop célèbre "quotient intellectuel" ou Q.I. Il ne mesure rien de défini, mais il per-met de raisonner comme s'il y avait une hiérarchie des intelligen-ces. Les différents groupes humains ont des potentiels variés dans tous les domaines. Que ce soit par nature ou grâce à leur culture, les Pyg-mées savent mieux résoudre les problèmes posés par la vie dans la forêt équatoriale que les Lapons, lesquels l'emportent lorsqu'il s'agit de faire face au froid polaire. Ces deux populations sont différen-tes ; aucune n'est supérieure à l'autre.

Albert Jacquard

Le contraire d’égal n’est pas « supérieur »

mais « différent ».

16

INTRODUCTION

Malheureusement la croyance en une telle hiérarchie imprègne nos esprits, véhiculée par des formules contre lesquelles nous ne réagis-sons plus, tant nous y sommes accoutumés. Ainsi acceptons-nous l'idée que les éleveurs ont "amélioré" la race chevaline, alors qu'en réalité ils ont amélioré l'apti-tude à la course de certaines li-gnées, au prix d'une dégradation dramatique de son potentiel biolo-gique. Ces "pur-sang" ne sont que des débiles dont la seule perfor-mance, de peu d'intérêt, est de sa-voir courir vite sur de courtes dis-tances. La phrase que nous avons évo-quée, à propos de "la race blanche plus parfaite que les autres", n'est même pas une erreur, elle est dé-pourvue de sens. Mais il est beau-coup plus difficile de lutter contre de telles affirmations, qui ne signi-fient rien, que contre des inexacti-tudes. C'est pourquoi la bataille contre le racisme risque fort de ne jamais finir. Que le généticien démontre que la notion de race est sans fon-dement, que le logicien mette en évidence l'absurdité des hiérar-chies globales, cela n'entame en rien l'attitude du raciste, parce que cette attitude n'a fondamenta-lement, aucun rapport avec la ré-alité biologique ou avec la logique. Ce qu'exprime le racisme est es-sentiellement un mépris ; mépris envers telle personne justifié, non pas ses caractéristiques, mais par son appartenance à un groupe : "tous les... sont des ...". L'origine de ce mépris est une absence de confiance en soi ; son aboutisse-ment est une destruction de soi-même.

LA TENTATION DU MÉPRIS Qu'est-ce qu'un être humain, sinon un animal dont la particularité est d'être capable de se construire lui-même grâce à l'apport des autres ? Mon "Je" est fait de liens que je tisse avec les autres. Mais le tissage de ces liens ne se fait pas sans effort, sans crainte. L'autre est source à la fois de ri-chesse et de danger. Il faut l'af-fronter, c'est-à-dire être avec lui front à front, intelligence contre intelligence. L'échange ne peut être fructueux s'il n'existe pas un minimum de confiance, en soi et en l'autre. Le raciste, c'est celui qui n'a pas confiance en lui-même. Pour ca-moufler cette crainte, il gonfle son jabot et se prétend supérieur. Le mépris qu'il manifeste n'est que le déguisement du vertige qu'il ressent face à son vide intérieur. On démontre aisément que la no-tion de race humaine n'est guère définissable, ou que le concept de hiérarchie ne peut être utilisé glo-balement, mais l'apport le plus utile de la science à la lutte contre le racisme est ailleurs : — dans une meilleure lucidité — sur ce qu'est chaque être humain : une merveille à construire par chacun grâce aux autres.

Albert JACQUARD, Directeur de l'INED (Institut National d'Études Démographi-

ques). Article paru dans "Le Courrier de l'Unesco"

de Mars 1996.

Albert Jacquard

Ce qu’exprime le racisme est

un mépris. L’o-rigine de ce

mépris est une absence de

confiance en soi.

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RACISME ET HISTOIRE

RACISME ET ENSEIGNEMENT,

QUELLE MISSION POUR L'ENSEIGNANT ?

A Vitrolles, Marignane, Toulon, Orange et dans toutes les villes méridionales, l'expression multi-forme du racisme, insidieuse ou politique a gagné, avec une acuité plus ou moins grande, tous nos Etablissements scolaires, qu'ils soient collèges ou lycées. Aujourd'hui, les clivages s'accen-tuent, et notre devoir d'ensei-gnant ne doit pas se limiter à la seule "vigilance". Que l'on soit scientifique ou littéraire, biolo-giste, historien ou philosophe, nous devons tous lutter, au quoti-dien, contre ces idées d'un autre siècle. A la fin du siècle dernier, le LIT-TRÉ ignorait encore le mot "racisme". Ce n'est qu'en 1932 que le LAROUSSE mentionne ce terme, en le réservant spécifique-

ment aux théories nationales-socialistes. Mais à défaut du mot, "la chose" existait. De l'antiquité au XVème siècle, la civilisation occidentale s'est défi-nie par opposition aux "autres" : juifs, hérétiques, musulmans, noirs ou indiens. Au XXème siècle est apparue une véritable révolution des idées, lorsque les savants ont cherché à hiérarchiser les populations. La colonisation a renforcé les clivages d’identification à un groupe, dis-tinct de tous les autres groupes. Le XXème siècle n'a pas inventé le racisme mais l'a révélé et exposé crûment. Le XXème siècle a vu l'application concrète et monstrueuse de ces préjugés. Avec l'APARTHEID, l'AFRIQUE DU SUD a établi une

J. POUSSEL, Professeur d'Histoire.

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RACISME ET HISTOIRE

ségrégation officielle. Des millions d'individus : juifs, tziganes, asiati-ques, bosniaques ou rwandais ont été exterminés au nom de la race. Aujourd'hui, ce mot a envahi le vo-cabulaire de tous les jours, et pas

seulement au niveau des hommes politi-ques. Depuis 50 ans, les dif-férents programmes d'Histoire — tant au collège qu'au lycée —

ont permis de relater ces évolu-tions mais les enseignants sont très souvent restés "extérieurs" aux débats. Les derniers program-mes (définis au BO n° 12 du 29 Juin 1995) permettront-ils de lut-ter plus efficacement contre ces idées pernicieuses qui mêlent étroitement intolérance, xénopho-bie et racisme ? Y a-t-il des thè-mes, dans les programmes, qui permettent une intervention plus aisée des enseignants. Peut-on en-visager de nouvelles activités pé-dagogiques, utilisables par tous, dans la mise en œuvre de ces pro-grammes ? Les finalités de l'Histoire et Géo-graphie au Lycée sont clairement définies :

- Transmission et maîtrise des savoirs historiques et géogra-phiques. - Compréhension du monde contemporain. - Acquisition de méthodes d'analyse pour une formation intellectuelle. - Insertion des élèves dans la cité.

Lutter contre le racisme, c'est s'inscrire dans la dimension civique de l'enseignement de l'histoire et de la géographie, d'autant mieux qu'il n'existe pas, à ce jour, d'heure d'éducation civique au ly-cée. Lutter contre le racisme, c'est ap-porter à la fois l'absolu des valeurs mais aussi la tolérance, par la dé-couverte d'autres coutumes et cultures. L'enseignant dispose du libre choix dans son itinéraire pédagogique. Il est donc tout à fait possible d'inno-ver en respectant les programmes. En seconde, le programme cons-truit de l'antiquité au milieu du XXème siècle privilégie les dimen-sions politique et culturelle. En première, l'étude porte sur le monde du milieu du XXème à 1939. La FRANCE et l'EUROPE , et leurs relations avec le monde, sont des axes prioritaires. En terminale, le programme aborde l'étude de la 2ème guerre mondiale, le monde de 1945 à nos jours, la France depuis 1945. L'historien peut trouver dans ces programmes des moments privilé-giés pour montrer comment le ra-cisme a été associé à notre bonne conscience et quelles en furent les conséquences. Ne pourrait-on pas dans le cadre de cet enseignement — et en liai-son avec les autres disciplines — envisager des activités éducatives complémentaires ? L'étude des textes emblématiques (Déclaration des Droits de l'Homme ou extrait

J. Poussel

Lutter contre le racisme, c'est apporter à la fois l'absolu des valeurs mais aussi la tolérance, par la découverte d'autres coutumes et cultures.

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RACISME ET HISTOIRE

de la Bible), mais aussi l'étude cri-tique de textes signés A. Gobi-neau, E. Renan, J. Soury ou Paul Broca. Des travaux de recherches et des exposés élèves sur des thèmes di-vers : l'abolition de l'esclavage ou encore les lieux de culte (Eglises, temples, mosquées et synago-gues), les ministres du culte etc. L'organisation de rencontres, conférences, visites dans des clas-ses de même niveau. 1997 et 1998 ont vu la mise en place de "Voyages de la Mémoire". Ne pourrait-on pas se saisir systé-matiquement de manifestations conjoncturelles et occasionnelles comme "La semaine d'éducation

contre le racisme" ou encore "la journée internationale des fem-mes" pour mettre en œuvre ce "devoir de mémoire". Si l'on veut faire reculer le racisme dans nos établissements, il ne faut plus différer ce travail, cette lutte de tous les jours. Demain notre tâche sera plus difficile. Pourra-t-on faire disparaître le racisme ? Rien n'est moins sûr puisque, comme l'affirme Madeleine Rebe-rioux dans l'Histoire (n° 214 Octo-bre 1997) : "L'homme non raciste, l'homme universel, l'homme trans-parent est encore à naître".

J. POUSSEL, Professeur d'Histoire.

J. Poussel

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RACISME ET RELIGION...

"L'ÉTRANGER QUI EST DANS TES MURS"

La Bible chrétienne n'ignore rien des tensions et des luttes fratrici-des qui peuvent déchirer les hu-mains. Le meurtre d'Abel par son frère Caïn reste présent à toute l'histoire humaine et appelle cha-cun d'entre nous à une vigilance continuelle pour ne pas laisser la haine et la violence dominer les relations humaines. Patiemment, à travers ses pres-criptions légales, les appels de ses prophètes, les réflexions de ses sages, la tradition biblique s'efforce d'éduquer nos compor-tements jusqu'à les amener au commandement qui "contient toute la loi en sa plénitude : Tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Ga.5, M).*" Précepte qui, dès sa première formulation dans le Lévitique (Lv. 19, 18) repose sur l'autorité du Dieu très saint d'Israël qui ne fait exception de personne. Ce prochain qu'il faut aimer, c'est d'abord celui dont on partage la vie "le fils de ton peuple", mais c'est aussi, la Bible le précise avec insistance, l'étran-

ger qui habite dans tes murs. "L'étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un com-patriote et tu l'aimeras comme toi-même" (Lv. 19, 34). C'est l'occasion de rappeler au peuple élu qu'il a été lui-même étranger sur une terre de servitude (L'Egypte) et que Dieu ne l'a pas abandonné car "il aime l'étranger auquel il donne pain et vête-ment" (Dt. 10, 18). La figure de l'étranger rejoint alors celle du pauvre, de l'orphelin, de l'oppri-mé qui sont les bien-aimés de Dieu : " Ne savez-vous pas quel est le jeûne qui me plaît ?

oracle du Seigneur : Rompre les chaînes in-justes délier les liens du joug ; renvoyer libres les op-primés, briser tous les jougs ; partager ton pain avec l'affamé, héberger les pauvres sans abri,

Michel RONDET

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RACISME ET RELIGION...

vêtir celui que tu vois nu et ne pas te dérober de-vant celui qui est ta pro-pre chair " (Is. 58, 6-7).

Notons ici l'expression "ne pas te dérober devant celui qui est ta pro-pre chair". Elle a servi d'abord à désigner le compatriote, le mem-bre du peuple élu. Elle prend de plus en plus, dans la prédication du second Isaïe (chapitres 40 à 55) une signification universelle pour désigner l'homme, tout homme. Evolution parallèle à l'approfondis-sement théologique qui reconnaît, dans le Dieu d'Israël, le Dieu uni-versel qui englobe dans son amour toute l'histoire des hommes et toute l'étendue du monde visible et invisible. C'est comme créature ai-mée de Dieu que le prochain, l'étranger, l'autre quel qu'il soit, deviennent objet d'attention, de respect, d'amour. Il faudra certes beaucoup de temps et d'efforts pour que cet ap-pel des prophètes pénètre peu à peu les mentalités. L'histoire bibli-que est pleine de leurs interven-tions vigoureuses pour rappeler les droits de l'étranger, le respect du pauvre et de l'opprimé. Qu'on pense par exemple aux reproches de Nathan à David après le meur-tre d'Urie le Hittite (2 Sam. 12) ou à ceux d'Elie à Achab après le meurtre de Nabot (1 R.21, 17). Au coeur même de ces résistances, les recueils législatifs du Pentateu-que se sont efforcés de donner des traductions concrètes de ce com-mandement de l'amour du pro-chain. Ainsi le Code l'Alliance au livre de l'Exode qui précise : "lorsque tu viens à rencontrer le

bœuf de ton ennemi — ou son âne — qui vague, tu dois le lui rame-ner. Quand tu vois l'âne de celui qui te déteste tomber sous son faix, cesse de te tenir à l'écart de ton ennemi. Tu dois, en compagnie de son maître, venir en aide à l'animal" (Ex. 23, 4-5). Notation qui peut paraître mineure, qui n'exclut pas d'autres textes justi-fiant la haine de l'ennemi, qui ce-pendant ouvre sur un dépassement que le Nouveau Testament va s'ef-forcer d'accomplir. Reprenant l'enseignement tradi-tionnel des Ecritures juives, Jésus va en révéler les exigences profon-des. "Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Eh bien ! moi je vous dis : Aimez vos ennemis, priez pour vos persécuteurs ; ainsi serez-vous fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons et tomber la pluie sur les jus-tes et les injustes". (Mt. 5, 43-45). Ainsi est manifesté ce qui était au coeur du précepte biblique : ce n'est pas le degré de proximité du prochain qui fonde le devoir de l'ai-mer comme soi-même, mais sa qualité d'homme. Cette qualité elle doit être reconnue dans l'étranger et pour prendre sa valeur absolue, universelle, elle doit s'étendre jus-qu'à l'ennemi. L'Evangile ne nie pas l'existence de l'inimitié, ni les raisons qui peuvent la justifier, il appelle à voir en tout homme, fut-il ennemi, un frère. C'est ce que rappelle l'Evangile de Saint Ma-thieu dans le discours sur la fin des temps lorsqu'il propose comme cri-tère de jugement non pas des atti-

Michel Rondet

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RACISME ET RELIGION...

tudes religieuses envers Dieu, mais des attitudes fraternelles envers le prochain : vêtir, nourrir, visiter, soigner, secourir... Ce qui permet à un théologien contemporain d'écrire : "La grande révolution re-ligieuse accomplie par Jésus, c'est d'avoir ouvert aux hommes une autre voie d'accès à Dieu que celle du sacré, la voie profane de la re-lation au prochain (...). La route du salut a été désacralisée par la sa-cralisation de la personne de l'au-tre..." Cet héritage biblique reste présent dans notre culture comme un ap-pel. Il a été souvent trahi par ceux mêmes qui s'en réclament. Dans sa radicalité, il nous rappelle qu'on ne transige pas sur le respect de l'autre quel qu'il soit et que toute culture du mépris est un poison dans le coeur de l'homme. A une heure où la mondialisation des re-lations et de la vie nous amène à rencontrer chaque jour des menta-lités étrangères, à accueillir les dif-férences de manière positive, à vi-vre une fraternité qui dépasse nos frontières culturelles et religieuses, il est important pour nous de fon-der de manière profonde le respect absolu de l'autre. Il nous est bon alors d'accueillir toutes les voix qui, d'une manière ou d'une autre, nous ramènent à ce visage frater-nel de l'humanité. J'en retiens une,

au terme de cette méditation sur l'étranger, celle d'Hetty Hillesum qui, plongée dans le monde de la haine et du mépris, retrouve au fond de son cœur l'appel évangéli-que à la radicalité de l'amour. Dans l'attente du convoi qui la conduira à Auschwitz dont elle ne reviendra pas, elle ose écrire : " La haine farouche que nous avons des Allemands verse un poison dans nos cœurs (...). Rien n'est pire que la haine, c'est une maladie de l'âme. Si j'en venais (par la grâce de cette époque) à éprouver une véritable haine, j'en serais blessée dans mon âme et je devrais tâcher de guérir au plus vite ". A un vieux militant des luttes révolutionnaires avec qui elle évoque l'avenir, elle dit un jour : "Je ne vois pas d'autre issue : que chacun de nous fasse un retour sur lui-même et extirpe et anéantisse en lui tout ce qu'il croit devoir anéantir chez les au-tres. Et soyons bien convaincus que le moindre atome de haine que nous ajoutons à ce monde nous le rend plus inhospitalier qu'il n'est déjà." Puissent ces paroles d'une femme en qui se retrou-vaient l'héritage des Lumières, ce-lui de la Bible juive et de l'Evan-gile, nous aider à combattre tout ce qui pourrait nourrir en nous le mépris de l'homme différent.

Michel Rondet, s.j. La Baume (Aix-en-Provence)

Michel Rondet

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Le racisme prend des formes mul-tiples. Comme l'hydre de la lé-gende, il renaît sous un nouveau visage à chaque assaut qui est porté contre l'une de ses manifes-tations particulières. Pour le com-battre, c'est au coeur qu'il s'agit de toucher : celui de la pensée discriminatoire qui se saisit de n'importe quel signe extérieur ou d'un trait culturel le plus banal pour émettre un jugement global, péjoratif, contre une personne ou un groupe de personnes. Le prétexte à développer une ex-plication diffamatoire ou à justifier un comportement agressif évolue selon les intérêts du moment, mais le simplisme du raisonne-

ment discriminatoire est toujours le même : les racistes ignorent la diversité des êtres humains, leur individualité singulière, leur égale dignité. Les stéréotypes racistes à raison de l'origine, de l'appartenance ou de la non-appartenance d'une per-sonne à un groupe, sont caricatu-raux et répétitifs : l'autre est im-manquablement stupide, sale, fraudeur, cupide ......porteur de tous les péchés et dangereux. Or, précisément, cette absence de subtilité donne force à la logique raciste, celle qui risque de convaincre par des catégories tou-tes faites, en canalisant les peurs et les incertitudes.

RACISME ET ÉDUCATION...

ÉDUQUER CONTRE LE RACISME

Jacqueline COSTA-LACOUX Directrice de recherches au CNRS, elle a été Présidente de la Ligue de l’enseignement et est actuelle-ment chercheuse au sein du CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences po/CNRS). Elle est intervenue à la Journée du Sénat de 1998 : « L’établissement scolaire, une “petite cité” ». Ses principaux ouvrages sont : De l'immigré au citoyen, Paris, La Documentation française, 1989 ; Logi-ques d'Etats et immigrations (en coll.), Paris, Kimé, 1992 ; Différence et cultures en Europe (en coll.), Strasbourg, Les éditions du Conseil de l'Europe, 1995 ; Les trois âges de la laïcité, Paris, Hachette, 1996. Mais elle a collaboré à de nombreux ouvrages dont Questions pour l’éducation civique (coordonné par Jean-Pierre Obin Hachette, 2000) : L’éducation civique peut-elle changer l’Ecole ? Elle a d’ailleurs co-rédigée un Manuel d’éducation civique, La citoyenneté en actes éd. Bréal ; 2000.

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RACISME ET ÉDUCATION...

Combattre le racisme requiert d'abord une éducation qui démonte les mécanismes pervers de la dis-crimination. Car dénoncer ne suffit pas. Les discours moralisateurs renforcent souvent ce contre quoi leurs auteurs voulaient lutter. Par-fois, ils encouragent les réactions paranoïaques de ceux qui se sen-tent victimes d'un complot. Il s'agit alors de qualifier les actes de discri-mination, de les expliciter dans leur fonctionnement et leur finalité, pour préciser le caractère condam-nable de ces idéologies ou de ces agissements, le racisme est un délit, parfois, un crime. Mais il convient aussi de rapporter le racisme à l'histoire des horreurs commises contre l'humanité. Alors, une éducation à la citoyenneté prend toute sa densité. Le racisme s'inscrit à rebours de la conquête des libertés. Il met à néant l'ex-pression de la dignité de chacun, de

l'égalité des droits fondamentaux. Lutter contre le racisme, c'est res-taurer le citoyen dans son identité personnelle et son dialogue avec l'autre. Parce que l'éducation à la citoyen-neté enseigne l'esprit critique contre les idées reçues, parce qu'elle retrace l'histoire des droits de l'Homme et du citoyen contre tous les totalitarismes, parce qu'elle ouvre les démons du ra-cisme plus efficacement que les ar-mes défensives ou les discours conjuratoires. L'éducation à la ci-toyenneté est un apprentissage du pluralisme démocratique, une éthi-que de la responsabilité. Jacqueline COSTA-LACOUX

Jacqueline Costa-Lacoux

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RACISME ET ÉDUCATION?...

ÉDUQUER CONTRE LE RACISME

ÉDUQUER POUR L'ÉGALITÉ

Parce que le combat pour la re-cherche et la vérité historique est un combat essentiel dans la lutte pour l'émancipation humaine, il est la plus importante contribution à l'intelligence du passé. Il permet la constitution d'une conscience col-lective critique sans laquelle l'hu-manité n'a pas plus de chances qu'un troupeau de moutons lancé à toute vitesse vers l'abattoir. Il y a urgence en cette fin de siècle. Les "assassins de la mémoire" (Pierre Vidai Naquet) de l'entreprise "révisionniste" se sont mis au tra-vail depuis plus de vingt ans déjà, dans toute l'Europe, aux Etats-Unis. Après le meurtre de masse perpétré dans une des nations les plus civilisées d'Europe : l'Allema-gne — le pays de Goethe et de Schiller.... — il s'est trouvé une se-conde génération d'assassins : celle qui veut effacer les traces des tueurs, détruire non la vérité, qui est indestructible, mais la prise de conscience de la vérité. Sur l'histoire de la tentative d'ex-termination des Juifs et des Tziga-nes par le régime national-socialiste allemand, on dispose évi-

demment d'une documentation importante. Comment raconter tout cela aux jeunes générations ? Comment faire qu'il s'agisse d'autre chose que d'une "leçon d'histoire" parmi tant d'autres ? Et pourquoi au-jourd'hui cette forme particulière de prise de conscience requiert-elle une mobilisation des éner-gies ? C'est à ces interrogations que cette contribution essaie de répondre à partir de l'expérience tâtonnante et infiniment riche de deux "voyages de la mémoire" en Octobre 1997 et Janvier 1998 de la région provençale jusqu'à AUS-CHWITZ-BIRKENAU, par des groupes d'élèves de plusieurs ly-cées de Vitrolles, Marseille, Tou-lon, Orange, Marignane, et de professeurs mais aussi de jeunes des quartiers pauvres de Mar-seille avec un Centre Social. Au total plus de 200 lycéens ont ac-compli ce voyage. Rien de plus courant, rien de plus tragique et "ordinaire" dans l'his-toire de l'humanité que les mas-sacres : des Assyriens — qui en-tassaient les têtes des vaincus

Gérard PERRIER, Professeur de Lettres.

Les assassins de la mémoire de l’entreprise ré-visionniste se sont mis au travail depuis plus de vingt ans.

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RACISME ET ÉDUCATION?...

décapités en forme de pyramides — aux Indiens d'Amérique jusqu'aux "purifications ethniques" du Rwan-da, en ex-Yougoslavie, et aux atro-cités que connaît l'Algérie en ce mo-ment-même.....

• Pourquoi donc se rendre à AUSCHWITZ ? : parce que dans le silence du monde, les deux tiers des Juifs d'Europe (hommes, femmes, enfants) ont été assassinés par les nazis en fonction d'un plan délibéré d'extermination mis en place avec tous les moyens d'un Etat moderne au coeur de l'Europe. • La faute des Juifs et des Tzi-ganes ? : Etre coupables du "crime d'être nés". Ce fut bien un génocide. Pour les Juifs et les Tziganes d'abord, mais au-delà, pour tous les hommes du XXème siècle, la catastrophe – en hébreu "SHOAH". Ce géno-cide se prête aux larmes et nous en avons tous versées en déposant une bougie à côté de la chambre à gaz d'Auschwitz. Mais les larmes sèchent vite.

"C'est bien plutôt par réflexion, à la faveur du jour nouveau jeté par Auschwitz, sur les multiples liens entre la normalité et le crime, que sa mémoire peut devenir l'affaire de tous. Non qu'il faille sans cesse res-sasser l'horreur mais que, ayant toujours à l'esprit ce qui est arrivé hier, nous traquions à tous les ni-veaux — familial, professionnel, so-cial, juridique, politique — les mani-festations mineures dont le cumul

peut faire qu'on se retrouve un jour affublé "d'un uniforme de SS" (JM Chaumont). La violence extrême germe sur la violence et le racisme ordinaires, sur le mépris de l'autre, sur le refus de la dignité due à tout être humain, sur les discriminations, sur l'intolérance, sur les abus. Oui, ne pas oublier : pour agir sur notre histoire présente, pour plus d'égalité et de fraternité. Voilà pourquoi les "voyageurs de la mé-moire " qui s'expriment ici ont su méditer sur place, avec l'aide des derniers rescapés de cet enfer, à ce terrible avertissement de Primo LEVI : "...les exécuteurs zélés d'or-dres inhumains n'étaient pas des bourreaux-nés, ce n'étaient pas des monstres (...), c'étaient des hommes quelconques (...) ceux qui sont plus dangereux, ce sont les hommes ordinaires, des fonction-naires prêts à croire et à obéir sans discuter, comme Eichmann (l'organisateur de la "solution fi-nale"), comme Hôss (le comman-dant d'Auschwitz), comme Stangl (le commandant de Treblinka) (...)". Oui, éduquer à l'égalité des droits de tous les hommes, dans l'école de la République, est un combat d'aujourd'hui pour que l'innomma-ble ne se reproduise jamais.

Gérard PERRIER, Professeur de Lettres,

Lycée J. MONNET (Vitrolles)

Gérard Perrier

La faute des Juifs et des Tzi-

ganes ? Être coupables

du « crime d’être nés ».

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RACISME ET ÉDUCATION?... SEMAINE D’EDUCATION CONTRE LE RACISME

MOT D'INTRODUCTION

Ce n'est pas par hasard si l'Acadé-mie d'Aix-Marseille1 a choisi de prendre en charge la rédaction de ce cahier. L'évocation du nom de 4 villes du Sud : ORANGE, TOULON, MARIGNANE, VITROLLES2, suffira à expliciter notre engagement dans l'affirmation et la défense des va-leurs républicaines auxquelles nous sommes attachés. L'année 1998 aura été une année forte et contradictoire.

150ème anniversaire de l'abolition de l'esclavage. 50ème anniversaire de la Dé-claration universelle des droits de l'Homme

Et dans le même temps les situa-tions d'injustice et d'atteinte aux Droits fondamentaux de l'être hu-main perdurent : Algérie, Ex-

Yougoslavie, Turquie, Talibans Afg-hanistan, pays d'Afrique... et pour ne pas aller chercher ailleurs ce que l'on a en FRANCE , à Vitrolles où la municipalité FN a mis en place au nom de la "préférence na-tionale" des primes réservées aux enfants nés de deux parents fran-çais ou européens, illustrant en ce-la les propos de son initiateur qui affirmait lors de l'Université d'été de son parti en Août 96 "Je crois à l'inégalité des races". On ne peut s'empêcher de penser, avec amer-tume, à PRIMO LEVI : "Quiconque n'a pas vécu personnellement la condition de devoir expier la faute d'être né, la faute d'exister....." A Vitrolles, il y a ceux qui ont le droit de naître et on leur donne une prime pour cela et les autres ?...

Monique RAUX-REMILLIEUX Proviseur adjoint

1 Le groupe de liai-son, de réflexion et de propositions (E&D) de l’Académie d’Aix-Marseille. 2 Les élections muni-cipales de 1997 voyait ces 4 villes tomber aux mains du Front National. Vi-trolles, notamment, était dirigé par celui qui était encore le second du FN, Bruno Mégret (directement d’abord, puis par épouse interposée).

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RACISME ET ÉDUCATION?...

La préférence nationale rejoint également l'affirmation d'une pré-férence sociale qui prône l'inégalité et le clivage riches/pauvres, ou-vriers/patrons. L'école ne pouvait pas rester à l'écart du débat... et les établisse-ments du Sud se sont donc mobili-sés avec, peut-être, un peu plus de conviction que d'autres, en s'at-tachant non seulement à une ap-proche intellectuelle faisant appel à l'histoire, à la religion, à la généti-que nécessaire à la compréhension des mécanismes du racisme, mais insuffisante pour le combattre, parce qu'il se nourrit souvent d'ir-rationnel, mais à une approche émotionnelle des faits : récits des résistants, des rescapés d'Aus-chwitz. Les équipes enseignantes se sont engagées dans une ré-flexion nourrie

1) par des initiatives citoyen-nes

- Réflexion sur l'exercice de la liberté au sein du lycée - Affirmation des droits et des devoirs des lycéens par l'analyse du règlement intérieur - Responsabilité au sein d'un séminaire sur la ci-toyenneté réunissant les délégués élèves de deux

établissements. 2) par un projet élargi à plu-sieurs établissements "Le Voyage de la mémoire" 3) par une implication très forte dans le déroulement de la semaine de lutte contre le racisme : les témoignages des élèves révèlent leur attache-ment aux notions de justice et d'égalité, la conscience aiguë qu'ils ont des atrocités commi-ses par le passé et leur volon-té constamment réaffirmée qu'elles ne se reproduisent pas.

L'actualité nationale et internatio-nale nous démontre quotidienne-ment que la lutte contre le racisme ne peut rester un exercice d'école mais nous oblige à une lutte per-manente. Pour reprendre les propos de G. MANCERON : " On pourra envisa-ger de faire reculer le racisme... en donnant l'exemple de comporte-ments pratiques fondés sur les principes de justice et d'égalité, démontrant la valeur du lien laïque et républicain comme fondement de l'unité nationale et comme anti-dote à toutes les exclusions.

Monique RAUX-REMILLIEUX, Proviseur adjoint du lycée J. MONNET,

VITROLLES.

Monique Raux-Remillieux

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RACISME ET ÉDUCATION?... LA SHOAH,

UNE CATASTROPHE

POUR LES HOMMES DU XXe SIÈCLE

Le Lycée Jean Monnet de Vitrolles baptisait hier sa salle des Conseils du nom de Louise Jacobson, jeune lycéenne juive déportée. Inaugurée hier en présence de Nadia Kaluski, sœur de Louise, cet hommage a donné lieu à des in-terventions d'autant plus émou-vantes de la part des élèves qu'el-les s'inscrivent dans le contexte vitrollais. C'est dans le cadre de la semaine d'éducation contre le racisme qu'était inaugurée hier au Lycée Jean Monnet de Vitrolles une pla-que commémorative dédiée à Louise Jacobson. Dans l'amphi plein à craquer de l'établissement, un silence évocateur disait hier toute l'émotion et le respect des lycéens, lorsque Nadia Kaluski, sœur de Louise, témoigna du gé-nocide qui a déchiré sa famille. "C'est en automne dernier au mo-ment où la municipalité de Vitrol-les débaptisait les rues" explique M. Turrin le Proviseur du Lycée "que j'ai pensé qu'il serait une bonne chose de donner le nom d'un lycéen victime d'une idéolo-gie raciste. Nous avons découvert Louise Jacobson et sa correspon-dance".

"LA ANNE FRANCK FRAN-ÇAISE" Louise est arrêtée à l'âge de 18 ans, en Août 1942 : elle ne portait pas l'étoile obligatoire pour tous les Juifs. Entre la date de sa dé-portation à Auschwitz où elle mourut à l'âge de 19 ans, elle fut transférée de la prison de Fresnes au camp d'internement de Drancy. Un temps où seule la correspon-dance fut pour elle le moyen de supporter la détention. Publiées cinquante ans plus tard, les lettres de celle que Serge Klarsfeld appelle la "Anne Franck française", ont été soigneusement étudiées par les lycéens de Jean Monnet qui lui rendaient un vi-brant hommage. "Tu avais notre âge quand tu es montée dans ce wagon qui t'en-traînera vers la mort" a écrit une élève, "tu as été exterminée par la bêtise, la lâcheté et la haine." "Durant un demi-siècle" explique Nadia très émue face aux lycéens "j'ai lu et relu ces lettres de Louise pour moi-même". Mais la réappa-rition de la bête immonde incite Nadia à faire publier ces lettres pour témoigner "face aux assas-sins et leurs copains nostalgiques révisionnistes".

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RACISME ET ÉDUCATION?...

Le témoignage de Nadia Kaluski, et ceux des déportés et résistants qui animent cette semaine d'éducation contre le racisme, plus qu'un devoir de mémoire apparaît comme une nécessité face au contexte politique actuel et prend une résonance hau-tement symbolique dans ce lycée de Vitrolles. "Le récit de la vie de Louise m'a d'abord choquée" explique Emma-nuelle Cuge, lycéenne, "Petit à pe-tit, Louise est devenue comme une copine de lycée. On se rend compte combien la liberté est précieuse". Pour ces élèves, le lycée apparaît alors comme le garant de la démo-cratie dans une ville devenue hos-tile à ses propres enfants. Aussi, Virginie Essiinger, élève ayant travaillé sur la correspon-

dance de Louise Jacobson, se féli-cite de la prise de position du provi-seur. "C'est un travail très important" ex-plique-t-elle. "J'habite à Marignane et vais au Lycée de Vitrolles. Entre jeunes, on parle souvent du FN et on a peur que l'histoire recom-mence. Les témoignages de per-sonnes qui ont vécu cela sont très importants. Cela permet de se ren-dre compte de la réalité". Des té-moignages qui malgré la réalité atroce qu'ils véhiculent sont aussi exemplaires du courage et de l'es-poir de ceux qui ont résisté.

Extrait de la Marseille 19 Du Vendredi 27 Mars 1998

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RACISME ET ÉDUCATION?...

50 ans après, une réponse

Classe de 1ère STT AC1

Chère Louise,

Tu avais notre âge quand tu es montée, le 13 Février 1943, dans

ce wagon qui t'emportait vers la mort.

Toi qui étais une lycéenne brillante, une fille aimante et attention-

née, une sœur affectueuse, une amie fidèle et appréciée, toi dont

les lettres révèlent ton intense envie de vivre, ta générosité, ton hu-

mour, tu as été tuée par la bêtise, la lâcheté et la haine, comme des

milliers de tes frères et sœurs.

Ton seul crime était d'être juive…

Tes lettres, Louise, nous ont bouleversés par le courage et la digni-

té exceptionnels dont elles témoignent. Mais elles ont aussi éveillé

en nous la révolte, la colère et l'envie de crier qu'il ne faut plus ja-

mais qu'un seul jeune, un seul vieillard, un homme, une femme, un

enfant, meure pour sa couleur, sa race ou sa religion.

Là où tu es, Louise, si tu nous entends, sache que nous n'oublierons

pas le message que tu nous a adressé dans ces lettres.

Classe de 1ère STT AC1,

Lycée Jean Monnet, Vitrolles.

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"L'abolition de l'esclavage et les droits de l'homme" était le thème de la première journée de la semaine d'éducation contre le racisme. Le débat s'est déroulé devant de nombreux élèves attentifs du lycée Jean Monnet à Vitrolles. La confé-rence a été animée par la vice-présidente nationale de SOS Ra-cisme, Raquel GARRIDO (le prési-dent national, Monsieur Fodé SYLLA, était retenu à Paris). A ses côtés, avaient pris place Madame Monique REMILLIEUX, le Proviseur Adjoint, des enseignants, la documentaliste. Madame Annie JEAN, et le président du comité de Vitrolles de SOS Ra-cisme, Monsieur David JURBERG. Par sa simplicité et son dynamisme, Melle Raquel GARRIDO (âgée de 23 ans) leur a fait partager et vivre les horreurs, la souffrance que des êtres humains ont subies. "HISTOIRE DE L'ESCLAVAGE" Des êtres déracinés, volés à leur fa-mille, qui ont été battus, enchaînés et traînés jusqu'à des bateaux d'es-claves en partance pour un autre continent. Pendant le transport, jus-qu'à 40 % de ces hommes mou-

raient de malnutrition, de mauvais traitements, d'épidémie... Lorsque ces esclaves arrivaient à destina-tion, il fallait qu'ils vivent ou tout au moins survivent. Ils étaient maltrai-tés, torturés, affamés, mais de-vaient fournir un rendement efficace pour enrichir de nombreuses per-sonnes non reconnaissantes à leur égard. En Amérique, au XVIIIème et XIXème siècles, c'était un moyen facile de se procurer de la main d'œuvre à peu de frais. Les planta-tions de cotons grouillaient d'hom-mes africains. Dans les colonies françaises existait aussi l'esclavage jusqu'en 1848 où il a été aboli. 1998 EST donc le 150ème ANNI-VERSAIRE de L’ABOLITION DEFINI-TIVE de L’ESCLAVAGE dans les CO-LONIES FRANÇAISES (27 Avril 1848) : 150 ans après, on peut se demander si cette abolition défini-tive est bien réelle, ou alors si elle est symbolique. Dans des pays tels que l'Inde, l'Amérique latine, l'escla-vage sous différentes formes existe encore : le proxénétisme et le tra-vail des enfants par exemple. L'his-toire se répète.

RACISME ET ÉDUCATION?...

LE 150e ANNIVERSAIRE DE

L'ABOLITION DE L’ESCLAVAGE "Dieu fit la liberté, l'homme a fait l'esclavage" (Marie-Joseph Chénier)

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RACISME ET ÉDUCATION?...

Des hommes ont souffert, des hommes qui ont perdu leur nom, leur identité, leur dignité, se sont battus afin que cette ségrégation disparaisse à tout jamais. L'esclavage n'a pas forcément de couleur, comme le racisme, d'ail-leurs. La valeur d'un homme ne se mesure pas à la couleur de sa peau. Un mouvement politique raciste, xénophobe existe. Il influe en dés-tabilisant un grand nombre de per-sonnes de toutes conditions et de tous âges. Dans cette ville, en par-ticulier, ville dirigée par une muni-cipalité Front National, il est impor-tant de lutter contre les inégalités raciales. Afin d'aider la population dans son combat contre ces inégali-tés, l'organisation de SOS Racisme a ouvert un local dirigé par David Jurberg. Leurs projets sont d'assu-rer une aide scolaire et une perma-nence juridique pour les personnes victimes de discrimination. LES MÉMOIRES DE L'HISTOIRE II faut se servir du passé pour construire l'avenir. A travers les li-vres de l'histoire, avec un grand H. Ils comblent leurs lacunes et font revivre le passé. Après "La liste de Schindier", Spielberg dénonce l'es-clavagisme et signe un grand film émouvant qui illustre un épisode

méconnu de l'histoire américaine. Ce film relate la vie de ces êtres déracinés embarqués de force à bord d'un navire "L"Amistad" pour devenir des esclaves. "Considérant que l'esclavage est un attentat contre la dignité hu-maine" (décret du 27 Avril 1848) et que nous vivons dans un pays dé-mocratique dont les mots "Liberté" "Egalité" "Fraternité" symbolisent la République, il est de notre devoir de nous battre pour conserver ce symbole pour les générations futu-res. Pour cela, nous devons nous opposer au racisme, à la souf-france, à l'exclusion, à la discrimi-nation et comme le dit très bien la Vice-Présidente de SOS Racisme : "Nous nous interdisons de baisser les bras pour ne pas donner les CLEFS à ceux qui sont anti-humanistes".

Extrait de la Marseillaise Du 5/05/98

Reportage réalisé par les élèves de 1ère STT G, Lycée Jean Monnet à Vitrolles.

Avec le concours de G. PERRIER, (Professeur de Français)

et les conseils de R. BARBIER, (Journaliste).

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RACISME ET ÉDUCATION?... LES LYCÉENS SE PENCHENT SUR LA MÉMOIRE

DES DÉPORTÉS

Dans le cadre de la semaine d'éducation contre le racisme, les élèves ont rencontré des rescapés de la déportation qui leur ont délivré un message humainement très riche. Quand Maxime s'est installé à la place du professeur, face à tous les élèves volontaires pour le rencontrer, il y a eu un grand silence dans la classe. Une élève est intervenue pour le présenter à ses camarades : "Maxime An-telin est rescapé du camp d'Auschwitz. Il nous a servi de guide lors du voyage de la mémoire". Et Maxime a raconté sa terrible histoire, la voix calme et posée entrecou-pée de silence : "Je vivais heureux dans un quartier de Paris où il y avait plein d'immigrés : des Polonais, des Italiens, des Marocains... Nous vivions tous en harmonie et en bonne intelligence jusqu'à l'arrivée des nazis. Rendez-vous compte qu'un gouvernement de droit a décidé que tel peuple n'avait pas le droit de vivre et que pour la première fois on a tué des mil-lions d'innocents". Maxime est rentré dans la Résistance en 1940: "C'était le lendemain de l'Armistice. J'étais à Vichy et j'ai assisté à la bastonnade de jeunes aviateurs français par des Allemands. Tout ça parce qu'ils portaient leurs uniformes, mais ils n'avaient pas d'autres vêtements que ça. Là, j'ai compris que ces Alle-mands, que tout le monde prenait pour des gens corrects, étaient en fait des salauds". Déporté politique, Maxime a connu l'horreur des camps et a survécu pour raconter. Au même moment, dans une autre classe, Rosine et Samuel Radzinsky ra-contaient aussi leur histoire. Rosine, résistante, déportée le 21 Juin 1942 à cause d'une dénonciation . Elle a perdu son père, sa mère et sa sœur à Auschwitz. Samuel, son époux, a été déporté le 23 Juin 1943 à Birkenau. Tous les deux se considèrent comme des miraculés. LE FLÉAU du RACISME Dans les deux classes, c'était le même silence et la timidité des élèves qui n'ont pas osé poser de questions. Mais tous ont reçu le même message : "Vous êtes l'avenir, vous êtes sur terre pour être heureux et sachez que le racisme est une des causes les plus mortelles du XXème siècle". Maxime, Rosine et Samuel se battent chaque jour, se rappellent les pires moments de leur existence pour que l'horreur qu'ils ont vécue, plus per-sonne n'ait à la vivre. "Sur terre, il y a une seule race, c'est la race humaine. Sa diversité c'est sa richesse. Souvenez-vous qu'il y a plus de 50 ans, des gens ont tué parce qu'ils étaient persuadés d'une inégalité entre les races". Tels étaient pour tous, les mots de l'espoir et de la fin.

Extrait du Journal "LA PROVENCE" Du 30/3/97

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RACISME ET ÉDUCATION?...

DE JEUNES COLLÉGIENS ET LYCÉENS

À LA DÉCOUVERTE DES

PEUPLES DU MONDE

"J'ai pu découvrir des peuples dont je ne connaissais pas l'existence, et rencontrer d'importantes per-sonnes comme Monsieur CHICHLO, chercheur au CNRS... Personnelle-ment, je suis "tombé amoureux" des Yakoutes... Ce que j'ai préféré, c'est la rencontre Gabon-Tahiti au Cocktail de Folklore, où nous avons pu poser des questions à quelques artistes et dirigeants des ensem-bles invités. C'était "génial !" (Jean-Christophe, élève de 4ème). Un témoignage qui montre que la rencontre de l'autre, lorsqu'elle est préparée, peut déboucher sur des expériences peu communes. Si la xénophobie vient souvent de la peur de l'autre, et si cette der-nière est souvent provoquée par l'ignorance, nous pensons que per-mettre à des élèves de découvrir d'autres peuples, d'autres cultures, peut contribuer à un meilleur ap-prentissage de la tolérance. L'op-portunité nous est donnée, à Mar-tigues, de mieux connaître, mieux comprendre ces différences qui nous enrichissent et de rencontrer

physiquement ces gens venus, parfois, du bout du monde. De l'origine du projet... Chaque été, Martigues est, depuis 9 ans, le "Théâtre des Cultures du Monde". Le Festival reçoit habituel-lement une douzaine d'ensembles de danse et de musique des 5 continents, et, pendant une se-maine, la ville vit au rythme du Festival. Quelques 450 bénévoles préparent, une année durant, la semaine de rencontres, d'échan-ges, de fête et de "fraternité" entre les peuples. Le Collège Marcel Pagnol ouvre ses portes au Festival, depuis plus de sept ans, pour la restauration des groupes. Lors-que la Direction du Festival a solli-cité le CDI du Collège, en septem-bre 1995, pour la recherche docu-mentaire sur les pays et les peu-ples des ensembles invités, néces-saire à la plaquette programme, la proposition a paru immédiatement intéressante. Une possibilité s'of-frait aux élèves de participer à l'aventure...

Emmanuelle GRILLI-AYMES, Documentaliste.

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RACISME ET ÉDUCATION?...

... à sa mise en œuvre au collège... ,- Le cadre péri-éducatif s'est tout na-turellement imposé pour ce type d'activité. Un Club "Peuples du Monde" a été créé dans le cadre du Foyer Socio-Educatif, animé par une documentaliste et la conseillère principale d'éducation. Le Club a fonctionné toute l'année les vendredis de 13 à 14 heures, avec une quinzaine d'élèves. S'ils ont constitué avec beaucoup d'inté-rêt des dossiers documentaires sur les pays et les peuples invités, très rapidement l'idée de petites exposi-tions a pris corps. On pouvait ainsi répondre à la de-mande et la dépasser. Et dépasser les objectifs que s'était fixé le club ! Car faire une exposition, même ré-duite à quelques panneaux, suppose que l'on s'approprie un certain nom-bre des informations ainsi collec-tées. Par ailleurs, une exposition fi-nalise et donne plus de sens aux ac-tivités de recherche, en informant d'autres personnes, élèves de l'éta-blissement ou d'autres collèges, fes-tivaliers..., sur les caractéristiques des pays et des peuples qui ont marqué, en partageant des coups de cœur.

Ces expositions pouvaient devenir un support intéressant pour les ani-mateurs de Cocktails de Folklore et Levers de Rideau. Ces animations, dont la vocation est de mieux faire connaître les pays, les ethnies, les coutumes et traditions, sont particu-lièrement appréciées du public et représentent, avec les spectacles, des temps forts et privilégiés de la programmation. Mais le nombre relativement res-treint d'élèves et d'heures sur ce projet n'a permis de couvrir que 5 pays sur 12 : l'Argentine, la Chine, le Gabon, la Grèce, la Yakoutie- République Sakha. Pour chacun d'entre eux, il a été possible de ré-aliser une carte d'identité de 2 ou 3 panneaux, et un ou deux coups de coeur (le tango pour l'Argentine, l'oralité et les masques pour le Ga-bon, le chamanisme pour les Sak-has, à titre d'exemples). Le CDDP 13, intéressé par le travail réalisé, a sollicité l'établissement et a permis la circulation des panneaux dans les collèges du département. ... et pendant le Festival L'aboutissement de ce travail ne pouvait être que la participation ac-tive des élèves au Festival, envisa-gée d'un commun accord par les or-

Emmanuelle Grilli-Aymes

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ganisateurs et les animateurs du Club : participation aux spectacles du soir et aux échanges, aux ren-contres. Pour cette première expé-rience, la participation ne put être que très limitée, en raison de la pé-riode de vacances scolaires et du nombre restreint d'élèves au Club. Si davantage d'élèves ont pu assis-ter aux spectacles, seuls deux sont intervenus plus activement, à une rencontre-débat et à une rencontre plus informelle avec Monsieur Boris CHICHLO, Directeur des Études Si-bériennes à Paris. Ce dernier, contacté par le Club à des fins de documentation, a bien voulu accep-ter l'invitation conjointe du Club et du Festival. Jean-Christophe a eu l'occasion de vivre des moments forts, en particulier lorsque l'ethno-logue a retrouvé le chaman qu'il avait rencontré un an auparavant à Yakoutsk, lors d'une mission dans le Grand Nord Sibérien. Quelle récompense aussi de voir son travail apprécié des festivaliers ! Les expositions ont en effet connu un vif succès. ... à son extension : aujourd'hui un projet inter-établissements Le projet a séduit. Pour l'année 96-97, le Club, toujours animé par la documentaliste et la conseillère principale d'éducation, a été renfor-cé par deux classes de 5ème et leurs professeurs d'Histoire-Géographie qui ont participé dans le cadre de l'Education Civique. En-semble, une soixantaine d'élèves et quatre adultes se sont lancés dans

l'aventure et ont réalisé, non sans difficultés, une exposition de 67 panneaux sur les 12 pays invités. Une quinzaine d'élèves ont ensuite pu vivre pleinement le Festival, as-sistant aux spectacles, rencontrant des intervenants culturels et en de-venant même de réels "ambassadeurs" de certains pays, en les présentant oralement aux groupes et aux festivaliers. Pour l'année 97-98, compte tenu de l'expérience positive de deux an-nées, de la nécessité de travailler la citoyenneté dans la durée, de la montée de l'intolérance et de la de-mande émanant des élèves, le col-lège a souhaité reconduire absolu-ment le projet, le partager avec d'autres établissements et l'ouvrir même sur les quartiers avec les centres sociaux. Aujourd'hui, c'est plus de 350 élèves de 5 établissements scolaires (tous les Collèges de Martigues : Honoré Daumier, Gérard Philipe, Marcel Pa-gnol, Henri Wallon et le Lycée Mon-grand de Port-de-Bouc) et une tren-taine d'enseignants et animateurs divers qui sont partis avec enthou-siasme à la découverte de peuples, de minorités et de pays dont cer-tains sont inconnus ou mal connus de la plupart d'entre nous : après les Iakoutes, les Oudmourtes, les Sorabes, cette année nous arrivent les Kalmoukes vivant dans la Fédé-ration de Russie. Et que savons-nous des autres pays ou régions comme l'Irlande, le Québec, la Galice, les Philippines ou la Co-lombie en dehors de quelques cli-chés ?

Emmanuelle Grilli-Aymes

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RACISME ET ÉDUCATION?...

Aujourd'hui, une bonne répartition du travail s'est engagée, chaque établissement travaille sur un nom-bre de pays plus restreint avec le souci de mieux le connaître et de mieux le faire connaître. Des ren-contres avec des spécialistes ou des ressortissants de ces pays pendant le temps scolaire permettent de mettre des visages sur les sujets de recherche, de mieux comprendre ces peuples parfois si différents. Ainsi, Sonia Bembinoff, d'origine kalmouke et vivant dans le Val de Marne, personnage principal d'un documentaire télévisé, va venir à la rencontre des élèves et des futurs festivaliers courant mai. Grâce à ces témoignages à ces rencontres, aux recherches documentaires les plus diverses, utilisant les nouvelles technologies, CD ROM, INTERNET, les élèves travaillent à la confection de panneaux d'exposition, auxquels les festivaliers sont maintenant ha-bitués et qui deviendront les sup-ports indispensables des animations comme "Cocktails de folklore" et "Passerelles", les élèves prenant une place de plus en plus grande dans ces animations culturelles. Des établissements ont même élargi le projet avec un volet "cuisines du monde" en relation avec les centres sociaux , une action humanitaire en

direction de la Moldavie ou envisagé la fabrication d'un planisphère géant. Donner des responsabilités et une réelle place aux élèves dans ce pro-jet, accueillir favorablement leurs propositions, finaliser et socialiser leurs travaux, leur faire prendre conscience que "différence égale ri-chesse", en ne se contentant pas d'une découverte livresque sont les objectifs qui nous permettent de ne pas nous limiter à des déclarations d'intention, dans le domaine de la citoyenneté. Un champ d'action privilégié, quand on voit avec quelle facilité les jeunes prennent parfois certaines positions extrêmes et intolérantes, mais aussi une oeuvre de longue haleine. Si les changements ne peuvent être im-médiats, la rencontre avec l'autre nous permet de vivre des émotions qui marquent, de vivre la diversité des cultures, des "cultures métisses et voyageuses" qui, selon Carlos Fuentes, sont "notre plus grande, notre ultime richesse".

Emmanuelle GRILLI-AYMES, Documentaliste,

Collège Marcel Pagnol de MARTIGUES.

Emmanuelle Grilli-Aymes

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RACISME ET SOCIÉTÉ

RACISME ET XENOPHOBIE :

UNE SOCIÉTÉ MALADE

"Le danger est qu'une civilisation se mette un jour à produire des bar-bares nés de son propre sein à force d'avoir imposé à des milliers de gens des conditions de vie qui, en dépit des apparences, sont les conditions de vie de sauvages" . Quand on lit cette phrase d'Hannah Arendt, on pense immédiatement bien sûr à ces millions de laissés-pour-compte de notre société, à tous ceux qui ne trouvent plus leur place en son sein, tous ceux qu'on expédie d'un mot dans la catégorie des "sans", avant de retourner à sa télé ou à son portable. Le nombre de Français en dessous du seuil de pauvreté (3800 F/mois/ménage), sans compter les SDF, a doublé en dix ans, révèle l'INSEE en Avril 98. Une société qui n'est plus capable d'offrir à chacun ce à quoi il a droit est près de sa décomposition. "La grandeur d'âme si l'on excepte le lien social et l'union entre les hommes n'est plus que sauvagerie et brutalité" disait déjà Cicéron. Et cette sauvagerie n'est-elle pas déjà à l'œuvre, quand la situation de certains établissements scolaires se dégrade tellement qu'aux dires de ceux qui y vivent la vie y devient

impossible ? La sauvagerie n'est-elle pas présente quand des em-ployés du service public, chauffeurs de bus, pompiers, enseignants, po-liciers, sont agressés dans l'exer-cice même de leurs fonctions au service du public ? N'est-ce pas elle qui s'impose dans certaines cités où vivre devient un enfer pour ceux qui ne peuvent y échapper ? Notre société est bien atteinte d'une maladie sournoise qui couve sous une fièvre larvée, qui ne se révèle pas seulement lors de faits divers. Sous la poussée de la trans-nationalisation incontrôlée, c'est le monde politique qui éclate : la Droite n'a plus de repères, la Gau-che n'a guère d'idéal ni de stratégie à proposer, les uns et les autres semblant n'avoir plus comme seule préoccupation que l'occupation du pouvoir, mais pour y dire leur im-puissance! L'Etat-Nation se brise : son pouvoir économique se réduit en peau de chagrin (et l'A.M.I.1 prétend lui donner le coup de grâce), ses pouvoirs régulateurs s'amenuisent quand ils ne sont pas carrément abandonnés, l'identité nationale se trouble, la décentrali-sation crée de nouvelles baronnies, de nouvelles cléricatures exercent

Toni PRIMA

A.M.I. : Accord Multila-téral sur l’Investisse-ment qu’Edgard Pisani a qualifié de « coup d’états de l’OCDE », en discussion en 1997-98 il ne semble pas s’être concrétisé.

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dans l'ombre le pouvoir, à leur seul profit et au profit de leurs alliés d'un instant. Et "se non e vero... " c'est au moins ainsi que le perçoi-vent nombre de citoyens (aux Ré-gionales de Mars 98 alors que les formations républicaines, Droite et Gauche confondues, recueillaient 16 millions de voix, 21,5 millions d'électeurs leur refusaient2 leurs suffrages (16 millions d'absten-tions, 3 millions de non-inscrits et 2,5 millions de votes blancs, nuls ou inutiles), et nous ne dirons rien de celles qui se sont portées vers le fascisme. Cette société qui n'a plus confiance au lendemain est bien proche des bouleversements qui ont dû attein-dre l'humanité lorsque, il y a envi-ron sept mille ans, abandonnant la nomadisation et la cueillette elle découvrait l'élevage, l'agriculture, la sédentarisation, et la guerre. Cette société devait perdre rapide-ment tous ses repères et sans doute en inventer d'autres à la hâte. Une hâte qui s'étala tout de même sur quelques milliers d'an-nées ! Il en va tout autrement au-jourd'hui où toutes les valeurs qui semblaient fonder notre société entrent en crise : valeurs sociales (sens du travail, du collectif, de la famille... ), valeurs morales (qu'incarnerait le "new âge", un jouir bien éloigné de l'austérité épicurienne, un égoïsme aux anti-podes des valeurs prônées depuis les stoïciens et les chrétiens... ), valeurs politiques (comme outil d'intervention sur le monde et as-surant au moins une sécurité rela-tive), valeurs d'enracinement dans le local, le national. Cette société qui n'a plus confiance en elle-

même en arrive à se renier elle-même en pratiquant le repli straté-gique sur l'individu, et l'indiffé-rence aux malheurs du monde contre lesquels elle se sent telle-ment impuissante, et manipulée. La malade, privée pour partie de ses réflexes immunitaires, se voit proposer deux solutions : les inté-grismes et le fascisme habillés tous deux de racisme et de xéno-phobie. Le remède paraît convenir puisqu'il est le seul présenté et qu'il a l'avantage d'apparaître in-dolore. Qui a l'air seulement, car en réalité il taraude la vie de tous, même des racistes. Le racisme et la xénophobie ne sont pas une nouveauté dans notre histoire ; c'est trop souvent que notre pays en particulier a déjà été tenté par leurs sinistres sirènes. Le racisme s'inscrit dans notre his-toire, et il est aussi, hélas, fils des Lumières, par le scientisme et ses dérives du XIXe siècle, et c'est dans l'anthropologie qu'il a trouvé ses justifications. Il s'est exprimé dans l'eugénisme (en 1945 l'INED, dirigé par Alfred Sauvy, dans la filiation d'Alexis Carrel, conseillait d'utiliser une partie de la popula-tion masculine musulmane mais en déconseillant les "croisements" donnant des produits "tarés" et proposait une politique nataliste dans la même logique). C'est le racisme qui a permis l'esclavage (que Condorcet condamnait avec la dernière vigueur mais dont il souhaitait temporiser l'interdiction pour ne pas créer de troubles), le colonialisme (en faveur duquel Ju-les Ferry déclarait que " les races supérieures ont un droit sur les ra-

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2 Si les votes blancs indiquent bien un refus du choix proposé, l’inter-prétation des abstentions est beaucoup plus déli-cate.

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ces inférieures (...) un droit parce qu'il y a un devoir (... ) de civiliser les races inférieures"). C'est dans les séquelles du colonialisme que plus ou moins consciemment il s'alimente. C'est dans notre in-conscient culturel qu'il trouve la braise où s'enflammer (l'histoire que nous avons apprise, les films où l'Arabe était toujours fourbe, le Noir idiot, et le Jaune inquiétant, les livres dans lesquels a été bercé notre imaginaire enfantin... ). C'est lui qui a permis à la France de par-ticiper à la Shoah. Mais ce racisme, conceptualisé et actualisé par le GRECE3 et le Club de l'Horloge4 qui étendent leur in-fluence bien au-delà des cercles de l'extrême-droite, n'a pas qu'un fa-cette. Il se revendique à la fois du biologique, en refusant le métis-sage, du culturel sous prétexte d'assimilation impossible, du politi-que au nom de la Nation, de la morale en exaltant la différence (mais sans passerelle possible), de l'honneur (au nom de la revanche à prendre contre l'histoire), de la civilisation dans un combat sans merci, de la religion, ou plus géné-ralement du mythe (arien bien en-tendu). Le racisme fonctionnant essentiellement sur les clichés de notre inconscient révèle une re-cherche maladive de pureté, qui ne peut trouver à s'exprimer que par l'exclusion, l'expulsion, la destruc-tion. La xénophobie hélas n'est pas non plus une nouveauté : 1815 massa-cre des Mamelouks à Marseille ; 1881 "Vêpres Marseillaises"; 1893 massacre d'Aigues-Mortes ; affaire Dreyfus ; les années 30-40, exac-tions des Ligues et l'apothéose de

Vichy. Elle n'est qu'une des ex-pressions du racisme traduisant la peur de l'Autre qui menace mon identité physique et culturelle, en me rappelant par trop mon passé de nomade et mes risques de dé-chéances possibles, me renvoyant l'image du barbare que je ne veux plus être. L'étranger me gêne donc dans ce qu'il me montre. (Il est remarquable de noter que le mot "étranger" ne fait son apparition dans nos dictionnaires qu'à la toute fin du XIXe, en 1876 dans le Littré et en 1888 dans le La-rousse). Montaigne disait déjà que "Chacun appelle barbare ce qui n'est pas de son usage". De charter en seuil de tolérance, de problème en odeur, d'accueil de misère du monde5 en invasion, le racisme fait son chemin, s'est ba-nalisé, a gangrené tout le corps social. Quant au nationalisme, ex-primant un besoin d'identité (qui serait culturelle, indélébile, acquise de naissance et génétique donc forcément héréditaire) il ne cesse d'errer aux frontières du racisme. Mais racismes et xénophobie ne sont pas que des idées. Des cimetières juifs sont profanés. On vend des insignes nazis (le chevalier blanc de la Nation, Le Pen, a vécu des années, avant de miraculeux héritages, du négoce des chants nazis par sa maison d'édition la SERP), on crie des slo-gans racistes sur nos stades, des groupes armés existent. L'affaire de SOS-Toulon, ou les attentats de Cagnes-sur-Mer sont déjà loin dans nos mémoires.... Racisme et xénophobie ont tué, ils tuent en-core (entre 81 et 88 : 104 tués, et Ibrahim Ali a été abattu à Mar-

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3 Né en 1968, le Grou-pement de Recherche et d'Études pour la Civilisation Européenne se veut un laboratoire d’idées d’une « nouvelle droite », en fait une droite ex-trême ; il prône un néo-paganisme qui se veut Nietzschéen. 4 Le Club de l'Horloge a été fondé, en 1974, avec le soutien du ministre de l'Intérieur, le prince Michel Ponia-towski dans le but de faire passer dans la droite classique les théories du GRECE. 5 La phrase de Michel Rocard a été amputée car s’il disait que la France ne peut accueil-lir toute la misère du monde, elle devait en prendre toute sa part, ce qui change quelque peu le sens de la phrase.

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seille, d'une balle dans le dos, par des colleurs d'affiche du FN le 21.1.95). Racisme et xénophobie sont aussi en train d'assassiner la République avec l'aide d'une démocratie molle ; le système immunitaire fonctionne mal parce que nous avons oublié peu à peu les idéaux qui ont déterminé le choix de ce régime parmi tant d'autres possi-bles, quels principes avaient guidé les hommes de 89. Il ne serait sans doute pas inutile de nous les remémorer avant de proposer quelque issue. Les fondateurs de la République les ont énumérés dans un texte essentiel : la Déclaration des Droits de l'Homme qui proclame que "L'ignorance l'oubli et le mé-pris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouverne-ments" et qu'elle est établie afin de rappeler "sans cesse leurs droits et leurs devoirs". Ils sont résumés dans une devise "Liberté, égalité, Fraternité". Ils affirmaient ainsi que seule la loi fondée sur la Raison, respectueuse de valeurs, peu nombreuses mais incontournables, pouvait assurer "bien plus qu'un nation, une frater-nité vivante" comme l'écrivit Mi-chelet, c'est-à-dire harmoniser les intérêts particuliers et ceux de la collectivité. Qu'est-ce que les droits de l'Homme sinon le refus de toute exclusion par le fait de la reconnaissance en tout être hu-main d'un être, digne de respect "pour la seule raison, disait déjà Cicéron, qu'il est homme" entrete-nant avec ses semblables des rap-ports d'égalité n'excluant pas le

droit à la différence, pleinement responsable de ses actes, afin de s'éloigner de l'état initial de barba-rie pour aller vers une civilisation toujours en devenir ? Les trois termes indissociables de la devise républicaine se sont sans doute trop usés sur nos pièces de monnaie. Quand la liberté se transforme en laxisme, quand elle signifie le droit de prendre son pied en jetant un Marocain dans la Seine, ou de cra-cher par terre dans une salle de classe, quand elle a oublié qu'elle était aussi un devoir donnant sens à la responsabilité, lorsqu'elle s'ex-prime par de la violence ou de l'in-civilité, ou qu'elle ne sait plus ce que signifie le respect dû à autrui, quand elle signifie le droit pour certains d'exploiter les autres, et qu'elle oublie égalité et fraternité elle n'est plus Liberté. Quand différence signifie inégalité et qu'inégalité signifie infériorité pour l'un et supériorité pour l'au-tre, quand le droit à la différence est contesté, et que l'identité de chacun est fixée par l'autre, quand la pseudo loi du darwinisme social à la mode Club de l'Horloge pré-tend illusoire tout espoir d'égalité, et ramène toute société humaine à une jungle, alors l'Égalité n'est plus cet objectif que se donne la société pour réduire la part de lo-terie qui échoit à chacun d'entre nous pour tendre vers plus de jus-tice. Quand la fraternité tolère l'exclu-sion, le mépris, la haine, quand elle prétend faire cohabiter deux tribus, celle des "sans" et les au-tres, quand le mot de partage fait rugir les nantis, quand Elisée Re-

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clus paraît hors du temps lorsqu'il écrit que "Prendre définitivement conscience de notre humanité soli-daire, faisant corps avec la planète elle-même, embrassant du regard nos origines, notre présent, notre but rapproché, notre idéal lointain, c'est en cela que réside le pro-grès", quand on n'accepte l'Autre que pour l'exploiter ou aller le pil-ler et qu'on lui ferme la porte au profit de nos petits fantasmes d'in-vasion, quand on se résout à la misère du monde, alors la fraterni-té n'est plus qu'un oripeau. Quand enfin ces trois termes ne forment pas un tout indissociable, alors ils ne signifient plus rien car l'un ne se justifie que par les deux autres. L'état trouve sa justification dans sa mission d'harmoniser les inté-rêts particuliers avec ceux collec-tifs en organisant le dialogue, la confrontation, le choix démocrati-que, en restant à l'écoute de ses acteurs, en assurant l'exécution des décisions de la majorité avec le souci de toutes ses minorités, en sanctionnant avec équité tous ceux qui transgressent la loi, tous même ceux qui sont plus près de ses rouages. Et c'est dans le cadre de cette loi qu'il fixe les limites du tolérable (encore convient-il de distinguer la tolérance envers les opinions et la tolérance envers des actes), en appliquant la loi, toute la loi, rien que la loi dont il est le gardien. Autrement dit il a pour mission de mettre tout en œuvre pour réaliser au mieux les princi-pes de liberté, égalité, fraternité.

Alors le slogan populiste du "moins d'état" est criminel car il prétend nous renvoyer à la horde primitive soumise au chef-sauveur autopro-clamé par la force. Un État républi-cain ne peut tolérer que "les droits de l'homme s'arrêtent devant la raison d'État" (Pasqua) et se joint à la voix de Montesquieu qui écrit : "Si je savais quelque chose qui fût utile à ma patrie et qui fût préjudi-ciable au genre humain, je le re-garderais comme un crime". Car la raison d'Etat ne se confond pas à la Raison qui ne saurait s'assujettir à un quelconque intérêt privé, fût-il d'un État. Seule la laïcité peut garantir le fonctionnement d'un tel Etat res-pectueux de ses principes. C'est elle qui peut faire obstacle aux in-tégrismes, qui rappelle le devoir de tolérance, non comme uniformisa-tion de la pensée mais comme en-tente (au sens d'accorder et d'en-tendre), qui, non seulement res-pecte les différences et la diversi-té, mais les souhaite comme sour-ces d'enrichissements réciproques, parce qu'elle est d'abord doute de soi, et que pour elle toute pensée est mouvement, dialectique, parce que ne se contentant pas de tolé-rer l'autre, elle le recherche et va à sa rencontre. Mais pour qu'un dia-logue soit possible il faut qu'il y ait un minimum de consensus, au moins reconnaissance d'une cer-tain nombre de valeurs commu-nes ; et volonté réciproque de faire un bout de chemin ensemble. Nous nous heurtons à une réalité complexe et nous n'avons même

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plus le luxe du temps pour déve-lopper une réflexion; les médias écrasent toute pensée sous leur rouleau compresseur; les partis dont ce devrait être pourtant la fonction d'ouvrir des perspectives, ne sont plus assez crédibles, et leurs dénonciations du FN ne sont plus perçues que comme stratégie. Et pourtant il y a urgence à couper l'arrivée d'oxygène sur ces braises de tous les dangers. Face à la confusion intellectuelle, la priorité devrait consister à dé-monter les mensonges, repréciser des mots en redonnant tout leur sens à ceux qui ont été pervertis, élaborer du sens, en dénonçant les dangers du " bon sens populaire " qui de tribun en populisme a déjà montré où il pouvait mener. Il y a donc urgence à renforcer l'esprit démocratique, à favoriser son expression, en permettant une authentique fer-mentation des idées (osons repar-ler capitalisme, lutte des classes, idéal humain ; montrons que la mondialisation nuit plus à notre identité que le musulman du pa-lier), agissons pour développer le civisme, et responsabiliser le ci-toyen ; et ce n'est pas certaine-ment pas en utilisant au cours de campagnes électorales les moyens de la publicité qu'on y parviendra, parce qu'en fonctionnant sur l'émotionnel, le refoulé, ils nous renvoient aux antipodes de la Rai-son consciente, contradictoire, dia-lectique. Le discours antiraciste doit tenir compte de la façon dont les gens se vivent agressés et non

se référer à un racisme biologique qui pour être celui de quelques idéologues n'est pas leur pro-blème, car le problème est moins racial, que culturel et social. A la Sparte austère et belliqueuse, peu soucieuse de l'individu, oppo-sons l'Atlantide de Condorcet qui repose sur le Droit, la Paix, la Laï-cité, les Lumières, l'Individu, l'Ins-truction Publique. Rappelons que la République, souci de la chose com-mune, ne se réduit pas à la démo-cratie. Montrons que les Droits de l'Homme, parce qu'ils expriment des droits à partager expriment par là même leurs devoirs. Recon-naissons avec St. Thomas qu' "Une loi qui n'est pas juste n'est pas une loi". Revendiquons notre idéal de nation mais qui ne soit ni une ethnie, ni entité d'essence biologique, ni source d'exclusion, ni égoïsme, ni bellicisme ; mais au contraire ma-nifestation de la solidarité, associa-tion volontaire d'essence pluri-culturelle, (d'une culture considé-rée construction permanente, plu-tôt qu'héritage, car une nation ne se réduit pas à une culture mais se définit en termes politiques, d'une manière qui intè-gre la diversité des cultures pas-sées, présentes et futures), résul-tat d'un projet commun pour maî-triser son destin, respectueuse de l'individu, et accordant à tous, toute leur place, et y compris à la femme en qui nous voyons un au-tre rôle que celle de pondeuse, aux fourneaux, au service du mâle.

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C'est par mon attachement à une nation que je me rattache à l'uni-versel ("qui est sans appartenance est sans universel", mais cet uni-versel est le résultat de particulari-tés incluses l'une dans l'autres et les transcendant). "Si je peux par-tager aujourd'hui avec un non Ka-nak ce que je possède de culture française, il lui est impossible de partager avec moi la part d'univer-sel contenue dans ma culture" (Tjibaou6). En ce sens mon identité est multiple : à la fois professionnelle, "ethnique", fami-liale, confessionnelle, de sexe, de classe, de quartier, de région… Et parce que précisément elle est multiple elle ne saurait se résoudre dans un quelconque communauta-risme. Nul ne saurait donc me dé-créter une appartenance ou contester ma différence qui seule me permet de penser ma place. "Tu es mon frère parce que nous sommes différents" écrit Breiten Breitenbach. Mais ce combat d'idées il faut aussi il faut aussi le mener sur le terrain du politique, des institutions, des associations. Le Pen se proclame volontiers "le seul capable de faire rêver". Mais pour que ce rêve ne se transforme pas en cauche-mar il importe, qu'en face, de véri-tables politiques alternatives voient le jour, que de véritables projets de société soient présentés aux citoyens ; c'est assez dire que nous ne sommes pas pour un confus front républicain, mais que nous estimons au contraire que

c'est par un net clivage Droite/Gauche que doit passer le débat démocratique, que pour sortir du sentiment d'impuissance des solu-tions doivent être proposées concernant notre rapport au capi-talisme, qu'il nous appartient de déterminer démocratiquement quelle importance une société en-tend accorder aux puissances fi-nancières et de quels moyens elle entend se doter pour sortir de l'emprise de l'économique (le dé-bat que la société civile prétend assumer à propos de l'A.M.I est significatif ; le projet de création autour du Monde Diplomatique d'une A.T.T.A.C. pour contrôler les flux financiers est aussi une autre perspective d'action). Si c'est notre système social qui est porteur d'inégalités, et producteur d'un quart-monde, alors c'est bien lui qu'il faut remettre en cause. Si c'est l'injustice énorme qui partage le monde entre nantis et crève-la-faim, alors c'est bien le problème du tiers-monde qu'il faut accepter de prendre à bras le corps. Enfin "si nous n'héritons pas la terre de nos parents, mais l'empruntons à nos enfants", nous ne pouvons fuir les problèmes que soulèvent l'éco-logie, considérée non comme la défense de mon carré de pâqueret-tes, mais dans le sens d'un par-tage et d'un rééquilibrage qui im-pose de maîtriser la mondialité. Il est non moins urgent de tourner le dos aux dérives de monarchie républicaine qui se sont instaurées depuis 1958, de réactiver le débat politique et d'amener le citoyen à

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6 Jean-Marie Tjibaou, né en 1936 à Tienda-nite (Nouvelle Calédo-nie), d'abord prêtre, avant de devenir le leader du Front indé-pendantiste qui de-viendra le FLNKS en 1984. Signataire des accords de Matignon avec Jacques Lafleur, président du RPCR, sous l'égide de Michel Rocard, il est assassi-né le 4 mai 1989 par un indépendantiste opposant.

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s'emparer des questions de bioé-thique, d'eugénisme, d'immigra-tion, de sécurité pour les débarras-ser de leurs fantasmes et en faire des questions citoyennes et non des enjeux de tactiques politicien-nes. Exigeons une politique d'in-sertion généreuse, ouverte et ferme ; et pour ce faire accordons sans délai le droit de vote à ceux qui contribuent à la richesse natio-nale (l'abolition de la peine de mort n'a-t-elle pas été imposée à une opinion "qui n'y était pas pré-parée") ; refusons des reconduites à la frontière, et des mesures dis-criminatoires faisant de tout étran-ger un suspect, un coupable en puissance, indignes du pays des Droits de l'Homme ; cessons de dresser des obstacles artificiels et anticonstitutionnels à la construc-tion de mosquées ; imposons à tous nos services publics (police, justice, école, services sociaux...) des attitudes exemptes de toute apparence raciste et exigeons à l'égard de leurs serviteurs le res-pect qui leur est aussi dû. Persua-dons nos concitoyens que l'éduca-tion et la prévention doivent précé-der la sanction. Cherchons collecti-vement des réponses aux ques-tions qui nous sont posées concer-nant le droit de chacun à la sécuri-té sans les réduire aux problèmes de délinquance mais englobant aussi le droit à un travail et à un salaire assurant la place de chacun dans le corps social. Nous ne pour-rons éviter plus longtemps la ques-tion de la répartition des revenus, passant en particulier par la baisse

du temps de travail. En un mot, contre une pensée molle bannis-sant toute réflexion, imposons le débat démocratique qui peut s'ex-primer en démocratie non seule-ment par le vote (et pour cela stig-matisons l'abstentionnisme), mais aussi par l'interpellation de l'élu (exigeons des comptes !), le droit à pétition, la grève, la manifesta-tion. Décembre 95 n'est-il pas la preuve que des citoyens peuvent s'emparer de leurs préoccupa-tions ? Une démocratie a besoin de syndi-cats puissants, assurant à nouveau leur part d'intégration, participant aux combats d'idées, mettant en œuvre la solidarité plutôt que de mesquins intérêts corporatifs qui n'en sont que la caricature, sou-cieux de la défense des salariés et des chômeurs, plutôt que de quel-ques privilèges. L'indispensable in-ternationalisation de la lutte dans la mondialisation des problèmes les rend plus que jamais nécessai-res. Dans cette lutte contre la montée idéologique de la haine, l'école a un rôle primordial, parce qu'elle est le creuset de la Nation, qu'elle devrait être le lieu où le petit d'homme apprend qu'il a dans la société une place mais que sa place (il cesse d'être ce centre d'un monde pour y devenir acteur d'une collectivité et à ce titre ne saurait confondre liberté et laxisme), qu'elle devrait être le lieu où se met en place le système immuni-taire dont toute société a besoin et qui défaille présentement. Ses fi-

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nalités doivent être rappelées : permettre l'accès à la connais-sance et l'acquisition des outils né-cessaires à la construction d'une culture, développer les capacités de critique et l'écoute attentive de l'Autre, former à la citoyenneté, ouvrir à l'humanisme. Les pro-grammes devront être repensés en fonction de ces objectifs : l'histoire devra enseigner aussi les dérives que notre pays a connues dans le passé (le colonialisme. Vichy... ) ; l'histoire des religions, l'apprentis-sage de la lecture de l'image de-vront y trouver une juste place. Mais également parce que l'éthique et la démocratie ne sont pas que des mots mais des actes, elle de-vra s'efforcer de faire participer l'enfant aux décisions qui le concernent (coopératives authenti-ques, conseils de classe, droit de parole et de contestation reconnu dans des structures lui garantis-sant ce droit, sans négliger la né-cessité de le préparer à de telles responsabilités...). Cicéron disait-il autre chose en déclarant : "Avant l'étude et le devoir d'apprendre, il faut placer les devoirs de justice qui touchent à l'utilité des hom-mes ; et rien pour un homme ne doit venir avant cette activité". Mais rejoignant Condorcet qui sou-haitait "une instruction continue, universelle pour tous les citoyens en âge adulte", nous ne pouvons que souhaiter que se développe un puissant mouvement associatif dans l'ensemble du territoire. Nous refusant à restreindre son champ à ces associations qui fleurissent

pour défendre un intérêt particu-lier, et sans nier leur rôle dans le fonctionnement de la démocratie, nous l'élargirons au contraire à tout le secteur de l'éducation po-pulaire, où se démènent ces "socio-culs" qu'il fut de bon ton de dénigrer, qui poursuit l'apprentis-sage de la vie démocratique à condition qu'il en ait le souci : ce sont des lieux de rencontre, de partage, de découverte, de débat, de convivialité indispensable (ce qu'a bien compris le FN). Ces foi-sonnantes associations parce qu'elles sont des lieux de proximi-té, s'emparant des questions de logement, d'emploi, d'animation, d'écoute, de soutien, de partage, redonnant souffle de vie à des dé-serts d'humanité que sont trop souvent nos cités, peuvent être des lieux où trouvent à s'exprimer les solidarités latentes (je pense en particulier au réseau des "Ecoles Solidaires" parti de l'Ecole Buffon dans la ZEP de Colombes de la banlieue Nord de Paris quand l'analyse des difficultés scolaires et la mise en place des synergies de divers acteurs, ont permis d'obte-nir en Novembre 88 le relogement de 24 familles). Les associations sont des lieux de contre-pouvoirs possibles, susceptibles de remplir un salutaire rôle de contre-propositions, des lieux où peuvent se vivre et s'assumer les différen-ces et la pluralité, des lieux de l'exercice de la démocratie de proximité, à condition qu'elles ac-ceptent de s'y astreindre dans leur organisation, leur fonctionnement,

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le contrôle des finances, l'exercice des pouvoirs et qu'elles ne se ré-duisent pas à l'offre de services, ou pour le dire autrement qu'elles permettent de penser l'universel à partir de l'appartenance, en dépas-sant la somme des intérêts parti-culiers. Il est bien évident qu'elles doivent alors faire toute leur place à l'immigré, à l'étranger, à l'exclu, non par charité ni condescen-dance, mais par devoir issu de nos Droits au nom duquel nous récu-sons racisme, xénophobie et toute forme d'exclusion. Les laïques, et parmi eux ceux qui se regroupent autour de la Ligue de l'Enseignement, entendent par-ticiper à cette lutte ; ils y ont déjà leur place par leurs activités asso-ciatives, par la défense de l'Ecole laïque, par l'édition (cassettes, do-cuments pour la semaine contre la racisme, expositions...), contri-buant au débat d'idées, dans leurs clubs de réflexion (Cercles Condor-cet, Clubs de Citoyens...), et en dehors.

A la déraison dont se nourrissent les extrémismes, nous n'avons que la Raison à opposer, notre foi dans les valeurs de la République, notre espérance de contribuer à amélio-rer le sort de ceux avec qui nous partageons momentanément la Terre. Avec Portalis nous recon-naissons "la Liberté naturelle qu'ont les hommes de chercher partout le bonheur où ils croient le trouver" et avec Cicéron, en 65 avant notre ère, qu' "on a tort d'empêcher les étrangers d'habiter nos villes" et que "tenir compte de ses concitoyens mais non des étrangers, c'est détruire la société du genre humain, et avec elle sup-primer la bienveillance, la libérali-té, la bonté, la justice" sans les-quelles aucune vie ne vaut d'être vécue.

Toni PRIMA Vice-Président de la Fédération des

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"Vous, de toutes façons, on le dit dans le quartier avec les voisines, vous ne vous en prenez qu'aux femmes seules". C'est une grand-mère qui vient dé-fendre son petit-fils, auteur et or-ganisateur d'un vol crapuleux chez les parents d'un camarade de classe ; il a fait vendre, à l'inté-rieur du collège, le butin, par d'au-tres. C'est au Principal qu'elle s'adresse, cette grand-mère. Le-quel Principal lui répondrait volon-tiers que, dans l'établissement, les responsables des enfants sont ma-joritairement des femmes seules. Je me contente de dire fermement que, pour l'heure, son petit-fils a besoin d'une réponse d'adulte à un manquement de conduite grave. Les limites à poser n'ont rien à voir avec la situation privée des pa-rents. La réponse de l'école ne peut être que dans la sanction la plus appropriée. "Pardonne, Madame, pardonne !... Je t'en supplie, Madame !... C'est Noël !..." profère cette mère mu-sulmane à genoux, convoquée pour les méfaits de son fils. Elle a peur du mari qui va la taper parce qu'elle élève mal son fils. Elle re-

part en hurlant les pires menaces, les pires injures, à rencontre de celle qui n'a pas voulu et qui ne peut pas honorer Noël. "Fille de Satan ! Tu hais les Ara-bes !" lâche cette mère, venue dans le cadre de l'entretien obliga-toire, après un conseil de classe de troisième et désaccord entre les vœux des parents et la décision du chef d'établissement. A la procé-dure légale et institutionnelle, mal-gré les règles de l'entretien claire-ment posées, cette femme cherche à opposer une agréable conversa-tion entre copines qui se font du souci pour l'éducation et l'avenir de leurs enfants respectifs. Il fau-drait "donner sa chance" ! Ça ne marche pas . Se déchaîne alors la colère d'une mère contre quel-qu'un qu'elle veut être une autre mère au cœur de pierre et qui plus est, est raciste. "Vous faites du racisme à l'envers" lance un jour, cette autre, dont le fils, le plus métropolitain qui soit, a besoin d'être sanctionné. "Vous ne défendez que les Arabes, c'est pas pour rien qu'on vous a nommée ici..."

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FLASHS DE VIE ENSEMBLE DANS UN

COLLÈGE DE BANLIEUE

"À FLEUR DE PEAU"

Martine TAUSZIG, Principal.

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Ces quelques traces du vécu quoti-dien sont, bien sûr, d'une banalité sans nom. Anecdotes qu'on s'échange entre collègues quand le vase est trop plein. C'est, cepen-dant, pour le moins déstabilisant que de vous entendre opposer, au moment où vous ne risquez pas de vous y attendre, le langage du cli-ché le plus sordide, celui qui vous laisse sans voix et quelque peu dé-couragé. Il est 8 heures du matin, un lundi de Juillet, jour des résultats de l'affectation des élèves de troi-sième. Le couloir de l'Administra-tion est plein de parents qui se pré sentent conformément à ce qui est écrit sur le papier qu'ils viennent de recevoir : leur enfant n'est pas affecté et ils doivent prendre contact avec le Collège. Une mère, particulièrement exci-tée, est reçue avec l'élève — son fils — "Bon" dit-elle "je m'assieds hein ? Et on va causer !". Aucun temps d'explication sur la situation nouvelle ne m'est laissé. La mère déverse sa haine contre une per-sonne : "moi" qui en ai toujours voulu à son fils. Il avait écrit sur son dossier qu'il voulait aller dans tel lycée... Il doit donc y aller et c'est moi qui dois aller l'y inscrire. Un peu plus tard, et dans la confu-sion la plus totale, c'est moi qui n'ai pas poussé le dossier et moi qui ai dit au lycée qu'il ne fallait pas le prendre. Le garçon pendant ses cinq années de collège a fait l'objet constant de remise sur les

rails. C'est lui qui, la semaine pré-cédente, dormait sur sa table pen-dant l'épreuve de mathématiques du Brevet auquel il s'était présenté sans convocation — il l'avait déchi-rée — et sans carte d'identité — pourquoi faire ? on le connaît — Ce garçon est maintenant en face de moi, me jetant des regards pleins de haine, le doigt pointé à mon en-contre, moi qui représente tout d'un coup toute la France que l'on n... quand elle ne comprend pas ! Dans le couloir évidemment, le ton monte ; la colère gronde, les cris s'entendent de loin contre ce col-lège raciste qui met les jeunes à la rue. Le Ministre le saura ! Il va flamber ce collège pourri ! Le Principal rapetisse dans son grand fauteuil en cuir noir ; le Principal-Adjoint, témoin pour la première fois de telles scènes, pré-pare un thé pour remettre l'équipe sur pied et affronter l'assaut sui-vant. A la rentrée, les solutions d'orien-tation sont loin d'être trouvées pour tout le monde ; le quartier a eu le temps de faire monter la pression ; certains sont allés trou-ver le Maire à qui ils ont demandé de suppléer aux services défec-tueux du collège. Sur les murs du collège fleurit un nouveau type d'inscriptions "Minguettes, thé Boss", et dans les couloirs, les élè-ves qui redoublent par obligation, adressent au Principal des regards de haine ou rasent les murs pour éviter d'être interpellés.

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Les adultes continuent de tenir le discours de la rigueur, de la ferme-té face au travail, face aux règles et à la notion d'engagement per-sonnel. C'est un discours universel, au-delà des passions et de l'irra-tionnel. Il est payant au fil des mois, même si d'autres plaies sont à panser, même si des blessures s'ouvrent ailleurs. "Je lui avais bien dit de ne pas fré-quenter les Arabes". Sa fille Laetitia s'est battue avec Samira en plein cours. Elles ont livré un combat di-gne des "Blanchisseuses" de Zola, sous l'œil atterré et impuissant du professeur et des camarades. Une histoire d'adolescentes finalement assez universelle. Et la mère de poursuivre : "C'est tous ces immi-grés qui nous amènent ça". Elle porte un nom d'origine espagnole ; son père est né à Barcelone ; elle habite Vénissieux ; les Arabes sont ses voisins ; sa fille fréquente son collège, celui du secteur. Un enfant d'origine cambodgienne frappe méchamment un enfant de sa classe d'origine tunisienne. La mère, appelée pour l'information et la prise de connaissance de la sanc-tion prise par l'école : "II a bien fait, les Arabes ils peuvent recevoir des coups, ils nous en donnent as-sez !". Valeurs de l'école, valeurs de la maison... Malaise... Tiraille-ments jusqu'à la dislocation... A quelle éducation se vouer ? QUI EST ADULTE ? Et quel adulte je de-viens ? En attendant j'ai de piètres résultats à l'école. Il s'appelle Adel B... Il est élève de

troisième et dans le cadre de l'orientation, il a la possibilité de rencontrer sur son lieu de travail un professionnel de son choix afin de préciser ses voeux. Au téléphone, au lieu de prendre rendez-vous avec le coiffeur qu'il a voulu ren-contrer, il demande combien gagne un coiffeur sans autre forme de procès. Le coiffeur, furieux contre un garçon qui ne respecte pas les règles du jeu et qui lui fait perdre son temps, déclare aussi qu'il n'est pas étonné et qu'il ne veut plus en-tendre parler des jeunes de Vénis-sieux. Immédiatement informée de l'incident, j'essaie tout aussi immé-diatement d'en faire un moment d'éducation avec Adel : respect des règles du projet, des consignes données par les professeurs, res-pect du professionnel aux idées toutes faites sans doute mais qu'il aurait plutôt fallu s'employer à changer etc... etc... Trois mois plus tard, Adel m'accuse devant ses parents qui surenchéris-sent : "C'est de votre faute, vous avez insulté mon nom ; c'est à cause de vous si je ne vais pas en seconde ; vous m'avez cassé, j'ai arrêté de travailler ". Explications, remises à plat, affron-tements, discussions : il est impor-tant que ce jeune arrive à entendre à l'école, monde bien protégé, que le dehors est exclusion, qu'habiter Vénissieux n'est pas chose facile lorsque, en plus, on porte un nom d'origine étrangère. Où, sinon à l'école, pourrait-on grandir saine-ment en exprimant cela ?

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C'est la fin du trimestre, Madame Z, Professeur Principal, a donné rendez-vous à chaque parent, à une heure et un jour qui lui conviennent, pour lui remettre le bulletin de son enfant, conformé-ment à ce qu'il a été décidé de pra-tiquer dans l'établissement. Madame Ben... se présente. Elle est reçue ; elle n'attend pas ; elle ap-précie car les petits sont seuls à la maison. Elle ne comprend pas bien le Français. Elle s'en excuse auprès d'un professeur qui va lui lire et lui commenter toutes les appréciations portées, qui va essayer de la faire s'engager sur des choses simples à faire avec son enfant pour que les résultats s'améliorent. Les appréciations sont fouillées : conseils donnés et véritable bilan, dans la plupart des cas, ils s'adres-sent à un élève et à ses parents, non à l'étranger qui, de toutes fa-çons, n'y comprendra rien, alors pourquoi perdre son temps ?...

Le frère de Youssef se présente seul au rendez-vous fixé. Il rentre-ra chez lui. C'est le responsable que l'on veut voir. "Ma mère n'a pas le temps et mon père travaille". "Quand est-ce que ta mère a le temps ?" On trouve toujours un rendez-vous possible pour faire que les parents apprennent l'école et ne soient pas des assistés perma-nents. "Ma mère, elle ne viendra pas : elle comprend pas , elle écrit pas". " Viens avec elle, viens avec ton frère ; après tout c'est lui que cela concerne ; c'est lui qui tradui-ra!... ". "Mais c'est moi qui m'oc-cupe de mes frères et soeurs". "A la maison peut-être et tant mieux ; à l'école non : c'est les parents qui signent. Ils ont le droit et le devoir de savoir".

Martine TAUSZIG, Principal, Collège, E. Triolet,

Vénissieux (Rhône)

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CHRONIQUE DE LA

TERRE D’ACCUEIL Yves ROLLIN, Proviseur.

Vaulx-en-Velin : début des an-nées 1990 Ce matin-là, dans la chaleur du mois de juin, un professeur de Let-tres s'engouffre d'un pas déter-miné dans le couloir de l'Admi-nistration et se retrouve dans le bureau du Principal-Adjoint. Elle, d'ordinaire si calme, qui a choisi de travailler et de vivre depuis une vingtaine d'années au coeur de la cité, n'en peut plus. Une porte de garage fracturée, une voiture dété-riorée... Vingt ans d'efforts, des moments difficiles, mais toujours cette flamme qui reprend vie de-vant la grandeur de la tâche... Cette fois-ci la coupe est pleine, l'enseignante obtiendra dans la journée une délégation rectorale et enseignera à la rentrée suivante dans un collège plus paisible. Alpes du Sud : Juin 1995 Ils étaient une douzaine de collé-giens comme chaque année à par-ticiper au séjour en montagne du "Club Randonnée". Tous un peu difficiles, mais les quelques week-

ends vécus ensemble dans les Monts du Beaujolais ou sur les pentes du Pilât avaient créé un dé-but d'harmonie dans le groupe.... Les quatre accompagnateurs adul-tes leur avaient proposé cet après-midi là un quartier libre en forêt, rien de tel pour donner le goût de la nature à des jeunes habitués au béton... Quelques heures plus tard, au moment du regroupement, beaucoup manquent à l'appel... Le groupe, partiellement reconstitué, retourne au gîte, à l'orée de la fo-rêt... A quelques pas du but, sur-git, furieux, le gérant : le stock de boissons livré la veille s'est envo-lé... Vaulx-en-Velin : Automne 1994 - Quartier du Mas-du-Taureau II est 17h30, les fenêtres de la ci-té, encore ouvertes, laissent péné-trer dans les appartements les der-niers rayons de soleil, messagers de douceur fort appréciés dans une agglomération où, des semaines durant, la chaleur a été écra-sante...

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Des mélodies orientales répondent au tonnerre d'une musique "techno"... Quelques crissements de pneus laissent augurer d'une nuit animée par quelque rodéo.... Des enfants jouent paisiblement au bord d'un bac à sable, dernière ré-alisation d'un projet DSU... Le Principal du collège voisin doit ren-contrer les représentants d'une as-sociation de soutien scolaire im-plantée dans un local situé au rez-de-chaussée d'un HLM. Dans son dos, un cri quasi rituel " N.... ta mère, enc... ". Il se retourne, nul n'apparaît... Il poursuit son che-min... Vaulx-en-Velin : Janvier 1991 Deux automobilistes rouges de co-lère déferlent dans le bureau du Chef d'Établissement au cri de " On va vous les tuer, vos Arabes....". Des boules de neige, un peu "renforcées" se sont fracassées sur la carrosserie rutilante de leur auto, surgies de la masse des sil-houettes gesticulantes en attente devant le portail d'entrée du col-lège...... Marseille : Juillet 1997 Tranchante comme la lame d'un poignard, cette question d'un père d'élève venant inscrire son fils au Proviseur du lycée : "Y a-t-il beau-coup de gris chez vous ?". Et si la présence nombreuse d'en-fants d'immigrés expliquait tout ? Ce serait si simple et nous aurions très vite bonne conscience. Et puis d'autres histoires nous re-

viennent en mémoire... Celle de la splendide bague tombée au sol lors de l'inauguration du lycée. La dame distinguée qui la portait, handicapée par l'arthrose, à la vue déclinante, n'a pu la retrouver. Quelques heures après, Djamila trouve le précieux objet et le rap-porte sans hésitation au Chef d'Établissement. Ces amitiés tissées dès le plus jeune âge entre enfants d'origines différentes qui parfois même bou-leversent les représentations de familles entières..... Ces amours parfois qui se frayent un chemin jamais facile dans l'affrontement de regards souvent hostiles...... Les milliers d'échanges positifs qui chaque jour, notamment grâce à l'école de la République, permet-tent à tant d'enfants de se cons-truire une identité enrichie par deux cultures, au creuset souvent d'une pauvreté matérielle propice à la simplicité, à la chaleur hu-maine authentique... Oui l'enrichis-sement ne va pas que dans un sens, l'école de la République ap-porte beaucoup mais elle a beau-coup à recevoir de ceux qu'elle ac-cueille. Scènes émouvantes parfois que celles vécues par les adultes qui ont la charge de ces jeunes. Scè-nes qui mettent à mal bien des cli-chés. Kairouan : Avril 1997 Habib, jeune Marseillais, en séjour de découverte sur la terre de ses ancêtres, s'indigne auprès du por-tier de la Mosquée du Barbier :

Yves Rollin

L’école de la République

apporte beau-coup, mais elle a beaucoup à

recevoir de ceux qu’elle

accueille.

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RACISME ET SOCIÉTÉ

"Pourquoi, interdisez-vous à nos professeurs d'entrer dans la salle de prière ?". Vaulx-en-Velin : Mars 1990 Samira, élève de troisième, lors de la réunion de préparation du voyage en Angleterre interroge le Chef d'Établissement : "Est-ce que je pourrai "rattraper" mon rama-dan si je l'interromps pendant les quelques jours passés dans la fa-mille anglaise ?". Vaulx-en-Velin : Décembre 1995 Ahmed a brutalisé Ludovic sans raison. La famille de ce dernier, en colère, demande une entrevue. Le Chef d'Etablissement est inquiet. Il décide de convoquer la famille du jeune agresseur. Et voilà qu'il as-siste à une rencontre d'une grande qualité humaine, où les décisions prises en commun, sanction de la faute, réconciliation, contact entre les familles, n'ont jamais été para-sitées par les sous-entendus racis-tes..... Un accompagnement d'Ah-med lui permettra par la suite de mieux se maîtriser, de prendre conscience de sa propre violence. L'essentiel n'est-il pas notre apti-tude à accompagner ces jeunes dans leur construction personnelle, sans s'immiscer mais en restant nous-mêmes, c'est-à-dire porteurs des valeurs de la République avec tout ce que cela implique en ma-tière d'attention aux personnes. Ainsi la construction dans le va-et-vient des interrogations, des

échanges autour de situations concrètes pourra s'accomplir. Et à partir de l'instant où l'adulte a ré-alisé et accepté qu'il pouvait lui aussi élargir son horizon en vivant ces échanges, il comprend qu'il peut dépasser les situations dou-loureuses évoquées précédem-ment. Tout n'est pas gagné.... Cette place que nous accorde l'autre, dans un à priori réducteur, "l'étranger", nous finissons par la lui accorder, nous aussi les Fran-çais de souche, porteurs d'une culture jadis bien identifiée, délimi-tée... Quel séisme !... La tentation existe de se rétracter; passer d'un "chez nous" — sous-entendu les Français métropolitains — à un "chez vous" — sous-entendu les différents groupes nés en France et constituant la nation française — n'est pas aisé. Citons l'expérience de ce profes-seur de bonne volonté qui, dans une classe majoritairement consti-tuée d'élèves musulmans, a main-tenu le devoir prévu le jour de la Fête de l'Aïd et a opposé un "chez nous" à un "chez vous" qui en fait est un "nulle part" pour des en-fants nés en France et pour qui la terre des parents n'est en aucun cas leur terre. Construire ensemble est la seule alternative à la haine et à l'exclu-sion... Nous nous voyons contraints de ne pas projeter une image toute faite de l'avenir de no-tre pays. N'y a-t-il pas là une for-midable ouverture, un appel à la créativité ?

Yves ROLLIN, Proviseur, Lycée MONTGRAND - MARSEILLE. (Principal du Collège Henri BARBUSSE VAULX-EN-VELIN de 1989 à 1996)

Yves Rollin

L'essentiel n'est-il pas no-tre aptitude à accompagner ces jeunes dans leur construc-tion person-

nelle, sans s'im-miscer mais en restant nous-

mêmes, c'est-à-dire porteurs

des valeurs de la République.

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RACISME ET SOCIÉTÉ

LES ETRANGERS ET LE DROIT,

DES PRINCIPES ET DES INCERTITUDES

Le droit à l'entrée et au séjour en France est régi par l'ordonnance du 2 novembre 1945. Ce texte législatif a été profondément et maintes fois remanié et notam-ment dans ces dernières années qui ont vu se succéder une alternance de gouvernements de droite et de gau-che. Sa dernière modification, la loi Chevènement, de mai 1998, permet surtout de régler des situations deve-nues inextricables de personnes qui n'avaient pas droit à une carte de sé-jour et qui ne pouvaient pas être lé-galement expulsées. UN CONFLIT DE LOIS L'ordonnance de 1945 avait posé le principe de l'obtention de droit d'une carte de séjour valable 10 ans pour tout étranger remplissant certaines conditions par exemple conjoint de français ou parent d'un enfant fran-çais. Mais la loi Pasqua avait ajouté la condition d'une "entrée régulière" c'est à dire, dans la plupartdes cas, avec visa de long séjour. Or, les visas sont délivrés par les consulats sur un mode discrétion-naire. Un apport important de la loi Chevènement consiste dans l'obliga-tion de motiver les refus de visas, pour certaines catégories, ce qui per-mettra de saisir la juridiction admi-

nistrative en cas de refus. La France est signataire de la Convention Européenne des Droits de l'Homme dont l'article 8 garantit le droit à une vie de famille normale. Ce texte est un traité international dont l'article 55 de la Constitution dit qu'il a "une autori-té supérieure à celle des lois". D'où, la situation ubuesque (ou kafkaïenne) des personnes auxquelles étaient re-fusées les cartes de séjour parce que ne disposant pas de visas et qui, néanmoins, ne pouvaient pas être ex-pulsées parce qu'elles avaient droit de mener une vie familiale normale, auprès de leur conjoint ou de leur en-fant en France. EXTENSION DU DROIT D'ASILE Jusqu'alors le droit d'asile n'était re-connu qu'à celui ou à celle dont la si-tuation répondait aux critères retenus par la Convention de Genève sur les réfugiés. Désormais, la qualité du ré-fugié pourra être accordée "à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté" formule reprise du quatrième alinéa du pré-ambule de la Convention de 1946. Cet "asile constitutionnel" protège désormais les combattants de la li-berté.

57

RACISME ET SOCIÉTÉ

LA QUESTION DE LA NATIONALI-TÉ Pour tous les étrangers pour lesquels l'éventualité, à terme, d'un retour dans leur pays n'est pas envisagée se pose le problème de l'obtention de la nationalité française. Cette question se pose encore davantage pour les jeunes qui n'ont jamais vécu dans leur pays d'origine et qui ont suivi leur scolarité dans les écoles françai-ses. On oppose souvent deux principes : le droit de sol et le droit du sang. La nationalité est-elle dictée par la filiation ou par le lieu de naissance ? Ce qu'on a dési-gné par "traditions" n'est en réalité que l'habillage récent d'un besoin de recrues. La France puissance colo-niale, justifiant l'enrôlement des ti-railleurs sénégalais, marocains, algé-riens, etc. et l'Allemagne partagée entre royaumes et duchés aspirait à bénéficier de services des allemands des Sudètes, de Pologne, d'Ukraine, d'Autriche, de Biélorussie, etc. Ainsi, un besoin militaire peut-il justifier a posteriori des volontés d'exclusion ou d'intégration selon les cas. La loi du 16 mars 1998 (loi Guigou) a pour principal effet de rétablir la règle d'acquisition de plein droit de la na-tionalité française à 18 ans pour les

jeunes nés en France de parents étrangers, dès l'âge de 16 ans s'ils en manifestent la volonté. A condition que ces jeunes justifient d'une pé-riode de 5 ans (continue ou disconti-nue) de résidence en France depuis l'âge de 11 ans. CRÉATION D'UN TITRE D'IDENTIFI-CATION RÉPUBLICAIN Un titre d'identité républicain sera crée. Il sera délivré à tout enfant mi-neur né en France de parents étran-gers titulaires d'une carte de séjour. Ce titre fera office de pièce d'identité en attendant que l'enfant ait l'âge re-quis pour obtenir la nationalité fran-çaise. Ce document devrait faciliter maintes démarches de la vie quotidienne et circuler librement, dans le cadre d'échanges scolaires notamment, dans les pays européens signataires de l'accord de SCHENGEN. Ces nouvelles lois reflètent assez bien la volonté de leurs auteurs de main-tenir le contrôle de l'immigration et de régler la situation des personnes qui vivent en France notamment, des jeunes qui y sont nés et qui souhai-tent légitimement pouvoir y demeu-rer.

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Les voyageurs de la mémoire

JE ME SOUVIENS D'UN…

Je me souviens d'un groupe de jeunes. C'était à Vitrolles le 24 Octobre 1997, ils partaient dans la nuit à la rencontre de la Mémoire. Plus tard je me souviens d'un matin où leur souvenir cherchait des mots.

Je me souviens de la tâche noire et blanche d'un camp caché au coeur

d'une forêt dorée par l'automne. Je me souviens de nos vêtements colorés pénétrant un univers gris. Je

me souviens d'avoir marché sur vos pas. Je me souviens d'un arbre très haut, vert et feuillu à sa base et mort à

son sommet. Je me souviens, au camp de Struthof, du bruit de nos pas comme d'un

écho au bruit de bottes des SS. Je me souviens au Struthof, à l'endroit même où l'on jetait les cendres

des condamnés, de ce gros chat roux, comme une tâche de soleil sur l'étendue de la nuit.

Je me souviens dans le silence et la douleur, au pied d'une croix blan-

che, de la prière musulmane d'un jeune homme. Je me souviens du rire d'un enfant déchirant le silence de la mort. Je me souviens de la photo d'un vieil homme, squelette rescapé, portant

dans son regard l'impossibilité d'oublier pour vivre. Je me souviens de la potence. C'était dans le camp du Struthof et moi je

pensais à l'Algérie. Je me souviens, à Strasbourg, lorsqu'on longeait la grosse rivière, d'une

petite vieille qui derrière sa fenêtre regardait d'un air maussade les voyageurs que nous étions. Lorsque nous lui avons fait signe de la main son visage de grand-mère s'est éclairé. Elle nous a souri puis nous a suivis d'une fenêtre à l'autre, en agitant sa petite main.

Je me souviens et du silence et de nos rires et d'eux qui n'entendirent

que bruit et hurlements.

59

Les voyageurs de la mémoire

Je me souviens d'une ville pauvre, qui me parut même misérable, le ciel était gris et la terre sombre, pourtant les gens y semblaient heu-reux de vivre : c'était Cracovie, en Pologne.

Je me souviens d'Auschwitz comme d'un lieu obscur où des milliers de

gens ont souffert et sont morts, et je me souviens de Maxime qui a survécu par hasard et qui depuis, a choisi d'offrir sa parole à la vie.

Je me souviens à Auschwitz de ces baraques trop bien rénovées dont la

peinture ne pouvait pas faire oublier le passé et je me souviens d'un couloir sombre bordé de vitres immenses. Il y avait là, je me souviens, des montagnes de cheveux sombres, ternes, vieillis et par-mi eux une tresse blonde qui parlait encore de vie.

Je me souviens à Auschwitz de tous ces objets accumulés, entassés

(lunettes, brosses, boîtes.....) et je me souviens des prothèses de mutilés et des jouets d'enfants. Cho-ses abandonnées que l'oeuvre de mort transforme en traces de vie.

Je me souviens d'un endroit mort, créé, détruit et oublié par l'homme. Je me souviens des tuyaux, de la mécanique et des outils d'un four cré-

matoire : toute la machinerie de l'industrie de la mort. Je me souviens du regard blessé d'un enfant : c'est une photo parmi

d'autres dans le musée d'Auschwitz. Je me souviens de squelettes vivant debout. Je me souviens encore de

montagnes : chaussures vides, valises portant en blanc le nom de leur propriétaire, vêtements de bébés... Je me souviens d'une pou-pée désarticulée et aussi d'une sandale rouge, jolie, estivale.

Je me souviens, sur une photo à Auschwitz, les larmes d'un bébé,

comme un appel à ne pas oublier, et le regard étonné d'effroi d'une petite fille.

Je me souviens d'un froid glacial, paralysant et d'une cinquantaine de

personnes immobiles et muettes pleurant devant un mur, celui des fusillés. Cinquante personnes un instant unies par leur chant, leur pensée et la flamme de leurs bougies.

Je me souviens à Birkenau d'un silence de mort et aussi d'un bruit de

train dans le lointain.

60

Les voyageurs de la mémoire

Je me souviens d'une plaine brune, herbue de barbelés et couverte de cheminées et je me souviens d'un ciel trop gris, obstrué par une mé-moire de souffrance.

Je me souviens de rails, qui menaient au vide et de tous ceux-là : Juifs,

Noirs, Arabes, Musulmans, Tziganes, Russes, Polonais, Politiques, différents..., tous ceux-là qui furent envoyés dans le noir couloir de la mort. Je me souviens de ces rails dont la destination s'appelait "chambre à gaz".

Je me souviens d'un étang, petit étang ou grande flaque, pleurs venus

des profondeurs, cerné du sable blanc de la mort. Les petits cailloux blancs du dernier chemin, parcelles d'os, poussières d'hommes, re-montant à la surface de la terre. C'était à Birkenau, là où furent jetées leurs cendres, ultime signe contre l'oubli, révolte de la ma-tière ou trace, inscrivant dans la terre, la quête de lumière comme sens à la vie.

Je me souviens de cet homme aux cheveux blancs, débout au bord de

l'eau, si près de nous et si loin dans le temps. Je me souviens de Maxime, ancien déporté rescapé de Birkenau, s'immergeant dans les souvenirs au mépris de sa douleur pour nous faire partager sa mémoire.

Je me souviens de la peau cendrée des bouleaux et du frissonnement

lumineux de leurs feuilles dans le vent. Je me souviens de toutes les larmes versées (ou retenues) pendant ce

voyage, et des pays traversés, des gens rencontrés. Je me souviens d'avoir marché et de ceux qui partagèrent avec moi ce chemin.

Et je me souviens de Bob, ce jeune homme de notre âge, à Vienne, qui,

au moment de nous quitter sortit une bille en verre de sa poche et nous l'offrit en signe d'amitié.

Je me souviens d'une phrase de Primo Levi : "Je voudrais dire la force

avec laquelle nous désirâmes alors pouvoir encore une fois, ensem-ble, marcher libres sous le soleil". Et je me souviens d'une phrase de Joe Bousquet : "La parole reste à créer, comme le bouquet de la nuit et du jour".

Je me souviens. Je me souviens... Avec la nuit, avec le jour, par la pa-role ou le silence avec les autres... Je me souviendrai de ne pas ou-blier.

Les voyageurs de la Mémoire - Nov. 97

(avec l'aide de Sara SONTHONNAX)

... VOYAGE DANS LA MÉMOIRE

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On peut se procurer les cahiers auprès du

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CAHIERS

4 62 Les TIC et l'école : mirage ou miracle ? n° double

3 (ns) 61 Pour une politique d'orientation en établissements

2 (ns) 60 Éthique et déontologie dans les métiers de l'éducation Colloque 2003

1 (ns) 59 Le lycée professionnel : lycée entièrement à part ou à part entière ? ns=nouvelle série

58 La classe en questions Colloque 2002

57 Vers une écologie de l'enseignement

56 Mais que font les élèves à l'école ? Colloque 2001

55 Le Pré-rentrées

54 Le droit à la parole des élèves

53 L'Établissement scolaire face à la diversité culturelle Colloque 2000

52 Les techniques de formation

51 Les chantiers du ministère

50 L'Élève, l'École et la Politique Colloque 1999

49 Les établissements scolaires : nouveaux besoins, nouveaux métiers Colloque 1998

48 Racisme et xénophobie téléchargeable

47 Les établissements déstabilisés

46 L'année des rapports : quel projet pour l'école ?

45 École et médias

44 Enseigner : à la recherche du sens Colloque 1997

43 La loi et l'École Colloque 1996

42 Le rapport au savoir

41 L'accompagnement scolaire

40 Les femmes et l'école

39 L'École des Maîtres Colloque 1995

38 L'Évaluation

37 L'École et l'Entreprise

36 Éduquer en Europe (2)

35 Le collège en questions Colloque 1994

34 Éduquer en Europe (1)

33 La déontologie dans l'Éducation Nationale

62

CAHIERS

32 Les modules

31 Les valeurs dans l'école Colloque 1993

30 L'enseignement technique, mode d'emploi

29 L'école et les parents

27/28 Les nouveaux publics des lycées et des collèges Colloque 1992

26 L'autorité (épuisé)

25 Action éducative et vie scolaire

24 Apprendre et vivre la démocratie à l'école Colloque 1991

23 L'École et la Culture

22 Établissement 90

21 L'élève, acteur et partenaire dans l'école (épuisé)

20 Enseigner, un nouveau métier Colloque 1990

19 Pédagogie, Vie scolaire et Innovations

18 Positions 89

17 Formation des personnels : bilan, critiques et propositions

16 Formation des personnels : techniques et méthodes

15 Stratégie pour un défi : 80 % d'une classe Colloque 1989

14 Pédagogies 88

13 Inégalités et exclusions dans le système éducatif

12 L'École, les jeunes et la Culture Colloque 1988

11 80 % d'une classe d'âge au niveau Bac Enquête nationale

10 Pédagogies 1987 (épuisé)

9 La vie relationnelle (épuisé)

8 Le savoir en question, questions sur le savoir Colloque 1987

7 Le conseil de classe (épuisé)

6 Éducation 1986

5 Responsabiliser Colloque 1986

4 C.D.I. et Documentalistes (épuisé)

3 Le projet d'établissement

2 L'enseignement de masse Colloque 1985

1 Les conservatismes dans le système éducatif téléchargeable

63

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ÉDUCATION & DEVENIRCOLLÈGE JEAN ZAY

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Cahier n° 4 (nouvelle série)

Les TIC et l’école : mirage ou miracle ?

Journée d’études du Sénat 1997

L’intégration, une Mission pour l’école ?

Journée d’études du Sénat 1999

Ségrégation urbaine, ségrégation scolaire

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